Vous êtes sur la page 1sur 539

Titre original : China after Mao

© 2022, Frank Dikötter


All rights reserved

Cet ouvrage est publié avec le concours


du Centre national du Livre.

Carte : Légendes cartographie/Éditions Tallandier, 2023

© Éditions Tallandier, 2023 pour la présente édition


48, rue du Faubourg-Montmartre – 75009 Paris
www.tallandier.com

EAN : 979‑10‑210‑5148‑5

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


SOMMAIRE
Titre

Copyright

Préface

Carte de la Chine dans les années 1970

1. - D'un dictateur à l'autre (1976-1979)


2. - Austérité (1979-1982)

3. - Réforme (1982-1984)

4. - Du peuple et des prix (1984-1988)


5. - Le massacre (1989)

6. - Le tournant (1989-1991)

7. - Des outils capitalistes dans des mains socialistes (1992-1996)

8. - Big is Beautiful (1997-2001)

9. - Mondialisation (2001-2008)

10. - Hubris (2008-2012)

Épilogue

Notes

Bibliographie sélective

Archives

Ouvrages publiés
Remerciements

Index des noms de personnes

Index des noms de lieux

Du même auteur
Préface

À l’été 1985, alors que Retour vers le futur devenait le plus gros succès
cinématographique de l’année, j’entamai mes études du mandarin en Chine
en tant qu’étudiant de l’université de Genève, en Suisse. Le ministère
chinois des Affaires étrangères m’avait admis à l’université de Nankai, à
Tianjin, métropole côtière proche de Beijing qui comptait cinq millions
d’habitants (aujourd’hui, la taille de la ville a triplé). Je me suis envolé vers
Hong Kong, où j’ai franchi la frontière vers la Chine continentale, mettant
une semaine pour achever mon voyage en train en direction du nord, et me
faisant quelques amis sur le trajet. L’un d’eux, incapable de se remémorer
mon nom de famille, m’avait plus tard envoyé une carte postale adressée à
« Frank de Hollande, Tianjin, Chine ». La poste n’a eu aucun mal à me
trouver, car il n’y avait que quatre-vingts étrangers en ville, dont sept
ressortissants hollandais et un seul Frank.
Comme toutes les grandes cités, Tianjin était traversée par un réseau de
larges boulevards construits dans les années 1950 avec l’aide de conseillers
soviétiques. Il n’y avait jamais d’embouteillages : cette nation de plus d’un
milliard d’habitants comptait alors moins de 20 000 véhicules privés. En
revanche, des flots de banlieusards pédalaient en silence et en rangs serrés
sur des voies latérales réservées à cet effet, à l’abri des bus et des camions
(et des très rares voitures). Comme tout ce monde se levait au point du jour
et rentrait chez soi avant le crépuscule, à neuf heures du soir, la ville était
plongée dans le calme. De nuit, j’avais parfois les six voies pour moi tout
seul, ma bicyclette baignant dans le faible halo des réverbères.
Je suis retourné à l’université de Nankai à l’occasion de la célébration
du centenaire de la ville, en octobre 2019. Tianjin semblait transformée, une
agglomération apparemment sans fin composée d’immeubles d’habitation
et de complexes de bureaux, certains achevés, d’autres encore en
construction, poursuivant une expansion tous azimuts, avec sa ligne
d’horizon illuminée de gratte-ciel étincelants. Où que l’on se trouve, les
jours de ciel clair, le Tianjin Finance Centre était visible, culminant à
presque 600 mètres dans le ciel, ses surfaces vitrées scintillant au soleil
comme une flèche de cristal gigantesque. Mais les apparences peuvent être
trompeuses. Mes anciens professeurs et leurs successeurs habitaient encore
dans les mêmes ensembles en béton miteux aux balcons poussiéreux
remplis de plantes en pots et aux couloirs encombrés de vélos cabossés qui
leur servaient à circuler sur le campus. Il y avait une grande différence,
m’a-t-on dit : pour la plupart, les enfants de ces professeurs vivaient
maintenant aux États-Unis.
Quelques années auparavant, la République populaire de Chine avait
officiellement célébré quarante années de « Réforme et Ouverture *1 »,
l’intitulé du programme de mutations économiques lancé par Deng
Xiaoping en décembre 1978. La transformation d’un pays insulaire se
relevant à peine du chaos de la Révolution culturelle en la deuxième
économie mondiale est constamment saluée comme un prodige. À cet
égard, le titre d’un ouvrage universitaire – Comment le miracle est advenu –
résume la conception dominante. Apparemment, le seul sujet de
préoccupation de certains experts n’est pas de savoir s’il y a réellement eu
miracle en premier lieu, mais plutôt de comprendre si ce phénomène ne
toucherait pas à son terme.
Comment ces experts le sauraient-ils ? Après m’être installé dans ma
résidence universitaire, voici trente-cinq ans, j’ai remarqué qu’un grand
nombre d’étudiants étrangers se livraient à des conjectures sans fin sur ce
qui se passait à Beijing. Certains d’entre eux sont devenus des observateurs
de la Chine. Leur technique s’inspirait de celle des observateurs du
Kremlin : le manque d’informations fiables les obligeait à scruter les
signaux les plus hermétiques pour capter des indices en provenance de
Zhongnanhai, le siège du parti, près de la Cité interdite, à Beijing, qu’il
s’agisse de la place de chaque dirigeant à la tribune lors des défilés place
Tian’anmen, de la mise en page des articles dans Le Quotidien du Peuple ou
de la récurrence de certaines formules à la radio. Tous ces oracles me
laissaient sceptique, et je préférais étudier le passé.
Sceptique, je le reste. Contrairement à ce que l’on serait
raisonnablement en droit d’espérer après quarante ans de « Réforme et
Ouverture », la situation actuelle n’est pas si différente. Il y a quelques
années, Li Keqiang, l’actuel Premier ministre, disait des chiffres du revenu
national qu’ils étaient « des produits de l’homme et donc peu crédibles ».
Les experts ne l’ignorent évidemment pas, et ils trouvent des moyens de
pallier ce défaut. Il existe par exemple un « indice Li Keqiang », que le
Premier ministre utilisait lui-même pour mesurer les performances
économiques en observant la consommation totale d’électricité. Il n’en
demeure pas moins que nous en savons très peu. Un spécialiste de la Chine,
James Palmer, soulignait ainsi récemment : « Personne ne sait rien de la
Chine : y compris le gouvernement chinois 1. » Le moindre élément
d’information est sujet à caution, partiel ou déformé. En effet, nous ne
connaissons rien de la taille véritable de cette économie, car aucun
gouvernement local ne fournit des chiffres exacts, et nous ne mesurons pas
l’ampleur des créances douteuses, car les banques les dissimulent. Tout bon
chercheur a le paradoxe socratique à l’esprit : je sais que je ne sais pas.
Toutefois, en ce qui concerne la Chine, nous ne savons même pas, au juste,
ce que nous ne savons pas.
En face du portail Nord de l’université de Nankai, de l’autre côté d’une
grande artère à huit voies très encombrée, un vaste édifice, telle une
immense caverne, gardé par de jeunes soldats, abrite les Archives
municipales de Tianjin. L’accès à ce bâtiment aurait été impensable à
l’époque où j’étais étudiant. En 1996, la loi réglementant la consultation des
archives a été amendée et des volumes croissants de documents déclassifiés
sont devenus accessibles aux historiens, armés d’une lettre de
recommandation. Même si les informations les plus sensibles restaient
enfermées sous clef dans les profondeurs des salles d’archives, pour la
première fois des chercheurs ont été autorisés à plonger dans la nuit obscure
de l’ère maoïste.
J’ai consacré une décennie à examiner des milliers de dossiers du parti,
sillonnant le pays de long en large, du Guangdong subtropical à l’aride
Gansu, une province proche des déserts de Mongolie. J’ai pu consulter,
contenus dans des chemises jaunies, les procès-verbaux secrets de réunions
de la hiérarchie du parti griffonnés à la main ou proprement tapés à la
machine, des investigations menées sur des épisodes de massacres, des
aveux de dirigeants responsables de la famine de millions de villageois, des
rapports sur la résistance dans les campagnes, des enquêtes d’opinion
confidentielles, des lettres de plainte rédigées par de simples citoyens et
bien plus encore. J’ai écrit trois livres, un ensemble intitulé « La Trilogie du
Peuple », sur le sort des gens ordinaires sous Mao.
Le moment était bien choisi. Après l’accès au pouvoir de Xi Jinping en
novembre 2012, les archives se sont peu à peu refermées. D’importants lots
de documents sur la Grande Famine et la Révolution culturelle ont depuis
lors été reclassifiés. Mais paradoxalement, ces deux dernières années ont
été une période propice pour explorer les décennies dites de « Réforme et
Ouverture ». Pendant des années, le peuple chinois, y compris ses
archivistes, s’est entendu répéter que depuis 1978, ce qui s’était produit
tenait tout simplement du miracle, un processus qui avait littéralement
laissé pantois les capitalistes étrangers. Certes, un sombre nuage reste en
suspens au-dessus de l’ère Mao, mais dès l’instant où l’on évoque la
« réforme économique », il se dissipe. À présent, et pour la première fois,
nous pouvons véritablement nous servir des éléments fournis par le Parti
communiste pour examiner l’histoire de ce même parti depuis 1976.
Toute démocratie possède quantité de règles et de réglementations qui
déterminent quels documents officiels peuvent être déclassifiés et quand ils
peuvent être ouverts à l’examen public. En théorie, la plupart des pays
adhèrent à une règle des trente ans. Ainsi, tous les ans, à l’approche de
Noël, aux Archives nationales de Kew, en Grande-Bretagne, les chercheurs
attendent avec impatience le dernier lot de documents déclassifiés par le
cabinet du Premier ministre ou le MI5. Dans la pratique, toutefois, les
services étatiques du monde entier recourent à toutes sortes d’exceptions
pour protéger des millions de documents d’un tel examen.
La loi en vigueur dans la République populaire de Chine applique aussi
la règle des trente ans, de sorte que les chercheurs doivent en principe être
en mesure de consulter des documents remontant à 1992. Mais la Chine
n’est pas une démocratie, c’est une dictature. Et la manière dont les règles y
sont appliquées est souvent fixée localement. En conséquence, l’accès aux
archives varie selon les endroits. Et, concernant certaines d’entre elles,
aucun étranger ne franchira même la guérite de la sentinelle au portail
d’entrée, car la moindre coupure de presse anodine est traitée comme un
secret d’État, tandis que pour d’autres, tout document antérieur à 1949,
quand les communistes ont remporté la victoire, est jugé intouchable. En
revanche, partout dans cet immense pays de la taille d’un continent,
certaines demeurent étonnamment ouvertes. Ainsi, de temps en temps, une
archive locale autorisera certains chercheurs à parcourir une vaste sélection
de sources primaires remontant jusqu’à 2009, bien au-delà du délai des
trente ans.
Mon récit se fonde sur quelque six cents documents issus d’une
douzaine d’archives municipales et provinciales, mais il puise aussi à des
sources primaires plus conventionnelles, articles de journaux ou mémoires
non publiés. Les plus importants de ces documents sont les journaux secrets
de Li Rui, devenu le secrétaire personnel de Mao, qui a passé vingt ans en
prison pour avoir mentionné la famine de 1959, avant d’être invité à
rejoindre le Comité central quelques années après la mort du Grand
Timonier en 1976. Durant de nombreuses années, il a été directeur adjoint
du département de l’Organisation (l’Orgburo, en jargon soviétique), une
section du parti chargée d’enquêter sur ses membres et de les nommer, à
tous les échelons du gouvernement. Li Rui est devenu un vrai démocrate,
ayant connu le système de fond en comble, mais, en 2004, il lui a été
interdit de publier ses écrits. Ses journaux couvrent jusqu’à l’année 2012 et
rapportent ses conversations avec des membres dirigeants du parti,
contenant un luxe de détails. Certes, les historiens ne se nourrissent pas
seulement de preuves matérielles, mais aussi de possibilités de mettre les
réalités en perspective : quand les unes et les autres se font rares, il est sage
de prendre du recul et de laisser à d’autres le soin de poursuivre le récit. Je
situe ce moment en 2012, quand Li Rui referme son journal et que Xi
Jinping vient occuper le devant de la scène.
Une manne d’éléments auparavant inaccessibles nous permet de
remettre en cause certaines affirmations répandues concernant la période
dite de « Réforme et Ouverture ». Pendant des décennies, un équipage
hétéroclite de responsables politiques étrangers, de chefs d’entreprise et
d’experts nous ont répété que la République populaire était en passe de
devenir un partenaire responsable, et peut-être même une démocratie
florissante. La réforme politique allait succéder à la réforme économique
aussi sûrement que le char suit le bœuf. Pourtant, à aucun moment l’un de
ces dirigeants n’a parlé de séparation des pouvoirs. Au contraire, le
maintien d’un monopole de l’autorité a maintes fois été présenté comme
l’objectif primordial de la réforme économique. Citons Zhao Ziyang, salué
à ce jour comme la personnalité la plus prometteuse à l’intérieur du parti,
qui s’adressait au Congrès en octobre 1987 : « Nous ne reproduirons jamais
la séparation des pouvoirs et le système multipartite de l’Occident. »
Quelques mois plus tôt, il avait expliqué à Erich Honecker, alors à la tête de
l’Allemagne de l’Est, qu’après avoir constaté la hausse de son niveau de
vie, le peuple de Chine admettrait la supériorité du socialisme. Et il
ajoutait ensuite : « À ce moment, nous pourrons progressivement resserrer
l’ampleur de la libéralisation. » À de multiples reprises, d’autres dirigeants
ont répété le même message. En 2018, Xi Jinping avertissait que la « Chine
ne doit jamais copier d’autres pays », et surtout pas l’« indépendance de
l’autorité judiciaire » et la « séparation des pouvoirs » propres à
l’Occident 2.
Ces deux ou trois dernières années, de nombreux observateurs ont
changé d’avis, certes un peu tardivement, et n’envisagent plus un Parti
communiste chinois progressant vers la démocratie. Mais ils sont encore
nombreux à croire en l’existence passée de véritables réformes
économiques, dans le cadre d’un mouvement concerté d’une économie
planifiée vers une économie de marché, de la propriété publique vers
l’entreprise privée. Pourtant, il faut se demander si, en dépit de la
propagande émanant de Beijing, cette désignation – « réforme
économique » – est la bonne. Nous avons assisté jusqu’à présent à de
simples ajustements d’une économie planifiée. Comment expliquer
autrement le fait que le parti insiste pour maintenir des plans
quinquennaux ? Plus important encore, depuis 1976, ce dernier n’a pas
cessé de conserver la propriété de toute l’industrie et des plus grandes
entreprises. À ce jour, la terre ainsi que de considérables ressources en
matières premières appartiennent à l’État, qui contrôle directement ou
indirectement les grandes industries et possède également les banques. En
langage marxiste classique, les « moyens de production » restent donc entre
les mains du parti. Or, une économie dans laquelle les moyens de
production sont contrôlés par l’État répond généralement à la définition
d’une économie socialiste.
Après 1989, les dirigeants du parti n’ont pas un seul instant
envisagé d’ouvrir leur économie à la véritable concurrence du marché. La
raison était simple : ils savaient qu’à partir du moment où ils s’y
risqueraient, leur système économique s’effondrerait. À plusieurs reprises,
les archives le montrent, ils se sont évertués à faire tout leur possible pour
restreindre le secteur privé et élargir au contraire le secteur des entreprises
d’État. Ils croyaient fermement en la supériorité du système socialiste,
comme le démontraient d’innombrables déclarations en public et à huis
clos. En 1980, après la transformation d’un ensemble de villages de
Shenzhen, juste derrière la frontière avec Hong Kong, en la première zone
économique spéciale, Zhao Ziyang précisait : « Ce que nous mettons en
place, ce sont des zones économiques spéciales, non des zones politiques
spéciales, car nous devons sauvegarder le socialisme et résister au
capitalisme 3. »
Presque quarante ans plus tard, 95 des 100 premières entreprises privées
appartiennent à des membres du parti, actuels ou anciens. Le capitalisme est
une affaire de capital : l’argent est un bien économique sujet à des règles de
rendement et de marges bénéficiaires. À l’inverse, en Chine, le capital est
resté un bien politique, distribué par des banques d’État à des entreprises
contrôlées directement ou indirectement par l’État, afin d’atteindre des
objectifs politiques. Qui plus est, un marché se fonde principalement sur
l’échange de biens entre individus. Comment la propriété des biens peut-
elle être protégée sans un système judiciaire indépendant fondé sur la
séparation des pouvoirs ? Pendant des années, ses détracteurs ont décrié la
« transition » supposée vers le « capitalisme » en République populaire,
tandis que ses thuriféraires s’en félicitaient. Pourtant, s’il est une chose que
ce livre démontre, c’est que sans réforme politique, la réforme du marché
ne peut exister. La discussion autour de la question de savoir si ce marché
peut ou doit être « libre » omet l’élément essentiel : sans État de droit, étayé
par un système judiciaire indépendant et une presse libre et pluraliste, ce
n’en est pas vraiment un. Il n’existe pas de liberté économique sans liberté
politique. La politique détermine la nature de l’économie, et non le
contraire. Elle tourne autour du pouvoir et de ce que l’on en fait : doit-il être
réparti entre différentes institutions, avec des dispositifs de pouvoir et de
contre-pouvoir, une société civile de plus en plus complexe et des médias
indépendants pour en limiter les abus, ou doit-il être concentré entre les
mains d’un seul individu ou d’un parti unique ? Le premier système
s’appelle une démocratie, le second, une dictature.
Les dictatures, comme les démocraties, ne sont pas figées dans le temps.
Elles s’adaptent constamment à un monde changeant. Le Mozambique, par
exemple, a décidé en 1982 de chercher un rapprochement avec l’Occident :
un an plus tard, il décentralisait son économie et permettait aux fermes
familiales de prospérer en lieu et place de fermes étatisées. Des compagnies
multinationales étaient invitées à monter des coentreprises ou à signer des
contrats avec l’État. Samora Machel, un dirigeant socialiste dans la tradition
du marxisme-léninisme qui avait conduit son pays à l’indépendance en
1975, s’est transformé en représentant de commerce du Mozambique avec
la même énergie et le même volontarisme qui avaient fait de lui le chef
victorieux de la guérilla. Il a courtisé et noué des liens avec des dirigeants
d’entreprise partout dans le monde, en leur proposant des accords lucratifs
fondés sur une main-d’œuvre bon marché, privée du droit de grève. Le
Mozambique n’était guère un cas isolé. Toute une série de dictatures, du
Dahomey à la Syrie, ont tenté un pari similaire : afin d’éviter
l’effondrement de leur économie, ces régimes sont partis du principe que
des exploitations agricoles privées, de petites entreprises en milieu urbain et
des participations étrangères ne saperaient aucunement leur emprise
politique. Barry Rubin, qui a dressé une description détaillée de tels
régimes, a qualifié leurs dirigeants de « dictateurs modernes ». Ils forment
une sous-variété de « dictateurs », généralement perçus à l’opposé d’une
autre sous-catégorie, en l’occurrence celle des « dictateurs traditionnels 4 ».
On dit parfois que l’efficacité de l’État compte davantage que la
transparence de l’État. C’est une hypothèse hasardeuse. Au lieu d’une
transmission ordonnée du pouvoir, ce que nous constatons en République
populaire relève plutôt d’un régime traversé de luttes acharnées pour le
pouvoir, entre des factions sans cesse changeantes. La plupart des dirigeants
de ce pays n’ont qu’une connaissance superficielle des bases élémentaires
de l’économie, et ne se concentrent de manière presque obsessionnelle que
sur un seul chiffre, celui de la croissance, souvent aux dépens du
développement. Il en résulte un gâchis aux proportions vertigineuses. Par
exemple, il n’est pas rare que les entreprises d’État soustraient de la valeur,
autrement dit que les matières premières qu’elles utilisent valent davantage
que les produits finis qu’elles fabriquent. Surtout, et c’est un peu paradoxal,
un régime étatique de parti unique ne dispose pas d’instruments pour
contrôler l’économie. Les décisions sont prises par des gouvernements
locaux, souvent au mépris de l’intérêt général, sans tenir compte des décrets
de Beijing.
Le pays s’est-il réellement ouvert pendant la période dite de « Réforme
et Ouverture » ? Par comparaison avec la Révolution culturelle, sans aucun
doute. En revanche, par rapport au reste du monde, l’ouverture est restée
timide. Ce que le régime a construit au cours de ces quarante dernières
années, c’est un système clos, capable d’isoler la Chine du reste du monde.
Le terme d’ouverture signifie qu’il existe des mouvements de population,
d’idées, de biens et de capitaux. Or, l’État contrôle tous ces flux, qui ne sont
souvent autorisés que dans un seul sens. Des millions de gens peuvent
sortir, vivre et travailler dans le reste du monde, mais très peu d’étrangers
ont le droit d’entrer. Après quarante ans de « Réforme et Ouverture », la
Chine compte moins d’un million de résidents étrangers, soit à peu
près 0,07 % de sa population totale, la plus faible proportion de tous les
pays du monde, moins de la moitié de celle de la Corée du Nord. (Le Japon,
souvent dénoncé pour sa « xénophobie », en compte 2,8 %.) Des produits
finis peuvent sortir de Chine en quantités phénoménales, mais en réalité il y
en a très peu qui y pénètrent. Aujourd’hui, chaque année, un cinquième de
l’humanité peut voir en tout et pour tout trente-six films étrangers
approuvés par l’État. Les capitaux peuvent y entrer mais il est difficile de
les en sortir, car ils sont accumulés par un régime qui impose des contrôles
drastiques. Ainsi que les archives le révèlent de manière infiniment plus
détaillée, depuis 1976, d’innombrables règlements, réglementations,
sanctions, primes, déductions, subventions et mesures incitatives ont été
mis en place pour créer ce qui pourrait bien constituer des conditions de
concurrence les plus inéquitables du monde moderne.
Sans nul doute, il y a eu une réelle croissance économique. Comment
pourrait-il en être autrement quand un pays sort de décennies de désastres
provoqués par ses dirigeants ? Pourtant, à une date récente, en juin 2020,
pour beaucoup d’observateurs, quand Li Keqiang, l’auteur de « l’indice »
éponyme, remarquait en passant que dans un pays où le coût de la vie est
prohibitif, même dans les campagnes, quelque six cents millions de
personnes doivent se débrouiller avec moins de l’équivalent de 140 euros
par mois, pour beaucoup d’observateurs, cela pouvait faire l’effet d’une
révélation 5. À dire vrai, tout n’est pas aussi tranché. Une extrême frugalité
chez les gens ordinaires coexiste avec une richesse extravagante contrôlée
par l’État. Quand des membres du parti travaillent pour cet État, leur
employeur paie leur logement, leur véhicule, les écoles de leurs enfants,
leurs voyages à l’étranger et bien plus encore. À l’inverse, ces gens
ordinaires n’ont guère d’autre solution que de déposer leurs économies dans
des banques d’État. Un État qui utilise ces dépôts pour afficher les bienfaits
du socialisme, construire des gratte-ciel, des lignes de train à grande vitesse,
de nouveaux aéroports et des autoroutes sans fin. Il s’en sert aussi pour
maintenir les entreprises d’État à flot. Grâce à cette répression financière, la
part de ces simples citoyens dans le produit intérieur brut est la plus basse
jamais observée dans un pays à l’époque moderne. Il existe un
proverbe chinois qui résume bien cet état de fait : « L’État est riche, le
peuple est pauvre. »
L’État et ses banques peuvent dépenser ou prêter en n’ayant que peu de
comptes à rendre, gaspiller à grande échelle et créer une montagne de dettes
qui va sans cesse croissant tout en restant soigneusement dissimulée aux
regards. Quel est le poids de cet endettement ? Nous ne le savons pas et ne
le saurons peut-être jamais, car même les gratte-papier employés par l’État
pour tenir les registres de la dette ensuite soigneusement classés dans les
archives sont incapables d’identifier tout ce qui se déroule sous la surface.
Beaucoup de gens sont devenus des maîtres de la dissimulation. Ce rideau
de fumée gagne tous les étages de la hiérarchie, avec des contrats fictifs, de
faux clients, des ventes truquées et une fraude comptable endémique.
Comment pourrait-il en être autrement sans séparation des pouvoirs et,
partant, sans presse et sans contrôle des comptes indépendants, et encore
moins d’élus responsables devant leur électorat ? Des campagnes sont
régulièrement lancées contre la corruption. Elles ont commencé dès
l’arrivée du parti au pouvoir en 1949, mais cette corruption étant inhérente
au système, elle ne peut qu’être temporairement freinée, jamais éradiquée.
De temps à autre, la direction du pays se réunit pour décréter l’urgence, en
exigeant une pause dans la construction d’infrastructures et en ordonnant
aux entreprises de brider les dépenses.
C’est approximativement le cinquième de tous les dossiers d’archives
du parti qui traitent de la dette, de prêts pour la solder, d’un surcroît
d’endettement dû à des prêts et à des prêts supplémentaires destinés à
combler un passif encore plus profond. Expansion et récession sont censées
caractériser le capitalisme, mais la situation en République populaire de
Chine ressemble plus à une expansion assortie d’une récession indéfiniment
remise au lendemain. Le parti dispose d’immenses actifs, notamment
l’épargne des simples citoyens, et d’un flot constant d’investissements
étrangers. Il a déversé des sommes d’argent de plus en plus importantes
dans des projets grandioses, sans veiller au retour sur investissement, et
encore moins aux créances douteuses. Si l’économie croît plus vite que la
dette, la dette sera absorbée, or la dette continue bel et bien de croître plus
vite que l’économie. Ainsi que le déclarait en 2019 Xiang Songzuo,
professeur d’économie à l’Université populaire de Beijing et ancien
directeur adjoint de la Banque populaire de Chine : « Fondamentalement,
l’économie chinoise est entièrement bâtie sur la spéculation, et le
surendettement est omniprésent 6. »
Dans toute dictature, les décisions prises par les dirigeants entraînent
des conséquences colossales et involontaires. La politique de l’enfant
unique était conçue pour infléchir la croissance de la population : à présent,
les hommes sont largement plus nombreux que les femmes, alors que la
population active du pays diminue. Nombre de directives appliquées par le
régime ont aussi des résultats imprévus parce qu’à tous les étages de la
hiérarchie, une foule de membres du parti tentent de contourner, de retarder
ou simplement de fermer les yeux sur les ordres venus d’en haut.
Après 1978, le gouvernement central a délégué de plus grands pouvoirs aux
exécutifs locaux, en espérant que cela les encouragerait à déployer
davantage de mesures économiques incitatives, mais ces pouvoirs locaux se
sont en fait montrés plus protecteurs de leurs fiefs, en érigeant des barrières
économiques destinées à empêcher la concurrence. Au lieu d’une économie
nationale intégrée avec quelques grandes aciéries, chaque village, chaque
bourgade et chaque cité voulaient avoir la leur, et des centaines de ces
usines finirent par surgir les unes à côté des autres dans une seule province,
ponctionnant de maigres ressources étatiques.
Un gouvernement local a un secrétaire du parti local : c’est lui, cet
homme (très rarement une femme) et non le marché, qui alloue le capital, et
il (ou elle) le fait de manière à accroître son influence politique. Même
quand l’économie locale capote, il (ou elle) sait pouvoir compter sur la
banque centrale pour les renflouer, car le régime ne craint rien tant que
« l’instabilité sociale », synonyme de ruée des citoyens vers les banques et
de descente des travailleurs dans les rues.
L’image qui ressort de ces archives n’est pas celle d’un parti doté d’une
vision claire de la manière de piloter le pays vers la prospérité. La Chine
ressemble à un pétrolier qui a l’air impeccable et en parfait ordre de marche
vu de loin, avec le capitaine et ses seconds fièrement campés sur le pont,
tandis que dans les entreponts, les matelots pompent désespérément les
voies d’eau et colmatent les brèches pour maintenir le navire à flot. Il
n’existe pas de « plan d’ensemble », pas de « stratégie secrète », mais plutôt
une multitude d’événements imprévisibles, de conséquences inattendues, de
brusques changements de cap ainsi que des luttes de pouvoir sans fin, dans
la coulisse. Tout cela, j’en suis convaincu, permet de mieux faire œuvre
d’historien.

*1. Cette formule désigne l’ensemble de réformes économiques engagées à partir de 1978, sous
la direction de Deng Xiaoping (N.d.T.).
1.

D’un dictateur à l’autre


(1976-1979)

Un vaste désert de pierre figure au cœur de Beijing : il s’agit de la place


Tian’anmen. En 1976, c’était la plus grande surface dallée au monde,
aisément capable de contenir un million de personnes. Elle tient son nom de
la Porte de la Paix Céleste, l’entrée sud de la Cité interdite, un vaste
ensemble de pavillons, de cours et de palais anciens qui avait abrité les
empereurs des dynasties Ming et Qing. L’espace en forme de T situé devant
la Porte de la Paix Céleste avait fait partie pendant plusieurs siècles de
l’allée menant au trône impérial, mais il était à l’origine beaucoup plus
restreint. Peu après la conquête du pays par le Parti communiste chinois en
1949, Mao Zedong ordonna que la place soit agrandie pour « contenir un
milliard d’individus ». Plusieurs portes impériales furent abattues, des
édifices médiévaux dégagés et des parties du mur d’enceinte de la ville,
avec leurs parapets crénelés envahis par le lierre et la broussaille, rasées. La
superficie de la place avait quadruplé, créant une vaste esplanade en béton,
vide et nue, de la taille de soixante terrains de football. L’avenue Chang’an,
qui traversait d’est en ouest le long du petit côté de la place, avait ménagé le
passage du tram en 1924, mais restait une avenue étroite. Elle a été
progressivement élargie en boulevard à huit voies, qui se prolonge loin au-
delà des limites de la ville. En octobre 1959, pour marquer le dixième
anniversaire de la Révolution, un Palais de l’Assemblée du peuple est
apparu sur le côté ouest de la place. En son centre, un monument aux Héros
du Peuple, un obélisque de granit de 37 mètres de hauteur, a été érigé,
barrant la perspective traditionnelle nord-sud vers le palais. L’axe principal
de la ville était donc inversé, à présent dominé par le croisement de
l’avenue Chang’an et de la place Tian’anmen 7.
Sous le règne de l’empereur, les manifestations n’étaient pas autorisées,
mais peu après la chute de la dynastie Qing, en 1911, l’espace situé devant
la Porte de la Paix Céleste a peu à peu revêtu une bien plus grande
signification politique. En 1925, quand le pays était gouverné par le Parti
nationaliste, un grand portrait de son père fondateur, Sun Yat-sen, était
suspendu au-dessus de la porte, remplacé en 1945 par une image de son
successeur, Chiang Kaï-shek. Le 1er octobre 1949, après la fuite forcée des
troupes de ce dernier à Taïwan et la proclamation de la République
populaire de Chine, un portrait de Mao Zedong fut hissé à sa place.
En quelques occasions, des manifestants occupèrent aussi la place. En
1919, pendant le Mouvement du Quatre Mai, quelque 4 000 étudiants se
rassemblèrent pour protester contre les clauses du traité de Versailles, qui
octroyait au Japon, ancien allié de l’Allemagne, des concessions en Chine,
pourtant alliée des vainqueurs de la Première Guerre mondiale. Le
mouvement se répercuta dans tout le pays, les manifestants appelant au
boycott des produits japonais. Plus largement, ils réclamaient aussi
davantage d’accès à la science et à la démocratie. En 1912, alors que la
Chine devenait la première république d’Asie, un électorat de 40 millions
de votants élisait 30 000 grands électeurs qui allaient à leur tour choisir les
membres de l’Assemblée nationale et de la Chambre des représentants.
Toutefois, dès les années suivantes, les espoirs d’une plus large
représentation populaire furent réduits à néant, et les manifestants
exigeaient désormais que leur pays ait enfin accès aux temps modernes,
guidés par « M. Science » et « M. Démocratie » *1, et non plus par
Confucius, le vieux sage qui symbolisait l’ordre impérial ancien 8.
Il y eut d’autres manifestations sur la place, certaines violemment
réprimées. Le 18 mars 1926, la police militaire reçut l’ordre de disperser les
manifestants qui se révoltaient contre l’impérialisme, et les affrontements
qui s’ensuivirent firent quarante-sept morts. L’horreur populaire que suscita
ce massacre fut telle que le Parlement fut contraint d’adopter une résolution
condamnant ces exactions. Un mois plus tard, le gouvernement était
renversé. Lu Xun, le célèbre écrivain, qualifiait cette confrontation de « jour
le plus sombre depuis la fondation de la République 9 ».
Tout au long de la période républicaine, le désir de démocratie était si
répandu que les communistes furent eux aussi incités à adhérer à ce
message. Le Parti communiste chinois fut créé en 1921, mais pendant
plusieurs années le nombre de ses adhérents stagna autour de quelques
centaines d’individus. En janvier 1940, Mao Zedong et Chen Boda, sa
plume et secrétaire particulier, jeune homme studieux mais ambitieux formé
à Moscou, rédigèrent De la nouvelle démocratie. Cet opuscule promettait
un système multipartite, des libertés démocratiques et la protection de la
propriété privée. C’était un programme entièrement fictif, qui s’attira
pourtant une ample adhésion populaire, puisque au cours des années
suivantes des milliers d’étudiants, d’enseignants, d’artistes, d’écrivains et
de journalistes intégrèrent le Parti communiste, tous attirés par cette vision
d’un avenir plus démocratique.
Après 1949, les promesses contenues dans l’opuscule
De la nouvelle démocratie furent rompues. Toutes les organisations qui
n’étaient pas du ressort du Parti communiste – syndicats, organisations
étudiantes, chambres de commerce indépendantes – furent éliminées dès les
premières années du nouveau régime. Une véritable inquisition littéraire
veillait à ce que les artistes et les écrivains se conforment aux diktats du
parti. Dès 1950, des livres jugés indésirables furent brûlés lors de
gigantesques autodafés ou pilonnés par tonnes entières. En 1956, la totalité
du commerce et de l’industrie devenait des fonctions étatiques, tandis que le
gouvernement expropriait aussi bien les petits commerces et les entreprises
privées que les grandes industries. À l’été 1958, les habitants des
campagnes furent incorporés en masse dans d’immenses entités collectives,
les communes populaires *2. La terre fut confisquée aux fermiers,
transformés en serviteurs taillables et corvéables à merci par l’État 10.
Les manifestations populaires étaient interdites, mais c’était à
Tian’anmen que se déployait le nouveau théâtre politique du pays. Des
défilés soigneusement chorégraphiés se tenaient deux fois par an sur la
place, des soldats au pas mécanique, des unités de cavalerie, des chars
lourds et des véhicules blindés passaient devant le président, qui les
regardait du haut de la tribune perchée au-dessus de la Porte de la Paix
Céleste. Durant la Révolution culturelle, lors de ces défilés de masse
récurrents, le Grand Timonier passa en revue quelque douze millions de
Gardes rouges, qui agitaient avec enthousiasme leur Petit Livre rouge.

*
* *
Dans un seul cas, le peuple se rendit maître de la place. En 1976, la fête
de Qingming, autrement dénommée la Journée du balayage des tombes,
lorsque les familles se retrouvent traditionnellement pour désherber les
sépultures, nettoyer les pierres tombales et apporter des fleurs aux parents
défunts, tombait le dimanche 4 avril. Des centaines de milliers de personnes
affluèrent sur la place, vinrent déposer des monceaux de couronnes
mortuaires autour du piédestal du monument aux Héros du Peuple, en
l’honneur de Zhou Enlai. Le Premier ministre, amaigri, le corps flétri par
trois cancers, était décédé quelques mois plus tôt, le 8 janvier 1976. Aux
yeux d’une multitude de Chinois, Zhou représentait un contrepoids face à
une puissante coterie que l’on appelait la « Bande des Quatre », menée par
Jiang Qing, alias Mme Mao. En manipulateur accompli, le président Mao
les avait dressés les uns contre les autres, s’assurant ainsi de garder la haute
main sur le pouvoir.
Aux toutes dernières années de sa vie, Zhou Enlai avait prudemment
essayé de remettre de l’ordre dans l’économie planifiée, d’ouvrir le pays et
d’importer une technologie étrangère devenue indispensable. En
janvier 1975, il avait prononcé l’un de ses ultimes discours devant
l’Assemblée nationale populaire, simple chambre d’enregistrement
législative de la Chine. Il appelait le pays à se moderniser dans des secteurs
entiers accusant un net retard par rapport au reste du monde, en particulier
l’agriculture, l’industrie, la défense nationale, la science et la technologie 11.
Avec la bénédiction du président, il avait baptisé ce programme d’une
formule : les « Quatre Modernisations ». Pourtant, si Mao approuvait cette
modernisation de l’économie, il redoutait qu’aussitôt après sa disparition,
Zhou ne sape tout son héritage politique. Afin d’isoler le Premier ministre,
il s’était appuyé sur son épouse et ses alliés, qui fustigèrent « la vénération
aveugle des machines étrangères » et d’autres manifestations de
« révisionnisme », ce qui, dans le langage de l’époque, aurait signifié
l’abandon du socialisme et la restauration du capitalisme.
Zhou Enlai se retrouva bel et bien isolé, mais l’ambitieuse Mme Mao
poussa trop son avantage en tentant d’étendre son emprise au parti et à
l’armée. En 1974, afin de contrebalancer un peu plus les deux factions, Mao
avait ramené Deng Xiaoping au pouvoir, en le nommant adjoint de Zhou
Enlai. Comme beaucoup de cadres dirigeants du parti, Deng avait été écarté
par une purge au plus fort de la Révolution culturelle, pour avoir suivi « une
ligne réactionnaire bourgeoise ». Zhou Enlai étant cloué sur un lit d’hôpital,
Deng assuma de plus en plus de responsabilités. Il se concentra lui aussi sur
l’économie, toutefois sans posséder le doigté du Premier ministre : il
menaça donc de châtiments sévères les responsables des chemins de fer
incapables d’assurer un trafic ferroviaire efficace et exigeait des dirigeants
de l’industrie qu’ils atteignent tous les derniers objectifs de production. Et
puis il s’attira lui aussi l’ire de Mme Mao, qui se servait de sa mainmise sur
l’appareil de propagande pour débiter un flux régulier d’articles
dénonciateurs 12.
Le neveu du président, Mao Yuanxin, un jeune homme qui s’était fait un
nom en tant que secrétaire du parti du comité révolutionnaire provincial de
Liaoning *3, fut l’une des victimes des méthodes brusques de Deng
Xiaoping. Ce dernier avait pratiqué des coupes claires dans la direction du
géant métallurgique Anshan Iron and Steel Corporation, fleuron industriel
de la province de Liaoning, ce qui eut pour effet d’aboutir à une structure de
direction simplifiée, comparable à celle qui existait avant la Révolution
culturelle. Mao Yuanxin alla tenir à son oncle un discours venimeux et
mensonger, en accusant Deng de représenter toute une nouvelle classe
bourgeoise qui émergeait discrètement, dans l’ombre portée de la
Révolution culturelle. Après le décès de Zhou Enlai, le président Mao
préféra se tourner vers un individu qui se tenait à distance des deux camps.
Tout en rondeurs et en affabilité, Hua Guofeng était une personnalité
secondaire mais un homme authentiquement loyal envers Mao. « Personne
ne sait dire la vérité comme Hua Guofeng », observa un jour ce dernier 13.
Au poste de secrétaire du parti à Shaoshan, ville de naissance de Mao, il y
avait fait construire en 1964 un imposant monument commémoratif dédié à
son maître, assorti d’une ligne de chemin de fer pour y acheminer les
pèlerins. Deng fut autorisé à prononcer l’éloge funèbre de Zhou Enlai, puis
promptement relevé de ses fonctions de vice-Premier ministre dès l’instant
où Hua Guofeng prit le pouvoir.
Zhou Enlai disparu et Deng Xiaoping de nouveau mis à l’écart par une
purge, certains craignaient un retour en force de la Révolution culturelle.
Les mêmes étaient furieux de la publication le 25 mars d’un éditorial dans
un journal contrôlé par la Bande des Quatre, à Shanghai, condamnant un
« suppôt du capitalisme à l’intérieur du parti » qui aurait voulu aider « un
autre suppôt invétéré du capitalisme » à reprendre le pouvoir. Tous ceux qui
lurent cet article savaient que ces prétendus alliés du capitalisme n’étaient
autres que Zhou Enlai et Deng Xiaoping. Des manifestants descendirent
dans la rue à Nanjing. À Wuxi, une ville proche de Shanghai, une marée
humaine se déversa sur la Place rouge, en brandissant des portraits du
Premier ministre et un enregistrement de l’éloge funèbre de Deng fut
diffusé dans les systèmes de sonorisation publique. À Beijing, des poèmes
attaquèrent « Jiang Qing la sorcière 14 ».
Le jour de la fête de Qingming, par un temps froid et pluvieux, la foule
se rebella ouvertement, en occupant la place Tian’anmen. Certains
manifestants pleurèrent le Premier ministre en silence. Un homme tenait
une ombrelle traditionnelle en papier huilé, une manière de rappeler que des
étudiants avaient déjà manifesté contre leurs dirigeants plusieurs décennies
auparavant, le 4 mai 1919 *4. D’autres furent plus directs en empoignant un
micro pour s’attaquer à « la nouvelle impératrice douairière » ou en
brandissant un bout de brocart blanc portant une promesse écrite avec du
sang, celle d’aider le Premier ministre 15.
L’atmosphère était solennelle, le peuple défiait tranquillement la volonté
de son Guide suprême. Mais la Bande des Quatre réclamait à grands cris
une épreuve de force. Sous l’empire, les intrigues et les jeux de pouvoir
abondaient entre les murs rouge vermillon de la Cité interdite, en un temps
où l’empereur s’entourait d’une petite armée d’eunuques, de concubines, de
soldats et de fonctionnaires qui tous conspiraient pour améliorer leur sort.
Sous Mao, les intrigues investissaient le Palais de l’Assemblée du peuple,
qui s’ouvrait sur la place à l’ouest. Cet édifice massif, intimidant, inspiré de
l’architecture stalinienne, comportait un vaste auditorium dans les tons
rouges, pouvant accueillir dix mille délégués. Des dizaines d’autres salles
de conférences imposantes, portant les noms des provinces du pays,
offraient plus d’espaces propices aux manigances et aux tractations
politiques que l’ancien palais impérial, situé de l’autre côté de l’avenue
Chang’an.
Le Palais de l’Assemblée du peuple accueillait le Congrès national, qui
se tenait tous les cinq ans pour approuver la composition du Comité central,
un organe dirigeant composé de quelque deux cents hauts responsables. À
son tour, le Comité central élisait un Politburo, ou Bureau politique,
composé d’une vingtaine de membres. La prise des décisions quotidiennes
incombait à un Comité permanent composé de sept ou huit membres plus
âgés. Le personnage le plus puissant était le président. Comme presque tout
le reste, cette structure reflétait le principe stalinien du centralisme
démocratique, ce qui signifiait que toutes les décisions politiques étaient
arrêtées par une procédure de vote engageant tous les membres du Parti
communiste. Or, dans la pratique, cette structure de pouvoir était inversée,
l’autorité suprême émanant de l’homme situé au sommet de la pyramide.
Comme il n’y avait qu’un seul parti, les manifestations de loyauté envers
son chef primaient tout, et les moindres signes de dissension constituaient
un danger.
Le président, alors âgé de quatre-vingt-deux ans, était trop affaibli pour
assister aux réunions en personne, et il restait dans son Bungalow de la
Piscine, l’une des nombreuses résidences réservées aux hauts dirigeants, à
l’intérieur du Zhongnanhai, ancien parc impérial agrémenté de lacs et de
jardins impeccablement entretenus, juste à l’ouest de la Cité interdite, qui
abrite le siège du gouvernement depuis 1949. Il n’en était pas moins
informé de tous les événements importants et prenait les principales
décisions. Un réseau de passages souterrains quadrillait le sous-sol de la
place Tian’anmen, reliant tous les grands édifices, et des messagers
faisaient la navette entre le Palais de l’Assemblée du peuple et l’enceinte
gouvernementale. En ce 1er avril, avant même l’occupation de la place
Tian’anmen, Mao Yuanxin vint voir son oncle pour insinuer que la mort de
Zhou Enlai était utilisée comme prétexte pour fomenter des troubles.
Il laissa entendre que Deng Xiaoping, déjà démis de son poste de vice-
Premier ministre, mais resté membre du Politburo, devrait être interdit de
toute apparition publique le 1er Mai, une date célébrée en grande pompe
dans tous les régimes marxistes-léninistes. Mao accepta 16.
Trois jours plus tard, alors que la foule occupait la place, le Politburo se
réunit dans le Palais de l’Assemblée du peuple. Hua Guofeng vitupéra
contre les « mauvais éléments » qui agitaient les masses en coulisses, les
incitaient à « s’attaquer au Président » et à « s’attaquer au Centre ». Et ces
réactions réprobatrices n’émanaient pas seulement de gens ordinaires,
relevait-il. Des centaines de représentants d’institutions étatiques,
notamment des fonctionnaires du ministère des Chemins de fer et du
ministère des Affaires étrangères, venaient déposer des couronnes de fleurs
en l’honneur de Zhou Enlai. Les participants les plus actifs venaient du
Septième Ministère de Construction mécanique, unité secrète et tentaculaire
qui gérait le programme d’armements nucléaires. Ce qui se déroulait sur la
place fut qualifié sans détour de « lutte de classes », une formule codée pour
signifier que des contre-révolutionnaires fomentaient un coup de force
contre le Parti communiste 17.
Aux petites heures du matin, le 5 avril, la milice nettoya la place
Tian’anmen, en chargeant sans bruit toutes les couronnes de fleurs dans une
flottille de camions et en effaçant sous le jet de leurs lances à incendie les
slogans peints sur le piédestal du monument. Dans la matinée, des
manifestants en colère se remirent à affluer sur l’esplanade et affrontèrent la
police.
Plus tard dans la journée, Mao Yuanxin tint de nouveau informé le
président, en lui signalant qu’à cette heure-ci, une cinquantaine d’incidents
avaient éclaté, notamment des agressions contre les cordons de la milice et
un assaut lancé contre le Bureau de la sécurité publique situé à l’est de la
place. Ces troubles avaient été « planifiés et organisés », non seulement
dans la capitale mais dans d’autres villes d’un bout à l’autre du pays. Deng
était celui qui propageait délibérément des « rumeurs contre-
révolutionnaires » et qui « utilisait les morts pour opprimer les vivants ».
« Nous avons été dupés », éructa Mao Yuanxin, en annonçant à son oncle
que l’armée avait été placée en état d’alerte renforcée et qu’elle se tenait
prête à intervenir. Mao acquiesça 18.
Alors même que les manifestants affrontaient la milice sur la place,
Deng Xiaoping était convoqué à comparaître devant le Politburo. Zhang
Chunqiao, un homme ténébreux qui avait occupé le poste de directeur de la
propagande à Shanghai avant de devenir membre de la Bande des Quatre,
accabla son adversaire, le qualifiant d’Imre Nagy chinois, du nom du
politicien trapu et obstiné qui avait pris la tête de la révolte hongroise de
1956 contre le gouvernement soutenu par Moscou. Deng se tint coi 19.
Dans la soirée, quelque 30 000 miliciens étaient prêts, dont un bon
nombre dissimulés à l’intérieur de la Cité interdite, et d’autres regroupés
dans le musée d’Histoire de la Chine à l’est de la place. Hua Guofeng
redoutait néanmoins d’avoir sous-estimé la gravité de la situation et que les
forces armées ne soient pas à la hauteur des foules massées sur la place. Or,
malgré les inquiétudes de l’armée, Wang Hongwen, ancien chef de la
sécurité dans une filature de coton de Shanghai, qui avait accédé à la
notoriété en devenant membre de la Bande des Quatre, frappa sur la table et
annonça qu’il refusait de valider d’autres instructions : la milice qui
chargerait sur la place ne serait armée de rien d’autre que de matraques en
bois 20.
À partir de 18 h 30, des messages d’avertissement furent diffusés sans
interruption par les haut-parleurs, condamnant les manifestants pour
« complot réactionnaire » et appelant la foule à se disperser. Ces messages
s’attaquaient nommément à Deng Xiaoping. Quelques heures plus tard, Hua
Guofeng décrochait le téléphone et donnait l’ordre à la milice d’investir la
place. Les projecteurs furent allumés, Tian’anmen bouclée. Plus de deux
cents personnes furent rouées de coups, et placées en état d’arrestation.
Depuis le Palais de l’Assemblée du peuple, Jiang Qing observait les
événements à la jumelle. Plus tard ce soir-là, elle se fit servir un repas de
fête, un plat de cacahuètes et de porc rôti. Juste avant minuit, une centaine
d’agents de sécurité publique s’avancèrent sur l’esplanade dallée et
épongèrent le sang 21.
Mao souffrait d’une maladie de Charcot non diagnostiquée, qui
entraînait une dégénérescence progressive des cellules nerveuses contrôlant
ses muscles, parmi lesquels ceux de la gorge, du pharynx, de la langue, du
diaphragme et des côtes. Il communiquait par l’intermédiaire de la seule
personne capable de comprendre ses propos réduits à des balbutiements,
Zhang Yufeng, une hôtesse à bord de son train privé qu’il avait séduite plus
de vingt ans auparavant. Néanmoins, ses facultés mentales demeuraient
intactes. Jusqu’à la fin, il ne cessa jamais d’être un maître de l’intrigue,
ainsi que le démontrent amplement les transcriptions de ses réunions.
Quand son neveu lui fit son rapport au Bungalow de la Piscine, le 7 avril,
rapportant que Zhang Chunqiao avait qualifié Deng de Nagy, il hocha la
tête en signe d’approbation. Le président ordonna que le Politburo révoque
Deng Xiaoping de tous les postes qu’il occupait, excepté sa qualité de
membre du parti. « Dépouillez-le de toutes ses fonctions », dit-il d’une voix
affaiblie, avec un geste de la main. Il donna aussi instruction que Su
Zhenhua, un général récemment réhabilité après avoir été victime d’une
purge durant la Révolution culturelle, accusé d’être une « bombe à
retardement » placée par Deng Xiaoping, soit empêché d’assister à la
réunion. Mao exclut aussi le maréchal Ye Jianying, un vétéran de l’armée à
la tête du ministère de la Défense. Hua Guofeng, déjà Premier ministre,
devait être élevé sur-le-champ au poste de premier vice-président, et ainsi
intronisé en successeur désigné de Mao. « Sois rapide, ordonna le Grand
Timonier, avec un autre geste de la main. Et reviens quand c’est fait 22. »

*
* *
Il s’ensuivit une vague de répression à l’échelle nationale, avec des
milliers d’arrestations pour crimes contre-révolutionnaires. Beaucoup
d’autres furent interrogés au sujet de leur participation à l’incident de la
place Tian’anmen. Partout, les gens avaient obligation de dénoncer Deng
Xiaoping, mais la campagne tourna court. « Nous avons obtempéré, à
contrecœur », se souvenait un participant. Tout le monde attendait l’issue
finale 23.
Cette issue intervint quelques minutes après minuit, le 9 septembre
1976, un jour après la fête de la Mi-automne, ou fête de la Lune, quand la
tradition voulait que les familles se réunissent à la pleine lune pour prendre
toute la mesure de leur bonheur.
Hua Guofeng avait peu d’atouts en main. Il se raccrochait à un simple
feuillet sur lequel Mao avait griffonné quelques lignes : « Va lentement, ne
te précipite pas. Agis selon les instructions passées. Avec toi aux
commandes, je suis serein. » C’était tout ce que contenait le testament de
Mao Zedong, bien que les circonstances dans lesquelles ces quelques mots
furent griffonnés demeurent obscures. L’hagiographie officielle affirmait
que Mao aurait écrit ces conseils empreints de sagesse pour Hua quand ils
avaient reçu le Premier ministre de Nouvelle-Zélande, Robert Muldoon, fin
avril 1976. Pourtant, Zhang Yufeng, qui était aux côtés du président tout au
long des dernières années de sa vie, nota dans son journal que Mao avait eu
recours à ce message pour rassurer Hua Guofeng qui s’était plaint de
plusieurs dirigeants de provinces 24.
Un autre problème se présentait. Hua Guofeng avait été ministre de la
Sécurité publique au moment de l’incident de Tian’anmen, et de ce fait la
population ne le tenait pas en grande estime. Mais ce qui s’était passé à
l’intérieur du Palais de l’Assemblée du peuple le 5 avril restait un secret
bien gardé. Peu de gens se rendirent compte que Hua avait délibérément
utilisé cet incident pour discréditer Deng et promouvoir sa propre carrière.
Et ils étaient encore plus rares à savoir que c’était lui qui avait décroché le
téléphone et ordonné l’assaut sur la place. Ayant du sang sur les mains, Hua
n’avait pas d’autre choix que de s’allier avec ceux qui s’opposaient à tout
retour de Deng Xiaoping au pouvoir.
Toutefois, il disposait d’un avantage, dont il se servit pour jouer au
mieux de ses maigres atouts : les gens le sous-estimaient. Deux jours à
peine après la mort de Mao, il contacta le maréchal Ye Jianying et le général
Su Zhenhua ; les deux dirigeants vétérans de l’armée qui avaient eu
interdiction d’assister à la réunion du Politburo au cours de laquelle s’était
scellé le destin de Deng Xiaoping. Il contacta aussi Wang Dongxing,
l’ancien garde du corps de Mao, qui commandait les troupes chargées de la
sécurité des dirigeants. Le 6 octobre, sous prétexte de discuter du cinquième
volume des Œuvres choisies de Mao Zedong, une réunion du Politburo fut
convoquée. À leur arrivée dans la salle, l’un après l’autre, les membres de
la Bande des Quatre furent mis en état d’arrestation. Mme Mao, toujours
habile, flairant un piège, se tint à l’écart, mais elle fut arrêtée plus tard à sa
résidence 25.
C’était quasiment un coup d’État. Il fut suivi d’une purge, et comme
toutes les autres purges, elle s’inscrivait dans la continuité, sans aucune
rupture. Des manifestations s’organisèrent, des ennemis furent dénoncés.
Dans la capitale, des colonnes de centaines de milliers de personnes
agitaient de grands drapeaux dénonçant la « Clique antiparti de la Bande
des Quatre ». Ses membres furent accusés d’être des traîtres, coupables de
collusion avec des puissances étrangères, trahissant le pays et tentant de
rétablir le capitalisme. Ainsi que le remarqua un participant, c’était
« exactement le même genre de manifestations que pendant la Révolution
culturelle ». Quelques mois plus tard, un verdict de 115 pages fondé sur un
examen attentif de tous les éléments de preuves à disposition concluait :
« Zhang Chunqiao est un espion taïwanais, Jiang Qing est un traître, Yao
Wenyuan est un élément d’une caste étrangère, Wang Hongwen est un
élément capitaliste non repenti. » Jiang Qing et ses trois disciples fanatiques
devinrent des boucs émissaires. Du jour au lendemain, toute mention des
quatre de la Bande fut expurgée des journaux, des livres, des photographies
et des films 26.
Une manifestation de masse se tint place Tian’anmen le 24 octobre, où
les dirigeants firent leur première apparition en public depuis le coup de
force. Hua Guofeng, désormais adoubé président du parti, endossa aussitôt
son nouveau rôle, en allant et venant à la tribune, applaudissant
discrètement pour répondre aux acclamations en multipliant les sourires de
béatitude, tout à fait à l’exemple de son prédécesseur.
Sa prochaine étape consistait à circonvenir son rival et à renforcer sa
propre position. Wang Dongxing, l’ancien garde du corps qui connaissait
tous les secrets du palais, devint son bras droit. Le 8 janvier 1977, quand
quelques manifestants descendirent sur la place Tian’anmen afin de
marquer le premier anniversaire de la mort de Zhou Enlai, les deux hommes
se saisirent de l’incident pour lancer une chasse aux opposants. Li
Dongmin, un jeune homme qui avait collé une affiche exigeant le retour de
Deng Xiaoping, fut arrêté et forcé d’avouer l’existence d’une « dangereuse
clique contre-révolutionnaire ». Wang Dongxing décrocha son téléphone,
ordonna aux services de la sécurité publique d’enquêter sur la moindre
rumeur dans le pays entier. Les autorités de la province de Liaoning
découvrirent une affiche appelant la population à « soutenir résolument
Deng au poste de Premier ministre ». « Les ennemis de classe tant de
l’intérieur que de l’extérieur nous attaquent », tempêtait désormais la
direction, et chaque membre du parti était instamment prié de « prendre
garde et de rester en alerte ». Dans un climat politique tendu, d’autres
chasses aux sorcières suivirent, et d’autres complots furent dévoilés 27.
Hua se présentait en fidèle gardien de l’héritage du président. Alors
qu’à l’intérieur d’une chambre froide dans les profondeurs de la capitale, le
corps de son prédécesseur recevait une injection de formol en vue de sa
préservation, il annonça qu’un mausolée serait érigé place Tian’anmen, où
le corps serait exposé aux masses à l’intérieur d’un cercueil taillé dans du
cristal de roche. Tout comme son enveloppe corporelle était manipulée,
chacun des mots de Mao était aussi exploité. En février 1977, plusieurs
éditoriaux proclamèrent : « Toutes les politiques décidées par Mao, nous les
défendrons résolument ; à toutes les décisions qu’il a prises, nous obéirons
résolument. » Certains désignèrent cette politique d’une formule
péjorative : les « Deux Inconditionnels ».
Hua calqua son image sur celle de son maître. Il se plaquait les cheveux
en arrière, posait pour des photographies et prononçait de vagues
aphorismes dans le style du Grand Timonier. Son portrait était accroché
dans les écoles, les bureaux et les usines. Parmi ceux-ci, il y avait en bonne
place des tableaux et des affiches d’un président radieux sur le point de
remettre ses dernières volontés à Hua qui, dans son fauteuil, se penchait
vers lui pour humblement accepter sa mission : « Avec toi aux commandes,
je suis serein. » Des chansons, des poèmes et des statues exaltaient le
nouveau chef. Tandis que l’appareil de propagande débitait des slogans
exhortant la population à « suivre de très près notre brillant dirigeant », il
manquait au nouveau président l’autorité institutionnelle et le charisme
politique nécessaires pour asseoir son pouvoir. Sa tentative maladroite
d’entretenir à son tour un culte de la personnalité lui aliéna aussi bien les
simples citoyens que les hiérarques du parti.
En plusieurs occasions, le maréchal Ye Jianying suggéra que Deng
Xiaoping soit autorisé à reprendre son ancienne place. Hua éluda. Lors
d’une réunion du parti, il rappela que les manifestations sur la place
Tian’anmen l’année précédente avaient été de nature contre-révolutionnaire
et que Deng Xiaoping avait été taxé de droitisme par le président Mao, dont
il fallait considérer chaque propos comme un trésor inestimable 28.
Li Xiannian, personnage cauteleux qui avait fait carrière en travaillant
auprès de personnalités fondamentalement différentes, entra dans la mêlée à
son tour. En tant que vice-Premier ministre chargé de l’activité quotidienne
du gouvernement, il exerçait une influence considérable. Après la chute de
la Bande des Quatre, il avait accepté de dénoncer Deng Xiaoping :
« Quiconque se prend pour un haut personnage est voué à la chute d’une
manière ou d’une autre. Lin Biao se considérait lui-même comme un haut
personnage, la “Bande des Quatre” se prenaient eux-mêmes pour de hauts
personnages, et Deng Xiaoping se prend aussi pour un haut personnage. »
Mais en mars, Li changea son fusil d’épaule et, lors d’une réunion du
Politburo, se joignit au maréchal Ye en demandant officiellement le retour
de Deng Xiaoping 29.
Hua Guofeng dut céder. Beaucoup de vétérans du parti avaient connu
l’humiliation pendant la Révolution culturelle et la réticence de Hua à
examiner leur cas et à réhabiliter les cadres déchus n’allait pas dans le sens
d’un désir généralisé de changement. En outre, la plupart des responsables
du parti étaient des individus endurcis qui avaient affûté leur faculté de
survie au long de décennies de joutes de pouvoir. Quand bien même il avait
su montrer une détermination qui en avait surpris plus d’un, Hua n’était tout
simplement pas à la hauteur. Officiellement, il était à la fois Premier
ministre et président du parti, mais lorsqu’il observait ce qui se passait
autour de lui, il apercevait « un autre personnage, un meneur d’hommes,
occupé à consolider et à accroître son emprise sur les provinces, sur
l’appareil d’État, sur l’armée et les médias 30 ». À la grande déception de
Hua, à l’été 1977, Deng revenait au pouvoir.

*
* *
Hua et Deng servaient l’un et l’autre la pensée de Mao Zedong. Tous les
dirigeants s’appuyaient sur le passé. Certains voulaient repartir de la
situation antérieure à l’éclatement de la Révolution culturelle, en 1966 ;
d’autres remontaient encore plus loin, avant le cataclysme du Grand Bond
en avant de 1958.
Pour sa part, Deng se fixait sur l’an 1956. Le 25 février de cette année-
là, Nikita Khrouchtchev, alors à la tête de l’Union soviétique et premier
secrétaire du Parti communiste, avait ébranlé le camp socialiste dans ses
fondements en prononçant un discours secret taillant en pièces la postérité
de son maître, Joseph Staline, décédé trois ans plus tôt. À Beijing, où la
direction du pays avait façonné son régime sur le modèle de celui de
Staline, à tous les échelons de la hiérarchie, ce discours sema le désarroi.
Mao, qui était le Staline de la Chine, considérait la déstalinisation comme
un défi lancé à sa propre autorité. Sa réaction survint précisément deux
mois plus tard, lorsqu’il s’adressa à une assemblée élargie du Politburo, le
25 avril, dans un discours intitulé « Sur les dix grandes relations ». La
Chine, annonçait le président, était prête à faire cavalier seul, à trouver sa
propre voie vers le socialisme. Au lieu de suivre servilement le vieux
modèle stalinien, avec son importance excessive accordée à l’industrie
lourde, la nation développerait le sien, avec une stratégie de développement
plus équilibrée orientée vers l’agriculture et l’industrie légère. Elle allait
répondre aux besoins du simple citoyen grâce à des ajustements adaptés des
rémunérations. En traçant sa trajectoire propre vers le socialisme, continua
Mao, la Chine devrait puiser dans la science et la technologie des pays
capitalistes. « Les pays au développement industriel avancé gèrent leurs
entreprises avec moins de monde et une plus grande efficacité, et ils savent
faire des affaires. » Cela devrait aussi constituer une source d’inspiration,
car le pays ne pourrait devenir fort et prospère qu’en apprenant des autres 31.
Le discours de Mao n’a pas été publié de son vivant. Khrouchtchev
avait récriminé contre culte de la personnalité de Staline et, à Beijing,
l’entourage du président se servit de la prise de position et des révélations
du dirigeant russe pour plaider en faveur d’un retour aux principes de la
direction collégiale. Mao réagit en encourageant la liberté d’expression
chez les intellectuels, demandant au parti : « Que cent fleurs s’épanouissent,
que cent écoles rivalisent ! » Le président croyait que la population l’adulait
et se rallierait à ses côtés. Au contraire, les Cent Fleurs entraînèrent un
débordement de colère populaire contre le Parti communiste, le forçant à
reculer et à ordonner une vague de répression, en mai 1957. Deng Xiaoping
qui, comme la plupart de ses collègues, avait regimbé à la perspective de
permettre au simple citoyen d’exprimer son avis, exigea des mesures
d’ensemble, et fut chargé d’une campagne ciblant des centaines de milliers
d’individus. Il s’en acquitta de manière admirable, envoyant
d’innombrables victimes dans les camps de travail du grand désert du Nord,
une vaste région de marais infestés de moustiques 32.
« Sur les dix grandes relations » avait trouvé un écho fort chez Deng et
d’autres membres du parti. Face aux désastres du Grand Bond en avant et
de la Révolution culturelle, ce discours n’en paraissait que plus séduisant. Il
devint la source d’inspiration du programme des Quatre Modernisations
annoncé par le Premier ministre Zhou Enlai en janvier 1975. Six mois plus
tard, Deng Xiaoping approchait le président pour lui proposer une nouvelle
version du texte qui, croyait-il, devrait être inclus au cinquième volume des
Œuvres choisies de Mao Zedong. « Cette affaire est vraiment bien trop
importante, elle vise un grand dessein et nous procure une excellente ligne
directrice théorique pour le présent et pour la postérité », annota Deng en
marge. Mao autorisa la diffusion du texte, mais pas sa publication 33.
Hua Guofeng admirait aussi ce texte avec ferveur. « Le parti tout entier,
l’armée tout entière et le peuple tout entier devraient étudier cette œuvre
brillante de manière consciencieuse et exhaustive », exhorta-t-il les
membres rassemblés du parti, le 25 décembre 1976. Le lendemain,
Le Quotidien du Peuple publiait « Sur les dix grandes relations » afin de
célébrer l’anniversaire de Mao Zedong, apposant ainsi le sceau de
l’approbation officielle à un large consensus sur la nécessité d’un
développement économique soutenu après une décennie de chaos 34.
Hua n’avait pas besoin de Deng pour promouvoir une démarche plus
pragmatique sur le plan de l’économie. Comme beaucoup d’autres, il était
impatient de sortir le pays de sa torpeur économique. Il ne perdit pas de
temps et appela dès novembre 1976 à un bond des exportations susceptible
de couvrir la hausse des importations de technologie étrangère 35.
Davantage qu’une avancée, cela marquait aussi un retour vers la période
antérieure à la Révolution culturelle. C’était un modèle fondé sur la
politique économique mise en place par Staline plusieurs décennies
auparavant : réquisitionner les céréales des campagnes, les vendre sur le
marché international et utiliser les devises étrangères accumulées pour
acheter des usines clefs en main, prêtes à fonctionner dès leur acquisition,
ce qui permettait de transformer des zones rurales éloignées de tout en
bastions industriels. Pour extraire encore davantage de céréales des paysans,
Staline les regroupa dans des fermes étatiques et collectivisa les campagnes.
En 1932, on estime que 6 millions de personnes étaient mortes de faim à la
suite de ces énormes ponctions dans les stocks de blé, de maïs et de seigle,
ainsi que dans ceux de lait, d’œufs et de viande, détournés des campagnes
aux fins de financer le plan quinquennal. Alors que les villageois en étaient
réduits à se nourrir d’herbe et d’écorces d’arbre, d’énormes villes
industrielles étaient construites à partir de rien. Moscou en fut transformée,
avec des centaines de programmes immobiliers conçus pour rivaliser avec
les panoramas urbains new-yorkais. Des hôtels de luxe, de nouvelles gares,
une toute nouvelle ligne de métro et une succession de gratte-ciel imposants
éblouissaient les milliers d’hommes d’affaires étrangers en visite,
activement occupés à conclure des accords commerciaux dans la capitale.
Albert Kahn, à la tête de son cabinet américain, dirigea la construction de
centaines d’usines, devenant dans les faits « l’architecte industriel des
premier et deuxième plans quinquennaux 36 ».
Tout comme Staline avait voulu dépasser les États-Unis, en 1958, le
président Mao était désireux de propulser son pays devant ses concurrents,
avec le Grand Bond en avant. Les exportations furent renforcées, « de plus
grandes importations et de plus grandes exportations » devenant le slogan
du moment. Pour se garantir davantage d’approvisionnements en
provenance des campagnes, le pouvoir central fit regrouper les villageois
dans de gigantesques communes populaires. Les dirigeants du pays se
lancèrent alors dans une vague d’acquisitions effrénée, achetant des
aciéries, des cimenteries, des verreries, des centrales électriques et des
raffineries de pétrole. Beijing en fut transformée, la démolition de dizaines
de milliers de maisons, de bureaux et de fabriques permettant de faire place
au surgissement de tours en béton spectaculaires. Pendant que la place
Tian’anmen recevait son Palais de l’Assemblée du peuple, son musée et son
obélisque, c’était au bas mot 45 millions de Chinois qui mouraient de
faim 37.
La majorité des importations venaient d’Union soviétique, dont la Chine
dépendait pour son aide économique et militaire depuis mai 1951, quand les
Nations unies avaient imposé un embargo sur les importations stratégiques
en raison du rôle de Beijing dans la guerre de Corée. Pourtant, à l’été 1960,
survint la brouille entre la Chine et l’Union soviétique. Des milliers de
conseillers soviétiques, leur famille et leur entourage reçurent ordre de plier
bagage et de quitter le pays. Des dizaines de grands chantiers furent gelées.
Avant même la rupture sino-soviétique, la Chine avait commencé à
déverser ses produits en Asie et en Afrique. Bicyclettes, machines à coudre,
bouteilles thermos, conserves de viande de porc, stylos-plumes : Beijing
vendait toutes sortes d’articles à perte afin de démontrer toute l’avance prise
sur Moscou dans la course vers le communisme réel. La Chine fit aussi de
son mieux pour tailler des croupières au Japon sur des produits comme
l’huile de soja, le ciment, les charpentes en acier et le vitrage. Ce furent
surtout les textiles qui devinrent le champ de bataille de l’affirmation de la
suprématie communiste, des produits comme le drap gris et l’imprimé de
coton inondant le marché international. Alors que les exportations vers
l’Union soviétique baissaient, le flux de produits en direction du reste du
monde augmentait encore 38.
Le désastre du Grand Bond en avant fit craindre au président d’être
renversé. Il redoutait de finir sous les accusations, tout comme
Khrouchtchev s’était attaqué à Staline. La Révolution culturelle fut sa
réponse : elle dressait les uns contre les autres, en contraignant tout le
monde à prouver son indéfectible loyauté au président. Les exportations
furent stigmatisées, jugées « capitalistes », et on préféra vanter
l’autosuffisance, alors que le pays se refermait sur lui-même. Des provinces
entières furent plongées dans l’autarcie économique, la direction du pays
imposant ce principe d’autosuffisance à l’économie de la nation, en coupant
un grand nombre d’échanges commerciaux intérieurs qui avaient favorisé la
cohésion du pays en un vaste ensemble. En 1970, une tâche aussi simple
que la fabrication d’un bouton devenait un défi pour des usines contraintes
de tout produire localement. L’insistance doctrinale sur cette autosuffisance
aggrava l’incapacité de l’économie planifiée à satisfaire les exigences les
plus élémentaires de la population, au point d’atteindre des proportions
irréelles. À Tourfan, dans le Xinjiang, au cœur d’une oasis fertile où des
Gardes rouges avaient converti des minarets et des mosquées en fabriques,
il fallait se partager une savonnette à trois. Le Xinjiang se situait aux
confins les plus reculés de l’empire, mais les cités marchandes du delta de
la Rivière des Perles, près de Hong Kong, souffraient de pénuries
d’allumettes, de savon, de dentifrice, de piles et de toile de coton.
Intervenant si peu de temps après le désastre du Grand Bond en avant, en
1976, la Révolution culturelle entraîna dans tout le pays une baisse du
niveau de vie au-dessous ce qu’il était avant 1949 39.
Hua Guofeng se concentra sur le commerce extérieur, non sans
améliorer aussi les avantages matériels des travailleurs et œuvrer à une
meilleure organisation du marché, en tenant des réunions d’information sur
les grands travaux, l’industrie, les chemins de fer et le transport, la finance
et la banque, l’agriculture et les sciences et la technologie. Un pékinologue
décompta plus de quarante de ces réunions avant le retour officiel de Deng
Xiaoping aux affaires en juillet 1977 40.
En août, alors que la masse colossale du mausolée consacré à leur
défunt maître se dressait chaque jour un peu plus haut, les dirigeants du
parti se rassemblèrent dans le Palais de l’Assemblée du peuple pour offrir
une démonstration d’unité, lors du premier plénum, ou assemblée plénière,
du Onzième Congrès du parti. C’étaient des hommes âgés qui, après avoir
vécu dix années d’entraves, étaient maintenant désireux de connaître un
changement. Hua Guofeng paraissait avachi, mal à l’aise, avec des gestes
parfois flottants. Le maréchal Ye Jianying semblait frappé de sénilité, ne se
levant et ne s’asseyant qu’avec l’aide d’un secrétaire. Li Xiannian respirait
l’ennui, le visage éclairé de temps à autre d’un sourire. Quant à Deng, il
avait l’air détendu et confiant, même si les traits de son visage étaient
marqués par l’âge. Tous glorifièrent Mao 41.
Et ils étaient tous pressés. L’objectif officiel du congrès, inscrit dans la
constitution du parti, consistait à « construire la mère patrie à grande
vitesse » et à devenir un « pays socialiste puissant et moderne avant la fin
de ce siècle », un dessein que le Premier ministre Zhou Enlai avait annoncé
avec ses Quatre Modernisations de janvier 1975. Ces Quatre
Modernisations avaient été conçues en 1963, quand le Premier ministre
avait élaboré deux plans de quinze ans visant à transformer le pays en une
puissance industrielle et à le hisser au premier rang mondial, dès le tournant
du millénaire. L’accent mis sur un fort taux de croissance, afin de rattraper
ou de dépasser certains pays capitalistes en un laps de temps court et
prédéterminé, n’aurait pu être de nature plus stalinienne. En somme, c’était
le programme que ses dirigeants poursuivraient au cours des vingt années
suivantes 42.
Les anciens du parti étaient si zélés qu’ils appelèrent à un nouveau
Grand Bond en avant. Le choix des termes s’avérait peut-être malheureux,
sachant quel désastre avait entraîné le premier, mais ils estimaient devoir
rattraper une décennie perdue. En février 1978, lors d’une réunion du
Politburo, ils se livrèrent à une véritable surenchère dans cette course vers
des objectifs supérieurs. Deng Xiaoping voulait renforcer la production
d’acier, qu’il considérait comme le pilier de l’industrie lourde. L’énergie
était également un enjeu, et il fallait importer une grande centrale
électrique. « Nous devons aller plus vite », insista-t-il, en réclamant aussi
davantage d’importations de technologies avancées 43.
Pour ces dernières, la cible à l’échéance de 1985 avait été fixée l’année
précédente à 6,5 milliards de dollars, mais, sur la suggestion de Deng
Xiaoping, elle fut portée à 10 milliards. L’enveloppe s’éleva ensuite à
18 milliards, pour finalement atteindre 80 milliards. Ce furent bien plus de
cent chantiers à grande échelle qui furent envisagés. Pour la seule année
1978, plus de vingt-deux usines clefs en main furent importées de
l’étranger, qu’il s’agisse d’énormes aciéries, de filatures modernes ou de
centrales nucléaires 44.
Pendant dix ans, le pays avait vécu dans un isolement qu’il s’était
volontairement imposé. Au plus fort de la Révolution culturelle, le langage
virulent de la lutte des classes et du combat contre l’impérialisme lui avait
même aliéné des puissances potentiellement neutres. En 1967, un
bonhomme de paille au visage noirci fut pendu devant l’ambassade du
Kenya, et demeura accroché à la grille du portail durant de longs mois. Les
ambassades d’Indonésie et de Mongolie subirent un état de siège
permanent. La mission britannique à Beijing fut rasée par un incendie 45.
Mais ce fut le peuple, les simples citoyens, qui subirent le plus durement
ces attaques, un président capricieux générant un cycle apparemment sans
fin de purges et de dénonciations. Pour les membres du parti, à tous les
niveaux de la hiérarchie, la survie politique devenait la tâche principale.
Une simple déclaration de Mao pouvait décider du sort d’innombrables
individus dès lors qu’il décrétait que telle ou telle institution était « contre-
révolutionnaire ». Son verdict pouvait changer du jour au lendemain,
obligeant ses « sujets » à se démener pour prouver leur loyauté. Qui plus
est, tout ce qui venait de l’étranger, qu’il s’agisse d’écouter de la musique
classique ou de lire un roman, était dénoncé comme « bourgeois ».
En conséquence, les taux d’illettrisme montèrent en flèche. En 1978, de
l’aveu même du Conseil des Affaires de l’État *5, dans certaines régions du
pays, plus de la moitié de la population ne savait pas lire, alors que dans
certaines provinces, un cadre sur trois était analphabète 46. Ainsi que le
remarqua un observateur avisé, « Hua Guofeng et Deng Xiaoping avaient
du mal à situer même des puissances moyennes sur une carte ». Et ils
n’avaient aucune idée du mode de fonctionnement des pays étrangers 47.
En 1972, à lui tout seul, Mao avait déplacé l’équilibre des pouvoirs en
éloignant la Chine de l’Union soviétique pour rechercher le rapprochement
avec les États-Unis. Pour beaucoup d’observateurs, ce fut un choc. Pendant
des décennies, la Chine avait dénoncé dans les États-Unis un bastion de
l’impérialisme qui n’avait d’autre intention que de réduire le monde en
esclavage. Zhou Enlai avait lui-même donné le ton en 1950, en se faisant le
porte-parole éloquent d’une campagne intitulée « Haïssons l’Amérique ».
Des caricatures représentant des politiciens américains en meurtriers
assoiffés de sang s’accompagnaient de slogans méprisants crachés par des
haut-parleurs en pleine rue. La politique étrangère était sujette à quantité de
détours et de revirements et, dans les tirades sans fin des hiérarques du
régime, si les vitupérations calculées étaient quelquefois difficiles à démêler
de l’indignation authentique, durant des décennies, le message avait été
assez clair : le peuple devait haïr, maudire et mépriser les capitalistes 48.
Le secrétaire d’État, Henry Kissinger, et d’autres admirateurs naïfs,
qualifièrent le pari de Mao de coup de génie stratégique, qui reposait
pourtant sur le plus grand malentendu géopolitique du XXe siècle : autrement
dit, sur l’idée que les États-Unis était une grande puissance entrée dans la
phase terminale de son déclin. Cette erreur de jugement continuerait
d’inspirer les décisions des dirigeants chinois pendant des décennies.
L’acquisition de technologies avancées étant au cœur des Quatre
Modernisations, des missions d’exploration partirent pour l’étranger. Ainsi
que Gu Mu, l’un des principaux promoteurs de ces missions commerciales,
le remarqua plus tard, en 1917, Lénine avait envoyé à l’étranger des équipes
chargées d’en apprendre davantage sur les sciences et les technologies.
« Nous avons fait la même chose 49. » En septembre 1977, une délégation
fut envoyée aux États-Unis. Wang Yaoting, président du Conseil de la
Chine pour la Promotion du commerce international, emmenait avec lui des
experts dans toutes sortes de domaines, de l’ingénierie chimique à la
métallurgie. Le groupe déjeuna avec le vice-président Mondale et visita des
sites de Mobil, Union Carbide, Exxon et John Deere & Co., entre autres
entreprises. Ils s’accordèrent un moment de détente à Disneyland. Durant
tout leur séjour aux États-Unis, ils ne posèrent aucune question sur la
politique économique des secteurs industriels qu’ils étudiaient. « Ils ne
s’intéressaient qu’à la technologie », expliqua leur guide américain 50.
De retour en Chine, la délégation rendit son rapport : selon ses
membres, le taux de développement industriel des États-Unis connaissait
une baisse constante, tandis qu’une crise économique avait mis un terme à
l’expansion du pays, entamée après-guerre. Le chômage atteignait des
sommets. Leurs puits de pétrole seraient à sec dans une décennie. Leur
commerce pliait sous le poids d’un déficit record, qui dépassait les
25 milliards de dollars 51.
En 1978, d’autres missions commerciales et visites d’étude partirent
ailleurs, avec des voyages en Nouvelle-Zélande, au Japon, en Europe de
l’Ouest et de l’Est. Leur verdict était chaque fois identique, tel que résumé
lors d’une conférence nationale du ministère des Affaires étrangères, en
1979 :

La situation internationale nous est favorable, car plusieurs pays


capitalistes avancés sont confrontés à un déclin économique. Ils
sont désireux de trouver des débouchés pour leurs surplus de
capitaux, d’équipements, de produits et de main-d’œuvre. Ils
souhaitent trouver de nouvelles sources d’énergie et de matières
premières. Leurs monnaies subissent une dépréciation du fait de
l’inflation, une crise financière menace, leur taux de chômage ne
cesse d’augmenter et leurs perspectives économiques sont assez
sombres.

Ainsi que l’observait l’économiste Milton Friedman lors de sa visite en


Chine en 1980, même chez les principaux experts et les directeurs des
banques, « l’ignorance du mode de fonctionnement du marché était
invraisemblable ». C’était du marxisme classique, une philosophie qui,
depuis plus d’un siècle, avait prédit la mort imminente du capitalisme. La
conclusion était inévitable. Le ministère la résumait en ces termes : « Nous
devons saisir cette occasion extrêmement favorable 52. »

*
* *
Hua Guofeng et Deng Xiaoping se partageaient un pouvoir équilibré par
le maréchal Ye Jianying, en formant un triumvirat bancal. De mai à
novembre 1978, Hua et Deng s’affrontèrent dans un débat philosophique
sur la signification de la Pensée Mao Zedong, se livrant ainsi à une guerre
idéologique par procuration. Wang Dongxing, qui était aussi chargé de
l’idéologie, prit la plume au nom de Hua Guofeng. Deng Xiaoping se
tourna vers Hu Yaobang, un homme âgé de soixante-deux ans, personnage
peu orthodoxe, maigre et l’esprit vif, un rien excentrique, qui serait bientôt
propulsé au firmament. Mao, en observateur toujours sagace de la nature
humaine, décrivit un jour Hu en ces termes : « Aime lire mais se concentre
uniquement sur la surface des choses, aime parler et faire des déclarations
grandiloquentes 53. »
En 1977, Hu Yaobang avait été nommé à la tête de l’École centrale du
parti, la principale institution chargée de l’endoctrinement idéologique. Sa
mission primordiale était de réduire à néant les Deux Inconditionnels, ce
nom irrévérencieux dont avait été affublée la politique de Hua Guofeng
consistant à adhérer de près à chaque oukase du président Mao. Pour un œil
extérieur, cela aurait pu être perçu comme une succession de joutes
sémantiques abstraites, et pourtant tout cela avait aussi des conséquences
bien réelles, car les sentences officielles rendues pendant la Révolution
culturelle demeuraient toujours en vigueur. En incluant les membres des
familles et l’ensemble de la parentèle, le nombre de victimes approchait les
cent millions 54. La stigmatisation des manifestants de Tian’anmen en 1976,
qualifiés de « contre-révolutionnaires », n’en était qu’un exemple.
Hu Yaobang inventa le principe de la Pratique comme le Critère Unique
de la Vérité. Cela signifiait que les déclarations devaient être soumises à
l’épreuve de cette pratique. Il y eut alors de vraies batailles rangées, tout
comme les protestants et les catholiques s’étaient déchirés sur la lecture de
la Bible. On passait des coups de téléphone, on manipulait des éditoriaux,
on publiait des répudiations, on divulguait des informations, on introduisait
des commentaires pour contourner la censure et on organisait des ateliers,
d’abord à Beijing, et peu de temps après dans toute la nation. Les adeptes
de ce Critère de Vérité furent accusés d’aller contre la volonté de Mao
Zedong. À leur tour, ses partisans accusèrent les disciples des Deux
Inconditionnels de saper la Pensée de Mao Zedong, car ils entendaient s’en
tenir de façon dogmatique à chaque propos du président.
Le dénouement survint en décembre 1978. En août de l’année
précédente, la nouvelle direction avait été présentée au premier plénum du
Onzième Congrès du Parti. Un deuxième plénum était généralement centré
sur la consolidation du pouvoir, et le troisième était traditionnellement
réservé à introduire une vision élargie de l’avenir. Le troisième plénum eut
pour théâtre le Capital West Hotel, un édifice de style soviétique bâti en
1964 et doté d’un dispositif spécial de sécurité assuré par des soldats d’élite.
C’était l’un des repaires favoris des officiers supérieurs de l’armée, qui y
tenaient des réunions à huis clos pour régler d’importantes affaires.
Avant même l’ouverture officielle du plénum, des dazibao (ou affiches
manuscrites) firent leur apparition sur un long mur de briques proche d’une
ancienne gare routière à Xidan, un croisement entre l’avenue Chang’an et le
côté ouest de la place Tian’anmen. Ces affiches attirèrent une foule énorme
de lecteurs, serrés les uns contre les autres pour se protéger du froid : de
simples citoyens, qui avaient suivi avec lassitude les débats entre les deux
camps, dans les journaux, et qui avaient apprécié le slogan de Hu Yaobang
en faveur de la « vérité issue de la pratique ». Le mur, assez vite surnommé
mur de la Démocratie, devint le lieu de convergence du mécontentement
populaire face au statu quo. Certains manifestants affichaient un exposé
détaillé de leurs griefs. D’autres réclamaient la pleine et entière
réhabilitation de hauts responsables comme Peng Dehuai, visé par une
purge après avoir résisté à Mao à l’époque du Grand Bond en avant.
Beaucoup considéraient Deng Xiaoping comme un persécuté et exigeaient
qu’il soit rétabli dans ses anciennes fonctions. Des manifestations furent
organisées, certains orateurs appelant même à ce que soit étudié le système
de séparation des pouvoirs aux États-Unis. Ren Wanding, ingénieur civil
qui avait été tourmenté pendant la Révolution culturelle, instaura une
Alliance des droits de l’homme et publia un manifeste exigeant des droits
civils élémentaires pour tous ses concitoyens. Il y eut des appels au suffrage
universel, et un électricien du zoo de Beijing, nommé Wei Jingsheng,
demanda une Cinquième Modernisation, en l’espèce celle de la démocratie,
qui viendrait compléter les Quatre Modernisations du parti. Un journaliste
canadien présenta la chose en ces termes : « Ils ont mis fin à tout ce non-
sens concernant les Chinois qui ne comprendraient rien aux enjeux de la
liberté d’expression. Ils les connaissent, et ils la réclament 55. »
Vers la fin novembre, Deng Xiaoping accorda une interview à Robert
Novak, journaliste américain réputé. Dans une vaste salle du Palais de
l’Assemblée du peuple, un vice-Premier ministre sûr de lui fumait des
cigarettes Panda et expectorait de temps à autre dans un crachoir posé près
de son fauteuil. Quand l’Américain l’interrogea sur les dazibao de Xidan,
Deng eut un hochement de tête approbateur. Novak fit répéter la réponse du
dirigeant à la foule : « Le mur de la Démocratie est une bonne chose. » Les
contestataires approuvèrent bruyamment, et ils furent 10 000 à se diriger
vers la place Tian’anmen pour une manifestation qui se prolongea jusque
tard dans la nuit 56.
La controverse autour des Deux Inconditionnels avait allumé le feu de
la contestation populaire et, à leur tour, ces manifestations encouragèrent
une partie des deux cents délégués à prendre position. Les membres de
l’assemblée du parti étaient censés discuter de la politique économique au
cours d’une conférence de travail préparatoire du plénum officiel, mais
certains d’entre eux s’écartèrent de la ligne qui leur avait été fixée et se
mirent à œuvrer en faveur de la réhabilitation politique des responsables
soumis à une purge par Mao. La réunion échappa à tout contrôle, des
participants déversant le torrent d’une colère sans retenue. Chen Yun, un
économiste chevronné qui avait joué un rôle moteur dans la planification
économique, présenta une liste complète d’individus dont le nom devrait
être lavé de tout soupçon. Au beau milieu de cette conférence, le Comité du
parti pour la ville de Beijing annula le verdict rendu après les événements
de la place Tian’anmen du 5 avril 1976, annonçant que tous ceux qui
avaient été persécutés verraient leur réputation rétablie.
Hua Guofeng se retrouvait sur la défensive. Le 25 novembre, il
s’empressa de hisser le drapeau blanc, adhérant au principe de Pratique
comme Critère Unique de la Vérité et se ravisant sur quantité d’autres
sujets. Le 13 décembre, il pria humblement ses collègues de ne plus
l’appeler « président ». Le maréchal Ye Jianying prit sa défense, en louant
sa sincérité. Hua réussit à conserver ses titres officiels de Premier ministre
et de président, mais Deng prit le contrôle du parti. Il avait su utiliser le mur
de la Démocratie pour contrer son rival et renforcer sa position 57.

*
* *
er
Le 1 octobre 1970, alors que débutaient les commémorations de la Fête
nationale de la République populaire, avec des défilés dans toutes les villes,
le président Mao était apparu à la tribune, située au-dessus de la Porte de la
Paix Céleste, pour suivre la parade annuelle. Pour la toute première fois, un
Américain se tenait à ses côtés. La présence d’Edgar Snow, un journaliste
expérimenté qui avait interviewé une première fois Mao plusieurs décennies
auparavant à Yan’an, servait notamment à signifier que des changements
majeurs se préparaient dans les relations avec le camp impérialiste. Une
lueur d’espoir s’alluma aussitôt chez les simples citoyens, alors même que
les Américains furent plus lents à saisir le signal. Enfin, en février 1972,
Nixon se rendit en Chine.
Deng Xiaoping fit preuve de moins de sophistication lorsqu’il fut
interviewé par Robert Novak, puisqu’il se servit de ce journaliste pour
transmettre un message relatif à la normalisation, en soulignant à plusieurs
reprises que Washington et Beijing devaient coopérer contre Moscou.
Chaque correspondant envoyé à l’étranger par Beijing étant un membre
accrédité du Parti communiste travaillait pour le compte de l’État ; Mao et
Deng croyaient l’un et l’autre que leurs homologues américains étaient
aussi des agents de renseignement sous couverture qui, à peine rentrés à
Washington, feraient leur rapport à leurs maîtres.
Après son retour au pouvoir en 1974, puis de nouveau en 1977, Deng
avait endossé la responsabilité des Affaires étrangères. Des années plus tôt,
suite à la rupture sino-soviétique de 1960, il s’était montré l’un des
détracteurs les plus véhéments de l’Union soviétique. Léonid Brejnev, qui
avait accédé au pouvoir en 1964, fut tellement frappé par son intransigeance
qu’il l’appelait le « nain antisoviétique 58 ». Comme nombre de ses
collègues, Deng considérait l’URSS et le Vietnam, et non les États-Unis,
comme les principales menaces pesant sur son pays. Après la signature en
1973 des accords de paix de Paris entre Sud et Nord-Vietnam et les États-
Unis, ces derniers entamèrent le retrait de leurs troupes. Deng en conclut
que Moscou succèderait à Washington et deviendrait la puissance mondiale
dominante. Cette bascule imposerait une alliance avec le Japon et les États-
Unis.
Deng se rendit d’abord au Japon. En 1955, les États-Unis avaient aidé la
nation-archipel à rejoindre les accords du GATT (General Agreement on
Tariffs and Trade – Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce),
malgré de virulentes objections d’autres États membres, notamment la
France et la plupart de ceux du Commonwealth. Ces pays privèrent Tokyo
de la clause de la nation la plus favorisée, qui aurait accordé au Japon tous
les concessions, privilèges et immunités que les États membres se
consentaient les uns aux autres. Toutefois, la baisse des tarifs douaniers aux
États-Unis entraîna une hausse des exportations depuis le Japon, et
d’énormes quantités de textiles, d’acier, d’automobiles, de produits
chimiques et d’appareils électroniques furent expédiées d’une extrémité du
Pacifique à l’autre. Le produit de l’excédent commercial fut réinvesti dans
l’importation et la copie des technologies étrangères. Il servit également à
bâtir une industrie lourde et à encourager des marques locales capables de
rivaliser avec leurs meilleures concurrentes internationales. Le taux de
croissance japonais, de 10 % annuels, qui se répétait d’année en année,
pouvait être qualifié de miracle économique. Mais en 1971, au milieu d’une
guerre coûteuse avec le Vietnam, Nixon abandonna la convertibilité du
dollar en or et imposa une surtaxation de 10 % sur les importations.
Deux ans plus tard, la crise pétrolière marquait la fin de cette croissance
rapide du Japon.
Au cours de son voyage, Deng, qui circulait à bord du Shinkansen, le
train japonais à grande vitesse, visita des usines produisant des appareils
électroniques, ces télévisions et ces automobiles qui séduisaient le monde
entier. Il prenait des airs humbles, en expliquant combien son pays arriéré
était désireux d’apprendre du Japon. Il flatta ses hôtes, balayant d’un revers
de main les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale après que les
Japonais se furent excusés des souffrances que leur nation avait infligées.
Il loua l’héritage commun à leurs deux pays, en leur tendant une main
amicale. Des flots de capitaux furent libérés, et le Japon devint le plus
généreux donateur de la Chine, en versant des dizaines de milliards d’aides
destinées à soutenir la construction d’infrastructures un peu partout dans le
pays. Ayant bénéficié de la clause de la nation la plus favorisée, le Japon
l’accordait à son tour à la Chine, un dispositif complet comprenant des
tarifs douaniers à taux préférentiel 59.
Pourtant, c’était avec les États-Unis que la Chine entretenait la relation
la plus importante. Avant même sa tournée en janvier 1979, Deng avait
rencontré plusieurs délégations venues de Washington. Ces visiteurs furent
traités comme si l’accès au sanctuaire du pouvoir était un grand privilège
réservé à de rares élus. Ainsi que le jésuite hongrois László Ladány le
relevait en 1974, les dirigeants communistes exploitaient pleinement l’aura
de mystère qui enveloppait leur pays si fermé :

Beaucoup d’autres États, le Japon ou l’Inde, pour ne mentionner


que deux nations asiatiques, ne sont pas moins importants.
Pourtant, aucun mythe ne se rattache au Japon ou à l’Inde
modernes. Entrer en Chine est un événement ; avoir un entretien
avec un haut responsable constitue un privilège. Cette faculté de
projeter une image de grandeur sans pareille a été une complète
réussite.
Richard Walker, qui faisait partie d’une délégation envoyée de
Washington, expliquait qu’on avait laissé les voyageurs patienter dans leur
hôtel plusieurs jours jusqu’à ce qu’une convocation leur soit finalement
adressée : on les avait alors accompagnés à une entrevue en tête-à-tête avec
le vice-Premier ministre Deng Xiaoping, dans une atmosphère de déférence
confinant à la vénération.

Le secret, des décisions inexpliquées, une aura de mystère


délibérément cultivée, une surveillance stricte du visiteur
étranger, l’accent placé sur la politesse et le cérémonial, une
hospitalité incroyable, l’attention portée à toutes sortes de détails
de confort et, surtout, une nourriture excellente : tels sont les
traits marquants de la manière chinoise de recevoir les visiteurs
étrangers et de concevoir les relations étrangères, quand elles se
60
déroulent en Chine .

À Beijing, les visiteurs étaient constamment mis en garde contre la


menace que faisait peser l’URSS. Les Soviétiques étaient régulièrement
comparés aux nazis, et toute forme de relation avec Moscou interprétée
comme une politique dangereuse de conciliation comparable à l’esprit de
Munich. La Russie, que l’on appelait l’« ours polaire », était un empire du
mal qui visait l’hégémonie mondiale. « Les Russes sont plus impérialistes
que les pires impérialistes », s’exclama Hao Deqing, président de l’Institut
populaire des affaires étrangères en novembre 1977 61. Ces propos
touchaient une corde sensible chez les combattants de la guerre froide aux
États-Unis, où les protagonistes les plus belliqueux envers l’Union
soviétique étaient précisément ceux qui devinrent les plus ardents soutiens
de la République populaire.
L’un d’eux s’appelait Zbigniew Brzezinski, conseiller à la Sécurité
nationale de la Maison-Blanche, d’origine polonaise, réputé pour ses
positions farouchement antisoviétiques. En mai 1978, il passa trois jours en
Chine, où ses hôtes le flattèrent en l’appelant le « dompteur de l’ours
polaire ». Lors du dîner d’adieu, il n’hésita pas à affirmer : « Nos opinions
communes l’emportent sur nos différences. » Ainsi que l’observèrent des
diplomates étrangers, il avait en fait été la victime consentante d’une
coutume locale consistant à étourdir les visiteurs en faisant assaut
d’hospitalité pour les convaincre ensuite de se prêter à des déclarations
excessives. Brzezinski deviendra l’un des soutiens déterminants aux aides
militaires et financières en faveur de la Chine, en renonçant ainsi à une
politique de juste équilibre entre Moscou et Beijing 62.
Le sénateur Henry Jackson fut aussi l’un de ces soutiens, un
anticommuniste intransigeant et un éminent défenseur des droits de
l’homme. Vivement opposé aux accords commerciaux avec une
superpuissance hostile comme l’Union soviétique, en 1974, il avait déposé
l’amendement Jackson-Vanik limitant les relations économiques avec des
pays qui n’avaient pas d’économie de marché et qui restreignaient la liberté
d’émigrer ainsi que d’autres droits élémentaires. Reçu aux meilleures tables
de Chine et dûment impressionné quand une audience avec Deng Xiaoping
lui fut finalement accordée, le sénateur Jackson se laissa lui aussi convertir
et devint un vigoureux défenseur de la normalisation des relations avec la
Chine. Brzezinski et Jackson partageaient une vision qui reposait sur l’autre
grande erreur géopolitique du XXe siècle : une fois que la République
populaire de Chine aurait une économie développée, elle s’ouvrirait à la
démocratie.
Au cours de sa visite aux États-Unis, Deng se fit beaucoup d’autres
amis. Il conquit son public en coiffant un chapeau de cowboy lors d’un
rodéo au Texas. Il effectua un tour de l’arène assis dans une diligence tirée
par quatre chevaux, en saluant la foule d’une main, et en règle générale,
durant son séjour, il charma autant les chefs d’entreprise que les
responsables politiques. Deng Xiaoping avait prévenu qu’il ne répondrait
pas à des questions relatives aux droits de l’homme, bien qu’il eût
volontiers promis d’instaurer la démocratie « sans restriction ». Lors de sa
rencontre avec Jimmy Carter, il invoqua précisément le mur de la
Démocratie, preuve de ce que le peuple chinois pouvait librement
s’exprimer sur toute une série de sujets 63. Plus tard, de retour à Beijing,
il fulmina au sujet de ces mêmes droits de l’homme, en dénigrant les États-
Unis, qu’il considérait comme un simulacre de démocratie. En revanche, à
Washington, il avait su se tenir.
Ce pari fut payant. À l’inverse de Brejnev, Deng Xiaoping obtint pour
son pays la clause de la nation la plus favorisée, qui entra en vigueur un an
plus tard, le 1er février 1980 64. Cela signifiait que la Chine se voyait
accorder toutes les réductions de droits de douane que les États-Unis
offraient à tout autre pays. Comédien né, il donna l’accolade au sénateur
Henry Jackson, à Seattle 65. Un an plus tard, après l’invasion soviétique de
l’Afghanistan, la collaboration militaire et stratégique se renforça.

*
* *
À Washington, Deng Xiaoping s’était vanté devant Jimmy Carter de ce
que son pays allait infliger une bonne leçon au Vietnam. À peine quelques
mois plus tôt, le 3 novembre 1978, l’Union soviétique et le Vietnam avaient
signé un traité de défense mutuelle, qui avait éveillé les soupçons de la
Chine. De retour à Beijing, il ne perdit pas de temps. Le 15 février, le jour
même où le traité sino-soviétique d’Amitié, d’Alliance et d’Assistance
mutuelle signé en 1950 touchait à son terme, il annonça que la Chine allait
riposter contre le Vietnam à la suite de son attaque contre les Khmers
rouges au Cambodge. Les Khmers, arrivés au pouvoir en 1975 avec le
soutien de la Chine, avaient exécuté, torturé, affamé ou encore éliminé un
quart de leur population, au milieu d’atrocités qui ne prirent fin qu’après
l’invasion du Vietnam, le 25 décembre 1978, et le renversement du régime
de leur voisin Pol Pot.
Le 17 février 1979, environ 200 000 hommes franchirent la frontière du
Vietnam. Deng avait promis une simple expédition punitive, et non une
invasion. Les Vietnamiens évitèrent le combat frontal, en laissant l’ennemi
avancer d’une vingtaine de kilomètres vers la ville de Lang Son, où se
multiplièrent les affrontements sanglants, de maison en maison. Sur la route
du retour en Chine, l’Armée de libération populaire se livra à des
dévastations et des pillages. Beijing cria victoire, mais aux yeux de tous les
observateurs, il était clair que cette opération avait tourné à la débâcle, à
cause d’une chaîne de commandement défaillante et de piètres
communications. En privé, un général chinois qualifia l’offensive contre le
Vietnam de « foutoir » 66.
La médiocre prestation de l’armée provoqua davantage de troubles
civils. Avant même la guerre sino-vietnamienne, des scènes sans précédent
s’étaient déroulées autour du mur de la Démocratie, plusieurs centaines de
villageois manifestant dans la capitale en deux occasions. Le 8 janvier, jour
anniversaire de la mort de Zhou Enlai, ils avaient brandi des banderoles
avec ces slogans : « Assez de famine, assez d’oppression, nous voulons la
démocratie. » Les visages creusés par la détresse, certains vêtus de simples
haillons, d’autres claudiquant sur des béquilles, ils n’avaient plus du tout
l’allure des étudiants qui avaient manifesté jusqu’à présent. Quelques jours
plus tard, ils allèrent afficher leur malheur devant les portes peintes de
Zhongnanhai, le siège du gouvernement, en exigeant d’avoir le droit de
travailler. Des contingents de manifestants étudiants défilèrent aussi autour
de la place, en réclamant à grands cris le respect des droits humains. Il y eut
des répercussions à l’échelle de la nation entière. À Changsha et
à Guangzhou, des affiches en faveur de la démocratie furent placardées.
À Shanghai, plus de 5 000 jeunes qui avaient été transférés de force à la
campagne à la suite de la Révolution culturelle organisèrent une
manifestation, après être illégalement rentrés dans leur foyer, et ils
réclamaient à présent d’être autorisés à rester chez eux 67.
En pleine débâcle vietnamienne, certains contestataires se mirent à
demander des comptes à Deng Xiaoping. Wei Jingsheng, le jeune homme
qui avait proposé une Cinquième Modernisation, publia un article intitulé
« Démocratie ou nouvelle autocratie ? », dressant le portrait du Premier
ministre en nouveau despote 68.
Critiquer Mao, c’était une chose, Deng, c’en était une autre. Dans la
soirée du 16 mars, le vice-Premier ministre présidait un événement au
Palais omnisports de Beijing devant un auditoire en extase, où le Boston
Symphony Orchestra jouait The Stars and Stripes Forever de John Philip
Sousa ainsi que d’autres pièces plus classiques devant un public de
18 000 auditeurs. C’était la cerise culturelle sur le gâteau de la
normalisation avec les États-Unis, avec son concert de cris,
d’applaudissements, d’acclamations et de demandes de rappels adressées au
chef d’orchestre, Seiji Ozawa. Or, quelques heures plus tôt, Deng avait
salué le retour victorieux des troupes du Vietnam devant plusieurs milliers
de cadres, au Palais de l’Assemblée du peuple. Il mit aussi à profit cette
circonstance pour condamner le mur de la Démocratie en des termes
sévères et qualifier les contestataires de « mauvais éléments 69 ».
Deux jours plus tard, la machine de la propagande condamnait d’une
voix forte les « droits de l’homme », « notion capitaliste » utilisée pour
protéger les « contre-révolutionnaires ». Des instructions furent envoyées
dans les villes où des manifestations avaient eu lieu, interdisant toute
critique du socialisme, de la dictature du prolétariat, du rôle dirigeant du
parti, du marxisme-léninisme et de la Pensée Mao Zedong. Le 29 mars, des
mesures de restrictions drastiques furent adoptées à Beijing 70.
Le 30 mars, Deng Xiaoping promulgua officiellement les préalables
idéologiques fondamentaux des Quatre Modernisations, autrement dit les
Quatre Principes fondamentaux.
Tant que l’impérialisme et l’hégémonie existent, expliquait-il, il
est inconcevable que la fonction dictatoriale de l’État périclite,
que l’armée permanente, les organes de sécurité publique, les
tribunaux et les prisons périclitent. Leur existence n’est pas
contradictoire avec la démocratisation de l’État socialiste, car
leur travail correct et efficace assure, plus qu’il n’entrave, une
telle démocratisation. En réalité, le socialisme ne peut être
défendu ou construit sans la dictature du prolétariat.

Les quatre principes étaient les suivants :


1. Nous devons maintenir la voie vers le socialisme.
2. Nous devons défendre la dictature du prolétariat.
3. Nous devons préserver le rôle dirigeant du Parti communiste.
4. Nous devons sauvegarder le marxisme-léninisme et la Pensée Mao
71
Zedong .

Quelques semaines plus tard, lors d’une conférence de travail au niveau


central sur la propagande et l’idéologie, des membres de la hiérarchie du
parti se rallièrent à Deng pour défendre les Quatre Principes. Hu Yaobang,
en sa qualité de ministre du département de la Propagande, était d’avis que
rien ne pourrait jamais ébranler le marxisme-léninisme et la Pensée Mao
Zedong. Peng Zhen, l’ancien maire de Beijing qui avait été l’une des
premières victimes de la Révolution culturelle, expliqua pourquoi la Pensée
Mao Zedong comptait tant :

Après que Khrouchtchev a achevé de tuer Staline en Union


soviétique, les Soviétiques brandissaient encore haut la bannière
de Lénine, qu’ils aient été sincères ou non dans leur conviction.
En Chine, si nous abandonnons la Pensée Mao Zedong, alors à
quelle bannière nous accrocherons-nous ? Nous devons nous en
tenir à la bannière de la Pensée Mao Zedong. Sinon, cela
provoquera le chaos dans l’idéologie de notre Parti, de notre
armée et des diverses nationalités de notre pays ainsi que dans le
camp révolutionnaire tout entier. Cela attristera nos amis et
réjouira nos ennemis 72.

Pour le soixantième anniversaire du Mouvement du Quatre Mai, la


direction du pays se présenta en force, unie dans sa volonté de lever haut la
bannière du marxisme, du léninisme et de la Pensée Mao Zedong. Le
mausolée du président, fermé sous prétexte de réparations depuis les débuts
73
du mur de la Démocratie, fut rouvert .
Au cours des mois suivants, un torrent de propagande se déchaîna
autour des Quatre Principes fondamentaux. Dans la capitale, des dizaines
d’activistes furent arrêtés, certains uniquement en raison de leurs liens
étroits avec des visiteurs d’autres pays. Wei Jingsheng, qui avait accueilli
des journalistes étrangers, fut accusé d’avoir transmis des secrets militaires
à des puissances extérieures, alors que toutes ces informations étaient
accessibles au public. Bien que l’acte d’accusation ne l’ait pas mentionné,
ce qui avait le plus ulcéré les autorités, c’était sa rencontre avec un
responsable gouvernemental des États-Unis, dans le but de lui proposer de
conditionner la clause de la nation la plus favorisée au respect des droits de
l’homme. En octobre, il comparaissait le crâne rasé devant un tribunal et se
défendit en rappelant que la Constitution garantissait la liberté d’expression.
Son éloquence lui valut quinze années de détention. Apprenant le verdict,
des journalistes qui avaient attendu toute la journée dehors sous la pluie en
74
furent atterrés .
Aux premières heures d’une froide journée d’hiver, plus tard cette
année-là, une petite armée d’agents de nettoyage armés de balais de
brindilles nettoyèrent les derniers restes de liberté de parole inscrits sur le
mur de Xidan. Un an plus tard, une réunion secrète sur la sécurité publique
mettait en garde l’équipe dirigeante au pouvoir contre « une attaque lancée
par l’idéologie de la libéralisation bourgeoise ainsi que l’infiltration par des
espions étrangers et des forces contre-révolutionnaires 75 ». Peng Zhen prit
l’initiative d’éliminer quatre libertés fondamentales inscrites dans la
Constitution, en l’occurrence le droit des citoyens de « parler librement,
d’exprimer pleinement leurs opinions, de s’engager dans de grands débats
et de rédiger des affiches ». En 1982, le droit de grève fut effacé du texte
fondamental. Ainsi que le remarquait un observateur désillusionné, « la
vieille garde est revenue à l’ancienne manière de diriger le pays 76 ».
Jimmy Carter, qui avait annoncé lors de son discours d’investiture de
janvier 1977 que les droits de l’homme occuperaient une place centrale
dans sa politique étrangère, noua des relations personnelles avec nombre de
dissidents soviétiques, de Sakharov à Chtcharanski. Pourtant, s’agissant des
droits de leurs homologues chinois, il resta silencieux. En 1987, lors d’une
visite en Chine, un journaliste l’interrogea au sujet de Wei Jingsheng : « Je
n’ai pas personnellement connaissance du cas que vous venez d’évoquer »,
répondit le président démocrate 77.

*
* *
En novembre 1980, quatre personnages honnis de tous comparurent
devant un tribunal. À l’inverse des procédures arbitraires menées à huis clos
dont Wei Jingsheng fut la cible, Mme Mao et ses acolytes furent non
seulement confrontés à leurs juges, mis aussi à 880 « représentants des
masses », parmi lesquels des membres de familles de victimes de la
Révolution culturelle, ainsi que 300 journalistes. Ce fut un procès à grand
spectacle qui saisit l’attention du pays, assorti d’analyses sans fin de ses
moindres rebondissements, dans les journaux, à la radio et à la télévision.
Quatre ans après la mort de Mao, Beijing était encore une ville grisâtre,
recouverte de la poussière soulevée par les vents dans les plaines du Nord.
La capitale était ponctuée de cités, ensembles de logements tristes et
décrépits, pour la plupart mal entretenus, aux façades rarement repeintes.
Ces logements étant réservés aux adhérents du parti et aux travailleurs
modèles, les simples citoyens vivaient pour leur part dans des maisons en
briques délabrées autour d’une cour commune avec un robinet partagé entre
tous les habitants et un cabinet de toilettes extérieur collectif. Des usines
tentaculaires en faisaient l’une des villes les plus polluées de la planète,
avec des concentrations de poussière et de particules quatre fois supérieures
aux normes internationales 78. Un journaliste l’avait qualifiée de
« diaboliquement laide », non sans concéder que si l’essentiel de sa
grandeur impériale avait disparu, délibérément rasée par un régime
dédaigneux du passé, il y subsistait quelques îlots d’une grande beauté,
qu’il s’agisse de la Cité interdite, ou de l’ancien Palais d’Hiver, avec ses
lacs, ses bateaux et ses toits pagode 79.
Quand le ministère de la Culture enquêta dans les campagnes, il
découvrit que les villageois ne faisaient rien d’autre que travailler, manger
et dormir. « Ils ont des existences extrêmement monotones 80. » Pourtant,
même dans la capitale, les divertissements étaient rares. Les restrictions
frappant les spectacles d’opéras traditionnels et de chants populaires,
interdits par Mme Mao au plus fort de la Révolution culturelle, furent
progressivement levées après 1976. Les lectures redevenaient plus variées.
Shakespeare avait été réhabilité, mais les lecteurs préféraient Autant en
emporte le vent et Agatha Christie. Toutefois, la plupart des volumes que
l’on trouvait dans les librairies étaient conçus pour l’édification morale ou
l’instruction, et non pour l’amusement. Danser restait une activité
dangereuse et, pour la plupart des gens, le loisir se bornait à une sortie de
temps à autre au cinéma ou à une promenade dans le parc. Des jeunes
écoutaient de la musique piratée depuis Hong Kong ou Taïwan. La star la
plus populaire, Teresa Teng, reine de la pop à Taïwan, surnommée « Little
Deng » par ses fans, partageait le même patronyme que leur dirigeant 81.
La télévision comptait deux chaînes, l’une nationale, l’autre locale, avec
peu de différences entre leurs programmations, des émissions durant
jusqu’à deux heures le matin, deux heures également l’après-midi et jusqu’à
quatre en soirée. La plupart des informations consistaient en reportages
muets sur des visites de dignitaires accueillis à l’aéroport ou assis dans de
grands fauteuils trop rebondis, écoutant respectueusement les dirigeants du
pays. À l’occasion, on diffusait un film étranger 82.
Les téléviseurs étaient rares, généralement propriétés d’usines et
d’institutions plutôt que d’individus. La raison en était simple : l’ouvrier
d’usine moyen aurait dû investir tous ses émoluments pendant cinq à huit
mois pour se payer une télévision chinoise standard, alors que la plupart des
ouvriers des pays développés pouvaient s’acheter deux postes peu coûteux
avec une simple semaine de paie 83.
Et maintenant, pour la première fois, une véritable émission était
diffusée dans le pays entier. Des gens de toutes conditions en étaient
hypnotisés. Des foules se rassemblaient tous les soirs devant des postes
installés dans des usines, des bâtiments scolaires et sur des terrains de
basket-ball, pour regarder « la bande de chiens fascistes » que le régime les
encourageait à haïr. Des enfants criaient assez fréquemment des injures à
l’écran, des adultes lançaient quelques pétards pour célébrer la chute de la
Bande des Quatre. Dans la matinée, les journaux rendaient compte des
prestations des deux camps, avec des félicitations à l’accusation et des mots
sévères pour les accusés 84.
C’était un cirque médiatique soigneusement réglé, les deux parties lisant
des déclarations préparées d’avance. Pourtant, de temps à autre, un accroc
dans le protocole ou un éclair de colère créaient chez le public des moments
de pur plaisir, alors qu’une voix off interrompait le spectacle ou le
commentait avec des paraphrases. Cela se produisait souvent quand
Mme Mao, qui ne manifestait pas la moindre contrition, vociférait des
invectives à ses accusateurs. Le procès dura plus d’un mois. Le 25 janvier,
le verdict fut rendu, trois des accusés étant condamnés à la prison à
perpétuité, et la quatrième à vingt ans.
Panem et circenses, du pain et des jeux, cela restait un vieux principe
bien compris par les dictateurs des temps modernes, mais l’intense aversion
populaire que suscitaient Jiang Qing et ses trois complices ultraradicaux
semblait assez réelle. Ainsi que le remarquait l’écrivain-voyageur Paul
Theroux, le pays réussit peut-être à surmonter la culpabilité de ce qui était
arrivé pendant la Révolution culturelle en imputant tous ces malheurs à la
Bande des Quatre 85.
Le procès exonérait la quasi-totalité de la direction du pays, puisque
presque tous les principaux dirigeants du parti avaient pris part, à un
moment ou à un autre, à des séances de dénonciation *6. Mais cela permettait
surtout au parti d’absoudre Mao Zedong et de continuer de brandir
l’étendard de la Pensée Mao Zedong. La déstalinisation avait débuté après
la divulgation du « Rapport secret » de Nikita Khrouchtchev à la fin du
XXe Congrès du PCUS, en février 1956, mais il n’y eut pas de démaoïsation
en Chine.
Pourtant, il fallait une clarification officielle du rôle de Mao dans
l’histoire. Des comptes devaient être réglés, un trait tiré sous la Révolution
culturelle. C’était l’objectif fixé par le sixième plénum, qui se réunit en
juin 1981, à temps pour marquer le soixantième anniversaire de sa
fondation le 23 juillet 1921. Le processus complexe de production d’un
document exhaustif sur l’histoire du parti avait débuté plus d’an auparavant,
en octobre 1979. Une clarification historique entraînerait des conséquences
de taille pour tous les adhérents, et ce travail occupait donc beaucoup les
dirigeants. L’idéologie, et non l’économie, était leur préoccupation
première, notamment pour Deng Xiaoping, qui prit d’emblée les
commandes du processus. Des équipes furent constituées, des pièces à
conviction examinées et des ébauches rédigées, diffusées, discutées,
amendées et peaufinées à plusieurs reprises. Il y eut plus d’un millier de
comptes-rendus d’analyse, impliquant plus de 6 000 personnes, aussi bien
des ministres d’État que des secrétaires municipaux du parti. Au sommet de
la pyramide, des marchés furent conclus et des compromis arrêtés, cette
entreprise de clarification étant assortie de l’obligation de composer avec
une vaste diversité d’intérêts, reflets d’un équilibre des pouvoirs
constamment changeant.
Hu Qiaomu, théoricien éminent qui était devenu le secrétaire personnel
de Mao Zedong plusieurs décennies auparavant, dès 1941, en fut l’un des
contributeurs les plus importants. Hu s’était fait un nom en réécrivant
l’histoire non sans un certain talent, et il avait rédigé en 1945 une résolution
sur l’histoire du parti dans laquelle Mao occupait le rôle central. Visé
comme d’autres par les purges de la Révolution culturelle, il fut réhabilité
en 1975. À présent, puisqu’il fallait une fois encore retoucher le passé,
Deng Xiaoping, son nouveau chef, le rappelait aux affaires. Son premier jet
lui valut la fureur de ce dernier, qui l’accusa de trop se concentrer sur les
erreurs de Mao pendant la Révolution culturelle. Hu remit son ouvrage sur
le métier, et proposa une réflexion ingénieuse conçue pour satisfaire les
exigences de son maître : les dernières années, Mao Zedong s’était lui-
même éloigné du système scientifique de la Pensée Mao Zedong 86.
La version finale mentionnait à peine la Grande Famine survenue sous
Mao et imputait la Révolution culturelle à Lin Biao et à la Bande des
Quatre. Deng intervint à plusieurs reprises pour préserver la réputation du
président.

Certains camarades ont relevé que les erreurs commises pendant


le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle dépassent
largement celles commises par Staline, reconnaissait-il, mais
notre évaluation du camarade Mao Zedong et de la Pensée Mao
Zedong ne concerne pas la seule personne de Mao, car elle est
inséparable de l’histoire entière de notre parti.
« Noircir Mao, c’est noircir notre parti », concluait-il 87. Le verdict
officiel fut que le « camarade Mao était un grand marxiste et un grand
révolutionnaire, stratège et théoricien prolétarien ». Bien qu’il eût commis
de graves erreurs pendant la Révolution culturelle, ses réalisations
demeuraient primordiales, et ses erreurs secondaires. « Nous devons
continuer de défendre la Pensée Mao Zedong 88. »
Cette résolution était conçue pour mettre un terme au débat sur le passé
du parti, et non pour l’encourager. Après son adoption au sixième plénum,
les recherches universitaires sur des sujets majeurs comme le Grand Bond
en avant et la Révolution culturelle furent vivement découragées, et toute
interprétation qui s’écartait de la version officielle était considérée avec
suspicion.
Toutefois, le document poursuivait d’autres objectifs. Deng Xiaoping se
servit de cette résolution pour se débarrasser de Hua Guofeng et devenir le
Guide suprême. En novembre 1980, il confia à Hu Yaobang la charge de
présider une série de réunions cuisantes en présence de Hua Guofeng,
passant au crible chaque aspect de ses antécédents. Le rôle qu’il avait joué
dans les événements du 5 avril 1976 fut mis en lumière, notamment le fait
que c’était lui qui avait décroché le téléphone pour ordonner à la milice
d’entrer sur la place Tian’anmen. Hua fut contraint de démissionner, et Hu
Yaobang le remplaça au poste de président du Comité central. Deng devint
président de la puissante Commission militaire centrale 89.
Dans la résolution du parti, Hua Guofeng fut assimilé à la Bande des
Quatre et à la Révolution culturelle. En conséquence, le troisième plénum
de décembre 1978 fut consacré au « Grand tournant de l’Histoire » quand,
sous la conduite de Deng Xiaoping, le parti s’orienta dans la « juste voie
pour la modernisation socialiste 90 ». C’était une remarquable opération de
propagande, destinée à se répéter au cours des décennies à venir.
*1. En 1919, le Mouvement pour la Nouvelle culture appelait à l’adoption des idéaux
occidentaux, incarnés par M. Science et M. Démocratie (N.d.T.).
*2. Les communes populaires constituaient le plus haut des trois niveaux d’administration, dans
les zones rurales de juillet 1958 à 1985, remplacées par des municipalités. Elles étaient
subdivisées en brigades et équipes de production (N.d.T.).
*3. Créés à partir de 1967 lors de la Révolution culturelle, ces comités sont définis à l’art. 34 de
la Constitution du 5 mars 1978 : « Les comités révolutionnaires des provinces peuvent instituer
dans les préfectures des bureaux d’administration en tant que leurs organes représentatifs. »
(N.d.T.)
*4. Lors des manifestations du 4 mai 1919, les étudiants manifestèrent contre les clauses du
traité de Versailles concernant la Chine. Certains brandissaient des ombrelles en papier huilé
portant inscrits des slogans (N.d.T.).
*5. Le Conseil des Affaires de l’État est l’instance exécutive collégiale et l’autorité
administrative centrale de la République populaire, qui regroupe tous les ministères et leur
administration. Son Comité permanent comprend notamment le Premier ministre et les quatre
Vice-premiers ministres (N.d.T.).
*6. Dès les années 1960, et jusqu’à la fin de la Révolution culturelle en 1978, des séances de
dénonciation, ou de « lutte », visaient à réformer la pensée ou à humilier (N.d.T.).
2.

Austérité
(1979-1982)

Chen Yun, et non Deng Xiaoping, fut le personnage qui tira le meilleur
profit du troisième plénum de décembre 1978. Paradoxalement, au moment
même de son ascension, Deng était affaibli. C’était Chen qui avait rallié une
majorité en plaidant pour la réhabilitation politique des responsables du
parti maltraités pendant la Révolution culturelle.
À l’inverse de la plupart de ses collègues, Chen était vraiment issu d’un
milieu prolétaire, typographe à l’Imprimerie commerciale de Shanghai
avant de rejoindre le Parti communiste en 1924. Il avait passé deux années
en URSS et s’était spécialisé dans l’économie soviétique. Homme austère et
insipide qui ne s’attachait qu’aux chiffres, il avait élaboré le premier plan
économique du pays, avec des quotas de production détaillés pour chaque
usine. Il était aussi l’architecte d’un monopole d’État sur les céréales,
imposé à la population en novembre 1953, qui avait forcé les villageois à
vendre presque toute leur récolte à des prix fixés par l’État. Comme ces
villageois n’étaient autorisés à conserver qu’entre 13 et 16 kilogrammes de
céréales non décortiquées par mois pour leur propre consommation, dans
les faits, ils étaient soumis à un régime de famine 91.
Pourtant, Chen Yun ne tenta pas de modérer les politiques encore plus
radicales du président, qui connurent leur paroxysme avec le Grand Bond
en avant de 1958. Trois ans plus tard, afin de sortir le pays d’une famine
généralisée, il plaidait en faveur d’une économie conçue comme une « cage
à oiseau » : l’oiseau, c’était le marché, la cage, le plan centralisé. Mais
Chen se méfiait de son maître, qui le qualifiait d’« homme qui ne peut se
débarrasser de son caractère bourgeois et penche constamment vers la
droite ». En restant dans l’ombre, il s’épargna en grande partie les affres de
la Révolution culturelle 92.
Après avoir passé près de vingt ans en simple observateur, Chen Yun
était désormais déterminé à laisser sa marque. En tant que principal
architecte de l’économie planifiée, il considérait le virage précipité de Hua
Guofeng et Deng Xiaoping vers un régime d’importations étrangères avec
une profonde suspicion. Ainsi que sa fille l’expliqua plus tard : « Il vous
faut comprendre une chose : mon père hait l’Amérique 93. »
Chen Yun n’était guère le seul à nourrir des doutes sur la vitesse à
laquelle son pays s’ouvrait au camp capitaliste. D’autres vétérans du parti,
tous désireux de jouer un rôle après des années dans l’ombre, se joignirent à
lui. L’un d’eux, Bo Yibo, autre économiste puissant qui s’était montré
critique à l’égard du Grand Bond en avant, avait été libéré de son
assignation à résidence au cours du troisième plénum. Yang Shangkun, un
ancien de l’armée, natif du Sichuan, homme affable récemment libéré de
prison, le soutint aussi. Li Xiannian occupait une place encore plus
éminente, lui qui avait changé de discours et qui était venu à la rescousse de
Deng en mars 1977. Ces hommes, ainsi que plusieurs autres, qui ne
tardèrent pas à être surnommés les Huit Immortels, manœuvrèrent pour
retrouver leur place en pesant de tout leur pouvoir, dans la coulisse. Ils
possédaient une indépendance d’esprit déconcertante et se montraient
prompts à critiquer celui-là même qui avait été l’artisan de leur
réhabilitation. Deng dut s’accommoder de chacun d’eux 94.
La cote de ce dernier chuta davantage en mars 1979, le mouvement
pour la démocratie menaçant de devenir incontrôlable. Un nombre croissant
de cadres dans les rangs du parti, alarmés par les contestataires, réclamèrent
une action plus ferme. Deng, qui quelques mois auparavant avait fait l’éloge
de cette campagne, fut contraint d’opérer une complète volte-face.
L’aventure vietnamienne du premier vice-Premier ministre inspirait aussi
quelques inquiétudes, car elle avait révélé des faiblesses criantes de
l’armée.
À ce moment, Chen Yun décida d’intervenir. Le budget accusait un trou
béant, releva-t-il, après que le pays s’était lancé en 1978 dans une vague
d’acquisitions, en achetant à l’étranger des dizaines d’entreprises clefs en
main et toute une gamme de technologies avancées. Les recettes de l’État
s’élevaient à 124 milliards de yuans 95. Aux premiers mois de 1979, les
entreprises d’État s’étaient engagées dans des dizaines de milliers
d’ambitieux chantiers d’infrastructures. Les comptables dirigés par Chen
Yun passèrent à l’offensive et sonnèrent l’alarme. Ils soulignèrent que les
fonds requis pour mener tous ces chantiers à bien totalisaient plus de
100 milliards de yuans, soit six à sept fois le budget disponible. Le fuel,
l’électricité et les matières premières faisaient défaut. En outre, nombre de
ces chantiers étaient mal conçus, en d’autres termes, même après leur
achèvement, ces sites de production seraient contraints de rester à l’arrêt ou
de fonctionner au-dessous de leurs capacités 96.
Pour équilibrer les comptes, Chen Yun proposa une période d’austérité,
en réduisant les importations, en freinant les dépenses et en abaissant les
objectifs des trois années suivantes. Deng Xiaoping, qui n’était pas expert
en économie, se laissa convaincre.
Le « réajustement » (tiaozheng), l’euphémisme officiel désignant cette
nouvelle orientation, fit l’effet d’une douche froide. Deng était un homme
âgé et pressé, mais c’était également le cas de tous les autres. L’économie
était au bord de la ruine, et tous étaient désireux de rattraper le temps perdu.
Tous les secrétaires du parti visaient l’opulence, qu’ils soient responsables
d’une usine, d’une petite ville, d’une grande cité ou d’une province. Ils
avaient eux aussi dépensé sans compter depuis la mort du président, mais, à
l’inverse de la haute hiérarchie, ils n’avaient pas envie de voir leurs
chantiers locaux mis en suspens, limités ou repoussés.
Dans toute économie planifiée, une compétence demeure essentielle :
l’aptitude à subvertir le plan d’ensemble. La raison en était très simple : ce
plan ne comportait pas assez de mesures incitatives. Partout, c’était
l’apathie généralisée. Sans quelques aménagements et une adaptation à la
logique du profit, l’économie se serait autodétruite. Aucun régime
communiste, nulle part au monde, n’avait réussi à rester au pouvoir sans de
constantes transgressions de la ligne du parti. Ainsi que le relève l’historien
Robert Service, en Union soviétique, par exemple, la désobéissance était
moins le grain de sable qui enrayait la machine que le lubrifiant qui
empêchait le système de se gripper totalement 97.
Ces compétences revêtaient encore plus d’importance en plein Grand
Bond en avant, quand des objectifs supérieurs avaient été imposés aux
fermes et aux usines dans tout le pays. Pour afficher une croissance de la
production, on ajoutait du gravier dans les sacs de graines, du sable dans le
minerai de fer. La créativité en matière de comptabilité devenait essentielle,
car sur le papier, les chiffres pouvaient créer une illusion d’abondance. Ils
pouvaient aussi dissimuler des détournements de fonds. L’astuce classique
consistait à détourner l’investissement de la production vers le capital fixe,
lorsque les entités s’offraient de nouveaux bâtiments, des dancings et des
ascenseurs. L’autre stratagème courant consistait à emprunter indéfiniment
aux banques d’État, d’autant plus qu’aucune usine n’était autorisée à se
mettre en faillite. Un réseau de contacts était essentiel car des responsables
influents dans les hautes sphères du pouvoir pouvaient aider à se procurer
des fonds supplémentaires, à éluder l’impôt ou à obtenir un accès à des
ressources rares. Les pots-de-vin étaient chose courante. Paradoxalement,
l’économie planifiée, pourtant si vouée au bien commun, engendrait un
système dans lequel l’individu et son réseau personnel étaient déterminants.
Les entreprises d’État avaient une pratique fréquente, consistant à
contourner le plan et à commercer directement entre elles, en troquant du
bois de charpente contre des biscuits ou des cochons contre du ciment 98.
Les directeurs d’usines et les secrétaires du parti n’étaient pas les seuls à
se montrer très entreprenants pour concevoir des moyens de frauder l’État.
Le Grand Bond en avant était si destructeur que la survie même des gens
ordinaires finit par dépendre de leur aptitude à mentir, à enjôler, à
dissimuler, à voler, à tromper, à chaparder, à fouiller, à escamoter, à ruser, à
manipuler ou à inventer toutes sortes d’autres méthodes pour abuser l’État.
Selon la formule d’un rescapé de la Grande Famine provoquée par Mao,
« ceux qui volaient survivaient, les autres mouraient 99 ». L’opacité et la
dissimulation faisaient partie du mode de vie communiste, tant pour les
membres du parti que pour les simples citoyens.
La nouvelle direction n’avait que trop conscience du problème. Afin de
stimuler la production, en 1978, Hua Guofeng et Deng Xiaoping
transférèrent la capacité de contrôler les entreprises d’État du pouvoir
central vers les gouvernements locaux. À leur tour, ces derniers autorisèrent
leurs entreprises à conserver une part de leurs profits pour les réinvestir
dans la croissance.
Aucun d’eux n’était très favorable à une réduction des dépenses. Ils
avaient compris l’une des failles fondamentales du nouveau système : si
l’on pouvait conserver une part des profits, on avait toujours la latitude de
transférer un déficit vers la banque centrale. Ils se livraient tous à de la
surenchère, chacun défendant sa propre vision de la modernisation.
« Chacun construit son usine de voitures, son usine de tracteurs, son usine
de bicyclettes, son usine de machines à coudre, son usine d’appareils photo
et sa fabrique de montres », notait un rapport détaillé, à Beijing 100. On y
mentionnait des exemples plus spécifiques : en octobre 1979, il y avait à
peu près 1 500 distilleries au niveau du district ou au-dessus ; un an plus
tard, 12 000 autres étaient apparues 101.
L’absence de planification sur le terrain était la principale
caractéristique de l’économie planifiée. Dans le Zhejiang, une province
côtière relativement prospère, le comité provincial de planification
déplorait : « Dans beaucoup de bourgs et de villes de notre province nous
manquons de planification, nous redistribuons nos ressources, nous abattons
des bâtiments et reconstruisons de façon désordonnée. » Quelques entités
semblaient respecter la politique de réduction des dépenses, alors que les
chantiers d’infrastructures continuaient de proliférer. Toutes ces entreprises
se disputant des quantités limitées de charbon et de pétrole, un cinquième
des équipements provinciaux restaient inactifs 102. Sur le plan national,
c’étaient souvent jusqu’au tiers des nouvelles constructions qui n’étaient
pas équipées de l’électricité 103.
Alors même que Chen Yun et son entourage avaient taillé dans le
budget de l’État alloué aux grands travaux, le réduisant de 45,7 à
36 milliards de yuans en avril 1979, l’investissement des gouvernements
locaux doublait cette même année, pour dépasser 16 milliards de yuans,
puis triplait en franchissant le seuil des 25 milliards en 1980. En réalité,
ainsi que le remarquait un comptable, « l’ampleur des constructions dépasse
largement ce dernier chiffre 104 ». Un haut fonctionnaire expliquait pourquoi,
ironisant sur le fait qu’« il y a les chantiers d’infrastructure que l’on peut
voir, il y a ceux que l’on ne peut pas voir, et ensuite il y a ceux qui sont
dans l’illégalité flagrante 105 ».
De l’argent fut aussi dépensé en faveur des travailleurs. Le texte du
président Mao, « Sur les dix relations majeures », publié peu de temps après
sa mort, avait fait miroiter la promesse d’avantages matériels plus
alléchants. Hua Guofeng et Deng Xiaoping avaient avancé des promesses
similaires, en autorisant les entreprises d’État à distribuer des primes pour
stimuler la production. Des travailleurs qui, pendant la Révolution
culturelle, étaient passés maîtres dans les techniques de grève du zèle, en en
faisant le moins possible, saisirent cette opportunité pour réclamer de
meilleures conditions de travail. À Nanjing, l’ancienne capitale du Parti
nationaliste, la plupart perçurent une prime équivalant à 10 % de leur
salaire. Dans le Zhejiang, elle atteignit plus de 12 %. Et quand des
entreprises étaient à court de liquidités, elles recouraient à des avantages en
nature. À Tianjin, géant industriel tentaculaire situé dans le Nord-Est,
certaines usines distribuaient des vêtements et des tissus à chacun de leurs
ouvriers 106. Cette pratique était censée récompenser les meilleurs
travailleurs, mais comme ils obtenaient au contraire tous la même prime,
cela accrut à peine la productivité.
Tout cet argent déversé dans des infrastructures et des primes eut un
effet immédiat sur l’inflation. Dans le cadre d’une économie planifiée, tous
les prix étaient fixés par l’État et, avec le temps, demeuraient presque
inchangés, quelle que soit la disponibilité des produits. Les gens ne les
payaient pas plus cher, ils faisaient simplement la queue plus longtemps ou
repartaient les mains vides. Dans le Hubei, entre 1966 et 1978, le prix d’un
œuf, d’un savon ou d’une boîte d’allumettes n’avait guère bougé. Mais en
1979 et 1980, l’inflation atteignait respectivement 5,6 et 6 %. C’étaient les
chiffres officiels, toutefois la Hongkong and Shanghai Banking Corporation
évaluait plutôt cette inflation à un total cumulé de 37,6 % sur ces deux
années 107.
Les gouvernements locaux usèrent aussi de leurs libertés nouvelles pour
se lancer dans une concurrence effrénée sur l’importation de technologies
avancées, ce qui entraîna d’importants gâchis. À Nanjing, plus de
1,7 million de yuans fut dépensé dans des machines pour une conserverie
qui resta à l’arrêt. Certaines entreprises allèrent jusqu’à commander des
appareils d’origine étrangère avant même qu’une usine n’ait fait son
apparition, tel un « Bouddha attendant l’édification de son temple ». Même
dans la capitale, un bon tiers des 450 instruments de précision commandés
ne fut jamais utilisé. Des dizaines de scanners à haute définition prenaient la
poussière. Des experts soviétiques, sans doute peu impartiaux, estimèrent
que le coût de l’installation et de l’entretien de ces équipements de pointe
était égal à leur coût d’acquisition. Ils en concluaient ceci : « Les frais
d’acquisition à crédit de technologie étrangère dépassent les avantages pour
l’économie dans son ensemble 108. »
Surtout, les entreprises d’État, sous couvert d’opérations de commerce
extérieur, dépensaient des devises rares en achats de biens de luxe, berlines
ou téléviseurs 109. Ils empruntaient toutes sortes de canaux, de l’achat direct
à l’étranger au troc camouflé en passant par la contrebande. En mai 1980, le
Conseil des Affaires de l’État signala que plus d’un million de téléviseurs et
de calculatrices de poche avaient fait l’objet de trafics le long des côtes. Des
pêcheurs étaient les premiers suspects de ces agissements, mais il arrivait
aussi que même des écoliers en tirent profit. Dans l’une de ces affaires, une
unité de l’armée envoyait régulièrement un hélicoptère récupérer la
marchandise. À Hainan, une île subtropicale au large de la côte sud, une
entreprise employait 400 personnes vingt-quatre heures sur vingt-quatre à
ce commerce de biens de provenance étrangère 110. À Lilong, idéalement
située sur la côte du Fujian, en face de Taïwan, 20 000 personnes traitaient
tous les jours des produits de contrebande, sous des centaines de huttes en
paille, dressées temporairement pour faciliter ce commerce 111. Toute cette
activité vidait les réserves de devises étrangères du pays, déjà très limitées.
En décembre 1980, Chen Yun ne décolérait pas. Malgré l’ampleur des
coupes dans les dépenses, le déficit atteignait 17 milliards de yuans 112. Il
exigea un retour aux mesures appliquées au lendemain de la Grande
Famine, sous Mao : tailler dans le budget, revenir à une croissance zéro et
centraliser tout le pouvoir 113.
Plusieurs des Huit Immortels, notamment Li Xiannian, soutinrent la
fermeté de position de Chen Yun. Un nouveau personnage s’était aussi
rallié à sa cause, Zhao Ziyang, qui avait intégré le Politburo : nommé
Premier ministre en septembre 1980 à peine quelques mois auparavant, il
s’attaqua au danger que représentait l’inflation. Pour remédier au déficit, la
banque centrale avait mis en circulation quelque 13 milliards de yuans au
cours des dernières années, et prévoyait que ses planches à billets
débiteraient 9 milliards de plus l’année suivante. Le total, expliquait-il, était
supérieur à toute la monnaie émise entre 1949 et 1978. Le rythme de la
consommation dépassait celui de la production et, pour les résidents des
villes, ajoutait-il, « le niveau de vie réel est véritablement en chute ». Il
brandit le spectre de troubles sociaux, prédisant que si l’économie n’était
pas tenue sous contrôle, « nous ne serons pas en mesure de maintenir la
stabilité politique ». Dans toute l’Europe de l’Est, relevait encore Zhao
Ziyang, des gouvernements imprimaient de la monnaie et empruntaient à
des pays capitalistes, ce qui conduisait à une baisse du niveau de vie et à
des manifestations populaires. Dans plusieurs régions de Pologne, les
ouvriers occupaient les mines et les chantiers navals, et ils avaient conquis
le droit de former des syndicats indépendants du contrôle gouvernemental :
« C’est le désastre assuré 114. »
Zhao Ziyang, fils d’un propriétaire terrien du Henan, avait rejoint le
Parti communiste en 1938, après l’invasion japonaise. Il n’avait que dix-
neuf ans. Après la libération, il avait été recruté par Tao Zhu, un
responsable du parti au caractère impitoyable envoyé dans la province du
Guangdong en 1952 pour remplacer un dirigeant local que le président Mao
jugeait trop souple avec la population. Zhao Ziyang avait aidé son supérieur
à mener une campagne de répression impitoyable. Sous le slogan « Chaque
village saigne, chaque foyer lutte », le Guangdong avait été le théâtre de
violents passages à tabac et de mises à mort arbitraires. À certains endroits,
les suspects étaient ligotés, pendus à des poutres, enterrés jusqu’au cou et
brûlés vifs 115.
Plusieurs années après, quand il s’était avéré que, contrairement aux
chiffres prévus, le Grand Bond en avant avait entraîné une forte baisse de la
production céréalière, Zhao était venu à la rescousse du président en
prétendant, en janvier 1959, que cette faiblesse de rendement était due à des
communes qui se partageaient secrètement leur production de céréales et
l’entreposaient. Il avait lancé dans toute la province une campagne
impitoyable au cours de laquelle des villageois avaient été battus et forcés
sous la torture de révéler d’éventuelles caches de vivres 116. Pourtant,
comme d’autres dirigeants du parti, Zhao avait changé de point de vue après
le désastre de la Grande Famine. Il était resté un communiste engagé mais
avait jugé préférable d’assouplir certaines des politiques les plus rudes du
parti. Il pouvait se montrer réservé, mais, étant d’un abord facile, cela lui
valait d’être apprécié à tous les niveaux de la hiérarchie du parti.
En 1975, Zhao avait été nommé à la tête de la province la plus peuplée
du pays, le Sichuan, où il avait fermé les yeux quand des villageois
vendaient au marché noir des denrées sur lesquelles l’État conservait un
monopole, parmi lesquelles des huiles alimentaires, des céréales et de la
viande. En novembre 1979, il s’était fait l’un des principaux partisans des
Quatre Principes fondamentaux, en plaçant fermement la dictature du
prolétariat au centre des prochains travaux du parti. Il rejetait la séparation
des pouvoirs et le système démocratique du « camp capitaliste », décrivant
la République populaire de Chine comme la forme de démocratie la plus
complète jamais atteinte dans l’histoire de l’humanité 117. Son discours
concordait étroitement avec les positions de Deng Xiaoping. Quelques mois
plus tard, Deng le faisait venir à Beijing.
Grâce à l’intervention de Zhao, la politique d’austérité devint la
nouvelle orientation officielle. « Nous devons en revenir à la voie choisie en
1961 », proclama-t-il, en se référant aux 20 millions de gens qui avaient été
renvoyés des villes vers les campagnes, un moyen d’alléger la nécessité
pour l’État de les nourrir. Deng Xiaoping n’avait pas d’autre solution que
d’accepter un compromis : un objectif de croissance de 4 %. Hua Guofeng
devint un bouc émissaire commode, accusé d’avoir fortement misé sur
l’industrie lourde aux dépens de l’industrie légère 118.
Les prix furent gelés, les investissements réduits, les projets consacrés à
l’industrie lourde suspendus. On laissa en déshérence des usines en
construction, leurs équipements furent démantelés et emportés. Beijing ne
freina pas seulement les responsables locaux, mais annula aussi des contrats
avec des sociétés japonaises, ouest-allemandes et françaises, considérés
comme une ponction excessive dans des réserves de devises étrangères déjà
insuffisantes.
L’une de ces sociétés, Baoshan Iron and Steel Works, était située à
25 kilomètres de Shanghai, sur la rive sud du fleuve Yangtsé. L’acier avait
longtemps été l’ingrédient sacré du socialisme. Dur, brillant, industriel,
moderne et prolétarien, l’acier était l’étalon du progrès. L’équation était
simple : l’acier était synonyme d’industrie, l’industrie était synonyme de
richesse et de pouvoir, et davantage d’acier signifiait un surcroît de richesse
et de pouvoir. Deng en exigea plus. Le complexe de Baoshan était conçu
pour devenir l’aciérie la plus moderne du pays, utilisant les toutes dernières
technologies importées du Japon et des financements conjoints
d’Allemagne de l’Ouest et des États-Unis. Ce fut un désastre de
planification. Les berges du fleuve avaient un sol meuble, ce qui entraîna
des hausses de coûts de construction. La Chine manquant du minerai de fer
de haute qualité requis pour ces hauts-fourneaux sophistiqués, il devait être
importé d’Australie et du Brésil. Ensuite, un banc de sable à l’embouchure
du fleuve empêchait les vraquiers d’atteindre le complexe sidérurgique,
forçant les affréteurs à charger chaque cargaison de minerai sur des navires
de plus petite taille.
Les grues ne tardèrent pas à s’immobiliser. Des milliers de caisses
jamais ouvertes, remplies d’instruments de précision, débordaient des
entrepôts. Alors que la première tranche de travaux avait été inaugurée en
grande pompe en 1978, les plans de la seconde furent mis en sommeil.
Malgré une compensation financière, ce fiasco fut un grave revers pour le
Japon 119.
Pour la première fois en trente ans, en 1981, la Chine émit des emprunts
obligataires à hauteur de 12 milliards de yuans, fonds nécessaires pour
couvrir le déficit et absorber les liquidités générées par le recours excessif à
la planche à billets. L’exercice s’avéra un succès seulement partiel. Malgré
toutes les injonctions quant aux conséquences néfastes de l’inflation, la
masse monétaire continua de croître deux fois plus vite que les livraisons de
biens. Cinq milliards de yuans supplémentaires furent injectés dans
l’économie 120.

*
* *
Il fallait donc augmenter la production de biens, mais ce n’était pas une
tâche facile. Dans une économie dirigée, le plan remplaçait le marché.
L’État centralisait toutes les décisions économiques majeures pour le bien
commun, déterminant ce qui devait être produit, qui produisait quoi,
comment les ressources devaient être distribuées et quels prix fixer pour les
matériaux, les biens et les services. Dans ce système, l’argent était passif, ne
faisant que suivre le flux des produits planifiés. Mais la Chine n’avait pas
une économie planifiée. Un plan ne requérait pas seulement une vision de
l’avenir. Il nécessitait l’apport massif de statisticiens, puisque c’étaient eux,
et pas le marché, qui décidaient combien de chaussures en caoutchouc, de
rideaux en polyester ou de selles de bicyclettes étaient nécessaires.
Conséquence de la Révolution culturelle, il restait très peu de statisticiens
en état d’exercer. Le Bureau des statistiques signifia le problème dans un
langage clair : « Quand les statistiques ne sont pas exactes, cela a des
conséquences sur la manière dont nos dirigeants interprètent la réalité. » Au
plus fort de la Révolution culturelle, le bureau lui-même ne disposait que de
200 comptables. En 1983, il ne réunissait que 16 000 employés, comparés
aux 220 000 de l’Union soviétique 121.
Le système se heurtant à diverses obstructions à tous les niveaux, même
avec des chiffres exacts, une économie dirigée ne pouvait fonctionner. Les
directeurs d’usine tentaient de contourner le plan, ce qui eut pour effet
d’engendrer une seconde économie parallèle, autrement dit un marché noir,
dont la taille ne fit que grandir après que les usines furent autorisées à
conserver une part de leurs profits, en 1978. Elles envoyaient des courtiers
acheter des matières premières, en renchérissant sur les prix nominaux fixés
par l’État, ce qui eut ensuite pour effet de provoquer des problèmes
d’approvisionnements au niveau national.
Un autre problème se présenta. Les entreprises d’État ne savaient pas
comment fabriquer un produit de qualité, en fixer le prix ou le vendre. Leur
performance se fondait uniquement sur un objectif de production, qu’il soit
atteint ou dépassé. Que les biens qu’ils produisaient trouvent ou non un
acheteur n’était pas leur affaire, puisque cela relevait de la compétence des
magasins de détail étatiques et des entreprises commerciales d’État. En
1982, ainsi que l’indiquait le Conseil des Affaires de l’État, il régnait à tous
les niveaux « une production aveugle, un développement aveugle et des
marchés publics aveugles », alors que des invendus s’accumulaient dans des
entrepôts aux quatre coins du pays pour une valeur estimée officiellement à
35 milliards de yuans, représentant plus de 10 % du capital circulant.
Paradoxalement, ce pays où la pauvreté était omniprésente produisait plus
de machines à coudre, de bicyclettes et de montres que les gens ne
pouvaient en acheter. À Nanjing, 17,5 % des biens produits localement
n’étaient jamais vendus 122.
Le régime souhaitait vivement exporter davantage afin de financer des
importations croissantes, et les entreprises d’État furent soumises à des
pressions considérables pour les inciter à explorer les marchés étrangers. En
1979, ayant conclu que le capitalisme était en déclin et que la situation
internationale était mûre pour cet accroissement des exportations, le
ministère du Commerce extérieur ordonna que « tous les départements de la
finance, de la banque et de la fourniture de matières premières donnent le
feu vert afin d’augmenter les exportations 123 ». Toutefois, réaliser des
profits en dollars était plus facile à dire qu’à faire. Les directeurs d’usines,
habitués à un marché captif plutôt que concurrentiel, regimbaient quand ils
étaient amenés à vendre le même produit moins cher. Les entreprises
commerciales chargées du commerce extérieur devaient les dédommager,
alors que l’État était pour sa part contraint d’accorder des prêts à taux
préférentiel et des réductions d’impôts, afin de rendre les exportations plus
attractives.
En 1979, le taux de change officiel était de 1,53 yuan pour un dollar,
mais les biens d’exportation coûtaient en moyenne 2,54 yuans à produire
pour chaque dollar de marchandise vendue. Donc, pour chaque dollar
gagné, la Chine perdait à peu près un yuan. En d’autres termes, les prix des
biens étaient fixés plus haut sur le marché intérieur que sur les marchés
d’exportation. Ainsi que l’admettait le ministère, « plus nous exportons,
plus nous perdons, car c’est un taux de change qui est extrêmement
défavorable quand il s’agit de promouvoir les exportations et de restreindre
les importations ». Pour traiter ce problème, la monnaie fut dévaluée, à
2,80 yuans contre un dollar, un taux atteint en ajoutant ce que l’État jugeait
un « profit raisonnable » de 10 %, ou 0,26 yuans, au coût moyen de
production 124. En conséquence, la marge bénéficiaire ne dépendait pas de
l’offre et de la demande, mais d’une fourchette nominale déterminée par
l’État.
Ce mode de conversion qui fut qualifié de nouveau taux de change
intérieur entra en vigueur en janvier 1981. Il avait suffi d’appuyer sur un
bouton pour que 80 % des exportations ne subissent plus de pertes. Ce
n’était évidemment qu’un simple jeu d’écritures comptables, qui
renchérissait désormais les importations et qu’il fallait subventionner.
Le taux de change intérieur fut tenu secret. Après tout, le commerce
extérieur était régulièrement décrit comme le premier front d’une « lutte de
classes » intense avec le « camp capitaliste ». « Cette décision ne peut pas
être rendue publique, expliquait le Conseil des Affaires de l’État, car cela
reviendrait à reconnaître que notre pays a deux monnaies 125. » Ce dispositif
ne s’appliquait qu’au commerce extérieur, pas aux autres transactions
extérieures, notamment les transferts de fonds de l’étranger, le tourisme, les
investissements étrangers et les dépenses des légations diplomatiques, qui
continuaient d’appliquer le taux officiel de 1,50 yuan contre un dollar. Il
était difficile de dire si le taux intérieur sous-évaluait ou surévaluait le yuan,
car en l’absence de marché, personne n’était capable de déterminer le
niveau de profit réel. Les entreprises et les institutions gouvernementales
exploitaient sans merci ce double système de taux de change : d’habiles
teneurs de comptes convertissaient dans leurs livres une écriture comptable
au premier taux en une autre plus profitable, où ils appliquaient le
second 126.
Le taux de change intérieur était adapté à la politique de réduction des
dépenses, qui visait à brider la capacité des gouvernements locaux à utiliser
des devises étrangères pour importer des produits de luxe. Pourtant, cette
politique n’eut pas l’effet escompté, car après 1978 les pouvoirs locaux
pouvaient aussi retenir une part de profit sur le commerce extérieur. Pour
transférer leur part de devises étrangères à d’autres entreprises d’État, par
exemple pour acheter davantage de matières premières afin de réaliser plus
d’exportations, ils devaient passer par un système de commerce officiel qui
appliquait le taux officiel de 1,50 yuan contre un dollar. En conséquence,
les entreprises d’État disposant de dollars jugeaient plus rentable
d’importer, légalement ou non, des biens peu répandus sur le marché
intérieur. Jusqu’à la fin 1982, les réserves en devises étrangères
continuèrent de s’amenuiser, alors que le déficit commercial se creusait 127.

*
* *
Si l’économie se développait, elle le faisait malgré la main lourde de
l’État et les renversements brutaux de politique élaborés depuis le sommet.
La croissance véritable se produisait dans les campagnes, loin du regard
inquisiteur et intraitable des organes officiels de surveillance.
Les gens n’attendaient pas passivement une invitation d’en haut pour
tenter de se sortir de la pauvreté. En particulier dans les campagnes, si le
Grand Bond en avant avait réduit à néant la crédibilité du parti, le tumulte
de la Révolution culturelle avait ébranlé son organisation. Avant même la
mort de Mao, des villageois de nombreuses régions rurales avaient cherché
à reprendre le contrôle de la terre et à échapper à la tutelle de l’État. Dans
certains cas, des responsables locaux prenaient l’initiative et redistribuaient
discrètement la terre aux fermiers. Dans d’autres, ils se contentaient de
fermer les yeux, épuisés par vingt années de frénésie révolutionnaire.
Parfois, on concluait un accord, dans le cadre duquel les villageois
préservaient la fiction de la propriété collective en remettant un pourcentage
de leurs récoltes aux dirigeants locaux qui devaient livrer des céréales à
l’État 128.
C’était une révolution silencieuse qui se déployait partout dans le pays,
malgré quelques variantes selon les régions. Dans la province du Shaanxi,
en 1976, des millions de Chinois connurent la faim, des bandes de
mendiants écumant les campagnes, mangeant parfois de la boue ou l’écorce
des arbres pour survivre. Ils furent des milliers à mourir de faim. Certains
cadres du parti prenaient cela avec indifférence, mais d’autres préféraient
distribuer de la terre et accorder à leurs villageois une chance de survivre
par leurs propres moyens, plutôt que de les regarder mourir de faim ou
voler des céréales qu’ils allaient ramasser en plein champ. À Luonan, à
quelques heures de la capitale provinciale, Xi’an, les avoirs collectifs de
l’entièreté des communes populaires furent partagés, les dirigeants locaux
confiant de nouveau la responsabilité de la culture des terres à des familles.
Beaucoup d’entre elles abandonnèrent la monoculture imposée par un État
désireux de vendre ses céréales sur le marché international, et cultivaient à
la place d’autres produits agricoles très demandés sur le marché noir 129.
La nécessité est mère de toute invention, dit-on, et l’esprit d’entreprise
se développait aussi dans des régions moins déshéritées, et nulle part autant
que dans la province subtropicale du Guangdong. Sur les marchés ruraux,
les villageois pratiquaient un commerce florissant de presque toutes les
denrées de bases sur lesquelles le gouvernement maintenait un monopole :
céréales, viande, coton, soie, thé et tabac, et arachides, notamment 130.
Après la mort de Mao, ces méthodes se répandirent. Pendant des
dizaines d’années, l’État avait payé aussi peu cher que possible des
livraisons obligatoires de toutes les denrées alimentaires essentielles. Une
étude détaillée de 3 000 unités d’exploitation montrait qu’en 1978 les prix
des approvisionnements étatiques de riz, d’orge et de maïs chutèrent
d’environ 20 % en dessous des coûts de production. Les villageois réagirent
en consommant eux-mêmes ces céréales, en les revendant au marché noir
ou en s’orientant au contraire vers des cultures plus rentables. Les livraisons
déclinèrent. Le Conseil des Affaires de l’État estimait ses pertes à
5 milliards de yuans en 1976 et à 4,8 milliards de yuans en 1977. En 1979,
dans plusieurs provinces agricoles, dont le Hunan et le Henan, grandes
productrices de riz et d’orge ainsi que de millet, de sorgho et de maïs, à peu
près 70 % de toutes les réserves de céréales étaient consommées, échangées
ou vendues sur le marché noir 131.
Pour combler ce manque, le pays dut acheter jusqu’à 12 millions de
tonnes d’orge au Canada et à l’Australie. En 1979, le régime fut aussi forcé
d’augmenter les prix qu’il payait aux fermiers pour leurs livraisons de
céréales. Ces récoltes pouvant être vendues directement sur le marché 30 %
au-dessus des prix officiels des marchés publics, l’État n’avait pas d’autre
choix que d’accepter la solution d’une hausse de 20 %. Les quotas de
ventes obligatoires diminuèrent aussi drastiquement, ce qui signifiait que
l’État était tenu de payer davantage pour obtenir des livraisons
supplémentaires. Le même principe s’appliquait à plus d’une dizaine
d’autres produits de première importance, parmi lesquels le coton, le sucre,
les huiles alimentaires, le porc, le bœuf et le poisson. En 1980, les prix de la
peau de mouton, du jute et du bois de charpente furent aussi augmentés 132.
Cette situation entraînait une énorme augmentation des coûts pour
l’État, de nature à inverser les flux financiers. Pendant trente ans,
l’agriculture avait subventionné l’industrie, car la population rurale avait été
contrainte de vendre sa production à des prix artificiellement bas tout en
étant tenue d’acheter les outils, le carburant et les engrais à des tarifs en
forte hausse. À présent, les campagnes faisaient payer les villes.
Les barèmes pratiqués pour les passations de marchés publics
augmentèrent, pourtant les prix restèrent à peu près inchangés, car le coût
supplémentaire ne pouvait être répercuté sur les consommateurs urbains. En
1979, l’État dut dépenser quelque 8 milliards de yuans pour combler la
différence, le ministère du Commerce déboursant par exemple plus de
2 milliards rien que pour ses achats de viande et d’œufs. « Réfléchissez à
cette question une minute, relevait le ministère, un montant aussi énorme
doit être subventionné, mais comment pourrions-nous nous le permettre ? »
Qui plus est, beaucoup d’acteurs de ce marché spéculaient. « Certains
d’entre eux vendent de la viande et des œufs à l’État, ensuite ils les lui
rachètent et les lui revendent à nouveau. » Tout un secteur s’ouvrait à un
commerce lucratif, car les prix variaient selon les régions. Selon une
estimation, en 1982, les subsides s’élevaient à 30 milliards de yuans, soit un
tiers du budget 133.
Ces subsides étaient conçus pour consolider le réseau des fermes
collectives davantage que pour le saper. Tout comme l’État espérait
renforcer ses entreprises urbaines en leur permettant de conserver une part
de leurs profits, en 1978, le gouvernement passa avec les communes
moribondes un système de contrats, les encourageant à produire davantage
en les autorisant à garder toute leur production et à en disposer, après
qu’elles auraient rempli les quotas des ventes obligatoires sur les marchés
publics. L’équipe dirigeante du pays interdisait expressément la division des
terres ou la dévolution de la responsabilité de la production agricole à des
foyers individuels. Or les fermiers avaient un appétit de terre insatiable. Les
communes populaires transféraient les contrats aux villages, qui à leur tour
confiaient aux familles la responsabilité de la production. C’était une forme
de privatisation qui ne disait pas son nom.
Pendant trois ans, l’État mena une bataille perdue d’avance contre la
décollectivisation. Le troisième plénum de décembre 1978 déclara
explicitement : « Nous n’autorisons pas les fermes familiales, nous
n’autorisons pas la division des terres et nous n’autorisons pas des individus
à travailler pour leur propre compte 134. » Des restrictions similaires furent
annoncées à plusieurs reprises. En mars 1980, on accepta une concession,
quand Yao Yilin, directeur général de la Commission nationale du
développement et de la réforme, suggéra qu’il faudrait tolérer les
exploitations familiales dans les régions pauvres et faiblement peuplées où
les communes étaient encore sous-développées. « Je suis d’accord avec Yao
Yilin, déclara Deng Xiaoping. Rien n’empêcherait de déléguer certains
métiers aux brigades de travailleurs, et d’autres à des individus. N’ayons
pas peur de cette solution, cela ne risque guère d’influencer la nature de
notre système socialiste 135. »
Plus tard cette année-là, en novembre 1980, l’équipe au pouvoir
proclama d’une voix forte :

L’économie collective est le fondement inébranlable de


l’agriculture de notre pays, qui va de l’avant. Sa supériorité ne
peut être remise en cause par le secteur privé, et ceci a été
démontré par l’histoire des vingt dernières années de notre
développement agricole.

Une campagne nationale contre la décollectivisation fut lancée, et les


dirigeants tonnèrent contre l’exploitation agricole familiale : « C’est du
même ordre que de diviser les terres et de laisser les gens travailler pour
leur propre compte, nous ne le permettrons pas 136. »
La campagne tourna court. Ainsi que le reconnut le ministère de
l’Agriculture en janvier 1981, 78 % des foyers de la province du Guizhou,
56 % de ceux du Gansu, 51 % de ceux d’Anhui et 30 % de ceux du
Guangdong étaient responsables des labours, prenaient toutes les décisions
quant à ce qu’il fallait cultiver, la manière de faire pousser les plantes et
d’écouler la production. Dans certains endroits, chaque famille opérait en
toute indépendance, « car l’économie collective avait disparu, notait le
ministère. Ces chiffres constituent une estimation basse, car ils ne cessent
de grossir constamment 137 ».
Une étude détaillée d’une autre province, celle du Zhejiang, révélait
pourquoi l’agriculture privée croissait inexorablement : « La production des
fermes collectives n’a plus augmenté depuis longtemps et les profits que
perçoivent leurs membres sont très limités. » Un fermier le formulait de
manière plus succincte : « Les fermes collectives ne sont pas viables, nous
n’avons pas d’autre solution que de diviser la terre en parcelles et la cultiver
nous-mêmes. » Plus au nord, dans la région très pauvre du Hebei, où la
malnutrition et la faim restaient encore des maux courants, des villageois se
montraient plus tranchés : « Le système collectif n’a rien de supérieur 138. »
À l’hiver 1982, les communes populaires furent officiellement
dissoutes, dissolution qui marquait la fin d’une ère. Au cours de cette
grande transformation, ce furent les villageois qui occupèrent le devant de
la scène, des millions et des millions de gens ordinaires réussissant à
déjouer les plans de l’État. Pendant des décennies, leur niveau de vie avait
stagné. En 1982, leur revenu avait doublé, alors qu’ils s’arrachaient à la
pauvreté par leurs propres moyens. Un observateur perspicace, à
l’ambassade d’Allemagne de l’Est, remarquait à l’époque : « En somme, les
documents annuels sur l’agriculture ratifiés par le gouvernement central ne
font que fixer par écrit ce qui a déjà été accompli à travers un processus
spontané au niveau des villages. » La sociologue Kate Zhou formula plus
tard la chose un peu différemment :

Quand le gouvernement a assoupli les règles, il l’a fait seulement


parce qu’il reconnaissait le fait qu’une multitude de fermiers, en
dehors de toute organisation collective, les avait déjà vidées de
leur sens 139.

*
* *
La population rurale gagna ainsi la liberté de cultiver la terre comme
elle l’entendait mais sans la posséder. À aucun moment l’État n’envisagea
de renoncer aux fondements du marxisme, c’est-à-dire à la propriété
collective des moyens de production. Après la disparition des communes,
minées par le bas, chaque famille put accéder à un bail agricole sur la terre,
renouvelable tous les quinze ans.
L’État déniait une autre liberté fondamentale, la liberté de mouvement.
En 1955, Zhou Enlai avait introduit un dispositif d’enregistrement des
familles installées à la campagne, à peu près l’équivalent du passeport
intérieur institué plusieurs décennies auparavant en Union soviétique. Cette
contrainte administrative liait les villageois à la terre, en garantissant la
disponibilité d’une main-d’œuvre bon marché aux fermes collectives. Cela
divisait aussi le pays en deux mondes séparés, en rangeant les individus soit
dans la catégorie des « citadins » (shimin), soit dans celle des « paysans »
(nongmin). Les enfants héritaient de leur statut par leur mère, par
conséquent même si une villageoise se mariait à la ville, ses enfants
restaient des « paysans ». Les « paysans » étaient traités comme une caste
héréditaire privée des privilèges que l’État accordait à ses employés,
autrement dit à des citadins, qu’il s’agisse des logements subventionnés, des
rations alimentaires, de l’accès aux soins de santé, à l’éducation et aux
allocations de handicap 140.
Redoutant toujours l’instabilité sociale, le régime confinait la plus
grande partie de la « populace » dans les campagnes, dont une centaine de
millions d’individus sans emploi ou sous-employés, soit, selon les
estimations, un tiers de la population rurale totale, payés par les communes
à ne rien faire, ou qui travaillaient épisodiquement dans les champs 141.
L’un des moyens d’absorber cette main-d’œuvre excédentaire, ou
« surtravail », terme d’économie marxiste employé par le régime, consistait
à restreindre l’investissement rural. Même après trente ans de propagande
mettant l’accent sur la « mécanisation des campagnes », illustrée par toute
une iconographie socialiste montrant des jeunes filles conduisant fièrement
des tracteurs dans les champs, il existait peu de machines. Un peu à l’aune
de l’Angleterre des années 1840, c’était un pays qui avait la sueur pour
combustible et le muscle pour source d’énergie. Le désinvestissement rural
reprit en décembre 1978, lorsque le troisième plénum annonça que « les
paysans ne devaient compter que sur leurs propres forces ». Dans le Gansu,
l’une des provinces les plus pauvres du pays où des collines pelées
descendaient en pente douce vers d’immenses déserts, l’investissement
agricole fut divisé de moitié en 1980, et de nouveau de moitié l’année
suivante, se réduisant en 1983 à un maigre 22 % par rapport à son niveau de
1979. Des coupes similaires furent imposées ailleurs. Wan Li, un haut
fonctionnaire responsable du secteur agricole, déclarait en 1981 : « Il n’y a
pas d’argent pour l’agriculture 142. »
Le régime évitait aussi délibérément d’en verser au secteur éducatif.
Depuis 1949, les dirigeants avaient davantage investi dans les
infrastructures que dans les individus. Les fonds affluaient vers des
chantiers de prestige – salles de concert, musées, stades, villes nouvelles
entières –, mais l’éducation dans les campagnes était négligée. Qu’ils
travaillent dans la capitale ou dans un chef-lieu de comté reculé de l’arrière-
pays, les fonctionnaires responsables n’étaient pas tenus de rendre des
comptes à ceux qui étaient plus bas dans l’échelle sociale, mais uniquement
à leurs chefs, situés au-dessus d’eux. Des signes de pouvoir imposants,
frappants, tangibles demeuraient un moyen sûr de cultiver l’illusion d’une
gouvernance efficace. C’était particulièrement vrai dans les zones rurales,
où les gens étaient traités comme de simples sujets, source de main-d’œuvre
bon marché à exploiter pour le profit de l’État. Quand l’équipe dirigeante se
réunit en mai 1981 pour débattre des objectifs éducatifs à long terme, les
hiérarques avaient pleinement conscience de l’étendue de l’illettrisme dans
le pays. Dans la ville-district de Tongxiang, province du Zhejiang, l’un des
endroits les plus riches de cette façade côtière, 70 % des jeunes étaient
incapables de lire de simples caractères. Ainsi que le soulignait Hu
Yaobang, « nous n’avons jamais eu l’enseignement primaire universel », en
ajoutant que « nous avons échoué à atteindre cet objectif au cours des trente
dernières années ». Mais l’État ne pouvait endosser la lourde charge de
payer cette éducation, se défendait-il. L’économie conservait la primauté.
« Que les gens s’occupent eux-mêmes de leurs affaires, conseillait-il,
laissons-les recruter des enseignants et construire des écoles 143. »
La méthode la plus utilisée pour absorber ce chômage consistait à
encourager les villageois à travailler dans les entreprises collectives,
introduites avec les communes populaires au plus fort du Grand Bond en
avant. Dans la quête d’une société communiste d’abondance pour tous, les
paysans étaient censés transformer simultanément l’agriculture et
l’industrie, ce que la propagande appelait « marcher sur ses deux jambes ».
La plupart de ces entreprises opéraient à petite échelle, en appliquant des
techniques obsolètes. Leur but était de renforcer l’autosuffisance de
l’économie, en utilisant des matières premières d’origine locale pour
répondre aux demandes des membres des communes. Elles moulaient de la
farine, pressaient de l’huile, réparaient des outils et transformaient le
charbon ou la chaux. Elles fabriquaient des tuiles, des briques et des
engrais, mais aussi des objets artisanaux, nattes en paille tressée, paniers en
osier ou coton égrené 144.
Le Grand Bond en avant fut un désastre, mais la notion d’autosuffisance
se développa pendant la Révolution culturelle, en proposant une logique
commode permettant de laisser les gens s’organiser par eux-mêmes. Le
village de Dazhai, entouré de ravins creusés par des lits de ruisseaux à sec
et de collines escarpées dans une partie isolée du Shanxi, devint un modèle
susceptible d’être reproduit dans tout le pays. Ses habitants avaient puisé
dans leur force de volonté pure et simple pour se sortir de la pauvreté, en
refusant tous les subsides étatiques. Le village pouvait s’enorgueillir d’avoir
des champs en terrasses à flanc de coteau, des aqueducs traversant les
vallées pour y apporter de l’eau, des noisetiers et des mûriers, des vergers et
des porcheries, mais aussi une fabrique de nouilles de haricots, un atelier de
réparation de machines agricoles et d’autres entreprises collectives. Dazhai
était évidemment une supercherie, ses villageois modèles n’étaient que des
acteurs obligés de jouer bien à contrecœur une pièce de théâtre écrite par le
président, et ils n’obtenaient leurs récoltes miracles qu’en empruntant des
céréales à d’autres villages. Pourtant, les autorités vantèrent sa réussite par
voie d’affiches, d’articles de journaux, d’annonces à la radio et de films de
propagande, tant l’état d’esprit d’autosuffisance était encouragé dans toutes
les communes populaires 145.
Non contents de discrètement mettre à profit le chaos de la Révolution
culturelle pour récupérer la terre, les fermiers se servirent de la politique de
l’autosuffisance pour ouvrir des fabriques locales et des entreprises de
village. Celles-ci étaient censées être des propriétés collectives, mais un bon
nombre de ces fermiers utilisaient cette appellation d’entreprise collective
pour gérer leur affaire selon des méthodes entièrement privées. Tout le long
de la côte, des usines clandestines investissaient leurs gains dans l’achat de
céréales et de viandes sur le marché noir, ainsi que de biens importés que
l’économie planifiée ne réussissait pas à fournir, de l’huile de poisson à
l’aspirine. Elles envoyaient des courtiers concurrencer le secteur d’État
dans l’acquisition des maigres ressources nécessaires à la marche de leurs
activités, en achetant du charbon, de l’acier et du fer. Avant même le décès
du président Mao, l’industrie était devenue dominante dans certaines
régions de la campagne. À Chuansha, un comté en périphérie de Shanghai
où la population locale était requise par l’État de faire pousser du coton, la
part industrielle de la production totale augmenta de 54 % en 1970 à 74 %
cinq ans plus tard 146.
Pour aider les communes à rattraper leur retard à la suite de la décennie
perdue de la Révolution culturelle, après 1978, leurs entreprises furent
exemptées d’impôts pendant trois ans 147. Qu’elles soient ou non
officiellement « propriétés du peuple », elles prospérèrent encore
davantage. Dans la province du Jiangsu, les chefs de trois comtés assez
proches de Shanghai pour être accessibles à bicyclette refusèrent de
superviser les activités économiques des citoyens placés sous leur autorité,
en leur permettant de gagner leur vie par leurs propres moyens. Nombre de
ces villageois passèrent d’un métier unique à l’exercice de plusieurs
professions simultanément, pêche et commerce, avec le labour des champs
dans la soirée. En 1983, l’industrie représentait 80 % de leur production 148.
Un scénario similaire se reproduisit sur toute la côte, et principalement
dans la province du Guangdong. Une équipe d’observateurs envoyés de
Shanghai pour étudier le reste du pays fut stupéfaite de ses découvertes.
Dans le delta de la Rivière des Perles, les gens s’écartaient de la
production de céréales requise par l’État. À Dongguan, où la terre trop
sèche livrait de pitoyables récoltes, ils se lancèrent dans des occupations
plus profitables et furent nombreux à se spécialiser dans le transport privé,
en assurant les liaisons entre quantité de villages de la province. À Shunde,
traversée par des canaux, avec ses maisons sur pilotis perchées au-dessus
des voies d’eau, la taille des rizières fut réduite de moitié, la population se
tournant plutôt vers l’élevage de poissons. L’un de ces villages utilisait des
véhicules privés, interdits par l’État, pour transporter le poisson vivant
jusqu’au marché, dix voitures assurant l’acheminement des denrées jusqu’à
la capitale provinciale. Au cours des premières années de la Révolution
culturelle, la population de Guangzhou, une oasis au milieu d’un réseau
fluvial très étendu, était forcée de faire la queue des heures pour avoir très
épisodiquement accès à des lots de poissons morts. À présent, les gens
pouvaient acheter des produits vivants, et à des prix qui baissèrent de 40 %
entre 1979 et 1983. Chaque jour, une armée de colporteurs, certains à moto,
livrait plus de mille tonnes de légumes dans tous les quartiers de la ville 149.
À Shunde, les villageois s’attelèrent à l’horticulture et le dixième de
leurs champs se couvrit de fleurs, leurs produits se vendant même à
Hong Kong. La demande était telle qu’ils embauchaient quelquefois des
journaliers, une pratique que Beijing taxait de « capitaliste ». C’était
notamment le cas d’un village où 2 000 habitants s’étaient regroupés, en
1982, pour monter une fabrique de canapés, et vendaient leurs meubles à la
nation entière. Les auteurs du rapport concluaient en ces termes : « La
province suit le marché 150. » Le premier secrétaire de Guangdong, Ren
Zhongyi, était un dirigeant éclairé avide de changement. À l’inverse de
Zhao Ziyang, c’était un adepte convaincu du principe de la séparation des
pouvoirs, mais il avait la sagesse de garder ses opinions pour lui 151.
L’expansion complètement inattendue de ces entreprises villageoises eut
des conséquences involontaires. Les cultivateurs soustrayaient à l’État une
part encore plus importante de leur récolte, malgré des prix de marchés
publics en hausse. Ils jugeaient plus rentable de transformer leurs produits
dans leurs propres entreprises locales, en dépit de leur taille modeste, que
de les vendre en ville. De ce fait, il y avait moins de matières premières
disponibles pour l’industrie lourde, y compris pour des usines aux
équipements neufs et importés à grands frais. En 1975, les filatures de coton
de Shanghai consommaient 125 000 tonnes de coton. Quatre ans plus tard,
les livraisons avaient diminué à moins de 50 000 tonnes, une dégringolade
de 60 %. En 1979, les importations de coton doublèrent, puis de nouveau en
1980. Le déclin des approvisionnements étatiques de tabac atteignait 24 %.
Les livraisons de toute une gamme d’autres matières premières, comme le
cuir, l’huile d’abrasin ou la résine de pin (la colophane) subirent aussi une
chute spectaculaire 152.
Le pouvoir réagit par une politique d’austérité, en bridant la demande et
en taillant dans les importations. Cependant, c’était une politique
extrêmement difficile à appliquer aux campagnes. Après le démantèlement
des communes populaires, à l’été 1982, le système de l’économie planifiée
que dirigeaient Chen Yun et ses affiliés s’avérait incapable de maîtriser
l’orientation que prenait l’économie rurale 153.

*
* *
Le contrôle des naissances fut un aspect important de ces efforts
d’austérité, et il se prolongea pendant plusieurs décennies. Comme dans la
plupart des autres domaines, l’impulsion de tout planifier depuis le centre
venait du président et les bébés n’y faisaient pas exception. En 1957, déjà,
Mao se demandait si son pays ne comptait pas trop d’habitants.

Il vaudrait mieux avoir moins de naissances. La reproduction


doit être planifiée. À mon avis, l’humanité est complètement
incapable de se gérer. Nous avons des programmes de
production dans nos usines, pour la production de vêtements, de
tables et de chaises, et d’acier, mais aucun programme pour la
production des humains.

Plusieurs années après, il revint à maintes reprises sur cette même idée,
ce qui conduisit en 1964 à l’instauration d’une Commission de planification
des naissances. En 1970, cette instance lança une campagne à grande
échelle, des équipes de propagande portant partout la sage parole du
président : « L’humanité doit se contrôler et parvenir à une augmentation
planifiée de sa population. » Dans beaucoup de villages, des employés de
l’État tenaient des dossiers détaillés sur les femmes en âge de procréer et
harcelaient celles qui avaient plus de deux enfants. La stérilisation des
femmes et l’avortement obligatoire devinrent des pratiques courantes,
quand bien même les modalités variaient énormément selon les régions.
Dans la seule province du Shandong, en 1971, on pratiqua bien plus d’un
million d’avortements. Pour la nation entière, soit environ 990 millions
d’habitants, de 1971 à 1976, c’était en moyenne 5 millions d’avortements
par an 154.
Sous Hua Guofeng, ces chiffres s’envolèrent. À Tianjin, en 1978,
l’avortement était chose courante, avec 70 000 grossesses écourtées et
108 000 naissances, soit un taux de plus de 40 % d’interruptions de
grossesse chez les femmes âgées de quatorze à cinquante-cinq ans. Les
familles qui ne se conformaient pas à cette obligation voyaient leur eau
coupée, leurs bicyclettes confisquées ou leurs salaires réduits de 10 %. Dans
les campagnes, les quotas furent aussi strictement appliqués 155.
En janvier 1981, des mesures plus drastiques furent adoptées. Chen
Yun, l’architecte de l’austérité, s’inquiétait des importations croissantes de
céréales. En septembre 1980, lors d’une réunion du Politburo, il formula
une mise en garde : « Un milliard d’individus ont besoin de se nourrir, mais
ils ne peuvent pas non plus trop manger, sans quoi tout sera dévoré. Nous
devons épargner de l’argent pour les infrastructures 156. » En 1957, un an
avant le Grand Bond en avant, Chen avait avancé des arguments
similaires 157. C’était un véritable précis d’économie marxiste, l’État forçant
la population à réduire sa consommation de sorte que ses économies
puissent être investies pour le bien commun. Deng Xiaoping et d’autres
acquiescèrent. Leur décision trouva une justification commode dans les
écrits d’un certain Son Jiang, un scientifique, d’abord spécialiste des fusées,
puis devenu démographe, qui prévoyait un scénario apocalyptique : la
population de la Chine était « une bombe à retardement qui attendait
d’exploser » et des centaines de millions de paysans allaient « noyer les
villes » dans un avenir assez proche 158. La croissance zéro devenait
impérative, dès que possible. Sa pseudo-science avançait un raisonnement
en apparence objectif en faveur de la politique de contrôle des naissances la
plus draconienne que le monde ait jamais vue 159.
Des responsables du parti reçurent ordre de s’assurer que les couples
n’engendrent pas plus d’un enfant, ou à la rigueur deux dans les cas où le
premier-né était une fille. Cette politique variait en fonction des situations
locales, mais dans des provinces populeuses comme le Jiangsu et le
Sichuan, elle était appliquée de façon stricte. La coercition était
omniprésente, les mauvais traitements fréquents. À l’été 1981, dans l’est du
Guangdong, des milliers de femmes furent contraintes d’avorter, et
certaines des victimes de cette obligation étaient enceintes de huit mois.
Dans une commune, 316 grossesses sur 325 furent jugées indésirables par
les exécuteurs de cette politique, qui fut stoppée 160.
Des règles encore plus intransigeantes furent introduites en 1982,
ciblant non plus seulement les adultes, mais aussi les enfants nés sans
autorisation étatique, qui ne pouvaient plus être enregistrés dans le système
d’inscription des foyers ce qui, dans les faits, les rendait inéligibles à tous
les droits de la citoyenneté 161. Les gens résistèrent. Dans les campagnes, ils
tentèrent de cacher des femmes enceintes, bloquèrent quelquefois l’accès à
leur village, s’attaquèrent parfois à des représentants de l’État. Zhao Ziyang
intervint pour défendre sa politique. « Certains cadres du parti se font
frapper et insulter, mais ils mènent à bien une grande mission pour le peuple
et pour le pays 162. » Ces chiffres culminèrent sans doute en 1983, quand
14,4 millions d’avortements furent pratiqués, ainsi que plus de 20,7 millions
de stérilisations et 17,8 millions de poses de dispositifs de contraception
intra-utérins 163.
Cette politique fut affinée au cours des années suivantes, et on passa de
la coercition caractérisée à des moyens de persuasion plus subtils. Il en
existait des quantités, notamment dans les villes où l’État contrôlait les
emplois, le logement, l’éducation et les soins de santé. Pendant les
décennies suivantes, chaque étape de la vie serait déterminée par la
conformité à cette politique de contrôle de la natalité, qu’il s’agisse d’une
promotion professionnelle ou de l’accès à l’hôpital. Dans les faits, ce
contrôle des naissances équivalait à un contrôle efficace des existences.
3.

Réforme
(1982-1984)

La politique d’austérité s’acheva officiellement en septembre 1982 avec


le Douzième Congrès du Parti. Il restait une tâche à accomplir avant que la
« modernisation socialiste » puisse s’accélérer et que le pays s’ouvre
davantage au monde extérieur. Ainsi que l’expliqua Deng Xiaoping dans
son discours d’ouverture du congrès, il était essentiel de résister à « des
idées décadentes venues de l’étranger ». « Nous ne devons jamais permettre
au mode de vie bourgeois de se propager dans notre pays », continuait-il 164.
Quelques mois plus tôt, s’exprimant lors d’une réunion des chefs militaires,
il avait fait part de ses préoccupations concernant « toutes sortes de choses,
capitalistes et corrompues, venues de l’étranger » qui parvenaient à entrer
dans le pays. « Nous découvrons des crimes graves et des criminels de haut
vol non seulement dans le champ économique, mais aussi dans les
domaines politique et culturel. » Des mesures répressives étaient
nécessaires, ainsi que l’instauration d’une « civilisation socialiste » capable
d’inculquer ses idéaux et sa discipline à la population. Deng cherchait à
nettoyer la maison, avant d’y convier des invités 165.
En quoi consistait précisément la « civilisation socialiste », cela restait
quelque peu obscur. En revanche, s’agissant de la discipline socialiste, le
régime avait une réponse toute prête. En 1963, Mao Zedong avait exhorté la
nation à s’inspirer de la leçon de Lei Feng, un jeune soldat qui avait
consacré sa vie à servir le peuple, dont le journal posthume avait été publié
et étudié partout dans le pays. Le président Mao, expliquait Lei Feng dans
les pages de son journal, lui était apparu dans une vision en lui disant :
« Sois assidu dans tes études ; sois pour toujours loyal envers le parti, loyal
envers le peuple ! » Lei Feng était un modèle à imiter, qui inspirait des
slogans, des affiches, des chansons, des pièces de théâtre et des films. Des
conteurs furent même envoyés dans les campagnes pour offrir à des
villageois analphabètes des récits de ses exploits désintéressés et de son
dévouement au président 166.
Le maître d’œuvre derrière l’édification du personnage de Lei Feng
n’était autre que Hu Yaobang, chef de la Ligue de la jeunesse communiste
chinoise de 1954 à 1966. Ce fervent adepte de Marx et de Mao avait depuis
longtemps incité les membres de la Ligue à lire le classique du roman
bolchevique, Et l’acier fut trempé, de Nikolaï Ostrovski. En 1963, il sut
discerner tout le potentiel de Lei Feng, en le vantant comme un exemple à
imiter dans une série d’articles publiés par Le
Quotidien de la Jeunesse de Chine, l’organe officiel de la Ligue 167.
En 1980, quelques mois après que Wei Jingsheng et d’autres militants
de la démocratie eurent été envoyés en prison, Hu Yaobang ressuscita son
héros. Le 5 mars fut déclaré « journée Lei Feng ». Des dizaines de milliers
de jeunes gens défilèrent dans les rues de Beijing et de Shanghai pour
honorer ce soldat. Des cartes postales immortalisant ses bonnes actions
étaient vendues dans les librairies et les bureaux de poste de tout le pays.
Tous les jours, des écoliers entonnaient une chanson qui célébrait ses
louanges. « Lei Feng est entièrement dédié au bienfait des autres sans
jamais penser à lui-même », déclamait la machine de la propagande. Lei
Feng contrerait le matérialisme grandissant des jeunes, espérait le régime, et
les inciterait à rejeter les radios, les magnétocassettes, les lunettes de soleil
et les jeans introduits en contrebande de l’étranger 168.
Deux mois après le discours d’ouverture de Deng Xiaoping au
Douzième Congrès du Parti, une nouvelle réincarnation de Lei Feng fit son
apparition, sous l’identité d’un étudiant en médecine mort en tentant de
sauver un vieux fermier qui était tombé dans une fosse à purin. Zhang Hua
était une version modernisée de Lei Feng, et des pages spéciales dans la
presse étaient consacrées à ses journaux intimes et à ses bulletins scolaires.
Le message était identique : en lieu et place de la recherche égoïste de
possessions matérielles personnelles, le dévouement au bien commun était
la marque même du socialisme. D’autres personnages modèles firent leur
apparition, comme un ouvrier d’aciérie qui atteignit ses quotas avec dix ans
d’avance en installant son couchage dans son atelier d’usine, ou une diva de
l’opéra qui offrit son rôle à une chanteuse plus jeune. À l’Assemblée
nationale populaire, en décembre 1982, Zhao Ziyang mit en avant deux
scientifiques qui s’étaient consacrés à leur quête désintéressée des Quatre
Modernisations, jusqu’à en mourir. Hu Qiaomu, doctrinaire du marxisme,
les qualifia de « fierté et de gloire » du Parti communiste 169.
Au lieu d’inspirer la population, les morts prématurées de ces martyrs
déclenchèrent un débat aussi rare que mouvementé dans la presse. Des
lecteurs demandèrent si un étudiant devait aspirer à mourir dans une fosse à
purin. D’autres tournèrent en ridicule ces actes désintéressés 170.
Alors que ce débat battait son plein, Wang Ruoshui, rédacteur en chef
adjoint du Quotidien du Peuple, publia un éditorial sur l’humanisme
marxiste, une école de pensée qui avait accédé à une reconnaissance
internationale après la Seconde Guerre mondiale. Ses partisans affirmaient
que le marxisme n’était pas tant une science qu’un élargissement des
valeurs des lumières, qui mettait l’accent sur la nécessité de permettre aux
êtres humains de se réaliser pleinement dans leur individualité en
s’affranchissant des chaînes de l’oppression politique, économique et
idéologique. Au lieu d’élever un individu au-dessus de tous les autres dans
le cadre d’une dictature, ajoutait Wang, l’humanisme socialiste défendait
l’idée que « tous les humains sont égaux devant la vérité et la loi », car « la
liberté et la dignité sont inviolables ». Peu après, alors que la direction du
pays célébrait le centenaire de la mort de Karl Marx en janvier 1983, un
autre théoricien majeur entrait dans la mêlée. En sa qualité de grand prêtre
du département de la Propagande après 1949, Zhou Yang s’était empressé
d’envoyer un écrivain après l’autre en prison, en menant une politique
inquisitoriale. À son tour la victime de son propre maître, il avait été
emporté par une purge pendant la Révolution culturelle. Devenu un autre
homme, en novembre 1979, il présenta ouvertement ses excuses à ses
victimes. Le 16 mars 1983, avec la bénédiction de Wang Ruoshui, Zhou
Yang publia un article sur Karl Marx dans Le Quotidien du Peuple. Marx
avait eu recours au concept d’aliénation pour décrire de quelle manière les
travailleurs devenaient de simples outils d’un système capitaliste. Zhou
Yang releva que dans un système socialiste, les gens pouvaient se sentir
aliénés aussi bien socialement que politiquement, mais que, pour leur part,
les dirigeants risquaient aussi de s’aliéner le peuple qu’ils étaient censés
représenter 171.
C’était un défi directement lancé aux Quatre Principes que le parti avait
enchâssés dans sa Constitution quelques mois plus tôt 172. Hu Qiaomu passa
à l’attaque le lendemain, en définissant le débat sur l’humanisme comme un
pas vers la « libéralisation bourgeoise ». Il reçut le soutien de Deng Liqun,
un vieux pilier du parti qui, à la tête du département de la Propagande, était
connu pour son opposition farouche aux réformes économiques. Le
13 mars, ils forcèrent Wang Ruoshui à rédiger une autocritique 173.
Hu Yaobang, numéro deux de la hiérarchie du parti, demeurait
ambivalent. Deng Xiaoping ne s’exprima pas tout de suite lui non plus,
mais il constatait avec une inquiétude croissante que les propos de Zhou
Yang enhardissaient d’autres intellectuels, les incitant à soulever des
questions relatives à la nature du socialisme.
Deng Xiaoping avait promis de réprimer le crime, initiative qui avait la
priorité sur le débat autour de l’humanisme. Il y eut donc d’abord une
campagne de répression contre la corruption, et des mesures sévères allant
jusqu’à la peine de mort furent prises contre des membres du parti jugés
coupables de contrebande, de corruption, de malversation, d’évasion
fiscale, de détournement de fonds et de vol de biens de l’État. À la fin
juin 1983, quelque 30 000 membres du parti avaient été convaincus de
crimes économiques. Plusieurs d’entre eux finirent avec une balle dans la
tête, exécutions intégralement couvertes par la télévision. D’autres furent
incarcérés ou expulsés du parti. Ainsi qu’un porte-parole de l’Assemblée
nationale populaire le claironna, l’ouverture sur le monde avait rendu
d’autant plus nécessaire de résister à « l’influence corrosive de l’idéologie
bourgeoise » et d’éradiquer le crime économique 174.
Une deuxième campagne visa les criminels de droit commun. La
première semaine du mois d’août, des milliers de suspects furent arrêtés
lors d’une série de descentes de police coordonnées. Rien que dans la
capitale, pendant la nuit du 6 août, 3 000 personnes furent appréhendées et
jetées en prison. Deux semaines plus tard, une foule de 60 000 spectateurs
rassemblée au Stade des travailleurs assista, au milieu des acclamations, à la
condamnation à mort de trente voleurs, pyromanes, et meurtriers déclarés
coupables, le crâne rasé, contraints de courber la tête par des policiers
intraitables. Ils furent conduits vers le lieu d’exécution sur des camions à
plateau. Un nombre comparable d’individus fut exécuté dans d’autres
grandes villes. À Tanggu, un port sur la mer de Bohai, dix-sept condamnés
furent poussés vers une colline proche de la ville et exécutés devant la
foule. Dans une ville sur les rives du Yangtsé, une jeune femme, Zhai
Manxia, fut mise à mort pour avoir prétendument eu des rapports sexuels
avec une dizaine de partenaires 175.
Intitulée « Frapper fort », cette campagne se voulait une démonstration
de pouvoir visant à instiller la peur. À Beijing, des suspects de crimes allant
du vol et de l’agression jusqu’au viol et au meurtre furent appréhendés,
mais quelques simples passants furent aussi mis sous les verrous, afin que
les autorités puissent atteindre le nombre d’arrestations requis. Quelques-
uns furent libérés, et la majorité d’entre eux envoyée en prison ou en exil
forcé dans le Xinjiang 176.
Cette vague de répression se conclut à temps pour la célébration de la
Fête nationale de la République populaire, le 1er octobre. Dès l’instant où
les festivités s’achevèrent, la machine de la propagande se consacra à traiter
les causes plutôt que les effets de ces crimes. Il fallait les attribuer aux idées
et aux modes décadentes venues de l’étranger. Lunettes de soleil, jeans,
cheveux longs, musique pop : c’étaient là autant de signes extérieurs d’un
mal social pernicieux échappant à tout contrôle, en l’occurrence
l’individualisme.
Tout était en place pour le morceau de bravoure de Deng Xiaoping. Le
12 octobre 1983, lors du deuxième plénum du Douzième Comité central, le
Guide suprême lança le slogan de la « pollution antispirituelle ». Écrivains
et artistes étaient les « ingénieurs de l’âme humaine », expliqua-t-il, en
reprenant une formule que Staline avait employée dans les années 1930.
Leur rôle était de hisser haut le drapeau du socialisme et d’apprendre aux
gens à avoir foi dans le parti et à contribuer à la « cause magnifique de la
modernisation socialiste ». Certains avaient préféré corrompre les esprits
avec des idées bourgeoises, en semant les graines de la méfiance envers le
socialisme. « Ne croyez pas qu’un peu de pollution spirituelle ne soit rien,
que cela ne mérite pas de s’en formaliser », prévint-il. Sans des mesures
radicales pour les éradiquer, ces idées dangereuses venues de l’étranger
« conduiront davantage de gens à s’engager sur une voie hétérodoxe, et les
conséquences pourraient être funestes 177 ».
Une campagne contre la « pollution spirituelle » se déroula au cours des
mois suivants. Cette vague de répression rappelait la Révolution culturelle,
puisqu’elle s’attaqua à tout ce qui était réputé « bourgeois » ou
« décadent ». Des bibliothèques purgèrent de leurs rayonnages les livres
controversés, des projections de films étrangers furent annulées et des
maisons de thés furent instamment priées de choisir en musique de fond des
chants patriotiques au lieu de la pop occidentale. À Guangzhou, où la
proximité avec Hong Kong avait encouragé à une plus grande ouverture
qu’ailleurs, les proxénètes et les prostituées firent l’objet de rafles, et les
soldats reçurent l’ordre d’arracher les posters de pin-ups des murs de leurs
casernes 178.
L’un des résultats inattendus de cette campagne de répression fut de
révéler l’étendue de la désillusion envers le socialisme. Apparemment, plus
d’un membre du parti nourrissait des doutes envers le marxisme. « Quelle
est cette espèce de membre du Parti communiste qui n’a pas foi dans le
communisme ? » s’interrogeait un militant. Dans les universités aussi, la
pollution spirituelle semblait omniprésente. Au sein d’un seul département
de philosophie, huit étudiants de troisième cycle avaient pris l’initiative de
réfuter Karl Marx. De simples citoyens paraissaient tout aussi peu inspirés
par les valeurs socialistes. Dans la province du Gansu, à des milliers de
kilomètres vers l’intérieur des terres, de jeunes cheminots se déclarèrent
fatigués du marxisme-léninisme et du maoïsme. « Je crois en l’argent, mais
pas dans le communisme », proféra l’un d’eux 179.
Cette campagne se révéla flottante, les dirigeants hésitants, et même
divisés. Peu de gens voulaient un retour aux chasses aux sorcières de la
Révolution culturelle. Les militants du parti qui prirent cet appel aux armes
trop au sérieux se virent freinés. Zhou Yang fit acte de contrition et admit
qu’il avait agi avec trop de précipitation. Wang Ruoshui perdit son poste
d’éditorialiste au Quotidien du Peuple. En janvier 1984, après que Hu
Qiaomu eut abordé la question de l’humanisme et de l’aliénation, le débat
se conclut sans bruit 180. Il était temps d’accélérer la « modernisation
socialiste ».
*
* *
Après 1978, l’économie rurale était devenue florissante. Pourtant, le
régime, en temps normal peu timoré lorsqu’il s’agissait de vanter les
mérites du système socialiste au reste du monde, était demeuré assez
réservé. Il avait tenté de consolider les communes populaires, pas de les
affaiblir. Au moment où elles s’effondrèrent, le ton changea. En 1983,
l’appareil de propagande annonçait un record après l’autre, alors qu’on
atteignait dans les campagnes des chiffres de production sans cesse plus
élevés, des céréales au coton, du sucre aux huiles alimentaires 181. Pour la
première fois, de riches paysans furent promus au rang de modèles qu’il
convenait d’imiter. Les journaux, la radio et la télévision expliquèrent
comment ces pionniers gagnaient de l’argent, certains dans l’élevage de
serpents, d’autres dans celui des canards ou dans la culture de plantes
médicinales rares. « Il est glorieux de s’enrichir » : tel était le nouveau
slogan 182.
La raison de leur succès, précisa-t-on dans une série de commentaires
officiels, tenait au « système de contrat de responsabilité », accords passés
avec des foyers ruraux individuels. Cela devint la nouvelle panacée. En
1978, les entreprises d’État avaient été autorisées à conserver une partie de
leurs profits, une expérience qui avait produit des résultats mitigés. Des
secrétaires du parti avaient déversé une abondance de fonds dans la
consommation plutôt que dans la production, transférant ainsi le déficit à
l’État. En mai 1984, inspirés par le système du contrat rural, les dirigeants
du pays introduisirent une structure similaire dans six villes. Six mois plus
tard, lors du troisième plénum du Douzième Congrès du parti, le système
fut officiellement mis en œuvre à l’échelle de la nation.
Le nouveau dispositif comportait des contrats à deux niveaux. D’un
côté, un accord était signé entre l’État et le directeur d’une entreprise
d’État, conférant à ce dernier (et non plus au secrétaire du parti) un pouvoir
accru sur les décisions économiques, notamment la production, la
commercialisation et l’investissement. Les employés signaient pour leur
part une convention avec leur chef d’équipe, leurs résultats étant assortis
d’éventuelles récompenses. Ceux qui produisaient plus étaient payés
davantage. Ce contrat donnait aussi aux équipes de travail les plus
entreprenantes davantage de latitude pour explorer le marché. Comme les
fermiers à la campagne, ces dernières pouvaient décider de sortir du régime
de planification centrale et de produire des biens et des services
exclusivement destinés au marché. Ce système était conçu pour encourager
l’entrepreneuriat sans entamer la propriété publique des entreprises d’État.
Il remplaçait le « bol de riz en fer », c’est-à-dire un revenu garanti et la
sécurité de l’emploi, par un autre, en porcelaine 183.
Le système du contrat fit son apparition un an après que le
gouvernement eut essayé d’introduire un nouveau dispositif fiscal. Dans le
but de réduire la charge pesant sur les réserves financières du pouvoir
central, en 1983, les entreprises publiques furent tenues de payer des impôts
au lieu de conserver une part de profits. Qui plus est, leurs financements
émanaient maintenant de prêts bancaires au lieu de prêts étatiques. Cette
nouvelle mécanique fiscale avait été approuvée à la hâte : l’État, qui avait
observé le déclin de son budget au fil des ans, avait à tout prix besoin de
recettes stables 184. Cette décision provoqua un retour de flamme, car les
entreprises rentables falsifiaient elles aussi leurs livres comptables afin
d’afficher une perte au lieu d’un bénéfice, qui aurait été exposé à taxation.
Bravant les sévères remontrances de Beijing, certaines d’entre elles
versaient des primes à leurs employés à seule fin d’accroître leur
endettement, alors que d’autres s’efforçaient de dissimuler leurs profits.
À Taizhou, une usine de postes de radio vendait ses produits avec un
généreux rabais aux employés de l’exécutif local. Ainsi que le ministère du
Commerce l’expliqua après avoir procédé à l’inspection de
2 500 entreprises, des centaines de millions de yuans s’étaient évaporés, ce
qui attestait d’une tentative délibérée de frauder l’État. Une pratique
courante consistait à alimenter un « trésor de guerre » avec ces fonds
cachés 185.
Fin 1983, les directeurs d’entreprises en déficit furent obligés de
s’engager formellement à dégager des bénéfices. Lors d’une cérémonie
publique à Heilongjiang, le cœur industriel du pays, les directeurs des vingt-
deux usines de la province qui accusaient les plus lourdes pertes furent
rassemblés et invités à signer un engagement officiel. Ils s’y plièrent, la
mine sombre ; les médias décrivirent cette mise au pas en termes martiaux,
comme si ces chefs d’entreprise étaient des soldats qui venaient de recevoir
« l’ordre de combattre jusqu’à la mort ». Quelques directeurs furent même
révoqués. Toutefois, la fraude continua de plus belle 186. La solution
semblait se trouver dans les campagnes. Ainsi que le fit observer Zhao
Ziyang à l’été 1984, « nous devons transplanter certaines mesures vitales de
réforme économique prises dans les campagnes vers les entreprises, dans
les villes 187 ».
En plus d’introduire un surcroît de flexibilité, le système du contrat
avait pour but de stimuler la croissance, mais pas d’améliorer le
développement économique. En 1977, la caste dirigeante, longtemps
habituée à gouverner au moyen de quotas et d’objectifs, avait inscrit dans la
Constitution l’objectif de Zhou Enlai de transformer le pays en une
puissance industrielle de premier plan d’ici la fin du siècle. Alors que trois
années d’austérité avaient délibérément bridé la croissance, en 1982, Deng
Xiaoping donna un nouvel élan à cet objectif fixé par Zhou Enlai, en
laissant entendre qu’il faudrait quadrupler le périmètre de l’économie d’ici
l’an 2000. Quand il leur demandait quel pourcentage de croissance
requerrait un tel objectif, Zhao Ziyang et Yao Yiling ne savaient pas quoi
dire. Pour sa part, Hu Yaobang était mieux préparé, et il expliqua qu’un
taux de croissance moyen de 7,2 % serait requis. D’un geste de la main,
Deng arrêta ce taux à 7 % 188.
Telle était donc la cible, et les quotas correspondants furent transmis
aux entreprises d’État. Puisque le système du contrat leur permettait de
conserver leurs excédents et de les vendre sur le marché, des régions
entières, des districts jusqu’aux provinces, se livrèrent à une véritable
concurrence pour atteindre leurs objectifs avant l’échéance 189. Il en résulta
une accélération de la croissance, qui s’apparentait à une forme de miracle.
Ainsi, celle de l’industrie bondit d’un peu plus de 10 % en 1983 à bien au-
delà de 15 % en 1984, avant d’atteindre la barre vertigineuse des 22 % en
1985 – c’était du moins ce qu’indiquaient les statistiques officielles 190.
Cela ressemblait à une réédition du premier cycle inflationniste de 1978
à 1982, à ceci près que cette fois les banques jouèrent un rôle très différent.
Dans une économie planifiée, elles avaient une fonction de simples
caissiers, fournissant de l’argent aux programmes économiques élaborés par
l’État. Outre la banque centrale (la Banque populaire de Chine, ou BPC), il
existait quatre banques spécialisées, également propriétés de l’État, chacune
d’elles ayant des attributions particulières : la Banque agricole de Chine, la
Banque industrielle et commerciale de Chine, la Banque de la construction
de Chine et la Banque de Chine. Le pouvoir central leur ayant accordé
davantage d’autonomie, elles relevèrent toutes les quatre leurs plafonds de
prêts. Afin de s’assurer une plus large base de revenus, elles fixèrent à leurs
succursales dans tout le pays des objectifs de crédit plus élevés. La masse
monétaire augmenta de 40 à 50 % 191. Pour la seule année 1984, l’inflation
atteignit 23 % 192.
Rien que dans la province du Henan, les quatre banques spécialisées
prêtèrent de l’argent « à tout va », selon un rapport interne. À elle seule, la
Banque industrielle et commerciale de Chine mit à disposition 250 millions
de yuans en six mois. Un schéma pyramidal se dessinait, puisque, au lieu de
compter sur des dépôts, les établissements bancaires se mirent à se prêter
mutuellement des capitaux. « Les banques spécialisées se consentent entre
elles des prêts à court terme à des taux d’intérêt journaliers, en n’hésitant
pas à relever leur taux d’intérêt interbancaire pour chaque mouvement. »
Dans la capitale provinciale de Zhengzhou, où deux importantes lignes de
chemin de fer traversent le fleuve Jaune, une succursale de la Banque de la
construction accorda un prêt à la Banque de l’agriculture, où les prêts
étaient encore une fois « reconditionnés » avant d’être redistribués à des
succursales en zone rurale. Des sociétés écran et des fiducies semblaient
tirer avantage de ce crédit facile. Dans la province de Jilin, une chaîne de
47 fiducies obtint plus de 300 millions de yuans de banques d’État, sommes
qui furent ensuite de nouveau prêtées aux étages inférieurs du réseau pour
servir à l’achat de matières premières ou de biens de consommation. Il y
avait parmi leurs clients le gouvernement municipal de Changchun, la
capitale provinciale 193.
Une complication supplémentaire se présenta, qui entraverait le système
bancaire pendant les décennies à venir. Aucune dictature ne reposait sur un
seul et unique dictateur : au contraire, il y en avait toute une série. Dans le
contexte du Troisième Reich, c’était ce que l’on appelait en allemand le
Führerprinzip, le tristement célèbre principe du chef : un dictateur occupait
le sommet, mais, à tous les niveaux de la hiérarchie du parti, d’autres chefs
étaient censés exercer leur part du pouvoir. En Chine, les banques
appartenaient à l’État, cependant les banques locales n’avaient guère
d’autre solution que celle d’obéir aux diktats de leur gouvernement local.
Ces gouvernements soutenaient les entreprises locales et, plus largement,
s’efforçaient de tirer le maximum possible du système bancaire, sachant que
le gouvernement central interviendrait pour les renflouer. À Huangshi, dans
la province de Hubei, une entreprise d’État produisant des ampoules
électriques accumula une dette d’un demi-million de yuans tout en
conservant un stock d’invendus évalué à 3 millions de yuans. Quand la
banque refusa d’accorder un prêt supplémentaire, le secrétaire du parti de
l’exécutif municipal intervint en fustigeant le directeur de la banque de
s’être ainsi opposé à la « réforme économique 194 ».
Dans l’ancien système, les entreprises publiques tentaient de
rembourser leurs emprunts contractés auprès des banques d’État. À présent,
en application du système du contrat, une nouvelle espèce de dirigeants
d’entreprise avait fait son apparition et refusait d’honorer les échéances de
ses dettes. À Wuhan, en 1985, une fabrique de draps avait accumulé des
pertes à hauteur de 1,8 million de yuans. Le nouveau propriétaire reprit le
contrat, mais pas la dette. Il s’avéra qu’il était loin d’être le seul. Quand les
autorités lancèrent des contrôles dans 71 entreprises d’État de la province
de Hubei, elles découvrirent que la plupart d’entre elles avaient interrompu
les remboursements de leurs prêts en cours, soit un total de 210 millions de
yuans de dettes en souffrance. Un directeur d’usine établissait ses priorités
comme suit : d’abord, lui-même, puis les employés, et enfin l’impôt. La
banque arrivait en fin de liste. Certains nouveaux directeurs se montraient
d’autant plus généreux que cet argent n’était pas le leur. À Yichang, juste au
sud des Trois Gorges, sur le Yangtsé, une usine de produits alimentaires vit
ses profits plonger de 12 %, mais augmenta ses salaires de 87 % 195.
À la fin 1986, dans tout le Hubei, les entreprises d’État s’appuyaient sur
10 milliards de yuans d’emprunts. Si l’on y incluait les entreprises rurales,
ce montant triplait. Mais l’accroissement du capital circulant, de 35 % au
total, dépassait largement la hausse de la production, qui se limitait à 9,7 %.
Cent yuans supplémentaires investis dans des actifs immobilisés généraient
donc un maigre total de 97,11 yuans. Et la moyenne nationale s’établissait à
100,14 yuans. Certes, cela représentait une amélioration par rapport à 1984,
quand le capital circulant dans le Hubei avait connu une hausse vertigineuse
de 60 %, alors que la production n’avait progressé que de 15 % 196. En
d’autres termes, la croissance industrielle semblait impressionnante, mais
reposait sur une énorme expansion du capital et de l’emploi. Le temps des
gains de productivité faciles, qui avaient connu une amélioration soudaine
au début des années 1980 après des décennies de stagnation, était révolu 197.
Wang Renzhong, vice-président de l’Assemblée nationale populaire,
résuma la situation en des termes succincts lors de sa rencontre avec Erich
Honecker, le dirigeant de l’Allemagne de l’Est : « Nous consommons plus
que nous ne produisons 198. »
Les dirigeants du pays et les directeurs d’entreprise visant les uns et les
autres des seuils de croissance élevés, la quantité l’emportait sur la qualité.
En d’autres termes, les produits étaient souvent médiocres et attiraient peu
d’acheteurs. Dans le Hubei, en 1986, d’après les estimations, la valeur des
produits qui restaient en souffrance dans des entrepôts s’élevait à
1,7 milliard de yuans 199. Sur le plan national, dans le seul domaine des
appareils électriques, fin 1984, il avait fallu passer quantité de biens par
pertes et profits, pour une valeur de 25,5 milliards de yuans. Or, un ouvrier
d’usine gagnait en moyenne 50 yuans par mois 200.
L’autre raison pour laquelle la qualité laissait à désirer était liée à la
manière dont la production était calculée. Le régime utilisait une méthode
soviétique datant de 1929, en mesurant la valeur non pas en se fondant sur
ce que l’entreprise vendait, mais sur sa production matérielle, multipliée par
le prix officiel, sans tenir compte des ventes effectives. Seul comptait le
volume, pas la valeur. En 1987, par exemple, les usines sidérurgiques du
pays sortaient 50 millions de tonnes d’acier, dont seules 5 millions étaient
adaptées aux besoins. Afin de remédier à cette inadéquation, la Chine était
contrainte d’en importer 20 autres millions de tonnes. Au lieu de générer
plus de richesse, pousser la croissance en volume conduisait souvent à un
gâchis encore plus grand de matières premières pourtant précieuses 201.
Alors même que la production était souvent sujette à quantité d’aléas,
les intrants étaient coûteux. Les entreprises publiques se livraient à une
compétition autour des matières premières non seulement avec d’autres
entreprises étatiques, mais aussi avec les fabriques de villages qui
prospéraient dans les campagnes. Des agents de l’État sillonnaient ces
régions rurales pour aller chercher des ressources de plus en plus loin de
leurs bases, faisant ainsi monter les cours. Le déséquilibre structurel
colossal entre l’intérieur des terres pauvres et les régions côtières moins
déshéritées en fut exacerbé. À Lanzhou, la capitale du Gansu, les grands
magasins offraient un plus vaste choix de produits qu’auparavant. Mais un
grand nombre de ces produits finis, fabriqués avec des matières premières
de la région, venaient d’usines situées le long des côtes, à 2 000 kilomètres
de là. Quoique pauvre, la province avait joui par le passé d’un
approvisionnement régulier en cuir, aussi bien véritable que synthétique. À
présent, les tanneries locales ne pouvaient se permettre de s’aligner sur les
prix payés par les agents de l’État responsables des approvisionnements
publics, dont les usines étaient plus fortement subventionnées. Il en allait de
même des denrées alimentaires, puisqu’il devenait compliqué de se fournir
en simples produits locaux comme le lait de soja ou la pâte de haricots 202.
Certaines entreprises d’État du littoral devenaient plus compétitives,
quoique pas nécessairement plus efficaces. L’un des objectifs du système du
contrat consistait à moderniser plus de 400 000 de ces sociétés, nombre
d’entre elles ayant des effectifs pléthoriques, entretenant de lourds déficits
et empilant des strates d’incompétence. Elles offraient toutes la gratuité des
soins, de l’éducation, du logement et du divertissement. Quelques
mastodontes du secteur géraient même leurs propres chaînes de télévision,
leurs hôpitaux et parfois une université. Alors que les directeurs d’usine
jouissaient d’une plus grande latitude qu’auparavant, ils ne pouvaient
licencier aucun employé. En l’absence de procédures de faillite, certains
tiraient parti de leur autonomie pour étendre l’investissement et augmenter
la rémunération des travailleurs, en dehors de toute considération
d’efficacité ou de productivité. Selon Zhao Ziyang en personne, en 1984,
dans l’ensemble du pays, les salaires augmentèrent de 22,3 %, subsides et
primes inclus, un taux très supérieur à la hausse de la production. Au
premier trimestre de 1985, ils augmentèrent de 35 % 203. Dans certains cas,
la réforme déprima même les résultats, en raison d’importations onéreuses,
du manque de personnel qualifié et de contraintes pesant sur les matières
premières et les ressources énergétiques. À Tianjin, fin 1985, de graves
pénuries d’énergie eurent de lourdes conséquences : pour cinq usines qui
continuaient de fonctionner, deux autres étaient temporairement forcées de
cesser la production 204.
Tianjin était la troisième ville du pays après Shanghai et Beijing, un
géant industriel situé au confluent de l’ancien Grand Canal et de la rivière
Hai, qui se jetait dans la mer de Bohai. Pourtant, un rapport du comité
municipal du parti notait : « Pour l’heure, la qualité de bon nombre de
produits de nos usines est en baisse et l’efficacité chute, alors que les pertes
augmentent et que le gâchis est très lourd. » 5 % des entreprises d’État
produisaient la moitié des profits totaux. À Shanghai, la situation n’était
guère meilleure 205.
Sur tout le territoire, les directives sur le système du contrat furent
attentivement examinées. À Shashi, une ville très animée sur les rives du
Yangtsé, les ouvriers et les cadres demeuraient plutôt sceptiques. Ils
remarquaient que l’État restait aux commandes à tous les échelons : « Les
chefs parlent de délégation de pouvoir, mais ils tiennent fermement les
manettes. » Leur verdict était sans appel : c’était faire du neuf avec du vieux
ou, pour employer une expression locale, « un autre brouet concocté à partir
de la même médecine 206 ».

*
* *
Tout comme les villageois étaient devenus experts pour contourner les
contrôles étatiques, au cours de la Révolution culturelle les entrepreneurs
individuels prospéraient dans les villes. Bien avant la mort de Mao, les
ruses urbaines allaient de pair avec les stratagèmes ruraux. À Shanghai en
1975, formellement sous la ferme emprise de la Bande des Quatre, un flot
apparemment sans fin de marchands se rendait dans la ville pour y écouler
des produits fermiers venus des campagnes. Des bandes organisées
vendaient du charbon, du bois de charpente et du cuivre, triplant leur profit
en exploitant les différences de prix entre Shanghai et Hangzhou. Les
inspecteurs des marchés étaient impuissants : « Quand vous leur tombez
dessus, ils se dispersent, mais dès que vous êtes repartis, ils reviennent. » À
l’occasion, des représentants de l’État qui tentaient de s’interposer étaient
pris à partie, agressés verbalement ou quelquefois roués de coups 207.
À lui seul, un produit comme le pop-corn faisait converger quelque
350 vendeurs dans les quartiers de la ville, chacun d’eux gagnant jusqu’à
10 yuans par jour. Quand les ventes de charbon furent soumises à des
restrictions, les gens l’achetèrent au marché noir. Un responsable local
chargea sa femme de se procurer des matières premières, tandis que sa fille
de treize ans apprenait « à commercer 208 ».
À la fin de l’année 1976, il existait plus de quarante marchés noirs, sans
compter d’autres plus petits qui apparaissaient spontanément devant les
grands magasins, dans des passages souterrains ou près des portails d’usine.
L’un d’eux opérait devant le Grand Cinéma, un joyau architectural à
l’escalier de marbre majestueux construit par un architecte hongrois en
1928. D’autres exerçaient leurs activités au nez et à la barbe des autorités,
sur la place du Peuple, une vaste esplanade asphaltée occupée jadis par un
champ de courses. Un autre marché encore se trouvait sur le site du temple
de Jing’an qui, en pleine Révolution culturelle, avait été rasé et transformé
en une usine de plastiques. Certains de ces marchés attiraient des centaines
de colporteurs et de marchands ambulants qui proposaient tous les produits
de base concevables, des huiles alimentaires, des céréales, du savon et des
jouets, mais aussi des livres de cuisine et des photos obscènes. Les quantités
vendues, quoique difficiles à évaluer, étaient énormes, par exemple plus de
2 millions de cartouches de cigarettes 209.
Tous ces marchands ambulants n’étaient pas en situation illégale.
Après 1949, un petit nombre d’individus avaient été autorisés à continuer
leur commerce à titre privé : ils réparaient des bicyclettes, géraient un petit
restaurant, vendaient de l’eau chaude, fabriquaient des jouets à domicile ou
tenaient un stand dans la rue. Ils étaient qualifiés de « foyers individuels »
(getihu), puisque chaque personne était inscrite dans un système
d’enregistrement par foyer. L’État surveillait constamment et contrôlait
strictement leurs activités, sévissant parfois en les dénonçant comme des
« capitalistes », ce qui eut pour effet de réduire leur nombre. Avant la
Révolution culturelle, quelques 34 000 de ces commerçants individuels
avaient été officiellement tolérés à Shanghai, mais en 1976, seuls 13 000
avaient réussi à survivre 210.
Ils remplissaient une fonction cruciale, car après plusieurs décennies de
socialisme, l’État demeurait encore incapable de fournir certains services de
base à ses sujets. Pendant la Révolution culturelle, quand le nombre de ces
marchands ambulants déclina, beaucoup de gens n’avaient plus accès à
l’eau chaude. En 1977, une rue comptant plus de 80 000 riverains ne
disposait que de trois magasins, tous propriétés de l’État et mal
approvisionnés. Sans ces colporteurs individuels, les gens étaient obligés de
marcher une demi-heure pour aller se procurer certaines denrées. Le tableau
était identique pour d’autres services, qu’il s’agisse d’aller se faire couper
les cheveux, de porter un sac de vêtements à une laverie ou de procéder à
une petite réparation. Pour les personnes ordinaires, la transaction la plus
simple devenait une redoutable corvée 211.
La plupart des marchands détenteurs d’une licence individuelle étaient
âgés de plus de soixante ans. Dans le district de Hongkou, un vieillard de
quatre-vingt-sept ans s’était accroché obstinément à son emploi malgré
toutes les campagnes visant à « abolir le capitalisme » et à le transformer en
employé de l’État. Beaucoup souffraient de discriminations, autrement dit
les institutions étatiques dont ils dépendaient pour se procurer leurs
matières premières les maltraitaient. Les trafiquants du marché noir ne
pouvaient que s’engouffrer dans la brèche 212.
Après la chute de la Bande des Quatre, ces marchands furent
encouragés à s’enregistrer. Les commerces privés répondant à la définition
d’entreprises familiales de plus de huit employés étaient aussi tolérés. De
nombreuses restrictions et des obstacles bureaucratiques sans fin tiraient
néanmoins leur nombre officiel vers le bas. En 1980, quand le maire de
Shenyang, grande ville polluée dans les terres industrielles du Nord,
autorisa progressivement les marchands illégaux à opérer sur trente marchés
noirs pour y vendre leurs biens en place publique, cette décision fut saluée
comme une petite révolution 213. Toute résistance n’était pourtant pas levée
et nombre de villes interdisaient encore officiellement aux marchands
ambulants d’écouler sur le marché des produits agricoles, en rappelant que
le contrôle étatique s’étendait à tout le commerce. Jusqu’en 1983, cela resta
vrai à Chengdu, grande ville au centre de la province de Sichuan 214.
Beaucoup de petits commerçants continuèrent donc d’évoluer dans une
zone grise. À Shanghai, en 1986, il y avait un marchand ambulant répertorié
pour chaque clandestin. Ils étaient partout et, au total, les colporteurs
tenaient quelque 17 000 stands aux coins des rues et sur les trottoirs. Un
agent comptable employé par la municipalité estima qu’ils occupaient
8,7 % du total de la surface des voiries. Certaines de ces structures
devinrent permanentes 215.
Ailleurs, la situation était similaire, quelques villes renouant avec leur
passé marchand, avec ou sans autorisation officielle, comme si les trente
années précédentes n’avaient jamais existé. C’est Wenzhou, ville portuaire
sur l’est de la mer de Chine entourée de collines vertes et bleutées, qui en
profita le plus : les produits de l’arrière-pays (tabac, thé, coir – fibre de
coco –, ombrelles en papier – que l’on appelait des kittysol –, bambou et
porcelaine) étaient traditionnellement transportés sur la rivière à bord de
radeaux et de jonques, avant d’être débarqués et vendus plus loin le long de
la côte ou bien outre-mer. Là comme ailleurs, les commerçants privés
n’avaient jamais disparu, mais après 1976 leur nombre avait grandi : ils
étaient 11 000. La ville avait mollement procédé à quelques tentatives pour
endiguer cette vague montante, et pourtant, après 1978, elle avait décidé de
suivre le courant. Derrière d’imposantes demeures construites par des
marchands de la région avant 1949, dans un dédale de cours intérieures et
de temples, des entrepreneurs géraient leurs petits commerces de chez eux,
cousaient des vêtements, coulaient des chaudrons ou réparaient des
parapluies, leurs articles débordant sur le trottoir ou se disputant les espaces
libres où des négociants ruraux entassaient des monceaux de légumes qu’ils
avaient apportés en ville 216.
En 1983, le secteur privé de Wenzhou comptait plus de
4 000 entreprises, représentant plus de 40 % du total de l’activité
commerciale. « Tous les deux ou trois mètres, il y a une échoppe », signalait
un rapport. Dans certains cas, les ouvriers d’usine étaient trop occupés à
tenir un commerce à domicile pour se présenter aussi sur leur lieu de
travail. Les entreprises d’État avaient du mal à rivaliser et ne parvenaient
pas à atteindre leurs objectifs 217.
Wenzhou, ville de 300 000 habitants, attira l’attention de Beijing. Le
1er décembre 1985, Zhao Ziyang arriva sur place et s’exprima. Il expliqua
que le capitalisme allait provoquer des contradictions à long terme parmi la
population, ce qui risquait d’entraîner une instabilité sociale susceptible
d’engendrer des troubles politiques. Il était dès lors essentiel de redonner
vigueur au secteur étatique et de soutenir l’économie collectivisée. Hu
Qiaomu se rendit à son tour dans la ville quelques semaines plus tard et
clarifia la position officielle : le pouvoir central pouvait tolérer la présence
d’un secteur privé dans une ville moyenne comme Wenzhou. Mais si la
même expérience devait avoir lieu dans toute la province du Zhejiang, cela
poserait un problème : « La Chine ne serait plus un pays socialiste, elle
deviendrait un pays capitaliste. » Dès lors, concluait-il, « il [devait] y avoir
des restrictions 218 ».
Sur le plan national, des contraintes continuaient de s’exercer sur les
entrepreneurs privés, avec des restrictions sur l’accès au capital, aux
ressources, à l’énergie et au transport, tous secteurs contrôlés par l’État. La
solution, à Wenzhou comme ailleurs, était de devenir une « entreprise
dépendante » en apparence intégrée à une entité collectivisée et opérant
sous la bannière de la propriété d’État. Une entreprise privée versait à une
entreprise d’État ou à une unité militaire une redevance pour utiliser leur
nom, leur papier à en-tête et leur compte en banque. Selon un dicton
populaire, ces fausses entités collectivisées pouvaient « se prélasser à la
fraîcheur de l’ombre d’un grand arbre », en usant de leurs relations avec
une structure étatique plus puissante pour éviter de devenir la cible
d’enquêtes administratives 219. Comme ces entreprises payaient aussi des
impôts par l’intermédiaire de leurs représentants étatiques, certains
gouvernements locaux finirent par encourager cette pratique.
Qu’elles soient entièrement indépendantes ou purement dépendantes,
après 1984, les entreprises privées connurent un bel essor. Le système du
contrat permettait à un directeur d’entreprise de confier l’exécution d’un de
ces contrats à ses équipes les plus efficaces qui, après avoir atteint leurs
quotas fixés par l’État, pouvaient explorer le marché. Conséquence
imprévue de ce maillage de contrats et de sous-contrats, d’un côté, une
entreprise privée réussissait plus facilement à établir un lien avec une autre
entité étatique, et, réciproquement, cette dernière pouvait plus aisément
devenir une entreprise privée sans en porter le nom.
Cela eut pour résultat d’engendrer un marché noir florissant, les entités
étatiques collaborant avec les entreprises dépendant d’elles pour exploiter
au mieux le système des prix. À tous les niveaux, en effet, deux types de
prix se pratiquaient : un tarif fixe pour des matières premières comme le
bois de charpente, le coton, le tabac, l’acier et le ciment, nécessaires aux
entreprises d’État pour qu’elles atteignent leurs objectifs de production,
alors que les mêmes matériaux se vendaient à un tarif plus élevé sur le
marché ouvert. Les unités de production publiques mettaient leurs
approvisionnements à la disposition des entreprises dépendant d’elles, à
titre onéreux. L’État payait aussi à ses propres unités de production un prix
fixe pour les produits finis, tout en leur permettant de revendre sur le
marché ouvert l’éventuel surplus dépassant les quotas. Ici aussi, les secteurs
privé et public joignaient leurs forces pour réaliser des profits rapides aux
dépens de l’État. Dans la seule province du Hubei, après 1984, plus de
8 000 entreprises au statut douteux firent leur apparition, nombre d’entre
elles se prêtant à des transactions au nom d’entités étatiques et des
entreprises privées dépendant d’elles. Ainsi que le remarquaient les
autorités locales, dans bien des cas, « la distinction entre gouvernement et
entreprises n’est pas claire 220 ».
La différence entre propriété privée, collective ou étatisée ne devint pas
moins opaque. Les biens collectivisés pouvaient être affectés du jour au
lendemain et redistribués à des membres d’entités publiques : ils devenaient
alors formellement « propriétés du peuple », peuple qui les écoulait sur le
marché 221. Les reliquats de l’économie dirigée se combinaient à ce qu’un
économiste appelait « des fragments de marché sélectionnés, pasteurisés,
partiels, tronqués, restreints et disparates associés à une politique de la
propriété privée 222 ». Le résultat n’était pas une économie mixte, mais une
économie mélangée : un « système économique confus », ainsi que le
définit Liu Guoguang, professeur d’économie et membre suppléant du
Comité central, en employant là un euphémisme 223.
Quelle que soit la structure de propriété retenue, l’impact le plus
profond s’exerça sur le commerce de détail, la restauration collective, les
services et les transports. Dans certaines villes, des entrepreneurs privés
réussirent petit à petit à améliorer les vies des gens ordinaires, en ouvrant
un salon de coiffure, un atelier de réparation de bicyclettes, une entreprise
de transports ou un étal de produits alimentaires. Dans d’autres, en
revanche, les directeurs d’entreprises étatiques décidèrent que le secteur
tertiaire n’était pas assez lucratif et le laissèrent péricliter encore plus,
quelques structures familiales prenant le relais. À Nanjing, pour mentionner
un seul exemple, le nombre d’ateliers de réparation et d’établissements de
bains diminua substantiellement entre 1983 et 1985, et dans des districts où
habitaient des dizaines de milliers de personnes on ne trouvait plus un seul
salon de coiffure 224.
Même dans des villes comme Shanghai, où les commerçants privés
prospéraient, leurs efforts furent en grande partie effacés par un déclin
proportionnel du soutien de l’État aux services publics. Les cantines où la
vaste majorité des travailleurs prenaient leurs repas étaient mal entretenues.
Souvent, la toiture fuyait : « Quand il pleut dehors, il bruine dedans »,
relevait un inspecteur. Certaines de ces cantines, privées de combustible,
étaient contraintes de brûler des débris et des ordures 225. Les infrastructures
croulaient, le réseau d’égout des vieux quartiers datait d’avant 1949 226. Et
quoi qu’il en soit, tolérées ou non, très peu d’entreprises familiales
réussissaient à « s’enrichir ». La plupart subissaient une forme de
harcèlement de la part des représentants de l’État, inspecteurs des marchés,
policiers ou fonctionnaires locaux qui s’interposaient pour prélever leur
part.
Malgré des changements progressifs, en 1987, seul un maigre total de
22 millions de personnes, sur une population de plus d’un milliard, étaient
officiellement inscrites en tant qu’employés d’entreprises privées. Plus de
15 millions d’entre eux vivaient dans les campagnes, où les entreprises
villageoises employaient à elles seules 90 millions d’individus. Même si,
selon certaines estimations, la moitié de toutes les entreprises privées
opéraient en passant inaperçues, elles ne représentaient qu’une part modeste
de l’économie 227.
Ainsi que l’admit le maire adjoint de Wenzhou en 1987, dans les
grandes métropoles comme Wuhan, Shenyang et Beijing, le secteur privé
restait limité et presque inexistant dans certaines villes. À Wenzhou,
« épicentre du capitalisme », les deux tiers des recettes municipales
dépendaient d’entreprises d’État : « Nous sommes à bord du bateau de la
propriété publique : si le bateau coule, nous sombrons aussi 228. »
*
* *
En janvier 1984, Deng Xiaoping rendit une visite surprise à Shum.
Suivi par des millions de ses concitoyens sur la télévision nationale, il
effectua un tour de la ville, inspecta une usine d’appareillages électroniques
et écouta un rapport du maire. Il donna sa bénédiction à ses hôtes en
observant avec gravité : « Notre politique d’aménagement de zones
économiques spéciales est la bonne 229. »
Avant sa visite, nombreux étaient ceux qui considéraient cette ville
comme un cas idéologiquement suspect, évoluant dans une zone
d’incertitude capitaliste. En décembre 1980, Zhao Ziyang, Wan Li, Yao
Yilin et Gu Mu avaient présidé une réunion spéciale et formulé cette mise
en garde : « Nous ne pouvons permettre que le pays se dissolve dans le
capitalisme. » Ils fustigèrent des forces étrangères hostiles aux États-Unis et
à Hong Kong qui « tentaient de transformer le Guangdong en un autre
Hong Kong ». « Ce que nous mettons en place, expliquèrent-ils encore, ce
sont des zones économiques spéciales, pas des zones politiques spéciales. »
Quelques semaines plus tard, Chen Yun rappelait avec sévérité que « les
capitalistes étrangers sont aussi des capitalistes 230 ».
Shum Chun, plus connue sous le nom de Shenzhen, accéda d’un coup à
la notoriété, l’approbation et le soutien de Deng ayant été repris et diffusé
dans tout le pays à la radio, par les journaux et à la télévision. À l’exemple
de Dazhai, une décennie plus tôt, qui avait agi comme un aimant pour des
milliers de délégués du parti désireux de s’imprégner des leçons
révolutionnaires sur l’autosuffisance, Shenzhen devint une Mecque pour les
responsables du parti qui souhaitaient tirer les leçons de cette expérience en
matière d’attraction de capitaux et de technologies de l’étranger. La seule
ville de Tianjin envoya 5 000 personnes en observation. Shenzhen fut
submergée sous un afflux massif de visiteurs, bien qu’un bon nombre de
délégués aient apparemment préféré faire du shopping plutôt que d’écouter
des conférences 231.
En 1976, Shenzhen n’était guère plus qu’une bourgade endormie et
reculée, comptant environ 30 000 habitants. Toutefois, elle disposait d’une
liaison ferroviaire avec Hong Kong, puissante capitale financière située
juste derrière la frontière où des centaines de gratte-ciel d’acier et de verre
se disputaient des places rares dans un paysage urbain surchargé. Tout
comme le Japon et les États-Unis avaient impressionné les missions
commerciales et les voyages d’études envoyés sur place, c’était désormais
Hong Kong qui les attirait. Song Ziming et Chai Shufan, envoyés en
Nouvelle-Zélande en août 1977, firent une escale dans la colonie de la
Couronne britannique et ils en restèrent abasourdis. Ce simple rocher dans
un océan dénué de ressources naturelles produisait apparemment de tout,
grâce aux matières premières du monde entier déchargées dans ses ports
débordant d’activité, qui allaient alimenter 36 000 usines débitant à la
chaîne des biens de toutes les catégories imaginables, des fleurs en
plastique à deux sous aux ordinateurs les plus avancés. Hong Kong était un
port franc sans droits de douane et ses faibles taux d’imposition et de
taxation attiraient les investissements du monde entier. Dans la colonie de la
Couronne, tout pouvait servir à la réalisation des Quatre Modernisations :
son port, ses banques, ses compétences et, surtout, ses capitaux. « Il faut
planifier à long terme et pleinement utiliser Hong Kong », avait déclaré le
président Mao des années plus tôt 232.
Ce n’était jamais qu’une première délégation. Il y en eut quantité
d’autres, alors que la colonie de la Couronne se transformait pour la Chine
continentale en terrain de formation informel. Shanghai envoya des équipes
sur place pour tout étudier, de la fabrication d’un imperméable à la
construction d’un gratte-ciel. En 1978, la province du Guangdong consacra
un groupe d’étude à chaque branche de l’industrie et du commerce. S’il y
avait un modèle à suivre, ce n’était pas le Japon, mais Hong Kong 233.
La colonie de la Couronne avait longtemps été indispensable au régime
communiste, lui offrant un lien vers le reste du monde. Alors que « le rideau
de bambou » s’abattait en 1949, elle devenait l’intermédiaire commerciale
de la Chine, son courtier, en important des biens étrangers et en exportant
les produits de base du continent. Au plus fort du Grand Bond en avant,
alors que les relations avec l’Union soviétique s’étaient réduites à leur plus
simple expression, Hong Kong s’imposait comme la plus vaste source de
devises étrangères de la Chine continentale 234.
Les habitants de Hong Kong, ainsi que les autres communautés
étrangères de Chinois immigrés, de l’Indonésie à la Californie, reçurent
l’appellation « de Chinois d’Outre-mer et de compatriotes de Hong Kong et
de Macao ». Bien que la Chine considère certains d’entre eux comme des
espions potentiels et des agents d’infiltration capitalistes, elle cultivait avec
d’autres certaines relations à travers le Front uni, un réseau de gens
influents et d’institutions contrôlé directement par Beijing. À Hong Kong,
le régime finançait une série d’associations de volontaires, notamment un
syndicat, une chambre de commerce et une agence de presse, afin d’y
mobiliser des soutiens, bien que l’essentiel de ce réseau se fût effondré
pendant la Révolution culturelle.
Après 1976, la caste dirigeante souhaitait relancer le Front uni, mais
avec une nouvelle orientation. Les patriotes n’étaient pas toujours
socialistes, observa Hua Guofeng lors d’une conférence à ce sujet, en
septembre 1979, toutefois nombre de capitalistes de Hong Kong étaient des
patriotes. « Si nous leur proposons un front uni socialiste, cela ne les attirera
pas, glissa Li Xiannian, mais nous pouvons créer un front uni patriotique. »
En 1981, ce message se répercuta à tous les échelons supérieurs du parti.
« Pour les Chinois d’outre-mer, nous n’avons qu’un seul critère, et il s’agit
du patriotisme », décréta Bo Yibo 235.
Une offensive de charme s’engagea, émaillée d’actes de contrition sur
les excès de la Révolution culturelle, lorsque les biens des Chinois d’outre-
mer avaient été confisqués. En septembre 1979, Deng Xiaoping ordonna
personnellement la restitution de leurs biens immobiliers, en particulier les
propriétés de riches hommes d’affaires. C’était un prêté pour un rendu, car
en échange les bénéficiaires étaient censés investir des fonds et contribuer
aux Quatre Modernisations 236.
Le moyen idéal d’attirer des talents et des capitaux de Hong Kong
consistait à ouvrir une zone spéciale près de la frontière. Rien n’obligeait à
violer les principes marxistes, expliquait Le Quotidien du peuple en 1978,
car l’Union soviétique, où l’on avait établi des joint-ventures avec des
entreprises étrangères dès les années 1920, avait créé un précédent 237. Dans
la zone spéciale, l’État fournirait la terre, les bâtiments et la main-d’œuvre,
alors que les compagnies étrangères apporteraient les matières premières,
les équipements et les compétences. C’était la voie de l’avenir, puisque la
science et la technologie étrangères pourraient être importées sans qu’il y
ait à en payer le prix plein en inestimables devises étrangères. Shenzhen se
situait dans le district de Bao’an, qui incluait l’île de Hong Kong avant
qu’elle ne soit cédée à perpétuité à la Grande-Bretagne selon les termes du
traité de Nanjing en 1842, ainsi que les Nouveaux Territoires régis en
revanche par un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans entré en vigueur en 1898.
En septembre 1978, le Conseil des Affaires de l’État déclara officiellement
Bao’an zone franche. Sur l’autre rive de la Rivière des Perles, une
deuxième zone fut instaurée à Zhuhai, limitrophe de Macao. Chacune de
ces deux zones perçut 50 millions de yuans par an d’investissements
pendant une période de trois ans 238.
Ces initiatives n’avaient rien de très audacieux. La première zone
franche industrielle pour l’exportation, ainsi que l’on désignait également
les zones de libre-échange, avait fait son apparition dans l’enceinte de
l’aéroport de Shannon en Irlande, en 1959. En 1970, dix pays abritaient ce
type de zones et elles continuèrent de se multiplier au cours de la décennie
suivante, ce qui aboutit en 1986 à l’existence de 175 de ces entités dans
cinquante pays.
La première entreprise conjointe établie à Zhuhai était une filature de
laine qui connut une réussite médiocre. Cette brève expérimentation
s’acheva sur la fermeture de l’usine, la production ayant plongé. Selon les
propos de son propriétaire, à Hong Kong, « ces gens n’aiment pas beaucoup
travailler ». L’État payait les travailleurs qui touchaient des salaires
extrêmement bas en étant pour la plupart analphabètes. Les contremaîtres et
les chefs de service, qui savaient lire et compter, percevaient exactement la
même paie que les employés ordinaires 239.
D’autres opérations marchèrent un peu mieux. L’usine la plus
prometteuse de Shenzhen abritait une chaîne de montage automobile
implantée par Harpers International, le distributeur de Ford et Mitsubishi à
Hong Kong. Une dizaine d’autres compagnies s’implantèrent également
pour profiter des bas salaires. En 1979, leurs bâtiments se dressaient encore
au milieu de champs déserts reliés au réseau routier par un simple chemin
de terre, mais avec un espoir : la Chine s’étant vue accorder la clause de la
nation la plus favorisée, les zones de libre-échange permettraient aux
sociétés de Hong Kong de contourner les quotas d’exportations fixés par les
États-Unis en modifiant la mention du pays d’origine de leurs produits 240.
D’autres difficultés se présentèrent d’emblée. Nombre d’ouvriers mal
payés tentèrent de s’échapper, attirés par les immeubles brillamment
éclairés et les salaires élevés de Hong Kong. En moins de dix jours, au mois
d’août 1978, ils furent environ 600 à s’enfuir de l’autre côté de la
frontière 241. C’était le début d’une lame de fond. Pour le seul mois de
mai 1979, des patrouilles de garde-frontières à Hong Kong en interceptèrent
plus de 14 000. Une immense clôture fut érigée afin de renforcer les
barrières dissuasives déjà existantes, notamment une petite armée de
Gurkhas 242.
Xi Zhongxun, un membre vétéran du parti réputé pour ses opinions
modérées, se rendit compte que lutter contre ce flot serait difficile.
Récemment nommé à un poste où il devait aider la Chine du Sud à
développer son commerce international, il proposa que soit accordée aux
provinces du Guangdong et du Fujian la latitude de prendre leurs propres
décisions en matière de commerce extérieur – y compris assurer de
meilleures conditions de travail aux travailleurs des zones de libre-échange.
« Appelons-les des zones spéciales », déclara Deng, en se rappelant les
zones de guérilla que les communistes avaient établies dans les régions
frontalières avant la Seconde Guerre mondiale. En juillet 1979, la zone de
libre-échange de Bao’an fut renommée zone spéciale de Shenzhen, une
appellation plus tard modifiée en zone économique spéciale de Shenzhen.
Zhuhai devint aussi une zone économique spéciale, de même que Shantou
et Xiamen, sur la côte de Fujian 243.
Quatre ans plus tard, la seule zone pleinement opérationnelle parmi les
quatre était celle de Shenzhen. Et pourtant, elle ne se développa pas non
plus tout à fait comme le pouvoir central l’avait envisagé. La ville était
supposée attirer des investisseurs étrangers et promouvoir les exportations
outre-mer. En réalité, lorsque Deng Xiaoping s’y rendit, elle importait trois
fois plus qu’elle n’exportait, creusant un déficit de plus de 500 millions de
dollars. Le tourisme et l’immobilier, et non l’industrie fondée sur des
technologies avancées, constituaient les sources principales de sa richesse.
Un nouvel étage d’immeuble s’y élevait chaque semaine, remarqua-t-on
avec admiration à Shanghai, mais l’urbanisation rapide avait un coût
énorme 244. L’État déversait un montant estimé à un milliard de dollars par
an dans la ville pour en développer les infrastructures, plusieurs fois la
somme qu’elle réussissait elle-même à capter auprès d’investisseurs
étrangers. Shenzhen était en fait devenue un entrepôt florissant, en
important et en exportant des biens à des tarifs préférentiels 245.
*
* *
Malgré les performances médiocres des quatre zones existantes, les
dirigeants du pays étaient impatients d’ouvrir davantage de villes au
commerce extérieur. Zhao Ziyang avait lu La Troisième Vague, ce livre
publié en 1980 par le futurologue américain Alvin Toffler qui prédisait
qu’après les révolutions agricole et industrielle, une troisième révolution
serait fondée sur l’ordinateur et concernerait aussi bien le clonage des
organismes vivants que la télévision par câble ou Internet. En octobre 1983,
Zhao proposa de sauter complètement la deuxième vague, d’installer les
technologies modernes le long des côtes et de déplacer l’industrie lourde
vers l’intérieur des terres. « Le temps et la marée n’attendent personne,
l’opportunité ne se présente qu’une seule fois », déclara-t-il. Tout comme le
Japon avait su saisir le moment qui s’était présenté avec la révolution Meiji
en 1868, désormais le tour était venu pour la Chine de dépasser ses
concurrents 246.
Un petit groupe de travail constitué pour réfléchir à cette question,
réunissant Ma Hong, directeur de l’Institut d’économie industrielle, et Zhu
Rongji, vice-ministre à la Commission économique d’État, intelligent mais
au caractère rugueux, en conclut que La Troisième Vague était un remède
miracle que le camp capitaliste comptait utiliser pour s’extraire d’une crise
économique insurmontable. Le livre s’écartait aussi des principes du
marxisme. Pourtant, si l’on fondait cette stratégie sur une économie
socialiste, elle représentait une immense opportunité de rattraper le retard
sur le monde extérieur. Deng Xiaoping et surtout Chen Yun insistèrent à
plusieurs reprises sur l’importance des ordinateurs dans le développement
futur de la Chine. La Troisième Vague devint donc une lecture obligatoire
pour tous les responsables du parti 247.
Le 24 février 1984, quelques semaines après sa visite impromptue à
Shenzhen, Deng Xiaoping convoqua Hu Yaobang, Zhao Ziyang et plusieurs
autres. « Nous devrions traiter les zones économiques un peu plus vite et un
peu mieux », suggéra-t-il. Une commission d’étude fut convoquée et
conclut après plusieurs mois d’évaluations préparatoires qu’il fallait ouvrir
d’autres villes côtières au commerce extérieur. Lénine avait enjoint ses
camarades de développer l’Union soviétique avec l’argent des capitalistes
étrangers. Deng était maintenant d’avis que le capital étranger ne suffisait
pas, car d’autres joint-ventures étaient requises dans les zones spéciales. Le
6 avril 1984, quatorze villes, dont Dalian, Tianjin, Shanghai, Wenzhou et
Guangzhou, furent ouvertes, devenant de fait des zones économiques
spéciales, à une réserve près. Beijing avait déversé des milliards dans
Shenzhen, mais n’était ni désireux ni capable de soutenir les nouvelles
zones avec davantage de fonds. « Nous vous donnons la liberté de vous
ouvrir, expliquait Zhao Ziyang. Ne venez pas nous solliciter à Beijing
chaque fois qu’il y a un problème. » Dans les faits, les gouvernements
locaux bénéficièrent d’un surcroît de latitude dans le domaine du commerce
extérieur en échange d’une pression réduite sur les finances étatiques, un
scénario gagnant-gagnant, en apparence. « Pour obtenir des résultats plus
rapides, il nous suffit de transférer le pouvoir à un échelon inférieur »,
déclara Zhao 248.
Pour encourager des sociétés étrangères à introduire en Chine des
technologies plus avancées, les nouvelles zones furent appelées zones de
développement économique et technologique 249. Pourtant, Gu Mu, acteur
essentiel après 1976 dans l’envoi de délégations commerciales à l’étranger,
formula un avertissement aux nouvelles zones. Le 6 avril, alors que les
quatorze cités étaient déclarées ouvertes, il signala qu’à l’extérieur du pays,
les soupçons d’atteinte systématique aux brevets étrangers allaient bon
train. À cet égard, il conseillait la prudence 250.
Or, alors que quatre ans plus tôt, le 3 mars 1980, la Chine avait adhéré à
l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, le respect de l’équipe
dirigeante quant aux obligations liées au traité restait de pure forme. Dans
toute la hiérarchie du parti, le vol de la propriété intellectuelle était
activement encouragé. En 1981, par exemple, une usine chimique située à
Shanghai avait réussi à reproduire du phoséthyl d’aluminium, un composant
utilisé comme fongicide et un brevet déposé en 1977 par le groupe
pharmaceutique et chimique Rhône-Poulenc (absorbé dans l’actuel
Aventis). L’usine ayant publié un article expliquant la procédure,
l’ambassade de France adressa une protestation officielle. D’autres cas se
présentèrent, incitant Wan Li, vice-Premier ministre du Conseil des Affaires
de l’État, lorsqu’il reçut une délégation de dirigeants pharmaceutiques
ouest-allemands en novembre 1982, à déclarer solennellement que son pays
respecterait les lois internationales. En réaction, le 25 février 1983, le
ministère des Industries chimiques et le ministère de l’Agriculture, de
l’Élevage et de la Pêche émirent une circulaire conjointe intitulée « Sur le
maintien du secret en cas de copie des produits pharmaceutiques
étrangers ». En raison des obligations juridiques de Beijing, expliquait la
directive, « nous ne pouvons publier dans des revues ouvertement
accessibles, et vous devrez modifier le nom du produit ». La contrefaçon,
ajoutait ce document, ne pouvait s’effectuer que « dans des conditions
strictement contrôlées 251 ».
Les brevets étrangers de propriété intellectuelle étaient collectés au plus
haut niveau et redistribués dans toute la chaîne de commandement de
l’économie planifiée. Le 18 mars 1983, le ministère des Industries
chimiques diffusa une note encourageant toutes les entreprises d’État sous
son autorité à envoyer des « cadres dirigeants qui soient politiquement
fiables », mais également initiés aux technologies avancées, dans son
Bureau de l’information scientifique et technologique équipé d’une salle de
lecture avec accès à des « documents spéciaux » définis comme étant des
« informations sur la science et la technologie obtenue à l’étranger par
l’intermédiaire de canaux particuliers 252 ».
Les ordinateurs figuraient au premier rang des priorités. Le premier
système informatique IBM qui équipa la Chine, un IBM System
370 modèle 138, fut installé en 1979 à la Shenyang Blower Works. À
l’époque, ces ordinateurs étaient des machines lourdes et l’unité centrale
avait la taille d’une armoire. Il n’existait pas de brevet protégeant cette unité
centrale, ce qui conduisit à l’apparition de ce que l’on appelait des clones
informatiques. En revanche, le logiciel et la technologie essentiels qui
conféraient à IBM son avantage compétitif étaient tenus secrets et protégés
par des brevets. L’Union soviétique, où des clones étaient assemblés sur des
chaînes de montage et expédiés aux alliés du camp socialiste, comptait
certains des meilleurs experts mondiaux en rétro-ingénierie informatique 253.
En octobre 1980, le Comité informatique de Shanghai explorait la
possibilité de copier l’entièreté du Système 380 d’IBM, une opération qui
nécessiterait 2,6 millions de dollars, une équipe de cinq experts locaux et
étrangers et un officier de liaison compétent aux États-Unis. La base
parfaite fut identifiée : ce serait San Francisco, car son maire, Dianne
Feinstein, avait inauguré le jumelage de sa ville avec Shanghai en janvier.
Une délégation s’y rendrait « au nom de l’amitié ». Un mois après, le
comité municipal du parti approuvait la proposition 254.
Deux ans plus tard, Shanghai reconnaissait que ses entreprises d’État
n’avaient rencontré que de maigres succès dans l’importation et la copie de
technologies complexes. « Nous avons besoin d’une approche unifiée en
matière de copie », soulignait un rapport, afin que « la qualité de
l’équipement copié puisse être garantie 255 ».
La contrefaçon devint encore plus importante après que
La Troisième Vague d’Alvin Toffler eut reçu l’imprimatur officiel. À
Tianjin, un article du Bureau de l’industrie légère mit en avant l’idée que si
le pays visait à sauter plusieurs étapes de son développement, la
contrefaçon devenait alors essentielle. Les quatorze nouvelles zones
économiques spéciales, dont celle de Tianjin, fournissaient des « conditions
idéales pour la copie de biens de consommation et de technologies
avancées ». L’usine de machines à laver Yingkou, qui avait dupliqué des
produits Panasonic, n’en était qu’un exemple 256.
À plusieurs reprises, l’Administration nationale pour la Protection des
secrets d’État, réactivée en 1978, enjoignit les membres du parti à faire de
la contrefaçon de biens culturels à l’abri des yeux et des oreilles
indiscrets 257. Comme tous les comités centraux, cet organe possédait une
section locale dans chaque comté et chaque ville. En 1985, par exemple, le
Comité de Shanghai pour la Protection des secrets d’État fournissait des
instructions claires sur les données susceptibles d’être partagées avec des
homologues étrangers dans le cadre de joint-ventures. Cela excluait toute
information sur « l’importation par des canaux officieux d’équipements
sous embargo, d’instruments, d’échantillons, de spécimens, de semences, de
renseignements technologiques et de matériels similaires 258 ».
Des délégations étrangères remarquèrent néanmoins que leurs
homologues en Chine n’hésitaient guère à expliquer comment ils copiaient
des technologies brevetées 259. Aucune sanction juridique concrète
n’empêchait la contrefaçon, et ce type de pratique n’encourait non plus
aucune sanction éthique. La notion de propriété privée n’existait guère.
C’était la manière socialiste de procéder car le bien collectif primait sur les
droits individuels, en particulier quand ces droits étaient d’origine
capitaliste.

*
* *
Le commerce extérieur s’était également transformé. Non seulement les
grands centres industriels le long de la côte furent déclarés ouverts, mais, en
septembre 1984, le système du contrat fut appliqué au commerce extérieur
sur tout le territoire national. Les entreprises de commerce extérieur, à
travers lesquelles toutes les transactions avec des étrangers s’étaient
effectuées jusqu’à présent, perdirent leur monopole. Des milliers de
nouvelles entités surgirent presque du jour au lendemain, rivalisant entre
elles pour servir d’agents aux entreprises d’État. La part du commerce
extérieur que les vendeurs pouvaient retenir sur leurs ventes à l’exportation
augmenta de 8 % en 1983 et de 25 % en 1985 260.
Il en résulta un boom des importations. Elles bondirent de 60 % en
1985, poussées par la demande de télévisions en couleur, de magnétophones
à cassette et de micro-ordinateurs, ainsi que d’usines entières clefs en main.
Ainsi que le déclara Zhao Ziyang en avril 1985, « vous importez, et
j’importe aussi, tout le monde importe des chaînes de montage, des
télévisions en couleur, des réfrigérateurs et des machines à laver jusqu’aux
magnétophones ». « Nous ne pouvons pas continuer comme cela », prévint-
il. Mais il ne pouvait pas faire grand-chose pour enrayer la tendance, car
imposer un contrôle plus étroit sur les devises étrangères aurait sapé les
efforts déployés pour accroître les exportations 261. En l’espace d’un an, les
réserves officielles de devises, ramenées à un sain équilibre après une
période de repli économique, baissèrent de 17 milliards à moins de
3 milliards, à peine de quoi couvrir un mois d’importations 262.
La situation était une réédition de celle de 1978, cette fois à plus grande
échelle. Les importations doublèrent, des technologies coûteuses, mais
inappropriées furent acquises et de fortes sommes d’argent dépensées en
biens de luxe. Partout dans le pays, des gouvernements locaux optèrent pour
des moyens détournés, mais nulle part davantage que dans l’île subtropicale
de Hainan qui avait une réputation de piraterie. Au lieu d’investir dans des
élevages de poissons et des plantations, les responsables de l’île décidèrent
d’exploiter leurs exemptions de droits de douane, accordées en mars 1983,
pour aider à mettre fin à la pauvreté et transformer l’île en vitrine de la
réforme économique. Le gouvernement local importa 89 000 voitures et
camions ainsi que des millions de téléviseurs et de magnétoscopes, des
produits cosmétiques, alimentaires et des jouets. Les ports étaient engorgés.
Le décret qui transformait l’île de Hainan en zone d’exemption fiscale
spécifiait que ces importations étaient réservées à l’usage local, alors
qu’elles étaient revendues au reste du pays, des courtiers achetant des biens
de luxe jusqu’à trois fois leur prix d’importation. Les succursales locales de
deux banques spécialisées fournirent les prêts finançant ce montage.
L’argent prétendument affecté au développement des routes, des voies
ferrés et des aéroports de l’île fut au contraire échangé au marché noir
contre des devises que des entreprises spécialisées dans le commerce vers
l’étranger étaient autorisées à conserver pour importer de la technologie.
Quand le gouvernement central finit par réprimer ces agissements au
printemps 1985, ces circuits illicites se révélèrent la plus importante
manipulation de devises étrangères de l’histoire du pays 263.
Face à la hausse des importations, les exportations étaient incapables de
soutenir la cadence. L’objet du système du contrat consistait à encourager
davantage la production de biens d’exportation courants. Or, le taux de
change officiel était surévalué. Un double taux de change ayant été introduit
en janvier 1980, le taux interne avait été fixé, rappelons-le, à 2,80 yuans
contre un dollar. Au cours des années suivantes, du fait de l’inflation, le
coût moyen d’un dollar à l’étranger augmenta progressivement, et
atteignit 3,20 contre un en 1983 264. À Shanghai, des usines entières
s’arrêtèrent après avoir refusé de baisser davantage leurs prix pour les
marchés à l’exportation. À leur tour, les entreprises de commerce vers
l’étranger se vengèrent en refusant de rembourser leurs emprunts. L’État
intervint avec des subventions, suivies d’autres politiques génératrices de
distorsion, afin de compenser les effets défavorables des doubles taux de
change 265.
Le 1er janvier 1985, le taux de change intérieur fut discrètement
abandonné, moyennant une série de dévaluations conçues pour doper les
exportations. En août 1985, le yuan chuta à 2,90 contre un dollar. En
octobre, quatre dévaluations se succédèrent rapidement, réduisant ce taux
à 3,20. En juillet 1986, il y eut encore une baisse à 3,71, niveau qui se
maintint jusqu’en décembre 1989 266.
Cela ne suffisait pas non plus. À l’opposé, à Tianjin, le géant industriel
du Nord, le coût unitaire d’un dollar d’exportations était en janvier 1985 de
3,44 yuans 267. La situation était un peu meilleure à Shanghai, le centre
économique du Sud. Dans presque tous les secteurs de l’industrie, les
exportations entraînaient des pertes. Dazhonghua, la plus grande usine de
caoutchouc du pays, produisait des pneus pour les marchés extérieurs au
coût unitaire de 5,50 yuans contre un dollar. La production chuta, forçant la
municipalité à accepter de nouvelles concessions, notamment des impôts et
des droits de douane réduits 268.
L’inflation exacerba encore le problème, conduisant à son tour à une
hausse de la consommation. Alors que les prêts des banques spécialisées
augmentaient en flèche, davantage d’argent était disponible pour la
consommation. Beaucoup d’entreprises préféraient donc écouler leurs
marchandises sur le marché intérieur plutôt que de les exporter en les
vendant à des prix mondiaux inférieurs à leurs coûts de production. Pour
contrebalancer les effets indésirables d’un taux de change officiel faussé et
renforcer la croissance des exportations, le gouvernement introduisit une
série de mesures de compensation, qu’il s’agisse de subventions directes à
l’exportation ou de moyens indirects, notamment le recours aux marchés de
swaps de devises, des réductions de taxes sur les exportations et des prêts à
l’exportation à taux d’intérêt réduit.
Soutenu par ces mesures, le flux des exportations reprit sa dynamique.
Les observateurs étrangers, sidérés par les statistiques officielles, se
perdaient en conjectures à propos de ce géant endormi qui se réveillait enfin
après des années de sommeil. La valeur estimée des exportations augmenta
d’un peu moins de 10 milliards de dollars en 1978 à presque 50 milliards en
1988. Les exportations représentaient moins de 1 % du commerce mondial
en 1978, mais atteignaient 1,7 % en 1988. Ce chiffre plafonnait encore au-
dessous de ce qu’il était en 1959, pourtant cela transforma l’économie
locale et modifia fondamentalement la relation économique de la Chine
avec le reste du monde. C’était particulièrement vrai des exportations de
textiles et de produits manufacturés légers, qui croissaient plus vite que
d’autres catégories de produits 269.
Le Japon et les États-Unis étaient les deux plus grands marchés de la
Chine. Les deux pays étaient l’un et l’autre désireux de contenir l’Union
soviétique et s’étaient tous les deux accordés pour consentir à la Chine la
clause de la nation la plus favorisée, en 1978 et en 1980 respectivement. À
l’inverse de Tokyo, Washington avait conservé le droit d’imposer des droits
de douane compensateurs si les services américains établissaient que les
exportations de la Chine étaient subventionnées. Les propriétaires de
manufactures et d’autres producteurs aux États-Unis se plaignaient
régulièrement de ce que les exportations chinoises étaient injustement
subventionnées, poussant donc à imposer des quotas de restrictions sur le
niveau des exportations chinoises, en particulier les produits textiles.
Ces nouvelles barrières furent aisément contournées, les exportations
étant expédiées aux États-Unis par la voie indirecte, via le port de
Hong Kong. En 1978, les réexportations par Hong Kong représentaient à
peu près le quart de tous les biens chinois destinés aux États-Unis. En 1984,
la moitié de ces exportations transitaient par la colonie britannique et, en
1988, la valeur de ces exportations indirectes avait tellement augmenté
qu’elle dépassait le volume du commerce extérieur chinois avec les États-
Unis 270. La zone de libre-échange établie en face de la frontière avec
Hong Kong en 1978 était la clef de ces transits.

*
* *
Quand le scandale de l’importation de 89 000 véhicules dans le Hainan
éclata en 1985, il ternit la réputation de toutes les zones économiques
spéciales. Pourtant, Shenzhen restait un cas à part. Depuis le tout début, la
ville avait été conçue dans un but politique bien plus large, absent de toutes
les autres zones de libre-échange établies dans le monde : la République
populaire de Chine visait à démontrer qu’elle était capable de faire
fonctionner deux systèmes dans un seul pays. « Ce que Hong Kong est
capable de faire, nous, à Shenzhen, nous pouvons le faire aussi bien ou
mieux », claironnait Le Quotidien du Peuple en 1983 271.
L’idée qu’un pays puisse abriter au moins deux systèmes fut d’abord
proposée par le maréchal Ye Jianying en septembre 1981 : il la développa
pour Taïwan, l’« île renégate » que le régime se jurait de récupérer. Puisque
le bail britannique sur les Nouveaux Territoires devait expirer en 1997, le
plan en neuf points du maréchal Ye fut révisé, afin d’inclure la colonie de la
Couronne. La souveraineté en reviendrait à Beijing, tandis que Hong Kong
resterait un port franc et un centre financier international. Le 6 avril 1982,
Deng Xiaoping déclarait à Edward Heath, figure du Parti conservateur
britannique venu en visite officielle à Beijing, que « Hong Kong sera dirigé
par ses habitants 272 ». Mais l’île de Hong Kong avait été cédée à perpétuité
et la Première ministre britannique Margaret Thatcher répugnait à renoncer
à sa souveraineté sur ce territoire. Elle croyait que sans une forme de
contrôle administratif au-delà de 1997, Londres serait privée de garanties
car « on ne pouvait se fier aux gouvernements communistes pour qu’ils
respectent des accords 273 ».
Alarmée par une fuite de capitaux de Hong Kong, ainsi que par des
tentatives de la part de Singapour et de Taïwan pour attirer des investisseurs
potentiels, Thatcher s’envola pour Beijing en septembre 1982. Hu Yaobang
était indisponible, il recevait le dictateur nord-coréen Kim Il-sung qui, par
coïncidence, se trouvait aussi dans la capitale. Zhao Ziyang donna le ton en
refusant de reconnaître les traités signés sous la dynastie Qing. Il offrit à
Thatcher un choix léonin, en déclarant tout de go que, s’agissant de
Hong Kong, Beijing accorderait toujours la préférence à la souveraineté par
rapport à la stabilité. Pour faire bonne mesure, il insista aussi auprès d’elle
pour obtenir un prêt à long terme à un taux avantageux 274.
La rencontre de Thatcher avec Deng Xiaoping, le 24 septembre, ne se
déroula pas mieux. Il se montra revêche et se cabra à l’idée d’une forme
prolongée de présence institutionnelle de la Grande-Bretagne après 1997. Il
mit en doute l’idée d’un contrôle administratif en l’écartant d’un revers de
main. De temps à autre, il se penchait en avant pour se racler la gorge et
cracher bruyamment dans un crachoir blanc placé à ses pieds. Il proféra une
menace en annonçant qu’il se réservait de reconsidérer la date et le mode de
récupération du territoire si jamais les moindres troubles à l’ordre public
éclataient. Personne ne savait exactement, continua-t-il sur un ton de
conspirateur, combien de billets de banque la Hong Kong and Shanghai
Bank of China (HSBC) avait véritablement mis en circulation. Cette
allusion déconcerta la Dame de Fer : elle se trouvait face à l’un des hommes
les plus puissants du monde qui, ignorant manifestement tout du mode de
fonctionnement d’un parlement, prétendait qu’elle œuvrait à cette instabilité
financière afin d’exercer sur lui des pressions 275. En ressortant de cette
entrevue devant les caméras de télévision, une Margaret Thatcher
visiblement secouée trébucha en descendant les marches du Palais du
Peuple.
Dès son retour à Londres, elle en conclut qu’aucun des dirigeants de
Beijing ne comprenait la finance internationale ou le concept de liberté dans
un régime d’État de droit 276. Ses soupçons ne tardèrent pas à recevoir une
confirmation. Quelques heures après, Deng Xiaoping confiait à un
intermédiaire de Hong Kong qu’en prenant le contrôle de la colonie,
Beijing serait en position de puiser davantage dans les devises étrangères de
la péninsule 277. En novembre, il réitéra ses allégations selon lesquelles
Londres avait manipulé le dollar de Hong Kong et se demandait quelles
autres machinations les Britanniques seraient capables d’ourdir 278.
Il n’y eut pas de négociations, uniquement de sévères remontrances et
de sombres mises en garde, assorties de menaces réitérées de reprendre
Hong Kong avant 1997 279. Beijing imposa aussi une échéance, en exigeant
qu’un accord soit signé avant la fin septembre 1984. L’idée d’une zone
spéciale fut défendue avec insistance, quoique formulée sans détails ni
garanties. Un an avant sa propre date butoir, Beijing admit ne pas avoir
préparé une loi fondamentale ou même étudié le système juridique en
vigueur à Hong Kong 280.
Le 19 décembre 1984, les deux pays signèrent une déclaration
conjointe, annonçant que Hong Kong deviendrait une Région administrative
spéciale en date du 1er juillet 1997. Beijing promit de laisser le système
administratif, financier et juridique distinct de la colonie inchangé pendant
cinquante ans. Pour marquer l’occasion, le Guide suprême prononça un
discours, intitulé « La Chine tiendra toujours ses promesses 281 ».
Bien que cette déclaration ne fût pas intervenue tout à fait à temps pour
la Fête nationale du 1er octobre, Deng Xiaoping fit une apparition
triomphale à la tribune, devant une foule de 100 000 personnes qui avait
attendu sur la place Tian’anmen depuis les premières heures du matin. Ses
premiers propos reprenaient le slogan le plus fameux de Mao, lancé trente-
cinq ans plus tôt : « Le peuple chinois s’est levé ! » « Nous avons créé une
société socialiste, poursuivit-il, nous avons changé le cours de l’histoire de
l’humanité. » La foule applaudit à tout rompre 282.
4.

Du peuple et des prix


(1984-1988)

En septembre 1937, Mao Zedong avait rédigé un texte bref intitulé :


« Combattre le libéralisme ». Il y prenait pour cible les membres du parti
qui préféraient éviter la lutte idéologique au nom de l’unité. Mao dressait la
liste des onze formes de libéralisme qui minaient les organisations
révolutionnaires. « Laisser les choses partir à la dérive au nom de la paix et
de l’amitié quand un individu s’est manifestement égaré » était l’une
d’elles. D’autres consistaient à « désobéir aux ordres et à accorder une place
de choix à ses propres opinions », à « prêter attention à des points de vue
incorrects sans les réfuter » ou à « travailler sans assiduité et avec
négligence 283 ».
Le 12 octobre 1983, Deng Xiaoping avait averti ses camarades contre
toute tentation de minimiser les dangers de la pollution spirituelle. Il évoqua
longuement ce texte de Mao Zedong, en les prévenant : « Aucun membre
du parti ne peut se tenir au-dessus de ce même parti et agir comme bon lui
semble 284. »
Deng s’était rangé un peu à contrecœur aux côtés de Hu Yaobang, en
bridant la campagne contre la pollution spirituelle qui menaçait de refroidir
l’engagement des membres du parti à soutenir le programme de
modernisation économique. Le monde littéraire reprit confiance. Comme
tous les employés de l’État dans un régime de parti unique, les écrivains
étaient adhérents d’une association contrôlée par ce même État. Et comme
au sein de toutes les associations contrôlées de la sorte, des réunions
régulières se tenaient pour étudier et mettre en œuvre les toutes dernières
politiques formulées par les dirigeants du pays. Ils votaient également, mais
comme ils n’étaient que de modestes rouages d’une vaste machinerie, ils
n’apportaient leur voix qu’à des candidats sélectionnés par le parti.
L’Association des écrivains chinois (AEC) tint donc son Quatrième
Congrès du 29 décembre 1984 au 5 janvier 1985. Hu Yaobang y était invité,
Deng Liqun ne l’était pas, alors même qu’il était le chef du département de
la Propagande.
Hu Yaobang était un homme petit et délicat au physique d’oiseau, mais
animé d’un esprit vif et d’une énergie apparemment sans limite. Il était
capable de bondir d’excitation quand il s’adressait à son auditoire d’un
timbre de voix strident en gesticulant avec de grands mouvements de bras.
Son accent prononcé de la région du Hunan décontenançait certains de ceux
qui l’écoutaient. Il aimait bien employer des expressions argotiques. Ses
admirateurs trouvaient son style anticonformiste stimulant. Toutefois son
attitude en mettait manifestement d’autres mal à l’aise 285.
S’adressant au congrès, il adopta une posture libérale. Il établit une
distinction entre organes directement subordonnés à la tutelle du parti et
d’autres associations qui devraient être libres de voter sans subir aucune
ingérence. Il suggéra de supprimer la liste des candidats validés
communiquée en temps normal par le parti.
Les membres votèrent. Les candidats qui avaient tenu un rôle actif dans
la campagne contre la pollution spirituelle ne furent pas élus. Ba Jin, un
romancier populaire que Deng Liqun avait pris à partie, le fut dans les
règles. L’élection au poste de vice-président de Liu Binyan, un journaliste
d’investigation qui avait écrit des articles critiques sur les Quatre Principes,
était encore plus choquante. Liu usa de cette opportunité pour s’en prendre
à ses adversaires, qui l’avaient attaqué en raison de ses idées
« bourgeoises 286 ».
L’élection déclencha une série d’ondes de choc dans les rangs du parti.
Hu Qiaomu et Deng Liqun étaient ulcérés. Li Xiannian dénonça une
rébellion contre le parti. Deng Xiaoping convoqua Hu Yaobang. Quelques
jours plus tard, le 8 février, un Hu Yaobang contrit prononça un nouveau
discours devant le Comité central afin de souligner l’importance capitale de
la lutte contre la pollution spirituelle. Seul le socialisme pouvait conduire à
la vraie démocratie, alors que les journalistes se devaient d’être les porte-
voix du parti, seul représentant légitime des intérêts du peuple. C’était un
message sans appel, publié quelques mois plus tard dans l’organe officiel du
parti, Drapeau rouge 287.
En mai 1985, Hu commit encore une erreur de calcul. Il accorda une
interview à Lu Keng, un journaliste chevronné qui avait eu le rare titre de
gloire d’avoir été emprisonné d’abord par le Kuomintang, puis par le Parti
communiste chinois qui lui avait succédé. Fidèle à son surnom – « Grand
Bruit » –, il fit sensation en publiant l’interview à Hong Kong et en
décrivant le secrétaire général comme un personnage honnête, éclairé,
disposé à tolérer la dissidence. Au cours de cette réunion, le journaliste
aborda directement le sujet du seul poste officiel détenu par Deng Xiaoping,
en l’occurrence la présidence de la Commission militaire centrale.
« Pourquoi ne prenez-vous pas la tête de la Commission militaire centrale
tant que le vieux Deng est encore en vie ? Si vous vous abstenez, comment
maîtriserez-vous la situation au cas où, dans le futur, les commandants de
l’armée s’opposeraient à vous ? » Hu Yaobang répondit en expliquant
qu’aucune guerre imminente ne menaçant à l’horizon, il laissait Deng
occuper cette fonction. Quand Lu Keng émit ensuite des commentaires
désobligeants envers Chen Yun, Hu Qiaomu et Deng Liqun, Hu Yaobang
demeura silencieux 288.
Bien que l’entretien ait été profondément remanié, la transcription
originale fut portée à la connaissance de Deng. « C’est totalement
inacceptable », tempêta-t-il. Pour lui, ce fut sans doute un tournant et, à
compter de ce moment, il chercha une occasion d’évincer Hu Yaobang 289.
Pendant plusieurs années, en tant que secrétaire général du parti, Hu
Yaobang avait tenté de rajeunir les rangs du parti en assurant la promotion
de jeunes adhérents. Un bon nombre des plus influents venaient de la Ligue
de la jeunesse, l’ancienne base de son pouvoir. Cela en froissa quelques-
uns 290. Pourtant, il élargit aussi son influence au sein des forces armées.
Comme le président Mao l’avait formulé en des termes laconiques, « le
pouvoir est au bout du fusil ». Des alliés dévoués qui avaient servi sous les
ordres de Hu Yaobang dans l’Armée de route du Shanxi-Chahar-Hebei
avant 1949 furent nommés à des postes clefs de toutes les forces militaires.
Cela n’avait rien de remarquable. Dans un régime de parti unique, la
politique gravitait autour de joutes de pouvoir sans fin mettant en jeu des
factions constamment changeantes et des alliances temporaires. Aucun
individu ne parvenait à y survivre tout seul. Comme la loyauté était un
principe cardinal, ils tentaient tous de se construire une base de pouvoir en
assurant la promotion de leurs subalternes. Quand un hiérarque des hautes
sphères était renversé, en aval, c’était la pyramide tout entière qui
s’effondrait. Afin d’empêcher que le factionnalisme ne ronge le parti, dès
1921, Lénine l’avait formellement proscrit. À maintes reprises, de fermes
injonctions avaient été émises contre « le regroupement en bandes », « la
formation de cliques à des fins personnelles » ou « la constitution de
factions ». Pourtant, malgré des interdictions en vigueur de longue date,
elles restaient partie intégrante de la politique de couloir à tous les échelons
de la machine du parti. Quoi qu’il en soit, la discrétion était de mise.
L’heure de vérité sonna en mai 1986. Vingt ans plus tôt, après la
dénonciation des crimes de Staline par Khrouchtchev, Mao Zedong avait
sondé la loyauté de ses collègues en suggérant qu’il pourrait envisager son
retrait pour raisons de santé. Au lieu de le supplier de rester, Deng Xiaoping
et Liu Shaoqi créèrent à son intention un nouveau poste de président
honoraire, provoquant la fureur de l’intéressé. Deng eut cette fois recours à
son tour à une stratégie similaire, se demandant ouvertement s’il ne devait
pas se retirer afin de faire place à une plus jeune génération. Zhao Ziyang le
saisit par la manche, l’implorant de rester : « Nous comptons sur toi. » Au
lieu de quoi, Hu Yaobang se fit une joie d’approuver l’intention feinte de
Deng 291. C’était un faux pas de plus après une série de bévues.

*
* *
Sous un régime de parti unique, la contestation politique peut se révéler
une aventure périlleuse. L’une des stratégies dûment éprouvées consistait à
manifester en choisissant un jour officiel du calendrier révolutionnaire, par
exemple le Quatre Mai. Un autre stratagème était de protester contre le
Japon, car peu de dirigeants avaient le courage politique d’interférer avec le
sentiment nationaliste, qu’il soit feint ou réel. Dans ce cas, le 18 septembre
était une bonne option, car cette date marquait l’incident de Moukden : en
1931, l’armée japonaise du Kwantung stationnée dans le nord-est de la
Chine avait mis en scène cet attentat pour justifier l’invasion à grande
échelle de la Mandchourie *1.
Le 18 septembre 1985, lors de la plus grande manifestation depuis le
5 avril 1976, un millier d’étudiants convergèrent vers la place Tian’anmen
depuis plusieurs universités, en agitant des drapeaux et en clamant des
slogans contre le Japon. Leur courroux avait été suscité par le Premier
ministre Yasuhiro Nakasone, qui s’était rendu en visite officielle au
sanctuaire shintoïste honorant les morts de la guerre au Japon. « À bas la
deuxième occupation », hurlaient-ils, une allusion à la présence
commerciale croissante de l’archipel nippon. Des policiers bouclèrent la
place, sans intervenir davantage 292.
Cette manifestation demeura impunie, décision très inhabituelle au
regard des règles communistes en vigueur, ce qui laissait supposer un
soutien venu d’en haut. Quelques semaines plus tard, des manifestations se
multiplièrent dans tout le pays sur vingt autres campus, et des troubles
majeurs éclatèrent dans plusieurs villes, parmi lesquelles Xi’an, Wuhan et
Chengdu. Il devenait maintenant clair que ces soulèvements participaient
d’un assaut masqué contre les politiques économiques du gouvernement.
Cette fois, les représailles furent rapides 293.
Les instigateurs de ces manifestations semblaient former une « petite
minorité » de gens accusés de manipuler les étudiants dans les coulisses,
décrits comme des opposants à la politique de la porte ouverte *2, des
éléments dégénérés favorables à la libéralisation bourgeoise, des résidus de
la Bande des Quatre, des organisations clandestines ainsi que des espions de
Taïwan et de Hong Kong. La majorité des manifestants défendaient le
patriotisme, mais c’étaient aussi des naïfs. « Nous devons maintenir la
discipline prolétarienne et nous opposer au libéralisme », tonnait l’équipe
dirigeante à huis clos 294.
À Beijing, plusieurs centaines d’étudiants furent de retour sur la place
Tian’anmen le 20 novembre, où ils organisèrent une veillée devant le
Monument aux Héros du Peuple. Des policiers à bord de jeeps investirent
l’esplanade et en expulsèrent les étudiants. Hu Yaobang eut beau enjoindre
les jeunes de « raffermir leur foi dans le communisme » et de « renforcer
leur résistance à de mauvaises influences », il ne parvint pas à étouffer cette
agitation. Lançant une nouvelle vague de protestations, des étudiants se
plaignirent des manœuvres d’intimidation que leur faisaient subir les
autorités universitaires, de l’inflation, de leurs médiocres conditions
d’existence et de la corruption gangrenant les membres du parti. « À bas les
privilèges spéciaux », vociféraient certains en exprimant leur colère envers
de hauts dirigeants qui tiraient profit de l’ouverture sur le monde extérieur.
Le 19 décembre, des milliers d’étudiants ouïghours descendirent dans la rue
à Ürümqi, la capitale provinciale du Xinjiang, et manifestèrent contre les
essais nucléaires ainsi que contre le grand nombre de camps de travail
implantés dans leur province où étaient détenus des criminels de droit
commun 295.
Les protestations ne firent pas long feu, mais l’équipe dirigeante n’en
était pas moins secouée. Le 18 septembre, alors que des étudiants
descendaient dans les rues de Beijing, Zhao Ziyang s’adressait à une grande
réunion du parti pour y parler du prochain plan quinquennal. Afin de ne pas
s’écarter de la voie du socialisme et de maintenir la dictature démocratique
du peuple, expliqua-t-il, il était essentiel de combattre le crime économique
tout en renforçant l’endoctrinement. Le pays devait « encourager
l’éducation idéologique du patriotisme, du collectivisme, du socialisme et
du communisme », et simultanément « s’opposer et résister à la
libéralisation bourgeoise, s’opposer et résister au capitalisme et à d’autres
influences corrosives au plan idéologique 296 ».
La campagne « Frapper fort » était relancée. « Tuer quelques opposants,
provoquer un choc. Il nous faut encore dix ans pour en revenir aux manières
de travailler du parti dans les années 1950. Pendant deux années, montrez-
vous impitoyables », recommandait Deng Xiaoping 297. Encore une fois, les
villes furent couvertes d’affiches détaillant les tout derniers crimes, et une
fois encore on vit des fourgons pénitentiaires sillonner les rues et conduire
des criminels vers le lieu de leur exécution. Mais cette fois, en une
concession apparente à la vague de colère contre le népotisme dans les
rangs du parti, plusieurs membres des familles de hauts responsables furent
accusés de viol et, en conséquence, fusillés. La direction du pays tentait
d’améliorer son image. « Ceux qui méritent d’être éliminés doivent être
exécutés en application de la loi », vitupéra le Beijing Evening News 298.
Ce geste se voulait une forme de gage. La vaste majorité des suspects
pris dans les rafles organisées par l’appareil d’État étaient des gens
ordinaires. En juin 1986, à la suite de la campagne « Frapper fort », le
système carcéral craquait de toute part face à l’afflux de plus d’un million
de nouveaux détenus confinés dans des conditions de surpopulation et
d’insalubrité. La torture, signalait le vice-ministre de la Justice, n’était « pas
rare ». Qu’ils soient fouettés avec des ceinturons de cuir, forcés de
s’agenouiller sur des pierres concassées ou exposés à la chaleur ou au froid,
« les prisonniers sont maltraités et torturés de quantité de manières 299 ».
La campagne contre les idées capitalistes décadentes fut aussi relancée.
Là encore, le parti promettait de nettoyer la « pollution spirituelle » avec
l’interdiction de pièces de théâtres controversées et plusieurs chanteurs
populaires furent priés de ne plus se produire en public 300.
Aucune de ces mesures ne résolvait une contradiction fondamentale :
l’inflation sapait progressivement le niveau de vie des citadins ordinaires,
alors qu’ils voyaient les membres du parti user de leur influence politique
pour exploiter le système socialiste et s’assurer des gains financiers. La
punition infligée à quelques responsables et une campagne idéologique
destinée à imposer des comportements plus en conformité ne conduiraient
qu’à peu de réformes authentiques au sein d’une structure politique qui
concentrait le pouvoir entre les mains des membres du parti sans leur
imposer aucune véritable obligation de rendre des comptes.
Les étudiants descendirent de nouveau dans la rue vers la fin de l’année
1986, cette fois en bien plus grand nombre. Ils adhéraient aussi ouvertement
aux principes démocratiques. Depuis la fin du mur de la Démocratie, au lieu
de se heurter au régime de manière frontale, les militants politiques avaient
tenté de faire usage de tous les droits démocratiques garantis par la
Constitution. Comme tous les pays socialistes, le régime chinois était fondé
sur les principes du centralisme démocratique qui conféraient le pouvoir du
peuple aux assemblées populaires, censément soumises à élection et qui
représentaient de manière formelle l’autorité suprême aux niveaux national
et local. Ce n’était qu’un faux-semblant, car en l’absence de toute
séparation des pouvoirs, l’Assemblée nationale populaire ne pouvait rien
faire de plus que d’avaliser les décisions de l’équipe dirigeante.
En octobre 1980, un étudiant de Changsha s’était présenté en candidat
potentiel pour l’élection à cette Assemblée nationale populaire, se décrivant
comme un « non-marxiste, toutefois en accord avec le socialisme
scientifique de Deng Xiaoping et Zhao Ziyang ». L’issue était prévisible.
Dès après sa sélection, son nom fut retiré de la liste des candidats. Des
manifestants marchèrent jusqu’au siège provincial du parti et organisèrent
un sit-in, en entonnant « À bas la bureaucratie ». Quatre-vingts autres
entamèrent une grève de la faim. Dans plusieurs régions également, des
candidats qui avaient essayé de se faire élire s’étaient retrouvés
discrètement exclus du scrutin 301.
En novembre 1986, des étudiants de l’université de science et de
technologie de Hefei, la capitale de la province d’Anhui, se préparaient
aussi à prendre part aux élections locales de l’assemblée populaire. Ils
étaient soutenus par un astrophysicien affable et posé, le dénommé Fang
Lizhi, dont les grandes lunettes lui donnaient une allure de hibou et qui
avait fait le tour du pays en pressant les étudiants d’exiger certains droits
démocratiques au lieu d’attendre que le parti les leur accorde. Toutefois, le
comité provincial du parti avait déjà choisi les gagnants de l’élection à
l’avance. Les étudiants soumirent une pétition écrite, qui fut ignorée. Des
affiches apparurent sur un mur long d’une centaine de mètres, reprenant des
demandes telles qu’un « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le
peuple », une formule rendue fameuse par Abraham Lincoln dans son
discours de Gettysburg, en 1863. Le 5 décembre, après que les autorités
eurent arraché ces affiches, des milliers de manifestants marchèrent en
direction des bâtiments du gouvernement provincial en exigeant une
réforme démocratique. Quelques jours plus tard, les autorités locales se
rétractèrent, en repoussant l’élection et en autorisant plusieurs étudiants,
ainsi que Fang Lizhi, à se présenter 302.
Le succès des étudiants provoqua une réaction en chaîne. Des dizaines
de milliers d’entre eux descendirent dans les rues d’une bonne dizaine de
villes, parmi lesquelles Wuhan, Beijing, Nanjing et Tianjin. À Shanghai, les
manifestants lancèrent leur propre mouvement protestataire après que Jiang
Zemin, le secrétaire du parti de la ville, se fut adressé aux étudiants de
l’université Jiaotong. Au lieu de leur exprimer sa sympathie, il les
réprimanda de se montrer aussi égoïstes, ponctuant son message en frappant
parfois du poing sur son pupitre, ce qui rendit son auditoire furieux. Les
jeunes le chassèrent de l’amphithéâtre sans plus de cérémonie, sous les
huées. Le lendemain, des habitants de la ville se joignirent à eux, en
arborant des slogans gribouillés à la hâte sur des banderoles improvisées
avec des draps. Le 21 décembre, 100 000 personnes se déversèrent sur la
place du Peuple, bloquant toute la circulation. Il régnait une atmosphère
festive, les manifestants semblant comme « étourdis par une impression
soudaine de liberté et une absence de peur », releva un observateur étranger.
Ils réclamaient la « Démocratie, la Liberté, les Droits de l’Homme,
l’Opposition à la Brutalité, et l’Opposition à la Déception », entre autres
choses. Ils se dispersèrent dans l’après-midi 303.
Le 23 décembre, Le Quotidien du Peuple publiait un éditorial conciliant
en appelant à l’unité et en présentant les étudiants comme « notre espoir et
notre avenir 304 ». Le lendemain, le Comité central se réunit et dénonça les
« slogans réactionnaires » des contestataires qui se laissaient manipuler par
des éléments dégénérés opposés au socialisme et au parti. Toutes les
provinces reçurent pour directive d’éviter de réagir en des termes
susceptibles d’envenimer la situation. Leurs dirigeants eurent aussi
instruction de réunir des pièces à conviction sous la forme de photographies
et de vidéos des troubles et de réprimer impitoyablement toute tentative des
étudiants de nouer des liens avec les ouvriers des usines 305. Cette stratégie,
prônée une semaine auparavant par Li Ruihuan, le maire de Tianjin, visait à
minimiser l’importance de ces manifestations : « Il n’y a rien
d’extraordinaire à de tels incidents, avait-il dit, il n’y a aucune raison pour
nous de perdre notre sang-froid. » Le 25 décembre, un nouvel éditorial du
Quotidien du Peuple assurait les étudiants que, sous la supervision du Parti
communiste, la réforme politique suivrait la réforme économique 306.
Du jour au lendemain, de nouvelles réglementations furent adoptées en
prévision de tout événement public, imposant aux manifestants de déposer
plusieurs jours à l’avance une demande d’autorisation de manifester et de
fournir les noms, les adresses et les professions de l’ensemble des
organisateurs 307. Le 26 décembre, lors d’une réunion à huis clos, Fang
Lizhi, Liu Binyan et Wang Ruowang, un auteur qui avait dénoncé la
tyrannie du parti, furent désignés comme les principaux instigateurs des
troubles, aux côtés de « résidus de la Bande des Quatre 308 ». Les
manifestations s’étiolèrent.
Le 28 décembre, dès qu’il fut évident que les troubles refluaient, lors
d’une discussion devant le secrétariat du parti, Zhao Ziyang condamna la
« libéralisation bourgeoise » en des termes virulents. Pour Hu Yaobang, la
situation semblait lourde de menaces 309.
Deux jours plus tard, Deng se réunit avec Hu, Zhao et plusieurs autres
dignitaires pour un entretien. Il s’attaqua à Fang Lizhi, qui s’était
ouvertement opposé aux Quatre Principes : « J’ai lu le discours de Fang
Lizhi. Il est scandaleux qu’un membre du parti s’exprime en ces termes.
Pourquoi permettre à un tel individu de rester au sein de notre parti ? » Il se
montra cinglant envers la démocratie proprement dite : « Nous ne pouvons
pas copier la démocratie bourgeoise. Nous ne pouvons pas adopter des
dispositifs comme la séparation des pouvoirs. Si nous cédons, tout cela
échappera à notre contrôle. » Il conseilla d’agir d’une main ferme, à peu
près de la manière dont le mur de la Démocratie avait été écrasé en 1979.
« N’avons-nous pas arrêté Wei Jingsheng ? Cela a-t-il nui à l’image de la
Chine ? » Il loua la manière dont la Pologne avait traité la crise avec les
syndicats en 1981, quand la loi martiale avait été proclamée afin de
permettre au pouvoir de reprendre le contrôle de la situation. « Nous ne
devons pas seulement menacer d’employer des moyens dictatoriaux, nous
devons nous tenir prêts à véritablement les employer. » Surtout, il imputait
ces troubles à « l’incapacité de prendre une position claire et de conserver
une attitude résolue pour nous opposer à la libéralisation bourgeoise 310 ».
Le 4 janvier 1987, Hu Yaobang remit sa démission, mais il dut ensuite
se soumettre à une série de séances éprouvantes au cours desquelles les
anciens du parti et d’autres hauts dirigeants le questionnèrent chacun leur
tour, six jours de suite, en dénonçant ses agissements. Deng Liqun, qui
savoura le moment, fustigea son adversaire politique pendant plus de
cinq heures d’affilée. Yu Qiuli, un chef militaire chevronné, l’accusa d’être
un intrigant qui n’avait de cesse de mettre en avant son entourage et qui
avait tenté de chasser Deng Xiaoping du pouvoir. Yang Shangkun, que Hu
Yaobang avait réhabilité, ne lui témoigna aucune mansuétude. Et Zhao
Ziyang pas davantage, car il était de ceux qui avaient le plus à y gagner. Dès
1984, prétendit ce dernier, il avait senti que son homologue ne respectait
pas la discipline du parti. Il craignait qu’à l’avenir, sans la présence de Deng
Xiaoping et de Chen Yun, il ne soit plus capable d’accomplir ses missions.
Et Zhao finit par lui porter le coup de grâce : « Je ne crois pas que je puisse
continuer à travailler avec toi. » Le 16 janvier, la démission de Hu Yaobang
fut acceptée à main levée 311.
Selon l’accusation la plus accablante portée contre lui, il aurait divulgué
des secrets d’État au journaliste Lu Keng 312. Pourtant, le parti fit preuve de
générosité, en lui permettant de conserver son adhésion. Hu Yaobang
disparut loin des regards et s’immergea dans les recueils d’écrits de Marx et
Lénine 313.
Au cours des congés hivernaux, quelques étudiants fracassèrent de
petites bouteilles de verre. En chinois, le nom de ces petits flacons se
prononçait « xiaoping 314 ».
*
* *
C’était une sorte de coup d’État. Afin de réunir assez de soutiens et de
chasser Hu Yaobang, Deng Xiaoping s’était tourné vers les anciens du parti
et plusieurs vétérans de l’armée qui continuaient de siéger aux réunions
élargies du Politburo ou de participer à des sessions de travail spéciales. Ils
détenaient un poids considérable, parfois même en exprimant leur vote ou
en levant la main, au mépris flagrant des procédures prescrites par la
constitution du parti 315.
Leur pouvoir fut formalisé lors du premier plénum du Treizième
Congrès du Parti, qui se tint du 25 octobre au 1er novembre 1987.
L’assemblée résolut un dilemme au cœur de la structure de pouvoir du
pays : si Deng Xiaoping se retirait, tous les anciens du parti seraient obligés
de se retirer eux aussi. Une résolution fut adoptée stipulant que, sur toutes
les questions principales, le Politburo solliciterait l’avis de Deng et des
anciens du parti. Cette résolution donnait au premier le pouvoir de trancher
sur toutes les questions majeures, mais il se retirait de toutes ses fonctions.
Âgé de quatre-vingt-trois ans, il était devenu un dictateur sans titre excepté
celui de président de la Commission militaire centrale. Yang Shangkun et
Bo Yibo, tous deux âgés de soixante-dix-neuf ans, se virent accorder la
latitude d’assister à toutes les réunions du Comité permanent, sans avoir le
droit de vote 316. Chen Yun, qui ne siégeait plus au Comité central, remplaça
Deng en qualité de président de la Conférence politique consultative du
Peuple chinois. Il avait quatre-vingt-deux ans.
Tout cela engendra un système politique très instable, même eu égard
aux normes en vigueur dans les régimes de parti unique. Un groupe de
vieillards continuait de manier le pouvoir en coulisses, de se quereller sur
chaque décision prise par ceux qui étaient officiellement élus au Comité
central. Tel poste ne correspondait plus à tel titre, ou tel titre à tel emploi.
Le maître du pays n’était à la tête ni du parti ni du gouvernement. Pour la
première fois dans l’histoire du communisme, quelqu’un pouvait détenir un
poste important sans appartenir au Comité central, qui en tout état de cause
avait perdu l’essentiel de son influence. Ainsi que le remarquait un
observateur, « les partis communistes d’Union soviétique et d’autres pays
communistes devaient observer la Chine avec stupéfaction 317 ».
Après l’éviction de Hu Yaobang, Liu Binyan, Fang Lizhi et Wang
Ruowang furent expulsés du parti. À intervalles réguliers, des émissions de
télévision montraient des portraits des trois hommes au format photo
d’identité judiciaire. Leurs noms parurent en gros titres dans la presse et
dans la propagande diffusée à pleins décibels par les haut-parleurs dans les
rues, accompagnés du slogan : « Opposons-nous résolument à la
libéralisation bourgeoise 318. »
Zhao Ziyang fut élu secrétaire général à l’unanimité, succédant à Hu
Yaobang. L’un de ses premiers gestes fut de faire renaître Lei Feng, avec
des banderoles et des affiches enjoignant les jeunes à suivre « Lei Feng ».
Yu Qiuli, personnage puissant, un vétéran de l’armée, présida une réunion
consacrée au soldat modèle, flanqué de Hu Qiaomu, grand maître de la
propagande, et d’autres hauts dirigeants. Ils invoquèrent de sages propos du
Guide suprême Deng Xiaoping : « Quiconque veut devenir un authentique
communiste doit retenir la leçon de la vertu et de l’esprit de Lei Feng 319. »
Plusieurs journaux furent fermés, notamment le Shenzhen Youth Daily.
En octobre 1986, ce titre avait publié un article intitulé « Crise ! La
Littérature de la nouvelle ère affronte une crise ». Son auteur, un jeune
homme nommé Liu Xiaobo, avait lancé une attaque dévastatrice contre
plusieurs notables de la scène littéraire du pays 320.
Comme toutes les campagnes précédentes, celle-ci tourna court. Zhao
Ziyang, s’avérait-il, n’était pas plus déterminé que Hu Yaobang à faire
barrage aux idées étrangères. La raison était toujours la même : peu de gens
avaient de l’appétence pour une campagne rappelant la Révolution
culturelle.
Toutefois, plus important encore, pour éviter d’effaroucher les
investisseurs étrangers, la Chine devait offrir une image de stabilité.
L’économie requérait plus que jamais de gros volumes de devises
étrangères. Un premier cycle inflationniste, en 1979 et 1980, avait conduit à
plusieurs années de repli économique. Un deuxième cycle s’était enclenché
en 1984 et 1985, avec une énorme expansion des prêts des banques
spécialisées. Des contrôles des importations furent à nouveau imposés sur
les biens de luxe en 1986. Les achats de téléviseurs, de véhicules à moteur
et d’appareils électroménagers à l’étranger tombèrent à des niveaux
négligeables. Les chantiers de construction furent aussi freinés, ce qui
conduisit à une chute des importations de matériaux comme le ciment, le
cuivre, l’aluminium et l’acier 321.
C’était de l’austérité décidée à contrecœur. Pourtant, un affaissement
des prix du pétrole sur le marché international, l’une des principales
exportations du pays, força ses dirigeants à exporter davantage de matières
premières à des prix désavantageux pour compenser cette baisse de valeur.
Les ventes de coton brut au Japon, par exemple, augmentèrent de 8 % en
valeur, et de 45 % en volume. Ainsi que Zhao Ziyang le confia à Erich
Honecker en juin 1987, « nous étions contraints d’exporter d’autres
produits, pourtant ces produits nous rapportaient très peu d’argent 322 ». Une
chute prononcée de l’investissement étranger aggrava le problème. Les
étrangers étaient rebutés par un contrôle des changes strict, une bureaucratie
tatillonne et invasive et un marché intérieur impénétrable 323.
Les efforts pour refroidir la surchauffe de l’économie, combinés avec
l’effondrement des cours du pétrole et une chute des investissements
étrangers, entraînèrent un déclin aussi net qu’inattendu du taux de
croissance de l’industrie. Au cours du second semestre 1986, Zhao Ziyang
inversa la marche, fit injecter davantage de liquidités dans l’économie afin
de revitaliser le taux de croissance. En octobre, il annonça de nouvelles
mesures incitatives destinées aux joint-ventures, notamment une baisse
d’impôts. Le deuxième cycle inflationniste, qui n’avait jamais réellement
pris fin, se métamorphosa peu à peu en un troisième 324.
Malgré des conditions plus favorables, le nombre de contrats censés
attirer des investissements étrangers continua de décliner. Après la
révocation de Hu Yaobang, les étrangers redoutaient que la campagne
contre la « libéralisation bourgeoise » ne débouche sur une législation
commerciale encore plus restrictive.
La campagne fut vite abandonnée et des crédits supplémentaires
redirigés vers les entreprises d’État. Zhao Ziyang était aux prises avec une
contradiction. Alors qu’un strict contrôle monétaire était nécessaire pour
freiner la consommation, les entreprises d’État n’en avaient pas moins
besoin d’être stimulées car elles comptaient sur des prêts bancaires pour
assurer de plus de 80 % de leur fonds de roulement. Un paradoxe similaire
se vérifiait aussi sur le plan du commerce extérieur. Pour réduire le déficit,
il fallut stimuler un flux d’exportations massif nécessitant toutes sortes
d’aides, de bonifications et de prêts. La masse monétaire augmenta 325. Ainsi
que le mentionnait l’ambassade du Royaume-Uni dans un rapport intitulé
« Deja Vu : Overheating in the Chinese Economy » [Une impression de
déjà-vu : la surchauffe de l’économie chinoise], « il s’échappe assez de
vapeur de cette économie prise de folie pour alimenter une centrale
électrique 326 ».
Les prix augmentaient alors que le budget diminuait, un dilemme qui
avait hanté le gouvernement depuis 1979. La question des prix était au cœur
du problème. Dans une économie planifiée, l’État se chargeait de fixer tous
les prix. L’autre solution consistait à permettre aux acheteurs et aux
vendeurs de négocier le montant qu’ils devaient payer pour une
marchandise précise. Ce n’était pas une option séduisante et il y avait à cela
de bonnes raisons : les prix des biens que consommaient les travailleurs des
entreprises d’État auraient monté en flèche, alors que ceux des produits
médiocres qu’ils débitaient à la chaîne auraient plongé. Les villageois
auraient pris les villes en otage, à peu près comme lorsqu’ils avaient forcé
le régime à augmenter les barèmes des marchés publics pour les livraisons
de denrées alimentaires. Autre dérive encore plus inacceptable, les
entreprises privées que les autorités toléraient à peine n’auraient eu aucun
mal à proposer de meilleurs prix que leurs homologues publics.
Le spectre du chômage de masse et de l’instabilité sociale conduisit
plutôt le régime à adopter une démarche par paliers, en attendant le moment
idéal qui ne vint jamais. Entre juin 1981 et août 1982, les autorités locales
et leurs entreprises furent autorisées à laisser flotter les prix de la plupart
des produits industriels dans une fourchette donnée ; de ce fait, un même
article pouvait afficher de nombreux tarifs différents 327. Ensuite, en 1984,
les entreprises d’État se virent accorder le droit de vendre aux prix du
marché tous les surplus dépassant leurs quotas, introduisant ainsi un double
système tarifaire, avec un ensemble de prix pour les produits du plan, un
autre pour ceux du marché. Une immense zone grise fit son apparition, où
la corruption put prospérer, les acteurs de ce marché exploitant les
différentiels de prix. Le système exigeait des subventions censées permettre
de maintenir les barèmes artificiels fixés par l’État et qui faisaient peser des
charges encore plus lourdes sur les finances publiques. Le problème fut
résolu en recourant de nouveau à de la création monétaire, ce qui conduisit
d’abord à une hausse des prix du marché et ensuite, sous l’effet de la magie
du marché noir, à celle des prix fixes.
En mai 1985, afin de réduire les subsides de l’État, les autorités
acceptèrent que les prix d’une vaste gamme de produits – autres que de
première nécessité – et ceux de biens de consommation soient laissés
flottants. Le pays étant au milieu de son deuxième cycle inflationniste, qui
avait provoqué un bond de la masse monétaire suivi d’une inflation à deux
chiffres, une limite globale fut imposée aux hausses de l’indice des prix de
détail. Le Bureau d’État des prix, l’institution chargée de la gestion tarifaire
à travers un réseau de succursales locales, décida que cet indice ne devrait
pas croître de plus de 10 % par an. Sans coup férir, Deng Xiaoping l’abaissa
à 9 %. Zhao Ziyang effectua sa tournée en diffusant le message : « Vous
devez adopter des mesures appropriées afin de vous assurer que l’indice des
prix de détail ne progresse pas au-delà de 9 % cette année 328. »
À Tianjin, en 1984, les subventions dévolues aux produits maraîchers
avaient coûté à la ville 40 millions de yuans, à peu près l’équivalent des
salaires annuels de 70 000 travailleurs. Ces subsides effectuaient maintenant
un bond de 30 %. Les contrôles des prix sur les meubles furent aussi levés,
excepté les penderies, les bureaux, les chaises et les lits. Le tarif d’une paire
de chaussures en cuir de bonne qualité resta fixé à 6 yuans pour les hommes
et à 5 yuans pour les femmes 329.
Cette palette élargie de prix libres et fixes dopa le marché noir. Rien
qu’à Shanghai, le Bureau municipal des prix rapporta 1 400 infractions à
ces barèmes, les contrevenants étant notamment ce que l’on appelait des
briefcase companies, ou « sociétés mallettes », structures improvisées qui
ne faisaient rien d’autre qu’exploiter le système. Ainsi que le relevait le
vice-maire, vérifier et contrôler les prix de chaque marchandise était une
tâche impossible, surtout parce qu’ils changeaient constamment et variaient
d’un endroit à un autre. Certains districts fermèrent même leur bureau des
prix, permettant ainsi à tous les tarifs de fluctuer. Ensuite, cela donna un
coup de fouet au marché noir, entre les districts où les prix étaient
réglementés et ceux où ils ne l’étaient pas 330.
En 1987, le Bureau d’État des prix avait assoupli les contrôles sur toute
une série de produits. Des étrangers notaient avec enthousiasme la part
grandissante de l’économie de marché. Mais alors que l’État n’exerçait plus
de responsabilité dans l’allocation des marchandises, cela ne signifiait pas
pour autant qu’il opérait dans des conditions de marché. Des provinces, des
comtés, des villes et même des districts détenaient maintenant le pouvoir de
fixer ces prix à sa place. En somme, des gouvernements locaux se
substituaient au gouvernement central 331.
Comme les pouvoirs locaux tiraient leurs revenus d’entreprises locales,
ils les protégeaient à travers des contrôles des prix également locaux. À
Dazhai, jadis un modèle d’autosuffisance, la production de deux mines de
charbon était vendue aux villageois à 8 yuans la tonne, contre 21 yuans la
tonne aux clients de l’extérieur 332. Les matières premières étaient
particulièrement exposées, car chaque fois que l’économie entrait en
surchauffe, c’était la ruée. En plus des contrôles des prix, des barrières
commerciales furent levées afin d’empêcher les spéculateurs de détourner
les ressources locales. Des guerres commerciales éclataient. Il y eut par
exemple une « guerre du cocon », lorsque les autorités locales envoyèrent
des forces de police armées et des miliciens garder les frontières et
empêcher leurs cocons de vers à soie, destinés à être achetés par l’État,
d’être raflés par des acheteurs extérieurs et acheminés vers des régions aux
marchés plus profitables. Des conflits similaires éclatèrent sur le charbon, la
laine, le tabac, et même les patates douces séchées. « Des régions se font la
guerre entre elles et se battent aussi contre le gouvernement central »,
concluait un conseiller gouvernemental 333.
Au lieu d’une économie intégrée, un patchwork de fiefs indépendants
vit le jour. Quand un poids lourd chargé de cinq tonnes de raisin quitta
Qufu, la ville près de laquelle est né Confucius, dans la province de
Shandong, puis se dirigea vers le comté de Guangze, dans la province du
Fujian, il dut franchir plus d’une centaine de postes de contrôle, payer
plusieurs taxes, des frais administratifs, des redevances de quarantaine et
même une contribution à un fonds local pour le développement de
l’agriculture. Lorsque les chauffeurs atteignirent leur destination huit jours
plus tard, ils n’avaient pas seulement perdu leur chargement entier, mais
aussi leurs portefeuilles et même la bâche utilisée pour protéger leurs
denrées contre les intempéries 334.
Paradoxalement, une seule marchandise semblait ne plus avoir de prix :
l’argent. Le total des crédits tripla de 266 milliards de yuans en 1982 à
788 milliards de yuans fin 1986, et pourtant, une toute petite partie fut
remboursée. Faute d’une discipline de marché d’une part ou de
planificateurs centraux appliquant les sanctions d’autre part, il n’y eut plus
qu’une économie mixte dans laquelle une entreprise d’État pouvait
emprunter en sachant qu’elle serait renflouée dès qu’elle serait en déficit 335.
Les taux d’intérêt qui, dans une économie ouverte, indiquaient le prix de
l’argent constituaient un outil financier assez inefficace. Les gouvernements
locaux résistaient aux hausses de taux car cela signifiait qu’une entreprise
paierait proportionnellement moins d’impôts locaux. Et comme les
entreprises dépendaient d’emprunts pour leurs fonds d’exploitation, toute
interruption du flux de liquidités pouvait avoir des conséquences
désastreuses 336.
Au fond, à partir de 1979, en déléguant de plus en plus l’autorité
administrative aux gouvernements locaux, la direction du pays dépendait
désormais de ces responsables sur le terrain pour mener à bien les politiques
monétaires et fiscales. Or ces décideurs régionaux se souciaient davantage
de bâtir leurs propres économies et d’améliorer leur propre niveau de vie
que de mettre en œuvre des directives centrales censées restreindre la
circulation de l’argent.
En 1987, il n’y avait ni plan ni marché pour piloter l’économie. De ce
fait, le pays était pris dans un cercle vicieux, très bien expliqué par la
succursale locale de la Banque de Chine à Wuhan : la croissance de la
masse monétaire encourageait une plus forte consommation, mais la
consommation générait de l’inflation qui à son tour incitait les entreprises
d’État à se concurrencer pour l’obtention de prêts supplémentaires, afin de
capter des biens et des matières premières trop rares (en anticipation d’une
inflation future), ce qui conduisait à une expansion de la masse
monétaire 337. Le principal architecte de ce vaste échafaudage n’était autre
que Zhao Ziyang.
Ces décisions locales finirent par avoir un effet cumulatif : une inflation
qui sapait le niveau de vie de la majorité des gens. Dès la première moitié
de l’année 1987, 40 % des foyers urbains avaient subi un déclin de leur
revenu réel 338. Plus tard cette même année, ce système de prix tortueux
commença de multiplier les signes de tension. Des villageois refusèrent de
vendre des aliments pour cochons à des prix fixes qu’ils jugeaient injustes.
L’approvisionnement en porc, qui représentait 85 % de toutes les viandes
consommées, chuta de façon vertigineuse, forçant les dirigeants du pays à
imposer de nouveau un rationnement à Beijing, à Tianjin, à Shanghai et à
Shenyang. Le rationnement du sucre débuta peu après avec une portion
d’un kilogramme par mois pour chaque foyer 339.
En 1979, la population rurale avait exigé une augmentation des prix
plus élevés pour les producteurs, tandis que la population urbaine avait
espéré des baisses pour les consommateurs. Les uns et les autres avaient
obtenu satisfaction, moyennant des subventions massives. Avec le double
système de prix introduit après 1984, le gouvernement parvint seulement à
s’aliéner les uns comme les autres et fut contraint de débloquer des
subventions encore plus élevées. En 1988, les subventions d’État pour le
logement, la santé, l’éducation et la nourriture avaient sextuplé par rapport à
1979 340.
Au premier trimestre de 1988, l’industrie continua son expansion
spectaculaire avec les hausses de prix qui allaient de pair. L’inflation en
glissement annuel, quoique difficile à calculer avec tant de tarifs différents
pour les mêmes biens, atteignit 19 % en juin, 24 % en juillet et 30 % en
août. C’étaient les chiffres officiels ; toutefois, lors d’une réunion du
Politburo plus tard cette année-là, le vice-Premier ministre Yao Yilin avança
une estimation plus crédible de 48 % d’inflation au premier semestre. La
masse monétaire s’accrut de presque 40 % sur l’année, les inspecteurs
bancaires et les contrôleurs fiscaux étant incapables d’endiguer l’inflation et
de maîtriser le flux des fonds publics qui entraient dans des investissements
à caractère non économique, qu’il s’agisse d’immeubles de prestige ou
d’hôtels de luxe 341. Dans le cadre de ses fonctions de ministre des Finances,
Xiang Huaicheng remarquait en avril 1988 que partout les organismes
publics faisaient construire de nouveaux bureaux, hôtels, restaurants et
sanatoriums 342. Les cabinets gouvernementaux et les entreprises d’État se
livrèrent à une frénésie d’achats en jetant leur dévolu sur des articles aussi
convoités que des téléviseurs et des magnétoscopes. Les gens ordinaires ne
pouvaient que contempler ce spectacle, tandis que leur propre niveau de vie
déclinait. Dans des régions pauvres de Chine, certains cadres du parti
circulaient même à bord de berlines avec chauffeur qui les conduisaient à
des conférences sur la réduction de la pauvreté. Zhao Ziyang en personne
était conscient du danger : « Les masses sont très insatisfaites et si nous ne
faisons pas barrage à ces dérives, de manière impitoyable, nous verrons
éclater des troubles sans fin 343. »
Les masses portèrent de plus en plus fréquemment leur insatisfaction
dans la rue, les incidents se multipliant par dizaines d’un bout à l’autre du
pays, qu’il s’agisse de marches estudiantines ou de pétitions soumises par
des ouvriers. En juin 1988, face au mécontentement de la population sur
une inflation à deux chiffres, la police dut boucler la place Tian’anmen 344.
Ce fut le moment que choisit Deng Xiaoping pour proposer une thérapie
de choc, avec la suppression du contrôle des prix sur toute une gamme de
produits. Zhao Ziyang avait à plusieurs reprises reporté la réforme du
système, en assurant à l’équipe dirigeante que la hausse des prix ne serait
que temporaire. À présent, il était soumis aux pressions de Deng Xiaoping,
qui comprenait l’ampleur de la corruption causée par le double système
tarifaire et qui était impatient de faire adopter d’autres réformes. « Nous ne
craignons pas les grosses vagues, déclara ce dernier, mais nous devons aller
de l’avant, droit sur elles, afin de nous frayer un passage. » En juillet 1988,
lors d’une réunion avec des invités étrangers, il annonça de nouveau sa
détermination à « fracasser les obstacles empêchant la réforme des prix 345 ».
Quelques semaines plus tard, la haute direction chinoise tint son
sommet habituel loin de la chaleur étouffante estivale, à Beidaihe, une
station balnéaire en bord de mer fondée par des missionnaires et négociants
étrangers à la fin du XIXe siècle. Chargé de présenter le programme de
réforme des prix, Zhao Ziyang rencontra l’opposition de dirigeants du parti
qui exigeaient que l’on bride l’inflation en arrêtant les chantiers de
construction, en freinant la croissance de la masse monétaire et en réduisant
la consommation. Li Peng, ingénieur formé en Union soviétique qui avait
occupé le poste de ministre de l’Industrie électrique après 1979, avant sa
promotion au Comité permanent du Politburo en octobre 1987, était le
principal défenseur de l’austérité. À l’inverse de son protecteur Zhou Enlai,
Li Peng était un technocrate terne et rigide et un ferme partisan de la ligne
dure.
En mars 1988, après des tractations approfondies en coulisses, les
anciens du parti l’avaient donc nommé au poste de Premier ministre – il
devenait dans les faits l’homologue du secrétaire général Zhao Ziyang.
Commettant ce qui se révélerait une erreur de calcul majeure, croyant que
Li Peng se montrerait facile à manipuler, Zhao avait accepté 346. Le nouveau
Premier ministre avait le soutien des partisans de la ligne dure, en
particulier l’économiste Chen Yun, architecte de la précédente politique
d’austérité en 1979. Alors que se déroulait un vif débat autour des mérites
de la réforme des prix, un Deng Xiaoping obstiné refusa de céder du terrain.
En fin de compte, il lança cette repartie cinglante, en tapant du poing sur la
table et en lâchant à brûle-pourpoint à Li Peng : « Si tu hésites, tu peux
démissionner 347. »
Le 19 août, deux jours après cette réunion, Le Quotidien du Peuple
publiait un éditorial décrivant la suppression du contrôle des prix comme la
clef de voûte de la future réforme économique 348. Une vague de panique
s’ensuivit, car les gens redoutaient que leurs économies ne se déprécient
encore davantage. Les banques furent prises d’assaut, les déposants formant
de longues files pour retirer leur argent et le convertir en biens tangibles
comme des tapis, des téléviseurs, des machines à laver et des réfrigérateurs.
À Shanghai, l’équivalent de 27 millions de dollars furent retirés en l’espace
de deux semaines. Des responsables de la Banque populaire de Chine
durent convoquer une conférence de presse pour réfuter les rumeurs d’un
plafond qui aurait été imposé aux retraits individuels 349.
Dans certaines villes, des émeutes éclatèrent. À Pingyang, sur la côte du
Zhejiang, des habitants de la région firent la queue plusieurs jours devant la
totalité des 68 succursales de la Banque agricole de Chine. Dès que la
banque fut à court de liquidités, les gens se rassemblèrent par centaines
pour protester contre les autorités locales. À Wenzhou, Yueqing, Taishun et
dans d’autres villes du Zhejiang, des foules exaspérées tentant de retirer
leurs économies prirent d’assaut les bureaux de poste 350.
Les consommateurs achetaient à des prix record, en recherchant des
articles aux stocks auparavant excédentaires, des machines à coudre aux
ventilateurs électriques ou aux cuiseurs vapeur. Le crachoir, objet pourtant
omniprésent, fit même partie de cette forme de thésaurisation. Dans la ville
de Rui’an, en août, les ventes furent trois fois plus élevées que celles de la
totalité de l’année 1987 et les magasins furent dévalisés pour des articles
comme des draps et des couvertures. Il y eut une ruée sur le sel de table,
forçant les autorités locales à introduire un rationnement. Dans les quatre
coins du pays, du début de la matinée jusque tard le soir, les grands
magasins étaient bondés, une affluence provoquée par des rumeurs de
hausses de prix imminentes. Dans toutes les petites ou moyennes
agglomérations, la moindre paire de chaussures disparaissait du jour au
lendemain 351. « Les gens ont perdu toute confiance dans la réforme des
prix, ils disent que le parti n’a aucun avenir », consignait Li Rui dans son
journal intime 352.
Ensuite, il y eut des grèves et des affrontements. Dans un seul village du
Zhejiang, plus de 800 ouvrières dans une fabrique de chaussures cessèrent
le travail, exigeant des hausses de salaires. Des dizaines d’incidents
similaires survinrent dans tout le comté de Rui’an et on vit s’insurger des
ouvriers de minoteries, d’usines textiles, de chantiers navals et des docks 353.
Partout, l’agitation dans l’industrie était palpable, alors même que le droit
de grève avait été aboli en 1982. Plusieurs grèves mobilisant jusqu’à
1 500 travailleurs secouèrent Shanghai, laissant planer le spectre de
l’instabilité sociale 354.
L’expérience de la réforme des prix fut officiellement abandonnée le
30 août. Alors même que la prise d’assaut des banques par les déposants
n’avait duré qu’une semaine, confronté à la houle populaire, Deng Xiaoping
avait reculé. Ironie de la situation, les achats de panique avaient réduit les
stocks de biens délaissés qui prenaient la poussière dans des entrepôts. Ils
rapportèrent aussi des sommes d’argent substantielles. Deng Xiaoping était
apparemment aussi prompt à adopter une ligne de conduite qu’à y renoncer,
avec d’énormes conséquences pour le pays. Ce fut une occasion manquée,
la réforme des prix étant repoussée sine die.
Pendant une décennie, Deng Xiaoping avait été tiraillé entre différentes
factions, dans une série de violentes embardées d’une politique économique
à une autre et une succession de réformes parcellaires impliquant une
redistribution du pouvoir du centre vers les régions au lieu d’un mouvement
concerté du plan vers le marché. Sa volte-face sur la réforme des prix
affaiblit un peu plus sa position au sein du parti. Son protégé Zhao Ziyang
en assuma toute la responsabilité, ce qui tendit les relations entre les deux
hommes.
Au troisième plénum, en septembre, les défenseurs du plan, des
conservateurs regroupés sous l’autorité de Chen Yun, reprirent le contrôle
des commandes de l’économie. Le « réajustement » (tiaozheng), un
euphémisme désignant l’austérité, redevenait le maître-mot 355.
Une rafale de directives exigeait que les chantiers de construction soient
freinés et la consommation réduite. « L’économie nationale est confrontée à
son épreuve la plus difficile et la plus rude, décrétait le Conseil des Affaires
de l’État avec gravité, et si nous n’en sortons pas, le peuple perdra
confiance dans les réformes, dans le parti et dans le gouvernement 356. »
Pourtant, alors même qu’elle annonçait sa nouvelle politique d’austérité,
l’équipe de direction du pays s’avançait d’un pas de somnambule vers une
autre crise financière, cette fois dans les campagnes, où les revenus moyens
avaient atteint un plateau ou même entamé un déclin, après 1985. Outre les
investissements en recul, l’une des raisons en était un affaissement de la
production de céréales. En 1979, des villageois avaient forcé l’État à
accroître les prix appliqués aux commandes publiques, tant pour les
livraisons obligatoires que pour les ventes au-dessus des quotas imposés.
En 1984, la récolte céréalière avait connu une croissance rapide de
316 millions de tonnes à 400 millions. L’État s’était montré réticent face à
l’accroissement de telles charges puisqu’il lui fallait non seulement verser
davantage aux paysans, mais aussi aux villes où les produits alimentaires
étaient subventionnés. L’enveloppe de ces subventions gonfla de 7 milliards
de yuans en 1978, soit l’équivalent de 6 % du budget à 23 milliards en
1984, ou 15 % de l’enveloppe budgétaire. En 1985, l’équipe au pouvoir
renonça aux quotas de livraisons obligatoires et les remplaça par le système
du contrat, en limitant ainsi ses engagements. Élément clef de ce nouveau
système, les céréales en surplus des livraisons contractuelles ne pouvaient
plus bénéficier d’un prix plus élevé. L’État maintenant un monopole sur les
céréales et le coton, il restait le principal acheteur sur le marché ouvert de
toute production excédentaire au contrat, ce qui lui permettait de
commencer à réaliser quelques économies. En 1985, celles-ci s’élevaient à
8 milliards de yuans. « Nous voulons créer un miracle », annonça un Zhao
Ziyang très confiant en présentant le nouveau système du contrat 357.
Simultanément, les dirigeants augmentèrent de 25 % en moyenne les
prix des matières premières nécessaires à la production agricole, parmi
lesquels les engrais, les pesticides, les bâches en plastique, le carburant
diesel et l’électricité 358. Les coûts de production se renchérissant alors que
les revenus fléchissaient, les villageois réagirent en restreignant leurs
plantations de céréales. La production chuta instantanément à 380 millions
de tonnes en 1985. Trois ans plus tard, elle restait encore inférieure au
niveau de 1984. D’autres récoltes, notamment celles du chanvre, du coton,
des oléagineux et du sucre, s’affaissèrent ou stagnèrent 359.
Dans les campagnes comme dans les villes, le « contrat » était donc
devenu le maître-mot. Il impliquait une transaction négociée évoquant un
mécanisme de marché, et non plus la relation de pouvoir inhérente à une
économie dirigée. Pourtant, il n’y avait pas de négociations, puisque l’État
fixait le prix des céréales à livrer au niveau qu’il jugeait « équitable ». Et il
n’y avait aucun choix non plus. Les agriculteurs étaient contraints
d’accepter un contrat, que cela leur plaise ou non. Même quand ils se
tournaient vers le marché pour y écouler leurs surplus de production, il leur
fallait encore vendre à l’État. Pire encore, en l’absence de droits juridiques
opposables, ils n’avaient que très peu de garanties que les responsables
locaux respecteraient les contrats que leurs « sujets » devaient signer. En
1985, dans certaines zones rurales, au lieu d’être payés en espèces, les
fermiers l’étaient avec des reconnaissances de dette, des bouts de papier
portant des promesses écrites de paiement 360.
Au cours des années suivantes, les achats de céréales que les villageois
produisaient en sus des quantités mentionnées dans leurs contrats se
transformèrent en pures et simples réquisitions. L’État contrôlait le marché,
qui pouvait être fermé dans l’attente de la livraison de toutes les céréales,
achetées au prix le plus bas possible. À tous les échelons – village, comté,
province –, des responsables locaux commencèrent à isoler les marchés
ruraux et à établir des postes de contrôle pour empêcher les agriculteurs
d’obtenir ailleurs de meilleurs prix pour leurs produits 361.
En 1979, les campagnes avaient forcé l’État à augmenter les paiements
qui leur étaient versés pour toute livraison de denrées alimentaires,
obligatoires ou non. En 1985, le pouvoir central se trouvait en position de
recourir à des mesures de rétorsion et de payer moins. Mais c’était là une
partie dont aucun joueur ne sortait gagnant. En 1988, la crise s’aggrava.
Dans certains villages, les enfants faisaient le guet et frappaient sur des
gongs quand ils voyaient des responsables du gouvernement s’approcher.
Ces derniers trouvaient alors un village désert aux portes cadenassées. À
l’occasion, l’un de ces inspecteurs grimpa à une échelle pour aller examiner
le contenu d’une grange et des mains anonymes le firent basculer. Des
bouffées de violence éclatèrent, les villageois mirent le feu aux véhicules
des responsables corrompus et des entrepôts d’engrais chimiques furent
pillés 362.
Le Bureau d’État des céréales, l’organisation officielle responsable de
l’achat et du stockage de ces denrées ainsi que de leur vente en accord avec
les priorités du gouvernement central, supervisait un réseau tentaculaire de
postes d’approvisionnement céréalier employant des millions de gens.
Comme toutes les autres institutions étatiques, ces postes
d’approvisionnement ne prêtaient aucune attention à leurs pertes
financières, qu’ils pouvaient transférer à loisir au gouvernement central,
creusant ainsi leur déficit d’année en année. En 1988, la situation revêtit un
tour critique, quand ces postes céréaliers n’eurent plus assez de liquidités
pour payer aux agriculteurs les produits que ces derniers avaient accepté de
livrer selon les termes de leur contrat. L’approvisionnement en coton,
responsabilité relevant du Bureau d’État du coton et du chanvre, avec son
réseau parallèle de postes d’achat, se heurta à des difficultés similaires.
Les postes d’approvisionnement ne pouvaient plus demander le
concours de la Banque de l’agriculture, ce qui aggrava encore le problème.
Sous la pression constante des autorités locales, les succursales de la
banque avaient consenti des prêts avec une telle libéralité qu’elles avaient
touché le fond. La banque d’État responsable de l’agriculture était
pratiquement en faillite. Ainsi que le signifia un inspecteur de cet
établissement bancaire, « à présent le capital est comme un entonnoir, il se
déverse d’en haut et fuit par le bas ». Cet inspecteur expliquait combien il
était facile pour un responsable local d’obtenir un prêt :

Certains cadres entrent dans une banque pour obtenir des


liquidités parce que c’est plus commode pour eux de procéder de
la sorte que de rentrer chez eux chercher leur portefeuille. Ils
empruntent autant d’argent qu’ils veulent.

À Jingzhou, dans la province de Hubei, quelque 40 000 cadres devaient


en moyenne 1 000 yuans chacun, l’équivalent de deux années de paie pour
un ouvrier moyen. « Et à quoi leur sert cet argent ? Ils font des affaires, ils
se construisent une maison, ils achètent des biens de luxe, ils paient un
mariage, certains s’en servent même pour jouer », précisait ce représentant
de la banque. Pour contourner le manque de fonds, on remettait aux
agriculteurs des reconnaissances de dette. Dans le comté de Yueqing, à peu
près la moitié du total des dépôts dans les 131 succursales de la Banque de
l’agriculture étaient des billets à ordre 363.
Le problème se reproduisait à l’échelle de la nation. En novembre 1988,
une « conférence nationale » fut convoquée d’urgence à Beijing. « Je
préfère imprimer davantage d’argent plutôt que d’émettre des billets à
ordre », décréta Zhao Ziyang. Redoutant un regain d’agitation populaire
dans les campagnes, il exigea que les banques fournissent les liquidités
nécessaires pour payer les villageois 364.
La masse monétaire continuait de croître, avec plus de 28 milliards de
yuans mis en circulation au dernier trimestre de l’année. Malgré de strictes
injonctions émanant des dirigeants de l’État qui appelaient à l’austérité,
l’inflation ne tarda pas à suivre.
En août, ces mêmes dirigeants avaient annoncé que les prix seraient
libérés. En décembre, craignant des troubles en milieux urbain et rural, ils
imposèrent des contrôles des prix étendus. Dans la province du Gansu par
exemple, les prix de 19 types de biens et services essentiels furent gelés,
parmi lesquels le riz, la farine, l’huile, le sucre, le porc, le bœuf, le mouton,
le charbon, la sauce de soja, les légumes, le lait en poudre pour bébé, les
allumettes, le savon, la lessive en poudre, les manuels scolaires, le papier
hygiénique ainsi que les honoraires médicaux. Les prix de quelques
produits industriels, dont les téléviseurs, les réfrigérateurs et les bicyclettes,
que l’on avait auparavant laissé flotter, furent aussi bridés 365. À Shanghai,
les hausses de prix pour les biens d’usage quotidien et les aliments hors
denrées de première nécessité, ainsi que « vingt-six sortes de biens de
consommation industriels », furent interdites. Beijing élargit aussi ses
mesures de contrôle à des produits comme l’acier, le cuivre, l’aluminium et
à d’autres matières premières. Pour refréner la spéculation sur les intrants
agricoles, un monopole de la distribution des engrais, des pesticides et des
bâches en plastique fut rétabli 366. Et, afin d’amadouer une population rétive,
au lieu d’être affectées aux chantiers de construction d’immeubles, les
matières premières furent réquisitionnées afin de pallier la pénurie de
produits de grande consommation, l’acier étant détourné vers la fabrication
de réfrigérateurs et le bois de charpente servant à fabriquer des
allumettes 367.
Au cours des premiers mois de 1989, l’austérité commença de faire
ressentir ses effets, la croissance économique dégringola, la masse
monétaire fut réduite et un tiers des capacités industrielles fut à l’arrêt 368.
Les subsides d’État augmentèrent, gonflant le déficit budgétaire alors que le
chômage croissait. Selon Li Peng, depuis qu’un frein avait été mis aux
grands chantiers de construction, plus de 18 000 projets immobiliers furent
annulés ou reportés, et quelque cinq millions d’ouvriers durent retourner
dans les campagnes. Le Premier ministre espérait qu’ils trouveraient un
emploi dans des entreprises de village. Or, celles-ci avaient été les
premières à souffrir des coupes drastiques visant l’accès au crédit et durent,
elles aussi, diminuer drastiquement leur main-d’œuvre. En mars 1989, à peu
près 50 millions d’habitants des campagnes avaient été jetés sur les routes,
en quête d’un travail 369.
Zhao Ziyang eut au moins une consolation : comme le Premier ministre
Li Peng s’était vu attribuer la responsabilité du programme d’austérité, ce
fut son tour de concentrer sur sa personne un ressentiment populaire très
répandu, en particulier parmi les dirigeants des provinces, puisque le repli
économique était intimement lié à la nécessité de la centralisation 370.

*
* *
Ce repli allait également de pair avec des efforts renouvelés pour
éradiquer tout ce qui semblait ressortir de la « libéralisation bourgeoise ».
La cible principale du régime s’appelait Su Xiaokang, un conférencier âgé
de trente-neuf ans qui intervenait à l’Institut de radiodiffusion de Beijing
(BBI), devenu l’Université de communication de Chine en 2004. Plus petit
que la plupart des Chinois du Nord, mais bâti comme un pitbull, le torse
puissant, Su était un journaliste qui n’avait peur de rien : il balayait d’un
revers de main toute précaution relative à sa sécurité pour mieux enquêter
sur des sujets politiquement sensibles, de la pauvreté endémique jusqu’à la
corruption dans les allées du pouvoir. En février 1988, la Télévision
centrale de Chine (CCTV) lui commanda la production d’un film censé
étudier l’histoire tumultueuse de la nation chinoise. Ce documentaire en six
épisodes fut diffusé au cours de l’été, alors qu’une vague d’achats de
panique s’emparait du pays. En référence à un poème classique se
lamentant de la chute d’un royaume ancien à cause de la folie de son roi,
Élégie du fleuve dressait un tableau de la culture traditionnelle, insulaire et
stagnante. Le titre faisait référence au fleuve Jaune, d’ordinaire révéré
comme le berceau de la civilisation chinoise. Pourtant, Su Xiaokang et ses
collègues le traitèrent en symbole d’un passé étouffant au flot entravé par la
vase et les sédiments. Selon un proverbe ancien, « une pelletée d’eau du
fleuve Jaune, ce sont sept dixièmes de boue ». À l’opposé, les eaux bleues
de l’océan, dans lesquelles le flot boueux de la rivière se déversait,
représentaient le futur. Le message, très clair pour tous les spectateurs du
film, était le suivant : le pays devait se moderniser en adoptant des idées de
l’Occident. Pour faire bonne mesure, le documentaire fustigeait aussi
d’autres précieux symboles du passé, notamment la Grande Muraille et le
dragon impérial 371.
« Élégie du fleuve déforme l’histoire chinoise, nie complètement les
belles traditions de la culture chinoise et vilipende le peuple chinois »,
tranchait Le Quotidien du Peuple dans un éditorial en première page le
lendemain de la diffusion du premier épisode. Le film niait les réalisations
du socialisme, affirmait encore l’organe officiel, et osait plaider en faveur
d’une « occidentalisation totale » 372.
À l’inverse, la réaction populaire fut extrêmement positive. Plus tard
dans le courant de l’été, quand une version révisée fut diffusée sur le petit
écran, les rues de la capitale et d’autres grandes villes se vidèrent. Des
dizaines, si ce n’est même des centaines de millions de téléspectateurs
regardèrent les six volets du documentaire tous les soirs, pendant une
semaine. Des versions abrégées du scénario parurent dans des journaux et
des magazines, suivies d’un flot de commentaires à la fois favorables et
critiques. Les exemplaires imprimés se vendaient comme des petits pains et
il s’en écoula un million. Dans les librairies et sur les étals de rue, d’un bout
à l’autre du pays, les gens s’arrachaient les cassettes vidéo de l’émission
originale, épuisant les stocks aussi vite qu’ils se reconstituaient 373.
Le 27 septembre, le vice-président Wang Zhen, officier de l’armée en
retraite âgé de quatre-vingts ans aux conceptions rigides et qui avait passé
sa carrière à s’attaquer aux intellectuels, mit un point final au débat.
Qualifié de « bazooka » par son protecteur Deng Xiaoping, une forme de
compliment, Wang Zhen prit le documentaire pour cible en déplorant qu’il
« dénigre notre grand peuple chinois » et « maudisse le fleuve Jaune et la
Grande Muraille ». « Les intellectuels sont dangereux », fulminait-il, ce qui
alarma les milieux universitaires et culturels. Tous les journaux reprirent
son discours 374.
Une semaine plus tard, Élégie du fleuve fut interdit, la distribution de la
vidéo proscrite et les exemplaires imprimés du script retirés des rayonnages
et brûlés dans le cadre de campagnes publiques de dénonciation. Dans la
circulaire interne informant les membres du parti de cette interdiction, le
secrétaire général Zhao Ziyang soulignait sèchement : « Il est nécessaire de
respecter les avis des cadres vétérans du parti 375. » Lors du troisième
plénum du Treizième Congrès du Parti plus tard ce mois-là, il répéta que la
Chine « ne reproduira[it] jamais la séparation des pouvoirs et le système
multipartite de l’Occident 376 ».
D’autres remous survinrent vers la fin novembre. Ren Wanding, l’un
des principaux activistes du mur de la Démocratie, qui en 1978 avait
réclamé à cor et à cri le respect des droits de l’homme, choisit le dixième
anniversaire du mouvement pour rompre son silence. Après quatre ans de
camp de travail, nullement découragé, il réclamait ouvertement des
élections libres et la séparation des pouvoirs. Il parcourut Beijing en tous
sens, rencontrant des étudiants et s’exprimant devant un Salon de la
Démocratie fondé par Wang Dan, personnage fluet et discret, titulaire d’une
licence d’histoire de l’université de Pékin. Ren Wanding trouvait la jeune
génération si stimulante qu’il diffusa une pétition adressée à la Commission
des droits de l’homme des Nations unies, à Amnesty International et à la
Commission des droits de l’homme de Hong Kong, en exigeant la libération
de Wei Jingsheng et d’autres militants de la démocratie emprisonnés depuis
1979, un défi lancé directement à Deng Xiaoping qui avait personnellement
ordonné la répression du mur de la Démocratie et de ses soutiens 377.
Ren Wanding n’était pas une figure isolée. En décembre, le département
de la Propagande parraina une grande conférence pour célébrer le dixième
anniversaire du troisième plénum du Onzième Congrès du Parti. Au lieu de
faire l’éloge de ce plénum comme « Un grand tournant de l’Histoire », Su
Shaozhi, ancien directeur de l’Institut des travailleurs pour le marxisme-
léninisme et la Pensée Mao Zedong, s’en prit audacieusement à la
campagne contre la libéralisation bourgeoise, en appelant à la réhabilitation
de toutes les victimes, y compris Wang Ruoshui. Malgré des efforts pour
censurer le discours de Su Shaozhi, le 26 décembre, le
World Economic Herald de Shanghai publia ses remarques. Et, retournant le
couteau dans la plaie, Su s’adressa aussi librement à des journalistes
étrangers au sujet de la corruption qui avait proliféré depuis 1984, à cause
du double système de prix. « Le parti doit se démocratiser, mais il en fait
trop peu, déclara-t-il. Pour vaincre la corruption, il nous faut une presse
libre, la liberté d’opinion et des organismes d’enquête qui soient
indépendants 378. »
Alors qu’Élégie du fleuve galvanisait l’aspiration à la liberté et à la
démocratie chez des millions de Chinois partout dans le pays, quelques
réactions critiques au documentaire n’en reflétaient pas moins la montée
des tensions sociales et un malaise plus général face à l’ouverture du pays
sur le monde extérieur. Les régimes communistes promettaient à leurs
travailleurs la protection contre l’insécurité et l’incertitude, des emplois à
vie et des prix qui bougeaient à peine pendant des décennies. Mais alors que
l’inflation sapait de plus en plus leur niveau de vie et que le « bol de riz en
fer » (un revenu garanti et la sécurité de l’emploi) était attaqué de toute part,
les gens commençaient à se sentir menacés, avec la sensation que leurs
existences étaient ballottées par des forces échappant à leur contrôle.
Certains fustigèrent les étrangers, un climat de xénophobie affleurant à la
surface. Le Parti communiste lui-même, qui tirait l’essentiel de sa légitimité
de sa prétention d’avoir mis un terme à des siècles d’exploitation étrangère,
attisait régulièrement la haine contre les éléments extérieurs. L’idée que la
Chine avait été humiliée par les étrangers était marquée au fer rouge dans
l’esprit de tous, enfants comme adultes. Au milieu du bruit d’une
propagande officielle qui pouvait se révéler abrutissante, rien n’était aussi
libérateur que de voir un Bruce Lee bouillant de rage décocher un coup de
pied en pleine face d’un blanc arrogant dans La Fureur de vaincre. Quand
les files d’attente et les efforts pour exister dans un quotidien éprouvant
dépassaient les bornes, quand l’insatisfaction devenait insupportable,
aussitôt, la colère se cristallisait autour de choses et d’individus liés à
l’étranger. Peuple de Chine, pourquoi ne te mets-tu pas en colère ? : c’était
la question que posait le titre d’un livre vendu en librairie 379.
Une volatilité sociale croissante suscita encore davantage d’incidents où
se manifestait une franche antipathie, si ce n’est une hostilité déclarée
envers ces étrangers. En 1985, des manifestations avaient éclaté contre le
Japon. À présent, des étudiants se liguaient contre l’Afrique. Déjà, lors d’un
incident précédent, le 24 mai 1986, une foule en colère d’étudiants de
l’université de Tianjin armés de matraques avait assiégé une cantine où des
étudiants africains organisaient une fête pour célébrer l’anniversaire de
l’Union africaine. Ceux qui s’étaient trouvés pris au piège à l’intérieur
avaient été contraints de forcer la porte d’une cuisine afin d’échapper à une
pluie de briques, de pierres et de bouteilles lancées par les fenêtres jusqu’à
quatre heures du matin. « Frappez les étrangers à mort », entonnait la foule
à intervalles réguliers 380.
Des épisodes du même ordre secouèrent d’autres campus en
décembre 1988. La veille de Noël, une émeute éclata à Nanjing après qu’un
groupe d’étudiants africains aurait refusé d’inscrire les noms de leurs
invitées de sexe féminin, ainsi que le voulait le règlement de
l’établissement. Après une bagarre où deux Africains et onze employés de
l’université furent blessés, plus de 5 000 étudiants défilèrent dans le centre
de la ville en hurlant : « Frappez les Diables noirs. » Les autorités furent
obligées d’appeler les forces de sécurité afin d’assurer le maintien de
l’ordre. Une semaine plus tard, à plusieurs centaines de kilomètres au Nord,
à l’Université des langues et des cultures de Pékin, une foule de
manifestants furieux placarda des affiches réclamant que soit châtié un
étudiant africain qui y aurait insulté une femme. Deux mille étudiants
boycottèrent les cours 381.
En janvier 1989, quand les dirigeants de la nation se réunirent à huis
clos pour passer en revue le dispositif de maintien de l’ordre, ils
s’accordèrent à juger la situation d’ensemble assez sombre. Une forte
inflation avait exacerbé l’instabilité sociale, alors que la politique
d’austérité confrontait la structure même du marché de l’emploi à des défis
insurmontables. L’incapacité d’honorer les contrats agricoles avait pour
conséquence de fortement réduire les approvisionnements alimentaires
nécessaires pour nourrir les villes. Les étudiants devenaient de plus en plus
rebelles, certains réclamant à grands cris la « liberté » et la « démocratie ».
Dans la « ceinture ethnique », l’ensemble de régions abritant de nombreuses
minorités le long de la frontière du Nord-Ouest, du Tibet au Xinjiang, les
troubles étaient omniprésents. Malgré une campagne virulente contre le
crime, le respect de la loi et le maintien de l’ordre étaient en net recul 382.
Dans l’imagerie du folklore local, un serpent est assis derrière le trône
de l’empereur pour s’assurer que personne ne puisse s’approcher dans son
dos et attenter à sa vie. Alors que les prémisses de l’Année du Serpent
s’avançaient en rampant, une vigilance accrue était requise.

*1. Le 18 septembre 1931, des unités de l’armée du Kwantung firent sauter une section de voie
ferrée, imputant ce sabotage à des éléments chinois (N.d.T.).
*2. Doctrine qui consiste à laisser le marché intérieur accessible aux étrangers (N.d.T.).
5.

Le massacre
(1989)

Le Beijing de 1989 était encore une ville terne composée d’ensembles


de logements et de bureaux, rehaussés çà et là par quelques vestiges du
passé impérial. Malgré cela, elle n’en avait pas moins changé depuis la mort
du président Mao. Le bleu et le kaki n’étaient plus aussi omniprésents, des
vêtements de couleurs vives faisaient leur apparition et les membres du
parti portaient de plus en plus souvent le costume moderne. Des voitures
importées circulaient désormais en grand nombre dans les rues, tandis que
de nouveaux immeubles et des enseignes en néon donnaient un certain
dynamisme au panorama urbain. À l’origine, l’hôtel Beijing, situé près de la
place Tian’anmen, avait été le site principal d’accueil des dignitaires
étrangers, mais plusieurs établissements avaient ouvert leurs portes,
notamment l’hôtel Jianguo et le Sheraton Grande Muraille, un édifice
argenté au profil élancé qui surplombait le reste de la capitale.
Les colporteurs, vendeurs à l’étalage et autres marchands ambulants
étaient partout, proposant leurs articles à l’angle des rues et se regroupant
parfois pour former des marchés libres. Parmi ceux-ci, l’un des plus
prospères occupait une étroite ruelle, l’Allée de la Soie, qui se situait entre
l’hôtel Jianguo et le Magasin de l’Amitié. Contrairement au Magasin de
l’Amitié, un vaste complexe qui s’étendait sur trois étages, l’Allée de la
Soie était très animée. Ses cent soixante petites échoppes en bois peint en
bleu avec un chiffre en blanc proposaient des robes en coton ou en soie, des
pyjamas, des chemisiers, des sous-vêtements, des pantalons, des chaussures,
des sacs, des bibelots ou autres babioles et quantité d’autres articles
provenant d’usines aussi lointaines que celle de Wenzhou 383.
La population, dont le niveau de vie restait en berne, avait tendance à
considérer les commerçants privés avec mépris. Même les étudiants,
pourtant considérés comme une minorité privilégiée, vivaient à six dans une
pièce minuscule et ne prenaient une douche qu’une fois par semaine. Dans
le cadre d’un effort national d’économies d’énergie, en plein hiver, le
chauffage et l’électricité étaient coupés tous les deux jours. Dans des
cantines surpeuplées, on servait aux étudiants des mixtures de tofu et de
chou avec de généreuses portions de gruau de riz extraites à la louche
d’énormes bassines en fer 384. Leurs professeurs touchaient un salaire
minimal tout juste décent, forçant certains d’entre eux à cumuler deux
emplois afin de joindre les deux bouts. Un an plus tôt, en avril 1988, un
petit groupe de dix-huit étudiants des universités les plus prestigieuses de la
capitale avait organisé une manifestation devant l’Assemblée nationale
populaire afin d’exiger un meilleur traitement pour les professions
intellectuelles, en vain 385.
Les migrants des campagnes étaient aussi un phénomène relativement
nouveau. Leur nombre avait bondi et ils étaient des dizaines de millions à
l’échelle de la nation. Ils étaient attirés vers la ville qui leur offrait de
meilleures opportunités de travail, mais, du fait du système
d’enregistrement des ménages qui les empêchait d’y obtenir un droit de
résidence permanent, ils restaient des individus interlopes, qui survivaient
aux marges de la société urbaine. Des villages entiers finirent par compter
sur leurs envois d’argent, en particulier à un moment où les investissements
affectés aux campagnes se raréfiaient et où le niveau de vie déclinait. Le
système d’enregistrement de l’économie planifiée les avait liés à la terre, en
les transformant en assujettis, taillables et corvéables à merci par des cadres
locaux des communes populaires. À présent, le même système garantissait
un apport régulier de main-d’œuvre bon marché pour les chantiers
d’infrastructure et les usines dédiées à l’exportation situées le long de la
côte. Les migrants ne jouissaient d’aucun droit, d’aucune allocation,
n’avaient que peu de protections, et ils étaient exploités par les autorités
locales qui pouvaient les renvoyer en zones rurales sans préavis ou au
contraire les affecter à un autre chantier où l’on avait besoin de bras. Les
spécialistes étrangers dissertaient parfois sur la « mobilité sociale », une
formule ampoulée qui se voulait savante, alors que les migrants présentaient
surtout une forte ressemblance avec une caste héréditaire confinée à jamais
dans la pauvreté.
Lorsque l’austérité se fit ressentir, l’afflux de villageois devint difficile à
maîtriser. Rien qu’à Beijing, les autorités arrêtaient des milliers d’individus
tous les mois, et pourtant ces chiffres grossissaient encore, intégrant de
jeunes hommes à la recherche d’un travail, mais aussi des infirmes, des
individus venus exposer leurs griefs, des artistes de rue, des vagabonds
dormant dehors et même des mendiants autour du luxueux hôtel Jianguo 386.
À l’approche de la Nouvelle Année lunaire, le régime déploya
d’immenses efforts pour s’assurer que les boutiques soient approvisionnées
en biens de consommation et en denrées alimentaires. Les habitants de la
capitale furent autorisés à acheter une livre de viande supplémentaire dans
les boutiques d’État, tandis que la ration de chou était augmentée d’un
quart. Les festivités restèrent en demi-teinte, avec quelques fusées
multicolores et autres pétards tirés dans le ciel brumeux de la capitale, pâles
reflets des feux d’artifice passés. À Shanghai, l’interdiction totale des feux
d’artifice fut imposée. L’austérité était décidément à l’ordre du jour 387.
Les dirigeants effectuèrent leur tournée rituelle, en présentant leurs
vœux de Nouvel An et en prononçant des discours pour remonter le moral
de la population face aux difficultés économiques. Li Peng s’adressa à un
auditoire de 4 000 cadres du parti en leur expliquant que la stabilité
économique et politique était essentielle, car le pays allait célébrer le
quarantième anniversaire de la prise du pouvoir par les communistes en
octobre 388.
Mais les troubles ne tardèrent guère à arriver. En avril 1988, l’ancien
président Richard Nixon avait publié un livre intitulé 1999. La victoire sans
la guerre. Le communisme, expliquait-il, doit être sapé de l’intérieur à
travers le soutien aux opposants au sein même de ces régimes. Deng
Xiaoping n’était pas l’un d’eux, mais Zhao Ziyang se montrait un candidat
prometteur.

La question reste ouverte de savoir qui possédera la force et


l’inspiration nécessaires pour remplacer Deng quand il quittera
définitivement la scène, écrivait Nixon. Dans un pays
communiste, il n’y a qu’un seul dirigeant. Savoir si ce leader
sera Zhao dépend de ses capacités de tacticien politique : seront-
elles à la hauteur de celles qu’il a démontrées dans le domaine
économique 389.

Plus tard cette année-là, le 19 septembre, après plusieurs semaines


d’« achats de panique » partout dans le pays, Zhao Ziyang rencontra
l’économiste Milton Friedman pour une conversation franche sur la
réforme, une rencontre qui, à Hong Kong, attira l’attention de plusieurs
journalistes entretenant des liens étroits avec un think-tank pékinois associé
à Zhao Ziyang. « Le Patriarche devrait se retirer », proclamait un éditorial
audacieux. Un autre décrétait : « Ceux qui espèrent que la Chine
empruntera la voie capitaliste parient sur Zhao Ziyang. » Pour les
conservateurs de Beijing, cela ressemblait de manière suspecte à une forme
de « collusion avec des forces extérieures », un spectre couramment agité
dans les dictatures : un réseau clandestin au sein de l’État aurait
prétendument orchestré un coup de force avec l’aide de puissances
étrangères hostiles 390.
Quelques mois plus tard, l’affaire se corsait. Début janvier, Fang Lizhi,
qui avait été exclu du parti en 1987, décida d’aller plus loin que Ren
Wanding en diffusant une lettre ouverte à Deng Xiaoping exigeant la
libération de tous les prisonniers politiques. Il recommandait
personnellement le Quatre Mai comme une date propice à une amnistie
générale. Le 2 février 1989, Fang publiait dans la New York Review of
Books un article rejetant le socialisme en une seule phrase : « Quarante ans
de socialisme ont laissé le peuple désemparé. » Dix jours après, plus de
trente auteurs chinois des plus en vue signaient cette pétition et la rendaient
publique, à l’université Columbia, dans l’État de New York. D’après une
circulaire secrète du Comité central, un tel document attestait un « soutien
étranger » aux « forces politiques réactionnaires », en Chine et à
l’extérieur 391.
Pendant ce temps, l’ambassade des États-Unis à Beijing avait été priée
de dresser une liste d’invités pour un grand banquet donné par le président
George H. W. Bush : le président américain souhaitait assister aux
funérailles de l’empereur Hiro-Hito au Japon et avait décidé de se rendre
aussi en visite en Corée du Sud et en Chine. Dix ans plus tôt, de
décembre 1974 à décembre 1975, le même Bush avait dirigé le Bureau de
liaison de Beijing, le nom de l’ambassade des États-Unis avant la
reconnaissance diplomatique de la Chine le 1er janvier 1979. Bush se
considérait comme un vieux routier du monde chinois. Deng, expliqua la
Maison-Blanche, était « un vieil ami ». Winston Lord, l’ambassadeur, inclut
Fang Lizhi sur la liste des invités, non sans faire ajouter, dans le câble qu’il
envoya à Washington, une mise en garde au sujet du statut de
l’astrophysicien dissident. Alors que personne à la Maison-Blanche n’y
prêta la moindre attention, à Zhongnanhai cela en hérissa plus d’un. Le
responsable du protocole initialement envoyé à Washington pour en avertir
les Américains ne put se faire entendre à ce sujet. Lorsque Bush embarqua à
bord d’Air Force One à Tokyo, le ministère des Affaires étrangères chinois
avait lancé un ultimatum formulé en des termes tranchés. À Beijing, la
direction du régime avait dû en conclure que l’exécutif américain était de
connivence avec les forces intérieures de la libéralisation bourgeoise.
« Enfin, qui EST donc ce Fang Lizhi ? » aurait vociféré un président
exaspéré à ses conseillers 392.
Le 26 février, la police empêcha l’astrophysicien dissident de rejoindre
l’hôtel Sheraton Grande Muraille où le banquet avait lieu. L’incident
contraignit Zhao Ziyang à faire la leçon à George H. W. Bush sur les
dangers qu’il y avait à se mêler des affaires intérieures chinoises. Il se servit
aussi de cette occasion pour lancer une attaque contre les dissidents et leur
soutien au principe de la séparation des pouvoirs 393.
En dépit de sa formulation vigoureuse, cette intervention ne suffit pas à
renforcer l’image du secrétaire général. C’était déjà une personnalité isolée
qui s’entourait de conseillers loyaux, mais qui avait toutefois négligé de
cultiver des alliés potentiels dans les rangs du parti. Malgré ses relations
tendues avec Deng Xiaoping au lendemain de la débâcle d’août 1988 sur la
réforme des prix, il continuait de s’appuyer fortement sur lui 394. Et, tandis
que l’assise de son pouvoir se rétrécissait, Li Peng s’était employé à étendre
son influence politique en construisant des alliances avec Chen Yun et
d’autres anciens du parti qui passaient maintenant à l’offensive. À Suzhou,
une ville de jardins le long du Grand Canal, à une centaine de kilomètres à
l’ouest de Shanghai, Li Xiannian, membre de la vieille garde et ferme
partisan de la planification centralisée, fustigea Zhao Ziyang. D’autres
l’imitèrent, sapant encore un peu plus l’autorité du secrétaire général lors
d’une série de réunions à huis clos 395.
Le 20 mars, Li Peng prononça l’allocution d’ouverture de l’Assemblée
nationale populaire. Il s’excusa longuement pour les « carences et les
erreurs » de la politique économique du parti, en déplorant « la tendance à
réclamer avec trop d’impatience des résultats rapides dans le
développement économique et social ». « Il nous manque une pleine et
entière compréhension de la réforme dans toute sa complexité », continua-t-
il. Tous les délégués comprirent que l’apparent mea culpa du Premier
ministre visait en fait Zhao Ziyang, l’architecte de la réforme, assis dans un
fauteuil derrière la tribune, les épaules voûtées 396.

*
* *
La mort de Hu Yaobang le 15 avril eut l’effet d’un coup de tonnerre
dans un ciel serein. Quelques semaines plus tôt, il semblait en bonne santé,
jouant au bridge dans sa retraite hivernale de Nanning. Le 8 avril, alors
qu’il participait à une réunion du Politburo, ayant fait une violente crise
cardiaque, il avait été transféré d’urgence à l’hôpital où il s’était éteint une
397
semaine plus tard .
Hu fut transformé à sa mort en figure de légende, symbole d’intégrité
pour un peuple aspirant au changement. Le jour même de son décès, des
étudiants placardèrent des affiches manuscrites à l’université de Pékin, le
campus qui avait joué un rôle moteur lors des manifestations de
décembre 1986. « Hu Yaobang est mort, l’esprit démocratique est mort,
l’université de Pékin est morte », écrivit quelqu’un, en proie au désespoir.
« Comment as-tu pu nous quitter de la sorte ? » s’exclamait un autre. Un
poème déplorait : « L’honnête homme est mort ; les hypocrites survivent. »
D’autres interventions adoptèrent aussi un ton plus virulent, une affiche
dénonçant les tentatives des autorités d’empêcher les étudiants de célébrer
le soixante-dixième anniversaire du mouvement du Quatre Mai. Une vague
de chagrin submergea également l’université Tsinghua, où des étudiants
collèrent des affichettes lues et recopiées par des centaines de personnes.
Certaines de ces affichettes faisaient circuler des rumeurs. L’une d’elles,
particulièrement insistante, soutenait que Hu Yaobang était mort d’une crise
de rage face à l’intolérance de ses collègues lors de la réunion du Politburo.
Une autre laissait entendre que Li Peng, généralement détesté, lui avait
adressé de si sévères remontrances que, sous le choc, il avait succombé à
une défaillance cardiaque. Le jour même, des étudiants convergèrent vers la
place Tian’anmen, où ils déposèrent des couronnes autour du piédestal du
Monument aux Héros du Peuple 398.
Le lundi 17 avril, ils furent plusieurs centaines d’étudiants à se diriger
vers la place pour rendre hommage au dirigeant qui avait été pour eux une
source d’inspiration. Des hiérarques du parti et des intellectuels de renom
rendirent visite à des membres de la famille du défunt pour leur offrir leurs
condoléances. Dans la soirée, le mouvement revêtit un caractère résolument
politique car ils furent des milliers à défiler dans les rues de Beijing et de
Shanghai pour exiger un réexamen des événements ayant conduit à la
démission de Hu Yaobang en janvier 1987 399.
Le 18 avril, le chef des services de renseignement, Qiao Shi, l’un des
cinq membres du Comité permanent, plaça l’appareil des forces de sécurité
publique en état d’alerte maximale en expliquant que les étudiants
contactaient leurs homologues partout dans le pays par téléphone pour
« provoquer des troubles de masse et transformer les cérémonies de
commémoration en mouvement dirigé contre le parti et le
gouvernement 400 ».
La pensée traditionnelle veut que l’esprit des morts continue de
tourmenter les vivants. Alors même que la directive de Qiao Shi circulait
largement, Zhao Ziyang devait décider quoi faire, une décision périlleuse
car c’était Deng Xiaoping qui avait forcé l’ancien secrétaire général à
s’effacer. Ces manifestations menaçaient de se retourner contre lui. Or il
préféra ne prendre aucune initiative supplémentaire. Le même jour, des
étudiants de l’université de Pékin organisèrent un sit-in sur la place après
avoir été empêchés d’accrocher une banderole au monument. Après le
coucher du soleil, plusieurs milliers de manifestants convergèrent vers
l’enceinte de Zhongnanhai, où ils scandèrent des slogans contre le régime :
« Vive la démocratie », « À bas le Parti communiste ». Un groupe bouscula
et repoussa les gardes qui protégeaient le portail principal menant aux salles
du Comité central et du Conseil des Affaires de l’État. Le lendemain, des
banderoles portant les mots « Brûlons Zhongnanhai ! » firent leur
apparition. Les manifestants revinrent dans la soirée et lancèrent un nouvel
assaut contre le portail. Cette fois, les autorités étaient prêtes et la police
chargea la foule, arrêtant tous ceux qu’elle put appréhender et les entassant
dans des fourgons. Les étudiants arrêtés furent reconduits sur leur campus et
relâchés, s’en tirant ainsi plus ou moins à bon compte 401.
Le 20 avril, il pleuvait à verse sur la capitale. Dans la soirée, un
avertissement officiel fut lu à la télévision, dénonçant un « petit nombre
d’individus » qui se servaient de la mort de Hu Yaobang comme d’un
prétexte pour « s’attaquer au parti et au gouvernement » et « proférer des
slogans réactionnaires ». Le lendemain, des dizaines de milliers de
contestataires marchèrent de nouveau en direction de la place, « en se tenant
par la main, en chantant, en agitant de grands drapeaux rouges ». Leur
intention était d’occuper l’esplanade de Tian’anmen avec assez de
provisions de nourriture, d’eau et de manteaux d’hiver pour y passer la
nuit : les autorités avaient annoncé qu’elle serait fermée toute la journée du
lendemain, pendant les cérémonies commémoratives. À la tombée de la
nuit, selon les estimations, 100 000 personnes y étaient déjà rassemblées et
d’autres groupes arrivaient, portant des couronnes et des hommages
jusqu’au monument. L’humeur était rebelle. « Je suis prêt à aller en
prison », annonçait un participant. Ren Wanding, l’activiste qui avait
protesté sur la même place treize ans plus tôt, s’adressa à la foule en priant
pour « le réveil d’un système judiciaire ». « Le mur de la Démocratie
revit ! » hurla-t-il 402.
Des manifestations eurent aussi lieu dans plus de vingt autres villes, des
étudiants portant des couronnes et brandissant des portraits du défunt. À
Lanzhou, capitale de la province du Gansu, des centaines de manifestants
assaillirent les locaux du gouvernement provincial en criant : « Nous
voulons la démocratie, nous voulons la liberté », « À bas la dictature », « À
bas la bureaucratie » et « À bas le Parti communiste 403 ».
Le service de commémoration officielle se tint dans le Palais de
l’Assemblée du peuple, à dix heures du matin le samedi 22 avril.
Précédemment, ce jour-là, plus de 50 000 personnes qui avaient passé la
nuit devant l’édifice avaient désobéi à un ordre de dispersion de la police et
exigé d’accéder au palais. Les autorités, qui ne pouvaient guère ordonner
aux forces de sécurité de se ruer sur eux en pareille circonstance,
acceptèrent une solution de compromis en les autorisant à rester sur la place
et à écouter le discours de commémoration diffusé par les haut-parleurs.
Des rangées de soldats firent une chaîne de leurs bras pour barrer l’accès au
palais proprement dit. Un conducteur de camion, au milieu de la foule,
éructa son rejet des dirigeants réunis à l’intérieur : « Ces hommes ne sont
pas des communistes, s’exclama-il, ce sont juste de vieux féodaux qui ont
peur du peuple et qui nous méprisent 404. »
Quelque 4 000 dirigeants du parti étaient en rangs autour du cercueil au
couvercle de verre contenant la dépouille mortelle de Hu Yaobang, habillé
en costume, avec une cravate. Selon un correspondant de presse étranger,
Deng Xiaoping paraissait « gris, bouffi, hébété 405 ». Un jour avant, les
dirigeants du pays avaient refusé d’honorer leur ancien camarade défunt du
titre de « Grand marxiste », le plus prestigieux du panthéon communiste,
malgré la demande de sa famille ainsi que d’admirateurs. Zhao Ziyang, qui
lut l’éloge funèbre, préféra employer le terme de « grand homme politique
prolétaire et révolutionnaire », en attribuant ainsi à Hu Yaobang le même
rang qu’à Hua Guofeng. « Il était assez courageux pour insister sur ce qu’il
croyait juste », conclut le secrétaire général 406.
Pour certains vétérans, c’était déjà trop de louanges, puisqu’ils
considéraient cet éloge funèbre comme un renversement implicite du
verdict du parti. « Les funérailles étaient trop majestueuses », se plaignit un
général. « Cet homme n’avait rien de grand », souligna un autre. « Seul
Xiaoping se place plus haut que nous, car il voit plus loin et plus clair »,
grommela un vétéran 407.
Lorsque Zhao Ziyang quitta le Palais de l’Assemblée du peuple, il se
heurta à Li Peng. Alors que Zhao partait le lendemain en Corée du Nord
pour une visite d’État prévue de longue date, le Premier ministre suggéra
une autre réunion du Comité permanent. Ce n’était pas nécessaire, lui
répondit Zhao, maintenant que les obsèques étaient terminées, les
manifestants se disperseraient bientôt. Le dialogue ne tarderait pas à calmer
la plupart des étudiants. Li Peng répliqua qu’une position ferme était
requise car certains manifestants réclamaient à grands cris la liberté et la
démocratie et troublaient l’ordre public. Zhao Ziyang demeura évasif 408.
Dans l’après-midi, une procession funéraire transporta le corps de Hu
Yaobang vers l’ouest en empruntant l’avenue Chang’an vers le Cimetière
révolutionnaire de Babaoshan, et une foule estimée à un million de
personnes se massa sur l’itinéraire du cortège pour lui rendre un dernier
hommage 409.
Au cours du week-end, des protestations éclatèrent dans plusieurs autres
villes. À Xi’an, l’ancienne capitale de la province du Shaanxi où une armée
de sculptures en terre cuite avait été découverte en 1974, 6 000 personnes se
livrèrent à des déprédations en prenant d’assaut des bureaux de
l’administration centrale, en incendiant une citerne de pétrole, en mettant le
feu à deux autobus et en lançant des cailloux sur les policiers. « Certains
restaient tranquillement immobiles, d’autres étaient pris de folie,
arrachaient des branches des arbres et jetaient tout ce qu’ils pouvaient
trouver sur la police », racontait un témoin. Après que le secrétaire
provincial du parti eut demandé de l’aide en envoyant un télégramme à
Beijing, 4 000 soldats furent envoyés sur place pour maintenir l’ordre. À
Changsha, la capitale du Hunan, des milliers de manifestants mirent à sac
des magasins, un hôtel et la gare en exigeant la démission de Deng
Xiaoping. Des réverbères furent arrachés de leur socle et des fenêtres
brisées. À Chengdu, dans la province du Sichuan, 10 000 étudiants
descendirent dans les rues 410. Le même jour, Li Ximing, le chef du parti à
Beijing, téléphona à Zhao Ziyang pour le prier de repousser son voyage en
Corée du Nord. Au lieu de quoi, le secrétaire général confia les rênes du
pouvoir à Li Peng. Les deux hommes se rencontrèrent brièvement à la gare
dans l’après-midi. Zhao lui répéta qu’il croyait possible d’apaiser les
étudiants par le dialogue 411.
Le lundi 24 avril, les mêmes étudiants se mirent en grève partout dans la
capitale. Au cours du week-end, ils avaient dissous leurs syndicats officiels
en les remplaçant par leurs propres organisations autonomes. Ils prirent le
contrôle des installations de sonorisation sur un certain nombre de campus
et diffusèrent leurs exigences en faveur de la liberté et de la démocratie. Des
centaines de volontaires entassés dans des dortoirs exigus tirèrent des
milliers de tracts énumérant leurs doléances. Des groupes d’étudiants se
déployèrent dans la ville, distribuèrent ces tracts, recueillirent des fonds et
rallièrent la population. Franchissant une étape de trop aux yeux de l’équipe
dirigeante, des groupes d’ouvriers se rassemblèrent autour d’affiches que
les étudiants placardaient dans les espaces publics. Dans la soirée, le
Comité permanent se réunit à nouveau, concluant qu’il existait une
« opposition organisée » au parti. Li Peng, qui présidait cette réunion,
exigea une attitude inflexible et des actions de « répression implacable 412 ».
Le lendemain matin, l’équipe dirigeante se réunit à nouveau dans la
résidence de Deng Xiaoping.

Ce n’est pas un mouvement étudiant ordinaire, mais une émeute,


observa le Guide suprême. Nous devons adopter une position
tranchée et mettre en œuvre des mesures efficaces pour
promptement nous y opposer et mettre un terme à ces troubles.
Nous ne pouvons pas les laisser n’en faire qu’à leur tête.
Les instigateurs qui agissaient derrière ces étudiants, poursuivit-il,
étaient influencés par des éléments de tendance libérale de Yougoslavie, de
Pologne, de Hongrie et d’Union soviétique. « Leur motivation est de
renverser la direction du Parti communiste chinois et le système
socialiste. » Les dirigeants s’accordèrent pour diffuser une déclaration
officielle condamnant fermement ces débordements estudiantins. De
Pyongyang, Zhao Ziyang télégraphia son approbation 413.
Un éditorial impitoyable radiodiffusé dans la soirée du 25 avril et publié
dans Le Quotidien du Peuple le lendemain accusait « un nombre
extrêmement limité d’individus aux motivations inavouées » de se servir
des étudiants pour « empoisonner et égarer l’esprit des gens ». « C’est une
conspiration planifiée », continuait l’éditorial, visant « à anéantir la
direction du parti et le système socialiste ». Les réussites exceptionnelles de
la dernière décennie qui avaient « revitalisé la Chine » seraient réduites à
néant s’il n’était pas mis un terme à ces désordres. Les « défilés et
démonstrations » étaient interdits ainsi que les tentatives d’établir des liens
avec les « usines, les écoles et les villages ». Toutes les organisations
illicites mises en place par les étudiants devaient être démantelées 414.

*
* *
L’éditorial ne fut pas bien reçu. Le lendemain, en un mouvement de
défiance sans précédent, une foule de 150 000 personnes défila dans les
principales artères de la ville en criant des slogans contre la corruption.
Pour la première fois, des groupes d’ouvriers rejoignirent leurs rangs. La
population sortit en masse pour témoigner son soutien, en acclamant les
manifestants depuis les trottoirs et les passerelles routières bondées, les
accueillant comme une armée de libérateurs. Certains portaient leurs
propres banderoles et criaient des slogans évoquant des préoccupations plus
proches de leur quotidien, de l’inflation à la corruption. Ils proposaient des
miches de pain enveloppées dans du plastique, des bouteilles d’eau, des
paquets de glaces à l’eau. Des soldats étaient postés tout le long de l’avenue
Chang’an, certains armés de fusils d’assaut automatiques, mais ils ne
tentèrent d’intimider personne et se mêlaient aux premiers rangs de la foule.
La place proprement dite avait l’allure d’une zone de guerre, avec des
escouades de militaires massées autour des principaux édifices. Pourtant,
les manifestants continuèrent leur marche, dépassèrent la place Tian’anmen
et la contournèrent, leur démonstration de force évoquant plus une parade
de la victoire soigneusement organisée qu’une marche de protestation
spontanée. Les étudiants faisant preuve de discipline et de mesure. Le ton
lui-même était différent, puisqu’ils entonnèrent des slogans en faveur du
parti et de la Constitution 415.
Li Peng commit une bévue en faisant circuler certaines des remarques
confidentielles de Deng Xiaoping lors de la réunion qui s’était tenue à sa
résidence deux jours plus tôt, afin de les soumettre à des membres du parti
réunis en plusieurs sessions de travail tandis que les étudiants défilaient
dans la capitale. Après ces indiscrétions, les manifestants concentrèrent
leurs protestations sur le Guide suprême en s’étonnant que le Comité
permanent doive en référer à lui. Une formule résumant leur vision de ces
manœuvres du pouvoir – « administrer les affaires de l’État derrière un
rideau » – se propagea peu à peu. Il n’en fallut pas plus pour rendre Deng
mécontent de son Premier ministre 416.
Après cette démonstration de force estudiantine, le régime fut contraint
de changer de cap et d’ouvrir le dialogue. Le 29 avril, une réunion eut lieu
entre les étudiants et des représentants du gouvernement et fut retransmise
en direct à la télévision, un événement rare en soi. Yuan Mu, un porte-
parole du Conseil des Affaires de l’État, ouvrit ces pourparlers par un
sermon draconien, en répétant les principaux arguments de l’éditorial du
26 avril. Les questions des étudiants suivirent. Quand l’un d’eux se plaignit
du parti pris de la presse officielle, Yuan Mu répliqua : « À ma
connaissance, il n’existe aucune censure de la presse dans notre pays. » Il
afficha à plusieurs reprises un sourire narquois, ce qui ne lui gagna guère
l’estime de son auditoire. Mais son sourire s’effaça après qu’un jeune
homme se leva subitement, critiqua ce dialogue qui excluait les
organisations étudiantes autonomes et sortit en signe de protestation. Yuan
Mu répliqua sèchement que ces organisations estudiantines étaient illégales.
Après qu’un autre participant eut mentionné l’article 35 de la Constitution,
qui garantissait la liberté d’expression et d’association, le porte-parole
observa que chaque citoyen avait aussi un devoir juridique de ne pas porter
atteinte aux intérêts de l’État 417.
La tenue de ce dialogue divisa les étudiants. Les dissensions intestines
qui avaient fait rage depuis le début déchiraient de plus en plus leurs
organisations. Certains délégués considéraient les syndicats instaurés
indépendamment des autorités comme un obstacle à toute conversation
future et préconisèrent leur dissolution. D’autres s’en éloignèrent peu à peu.
Le 1er mai, avec la célébration de la fête du Travail, le pouvoir lança un
appel à la stabilité. La place Tian’anmen fut décorée de drapeaux rouges, et,
excepté quelques touristes qui prenaient des photos devant la tribune, elle
resta déserte. Ce jour de fête se déroula sans incident 418.
Pourtant, les tensions restaient fortes. Pendant plusieurs semaines,
étudiants et intellectuels avaient appelé à des manifestations d’envergure
afin de célébrer le soixante-dixième anniversaire du Mouvement du
Quatre Mai 419. Un autre événement marquant se profilait à l’horizon : une
visite d’État de Mikhaïl Gorbatchev, le dirigeant soviétique, programmée
du 15 au 19 mai. La direction chinoise considérait ce sommet comme la
conclusion triomphale de plusieurs années de diplomatie discrète. Trois ans
plus tôt, à Vladivostok, Gorbatchev avait annoncé une série de concessions
unilatérales à la Chine ouvrant la voie à de meilleures relations. Le ministre
soviétique des Affaires étrangères, Édouard Chevardnadze, s’était rendu en
visite à Beijing et Shanghai la première semaine de février 1989 pour fixer
une date de rencontre.
Dès son retour de Corée du Nord, le 30 avril, Zhao Ziyang révisa peu à
peu sa position. Avant de consulter son Premier ministre ou d’autres
membres du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, il
réunit ses conseillers 420. Antérieurement à son départ pour Pyongyang,
ceux-ci avaient redouté que « l’avant-garde du mouvement étudiant » ne se
retourne contre lui et contre le Guide suprême. À présent, ils semblaient lui
suggérer de se distancier stratégiquement de Deng Xiaoping 421.
Lors d’une réunion du Comité permanent, le 1er mai, Zhao Ziyang
approuva les décisions prises en son absence et soutint la condamnation des
manifestations estudiantines prononcée par Deng Xiaoping. Il ne remit pas
en cause l’éditorial paru dans Le Quotidien du Peuple le 26 avril. Pourtant,
le lendemain, se ravisant, il tenta de contacter Deng à travers un
intermédiaire qui à son tour approcha Yang Shangkun, président de la
République populaire et membre du Comité permanent. Yang refusa, en
relevant que Deng ne modifierait vraisemblablement pas ainsi du jour au
lendemain son jugement sur les manifestations estudiantines 422.
Devant les dirigeants du parti réunis au Palais de l’Assemblée du peuple
le mercredi 3 mai, Zhao prononça un discours pour célébrer le Quatre Mai,
en appelant la nation à s’opposer à l’agitation sociale et en avertissant que,
sans l’unité et la stabilité, « un pays de promesses sera transformé en pays
de désespoir et de remous ». Dans un geste de conciliation, il loua le
patriotisme des étudiants et la légitimité de leurs exigences de « valorisation
de la démocratie, de lutte contre la corruption et de promotion de
l’éducation », autant d’intentions qui correspondaient aux objectifs du parti.
Il souligna l’importance des Quatre Principes fondamentaux, notamment la
dictature du prolétariat ainsi que le marxisme-léninisme Pensée Mao
Zedong. Mais, alors que d’autres membres du Comité permanent avaient
suggéré qu’il mentionne la lutte contre la « libéralisation bourgeoise » qui
figurait dans une ébauche de son discours, il s’en abstint 423.
Plus tard ce jour-là, Du Runsheng, l’un des principaux partisans de la
réforme agraire, et en contact étroit avec Zhao Ziyang, convoqua une
réunion au Palais des Sciences. Une dizaine de hauts dignitaires du parti s’y
concertèrent pour proposer au secrétaire général leur évaluation de la
situation et le conseiller sur la manière de traiter les événements. Ils
s’accordèrent à considérer avec Zhao Ziyang que le Guide suprême se
trompait dans son analyse de la nature du mouvement étudiant et qu’il en
avait perdu la maîtrise. « La réputation de Deng a touché le fond »,
estimèrent-ils. Ils conseillèrent au secrétaire général de se montrer
prudent 424.
Le lendemain, ce dernier prononça un autre discours, cette fois en la
présence de journalistes étrangers. Lors de la réunion annuelle du conseil
d’administration de la Banque asiatique de développement (BAD), il fit
l’éloge des étudiants qui, estimait-il, loin de s’opposer au Parti communiste
ou au système socialiste, se bornaient simplement à demander que les
erreurs commises par le gouvernement soient rectifiées. À l’opposé de ce
qu’il avait déclaré lors son intervention de la veille, il ne percevait aucun
danger de troubles, et il exprimait au contraire sa conviction que les
« manifestations vont progressivement se calmer ». La raison et la
modération, ainsi que des consultations approfondies avec des gens de toute
condition, étaient la voie à emprunter pour aller de l’avant 425.
Entre-temps, les étudiants défilaient dans presque toutes les grandes
villes pour commémorer le Quatre Mai. Les manifestations étaient
pacifiques et ils acceptèrent de retourner ensuite en cours et de réduire leurs
activités politiques à leur plus simple expression. Ils se rendaient compte
qu’ils avaient peu à gagner à repousser les limites de la tolérance d’un
gouvernement assiégé au point de risquer la rupture. À Beijing, des dizaines
de milliers d’étudiants défilèrent, bien moins nombreux que pour les
rassemblements massifs du 27 avril, mais ils ne quittèrent tout de même pas
la place Tien’anmen avant de l’avoir couverte de petites bouteilles cassées.
Il y eut comme un soupir collectif de soulagement. La Bourse de
Hong Kong salua la nouvelle avec des gains substantiels 426.
Des centaines de journalistes, tous accrédités par l’État, avaient rejoint
les étudiants pour le Quatre Mai en réclamant à voix haute le droit de « dire
la vérité ». Ce tournant fut provoqué en partie par la fermeture du
World Economic Herald, à Shanghai. En décembre 1988, cette revue
libérale avait publié un discours de Su Shaozhi appelant à la réhabilitation
de toutes les victimes de la campagne contre la « libéralisation
bourgeoise ». Qin Benli, le rédacteur en chef, semblait inflexible malgré les
mises en garde. Une semaine après le décès de Hu Yaobang, il se préparait à
publier six pages d’hommages à l’ancien secrétaire général. Le Bureau de la
propagande intervint. Un passage visant Deng Xiaoping semblait
particulièrement offensant. Jiang Zemin, secrétaire du parti de Shanghai,
perdit patience et, le 27 avril, il suspendit le rédacteur en chef. Qin Benli
devint instantanément une figure notoire et un sujet de controverse. Les
manifestants avaient maintenant une nouvelle revendication : la liberté de la
presse 427.
Des secteurs croissants des médias officiels, notamment des journalistes
travaillant pour CCTV, la télévision centrale de Chine, et
Le Quotidien du Peuple, soutenaient cette revendication. Après la prestation
de Zhao Ziyang à la Banque asiatique de développement, ses conseillers lui
recommandèrent de rendre son discours public. Dans la journée, la radio et
la télévision diffusèrent le discours du secrétaire général et retransmirent
l’émission pendant trois jours. Le Quotidien du Peuple reprit son message
conciliant en première page : « Il nous faut garder raison et mesure,
résoudre les problèmes dans le respect de la démocratie et de la loi 428. »
Le 5 mai, les étudiants retournèrent en cours, rassérénés après la
promesse de dialogue formulée par Zhao Ziyang 429. Le secrétaire général
encouragea aussi les médias à adopter un ton plus accommodant :
« Rapportez sur les manifestations étudiantes avec un peu plus d’ouverture
d’esprit, il n’y a aucun danger à cela », donna-t-il instruction à Hu Qili, le
chef, plutôt compréhensif, du département de la Propagande 430. Les gens se
réveillaient le matin avec des reportages et des photographies des
manifestations étalés partout dans les journaux. Le Quotidien de la Jeunesse
de Chine alla jusqu’à brosser le portrait des étudiants en patriotes, alors
qu’étaient cités des propos de Zhao Ziyang attribuant en partie la corruption
à un « manque d’ouverture 431 ».
Ce changement de ton encouragea davantage d’intellectuels à témoigner
leur soutien aux étudiants. Le 10 mai, une dizaine de milliers de
manifestants enfourchèrent leur bicyclette et traversèrent la capitale pour
réclamer une plus grande liberté de la presse. Cinquante écrivains, poètes et
romanciers de renom se joignirent à eux, parmi lesquels Su Xiaokang, qui
croyait qu’il ne « fallait pas laisser les étudiants agir seuls 432 ».
Pendant à peu près une semaine, le calme persista, alors même que dans
les coulisses une divergence au sein de la direction devenait perceptible. La
tentative de Zhao Ziyang de tendre la main aux manifestants fut
généralement bien accueillie, toutefois son discours contredisait les
commentaires du Guide suprême morigénant ces mêmes étudiants,
coupables d’avoir créé des troubles et tenté de renverser le système
socialiste. On eût dit que deux lignes éditoriales tiraient dans deux
directions différentes. Soit le Guide suprême devrait retirer ses propos, soit
le secrétaire général avait fait une promesse qu’il serait incapable de tenir.
Les dirigeants qui considéraient le discours de Zhao Ziyang comme une
déviation dangereuse par rapport à la ligne du parti se rallièrent
progressivement à Li Peng. Il y avait parmi eux Chen Xitong, le maire de
Beijing, qui exigea le 7 mai que le parti s’en tienne aux décisions arrêtées
par le Comité permanent le 24 avril 433. À sa demande, le comité se réunit le
lendemain. Il y eut un échange empreint d’acrimonie. Selon plusieurs
membres du comité, des responsables gouvernementaux qui avaient sévi
contre les activités estudiantines se sentaient trahis par Zhao Ziyang. « Qui
vous a trahis ? rétorqua un secrétaire général furieux. C’est seulement
pendant la Révolution culturelle que le peuple a été trahi 434. »
Malgré toutes les promesses, il y eut peu de dialogue entre le
gouvernement et les contestataires. Les étudiants insistèrent pour que tout
débat éventuel se déroule avec leurs propres organisations indépendantes,
que l’éditorial du 26 avril avait proscrites, une exigence à laquelle le
secrétaire général ne pouvait accéder. Les étudiants se montraient de plus en
plus impatients. Ils se mirent à redouter qu’après la visite de Gorbatchev,
certains comptes ne se règlent et que les autorités ne les répriment à
nouveau.
Le 11 mai, une affiche fut placardée à l’université de Pékin, appelant à
une grève de la faim sur la place Tian’anmen 435. L’idée n’était pas neuve.
Comme presque tout le reste, elle s’inscrivait dans une tradition de
protestation politique qui remontait à la Révolution culturelle. Par exemple,
à l’été 1966, alors que les étudiants avaient répondu à l’appel du président
Mao de balayer les « routiers du capitalisme » qui se cacheraient à
l’intérieur du système éducatif, ils avaient été des centaines à aller s’asseoir
en signe de protestation silencieuse devant le siège du parti à Xi’an,
refusant toute nourriture et toute boisson. Au bout de plusieurs jours, des
scènes chaotiques s’ensuivirent, des infirmières se mettant à poser des
perfusions aux étudiants qui s’étaient évanouis sous la chaleur estivale alors
que des ambulances conduisaient les cas les plus graves aux urgences à
toute vitesse. Zhou Enlai avait été forcé d’intervenir pour sortir de
l’impasse 436.
Une fédération qui chapeautait toutes les organisations autonomes
montées par les étudiants vota contre la grève de la faim, mais l’idée
demeurait trop tentante pour être complètement écartée. Plusieurs meneurs
de la révolte estudiantine décidèrent de continuer seuls. Wang Dan, étudiant
en histoire à l’université de Pékin, était l’un d’eux. Wuer Kaixi, un jeune
Ouïghour charismatique à l’épaisse chevelure bouclée, qui était né et avait
grandi à Beijing, et qui, étudiant, avait passé plusieurs années dans le
Xinjiang, en faisait aussi partie. Dans la nuit du 19 avril, il s’était porté à la
tête d’un groupe qui avait pris d’assaut le portail principal de Zhongnanhai,
allant et venant devant les premières lignes vêtu d’un uniforme jaune
décoloré qui avait été en vogue à l’époque de la Révolution culturelle et
lançant des ordres aux autres étudiants d’une voix tonitruante : « Nous
devons tenir notre position ici, jusqu’à ce que Li Peng sorte de là 437 ! »
Les grévistes de la faim lancèrent leur action le 13 mai, deux jours avant
la date prévue pour le sommet sino-soviétique. Quelques centaines
d’étudiants, le front ceint de bandeaux rouges et blancs et parfois coiffés de
visières pare-soleil en plastique, prêtèrent serment, jurant de rester sur la
place jusqu’à ce que le gouvernement fasse droit à leurs demandes. « Nous
pouvons supporter d’avoir faim », annonçait une banderole tendue entre
deux piquets en bambou, « mais nous ne supportons pas la dictature ».
C’était une foule résolue, quoique peu nombreuse. Ce soir-là, à l’université
de Pékin, une étudiante de deuxième cycle en psychologie, nommée Chai
Ling, s’empara du micro, prononça un plaidoyer passionné et sut émouvoir
aux larmes la foule de ceux qui l’écoutaient. « Nous, les enfants, nous
sommes prêts à mourir, s’écria-t-elle. Nous voulons nous battre pour vivre
avec une résolution mortelle. » Du jour au lendemain, son discours se
transforma en manifeste. Douze intellectuels de premier plan, parmi
lesquels Su Xiaokang, apportèrent leur soutien aux grévistes de la faim avec
un appel publié dans les journaux et diffusé à la télévision. Ils furent des
milliers à se joindre à la grève de la faim 438.
Leur nombre continua de grossir. Zhao Ziyang avertit les contestataires
qu’ils allaient s’attirer « l’opprobre du peuple » en faisant obstruction au
sommet sino-soviétique, toutefois l’avertissement resta vain. Lorsque
Gorbatchev fut accueilli à l’aéroport le 15 mai, plus de 300 000 personnes
occupaient la place, comptant dans leurs rangs non seulement des grévistes
de la faim, mais aussi « des ouvriers, des paysans, des fonctionnaires de
l’administration centrale, des personnels permanents des partis dits
“mineurs”, ou partis démocratiques, des enfants des écoles maternelles et
élémentaires, des officiers et des fonctionnaires des services de la justice et
même des cadets des écoles militaires 439 ». Des centaines d’écrivains, de
journalistes et de professeurs d’université entrèrent aussi dans la mêlée.
L’atmosphère était festive, des gens de toutes conditions s’exprimant
librement et nombre d’entre eux pour la première fois. Ils agitaient des
banderoles, entonnaient des chansons, se saluaient en faisant le signe du V
de la victoire. Cui Jian, un guitariste de vingt-sept ans qui avait fait
découvrir le rock and roll au pays, fit une apparition surprise. En
s’accompagnant de sa guitare, il chanta à pleins poumons les paroles de
Nothing to My Name, une pop song qui toucha une corde sensible chez les
contestataires : « Je te le dis, j’ai attendu trop longtemps ; je te le dis, c’est
ma dernière demande, je veux te prendre par la main ; pour que tu viennes
tout de suite avec moi. » La musique noyait le vacarme des sirènes
d’ambulance, qui emmenèrent au total à l’hôpital soixante-dix grévistes de
la faim ayant succombé à la chaleur et à l’absence de nourriture. Des
journalistes étrangers présents dans la capitale pour couvrir le sommet se
mêlèrent librement à la foule, tandis que des satellites retransmettaient le
spectacle sur les écrans de télévision du monde entier. Posté sur le toit du
Palais de l’Assemblée du peuple, Zhao Ziyang scrutait les étudiants avec
une paire de jumelles 440.
Le 16 mai, la limousine ZIL noire du dirigeant soviétique se faufilait
dans le Palais de l’Assemblée du peuple par une entrée située à l’arrière,
protégée par un cordon de sécurité de plusieurs centaines de policiers.
Gorbatchev serra la main de Deng Xiaoping qui lui déclara avec gravité que
les vieilles querelles entre Beijing et Moscou appartenaient désormais au
passé. Dans la soirée, à la résidence d’État de Diaoyutai, dans le quartier de
Haidian, le dirigeant soviétique discuta avec Zhao Ziyang de la
normalisation des relations entre les deux partis communistes. Le secrétaire
général rompit avec la fiction traditionnelle de la direction collégiale en
expliquant à son homologue que le Guide suprême du pays prenait encore
toutes les décisions majeures. « Nous ne pouvons pas nous passer de lui, de
sa sagesse et de son expérience », lui déclara-t-il, en expliquant qu’au
premier plénum du Treizième Congrès du Parti, en octobre 1987, une
décision avait été prise : « Sur les questions les plus importantes, nous
avons encore besoin de lui dans son rôle de timonier. » La décision du
plénum, lui expliqua encore le secrétaire général, « n’a jamais été rendue
publique ». Il clarifia plus tard ses propos en affirmant qu’il essayait de
protéger Deng en soulignant que ses pouvoirs n’étaient pas arbitraires
puisqu’ils découlaient de la Constitution du parti. Néanmoins, il avait
commis là une erreur, car nombre d’observateurs en conclurent qu’il se
défaussait de la responsabilité de la gestion de la crise sur son propre
protecteur. Un journaliste étranger qualifia ces propos de « défi voilé, mais
hors du commun », lancé à Deng 441.
La mention de cette résolution secrète par Zhao Ziyang fut rapportée
dans la presse officielle, et pourtant elle ne surprit personne excepté certains
de ses conseillers. Yan Jiaqi, un politologue, semblait penser que cette
révélation constituait un signal pour rompre et se détacher de Deng
Xiaoping, ce qui eut pour effet de l’amener à dénoncer immédiatement « le
vieux dictateur décrépit ». « À bas le dictateur ! », « Les dictateurs doivent
s’en aller ! », éructa-t-il, en s’adressant à la foule sur la place 442.
Après son entrevue avec Gorbatchev, Zhao Ziyang se précipita à une
réunion du Comité permanent convoquée en urgence. La seule voie pour
sortir le pays de cette fâcheuse situation, déclara-t-il au comité, serait de
retirer l’éditorial du 26 avril. Pour protéger la réputation de Deng Xiaoping,
ajouta-t-il, il acceptait d’endosser l’entière responsabilité de l’éditorial en
déclarant publiquement qu’il l’avait rédigé à titre personnel, à Pyongyang.
Mais les autres membres ne voulurent rien entendre et insistèrent pour
réaffirmer que cette publication reflétait les opinions du Guide suprême. La
réunion ne résolut rien 443.
Le lendemain, 17 mai, Zhao tenta de rencontrer Deng en audience
privée. Convoqué à sa résidence dans l’après-midi, dès son arrivée, il
découvrit que le Comité permanent au complet l’attendait. La réunion qui
suivit fut tendue, les membres l’accusant d’avoir attisé les flammes de
l’agitation avec son discours à la Banque asiatique de développement. Deng
Xiaoping confirma : « Le tournant a bien été le discours de Zhao Ziyang sur
le Quatre Mai, qui a permis aux gens de constater que la direction n’était
pas unie, aussi les manifestations se sont faites plus virulentes et beaucoup
de gens se sont rapprochés des étudiants. » Il rendit son verdict : il fallait
déclarer la loi martiale et faire intervenir l’armée. L’atmosphère s’assombrit
aussitôt, néanmoins tous approuvèrent, à une exception près. Plus tard dans
la soirée, alors que le Comité se réunissait à nouveau pour discuter des
aspects logistiques de la loi martiale, un Zhao Ziyang lugubre annonçait
qu’il lui était impossible de continuer d’assurer ses fonctions : « Mon heure
a sonné 444. »
En une dernière tentative de désamorcer l’engrenage, le 18 mai, Li Peng
hagard, l’air nerveux, rencontra les dirigeants étudiants devant les caméras
de télévision à onze heures du matin, dans la salle Xinjiang du Palais de
l’Assemblée du peuple, un vaste espace de réunion aux hauts plafonds et
aux sofas confortables. Des fleurs et des tasses de thé étaient posées sur des
tables basses entre les sièges. Wuer Kaixi, qui avait été conduit à l’hôpital
après s’être évanoui et qui était encore en pyjama, tança vertement le
Premier ministre de son arrivée tardive – il n’était pas en retard de quelques
minutes, mais bien de plusieurs semaines. Li Peng s’en excusa et se lança
dans un sermon plein de condescendance, vite interrompu par Wang Dan
qui l’accusa d’esquiver tous les problèmes. Li Peng paraissait de plus en
plus contrarié. « Beijing est tombé dans une sorte d’anarchie, déclara-t-il,
en colère. Nous n’allons pas rester sans rien faire, prévint-il au cours d’un
échange très vif. Nous devons défendre nos usines. Nous devons défendre
notre système socialiste. » La réunion dura environ une heure 445.
L’attitude intransigeante du gouvernement entraîna un renforcement
soudain du soutien populaire, et la foule massée dans le centre de la capitale
était maintenant estimée à un million de manifestants. Des étudiants
affluèrent d’autres régions pour venir soutenir ces manifestations, des
jeunes gens impatients de les rejoindre prenant les quais de gare d’assaut et
s’entassant dans tous les trains en partance vers la capitale. Nombre d’entre
eux réussirent à monter sans billet, à peu près comme vingt ans plus tôt
lorsque les Gardes rouges avaient été autorisés à voyager gratuitement. Le
travail s’arrêta dans presque toutes les usines et la quasi-totalité des
bureaux, et des cohortes de travailleurs rejoignirent les étudiants, en
brandissant les banderoles officielles de leurs unités de travail et en défilant
dans les rues autour de la place. Ils portaient les signes distinctifs et les
accessoires propres à leur métier, les cuisiniers coiffés de la toque et les
comptables secouant leurs bouliers-compteurs. Les ouvriers des usines se
présentaient en bleu de travail. Des voitures, des camions et des autobus,
réquisitionnés dans les unités de travail, roulèrent sur l’avenue Chang’an en
signe de soutien. Ce fut une journée de protestation des travailleurs, très
loin d’une journée de contestation strictement étudiante. Les slogans
changeaient de nature, avec des appels directs à la démission de Deng
Xiaoping, Li Peng et Yang Shangkun 446.
L’atmosphère restait surtout festive, la foule accueillant les manifestants
aux carrefours avec des acclamations. Des banderoles soutenant les
grévistes de la faim ornaient les immeubles de bureaux et d’habitation.
Quand des manifestants passèrent devant le gratte-ciel ultramoderne du
fonds d’investissement CITIC Group, des employés des bureaux les
saluèrent avec une pluie de confettis qu’ils lâchèrent par les fenêtres.
Beaucoup croyaient avoir atteint un tournant de l’histoire, les espoirs d’une
Chine démocratique exprimés pour la première fois soixante-dix ans plus
tôt étant peut-être enfin sur le point de se réaliser. Cela leur semblait
annoncer l’aube d’une ère nouvelle 447.
Les soutiens émanaient aussi des rangs du parti. La veille au soir, Xiao
Ke, un général de la vieille garde, avait téléphoné à la Commission
consultative du Parti communiste chinois, dominée par les anciens, pour
expliquer que c’était le parti qui avait tort et les masses, raison. Dans les
provinces, des institutions du parti dans leur entièreté rejetaient l’éditorial
du 26 avril. Dans le Zhejiang, une majorité de membres de la Conférence
politique consultative adoptèrent une résolution condamnant l’expression
« s’opposer aux troubles et les contenir ». Ils télégraphièrent leur décision
aux dirigeants de Beijing le 18 mai. Un scénario similaire se déroula dans
d’autres provinces 448.
Des manifestations éclatèrent aussi dans d’autres villes. Quelque
100 000 manifestants paralysèrent le centre de Shanghai, perturbant la
venue de Mikhaïl Gorbatchev, dernière étape de sa visite officielle de quatre
jours en Chine. Pour l’ensemble du Zhejiang, les autorités estimèrent
qu’approximativement 400 000 personnes défilèrent dans les rues de
Hangzhou, Jinhua, Ningbo, Wenzhou et d’autres villes. Dans la capitale
provinciale, plus de 800 étudiants s’associèrent à une grève de la faim. Des
chiffres comparables figurent dans d’autres rapports empilés sur les
rayonnages des archives du parti. Dans la province du Gansu, très à l’écart
des regards des correspondants de presse étrangers, au plus fort du
mouvement, près de 250 000 personnes manifestèrent dans douze cités.
Pour la seule Lanzhou, ce furent 300 étudiants qui entamèrent une grève de
la faim 449.
Les troubles les plus inquiétants se produisirent à Ürümqi, la capitale du
Xinjiang où 10 000 étudiants descendirent dans la rue pour protester contre
un livre intitulé Mœurs sexuelles qu’ils jugeaient diffamant. C’était un
prétexte pour défiler avec des banderoles affichant les slogans « Vive la
démocratie » et « À bas la corruption ». Le lendemain, les manifestants
forcèrent un portail menant à un bâtiment gouvernemental et s’attaquèrent à
la milice et à des agents administratifs. Sur la place principale, des autobus
furent renversés, des poteaux électriques arrachés et des câbles de haut-
parleurs sectionnés. Cent cinquante personnes furent blessées 450.
Le vendredi 19 mai, vers cinq heures du matin, Zhao Ziyang se rendit
sur la place en la compagnie vigilante de Li Peng pour exprimer sa
préoccupation à propos des grévistes de la faim. « Nous sommes arrivés
trop tard », admit-il les larmes aux yeux, en tenant le micro d’une main
tremblante. Il expliqua qu’il avait été jeune lui aussi et il encourageait les
étudiants à renoncer à leur grève de la faim. Ce serait sa dernière apparition
publique.
À onze heures ce soir-là, au département de Logistique générale de
l’Armée de libération populaire, Li Peng s’adressa à une vaste assemblée du
parti composée de hiérarques du gouvernement et de l’armée et annonça des
mesures pour contenir les troubles. Peu après minuit, le Premier ministre fit
son apparition à la télévision pour lire une allocution :

Nous devons adopter des mesures fermes et résolues pour mettre


rapidement un terme à cette agitation, déclara-t-il. Si nous ne
parvenons pas à faire cesser promptement cette situation et si
nous la laissons se dégrader, cela conduira très certainement à de
graves conséquences qu’aucun de nous n’a envie de voir se
produire.

La loi martiale fut proclamée 451.


Li Rui, qui était à son balcon à trois heures du matin, vit des motos aller
et venir sur l’avenue Chang’an pour alerter les contestataires de l’arrivée de
l’armée. Ils s’étaient donné un nom, les « Tigres Volants », en se ceignant le
front de bandeaux ressemblant à ceux des grévistes de la faim et en
décorant leur engin de drapeaux 452. Ils ne furent pas les seuls à se mobiliser
pour la défense des manifestants. Dès l’instant où Li Peng annonça la loi
martiale, des dizaines de milliers de personnes se précipitèrent hors de chez
elles pour empêcher les soldats d’atteindre la place. Beijing était une ville
entourée d’imposants boulevards périphériques croisant des ponts
autoroutiers et des intersections, ainsi que des petites ruelles tortueuses. Des
chauffeurs de camions se servirent de leurs véhicules pour bloquer les six
accès principaux de la capitale, tandis que la foule se ruait sur les convois
militaires pour les encercler et dégonfler leurs pneus. Cette foule se voulait
pourtant amicale et proposa de la nourriture et de l’eau aux soldats. Elle
tenta de les convaincre de faire demi-tour. À midi, elle avait réussi à
bloquer approximativement 200 véhicules militaires appartenant à la
65e armée, sur 18 kilomètres en direction de l’ouest. À l’Hôpital général de
l’Armée populaire de libération (APL), situé à 11 kilomètres à l’ouest de la
place Tian’anmen, le long d’une extension de l’avenue Chang’an, la foule
fit aussi barrage à des unités de la 38e armée. Des manifestants forcèrent des
soldats à faire demi-tour de la caserne de Beijing alors qu’ils avançaient en
direction de la capitale depuis la nécropole des tombeaux des Ming,
l’aéroport et le Palais d’Été. En réalité, le peuple de Beijing arrêta bel et
bien l’armée. « Nous ne nous étions pas attendus à ce que les troupes se
heurtent à une telle résistance », nota Li Peng dans son journal 453.
Ce scénario se répéta plusieurs jours d’affilée, des dizaines de milliers
d’étudiants campant sur la place tandis que d’autres maintenaient des
barricades de fortune à toutes les grandes intersections routières. Le 22 mai,
les troupes entamèrent leur repli. La jubilation l’emporta, des étudiants
encore plus enhardis appelant les soldats à se mutiner. Des rumeurs se
répandaient. Li Peng, qui était devenu le dirigeant du parti le plus détesté
après son annonce de la loi martiale, aurait été en difficulté et lutterait pour
sa survie politique. Deng Xiaoping avait démissionné. Plusieurs défections
au plus haut niveau faisaient pencher la balance du pouvoir en faveur de
Zhao Ziyang. Le vent tournait, car le pays se rapprochait d’un seuil critique
d’une importance historique. Aucun de ces bruits ne reçut un démenti
officiel. Quand une lettre de six généraux et un amiral en retraite enjoignant
la Commission militaire centrale de s’abstenir d’envoyer l’armée dans la
capitale fut divulguée, la rumeur s’emballa 454.
Le 23 mai, des dizaines de milliers de personnes descendirent dans les
rues de Guangzhou, rejointes par des sympathisants de Hong Kong et
Macao, alors que des éclairs zébraient le ciel et qu’une pluie diluvienne
brouillait les messages inscrits sur leurs banderoles. À Shanghai, une foule
importante occupa le Bund (la rive extérieure) et la place du Peuple. À
Lanzhou, dans l’intérieur des terres, des dizaines de milliers de personnes
exigèrent que « Deng Xiaoping s’en aille » et que « Li Peng s’en aille ».
Quelques étudiants crièrent même : « Renversons ce faux gouvernement. »
« Les gens ordinaires soutiennent leurs actions », remarqua le secrétaire
adjoint du parti pour la province. Des étudiants manifestèrent aussi à
Nanjing, Changsha, Wuhan et d’autres villes 455.
En réalité, pourtant, les troupes n’avaient pas vidé les lieux, elles
s’étaient simplement repliées dans des zones de regroupement, en
périphérie. Le 25 mai, la concentration des forces était achevée, avec plus
de 100 000 soldats de onze groupes d’armée prêts à se déployer, des
centaines de chars d’assaut, de véhicules blindés, d’autocars et de camions
militaires. À huis clos, Yao Yilin déclara à plusieurs ministres que les
dirigeants de la Chine ne craignaient pas les pressions étrangères. Ils étaient
déterminés à fermer le pays et à maintenir la loi martiale « pendant trois ans
ou même cinq » si nécessaire. Dans la soirée, au bout de cinq jours sans
apparition en public d’aucun haut dirigeant, la télévision nationale montra
Li Peng recevant trois nouveaux ambassadeurs. Il paraissait confiant : « Le
gouvernement chinois est stable et compétent », déclara-t-il 456.
L’équipe dirigeante battit le rappel en mobilisant le soutien de hauts
responsables partout sur le territoire. L’armée, à laquelle Yang Shangkun
s’adressa lors d’une réunion d’urgence, serra les rangs 457. Des
communiqués de soutien à la loi martiale arrivèrent de gouvernements
provinciaux, de l’armée de l’air et de la marine 458. À la télévision nationale,
les Anciens du parti, de Chen Yun, Bo Yibo et Li Xiannian jusqu’à la veuve
de Zhou Enlai, furent convoqués pour une démonstration d’unité, certains
étant toutefois en fauteuil roulant et à peine capables de lire eux-mêmes leur
message de soutien 459. D’un bout à l’autre du pays, chaque adhérent du
parti était obligé d’adopter une position politique claire et de se plonger
dans la lecture des discours de la direction lors de séances de réflexion
politique 460.
Peu après l’apparition de Li Peng à la télévision, l’équilibre du pouvoir
pencha vers les tenants de la ligne dure. À tous les niveaux, les doctrinaires
du parti occupèrent le devant de la scène. À Lanzhou, où des manifestants
avaient plusieurs fois pris d’assaut le comité provincial du parti, des cadres
pressèrent la direction centrale de prendre des « mesures énergiques contre
les saboteurs, de frapper résolument et de réprimer l’émeute aussi vite que
possible 461 ». Ils étaient loin d’être les seuls. Le 27 mai, trois dirigeants
provinciaux acculèrent Qiao Shi, en exigeant que le Comité permanent
passe immédiatement à l’action. Lors d’une réunion de la Commission
consultative du Parti communiste chinois, Li Peng en personne dut essuyer
les critiques, interrompu par des vétérans du parti qui ne décoléraient pas,
exaspérés par cet enlisement 462.
Pendant ce temps, les habitants des quartiers qui tenaient les barrages
routiers de la capitale se faisaient moins vigilants. Le nombre des étudiants
diminuait, leur organisation était entravée par les querelles internes et les
dissensions. La plupart des correspondants de presse étrangers étaient partis
tandis que les émissions de radio à ondes courtes de la BBC et de la Voix de
l’Amérique, deux grandes sources d’information, étaient brouillées. Le
lundi 29 mai, il ne restait sur la place qu’un maigre contingent de
2 000 manifestants. Leurs meneurs recommandèrent de mettre un terme au
sit-in. S’ils avaient évacué la place, ils en seraient partis en vainqueurs. Ils
avaient plaidé leur cause, toisé le régime devant les caméras des médias
internationaux, gagné le soutien de la population locale et, avec leur appui,
forcé l’armée à se retirer 463.
À Shanghai, le maire adopta une position conciliante. Zhu Rongji se
montra chaleureux et compréhensif envers les manifestants, en leur
promettant qu’aucun soldat n’entrerait dans la ville. Il exclut aussi toute
éventualité de loi martiale. Jiang Zemin, secrétaire du parti pour la ville,
consolida ses soutiens parmi les membres de l’Assemblée populaire
municipale. Des menaces de ralentissement économique ou de grève
générale circulèrent. Parmi les simples citoyens, l’enthousiasme pour le
mouvement pâlit. Des affiches furent retirées, la ville fut nettoyée. Le
samedi 27 mai, des drapeaux rouges et le drapeau national flottèrent dans
les rues pour célébrer le quarantième anniversaire de la libération de
Shanghai. Les étudiants étaient disposés à retourner en cours 464.
Paradoxalement, l’une des plus grandes manifestations eut lieu à
Hong Kong. Le même jour, plus de 200 000 personnes se rassemblèrent sur
le champ de courses du quartier huppé de Happy Valley pour un concert
caritatif de soutien aux étudiants de Tian’anmen. Des célébrités prêtèrent
leur voix à la cause et lorsqu’elles révélèrent aux téléspectateurs ce qu’elles
ressentaient à propos de la crise qui se déroulait de l’autre côté de la
frontière, nombre d’entre elles ne contenaient pas leurs larmes. Teresa Teng,
la star très populaire de Taïwan, fit une brève apparition, un bandeau rouge
et blanc autour du front. Le lendemain, une foule estimée à 1,5 million de
personnes, soit le quart de la population, défila dans les rues en sillonnant
les quartiers commerçants très animés de North Point et Causeway Bay
avant de se disperser près de Victoria Park. Il y avait là des gens âgés, des
enfants en bas âge coiffés de bandeaux jaunes sur les épaules de leurs
parents, des employés de bureau en tenue de travail et même des
manifestants en fauteuil roulant. Les organisateurs distribuèrent des
autocollants proclamant : « Aujourd’hui la Chine. Demain Hong Kong 465. »
Le mardi 30 mai, les étudiants de Tian’anmen dévoilèrent une statue en
plâtre de la Déesse de la Démocratie. Haute de 10 mètres, tenant fièrement
un flambeau à deux mains, ses yeux de pierre fixaient sans broncher le
portrait du président Mao accroché au-dessus de la Porte de la Paix,
remplacé la semaine précédente après avoir été maculé de jets d’encre et
d’œufs. La déesse semblait se moquer de quarante années de révolution.
Surtout, elle insufflait un regain de vitalité au mouvement démocratique
chancelant. La foule grossit de nouveau, la curiosité qu’éveillait cette
nouvelle dame dressée sur la place gagnant toutes les ruelles de la capitale.
Un quart de million de personnes bravèrent la mise en garde du
gouvernement et allèrent admirer cette déesse. Des chauffeurs de taxi,
incapables de couper à travers la masse de bicyclettes et de vélotaxis,
abandonnaient leur véhicule et rejoignaient la foule à pied. Tous ces gens
venaient là en silence, sans slogans ou banderoles. Rares étaient ceux qui
prêtaient attention aux messages assourdissants de condamnation des
autorités qui noyaient la place, diffusés à intervalles réguliers par haut-
parleurs : « Cette statue est illégale. » Dans la soirée, les organes du pouvoir
stigmatisèrent la déesse, « une insulte à la dignité nationale », exigeant
« qu’elle soit abattue 466 ».
La veille au soir, alors que la sculpture arrivait sur l’esplanade en pièces
détachées chargées sur des vélotaxis, des milliers d’étudiants avaient repris
leur position initiale, en jurant de rester au moins trois semaines
supplémentaires. À présent, des effectifs militaires importants étaient
stationnés à l’intérieur de Zhongnanhai, du Palais de l’Assemblée du
peuple, du musée d’Histoire de la Chine et de la Cité interdite, ravitaillés
par le réseau de souterrains qui courait jusqu’aux collines de l’Ouest, à
l’extérieur de la ville. Ces troupes avaient visiblement gâché leur chance
(elles aussi de plusieurs jours, et non pas seulement de quelques heures) de
parvenir à maîtriser la révolte sans effusion de sang 467.
Un nouveau climat de défiance régnait. Des dons furent recueillis
auprès des populations locales tandis que des soutiens financiers et
matériels se déversaient de Hong Kong, où 1,5 million de dollars avaient
été collectés lors d’un concert caritatif. Les contributions de la colonie
britannique comportaient entre autres 200 tentes de camping, aux couleurs
vives rouge et bleu, qui ressortaient au milieu d’une multitude d’abris
précaires faits de bâches plastique, de toile et de carton qui avaient
jusqu’alors protégé les étudiants des intempéries et du soleil. Mais la
plupart de ceux qui habitaient la ville même regagnaient leur campus pour
la nuit. En revanche, la majorité des 5 000 étudiants qui campaient sur la
place étaient arrivés des provinces plus tardivement 468.

*
* *
Le vendredi 2 juin, des rapports dignes de foi se mirent à circuler,
indiquant que des éléments de la 39e armée étaient sur le point de faire
mouvement pour pénétrer dans la capitale. Peu avant vingt-trois heures, une
jeep immatriculée de plaques militaires fut aperçue roulant à vive allure en
direction de la place en venant de l’ouest. Non loin de Muxidi, où l’avenue
Chang’an traverse une douve impériale qui avait protégé jadis la vieille
ville des intrusions, le conducteur perdit le contrôle de son véhicule et
percuta un groupe de cyclistes, en tuant trois et en blessant grièvement un
quatrième. Depuis son balcon, Li Rui put observer une foule en colère se
469
ruer vers les lieux de l’accident .
Plus tard cette nuit-là, vers deux heures du matin, le 3 juin, des témoins
virent une colonne de 8 000 jeunes soldats en bras de chemise marchant sur
l’avenue Chang’an arriver en sens inverse. Plusieurs motocyclistes qui
patrouillaient dans la ville précédèrent cette colonne pour aller donner
l’alarme. « Sortez, sortez, les soldats arrivent ! » Lorsque les militaires
atteignirent l’hôtel Beijing, à 300 mètres de la place, des habitants du
quartier surgirent des ruelles pour leur barrer la route, certains d’entre eux
encore en pyjama, et hurlant : « Demi-tour ! Vous êtes l’armée du peuple ! »
Les soldats n’étaient pas armés et n’étaient apparemment commandés par
aucun officier. L’air épuisés et désorientés, ils s’assirent sur la chaussée et
s’enfouirent leur visage dans leurs mains, agglutinés par petits groupes
tandis que les riverains les narguaient et les invectivaient. Quand ils les
interrogèrent, les jeunes soldats leur répondirent qu’ils étaient de la
39e armée et qu’on leur avait affirmé qu’ils ne rencontreraient sur
Tian’anmen que quelques hooligans. Ils se dispersèrent aux premières
heures du samedi matin, certains avec leur chemise déchirée, d’autres
claudiquant, pieds nus. La foule réquisitionna des bus, des camions-bennes
remplis de charbon et de sable et même une grue pour ériger des barricades
devant l’hôtel Beijing 470.
Pendant ce temps, alors qu’une aube brumeuse se levait sur la capitale,
des groupes de gens se rassemblaient le long de l’avenue Chang’an. Vers
l’ouest de la place, près de l’entrée de Zhongnanhai, environ cinq cents
personnes encerclèrent une jeep et quatre autobus militaires chargés de ce
qui ressemblait à des troupes d’élite. La foule tenta de retourner la jeep,
sans du tout se soucier de l’arme automatique brandie par l’un des officiers.
Les émeutiers fracassèrent aussi les vitres des autobus, des deux côtés, et
arrachèrent leurs armes à des soldats terrorisés. Non loin du carrefour
Liubukou, six ou sept étudiants grimpèrent sur le toit d’un des véhicules et
ils en redescendirent en brandissant des chargeurs de fusils automatiques
AK-47, des matraques, des poignards et des baïonnettes devant les caméras.
Devant Zhongnanhai, des gens plantèrent des casques et des chaussures sur
des piquets en entonnant des slogans contre le gouvernement 471.
Un officier de l’Armée populaire de libération expliqua plus tard que
l’objectif de l’opération était initialement de cerner la place et d’éviter de
faire du mal aux jeunes qui l’occupaient. Ce plan d’une ineptie stupéfiante
se retourna contre ses auteurs. Tout au long de la matinée, des étudiants et
leurs soutiens affluèrent de nouveau sur l’esplanade tandis que des habitants
du quartier érigeaient d’autres barricades imposantes à toutes les principales
intersections de la ville et alentour 472.
Vers midi, des soldats et des policiers armés sortirent de Zhongnanhai le
long du tronçon de l’avenue Chang’an qui, à l’Ouest, reliait la place
Tian’anmen au quartier de Xidan. Ils tentèrent de dégager quelques
barricades et de récupérer les munitions restées à l’intérieur du bus, au
carrefour Liubukou. Des riverains défilèrent en réclamant justice pour les
civils tués par la jeep la veille au soir. Ils s’approchaient par l’ouest et
plusieurs centaines de policiers et de personnels de sécurité armés les
accueillirent en tirant des grenades lacrymogènes puis en chargeant à la
matraque. La foule riposta, forçant leurs assaillants à se replier en
catastrophe à l’intérieur de Zhongnanhai. La population était maintenant
furieuse, elle jeta des pierres au-dessus du mur dans l’enceinte
gouvernementale et mit le feu à un véhicule militaire laissé à l’abandon.
Pendant plusieurs heures, des affrontements éclatèrent à d’autres
intersections de rues, laissant des blessés dans les deux camps. Les soldats
et les policiers finirent par battre en retraite plus tard dans l’après-midi 473.
Le régime avait désormais suffisamment de justifications pour agir plus
durement. Vers seize heures, lors d’une réunion d’urgence convoquée par
Qiao Shi, l’équipe dirigeante s’accorda à considérer qu’une « émeute
contre-révolutionnaire intolérable » avait éclaté en début de matinée, se
référant à l’incident du carrefour Liubukou, où les manifestants s’étaient
emparés des armes des militaires. Ils prirent la décision de faire évacuer la
place avant l’aube par des « moyens pacifiques », non sans donner à
l’armée l’autorisation de se défendre contre d’éventuels actes de violence
de la part des émeutiers 474.
À 18 h 30, les haut-parleurs publics, la radio et la télévision diffusèrent
un avertissement invitant la population à ne pas sortir dans les rues 475.
Humiliée après deux opérations successives, l’armée opta exactement
pour la même stratégie, un assaut en pince par l’est et l’ouest, le long de
l’avenue Chang’an, la principale artère traversant la capitale. Cette fois, les
militaires avaient renforcé leur puissance de feu en passant de quelques
milliers de soldats en chaussures de toile à une vaste muraille d’acier
patiemment massée au cours des deux semaines précédentes. Au Vietnam,
dix ans plus tôt, l’Armée populaire de libération avait déployé
200 000 soldats et plus de 200 chars d’assaut. Cette fois, ses chefs étaient
sur le point de lâcher des forces comparables sur des civils désarmés, dans
leur propre capitale.
Les premiers coups de feu furent tirés vers 23 h 15, à Gongzhufen, ce
qui signifie littéralement « le Tombeau de la Princesse », un grand carrefour
où le troisième boulevard périphérique croise le prolongement de l’avenue
Chang’an vers l’ouest de la station de métro et du pont Muxidi. Une longue
procession de chars, de véhicules blindés et de soldats armés de fusils
d’assaut s’approcha par le sud, où était situé l’un des campements de
l’armée. C’était des éléments de la 38e armée, unité redoutable qui avait
forgé sa réputation pendant la guerre de Corée. Deux semaines auparavant,
son commandant, Xu Qinxian, avait refusé de conduire ses troupes contre
des civils désarmés ; il avait été mis aux arrêts et envoyé en prison, afin
d’être plus tard traduit en cour martiale. Des riverains qui avaient défendu
l’intersection depuis des semaines lancèrent des briques et des fragments de
parpaing en béton sur les troupes retranchées derrière leurs boucliers
antiémeute. Après avoir échoué à percer les barricades, plusieurs centaines
de soldats armés de fusils AK-47 avancèrent et ouvrirent le feu sur les
civils. Des balles traçantes rouges et vertes sillonnèrent le ciel. Les chars
d’assaut tirèrent des grenades lacrymogènes sur la foule. La nuit était
chaude et humide, la plupart des civils étaient en T-shirt et en short,
maintenant souvent maculés de rouge 476.
Le croisement suivant était celui de la station de métro Muxidi, où les
civils s’abritèrent aussi derrière une barricade en essayant de repousser
l’armée 477. Certains d’entre eux maniaient des armes improvisées,
tranchoirs de boucher, piquets en bambou, chaînes métalliques, et même des
fers à béton récupérés sur des chantiers voisins. Les soldats continuaient de
tirer sur la foule avec leurs armes automatiques, mais visaient aussi au
hasard les immeubles résidentiels de part et d’autre de l’avenue. Dans
l’immeuble de Li Rui, une balle dum-dum tua le gendre d’un procureur de
haut rang qui faisait bouillir de l’eau dans sa cuisine. La femme de ménage
d’un voisin fut retrouvée morte le lendemain matin. Quelques jours après,
Li Rui dénombra environ cent impacts de balles dans la façade de son
immeuble 478.
La même tragédie se répéta sur toute l’avenue jusqu’à la place
Tian’anmen, des milliers d’habitants fous de colère se regroupant aux
carrefours pour lutter contre l’armée. Les véhicules blindés écrasèrent
aisément le barrage suivant, fabriqué avec des morceaux de rambardes et
des bicyclettes abandonnées. Au croisement de Xidan, où des autobus
jaunes et rouges avaient été alignés puis incendiés, ils dégagèrent les
véhicules en flammes et s’ouvrirent la voie jusqu’à la place. Les tanks
avançaient maintenant à deux ou trois de front, suivis de véhicules blindés
et de camions militaires chargés de soldats, fauchant des dizaines de
personnes à chaque croisement. Quelques soldats pourchassèrent des
badauds dans les ruelles, les frappèrent à coups de matraque, de fouet et de
crosse. Quatre personnes, dont un enfant de trois ans et un vieillard, furent
tuées par balles dans une ruelle non loin de Xidan 479.
Vers minuit, plusieurs véhicules blindés pénétrèrent sur la place par le
sud en longeant un côté de l’esplanade à grande vitesse. Un groupe en força
trois à stopper et y mit le feu. Alors que les soldats tentaient de s’échapper
de leurs engins en flammes, une foule furibonde s’en prit à eux et en frappa
plusieurs à mort, à coups de poing. Un véhicule réussit à franchir la place et
obliqua vers l’est en fracassant plusieurs barricades sur l’avenue Chang’an,
tuant et blessant de nombreux manifestants. À hauteur de l’hôtel Jianguo, il
exécuta un demi-tour, revint à toute vitesse en direction de Tian’anmen,
mais dérapa et s’écrasa contre plusieurs autres épaves abandonnées,
encerclé par des insurgés. Ces derniers se ruèrent sur les soldats serrés les
uns contre les autres à l’intérieur 480.
Une heure plus tard, vers 1 h 30 du matin, le gros des troupes qui
s’approchaient depuis le pont de Muxidi atteignit l’angle nord-ouest de la
place et se regroupa sous le halo jaune et flou des réverbères. Des dizaines
de chars d’assaut s’avancèrent dans un grondement de chenilles et
s’immobilisèrent au pied de la tribune. Un étrange moment d’accalmie
s’ensuivit, jusqu’à ce qu’une heure plus tard des soldats commencent à
former une ligne le long de la Cité interdite, au nord de la place 481.
Quelques soldats tirèrent sporadiquement sur les groupes de civils
massés à l’est de l’avenue Chang’an, un tronçon encore contrôlé par les
riverains. Les étudiants rassemblés sur Tian’anmen pouvaient entendre le
crépitement irrégulier des rafales d’AK-47 et les détonations sourdes des
grenades lacrymogènes, tandis que des groupes très en colère vociféraient :
« Fascistes ! » Dans la zone située autour de l’hôtel Beijing, des
ambulances aux gyrophares lançant des éclairs bleutés et toutes sirènes
hurlantes surgirent de la rue Wangfujing pour venir au secours des blessés
ou ramasser les morts. Plus tard dans la nuit, alors que les ambulances ne
pouvaient plus atteindre les croisements où avaient lieu les combats, des
conducteurs de vélotaxis vinrent à la rescousse en évacuant les blessés et en
les conduisant à l’hôpital. On vit des médecins marcher comme des croque-
morts, se charger des cadavres des victimes, suivis de près par des
infirmières 482.
Des messages diffusés par haut-parleurs appelaient les gens à quitter la
place, où 3 000 étudiants au total restaient massés autour du Monument aux
Héros du Peuple. Ensuite, ce fut un étrange concours de chants. Pour se
donner du courage, des soldats entonnaient des chœurs militaires tandis que
les contestataires clamaient L’Internationale à pleins poumons en
s’accompagnant d’un enregistrement que diffusait leur propre système de
sonorisation 483.
Des projecteurs aveuglants inondèrent l’esplanade de leur lumière
blafarde jusqu’à ce que les autorités les éteignent, vers quatre heures du
matin 484. Pour s’éclairer, les étudiants mirent le feu à leurs tentes. Des
dizaines de milliers de soldats investirent Tian’anmen depuis le Palais de
l’Assemblée du peuple, le musée d’Histoire de la Chine et les tunnels du
réseau souterrain. Des parachutistes de la 15e armée arrivèrent aussi par le
sud après s’être frayé un passage sanglant dans le district de Qianmen. Les
soldats postés sur la place n’ouvrirent pas le feu, notamment parce qu’ils
auraient risqué de tirer sur les leurs et parce que personne ne voulait
profaner le Monument aux Héros du Peuple, et encore moins le mausolée
où reposait le président Mao. Un ultimatum fut lancé, plusieurs étudiants
tentant de négocier l’obtention d’un sauf-conduit. Il y avait parmi eux Liu
Xiaobo, le jeune homme qui trois ans plus tôt avait dénoncé avec virulence
l’état de la littérature dans son pays. Devenu professeur à l’université
normale de Pékin, il franchit un no man’s land entre les étudiants et les
soldats pour engager des tractations avec les commandants des forces de
l’ordre, et obtint un accord : les étudiants reçurent instruction de sortir de la
place par l’angle sud-est. Certains des insurgés cherchèrent encore à
discuter pour savoir s’il fallait rester ou non, au point de risquer une fin
sanglante. « Et pourquoi ne pas accepter un compromis ? proposa Chai
Ling. Ceux qui veulent s’en aller peuvent partir, et ceux qui choisissent de
rester peuvent rester 485. »
À cinq heures du matin les étudiants formèrent une chaîne en se prenant
par la main et marchèrent en colonne par deux vers l’angle désigné de la
place. Un char s’avança en grondant en direction de la Déesse de la
Démocratie, renversa la statue et l’écrasa. Des tanks et des véhicules
blindés roulèrent aussi sur les tentes et continuèrent droit vers le monument
où des haut-parleurs diffusaient encore L’Internationale. Des soldats
tirèrent sur ces haut-parleurs jusqu’à ce qu’ils émettent des sifflements et
des crachotements, avant d’être finalement réduits au silence. Des étudiants
prirent la fuite pour aller se mettre en sécurité, tandis que ceux qui avaient
refusé de partir étaient frappés à coups de crosse de fusil et de matraque 486.
Ce fut seulement à cet instant qu’un grondement se fit entendre à l’est,
une colonne de chars surgissant de la lumière grisâtre de l’avenue
Chang’an. La 39e armée arrivait en retard, mais elle avançait vite. Les tanks
taillèrent tout droit à travers un barrage d’autobus disposés stratégiquement
au carrefour de Dongdan, à l’opposé de la rue Xidan, à environ 2 kilomètres
à l’est de Tian’anmen. Ils tirèrent des grenades lacrymogènes sur la foule
qui riposta contre les blindés avec une pluie de cailloux, de bouteilles, de
morceaux de dallage, de briques apportés par des vélotaxis et avec des
cocktails Molotov improvisés. Des nappes de flammes fumantes
ponctuaient l’avenue Chang’an, là où ces engins incendiaires avaient
manqué leur cible. Lorsque le convoi approcha de Wangfujing, un groupe
d’une vingtaine d’hommes poussa un autobus délabré en travers de leur
chemin, en vain. Des habitants hors d’eux, apparemment oublieux du
danger, roulèrent à bicyclette à hauteur des chars et crièrent aux tankistes de
faire demi-tour et de s’en aller. Derrière les tanks arrivèrent des transports
de troupes blindés, suivis à leur tour de camions bâchés chargés de soldats
qui tirèrent dans la foule de façon indiscriminée. « On pouvait voir les
flammes crachées par les canons », se rappelait un observateur. D’autres
véhicules arrivèrent, composant un convoi apparemment sans fin avec des
camions-citernes et d’autres transportant des bidons de carburant, des
vêtements et des approvisionnements divers. C’était une armée
d’occupation qui apportait avec elle le contenu de magasins entiers 487.
D’autres véhicules, dont vingt et un chars d’assaut, se joignirent à cette
procession en empruntant les rues adjacentes à la place, orientées du nord
au sud. Lorsque les chars passèrent devant l’hôtel Beijing et pénétrèrent par
l’angle nord-est de Tian’anmen, juste avant le musée, ils écrasèrent
plusieurs soldats ainsi que des civils 488.
Même après que les blindés de la 39e armée eurent investi l’esplanade
dans un fracas de chenilles, les combats continuèrent sur le tronçon de
l’avenue Chang’an compris entre Tian’anmen et la rue Wangfujing. Des
journalistes de la presse étrangère contemplèrent la scène avec horreur
depuis l’hôtel Beijing et virent les soldats tournés vers l’est, dos à la place,
continuer de tirer sur la foule surtout composée de parents des disparus de
la nuit précédente qui persistaient à s’approcher des soldats en les implorant
de leur fournir des informations sur l’endroit où se trouvaient les membres
de leur famille. « C’est ces gens que nous avons ensuite vu se faire
massacrer pendant tout le reste de la matinée », nota un témoin. Ces tueries
obéissaient à un mode opératoire. Les soldats tiraient avec leurs AK-47 et la
foule se dispersa pour se mettre à l’abri, avant de revenir occuper ses
positions initiales. Tout cela se déroula en plein jour, à peu près jusqu’à
neuf heures du matin. Lors d’un incident distinct, 100 mètres plus à l’est,
vers 10 h 20, un peloton de soldats faucha en quelques rafales une
quarantaine de personnes qui tentaient de leur adresser la parole, rue
Wangfujing, là encore sous les yeux des journalistes qui observaient depuis
l’hôtel Beijing 489.
En ce début de matinée, de vastes parties de la ville ressemblaient à une
zone de guerre. Près du Palais d’Été, une vingtaine de chars d’assaut
avaient été abandonnés, incendiés par des habitants du quartier. À l’Ouest,
non loin du Cimetière révolutionnaire de Babaoshan où Hu Yaobang avait
été incinéré, des véhicules militaires calcinés étaient alignés des deux côtés
de la rue. Une autre scène de carnage avait eu lieu à Gongzhufen où quatre-
vingts carcasses de camions et de transports de troupes blindés carbonisés et
encore fumants bloquaient le rond-point, alors que les cadavres de victimes
qui avaient été lynchées, parmi lesquelles plusieurs officiers de l’Armée
populaire de libération, se balançaient pendus à des réverbères 490.
Les habitants sidérés qui s’aventurèrent dehors le dimanche
découvrirent tout le long de l’avenue Chang’an et de son prolongement un
chapelet interminable de destructions. Quand Li Rui grimpa sur un blindé
abandonné devant son immeuble près de la station de métro Muxidi, il put
voir une longue file d’épaves s’étendant à perte de vue. Les principaux
carrefours étaient jonchés de débris, de carcasses d’autobus repoussés sur
les côtés, de barrières métalliques tordues, de bicyclettes et de panneaux de
circulation en morceaux, au milieu de la chaussée, qui avaient fini écrasés
sous des chenilles de chars d’assaut.
Des tirs sporadiques furent encore audibles toute la journée, ponctués de
temps à autre par des coups de tonnerre avant que la pluie ne tombe à verse.
En face de l’enceinte du quartier des ambassades, non loin de l’hôtel
Jianguo, plus de cent fantassins en armes se tenaient en formation de parade
en une démonstration de force conçue pour intimider la communauté
étrangère 491.
Dans la soirée, un autre convoi de 75 chars d’assaut et 45 véhicules
blindés fit mouvement en direction de la place par l’avenue Chang’an,
depuis l’est. Dans une vaine tentative de les arrêter, quelques riverains
hostiles leur lancèrent de nouveau des cocktails Molotov. Mais au cours de
la nuit, presque plus personne ne sortit 492.
Les hôpitaux étaient submergés de blessés. L’entrée de l’hôpital Fuxing,
à plus d’un kilomètre du métro Muxidi, était engorgée par des dizaines de
victimes de tirs par balles, certaines avec une perfusion dans le bras. Des
draps blancs ensanglantés couvraient les morts car la morgue était
débordée. Dans le centre-ville, des cadavres étaient entassés au milieu de
passages souterrains. Plus au Nord, à l’université de Pékin, les étudiants
exposèrent devant l’entrée de la clinique une dizaine de corps sur des blocs
de glace, ces cadavres ayant été en partie déchiquetés 493.
Plusieurs personnes tinrent un décompte du nombre des victimes. Kate
Phillips, correspondante pour la chaîne américaine ABC, visionna des
cassettes vidéo rapportées par des équipes de cameramen et téléphona dans
des hôpitaux de la ville ainsi qu’à la Croix-Rouge chinoise. Elle parvint au
chiffre de 2 600 morts avant que l’armée ne pénètre dans les établissements
de soins et n’ordonne au personnel de cesser d’adresser la parole à des
journalistes. La Croix-Rouge chinoise fit une estimation du même ordre.
Alan Donald, ambassadeur de Grande-Bretagne, avança un bilan compris
entre 2 700 et 3 400 tués 494.
Des observateurs étrangers eurent des commentaires sévères sur
l’intervention de l’Armée populaire de libération. Fondant son évaluation
sur les renseignements combinés de la Section de Défense britannique et
d’une équipe de l’OTAN dédiée qui avait consacré plusieurs semaines à
suivre à la trace l’armée chinoise dans les banlieues de la capitale, le
commandant M. H. Farr en conclut que l’impression immédiate était celle
d’une « totale incompétence des militaires et d’une inaptitude totale à
exploiter les chances de victoire presque sans effusion de sang qui
s’offraient à l’APL 495 ».
Le dimanche, de longs convois continuèrent de se déverser dans la ville.
Des soldats montés à bord de cinquante camions arrosèrent la rue de tirs au
hasard en passant devant l’hôtel Sheraton Grande Muraille. Dans plusieurs
quartiers de la ville, à proximité des intersections et des passerelles
routières, des gens sortaient parfois de leur cachette pour récupérer des
cadavres avant que les fusillades ne reprennent et que la foule ne se
disperse 496.
Le lendemain, vers midi, le lundi 5 juin, on vit un homme sur un
passage piétons qui tenait en main deux sacs de commissions. Il avait forcé
une colonne de chars repartant de la place Tian’anmen à s’immobiliser. Le
char de tête tenta de manœuvrer pour contourner l’homme qui changea à
plusieurs reprises de position pour continuer de barrer le passage à l’engin.
La situation semblait sans issue. L’homme grimpa ensuite sur le blindage du
char et s’adressa au conducteur. Après une brève conversation, il
redescendit en se laissant glisser du flanc de l’engin et lui barra de nouveau
la route. Deux passants l’entraînèrent à l’abri et disparurent avec lui dans la
foule proche. La scène deviendrait l’une des images les plus emblématiques
du XXe siècle.
6.

Le tournant
(1989-1991)

Pendant quelques jours, les gens s’enfermèrent chez eux, les nerfs à vif,
dans l’obscurité, l’électricité étant coupée dans de grandes parties de la
capitale. Des boutiques furent fermées. Personne ne savait qui prenait les
décisions. Il n’y avait plus de journaux et les émissions de radio et de
télévision se bornaient à répéter de sombres messages invitant instamment
les civils à respecter la loi martiale. Les hauts dirigeants demeuraient
silencieux. En conséquence, les rumeurs allaient bon train. Li Peng avait été
atteint par une balle perdue, Yang Shangkun avait fui la ville. Des factions
de l’armée se retournaient les unes contre les autres aux alentours de
Beijing, murmurait-on 497.
Mardi soir, Yuan Mu, l’austère porte-parole du Conseil des Affaires de
l’État qui s’était aliéné les étudiants lors de leur entrevue retransmise en
public, fit une apparition à la télévision pour annoncer qu’une « rébellion
contre-révolutionnaire intolérable » avait éclaté dans la capitale, un complot
éventé grâce à la vaillante intervention de l’Armée populaire de libération.
Il estimait qu’environ 300 personnes avaient été tuées au cours de cette
opération de l’armée, qui avait essuyé l’essentiel des pertes 498.
Les jours suivants, les unités militaires entamèrent le nettoyage de la
ville. Tout le long de l’avenue Chang’an, on pouvait voir des grues soulever
les carcasses calcinées d’autobus et de véhicules blindés sur des camions à
plateau. Des soldats, leur AK-47 en bandoulière, balayèrent les débris en
petits tas bien nets 499. La ville restait plongée dans la désolation et le
silence, à l’exception de quelques coups de feu isolés. Une véritable
frénésie s’empara de l’aéroport où les détenteurs de passeports voulaient à
tout prix réserver un vol pour sortir du pays. Comme la totalité du trafic
routier s’était figée, on voyait des groupes de gens se rendre à l’aéroport à
pied, à une trentaine de kilomètres du centre de la capitale, leurs valises
entassées dans des vélotaxis 500.
Le jeudi 8 juin, Li Peng fit une nouvelle apparition à la télévision,
depuis le Palais de l’Assemblée du peuple. Portant une veste à col Mao au
lieu d’un costume d’allure moderne, il adressa de vifs éloges à l’armée pour
la tâche qu’elle venait d’accomplir. « Vous avez travaillé dur, camarades »,
déclara-t-il à un groupe de soldats qui applaudit le Premier ministre. Après
l’émission, la ville commença de renouer avec un semblant de normalité.
Des autobus furent remis en service. Des files d’habitants sortirent en
silence, les boutiques ayant rouvert pour la première fois depuis le samedi.
Dans les ruelles, des retraités promenaient leurs oiseaux chanteurs. Des
pelotons de l’armée patrouillaient sur l’avenue Chang’an, certains d’entre
eux entonnant ces slogans : « Protégez notre Mère Patrie. Vive le Peuple.
Apprenez comme Lei Feng ! » Des chars, des véhicules blindés et des
soldats, fusils en main, gardaient la place et tous les autres sites
stratégiques 501.
Toutefois, alors que la nouvelle des massacres se répandait, les gens
commencèrent à manifester dans d’autres villes. Le 5 juin, des habitants
déclenchèrent une émeute à Chengdu, la ville natale de Deng Xiaoping et
de Yang Shangkun, forçant les autorités à décréter la loi martiale. Une
bataille sans merci entre citadins et forces de sécurité se prolongea quatre
jours et le principal grand magasin de la ville fut rasé par un incendie. La
police était seulement armée de matraques et pas un coup de feu ne fut tiré.
Plusieurs dizaines de personnes périrent, mais la rumeur évoquait un bilan
s’élevant à des centaines de victimes 502.
Des révoltes populaires secouèrent également d’autres villes. Poussés
par la peur d’une répression militaire, les gens bloquèrent les étroites portes
d’accès à l’ancienne capitale du Xi’an. Trois mille manifestants fermèrent
tous les ponts menant dans Guangzhou. À Lanzhou, des dizaines de milliers
d’autres occupèrent la place centrale et diffusèrent les émissions de la Voix
de l’Amérique par le système de sonorisation publique. Ils bouclèrent aussi
la gare et barrèrent toutes les routes principales, n’acceptant de se disperser
que cinq jours plus tard 503. À Shanghai, à l’inverse de la plupart des autres
régions du pays, les informations sur le massacre circulaient librement, avec
des photocopies de reportage émanant de Hong Kong affichées en évidence
sur les façades d’édifices publics et aux arrêts de bus. Des manifestants
réquisitionnèrent des autobus et les placèrent le long de barricades érigées
avec les moyens du bord. Des informations diffusées par la Voix de
l’Amérique furent retransmises dans quelques quartiers contrôlés par les
étudiants. Beaucoup d’habitants étaient scandalisés et pourtant, même
parmi les contestataires, le soutien à de nouvelles manifestations s’étiolait
petit à petit. Le fait que les autorités aient évité toute confrontation directe
et retiré les patrouilles de police des rues y contribua 504.
Le 8 juin, Zhu Rongji lança un appel au calme sur les stations de radio
et à la télévision locales. « Voulez-vous le chaos, à Shanghai ? » demanda-t-
il, vêtu d’un élégant costume-cravate, mais sa question était purement
rhétorique. D’un revers de main, le maire exclut la loi martiale et toute
intervention militaire non sans formuler cette mise en garde : ceux qui
causeraient des troubles auraient « affaire à la loi ». Le peuple, continua-t-il,
ouvrirait un œil vigilant sur la ville. Le peuple en question se présenta sous
la forme de milices de travailleurs fortes de 230 000 individus qui se
déployèrent aux principales intersections dans l’après-midi, armées
uniquement de chapeaux en bambou. Ils maintenaient une distance polie
avec les étudiants 505.
Ce fut une prestation exemplaire, Zhu présentant son message presque
sur le ton d’une conversation de salon. Il refusa de se laisser entraîner à
évoquer les événements de la capitale. Ceux-ci, expliqua-t-il,
« appartenaient désormais au passé et seraient jugés par l’Histoire ». Le
lendemain, les manifestants marchèrent en direction de l’hôtel de ville pour
y déposer la liste de leurs exigences avant de se disperser rapidement. Le
consensus semblait être qu’ils avaient perdu la première manche et qu’il
leur faudrait survivre, pour reprendre la lutte dans le futur 506.

*
* *
Alors que des fusils tiraient encore des coups de feu à Beijing, les
gouvernements étrangers du monde entier condamnaient le massacre. Le
4 juin, Margaret Thatcher se déclara « atterrée » alors que le Premier
ministre australien Bob Hawke annulait une visite programmée à Shanghai,
adressant ainsi un « message de colère ». À Paris, le président François
Mitterrand déclara qu’un régime prêt à tirer sur des jeunes gens qui se
levaient pour défendre la liberté n’avait pas d’avenir. Le chancelier Helmut
Kohl fut encore plus direct, condamnant « ce recours barbare à la brutalité
507
et à la violence ».
Mikhaïl Gorbatchev resta plus évasif, lui qui venait à peine de
normaliser les relations avec la République populaire. Le Congrès
soviétique adopta le texte d’une résolution bien tiède appelant à la
« sagesse, à la raison et à une approche équilibrée ». Le soutien le plus
intraitable du régime fut l’Allemagne de l’Est qui appuya publiquement la
répression et déclara que l’armée était intervenue « avec l’accord des
masses et des étudiants ». Quelques jours plus tard, Egon Krenz, deuxième
personnage du pouvoir à Berlin-Est, envoya un message félicitant la
508
direction chinoise de sa posture de fermeté .
La réaction de George H. W. Bush fut elle aussi très tempérée. Le
lendemain du massacre, il déplora l’emploi de la force et appela les
dirigeants de Beijing à renouer avec leur « politique mesurée ». Il exprima
sa foi dans le pouvoir des contacts commerciaux qui permettraient de
surmonter ces « événements malheureux » et feraient inexorablement
avancer le pays vers la démocratie. Trois jours plus tard, le 8 juin, il prenait
la parole devant les caméras depuis l’East Room, à la Maison-Blanche. Là
encore, il condamna la violence militaire non sans nuancer ses propos en
ajoutant : « Je ne crois pas que nous devrions juger l’ensemble de l’Armée
populaire de libération de la Chine au vu de ce terrible incident. » Surtout, il
tenta d’exonérer les dirigeants de la nation chinoise. Deng Xiaoping,
rappela-t-il aux journalistes, avait subi deux purges pendant la Révolution
culturelle, ce qui avait fait de lui un « dirigeant tourné vers l’avenir ». Le
président Bush expliqua aussi qu’il avait essayé de le contacter par
téléphone, or « la ligne était occupée 509 ».
Deng Xiaoping, que l’on n’avait plus vu depuis des semaines, refit son
apparition le 9 juin pour s’adresser aux soldats, l’air vieilli, fatigué, flanqué
de Li Peng et de Yang Shangkun. Sa main tremblait, son élocution était
entrecoupée et peu intelligible. La déclaration officielle, largement diffusée
à l’étranger, imputait à un « très petit nombre d’individus » une « rébellion
contre-révolutionnaire » qui avait tenté de « renverser le Parti communiste
et le système socialiste ». Dans la version non censurée de son discours,
Deng stigmatisait « quelques prisonniers libérés qui n’avaient pas été
convenablement rééduqués, quelques délinquants politiques, des résidus de
la Bande des Quatre et d’autres rebuts sociaux ». Il affirmait aussi que des
« forces étrangères hostiles », représentées par la Voix de l’Amérique,
avaient fomenté ces émeutes et propagé des rumeurs 510.
À la suite de ce discours de Deng Xiaoping aux soldats, le régime
enclencha la machine de la propagande. « Il semblerait, relevait
l’ambassadeur du Royaume-Uni le 10 juin, que les événements des 3 et
4 juin doivent être expurgés de la mémoire. » Afin de couvrir le massacre,
l’armée fut présentée comme la véritable victime, prise à partie par des
hooligans et des éléments criminels déterminés à ourdir un complot contre-
révolutionnaire. Des soldats blessés, en convalescence dans des chambres
d’hôpital immaculées, furent montrés à la télévision avec une cohorte
ininterrompue de dignitaires du parti leur rendant visite, certains d’entre eux
leur tendant un bouquet de fleurs. De jolies infirmières en uniforme blanc
minaudaient à leur chevet. L’émission, diffusée en boucle nuit et jour, était
entrecoupée d’images de corps de soldats carbonisés encore assis au volant
de leur véhicule calciné. « La scène la plus macabre : un jeune soldat, nu,
les entrailles lacérées, son pénis pointé vers le haut », remarquait le
journaliste américain Harrison Salisbury dans son journal 511.
Toutefois, les commentaires les plus féroces étaient réservés aux
étrangers, les États-Unis étant les premiers visés 512. Avant même le
massacre, des meetings organisés par les autorités chinoises avaient
stigmatisé Washington. Le 2 juin, dans un stade de Miyun, à une
soixantaine de kilomètres de Beijing, trois hommes s’étaient habillés en
Oncle Sam, grimés de faux nez, vêtus de capes bleues, coiffés de chapeaux
haut-de-forme aux couleurs de la Bannière étoilée et ils s’étaient livrés à
une sorte de pantomime devant un public de 10 000 villageois et écoliers.
Ils s’étaient aussi moqués du mouvement pour la démocratie et surtout de
Fang Lizhi, accusé par le régime d’être l’un de ceux qui tiraient les ficelles
dans les coulisses du mouvement 513.
Trois jours plus tard, craignant pour leur sécurité, Fang Lizhi et son
épouse cherchèrent refuge à l’ambassade des États-Unis où on leur offrit
l’asile le lendemain. Le 8 juin, l’ambassadeur James Lilley fut convoqué au
ministère des Affaires étrangères et semoncé pour avoir accepté d’abriter un
élément criminel qui avait aidé à instiguer la contre-révolution. Cette
entrevue marqua le début d’une confrontation diplomatique qui durerait une
année entière. Il semblait aux hiérarques du régime qu’ils avaient eu raison
de soupçonner depuis le début Fang Lizhi d’avoir été infiltré par le camp
capitaliste pour comploter le renversement de son système socialiste 514.
Sur un registre plus officieux, les Américains tentèrent d’infléchir leur
position. Comme le secrétaire d’État James A. Baker avait exclu tout
échange à haut niveau, à la mi-juin, Henry Kissinger transmit un message
privé en promettant au régime qu’il pouvait compter sur lui car il demeurait
un vieil ami de la Chine 515.
Quelques semaines plus tard, le conseiller à la Sécurité nationale, Brent
Scowcroft, s’envolait vers Beijing pour une mission secrète. Il rencontra
Deng Xiaoping le 2 juillet et lui assura que le « président Bush était un
véritable ami, un véritable ami de vous-même et de la Chine ». Il ajouta que
« nous sommes l’un et l’autre en étroite relation avec Henry Kissinger,
depuis de nombreuses années ». George H. W. Bush s’était personnellement
opposé à l’usage de sanctions contre la Chine et il était désireux
d’approfondir la coopération.
Deng Xiaoping fut plus brutal en déclarant que les États-Unis avaient
été impliqués dans ces troubles. Des tentatives de renverser le système
socialiste pouvaient « conduire à une guerre ». Et, alors que la Chine avait
de nombreux amis américains, parmi lesquels Henry Kissinger et Brent
Scowcroft lui-même, il se plaignit aussi de ce que la Voix de l’Amérique ne
soit qu’une « vaste fabrique de rumeurs » et que les États-Unis aient « nui
aux intérêts chinois » à une « échelle considérable ». Il incombait à
Washington de « clarifier sa position 516 ».
La mission eut un résultat : après que l’émissaire en visite fut venu
rendre hommage au Guide suprême, le régime comprit qu’il pouvait ignorer
à peu près tout ce qui se disait publiquement à Washington 517.

*
* *
Le 8 juin, des ordres d’arrêter les « éléments contre-révolutionnaires »
et d’autres criminels furent diffusés à la radio et à la télévision. Des plates-
formes téléphoniques furent installées dans la capitale et les autorités
avertirent que « chaque citoyen » avait « le droit et l’obligation » de
signaler les individus impliqués dans ces troubles. Deux jours plus tard, rien
qu’à Beijing, plus de 400 personnes étaient appréhendées. Pendant plusieurs
jours d’affilée, la télévision nationale montra des photos de suspects sous
les verrous, les mains entravées dans le dos par des menottes ou par une
corde, forcés de garder la tête baissée par des officiers de sécurité
intraitables. Des informateurs qui avaient dénoncé leurs voisins ou même
des membres de leur famille firent aussi leur apparition sur le petit écran et
furent félicités pour leur force d’âme. Le 13 juin, des mandats d’arrêt furent
émis contre vingt et un meneurs du mouvement étudiant, leurs
photographies rendues publiques à la télévision et imprimées dans les
journaux 518.
Wang Dan partit se cacher, puis il changea d’avis quelques semaines
plus tard, tourmenté par l’idée que son évasion expose à de trop grands
risques ceux-là mêmes qui tentaient de l’aider. Il rentra à Beijing et se livra,
puis fut ensuite condamné à quatre ans de réclusion. Ren Wanding, qui avait
déjà connu l’expérience de la mise à l’isolement après avoir pris part au
mouvement du mur de la Démocratie en 1978, retourna en prison pour
sept ans. Liu Xiaobo, le théoricien de la littérature qui avait convaincu de
nombreux étudiants de quitter la place aux premières heures du Quatre Juin,
fut appréhendé et envoyé dans la tristement célèbre prison de Qincheng
purger une peine de dix-neuf mois.
À Hong Kong, lors d’une audacieuse mission baptisée du nom de code
« opération Oiseau jaune », des contrebandiers et des sympathisants
aidèrent d’autres activistes politiques à s’échapper de Chine continentale.
Wuer Kaixi et Chai Ling figurèrent tous les deux parmi les sept des vingt et
un meneurs étudiants les plus recherchés qui réussirent à prendre la fuite.
Yan Jiaqi, un proche conseiller de Zhao Ziyang, fut l’un des premiers
intellectuels à rallier Hong Kong où il publia aussitôt un article condamnant
le régime et sa « politique d’extermination ultra-fasciste 519 ». Su Shaozhi,
qui avait appelé si hardiment à la réhabilitation de tous les prisonniers
politiques, le suivit peu après. Su Xiaokang, l’auteur de l’Élégie du fleuve,
passa trois mois à se cacher dans des villages reculés avant d’être conduit
clandestinement jusqu’à la colonie de la Couronne. Des centaines d’autres
les suivirent, au fil des ans, des équipes d’extraction étant envoyées sur
place pour localiser et secourir les dissidents les plus exposés. Ils étaient
temporairement accueillis dans des hôtels, des repaires isolés et des
domiciles privés de Hong Kong. Des agents consulaires les aidaient à
franchir les guichets de l’immigration à l’aéroport, d’où ils repartaient pour
l’Europe et les États-Unis entamer leur nouvelle existence 520.
Vers la mi-juin, l’inquisition prit un tour inédit. Des procès expéditifs
furent organisés, suivis d’exécutions sommaires à Beijing, à Shanghai et à
Jinan. La procédure était chaque fois identique, une balle dans la nuque
devant une foule nombreuse. Plusieurs anciens du parti, membres de la
Commission consultative, réclamèrent à grands cris des mesures encore
plus dures. Huo Shilian, qui avait occupé le poste de ministre de
l’Agriculture de 1979 à 1981, recommanda des exécutions à grande
échelle : « Si nous n’abattons pas ces gens, ce problème ne sera jamais
résolu. » Pourtant, alors même que le nombre de victimes mises à mort
restait relativement limité, ces exécutions suscitèrent des réactions
d’horreur et de dégoût dans le monde entier. Margaret Thatcher déclara
qu’elle était « absolument atterrée ». À Hong Kong, en particulier, la
population trouvait le caractère expéditif de la justice communiste très
alarmant 521.
La propagande devint plus modérée, sans que cessent les arrestations.
Le 30 juin, le Comité central diffusa le Document central no 3, exigeant que
la « contre-révolution » soit « résolument réprimée ». « Nous devons
adopter une attitude ferme et éviter toute sensiblerie. » Amnesty
International estima, en se fondant sur des sources officieuses, que dans
l’ensemble du pays des dizaines de milliers de personnes furent
emprisonnées, détenues sur la base d’accusations diverses, qu’il s’agisse de
« sabotage », de pillage et de troubles à l’ordre public ou encore de
l’implication dans des « activités contre-révolutionnaires 522 ».
Il y avait parmi les détenus des individus de toute origine sociale –
étudiants, enseignants, journalistes, artistes, et même des officiers de
l’armée –, néanmoins c’étaient les gens ordinaires qui subissaient le plus les
effets de la répression. Les étudiants étaient des naïfs qui s’étaient
« temporairement égarés » tandis qu’il fallait écraser sans faillir les
hooligans et les éléments criminels agissant dans leur dos, expliquait le
Document central no 3. Deng Xiaoping les avait qualifiés dans son discours
de « rebuts sociaux ». C’étaient les conducteurs d’autobus, les ouvriers, les
vendeurs de magasins et d’innombrables autres individus obscurs qui
s’étaient laissés entraîner dans le mouvement pour la démocratie, et ils
payèrent chèrement leur idéalisme en subissant le poids du système pénal
dans toute son ampleur, notamment les mauvais traitements, la torture et le
travail forcé suivis de l’isolement social et de la privation d’emploi après
leur élargissement.
Il y avait parmi eux Zhang Maosheng, un mécanicien : après avoir vu le
corps estropié d’une fillette de huit ans qui jouait dans la rue à l’arrivée de
la troupe, il avait mis le feu à un torchon et incendié un camion. Il avait
écopé d’une condamnation à mort au terme d’un procès secret, toutefois sa
sentence avait été commuée en dix-sept années d’éducation par le travail.
Les trois ouvriers qui avaient effectué le voyage depuis Changsha pour
maculer de jets d’encre et d’œufs le portrait du président Mao accroché au-
dessus de la Porte de la Paix passèrent entre huit et seize ans dans la prison
provinciale du Hunan no 2, roués de coups à maintes reprises, parfois avec
des bâtons électriques. L’un d’eux en perdit la raison 523.
Il y eut également le cas d’un ouvrier qui était tombé sur un camion
militaire abandonné rempli de vivres. Ses amis et lui avaient vidé le
véhicule de son contenu, distribué la nourriture aux étudiants. Il avait gardé
pour lui un morceau de poulet rôti. Ce fut la pièce à conviction utilisée
contre cet ouvrier quand il finit condamné à treize ans de réclusion. « C’est
un poulet qui m’a coûté cher », soupira-t-il quand il raconta son histoire
dans une interview. Un handicapé physique fut enfermé dix ans pour avoir
« frappé un char à plusieurs reprises avec ses béquilles avant de s’éloigner
en titubant, l’air satisfait », selon l’acte d’accusation 524.
Les chiffres sont trompeurs, pourtant lors d’une réunion secrète un an
plus tard, Gu Linfang, vice-ministre de la Sécurité publique, annonça que
plus d’un million de dossiers criminels avaient été ouverts en 1989 525.
Depuis qu’en Pologne Solidarność (Solidarité) était devenu le premier
syndicat du bloc soviétique reconnu par l’État, le régime avait redouté que
ses propres travailleurs n’en forment un à leur tour. L’Union autonome des
travailleurs de Beijing, instaurée lors des journées grisantes qui avaient
précédé le Quatre Juin, fut réprimée, son dirigeant Han Dongfang incarcéré.
« Solidarność, expliquait Qiao Shi en juillet 1989, ne représente pas
seulement les travailleurs, mais c’est aussi devenu un parti politique qui
s’est finalement substitué au Parti communiste : c’est pour nous une
leçon. » « Si les troubles avaient duré, peut-être qu’un Wałęsa aurait fini par
faire son apparition », présuma Yao Yilin en se référant au dirigeant
syndical polonais récompensé du prix Nobel de la paix en 1983 526.
L’autre spectre venu de Pologne, l’Église catholique, avait galvanisé
l’opposition au régime communiste. Karol Wojtyla, intronisé sous le nom
de Jean-Paul II en 1978, avait été une source d’inspiration pour le
mouvement démocratique dans sa Pologne natale et bien au-delà. Beijing
avait toujours considéré Rome comme un épicentre de la subversion et
n’autorisait les croyants à pratiquer que dans des églises officielles qui
avaient rompu tout lien avec le Vatican. En 1989, si ces soi-disant « églises
patriotiques » revendiquaient plus de 3 millions de fidèles, c’étaient au
moins 6 millions d’autres croyants qui restaient loyaux envers le pape. Ses
prêtres étaient perçus comme une avant-garde de l’infiltration idéologique.
« Ces dernières années, les agissements de forces hostiles à l’intérieur et à
l’extérieur de nos frontières pour tenter de se servir de la religion et
procéder à des opérations d’infiltration et de sabotage contre nous se sont
intensifiées, affirmait en juin 1990 Ren Wuzhi, chef du Bureau de la
religion du Conseil des Affaires de l’État. Certains éléments illégaux
organisent aussi des écoles privées ainsi que des séminaires et des écoles de
théologie clandestines où ils font étudier les écritures. Ils rivalisent avec
nous pour attirer la nouvelle génération », ajoutait-il. Les hauts dirigeants
considéraient toute forme de religion comme une menace pesant sur le
système socialiste et exigeaient que les « forces clandestines hostiles »
soient « attaquées, démantelées et dissoutes » 527.
Dès décembre 1989, plus de trente dirigeants d’églises clandestines
furent ainsi arrêtés dans tout le nord du pays 528. Il y eut d’autres arrestations
l’année suivante. À Guangzhou, la ville du Sud située à quelques heures de
Hong Kong en train, soixante officiers de sécurité arrivèrent au domicile du
révérend Samuel Lam, mirent les lieux à sac et emportèrent des milliers de
bibles sur des chariots. L’orgue de l’église fut chargé sur un vélotaxi. En
1991, le nombre de dirigeants catholiques mis en état d’arrestation
augmenta d’un coup : il y en eut plus de 140 529.
Mais la répression la plus impitoyable s’exerça surtout aux marges de
l’empire, toujours promptes à la rébellion. En mai 1989, à Ürümqi, la
capitale de la province du Xinjiang, des dizaines de milliers de personnes
avaient défilé en faveur de la démocratie. Un soulèvement encore plus
puissant secoua le canton de Baren en avril 1990, deux cents manifestants
ayant pris d’assaut le bureau du gouvernement local s’emparèrent des armes
des forces de sécurité et tuèrent six officiers de l’armée. La réaction du
régime fut fulgurante : il eut recours à une force implacable pour écraser le
soulèvement. Le clergé subit une purge, les mosquées furent fermées et des
milliers de personnes appréhendées 530.
Ce fut un tournant, et pas seulement au Xinjiang. Partout, la méthode
plus conciliante qui s’était dessinée pendant les années 1980 était désormais
considérée comme une erreur tactique. « Les responsables locaux du parti
doivent résolument traiter les troubles sociaux dès leur apparition »,
expliquait une nouvelle directive du Comité central datée du 2 avril 1990.
« Abattez l’oiseau qui prend la tête de la nuée », ordonna à plusieurs
reprises Li Peng au téléphone, en intervenant pour diriger la répression des
soulèvements survenus aux quatre coins du pays. Que ce soit à l’école, à la
mosquée ou au village, insistait-il, le moindre incident devait être tué dans
l’œuf car, avec l’aide masquée de forces étrangères hostiles, il risquerait de
se propager très vite et de saper la stabilité sociale. Pour le premier
anniversaire de l’intervention de l’armée, Le Quotidien du Peuple étalait en
une ce qui deviendrait des décennies durant un slogan de référence : « La
stabilité sociale avant tout 531. »

*
* *
Des purges frappèrent aussi le sommet. À la veille d’imposer la loi
martiale, Deng Xiaoping avait décidé de remplacer Zhao Ziyang par Jiang
Zemin, le secrétaire du parti de Shanghai. Zhao Ziyang fut écarté, coupé de
toute communication pendant plusieurs semaines. Le chef de la propagande,
Hu Qili, l’un des cinq membres du Comité permanent, fut aussi placé à
l’isolement. Une semaine plus tard, Bao Tong, proche conseiller du
secrétaire général, fut arrêté pour avoir « révélé des secrets d’État ». Il
passerait sept années en prison avant d’être assigné à résidence 532.
Au cours des journées qui suivirent le Quatre Juin, des hiérarques du
parti reçurent ordre d’adopter une position claire et de se distancier de leur
ancien secrétaire général. Le discours de Deng Xiaoping aux troupes fut
distribué à tous les membres du parti dans le pays afin d’être étudié lors de
533
sessions obligatoires .
Le 16 juin, Deng Xiaoping prit de nouveau la parole, cette fois devant
des membres du Comité central. « Seul le socialisme peut sauver la Chine
et seul le socialisme peut développer la Chine. » Il insista pour que rien ne
change concernant la politique de réforme économique et l’ouverture vers
le monde extérieur, et souligna l’importance d’un développement rapide. Il
en revint à son cheval de bataille, l’idée que l’économie devait quadrupler
entre 1980 et 2000. Il ne manifesta aucun signe de regret, affirmant que
l’intervention militaire du 4 juin vaudrait au pays une ou deux décennies de
stabilité 534. Les dirigeants du parti accueillirent favorablement son discours
et le firent abondamment circuler. « Il est le seul à pouvoir trouver les mots
justes pour convaincre le peuple », estimait un ancien rédacteur en chef du
Quotidien du Peuple 535.
Maintenant que le parti avait fait bloc autour de son chef, la
dénonciation rituelle de Zhao Ziyang pouvait débuter. Du 19 au 21 juin, au
cours d’une série de réunions éprouvantes, ce furent un aîné du parti après
l’autre qui s’avancèrent pour plonger la lame du couteau. Trois ans plus tôt,
Hu Yaobang avait ainsi subi une série de séances d’avilissement similaires
pendant six jours de suite. Le supplice de Zhao fut seulement deux fois
moins long 536.
Lors du quatrième plénum, qui se tint le 24 juin, le vote à bulletin secret
fut abandonné. Un vote à main levée et à l’unanimité exclut Zhao Ziyang et
intronisa Jiang Zemin à sa place. Le premier acte à l’ordre du jour du
nouveau secrétaire général fut de louer le Guide suprême et de confirmer
que toutes les mesures prises pour combattre la contre-révolution étaient
justes et fondées. Il félicita les soldats et la police. La réunion ne dura
qu’une petite heure 537.
Jiang Zemin, âgé de soixante-deux ans, le visage rond et le cheveu gris,
avait obtenu un diplôme d’ingénieur en électricité à Shanghai en 1947 et
s’était formé à l’usine automobile Staline à Moscou dans les années 1950,
où il avait rencontré Li Peng. Il était un peu plus instruit que le Premier
ministre, maîtrisant tout un éventail de langues étrangères qu’il aimait
afficher lors de ses menues conversations avec les invités étrangers. Il lui
arrivait parfois aussi d’entonner une petite chanson. À Shanghai, où il avait
occupé la fonction de maire avant de devenir secrétaire du parti, il était
impopulaire. L’économie de la ville était en berne et le secrétaire du parti
avait porté aux intellectuels un rude coup pendant le mouvement pour la
démocratie 538.
Sous des dehors avenants, Jiang Zemin était un marxiste-léniniste
endurci. Au cours des mois suivants, il milita vigoureusement en faveur de
la ligne du parti selon laquelle des forces étrangères hostiles se servaient
d’une propagande bourgeoise pour infiltrer le pays et renverser le Parti
communiste. Le Document central no 7, diffusé par le Comité central le
28 juillet 1989, expliquait en détail ce complot capitaliste : « Le monde
impérialiste tout entier essaie de nous faire renoncer à la voie socialiste et
de nous transformer en vassaux du capitalisme monopolistique
international. Il se sert de diverses méthodes pour infiltrer politiquement et
idéologiquement notre pays et ne ménage aucun effort pour propager la
supercherie capitaliste de la “démocratie”, de la “liberté” et des “droits” de
l’homme pour inciter et soutenir la tendance idéologique de la libéralisation
bourgeoise à l’intérieur de notre pays ». Le mouvement pour la démocratie
qui avait atteint son point culminant le Quatre Juin était un « soulèvement
politique planifié, organisé et prémédité », le résultat d’une « prolifération à
l’échelle nationale de la libéralisation bourgeoise et de forces
internationales anticommunistes, antisocialistes tentant d’infiltrer le pays
politiquement et idéologiquement 539 ».
Le nom qui fut donné à ce complot, « évolution pacifique »,
correspondait à une notion formulée pour la première fois en 1957 par le
secrétaire d’État américain John Foster Dulles, qui avait espéré user de
moyens pacifiques pour accélérer l’évolution vers la démocratie de pays
placés dans l’orbite soviétique, et abréger ainsi l’espérance de vie du
communisme. À cette fin, Dulles avait réclamé « tout le soutien moral et
matériel, en excluant une guerre », y compris des prêts fournis par des
investissements privés et des crédits de la Banque internationale pour
soutenir financièrement la Pologne et la Hongrie, pays « asservis derrière le
Rideau de fer ». Mais il n’envisageait pas un tel soutien pour la Chine. Le
4 décembre 1958, le secrétaire d’État se prononça expressément contre
toute reconnaissance diplomatique de Beijing et contre tout commerce avec
cette nation en se demandant pourquoi il faudrait apporter « aide et
réconfort » à un régime « qui s’emploie à nous expulser du Pacifique
Ouest 540 ».
Il y eut un dirigeant communiste qui y prêta attention, et ce fut Mao
Zedong. En novembre 1959, au milieu d’une purge brutale de 3,6 millions
de membres du parti qui avaient exprimé des doutes au sujet du Grand
Bond en avant, il convoqua une réunion pour discuter des idées de Dulles.
Les États-Unis, remarqua-t-il, « veulent nous subvertir et nous changer ».
« Ils comptent nous corrompre avec cette évolution pacifique. » Plusieurs
années après, Mao lança la Révolution culturelle pour s’assurer qu’aucun
« partisan de la voie capitaliste » ou autres « éléments bourgeois » ne
réussiraient à infiltrer le parti et à saper le système socialiste 541.
Le Document central no 7 plaçait le parti en état d’alerte maximale
contre toute tentative du « capitalisme de monopole » de « renverser » le
Parti communiste et le système socialiste au moyen de cette « évolution
pacifique ». La machine de la propagande, à présent contrôlée par
Li Ruihuan, le secrétaire du parti de Tianjin qui avait su se montrer à la
hauteur des événements face aux manifestations estudiantines de
décembre 1986, passa à la vitesse supérieure. Des cadres furent convoqués
à des sessions d’étude et à des réunions d’endoctrinement, afin qu’ils
s’imprègnent de l’interprétation correcte des événements qui avaient
conduit au Quatre Juin. Les étudiants avaient été manipulés, leur dit-on, car
quelques « conspirateurs politiques avaient fait collusion avec des forces
étrangères hostiles ». « Les puissances impérialistes étrangères », furent-ils
avertis, ne renonceraient jamais à « leur désir de nous anéantir », tout au
contraire : « Dès l’instant où une occasion se présente, ils recourent à leur
“évolution pacifique” pour vaincre sans même à devoir frapper le moindre
coup. » Le complot contre le parti avait été « prémédité, organisé et
méticuleusement planifié » : « De la grève de la faim aux coups, aux
déprédations, aux pillages, aux incendies, aux meurtres, chaque étape de
cette série d’événements était donc orchestrée et organisée. » Une vigilance
permanente était requise, mais aussi un État fort capable de combattre cette
évolution pacifique. Le seul moyen d’atteindre cet objectif demeurait une
politique soutenue de réformes économiques et d’ouverture 542.
Au cours de l’été, la population fut aussi instruite sur la véritable nature
du complot contre-révolutionnaire et les dangers de l’« évolution
pacifique », au moyen d’interminables émissions de télévision et de radio
ainsi que d’un flot constant d’articles dans les médias officiels. Au musée
d’Histoire de la Chine, une exposition fut organisée pour expliquer
comment la contre-révolution avait été étouffée. Les pièces exposées
comprenaient les épaves de deux chars d’assaut, de trois véhicules blindés
de transport de troupes et plusieurs camions, tous incendiés par les
manifestants. On y exhibait aussi une ambulance intacte dont avait fait don
le gouvernement italien. Des affiches et des tracts contre-révolutionnaires
exposés dans des présentoirs vitrés étaient entourés d’une foule de lecteurs
avides. Un écran de télévision montrait des vidéos des manifestations, une
voix off au ton sévère expliquant de quelle manière les étudiants avaient été
manipulés. Quelques armes utilisées par les émeutiers étaient aussi
exhibées, parmi lesquels un pistolet de fabrication artisanale, une moitié de
brique et plusieurs cocktails Molotov. Des unités de travail de toute la
capitale envoyèrent leurs effectifs étudier attentivement l’exposition 543.
Plus tard, en août, le deuxième volume des Œuvres choisies de Deng
Xiaoping fut publié et distribué à grand renfort de publicité. La presse
célébra le Guide suprême en architecte de la réforme économique et en
éminent défenseur de la Pensée Mao Zedong 544.
Des étudiants retournèrent en cours, non sans avoir dû se soumettre
auparavant à six semaines d’endoctrinement politique comportant des
aveux écrits de leur implication dans le mouvement démocratique. Lei Feng
était leur modèle. Jiang Zemin se rendit personnellement en visite dans
plusieurs universités où il écouta avec un air grandement préoccupé les
aveux d’étudiants repentants. Cette fois, il n’y eut pas d’interruptions
grossières 545.
Des étudiants de première année durent aussi se soumettre à six
semaines de conscription obligatoire dans l’armée. Un traitement
d’exception fut réservé aux nouveaux arrivants de l’université de Pékin.
Comme les étudiants de cet établissement avaient eu un rôle de tête dans le
mouvement pour la démocratie, ils furent envoyés pour une année entière à
l’École militaire de Shijiazhuang, à environ 250 kilomètres au sud. Les
règles y étaient strictes : lever à six heures du matin, petit-déjeuner frugal,
suivi d’exercices physiques et de leçons de politique. Les livres étaient
confisqués et l’extinction des feux avait lieu dès 21 h 30 546.
Une croisade fut lancée contre la libéralisation bourgeoise. Le 25 août,
Li Ruihuan, le grand orchestrateur de la propagande, expliqua lors d’une
conférence téléphonique que les livres et les cassettes faisant la promotion
des valeurs libérales avaient proliféré au cours des dernières années et
devaient par conséquent être éradiqués. La campagne était assortie d’une
innovation : des forces étrangères hostiles, expliqua-t-il, distribuaient de la
pornographie et de la drogue et incitaient au jeu pour anesthésier les esprits
du peuple. L’ennemi menait une bataille sans du tout faire parler la poudre.
« Les forces ennemies de l’étranger ont disséminé des publications
réactionnaires et pornographiques à une échelle massive : c’est pour elle un
moyen de premier ordre de mener leur “évolution pacifique” », tonnait Le
Quotidien du Peuple 547.
La croisade antipornographique présentait plusieurs avantages. Après
une campagne de répression impitoyable, le régime était à court de cibles.
Faute de pouvoir s’attaquer à d’autres intellectuels dissidents, les diffuseurs
de pornographie lui offraient un substitut commode. Cette campagne
permettait aussi d’adoucir le ton, ouvrant la voie aux célébrations du
1er octobre, le quarantième anniversaire de la fondation de la République
populaire. Surtout, elle fournissait aux autorités un prétexte pour contrôler
encore davantage la culture, en supprimant des bibliothèques tout ce qui
évoquerait même vaguement les valeurs bourgeoises. Les écrits de Zhao
Ziyang disparurent, alors que des textes depuis longtemps oubliés du Grand
Timonier refirent leur apparition à une place de choix, à côté des
Œuvres choisies de Deng Xiaoping. Quant à l’Élégie du fleuve, elle
disparut. Des publications étrangères critiques de la Chine, notamment les
magazines Time et Newsweek, et l’International Herald Tribune, avaient
aussi été supprimées des kiosques à journaux 548.
Dans nombre de provinces, les secrétaires du parti supervisaient
personnellement la campagne en constituant des commissions de censure
spéciales pour déterminer la nature de chaque publication. Dans plusieurs
régions, des cadres locaux se virent attribuer des « quotas de pornographie »
et ils étaient censés arrêter un nombre précis de distributeurs de ces
publications licencieuses ou confisquer une certaine quantité de livres
indécents. À certains endroits, ces coups de balai restaient de pure forme, et
dans d’autres tous les livres dont le titre incluait les mots « amour » ou
« femme » étaient confisqués et interdits, quel qu’en fût le contenu. À la fin
septembre, des commissaires zélés avaient atteint des résultats
impressionnants, avec plus de 30 millions de publications scandaleuses
consignées dans des usines de papier et 400 000 vidéos détruites 549.
Le 1er octobre, jour de célébration de la Fête nationale de la République
populaire, Deng Xiaoping, flanqué de Jiang Zemin, Li Peng et Yang
Shangkun, offrit une démonstration d’unité à la tribune de la place
Tian’anmen. En 1970, Edgar Snow y était apparu aux côtés du président
Mao. Cet honneur revint cette fois à Alexander Haig, l’ancien secrétaire
américain à la Défense, qui se tenait à côté d’Egon Krenz, le dirigeant est-
allemand 550.
Depuis plusieurs mois, le département de la Propagande s’était préparé
à cette occasion destinée à « célébrer la victoire de la répression des
troubles contre-révolutionnaires 551 ». Des dizaines de milliers d’exécutants,
dont un bon nombre d’étudiants sélectionnés contre leur volonté dans des
lycées et des universités, interprétèrent une danse soigneusement répétée
autour d’une statue en polystyrène ornée des figurines sculptées d’un
paysan, d’un ouvrier, d’un soldat et d’un intellectuel et placée à l’endroit
exact où les étudiants avaient érigé leur Déesse de la Démocratie six mois
plus tôt. Une voix dans le haut-parleur faisait l’éloge de la « répression de la
rébellion ». Des soldats casqués et des policiers armés en tenue antiémeute
étaient postés à des endroits stratégiques de l’avenue Chang’an 552.

*
* *
Alors que la loi martiale était encore en vigueur, et qu’elle ne serait pas
levée avant janvier 1990, les chars s’en étaient allés, et de simples soldats
montaient encore la garde sous des parasols rouges et blancs aux principaux
carrefours. La répression semblait un souvenir lointain. Même les
mendiants de l’Allée de la Soie étaient de retour, bien qu’il n’y ait que très
peu de touristes étrangers. Et la Boutique de l’Amitié rouvrit ses portes à la
population locale, mais d’assez mauvais gré 553.
Tandis que d’autres unités regagnaient leurs casernes, on vit des soldats
travailler d’arrache-pied sur des chantiers de la capitale, édifier des hôtels,
construire des restaurants et des centres commerciaux, le tout en préparation
554
des Jeux asiatiques .
Le régime avait de la chance que ces Jeux aient été programmés pour se
dérouler en octobre 1990, seize mois seulement après le massacre. Rien ou
presque n’était aussi efficace que l’attrait d’un somptueux spectacle sportif
porteur de mille émotions pour rehausser la légitimité d’un régime sur le
plan intérieur et extérieur. En 1936, les Jeux olympiques de Berlin avaient
été un coup de génie de la propagande, plaçant ainsi la barre très haut pour
d’autres régimes ultérieurs. En 1978, en Argentine, une Coupe du monde de
football soigneusement ordonnancée avait permis à la junte militaire de se
laver partiellement de son image sanglante lorsque l’équipe nationale prit le
dessus sur celle des Pays-Bas au stade Monumental, à moins de
2 kilomètres de l’École de mécanique navale, site de torture notoire.
À Beijing, les foyers de plus de 2 000 familles de la capitale furent
démolis afin de ménager de la place aux Jeux, tandis que les impacts de
balles étaient comblés avec du plâtre, que les façades endommagées
recevaient une couche de peinture fraîche et que les sillons creusés par les
chenilles des chars dans le macadam étaient comblés. Des horloges géantes
furent installées sur plusieurs panneaux d’affichage de la capitale,
décomptant les jours, le tout dans l’espoir d’unifier une population divisée
dans l’attente d’un événement patriotique phare. Des reportages quotidiens
étaient diffusés sur les écrans de télévisions, assortis de commentaires de
célébrités du sport et d’autres dignitaires. Cui Jian, qui avait galvanisé les
contestataires avec ses chansons pleines de défi, connut un revirement
complet et partit en tournée afin de lever des fonds pour les Jeux 555.
La mascotte des Jeux asiatiques s’appelait Pan-Pan, un adorable panda
en peluche. Pan-Pan se fit un devoir d’enjôler le monde entier en dissipant
les réticences de ceux qui avaient voulu boycotter l’événement. En
septembre, plus de 100 000 touristes et 6 500 athlètes étaient attendus pour
participer à ces épreuves ou y assister. Dans un effort supplémentaire de
cohésion sociale, les responsables sanitaires ordonnèrent aux habitants de
contribuer à exterminer les « quatre fléaux », les moustiques, les mouches,
les cafards et les rats, tandis que des enfants sortaient dans les rues ramasser
les mégots de cigarettes et d’autres déchets. Les gens recevaient ordre de
bien se tenir, certains individus ayant mission de patrouiller dans les
quartiers et de débusquer d’éventuels saboteurs. Chen Xitong, le maire de la
capitale, recruta aussi un demi-million de bénévoles qui devraient se tenir à
des postes de contrôle aux quatre coins de la ville et infliger des amendes
ou arrêter tout individu qui se conduirait mal. Des clochards, des mendiants
et des colporteurs dépourvus des permis adéquats furent expulsés, et les
échoppes des vendeurs fermées. Au stade des derniers préparatifs avant les
Jeux, des dizaines de criminels furent exécutés. Le long des rues
principales, et notamment sur l’avenue Chang’an, des drapeaux rouges
flottaient gaiement au vent 556.
Les Jeux furent un triomphe, la Chine raflant 183 médailles d’or sur un
total de 308 récompenses possibles. Le spectacle fut couronné par une
cérémonie de clôture magnifique avec 10 000 exécutants vêtus de costumes
nationaux dansant devant 80 000 spectateurs triés sur le volet. La touche
finale arriva sous la forme d’un panda incarnant Pan-Pan qui fut conduit à
l’intérieur du stade des Travailleurs de Beijing perché sur un chariot chargé
de fleurs, des feux d’artifice illuminant le ciel. Jiang Zemin, Li Peng et
Yang Shangkun, qui présidaient la cérémonie de clôture, paraissaient
jubiler 557.
Lors du septième plénum du Comité central, quelques mois plus tard, la
supériorité du socialisme fut confirmée de manière retentissante et l’objectif
de Deng Xiaoping de quadrupler la taille de l’économie entre 1980 et 2000
fut une fois encore approuvé. De sages paroles du Guide suprême, qui
deviendraient une devise guidant le parti pendant les vingt années suivantes,
circulèrent dès le jour de l’ouverture des débats : « Ne cherchez pas le
pouvoir, soyez modestes et prudents, prenez votre temps, celui qui se
placera en tête perdra l’initiative 558. »

*
* *
Le Document central no 7 de juillet 1989 mit en garde les membres du
parti contre l’« infiltration étrangère » et l’« évolution pacifique », mais
exigeait également que le « patriotisme » et la « foi dans la puissance
créatrice » du pays soit propagés à tous les niveaux de la société. En août, le
département de la Propagande avait porté ce thème encore plus avant :
« Nous devons répandre la foi dans la supériorité du système socialiste,
notait ce document, nous devons expliquer que seul le socialisme peut
sauver la Chine ! » Il mettait aussi en lumière l’importance de « renforcer la
confiance en soi et la fierté de la nation 559 ».
À tous égards, les Jeux asiatiques tinrent un rôle important pour rétablir
la confiance des milieux dirigeants. « Les Jeux asiatiques signifient que le
peuple chinois s’est levé », déclara un Chen Xitong rayonnant 560. D’autres
mesures furent prises aussi, avec au premier chef le lancement d’une
campagne d’éducation patriotique qui se déploya progressivement, sur
plusieurs années, dans le but de bâtir une « civilisation spirituelle » d’ici le
tournant du millénaire, dont l’avènement coïnciderait avec l’objectif de
quadruplement de l’économie 561.
La première étape consista à faire renaître Lei Feng dont l’abnégation et
le dévouement incontesté à l’égard du parti avaient toujours représenté une
force digne de foi et un contrepoids dans la lutte contre les valeurs
bourgeoises décadentes. « Apprenons du camarade Lei Feng », c’est cet
exercice que Le Quotidien du Peuple enjoignit ses lecteurs de pratiquer en
décembre 1989, avec un hommage en première page au héros du peuple. La
Journée de Lei Feng, le 5 mars 1990, fut célébrée avec une série télévisée
ainsi que des rencontres, conférences, symposiums et groupes d’étude –
plus de 6 000 dans la seule province du Hunan. L’armée eut à cœur de
soutenir ce soldat modèle. Yang Baibing, demi-frère de Yang Shangkun et
secrétaire général de la Commission militaire centrale, qui avait entrepris de
mobiliser les troupes au printemps 1989, multiplia les discours et signa
plusieurs articles 562.
Une réunion nationale, à Beijing, honora quarante-cinq « Lei Feng
vivants », tirés de leur existence anonyme dans des fermes, des usines et des
casernes. Le sergent Zhang Zixiang, qui avait de nombreuses bonnes
actions à son actif, notamment s’être porté à la rescousse d’un vieil homme
attaqué par des hooligans et avoir vidé les crachoirs dans un hôpital, parla
avec chaleur de son héros. Il chanta aussi des airs communistes de sa voix
de baryton au vibrato de velours et mentionna Et l’acier fut trempé de
Nikolaï Ostrovski comme étant son roman favori 563.
Deux mois après la journée officielle « Lei Feng », Jiang Zemin
s’adressa à un rassemblement de 3 000 jeunes dans le Palais de l’Assemblée
du peuple pour marquer la journée du Quatre Mai. « Le patriotisme et le
socialisme ne font qu’un », déclara-t-il, en ajoutant encore que « seul le
socialisme peut sauver la Chine ». Il appela à une éducation patriotique
élargie, surtout à destination des enfants des écoles primaires et
secondaires 564.
Le 3 juin, le régime célébra le 150e anniversaire de la guerre de
l’Opium. De l’école élémentaire à l’université, des étudiants de tout le pays
étaient tenus d’étudier ce pavot nocif et délétère qui fut comparé au poison
moderne de la « libéralisation bourgeoise ». Un colloque ad hoc fut
organisé au musée d’Histoire de la Chine, des centaines de policiers
bouclant les accès à la place Tian’anmen.
La principale personnalité mise en avant dans le cadre de cette
propagande n’était autre que Lin Zexu, un fonctionnaire diligent qui avait
mis un terme au commerce de l’opium, pris en otage les marchands
étrangers et leurs familles et détruit plus de 20 000 caisses de ce poison.
Des films, des conférences et des expositions cherchèrent à provoquer
l’indignation nationale. « L’histoire moderne de la Chine est l’histoire d’une
humiliation », résuma d’une formule laconique China Education News. Hu
Sheng, un éminent historien du parti, président de l’Académie chinoise des
sciences sociales, considérait qu’« à l’évidence, si nous nous écartons de la
voie du socialisme, nous serons de nouveau plongés dans le siècle que nous
avons connu après la guerre de l’Opium, au cours desquels nous avons
souffert d’une humiliation nationale et des ténèbres 565 ».
Un an plus tard, le 29 août fut proclamé Journée nationale de
l’humiliation, marquant l’anniversaire du traité de Nanjing en 1842 qui
avait mis fin à la première guerre de l’Opium, présenté comme le point de
départ d’un siècle d’invasions et d’exploitation par des puissances
étrangères. D’innombrables films, livres, journaux et expositions
exhumèrent tous les méfaits commis à cette époque, du trafic de l’opium
aux atrocités de la guerre sous l’occupation japonaise. « N’oublions jamais
l’humiliation nationale : renforçons la Chine », tel était le message 566.

*
* *
Le Front uni devint l’un des outils essentiels de promotion de ce
message d’unité nationale et de communauté de destin. En Chine même, le
département du Travail du Front uni (DTFU) lança une offensive de charme
en direction de personnalités publiques extérieures au Parti communiste.
« Nous devons nous fier à eux, nous reposer sur eux et les unifier »,
proclama hardiment l’organisation lors d’une réunion secrète qui se tint à
l’été 1989 567. Plus tard cette année-là, au cours d’une cérémonie du thé
tenue à grand renfort de publicité, Jiang Zemin annonça personnellement
que des membres des huit partis démocratiques seraient consultés dans tous
les dossiers majeurs et autorisés à contribuer à la « stabilité et à l’unité
*1
sociales ». « Les partis démocratiques acceptent le rôle dirigeant du Parti
communiste chinois et travaillent en étroite symbiose à des projets
socialistes », clarifia plus tard un document officiel 568.
Et, à l’étranger, un réseau de groupements contrôlés par le Front uni fut
utilisé pour « gagner le cœur des gens, promouvoir la compréhension
mutuelle et s’assurer que des personnalités publiques à l’étranger nous
569
comprennent et nous soutiennent ». Ces efforts furent renforcés un an
plus tard avec la création d’un département de la Propagande extérieure qui
réussit à capter des financements publics somptuaires, en dépit de coupes
budgétaires décidées par le gouvernement dans d’autres secteurs. « Nous
devons compter sur le Front uni pour vaincre le complot de l’infiltration, de
la subversion et de l’évolution pacifique, mené par des forces hostiles chez
nous à l’étranger », avertit Jiang Zemin sur un ton lourd de menaces en
juin 1990. L’« antagonisme et la lutte » entre les deux camps se
prolongeraient sur « une longue période de temps », car les « forces
internationales hostiles n’abandonneront jamais leur stratégie de
renversement du socialisme ». Dans cette lutte à long terme, la stratégie du
Front uni consistait à « unir la majorité et à isoler la minorité 570 ».
Hong Kong restait le contributeur le plus important du régime, sur le
plan des produits, des services, de la technologie et des capitaux. Au plus
fort du mouvement pour la démocratie, des gens de tous milieux s’étaient
laissés gagner par l’euphorie en signant des pétitions, en prenant part à des
meetings et en effectuant de généreuses donations, toutefois après le
massacre, cette euphorie laissa place à la déception, voire au désespoir. Des
dizaines de milliers d’habitants de Hong Kong décidèrent d’émigrer ailleurs
et beaucoup d’autres tentèrent à tout prix de se procurer un passeport.
Quand la Commission de Singapour délivra 25 000 formulaires de
demandes de résidence permanente, ce fut la ruée. Stephen Solarz, élu
démocrate de la Chambre des représentants, se rendit en visite dans la
colonie de la Couronne avec une proposition d’admettre davantage de
Hongkongais aux États-Unis. Sur place, un homme d’affaires suggéra
même de déplacer la colonie entière sur un site proche de la ville de
Darwin, sur la côte nord de l’Australie. Un autre avança que l’Organisation
des Nations unies devrait prendre bail sur Hong Kong et la transformer en
Suisse de l’Asie 571.
Tous les efforts déployés depuis 1976 par la Chine continentale pour
cultiver des membres du parti dans la clandestinité et bâtir un Front uni
s’effondrèrent. Xu Jiatun, l’homme envoyé par Beijing pour planifier la
reprise de souveraineté sur la colonie et se rallier des chefs de file de la
communauté, signala à ses maîtres que « toutes les organisations de gauche
se sont retournées 572 ». Même des personnalités prometteuses de la gauche
avaient marché en faveur de la démocratie. Certains syndicats avaient perdu
de leur influence. Des institutions entières normalement loyales envers la
Chine continentale exprimaient toute leur répugnance après le massacre.
Xinhua, ou l’Agence Chine nouvelle, porte-parole officielle du Parti
communiste et formellement sous la férule de Xu Jiatun, prit ouvertement
fait et cause pour les manifestants qui appelaient Li Peng à quitter ses
fonctions. Xu Jiatun lui-même s’enfuit aux États-Unis quelques mois plus
tard 573.
Beijing en conclut que la colonie britannique était un nid d’activité
contre-révolutionnaire, une base subversive utilisée par des forces
étrangères hostiles pour infiltrer le pays sur le plan idéologique et
déstabiliser la direction du Parti communiste. Ce territoire, soutint Li Peng,
faisait peser une menace sur la sécurité nationale. Plusieurs chefs de file du
mouvement en faveur de la démocratie, et notamment Martin Lee, membre
du Conseil législatif de la région administrative de Hong Kong, furent
condamnés pour « soutien à des activités subversives 574 ».
Chacune des démarches entreprises par Londres était perçue comme
une preuve supplémentaire de duplicité. Quand Margaret Thatcher tenta
d’endiguer la vague migratoire et de consolider la confiance dans la colonie
en proposant un droit de résidence à 50 000 familles remplissant les
conditions requises, dans l’espoir qu’elles préféreraient rester, Beijing
dénonça avec colère ce stratagème visant à mettre la main sur ses
ressortissants. Cette réaction n’était pas purement rhétorique. L’équipe
dirigeante intégra une nouvelle disposition à la Loi fondamentale, un
document qui fut alors rédigé pour, de facto, tenir lieu de constitution à
Hong Kong après 1997, interdisant aux citoyens chinois membres du
Conseil législatif de la colonie de détenir un droit de résidence dans un pays
étranger, quel qu’il soit. Afin de renforcer sa capacité de maîtriser le cours
des événements dans le futur, le régime introduisit aussi une clause
proscrivant la trahison, la sécession, la subversion et le vol de secrets
d’État, et interdit aux « organisations et institutions politiques » d’établir
des liens avec des « organisations et institutions politiques étrangères 575 ».
L’article 23 serait néanmoins le combustible de troubles futurs, car la
controverse sur la nature de la loi de sécurité nationale diviserait le territoire
durant les décennies à venir.
La Loi fondamentale, rédigée par une commission nommée et dominée
par Beijing, fut ratifiée le 16 février 1990. Trois ans plus tôt, en rencontrant
certains de ses membres, Deng Xiaoping avait ostensiblement rejeté le
principe de séparation des pouvoirs, le qualifiant de « système occidental »
qui était inadapté à Hong Kong 576. L’ébauche du texte se contentait donc
seulement de promettre un « degré élevé d’autonomie » après 1997. Il
écartait les exigences d’un cadre démocratique qui protégerait les droits et
les libertés de la colonie. Cette ébauche introduisait plutôt un système si
compliqué, avec un suffrage indirect et un collège électoral désigné par le
gouvernement, qu’il n’avait qu’un seul but, exclure tout scrutin au suffrage
universel direct. La conception qu’avait le régime du terme même
d’« élection » formait le noyau de ce document : en l’occurrence, il ne visait
rien d’autre que la validation consciencieuse et zélée de candidats désignés,
par un vote limité. Pourtant, l’idée que des élections de quelque nature que
ce soit, sur un territoire comptant moins de six millions d’habitants,
puissent produire une majorité hostile à une nation qui en comptait plus
d’un milliard, ne cessait de hanter le pouvoir de Beijing. Ce dernier
interviendrait à maintes reprises pour manipuler encore davantage le
système en sa faveur.

*
* *
e
Le Quatre Juin fut un jalon capital dans l’histoire du XX siècle, des
élections législatives se tenant pour la toute première fois dans un pays sur
lequel flottait le drapeau rouge. Bien que les élections en Pologne aient été
manipulées, avec des sièges réservés au Parti communiste, Solidarność
remporta une victoire retentissante, surprenant même son chef de file, Lech
Wałęsa. L’année précédente, des grèves générales et des manifestations de
rue avaient contraint le régime à négocier avec Solidarność et à accepter de
rendre des sièges accessibles au syndicat dans le cadre d’une nouvelle
chambre bicamérale. Fort de cet accord, Lech Wałęsa effectua le voyage à
Rome où le pape Jean-Paul II le reçut en avril 1989. Gorbatchev n’intervint
pas et, en décembre 1990, Solidarność conduisit une transition pacifique
vers la démocratie.
Des images de jeunes gens rebelles coiffés de bandeaux autour du front
protestant sur la place Tian’anmen, tremblotantes sur les écrans de
télévisions de tout le camp socialiste, galvanisèrent aussi des mouvements
démocratiques ailleurs. Le 27 juin, les ministres des Affaires étrangères
d’Autriche et de Hongrie, réunis devant les caméras, découpaient un
tronçon de clôture barbelée qui avait séparé les deux pays depuis des
décennies. Des milliers d’Allemands de l’Est se dirigèrent vers la Hongrie
en passant par cette brèche dans le Rideau de fer pour rejoindre des amis et
de la famille en Allemagne de l’Ouest. Quand les autorités est-allemandes
fermèrent toutes les frontières, le 3 octobre, pour endiguer la vague, des
manifestations de masse éclatèrent à Leipzig, la deuxième ville du pays.
Gorbatchev, qui se trouvait en visite d’État en RDA quelques jours plus
tard, enjoignit les dirigeants de Berlin-Est d’accepter la réforme. Il exclut
toute intervention des troupes soviétiques stationnées dans plus de deux
cents casernes disséminées sur tout le territoire. Le 9 octobre, quelque
70 000 manifestants investirent de nouveau le centre-ville, malgré la crainte
omniprésente de se voir réserver le même sort que les étudiants de la place
Tian’anmen. La police, très inférieure en nombre, dut reculer, car l’ordre de
tirer ne lui parvint jamais. Un mois plus tard, des foules d’Allemands se
pressaient aux checkpoints berlinois qu’ils franchirent sous les yeux de
policiers qui se refusèrent à employer la force, certains se portant même
volontaires pour ouvrir les portes. Le mur de Berlin tomba.
Un scénario similaire se déroula dans toute l’Europe de l’Est, une
dictature après l’autre implosant sous le poids de son propre peuple. Après
avoir regardé à la télévision des images de soldats de l’Armée populaire de
libération braquant leurs fusils sur les manifestants, des hiérarques du parti
comprirent que la partie était terminée. Leurs armées n’appliqueraient pas
de « solution à la chinoise ». La seule exception à cette règle fut la
Roumanie, où un Nicolae Ceauşescu particulièrement obstiné ordonna une
riposte militaire après que des habitants de la capitale, Bucarest, se furent
rebellés. De simples soldats et leurs commandants changèrent de camp
presque aussitôt et, au contraire, renversèrent le régime.
En Chine, les nouvelles de ces soulèvements furent fortement
censurées. « Ce que nous communiquons, quand nous le communiquons,
comment nous le communiquons : tout cela doit être déterminé par nous et
doit nous être bénéfique », expliquait en décembre 1989 un Politburo
soucieux de l’impact des événements sur la population. À huis clos, les
dirigeants estimaient avoir vu juste. Wang Fang, ministre de la Sécurité
publique, fit circuler un rapport imputant le désastre à Gorbatchev et
concluant que l’exécutif chinois avait été sage de réprimer les troubles six
mois plus tôt. « Seule la Chine peut sauver le socialisme », renchérit Bo
Yibo, en retournant ainsi la vieille devise selon laquelle seul le socialisme
pouvait sauver la Chine. La République populaire était « le rocher qui
résistait fermement au milieu du courant », en dépit des vents changeants et
des nuages 577.
Gorbatchev était désormais vilipendé par tous, décrit comme un
« traître » et un « petit clown » lors de réunions du parti. Pourtant, après
l’échec d’une tentative d’évincer le secrétaire général à Moscou le 21 août
1991, les mêmes dirigeants chinois restèrent cois. Deng Xiaoping, qui avait
personnellement prédit que Gorbatchev serait chassé du pouvoir, semblait
avoir perdu le sens des réalités. Sur son instigation, l’armée chinoise avait
soutenu les éléments les plus conservateurs de l’Armée rouge qui
croupissaient maintenant en prison. Surtout, des images de gens ordinaires
descendus dans les rues de Moscou pour y dresser des barricades contre une
armée prête à investir la capitale constituaient un rappel malvenu des
récents événements de Beijing. Boris Eltsine, qui grimpa sur l’un des chars
pour s’adresser à la foule, s’imposa soudain en Russie comme un héros
populaire 578.
Le 23 août, un cortège d’Audi et de Mercedes-Benz étaient visible
devant la résidence de Deng Xiaoping, alors que l’équipe dirigeante peinait
à formuler une réponse. Cette réponse consista à détourner encore plus de
ressources pour les affecter à la lutte contre l’« évolution pacifique ». Il
s’ensuivit un regain de propagande acerbe et virulente sur les périls de la
« libéralisation bourgeoise 579 ».
Jiang Zemin était l’un des plus fervents défenseurs de la foi. Un mois
plus tôt, dans un discours marquant le soixante-dixième anniversaire de la
fondation du parti, il avait à nouveau agité le spectre d’une évolution
pacifique en exposant la lutte contre l’infiltration impérialiste comme une
question de vie ou de mort pour le Parti communiste. « Rien qui puisse
empoisonner les esprits du peuple, polluer la société ou aller à l’encontre du
socialisme ne devrait jamais être autorisé à se propager de manière
incontrôlée », promit-il dans son allocution télévisée, en rappelant à son
auditoire l’importance des Quatre Principes fondamentaux.
Une version révisée de son discours, saluée comme le « Nouveau
Manifeste du Parti communiste », fut largement diffusée pendant le mois de
septembre. Jiang Zemin accueillit de ses vœux la réforme économique, non
sans relever que le secteur privé ne serait toujours rien de plus qu’un simple
complément du secteur étatique : le socialisme, et non le capitalisme, tel
était le nom que portait le système économique du pays 580.
Les partisans de la ligne dure se servirent de ce discours pour mettre en
question l’étendue de la réforme économique. Deng Liqun, l’idéologue
doctrinaire qui ne manquait jamais une occasion de vitupérer contre le
capitalisme, exigea que soit mis en avant un bilan plus favorable de la
Révolution culturelle. L’un des Quatre Principes fondamentaux reposait sur
la Pensée Mao Zedong et le président avait eu raison de s’attaquer
violemment aux « partisans de la voie du capitalisme » au sein des rangs du
parti. Et une cinquième colonne de cadres bourgeois et puissants, soutenait
encore Deng Liqun, tentait de ramener le pays dans le giron du
capitalisme 581.
Deng Liqun n’était pas une figure isolée. D’autres qui dressaient l’éloge
de la Pensée Mao Zedong se mirent à appeler à une « lutte résolue » contre
la « réforme capitaliste ». Chen Yun, à présent âgé de quatre-vingt-six ans,
se joignit à la mêlée, en morigénant ceux qui croyaient l’économie planifiée
obsolète. Le ratio correct, insistait-il, était d’attribuer 80 % au plan et 20 %
au marché. Il vilipenda ceux qui se précipitaient pour instaurer des « zones
économiques spéciales » et autres « zones fermées » à seule fin d’accélérer
l’afflux de capitaux étrangers 582.
Son protégé, Song Ping, l’un des cinq membres du puissant Comité
permanent, supervisa une campagne d’« éducation socialiste » dans les
campagnes, visant à transformer 900 millions de villageois en fidèles
adeptes de l’économie collectivisée. Des dizaines de milliers de cadres
dirigeants du parti s’en furent dans des villages reculés « éduquer les
paysans sur la supériorité du socialisme et renforcer l’organisation des
cellules du parti dans ces villages ». Pendant des années, les défenseurs de
la ligne dure avaient déploré que le système du « contrat de
responsabilité », consenti à des foyers ruraux individuels, ait affaibli
l’autorité du parti dans les campagnes. Ils tenaient désormais une chance de
renverser la tendance. Selon les termes de Li Peng, « nous devons déployer
des efforts inlassables pour développer l’économie collectivisée à la
campagne ». Les « médecins aux pieds nus », qui avaient sillonné ces
territoires ruraux pendant la Révolution culturelle en proposant des services
médicaux, refirent eux aussi leur apparition 583.
On fit ressurgir le fantôme de Mao, on redonna vie à son appel à la
croisade contre l’Occident. Alors que des statues de Lénine étaient
arrachées de leur socle d’un bout à l’autre de l’Union soviétique, les
Œuvres choisies de Mao Zedong redevinrent une fois de plus une lecture
obligatoire dans les villes comme dans les campagnes. Le Quotidien de la
Jeunesse de Chine applaudit les jeunes gens qui se plongeaient dans l’étude
de la Pensée Mao Zedong 584.
Le 25 décembre, pour la première fois, le drapeau rouge frappé de la
faucille et du marteau fut abaissé au pied du mât du Kremlin. Pendant
plusieurs mois, ce furent une république après l’autre qui proclamèrent leur
indépendance vis-à-vis de Moscou, transformant l’Union soviétique en une
coquille vide. La République populaire de Chine était plus isolée que
jamais. Avec l’ascension des partisans de la ligne dure, le régime semblait
sur le point de se replier sur son passé maoïste.

*
* *
Au cours des journées postérieures à la répression du Quatre Juin,
quand les troupes avaient affiché leur puissance en tirant au hasard des
rafales de leurs armes automatiques depuis l’arrière de leurs camions
militaires, leurs balles avaient fracassé des vitres du China World Trade
Center encore en construction. Cette tour, le plus vaste chantier de tous les
édifices pharaoniques de la capitale, avec ses appartements, deux hôtels, un
palais des congrès et plusieurs centres commerciaux, se dressait comme un
fanal de la réforme, avec ses 38 étages dominant la ville de très haut. La
date d’ouverture avait été reportée, car il avait fallu dépenser plus de
300 000 dollars rien qu’en vitrages spéciaux importés de Belgique 585.
Des dégâts plus substantiels furent annoncés le 15 juillet, lorsque les
sept premières puissances industrielles du monde tinrent un sommet
économique à Paris. Les chefs d’État et de gouvernement annoncèrent le
report de prêts à hauteur de 2,3 milliards de dollars réservés par la Banque
mondiale à Beijing. Le Japon se rallia à leur décision, quoique à
contrecœur, en suspendant une enveloppe de prêts de 5,6 milliards
programmée depuis plusieurs années.
La décision porta un rude coup au régime. Ses hiérarques avaient
assidûment courtisé les gouvernements étrangers afin d’obtenir d’eux des
prêts à des conditions préférentielles et des subsides à taux d’intérêt zéro, ce
qui leur avait permis de s’assurer de généreux financements de pays aussi
divers que le Danemark, l’Italie, le Canada, l’Australie, le Japon et le
Koweït. La plus grosse part provenait de la Banque mondiale. Quand
Robert McNamara, directeur de la banque, effectua son premier voyage à
Beijing en avril 1980, Deng Xiaoping l’impressionna en soulignant qu’une
alliance entre les États-Unis, l’Europe, le Japon et la Chine était
indispensable pour affronter le danger que faisait peser l’Union soviétique
sur la paix mondiale 586. Son argumentaire fut payant, car en 1989 la Chine
était devenue la principale bénéficiaire de la Banque mondiale, dont elle
reçut plus de 10 milliards de dollars de financements, composés à peu près
pour moitié de prêts sans intérêts qui n’avaient pas à être remboursés avant
au moins trente-cinq ans 587.
La dette extérieure atteignait 42 milliards de dollars, alors même que le
pays était sur le point de faire face à un pic de ses remboursements. Les
réserves en devises s’élevaient à seulement 10 milliards de dollars, à peine
de quoi couvrir neuf semaines d’importation 588. Combinée avec le gel des
prêts étrangers et l’effondrement du secteur touristique, cette situation ne
laissait au régime qu’une seule alternative pour se procurer ces devises
fortes si indispensables : en l’occurrence, imposer un contrôle des changes
draconien, réduire les importations et augmenter les exportations, quel
qu’en soit le coût.
Les biens de luxe, essentiellement les véhicules, constituaient une cible
prévisible, auxquels s’ajoutèrent plus d’une centaine de produits de
consommation courante qui furent également soumis à de nouvelles
exigences d’inspection très strictes. L’approbation du pouvoir central était
requise pour les achats de produits de première nécessité comme le blé, le
sucre, les engrais, le bois de charpente, le coton et les pesticides, avec des
limitations placées sur la laine, la pulpe de bois, le contreplaqué, les
produits chimiques et les tubes cathodiques. L’importation d’une vingtaine
de produits électroniques et mécaniques fut complètement interdite, ce qui
frappa particulièrement durement la Corée du Sud et le Japon. Leur balance
commerciale devint négative, car les exportations vers la Chine
baissèrent 589.
À l’inverse, les usines d’exportation se virent accorder un accès
prioritaire aux matières premières, à l’électricité et aux moyens de
transport, ainsi qu’à davantage de crédits et de subsides. Des exonérations
d’impôts plus élevées furent appliquées pour renforcer la concurrence. En
un complet retournement de la réforme économique, les grandes entreprises
d’État furent soutenues et les petites entreprises privées d’accès aux sources
d’approvisionnements publics – en particulier les entreprises de village,
perçues comme se livrant à une concurrence déloyale vis-à-vis de leurs
homologues étatiques de plus grande envergure. On sabra dans le nombre
d’entreprises commerciales étrangères, qui avaient poussé comme des
champignons à partir de septembre 1984 : à peu près une sur quatre, soit
1 300 au total, furent forcées de fermer leurs portes 590.
Toutefois, le plus grand changement fut une dévaluation de 21 % par
rapport au dollar, fin 1989, ce qui portait la devise américaine à 4,72 yuans.
« Les étrangers ont besoin de nos exportations », expliqua le ministre du
Commerce extérieur, Zheng Tuobin, après l’introduction de cette
dévaluation, et il ajouta : « Nous soutiendrons résolument la réforme
économique et surmonterons les sanctions imposées par des nations
étrangères 591. »
En août 1990, Zheng Tuobin annonça fièrement une hausse de 60 % en
glissement annuel des exportations qui atteignaient des niveaux record vers
les États-Unis et l’Union européenne. Malgré un tollé international à cause
du massacre de la place Tian’anmen et un gel des prêts, la Chine avait
réussi à exporter plus que jamais 592.
Il subsistait une exception à cette hostilité du monde extérieur : en
l’occurrence, il s’agissait de Taïwan. Peu après le décès du président Chiang
Ching-kuo en janvier 1988, son successeur, Lee Teng-hui, leva une
interdiction frappant le tourisme, le commerce et d’autres formes de contact
avec la Chine. Beijing saisit cette opportunité en faisant de l’île, considérée
comme une « province renégate », une « priorité stratégique » dans le cadre
d’un effort concerté, par le truchement du Front uni, afin de promouvoir les
liens économiques. « Toutes les ressources doivent être déployées sous un
commandement unifié », proclama le Conseil des Affaires de l’État après le
Quatre Juin, car la coopération économique pouvait « refréner la tendance à
la séparation et accélérer l’unification pacifique de notre mère patrie 593 ».
On offrit des douceurs, on améliora les services, on coupa des rubans
rouges. L’offensive de charme fut payante. En 1990, les exportations vers
Taïwan connurent un essor de plus de 250 %. L’argent de Taïwan coulait à
flots, les quantités de capitaux étant si volumineuses qu’elles compensaient
les pertes de revenus du côté occidental. Pour cette seule année 1990, les
investissements atteignirent 2 milliards de dollars. Alors même que
Hong Kong était saisie d’horreur devant le massacre, Taïwan prenait le
relais financier, devenant dès 1992 la principale source d’investissements
étrangers en Chine 594.
En juillet 1990, une autre victoire se profilait. Fang Lizhi, le dissident
réfugié à l’ambassade des États-Unis, fut discrètement pris en otage par le
régime en échange de la reprise des prêts internationaux. Après l’échec de
la mission secrète de Brent Scowcroft qui ne réussit pas à trouver une
solution à l’impasse diplomatique, le président George H. W. Bush dépêcha
ensuite Henry Kissinger, l’homme de confiance de la Chine à Washington.
Deng exigea la levée de toutes les sanctions économiques imposées par le
Congrès. Fang et son épouse furent obligés de jurer qu’ils ne se livreraient à
aucune activité antichinoise à l’étranger. Le 23 juin 1990, tous les chefs de
partis reçurent un télégramme expliquant que Fang Lizhi et Li Shuxian
avaient « avoué leurs méfaits » et que leur libération était « une décision qui
répond aux exigences de notre lutte sur le plan international », notamment
la reprise des prêts internationaux et le renouvellement des principes de la
clause de la nation la plus favorisée. Deux jours plus tard, des officiels
américains escortaient le couple à l’aéroport de Beijing, où ils embarquèrent
à bord d’un appareil de l’US Air Force 595.
Le 10 juillet, la voie était libre pour que la Banque mondiale reprenne
ses prêts à la Chine. Quelques semaines plus tôt, le vice-président de la
banque, Moeen Qureshi, avait déjà embrassé la cause du régime. Lors de sa
visite à Beijing, il avait insisté à plusieurs reprises sur le fait que la charte
de l’institution financière n’établissait aucun lien entre l’octroi d’une aide
financière et les droits de l’homme. Jiang Zemin porta un toast en son
honneur 596. La banque versa 1,6 milliard pour l’année 1990-1991, un
montant augmenté à 2,5 milliards l’année suivante, des enveloppes
supérieures à ce qu’avaient reçu toutes les autres nations. Dès le moment où
la Banque mondiale amenda sa politique de prêt, le Japon se précipita avec
une enveloppe de 5,7 milliards de dollars. Ses exportations vers la Chine
bondirent de 40 %, ce que les observateurs de l’époque qualifièrent de
récompense offerte à Tokyo pour son soutien au retour à des « relations
économiques normales 597 ».
Le régime apprit à apprécier les bienfaits de cette diplomatie de la prise
d’otages et à évaluer le prix d’un dissident. Il acquit aussi une forme de
respect renouvelée pour un proverbe traditionnel : « L’argent poussera le
démon à faire tourner la meule à grains. »

*
* *
Une nouvelle dévaluation fut décidée le 17 novembre 1990, portant le
dollar à 5,22 yuans. La dévaluation faisait certes des miracles pour les
marchés d’exportation, cependant elle comportait des risques
inflationnistes en rendant les produits locaux moins chers, tout en
augmentant les prix des biens étrangers, et surtout le coût de la dette
extérieure. Libellée en dollars, à la fin 1990, elle s’élevait à peu près à
55 milliards de dollars, un montant modeste, qui augmentait
proportionnellement à chaque dévaluation. En 1984, elle représentait 5,9 %
598
du produit national brut ; or, en 1990, elle s’élevait à 16 % .
Plus important encore, les bénéfices qui découlent d’une dévaluation
étaient rapidement rognés. Comme par le passé, les coûts
d’approvisionnement étatique se mirent à augmenter, tout comme le coût
relatif de détention d’un dollar. Zheng Tuobin, pleinement conscient de ce
dilemme, insista à plusieurs reprises sur l’importance de « contrôler
strictement les prix de matières premières pour l’approvisionnement
599
étatique » et d’« empêcher les hausses aléatoires ».
Désireux de plafonner les prix, l’État commença par recentraliser des
portions de l’économie en tentant de s’assurer le contrôle des matières
premières et un monopole sur la commercialisation, que ce soit des films
plastiques ou du coton. De manière assez prévisible, pourtant, ces plafonds
imposés eurent un effet inverse à celui qui était escompté. En effet, les prix
fixés par l’État forçant nombre d’entreprises à vendre au-dessous de leurs
coûts de fabrication, elles réduisirent leur production. Des directeurs
d’entreprise toujours inventifs conçurent d’autres moyens de contourner ces
contraintes sur les prix, notamment en formant un partenariat avec un
acheteur qui vendrait à un tarif plus élevé ; en changeant le nom et la
classification d’un produit sous le prétexte de le mettre à niveau ; en
vendant des produits à des filiales qui les revendaient ensuite aux prix du
marché ; ou en produisant seulement des produits de première nécessité qui
n’étaient pas soumis à ces contrôles. Il en résulta une activité économique
réduite, une chute de la qualité des produits et un évitement généralisé des
procédures de contrôle des prix 600.
L’État avait beau être très attaché à ce contrôle, son double système de
tarifs le contraignait à s’appuyer sur les gouvernements locaux. Quand des
plafonds furent appliqués sur le plan local, d’autres conséquences
involontaires se produisirent. Le cours du coton brut, matière première
essentielle pour alimenter les nombreuses filatures qui débitaient des
textiles pour les marchés étrangers, en constituait un bon exemple.
À Dalian, en réalité, les contrôles locaux encouragèrent un afflux de tissus
vers des acheteurs situés en dehors de la municipalité, désireux de les payer
au prix du marché. Par conséquent, le tissu de Shandong était de préférence
vendu à Dalian à des prix 50 % plus élevés que le plafond appliqué au tissu
local 601.
Le cas du coton illustrait un autre problème, en l’espèce la conviction
du gouvernement que le maintien du tarif des achats étatiques à leur niveau
plancher favoriserait un approvisionnement régulier de matières premières
en direction des entreprises d’État. Non seulement les bureaux de gestion
du coton gérés par les gouvernements locaux augmentèrent leurs barèmes
en y ajoutant toutes sortes de frais complémentaires, des « frais de services
et de main-d’œuvre » aux « frais d’organisation », mais ils étaient
incapables de livrer en temps et en heure. Et le fait qu’ils vendent des sacs
de produits de mauvaise qualité mélangés à des cailloux en les faisant
passer pour du coton de première qualité n’arrangea guère les choses 602.
Il en résulta une désorganisation de l’industrie textile. Avec la hausse
des coûts d’ensemble, la quantité de marchandise nécessaire pour gagner
l’équivalent d’un dollar augmenta. Le coût de production moyen d’une
quantité de fil de coton suffisante pour gagner 1 dollar passa de 4,44 yuans
en 1988 à 5,15 yuans en juillet 1989 et à 6,46 yuans en mai 1990. Après la
dévaluation de septembre 1989, le taux de change officiel était de
4,72 yuans pour un dollar. Au total, les bénéfices nets des 1 292 filatures
d’État avaient chuté de plus de 10 %, alors que le volume augmentait de
284 %, selon les statistiques gouvernementales. Pour 1 000 mètres d’étoffe
produite, les filatures accusaient une perte de 200 yuans 603.
Les contrôles des prix creusant les pertes qu’essuyaient les entreprises
d’État, davantage de subventions étaient requises. Les producteurs
absorbaient ces subsides, et les consommateurs aussi, car le régime était
soucieux d’éviter l’agitation sociale. À Beijing, chaque hausse de 1 % de
l’indice des prix à la consommation coûtait au gouvernement municipal
400 millions de yuans en subventions additionnelles. « La Chine est
maintenant fermement engagée dans un piège à subsides », remarquait un
économiste étranger. Ces subventions étaient multiples, et elles
augmentèrent grosso modo de 40 % par an durant les deux années
d’austérité économique qui débutèrent en septembre 1988 604. Selon une
estimation, à peu près 40 % du budget étaient affectés à des subsides d’État.
À leur tour, ceux-ci requéraient de collecter davantage d’argent. En 1990, la
masse monétaire augmenta d’environ 30 % 605.
Le régime était aiguillonné par sa peur de ne pas être capable de
rembourser sa dette étrangère. Au lieu de s’astreindre à une authentique
réforme et d’améliorer son efficacité, ses dirigeants jouèrent avec le taux de
change afin d’en retirer des avantages temporaires. Ils édifièrent une façade
fragile pour surmonter les sanctions internationales. Ils insistèrent en faveur
du maintien d’une mainmise ferme sur les prix, le capital et la main-
d’œuvre, et en même temps ne firent qu’aggraver les problèmes en se
contentant d’une position de faiblesse sur la politique fiscale, le déficit
croissant et la masse monétaire. Cela eut pour effet d’ensemble de
provoquer une chute rapide de la croissance économique, qui baissa à 3,9 %
en 1989 avant de sombrer à 1,6 % au premier semestre 1990 606.
Le marché intérieur s’affaissa et le chômage bondit, une estimation
situant le nombre de personnes qui ne jouissaient pas du plein-emploi à
150 millions à l’échelle nationale. Pour la seule année 1989, 3 millions
d’entreprises de village sur un total de 18 millions disparurent 607.
Un scénario bien connu reproduisit un système économique archaïque
dominé par le double système de prix : les stocks s’entassaient, le crédit
était gelé et la dette enflait. Cette fois, pourtant, l’étendue de la paralysie
était inédite et se traduisit par un phénomène identifié dit de « dette
triangulaire », une formule qui désigne les encours que les entreprises se
devaient entre elles. À première vue, cela semblait un problème
relativement bénin car les entreprises d’État à court de crédits décidaient de
ne pas honorer leurs factures ou de reporter le paiement pendant un certain
laps de temps et dépensaient plutôt leur capital en l’affectant à d’autres
priorités. Leurs fournisseurs n’étant pas payés, ces derniers reportaient eux
aussi leurs paiements à leurs propres créanciers, créant ainsi une cascade
d’engagements. La dette devenait un circuit de crédit informel, un moyen
de lever du capital en dehors du système bancaire. Dans certains cas, les
entreprises d’État pouvaient même s’accorder mutuellement pour reporter
les paiements ou garantir leurs dettes respectives avec de faux
nantissements, en sachant très bien que l’État n’autoriserait jamais qu’elles
fassent faillite. Les dettes entre les entreprises d’État devenaient par
conséquent des engagements pérennes dont on pouvait repousser l’échéance
indéfiniment, jusqu’à ce que l’État intervienne. Au moment où ce dernier
s’interposait en ordonnant aux banques de solder leur dette accumulée, le
problème des arriérés entre entreprises ressurgissait.
Surtout, la dette triangulaire était corrélée à l’inflation. Alors que les
prix des matières premières et des produits finis augmentaient, la valeur
relative du capital circulant régressait. Les entreprises d’État visaient à
doper leurs profits à court terme en inscrivant leur inventaire à prix coûtant
et en déclarant les gains réalisés grâce à son appréciation comme un profit
direct, accroissant par conséquent l’excédent de profit nominal qu’elles
pouvaient conserver au-delà des montants versés au Trésor. Pourtant, cet
accroissement de capital n’était adossé à aucun montant équivalent en
marchandises. Selon une estimation, entre 1998 et 1990, le bénéfice
notionnel dérivé de cette appréciation de l’inventaire s’élevait à des
dizaines de milliards de yuans. Assez vite, les entreprises d’État ne furent
plus capables de maintenir leur niveau de production, des pénuries se
multiplièrent, les arriérés se creusèrent. Et puisque la consommation était
freinée, les produits finis qui ne pouvaient trouver d’acquéreurs
s’entassaient, stockés parfois dans des entrepôts où ils se dégradaient. À la
fin de l’année 1990, l’inventaire national avait augmenté de près de
60 milliards en glissement annuel 608. Il atteignit un pic de 130 milliards en
1992. À peu près le quart de ces stocks avaient perdu toute valeur,
l’équivalent d’un mois de salaire pour tous les travailleurs du pays 609.
Conséquence d’une confusion socialiste classique entre l’offre et la
demande, un autre problème du même ordre se posait : nombre
d’entreprises d’État excellaient à sortir des produits de première nécessité
dont personne ne voulait. L’inflation est généralement interprétée comme
une trop grosse masse d’argent avec trop peu de produits où s’investir, or,
avec si peu de produits de première nécessité capables de séduire les
acheteurs, il fallait étonnamment peu de liquidités pour atteindre ce seuil.
Normalement, en période de récession, les entreprises qui ne pouvaient
trouver de débouchés pour leurs produits faisaient faillite, leurs actifs
étaient vendus au prix du marché et leurs dettes effacées ; toutefois, dans
une économie socialiste, quand le crédit se tarissait, ces entreprises se
retrouvaient simplement à l’arrêt et entraient en hibernation. Dès que
l’économie revenait à la vie, leurs dettes dormantes, contractées contre des
actifs dénués de valeur, étaient réactivées et attiraient à elles davantage de
fonds étatiques destinés au service de dettes insolvables et à alimenter à
nouveau la production de biens pour lesquels il n’existait aucun marché 610.
Lorsque le cycle reprenait, ces biens aboutissaient une fois encore dans des
entrepôts. Toute cette activité était prise en compte dans le produit intérieur
brut, une notion formulée par des pays ayant une économie de marché où
tous les biens produits finissaient par se vendre. Dans la phraséologie assez
élégante d’une succursale de la Banque populaire de Chine, « il existe un
cercle vicieux entre l’injection de crédit, la production, l’offre excédentaire
et les arriérés, puis davantage d’injection de crédit, davantage de
production, davantage d’offre excédentaire et davantage d’arriérés 611 ».
En 1990, l’État injecta ainsi 50 milliards de yuans pour purger une dette
triangulaire estimée à 160 milliards de yuans. Le problème persista, et un an
après la dette triangulaire atteignait 300 milliards de yuans, l’équivalent de
55 milliards de dollars (calculés au taux du marché parallèle de 5,4 yuans
contre un dollar, et non au taux officiel), à peu près l’équivalent du montant
total de divises en circulation, ou au cinquième du total de l’encours des
prêts. La crise survenait à un moment mal choisi, alors que tout autour des
dirigeants chinois le monde socialiste se délitait. « Si cela continue encore,
notre économie va s’effondrer, annonça Li Peng d’un ton grave. Pour le
formuler encore plus crûment, c’est pour le socialisme une question de vie
et de mort. » Li Rui consigna la chose de manière un peu moins dramatique
dans le secret de son journal personnel : « La dette dévore tout 612. »
Élevé au rang de vice-Premier ministre au printemps 1991, Zhu Rongji
fut appelé à la rescousse. À ce stade, c’était l’un des rares dirigeants qui ait
une quelconque idée de la manière dont une économie fonctionnait
réellement. À l’exception de Chen Yun, l’architecte de l’économie
planifiée, la plupart des anciens du parti qui prenaient les véritables
décisions étaient des théoriciens politiques. Li Peng, chargé de l’économie,
avait tendance à se reposer sur Yuan Mu, qui avait travaillé comme
journaliste pendant vingt ans avant d’intégrer le gouvernement. Les
responsables des principales institutions financières du pays étaient
nommés pour leurs qualités politiques, et certains d’entre eux avaient très
peu de connaissances concrètes de l’économie. Li Rui, qui connaissait bien
le groupe dirigeant, affirmait dans son journal que Wang Bingqian,
l’homme qui avait été chargé du budget pendant de nombreuses années, ne
comprenait pas les principes de base de la comptabilité et comptait en fait
sur ses subalternes. Li Guixian, le gouverneur de la Banque populaire de
Chine, était ingénieur chimiste de formation et n’était apparemment pas
certain de la manière dont s’opéraient des transactions bancaires 613.
Au cours des années suivantes, Zhu Rongji déversa 50 milliards de
yuans dans le service de la dette en exigeant que les gouvernements locaux
regroupent des fonds pour éponger l’endettement contracté par les
entreprises. Il les obligea aussi à vendre leurs produits stockés dans des
entrepôts et proposa que les entreprises d’État qui ne pouvaient écouler
leurs productions cessent de produire et se consacrent plutôt à développer
leurs installations. Il suggéra des fusions, des transferts et même des
fermetures. Les fusions, croyait-il, créeraient de puissants conglomérats
d’État dans des secteurs industriels cruciaux, capables de rivaliser avec les
groupes les plus modernes du monde. Quand on lui demandait comment il
comblerait la perte de recettes fiscales causée par la réduction de la
production et l’écoulement des inventaires, sa réponse fut que ces recettes
n’existaient que sur le papier. Dans la province de Liaoning, il ferma
plusieurs usines d’État qui produisaient ces biens inutiles. Pourtant, quand
en septembre 1991 il demanda au Conseil des Affaires de l’État d’étendre
l’expérience au reste du pays, il se heurta à une fin de non-recevoir. Les
anciens du parti n’avaient aucune envie de risquer de déclencher des
troubles sociaux associés à des réformes s’attaquant au cœur même du
système socialiste 614.
La prestation de Zhu Rongji eut un avantage : il s’imposa en
réformateur engagé, alors même que le régime semblait se replier sur
l’économie plus strictement planifiée du passé. En novembre 1991, il eut
une passe d’armes avec Deng Liqun, l’idéologue, qui proposait d’en revenir
aux valeurs maoïstes. Zhu appela au contraire à des « réformes plus amples,
plus audacieuses », ainsi qu’à une moindre interférence du gouvernement
dans l’entreprise 615.
Il possédait peu d’autorité pour imposer davantage de réformes. Vers la
fin novembre, au huitième plénum, à l’issue duquel Zhu Rongji ne fut pas
élu membre du Politburo à part entière, les conservateurs les plus prudents
conduits par Chen Yun l’emportèrent. Deng Xiaoping, alors âgé de quatre-
vingt-sept ans et trop vieux pour mener les opérations en première ligne,
était déterminé à consolider son héritage et à laisser une marque durable sur
l’économie. Pour sortir de l’impasse à Beijing, il eut recours à une tradition
politique peaufinée par son ancien maître Mao Zedong : contourner le parti
et en appeler directement au peuple.

*1. Contrairement à l’ex-URSS, la République populaire de Chine n’est pas un régime de parti
unique. Les huit partis minoritaires sont le Comité révolutionnaire du Kuomintang, la Ligue
démocratique de Chine, l’Association pour la construction démocratique de la Chine,
l’Association chinoise pour la promotion de la démocratie, le Parti démocratique des ouvriers et
des paysans de Chine, la Société de Jiusan et la Ligue pour l’auto-administration démocratique
de Taïwan (N.d.T.).
7.

Des outils capitalistes dans des mains


socialistes
(1992-1996)

Mao était un maître de la politique de couloir, mais lorsqu’il ne


parvenait pas à avoir le dessus dans la capitale, il avait recours à un
stratagème classique : il sillonnait le pays à bord de son train personnel pour
gagner le soutien des dirigeants provinciaux.
Le 19 janvier 1992, Deng Xiaoping effectua une visite surprise à
Shenzhen, la zone économique spéciale qu’il avait inspectée en 1984 pour
vanter les bienfaits de la réforme économique. Lors de sa première
apparition publique en un an, il se promena dans un parc d’attractions en
voiturette de golf, admira la ville depuis un restaurant panoramique au
sommet du Shenzhen World Trade Center (la China Merchants Bank
Tower) et donna sa bénédiction au maire. Il se montra d’une brusquerie peu
habituelle : « La réforme et l’ouverture, c’est la seule option de la Chine »,
expliqua-t-il aux journalistes en s’assurant que ses remarques soient
largement diffusées à Hong Kong. « Quiconque est opposé à la réforme
devrait quitter ses fonctions. » La foule l’applaudit et l’acclama 616.
Ce fut le temps fort d’une tournée dans le Sud durant laquelle, devant
des dizaines de chefs provinciaux à Wuhan, Changsha, Guangzhou et
Shanghai, le Guide suprême laissa libre cours à sa frustration face à la
lenteur de la réforme. Les médias d’État observèrent un silence complet sur
le voyage du guide, car il était censé vivre dans sa retraite, mais ses
déclarations, objets de fuites judicieuses en direction des journalistes de
Hong Kong, furent reprises de l’autre côté de la frontière.
Le message du patriarche était sans détour : il n’y avait rien à craindre
d’un accroissement des investissements étrangers et de la poursuite de la
réforme économique car « le secteur public est le pilier de l’économie ».
« Plus important encore, ajoutait-il, le pouvoir politique est entre nos
mains », ce qui signifiait que le parti exerçait son contrôle sur toutes les
sociétés détenues par des étrangers, contrôle qui permettrait de servir les
intérêts de la nation. C’était cela, davantage que l’équilibre entre la
planification centralisée et les forces du marché, qui constituait la véritable
différence entre le socialisme et le capitalisme. La meilleure défense contre
l’évolution pacifique, maintenait-il, devait associer le développement
économique et l’élévation du niveau de vie, ce qui démontrerait la
supériorité du système socialiste. « Nous devons expérimenter, tracer une
voie et aller hardiment de l’avant », affirmait-il, une invitation qu’ils étaient
peu nombreux à souhaiter décliner 617.
Jiang Zemin fut prompt à virer de bord et à prendre le vent venu du sud.
Deux jours après que le train privé du patriarche eut quitté la gare de
Beijing pour entamer son périple, le secrétaire général appela à une réforme
élargie et à une ouverture accrue vers le monde extérieur. Le 2 février,
marquant le Nouvel An lunaire, Jiang passa un coup de téléphone très
médiatisé pour adresser ses vœux à Deng Xiaoping. Dans son discours du
Nouvel An au Palais de l’Assemblée du peuple, il déclara à
4 000 responsables du parti que le pays devait se lancer dans
d’« audacieuses explorations » et accélérer la cadence de la réforme. Le
23 février, Le Quotidien du Peuple enjoignait le pays à « s’ouvrir au monde
extérieur et à se servir du capitalisme 618 ».
Lors d’une réunion du Politburo, début mars, Jiang Zemin eut assez
d’habileté politique pour se livrer à son autocritique, en endossant la
responsabilité d’avoir étouffé l’information dans les médias officiels sur la
tournée du Guide suprême. Ses collègues s’alignèrent, en exprimant leur
soutien unanime après l’appel à l’action de Deng Xiaoping. Un Li Peng
sombre et défait n’y opposa aucune objection 619.
Quelques semaines plus tard, le peuple s’exprima lui aussi, ou du moins
ses représentants officiels à l’Assemblée nationale populaire. Après avoir lu
les discours qu’avait prononcés le patriarche durant son voyage dans le Sud,
ils avaient à leur tour réclamé une accélération de la réforme. Ils
demandaient aussi des fonds au niveau local et davantage d’autonomie 620.

*
* *
La dernière étape du voyage de Deng Xiaoping le conduisit à Shanghai.
En pleine campagne d’austérité, cette ville faisait exception. Alors que les
pouvoirs régionaux avaient été rognés et les investissements freinés au
lendemain du Quatre Juin, un immense projet fut lancé pour transformer
des marais situés sur l’autre rive de la rivière Huangpu en centre financier
futuriste. Le fait que Jiang Zemin soit originaire de la ville ne fut pas
inutile, bien que le régime ait été aussi désireux de convaincre le monde que
sa politique de la porte ouverte n’était pas seulement maintenue, mais
qu’elle restait véritablement florissante. Ses dirigeants voulaient aussi
favoriser l’essor d’une rivale de Hong Kong, considérée comme une base
dangereuse de la subversion manipulée par des puissances étrangères
hostiles. La zone industrielle de Pudong fut présentée comme le nouveau
Hong Kong de la Chine, une perle de l’Orient qui attirerait des milliards
d’investissements étrangers.
Li Peng inaugura officiellement le site le 18 avril 1990, mais les
premiers progrès furent lents. La part du lion de l’investissement était
attendue du côté des investisseurs étrangers, qui se virent accorder des
concessions, notamment un droit de bail sur de vastes portions de terrains et
l’installation de sociétés commerciales dans la zone. Les profits seraient
exonérés d’impôts pendant les cinq premières années. Des milliers de
délégations étrangères arrivèrent au cours des mois suivants. Le maire, Zhu
Rongji, sillonna le monde, en tentant de séduire les milieux de la finance.
Pourtant, un an plus tard, seules quarante usines dotées d’investissements
étrangers se dressaient au milieu d’une zone peu attrayante aux routes
défoncées et alimentées en énergie par des centrales à gaz délabrées. Après
plus ample examen, les concessions financières proposées se révélaient être
la porte d’accès à un dédale bureaucratique et paperassier, semé de
restrictions sans fin qui limitaient ce que les étrangers avaient précisément
le droit de faire. « J’imagine que ce sera juste une cage plus grande pour
une nouvelle espèce d’oiseaux », jugea un financier 621.
Après la tournée de Deng Xiaoping dans le Sud, l’investissement
décolla. À Shanghai, l’octogénaire inspecta des usines, des grands
magasins, la Bourse et même les nouveaux bâtiments de Pudong. Dès qu’il
fut reparti, Huang Ju, le nouveau maire qui avait succédé à Zhu Rongji,
intervint devant la presse étrangère en promettant davantage de mesures
incitatives, de financements et d’autonomie de décision. Les entreprises
furent même autorisées à se lancer dans la réexportation, l’épine dorsale de
l’économie de Shenzhen. Elles pouvaient émettre des titres et des
obligations. Plus de 50 milliards d’engagements avaient déjà été levés,
expliqua-t-il, très au-delà de ce qui était requis pour tous les chantiers
d’infrastructures. Il reprit à son compte les sages paroles du Guide
suprême : « Soyez audacieux et avancez plus vite 622. »
Huang Ju qualifia Pudong de « métropole socialiste ». En 1992, ce
furent environ 3,3 milliards de dollars d’origine tout à fait capitaliste qui
affluèrent, pour moitié de Hong Kong et de Macao. Plus de 4,5 milliards de
contrats furent signés au cours du seul premier semestre 1993. Redoutant
d’être distancés, de grands groupes comme Ford, Bell, Matsushita, Sharp,
Hitachi et Siemens revendiquèrent leur part du gâteau. Un tunnel fut creusé,
des ponts édifiés, des routes tracées, et des gratte-ciel modernes surgissaient
de terre au milieu d’une forêt de grues, la vue étant masquée de temps à
autre par des nuages de poussière flottant dans le ciel. Pudong était devenu
le plus vaste chantier du monde, transformé par le capital étranger et par
une petite armée de migrants ruraux, équipés de rien de plus que de casques
en bambou 623.
Le fracas métallique des constructions retentissait aussi au cœur de
Shanghai, avec des hôtels de luxe et des immeubles de bureaux s’élevant
très haut au-dessus des rangées de maisons mitoyennes traditionnelles de la
concession française. Quelques entreprises fameuses qui avaient jadis été
des références dans la région revinrent à Shanghai, notamment les grands
magasins Wing On et le conglomérat hongkongais Jardine Matheson *1. Sur
le Bund et au-delà, le chrome et le verre fumé dominaient les bâtiments
coloniaux avec leurs façades en pierre surannées. Dans des hôtels
modernes, le bois sombre, les lustres dorés et des miroirs du sol au plafond
remplaçaient le mobilier vieillot et les rideaux de velours. Plus loin, dans
les banlieues, de luxueux lotissements résidentiels avec courts de tennis,
arroseurs automatiques et pelouses impeccablement entretenues sortaient de
terre juste à côté des rizières 624.
Pudong était un chantier unique, qui portait la marque des hommes aux
commandes à Beijing. Mais chaque ville, chaque grande cité, chaque
province voulait sa part d’investissements étrangers. Moins d’un mois après
que Li Peng eut accordé son blanc-seing à la zone industrielle de Pudong,
des secrétaires du parti de toutes les principales cités côtières passèrent à
l’offensive, en proposant toutes sortes de concessions aux investisseurs
étrangers. Des délégations de Zhuhai, Guangzhou, Xiamen, Fuzhou,
Shantou et Wenzhou se rendirent à Hong Kong. Elles avaient aussi un œil
sur Taïwan, des investisseurs de l’île ayant proposé dix ans d’exemptions
fiscales et d’autres politiques préférentielles. Ningbo, au sud-est de
Shanghai, annonça un projet audacieux, une zone industrielle de
60 kilomètres carrés assortie de baux de cinquante ans pour les investisseurs
étrangers. Plus au nord, des responsables à Tianjin et Dalian plaidèrent leur
cause auprès de Beijing pour obtenir le droit de lancer leurs propres zones
de développement 625.
Des sanctions économiques de l’étranger, combinées à la politique
d’austérité du régime, freinèrent cette tendance. Conséquence du périple de
Deng Xiaoping dans le Sud, le nombre de zones de développement n’en
explosa pas moins. En 1991, il y en avait à peu près 117 sur le plan
national ; à la fin 1992, plus de 8 700 rivalisaient pour attirer l’attention des
investisseurs, nombre d’entre elles s’étant déployées sans approbation du
pouvoir central. Si des investissements étatiques devaient se diriger vers
chacune de ces zones, ainsi que Zhu Rongji le calcula au dos d’une
enveloppe, le coût total serait d’au moins 4,5 trillions de yuans 626.
L’offre concernait la terre, un bien auquel même la bourgade la plus
pauvre pouvait prétendre. La formule était raisonnablement simple : un bail
sur un terrain en échange du capital pour développer l’infrastructure. Un
total de 2,2 millions de kilomètres carrés, équivalent en superficie à environ
500 villes, aurait été mis en location pour un coût supérieur à 50 milliards
de yuans, dont une petite partie entra dans les coffres de l’État 627.
Comme le pays était socialiste, et les moyens de production
appartenaient à ce même État, les règles déterminant qui avait la capacité de
représenter cet État, qui possédait la terre, qui pouvait la mettre à bail, qui
avait la possibilité de la prêter, qui la louerait et de quelle entité elle irait
augmenter le capital, étaient exceptionnellement vagues. En général, l’État
était représenté par le gouvernement local, qui attribuait le droit d’utiliser la
terre aux entreprises et institutions étatiques. Ces usagers institutionnels
entraient à leur tour sur le marché et vendaient la terre. Dans un État
socialiste, il avait toujours existé une quantité quasiment infinie
d’institutions publiques, et le nombre d’utilisateurs institutionnels
revendiquant une part et tentant leur chance dans la promotion immobilière
se multiplia. Des universités, des hôpitaux, des entreprises, sans oublier
tous les départements gouvernementaux concevables à tous les niveaux
d’une bureaucratie étatique tentaculaire, tentèrent de créer des branches
foncières et immobilières 628.
Dans les cas les moins complexes, les terres arables étaient simplement
réquisitionnées et laissées en jachère, les fonds de développement étant
dilapidés en banquets, en voitures et en bâtiments de prestige. À l’autre
extrémité du spectre, sur l’île de Hainan, en 1992, la société japonaise
Kumagai Gumi se vit accorder le droit d’aménager une zone de
30 kilomètres carrés en port franc. Yangpu, une bande de terre aride où
seuls les cactus réussissaient à pousser, serait la ville du futur. La société
reçut le droit de transférer ses titres fonciers à des investisseurs locaux et
étrangers. Au lieu d’aménager un port, elle vendit la terre à quelque
20 000 entreprises foncières qui se multiplièrent sur l’île, l’équivalent d’une
société pour quatre-vingts habitants. Les prix crevèrent tous les plafonds en
atteignant un pic de 3 500 yuans le mètre carré avant leur plongeon, laissant
des milliers de bâtiments inachevés et 30 milliards de yuans de dettes 629.
L’île attirait l’intérêt des promoteurs de tout le pays. Des programmes
comparables virent le jour partout. À Zhenyuan, un comté très pauvre de la
province de Gansu, on construisit davantage en deux ans que durant les
trois premières décennies de socialisme, à travers de vastes campagnes de
commercialisation sur les chaînes de télévision et les stations de radio
locales et même au moyen de camions publicitaires. Ainsi que l’observa le
comité provincial du parti, la richesse qui appartenait à titre théorique à
l’État « passait entre les mains de quelques individus 630 ». Sur le plan
national, en 1993, plus de 110 milliards de yuans furent investis dans
l’immobilier, soit plus du double de l’année précédente. En 1994, ce furent
160 milliards supplémentaires. Le Conseil des Affaires de l’État déplorait la
prolifération de parcours de golf et d’hôtels de luxe, alors qu’on démolissait
les logements de gens ordinaires 631.
Puisque les gouvernements locaux contrôlaient les banques locales, ces
dernières avaient tendance à accorder des avantages stratégiques à leurs
propres entreprises. Si les banques d’État refusaient de fournir davantage de
crédit, les villes et les provinces pouvaient agir avec audace par elles-
mêmes, lever des fonds sur les marchés de capitaux internationaux. Les
secrétaires du parti peaufinaient leurs compétences relationnelles en
cherchant à attirer les capitalistes étrangers avec des bureaux
d’investissements cossus, d’épais tapis rouges, des sourires avenants et des
brochures alléchantes. Ils réservaient aux banquiers et aux dirigeants
d’entreprises étrangers un traitement digne de personnalités de rang royal,
mais à la communiste, en les installant dans des hôtels de luxe, en les
conduisant à bord de limousines, des voitures de police ouvrant le cortège et
écartant le trafic avec des mégaphones. En 1992, environ 40 000 projets
financés par l’étranger furent approuvés. Des investisseurs étrangers prirent
des engagements d’investissements à hauteur de 57 milliards de dollars,
quatre fois la somme indiquée en 1991 et un montant dépassant le total des
capitaux promis depuis 1979. En 1993, l’investissement des entreprises
d’État dans des actifs immobilisés augmenta à son tour de 70 %, alors que
l’investissement des gouvernements locaux s’envolait de 80 % 632.
Ces chiffres étaient impressionnants, et cependant ils pouvaient être
trompeurs. Beaucoup de capitaux nationaux étaient maquillés en
investissements étrangers, car des milliards franchissaient clandestinement
la frontière vers Hong Kong, où des sociétés écrans réinjectaient l’argent
vers des joint-ventures qui n’étaient que de purs montages fiscaux conçus
pour tirer parti de dégrèvements d’impôts. Selon certaines estimations,
c’étaient jusqu’aux deux tiers de ces investissements étrangers qui
provenaient de Chine même. Ainsi, un Milton Friedman guère convaincu
souligna que c’était le contribuable qui devrait régler la note de tous les
privilèges spéciaux accordés aux investisseurs étrangers dans les zones de
développement. Il décrivit Pudong comme un « village Potemkine construit
pour un empereur régnant 633 ».
Hong Kong jouait un autre rôle financier important : sa place boursière
fut utilisée afin de lever des capitaux pour les entreprises d’État. En 1990, la
Chine ne possédait pas de marchés d’actions et d’obligations fonctionnels.
À partir de 1981, l’État avait émis de premières obligations pour financer
son déficit fiscal, qu’il ne pouvait seulement combler par la collecte de
l’impôt. Toutefois, ces émissions obligataires s’apparentaient plus à des
emprunts forcés qu’à des titres boursiers : les entreprises d’État étaient
obligées d’en acheter, en fonction de quotas fixés par le gouvernement
central à des taux d’intérêt fixés par la banque centrale. Il n’y avait pas de
second marché, ce qui signifiait qu’il n’existait aucun négoce de ces titres.
Ces obligations étaient vendues une fois par an, et à partir de 1987, d’autres
furent émises dans le secteur du bâtiment. L’achat de bons du Trésor était
aussi requis pour les ménages, mais les personnes physiques accédaient à
un taux d’intérêt légèrement plus élevé que les entreprises d’État. En 1989,
par exemple, un ouvrier ordinaire pouvait voir six semaines de ses
émoluments réquisitionnés pour ces achats forcés de bons du Trésor 634.
Le gouvernement central contrôlant les émissions de ces titres
obligataires, il pouvait les restructurer chaque fois qu’il était incapable de
respecter ses échéances. Cela se produisit en 1990, quand plus de
24 milliards d’obligations libellées en yuans émises depuis 1981 vinrent à
échéance. L’État préféra alors émettre à la place plus 9 milliards de
nouvelles obligations, refinançant ainsi sa dette avec un autre lot
d’engagements à hauteur de 7 milliards en 1991 635.
Depuis 1982, certaines entreprises d’État avaient aussi été autorisées à
émettre des titres, qui présentaient toutefois peu de caractéristiques
identiques à leurs équivalents dans une économie normale. En fait, ils
s’apparentaient plus à des obligations, ne comportant aucun droit de
détention, offrant un taux de rendement annuel minimal et n’étant assortis
d’aucune date d’échéance.
En 1988, quand l’inflation s’envola, les banques reçurent ordre de tailler
dans leurs prêts et les entreprises d’État tentèrent de céder leurs
portefeuilles obligataires à des spéculateurs de marché, souvent assortis de
forts rabais, désobéissant donc aux injonctions gouvernementales
proscrivant tout marché secondaire. En 1989 et 1990, un marché de gré à
gré entièrement dérégulé d’obligations et de titres se forma soudainement.
Selon les termes d’un historien de la finance, c’était une première pour le
pays, le seul marché de titres de participation et de créance, qui dura moins
de deux ans 636.
Pour maîtriser ce marché officieux, en décembre 1990 et juillet 1991
respectivement, des marchés d’actions furent ouverts à Shenzhen et
Shanghai. Ils permettaient aux instances gouvernementales de régulation de
contrôler l’environnement de marché en maniant à la fois les prix et les
investisseurs d’une manière qui répondait aux intérêts de l’État. Les
transactions sur une gamme limitée de bons du Trésor, d’obligations et de
titres d’entreprises étaient autorisées, mais des restrictions continuaient de
s’appliquer sur d’autres types de titres, notamment les obligations
financières et de reconversion. Un an plus tard, des entreprises cotées furent
pour la première fois autorisées à émettre des actions dites de classe B,
limitées aux investisseurs étrangers *2. Mieux encore, en juin 1993, quelques
entreprises d’État sélectionnées avaient la possibilité d’émettre des titres de
classe H à Hong Kong, qui offraient aux investisseurs des protections non
disponibles avec les titres de classe B. Les brasseries de la bière Tsingtao
entrèrent dans l’histoire en devenant la première entreprise de Chine
continentale à être cotée dans la colonie de la Couronne, avec une levée de
fonds qui étaient pleinement convertibles en devises étrangères. En
quelques mois, d’autres purent l’imiter, bien qu’aucune d’elles n’aient joui
de la moindre reconnaissance internationale comparable à celle du brasseur.
Cela marqua le début d’une fièvre d’IPO (initial public offering, ou
introductions en Bourse) que connut le pays, soit plus de 8 milliards de
dollars de Hong Kong levés avant la fin de l’année 1993 637.
Qu’elle soit alimentée par des investissements étrangers, par des ventes
foncières et immobilières ou par des levées de capitaux sur des places
boursières, l’économie connut ainsi une expansion. Le pays tout entier
ressemblait à un vaste chantier, des échafaudages de bambou se dressant
dans toutes les grandes villes, sur de vastes parcelles creusées de tranchées
ouvertes au bulldozer. Un nouveau monde commençait à prendre forme au
milieu de l’ancien, des hôtels de luxe, des gratte-ciel et des immeubles de
bureau modernes se dressant à côté d’égouts à ciel ouvert, de routes
sillonnées d’ornières, et de bidonvilles.
Alors que l’argent se déversait sur la côte, les exportations de jouets, de
chaussures et de vêtements bon marché bondirent. Les sociétés étrangères
étaient aussi désireuses de pouvoir tirer parti d’une main-d’œuvre à bas
coût, sans être entravées par un droit du travail ou par des syndicats
encombrants. Des constructeurs automobiles – Ford, Volkswagen,
Peugeot – produisaient plus d’un million de véhicules, une augmentation de
50 % par rapport à 1991. D’autres se mirent à fabriquer pour le monde
extérieur, Nike exportant deux millions de baskets pour la seule
année 1992 638.
Grâce à toutes ces liquidités qui affluaient, les importations
augmentèrent fortement, qu’il s’agisse de chocolats de luxe, de pianos
électriques, de shampooing et de tampons hygiéniques, ou encore de
baignoires à remous. Pour les vendeurs étrangers, cela ressemblait à un rêve
devenu réalité, un marché gigantesque qui se réveillait enfin d’un profond
sommeil. Au cœur même de Shanghai, Huaihai Middle Road, l’ancienne
avenue Joffre, étincelait d’enseignes en néon, ses nouvelles galeries
marchandes offrant toutes les marques de créateur concevables. Avon attira
ainsi 18 000 « Avon ladies », localement, qui vendaient les cosmétiques de
la marque 639.
Les importations de matières premières, de l’aluminium, du cuivre, du
nickel, du cobalt, de l’acier et du bois de charpente jusqu’au ciment,
connurent aussi un essor. Inévitablement, les prix montèrent. Dans certaines
régions de la province du Sichuan, les prix du ciment augmentèrent de
200 yuans pour culminer à 900 yuans la tonne. Devant les portails d’une
cimenterie, une colonne de camions s’étirait sur 5 kilomètres. À Shenzhen,
certains promoteurs se fournissaient en acier et en ciment dans des
provinces du Nord à plus de 2 000 kilomètres de distance. À l’échelle
nationale, selon une estimation, le coût du ciment bondit de 40 % et celui de
l’acier jusqu’à 90 % 640.
En 1992, la croissance s’établissait à 12 %, mais l’inflation s’affichait
elle aussi à deux chiffres. En mai 1993, des comptables à Beijing
consignaient diligemment un taux de 19,5 % en rythme annuel, mais
certains clients affirmaient qu’en réalité il se rapprochait plus des 30 à
40 % 641.
Deux changements introduits à point nommé par le régime renforcèrent
cette tendance. Au printemps 1993, la plupart des vestiges de rationnement
alimentaire furent supprimés et les contrôles des prix sur le blé, la viande,
les œufs, l’huile de cuisson et d’autres articles progressivement levés,
autrement dit la population urbaine était obligée de les payer plus cher sur
le marché. Le système des prix fixes pour le charbon et d’autres matières
premières fut aussi annulé par étapes successives, même si l’État maintenait
son emprise sur la production et la distribution. Le double système de prix
appartenait enfin au passé, du moins en grande partie 642.
Les restrictions gouvernementales sur les centres de swap *3, qui avaient
longtemps servi de canal pour permettre aux entreprises d’État d’échanger
une partie de leurs devises étrangères qu’elles gagnaient en commerçant
entre elles, furent également levées, ce qui généra une demande encore
accrue de devises étrangères, conduisant à une nouvelle dépréciation du
yuan. La Chine pratiquait donc trois taux : un taux officiel fixé par la
banque centrale à 5,7 yuans pour un dollar ; un taux administré pour les
centres de swap qui se situait 25 % plus bas, réservé aux entreprises et aux
banques d’État ; et un troisième taux, celui du marché noir, le seul qui soit
déterminé par l’offre et la demande. L’espoir était qu’une expansion du
marché de swap entraîne une convergence des trois taux 643.
Il se produisit l’exact effet inverse. À la fin mai 1993, le dollar
s’échangeait à près de dix yuans tant sur le marché de swap qu’au marché
noir. Les protagonistes se rendirent compte qu’avec un yuan qui plongeait,
l’achat de devises étrangères constituait une meilleure protection contre
l’inflation que le taux très chiche servi à leur épargne par les banques
étatiques. Se livrant à une frénésie d’acquisitions qui rappelait celle de l’été
1988, certains consommateurs se tournèrent vers les achats de bijoux,
stockaient des appareils électroménagers ou s’achetaient des articles de
marque venus de l’étranger 644.
Les hausses de salaires ne faisant que devancer l’inflation, la plupart des
consommateurs urbains rechignaient, mais, sachant que leur niveau de vie
augmentait, ils n’en continuèrent pas moins leurs achats. Les laissés-pour-
compte étaient les 900 millions de villageois. Nouvel exemple de situation
déjà vue, l’argent destiné à payer les agriculteurs pour leurs produits fut
détourné vers des chantiers de construction. Dès octobre 1992, les courtiers
en céréales ne disposaient que de 17 % des 60 milliards de yuans (et même
davantage) requis pour exécuter les contrats de la récolte d’automne,
forçant les autorités locales à émettre de nouveau des billets à ordre. Pour
aggraver encore les choses, quand des villageois tentèrent d’encaisser des
mandats postaux envoyés à leurs familles par des travailleurs migrants, les
bureaux de poste locaux ne leur remirent que des reconnaissances de dette.
La banque centrale intervint en injectant davantage de prêts d’urgence dans
les campagnes. Un mois plus tôt, elle avait vainement interdit les
reconnaissances de dette avec une sévérité qui eut tout aussi peu d’effet un
an plus tard quand elle condamna une fois de plus le recours à cet
instrument 645.
Les villageois furent marginalisés sur d’autres plans, les termes de
l’échange commercial ne cessant de se dégrader, à un rythme de plus de
5 % par an. En effet, le coût des intrants augmentait alors que la valeur de
leurs produits chutait. Des revenus en hausse étaient ainsi effacés par
l’inflation, mais aussi par des impôts cachés, levés sans frein aucun par des
responsables officiels en quête de recettes censées financer les services
publics, alors que l’essentiel des liquidités allait directement dans leurs
poches. Après 1989, les exploitations rurales qui avaient alimenté la
croissance dans les campagnes au début des années 1980 fermaient par
millions, les ressources étant au contraire canalisées vers de plus grandes
entreprises, dans les villes 646.
Alors que le chômage dans les campagnes continuait de monter, un
nombre croissant de villageois rejoignaient une armée mouvante de
travailleurs migrants. Devant beaucoup de gares, dans les principales cités
de la côte, des milliers de gens aux vêtements élimés chargés de ballots et
de baluchons étaient assis par terre, sur de vastes esplanades en béton,
blottis ensemble par petits groupes, l’atmosphère pleine du vacarme de
leurs conversations. Certains brandissaient des pancartes annonçant leurs
compétences. C’étaient de nouveaux arrivants, attirés depuis les provinces
de l’intérieur par de nouvelles opportunités qu’offrait la croissance
économique. Nombre d’entre eux empruntaient la somme nécessaire pour
s’acheter un billet de train et se présentaient avec rien de plus que les
vêtements qu’ils avaient sur le dos. Ils étaient le carburant de l’expansion,
qui travaillaient sur des chantiers de construction pour 2 à 4 dollars par jour.
Ce n’étaient pas seulement ces rémunérations très basses qui les rendaient si
intéressants. Ils n’avaient pas le droit de se rassembler librement, et encore
moins le droit de grève. Ils n’avaient même pas celui de résider dans les
villes. Ils pouvaient être embauchés et licenciés à volonté, déplacés par
dizaines de milliers, leurs cahutes temporaires rasées en fonction des
besoins. Quant aux étrangers, ils étaient impressionnés de ne voir nulle part
ces bidonvilles qui envahissaient le paysage urbain de tant d’autres pays en
voie de développement.

*
* *
Yang Shangkun, chef de l’État et ardent soutien d’une réforme
économique élargie, avait accompagné Deng Xiaoping dans son périple
officiel au Sud. À Zhuhai, il avait salué de la main des centaines de badauds
qui avaient réagi en l’applaudissant avec enthousiasme. Au cours de la
dernière étape de ce voyage, il avait instamment prié les dirigeants locaux, à
Shanghai, de mener des démarches plus rapides et plus audacieuses afin de
transformer la ville en centre d’échanges commerciaux internationaux. Son
demi-frère, Yang Baibing, secrétaire général de la puissante Commission
militaire centrale, s’était joint à lui pour l’occasion 647.
En tant que commissaire politique de l’armée, trois ans plus tôt, Yang
Baibing avait purgé les rangs des officiers qui n’avaient pas exécuté les
ordres, en les remplaçant par ses propres alliés. Après cette tournée dans le
Sud, il proclama ouvertement son soutien à la vision du Guide suprême en
déclarant que l’armée protégerait le programme de réforme économique.
Cela suscita la consternation, car l’armée était censée se tenir à l’écart de la
politique. Quelques mois plus tard, il dépassa les bornes en convoquant une
série de réunions secrètes avec des officiers afin de discuter de certaines
dispositions relatives à la succession de Deng Xiaoping. Jiang Zemin se
précipita à la résidence du patriarche et exigea que Yang Baibing soit démis
de toutes ses fonctions pour s’être livré à des agissements politiques
factieux. Les deux frères furent limogés en septembre 1992 648.
Jiang Zemin sortit de cet incident en successeur incontesté du Guide
suprême, et en détenteur du pouvoir absolu. Quelques semaines plus tard,
2 000 délégués au Quatorzième Congrès du Parti remplirent les urnes du
Palais de l’Assemblée du peuple de leurs grandes feuilles rouges, et près de
la moitié des quelque 300 membres du Comité central furent remplacés. Au
terme de ce scrutin, bon nombre de détracteurs de la réforme économique
furent évincés. À la fin de cette grand-messe essentiellement protocolaire,
un Deng Xiaoping à l’allure frêle monta sur l’estrade, soutenu par sa fille.
Le patriarche posa pour quelques photos sous les applaudissements des
délégués. Ensuite, il se tourna vers Jiang Zemin, debout à ses côtés, et
prononça cette phrase d’adoubement : « Le congrès a été un grand
succès 649. »
D’autres changements s’enchaînèrent rapidement. La Commission
consultative du Parti communiste chinois, encombrée de vieux dirigeants
bougonnant contre la réforme économique, fut démantelée. Ainsi, son
président, le protecteur des partisans de la planification centrale, Chen Yun,
ne réapparaîtrait plus en public 650.
Jiang Zemin, cet ingénieur rondouillard aux lunettes cerclées qui lui
donnaient des airs de hibou, considéré par certains de ses collègues comme
un technocrate insipide, démontra tout son savoir-faire en usant de son
statut et de son prestige accru pour évincer plus d’un millier de chefs
militaires, le plus vaste remaniement de l’armée depuis 1949. Grâce à une
quantité de nouvelles nominations, il installa aussi ses alliés à tous les
échelons de l’appareil de la propagande et de la sécurité 651.
Nombre de ces nouvelles nominations concernaient des individus venus
de Shanghai, le nouveau fondement du pouvoir du secrétaire général. Il y
avait parmi eux Zhu Rongji, promu au Comité permanent. Après que Li
Peng eut fait une crise cardiaque en avril 1993, Zhu prit le contrôle de la
politique économique. Il se retrouva immédiatement sous une avalanche de
télégrammes de banques locales en position délicate, sur le point de faire
défaut sur leurs dépôts 652.
Jiang Zemin et Zhu Rongji réagirent aux conséquences de l’expansion
déclenchée par la visite officielle du patriarche dans le Sud avec un
programme de rigueur économique étrangement similaire aux mesures
d’austérité passées prises par des planificateurs étatiques plus
conservateurs, sous la férule de Chen Yun. En juin 1993, un scénario
familier se reproduisit : les chantiers d’infrastructure furent stoppés et les
financements réduits. Les prêts se tarirent aussi soudainement qu’ils avaient
commencé, en janvier 1992. Les banques reçurent instruction de compenser
des dizaines de milliards de yuans en prêts étatiques qui avaient été dirigés
vers des investissements non autorisés. Pour s’assurer d’être obéi, Zhu
Rongji révoqua Li Guixian, le directeur de la Banque populaire de Chine, et
prit son poste 653.
Plus d’un millier de zones de développement furent fermées et un tiers
des prêts frauduleux récupérés. Privée d’un flux régulier d’argent, la
production fut quasiment mise à l’arrêt dans les usines du bassin industriel
et dans certaines parties du littoral manufacturier. Le fléau de la dette
triangulaire ressurgissait de plus belle. Quelques entreprises d’État eurent
du mal à payer leurs employés. Même dans la province relativement riche
du Jiangsu, 200 000 travailleurs perdirent leur emploi 654. Comparées avec le
programme de rigueur lancé en septembre 1988, ces mesures d’austérité
budgétaire rencontrèrent aussi une bien plus forte résistance de la part des
gouvernements locaux et des entreprises d’État. Zhu Rongji se plaignait de
ce que les « équipes de rectification » envoyées dans une vingtaine de
provinces et de villes aient été ouvertement accueillies par des actions de
« sabotage ». Le Guangdong, s’avéra-t-il notamment, ne retourna qu’un
maigre 40 % de tous les fonds que la périphérie devait à la banque
centrale 655.
À l’inverse de ses prédécesseurs, Zhu devait accepter un compromis en
adoucissant ses mesures d’austérité, en prolongeant le délai de
recouvrement des créances douteuses et en faisant encore plus marcher la
planche à billets. Devant les caméras, il prenait un air résolu, mais sur le
terrain il se montrait faible. Au fond, il était confronté à un dilemme qui
hanterait le régime pendant les vingt années à venir. Lors de sa visite dans
le Sud, Deng Xiaoping avait laissé entendre que des outils capitalistes
seraient entre de bonnes mains socialistes. Pourtant, sa vision de la réforme
comportait une contradiction qui trahissait son ignorance des lois
fondamentales de l’économie. Dans un système basé sur la séparation des
pouvoirs, une banque centrale disposait d’outils financiers puissants, en
l’occurrence les taux d’intérêt et le ratio des prêts sur dépôts des banques,
tandis que dans un système socialiste ces dernières appartenaient à l’État. À
partir de 1979, à la suite des vagues successives de décentralisation, les
établissements bancaires locaux ne réagissaient plus ni au marché ni au
plan : ils appliquaient les ordres du secrétaire local du parti. Malgré
d’incessantes injonctions des autorités centrales, il n’existait ni discipline de
marché ni discipline de parti. Comme le régime n’avait aucune intention
d’abandonner son emprise sur les moyens de production, y compris le
capital, il n’y avait qu’une seule solution : reprendre de force leur pouvoir
aux fiefs locaux et imposer la discipline d’en haut. Il fallait donc un homme
fort, désireux de purger, de tailler dans le vif, de sanctionner à une échelle
assez vaste pour mettre à genoux tous les satrapes locaux. Ainsi qu’un
banquier local résuma la chose : « Ce dont ce pays a besoin, c’est d’un Mao
éclairé 656. » Or, un tel personnage ne ferait pas son apparition avant
plusieurs décennies. Jiang Zemin n’avait ni la volonté ni les capacités de
remplir ce rôle.
L’un des moyens de remettre brutalement les régions dans le rang
consistait à leur imposer de verser davantage de recettes fiscales au Trésor.
Dans le cadre du système de contrat, la part exacte des prélèvements
d’impôts était négociée entre le gouvernement local et les autorités
centrales, et le ratio baissait constamment. Le 1er janvier 1994, après l’échec
du plan d’austérité, Zhu Rongji préféra réviser le dispositif fiscal, en
séparant les impôts nationaux des services fiscaux locaux. Il introduisit
aussi des barèmes standardisés, privant ainsi les gouvernements locaux de
leurs pouvoirs discrétionnaires et centralisant encore davantage la collecte
de l’impôt.
Concernant les provinces, la pilule qu’il leur fallait avaler avait un goût
amer. Pour refréner toute résistance généralisée, Zhu Rongji dut se résoudre
à plusieurs concessions, notamment d’importants dégrèvements d’impôts
sur trois ans afin de s’assurer que les revenus locaux ne chutent pas au-
dessous du niveau atteint en 1993. Par conséquent, pendant plusieurs
années de suite, la part centrale du gâteau fiscal continua de baisser.
Toutefois, au total, la collecte de l’impôt s’améliora. Les gouvernements
locaux affichèrent un zèle renouvelé dans la collecte des recettes les plus
importantes possible car cela augmentait l’assiette des revenus fiscaux
qu’elles retenaient et le volume des dégrèvements que les autorités centrales
s’engageaient à débourser en leur faveur 657.
Très exactement le jour même de l’instauration du nouveau système
fiscal, le taux de marché des swaps entre entreprises et le taux de change
officiel furent fusionnés à 8,70 yuans pour un dollar, ce qui représentait une
chute de 33 % de la valeur officielle de la monnaie 658. Comme le
remaniement des régimes fiscaux, l’orientation de la monnaie vers une plus
grande convertibilité s’inscrivait dans le cadre d’un plus ample effort : pour
en devenir membre, il fallait en effet que le pays satisfasse aux critères du
GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, ou Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce), l’organe précurseur de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC). En application des règles du GATT, ses
membres ne pouvaient exercer de discrimination entre leurs partenaires
commerciaux et, de ce fait, l’accession à l’organisation équivalait à
l’obtention à titre permanent d’une clause de la nation la plus favorisée vis-
à-vis de toute une série de pays aux marchés potentiellement immenses.
L’une des conditions préalables à l’entrée au GATT supposait que
l’ensemble des membres appliquent un régime commercial identique
respectant plusieurs critères, notamment la convertibilité de la monnaie,
l’accès au marché, un système juridique transparent, la protection de la
propriété intellectuelle et la suppression des barrières non commerciales.
Comme la République populaire adhérait à un système socialiste de
propriété publique des moyens de production et de monopole du pouvoir –
des outils capitalistes entre des mains socialistes, ainsi que l’avait formulé
Deng Xiaoping –, l’adoption de ces règles de concurrence équitable ne fut
jamais évoquée. Néanmoins, les réformes fiscales et monétaires de Zhu
Rongji eurent l’effet souhaité en créant l’impression que le régime
démantelait systématiquement son économie planifiée et s’orientait vers
l’économie de marché. Le terme de « transition », presque jamais employé
avant 1993, devint très apprécié des experts internationaux. Ainsi que
l’expliqua l’un des principaux conseillers de Bill Clinton, la Chine était
dans une phase de transition, passant d’une économie planifiée à une
économie de marché, ce qui signifiait que son entrée au GATT était
« hautement souhaitable ». Il valait mieux avoir la Chine à l’intérieur du
système du commerce mondial qu’à l’extérieur, exposa Peter Sutherland, le
directeur général du GATT, qui tenait vivement à y intégrer le pays pendant
son mandat. Surtout, les entreprises étrangères entrevoyaient là un marché
gigantesque et inexploité sur le point de s’ouvrir, avec d’immenses profits
futurs en perspective. Ils en voulaient donc davantage, et non moins 659.
L’un des effets de l’abaissement de la valeur du yuan à un niveau plus
en rapport avec la demande fut de transformer un déficit du commerce
extérieur qui s’élevait, en 1993, à 12,2 milliards de dollars en un excédent
de 5,4 milliards de dollars en 1994. Toutefois, du fait de l’afflux de
30,5 milliards de dollars de capitaux extérieurs, ce qui créa un surplus de
devises étrangères, le yuan entama sa revalorisation sur le marché noir, en
retombant de 8,70 à 8,44 contre un dollar. Pour la première fois, la Banque
populaire de Chine intervint en vue d’empêcher une nouvelle hausse de la
monnaie, en retirant des devises étrangères en circulation. Cette décision
marqua un tournant dans l’histoire fiscale de la Chine, les réserves en
devises étrangères se mirent à augmenter, s’élevant à 77,9 milliards en
janvier 1996. Cet afflux de devises étrangères continuerait au cours des
vingt années suivantes, pour atteindre plusieurs trillions en 2015 660.
Les réformes fiscale et bancaire paraissaient prometteuses sur le papier,
mais elles furent immédiatement reléguées au second plan, car l’inflation
les détrôna de leur rang de principale priorité du régime. Pour empêcher le
yuan de prendre de la valeur, il fallait relancer la planche à billets afin
d’absorber les dollars circulant sur le marché. Au premier trimestre de
1995, le volume de monnaie en circulation s’élevait à 727 milliards de
yuans, une augmentation de 24,4 % par rapport à la même période l’année
précédente 661. Alors que l’on imprimait des planches de billets de banque à
tout-va, l’inflation repartit à la hausse, atteignant 24 % en juillet 1994, plus
du double de l’objectif officiel, les cadres du Bureau des statistiques situant
plutôt ce chiffre entre 25 et 30 % 662.
Comme un afflux régulier de yuans était aussi essentiel pour maintenir
des milliers d’entreprises d’État à flot, le resserrement du crédit demeurait
une mission politiquement périlleuse. Zhu Rongji rencontra aussi de la
résistance quand il tenta d’imposer un taux de développement plus faible
dans les régions en pleine expansion le long de la côte et dans l’intérieur
des terres, le long du Yangtsé. Le grand ordonnateur de l’économie, aux
côtés de Li Peng, prononça de nombreux discours passés plus ou moins
inaperçus, remplis d’appels aux régions à respecter les « exigences de la
situation d’ensemble ». Les ordres transmis aux provinces industrialisées de
consacrer davantage de terres à la culture du riz et du blé afin de réduire les
prix des denrées alimentaires reçurent aussi un accueil assez tiède. Le
plafonnement des prix était de retour dans une indifférence presque
générale, sauf du côté des magasins d’État qui vendaient des articles que
peu de gens avaient envie d’acheter 663.
En juin 1995, deux ans après avoir pris les commandes de la banque
centrale, Zhu Rongji quitta cette fonction tout en restant vice-Premier
ministre. Il avait réussi à ralentir l’inflation, descendue de 24 % à moins de
20 %. C’était une performance louable mais atteinte aux dépens de la
réforme fiscale et bancaire et qui laissait une dette triangulaire endémique et
un système bancaire lesté de créances douteuses. La masse monétaire avait
continué de croître de plus de 20 % en rythme annuel. Des projets de
création d’un nouveau secteur bancaire commercial furent remisés. Au lieu
de progresser vers davantage d’indépendance, la banque centrale était
devenue la juridiction personnelle du vice-Premier ministre. Zhu Rongji
transmit le poste de gouverneur de l’institution à Dai Xianglong, son
protégé 664.
La réforme des entreprises d’État fut aussi gelée. En 1994, les pertes du
secteur étatique s’élevaient à 4,8 milliards de yuans par mois. Environ 70 %
des usines du pays étaient incapables de payer leurs employés de façon
régulière 665. Les billets à ordre servaient non seulement de garantie au
salaire de base, mais aussi aux versements des couvertures santé et des
heures supplémentaires. Des employés d’entreprises moribondes étaient
parfois renvoyés chez eux avec un salaire réduit ou rémunérés de leur
travail avec des produits invendus. Cette dérive, combinée à une inflation à
deux chiffres, eut pour résultat d’aggraver la pauvreté urbaine à une échelle
encore inconnue, et ce, pendant plus d’une décennie. Par exemple, une
employée à temps plein au siège central d’une manufacture de tricot à
Beijing gagnait 300 yuans par mois, soit le double du seuil de pauvreté,
mais elle arrivait à peine à joindre les deux bouts, ayant du mal à s’acheter
des produits essentiels comme le mazout, l’huile et le sel 666.
La situation à l’extérieur de la capitale était beaucoup plus grave.
L’agitation dans les usines était omniprésente, avec plus de 10 000 incidents
enregistrés par les autorités en 1994, qu’il s’agisse de sit-in ou de
manifestations publiques. Dans la ville houillère de Jixi, province
d’Heilongjiang, des dizaines de milliers de travailleurs se mirent en grève à
plusieurs reprises. Beijing redoutait l’aggravation des troubles. Aux
premiers mois de 1995, les appels gouvernementaux à restructurer les
entreprises d’État se turent face à la nécessité d’insister sur la stabilité
sociale 667.

*
* *
La lutte contre la corruption était l’un des outils cruciaux grâce
auxquels le pouvoir central imposait sa volonté. Comme les États à parti
unique n’avaient pas de système judiciaire indépendant ou de presse libre
alimentée par des journalistes enclins à traquer le moindre soupçon de
fraude, cette corruption était la norme. Le président Mao avait lancé la
première campagne contre ces malversations à l’intérieur des rangs du parti
deux ans à peine après la Libération, des escouades spécialisées
pourchassant ceux que l’on appelait les « tigres », c’est-à-dire les
responsables du parti qui avaient détourné de grosses sommes, à l’inverse
d’autres suspects plus ordinaires que l’on appelait simplement les
« mouches ». Des campagnes similaires se déroulèrent avec une régularité
saisissante, de la « campagne des Trois-anti » en 1951 et de la « Campagne
d’Éducation socialiste » de 1963 à la campagne « Une Attaque et Trois-
anti » de 1971, entre autres. Elles présentaient deux avantages. Comme tous
les membres du parti étaient corrompus, d’une manière ou d’une autre, elles
fournissaient un prétexte commode à des purges politiques. Elles étaient
aussi généralement bien perçues par la population au sens large, soit que les
gens croient sincèrement que le régime mettait de l’ordre dans ses affaires,
soit qu’ils retirent simplement une certaine satisfaction devant le spectacle
de membres du parti qui s’entre-déchiraient.
Sous Deng Xiaoping, des vagues de répression anticorruption avaient
ponctué le paysage politique tous les deux ou trois ans. Pourtant, à mesure
que l’État central octroyait davantage de pouvoir aux gouvernements locaux
dans une tentative de stimuler l’économie, les occasions corruptrices se
multipliaient. Des villages, des villes, des métropoles, des comtés et des
provinces entières se faisaient plus protecteurs de leurs économies, en
érigeant des barrières pour empêcher la concurrence. Ils se muaient en fiefs,
ou en « royaume indépendants », dans le sabir du Parti communiste, dirigés
par des hommes forts sur le plan local ou par des groupes étroitement
organisés de partenaires de confiance.
Du haut en bas de l’échelle, des responsables du parti exploitaient leur
position pour s’accorder le droit de commercer, que ce soit du capital, des
matières premières, de l’énergie, de la terre ou des biens immobiliers. La
corruption sévissait partout, qu’il s’agisse de distribuer une parcelle de
terrain plus productive à un fermier en échange d’un cadeau, du partage de
la manne générée par l’aménagement d’une galerie commerciale ou de
revendre un lopin de terre loué à l’État pour une bouchée de pain. Cet afflux
d’argent générait un surcroît de corruption, mais surtout, en l’absence d’un
véritable marché de capitaux, une demande de liquidités aussi forte créait
des opportunités infinies pour les représentants de l’État, qui contrôlaient
les prêts accordés par les banques.
Plus vous occupiez un poste élevé, plus vous aviez d’opportunités de
vous servir au passage. Pendant le mouvement pour la démocratie, des
étudiants avaient pris pour cible les fils et les filles des dirigeants les plus
puissants, les considérant comme des symboles du népotisme engendré par
un système qui concentrait tout le pouvoir entre les mains d’un seul parti.
En janvier 1989, le fils aîné de Deng Xiaoping avait été forcé de se retirer
d’une entreprise de négoce après la révélation qu’il avait amassé d’énormes
commissions sur des biens importés. Pourtant, après le Quatre Juin, ses
autres enfants, tout comme la progéniture de la plupart des dirigeants,
continuèrent de conclure des accords commerciaux et des partenariats
lucratifs. Le fils cadet de Deng occupait la présidence d’une succursale de
Hong Kong de la puissante Capital Iron and Steel Corporation (ou
Shougang Group). Sa fille cadette était la dirigeante en vue d’une société
immobilière basée à Shenzhen 668. La famille du Guide suprême était loin de
constituer une exception. Selon une estimation, en 1993, les membres des
familles de 1 700 dirigeants du parti contrôlaient les 3 100 emplois les plus
importants du pays. Et 900 autres membres de leurs familles dirigeaient les
principales sociétés commerciales du pays. Ainsi que le confia Li Rui dans
son journal, la propriété publique était leur propriété 669.
Le 25 février 1995, une dizaine d’intellectuels influents soumettaient
une pétition à l’Assemblée nationale populaire exigeant une enquête
indépendante sur la corruption dans les rangs des cercles dirigeants. La
corruption, « sous la forme de l’échange de pouvoir contre de l’argent »,
expliquait le document, était la principale calamité à la source du
ressentiment de l’opinion publique. C’était là une initiative audacieuse, car
les signataires de cette pétition considéraient l’instauration d’une
démocratie constitutionnelle dotée de branches législative et judiciaire
indépendantes comme la seule solution permanente. Il y avait parmi les
signataires Wang Ruoshui, rédacteur en chef adjoint du Quotidien du
Peuple, qui avait été révoqué en 1983 pour avoir publié un éditorial sur
l’humanisme. Liu Xiaobo, cet écrivain et auteur de critiques tranchantes
d’un régime qui piétinait les libertés publiques, en était un autre. Depuis le
massacre de Tian’anmen, on avait rarement entendu un groupe composé de
personnalités aussi remarquables se prononcer publiquement de la sorte. La
nécessité de cette protestation leur fut dictée par la mise en détention de
Wei Jingsheng, auteur de la Cinquième Modernisation, qui venait à peine
d’être libéré au cours de sa quinzième année de détention et qui avait
rencontré John Shattuck, sous-secrétaire d’État de Bill Clinton, chargé de la
défense de la démocratie, des droits de l’homme et du travail au
département d’État 670.
Comme tant d’autres, cette pétition aurait normalement dû finir à la
corbeille. Or, le moment était heureusement choisi puisqu’elle intervenait
cinq jours après que Zhou Guanwu, le puissant président de la Capital Iron
and Steel Corporation, eut été mis en état d’arrestation avec son fils, qui
dirigeait la succursale du groupe à Hong Kong, lui-même extrait de sa
Mercedes-Benz conduite par un chauffeur. En dépit d’années de liens étroits
avec les intérêts financiers de la famille de Deng Xiaoping, ces arrestations
lançaient un avertissement aux investisseurs étrangers autant qu’aux
responsables du parti. Le Guide suprême était déclinant et l’on venait de
tirer la première salve de la bataille pour hériter de son sceptre. Quant à
l’indice de la Bourse de Hong Kong, il chuta de 4,8 % 671.
Le 4 avril, par une lumineuse journée de printemps, le vice-maire de
Beijing, Wang Baosen, laissa son véhicule à son chauffeur non loin d’une
zone boisée au nord-ouest de la capitale, monta au sommet d’une colline
pour fumer une dernière cigarette, puis se tira une balle dans la tête, premier
épilogue de l’un des scandales les plus sensationnels qui ait frappé le pays
depuis des décennies. Wang devait être interrogé par des enquêteurs de la
Commission centrale de contrôle de la discipline (CCCD), le gendarme du
parti. Quelques mois plus tard, ils achevèrent leur rapport, l’accusant
d’avoir mené une « vie dépravée » notamment en « recherchant le plaisir »
dans des villas et des suites d’hôtel luxueuses. En tant que principal
responsable de la commission de planification urbaine de la capitale, il avait
pu profiter d’amples opportunités de siphonner des millions de yuans. Il
s’était réservé pour lui-même une villa construite dans le cadre d’un
luxueux programme, une maison jaune pâle à l’escalier majestueux
conduisant à une entrée flanquée de colonnes de marbre blanc. La moitié
des sommes qu’il s’était procurées en dessous-de-table s’était évaporée
dans des entreprises financières hasardeuses qui avaient mal tourné. Il avait
partagé l’autre moitié avec son frère cadet, sa maîtresse et ses associés en
affaires 672.
Il s’avéra que l’un d’eux n’était autre que Chen Xitong, le secrétaire du
parti pour la capitale. En l’espace de quelques semaines, ce dernier fut
contraint de remettre sa démission. Une enquête ultérieure révéla qu’il avait
aidé son subalterne à détourner plus de 220 millions de yuans de fonds
publics de la ville vers un programme d’investissement à Hong Kong. Il
avait lui aussi mené un « style de vie dissolue » en acquérant plusieurs
villas de luxe où il donnait de somptueuses soirées et recevait ses
maîtresses. Wang fut exclu du parti à titre posthume et Chen condamné à
seize ans de prison. Des équipes de travail arrêtèrent des dizaines d’autres
responsables dans la capitale, en les encourageant à se dénoncer les uns les
autres afin d’avoir la vie sauve. Plusieurs d’entre eux furent exécutés,
d’autres révoqués ou punis 673.
Jiang Zemin avait frappé avec une audace décisive, en usant de cette
campagne contre la corruption pour consolider son propre statut et saper
l’influence de ses rivaux. Il venait d’inscrire un tigre de belle taille à son
tableau de chasse et il envoyait un coup de semonce aux autres. À Guizhou,
une province pauvre du Sud-Est, le principal responsable du parti fut
renvoyé, son épouse exécutée. Li Peng, envoyé à Moscou en mai pour une
visite d’État, semblait encore plus lugubre que d’habitude 674.
Quelques mois plus tard, lors d’un conclave pendant le congrès du parti,
le nouveau timonier renversa la devise du Guide suprême sur l’importance
de l’économie. Au lieu de « plus de débats économiques, moins de débats
politiques », il invoqua avec sévérité la nécessité de « mettre l’accent sur la
politique ». « Le travail politique est le principe vital de tout travail
économique », proclama-t-il. Le discours d’ouverture de Jiang Zemin était
intitulé « Sur le maniement correct des douze relations majeures », une
référence directe au texte du président Mao, « Sur les dix relations
majeures ». Il se faisait passer pour le nouveau philosophe roi, un
visionnaire qui avait réussi la synthèse de la réforme économique avec
l’orthodoxie marxiste. Le message était sans équivoque : l’État devait
contrôler le marché, alors que tout ce qui se situait hors de son périmètre
devait purement et simplement servir l’économie socialiste. Le boom
économique était terminé, la réforme différée. La planification centralisée
était de nouveau en vogue 675.
Le plénum assura la suprématie du secrétaire général et plusieurs de ses
protégés furent promus à des postes clefs. Comme la plupart d’entre eux
étaient originaires de Shanghai, le peuple les surnomma la Faction de
Shanghai. L’un de ses membres était un jeune théoricien politique de
l’université Fudan qui avait compté parmi les opposants les plus déclarés au
mouvement de la démocratie de 1989 676. Personnage cérébral, réservé, au
visage impénétrable derrière des lunettes cerclées, il s’était acquis une
certaine réputation quelques années plus tard avec une publication intitulée
« L’Amérique contre l’Amérique ». Dans le droit fil d’une tradition
marxiste bien établie, le livre annonçait la fin imminente du capitalisme.
Wang Huning, désormais à la tête de la Division des Affaires politiques à
quarante ans à peine, avait endossé la responsabilité de rédiger les slogans
qui sous-tendaient le discours de Jiang Zemin 677. Il deviendrait le principal
théoricien du parti, le cerveau derrière la bannière idéologique de chacun
des dirigeants successifs du pays. C’était le nouveau Deng Liqun, qui
reprenait le flambeau là où l’idéologue doctrinaire qui avait consacré sa vie
à vitupérer contre le capitalisme l’avait laissé.

*
* *
À moins de 10 kilomètres de la côte de Fujian, une île forteresse de
rochers et de fer se dresse au-dessus de la mer. Comme Matsu au nord,
Quemoy est une île au large des côtes qui appartient à Taïwan. Durant des
décennies, les deux îles constituaient la ligne de front dans le détroit de
Taïwan, renforcées par des bunkers, des fortins, des casemates, des nids de
mitrailleuses et des milliers de soldats. En 1954, puis de nouveau en 1958,
des unités d’artillerie de Chine continentale ont pilonné ces îles, pour tenter
d’en déloger les unités déployées à partir de Taïwan, plus de 150 kilomètres
à l’est. Rien que pour la journée du 23 août 1958, pendant la Deuxième
crise du détroit de Taïwan, des dizaines de milliers d’obus furent tirés,
incitant l’administration Eisenhower à renforcer la 7e flotte américaine en
mer de Chine du Sud. De violents tirs d’artillerie alternaient avec des appels
patriotiques à la réunification. Ces manœuvres ne réussirent pas non plus à
convaincre l’« île renégate ».
Le ton changea après que Taipei eut perdu le siège de la Chine aux
Nations unies au profit de Beijing, en 1971, et quand les États-Unis
s’orientèrent vers un rapprochement avec la République populaire. En 1974,
dans le cadre de commentaires devant des visiteurs étrangers, Deng
Xiaoping refusa froidement d’exclure le droit d’employer la force pour
récupérer Taïwan, alors qu’il voulait bien accorder plus ample réflexion à
une réunification pacifique. Il mentionna le Tibet en exemple de
l’intégration progressive qui suivrait après que Taïwan aurait été
complètement libérée. Il avertit aussi Taipei contre toute tentation de
déclarer son indépendance. Il réitéra sa menace en 1982, alors même qu’il
faisait miroiter l’idée d’« un pays, deux systèmes » comme étant la solution
qui conduirait à ramener l’île dans le giron de la mère patrie. En 1985, le
secrétaire général Hu Yaobang envisageait ouvertement une intervention
militaire après que les Quatre Modernisations eurent engendré une armée
plus puissante, non sans relever que les États-Unis constituaient le principal
obstacle à l’unification de la mère patrie 678.
La confrontation et l’impasse continuèrent, tandis que Taïwan avançait
à pas réguliers vers la démocratie. Un parti d’opposition, le Parti démocrate
progressiste, fit son apparition en 1986. La loi martiale fut abrogée, les
restrictions sur les voyages supprimées et une presse libre tolérée. Alors
même que l’État conservait officiellement le contrôle de la télévision
pendant quelques années de plus, les autorités fermèrent les yeux sur un
réseau câblé très étendu, quoique illégal, qui incluait une « chaîne de la
démocratie 679 ». Le commerce dans le détroit de Taïwan connut un essor
florissant. À Quemoy, au lieu d’éclats d’obus, c’étaient maintenant du
poisson et de la viande qui arrivaient de Chine continentale. Et, en 1993,
des touristes venaient de Taïwan, car les craintes d’invasion s’effaçaient. Au
lieu de marteler des messages de propagande, de l’autre côté du détroit,
c’étaient les ballades d’amour de Teresa Teng qui retentissaient dans les
haut-parleurs de Quemoy 680.
Le peuple de Taïwan n’était pas seulement plus libre, mais aussi plus
fortuné que jamais. En 1992, son revenu moyen était plus élevé que ceux
des Espagnols et des Grecs, et plus encore que ceux des Polonais ou des
Tchèques. Les investissements internationaux affluaient, faisant de l’île la
treizième nation marchande du monde, suivie de peu par la Chine
continentale. Des autoroutes, des voies ferrées, des métros, des réseaux
d’égouts, toutes ces infrastructures si gravement négligées par les
nationalistes commencèrent à attirer de forts volumes de fonds. Certains de
ces fonds allèrent aussi à la modernisation de l’armée, notamment avec
l’acquisition d’avions de chasse, de frégates et de missiles antiaériens
acquis auprès de la France et des États-Unis 681.
Or, Jiang Zemin n’avait rien de nouveau à offrir. Comme son
prédécesseur, il affirmait avec une insistance rigide une complète
souveraineté sur l’île rebelle : « Une nation, un État, un gouvernement
central. » Et, comme son prédécesseur, il n’écartait pas le recours à la force
militaire, en faisant alterner l’intimidation verbale et les bruits de sabre avec
des messages mielleux pleins de bonne volonté et des appels au
patriotisme 682. Ce n’était guère subtil. Comme beaucoup d’autres membres
du parti très engagés, Jiang Zemin était pressé : le socialisme était
synonyme d’unification, et ils voulaient tous en être témoin de leur vivant.
En mai 1994, le président Lee Teng-hui demanda l’autorisation de rester
une nuit à Hawaï, car son avion devait se ravitailler en carburant sur la route
du retour après une visite en Amérique centrale. C’était la première visite
d’un président de la République de Chine depuis que les États-Unis avaient
coupé toutes relations diplomatiques en 1979 et préféré reconnaître la
République populaire. Terrorisée des conséquences si l’on permettait au
chef d’État élu d’une nouvelle démocratie exubérante de poser le pied sur le
sol américain, l’administration Clinton autorisa l’appareil du président Lee
à rester deux petites heures sur le tarmac, non sans l’obliger à rester à bord.
Le Congrès protesta. Le président Bill Clinton céda à ces pressions et, un an
plus tard, il permit à Lee de prendre la parole à son université d’origine,
Cornell, pourvu que l’événement soit traité comme une visite privée. Jiang
Zemin était hors de lui et menaça les États-Unis, qui en « paieraient le
prix 683 ».
Le 9 juin 1995, de son pupitre à l’université Cornell, Lee appela les
États-Unis à libérer son pays de l’isolement diplomatique. « Nous sommes
là et nous y resterons », déclara-t-il sur un ton de défi. Sa visite de quatre
jours eut un succès retentissant. Il déposa une demande de livraison de
pièces détachées d’avions pour un montant de 192 millions de dollars,
rendant fou de rage Jiang Zemin, qui accusa les États-Unis de comploter
pour scinder la Chine en deux 684.
Six missiles guidés furent tirés au large des côtes de Taïwan en juillet,
suivis d’une seconde salve en août. Un autre avertissement survint en
novembre, lorsque plusieurs milliers de soldats prirent une plage d’assaut,
appuyés par un déploiement de chasseurs à réaction, de destroyers, de sous-
marins et de barges de débarquement. Le site ciblé se situait à Fujian, non
loin de Quemoy et de Matzu, mais le message était assez clair. Un Jiang
Zemin fasciné et admiratif observa les opérations depuis un bâtiment de
commandement. À la fin de l’exercice militaire, il félicita les troupes.
« Bonjour, camarades ! s’exclama-t-il, rayonnant. Vous avez manifestement
travaillé dur 685 ! »
D’autres missiles furent tirés en mars 1996. Six ans plus tôt, des milliers
d’étudiants avaient manifesté en faveur d’élections au suffrage direct, et
occupé Memorial Square (plus tard rebaptisée Liberty Square) au centre de
la capitale, Taipei. Des orateurs coiffés de bandeaux en signe de
protestation prononcèrent des discours en faveur de la démocratie.
Quelques manifestants profanèrent le monument à Chiang Kaï-shek en y
bombant des slogans. Certains entamèrent une grève de la faim. Lee Teng-
hui, seul candidat élu du Parti nationaliste par 641 grands électeurs
membres de l’Assemblée nationale, accueillit une délégation d’étudiants au
palais présidentiel de Taipei et promit des élections au suffrage universel. Il
tint parole, puisque le 23 mars 1996 les électeurs se rendirent pour la
première fois aux urnes afin d’élire leur président. Jiang Zemin, redoutant
que la démocratie ne conduise l’île sur la voie de l’indépendance, veilla à ce
que les obus tirés retombent à l’intérieur des eaux territoriales, à moins de
50 kilomètres du littoral. Sa stratégie de l’intimidation se retourna
nettement contre lui. Le jour de l’élection, des électeurs mécontents
renforcèrent la majorité de Lee au Parlement, avec une marge
confortable 686.
La troisième crise du détroit de Taïwan incita le président Clinton à
envoyer deux porte-avions dans les eaux internationales, tout près de l’île.
Après leur reconnaissance de la République populaire de Chine en 1979, les
États-Unis avaient abrogé leur traité de défense mutuelle avec la
République de Chine, mais avaient voté à la place un « Taiwan Relations
Act », fixant ainsi les clauses d’une relation non diplomatique et néanmoins
non négligeable. Cette loi fut conçue à la fois pour dissuader Taipei de
déclarer son indépendance et pour décourager Beijing d’annexer
unilatéralement l’île. Des diplomates qualifièrent cette méthode
d’« ambiguïté stratégique ». L’objectif de cette politique était de gagner du
temps. Washington espérait que la Chine modérerait progressivement ses
positions et rendrait la réunification plus acceptable pour la population de
Taïwan. Cela se révéla un faux espoir. Ainsi que les dirigeants de Beijing
l’avaient signifié à maintes reprises, la libération de la « province renégate »
n’était qu’une question de tonnage et de temps.
Beijing n’était pas moins cohérent s’agissant des îles Paracels et
Spratly, deux archipels disputés, composés de plusieurs centaines d’îlots
coralliens, de bancs de sable et de récifs en mer de Chine du Sud. Situés au
milieu de voies maritimes stratégiques, au large des côtes de la Chine, du
Vietnam, des Philippines et de Malaisie, ils avaient été occupés par les
Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, toutes
sortes de revendications complexes s’enchevêtrèrent, mais en tout état de
cause la Chine et Taïwan firent l’une et l’autre valoir leurs droits sur les îles
en des termes sans équivoque. En 1972, à la suite des visites de Nixon et
Kissinger en Chine, Beijing sonda Washington en protestant contre
l’intrusion de navires américains dans les eaux des îles Paracels. Henry
Kissinger ne contesta pas leurs affirmations et donna instruction aux
bâtiments et aux avions de maintenir une distance d’au moins 12 milles
nautiques. Il envoya aussi l’ambassadeur Winston Lord calmer les esprits
après cet incident, en lui demandant de réaffirmer à son homologue à
Beijing qu’il n’y avait « aucune politique en laquelle il croyait davantage
que celle d’une amélioration des relations avec la République populaire de
Chine 687 ».
Un an plus tard, après que les accords de paix de Paris eurent
véritablement évincé les États-Unis du Vietnam, Saigon réduisit la présence
de ses troupes sur les îles que le pays détenait dans l’archipel des Paracels.
Les États-Unis allégèrent aussi la présence de la 7e flotte en mer de Chine
du Sud. La lutte entre le Nord et le Sud du Vietnam reprit presque
immédiatement. Beijing usa de cette opportunité pour s’emparer de la
totalité de l’archipel, envoyant sur place quatre navires de guerre, deux
bâtiments de lutte anti-sous-marine, des avions ainsi que des unités
amphibies du Hainan. La demande d’assistance de la 7e flotte formulée par
Saigon demeura lettre morte 688. La Chine avait employé le tonnage
approprié au moment approprié.
Les îles Spratly étaient plus loin au large que les Paracels, et pourtant là
aussi l’activité diplomatique et militaire ne cessa pas. En février 1992,
Beijing franchit une étape supplémentaire en adoptant une législation
revendiquant une complète souveraineté sur la mer de Chine du Sud,
jusqu’aux rivages du Sarawak. Le moment était bien choisi. La plupart des
observateurs, en Asie du Sud-Est et au-delà, eurent du mal à prendre cette
revendication au sérieux : au lendemain de la tournée de Deng Xiaoping
dans le Sud, ils étaient surtout occupés à se ménager un accès à l’immense
marché intérieur du pays. Mais trois ans plus tard, des pêcheurs philippins
découvrirent que la marine chinoise avait construit des bunkers fortifiés sur
le récif Mischief, une île située à moins de 200 kilomètres à l’ouest des
Philippines, mais à plus d’un millier de kilomètres de la Chine continentale.
Quand Manille envoya un navire avec des journalistes à bord afin
d’observer sur place l’occupation du récif, Beijing qualifia cette excursion
de « grave intrusion dans la souveraineté de la Chine ». Alors même que
des missiles traçaient leur orbe au-dessus du détroit de Taïwan, Qian
Qichen, ministre des Affaires étrangères aux manières onctueuses,
multipliaient les allers et retours en Asie du Sud-Est, en affirmant que son
pays n’avait qu’un désir : un environnement international pacifique. C’était
une politique d’« ambiguïté calculée », selon la formule de Robert
A. Manning, analyste des questions de sécurité 689. Cela consistait à
proclamer une chose, puis à faire l’inverse, sans vergogne aucune, une
méthode qui n’était pas éloignée de la doublepensée et de la novlangue
inventées par George Orwell.

*
* *
Sur les rives sud du Yangtsé, à quelques heures de Shanghai,
Zhangjiagang accueillait les voyageurs avec une grande banderole barrant
toute la rue : « Bienvenue à Zhangjiagang, la ville la plus hygiénique de
Chine. » Cette cité portuaire prospère était une vision de l’avenir, tracé avec
une précision géométrique. Ses immeubles immaculés, entourés d’arbustes
et d’azalées rouges, se dressaient en retrait d’un quadrillage de larges
avenues bordées de camphriers odorants. De lourdes statues en bronze
représentant des ouvriers aux bras tendus vers le ciel ponctuaient chaque
grand carrefour, et des projecteurs multicolores illuminaient une rue
marchande d’une propreté impeccable d’où toute circulation automobile
était bannie. Une armée de balayeurs maintenait la ville dans une netteté
irréprochable. Fumer, cracher et jeter était strictement interdit et les
employés de la ville distribuaient des amendes sans faillir, en guettant les
contrevenants aux coins des rues. Des centaines de calicots exhortaient les
habitants à « être un citoyen modèle » et à « strictement respecter les
règlements ». Dans ce paradis orwellien, les fonctionnaires n’hésitaient pas
à procéder à des inspections inopinées des domiciles pour vérifier qu’ils
soient propres. Dans les salles de classe, des caméras rotatives surveillaient
les élèves. C’était un contraste tranché avec les villes bruyantes, chaotiques,
surpeuplées qu’on trouvait ailleurs. À l’inverse de villes-champignons
comme Shenzhen, il n’y avait là ni jeu, ni prostitution, ni jurons et presque
aucun crime ne s’y commettait. Les voitures s’arrêtaient même aux feux
rouges 690.
Zhangjiagang était une utopie socialiste, un modèle à imiter dans le
cadre d’une campagne nationale visant à associer une « civilisation
spirituelle » et une « civilisation matérielle ». « Il est glorieux de
s’enrichir », c’était le slogan sous Deng Xiaoping, mais Jiang Zemin visait
à rectifier cet accent placé sur les seules visées matérielles, en usant de tout
son poids en faveur d’un retour aux valeurs centrales du socialisme
orthodoxe. Le peuple ne devait pas seulement s’enrichir, il devait aussi être
vertueux.
Surtout, un peu comme Mao avait eu son Dazhai et Deng avait promu
Shenzhen, Zhangjiagang était la vitrine de Jiang Zemin. Tous les jours, des
milliers de gens venus de tous les coins du pays se ruaient vers cette
Mecque de la « civilisation spirituelle ». Des dizaines d’éditoriaux parus
dans les médias officiels louaient les vertus de la ville, ainsi que la sagesse
et la vision de son mentor. À Dalian, un port du Nord, le maire, Bo Xilai,
fils de Bo Yibo, prit l’initiative, fit dégager les taudis, doubla la superficie
des espaces verts et infligea des amendes aux gens surpris à cracher ou à
jurer. Des étudiants furent envoyés dans des groupes d’étude marxistes 691.
La campagne pour la « civilisation spirituelle » s’accompagna d’un
assaut renouvelé contre tout ce qui évoquait de près ou de loin la culture
étrangère, un rappel des campagnes contre la pollution spirituelle en 1983
et 1985. « Nous devons strictement interdire les saletés culturelles qui
empoisonnent le peuple », proclama Jiang Zemin le 24 janvier 1996,
morigénant la nation en veste kaki à col Mao devant les caméras de la
télévision d’État. Quelques semaines plus tard, Le Quotidien de l’Armée de
libération du Peuple citait directement le président Mao sur les dangers de
« s’imprégner aveuglément et de copier sans discernement » toutes choses
venues de l’étranger 692.
Alors que des missiles étaient tirés au-dessus du détroit de Taïwan, la
nation était placée en état d’alerte maximale contre des « forces étrangères
hostiles ». Les idées et les noms étrangers étaient présentés comme des
signes d’un néoimpérialisme incompatible avec les exigences de la
« civilisation spirituelle ». D’un bout à l’autre de la nation, de Xiamen à
Chongqing, les écriteaux portant des noms étrangers furent retirés des
hôtels, des restaurants et des cinémas. Rien que dans la capitale, selon les
autorités locales, les noms coloniaux et féodaux furent retirés de 263 rues,
34 centres commerciaux, 27 attractions touristiques et de pas moins de
23 783 appellations d’entreprises 693.
Les jeunes étaient instamment sommés d’éviter les McDonald’s, les
KFC et le Coca-Cola. Une fois encore, les ourlets des jupes se rallongèrent,
tout comme les talons se raccourcirent, car ils étaient les uns et les autres
perçus comme participant de valeurs capitalistes décadentes. Mickey Mouse
devint l’objet d’attaques concertées, le secrétaire général étant déterminé à
le chasser de la tête des enfants autant que de celle des adultes. Un nouveau
personnage de dessins animés, Soccer Boy, vint s’imposer à sa place, un
jeune footballeur dont l’obéissance, le travail acharné et le dévouement
l’avaient propulsé jusqu’en équipe nationale. Lei Feng, personnage plus
familier, réapparut, les villes et les provinces recevant instruction de la part
de Beijing de sélectionner un prolétaire exemplaire inspiré par ce soldat
modèle. À Shanghai, le plombier Xu Hu devint le héros du jour, vanté pour
son dévouement dans le débouchage des tuyauteries qu’il pratiquait sur ses
heures de loisir, et sans rien faire payer pour sa peine 694.
Cet assaut contre tout ce qui provenait de l’étranger allait de pair avec
de nouvelles restrictions appliquées aux marques de l’étranger. En
décembre 1995, le Conseil des Affaires de l’État faisait circuler un rapport
éreintant les capitalistes et leur tentative de conquérir le marché intérieur
chinois. Ils faisaient la publicité de leurs articles partout, à la télévision, à la
radio et dans les journaux. Ils vendaient à perte afin d’instaurer un
monopole. Ils se comportaient en véritables brutes, en écartant ou en
absorbant les marques locales. Ils refusaient de transmettre leur technologie.
Coca-Cola conservait sa recette. « Notre économie serait colonisée, notait le
rapport, et notre économie socialiste de marché serait bientôt sans marché. »
Les dirigeants se rendaient compte que même avec des outils capitalistes
dans des mains socialistes, dès l’instant où leur économie s’ouvrirait à
l’authentique concurrence du marché, elle s’effondrerait 695.
Le capital étranger était encore accueilli à bras ouverts, mais davantage
de restrictions furent imposées pour protéger les secteurs d’activité locaux.
Ainsi que le souligna le vice-ministre du Commerce extérieur : « Si nous ne
fixons pas de restrictions aux ventes sur le marché intérieur, alors les
étrangers peuvent monter toutes sortes de projets industriels en Chine et
conquérir le marché tout entier 696. »
Les informations financières fournies par les agences étrangères étaient
tronquées. Le département de la Propagande introduisit aussi un moratoire
sur les nouveaux magazines, programmes de radio et chaînes de télévision.
Des restrictions furent imposées non seulement sur les films étrangers, mais
aussi sur la coproduction cinématographique avec des étrangers. Plusieurs
réalisateurs très admirés, parmi lesquels Chen Kaige (Adieu ma concubine)
et Zhang Yimou (Épouses et concubines), furent accusés de « trahir
l’Histoire » et interdits de toute relation avec l’étranger. Des auteurs
populaires qui s’écartaient de la ligne du parti pour disséquer les entrailles
d’un pays en pleine ruée vers la croissance, notamment Wang Shuo et Mo
Yan, furent malmenés par les médias officiels, et leurs carrières gelées.
Ainsi que l’expliqua Wang Shuo, « leur premier objectif est d’attaquer le
film, puis les émissions de télévision, puis les romans, par étapes
successives 697 ».
Les dissidents étaient une fois de plus réduits au silence, eux aussi. Liu
Xiaobo, qui avait signé l’audacieuse pétition contre la corruption soumise à
l’Assemblée nationale populaire, fut initialement arrêté et renvoyé chez ses
parents à Dalian, après plus de sept mois de détention sans aucun chef
d’accusation. Toutefois, après qu’il eut rendue publique une déclaration
demandant au régime d’honorer une promesse faite en 1945 de protéger les
libertés religieuses, de presse et d’expression, les autorités se ravisèrent et le
condamnèrent, sans même un procès, à trois ans de camp de travail. Wang
Dan, le dirigeant étudiant libéré sous caution en 1993, fut condamné à onze
ans de réclusion pour avoir « conspiré en vue de renverser le parti 698 ».
La campagne « Frapper fort » fut relancée. À Beijing, des milices
paramilitaires effectuèrent des descentes dans des maisons closes et des
casinos clandestins. Une fois de plus, les gens étaient invités à se dénoncer
mutuellement. Dans tout le pays, de Dalian à Shenzhen, devant des foules
rassemblées, des trafiquants de drogue et autres criminels étaient ligotés,
enchaînés et poussés à défiler avant d’être abattus d’une balle dans la
tête 699.
Alors que les romans des auteurs controversés disparaissaient des
librairies, pour la plupart contrôlées par l’État, ils étaient remplacés par des
ouvrages sur la Pensée de Jiang Zemin. Leur couverture était illustrée d’une
photo de la silhouette corpulente du secrétaire général, les cheveux
soigneusement plaqués en arrière. Les journaux du pays étaient remplis de
reportages sur ses activités, qu’il se mêle à des paysans, qu’il inspecte des
usines ou rencontre des dignitaires étrangers 700.
Le 1er janvier 1997, pendant douze soirées consécutives, la chaîne de
télévision nationale diffusa un documentaire sur la vie de Deng Xiaoping.
Je suis un fils du peuple chinois glorifiait le Guide suprême, que personne
n’avait plus vu en public depuis presque trois ans. Ce documentaire vu par
un total estimé de 244 millions de téléspectateurs montrait un chef
vigoureux devant un arrière-plan de nuages dorés sous un ciel rayonnant.
Mais sa tournée dans le Sud, qui avait provoqué une ruée cinq ans plus tôt,
fut à peine mentionnée. On fit plutôt l’éloge de sa contribution à
l’édification d’une « civilisation spirituelle ». Jiang Zemin, qui avait
désormais pris le contrôle de l’image publique de son prédécesseur,
endossait personnellement le rôle du narrateur dans certaines séquences.
Vers la fin de la série, le secrétaire général apparaissait à l’écran, saluant le
Guide suprême en « marxiste d’exception et en fervent communiste 701 ».
Le cadeau final de Deng à Jiang arriva dans la soirée du 19 février,
quand il mourut à l’âge de quatre-vingt-douze ans de complications de la
maladie de Parkinson et d’une infection pulmonaire. Le moment était placé
sous des auspices favorables, presque deux semaines après les célébrations
du Nouvel An lunaire. Le lendemain, sur la place Tian’anmen balayée par
des rafales de vent, le drapeau fut mis en berne. Des policiers enveloppés de
longs manteaux patrouillaient sur les lieux afin d’empêcher les gens de
venir déposer des couronnes, une précaution qui s’avéra inutile. Un jeune
homme s’approcha de l’esplanade avec une composition florale, mais se
révéla être un fleuriste, désireux d’assurer la publicité de sa boutique. La
mort du Guide suprême fut accueillie dans l’indifférence générale, même si
des employés de bureau de Shenzhen versèrent quelques larmes 702. Voilà
qui donnait toute la mesure de sa réussite, sans compter avec une passation
de pouvoir sans soubresauts.

*1. Wing On fut créé en 1897 en Australie par deux frères originaires de Hong Kong qui
revinrent dans la colonie britannique fonder Wing On Company en 1907. Jardine Matheson,
fondé par deux Écossais, William Jardine et James Matheson en 1832, groupe présent dans toute
l’Asie du Sud-Est et au Royaume-Uni, emploie plus de 400 000 personnes (N.d.T.).
*2. Trois catégories principales de titres se présentent aux investisseurs des sociétés cotées : les
actions de classes A, B ou C, les premières étant assorties de droits de vote plus importants (par
ex. 5 voix par titre détenu) ou d’avantages différents : dividendes supérieurs, entre autres
(N.d.T.).
*3. L’État détenait le monopole des opérations de change, avec la SAEC, State Administration
of Exchange Control. Constatant l’existence d’une épargne des sociétés en devises, il créa des
centres de swap sous l’égide de la SAEC. Contrairement aux swaps occidentaux, dont les
transactions portent sur la dette ou les taux d’intérêt, ces centres traitent des échanges de devises
(N.d.T.). Source : Michel Gelenine, « Les centres de swap en Chine », Perspectives chinoises,
1992.
8.

Big is Beautiful
(1997-2001)

Le 30 juin 1997, à Hong Kong, l’Union Jack fut une dernière fois
abaissé devant Government House, la résidence officielle du représentant de
la Couronne, aux accents du God Save the Queen. Sous la bruine, Chris
Patten refoulait ses larmes. Plus tard dans la soirée, lors de la cérémonie
officielle de rétrocession, à l’intérieur du Centre de congrès et d’expositions
achevé quelques semaines auparavant, à Wanchai, un Jiang Zemin
rayonnant entra d’un pas énergique sur la scène pour saluer l’aube d’une ère
nouvelle. Hong Kong, annonça-t-il, était enfin restituée à la mère patrie.
Le dernier gouverneur de Hong Kong prit la mer plus tard ce soir-là à
bord du yacht royal, le Britannia, en laissant derrière lui le port qui avait
accueilli son premier officier de l’armée coloniale en 1842. À l’aube, un
long convoi de camions de ravitaillement et d’autobus militaires
transportant plus de 4 000 soldats de l’Armée populaire de libération
franchit la frontière. Ils furent rejoints par une dizaine de véhicules blindés
de transport de troupes, des servants de mitrailleuses en tenue camouflage
installés à leurs tourelles. La dernière fois qu’ils étaient allés au combat,
c’était en juin 1989. Des centaines d’habitants de la péninsule attendaient
sous la pluie d’acclamer leur arrivée, et ils furent quelques-uns à passer des
guirlandes autour du cou des commandants de ces unités 703.
Huit ans plus tôt, Jiang Zemin avait mis la ville en garde contre toute
ingérence dans la politique de la Chine continentale : « L’eau du puits ne se
mélange pas à l’eau de la rivière. » Il considérait la colonie de la Couronne
comme une base subversive utilisée par des forces étrangères hostiles pour
saper le pouvoir du Parti communiste. En octobre 1989, quand Londres
avait suggéré la construction d’un nouvel aéroport afin de créer la confiance
dans l’avenir du territoire, Jiang avait considéré cela comme un nouveau
complot impérialiste : la Grande-Bretagne vidait l’une de ses futures
anciennes colonies de ses précieux atouts en les dispersant, moyennant de
juteux contrats. Le Premier ministre britannique, John Major, fut obligé de
s’envoler pour Beijing et de signer un protocole d’accord sur le projet 704. La
controverse permit aux dirigeants chinois d’atteindre leur objectif : en
l’occurrence, trouver un moyen d’interférer dans tous les aspects des
affaires du territoire. Ils critiquèrent le budget. Ils nommèrent un groupe de
conseillers personnels qui court-circuita le Conseil législatif et s’immisça
dans les fonctions du gouvernement. Ils suggérèrent que des candidats de
confiance aux principaux postes gouvernementaux soient triés sur le volet
et dûment formés. En public, ils prêchaient la stabilité et la prospérité, mais
en privé, ils se montraient rigides. En septembre 1991, quand une coalition
de candidats favorables à la démocratie remporta une victoire écrasante aux
élections législatives de la colonie, ils firent part à Londres de leur
indignation face à ces résultats 705.
Au lieu de chercher à rasséréner ses interlocuteurs à Beijing, en
octobre 1992, le nouveau gouverneur, Chris Patten, à peine investi, réagit au
souhait largement partagé de la population d’une meilleure représentation
populaire en proposant l’élargissement de la base électorale de l’assemblée
législative. Cela mit Beijing en colère, où le projet de réforme était
considéré comme une conspiration visant à subvertir le système politique
du territoire. De prime abord, tous les efforts furent déployés pour
contraindre le gouverneur à retirer ses propositions, y compris de sombres
menaces de guerre économique. Ensuite, après que le journal officiel du
gouvernement eut publié les réformes proposées, en mars 1993, une
campagne soigneusement orchestrée couvrit le gouverneur d’invectives. Li
Peng tira la première salve, en déclarant aux délégués de l’Assemblée
nationale populaire que Patten avait « de manière perfide et unilatérale »
violé tous les accords antérieurs. Lu Ping, la voix du régime à Hong Kong,
lui emboîta le pas quelques jours plus tard, en traitant le gouverneur de
« pécheur pour les mille ans à venir ». Le Quotidien du Peuple le présenta
comme un « petit voleur sur la place du marché », d’autres comme un
« serpent », un « danseur de tango » et une « putain de l’Orient » 706.
Ce que le régime redoutait, naturellement, c’était que la colonie puisse
être perçue comme un modèle de réforme en Chine même. Sa véritable peur
concernait des activistes politiques qui militaient en faveur d’une meilleure
représentation à Beijing. Ainsi que Li Peng le fit observer devant
l’Assemblée nationale populaire, la dictature du Parti communiste
demeurait « essentielle » 707. Quelques semaines auparavant, le régime avait
mis son veto à une intellectuelle libérale, membre de l’Association des
écrivains chinois, que sa province d’origine avait proposée à la nomination
au sein de la Conférence politique consultative 708. Elle n’était guère la
seule. Yang Zhou, qui avait organisé un « Salon de la démocratie » à
Shanghai, envoya une lettre à l’Assemblée nationale populaire demandant
que les Quatre Principes fondamentaux soient supprimés de la Constitution.
À Beijing, un sondage auprès de 1 660 étudiants fut publié : il montrait que
la majorité était très critique envers le Parti communiste et exigeait
l’ouverture de nouveaux modes de participation politique 709. En fait, Chris
Patten avait lui-même son contingent de soutiens de l’autre côté de la
frontière, en Chine continentale. À Guangdong, ainsi que le relevait
l’ancien secrétaire provincial du parti, Ren Zhongyi, beaucoup de cadres du
parti approuvaient en silence le plan de réforme électorale du gouverneur
car ils suivaient cette saga sur les chaînes de télévision par satellite 710.
Les propositions du gouverneur furent adoptées, malgré des tentatives
de la dernière chance émanant de Lu Ping pour inciter les législateurs à
s’abstenir ou à voter contre 711. En septembre 1994, le camp prodémocratie
remporta une victoire retentissante. En mars 1995, le Parti démocratique
gagna 23 des 59 sièges aux élections municipales. En réaction aux réformes
de Patten, Beijing créa sa propre commission de travail en juillet 1993, qui
instaura à son tour un comité de sélection responsable de la nomination du
premier directeur exécutif et des membres du Conseil législatif provisoire
(le « LegCo »). Le 1er juillet 1997, alors même que plusieurs milliers de
manifestants se rassemblaient devant le bâtiment à colonnades du Conseil
législatif pour protester contre la rétrocession, un Conseil législatif
provisoire remplaça le Conseil législatif, annula la plupart des réformes
électorales, réintroduisit le vote socioprofessionnel et resserra encore
davantage le droit de vote. Pour faire bonne mesure, le conseil introduisit
aussi de nouvelles restrictions limitant les manifestations et d’autres libertés
civiles. La police se montra magnanime et laissa les contestataires se
disperser 712.

*
* *
Le 2 juillet, le lendemain de la rétrocession, le gouvernement de
Thaïlande en état de siège fut forcé de laisser fluctuer sa monnaie, s’avérant
incapable de maintenir son indexation sur le cours du dollar. La valeur du
baht thaïlandais plongea, ce qui augmenta la charge des remboursements de
nombre d’entreprises locales dont la dette était libellée en devises
étrangères. L’effondrement du baht portait un nom bien local, la « crise de
Tom Yam Kung », inspiré d’un plat très populaire, la soupe de crevettes
aigre et épicée. Malheureusement, la fuite des capitaux provoqua une
réaction en chaîne, ce qui conduisit à un affaissement des devises d’autres
pays de la région. En quelques semaines, le ringgit malais et le peso
philippin furent également dévalués. Ensuite, la roupie indonésienne et le
won sud-coréen furent sous pression et chutèrent à des planchers records
par rapport au dollar.
Cela marqua la fin de ce que l’on avait appelé le « miracle économique
asiatique ». Pendant plusieurs années, les économies de l’Asie du Sud-Est
avaient connu de forts taux de croissance. Elles avaient aussi conservé des
taux d’intérêt élevés : en attirant des flux spéculatifs de devises étrangères,
ceux-ci augmentèrent de façon spectaculaire le ratio de la dette extérieure
par rapport au produit intérieur brut. Lorsque la Réserve fédérale
américaine présidée par Alan Greenspan se mit à relever les taux d’intérêt
sur le dollar pour parer à l’inflation, les États-Unis devinrent une place
d’investissement plus attractive. Non seulement les flux monétaires
s’inversèrent, mais un dollar plus haut accroissait aussi le coût des
exportations pour les pays d’Asie du Sud-Est dont la devise était corrélée à
la monnaie américaine. Au premier semestre 1998, alors que la crise allait
s’élargissant, l’aversion au risque des marchés de devises du monde entier
ne put que se renforcer, et ils évitèrent les marchés émergents. En Russie,
l’économie s’écroula, ce qui contraignit à une dévaluation massive du
rouble. La dépression fut si dévastatrice que le Fonds monétaire
international dut intervenir en lançant plusieurs plans de sauvetage pour une
valeur totale de 40 milliards de dollars.
La Chine semblait presque imperméable à la crise. Elle était
relativement protégée de cette fuite de capitaux car le yuan n’était pas
convertible sur le marché ouvert. La devise chinoise avait déjà subi
plusieurs lourdes dévaluations entre 1989 et 1994, qui l’avaient affaiblie en
réduisant sa valeur de 3,71 à 8,70 pour un dollar. Face à l’afflux des
investissements qui générait un surplus de devises étrangères, à partir de
1994, la banque centrale chinoise avait entamé une série d’interventions
afin d’empêcher le cours du yuan d’augmenter sur le marché noir, en le
renforçant de 8,70 à 8,44 pour un dollar. En 1997, elle dépensa en moyenne
100 millions de dollars par jour pour maintenir le yuan à un niveau
de 8,30 713.
En outre, les marchés boursiers émergents étaient pour la plupart
inaccessibles aux étrangers. Surtout, à l’inverse du flot de capitaux
spéculatifs attirés par les obligations et les titres d’Asie du Sud-Est, la plus
grosse masse des investissements étrangers était allée vers les usines et
l’immobilier, certes bien plus compliqués à délocaliser.
Pourtant, une bonne partie de l’économie était dépendante des
exportations, et celles-ci furent durement touchées. Avant même le
déclenchement de cette crise, la croissance sans frein des secteurs de biens
de consommation, qui continuaient de produire des marchandises pour
lesquelles la demande était faible, avait contribué à un engorgement des
stocks. Fin 1996, un volume stupéfiant d’articles croupissait dans des
entrepôts gouvernementaux, parmi lesquels 16 millions de téléviseurs,
20 millions de bicyclettes, 1,3 milliard de chemises, 10 millions de montres,
250 000 automobiles et 70 % de la production des 3 000 usines de produits
cosmétiques du pays. Ces biens atteignaient une valeur globale de
64 milliards de yuans, représentant à peu près le cinquième de la production
totale, soit environ l’équivalent de 2 % de croissance. C’étaient les chiffres
officiels communiqués aux journalistes de la presse étrangère, mais, selon
Li Rui, le montant réel était à peu près deux fois supérieur, avec
120 milliards d’articles occupant 68 millions de mètres carrés d’espaces de
stockage. Un haut niveau d’investissements étrangers et un crédit à bas coût
avaient mis l’économie en situation de surcapacité dans presque tous les
principaux secteurs. Selon une estimation, l’usine moyenne, dans le pays,
utilisait moins de 60 % de ses capacités 714.
Cette surcapacité entraîna les prix intérieurs à la baisse, mais alimenta
aussi des exportations moins chères vers l’étranger. En 1996, la Chine
inondait l’Asie du Sud-Est d’exportations à prix cassés, handicapant
gravement leurs économies très exportatrices. Alors même que les
exportations vers la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines et l’Indonésie
bondissaient, ces pays voyaient leurs prix à l’exportation plonger et leur
déficit commercial se creuser. En Thaïlande, une rivalité intense avec la
Chine conduisit à un déclin de 2 % en 1996, comparé à une croissance de
plus de 20 % au cours des deux années précédentes. Ce fut l’une des raisons
des attaques contre le baht 715.
Avec le déclenchement de cette crise, davantage de biens invendus
s’entassaient dans des entrepôts, alors qu’en 1997 les exportations
ralentissaient de façon spectaculaire. Les prix chutèrent pendant quatre
mois consécutifs, les stocks d’invendus croissant plus vite que l’économie,
à un taux annuel de 11,7 %. Il y avait entre autres une surabondance de
produits verriers, en raison d’une production excessive, d’engrais,
d’importations excessives, d’acier, d’emprunts excessifs et d’un
engorgement du parc de bureaux, du fait de constructions excessives.
Pudong, ville du futur, souffrait d’une saturation de son marché immobilier.
La surabondance des nouveaux grands magasins était sans doute l’un des
spectacles les plus irréels qui soient. En 1992, Beijing comptait seulement
quinze grands magasins, mais à l’été 1998, la capitale s’enorgueillissait
d’en avoir plus de soixante-dix, avec le projet d’en ouvrir autant au cours
des deux années suivantes. La plupart perdaient de l’argent. Tous baissaient
leurs prix, proposaient des coupons de réduction, des rabais et des chèques-
cadeaux 716. Ils participaient d’un scénario qui deviendrait récurrent dans
tout le pays au cours des décennies à venir : de gigantesques galeries
marchandes de verre et de marbre avec plus de personnel que de clients.
Afin de stimuler la production intérieure, au premier semestre 1998, le
gouvernement central injecta de l’argent dans l’économie, en ordonnant aux
banques de consentir des prêts aux entreprises d’État. À la fin juillet, la
masse monétaire au sens large avait augmenté de 15 % en un an *1, avec des
prêts énormes destinés aux entreprises d’État, ce qui accrut encore une
production qu’elles étaient incapables d’écouler 717.
Pour la première fois depuis 1986, au dernier trimestre 1997, on
annonça officiellement une inflation négative. Dans une spirale de prix en
chute libre, la déflation s’étendit au premier semestre 1998, avec un
fléchissement de l’ensemble des prix, qu’il s’agisse des biens et services, ou
des loyers et du marché du logement. À l’été, dans des villes comme
Shanghai et Qingdao, en glissement annuel, les prix avaient reculé de 6,5
à 8,4 %. Selon les statistiques étatiques, au premier semestre 1998, la
croissance était tombée à 7 %. La déflation se poursuivit plusieurs années,
jusqu’à une durée totale de 29 mois en mars 2000, la plus longue période de
ce type dans l’histoire moderne du pays 718.
De l’huile aux engrais en passant par les métaux, les prix des matières
premières étaient particulièrement vulnérables. Alors que l’industrie lourde
et des centaines de petites aciéries avaient entrepris de coûteux programmes
d’équipement et de rénovation, alourdissant ainsi la charge de leurs
emprunts, le prix de la fonte brute, matériau de base des produits en acier,
s’effondra. À l’été 1998, la demande intérieure de toutes sortes de produits,
du ciment aux voitures, ralentissait et des marchandises à bas prix venues
du reste de l’Asie orientale inondèrent le pays. Ce furent les marchandises
de Corée du Sud qui engagèrent ce mouvement, après un plongeon de la
valeur du won coréen par rapport au yuan, mais le Japon fut aussi en
position d’accroître son avantage concurrentiel. Les importations d’acier
s’inscrivaient au-dessous du coût de production local, forçant les principaux
groupes sidérurgiques à réduire leurs exportations de moitié. La survie
même de dizaines de milliers d’usines dans tout le pays, des aciéries aux
cimenteries, était en jeu 719.
La déflation renforçait l’intérêt d’une dévaluation, alors même que Zhu
Rongji restait catégoriquement opposé à toute manipulation de la valeur du
yuan et réaffirmait régulièrement lors de ses apparitions publiques
l’engagement de son pays à maintenir le taux de change officiel autour de
8,30 yuans pour un dollar. Simultanément à ces déclarations, on vit même
renaître un marché noir de devises comme il n’y en avait plus eu depuis
plusieurs années. Des vendeurs à la sauvette rôdaient devant les banques ou
traînaient autour des hôtels de luxe, proposant un taux de change 3 %
supérieur au taux officiel. Ils n’étaient que les signes visibles d’une fuite
des capitaux, alimentée par la crainte de la déflation. Le yuan n’ayant
jamais été convertible, avec les années, les banques et les entreprises d’État
avaient acquis une certaine habileté dans le contournement des contrôles de
capitaux. Nombre d’entre elles n’hésitaient pas à falsifier des lettres de
crédit ou des documents d’importation pour transférer des devises fortes à
l’étranger. À en croire Dai Xianglong, le gouverneur de la Banque populaire
de Chine, l’un de ces contrôles révéla justement qu’au cours de l’année
suivant l’éclatement de la crise financière asiatique, plus de
2 000 entreprises avaient fait « collusion avec des forces extérieures » pour
exporter un volume de capitaux atteignant 6 milliards de dollars en utilisant
des canaux extérieurs aux procédures autorisées. Wen Jiabao, un géologue
au caractère mesuré et conciliant, appelé à Beijing par Hu Yaobang au début
des années 1980 pour siéger au Comité central, fut promu par Zhu Rongji
au poste de vice-Premier ministre et chargé de la Commission centrale des
affaires financières. En juillet 1998, la réaction du nouveau vice-Premier
ministre à cette sortie de capitaux consista en un tir de barrage de règles et
de réglementations visant les transactions de devises étrangères 720.
D’autres notifications, mesures, directives, règles et réglementations
suivirent, contredisant des décrets existants dont certains étaient en vigueur
depuis de nombreuses années. Il en résulta une grande confusion sur le
terrain ainsi qu’une peur accrue de dévaluations futures. Les entreprises
d’État tenaient encore plus à sortir leur argent du pays. Malgré des
excédents commerciaux de plus en plus importants vis-à-vis de l’Europe et
des États-Unis, les réserves en devises étrangères se figèrent sur le seuil des
145 milliards de dollars, car des capitaux énormes transitaient vers
l’étranger. On peaufina de vieilles combines et on en conçut de nouvelles,
notamment en procédant à des volumes considérables de paiements
anticipés en devises fortes, et en concluant des accords commerciaux fictifs
et des contrats factices.
Un stratagème se pratiquait couramment : le dépôt dans les règles
devant l’Administration d’État du Contrôle des changes d’une demande
d’accès aux échanges extérieurs en devises. Une fois la permission
accordée, quand l’argent avait quitté le pays, aucune transaction véritable
n’avait lieu. Les principaux acteurs de ces manipulations étaient des
banques provinciales de mèche avec des industries locales. Hong Kong était
la plus grosse faille du système. Alors même que le drapeau rouge flottait
sur le siège du Conseil législatif, la Chine continentale ne pouvait pas faire
grand-chose pour peser sur les activités des banques, des sociétés
d’investissement et des entreprises du territoire sans susciter un tollé
politique 721.
Une autre campagne visant la contrebande débuta en juillet 1998.
Depuis des années, des trafics endémiques et profondément ancrés dans les
habitudes étaient tolérés, notamment parce que, selon Jiang Zemin en
personne, les pires contrevenants étaient des dirigeants du parti et des
officiers de l’armée. Cette contrebande connut un bond pendant la crise
financière, jusqu’à représenter à peu près 5 % des importations, contribuant
ainsi à la fuite des capitaux. Elle concernait à la fois des produits étrangers
et locaux, notamment pour des milliards de yuans de biens de
consommation courante. Beaucoup de producteurs de cigarettes, par
exemple, exportaient plus de la moitié de leur production, pour ensuite
réintroduire leurs cigarettes clandestinement sur le territoire afin d’éviter de
payer des droits de douane et des taxes 722.
Malgré la récession, la Chine se présentait comme un bastion de
stabilité en pleine crise financière asiatique. Pour la plupart des visiteurs
étrangers, le seul signe de tension économique était la disparition des
négociants russes. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, ils avaient
été omniprésents dans l’Allée de la Soie et d’autres marchés officieux où ils
achetaient des vêtements et des articles ménagers en gros pour les revendre
chez eux à Irkoutsk, Khabarovsk, Vladivostok ou Moscou. Il y avait des
magasins et des restaurants tenus par des Russes disséminés autour du parc
Ritan, juste au nord de l’ancien quartier diplomatique. À la suite de la
dévaluation du rouble, ces commerçants disparurent du jour au lendemain,
après la ruine de leur commerce 723.
Le pouvoir tenta tout son possible pour maintenir une façade de stabilité
et se montrait extrêmement sensible au moindre signe que cette crise puisse
se répercuter au pays entier. Quand la Banque royale du Canada décida de
fermer sa succursale de Shanghai, Zhu Rongji téléphona personnellement à
l’ambassadeur canadien pour argumenter contre cette décision, redoutant
que le monde extérieur ne l’interprète comme un vote de défiance contre
l’économie locale 724.
Tout était affaire d’image. Pourtant, derrière l’impression
d’invulnérabilité, cette crise exacerba deux problèmes : une industrie en
faillite et un système bancaire insolvable.
Bien avant le début de la crise, les entreprises étatiques étaient mal en
point, face à une réforme constamment reportée. En 1996, selon
l’économiste Wang Jikuan, leurs actifs s’élevaient tout au plus à 4 trillions
de yuans, mais leurs dettes atteignaient 3,2 trillions de yuans, soit un ratio
d’endettement d’au moins 80 %. Si ces entreprises avaient été en mesure de
croître par la dette en trouvant un moyen efficace d’employer cet argent, ce
ratio aurait pu ne pas soulever de problème, mais, d’année en année, la
tendance était à une rentabilité en baisse. La crise aggrava les choses. Selon
Zhu Rongji, au premier trimestre de l’année 1997, un total de
42 000 entreprises d’État avait réussi à extraire un maigre bénéfice de
3,37 milliards de yuans (autrement dit, un retour de 0,1 % sur leurs prêts),
qui se transforma en perte collective de plus de 11 milliards l’année
suivante. L’écart était profond, puisque plus de 56 % d’entre elles étaient
incapables de réaliser un bénéfice. Tel était le bilan après plus de vingt
années de réforme et des volumes de crédit incalculables, sans mentionner
les entrepôts regorgeant de biens invendus 725.
Le système financier chinois était fragile. D’année en année, le volume
de prêts augmentait. Ces prêts avaient deux objets principaux : maintenir les
entreprises à flot et atteindre le chiffre magique, l’objectif de croissance fixé
par Deng Xiaoping de nombreuses années auparavant. Les experts étrangers
croyaient qu’avant 1997, à peu près 24 % de tous les encours de crédits se
composaient de créances douteuses, un chiffre qui augmenta à 29 % après
la crise, au-dessus des estimations pour le reste de l’Asie du Sud-Est. Or
cette région, outre des monnaies qui étaient convertibles, disposait d’un
autre atout qui manquait à la Chine : la transparence. En réalité, les prêts
improductifs étaient plus proches de 40 % des encours, bien que personne,
pas même Dai Xianglong qui dirigeait la Banque populaire de Chine, ne sût
au juste quel montant de dettes se dissimulait dans le système bancaire 726.
Le problème devint plus visible quand les banques locales se tournèrent
les unes après les autres vers le gouvernement central pour l’appeler à
l’aide. Dans la province du Zhejiang, deux coopératives urbaines de crédit
avaient à elles seules accumulé des déficits de 12 millions de yuans. À
Ningbo, trois sociétés d’investissement accusaient un trou de 3,4 milliards
de yuans, alors que les coopératives de crédit agricole de la municipalité
étaient incapables d’honorer 836 millions de yuans d’échéances de
remboursements de leur dette. À Wenzhou, une enquête auprès de vingt
organismes prêteurs révéla qu’un tiers du total de leurs prêts, soit
200 millions de yuans, devait être passé par pertes et profits. Ainsi que
l’écrivit Dai Xianglong, désamorcer la crise de la dette des institutions
fiscales de taille petite et moyenne, c’était comme « se raccrocher à tout
prix à toutes ses possessions alors qu’on est sur le point d’être emporté par
une inondation 727 ».
Ces dettes étaient libellées en yuans, un problème que l’on résolut
facilement en imprimant davantage de billets de banque, mais les impayés
sur emprunts contractés auprès de gouvernements étrangers étaient si
importants que dès novembre 1997, le Conseil des Affaires de l’État sonna
l’alarme, avec une mise en garde : un défaut de paiement sur les intérêts
ferait « mauvaise impression » et entamerait la réputation internationale du
pays. Dans le Zhejiang, une province qui ne représentait qu’une part de
1,2 % des prêts de gouvernements étrangers, 40 % de ceux-ci souffraient
d’arriérés de paiements, soit 50 millions de dollars 728.
La dimension véritable de la crise ne devint apparente que fin 1998,
quand une fiducie provinciale et une société d’investissement firent faillite.
En 1979, avec l’aide de Rong Yiren, un industriel qui, en 1949, avait décidé
de rester sur place et de lier son destin à celui du Parti communiste, avait
été créée la China International Trust and Investment Corporation, mieux
connue sous l’acronyme de CITIC. Son objet était de promouvoir les
Quatre Modernisations en attirant des capitaux et des technologies avancées
de l’étranger. En quelques années, des centaines de véhicules financiers
similaires s’étaient multipliés dans tout le pays, créés par des
gouvernements locaux désireux d’attirer leur part de capitaux extérieurs.
Quand le Conseil des Affaires de l’État décida d’intervenir en 1982, ce
furent 620 de ces entités qui se portèrent à son attention. Fujian avait son
FITIC, Guangdong son GITIC, Hainan son HITIC, Zhejiang son ZITIC,
Shanghai son SITIC et Dalian son DITIC, bien que le pays eût rapidement
épuisé les acronymes possibles et que l’on ait alors dû employer le nom
complet du lieu : par exemple Shenzhen SITIC, ou SZ SITIC. Dix ans plus
tard, alors qu’il devenait évident que la plupart d’entre elles avaient créé des
filiales dans tout le pays pour mener des transactions non autorisées et
collecter des dépôts assortis de taux d’intérêt plus élevés que ceux proposés
par les banques étatiques, on introduisit des restrictions supplémentaires.
Des centaines d’entre elles réussirent à survivre et à prospérer grâce à la
vague de spéculation immobilière déclenchée par la visite de Deng
Xiaoping dans le Sud en 1992. Trois ans plus tard, afin d’atténuer le risque
d’effondrement généralisé du système financier, elles durent suspendre
toutes leurs relations avec des banques commerciales, leur principale source
de financement, ce qui entraîna plusieurs liquidations et fusions 729.
Nombre des sociétés qui en réchappèrent occupaient des tours de bureau
étincelantes abritant aussi des galeries marchandes et des hôtels de luxe,
comme autant de vitrines des services qu’elles offraient. À Guangzhou, la
Guangdong International Trade and Investment Corporation pouvait ainsi
s’enorgueillir d’avoir une GITIC Plaza, à ne pas confondre avec la CITIC
Plaza, quelques kilomètres à l’est, qui était aussi le plus vaste bâtiment en
béton du monde, avant que Donald Trump ne construise la Trump
International Hotel and Tower à Chicago. En 1997, devenue la branche
financière de la province de Guangdong, la GITIC s’était muée en un
groupe comptant 200 filiales.
À l’inverse d’autres pays, les « TIC » et autres « ITIC » chinoises
faisaient fonction de banques commerciales pour les gouvernements locaux,
sans être pour autant strictement réglementées, ce qui les exposait à
l’incurie. Avant même l’éclatement de la crise financière, il devint clair que
la troisième société d’investissement du pays, la CADTIC, ou China
Agribusiness Development Trust and Investment Corporation, n’était rien
d’autre qu’un vaste dispositif pyramidal servant des taux d’intérêt élevés et
proposant toutes sortes d’opérations de trafic sur le sucre, ainsi que des
services de spéculation foncière et d’évasion fiscale. En janvier 1997, elle
fut liquidée et ses cadres dirigeants arrêtés pour détournements de fonds,
avec des dettes estimées à plus de 10 milliards de yuans 730.
L’affaire suscita un nouvel examen des centaines d’institutions
financières en Chine. L’année suivante, alors que la crise frappait les
sociétés d’investissement, la banque centrale fut contrainte d’intervenir
dans un « nombre considérable » d’autres dossiers 731. Le choc le plus
violent survint en octobre 1998, quand les liquidateurs de sociétés
s’attaquèrent à GITIC, le deuxième fonds d’investissement du pays,
généralement considéré comme intouchable puisque c’était la branche
d’investissement de la province la plus riche et la plus puissante du pays.
Son endettement total dépassait 2,5 milliards de dollars. Des rumeurs se
mirent alors à circuler, selon lesquelles les banques commerciales chinoises
seraient pratiquement en faillite.
Sous l’onde de choc de l’implosion de GITIC, des centaines d’autres
sociétés d’investissement, ainsi que des milliers de coopératives de crédits
urbaines et agricoles, furent fermées dans tout le pays. Zhu Rongji se servit
de cette opportunité pour restructurer le système bancaire, en confiant le
contrôle des quatre banques d’État au gouvernement central. Il fit
recapitaliser ces banques à hauteur de 270 milliards de yuans, un montant
énorme équivalent à environ 100 % du total des obligations d’État émises
cette année-là, ou à 25 % des réserves en devises étrangères, ou bien encore
à 4 % du produit intérieur brut. Il y parvint en réduisant le ratio entre dépôts
et réserves de 13 % à 8 %, et en se procurant en fait les fonds requis en
puisant dans les comptes de dépôt appartenant pour la plupart à de simples
citoyens. Le ministère des Finances servait aux banques un intérêt de 7,2 %
sur les 270 milliards de yuans ainsi levés pour ces achats obligataires, tandis
que les banques, de leur côté, reversaient au ministère des Finances un
intérêt de 7,2 % sur les 270 milliards de yuans utilisés pour les recapitaliser.
Alors que cet argent passait d’une poche à une autre, les 93 milliards de
yuans employés pour annuler les créances douteuses étaient maintenant
officiellement à la charge du ministère. L’étape suivante, franchie en 1999,
consista à créer quatre sociétés dites de gestion d’actif, dont le ministère des
Finances était l’actionnaire majoritaire. On espérait ainsi remplacer un
ensemble d’actifs improductifs par un autre, et repousser le problème vers
un avenir lointain. Quand les obligations à dix ans de ces sociétés de
gestion d’actifs arrivèrent à échéance, en 2009, celle-ci fut reportée de dix
années supplémentaires 732.
La crise contraignit aussi les dirigeants du pays à se confronter aux
entreprises d’État. Depuis plusieurs années, des projets avaient été
envisagés pour doter des meilleurs atouts celles qui possédaient le plus fort
potentiel et les transformer en énormes conglomérats capables de rivaliser
sur la scène mondiale, tout en laissant sombrer les entreprises accumulant
des pertes. Fin 1989, Yao Yilin avait suggéré de favoriser une centaine de
ces mastodontes, en privant les autres des ressources étatiques 733. En
décembre 1993, la Commission d’État pour la Restructuration de
l’économie relança l’idée d’une centaine de champions nationaux, mais les
dirigeants classèrent à plusieurs reprises les projets de réforme, redoutant
les troubles sociaux qu’une vague de chômage risquerait de déclencher 734.
La crise financière asiatique les plaçait face à un choix épineux, en
l’occurrence la réforme ou la ruine.
En septembre 1997, Jiang Zemin promettait de rompre avec les maux
structurels dont souffrait le secteur public. S’adressant au Quinzième
Congrès, il résuma la nouvelle politique du parti : « Garder les grands et se
débarrasser des petits ». Ce mot d’ordre équivalent à « big is beautiful »
supposait de se défaire de milliers de petites usines inefficaces et de
favoriser au contraire la croissance de géants industriels, à peu près comme
la Corée du Sud avait encouragé ses chaebols *2. Au lieu de permettre à
l’esprit d’entreprise de prendre le dessus, le parti croyait ses bureaucrates,
dans la capitale, capables de repérer les gagnants porteurs d’avenir et
d’utiliser les apports massifs de l’État pour les diriger vers les sommets. En
somme, c’était un plan prévoyant une intervention étatique nullement
réduite, mais au contraire accrue 735.
Le message adressé à ces entreprises d’État était simple : croître ou
périr. Les bureaucrates à Beijing sélectionnèrent donc celles qu’ils
considéraient comme les meilleures et les plus puissantes, en les abreuvant
de prêts préférentiels, de fonds de développement et d’autres formes de
soutien public. En échange, ces gagnantes étaient censées reprendre
quelques usines étatiques mal en point et se transformer en conglomérats
compétitifs d’envergure mondiale. « Guider les faillites et encourager les
fusions », tel était le slogan du Quinzième Congrès du parti, tandis que
l’État faisait endosser à ses compagnies les plus en pointe le fardeau
d’entreprises pléthoriques, en les incitant à toute une série de fusions et de
prises de contrôle 736.
En janvier 1998, le gouvernement central avait ainsi constitué sa
première tranche de 512 entreprises publiques désignées pour faire partie de
cette expansion en conglomérats. Bien qu’elles ne regroupent qu’une
simple poignée de candidates du secteur étatique, celles-ci « pesaient »
presque la moitié des actifs totaux dudit secteur. Des géants industriels
fusionnèrent presque du jour au lendemain, avec l’intégration de plusieurs
milliers de laboratoires pharmaceutiques, de fabricants de télévisions, de
filatures de coton, de cimenteries, d’usines pétrochimiques et même de
compagnies aériennes régionales au terme d’une vague de fusions et
d’acquisitions. Capital Iron and Steel Corporation (ou Shougang Group)
était l’une d’elles, et la Shanghai Automotive Industry Corporation,
constructeur de la Volkswagen Santana, en était une autre. Les ministères
qui contrôlaient les entreprises étatiques, notamment dans les secteurs du
charbon, de la machine-outil, de la métallurgie, de l’industrie légère, des
textiles et de la pétrochimie furent rétrogradées, ce qui plaçait ces
conglomérats sous la tutelle directe du ministère des Finances et de la
Banque populaire de Chine. Un nouvel organisme, la Commission de travail
sur les Grandes Entreprises, instaurée pour renforcer les contrôles, tenait les
cordons de la bourse et décidait quelles sociétés il fallait fusionner et
lesquelles devaient être liquidées 737.
Il y avait au cœur de cette vague de fusions un mouvement de bascule
d’un régime de propriété étatique à un régime d’actionnariat. De nouveaux
conglomérats et d’anciennes entreprises publiques furent autorisés à devenir
des entreprises commerciales et à émettre des parts, levant ainsi des fonds
sur le marché intérieur. Pourtant, même en pareil cas, la main de l’État
restait visible, car soit la compagnie elle-même, soit le gouvernement
détenait le contrôle de ces parts. Ainsi que l’expliqua Jiang Zemin lors du
Quinzième Congrès du parti, la dévolution de titres n’était pas la même
chose qu’une privatisation 738.
Ces conglomérats majeurs étaient cotés sur les places boursières
mondiales. En 1993, un nombre limité d’entreprises étatiques avait
commencé à lever des capitaux à l’étranger à travers des introductions en
Bourse. La Chine fut bientôt à court de candidates à la hauteur car elles
étaient peu nombreuses à jouir d’une reconnaissance internationale, et
encore plus rares à posséder la taille et la rentabilité requises pour attirer des
capitaux internationaux. La tendance changea en octobre 1997, quand
China Telecom, l’un des mastodontes bâtis de toutes pièces au terme de
fusions et d’acquisitions d’un ensemble de compagnies provinciales, fut
cotée sur les places boursières de Hong Kong et New York. L’introduction
en Bourse permit de lever 4,5 milliards de dollars, faisant de cet actif
étatique le cinquième opérateur de télécommunications du monde. Ce ne fut
pas seulement la taille de l’opération qui prit les investisseurs par surprise.
Le principal souscripteur fut Goldman Sachs, avec le versement d’une
commission de transaction qui aurait dépassé les 200 millions de dollars 739.
China Telecom montra donc la marche à suivre : remédier à la
fragmentation d’un secteur en amalgamant plusieurs entreprises à l’intérieur
d’un vaste conglomérat, doter ce dernier d’un compte bancaire supervisé
par la banque centrale, canaliser les économies des simples citoyens vers ce
compte, utiliser des services financiers étrangers pour s’assurer de la
conformité avec les règles de la finance internationale et avec le droit des
entreprises, et proposer à la vente un petit nombre de parts à un prix élevé
sur les places boursières étrangères, à un cours basé sur l’évaluation future
de ce conglomérat désormais coté. C’était une parfaite illustration de ces
outils capitalistes placés entre des mains socialistes, puisque China Telecom
restait une filiale du ministère des Postes et Télécommunications. Ainsi que
les clauses en petits caractères le précisaient sur le prospectus, le ministère
pouvait « désigner la totalité du conseil d’administration » et acheter des
actifs « sans demander l’accord des actionnaires minoritaires 740 ».
D’autres introductions sur les places boursières étrangères suivirent, des
banquiers internationaux travaillant en étroite relation avec le
gouvernement central pour conclure une série de transactions de première
grandeur. Dans tous les cas, les cours d’introduction des titres n’étaient pas
tant basés sur les actifs existants que sur des projections de rentabilité
future. Quand China Telecom fut introduit en Bourse, les six sociétés
indépendantes que comportait le groupe n’avaient pas encore complètement
achevé leur fusion. Le groupe n’existait donc que sur les feuilles de calcul
de Goldman Sachs, même si son compte en banque était, lui, bien réel.
En 2001, PetroChina, China Unicom, Sinopec, China National Offshore Oil
et l’Aluminium Corporation of China étaient toutes cotées à New York,
secondées par une petite armée de banquiers d’investissement, d’analystes
boursiers, d’avocats d’affaires, d’équipes de vente, de gestionnaires de
capitaux et d’économistes de banques internationales. Plus de cinquante de
ces groupes étaient cotés à Hong Kong 741.
Au tournant du millénaire, après plusieurs années de fusions et de
liquidations conduites à un rythme effréné, la banque centrale effectua une
enquête pour comprendre ce qui était advenu du crédit accordé aux
entreprises d’État, notamment à ces nouvelles championnes nationales. Le
résultat de cette étude montrait que pour trois yuans prêtés par les banques,
les entreprises accroissaient leur production de deux yuans. Après un quart
de siècle de réformes, elles détruisaient tout simplement un tiers du capital
qu’elles percevaient. En 2000, les entreprises d’État continuaient de
compter pour presque la moitié du produit intérieur brut, bien que leur part
de recettes fiscales se soit effondrée de 12 % à moins de 8 % 742.

*
* *
Ces fusions restructurèrent des milliers d’entreprises étatiques en
500 championnes nationales. Puisque ces acquisitions n’étaient pas censées
entraîner de licenciements, elles avaient la préférence du régime qui
redoutait toujours des troubles sociaux. Or, certains de ces conglomérats
contournèrent les restrictions sur la gestion de leurs effectifs, par exemple
en créant des sociétés écrans au sein desquelles les personnels en excédent
touchaient un salaire symbolique uniquement pour rester chez eux.
Toutefois, le véritable problème demeurait que sur un total de plus de
250 000 entreprises étatiques que comptait le pays, rares étaient celles se
révélant assez rentables pour être fusionnées ou transformées en sociétés
par actions, même avec l’aide des meilleurs conseillers financiers. Un bon
nombre de ces dernières renvoyèrent elles aussi leurs employés à leur
domicile avec une paie réduite, car elles préféraient éviter d’avoir à
débourser des indemnités de licenciement et des prestations sociales.
Des dizaines de milliers d’autres fermèrent, parmi lesquelles des
aciéries, des laboratoires pharmaceutiques, des fabricants textiles, des mines
de charbon et des fonderies. C’est dans le bassin industriel du Nord-Est,
berceau de l’industrie lourde du pays, que ces fermetures étaient les plus
nombreuses. Dans la seule province de Liaoning, site d’une entreprise
grande ou moyenne sur dix, fin 1997, plus de 5 000 sociétés avaient fait
faillite ou interrompu toute production. À Shenyang, c’était une succession
apparemment infinie de terrains vacants aux portails nus et aux fenêtres
cassées qui s’étendait au milieu d’une zone industrielle jadis active, où les
grues rouillées du Shenyang Steel Complex se dressaient, à l’abandon, au-
dessus des voies ferrées envahies de mauvaises herbes 743. Selon Wu
Bangguo, le vice-Premier ministre chargé de l’industrie, un ouvrier de la
ville sur dix était au chômage ou oisif. À l’échelle nationale, presque
13 millions de personnes furent licenciées, soit 17 % des travailleurs des
villes employés par l’État, habitués à un système de protection sociale qui
les prenait en charge du berceau jusqu’à la tombe. Moins de la moitié
d’entre eux trouvèrent du travail ailleurs 744.
Au cours des années suivantes, beaucoup d’autres furent licenciés ou
touchèrent une paie réduite, soit un chiffre total estimé entre 20 et
30 millions d’individus. Les totaux exacts, toutefois, ne seront jamais
accessibles, notamment parce que les directeurs d’usine n’étaient pas
toujours autorisés à se mettre en faillite, faute de quoi ils se bornaient à
arrêter la production. Dans certains cas, les propriétaires officiels
revendaient les actifs de l’État et empochaient l’argent, en laissant leurs
employés démunis sans formellement dissoudre l’entreprise. Qui plus est,
l’État ne comptait que les gens qui s’inscrivaient volontairement sur les
registres des sans-emploi, ce qu’un grand nombre ne prenait jamais la peine
de faire. Surtout, il existait quantité de moyens pour un directeur
d’entreprise de donner des apparences de rentabilité afin de vendre ou
d’attirer l’investissement étranger. Traditionnellement, on gonflait les
chiffres de ventes à travers de fausses filiales, on déguisait de lourdes pertes
en immobilisations et on ajustait le nombre d’employés sur le papier. Wu
Bangguo considérait qu’à peu près 90 % de ceux qui avaient été licenciés
n’avaient jamais mis les pieds dans l’une des agences pour l’emploi
instaurées par l’État 745.
Et ils étaient un sur deux à n’avoir aucune épargne. Ceux qui étaient
incapables de trouver un nouvel emploi étaient parfois autorisés à conserver
leur logement, dans un immeuble miteux où certaines fenêtres étaient même
déjà condamnées par des murets en briques, mais sans plus bénéficier des
pensions, des allocations généreuses ou des services de santé gratuits qui
avaient autrefois rendu l’industrie lourde si attractive. Ils étaient quelques-
uns à troquer des produits invendus ou de la ferraille rouillée dérobée à
l’usine, imitant en cela, dans leur très modeste mesure, d’autres pillages si
courants chez des directeurs d’usine moins scrupuleux. D’autres
s’efforçaient de joindre les deux bouts en colportant à la sauvette toutes
sortes d’articles, en revendant des chaussettes, des épingles à cheveux, des
cerises, des sièges de toilettes ou de la crème hydratante, articles présentés
dans un carton à même le trottoir. Certains lavaient des voitures, réparaient
des souliers ou conduisaient des vélotaxis. À Shenyang, on pouvait voir les
plus intrépides tenter de vendre des couvre-volants de médiocre qualité aux
automobilistes qui passaient 746.
Le chômage dans les villes n’était que l’aspect le plus visible des
problèmes causés par l’expansion des entreprises étatiques après 1978. Les
entreprises de village qui avaient proliféré dans les campagnes avaient aussi
été des moteurs de la croissance. Il y en avait des millions et elles
comptaient pour 40 % du produit intérieur brut. Sur le plan de leur régime
de propriété, elles demeuraient dans une zone grise, financées par les
exécutifs des petites villes et des villages, mais le plus souvent elles
n’étaient pas gérées comme des entreprises privées. Lors de l’éclatement de
la crise financière, elles reproduisirent tous les problèmes associés à leurs
homologues urbaines : une dette écrasante, des produits de piètre qualité,
une technologie obsolète, d’énormes inventaires de produits invendus, une
mauvaise gestion et une production fragmentaire. Ainsi que l’observait Yao
Yugen, chef du comité économique provincial du Gansu, il existait un strict
isomorphisme entre les entreprises de village et les entreprises d’État,
autrement dit leurs structures de propriété opaques étaient deux copies
conformes. Les entreprises de village complétaient les entreprises étatiques,
en exploitant le vide entre le plan et le marché. « D’un point de vue
historique, il n’aurait pas existé d’entreprises communales ou villageoises
sans entreprises étatiques. » Elles soutenaient le marché, mais elles étaient
aussi bridées par le plan 747. Avant toute chose, comme les entreprises
d’État, elles étaient devenues fortement dépendantes du crédit des banques
locales. Par conséquent, il y avait d’innombrables fabriques de carreaux en
céramique, de fermes d’élevage de grenouilles ou d’usines de matelas dans
les campagnes, tout comme les entreprises étatiques, avec leurs multiples
cimenteries, aciéries et usines de vélos dans les villes du pays 748.
Bon nombre d’entre elles étaient non seulement inefficaces et criblées
de dettes, mais aussi dangereuses. L’une des raisons pour lesquelles elles
avaient grandi si rapidement tenait au fait qu’elles s’étaient développées
dans la bienheureuse ignorance de toutes les règles d’hygiène et de sécurité,
sans même mentionner la pollution. C’était notamment vrai des petites
mines de charbon exploitées par des équipes villageoises. Au cours des
premiers mois de l’année 1992, selon un rapport élaboré par le ministère du
Travail, plus de 3 800 travailleurs étaient morts dans ces petites houillères,
représentant 65 % de tous les décès dans l’industrie minière 749. Les pertes
étaient plus élevées que l’année précédente et ne cessaient de grossir. En
1998, des militants syndicaux estimèrent le nombre d’accidents mortels à
plus de 10 000, soit un par heure, et le gouvernement central ordonna une
série de sanctions, en fermant plus de 25 800 puits. Confrontée à une
énorme surcapacité, la production charbonnière chuta de quelque
250 millions de tonnes. C’était l’équivalent au niveau des villages de
plusieurs centaines de grandes mines étatiques en milieu urbain, pourtant
maintenues en fonction grâce à d’imposantes subventions 750.
L’État s’employa à rediriger ses ressources des villages vers les grands
conglomérats. Ainsi que l’avait décrété Jiang Zemin : « Garder les grands et
se débarrasser des petits. » Deux millions d’autres entreprises de village,
dans tout un ensemble de secteurs, furent à leur tour supprimées, réduisant
le nombre d’entités inscrites dans les registres à 20 millions. Pour la
première fois en vingt ans, ces entreprises de village avaient cessé
d’absorber non seulement le crédit des banques locales, mais aussi
d’éponger les excédents massifs de main-d’œuvre rurale. Le chômage
s’envola, touchant 130 millions de Chinois, soit presque le tiers de la
population active. Pour aggraver les choses, l’armée de travailleurs
migrants qui envoyaient une partie de leur paie dans leur village d’origine
se mit à rétrécir, retombant d’un pic estimé à 90 millions d’individus à
environ 75 millions, en 1998. Ils furent nombreux à être renvoyés vers les
campagnes par des pouvoirs municipaux qui avaient du mal à procurer des
emplois à leurs propres citoyens. Ceux qui s’accrochaient encore à des
postes dans les usines et sur les chantiers de construction disséminés dans
les régions côtières percevaient des rémunérations plus basses. Certains
n’étaient pas payés du tout 751.
Le chômage continua de monter. Comme les entreprises de village
contribuaient aux recettes collectées par les gouvernements locaux, qui pour
la même raison avaient cherché à les maintenir à flot avec davantage de
prêts bancaires sans se soucier de l’efficacité économique, les revenus de
l’État dans les campagnes s’effondrèrent. Ainsi que le Conseil des Affaires
de l’État l’observa en mai 1999, certains villages ne faisaient aucune
distinction entre la gestion politique et les affaires commerciales,
accumulant ainsi des dettes à l’infini sans tenir compte de leur capacité de
remboursement, avant de « dilapider [les fonds] à la légère 752 ». Avec tant
d’investissements dans des entreprises rurales non viables, une multitude
d’entre elles s’enfonça dans l’endettement. En 1999, dans de vastes portions
du pays, en particulier dans les régions du Centre et de l’Ouest, les exécutifs
locaux ne pouvaient plus payer leurs employés. Les responsables publics
restaient des mois de suite sans rémunération. Dans la province du Gansu,
les recettes fiscales des campagnes chutèrent d’environ 14 %, alors que les
dépenses avaient augmenté de 5 %. Pour les salaires des administrations, le
trou dépassait 250 millions de yuans 753.
Au cours des deux années suivantes, le problème devint encore plus
aigu. Comme toujours dans un régime de parti unique soucieux de son
image mais peu attaché à la réalité des faits, il était difficile d’obtenir des
chiffres précis. Pourtant, en 2001, d’après Zhu Rongji, 59 des 86 comtés de
la province de Gansu n’avaient pas versé de rémunération complète (ou en
temps et en heure) à leurs employés, soit l’équivalent de 68 % de tous les
comtés. Dans le Sichuan, une province relativement riche à peu près de la
taille de la France, la proportion était de 24 %. En Mongolie Intérieure,
c’était 80 %, sans inclure 70 % des communes et villages situés plus bas
dans la hiérarchie. À Jilin, dans le bassin industriel du Nord-Est, c’était
46 %. En théorie, naturellement, ces chiffres pouvaient inclure un paiement
insuffisant d’un yuan seulement, mais, pour donner un exemple précis, dans
24 comtés du Gansu, le manque à gagner était en moyenne de 6 000 yuans
pour chaque fonctionnaire. En juillet 2001, 59 comtés de la même province
accusaient 300 millions de yuans d’impayés. Dans certaines parties des
campagnes, les organes administratifs étaient paralysés, les chefs de service
ne pouvaient plus conduire de véhicules, passer des coups de téléphone ou
organiser des réunions. Certaines localités contractèrent de nouveaux prêts
pour couvrir des dettes supplémentaires, et elles devaient aux banques des
dizaines, si ce n’était même des centaines de millions de yuans 754.
Dans les campagnes, le système de prêts était entre les mains de
mutuelles rurales également appelées coopératives rurales de crédit.
Établies dans les années 1950 pour transférer l’argent de l’État vers les
communes, elles avaient commencé après 1976 à proposer du crédit et des
comptes d’épargne aux villageois. Placées sous la tutelle de la Banque de
l’agriculture, en 1996, elles étaient tellement endettées qu’elles furent
placées sous celle de la Banque populaire de Chine.
Au début des années 1980, le ministère de l’Agriculture instaura un
deuxième réseau plus informel, des fonds coopératifs ruraux. Ces derniers
s’adressaient plutôt aux simples agriculteurs et aux entrepreneurs
individuels qui, fréquemment, ne pouvaient obtenir de prêts ailleurs. Les
coûts de fonctionnement de ces fonds étaient bas et ils étaient perçus
comme faisant concurrence aux coopératives rurales de crédit, puisqu’ils en
détournaient les dépôts des populations rurales qu’ils attiraient à eux.
Comme ces coopératives, ces fonds souffraient d’une gestion médiocre et
d’un contrôle réglementaire trop laxiste. Dans les campagnes autour de
Wenzhou, l’une des régions les plus riches du pays, il existait en 1997
environ 175 de ces fonds qui se disputaient des clients. D’après une équipe
d’enquêteurs, ils avaient tous deux un travers en commun, une « gestion
anarchique » et des « ingérences politiques », les cadres dirigeants locaux
résistant à toute vérification extérieure et distribuant les prêts en fonction de
leurs préférences personnelles. « Il est relativement courant d’avoir un
responsable d’un gouvernement local nommé au poste de principal
gestionnaire de la banque. » Avant même le déclenchement de la crise
financière, ils étaient un certain nombre à consentir des prêts dépassant
120 % de leurs dépôts, une situation qui se reproduisait d’un bout à l’autre
du pays, si périlleuse qu’en 1999, la Banque populaire de Chine prit la
décision de tous les fermer 755.
Les coopératives rurales de crédit restèrent donc les seules institutions
financières présentes dans les campagnes. Après des décennies de gestion
hasardeuse, fin 1999, elles affichaient une balance d’actifs nets négative,
avec des pertes totales s’élevant à 82,6 milliards de yuans en 2000. Elles
n’en tenaient aucun compte, sachant que le gouvernement central les
renflouerait toujours. Si elles avaient été autorisées à faire faillite, ainsi que
le relève Lynette Ong, une experte en fiscalité, des dizaines de millions de
déposants ruraux y auraient perdu leurs économies. Elles se virent proposer
un swap, ou contrat d’échange conditionnel « dette contre billets à ordre »
pour un total de 165,6 milliards de yuans, la banque centrale rachetant (à
leur valeur comptable) les actifs toxiques des coopératives de crédits
théoriquement en cessation de paiements. C’était une procédure
administrative automatique, qui ne s’accompagnait d’aucune réforme 756.
En 2004, une étude détaillée estimait la seule dette des villages à
370 milliards de yuans, celle des communes à 215 milliards de yuans et
l’endettement des comtés à 410 milliards de yuans. Presque partout, la
contribution des entreprises de village à l’économie locale était négative.
Après plus de vingt années de réforme économique, dans les faits, les
campagnes étaient en faillite 757.
Les coopératives rurales de crédit furent renflouées, comme le furent les
gouvernements locaux qui n’avaient contrôlé leurs prêts que dans la mesure
de leurs propres intérêts. Quand ces administrations locales furent
incapables de payer leurs salaires, elles reproduisirent la politique du
pouvoir central, en transformant leurs dettes en obligations et en reportant
l’échéance initiale à une date ultérieure 758.
Lorsque les impôts dans les campagnes déclinèrent, un autre moyen de
lever de l’argent consistait à ponctionner la population locale, tant les
individus que les entreprises. Partout dans le pays, des cadres locaux
prélevèrent un nombre croissant de frais, de redevances, de droits de péage,
d’accises et de contributions, facultatifs ou non. Dans la campagne autour
de la ville de Lanzhou, la capitale provinciale du Gansu, à l’été 1998, une
équipe d’inspecteurs décompta 57 manières de collecter ce type de
rétributions des entreprises de village, dont 42 étaient illégales. Dans
l’entière région du Jiuquan, à environ 300 kilomètres au nord-ouest de
Lanzhou, sur l’ancienne Route de la Soie, ces contributions illégales
représentaient 30 % des revenus des gouvernements locaux 759.
Le problème n’était nullement limité au Gansu. Le Conseil des Affaires
de l’État finit par en être tellement préoccupé qu’en 2001, il envoya six
équipes d’investigation dans diverses provinces. Les enquêteurs
découvrirent tout un univers d’iniquités, qui allaient des contributions liées
à l’abattage d’une vache, à la détention d’un cheval ou à la construction
d’une maison, jusqu’à des demandes plus extravagantes. Par exemple, les
écoles primaires avaient pour habitude d’obliger les villageois à payer
l’électricité et l’eau mais dans le comté de Qixian, dans la province du
Henan, elles exigeaient aussi une contribution de trois yuans par élève pour
l’utilisation d’un support à vélos, d’un yuan pour toute absence en cours et
de trois yuans pour une visite médicale. Dans la province du Yunnan, les
primes d’assurance étaient monnaie courante et atteignaient 44 yuans par
an. Dans le comté de Qingxu, province du Shanxi, il existait une
contribution de mariage de 9 yuans, qui pouvait être portée à 50 yuans dans
certains villages. Dans le comté de Mulan, province du Heilongjiang, un
examen médical était requis avant délivrance d’un certificat de mariage, et
coûtait la somme astronomique de 500 yuans. Partout, des contributions
forcées étaient prélevées pour des plans d’investissement ou des services
publics douteux. Chaque échelon administratif essayait de pressurer
l’échelon inférieur, les comtés faisant pression sur les communes, et les
communes, à leur tour, sur les villages. Dans la ville de Shangyu, province
du Zhejiang, chaque village était facturé 4 000 yuans par an pour un
abonnement obligatoire à des journaux locaux. Ainsi que le déplorait un
proverbe traditionnel : « Il y a beaucoup de moines mais peu de gruau 760. »
Comme les citoyens ordinaires se situaient en bas de cette hiérarchie
féodale, c’était eux qui, en fin de compte, en supportaient tout le poids. Une
estimation grossière situait la charge financière de ces contributions
arbitraires à environ 25 à 30 % de leurs revenus, pour l’ensemble de la
Chine. Cao Jinqing, sociologue précurseur en la matière, a pu avancer un
chiffre plus élevé en laissant entendre que, dans certaines parties du pays,
les villageois reversaient jusqu’à 40 % de leurs revenus en contributions
illégales, et ils étaient nombreux à devoir ensuite contracter davantage
d’emprunts auprès des coopératives rurales 761.

*
* *
Sous l’effet de la crise financière, le régime étant forcé de réformer ses
entreprises collectives, une partie de l’économie, le secteur privé, réussissait
en réalité à créer des emplois. Marquant un changement de ton notable,
pour la première fois depuis 1978, des entrepreneurs privés étaient
véritablement acceptés, et non plus simplement tolérés de mauvaise grâce,
tout en étant corsetés par des règles et règlements sans fin. Dans des villes
comme Shanghai et Qingdao, on estimait que deux travailleurs sur trois
licenciés par des entreprises publiques avaient trouvé un emploi dans le
secteur privé. Si Lei Feng était encore en vie, proclama Le
Quotidien du Peuple en avril 1998, il serait devenu entrepreneur privé. Un
an plus tard, la Constitution fut amendée pour revaloriser le statut des
« secteurs non publics » de l’économie, c’est-à-dire des entrepreneurs
individuels et des entreprises privées, qui passa de simple « complément » à
celui de « composante importante » de l’économie d’État 762.
Ce changement était principalement symbolique. La même Constitution
mentionnait à peine la protection de la propriété privée, tout en qualifiant la
« propriété publique socialiste » de « sacrée et inviolable ». Bien que les
entrepreneurs privés soient acceptés, leur nombre demeurait modeste. En
1999, après plus de vingt ans de réforme, les entreprises privées inscrites
dans les registres employaient seulement 32 millions de personnes, sur une
population active urbaine de 239 millions de Chinois, d’après les chiffres
officiels 763.
Ces chiffres étaient bas parce que les entrepreneurs privés ne pouvaient
pas rivaliser avec le secteur public. Les percepteurs envoyés par l’État ne
leur accordaient aucune égalité de traitement. Pas davantage que les
banques, également gérées par l’État, ou que les tribunaux, avec des
magistrats qui n’étaient que des loyalistes du parti et des officiers en
retraite. À tous les niveaux, l’ensemble des institutions étatiques étaient
dirigées par un secrétaire du parti qui favorisait d’autres institutions du
parti, une situation qui ne risquait guère de changer dans le futur. En aucun
cas le secteur privé ne serait autorisé à croître et à dépasser le secteur
public, ce que les responsables du parti avaient le plus grand mal à
reconnaître.
Nous permettons maintenant au secteur privé de se développer
un peu, parce que pour le moment c’est bon pour l’économie
étatisée. Mais attention, cela ne signifie pas que nous nous
dirigions vers une société capitaliste, expliqua un délégué de
l’Armée populaire de libération. La Chine est un pays
communiste parce qu’elle est dirigée par le Parti communiste, et
cela ne changera jamais 764.

De temps à autre, chacun des grands dirigeants faisait des déclarations


similaires, et pourtant beaucoup d’étrangers se croyaient mieux informés.
En 1993, ils avaient découvert le mot « transition », qui traduisait leur
vision d’un pays organisant son passage de l’économie planifiée à
l’économie de marché. En septembre 1997, après que Jiang Zemin avait
annoncé sa détermination à modifier la structure de propriété des
entreprises étatiques, ces mêmes commentateurs étrangers se mirent à
employer un autre terme : « privatisation ». En plus d’une occasion, Jiang
Zemin avait précisément rejeté l’idée que rien de vaguement comparable à
un mouvement du secteur d’État vers le secteur privé pût avoir lieu sous son
autorité. Il le fit en septembre 1997, et lança un autre avertissement clair
après l’adoption de l’amendement constitutionnel en 1999 : « Certaines
personnes à l’étranger croient, à tort, que la Chine veut s’engager dans la
privatisation, et certains de nos camarades se sont laissés aller à une
méprise du même ordre. » Quand Zhu Rongji expliquait en 1998 à
George H. W. Bush que la transformation de grands actifs étatiques en
sociétés commerciales n’avait rien à voir avec une « privatisation », mais
que c’était simplement un moyen de consolider la propriété de l’État,
l’ancien président américain réagit par un petit coup de coude et, avec un
clin d’œil, lui dit : « Nous savons bien ce qui se passe 765. »
« Changement de propriété », ou « diversification des titres », telle était
766
la formule employée en chinois, et non « privatisation » . En fait, les
cadres du parti ne pouvaient guère se résoudre à employer ce qualificatif,
« privé », préférant recourir à l’expression plus courante « secteur non
public », par laquelle ils désignaient à la fois les ménages individuels et les
entreprises privées. Dans la vaste majorité des cas de transferts de propriété,
concernant des petites entreprises disséminées dans les campagnes ou de
plus grandes usines dans les villes, le mouvement vers la participation
privée ne supposait aucune perte de contrôle de l’État ou de ses nombreux
représentants. Les conglomérats géants cotés à Wall Street, au New York
Stock Exchange, comme China Telecom, se contentèrent de vendre une part
minoritaire à des acteurs extérieurs et conservaient le droit de nommer la
totalité du conseil d’administration. Il en allait de même de la plupart des
entreprises, alors que des villages, des communes, des comtés, des régions,
des provinces, des ministères ou d’autres entités représentant le Parti
communiste prenaient le contrôle de la majorité des parts.
Certaines de ces parts étaient aussi vendues à des employés, une
démarche qui préservait l’idéal de la propriété collective. Toutefois, ces
rachats de parts par des employés se révélaient le plus souvent un moyen
pour les gouvernements locaux de forcer des travailleurs à prêter davantage
d’argent, ou à s’en aller. Dans bien des cas, des fusions et acquisitions
conduisaient à un simple changement de nom et à quelques manipulations
de chiffres dans les livres comptables. Le mouvement vers la participation
privée redistribuait les actifs sans améliorer l’efficacité générale du secteur
étatique. Cette redistribution avait pour objectif de renforcer l’État et de
sauver ses entreprises en supprimant les emplois de dizaines de millions de
travailleurs qui leur avaient consacré leur vie 767.

*
* *
Le nombre de conflits du travail monta en flèche, atteignant
120 000 dossiers en 1999, selon les chiffres officiels. Dans tout le pays, des
travailleurs privés de paie et des retraités assiégeaient leurs usines,
bloquaient des routes et manifestaient devant les bâtiments des pouvoirs
locaux pour faire entendre leurs exigences. Dans quelques cas, la corruption
mit les contestataires dans une telle colère qu’ils furent plusieurs dizaines
de milliers à provoquer des émeutes, incendiant des véhicules, fracassant
des fenêtres et affrontant la police dans de vraies batailles rangées jusqu’à
ce que l’armée arrive à la rescousse. C’est ce qui se passa, par exemple,
dans la petite ville minière de Yangjiazhangzi, dans la province du
Liaoning 768.
La plupart des manifestants étaient des employés d’entreprises étatiques
victimes de suppression de postes, mais la police dut aussi empêcher
10 000 enseignants de la province du Jilin d’investir Beijing pour aller
soumettre leurs doléances au gouvernement central. Les gens des
campagnes protestaient eux aussi : ils furent des milliers à se révolter pour
avoir accès à de l’eau potable dans la province du Shandong frappée par la
sécheresse. Dans toutes les régions, d’un bout à l’autre du corps social, les
troubles menaçaient 769.
C’était un mélange d’individus très insaisissable, mais, dans la plupart
des situations, ces manifestants se dispersèrent paisiblement après avoir fait
entendre leur voix, résistants mais résignés, pleinement conscients de
n’avoir aucune chance contre la machinerie implacable de l’État. Leur droit
de grève avait été effacé de la Constitution en 1982 et, comme il se doit
dans un régime communiste, les syndicats étaient contrôlés par l’État.
L’aspect le plus marquant, c’était que les protestations demeuraient en ordre
dispersé : on ne percevait aucune tentative d’unification du mouvement afin
de faire cause commune sur l’ensemble du territoire.
Alors que les autorités locales évitaient souvent la confrontation en
faisant miroiter des promesses qu’elles pouvaient rompre plus tard, la
justice était prompte à frapper ceux qui visaient des buts politiques. Jiang
Zemin exigea à plusieurs reprises que les services de sécurité du pays
« tuent dans l’œuf » toute tentative d’opposition à caractère politique. Le
système politique chinois « ne doit en aucune circonstance être ébranlé,
affaibli ou abandonné. Le modèle politique occidental ne doit pas être
copié », déclara-t-il aux cadres du parti dans la salle des séances plénières
du Palais de l’Assemblée du peuple, en décembre 1998. « Nous devons être
vigilants contre toute infiltration, contre les activités subversives, contre les
activités séparatistes des forces hostiles, tant de l’intérieur
qu’internationales », continua-t-il, en répétant presque mot pour mot son
message au parti de l’été 1989 770.
Six mois plus tôt, Bill Clinton s’était rendu en visite officielle en Chine,
et il avait couvert son hôte d’éloges. Jiang Zemin, déclara le président
américain à la presse internationale en juin 1998, était un personnage
visionnaire qui menait progressivement son pays vers une plus grande
liberté. L’avènement de la démocratie, continua-t-il, aurait lieu de son
vivant. Les observateurs étrangers proclamèrent eux aussi une nouvelle ère
d’ouverture politique. Quelques semaines avant cette visite historique, dans
un geste censé démontrer sa bonne volonté, Jiang Zemin avait procédé à
l’échange de certains de ses dissidents en autorisant que l’on envoie Wei
Jingsheng et Wang Dan en exil aux États-Unis 771.
Le 25 juin 1998, le jour même de l’arrivée du président américain en
Chine, un groupe d’activistes politiques tenta de faire enregistrer le Parti
démocrate chinois à Hangzhou. En quelques mois, des commissions
préparatoires furent formées dans 23 provinces et grandes villes, impliquant
des centaines de bénévoles dans le cadre d’une campagne étroitement
coordonnée qui prit le régime par surprise. L’un des organisateurs n’était
autre que Xu Wenli, l’ancien dissident du mouvement du mur de la
Démocratie, détenu en 1979. Il fut aussitôt appréhendé, avec d’autres. Le
5 octobre 1998, le régime signait le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, ce qui lui valut des louanges sur le plan international
(mais Beijing ne le ratifia jamais). Alors même que l’ambassadeur de Chine
apposait son nom sur le document à New York, jurant d’accorder à ses
citoyens des droits et libertés élémentaires, les organisateurs du Parti
démocrate chinois étaient traduits en justice, et Xu Wenli était de nouveau
envoyé en détention pour treize ans 772.
D’autres arrestations suivirent. Shi Binhai, chroniqueur au
China Economic Times, un libéral en marge des courants dominants, fut
placé en détention. Fang Jue, un chef d’entreprise et ancien fonctionnaire de
l’administration qui avait écrit sur la réforme économique sans même
jamais se risquer à évoquer de mettre un terme au pouvoir communiste, fut
aussi condamné à quatre ans de prison. Des militants syndicaux écopèrent
de sentences bien plus lourdes. Zhang Shanguang fut condamné à dix
années de réclusion pour avoir parlé sur les ondes de Radio Free Asia des
manifestations dans les campagnes. En juin 1999, trois hommes qui avaient
essayé d’organiser un syndicat indépendant dans la province du Gansu
furent traduits en justice pour subversion 773.

*
* *
Dix ans après la prise de contrôle de la scène politique polonaise par
Solidarność, la direction chinoise était encore hantée par la perspective
d’une alliance potentielle entre militants de la démocratie et travailleurs
ayant perdu leur emploi. Pourtant, malgré toute leur vigilance, ces
dirigeants furent pris au dépourvu par un mouvement de contestation de
nature bien plus ésotérique. Le 25 avril 1999, à peu près 10 000 membres
d’un groupe qui se faisait appeler Falun Gong, ou « la Roue de la Loi »,
s’introduisirent discrètement dans la capitale et encerclèrent Zhongnanhai,
l’enceinte aux murs rouge vermillon abritant les résidences des principaux
dirigeants de la Chine. Nombre de ces manifestants adhérents de ce groupe
étaient des personnes âgées. Ils s’assirent ou restèrent debout, en silence,
dans une posture de défi, des heures d’affilée, regroupés par rangées de
quatre ou cinq sur l’avenue Chang’an. La police restait en retrait, ne serait-
ce que parce qu’elle était inférieure en nombre. La manifestation se voulait
pacifique, mais elle laissa les dirigeants sous le choc. Quelques semaines
avant le dixième anniversaire du massacre du Quatre Juin, ils venaient
d’être pris en embuscade, à leur domicile, une opération que même les
étudiants n’avaient pas osé tenter 774.
Le fondateur de ce mouvement s’appelait Li Hongzhi, et il enseignait à
ses disciples une série d’exercices physiques et de techniques de respiration
pour les aider à atteindre la sérénité de l’esprit, si ce n’était même à accéder
à l’illumination spirituelle et à une place dans l’au-delà. Les observateurs
étrangers restèrent aussi perplexes que les forces de sécurité publique,
incapables de comprendre s’il s’agissait d’une secte, d’un culte ou d’une
religion.
Maître Li était en exil à New York mais il venait de Changchun, une
ville située au milieu du bassin industriel du Nord-Est. Il avait fondé ce
mouvement en 1992, et ce mélange d’idées bouddhistes et taoïstes et
d’exercices d’art martiaux exécutés avec lenteur attirait un nombre croissant
d’adeptes. En 1999, il pouvait revendiquer plusieurs dizaines de millions de
disciples, tant en Chine qu’à l’étranger. Son organisation était le reflet exact
de celle du parti, et elle accueillait dans ses rangs des individus
désillusionnés et défavorisés, mais aussi des personnes hautement
éduquées, jusque dans les hautes sphères du Parti communiste. L’un d’eux,
Li Chang, un haut fonctionnaire à la retraite du ministère de la Sécurité
publique, avait comme d’autres la responsabilité de ce réseau très
discipliné, organisé en cellules qui supervisaient des milliers d’adhérents.
En avril, quand un magazine populaire de Tianjin avertit ses lecteurs contre
ce qu’il décrivait comme un culte, des soutiens du Falun Gong se sentirent
menacés. Pendant leur démonstration de force à Beijing, ils exigèrent alors
une reconnaissance juridique 775.
Lorsque les manifestants rencontrèrent Zhu Rongji, ils laissèrent
entendre que seul le Falun Gong, et non le communisme, pouvait sauver la
nation. Jiang ne décolérait pas, fustigeant les services de sécurité de n’avoir
pas appliqué correctement les mesures répressives décidées contre ces
dissidents. « Nous avons appelé à la stabilité avant toute chose, mais c’est
notre stabilité même qui nous a fait défaut 776. »
Un groupe de travail fut mis sur pied, dirigé par le vice-président Hu
Jintao, un homme d’appareil terne, inexpressif mais coriace, qui avait fait
ses armes au Tibet où il avait imposé la loi martiale et déployé la troupe
pour réprimer des protestations en mars 1989. La répression contre le Falun
Gong débuta le 20 juillet 1999, lorsque le mouvement fut déclaré illégal, les
rassemblements furent aussitôt dispersés, des dizaines de milliers
d’adhérents mis en détention provisoire et plus d’une centaine de ses
membres fondateurs arrêtés. Des femmes âgées finirent embarquées dans
des fourgons de police. Des maisons furent mises à sac, des documents
confisqués, des livres brûlés, des portraits du chef réduits en miettes. Au
cours des mois suivants, des milliers d’autres adhérents furent envoyés dans
des camps de travail 777.
Vers la fin octobre, l’Assemblée nationale populaire adopta en hâte une
nouvelle loi contre les « cultes maléfiques », définis comme des
« organisations illégales » qui « déifient leurs fondateurs, répandent la
superstition et l’hérésie pour égarer les autres, ou conduisent leurs membres
à mettre la société en danger ». Des dizaines de milliers de fidèles
descendirent à nouveau dans la rue, bloquant des administrations
gouvernementales dans plus de trente villes, en signe de protestation
silencieuse. La police les appréhenda et d’autres descentes éclairs furent
lancées contre les chefs. Le nombre de leurs adhérents placés en détention
augmenta et atteignit 35 000 emprisonnés à la fin de l’année. L’appareil de
la propagande mena contre eux une inlassable campagne de dénigrement 778.
Pourtant, un nombre apparemment inépuisable d’adeptes fit son
apparition, et ils affichaient une foi inébranlable. Le 25 avril 2000,
précisément un an après avoir encerclé Zhongnanhai, une centaine
d’adhérents du mouvement manifestèrent brièvement place Tian’anmen
avant que des policiers en civils ne les emmènent. Six mois plus tard, jour
de la Fête nationale, le 1er octobre, des centaines d’adhérents du Falun Gong
réussirent, malgré une étroite surveillance, à éclipser les festivités
méticuleusement orchestrées sur l’esplanade. Dès qu’un groupe était
escamoté de force par les policiers qui rouaient les manifestants de coups de
pied et de poing, un autre groupe émergeait ensuite de la foule. Quelques-
uns d’entre eux parvinrent à dérouler une banderole rouge proclamant « Le
Falun Gong, c’est bien » au-dessous du portrait du président Mao et sous
les regards de dizaines de milliers de membres du parti et de dignitaires
étrangers qui assistaient aux commémorations 779.
En revanche, quand cinq membres s’immolèrent par le feu sur cette
même place à la veille de la Nouvelle Année lunaire, en janvier 2001,
beaucoup de gens en conclurent qu’il s’agissait en effet d’un culte
dangereux 780.
Au lendemain de ces immolations, la guerre d’usure s’intensifia,
impliquant notamment de laborieux efforts pour repérer et éradiquer les
adeptes du mouvement, d’une unité de travail après l’autre, la police
passant méthodiquement au peigne fin des quartiers entiers pour envoyer
les contrevenants potentiels dans des cours de rééducation. Le recours
systématique à la violence devenait chose courante, les adhérents étaient
frappés, recevaient des décharges de matraques électriques ou étaient forcés
de rester en position accroupie des heures d’affilée. « Je suis un homme
brisé », confia un ingénieur en électricité après avoir été contraint de rester
debout contre un mur pendant neuf jours. « Maintenant, chaque fois que je
vois un policier et ces matraques électriques, je me sens mal, sur le point de
vomir 781. »
Des quotas furent fixés pour chaque ville, comté et province, et les
secrétaires du parti des zones qui ne réussissaient pas à atteindre les chiffres
ainsi requis s’exposaient à des mesures disciplinaires. Et, inversement,
faisant toujours preuve de pragmatisme, les dirigeants du pays autorisèrent
les pouvoirs locaux qui s’acquittaient le mieux de leurs obligations de
convertir des membres du culte à vendre leurs services à d’autres. Des
travailleurs chassés de leur emploi furent embauchés pour aider à traquer
les fidèles et, rien qu’à Beijing, ils furent recrutés par milliers. Cette
violence implacable accomplit des miracles, puisque le nombre d’adhérents
diminuait rapidement. Le 20 juillet 2001, deuxième anniversaire de cette
vague de répression, ce fut une simple poignée de manifestants qui pénétra
sur la place 782.
Le régime saisit aussi cette occasion pour ramener sous sa coupe
d’autres organisations religieuses. Jiang Zemin considérait la religion
comme une menace pour le socialisme et, peu après son accession au
pouvoir en 1989, il avait orchestré contre elles une campagne de répression
impitoyable. Comme beaucoup d’autres campagnes politiques, par exemple
la guerre contre le crime ou la lutte contre la corruption, la vague de
persécution ne cessa jamais, son flux et son reflux étant dicté par les
nécessités et les opportunités du moment.
On estimait que 40 millions de chrétiens pratiquaient en secret dans des
églises à domicile, et l’équipe dirigeante considérait ces réunions comme
une autre menace potentielle contre son autorité. Quelques mois après la
promulgation de la nouvelle loi visant à écraser le Falun Gong, dix églises
clandestines furent dénoncées comme autant de « cultes du mal » et plus
d’une centaine de leurs chefs de file furent arrêtés et déportés dans des
camps de travail 783.
La bataille pour le contrôle des esprits s’élargit encore l’année suivante.
Dans la seule province du Zhejiang, 1 200 temples, églises et autres salles
ancestrales furent rasés ou détruits à la dynamite. La ville de Wenzhou, qui
pouvait maintenant s’enorgueillir d’une population de 7 millions
d’habitants, fut frappée durement avec environ 200 fermetures, notamment
une église de 400 mètres carrés qui fut démolie par des charges explosives.
Contre toute attente, les populations locales résistèrent. Quand un temple
érigé en 1986 fut voué à la destruction par les autorités, des foules
nombreuses vinrent occuper l’édifice et monter la garde à tour de rôle. Elles
n’étaient néanmoins pas à la hauteur des forces de sécurité 784.
Des membres du parti furent aussi soumis à examen pour leurs
convictions religieuses. Le marxisme, expliqua Jiang Zemin le 1er juillet
1999, était le « lest spirituel » qui empêcherait ces adhérents du parti de se
laisser entraîner à la dérive vers la superstition féodale ou la vénération de
l’argent. Si ces cadres perdaient foi dans le communisme, la Chine serait
condamnée, observa-t-il encore. Quelques semaines plus tard, afin de
combattre l’influence pernicieuse et répandue du Falun Gong au sein même
des rangs du parti, le Comité central et le ministère de la Propagande
donnèrent instruction à chaque adhérent d’étudier le matérialisme
dialectique et l’athéisme 785.
C’est ce que l’on appela la « campagne des Trois Priorités » : priorité à
la doxa marxiste, priorité à la politique et priorité à la droiture individuelle.
Hu Jintao, désormais héritier présomptif, endossa la responsabilité de cette
opération. Pourtant, renforcer l’idéologie du parti ne suffisait pas tout à fait.
Il fallait aussi consolider son organisation. Dans le jargon marxiste, c’était
ce que l’on désignait par la « construction du parti », et, selon Jiang Zemin,
dans la ruée vers la croissance économique, celle-ci avait été négligée, ce
qui avait conduit à une surveillance relâchée des cadres. Une autre
campagne, celle des « Trois Représentations », lancée en mai 2000, vint
compléter les Trois Priorités. Son auteur anonyme était en fait Wang
Huning, l’idéologue doctrinaire qui avait rédigé « Sur le maniement correct
des douze relations majeures » pour le compte de Jiang Zemin, quelques
années auparavant 786.
Bien que peu de gens aient compris exactement ce que signifiait cette
formulation, l’idée générale était que le parti ne devait pas laisser diluer son
pouvoir politique et devait s’assurer de rester à l’avant-garde dans tous les
domaines de la vie de la nation. Cela incluait des éléments comme la
« culture avancée » du pays ainsi que l’« intérêt fondamental de la majorité
du peuple ». Un troisième principe postulait que le parti devait « représenter
les forces productives progressistes ». Les experts étrangers en étaient
muets d’admiration, car les Trois Représentations comportaient une
décision de mettre un terme à une interdiction d’adhésion au parti pour les
entrepreneurs et commerçants privés. Pourtant, dans une novlangue
orwellienne, cette campagne était bel et bien conçue pour élargir la
mainmise de l’État, pas pour la restreindre, surtout dans le secteur privé.
Comme des dizaines de milliers d’entreprises étatiques devenaient des
sociétés par actions, en se délestant de millions d’emplois en chemin, le
parti insistait pour en garder la maîtrise. Les Trois Représentations
stipulaient qu’il fallait établir des cellules du parti à l’intérieur des
entreprises privées, en les soumettant à une surveillance plus étroite. Ces
cellules « unifieraient, éduqueraient et guideraient le travail des
entrepreneurs privés », en s’assurant qu’ils « obéissaient à la loi » et qu’ils
« soutenaient les politiques du parti » et « apportaient leur contribution à
l’État et à la société », décréta Jiang Zemin 787.
En mai 2000, pour marquer le lancement des Trois Représentations, il
se rendit en visite à Wenzhou. Dans cette Mecque du capitalisme, à peu près
80 % de la production industrielle émanait du secteur privé. Pourtant, une
petite partie de tous les travailleurs des usines gérées par ce secteur privé,
soit 2 % seulement, étaient des membres du parti. Le secrétaire général
repartit de cette ville avec des instructions claires : organiser une cellule du
parti dans toutes les entreprises privées. « Si nous ne formons pas
correctement des structures du parti à l’intérieur de ces entreprises, alors
nous abandonnons la place dirigeante du parti 788. »
D’autres visiteurs le suivirent, parmi lesquels Hu Jintao et des cadres du
département de l’Organisation. Un an plus tard, Wenzhou devenait l’une
des premières villes à formellement introniser plusieurs de ses hommes
d’affaires privés dans le Parti communiste. Il y avait parmi eux Zhou Dahu,
propriétaire de la Wenzhou Tiger Lighter Factory, une nomination qui avait
été soigneusement validée, et alors qu’il était lui-même très désireux de
prouver ses qualifications de communiste. Quand les envoyés du
département de l’Organisation lui demandèrent ce qu’il projetait de faire de
sa richesse, il sut leur fournir la réponse adéquate : « Je leur ai dit, en fin de
compte, tout appartient au parti. » Zhou Dahu deviendrait l’un des premiers
capitalistes rouges du pays 789.
Les Trois Représentations scellèrent encore davantage la primauté du
parti sur les questions d’ordre réglementaire. Un principe léniniste classique
voulait que le parti soit supervisé par lui-même et non par une quelconque
institution extérieure, et encore moins par un système judiciaire
indépendant. Ainsi que l’expliquait Wen Jiabao, cette nécessité que « le
parti supervise le parti » était stipulée dans le préambule de la Constitution.
Si l’on renforçait l’idéologie du parti ainsi que son organisation, il serait
plus apte à strictement contrôler et réguler toutes les entreprises, qu’elles se
situent dans le secteur étatique ou en dehors 790.
Pourtant, un certain nombre de maoïstes irréductibles, notamment Deng
Liqun, alors âgé de quatre-vingt-six ans, étaient furieux que le parti
accueille des hommes d’entreprise. Yuan Mu, qui plus de dix ans
auparavant avait morigéné les étudiants au nom du gouvernement,
considérait cette dérive comme une tentative de « restauration du
capitalisme ». Quand deux magazines du parti reprirent dans leurs pages
certaines de ces prises de position critiques, un Jiang Zemin furibond
ordonna qu’ils soient fermés : la raison en était qu’ils n’avaient pas su se
conformer à l’un des Trois Principes, en l’occurrence à la nécessité que le
parti tienne un rôle d’avant-garde dans la défense d’une « culture avancée ».
Jiang rendit aussi l’étude des Trois Représentations obligatoire pour tous les
cadres et adhérents 791. Lors du Seizième Congrès, en novembre 2002, les
Trois Représentations furent inscrites dans la Constitution du parti, placées
au même rang que la Pensée Mao Zedong et que la Théorie Deng Xiaoping
au sein de son idéologie directrice.

*
* *
Le vendredi 7 mai 1999, moins de deux semaines après que les
dirigeants du pays eurent été encerclés par 10 000 adeptes du Falun Gong,
plusieurs bombardiers furtifs larguèrent au-dessus de Belgrade cinq bombes
à guidage GPS qui touchèrent l’aile sud de l’ambassade de Chine. Cette
frappe nocturne démolit le bureau de l’attaché militaire, mais laissa intacte
la partie nord des bâtiments, et notamment la Mercedes-Benz de
l’ambassadeur et quatre pots de fleurs. Au cours de la campagne de
bombardement de l’OTAN sur la Yougoslavie, lancée par l’Alliance
atlantique après l’échec des pourparlers de paix visant à mettre un terme à
la persécution des populations d’ethnie albanaise du Kosovo, des centaines
de sites de défense aérienne, de quartiers généraux de l’armée et d’autres
cibles militaires furent ainsi visés. William Cohen, secrétaire à la Défense,
qualifia cette campagne d’« emploi de la puissance aérienne le plus précis
de l’Histoire ». Pourtant, ce bombardement de l’ambassade se révéla une
erreur tragique, basée sur des coordonnées erronées extraites d’une carte
périmée. Une erreur qui tua trois journalistes chinois et blessa vingt autres
personnes. Une déclaration de l’OTAN diffusée le jour même précisait que
l’Organisation n’avait pas eu l’intention de cibler l’ambassade, ainsi qu’un
complexe hospitalier et une place de marché à Nis, et qu’elle regrettait ces
792
dégâts et toutes ces pertes en vies humaines .
Beijing condamna immédiatement cette attaque « barbare » et cette
« conduite criminelle » de l’OTAN. Les journaux et les médias suivirent, en
présentant ce bombardement comme un acte de guerre soigneusement
planifié destiné à détourner le pays de son développement économique en le
forçant à augmenter ses dépenses militaires. La Chine, prétendait-on, avait
été punie pour avoir soutenu la Yougoslavie. Les États-Unis tentaient de la
refouler, « de faire trembler les montagnes pour faire peur au tigre 793 ».
Les masses donnèrent presque aussitôt libre cours à leur colère.
À Beijing, des dizaines de milliers d’étudiants furieux convergèrent en
direction de l’ambassade des États-Unis et lancèrent sur le bâtiment une
pluie de cailloux, de bouteilles et de débris. Des passants les acclamèrent
lorsqu’ils les virent incendier le drapeau américain. À Chengdu, une foule
nombreuse jeta des cocktails Molotov sur le consulat, mettant le feu aux
lieux. Des incidents similaires éclatèrent à Shanghai, à Hangzhou et à
Guangzhou. Des sociétés américaines furent aussi attaquées. À Changsha,
capitale de la province du Hunan, un groupe de gens déchaînés saccagea un
McDonald’s et dévasta deux restaurants KFC. Lors d’un de ses rares
discours télévisés, le président Hu Jintao soutint les manifestants, en
déclarant, dans la langue de bois qui lui était propre, que le gouvernement
« soutient et protège toutes les activités de protestations légales, dans le
respect de la loi ». Et, une fois n’était pas coutume, mis à part quelques
bousculades épisodiques, en cette occasion, la police sembla assez réjouie
de se mêler aux manifestants 794.
Le président Bill Clinton présenta ses excuses le 10 mai, en adressant
ses « profondes condoléances » aux victimes et à leurs familles.
Le Quotidien du Peuple ne fit aucune mention de cette intervention,
accusant au contraire Washington d’avoir perpétré ce bombardement
comme une attaque délibérée. « La Chine ne se laissera pas intimider ! »
proclamait l’éditorial en première page 795.
C’était là un sentiment largement partagé dans le pays, y compris par
l’équipe dirigeante. Le lendemain du bombardement, Jiang Zemin avait
convoqué le Comité permanent du Bureau politique, en annonçant à ses
membres que cette attaque n’était « presque certainement pas le fruit du
hasard ». « Ils ne le montrent pas mais au fond, dans la moelle de leurs os,
ils nous haïssent et veulent notre perte », continua-t-il, en désignant la
menace que les États-Unis faisaient peser sur le pays. Belgrade serait une
leçon : « Nous devons davantage développer la puissance économique de
notre nation, notre force militaire et notre unité nationale. Nous devons
renforcer nos préparatifs en vue d’un conflit militaire. » « La Chine ne se
laissera pas intimider ! », conclut-il à son tour 796.
Le Comité permanent se réunit à nouveau le lendemain, le 9 mai. Cette
fois, Jiang Zemin invoqua le précepte directeur de Deng Xiaoping : « Faire
profil bas et prendre son temps. » Il fallait en effet prendre plus de temps,
expliqua-t-il, quand bien même l’écart entre la Chine et l’Amérique s’était
resserré. « Nous devons combattre les États-Unis, mais pas au point de
rompre toute relation, argumenta-t-il. Nous devons intégrer l’OMC, mais
sans céder à leurs exigences », poursuivit-il. Il était essentiel de préserver la
stabilité sociale, car des forces étrangères hostiles n’étaient que trop
désireuses d’exploiter ces troubles et de « mettre leur machination politique
à exécution », qui consistait en une « occidentalisation » et en une tentative
de « fracturer le pays » 797.
Ce bombardement marqua un tournant décisif, car le message de Jiang
Zemin à propos d’un camp capitaliste menaçant décidé à détruire un
pouvoir socialiste en pleine ascension fut répété à maintes reprises. Lors
d’une conférence nationale sur la sécurité publique convoquée en
avril 2001, Jiang Zemin et Zhu Rongji mirent en garde contre « la
subversion et l’infiltration de forces étrangères hostiles », et notamment
contre leur tentative de « fracturer le pays ». D’après Jiang Zemin, on ne
trouvait de véritable dictature qu’à l’Ouest, où la caste capitaliste
gouvernait depuis des siècles en maintenant sa poigne de fer sur toutes les
institutions. « En Occident, le gouvernement, les tribunaux, la police et
l’armée utilisent le pouvoir législatif et exécutif ainsi que des technologies
avancées pour maintenir une dictature 798. »
Cette même vision d’une hostilité latente et profonde fut mise en avant
à tous les niveaux du gouvernement. Ainsi que Jiang Jufeng, secrétaire du
parti à Wenzhou, la ville la plus libérale du pays, le releva lors du quatre-
vingtième anniversaire du Parti communiste à l’été 2001, « des forces
adverses, en Occident, ne veulent pas voir une Chine socialiste se
développer et croître en force » et leur stratégie de « fracturer le pays et de
l’occidentaliser » ne changera jamais 799.
Bill Clinton parvint enfin à contacter Jiang Zemin le 14 mai et lui
réitéra de nouvelles excuses au téléphone. L’appareil de la propagande
présenta leur conversation comme « un coup grave porté à l’hégémonie
arrogante de l’Amérique ». Cet épisode comportait un autre aspect positif,
en l’occurrence un regain d’unité nationale et de patriotisme. « Nous avons
davantage unifié le peuple, par l’éducation patriotique », souligna plus tard
le Comité central dans une directive secrète car la « grande majorité du
peuple » pouvait constater avec une plus grande clarté la nature hypocrite
des « droits de l’homme », de « l’humanisme », de la « liberté » et de la
« démocratie », ces valeurs vides de sens propagées par le camp
impérialiste 800.
Le Comité central n’avait pas tort. Les étudiants qui avaient pris
d’assaut l’ambassade américaine à Beijing appartenaient à un autre univers
que leurs prédécesseurs. Le processus d’éducation patriotique, d’abord
lancé dix ans plus tôt, était devenu omniprésent dans tous les supports de la
propagande du parti, des manuels scolaires aux émissions de radio ou de
divertissement de la télévision. Il existait cent films, cent chants, cent livres
patriotiques, tous prescrits par l’État. Quand Karoline Kan allait à l’école
dans les années 1990, il y avait des citations patriotiques au tableau noir et
des devises inscrites au mur de chaque salle de classe. Comme tous les
jeunes enfants, elle était invitée à répéter sans arrêt le même slogan :
« Aime le pays, aime le peuple, aime le Parti communiste chinois. » « Je
m’entendais constamment répéter d’être loyale, que seul le parti pouvait
améliorer l’existence du peuple chinois et protéger la Chine contre les
menaces de pays hostiles comme le Japon et l’Amérique. » Après le
bombardement de Belgrade, le drapeau national de son école fut mis en
berne, tandis que le directeur instruisait tous les élèves rassemblés sur les
maux de l’impérialisme américain. Quelques volontaires placardèrent
ensuite des affiches antiaméricaines à l’extérieur de l’établissement, dans
des centres commerciaux, des bureaux de poste et des hôpitaux 801.
Un boycott des produits américains fut décidé après un week-end de
manifestations à l’instigation du gouvernement. À Beijing, deux films
américains furent retirés des salles et remplacés par d’autres plus
patriotiques sur la guerre de Corée. Pourtant, au bout de quelques jours,
cette campagne commençait à s’essouffler. C’était une chose que de
vociférer des slogans antiétrangers, mais c’en était une autre que de se
priver de ses biens de consommation préférés, des baskets de Nike aux
hamburgers de McDonald’s. L’équipe dirigeante se distancia elle aussi peu
à peu des protestations. Les cendres des trois journalistes tués à Belgrade
furent rapatriées, les excuses de Bill Clinton depuis la Maison-Blanche
rediffusées sur la chaîne de télévision centrale (CCTV). Le 11 mai, le
ministère des Affaires étrangères priait instamment les États-Unis de faire
progresser l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce.
Un éditorial du très influent China Business News alla plus loin :
Washington pouvait se racheter de cette attaque en accélérant les
discussions sur la demande d’adhésion de la Chine à l’OMC 802.

*1. La masse monétaire désigne la quantité de monnaie en circulation dans une économie pour
lui permettre de satisfaire à ses besoins monétaires courants. Deux indicateurs sont utilisés : la
masse monétaire au sens strict (M1), celle des moyens de paiement ; et la masse monétaire au
sens large (M3), constituée des moyens de stocker de la valeur : numéraire en circulation, dépôts
à terme, parts de fonds communs de placement, etc. (N.d.T.) Source : OCDE.
*2. Les premiers chaebols furent cocréés par les Japonais et les Coréens sous l’Occupation. Au
début des années 1960, ils participèrent à l’ascension de la Corée parmi les Quatre Dragons
asiatiques (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan), sous forme de regroupements
d’entreprises à participations croisées (N.d.T.).
9.

Mondialisation
(2001-2008)

Le 15 novembre 1999, six mois après qu’une foule en colère eut assiégé
l’ambassade des États-Unis à Beijing, la représentation diplomatique
américaine était de nouveau encerclée, mais cette fois par des équipes de
cameramen impatients de fixer le moment de la signature d’un pacte entre
la Chine et les États-Unis. L’United States-China Relations Act ratifié en
2000 permettait à la République populaire de nouer des relations
commerciales normales et permanentes, régies antérieurement par la clause
de la nation la plus favorisée, et ouvrait la voie à l’entrée de la Chine dans
l’Organisation mondiale du commerce le 11 décembre 2001.
Le moment n’aurait pu être mieux choisi. Nombre des problèmes
économiques que le Premier ministre Zhu Rongji avait tenté de résoudre
depuis sa prise de fonction s’étaient révélés bien plus enracinés qu’il ne
l’avait escompté. Malgré un vaste programme de fusions et acquisitions,
mis en œuvre grâce à des subventions massives et à de nouveaux emprunts,
les entreprises étatiques continuaient de produire des articles qu’elles ne
parvenaient pas à vendre en dégageant un bénéfice. Les surcapacités étaient
si importantes qu’en 2001 la déflation fut de retour, estimée prudemment à
3 %, quoique certains experts laissèrent entendre que le chiffre véritable,
bien plus élevé, était en fait masqué par des prix plus chers pour des
services comme ceux du secteur bancaire 803.
Les banques agricoles qui soutenaient les entreprises locales avec des
prêts étaient pratiquement insolvables, ce qui exigea une intervention
massive de la banque centrale. Des créances douteuses avaient aussi pesé
sur les quatre banques d’État, qui avaient dû être recapitalisées à hauteur de
270 milliards de yuans. Dans de vastes régions du pays, le gouvernement
était incapable de payer ses fonctionnaires dans les délais. Afin de
maintenir l’économie rurale en ordre de marche, le pouvoir central injecta
davantage d’argent dans des chantiers d’infrastructure en construisant des
routes, des ponts et des barrages et en émettant à nouveau des bons du
Trésor, en plus des 150 milliards de yuans prévus à l’origine. Pourtant, en
2000, les coffres étaient presque vides et les bilans des banques noyés dans
le rouge : dans les faits, elles se trouvaient au bord de la faillite. Une étude
du cabinet d’audit Ernst & Young estimait le montant total des prêts
improductifs circulant dans le système financier à 44 % du total des
encours, l’équivalent de 480 milliards de dollars, ou 48 % du chiffre de la
production annuelle, soit 1 trillion de dollars 804.
En 1976, selon la Banque mondiale, le produit intérieur brut chinois,
calculé par habitant, se classait au 123e rang mondial. En 2001, après un
quart de siècle consacré à mettre inlassablement l’accent sur la croissance
économique, il avait régressé au 130e rang. Le Fonds monétaire
international communiquait des chiffres légèrement différents, mais ceux-ci
mettaient également en lumière une production par habitant qui, dans
l’ensemble, n’avait guère suivi la cadence du reste du monde. Les chiffres
avaient beau être sujets à caution, en raison du manque de transparence et
de l’absence d’experts-comptables convenablement formés opérant
indépendamment du gouvernement, ils indiquaient que le miracle
économique si volontiers salué par certains observateurs étrangers avançait
plutôt à l’allure d’un escargot.
Les chiffres dissimulaient aussi un problème structurel : la part des
foyers dans le produit intérieur brut était aussi l’une des plus faibles de
toutes les grandes économies de l’histoire moderne. Les gens ordinaires, en
particulier dans les campagnes, travaillaient très dur, mais ne bénéficiaient
que d’une part dérisoire de cette croissance. Il leur fallait épargner, dans la
maigre mesure de leurs possibilités, afin de réussir à joindre les deux bouts,
non sans devoir payer en plus des services de base comme les écoles et les
hôpitaux, à des prix excessifs. Malgré la déflation, ils ne voulaient pas ou
ne pouvaient pas dépenser. Ils avaient la possibilité de déposer leurs
économies dans des banques contrôlées par l’État. Ils avaient aussi la
latitude d’acheter des parts de sociétés publiques ou de souscrire à des
emprunts obligataires émis par l’État. Ils avaient également la solution
d’acheter des titres de sociétés privées, mais la fraude et la corruption
étaient si endémiques que peu de villageois avaient envie de prendre ce
risque.
Pourtant, la Chine avait atteint l’objectif de Deng Xiaoping : quadrupler
la taille de son économie d’ici la fin du XXe siècle, ce qui en faisait un acteur
majeur du commerce mondial que personne ne pouvait plus ignorer. Alors
même que les marchés d’actions, de matières premières et obligataires qui
avaient fait leur apparition sous l’égide de Jiang Zemin et Zhu Rongji
s’appuyaient sur l’État et non sur les forces du marché, ils créaient
l’impression d’une économie fermement ancrée dans la transition entre
planification centralisée et économie de marché. Après 1997, quand les
fusions et acquisitions des entreprises d’État furent elles-mêmes
encouragées avec des introductions en Bourse sur le NYSE, à New York,
l’avenir du secteur privé semblait plus radieux que jamais. Surtout, les États
membres de l’Organisation mondiale du commerce avaient été
favorablement impressionnés par la promesse de Zhu Rongji que cette
admission tant convoitée accélérerait la réforme économique en exposant le
secteur étatisé à une plus forte concurrence. Ainsi que l’avait fait observer
son vice-ministre des Finances Jin Liqun, « l’adhésion à l’OMC fonctionne
comme un boulet de démolition, elle fracasse tout ce qui reste de l’ancien
édifice de l’économie planifiée ». Il y eut aussi de perpétuelles promesses
de progresser sur le plan de la règle de droit, de renforcer les droits de
propriété intellectuelle et de parvenir à une gouvernance plus
transparente 805.
L’OMC salua l’engagement de Beijing de réduire ses taxes à
l’importation, de pratiquer des coupes dans les subsides officiels et de se
débarrasser d’autres barrières commerciales, ouvrant ainsi un accès élargi à
ses marchés, des services financiers jusqu’au secteur des
télécommunications. La conviction était si grande que cette adhésion
garantirait davantage de réformes que la Chine fut autorisée à entrer dans
l’organisation sans se voir obligée de respecter certaines règles, notamment
laisser flotter son taux de change, rendre ses comptes d’opération en capital
convertibles ou réformer ses entreprises étatiques.
Cet accord ne manquait pas de détracteurs, notamment parmi les
syndicats soucieux de pertes d’emplois potentielles ainsi que chez les
groupes de défense des droits de l’homme alarmés par le piètre bilan du
pays en ce domaine : « Comment peut-on avoir le libre-échange sans avoir
la liberté syndicale ? » s’étonnait un militant ouvrier. D’autres redoutaient
un marché de contrefaçons endémique et des transferts forcés de
technologies, ainsi que les risques et les coûts liés au commerce avec un
pays où la corruption était omniprésente. Peter Humphrey, expert en gestion
des risques installé à Shanghai et plus tard arrêté sur la base de prétendues
accusations d’espionnage, qualifia cet accord « de pot de miel plein de
promesses poisseuses », en mettant l’accent sur un cadre réglementaire
chaotique. Certains se demandaient comment les tribunaux du pays
pouvaient opérer en toute indépendance alors que les juges étaient des
membres du parti nommés par le secrétaire local de ce même parti. Il y
avait aussi des questionnements relatifs à la capacité du régime d’imposer
sa volonté à chacune des villes et des provinces les plus reculées du pays,
sans parler des fiefs locaux qui avaient si bien réussi à contrecarrer ou à
détourner les ordonnances émanant de Beijing 806.
Et pourtant, l’attrait d’un marché gigantesque l’emporta sur le reste.
Tous les secteurs, de l’agriculture à l’industrie, voulaient vendre davantage
en Chine. Pendant des années, des multinationales avaient usé de leur
influence pour s’ouvrir un plus large accès. Des opérateurs de
télécommunications aux compagnies d’assurances et aux usines de
semiconducteurs, toutes se réjouissaient à la perspective de s’emparer du
dernier marché inexploité de la planète. Quelques banquiers privés émirent
même l’hypothèse que, les consommateurs chinois n’ayant pas d’autre
choix que de déposer leurs économies dans des banques locales, ils
pourraient toutes les en retirer d’un coup et confier plutôt leur argent à des
concurrents étrangers, poussant ainsi le secteur étatique à la faillite.
Des économistes complétèrent le tableau en relevant que cet accord
réduirait le déficit commercial entre les États-Unis et la Chine. Ainsi que
l’expliqua Nicholas Lardy, un spécialiste du pays à la Brookings Institution,
les entreprises chinoises jouissaient déjà d’un accès illimité au marché
américain. C’était la République populaire qui serait obligée d’ouvrir ses
portes et d’abaisser ses droits de douane, rendant ainsi cet accord plus
profitable pour les firmes américaines. Fred Bergsten, un économiste qui
avait été conseiller de Henry Kissinger sur les affaires économiques
internationales, calcula très précisément que les exportations des États-Unis
vers la Chine augmenteraient de 3,1 milliards de dollars. Ainsi que le
résuma un commentateur : « Ils donnent. Nous prenons. Que demander de
plus ? » Aux États-Unis, certains observateurs jugèrent que cet arrangement
« allait de soi 807 ».
Non seulement les économistes avaient à leur disposition des outils
sophistiqués capables de prédire les tendances futures du déficit commercial
avec une précision toute scientifique, mais ils pouvaient aussi parler avec la
plus grande assurance de l’entrée en jeu de forces historiques plus amples.
À peu près comme Karl Marx avait prédit l’effondrement du capitalisme,
certains anticipaient dans le sillage du libre-échange l’inévitable
propagation d’une société de liberté. La réforme politique succéderait à la
réforme économique aussi sûrement que le chariot suit le bœuf. Un
chercheur calcula que la Chine deviendrait une démocratie « autour de
l’année 2015 ». Certains politiciens se montrèrent plus prudents, mais aux
États-Unis, qu’il s’agisse de démocrates ou de républicains, beaucoup
étaient convaincus d’assister à la transformation irréversible d’une
économie contrôlée par l’État en une économie de marché, ce qui
imposerait à Beijing un ensemble de règles clairement définies 808.
C’était là un avis très répandu. Bien que l’Organisation mondiale du
commerce ait prohibé les sanctions commerciales unilatérales contre les
pays qui violaient les droits de l’homme, certains militants de la démocratie
professèrent eux-mêmes un optimisme mesuré. À New York, Human Rights
Watch imaginait que cette adhésion pourrait « renforcer les pressions en
faveur d’une plus grande ouverture, pour davantage de liberté de la presse,
pour des droits étendus des travailleurs et pour une justice indépendante ».
À Hong Kong, Martin Lee, un élu favorable à la démocratie, se rallia à ces
prises de position en remarquant que l’accession de la Chine à l’OMC allait
« ouvrir la voie à quelques premières améliorations de l’État de droit en
Chine 809 ».

*
* *
En moins d’un an, l’excédent commercial par rapport aux États-Unis
s’envola de presque 11 milliards par mois. En 2008, il s’élevait à plus de
266 milliards de dollars, car la Chine exportait pour 338 milliards de dollars
mais ne dépensait que 71,5 milliards en importations. Les États-Unis
n’étaient pas les seuls dans ce cas. Au Mexique, important fabricant de
vêtements, de chaussures et d’appareils électroniques, le déficit commercial
décupla entre 2000 et 2007, conduisant le pays à déposer une plainte devant
l’OMC. Au total, la balance commerciale entre la Chine et d’autres
membres de l’Organisation passa de 28 milliards de dollars en 2002 à
348 milliards de dollars en 2008 810.
Depuis 1976, la Chine avait obstinément poursuivi la même stratégie :
attirer l’investissement étranger, améliorer ses capacités et exporter sa
production afin de créer de l’emploi et d’augmenter son épargne intérieure.
Quelques mois après la signature de l’accord avec les États-Unis en
novembre 1999, les investissements venus de l’étranger bondirent, en
inversant une tendance au déclin régulier qui avait entravé le
développement économique depuis le début de la crise financière de 1997.
C’était le premier avantage tangible de la décision du pays de rejoindre
l’Organisation mondiale du commerce. Alors que l’économie mondiale
ralentissait à la suite des attaques terroristes coordonnées du 11 septembre
2001 contre les États-Unis, des volumes de fonds d’investissement sans
précédent continuèrent d’affluer, augmentant de 15 %, à 47 milliards de
dollars. La Chine était devenue un véritable aimant du capital mondial, et
cela ne s’arrêterait pas là 811.
L’afflux de capitaux étrangers venait s’ajouter à des surcapacités de
production massives. En 2001, la Chine était capable de fabriquer
36 millions de télévisions par an, mais n’en vendait que 15 millions. Elle
sortait de ses chaînes de montage 20 millions de réfrigérateurs alors que sa
demande intérieure stagnait à 12 millions d’unités. Pendant des dizaines
d’années, le gouvernement central et les autorités locales avaient encouragé
la croissance économique à tout va, en fournissant aux entreprises toutes les
mesures incitatives nécessaires pour continuer de produire alors même
qu’elles n’étaient pas rentables. Peu d’usines furent contraintes de fermer,
ce qui nécessitait encore davantage d’emprunts, davantage d’endettement et
un surcroît de marchandises invendues, qu’il s’agisse d’acier, de ciment, de
ventilateurs, de bicyclettes ou de matelas. Un crédit facile, des entreprises
trop protégées et des entrepôts qui débordaient d’articles laissés pour
compte, tout cela allait de pair. Le déséquilibre de la production était une
composante inhérente à une économie planifiée : l’État imposait des
objectifs et les cadres du parti se précipitaient, rivalisant entre eux pour
exécuter le plan et même le dépasser, ce qui entraînait des gâchis dans
certains secteurs et creusait d’amples déficits dans d’autres. La hausse des
investissements étrangers conduisit à l’ouverture de nouvelles usines, à
l’acquisition de nouveaux équipements et à des capacités de production
encore accrues. En 2005, à peu près 90 % de tous les produits
manufacturiers étaient en surproduction chronique 812.
L’offre ne pouvant égaler la demande, les prix chutèrent, ce qui joua un
rôle crucial dans une période de déflation record, longue de vingt-
neuf mois, qui s’apaisa un peu en mars 2000. La surproduction était telle
que les prix reprirent ensuite leur orientation à la baisse en 2001. Un
excédent de main-d’œuvre bon marché, intervenant après plusieurs années
de fusions et d’acquisitions qui avaient mis au chômage des dizaines de
millions d’individus, contribua à cette tendance. Les prix des motos
fabriqués localement chutèrent d’un tiers, ceux des magnétoscopes de 20
à 30 %. Sur toute une gamme de produits, les fabricants se concurrençaient
en se livrant à des baisses de prix drastiques. En fait, beaucoup vendaient
au-dessous de leur coût de production. Pour survivre, ils n’avaient qu’une
seule option : en l’occurrence, augmenter leurs exportations vers
l’étranger 813.
Ces exportations à bas coût, amplifiées par une faiblesse de l’économie
mondiale, générèrent la déflation dans le reste du monde. L’Asie fut la
première affectée, mais aux États-Unis aussi, l’indice des prix à la
consommation connut un déclin en glissement annuel sans précédent depuis
la Grande Dépression des années 1930 (excepté un bref repli en 1955). En
juin 2002, une robe de qualité ordinaire coûtait autant qu’en 1984. Dans
toute une gamme de secteurs, les prix des produits plongèrent, des clubs de
golf aux télévisions, et pour les ordinateurs la chute atteignit 30 % 814.
Les consommateurs auraient dû se réjouir, mais les forces
déflationnistes déchaînées par le rouleau compresseur des exportations
chinoises réduisirent à néant les profits des entreprises, entraînant des
baisses de salaires et des suppressions d’emplois. Les entreprises
manufacturières du monde entier étaient confrontées à un choix. Comme
elles ne pouvaient pas rivaliser avec la main-d’œuvre à bas coût disponible
en Chine, où une véritable armée de plus de 100 millions de migrants partis
des campagnes pouvait être embauchée et débauchée à volonté, elles
avaient deux solutions : soit fermer leurs portes, soit s’établir directement
en Chine.
Des compagnies étrangères déferlèrent vers cette terre promise, et elles
délocalisèrent leur main-d’œuvre en recourant à des sous-traitants ou en
ouvrant des usines. À la suite de l’accord commercial avec la Chine signé
par Bill Clinton à la fin 1999, en moins de deux ans, plus de 500 usines
détenues par des groupes étrangers décampèrent du Mexique pour la
République populaire. L’une d’elles était un fabricant de clubs de golf
implanté à Tijuana, où un apprenti gagnait entre 1,50 dollar et 2 dollars,
comparés à 25 cents dans certaines régions de Chine. Les coûts de
production étaient encore plus élevés aux États-Unis, où les fermetures
d’usines dans certaines régions d’Ohio, de l’Illinois, du Colorado et du
Massachusetts étaient si importantes qu’en 2004, des centres manufacturiers
entiers, parfois pourtant attractifs avec leurs usines en briques et des
bâtiments en pierre de taille vieux d’un siècle, furent vidés de leur
substance. Même si des emplois avaient déjà été délocalisés en Inde, au
Mexique et au Canada, la vaste majorité partit en Chine. Les États-Unis et
le Mexique furent parmi les premiers à se relocaliser, mais d’autres pays les
imitèrent assez vite. En 2004, il ne se passait presque pas une semaine sans
qu’une nouvelle usine japonaise s’ouvre en Chine, aux dépens d’usines et
de travailleurs situés non pas seulement au Japon, mais aussi en Asie du
Sud-Est 815.
En 2003, à peu près 70 % des articles vendus par Walmart étaient
sourcés en Chine. Dans toute une série de secteurs, des fabricants aux abois
crièrent à l’injustice en exigeant qu’une plainte officielle soit déposée
auprès de l’OMC, tandis que des entreprises nationales et des
multinationales qui avaient investi en Chine et engrangeaient de solides
profits n’avaient aucune envie de froisser quiconque à Beijing. Des
divergences de position comparables se manifestèrent dans d’autres pays,
car la quasi-totalité des exportations chinoises étaient produites par des
usines dotées d’investissements étrangers importants, qu’ils soient d’origine
américaine, européenne ou japonaise 816.
Des fabricants étrangers profitaient d’une main-d’œuvre à bas coût et de
normes environnementales et de sécurité moins contraignantes, mais ils
étaient forcés de payer pour avoir droit à ce privilège. Suivant un schéma
bien connu que les initiés appelaient le « prix chinois », une compagnie
étrangère commercialisait un nouveau produit et, en quelques mois, des
fabricants locaux se mettaient à sortir des répliques, en se concurrençant
entre eux afin de réduire encore davantage les coûts. Les prix entamaient un
déclin, jusqu’à atteindre le seuil où un bien de consommation courante se
vendait au-dessous de son coût de production. Une énergie entrepreneuriale
extrême, combinée avec des technologies étrangères, engendra une culture
de la copie généralisée où presque tous les articles venus de l’étranger
trouvaient leurs homologues sur le marché intérieur chinois. La volonté
incessante de réduire les coûts était telle qu’à l’exception des quelques
connaissances nécessaires à la contrefaçon et à l’ingénierie inversée, la
recherche et l’innovation n’étaient tout simplement plus viables
économiquement. Le piratage ne participait pas d’un phénomène marginal
dans la course à la production : il se situait au cœur même du boom
économique 817.
Le vol de la propriété intellectuelle avait de longs antécédents et il était
encouragé au plus haut niveau. La Chine avait rejoint l’Organisation
mondiale de la propriété intellectuelle en 1980, mais le régime faisait
preuve d’un respect très sommaire des obligations du traité. En 1989, le
département américain du Commerce jugeait le piratage « endémique », car
les groupes étatiques chinois employaient des équipes d’ingénieurs qui se
consacraient à percer les codes sophistiqués protégeant les logiciels
étrangers. En 1992, Beijing adhéra à la Convention universelle sur le droit
d’auteur. Cette adhésion fut elle aussi suivie d’une hausse de la piraterie
dans le domaine de la musique, des films, des livres et des logiciels
informatiques 818.
Un scénario familier commençait à se vérifier. Régulièrement, un
responsable du commerce extérieur de tel ou tel pays étranger déclarait ce
piratage endémique, déposait plainte et menaçait de sanctions
commerciales. Plusieurs usines faisaient l’objet de perquisitions et des
monceaux de vidéos piratées étaient balayés au bulldozer en la présence de
journalistes étrangers. Dans la fameuse Allée de la Soie de Beijing, les
contrefaçons de montres Cartier et de sacs à main Louis Vuitton
disparaissaient. Un ministre des Affaires étrangères affirmait
solennellement l’importance de la propriété intellectuelle et du respect des
dispositions juridiques. Un nouvel accord était signé. Sur le papier, les
règles du droit d’auteur, des droits de reproduction et du droit des marques
étaient précisées, consolidées. Au moment même où des politiciens d’autres
pays saluaient cette initiative, le piratage et le vol des secrets commerciaux
reprenaient. Le coût estimé pour les États-Unis augmentait de plus en plus
chaque année et se chiffrait en milliards de dollars. Alors que la Chine
n’était nullement le seul pays où ce piratage était monnaie courante, en tout
état de cause les vols y étaient plus flagrants et s’y commettaient à plus
grande échelle que partout ailleurs dans le monde. En 2001, alors que la
Chine était sur le point d’intégrer l’OMC, elle était qualifiée de « premier
faussaire du monde 819 ».
Paradoxalement, l’espoir de voir la Chine respecter certains
amendements substantiels à ses lois intérieures sur les marques déposées, le
droit d’auteur et les brevets que requérait l’adhésion à l’Organisation
mondiale du commerce était l’une des raisons pour lesquelles ses membres
l’avaient accueillie au sein de leur assemblée. Pourtant, le fossé entre les
promesses sur le papier et la contrefaçon sur le terrain ne faisait que
s’élargir. En novembre 2002, des experts la définirent comme « le pire pays
du monde en matière d’infractions au droit d’auteur et d’atteintes aux
marques », qui coûtent « aux artistes, aux écrivains, aux développeurs de
logiciels, aux designers, aux laboratoires pharmaceutiques, aux fabricants
de shampooing – à peu près à tous ceux qui ont des produits à vendre – des
milliards de dollars par an » 820.
Plus de la moitié de certains produits pharmaceutiques vendus en Chine
étaient des contrefaçons. Des médicaments sur ordonnance pas encore
commercialisés à l’étranger étaient également disponibles sous forme de
produits contrefaits. Presque tous les blockbusters hollywoodiens y
paraissaient en DVD avant leur sortie dans le même format aux États-Unis.
Les secteurs agrochimiques, pétrochimiques et chimiques étaient
compromis par des manquements similaires : en effet, ils reposaient tous
très fortement sur l’imitation et l’ingénierie inversée de produits étrangers.
Des faux étaient même copiés à partir d’autres faux. Harry Potter en était
un exemple, plusieurs auteurs ayant ainsi formé équipe pour écrire les
volumes cinq, six et sept alors même qu’en Angleterre seuls quatre volumes
étaient parus. L’un de ces ouvrages, dans lequel le jeune sorcier à lunettes
cerclées se transformait en troll chevelu, n’était qu’une copie adaptée à
partir d’un faux. Les faux livres représentaient un marché important, avec
des centaines de titres publiés début 2005 821.
La copie n’était pas limitée à des produits de fabrication relativement
simple. En 2002, la Chine disposait d’ingénieurs hautement qualifiés
travaillant pour de puissantes entreprises étatiques. Quand des cadres
dirigeants de General Motors dévoilèrent un nouveau monospace familial
lors du Salon de l’automobile de Shanghai en 2003, sur un autre stand plus
loin dans la même allée, le constructeur automobile étatisé Chery proposait
un véhicule similaire vendu aux deux tiers du prix de l’Américain 822.
En 2004, diverses estimations évaluaient les pertes des entreprises
étrangères à 60 milliards de dollars, très supérieures aux investissements
étrangers directs. Pourtant, ces pertes allaient au-delà de celles que
subissaient les producteurs originels. Quand des copies bas de gamme
inondaient des pays plus pauvres, elles ravageaient aussi les économies
locales. Selon la Kenya Revenue Authority, l’administration chargée de la
collecte et de la gestion de l’ensemble des recettes publiques, environ 80 %
des articles de contrefaçon vendus dans leur pays provenaient de Chine. La
société locale autorisée à fabriquer des stylos Bic sous licence ne pouvait
rivaliser avec des contrefaçons moins coûteuses. Comme la plus grosse
partie des articles de contrefaçon franchissait les frontières clandestinement,
ils privaient chaque année les entreprises locales et les gouvernements à
court de liquidités de millions de dollars de revenus 823.
D’autres coûts induits étaient généralement supportés par les
consommateurs. Des bouilloires électriques explosaient, des clubs de golf
se brisaient net, des patins de frein se grippaient. De l’huile pour moteur
contrefaite provoquait des pannes de voiture, alors que des shampooings
d’imitation provoquaient des plaies et des cloques sur le cuir chevelu.
Comme des quantités croissantes de contrefaçons chinoises passaient les
frontières en contrebande, partout des consommateurs étaient exposés au
risque lié à ces produits, qui allaient des piles bon marché aux rasoirs et aux
médicaments sur ordonnance. Personne n’était plus exposé que les simples
citoyens chinois aux risques pour la santé de cette culture de la copie. Des
épices contenaient de la cire de paraffine, des nouilles étaient colorées
d’une teinture rouge qui donnait le cancer et du vin de riz était fabriqué
avec de l’alcool frelaté à usage industriel. Du faux porc, du faux riz, même
de faux œufs faisaient leur apparition sur le marché. En 2004, on découvrit
qu’un lait infantile bon marché manquait de protéines, et une cinquantaine
de bébés étaient morts de malnutrition après que les parents eurent pris
leurs symptômes pour un signe de suralimentation. Comme le
gouvernement central ne parvenait pas à imposer son autorité tous les
secrétaires de partis locaux, qui abritaient leurs entreprises de tout examen
trop minutieux, quelques années plus tard, un désastre encore plus grand se
produisit : un lait infantile contenant de la mélanine rendit malade
300 000 bébés, le chiffre réel étant probablement plus élevé, scandale que
l’État camoufla pendant de long mois. Au total, en 2007, le gouvernement
estimait qu’un cinquième des produits alimentaires et des biens de
consommation courante qu’il avait pu vérifier étaient pollués, avariés ou
contaminés et de qualité inférieure à la norme 824.
Dans cette course à la réduction des coûts, des gens étaient touchés
avant même que les produits ne sortent de l’usine. Après l’interdiction des
diminutions de salaires, les normes de sécurité furent abaissées ou
entièrement contournées. Ici aussi, les carences du pouvoir réglementaire
aggravèrent le problème, car les cadres locaux du parti agissaient de
connivence avec les propriétaires d’usines, aussi bien ceux du secteur privé
que ceux du secteur public. Le plus grand obstacle restait l’absence de
droits humains élémentaires pour des dizaines de millions de travailleurs
migrants qui peuplaient les usines le long de la côte. Juridiquement
rattachés à la terre, ils n’avaient aucun droit de résidence dans les villes, et
leur présence n’était tolérée que là où leur main-d’œuvre était requise.
Comme tout le monde, ils ne jouissaient pas de la liberté de réunion et
d’association, et encore moins du droit de grève. Leurs journées de travail
étaient très longues, sans aucune couverture sociale, parfois dans des usines
non autorisées officiellement où les employeurs pouvaient conserver leur
carte d’identité et retenir leur salaire. Leur travail, que ce soit dans des
ateliers de misère faiblement éclairés ou dans des entreprises de
technologies avancées, consistait souvent à répéter machinalement la même
série de gestes, que ce soit glisser une lamelle de métal sous un marteau
mécanique ou assembler différentes pièces d’un moule. « Si vous laissez
votre esprit s’égarer une seconde, c’est fini », remarquait Wang Chenghua,
qui avait eu deux doigts écrasés, le majeur et l’annulaire. Les phalanges
étaient généralement les premières happées, bien que ces machines soient
aussi capables de déchiqueter la main et le bras, parfois même la jambe
entière, ce qui engendra toute une activité florissante de chirurgie
reconstructrice. À Yongkang, la capitale chinoise de la quincaillerie, au sud
de Shanghai, environ 7 000 usines d’entreprises privées fabriquaient des
charnières, des enjoliveurs, des casseroles, des poêles, des prises électriques
et d’autres articles comportant des pièces métalliques. Les chiffres officieux
situaient le nombre d’accidents sur ces sites à 2 500 par an. Pour l’ensemble
du pays, en 2003, 140 000 personnes avaient péri dans des accidents du
travail et beaucoup d’autres avaient été blessées. La loi prescrivait des
dédommagements, mais dans la pratique rares étaient ceux qui percevaient
des sommes correctes sans devoir recourir à des arbitrages judiciaires
coûteux et qui pouvaient s’éterniser sur des années 825.
Quand il leur manquait des doigts, les travailleurs migrants devenaient
inutiles, mais les enfants, eux, avaient des mains agiles et ils étaient
proposés à des prix attractifs. Un rapport interne daté de janvier 2003 notait
qu’à Wenzhou le recours aux enfants était « relativement courant » dans les
ateliers produisant des chaussures, des parapluies, des jouets et des
lampes 826. Il est difficile d’accéder à des statistiques, mais en 2005, la
demande le long de la côte augmenta car de bas salaires et des conditions de
travail médiocres convainquaient un nombre croissant de migrants de rester
chez eux et de cultiver la terre au lieu d’aller risquer leur vie ou de
s’exposer à perdre un membre dans une usine. Des informations circulaient
sur des enlèvements et du travail forcé impliquant des enfants très jeunes,
âgés de dix ans. Tous les ans, un nouveau scandale éclatait, qu’il s’agisse de
centaines de travailleurs encore mineurs sauvés du travail forcé dans des
briqueteries ou de bandes de trafiquants de main-d’œuvre kidnappant des
enfants dans des régions rurales pauvres avant de les envoyer travailler
300 heures par mois dans des villes industrielles de la province du
Guangdong 827.
Dans certains villages, toutes les familles avaient un enfant qui
travaillait dans une usine. Le système éducatif dans les zones rurales étant
pratiquement en déshérence, certaines écoles signaient des contrats de sous-
traitance envoyant des classes entières travailler dans des usines en ville
afin d’aider les familles à payer leurs factures. Dans les campagnes, il
existait souvent toutes sortes d’activités artisanales, des foyers entiers
travaillant au domicile, payés à la pièce. Des enfants se joignaient à ce
travail, pliant du papier ou courbant du bambou 828.
Les exportateurs étaient satisfaits, les importateurs l’étaient moins, car
ils ne pouvaient pas rivaliser. Dans les ateliers des usines, deux idéologies
s’affrontaient. D’un côté, les partisans du libre-échange insistaient que des
importations et des exportations sans restriction profitent au bien commun,
une formule perdante, vouée à l’échec, car le libre-échange dans un pays
qui n’est pas libre s’apparente à une contradiction dans les termes. De
l’autre, les adeptes du socialisme rappelaient que l’État devait conserver un
monopole sur les moyens de production, également au nom du bien
commun. C’était une formule gagnante. Puisque l’État possédait
directement ou indirectement tous les moyens de production, matières
premières, terres, main-d’œuvre et énergie, jusqu’aux capitaux, il pouvait
distribuer des subsides illimités, qu’ils soient déguisés ou non. Les
gouvernements locaux soucieux d’aménagements fonciers pouvaient
allouer ces terres gratuitement. Le coût de certaines matières premières était
maintenu artificiellement bas. L’État dirigeait l’énergie la moins chère vers
ses entreprises. Les subventions étaient si massives que, dans la ruée pour
former des champions nationaux, deux des principaux géants étatisés,
Sinopec au Sud et PetroChina dans le Nord, constitués de milliers de
producteurs auparavant indépendants et cotés sur les Bourses de
Hong Kong et New York, ne préservaient que des marges bénéficiaires
négligeables. En 2005, les prix de détail étaient si bas qu’ils ne couvraient
pas les coûts des raffineurs. En 2008, alors que des cours du pétrole en
hausse soumettaient les consommateurs du monde entier à rude épreuve, les
prix du pétrole raffiné en Chine restaient à peu près inférieurs de moitié aux
cours internationaux. Le capital était lui aussi entre les mains de l’État,
distribué généreusement pour la réalisation d’objectifs politiques, qu’ils
soient locaux ou centraux. D’une chiquenaude, les entreprises privées
comme publiques pouvaient être maintenues à flot ou renforcées, souvent
sans enfreindre aucune des règles de l’OMC 829.
Les allègements fiscaux, introduits pour la première fois en 1985,
constituaient un outil majeur utilisé pour maintenir la dynamique des
exportations et, en conséquence, une croissance économique à un rythme
soutenu. Au lendemain de la crise financière, ils furent rehaussés, et
variaient entre 5 et 17 %. Ces allègements faisaient peser une lourde charge
fiscale sur le gouvernement central, en consommant entre le cinquième et le
tiers du total de la dépense publique. D’autres postes budgétaires souffrirent
de ces arbitrages, en particulier l’éducation et la sécurité sociale 830.
Dès le début, il y avait eu des protestations contre ces subsides, souvent
de la part des plus ardents défenseurs de la Chine. « La lune de miel est
terminée », proclama la Chambre américaine de commerce à Beijing en
2003. Pourtant, les plaintes déposées devant l’OMC étaient coûteuses,
chronophages et, dans tous les cas, ne changeaient que très peu de choses.
Par exemple, le ministère des Finances pouvait aisément faire transiter des
liquidités par des organisations diverses au lieu de les transférer directement
aux entreprises d’État. « Si l’OMC estime que nous ne pouvons pas
procéder de la sorte, expliquait un fonctionnaire ministériel, nous
changeons juste de méthode. » Étant donné l’opacité des transactions
financières et de presque tous les autres aspects de la gouvernance d’un État
régi par un parti unique, ce n’était pas un jeu dans lequel des acteurs
extérieurs pouvaient aisément l’emporter 831.
Une loi d’airain du libre-échange édictait que les devises étrangères
gagnées par un pays devaient être dépensées à l’étranger, au profit de tous.
Malheureusement, la main de fer de l’État subvertissait les échanges
mutuels censés légitimer le libre-échange. Au lieu de dépenser, le pays était
forcé d’épargner, d’accumuler d’énormes excédents, les économies étant
encore renforcées par un taux de change fixe visant à rendre les
importations coûteuses et les exportations bon marché. Cela exigeait aussi
une intervention massive de l’État, avec de constantes augmentations de la
masse monétaire nécessaire pour maintenir un taux de change artificiel. La
mécanique économique était tout à fait simple : chaque dollar qui entrait
devait ensuite ressortir. Avec tant de devises entrant dans le pays à travers
les exportations et l’investissement étranger, le coût du dollar par rapport au
yuan aurait dû chuter et renchérir le cours du yuan. Pour empêcher les
courtiers de faire monter la monnaie chinoise, la banque centrale devait
fournir une quantité équivalente de devises en rachetant tous les dollars qui
ne trouvaient pas preneurs à un cours fixe de 8,28 yuans et les convertir en
bons du Trésor américain. Pendant ce temps, la quantité de yuans en
circulation augmentait régulièrement, bondissant en août 2003 de 21,6 % en
année glissante, les liquidités s’entassant dans les coffres des banques.
Comme le yuan était sous-évalué de 15 à 20 %, même le Bangladesh n’était
pas apte à rivaliser, alors que ses rémunérations étaient 20 à 30 % plus
basses que celles de la Chine 832.
Il fallut attendre juillet 2005 pour que le yuan soit autorisé à fluctuer
dans une fourchette de 2 %. En revanche, de stricts contrôles de capitaux
furent instaurés pour piloter le cours de la monnaie et empêcher qu’elle ne
monte plus vite que le dollar. La banque centrale continua d’acheter des
dollars à une échelle gigantesque, amassant des réserves de devises
étrangères à hauteur de 1,2 trillion en 2007 833.
Des chefs d’entreprise étrangers qui s’imaginaient pouvoir vendre leurs
produits à des multitudes de consommateurs illimitées furent déçus. S’ils
trouvaient un marché, d’innombrables concurrents sur le plan intérieur
jouissant de meilleures relations avec le secrétaire local du parti s’y
engouffraient et les évinçaient. Même les sociétés multinationales qui
s’étaient alignées dans cette ruée vers l’or avaient du mal à conquérir ne
serait-ce qu’une petite partie du marché. En 2002, par exemple, plus d’une
centaine de banques internationales étaient en Chine, prêtes à offrir leurs
services à des centaines de millions de clients bloqués par des banques
d’État pratiquement insolvables. Leur première cible : les nouveaux riches
du pays. Le 21 mars 2002, Tang Haisong, diplômé de Harvard, directeur
d’un portail Internet, devenait le premier client local de Citibank en ouvrant
un compte dans la nouvelle agence de la banque, située à l’intérieur du très
emblématique Peace Hotel, sur le Bund, à Shanghai. L’incursion de la
banque en Chine rappelait d’autres tentatives plus anciennes, quand en 1902
elle était devenue la première institution bancaire américaine à s’établir
dans la Shanghai coloniale, avant de vider les lieux en 1949 lors de la prise
du pouvoir par les communistes 834. Pourtant, les banques étrangères se
heurtèrent à de nouvelles restrictions plus dures et à des réglementations
complexes et continuellement changeantes. Les responsables locaux se
montraient réticents et favorisaient leurs concurrentes régionales. Surtout,
les banques ne réussirent jamais à se doter de vastes réseaux de succursales
capables d’attirer des clients sur le marché intérieur. Peu de gens, s’avérait-
il, acceptaient de faire le trajet jusqu’au Bund pour effectuer un dépôt.
Malgré l’OMC, en 2011, les banques étrangères constituaient encore moins
de 2 % du total des actifs financiers sur le plan intérieur. Le système
bancaire chinois restait une forteresse imprenable, protégée contre la
concurrence extérieure par le régime 835.
Dans le secteur des télécommunications, l’abaissement des droits de
douane avait aussi fait naître de grandes espérances, avec un milliard de
clients potentiels en attente de pouvoir accéder au réseau 3G. Les
opérateurs étrangers étaient complètement exclus du pays : autrement dit,
dans le meilleur des cas, ils ne pouvaient rien espérer de mieux que vendre
des équipements. En revanche, la Chine édicta rapidement des normes qui
la mettaient en porte-à-faux par rapport au reste du monde. En
décembre 2003, une nouvelle politique fut dévoilée, exigeant que tous les
appareils de télécommunications importés se conforment à la norme de
cryptage du régime en matière de réseaux sans fils. Des géants industriels
comme Nokia ou Sony durent calculer à toute vitesse quel en serait l’impact
sur leur activité. Après que les États-Unis eurent menacé de déposer une
plainte devant l’OMC, la mise en œuvre de cette politique fut reportée à
plus tard 836.
Tout comme l’État protégeait les banques qu’il détenait, il abrita tout
aussi agressivement ses opérateurs de télécommunications étatisés de la
concurrence étrangère. Nokia, Alcatel et d’autres n’eurent pas d’autre choix
que de former des joint-ventures, moyen traditionnel par lequel le régime
s’assurait d’obtenir le transfert et le partage de technologies étrangères vers
des entreprises locales. L’État utilisa aussi toute une batterie de politiques
pour renforcer les exportations de Huawei et ZTE, deux des plus gros
fabricants chinois. Entre 2000 et 2008, la part mondiale des États-Unis, de
l’Union européenne et du Japon dans les exportations mondiales
d’équipements de télécommunications chuta d’un total de 60 % à 43 %,
alors que celle de la Chine enregistrait des hausses annuelles de 30 %,
passant de 6,8 % à plus de 27 % 837.

*
* *
Alimenter ce mastodonte de la production manufacturière requérait un
flot constant de matériels et d’énergie. La Chine manifestait un appétit
apparemment insatiable de ressources naturelles, pétrole, charbon, bois de
construction et minerai de fer ou encore coton. Alors même que d’autres
pays manufacturiers accusaient d’énormes déficits, les exportateurs de
matières premières prospéraient. Une flotte de cargos venus d’Australie et
du Brésil sillonnaient l’océan Pacifique, approvisionnant le pays avec plus
de 160 millions de tonnes de minerai de fer, une composante essentielle de
l’acier employé dans les secteurs de l’automobile et de la construction. Bien
que la Chine soit déjà le plus gros producteur mondial d’acier, elle achetait
de vastes quantités d’acier de rebut, ce qui entraîna une chute des
inventaires de métaux à leur plus bas niveau historique. On importait même
des « pièces jaunes » françaises pour les faire fondre afin de se procurer à
tout prix davantage de cuivre, utilisé dans les climatiseurs. Les importations
de coton septuplèrent au cours des neuf premiers mois de 2003. Les prix
des matières premières bondirent, soulageant la tendance déflationniste
causée par l’expansion des exportations. Après l’entrée de la Chine à
l’OMC, le coût de l’alumine, un composant chimique extrait de la bauxite
et employé dans la fabrication de l’aluminium, doubla en moins de deux
ans. Les cours du nickel augmentèrent également de 100 %. L’entièreté de
la chaîne d’approvisionnement planétaire de matières premières était sous
tension. Citons ici un directeur de recherches spécialisé dans l’étude des
prix : « La Chine a aspiré tout le contenu du placard à matières
premières 838. »
Les plus grosses importations concernaient le pétrole et le charbon, des
tankers gigantesques de la taille de trois terrains de football livrant leurs
cargaisons dans les ports chinois. Ces volumes de matières premières
importées ne suffisaient toutefois jamais à satisfaire l’appétit féroce du pays
en énergie, les centrales électriques ne parvenant pas à combler la demande.
Les contraintes exercées sur le réseau étaient telles que les coupures étaient
constantes, forçant certaines usines à opérer en horaires réduits. Nombre
d’entre elles acquirent des générateurs, ce qui augmenta la demande
d’hydrocarbures. Comme le diesel accessible sur le marché officiel était en
quantité insuffisante, certains directeurs d’entreprise se tournaient plutôt
vers le marché noir, en se passant des généreux subsides gouvernementaux
sur ces hydrocarbures 839.
La Chine avait un plan intitulé « Go Out », traduit aussi par la formule
« Going Global », pour faire face à sa dépendance accrue vis-à-vis de la
planète. Ce plan datait de 1997, quand le Quinzième Congrès du Parti avait
déclaré qu’il existait « deux types de marchés, deux types de ressources ».
Cela signifiait en somme que le pays devait prendre l’initiative sur la scène
mondiale, en exploitant à fond les avantages concurrentiels du marché
socialiste sur le plan intérieur et ceux du marché capitaliste à l’extérieur, et
s’efforcer de mieux utiliser leurs ressources respectives. Plus
spécifiquement, cette politique encourageait les entreprises étatiques à
exporter des matières premières abondantes sur le marché intérieur, mais
aussi à aller à l’extérieur se procurer des ressources naturelles peu
disponibles dans le pays même. Quelques mois plus tard, Jiang Zemin
forgeait cette formule, « Going Global » : il ne suffisait pas d’encourager
les étrangers à investir et à implanter des usines en Chine, estimait-il. L’État
devait aussi « activement conduire de puissantes entreprises chinoises à
aller investir et implanter des usines à l’étranger, en les organisant en
conséquence, pour qu’elles se servent des marchés et des ressources
planétaires ». Cette stratégie de mondialisation, « Going Global », fut
reprise et soutenue à plusieurs niveaux, pour finalement faire partie du
cinquième plan quinquennal en 2001 840.
L’un des premiers à souscrire à ce « Going Global » fut Hu Jintao, qui
en novembre 2002 succéda à Jiang Zemin au poste de secrétaire général. Il
effectua plusieurs voyages en Amérique latine, en Asie du Sud-Est et en
Afrique, où il était très désireux de se procurer les carburants dont son pays
avait besoin pour maintenir la vitesse de croissance surmultipliée de son
économie. En juin 2005, il avait effectué son troisième voyage en Russie,
où il négocia le transport par oléoduc du pétrole brut sibérien directement
vers les raffineries de pétrole de Mandchourie 841.
Des légions de géomètres-experts, de prospecteurs et d’ingénieurs lui
emboîtèrent le pas, qui travaillaient tous pour des entreprises bénéficiant de
financements préférentiels des banques d’État. Avant 2001, à peine plus de
200 entreprises étaient autorisées à investir à l’étranger. Leur nombre
quadrupla en trois ans. Avec des masses de devises étrangères disponibles
grâce à un excédent commercial qui se renforçait, les sommes investies
s’envolèrent de 50 millions de dollars en 2000 à 7 milliards de dollars en
2005 842. Les sommes engagées rappelaient le Japon des années 1980, mais
cette stratégie chinoise était plus audacieuse. Dans sa quête d’une sécurité
des ressources, le régime ne cherchait rien de moins que l’indépendance par
rapport au camp capitaliste, rapidement regroupé sous l’appellation
d’« Occident », un objectif qu’il tentait d’atteindre en se servant de ses
avoirs en dollars pour relier des pays émergents entre eux et former ainsi
une chaîne d’approvisionnement alternative.
Depuis les dunes des déserts d’Afrique du Nord jusqu’aux rivages de la
mer Caspienne, des capitaux colossaux furent dépensés dans des accords
commerciaux de première importance. En deux ans, la Chine devint un
acteur majeur des fusions et acquisitions partout sur le globe, reprenant des
entreprises en difficulté pour leurs marques, leurs technologies ou leurs
marchés, participant à des joint-ventures avec des producteurs locaux de
produits de base, concluant des accords exclusifs sur des livraisons de
matières premières et achetant des raffineries et des installations portuaires.
En 2000, la seule présence énergétique de la Chine en Afrique était un
oléoduc construit par PetroChina au Soudan. En quelques années, les
compagnies pétrolières chinoises opéraient dans presque vingt pays partout
sur le continent. S’assurer des marchés publics pétroliers était considéré
comme une question de sécurité nationale, ce qui signifiait que toutes les
ressources de l’État étaient employées pour répondre aux besoins du pays.
D’autres matières premières attiraient aussi des investisseurs, des dizaines
d’entreprises étatiques se chargeant de l’extraction de cuivre, de
manganèse, de cobalt, de zinc, de chrome, d’or et d’autres métaux de base.
Des directeurs d’entreprises étatiques écumaient le continent africain,
achetant du coton brut pour l’exporter en direction des filatures chinoises.
Tout en expédiant ces matières premières chez eux, ils importaient en
Afrique d’énormes volumes de produits bon marché, éliminant ainsi des
emplois manufacturiers dont ces pays pauvres avaient un besoin vital.
Toutefois, si basses que soient les rémunérations locales, elles ne pouvaient
concurrencer le yuan. Les compagnies chinoises, et les banques chinoises
qui les soutenaient, possédaient un avantage qu’il était difficile d’ignorer :
les prêts et les aides n’étaient assortis que de peu de conditions préalables,
du fait d’une doctrine de non-ingérence que des régimes répressifs et
violents comme ceux du Soudan, du Zimbabwe, de l’Érythrée et quelques
autres ailleurs sur la planète appréciaient particulièrement 843.
La Chine quadrillait le globe en quête de métaux, de minerais et
d’énergie, mais l’expansion de son économie allait de pair avec son appétit
pour les viandes de porc, de volaille et de bœuf. Les germes de soja étaient
nécessaires à l’alimentation animale. Dans un pays où l’eau était rare, il
était tout aussi rationnel d’importer de l’eau sous forme de céréales. Quand
Hu Jintao se rendit en visite officielle en Amérique latine en 2004, il promit
100 milliards d’investissements sur dix ans (les économies planifiées
appliquaient généralement des objectifs et des quotas exprimés en chiffres
ronds). Alors que l’Équateur et le Venezuela fournissaient du pétrole et le
Pérou et le Chili du cuivre, l’Argentine et le Brésil furent courtisés pour
leurs haricots bourrés de protéines, les exportations quadruplant entre 2000
et 2005. Le Brésil, déjà un fournisseur important de minerai de fer, expédia
en 2006 11 millions de tonnes de soja vers la Chine, dépassant les États-
Unis au rang de premier exportateur 844.
La politique des « deux types de marchés, deux types de ressources »
n’appelait pas seulement à un usage stratégique des matières premières de
l’étranger, mais aussi à une exploitation plus concertée des actifs nationaux.
Quand Jiang Zemin proposa sa stratégie du « Go Out », il la contrebalança
par une autre initiative, en l’occurrence intitulée « Go West » : son
programme de développement des régions de l’ouest du pays. De vastes
ressources avaient en effet de quoi attirer l’initiative dans le Nord-Ouest, et
surtout dans le Xinjiang. Pourquoi construire un oléoduc long de
1 600 kilomètres à travers des montagnes et des déserts du Soudan alors que
le gaz du Xinjiang n’était même pas acheminé jusqu’aux usines de
Shanghai ?
Vu de Beijing, cet Ouest s’étendait des forêts subtropicales du Yunnan
jusqu’aux déserts et aux prairies du Gansu, et totalisait plus de la moitié des
terres du pays, mais moins d’un quart de sa population. Bien plus pauvre
que les provinces côtières, il attirait peu d’investissements étrangers. L’État
dominait d’amples portions de l’économie, en particulier dans le Xinjiang,
une région trois fois plus grande que la France. Ainsi, le plus grand
propriétaire foncier, Xinjiang Production and Construction Corps, ou
Société de production et de construction du Xinjiang, était un groupement
de développement économique créé par l’armée après 1949 justement pour
maîtriser ces terres sauvages et leurs populations. Des dizaines de milliers
de soldats démobilisés, de prisonniers politiques et de migrants ruraux
vinrent renforcer les effectifs et furent envoyés dans l’Ouest pour creuser
des canaux d’irrigation, planter du blé et faire pousser du coton dans des
fermes collectives gigantesques. En fait, cette Société de production se
transforma en véritable État dans l’État, en étendant très loin ses tentacules,
avec ses propres écoles, ses hôpitaux, ses laboratoires, ses forces de police
et ses tribunaux, plus un vaste réseau de prisons et de camps de travail. Elle
supervisa l’un des programmes de colonisation les plus réussis de l’histoire
moderne. En 1949, les colons de l’Est ne représentaient pas plus de 3 % de
la population locale, mais quarante ans plus tard, ces mêmes colons
constituaient 40 % des 17 millions d’habitants de la province. Nombre
d’entre eux étaient des prisonniers libérés ou des migrants qui arrivaient
avec les vêtements qu’ils portaient sur le dos, et pas grand-chose d’autre.
Toutefois, la plupart connaissaient un meilleur sort que les Ouïghours, qui
subissaient la tutelle de Beijing 845.
Les tensions s’aggravèrent quand l’État encouragea le renforcement de
la production de coton. Zhao Ziyang, qui se rendit en visite dans l’Ouest en
1983, avait exprimé son admiration pour l’Asie centrale où le rendement au
kilomètre carré des cultures de coton était supérieur à celui des États-
Unis 846. L’Union soviétique, qui cherchait à réduire sa dépendance par
rapport aux importations, avait aussi choisi cette région pour sa production
de coton, en envoyant de la main-d’œuvre forcée cultiver les champs. Les
statistiques que Zhao Ziyang trouvait si impressionnantes étaient
évidemment fausses, comme la plupart des miracles dans les États dirigés
par un parti unique. Des responsables locaux avaient falsifié les chiffres en
se remplissant les poches avec les fonds envoyés par Moscou. À l’automne
1983, ce subterfuge fut percé à jour quand des photos satellite révélèrent
que les champs étaient déserts 847.
Zhao Ziyang et Hu Yaobang effectuèrent une tournée dans le Xinjiang
en 1983, et décrivirent la province comme « une nouvelle frontière à
dominer », avec de vastes ressources naturelles qui avaient le potentiel de
mener l’économie du pays vers le XXIe siècle 848. Toutefois, au cours des
années suivantes, ce furent les régions côtières qui devinrent prioritaires.
Ensuite, après les soulèvements de 1989, les efforts de développement du
Xinjiang furent relancés. En 1990, Jiang Zemin promit davantage de
financements à la province, alors que des mesures plus brutales étaient
prises pour réprimer les mouvements de rébellion. Le Xinjiang, décréta le
secrétaire général, devrait développer une « base de production » pour le
coton, les céréales, le sucre et l’élevage des animaux, ainsi que le pétrole et
le gaz naturel. En quelques années, 500 000 fileuses allèrent s’installer dans
la région, ce qui exacerba encore plus les tensions avec la population locale.
En 1995, dans une tentative de lier plus étroitement ce vaste territoire au
reste du pays, le neuvième plan quinquennal détermina que le Xinjiang
devait devenir le principal producteur de coton du pays d’ici le tournant du
millénaire, un objectif accompagné par près de 10 milliards de yuans
d’aides et de subsides, et qui vit des dunes arasées et transformées en
champs 849.
Le développement économique devait générer la stabilité sociale et
l’unité nationale, ou c’était du moins ce que croyaient les dirigeants.
Pourtant, sur le plan local, le ressentiment couvait et, en 1997, il déborda en
protestations et en soulèvements : des émeutes éclatèrent dans plusieurs
villes moyennes, et une explosion secoua Ürümqi, la capitale provinciale.
Par l’ancienne Route de la Soie, des armes, des explosifs et des tracts
religieux arrivaient d’Afghanistan et du Pakistan voisins. Une répression
impitoyable s’ensuivit, avec des milliers d’arrestations en deux ans, et
l’exécution, estima-t-on, de 190 séparatistes. Le seul fait de parler
d’indépendance devenait un crime 850.
En 1999, le conflit du Kosovo fut également une autre forme de rappel
des dangers de la fragmentation ethnique. Le bombardement de
l’ambassade chinoise accentua encore les craintes de rébellions séparatistes,
tandis que Jiang Zemin mettait en garde contre des forces étrangères
hostiles qui tentaient de fracturer le pays. « C’est donc notre mission et
notre devoir sacré de préserver la grande unité des 67 nationalités de
Chine », proclama-t-il à la veille des célébrations du cinquantième
anniversaire de l’instauration du pouvoir communiste. Quelques mois plus
tard, cette année-là, il hissa le drapeau du « Go West », en promettant
100 milliards de yuans par an dans le cadre du dixième plan quinquennal. Il
était prévu que la stratégie d’ensemble du développement de l’Ouest
s’étende sur cinquante ans 851.
Le pétrole et le coton figuraient en tête de la liste dressée par les
planificateurs étatiques. En 2002, le travail débuta : un gazoduc long de
4 000 kilomètres acheminerait le gaz naturel du Xinjiang vers Shanghai, et
PetroChina le mit en service fin 2004. Après la visite de Hu Jintao au
Kazakhstan en juin 2003, un accord fut signé pour prolonger l’oléoduc
jusqu’aux champs pétrolifères de la mer Caspienne. Le Turkménistan et
l’Ouzbékistan s’y ajoutèrent en 2007, reliant ainsi Shanghai à presque toute
l’Asie centrale. Un réseau d’oléoducs et de gazoducs qui quadrillait ces
terres sablonneuses ne tarda pas à transporter d’énormes volumes d’or
liquide ou gazeux 852.
Des routes furent tracées dans le désert, une nouvelle ligne de chemin
de fer fut inaugurée et une dizaine d’aéroports furent ouverts. Des migrants
arrivaient par vagues entières. Les superficies de terres cultivées
augmentèrent de 50 % et une main-d’œuvre massive et bon marché cueillait
le coton. La production fit plus que doubler, en passant de 18 millions de
balles à 37 millions en 2007. En 2008, la Chine n’était pas seulement le
plus grand utilisateur de coton du monde, en absorbant 43 % du total de la
production mondiale, mais, puisqu’elle en produisait aussi 33 %, elle en
était également devenue le premier producteur 853.

*
* *
Avant même l’afflux des investissements étrangers, une nouvelle vague
de constructions fut lancée, rappelant la frénésie consécutive à la tournée de
Deng Xiaoping dans le Sud en 1992. La dépense en ce domaine avait
commencé en juin 1997, quand le régime redoutait les effets de la crise
financière asiatique. Après mars 2000, au lieu d’être progressivement
abandonné, ce programme donna lieu à des chantiers d’infrastructure
encore plus ambitieux destinés à contrebalancer le ralentissement
économique mondial résultant de l’éclatement de la bulle boursière des
titres de sociétés technologiques et Internet, les « dotcom ». Partout, des
chefs du parti puisèrent profondément dans les coffres de l’État pour
financer de grands projets, tant ils tenaient à maintenir la croissance au-
dessus de la barre des 7 %, un chiffre magique jugé crucial pour éviter le
chômage de masse et les troubles dans les villes. Ce chiffre correspondait
aux taux de croissance que le régime avait obstinément visés depuis 1982,
quand Deng Xiaoping avait exigé que l’économie quadruple en volume
pour l’an 2000. Au moment où leur pays entrait dans le nouveau millénaire,
ses dirigeants continuaient d’invoquer le même taux de croissance,
décidément répété comme un mantra, avant de le porter quelques années
plus tard à 8 %. En 2001, malgré des exportations qui fléchissaient,
Shanghai parvint à atteindre un rythme de croissance annuel de plus
de 10 % : la ville élargit ses autoroutes, construisit un musée des Sciences et
de la Technologie, ouvrit un bâtiment de services aéroportuaires, modernisa
son réseau de distribution électrique, agrandit son réseau ferré souterrain et
entama le développement d’un train à sustentation magnétique pour relier
son second aéroport au quartier financier de Pudong. Des projets similaires
furent entrepris ailleurs, à Guangzhou, à Tianjin et dans d’autres villes qui
creusèrent des tunnels sous leurs quartiers résidentiels pour construire des
réseaux de métros souterrains 854.
Cette tendance se poursuivit : en à peine onze mois, en 2002, le
gouvernement, des banques étatiques, des sociétés et des investisseurs
étrangers engloutirent à eux tous 200 milliards de dollars dans des projets
d’infrastructures financés de manière officielle. Leur plan consistait à
ajouter 14 000 kilomètres de voies ferrées pour 2005, y compris une ligne à
grande vitesse reliant Beijing à Shanghai. Dans le centre de la Chine, pour
un coût colossal de 60 milliards de dollars, un réseau de canaux et de
stations de pompage détourna le cours du Yangtsé et du fleuve Jaune, tandis
que le gaz naturel était acheminé de l’Ouest vers la côte 855.
Des cadres du parti suivirent ce qu’ils appelaient le « modèle de
Shanghai », en se référant au soutien financier massif qu’avait reçu la ville
après l’accession au pouvoir central de Jiang Zemin et Zhu Rongji. Ce fut
tout particulièrement le cas à Chongqing, à environ 1 500 kilomètres vers
l’intérieur des terres, dans le Sichuan, sur le Yangtsé, une ville entourée de
montagnes, que les dirigeants avaient retenue pour en faire la capitale de la
campagne « Go West ». Une complète rénovation de la cité était
indispensable, et elle recevait tous les trimestres des milliards du Trésor
chinois. Huang Qifan, qui avait été vice-maire de Shanghai dans les années
1990, était l’homme de Beijing sur place, chargé de dépenser aussi vite que
possible. Le chiffre huit étant jugé de bon augure dans la culture chinoise,
huit autoroutes et huit nouvelles lignes de chemin de fer furent planifiées,
certaines creusées dans les montagnes. Huit ponts furent conçus pour
permettre le franchissement des rivières de la ville avant la fin de la
décennie. Des centres municipaux, des gratte-ciel et des aéroports surgirent
de terre, ainsi que des parcs, des boulevards et des promenades le long des
berges du fleuve. Huang Qifan se vantait de brûler plus d’un milliard de
dollars par mois. C’était sans limite : « Nous dépenserons comme cela
pendant dix ans », déclara-t-il à un journaliste étranger 856.
Les constructions ne se bornaient pas à des infrastructures. En prévision
d’une activité économique accrue à la suite de la signature de l’accord
commercial avec les États-Unis, l’investissement foncier et immobilier
s’envola, avec des centaines de millions consacrés à la construction
d’immeubles de logements, d’hôtels de luxe et d’ensembles de bureaux, de
Dalian à Shenzhen. Partout dans Beijing, des grues se dressaient au-dessus
de chantiers noyés sous des nuages de poussière. Un observateur en compta
plusieurs milliers qui ponctuaient l’horizon. Des quartiers entiers furent
rasés, leurs habitants expulsés. Au premier semestre 2002, l’investissement
dans le logement augmenta de 42 % à 2,6 milliards de dollars, alors que le
marché immobilier avait du mal à écouler 61,5 millions de mètres carrés
d’espaces vacants. Les galeries marchandes, déjà nombreuses, se
multiplièrent elles aussi. À Shanghai, un Super Brand Mall de dix étages fit
son apparition sur le front de fleuve du Huangpu, à Pudong, s’affirmant
comme le plus grand d’Asie. Ses allées en marbre rutilant étaient pourtant
presque tout le temps désertes. Au moins dix autres centres commerciaux
étaient en construction dans la ville, pour la plupart financés par des
emprunts bancaires 857.
Cette ruée frénétique vers le futur requérait d’énormes quantités d’acier,
de ciment et d’autres matériaux de construction. L’époque des surcapacités
était depuis longtemps révolue. « Partout, des aciéries se créent », se
plaignait un ancien directeur du ministère de la Métallurgie. En 2003, la
Chine absorbait à peu près la moitié de la production mondiale de ciment,
un tiers de son acier, un quart de son cuivre et une cinquième de son
aluminium 858.
L’argent venait des banques, dont le gouvernement était propriétaire.
Elles regorgeaient de liquidités. Des étrangers investissaient, autant que les
habitants de la région épargnaient. Surtout, étant donné le taux de change
fixe, de grandes quantités d’argent furent injectées dans le système pour
maintenir le rattachement au cours du dollar. Le régime exerçait des
pressions sur les banques pour qu’elles utilisent cet argent. En conséquence,
ces dernières prêtaient volontiers. Les prêts allaient non seulement à des
entreprises étatiques et à des chantiers d’infrastructure, mais aussi à des
clients fortunés, souvent assortis de contrôles de solvabilité minimaux et de
pénalités pour défauts de paiement purement symboliques. C’était tout
particulièrement le secteur de l’immobilier qui attirait l’argent facile, car de
plus en plus de clients aisés des villes apportaient leur épargne pour une
mise de fonds initiale dans l’achat d’un appartement, avant de le revendre
au bout d’un certain temps. « Tout le monde croit que les prix de
l’immobilier vont continuer de monter, alors personne ne perçoit de
risques », commentait un chercheur à l’université du Zhejiang 859.
Les économistes se demandaient si la machine du développement
n’échappait pas à tout contrôle ou s’il était intelligent d’investir dans
l’avenir. Un rapport du Bureau des statistiques déplorait qu’une province
compte simultanément 800 zones industrielles en cours d’aménagement,
dont la majorité était inutile. Une vague de construction d’aéroports avait
entraîné une surcapacité, puisque 127 des 143 plates-formes aéroportuaires
du pays accusaient des pertes 860.
Ces investissements massifs s’accompagnaient de peu de changements
dans le système économique. La bulle immobilière qui avait suivi la visite
de Deng Xiaoping dans le Sud en 1992 avait alimenté une inflation à deux
chiffres, et conduit ensuite à une multiplication écrasante des créances
douteuses, quand des investissements spéculatifs dans la pierre tournèrent
mal. Combiné aux pertes accumulées par les entreprises d’État, ce volume
de créances douteuses était si important que Zhu Rongji avait été obligé
d’étayer le système bancaire en créant quatre groupements qui en prirent le
contrôle. Une nouvelle tranche de créances douteuses se profilait : entre
500 milliards et 750 milliards de dollars d’un encours de prêts totalisant
presque 2 trillions contractés par le pays, et qui ne pouvaient être
remboursés. La dette officielle, ajoutée aux créances douteuses des banques
d’État et aux pensions non financées des employés de la fonction publique,
s’élevait à 140 % de la production économique, l’équivalent de la charge de
la dette qui avait asphyxié le Japon 861.
Bien que cette dette soit récente, la volonté de changer le système avait
disparu. Zhou Xiaochuan, le directeur de la banque centrale qui avait
succédé à Dai Xianglong, créa une entité économique propriété de l’État,
Central Huijin Investment. Cette dernière détenait en totalité une filiale,
China Jianyin. L’une et l’autre étaient indépendantes des quatre sociétés
gestionnaires de fonds montées en 1999 pour absorber les actifs toxiques
des quatre banques étatiques. En 2004, Huijin et sa filiale recapitalisèrent la
Banque chinoise de la Construction et la Banque de Chine avec 45 milliards
de dollars puisés dans les réserves de change en devises étrangères.
Pourtant, quand Zhou Xiaochuan proposa que des investisseurs
internationaux soient autorisés à devenir partenaires des banques
recapitalisées, contribuant ainsi à optimiser leur gouvernance d’entreprise et
leur gestion des risques, cela lui valut des accusations : les étrangers
menaçaient la sécurité financière de la nation. C’est pourquoi les banques
restèrent comptables vis-à-vis des dirigeants locaux du parti et continuaient
de prêter suivant leurs instructions 862.
Après le rachat des sociétés d’investissement en faillite par Huijin et sa
filiale, la Banque populaire de Chine avait espéré récupérer son argent en
les renflouant et en les revendant à de nouveaux investisseurs, y compris
des banques étrangères. Là aussi, en octobre 2005, le Conseil des Affaires
de l’État mit son veto à cette suggestion 863.
En fait, quatre ans après l’entrée de la Chine à l’OMC, la réforme prit
fin. Le programme de restructuration de la banque imposé au régime par les
circonstances en 1998, une époque où les vulnérabilités financières avaient
menacé le système entier de délitement, fut interrompu. À présent,
l’économie était en expansion. Que pouvait-il arriver de fâcheux avec
d’énormes réserves de devises étrangères et un excédent commercial
considérable ?
La réforme des entreprises étatiques fut aussi gelée. L’économie était
dominée par des champions nationaux, créés avec succès après qu’en 1997,
Jiang Zemin avait enjoint le parti de « garder les grands et se débarrasser
des petits ». En 2004, les entreprises étatiques représentaient 96 % des
actifs des 500 plus grandes sociétés du pays. Dans chaque secteur de
l’économie, des télécommunications, du pétrole, du gaz, du charbon, de
l’électricité, du tabac et du fret à l’aviation, une poignée d’entreprises
phares prirent le dessus, un bon nombre étant cotées sur les places
boursières de Hong Kong et de New York 864.
Elles obtinrent davantage de protection quand des barrières contre
l’investissement étranger direct furent dressées en 2005. En octobre, pour la
première fois, une société d’investissement étrangère tenta d’acquérir une
entreprise étatique, une fabrique d’outillage, la Xugong Construction
Machinery Group. Une compagnie concurrente locale bloqua cette
tentative, mais cela incita le régime à rendre publique une batterie de règles
et de réglementations limitant l’investissement étranger, censé constituer
une menace pour la « sécurité économique nationale ». Les restrictions
s’appliquaient au pétrole, aux télécommunications, à la fabrication
d’équipements et à l’industrie automobile ainsi qu’à d’autres « secteurs
importants » et « marques réputées », bien que la plupart de ces derniers
restent indéfinis 865.
La constitution de cellules du parti dans des entreprises privées,
engagée avec le lancement des Trois Représentations par Jiang Zemin en
2000, continua sur sa lancée. Quelques jours après son élection au
secrétariat général du parti en novembre 2002, Hu Jintao partit en tournée
d’inspection à Xibaipo, terre sainte de la révolution où Mao Zedong avait
installé son quartier général avant de pénétrer dans Beijing en 1949. Lors de
cette visite hautement symbolique, le chef prononça un discours faisant
écho à une précédente allocution du président Mao, mettant en garde contre
la complaisance dans la victoire et soulignant l’importance de la ligne du
parti. Le 3 janvier 2003, Le Quotidien du Peuple publiait les
recommandations de Hu Jintao 866.
Un mois plus tard, ce dernier déclenchait une campagne contre la
corruption, visant principalement des cadres du parti. Pour la première fois,
on alla jusqu’à démettre de leurs fonctions un certain nombre de magnats,
un coup de semonce au secteur privé. Yang Bin, un ancien brasseur
d’affaires affichant une fortune de 900 millions de dollars au faîte de sa
carrière, fut accusé de fraude et de versements de pots-de-vin et condamné à
dix-huit ans de prison. D’autres acteurs de premier plan tombèrent,
notamment des agents immobiliers et des dirigeants de l’industrie
automobile. En octobre 2003, Sun Dawu, un milliardaire réputé pour son
franc-parler, qui avait défendu les droits des villageois désargentés, fut
accusé d’avoir accepté des pots-de-vin et condamné à trois ans de réclusion.
Ces arrestations eurent l’effet escompté, car le nombre d’individus
propriétaires de leur affaire entama un déclin. En 2004, partout dans le
pays, divers projets privés furent arrêtés ou forcés de ralentir, car le
gouvernement affirmait que leurs propriétaires avaient enfreint les
réglementations sur la propriété foncière. En 2006, le secteur privé avait
chuté de 15 % et ne regroupait que 26 millions d’individus sur une
population totale de 1,3 milliard 867. Sous le règne de Hu Jintao, les mots
« réforme » et « ouverture » allaient rarement de pair, et le second disparut
peu à peu complètement, remplacé par des appels incessants à une « Société
harmonieuse » : cette formule désignait la stabilité sociale requise par les
cadres du parti, condition préalable pour qu’ils puissent se consacrer à la
défense de leurs propres intérêts.

*
* *
Le revers de la croissance, c’était la pollution. Toutefois, l’assaut contre
la nature avait débuté bien avant l’ère de la réforme. Mao avait considéré
les barrages comme un pilier du développement, avec d’énormes chantiers
de retenue et de conservation de l’eau mobilisant des centaines de millions
de villageois, au plus fort du Grand Bond en avant. Nombre de ces projets
étaient médiocrement conçus et mal exécutés, ce qui entraîna des
glissements de terrain, des envasements de rivière, une salinisation des sols
et des inondations dévastatrices. Dans certaines régions, un assaut prolongé
et d’une rare intensité contre la nature, considérée comme une force à
dompter, entraîna parfois la disparition de la moitié des arbres. Dans la ruée
pour transformer une société principalement agricole en une locomotive
industrielle capable d’éclipser le camp capitaliste, la quantité d’eaux usées
et de rejets industriels dans les cours d’eau connut une hausse
exponentielle. Dans le Nord industriel, des rivières entières se
transformèrent en flux insalubres de matières toxiques, tuant les poissons,
empoisonnant les populations riveraines et imprégnant profondément la
terre de substances polluantes, détournés par d’interminables conduites et
autres rigoles. Des cheminées crachant leur fumée recouvraient les villes
industrielles d’une brume ocre 868.
Après 1976, les occasions de polluer se multiplièrent. Quand dix-neuf
papeteries ouvrirent dans le Zhejiang en 1979, elles contribuèrent pour
100 000 tonnes au 1,5 million de tonnes de déchets industriels non traités
rejetés chaque jour dans les rivières de toute la province. Plus des deux tiers
de toute l’eau potable étaient déjà impropres à la consommation. La
province relâchait aussi des millions de tonnes de déchets industriels dans
l’air. À Hangzhou, la capitale provinciale, la concentration de particules
dans l’air dépassait de dix fois les normes internationales. Pourtant, ces
chiffres restaient encore relativement modérés : dans le comté de Pingyang,
une région côtière, où des usines chimiques produisaient du soufre, l’acide
était si corrosif qu’il rongeait les vêtements, les briques et les carrelages.
« Une toile de voile pourrira en moins de deux ans », expliquait un habitant
de la région. Dans certaines parties de la province, les déchets radioactifs
n’étaient même pas traités et des milliers de personnes furent atteintes
d’affections diverses 869.
Le Zhejiang ne constituait certes pas une exception. Les pluies acides
posaient un grave problème dans beaucoup de villes, de Chongqing à
l’intérieur des terres à Nanjing près de la côte. À Lanzhou, où des centaines
d’usines engorgeaient un étroit corridor le long du fleuve Jaune, le « smog »
masquait le soleil des mois d’affilée pendant l’hiver. En 1981, selon une
estimation certainement très prudente, 24 milliards de tonnes de déchets
industriels furent rejetés dans les cours et les nappes d’eau pour le pays
entier, soit trois fois plus qu’au Japon, un pays dont l’économie est quatre
fois plus vaste 870.
Des engagements furent pris, des lois promulguées, des installations de
traitement de déchets construites. Pourtant, ainsi que le remarquait en 1991
Qu Geping, pionnier de la protection de l’environnement et président d’une
commission à l’Assemblée nationale populaire chargée de la lutte contre la
pollution, il n’existait pas de mesures incitatives pour la protection de
l’environnement. De toutes les installations implantées pour la gestion des
déchets, seul un tiers fonctionnait comme prévu. Un autre tiers était si
défectueux que les équipements ne fonctionnaient que par intermittence, et
le reste était complètement dysfonctionnel. Le Conseil des Affaires de
l’État estimait que les pertes économiques causées chaque année par la
pollution de l’air s’élevaient à 50 milliards de yuans, et celles qu’engendrait
la pollution de l’eau à 40 milliards de yuans 871.
Au cours de la décennie suivante, la tendance ne cessa de s’aggraver. À
la fin du siècle, la quantité d’effluents non traités rejetés dans les cours
d’eau de la Chine atteignit 40 milliards de tonnes, alors que 23 millions de
tonnes de dioxyde de soufre étaient relâchés dans l’atmosphère. Deux villes
sur trois étaient incapables de respecter les normes les moins astreignantes
concernant les émissions de substances particulaires dans l’atmosphère, et
on estimait que les dégâts dus aux pluies acides coûtaient à eux seuls
110 milliards de yuans par an. L’érosion des sols, et notamment la
déforestation, la désertification et l’alcalinisation affectaient 38 % du total
des surfaces, ou plus de 3,6 millions de kilomètres carrés 872.
Les maux environnementaux du pays s’aggravèrent après l’entrée de la
Chine dans l’OMC. Des contrôles laxistes étaient une condition essentielle
permettant de vendre pour un trillion de dollars de marchandises au reste du
monde, car les sociétés qui dominaient le marché étaient aussi celles qui
étaient les plus polluantes, qu’il s’agisse de la fabrication de l’acier, de
l’aluminium, du ciment, des produits chimiques, du plastique, du cuir ou du
papier. L’horizon était brouillé par des nuages de fumée brunâtre crachés
dans les airs par des raffineries de gaz naturel et des centrales à charbon
situées dans le Xinjiang, jusqu’à Beijing, soufflés chaque été par de
dangereuses tempêtes de sable qui jaunissaient le ciel. Selon un rapport
gouvernemental, 300 millions d’habitants des campagnes n’avaient pas
d’autre solution que de boire de l’eau souillée par des produits chimiques et
d’autres composants contaminants. Des rivières entières étaient
dangereuses, rien que par contact. Certaines étaient asséchées avant même
d’atteindre la mer. Environ neuf villes sur dix avaient des nappes
phréatiques contaminées. À Shanghai, l’eau des canaux bouillonnait sous
l’effet des polluants, même par temps froid. L’eau du robinet sentait
mauvais. À peu près un tiers du pays était exposé à des pluies acides 873.
Comme tout le reste, la pollution se mondialisait. Le dioxyde de soufre
craché par les centrales à charbon chinoises se muait en pluies acides à
Séoul et à Tokyo. Même à Los Angeles, selon l’Agence fédérale de
protection de l’environnement, un quart des matières particulaires obstruant
le ciel pouvaient être reliées à la Chine. Il y avait naturellement des
avantages locaux, mais pas de gains mondiaux. Alors que ses usines
polluantes fermaient, certaines d’entre elles étant littéralement démantelées,
expédiées en Chine et réassemblées sur place, l’Allemagne s’affirmait en
chef de file du mouvement vert. La chancelière Angela Merkel était
surnommée la « chancelière du climat », poussant à la signature d’accords
internationaux pour réduire les émissions de carbone. Dans la vallée de la
Ruhr, jadis dominée par les mines de charbon et les aciéries, des rivières
étaient soigneusement assainies, des sols contaminés étaient nettoyés et
transformés en parcs. D’autres pays semblaient aussi bénéficier d’émissions
carbonées plus basses, au fur et à mesure du déplacement de la production
d’acier vers la Chine. Pourtant, selon le Parlement européen, les aciéries
chinoises moins efficientes émettaient trois fois plus de dioxyde de carbone
pour chaque tonne d’acier produite que n’en rejetaient leurs homologues en
Allemagne. Qui plus est, puisque la Chine avait une économie socialiste,
une fois que les aciéries étaient en état de marche, elles fermaient rarement,
quel que soit l’état des marchés et de la demande. En 2007, le pays avait
77 grandes fonderies et aciéries et des centaines d’autres de plus petite
taille, qui produisaient une fois de plus en telle surcapacité que certains
produits de base en acier n’étaient plus rentables ni en Chine ni à
l’étranger 874.
En 2004, l’Administration d’État pour la Protection de l’environnement
comptait environ le centième des effectifs de l’Agence de protection de
l’environnement des États-Unis. Comme d’autres institutions étatiques, elle
produisait des déclarations retentissantes sur le papier, mais leur portée
dépendait des agents locaux sur le terrain. Quand l’administration fermait
une usine, l’établissement rouvrait parfois en l’espace de quelques
semaines. Des responsables locaux ne tenaient souvent aucun compte des
décrets environnementaux, afin de se concilier les usines polluantes qui
s’acquittaient des taxes locales 875.
Des protestations contre la dégradation de l’environnement avaient lieu
en différents endroits du pays et dégénéraient parfois en batailles rangées
avec la police antiémeute. À Xinchang, une ville manufacturière à
80 kilomètres environ de Hangzhou, ce furent jusqu’à 15 000 personnes qui
exigèrent la relocalisation d’une usine de produits pharmaceutiques accusée
de rejeter des substances chimiques dangereuses dans les cours d’eau : ils
bravèrent les gaz lacrymogènes, lancèrent des pierres sur les forces de
l’ordre et renversèrent des véhicules de police. Zhou Yongkang, le ministre
de la Sécurité publique, rapporta 74 000 incidents similaires pour l’année
2004, une hausse par rapport aux 58 000 incidents de l’année précédente.
En 2005, on dénombrait 87 000 manifestations, notamment un affrontement
avec des villageois qui protestaient contre la construction d’une centrale
électrique, au cours duquel la police ouvrit le feu, tuant au moins trois
personnes. La plupart de ces protestations échappaient à l’attention du
grand public et ne concernaient pas toutes l’environnement, car les
expulsions forcées, les salaires impayés, les saisies de terres et la corruption
des fonctionnaires mettaient tout autant les gens en colère. Pourtant, la
pollution en était une cause majeure, notamment parce qu’aucune audition
publique n’avait jamais lieu avant que ne soit lancée la construction
d’usines potentiellement nocives 876.
Même dans la protestation, tout le monde n’était pas à égalité.
L’économie était déséquilibrée, avec une étroite bande de territoire le long
de la côte autorisée à aller de l’avant, de Dalian jusqu’au Sud, à Shenzhen.
Entre-temps, la plus grande partie des campagnes restaient embourbées
dans la pauvreté, des villages entiers survivant uniquement grâce aux
sommes remises par les travailleurs migrants. Certains pouvoirs locaux
pouvaient ne tenir aucun compte des normes environnementales, ou décider
au contraire de les appliquer à la lettre s’ils subissaient les pressions de
leurs administrés, surtout quand les financements étaient abondants.
D’importantes sommes d’argent sorties des coffres de l’administration
centrale avaient servi à moderniser les infrastructures de villes-vitrines
comme Guangzhou et Shanghai. Ces villes se servaient de plus en plus de
leur envergure financière pour exporter la pollution de l’air, du sol et de
l’eau vers des régions moins développées du pays.
Quand le gazoduc de Xinjiang à Shanghai fut mis en service le
30 décembre 2004, il déporta aussi une partie de la pollution atmosphérique
de la ville d’à peu près 4 000 kilomètres vers l’ouest. Alors que le lac Taihu,
dont dépendait Shanghai pour s’approvisionner en eau, devenait trop pollué,
on entama en 2007 la construction de quatre grands réservoirs censés capter
le cours du Yangtsé à son embouchure. Le réservoir de Qingcaosha, le
premier à fournir de l’eau à parti de 2010, coûta au gouvernement local
17 milliards de yuans 877.
D’autres villes entreprirent de relocaliser leur pollution en dehors de
leur périmètre. Dans le delta de la Rivière des Perles, où l’on fabriquait
environ le tiers des exportations du pays, des milliards furent dépensés dans
l’installation d’usines de traitement des eaux usées et pour déplacer toutes
les principales activités industrielles vers des parties plus reculées de la
province. Shenzhen et Guangzhou introduisirent de nouvelles normes
environnementales en 2006, en forçant de petites entreprises aux activités
nocives pour l’environnement à migrer plus à l’intérieur des terres.
Certaines usines déménagèrent aussi volontairement vers la campagne,
attirées par un terrain moins cher et des impôts plus bas, proposés par des
responsables locaux désireux de stimuler la croissance sur leur partie de
territoire 878.
Toutefois, dans cette grande opération d’assainissement, aucune ville
n’en fit davantage que Beijing. La raison en était simple : la capitale avait
été retenue pour accueillir les Jeux olympiques d’été en 2008, un
événement qui fut généralement perçu comme un rite de passage, marquant
les grands débuts de la Chine sur la scène mondiale.

*
* *
Le 13 juillet 2001, après l’annonce par le Comité international
olympique que la candidature de Beijing aux Jeux d’été de 2008 était
retenue, la jubilation s’empara du pays. Le vote avait eu lieu dans le World
Trade Center de Moscou, et quelques activistes tibétains étaient venus
protester devant le bâtiment. À Beijing, les gens dansèrent, applaudirent,
sautèrent de joie sous un tir de feux d’artifice éblouissant. Dans son
allocution télévisée, un Jiang Zemin radieux félicita la population de
Beijing, adressant aussi ses remerciements à « nos amis dans le monde
879
entier ».
Depuis des mois, l’appareil de la propagande avait rallié le soutien du
pays à cette candidature, moyennant un tir de barrage de publicités à la
télévision et à la radio. Sous l’intitulé « Nouveau Beijing, Grandioses
Olympiades », la campagne présentait cette initiative comme une affaire de
fierté nationale à laquelle chaque citoyen chinois avait sa part. Cependant,
ceux qui se montraient critiques envers le bilan du pays en matière de droits
de l’homme arguèrent que le prestige de l’événement renforcerait la
légitimité d’un gouvernement qui continuait de réprimer son peuple. De
leur côté, les partisans de cette décision voulaient croire qu’une plus grande
visibilité internationale accélérerait la transition du pays vers la démocratie,
à peu près comme son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce
devait l’encourager à respecter les règles juridiques. Le vice-maire de la
capitale, Liu Jingmin, résuma la chose dans une formule empesée : « La
construction de la démocratie et l’État de droit ont été améliorés et se
développent 880. »
Un premier test survint deux ans plus tard, à la mi-novembre 2002,
lorsqu’un coronavirus associé par la suite à une civette infecta des habitants
de la province du Guangdong *1. Des centaines de personnes furent atteintes
de ce qui fut d’abord décrit comme une « pneumonie atypique ». Le
gouvernement étouffa la nouvelle de cette épidémie et empêcha des
professionnels de santé d’alerter les instances internationales, notamment
les autorités de Hong Kong. Le 31 janvier 2003, un poissonnier fut
hospitalisé à l’hôpital Sun Yat-sen Memorial de Guangzhou et contamina
des dizaines de membres du personnel de l’hôpital. Le 16 février, la rumeur
sur un mystérieux microbe circulait déjà si vite que des millions de gens se
mirent à stocker du vinaigre, censé désinfecter l’air ambiant quand on le
faisait bouillir. Plusieurs victimes périrent sous l’effet des vapeurs mortelles
après avoir laissé le liquide chauffer toute la nuit sur leur poêle à charbon.
À Guangzhou, la capitale du Guangdong, des boutiques furent rapidement à
court de masques et les habitants accumulaient des réserves de riz, d’huile
de cuisine et de sel. Des responsables intervinrent à la radio et à la
télévision pour endiguer cette vague de panique : « Ne tenez pas compte des
rumeurs et fiez-vous au gouvernement », déclara le vice-maire, Chen
Chuanyu 881.
Le 21 février, Liu Jianlun, un médecin infecté de l’hôpital Sun Yat-sen
Memorial, franchit la frontière et se rendit à Hong Kong où il était invité à
un mariage. Il descendit au Metropole Hotel, où il transmit la maladie à plus
de vingt clients de l’établissement, qui à leur tour diffusèrent ce coronavirus
dans le monde entier, lorsque des voyageurs infectés débarquèrent à Hanoï,
Toronto et Singapour.
Le 1er mars, l’Organisation mondiale de la santé lança une alerte
mondiale. Beijing refusa de coopérer : « Aucun indice ne prouve que ce
virus soit originaire de la province du Guangdong », prétendit un vice-
ministre de la Santé. Alors que le monde commençait à s’apercevoir du
danger, des laboratoires s’empressèrent d’analyser des prélèvements sur des
patients, mais les médias chinois reçurent instruction de ne pas publier
l’avertissement de l’OMS. Le 21 mars, des enquêteurs des services de santé
de Hong Kong confirmèrent que Liu Jianlun avait transmis la maladie à
d’autres. Cinq jours plus tard, le ministère de la Santé publique
reconnaissait enfin que le virus était bien plus redoutable qu’il ne l’avait
précédemment estimé, mais l’équipe de l’Organisation mondiale de la santé
se vit toujours interdire l’accès à la province du Guangdong 882.
Toute l’ampleur de ces manœuvres d’étouffement apparut pleinement
après qu’un médecin à la retraite de l’Armée populaire de libération, qui
avait contacté plusieurs hôpitaux pour se faire une idée plus précise du
nombre de patients infectés, eut envoyé un long email, le 4 avril, à
Phoenix TV, à Hong Kong. Sa lettre fut publiée à l’étranger quelques jours
plus tard, contraignant le ministre de la Santé publique et le maire de
Beijing à démissionner. Pourtant quand un éditorial du Wall Street Journal
appela ses lecteurs à suspendre temporairement tout voyage vers la Chine,
Le Quotidien du Peuple du 17 avril dénonça cette « ingérence malveillante
et inutile » et répéta l’affirmation officielle : aucune preuve ne désignait la
Chine comme étant à l’origine du virus 883.
En fin de compte, des mesures fermes prises par les autorités sanitaires
de Hong Kong évitèrent que l’épidémie de SRAS n’échappe à tout contrôle.
Au total, plus de 8 000 personnes furent infectées. Il y eut plus de 700 cas
mortels, la majorité dans la colonie de la Couronne, où le traumatisme
accentua encore la méfiance envers la Chine continentale. Un ancien
responsable de l’OMS le formula en ces termes : « Le SRAS, c’est la
pandémie qui n’a pas eu lieu 884. »
À l’exception de Hong Kong, le monde ne retint guère les leçons de
cette expérience. En revanche, le régime chinois avait encore étoffé ses
capacités d’étouffer les informations susceptibles de causer de l’instabilité.
Deux ans plus tard, un virologue dont les recherches sur la grippe aviaire
divergeaient fortement des explications officielles fut menacé
d’emprisonnement pour avoir révélé des « secrets d’État ». Jiang Yanyong
fut arrêté en 2004, lors d’une de ces vagues d’arrestations coutumières
lancées avant la date anniversaire du Quatre Juin. Seize ans plus tard, en
février 2020, il fut de nouveau placé en résidence surveillée lorsqu’un autre
coronavirus entama son processus de dissémination planétaire 885.
L’une des conséquences de l’épidémie de SRAS fut d’obliger Beijing à
reporter le lancement de sa campagne de marketing autour des Jeux
olympiques de 2008. Il y eut d’autres retards, notamment pour la date limite
d’un concours de composition de la chanson officielle des Olympiades
pékinoises 886. En revanche, la construction de tous les sites progressait à
une cadence soutenue, des immeubles d’avant-garde aux façades
étincelantes surgissant partout dans la capitale. Ils étaient souvent conçus
par des architectes internationaux, parmi lesquels Albert Speer fils, dont le
père, l’architecte préféré d’Adolf Hitler, avait ordonnancé les Jeux
olympiques de Berlin en 1936. Comme son père, qui avait imaginé
l’aménagement d’une somptueuse « Via Triumphalis » suivant l’axe nord-
sud de l’avenue Unter den Linden et traversant le cœur de Berlin, le fils de
Speer projeta un boulevard long de 8 kilomètres, qui s’étendait de la
nouvelle gare après la place Tian’anmen jusqu’au Village olympique.
Une enveloppe de dépenses de 40 milliards de dollars, très supérieure à
ce qu’avaient pu investir de précédentes villes-hôtes, transforma la capitale.
Des artères furent élargies, de nouvelles lignes de métro creusées et des
dizaines d’édifices érigés, une véritable lame de fond d’acier et de béton qui
noyait l’horizon sous des nuages de poussière. Ces chantiers étaient
d’envergure monumentale, avec plus de 1,7 milliard de mètres carrés de
construction engagées à partir de 2002. De vieux quartiers, des ruelles et
des maisons aux cours-jardins enceintes de murs furent rasés au bulldozer et
leurs habitants relogés loin du centre-ville, parfois de force : des dizaines de
fourgons de police et de camionnettes de déménagement furent mobilisés
pour emmener les expulsés et emporter leurs biens. Le Centre pour le droit
au logement et contre les évictions (COHRE), organisation non
gouvernementale qui a son siège à Genève, estima que 1,5 million
d’individus, soit à peu près le dixième des habitants de la capitale, furent
contraints de partir, mais le ministère des Affaires étrangères démentit cette
estimation, en communiquant un chiffre plus rassurant : 6 037 expulsions
seulement 887.
La pollution restait un sujet de préoccupation, car les organisateurs
avaient promis des Olympiades vertes. Des campagnes furent lancées pour
réduire les émissions des véhicules, remplacer les bus à moteur diesel par
de nouveaux modèles alimentés au gaz naturel et déplacer des centaines
d’activités industrielles fortement polluantes vers l’extérieur de la capitale.
Les poêles et fourneaux à charbon furent remplacés par de nouveaux
appareils électriques. Pourtant, quelques semaines avant l’ouverture des
Jeux, une brume ocre recouvrait encore la ville et stagnait dans cette vaste
cuvette entourée de montagnes. Des mesures d’urgence furent prises et des
usines situées à des centaines de kilomètres de distance, en Mandchourie au
Nord jusqu’en bordure du désert de Gobi en Mongolie Intérieure, reçurent
ordre de suspendre leur production. Les fermetures des mines provoquèrent
des pénuries de charbon, source de 80 % de l’électricité du pays. Les cours
du charbon utilisé dans les centrales thermiques doublèrent presque, incitant
le gouvernement à appliquer de nouvelles mesures de contrôle des prix 888.
Le jour de la cérémonie d’ouverture, le ciel était encore gris. Toutefois,
pas un athlète ne dut entrer dans le stade en portant le masque. Selon tous
les témoignages, le spectacle fut éblouissant, avec ses feux d’artifice, ses
percussionnistes, ses enfants, ses danseurs, plusieurs chanteurs et un
pianiste, soit un total de 15 000 exécutants dans l’enceinte du Stade
national, une immense coque en treillage d’acier blanc surnommée le « Nid
d’oiseau ». Les 100 000 hommes et femmes des forces de sécurité
garantirent un déroulement de l’événement sans accroc. Le monde entier
était fasciné et les reportages dithyrambiques qualifièrent souvent la
cérémonie de « plus grand événement » de l’histoire des Jeux 889.
Certaines parties du spectacle suscitèrent la controverse. Une fillette
angélique vêtue d’une robe rouge qui avait chanté un air populaire faisant
l’éloge de la mère patrie, et qui avait conquis les cœurs de beaucoup de
spectateurs, avait été obligée de chanter en play-back, s’avéra-t-il, car la
dentition inégale de cette enfant de sept ans qui avait ainsi prêté sa voix
avait été jugée potentiellement dommageable pour l’image internationale du
pays. Un membre du Politburo avait décidé ce changement de dernière
minute. Le feu d’artifice montré sur des écrans géants et à la télévision,
avec ses séquences pyrotechniques impressionnantes volant de la place
Tian’anmen au Nid d’oiseau, étaient en réalité générées par ordinateur. La
plupart des 56 enfants vêtus de costumes ethniques, chacun représentant
l’un des groupes minoritaires du pays, appartenaient en réalité à l’ethnie
han dominante, qui composait à peu près 92 % de la population. Pour la
plupart, les milliards de spectateurs du monde entier négligèrent ces détails,
les avis sur les réseaux sociaux, en Chine continentale, étant plus virulents
que ceux de l’étranger. Au bout de quelques jours, la météo elle-même
s’améliora : grâce à un changement dans la direction des vents, le ciel se
dégagea enfin et devint d’un bleu cristallin pour une partie des épreuves
sportives 890.
Or, malgré leur réussite évidente, les Jeux olympiques mirent au jour les
tensions qui couvaient avec l’Occident. Il y avait de la fierté par rapport à
un événement qui avait montré au monde tout le chemin accompli par la
nation chinoise, mais aussi du ressentiment face à ce qui était perçu comme
des tentatives injustes de la part des étrangers de gâcher ce grand moment.
L’un des motifs grandissants de cette colère était lié aux protestations
d’étrangers en faveur du Tibet. Le 10 mars 2008, pour l’anniversaire du
soulèvement de 1959 contre le pouvoir de Beijing, des centaines de moines
et de religieuses bouddhistes organisèrent une manifestation silencieuse à
Lhassa. Après une violente charge de police, la situation échappa à tout
contrôle, les manifestants incendiant des boutiques et vandalisant des
véhicules des forces de l’ordre. Une répression féroce s’ensuivit avec
l’emploi de matraques électriques, de gaz lacrymogènes et d’armes à feu.
Des soldats en armes patrouillèrent dans les rues, bien déterminés à mener
ce que le régime appela une « guerre du peuple » contre des « forces
hostiles » et des « forces séparatistes réactionnaires », incluant le Dalaï-
Lama. Il y eut des dizaines de morts, mais les chiffres précis restaient
matière à conjectures, car aucun journaliste étranger ne fut autorisé à
couvrir ces heurts. Des milliers de Tibétains furent incarcérés 891.
La répression impitoyable de toute forme de protestation était devenue
une habitude de pure routine dans le bassin ethnique du pays, mais cette
fois des manifestations de soutien au Tibet éclatèrent dans des villes du
monde entier. À Londres, à Paris, à Delhi et à Sydney, des manifestants
tentèrent d’investir les ambassades de Chine, en appelant à un boycott des
Jeux. Le 24 mars, la cérémonie d’allumage de la flamme, à Athènes, fut
perturbée. Cette flamme olympique devint une cible récurrente tout au long
de son trajet jusqu’à Beijing, avec des échauffourées entre manifestants et
soutiens du régime. Jin Jing, une athlète dans une chaise roulante, l’une des
concurrentes en lice pour les Jeux paralympiques, devint un emblème
national en se défendant contre des manifestants, à Paris, alors qu’elle
portait la flamme. À Canberra, plus de 10 000 Chinois australiens
organisèrent un rassemblement pro-Beijing en se massant sur six rangées le
long des 16 kilomètres de la route empruntée par la flamme. Des centaines
de voitures circulèrent dans la ville en arborant le drapeau chinois. À Séoul,
plus de 8 000 policiers ne suffirent pas à empêcher des étudiants chinois de
frapper à coups de pied un vieil homme, un manifestant sud-coréen, et de
lancer des pierres sur un groupe qui brandissait des banderoles hostiles à
Beijing. Des messages de colère firent leur apparition sur des sites Internet
chinois, exigeant que la « Chine ne soit pas humiliée ». Pour beaucoup de
gens immergés dans une éducation patriotique, le soutien au Tibet
constituait un affront intolérable à l’unité de la nation, un complot évident
pour entraver son ascension historique vers la grandeur. Le monde, leur
semblait-il, se liguait contre la Chine 892.
Le régime exploita ces courants d’un nationalisme profond, en usant de
son appareil de propagande pour se présenter en défenseur de la mère
patrie. Or, la passion peut se révéler dangereuse, et se retourner contre ceux
qu’elle inspire. À la mi-avril, les censeurs commencèrent à brider le flot des
posts en ligne, des blogs, des chats Internet et d’autres manifestations de
colère contre l’Occident 893.
Le régime s’assura aussi qu’aucune forme de protestation ne puisse
entacher les Jeux. Beijing fut transformée en une gigantesque forteresse,
avec des dizaines de milliers de caméras de surveillance installées sur les
réverbères ou dans les cybercafés et les bars. Les éléments indésirables,
qu’il s’agisse des travailleurs migrants, des colporteurs et des mendiants ou
des cartomanciennes furent proprement évacués. Des civils portant des
brassards rouges furent recrutés pour patrouiller dans les rues. D’un bout à
l’autre du pays, toutes les unités de travail, toutes les usines et toutes les
écoles furent placées en état d’alerte maximale et reçurent ordre de
surveiller les fauteurs de troubles qui pourraient tenter de se diriger vers la
capitale. Hu Jia, un militant de la démocratie qui prit le gouvernement à
partie pour n’avoir pas mieux respecté les droits de l’homme à l’approche
des Jeux, fut envoyé en prison où il resta plusieurs années 894.
À la suite des promesses faites au Comité international olympique, des
« zones spéciales » furent aménagées dans trois parcs pour permettre aux
gens de s’exprimer librement. Aucun des 77 candidats ne put y accéder, et
deux grands-mères âgées de soixante-dix-sept et soixante-dix-neuf ans
furent incarcérées. Une poignée d’activistes étrangers réussit à contourner
le dispositif de sécurité et déroula des banderoles « Libérez le Tibet » avant
que des policiers en civil ne les emmènent. Dans une déclaration très sèche
avant la fin des Jeux, l’ambassade des États-Unis se servit de cette
opportunité pour reprocher à Beijing de n’avoir pas fait preuve d’une « plus
grande tolérance et d’une plus grande ouverture d’esprit 895 ». Pourtant, en
assistant à la cérémonie de clôture, les dirigeants du pays avaient toutes les
raisons d’être fiers de ce qu’ils avaient accompli. Ils avaient propulsé leur
économie, utilisé un énorme excédent commercial pour transformer la
capitale, vaincu les appels au boycott, écrasé les dissidents, maîtrisé la
pollution, rallié la population autour des Jeux et ébloui les étrangers avec
leurs Olympiades aussi parfaitement réglées qu’une horloge. Limiter
l’ouverture, et non la renforcer : telle était clairement la voie de la réussite.

*1. Le réservoir animal du coronavirus du SRAS a été identifié, une chauve-souris insectivore
et un hôte intermédiaire, qui a permis le passage du virus à l’homme : la civette palmiste
masquée, animal sauvage vendu sur les marchés et consommé au sud de la Chine. (N.d.T.)
Source : Institut Pasteur. www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/sras
10.

Hubris
(2008-2012)

Le 15 septembre 2008, une banque d’investissement internationale,


Lehman Brothers, fondée en 1847, se plaça sous la protection de la loi sur
les faillites. Elle accusait plus de 600 milliards de dollars de dettes. Merrill
Lynch, une autre banque d’investissement, ne parvint pas à conclure un
accord de la dernière chance avec Bank of America, afin d’éviter une crise
financière. La disparition de deux des sociétés financières les plus
puissantes de Wall Street survenait à peine une semaine après que le
gouvernement américain eut pris le contrôle de Fannie Mae et Freddie Mac,
deux sociétés de prêts immobiliers soutenues par l’État fédéral qui avaient
accumulé d’énormes pertes à la suite de leurs investissements dans les
crédits subprime.
Sept ans plus tôt, des craintes sur les effets de la déflation avaient incité
la Réserve fédérale américaine à réduire ses taux directeurs à 1,75 %, un
niveau jamais atteint depuis 1961. En novembre 2002, une deuxième baisse
de taux les réduisait à 1,25 %. En même temps, des prêts immobiliers à
remboursement in fine furent rendus accessibles, assortis de demandes de
garanties minimales, et ils attirèrent des acheteurs immobiliers qui n’avaient
pas les moyens de contracter des prêts conventionnels, où l’emprunteur
rembourse le capital et les intérêts. Les prêts étant bon marché et le crédit
facile, la demande d’emprunts immobiliers augmenta, poussant à son tour
les prix des logements à la hausse. Le pourcentage des prêts subprime
doubla. Or, quand les taux d’intérêt remontèrent, jusqu’à 5,25 % en
juin 2006, beaucoup de ces propriétaires n’eurent plus les moyens de
rembourser leurs mensualités. Une crise des prêts hypothécaires débuta en
2007, entraînant une chute des prix immobiliers et un gel des marchés de
crédit, ainsi que d’énormes pertes dans le secteur financier, touchant
notamment les fonds spéculatifs et les banques d’investissement qui, n’étant
pas soumis aux mêmes réglementations que les banques de dépôt, avaient
restructuré les garanties hypothécaires des crédits subprime afin de créer de
nouveaux produits d’investissements.
Le tour dramatique que prirent ces événements révéla la fragilité du
système financier des États-Unis, encore récemment considéré comme
inébranlable. Les marchés du monde entier plongèrent, saisis par la crainte
de l’effondrement d’autres banques. Celles-ci cessèrent de se prêter
mutuellement, la Réserve fédérale américaine intervint, bientôt suivie des
banques centrales japonaise et européenne. Aux États-Unis, le coût du plan
de sauvetage approcha de 1,5 trillion, bien qu’un tier de ce montant ait été
plus tard remboursé après que les actifs rachetés lors de la crise eurent été
revendus avec un bénéfice. Après des années de crédit facile, une grave
récession provoqua d’énormes dégâts économiques et entraîna d’immenses
souffrances humaines, le chômage culminant à plus de 10 % et des millions
de gens perdant leur domicile.
Alors que les États-Unis, l’Europe et le Japon sombraient dans la
récession, cette crise de leurs marchés porta un rude coup à la Chine, qui
était fortement dépendante de ses exportations. Des dizaines de milliers
d’usines petites et moyennes furent contraintes de fermer, forçant leurs
ouvriers à chercher du travail ailleurs ou à retourner dans les campagnes.
À Wenzhou, selon une enquête interne de la Banque populaire de Chine, les
profits baissèrent de 50 % au dernier trimestre de l’année 2008. En
mars 2009, cette chute atteignait 60 %, obligeant les entreprises locales à se
séparer de 10 % de leur main-d’œuvre. Tout le long de la côte, des gares,
normalement remplies de travailleurs migrants à l’arrivée, virent un
complet renversement du flux de voyageurs, avec une hausse du nombre
des départs de personnes qui retournaient dans leur région natale. Certains
propriétaires d’entreprises disparurent, tout simplement, alors que d’autres
refusèrent de verser les salaires, ce qui conduisit rapidement à une
multiplication de protestations et de conflits sociaux. Des responsables
locaux, sommés de maintenir la stabilité sociale, étaient partagés entre
verser de l’argent en liquide et appeler la police antiémeute 896.
Avant même la crise financière mondiale, nombre de ces propriétaires
d’usines étaient déjà ébranlés par des coûts de main-d’œuvre et de matières
premières en hausse, car le yuan avait pris de la valeur après que les
autorités l’eurent laissé monter, puis redescendre de 2 % en juillet 2005,
quand il s’échangeait à 8,28 contre un dollar. Il augmenta régulièrement
jusqu’à 6,83 yuans en juillet 2008, quand son cours fut de nouveau fixé
pour deux années supplémentaires. Dans le Nord, avant les Jeux
olympiques, des normes environnementales strictes et des fermetures
d’usines intermittentes avaient contribué à cet affaissement de la monnaie.
L’inflation disparut avec la crise financière, mais lorsque les cours des
matières premières s’effondrèrent partout dans le monde, les fabricants
d’acier et de ciment et les entreprises de construction chinois virent leurs
profits s’évaporer. Des chantiers s’interrompirent, des hauts-fourneaux
s’arrêtèrent 897.
Les dirigeants du pays, qui avaient compté sur une expansion
économique après la fin des Jeux, furent pris à revers par la crise financière.
La panique gagna face à la contraction de l’économie et des travailleurs
mécontents descendirent dans les rues. Le régime introduisit des
abattements fiscaux pour les produits exportés qui, joints à des interventions
sur les marchés de devises pour empêcher encore tout renforcement du
yuan, rendirent les exportations chinoises encore plus compétitives à
l’étranger. Les banques reçurent instruction de prêter davantage aux petites
entreprises à des taux d’intérêt réduits. Afin de maintenir la croissance
économique sur laquelle reposaient l’emploi et la stabilité, Wen Jiabao
proposa un programme de consommation intérieure qui affranchirait le pays
de sa dépendance aux exportations. Comme la population était trop pauvre
pour augmenter leur consommation, il proposa des mesures de relance
d’une valeur de 586 milliards de dollars (4 trillions de yuans), à dépenser
principalement dans des chantiers d’infrastructure, une somme équivalente
à 14 % de la production économique du pays, à comparer aux 6 % du PIB
que représentait le plan de soutien mis en œuvre à Washington. « Ils vont
dépenser comme s’ils n’avaient plus rien à perdre », observa l’économiste
en chef de la Hong Kong and Shanghai Banking Corporation (HSBC) 898.
Au deuxième trimestre de 2009, ce niveau de crédits sans précédent
commença d’avoir un impact. Le taux de croissance repartit à la hausse,
malgré un déclin de 22 % sur un an de la valeur des exportations. Une
centaine de milliards de dollars furent dépensés rien qu’en nouvelles voies
ferrées. Dans l’esprit de la campagne « Go West », une ligne de chemin de
fer d’un coût de 17,6 milliards de dollars couvrit les étendues désertiques de
la province du Xinjiang. Plus de 80 milliards de dollars furent affectés à des
lignes intercités, notamment un train à grande vitesse de Beijing à
Guangzhou. Depuis le printemps 2004, quand l’économie était entrée en
surchauffe, le régime avait interdit aux gouvernements locaux et
provinciaux d’engloutir davantage de capitaux dans les infrastructures. Dès
que le robinet du crédit fut ouvert, des chantiers de construction massifs
firent leur apparition dans chaque ville grande et moyenne du pays 899.
À l’inverse des États-Unis, la Chine n’était pas à court de liquidités
pour financer cette frénésie de dépenses. Depuis des années, la banque
centrale avait empêché le marché de faire monter le yuan, en achetant des
dollars. Les réserves en dollars s’accumulant, le régime fut à même de
maintenir un déséquilibre de financements qui alimenta une croissance
rapide. Pour empêcher tous les yuans utilisés pour des achats de dollars de
s’ajouter à la masse monétaire, le pouvoir avait ordonné aux banques
d’augmenter leurs réserves et d’acheter des obligations de la banque
centrale, qui jouaient en quelque sorte le rôle d’obligations
« stérilisatrices ». Cet immense réservoir de liquidités enfermé dans le
système bancaire s’était maintenant rouvert 900.
En 2010, le pays absorbait 40 % du ciment et de l’acier mondiaux. Au
cours des trois années suivant le plan de relance, la Chine utilisa plus de
ciment que les États-Unis pendant tout le XXe siècle. Le pays pouvait
s’enorgueillir de compter 221 villes avec une population de plus d’un
million d’habitants, chacune d’elles ambitionnant de se doter de tous les
signes extérieurs de la modernité, galeries marchandes, cinémas et hôtels de
luxe, de préférence emballés dans une enveloppe de métal étincelante, avec
ses ascenseurs vitrés extérieurs. Pour la seule année 2011, 390 nouveaux
musées ouvrirent, qu’ils soient grands ou petits, privés ou publics. Des
gratte-ciel surgissaient partout, souvent par îlots de dix ou vingt. Des villes
rivalisaient entre elles pour la construction de tours sans cesse plus grandes,
Pudong enregistrant un record avec les 127 étages de sa Shanghai Tower.
Entre-temps, la morosité financière contrecarrait des projets de nouvelles
tours à Chicago, Moscou, Dubaï et d’autres villes dans le monde 901.
L’argent venait des banques mais aussi de la terre. Dans une nouvelle
version de la course au développement consécutive à la tournée de Deng
Xiaoping dans le Sud en 1992, des gouvernements locaux vendirent des
terrains à des promoteurs, des transactions lucratives qui leur procurèrent
des fonds pour construire des infrastructures. En 2009, ils encaissèrent
219 milliards de dollars de la vente de droits d’utilisation des sols, une
hausse de plus de 40 % par rapport à l’année précédente. Ce montant
s’éleva à 417 milliards de dollars en 2010. Dans leur quête de la croissance,
ils n’hésitèrent pas à saisir la terre des fermiers. D’après les calculs de Wu
Jinglian, un économiste réputé, les fermiers dont les terres furent
confisquées perdirent au total entre 20 et 35 trillions de yuans, soit entre 3,1
et 5,4 trillions de dollars, en valeur des terres depuis 1978. C’était la
continuation d’un processus bien connu de transfert des richesses des
campagnes vers les villes, qui avait débuté en 1949 902.
Avant la construction, c’était la destruction qui venait frapper à la porte.
Des exécutifs locaux démolirent allègrement un peu tout ce qui barrait leur
vision du futur. Un scénario devint récurrent : un quartier se réveillait,
trouvait des avis de démolition affichés à la porte des maisons, rejetait une
maigre offre de compensation de l’État et devait endurer une campagne de
harcèlement pour finalement assister à l’arrivée des bulldozers au milieu de
la nuit, et les occupants finissaient expulsés de chez eux et souvent
dépossédés. On voyait parfois une famille blottie autour de la table du
repas, dans une maison partiellement démolie, toute sa façade abattue sauf
un coin du salon et un mur déchiqueté autour d’une cuisine encore restée
debout. Cette histoire connaissait aussi une variante, car les victimes
appartenaient de plus en plus aux couches privilégiées, qu’il s’agisse de
médecins, de financiers ou de cadres du parti retraités 903.
Les immeubles voués à la boule de démolition n’avaient parfois pas
plus de cinq ans. Dans un quartier de Beijing, plusieurs familles furent
expulsées de leur domicile alors que le bâtiment avait été terminé l’année
précédente. Selon l’estimation d’un cabinet d’études, entre 2005 et 2010, le
pays démolit 16 % de son stock de logements. Au plus fort du plan de
relance, ce furent plus de 2 000 kilomètres carrés, à peu près la taille de l’île
Maurice, que l’on expropria tous les ans. D’un bout à l’autre du pays, des
tours de bureaux et de logements flambant neuves se dressaient à côté de
terrains vagues clôturés où des fers à béton tordus pointaient de dalles de
béton et des carreaux en céramique cassés luisaient au soleil 904.
Des édifices classés et d’autres hauts lieux du patrimoine culturel qui
avaient réussi à survivre à la guerre et à la révolution furent abattus. Le
pouvoir d’expropriation avait réussi ce que le président Mao n’avait pu
obtenir au paroxysme de la Révolution culturelle : l’éradication des derniers
vestiges de la vieille société. Qu’ils s’attaquent à des temples anciens, à des
demeures impériales ancestrales avec leur cour intérieure ou à des villas Art
déco, les marteaux-piqueurs démolissaient inlassablement des architectures
à caractère historique. Selon Li Xiaojie, directeur de l’Administration d’État
du Patrimoine culturel, une entité publique qui comptait encore moins
d’agents que l’Administration d’État pour la Protection de l’environnement,
à peu près 44 000 des 766 000 sites classés au patrimoine disparurent. Et les
promoteurs n’étaient que trop contents de payer une amende maximale de
500 000 yuans 905.
Ces promoteurs travaillaient aussi à l’économie : des constructions
bâclées, des matériaux de qualité médiocre et l’absence de planification
immobilière écourtaient la durée de vie des bâtiments à usage commercial,
réduite à environ vingt-cinq ans, soit à peu près le tiers de la norme
appliquée au Japon, en Europe ou aux États-Unis. De temps à autre, la
nouvelle d’un accident spectaculaire tombait : un pont suspendu à huit voies
s’était effondré, un bâtiment avait basculé comme un château de cartes ou
un opéra avait perdu les vitrages de ses fenêtres. Ces chantiers mal exécutés
reçurent un nom – « bâtiments en tofu » –, car sous la moindre contrainte ils
s’écroulaient comme des blocs de ce fromage de lait de soja caillé. En 2008,
un tremblement de terre frappa le Sichuan et tua 87 000 personnes : il
s’avéra que sur plus de 7 000 bâtiments scolaires, une forte proportion
s’était effondrée en raison de constructions désobéissant aux normes 906.
La spéculation était omniprésente, des investisseurs poussant les prix à
la hausse car les gens n’avaient que peu d’alternatives d’investissements
pour leurs liquidités. C’était là que l’inflation masquée entrait en jeu.
À Hangzhou, d’après les calculs d’un expert, à peu près la moitié du marché
du logement était entre les mains d’un petit groupe de spéculateurs qui se
revendaient le même lot de propriétés pour doper leur valeur, chaque
transaction permettant au vendeur suivant d’obtenir un prêt hypothécaire
encore plus élevé. Ils ne se partageaient les profits que lorsqu’ils s’étaient
délestés de ces biens immobiliers auprès d’acheteurs extérieurs, et nombre
de ces logements n’étaient jamais occupés par leurs propriétaires. Dans tout
le pays, des tours d’appartements vides et des galeries marchandes désertes
étaient chose courante 907.
Les exportations connurent une expansion grâce à de généreux
allègements fiscaux. En plus du plan de relance de 586 milliards de dollars,
un flot de nouveaux prêts bancaires totalisant 1,27 trillion de dollars en
2009 permit à l’industrie de continuer à tourner sans caler. Un yuan bas
aidait aussi les exportateurs. Alors que le dollar avait fortement plongé face
à l’euro, au yen et à la plupart des autres devises au lendemain de la crise
financière, la banque centrale continua d’intervenir vigoureusement, en
maintenant le yuan fermement indexé au dollar. Pour la seule période de
mars à octobre 2009, la devise chinoise perdit 16 % de sa valeur contre
l’euro et 31 % contre le dollar australien 908.
La plupart de ces prêts allaient à de grandes sociétés étatiques. Dans une
reprise de la politique de Jiang Zemin, « garder les grands et se débarrasser
des petits », Hu Jintao se déclara nettement favorable à une ligne de
conduite qu’il définit en ces termes : « L’État avance, le secteur privé
recule. » Un flot de capitaux fut dirigé vers des secteurs vitaux, parmi
lesquels le transport aérien, l’acier, le charbon, l’aluminium et même les
éoliennes. Dans la continuité des fusions et acquisitions qui avaient conduit
à l’émergence de conglomérats étatiques gigantesques après 1998, les
entreprises d’État usèrent de pressions politiques et de leur poids
économique pour absorber des rivaux privés plus petits. Dans toute une
série de secteurs, de l’acier à l’immobilier, ces acteurs privés furent
laminés. En une succession de prises de contrôle hostiles, des concurrents
étatiques en perte absorbèrent ainsi la plupart des compagnies aériennes
privées créées au cours des deux années précédentes 909.
Pendant presque toute cette décennie, des entreprises d’État avaient été
les plus grosses gagnantes de l’accession du pays à l’OMC. Sur le papier,
ils n’avaient plus rien de commun avec leurs prédécesseurs des années
1990, qui périclitaient. Entre 2000 et 2010, leurs profits septuplèrent,
frôlant la barre des 2 trillions de yuans. Et elles générèrent deux fois plus de
valeur pour l’actionnaire étatique. Pourtant, quand deux économistes
rattachés au Hong Kong Institute for Monetary Research étudièrent de près
les chiffres officiels de 250 000 sociétés publiques, ils découvrirent que ces
profits étaient exagérés. Si ces entreprises avaient dû servir les mêmes taux
d’intérêt à leurs homologues privées, leurs bénéfices auraient été en totalité
effacés. En d’autres termes, la structure fondamentale de l’économie avait à
peine été modifiée, puisque l’épargne des simples citoyens ainsi que les
devises étrangères encaissées par les sociétés exportatrices des zones
côtières servaient à maintenir le secteur étatique à flot 910.
Comme toujours, le crédit bon marché se payait d’une perte d’efficience
économique. L’investissement fixe des entreprises d’État coûtait 20 à 30 %
plus cher que celui des compagnies privées et mettait à peu près moitié plus
de temps à aller à son terme. Comme elles exerçaient une ferme emprise sur
l’économie d’ensemble, elles pouvaient aussi facturer des commissions
supplémentaires et réclamer des prix plus élevés qui opéraient comme une
taxe sur tous les consommateurs 911. Les surcapacités refirent leur apparition
dans des secteurs essentiels, notamment l’acier, l’aluminium et
naturellement les éoliennes. Les fabricants étaient pressés de se défaire de
cet excédent de production à l’étranger, ce qui attisait d’autant plus les
tensions sur les échanges commerciaux. Aux États-Unis, le président
Barack Obama frappa l’importation des pneus de droits de douane
dissuasifs. Washington se mit aussi à enquêter sur des preuves de dumping
concernant les ventes de tuyaux en acier importés de Chine 912.
Beijing se livra à des représailles en déposant une plainte pour
protectionnisme devant l’OMC. En 2009, après l’imposition par Bruxelles
de droits de douane antidumping sur les importations de fixations en fer et
en acier, Beijing entraîna aussi pour la première fois l’Union européenne
dans un litige. La rhétorique employée par le régime comportait des accents
familiers : il reprenait à l’identique les objections que de hauts
responsables, aux États-Unis et en Europe, avaient eux-mêmes soulevées
contre la Chine 913.
Une forme d’hubris, d’arrogance, apparut. Le système financier des
États-Unis, tant vanté, avait échoué, alors même que les seize États
membres de la zone euro semblaient incapables d’élaborer un plan de
sauvetage de la Grèce, un pays qui menaçait de faire défaut sur sa dette
souveraine. La prédiction de Karl Marx sur l’effondrement du capitalisme
semblait finalement sur le point de se vérifier, avec la hausse du chômage et
la chute des taux de croissance en Occident. Des hiérarques du parti
fustigèrent l’Amérique en morigénant Washington pour n’avoir pas été en
mesure de correctement réglementer ses marchés et de contrôler son déficit
budgétaire. Lors de l’édition 2009 du Forum économique mondial de
Davos, en janvier de cette même année, Wen Jiabao accusa le capitalisme
d’avoir engendré un modèle de développement insoutenable, fondé sur « la
poursuite aveugle du profit » et admonesta les banques pour leur
« manquement à toute supervision financière ». Zhou Xiaochuan,
gouverneur de la banque centrale chinoise, alla plus loin en remettant en
cause l’ordre mondial conduit par les États-Unis, déclarant en avril 2009
que la rapidité de réaction de son pays à la crise avait démontré la
supériorité de son système politique. Ses dirigeants s’estimaient confortés
dans leur jugement. Beijing se mit à imiter Washington, en assumant le rôle
de conseiller du monde et en dispensant des leçons sur la manière de piloter
une économie. Le modèle capitaliste avait cessé d’être viable, expliquaient-
ils, et il était temps désormais de défendre une nouvelle méthode qui se
révélerait au bout du compte très nettement supérieure : en l’occurrence, il
s’agissait d’un « socialisme à la chinoise ». Hu Jinbao l’appela ainsi la
« voie chinoise 914 ».

*
* *
Le 18 décembre 2008, l’équipe dirigeante se réunit au Palais de
l’Assemblée du peuple pour célébrer le trentième anniversaire de la
politique de la porte ouverte. Hu Jintao prononça l’allocution introductive,
en demandant au pays de s’en tenir aux Quatre Principes fondamentaux,
parmi lesquels la ligne politique « absolument correcte » du parti et la
« dictature du prolétariat ». Beijing, prévint-il, « ne copierait jamais le
système politique et le modèle de l’Occident », mais continuerait de « hisser
haut le grand drapeau du socialisme ». La stabilité, souligna-t-il, était la
mission primordiale du parti, « parce que rien ne peut s’accomplir sans
stabilité ». Ce message, répété sans relâche par les autres dirigeants à sa
suite, était en l’espèce inspiré par la crainte de voir la crise planétaire
envenimer les troubles sociaux 915.
Cette stabilité supposait la répression d’un côté et l’éducation
patriotique de l’autre. Avant même que Hu Jintao n’ait prononcé son
discours, le couperet était tombé. Quelques semaines plus tôt, Liu Xiaobo
avait été arrêté pour « incitation à la subversion du pouvoir d’État ». Cela
concernait sa contribution à un manifeste intitulé Charte 08, inspiré de la
Charte 77 rédigée par Václav Havel et d’autres dissidents, en
Tchécoslovaquie, plus de trente ans auparavant. La Charte 08, initialement
signée par plus de 300 personnes, avait recueilli des milliers de signatures
au moment de sa publication le 10 décembre 2008, jour anniversaire de la
Déclaration universelle des droits de l’homme. Parmi d’autres exigences, ce
document appelait à la séparation des pouvoirs, à une instance judiciaire
indépendante, à l’abolition du système d’enregistrement des ménages et à la
liberté d’association, d’expression et de religion, ainsi que d’éducation
civique. Un an plus tard, Liu était condamné à onze ans de prison.
Ce fut ensuite la répression sur Internet. La Chine disposait déjà d’un
dispositif sophistiqué de mécanismes de contrôle car tous les câbles reliant
le pays au monde extérieur devaient être connectés à l’un ou l’autre de trois
gros centres de traitement informatique, où des terminaux gouvernementaux
interceptaient toutes les données entrantes et les confrontaient à une liste
sans cesse croissante d’adresses interdites et de mots-clefs prohibés. C’était
ce que l’on appelait le Grand Pare-feu, par analogie avec la Grande
Muraille. Malgré cela, il existait encore des millions de blogueurs actifs à
l’intérieur du territoire. Certains d’entre eux menaient des campagnes en
ligne contre des cadres corrompus du parti, en postant des contenus
compromettants ou des pièces à conviction. Un bon nombre fut réduit au
silence quand des milliers de sites Internet furent fermés en janvier 2009 916.
Pourtant, tant à l’étranger que sur le plan intérieur, des observateurs de
la société chinoise étaient convaincus qu’Internet favoriserait l’évolution
vers une société plus ouverte et plus responsable. Ai Weiwei faisait partie
de ces convaincus : c’était l’artiste contemporain qui avait contribué à la
conception du « Nid d’oiseau », le Stade national des Olympiades. Activiste
réputé, il critiquait ouvertement le bilan du pouvoir en matière de droits de
l’homme et croyait que la sévérité de la répression sur Internet ne ferait que
renforcer l’attrait de la démocratie. Son blog était très consulté. Or, en
décembre 2009, une deuxième vague de répression visant l’Internet chinois
comportait de nouvelles mesures visant à limiter la faculté qu’avait un
individu de monter son site personnel. « Internet est devenu un canal
important par lequel des forces antichinoises s’infiltrent, sabotent et
amplifient leurs capacités destructrices », proclama avec gravité Meng
Jianzhu, le ministre de la Sécurité publique. Un an plus tard, Google subit
un filtrage pour avoir refusé de censurer ses résultats de recherche, tandis
que Facebook, YouTube et Twitter étaient bloqués, remplacés par des
clones aux mains de l’État. Une petite armée de censeurs ne se bornait pas à
surveiller le trafic Internet, puisqu’elle inondait aussi les sites de dialogue
en ligne de commentaires de soutien au gouvernement. Jiaozuo, une ville
minière de 3 millions d’habitants, dans le Henan, déploya 35 de ces
contrôleurs d’Internet et 120 officiers de police chargés de censurer les
messages en ligne. En 2009, Beijing publia des annonces de recrutement
pour 10 000 postes de censeurs sur Internet 917.
Des activistes de toutes sortes étaient confrontés à une surveillance
accrue ou s’exposaient à des arrestations. Après le tremblement de terre
dans le Sichuan, en mai 2008, le régime s’était distingué en déployant plus
de 130 000 soldats et secouristes, la plus vaste mobilisation de ce type
depuis le Quatre Juin. Wen Jiabao, qui avait une formation en
géomécanique, arriva en quelques heures sur les lieux pour superviser les
opérations de sauvetage. Toutefois, les troupes étaient préparées pour une
guerre éventuelle contre Taïwan, pas pour les secours en cas de catastrophe.
Mal entraînés et médiocrement équipés, ces soldats ratissèrent les
montagnes en tentant de dégager les débris à mains nues. Au bout de
quelques jours, faisant preuve d’une franchise inhabituelle, le régime
demanda l’aide internationale. Des groupes de sauveteurs et des matériels
de secours arrivèrent d’abord de Taïwan, puis du Japon, de Corée du Sud,
des États-Unis et d’autres pays. Les dons affluèrent aussi. Les plus
généreux furent très nettement les habitants de l’ancienne colonie de la
Couronne, qui levèrent plus d’un milliard de dollars de Hong Kong en une
semaine, sans compter les 9 milliards alloués par le Conseil législatif 918.
Des exécutifs locaux situés dans la zone du désastre promirent d’ouvrir
des enquêtes sur les malfaçons dans la construction des établissements
scolaires qui s’étaient effondrés, tuant des milliers d’enfants. Toutefois,
après le départ des journalistes, il ne se passa pas grand-chose. Les gens qui
mettaient en cause les autorités étaient placés en détention et harcelés, et
quelques-uns furent même l’objet de poursuites pour « incitation à la
subversion ». La police antiémeute fut appelée pour disperser des défilés de
protestation organisés par des parents dont les enfants avaient péri écrasés
sous les décombres de leur école. Huang Qi et Tan Zuoren, deux militants
des droits de l’homme qui avaient tenté de faire entendre les victimes,
furent traduits en justice en août 2009 pour « mise en danger de la sécurité
nationale 919 ».
L’un des activistes les plus éminents qui mit ainsi en cause la gestion
des opérations de sauvetage par le gouvernement n’était autre qu’Ai
Weiwei. Il publia sur son blog sa propre liste des enfants tués dans le
séisme, bien déterminé à restituer à chaque victime son nom. « Personne
n’a encore d’explication de la raison pour laquelle M. Ai Weiwei a été
autorisé à s’exprimer avec autant de franchise sur un site Internet contrôlé
par le gouvernement », s’étonnait un journaliste en mars 2009. Deux mois
plus tard, le blog d’Ai Weiwei était supprimé. Quand il tenta de venir
témoigner au procès de Tan Zuoren, la police le roua de coups. Et pour faire
bonne mesure, en janvier 2010, son atelier, considéré comme une
construction illicite, fut rasé au bulldozer 920.
La répression des défenseurs des droits humains se fit aussi plus
omniprésente. En 2006, Chen Guangcheng, un avocat aveugle qui avait
contesté la mise en application coercitive de la politique de l’enfant unique
dans le Linyi, sa région natale, fut placé quatre ans sous les verrous. Même
après sa libération, il dut pratiquement rester enfermé à son domicile, des
centaines d’agents en civil ayant pour unique mission de l’isoler du monde
extérieur. Leurs méthodes comportaient des passages à tabac régulier, des
coupures d’électricité et l’obstruction des fenêtres de sa maison avec des
plaques métalliques. On serra aussi la vis à d’autres défenseurs des droits
humains. Tandis que la campagne de création de cellules du parti dans les
entreprises privées continuait à un rythme soutenu, des comités du Parti
communiste dans des cabinets juridiques eurent pour tâche de réprimer les
collaborateurs fauteurs de troubles. Ils bloquèrent le renouvellement de leur
licence de juriste. Quand certains cabinets juridiques refusaient de se plier
aux exigences du comité, les autorités les fermaient définitivement 921.
La répression s’appuyait sur de nouvelles mesures de sécurité,
notamment sur ce que l’on appelait les Bureaux de sauvegarde de la
protection de la société et du rétablissement de l’ordre public. Derrière cette
appellation encombrante, comme celles de tant d’institutions d’un État
dirigé par un parti unique, les missions inhérentes à ces nouvelles structures
étaient simples : débusquer les « éléments antiparti » et « tuer dans l’œuf les
forces déstabilisatrices ». À partir de 2009, elles se propagèrent comme une
traînée de poudre, avec un bureau dans chaque district de presque toutes les
cités côtières, parfois même dans chacune de leurs grandes artères. Les
villes grandes et moyennes instaurèrent aussi des Groupes de direction
chargés de la sécurité de l’État, dirigés par le secrétaire municipal du parti.
Le ministre de la Sécurité d’État, Geng Huichang, les définit comme « la
première ligne de défense du peuple pour la protection de la sécurité
nationale 922 ».
L’objectif de cet appareil de sécurité de l’État en expansion constante
consistait à développer un réseau capable de combattre l’infiltration et la
subversion. La puissance agissante derrière ces forces de l’ombre n’était
autre que l’Occident, ou plus précisément des « phalanges étrangères
hostiles » qui tentaient de faire advenir « l’évolution pacifique » du pays
vers le capitalisme, dans le cadre d’une conspiration soigneusement
orchestrée. Liu Xiaobo, Ai Weiwei ou Chen Guangcheng étaient tous aussi
perçus comme s’appuyant sur de puissants soutiens à Washington, Londres
et Bruxelles. Quand l’Union européenne décerna le prix Sakharov au
dissident Hu Jia en décembre 2008, il devint évident qu’une campagne
concertée pour saper le système socialiste était en cours. Le soutien déclaré
apporté lors d’une réunion rassemblant des lauréats du prix Nobel au Dalaï-
Lama par le président Nicolas Sarkozy, qui exerçait aussi à cette période la
présidence tournante de l’Union européenne, fut jugé encore plus accablant.
Un an plus tard, en novembre 2010, Liu Xiaobo se vit décerner le prix
Nobel de la paix. Le vice-ministre des Affaires étrangères, Cui Tiankai,
dénonça cette récompense comme une attaque politique dirigée contre une
Chine en plein essor, en promettant que les pays qui défiaient le système
judiciaire chinois en « supporteraient les conséquences ».
Le Quotidien du Peuple fit écho à cette réaction, en décrivant le prix
comme un « outil des pays occidentaux pour imposer l’évolution
pacifique » à des « puissances qui ne répondent pas à leurs exigences 923 ».
Les dépenses de sécurité publique crevèrent tous les plafonds, en
atteignant un total estimé à 77 milliards de dollars en 2010. D’après certains
reportages publiés par les médias, la province de Liaoning, dans le bassin
industriel du Nord, consacrait 15 % de son budget à la sécurité intérieure.
En 2010, une ville de la province du Guangdong dépensait autant dans ce
que l’on appelait « le maintien de la stabilité » qu’au cours des cinq années
précédentes, en installant des caméras de surveillance aux principales
intersections et en embauchant des milliers d’informateurs de quartier qui
secondaient la police dans l’étouffement des troubles. Ürümqi, où des
heurts mortels entre les Ouïghours et des migrants chinois avaient suscité
une répression féroce orchestrée par le chef de la sécurité Zhou Yongkang
en juillet 2009, installa pas moins de 17 000 caméras. Chongqing, la
capitale vitrine de la campagne « Go West », en ajouta 200 000 autres, ce
qui portait le total à 510 000. Beijing et Shanghai en possédaient plus de
3 millions à elles deux. À Londres, une ville qui occupe pourtant une
position de tête dans la surveillance par caméra en Europe, la police avait
accès à 7 000 caméras de télévision en circuit fermé 924.
L’appareil de sécurité fut confronté à une épreuve de vérité en 2011,
quand un vaste mouvement de résistance civile en Tunisie entraîna la chute
du président Zine al-Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis 1987. La
révolution de Jasmin, ainsi qu’on l’appela, déclencha dans presque tout le
monde arabe une vague de protestations qui déboucha sur l’éviction des
dictateurs régnant sur l’Égypte, la Libye et le Yémen. Après un appel
anonyme en ligne à une « révolution de Jasmin » en Chine, le 20 février
2011, des manifestants en faveur de la démocratie descendirent dans les
rues d’une dizaine de villes, dont Beijing et Shanghai, où ils furent
accueillis par des dizaines de milliers de policiers, prêts à disperser ces
rassemblements. Des universités de plusieurs provinces reçurent l’ordre de
fermer leurs portes pour empêcher les étudiants de sortir du campus. Une
semaine plus tard, au milieu d’une imposante présence policière, ils
ressortirent pour une marche silencieuse. Comme les marcheurs ne
pouvaient être différenciés de simples passants sortis faire leurs courses, les
forces de sécurité s’en prirent plutôt à des journalistes étrangers,
malmenèrent une équipe de la BBC et arrêtèrent une quinzaine de membres
de la presse internationale. Le régime, visiblement terrorisé par les
moindres troubles, appréhenda au cours des semaines suivantes des dizaines
de militants des droits de l’homme, et beaucoup d’autres furent convoqués
et placés sous étroite surveillance ou assignés à résidence par la police. Les
fleurs de jasmin furent elles aussi proscrites, ce qui provoqua
l’effondrement des prix de gros de cette délicate feuille de thé 925.
Ai Weiwei en fut la victime la plus emblématique : il fut arrêté à
l’aéroport le 3 avril, encapuchonné, jeté à l’arrière d’un fourgon de police,
retenu en captivité pendant trois mois et interrogé pas moins de cinquante
fois. Face au tollé international, il fut relâché, obligé de payer une amende
écrasante pour évasion fiscale et maintenu sous étroite surveillance 926.
Effrayés par les soulèvements d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient,
les représentants de l’État serrèrent une fois encore la bride à la culture
populaire. Alors que la main de la censure avait toujours contenu
l’expression politique dans sa poigne de fer, elle avait toléré les domaines
du spectacle et du divertissement, de plus en plus libres de parole et
insouciants, qu’il s’agisse d’émissions tapageuses comme des jeux-
concours, de révélation de talents, de retransmissions de ballets ou de
microblogs sur des pages de réseaux réunissant des millions de followers.
Des craintes au sujet de l’« intégrité sociale » et de la « moralité sociale »
furent exprimées par Zhou Yongkang, qui avait ordonné les opérations de
répression d’octobre 2011. Des chaînes de télévision eurent l’ordre de
limiter les émissions de divertissement à un maximum de deux programmes
de quatre-vingt-dix minutes par soir, à caler entre deux heures de journaux
télévisés d’État obligatoires. Le but, ainsi que l’affirmait la très orwellienne
administration d’État de la Radio, du Cinéma et de la Télévision, était
d’éradiquer « les divertissements excessifs et les tendances à la vulgarité ».
Pourtant, certaines de ces émissions de révélation de talents ainsi bridées
étaient jugées choquantes pour une tout autre raison. Ces programmes
invitaient les téléspectateurs à voter pour leurs concurrents préférés en
envoyant un SMS depuis leur téléphone portable, mais le vote, sous quelque
forme ou format que ce soit en dehors du contrôle de l’État, n’était jamais
vu d’un très bon œil. Zhou Yongkang appela aussi à une censure prompte et
stricte du divertissement sur Internet, et notamment des blogs qui
reprenaient des ragots sur des scandales impliquant des cadres du parti.
Secondant les contrôleurs qui écumaient déjà la Toile pour y détecter les
posts prohibés, certains opérateurs Internet renforcèrent leurs services de
« réfutation des rumeurs », composés de rédacteurs dont la mission était
d’investiguer sur ces informations et de les réfuter en les présentant comme
des « fake news ». Quelques mois plus tôt, le pays ne s’était d’ailleurs pas
conformé à une échéance fixée par l’Organisation mondiale du commerce
qui requérait un allègement des contrôles étatiques sur les accès aux films,
aux musiques et aux livres étrangers 927.
Le 5 mars 2012, Lei Feng ressurgit, le peuple étant une fois de plus
enjoint de retenir les leçons de ce soldat modèle. Cette campagne défiait la
crédulité, avec des débordements sur Internet frisant le ridicule. Pourtant,
certains observateurs notèrent que c’était le tout dernier exercice de critique
anonyme, car moins de deux semaines plus tard, de nouvelles
réglementations exigeaient la création d’un compte vérifiable et les
publications jugées « préjudiciables » aux intérêts nationaux seraient
sommairement supprimées dans un délai de cinq minutes 928.
En 2012, alors qu’une décennie de pouvoir conduite par Hu Jintao et
Wen Jiabao touchait à sa fin, le pays devenait une dictature profondément
enracinée, à l’appareil de sécurité tentaculaire et dotée du système de
surveillance le plus sophistiqué du monde qui, pour leurs prédécesseurs,
aurait encore appartenu au monde des rêves. Pourtant, tout au long de cette
décennie, un assortiment d’experts étrangers, professeurs d’université ou
politiciens respectés, avait annoncé l’arrivée imminente de réformes
politiques. Le mécanisme était assez simple : à intervalles réguliers, l’un de
ces dirigeants chinois affectait de sourire en prononçant le terme
« réforme », poussant ainsi ces experts à se lancer dans un torrent de
conjectures : la vraie transition vers la démocratie était sur le point de
débuter, des forces soigneusement dissimulées au sein de la machine du
parti avaient enfin le dessus, après une longue attente. Ainsi, ce flot de
conjectures intervint après que Wen Jiabao eut déclaré la liberté
d’expression « indispensable » lors d’une interview avec Fareed Zakaria, le
chroniqueur de CNN, le 3 octobre 2010. Ses propos furent censurés à
l’intérieur du pays, et en tout état de cause peu de dissidents le crurent
sincère. Yu Jie, un écrivain assigné à résidence, s’était moqué du Premier
ministre dans un livre intitulé China’s Best Actor : Wen Jiabao [Le plus
grand acteur chinois : Wen Jiabao], publié quelques mois plus tôt. En
mars 2011, les espoirs de réforme furent réduits à néant après que Wu
Bangguo, président de l’Assemblée nationale populaire, eut encore une fois
catégoriquement rejeté la « séparation des pouvoirs », le « système à
plusieurs partis exerçant le pouvoir chacun leur tour » et le recours à un
« système bicaméral ou fédéral ». Il mettait aussi en garde contre toute
tentative de « procéder à des privatisations ». « Nous devons maintenir la
ligne politique correcte et ne jamais céder sur les questions de principe
primordiales, comme sur le système qui est au fondement de l’État »,
déclara-t-il aux 3 000 délégués lors de son discours annuel 929.

*
* *
La répression accrue après les Jeux olympiques alla de pair avec une
autre vague d’endoctrinement. Montrant un sens du timing assez déroutant,
le Comité central lança sa campagne le 14 septembre 2008, précisément la
veille de l’effondrement de Lehman Brothers. Dans un monde en mutation,
analysait l’équipe dirigeante, la lecture correcte du marxisme-léninisme, de
la Pensée Mao Zedong, de la Théorie de Deng Xiaoping et des Trois
Représentations de Jiang Zemin était plus nécessaire que jamais. Pendant
dix-huit mois, les membres du parti furent invités à s’immerger sans retenue
aucune dans l’étude de ces classiques. Les œuvres de Marx, Engels et
Lénine furent aussi imprimées en opuscules à distribuer dans les lycées 930.
Un an après, le régime célébrait soixante années de domination
communiste avec des cérémonies somptueuses et un défilé militaire. « Le
développement et le progrès de la nouvelle Chine au cours des soixante
dernières années prouvent que seul le socialisme peut sauver la Chine, et
seules la réforme et l’ouverture peuvent assurer le développement de la
Chine, du socialisme et du marxisme, proclama Hu Jintao à la tribune, en
vareuse de style Mao. Aujourd’hui, une Chine socialiste qui fait face à
l’avenir se dresse droite et ferme en Orient », ajouta-t-il fièrement. Ensuite,
ce fut un défilé de portraits géants des dirigeants du pays sur la place. Des
milliers de soldats marchant au pas de l’oie furent suivis d’un déploiement
de puissance militaire, avec de nouveaux missiles balistiques. Des chasseurs
à réaction croisèrent dans le ciel avec fracas, en formation serrée 931.
Quelques mois avant ces célébrations, Xi Jinping, directeur de l’École
centrale du parti, la plus haute institution du parti qui avait toujours joué un
rôle prépondérant dans l’endoctrinement idéologique, envoya une lettre de
félicitations à un groupe d’étude intitulé Forum Chine et marxisme,
appelant des chercheurs de tout le pays à promouvoir l’étude du marxisme.
Le marxisme, expliquait-il dans sa lettre, était le fondement idéologique du
parti et de la nation. « Le marxisme est l’idéologie directrice fondamentale
pour l’existence de notre parti et de notre nation », renchérit Qiushi, ou « À
la recherche de la vérité », la revue emblématique du Comité central.

Nous devons véritablement étudier, comprendre, croire dans le


marxisme et l’appliquer. Surtout, en défendant la sinisation, la
modernisation et la popularisation du marxisme, nous devons
traiter les questions qui nous permettent de correctement
comprendre et de scientifiquement aborder le marxisme 932.

Grand et fortement charpenté, le cheveu toujours gominé, Xi Jinping


avait brièvement occupé le poste de secrétaire du parti à Shanghai, où il
était resté discret et s’était limité à une série de déclarations insipides. Il
était originaire de la province du Shaanxi et avait une formation
technologique, avec un diplôme d’ingénieur chimiste de l’université
Tsinghua. Comme d’autres technocrates, il avait peu à peu gravi les
échelons, d’un poste dans la province rurale du Hunan au secrétariat du
parti dans celle du Zhejiang, où les entreprises privées dominaient le
littoral.
Xi détenait plusieurs avantages, son aptitude à dire ou à faire très peu de
choses qui prêtent à conséquence n’étant pas des moindres, ce qui lui évitait
de trop s’attirer les regards scrutateurs de rivaux potentiels. Il prenait
rarement position, cultivant une personnalité neutre derrière un sourire
affable qui ne révélait rien. Il semblait inoffensif, ce qui le rendait
acceptable aux yeux des différentes factions du parti. Il possédait aussi un
atout maître. Il était en un sens ce que l’on pouvait appeler un « prince
héritier », puisqu’il était le fils d’un révolutionnaire historique, Xi
Zhongxun, qui avait contribué au développement de Shenzhen trente ans
plus tôt. Il disposait enfin d’un avantage supplémentaire : ses liens étroits
avec l’Armée populaire de libération, qui le considérait comme son
candidat. Âgé de cinquante-sept ans, Xi était pressenti pour devenir le
prochain secrétaire général 933.
L’endoctrinement était la norme à l’intérieur, mais le régime commença
aussi à promouvoir agressivement son image à l’extérieur. En janvier 2008,
l’équipe dirigeante avait décidé que le travail idéologique devait lui aussi
« Go Global », autrement dit se mondialiser. L’objectif de son offensive de
charme était de « renforcer sa place de chef de file vis-à-vis de l’opinion
internationale et de lutter contre les courants de pensée dominants sur des
sujets comme Taïwan, le Tibet, le Xinjiang, les droits de l’homme et
l’organisation pernicieuse du “Falun Gong” ». La « culture » serait le mot-
clef de cet exercice de soft power, avec notamment une « Année de la
culture chinoise », une « Semaine de la culture chinoise » et une « Chine
culturelle ». Les instituts Confucius seraient l’une des composantes
essentielles de ce dispositif : le premier était d’abord apparu en Ouzbékistan
en 2004, suivi d’un autre sur le campus de l’université du Maryland, près de
Washington. Il était prévu que ces instituts s’étendent considérablement afin
d’« organiser et de développer le travail idéologique du régime 934 ».
Cette campagne de propagande à l’étranger s’accompagna de
financements plus que généreux. En 2009, à peu près 10 milliards de dollars
y furent consacrés, alors qu’en Europe et aux États-Unis les médias se
remettaient péniblement de la récession des subprimes. La part du lion de
ces financements alla à CCTV International, la filiale internationale de la
CCTV, qui pouvait s’enorgueillir d’occuper le plus coûteux édifice du pays,
un siège social qui culminait à 230 mètres. Avec un accès à six satellites,
ses chaînes étaient diffusées dans le monde en plusieurs langues (elle fut
rebaptisée CGTN, ou China Global Television Network en 2010). L’Agence
Chine nouvelle, ou Xinhua, pour sa part, étendit sa présence à l’étranger en
passant de 100 à 186 bureaux. Le Quotidien du Peuple ajouta une nouvelle
version en anglais de son titre international, Global Times. Ainsi que le
présenta un propagandiste local : « Nous devons faire entendre au monde
entier les réalités que les citoyens chinois ont à dire à propos de leur
démocratie, de la liberté, des droits de l’homme et du respect de la règle de
droit 935. »
À la fin de l’année 2010, plus de 280 instituts Confucius opéraient dans
quatre-vingt pays, tous contrôlés par le Bureau de promotion internationale
de la langue chinoise à Beijing 936. Les consulats et les ambassades
organisaient des « Semaines de la culture chinoise », avec l’aide du
ministère de la Culture. En 2011, une « Année de la culture chinoise » fut
lancée en Australie, puis en 2012 en Italie, en Allemagne et en Turquie. De
temps à autre, ces opérations suscitaient des regards sceptiques ou
réprobateurs, et l’on s’inquiétait du sort d’Ai Weiwei ou de Liu Xiaobo.
Toutefois, dans l’ensemble, les programmes officiels de danse, de théâtre et
d’art étatique socialiste étaient bien perçus, l’Agence Chine nouvelle et
Global Times saluant invariablement ces événements comme de superbes
réussites dans la « promotion de la compréhension et de l’amitié entre les
peuples de Chine » et le reste du monde.
La « culture » était le terme abrégé désignant la « culture chinoise », qui
à son tour renvoyait au « socialisme à la chinoise ». Hu Jintao l’avait
appelée la « voie chinoise ». Sur le plan intérieur, elle se définissait par une
stricte adhésion aux Quatre Principes fondamentaux. À l’étranger, elle se
présentait comme une démarche plus équilibrée associant le rôle du
gouvernement et la main du marché, par opposition au modèle en faillite de
l’Occident, avec sa foi dans un gouvernement limité et des marchés ouverts.
Assez vite, il reçut l’appellation de « modèle chinois », ou de « consensus
de Beijing », une alternative idéologique et un contrepoids naturel au
« consensus de Washington ». Le XXe siècle avait été le « Siècle
américain » ; le XXIe appartiendrait maintenant à la Chine.
Des articles, des brochures et des livres furent publiés en abondance sur
le sujet, qui fut aussi abordé lors de conférences et de séminaires. L’un des
volumes les plus influents en ce domaine était The China Model, signé par
Pan Wei, un professeur de politique internationale à l’université de Pékin.
Un autre volume très lu s’intitulait The China Wave : Rise of a
Civilisational State, publié par Zhang Ba Jin, professeur de relations
internationales à l’université Fudan de Shanghai. « La Chine avait la
capacité d’apprendre de l’Occident, mais l’Occident n’a pas cette capacité
d’apprendre, décrétait l’auteur dans une prose pontifiante. Il nous faut une
nouvelle pensée et la Chine peut humblement apporter un peu de sagesse. »
Des universitaires entamèrent des tournées mondiales pour dispenser leurs
conseils, encensant au passage le nouveau modèle et le miracle économique
du pays. « Le modèle chinois a créé des miracles, claironnait
Le Quotidien du Peuple. Il a supplanté la croyance en un “modèle américain
supérieur”, scellant ainsi sa fin 937. »
Un autre pouvoir s’engageait ensuite dans le sillage de ce soft power :
celui de la manière forte, ou hard power. Les réserves en devises étrangères
du pays ayant crû démesurément après son entrée à l’OMC, la Chine se
lança dans une lame de fond de dépenses partout sur le globe, afin de se
muscler militairement. Le budget de la défense fit plus que doubler, passant
de 20 milliards de dollars en 2001 à 42 milliards en 2007. Ensuite, il
s’envola à 90 milliards en 2011. Ces chiffres officiels publiés par un régime
réputé secret représentaient seulement le tiers ou la moitié des estimations
officieuses avancées par un certain nombre d’organisations
internationales 938.
La marine de l’Armée populaire de libération était l’une des priorités du
régime, l’armée elle-même opérant une réorientation de ses forces terrestres
vers ses unités maritimes. Le pays dépendait du pétrole étranger, dont
l’essentiel transitait par un bras de mer exigu, le détroit de Malacca, entre
Sumatra et la péninsule malaise. D’immenses quantités d’autres matières
premières, que ce soit du cuivre, du charbon ou du minerai de fer, étaient
aussi transportées par la mer, alors qu’une flotte de navires marchands
acheminait les exportations chinoises. S’agissant de bâtiments civils, de
porte-conteneurs ou de pétroliers, ils avaient donc besoin de protection.
Surtout, les États-Unis avaient envoyé des groupes aéronavals dans la
région après que Jiang Zemin eut fait procéder à des essais de tirs de
missiles non loin de Taïwan en 1996. L’équipe dirigeante était déterminée à
faire pencher en sa faveur l’équilibre des forces en mer de Chine et dans le
Pacifique occidental, en empêchant les États-Unis d’apporter leur soutien
militaire à leurs alliés de longue date dans la région, principalement Taïwan,
le Japon et la Corée du Sud 939.
La marine de haute mer fut étendue à 260 bâtiments, parmi lesquels des
frégates, des cuirassés et des destroyers lance-missiles, ainsi qu’une flotte
de plus de soixante sous-marins, certains équipés de missiles de croisières
de fabrication russe conçus pour attaquer et couler des porte-avions. En
2012, le développement de missiles balistiques intercontinentaux avançait à
un rythme soutenu, renforçant la capacité du pays à lancer des têtes
nucléaires vers le territoire américain. À la fin de cette même année, les
essais en mer du premier porte-avions du pays débutèrent, un navire de l’ère
soviétique rénové et rebaptisé Liaoning, du nom de la province du Nord-
Est 940.
L’arsenal de missiles déployés le long des côtes en face de Taïwan fit
plus que doubler après 2002 pour atteindre 900 unités en 2007, et grossir
encore jusqu’à 1 200 engins en 2011. À l’occasion, Washington exprimait
son inquiétude, mais reconduisait sa politique d’« ambiguïté stratégique »
en restant intentionnellement vague sur son éventuelle intervention dans un
conflit dont l’île serait l’enjeu. L’objectif de cette politique, conçue dans le
sillage de la normalisation des relations sino-américaines, avait été de
gagner du temps dans l’espoir que le problème se résoudrait de lui-même,
pacifiquement. Beijing en tira le meilleur parti en renforçant résolument sa
puissance militaire.
Le régime projetait aussi cette puissance dans l’air et dans l’espace, en
ajoutant des centaines de chasseurs à sa flotte aérienne, notamment un
appareil furtif capable d’échapper aux radars. Sa stratégie comportait aussi
un volet de développement d’armes à énergie cinétique et à énergie dirigée
capables de détruire les satellites et autres engins spatiaux d’adversaires
potentiels. De grands progrès furent aussi accomplis dans le domaine de la
cyberguerre, les experts du monde entier remarquant une hausse très nette
du nombre d’intrusions dans des systèmes informatiques, dont un bon
nombre provenait apparemment de Chine 941.
À mesure que sa confiance et ses capacités s’accroissaient, les
confrontations devenaient plus fréquentes. L’armée faisait étalage de sa
force, en particulier en mer de Chine du Sud, que la marine chinoise
revendiquait comme sienne, provoquant ainsi des accrochages avec le
Japon autour des îles Senkaku, qui étaient inhabitées, des heurts avec des
bateaux de pêches dans les eaux indonésiennes, des menaces voilées
d’invasion contre Taïwan et des querelles avec le Vietnam à propos des
groupes d’îles Spratly et Paracels (déjà évoquées au chapitre 7). En
juillet 2010, lorsque la secrétaire d’État Hillary Clinton se rangea aux côtés
d’autres pays d’Asie du Sud-Est pour contester les prétentions de Beijing
sur l’entièreté de la mer de Chine du Sud, le ministre des Affaires
étrangères, Yang Jiechi, parvint à peine à contenir sa colère, en dénonçant
une « agression contre la Chine ». Il balaya d’un revers de main les autres
pays de la région, considérés comme de simples seconds couteaux : « La
Chine est un grand pays et ces autres pays sont de petits pays, ce qui est un
fait tout simple. » Plusieurs années auparavant, Deng Xiaoping avait
conseillé à ses collègues de se montrer « modestes et prudents ». Sa
stratégie consistant à gagner du temps cédait maintenant la place à une autre
méthode, une toute nouvelle affirmation de soi, fondée sur la conviction
inébranlable que la Chine serait la prochaine puissance mondiale
dominante 942.
Beijing n’hésitait pas non plus à venir harceler l’US Navy dans les eaux
internationales. En mars 2009, cinq bâtiments chinois encerclèrent
l’Impeccable, un navire de surveillance sous-marine, en lâchant des débris
sur sa route à environ 120 kilomètres au sud de l’île de Hainan. Ce n’était
qu’une escarmouche parmi tant d’autres, qu’il s’agisse de dangereuses
collisions entre navires évitées de justesse ou de survols par des avions de
chasse 943.
Vers la fin de l’année 2012, les tensions en mer de Chine du Sud
s’enflammèrent, la Chine étant impliquée dans plusieurs différends avec
l’Inde, le Vietnam, les Philippines et le Japon. À la tête d’un petit groupe de
décideurs politiques travaillant au sein du Bureau des droits maritimes, Xi
Jinping semblait manifester un intérêt particulier pour la mer de Chine du
Sud, une région qui entrait elle-même dans le champ de compétences du
Petit groupe de direction sur les Affaires étrangères, qu’il dirigeait aussi. En
décembre 2012, l’île de Hainan annonça qu’elle avait adopté de nouvelles
règles l’autorisant à intercepter, à aborder et à fouiller les vaisseaux
naviguant dans les eaux contestées de toute la mer de Chine du Sud. Venant
moins d’un mois après la prise de fonction de Xi à la tête du pays, cette
escalade était un signe avant-coureur de ce que le pays serait gouverné
d’une main plus ferme 944.
Épilogue

Au début des années 2010, alors même que Beijing entamait un repli
dans son immense programme de relance, engagé pour combattre la crise
financière mondiale, des pouvoirs locaux continuaient d’accumuler
d’énormes dettes afin de soutenir la croissance économique. Des dizaines
de villes lancèrent des chantiers d’infrastructures colossaux, déterminées
qu’elles étaient à se transformer en vitrines du miracle économique tant
célébré de la nation chinoise. Par exemple, Wuhan entreprit un plan
d’aménagement urbain qui incluait deux nouveaux terminaux d’aéroport et
un quartier financier flambant neuf doté de bureaux tout à fait extravagants
de l’administration gouvernementale, ainsi que de nouvelles autoroutes, de
nouveaux tunnels, de nouveaux ponts et un ambitieux réseau ferré
souterrain. Or, il existait des règles régissant les volumes d’emprunts que
pouvait contracter un exécutif local. Pour les contourner, des villes
moyennes, des métropoles et des préfectures créaient des sociétés
d’investissement spécialisées, dénommées véhicules de financement des
gouvernements locaux. Ces entités contractaient de nouveaux emprunts
d’État et elles émettaient des obligations, bien que leur dette ne figure
jamais dans le bilan officiel de l’administration locale concernée. Plus
de 10 000 de ces véhicules de financement des gouvernements locaux
existaient dans le pays. Selon une estimation, avant même que Xi Jinping
ne succède officiellement à Hu Jintao le 15 novembre 2012, l’encours total
de la dette des gouvernements locaux approchait 3 trillions de dollars,
l’équivalent du trésor de guerre de la Chine en réserves de devises 945.
La garantie de contrepartie, c’était la terre. Cela semblait tout à fait
facile : quand le gouvernement local avait besoin d’un crédit, il vendait du
terrain à des promoteurs locaux. Ensuite, les banques locales valorisaient ce
terrain généreusement, alors même que les prix fonciers avaient déjà connu
un essor continu pendant presque toute la décennie. Plus les engagements
s’accumulaient, plus on vendait de terrain et plus on empruntait d’argent
pour refinancer les vieilles dettes. La mécanique était assez tentante, à tel
point qu’en 2010 à peu près la moitié des revenus des gouvernements
locaux provenaient de droits de mutation sur des transferts de propriété et
de crédits-baux fonciers. Pourtant, il y avait un écueil : si le marché
immobilier basculait, les gouvernements locaux seraient exposés à
d’énormes passifs. Et, mécaniquement, cela plaçait le gouvernement central
face à un dilemme. S’il devait chercher à freiner l’inflation du marché des
logements, il courait le risque d’être contraint d’endosser encore davantage
de créances douteuses contractées par des exécutifs locaux. Comme ces
derniers considéraient pour leur part comme acquis qu’une autorité
supérieure viendrait à leur secours s’ils ne pouvaient assurer le service de
leur dette, peu de restrictions s’exerçaient sur l’emprunt 946.
Il était difficile de déterminer précisément quels montants étaient
empruntés, étant donné les échappatoires sans fin et les pratiques
comptables « créatives » auxquelles les administrations se livraient à tous
les échelons, sans oublier l’étendue du système bancaire parallèle. L’équipe
dirigeante était désorientée, et elle ordonna en 2013 à la Cour des comptes
chinoise d’envoyer des équipes d’inspecteurs évaluer l’encours de cette
dette. Liu Yuhui, économiste à l’académie chinoise des sciences sociales,
estimait en septembre 2013 que la dette locale avait doublé pour atteindre
environ 20 trillions de yuans (3,3 trillions de dollars) en deux petites
années, soit 9,7 trillions de yuans en emprunts bancaires directs, 4 à 5
trillions de yuans à travers le réseau parallèle de prêts et encore 6 à
7 trillions de yuans à travers des formes diverses de reconnaissances de
dettes et billets à ordre. Comme le gouvernement central endossait
implicitement ces engagements, certains économistes les considéraient
comme faisant partie de la dette nationale, ce qui portait le total à 200 % du
produit national, comparé à 129 % à la fin de l’année 2008 947.
Alors que l’argent affluait vers les gouvernements locaux et les grands
conglomérats étatiques, les banques d’État ne gardaient que trop peu de
liquidités pour répondre aux demandes de l’économie réelle, en particulier
des entreprises plus petites. Elles n’avaient pas non plus le crédit pour
financer de nouveaux investissements. Des problèmes bien connus comme
celui de la dette triangulaire refirent leur apparition en 2012, et les mandats
de paiement et billets à ordre redevinrent monnaie courante. L’ampleur de
ces titres de paiement était moins inquiétante que le fait qu’ils indiquaient
une inaptitude ou un refus du gouvernement central de relancer la
consommation et de soutenir le secteur privé 948.
L’autre effet secondaire récurrent de ce mode de gestion vertical et
directif se traduisait par une surcapacité chronique, car des entreprises
d’État trop protégées répugnaient à réduire la voilure. En 2014, le
gouvernement estimait que 6,8 trillions avaient été dilapidés depuis 2009 en
« investissements improductifs », notamment des aciéries et des stades
déserts. À son tour, cette surcapacité conduisait à une baisse des prix, ce qui
soumettait le système financier à un surcroît de contraintes et reportait
encore davantage le passage à une croissance alimentée par le
consommateur 949.
Pourtant, alors même que l’économie ralentissait et que les profits des
entreprises déclinaient, le marché boursier montait. Depuis des années, les
bourses étaient restées une part mineure de l’économie, la vaste majorité
des titres qu’elles traitaient étant soigneusement maintenus hors de portée
des investisseurs étrangers. Ensuite, en 2014, pour attirer des
investissements dont le pays avait un besoin criant, le Premier ministre Li
Keqiang, le numéro deux du pouvoir chargé de l’économie, autorisa les
investisseurs étrangers à effectuer des opérations directes sur les titres des
sociétés cotées dans les places boursières nationales. L’équipe dirigeante
encouragea aussi les simples citoyens à investir leur épargne. Des dizaines
de millions d’investisseurs se prêtèrent au jeu, certains en empruntant de
l’argent pour acheter des titres. Les cours triplèrent presque en moins d’un
an. À leur sommet, la moitié des sociétés cotées à Shenzhen et Shanghai
atteignaient un taux de capitalisation boursière (le ratio cours/bénéfices)
égal à 85 fois leurs profits. L’exécutif national encouragea les investisseurs
à ignorer les signaux d’alarme. Un krach suivit en juillet 2015. La banque
centrale baissa ses taux d’intérêt et ses exigences de réserves obligatoires
afin de dégager davantage de liquidités pour sauver le marché, mais en
vain. Le gouvernement ordonna ensuite aux principales maisons de
courtage d’acheter pour 19 milliards de dollars de titres. Cette manœuvre
échoua elle aussi, et le régime fit ce qu’il savait faire de mieux : il interdit la
vente et menaça d’arrêter quiconque interférait dans sa tentative de soutenir
les cours. Les responsables du parti accusèrent aussi des « forces
étrangères » de manipuler intentionnellement le marché, en promettant des
mesures répressives. Un économiste résuma la situation en ces termes : le
régime « détruisait son marché boursier pour le sauver ». Enfin, certains
experts étrangers qui avaient évoqué avec une telle assurance la marche
inévitable du pays vers l’économie de marché se turent 950.
En août et en septembre, alors que le marché des changes se rétablissait
à peine, le gouvernement central dévaluait progressivement le yuan
d’approximativement 4,5 % afin d’aider les entreprises exportatrices. Les
marchés d’actions rechutèrent. Il s’ensuivit un exode de capitaux, des
individus sortant presque un trillion de dollars du pays, tant ils étaient
alarmés par la perte de valeur de leur épargne. Cette fuite de capitaux remit
le yuan sous pression, forçant le gouvernement à intervenir sur les marchés,
en vendant des dollars puisés dans ses réserves de devises afin de racheter
de gros volumes de yuans. Des contrôles encore plus stricts furent appliqués
aux mouvements de capitaux, mais au fil des décennies beaucoup
d’individus dotés de l’esprit d’entreprise avaient affiné leur savoir-faire et
développé des techniques pour échapper à la main de l’État, en établissant
des factures trompeuses ou en se servant d’amis ou de membres de la
famille pour faire transiter des liquidités 951.
Si l’année 2015 fut un moment clef dans l’économie du pays, elle
marqua aussi un virage sur le plan politique. Tout nouveau dirigeant, à sa
prise de fonction, avait régulièrement eu recours à une campagne de lutte
contre la corruption pour faire rentrer ses opposants éventuels dans le rang.
Xi Jinping, dans son discours d’investiture, jura de combattre cette
corruption, en exigeant un strict respect de la discipline tant de la part des
cadres dirigeants que des membres ordinaires. Wang Qishan, qui avait fait
une carrière d’apparatchik dans les banques étatiques et travaillé en étroite
collaboration avec Zhu Rongji, fut prié de prendre la direction de la
Commission centrale de contrôle de la discipline (CCCD). Il envoya des
équipes de travail sillonner le pays, et démit de leurs fonctions plus d’une
centaine de personnalités éminentes dans toute une série d’institutions. L’un
des victimes les plus importantes de cette campagne fut Bo Xilai, un ancien
maire de Dalian qui avait été affecté en 2007 à Chongqing, où il avait
développé un style de gouvernance que l’on avait appelé le « modèle de
Chongqing », comportant une renaissance maoïste de la « culture rouge »
ainsi qu’un ensemble de mesures contre le crime organisé et la corruption
des fonctionnaires. Quand son chef de la police chercha asile en
février 2011 au consulat des États-Unis, en révélant que Bo Xilai et sa
femme Gu Kailai avaient été étroitement impliqués dans le meurtre d’un
homme d’affaires britannique, il tomba en disgrâce. Son proche allié Zhou
Yongkang, grand ordonnateur de la politique de sécurité, fut aussi arrêté un
an plus tard, avec plusieurs autres « tigres » très en vue de l’armée. En
octobre 2015, plus de 100 000 personnes avaient subi les foudres des
brigades anticorruption 952.
Après l’arrestation de quelques hiérarques convaincus de méfaits, et une
fois que des membres du parti avaient été dûment semoncés, d’ordinaire,
une campagne anticorruption touchait à son terme. Or Xi Jinping alla bien
plus loin que ses prédécesseurs, en choisissant d’en faire une composante
permanente du paysage politique. En 2015, la campagne s’attaqua aux
milieux d’affaires et plusieurs dirigeants d’entreprise furent arrêtés pour
investissements frauduleux à l’étranger. Plusieurs milliardaires disparurent,
et leurs pairs effrayés se démenèrent pour prouver leur loyauté envers le
parti.
La Commission centrale de contrôle de la discipline fut renforcée, tout
comme d’autres institutions du parti. Dans les années 1950, une série de
petits groupes de direction avait été mise en place pour conseiller le parti et
contribuer à la coordination de certaines de ses politiques, transversales
entre plusieurs ministères et administrations gouvernementales. Traduite
mot à mot, leur appellation désignait des « petits groupes de dirigeants » :
ils occupaient le sommet d’une structure de pouvoir, le centre nerveux du
parti, qui avait le dessus sur tous les autres services. L’équipe dirigeante
s’en servait pour contourner l’opposition et imposer sa volonté. Le plus
notoire avait été le petit groupe central de direction sur la Révolution
culturelle, dirigé par le secrétaire personnel de Mao, Chen Boda, et par
l’épouse du président, Jiang Qing.
L’un de ces groupements informels les plus importants était le petit
groupe de direction sur les Affaires étrangères, que Xi Jinping avait dirigé
avant même 2012. En 2014, deux autres furent créés afin de réintégrer les
leviers du pouvoir à l’intérieur de son cercle rapproché. L’un d’eux couvrait
la sécurité nationale, en réunissant un ensemble disparate de services et
départements responsables de la sécurité intérieure et extérieure. L’autre,
celui sur l’Approfondissement d’ensemble de la réforme, fut formé pour
superviser des changements politiques d’ampleur. En 2018, quatre de ces
groupes de direction, y compris celui chargé de la révision de la politique
étrangère, accédèrent au rang de commissions, qui maniaient encore
davantage de pouvoir 953.
Les petits groupes de direction et les commissions s’inscrivaient dans le
cadre des efforts déployés par Xi Jinping pour restaurer la centralité du
pouvoir. Il présidait personnellement onze de ces entités, plus qu’aucun
dirigeant depuis Mao, ce qui lui procurait une emprise bien plus ferme sur
la sécurité nationale, les affaires étrangères, l’application des
réglementations financières, le secteur de la défense, la réforme de l’armée
et le contrôle idéologique, entre autres sujets. Plus son emprise se
raffermissait, plus il multipliait les titres ronflants. En 2017, il en avait déjà
récolté pas moins de sept, notamment : Dirigeant créatif, Cœur du Parti et
Serviteur en quête du bonheur du Peuple, Chef d’un Grand pays et
Architecte de la Modernisation à l’Ère Nouvelle. Xi devenait le Président
de Tout, selon la formule d’un observateur 954. En 2018, il devint de facto
président à vie, lorsque l’Assemblée nationale populaire vota avec un bel
enthousiasme l’abolition de toute limite au mandat de son chef.
Un culte de la personnalité commença à naître, quand bien même les
responsables du parti affirmaient que l’amour qu’éprouvait le peuple pour
son dirigeant était tout à fait naturel et sincère. « Te suivre c’est suivre le
soleil », proclamait une chanson créée à Beijing en 2017. La même année,
les Pensées du président Xi devenaient une lecture obligée pour les écoliers.
Son image était partout, frappée sur des bibelots, des badges et des affiches,
et imprimée en première page de tous les journaux 955.
Au début, le peuple approuva en effet une vague de répression qui
semblait ne toucher que les trafics endémiques de pots-de-vin, de
rétrocommissions, les vols et la dilapidation de l’argent public, mais il
devint assez vite clair que les cibles visées allaient bien au-delà des seuls
fonctionnaires corrompus et autres magnats des affaires. En 2015, des
avocats, des militants des droits de l’homme, des journalistes et des chefs
religieux furent assignés à résidence, exilés et emprisonnés par milliers,
dans le cadre de ce qu’un observateur qualifia de vague de répression la
plus brutale depuis des décennies 956.
Cette répression était alimentée par une seule conviction fondamentale
de la part du régime : des « forces étrangères hostiles » conduites par les
États-Unis conspiraient pour saper le Parti communiste. Rien qu’en 2014,
Le Quotidien du Peuple publia 42 articles accusant de toutes sortes de maux
des forces « occidentales », « étrangères » et « extérieures ». Derrière
chaque problème même minime à l’intérieur du pays, un complot étranger
pouvait être décelé, ce qui exigeait une réaction prompte et entière de
l’appareil de sécurité 957.
En une réminiscence de l’ère Mao, les correspondants étrangers étaient
considérés comme des agents de renseignement sous couverture tentant de
subvertir le régime. En mars 2014, une porte-parole de l’Assemblée
nationale populaire expliqua à des correspondants étrangers qu’elle savait
tout : « Votre but en publiant des reportages sur la Chine est de renverser
notre système de gouvernement. » Un an après, ce fut le début des départs
forcés de journalistes, qui ne cessèrent de se multiplier d’année en année,
avec un chiffre record de dix-sept expulsions en 2020. Un seul
correspondant du New York Times restait sur place, pour couvrir un pays de
1,4 milliard d’habitants 958. Le stylo, avait dit un jour Mao, est un outil aussi
dangereux que le fusil. Alors même que leurs correspondants étrangers
étaient de plus en plus exposés à l’intimidation et aux expulsions, une
« loyauté absolue » était exigée des journalistes locaux. Les médias
d’information du pays, insista Xi Jinping, « doivent aimer le parti, protéger
le parti et s’aligner étroitement sur la direction du parti ». Quant aux
professeurs d’université, ils reçurent ordre de limiter l’accès aux manuels
étrangers à leurs étudiants et de leur faire pénétrer les valeurs marxistes
« dans la tête 959 ».
Avec cette nouvelle guerre froide idéologique, la censure s’aggrava.
La Ferme des animaux et 1984, deux textes de fiction écrits par George
Orwell, furent proscrits, tandis que Winnie l’Ourson, dont la rumeur voulait
qu’il ressemble à Xi Jinping, dut entrer dans la clandestinité. Le dessin
animé britannique pour enfants Peppa Pig fut supprimé des chaînes de
télévision et les livres retirés des librairies, car ils étaient considérés comme
un symbole subversif d’une idéologie étrangère dangereuse. En juillet 2020,
les écoles élémentaires et les collèges procédèrent à une purge en retirant de
leurs rayonnages et de leurs classes tous les ouvrages jugés politiquement
incorrects. Les exemplaires supprimés furent remplacés par de nouveaux
livres d’une liste fournie par le ministère de l’Éducation, où figuraient
notamment le Manifeste communiste et des poèmes du président Mao 960.
L’accès à Internet fut restreint, au point qu’en 2019 la plupart des
applications étrangères – Google, Facebook, Dropbox, Twitter, YouTube,
Reddit, Spotify – et des chaînes, des journaux d’informations et des agences
de presse – BBC, Financial Times, Wall Street Journal, Reuters, CNN –
furent bloqués. Deux Internet distincts émergèrent peu à peu : l’un pour le
monde et l’autre abrité du monde. Les gens qui allaient à l’étranger
emportaient leurs appareils avec eux et, de ce fait, ils étaient surveillés par
tous les moyens numériques, en permanence, quand ils étaient loin de chez
eux 961.
Toutefois, c’était le long des frontières que des forces étrangères
hostiles faisaient planer la menace la plus grave, requérant une répression
implacable. Après que des militants ouïghours eurent poignardé plusieurs
dizaines de voyageurs dans une gare en avril 2014, Xi Jinping appela
résolument « au combat contre le terrorisme, l’infiltration et le
séparatisme », en exigeant que les « organes de la dictature » soient utilisés
« sans merci ». Plus d’un million d’Ouïghours et de membres d’autres
minorités musulmanes furent détenus dans des camps de rééducation,
officiellement « centres d’éducation et de formation professionnels 962 ».
À Hong Kong, des manifestants exigeant que le chef de l’exécutif soit
élu au suffrage universel descendirent dans la rue en septembre 2014,
occupant le cœur de la ville pour une démonstration pacifique de
désobéissance civile. Le Quotidien du Peuple décrivit Occupy Central
comme une force antichinoise manipulée par les États-Unis. Un général
croyait que ces manifestations participaient d’un « encerclement [du pays]
sans précédent, direct et indirect, par l’Occident 963 ».
En juin 2019, à Hong Kong, d’autres protestations éclatèrent en réaction
contre un projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine continentale.
Plus d’un million de Hongkongais descendirent dans la rue, mais cette fois
la police et les manifestants se laissèrent prendre au piège d’un engrenage
de la violence, en se livrant à des batailles rangées dans les rues, les galeries
marchandes et les universités. Quand plus tard cette année-là 3 millions de
personnes exercèrent leur droit de vote lors des élections des conseils de
district, elles offrirent au camp prodémocratie une victoire retentissante. À
Beijing, ce scrutin fut perçu comme une preuve supplémentaire de
l’influence hostile que des forces étrangères faisaient peser sur la ville.
Alors que les manifestations se calmèrent pendant la pandémie de
coronavirus, le 30 juin 2020, Beijing adopta une loi sur la sécurité nationale
comportant des pouvoirs étendus. Ce texte tuait à peu près toute forme
d’opposition démocratique en transformant le Conseil législatif de
Hong Kong en instrument malléable, celui que Beijing avait déjà tenté
d’instaurer le jour de la rétrocession, vingt-trois ans plus tôt. Des dirigeants
du monde entier furent prompts à réagir, en condamnant ces nouveaux
textes législatifs qui violaient la Loi fondamentale. Les États-Unis mirent
un terme au traitement réglementaire spécial de la cité, incluant par
exemple des exceptions aux licences d’exportations et des droits de douane
inférieurs.
Convaincues que des forces ennemies encerclaient leur pays, les élites
du régime adoptèrent aussi un mode d’action plus énergique à l’étranger, en
envenimant des querelles frontalières avec l’Inde, les Philippines,
l’Indonésie, le Vietnam, le Japon, la Corée du Sud, la Corée du Nord,
Singapour, Brunei, le Népal, le Bhoutan, le Laos, la Mongolie et le
Myanmar, sans oublier Taïwan.
En 2018, d’anciennes tensions avec les États-Unis aboutirent à
l’imposition par Washington de taxes à l’importation et à d’autres barrières
douanières : le déficit de la balance commerciale avait en effet atteint
621 milliards de dollars. Les États-Unis accusèrent la Chine de pratiques
commerciales irrégulières, de vol de la propriété intellectuelle, de transferts
forcés de technologies, et de fermeture de l’accès à ses marchés. Pourtant,
même sans guerre commerciale, la plupart des sociétés étrangères quittaient
déjà le pays. La hausse des coûts en était une première raison, le maquis
réglementaire sans fin en était une autre. Un sentiment croissant de risque
allait aussi de pair avec la marche des affaires en Chine, car les compagnies
étrangères étaient elles aussi ciblées par la campagne contre la corruption.
Peter Humphrey, l’expert en gestion du risque basé à Shanghai, fut arrêté
avec sa femme en 2013, forcé d’avouer devant les caméras de télévision et
jeté en prison, d’où il ne fut libéré avant le terme de sa peine qu’en raison
d’un cancer de la prostate. D’autres ressortissants étrangers furent placés en
détention, certains pendant des années et sans aucune mise en accusation
formelle.
Quand une épidémie de coronavirus éclata à Wuhan et se propagea
rapidement au reste de la planète aux premiers mois de 2020, aux États-
Unis, la méfiance envers Beijing se fit plus tenace. En juillet 2020, le
secrétaire d’État Mike Pompeo annonça que l’ère de l’engagement aux
côtés de la Chine était révolue. Avec l’avènement de ce qui apparaissait
comme une prophétie autoréalisatrice, la conviction de Beijing que les
États-Unis constituaient une force hostile décidée à refouler la Chine se
vérifiait donc. Contre toute attente, le régime avait réussi à s’aliéner non
seulement l’un de ses grands soutiens, mais aussi la seule puissance qui
avait su créer les conditions même dont il dépendait pour sa survie. Qu’il
s’agisse d’un dollar à la portée planétaire, d’un pétrole omniprésent dans le
monde, de matières premières ou de marchés mondiaux pour ses produits,
le régime était profondément pris dans les mailles d’un ordre mondial créé
par les États-Unis. Deng Xiaoping avait conseillé à ses collègues de rester
discrets et de prendre leur temps. Au contraire, ils s’étaient confrontés à un
géant.
Le coronavirus, combiné à une posture si agressive qu’elle fut qualifiée
de « diplomatie du loup guerrier », lui aliéna aussi d’autres pays ou
ensembles de pays, et non des moindres : l’Inde, le Japon, l’Australie, le
Royaume-Uni et l’Union européenne. Beijing avait le don de se créer les
ennemis les plus inattendus, comme la Papouasie Nouvelle-Guinée et le
Brésil. Le régime réussit même à insuffler un regain de vie dans un OTAN
moribond après que son secrétaire général Jens Stoltenberg eut répété ses
mises en garde : une alliance plus forte était indispensable face à un pays
« qui ne partage pas nos valeurs » et qui « affecte notre sécurité 964 ».
En 2021, il y eut un exode de compagnies étrangères hors de Chine. Le
Japon paya même ses entreprises pour qu’elles relocalisent leur production
ailleurs 965. Le retour de flamme international survint alors que le pays
voyait son économie s’engager dans une impasse. Depuis des décennies, la
croissance avait dépendu de la dette, qui avait grossi lentement, à partir
d’un faible niveau, entre 1980 et 2010. Entre 2010 et 2020, en revanche,
cette croissance doubla tandis que la dette triplait, s’établissant à 280 % du
produit intérieur brut. La dépendance vis-à-vis de la dette aurait dû être
réduite en déplaçant la demande de l’investissement en chantiers
d’infrastructure vers une consommation intérieure. Pourtant, cette
consommation des ménages ne pouvait être davantage poussée à la hausse,
pour une raison très simple : l’essentiel de la richesse affluait vers l’État, et
ne se redistribuait pas vers le peuple. Ainsi que le relevait Li Keqiang en
mai 2020, plus de 600 millions de Chinois survivaient avec à peine
l’équivalent de 140 dollars par mois, ce qui était insuffisant pour louer une
chambre dans une ville. Une redistribution massive des revenus des
membres du parti vers les citoyens ordinaires serait nécessaire pour
aiguillonner la consommation, mais il était peu probable que cela se
produise 966.
La démographie aggravait le problème. Avec une population croissante,
pendant des dizaines d’années, la main-d’œuvre avait été peu coûteuse,
mais vers 2010 la tendance s’était inversée, car la population active entama
un déclin, en raison de la politique de l’enfant unique. Des effectifs de
main-d’œuvre qui allaient rétrécissant requéraient une plus forte croissance
de la productivité, or celle-ci baissait aussi régulièrement 967. Pendant des
décennies, les campagnes avaient été négligées, utilisées comme un
réservoir de main-d’œuvre peu qualifiée et pas chère. Des gouvernements
locaux avaient investi de vastes sommes d’argent dans des infrastructures
urbaines, mais dépensé très pour leur population, et encore moins pour celle
des zones rurales. Si l’on considérait le pays dans son ensemble, seul un
enfant sur trois était scolarisé jusqu’au lycée, alors que seule une fraction
des individus myopes au sein de la population rurale avaient les moyens de
se payer une paire de lunettes. Du fait de décennies de négligence
volontaire, la population active avait l’un des niveaux d’éducation les plus
faibles de tous les pays comparables 968.
Les options faciles – accepter le capital étranger, exploiter une main-
d’œuvre privée de protection sociale, vendre de la terre pour lever des
fonds, produire des biens d’exportation subventionnés, coter des entreprises
sur des places étrangères, emprunter pour construire et rembourser plus
tard – n’étaient plus accessibles. Le défi qui se présentait devant le Parti
communiste était le suivant : comment traiter une ample série de problèmes
structurels existant de longue date et qu’il avait lui-même créés sans
renoncer à son monopole sur le pouvoir et à son contrôle sur les moyens de
production. En somme, il semblait être dans l’impasse.
Notes

Notes de la préface
1. James Palmer, « Nobody Knows Anything About China : Including the Chinese
Government », Foreign Policy, 21 mars 2018.
2. Zhao Ziyang, « Yanzhe you Zhongguo tese de shehuizhuyi daolu qianjin » (Avancer sur la
route du socialisme aux caractéristiques chinoises), Renmin ribao, 4 novembre 1987 ; BArch,
Berlin, DY 30/2437, Meeting Between Erich Honecker and Zhao Ziyang in Berlin [Rencontre
entre Erich Honecker et Zhao Ziyang à Berlin], 8 juin 1987, pp. 1020 ; Charlotte Gao, « Xi :
China Must Never Adopt Constitutionalism, Separation of Powers, or Judicial Independence »,
The Diplomat, 19 février 2019.
3. Wenzhou, J1-28-51, Conférence sur Guangdong et Fujian, 24 décembre 1980, transcription
datée du 21 janvier 1981, pp. 43-47.
4. Barry Rubin, Modern Dictators : Third World Coup Makers, Strongmen, and Populist
Tyrants, McGraw-Hill, New York, 1987.
5. « China Has Over 600 million Poor with $140 Monthly Income », PTI News, 28 mai 2020.
6. Xiang Songzuo, « The Pitiful State of the Chinese Economy », AsiaNews, 21 janvier 2019.

Notes du chapitre premier


7. Sur l’histoire architecturale de la place Tian’anmen, il convient de lire Adrian Hornsby,
« Tiananmen Square : The History of the World’s Largest Paved Open Square », Architectural
Review, 12 octobre 2009 ; voir aussi Wu Hung, Remaking Beijing : Tiananmen Square and the
Creation of a Political Space, Reaktion Books, Londres, 2005.
8. Sur les libertés grandissantes d’expression, d’association, de religion, de mouvement et
d’assemblée après 1911, voir Frank Dikötter, The Age of Openness : China Before Mao,
University of California Press, Berkeley, Californie, 2008.
9. Lu Xun, Diary of a Madman and Other Stories, traduit par William A. Lyell, University of
Hawai’i Press, Honolulu, 1990, p. xxvii.
10. Frank Dikötter, The Tragedy of Liberation : A History of the Chinese Revolution 1945-
1957, Bloomsbury, Londres, 2013.
11. Jin Chongji (sous la dir.), Zhou Enlai zhuan, 1898-1949 (Biographie de Zhou Enlai, 1898-
1949), Zhongyang wenxian chubanshe, Beijing, 1989, vol. 2, p. 1908.
12. Roderick MacFarquhar et Michael Schoenhals, Mao’s Last Revolution, Harvard University
Press, Cambridge, Massachusetts, 2006, pp. 393-397.
13. Li Zhisui, The Private Life of Chairman Mao : The Memoirs of Mao’s Personal Physician,
Random House, New York, 1994.
14. Yan Jiaqi et Gao Gao, Turbulent Decade : A History of the Cultural Revolution, University
of Hawai’i Press, Honolulu, 1996, pp. 489-492.
15. Roger Garside, Coming Alive : China after Mao, Deutsch, L 1981, pp. 115-128.
16. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Minutes de la
réunion du Politburo, 1er avril 1976, transcription datée du 2 avril 1976.
17. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Minutes de la
réunion du Politburo, 4 avril 1976.
18. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Mao Yuanxin à Mao
Zedong, 5 avril 1976.
19. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Minutes de la
réunion du Politburo, 6 avril 1976 ; voir aussi Ezra F. Vogel, Deng Xiaoping and the
Transformation of China, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 2011, p. 168.
20. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Minutes de la
réunion du Politburo, 5 avril 1976 ; Hoover Institution, Li Rui Papers, entrée de journal datée du
18 mai 1995.
21. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Mao Yuanxin à Mao
Zedong, 6 avril 1976 ; le rôle joué par Hua Guofeng n’est venu au jour que quelques années
plus tard ; voir Shanghai, B250-5128, Chen Guoding, Rapport sur le sixième plénum, 13 au
15 juillet 1981, pp. 39-71 ; Li Zhisui, le médecin de Mao, a vu Jiang Qing surveiller la foule
avec une paire de jumelles : Li, The Private Life of Chairman Mao, p. 612 ; sur les contenus de
ces émissions et sur les questions qui subsistent au sujet du rôle de Hua dans l’incident des
Tian’anmen, voir PRO, FCO 21/1609, « Your Telno 953 : Hua’s Watergate », 21 décembre
1978.
22. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Mao Yuanxin à Mao
Zedong, 7 avril 1976 ; le rôle joué par Hua Guofeng n’a été mis au jour que quelques années
plus tard ; voir Shanghai, B250-5-128, Chen Guoding, Rapport sur le sixième plénum, 13 au
15 juillet 1981, pp. 39-71.
23. Pamela Tan, The Chinese Factor : An Australian Chinese Woman’s Life in China from 1950
to 1979, Roseberg, Dural, New South Wales, 2008, p. 228 ; PRO, FCO 21/1552, 25 février
1977, « Internal Situation » ; voir aussi MacFarquhar et Schoenhals, Mao’s Last Revolution,
pp. 431-432.
24. La seule allusion dans la biographie officielle de Mao à cette feuille de papier mentionne le
journal non publié de Zhang Yufeng, qui a été soigneusement enfermé dans les salles fortes des
archives centrales ; voir Pang Xianzhi et Jin Chongji (sous la dir.), Mao Zedong zhuan, 1949-
1976 (Biographie de Mao Zedong, 1949-1976), Zhongyang wenxian chubanshe, Beijing, 2003,
vol. 2, pp. 1778-1779. Mais Qin Chuan, rédacteur en chef du Quotidien du Peuple qui avait lu le
journal, affirmait le contraire ; voir Hoover Institution, Li Rui Papers, conversation entre Li Rui
et Qin Chuan, entrée de journal datée du 27 avril 2000.
25. MacFarquhar et Schoenhals, Mao’s Last Revolution, pp. 443-447.
26. PRO, FCO 21/1493, « Confidential Wire », 25 octobre 1976 ; Hoover Institution, Hongda
Harry Wu Collection, Boîte 2, Document émis par le Comité central, zhongfa (1976) no 16,
18 octobre 1976 ainsi qu’un Document émis par le Comité central, zhongfa (1977) no 10, 6 mars
1977 ; sur la suppression de toute référence removal à la Bande des Quatre, voir Hubei, SZ120-
4-380, 23 octobre 1976.
27. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Deng Liqun, Talk at
the Capital Garrison [Conversation à la caserne de la capitale], 7 et 8 juillet 1981, pp. 37-42 ;
sur des affiches à Beijing, voir PRO, FCO 21/1550, Roger Garside, « The Force of Public
Opinion », 17 janvier 1977.
28. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Deng Liqun, Talk at
the Capital Garrison [Conversation à la caserne de la capitale], 7 et 8 juillet 1981, pp. 37-38.
29. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Deng Liqun, Talk at
the Capital Garrison [Conversation à la caserne de la capitale], 7 et 8 juillet 1981, pp 37-38 ;
l’attaque de Li Xiannian contre Deng est documentée dans Ruan Ming, Deng Xiaoping :
Chronicle of an Empire, Routledge, Londres, 2018, p. 40.
30. PRO, FCO 21/1551, Roger Garside, « Where Are Hua’s Men ? », 7 mars 1977.
31. Plusieurs versions du discours et trois traductions existent en anglais, aucune d’elles n’étant
complète ; une version originale diffusée le 16 mai 1956 se trouve dans Shandong, A1-2-387,
pp. 2-17 ; pour davantage d’éléments de contexte sur le discours et sur les Cent Fleurs, voir
Dikötter, The Tragedy of Liberation, chapitre 14.
32. Dikötter, The Tragedy of Liberation, chapitre 14.
33. Mao Zedong, Jianguo yilai Mao Zedong wengao (Manuscrits de Mao Zedong depuis la
fondation de la République populaire), Zhongyang wenxian chubanshe, Beijing, 1998, vol. 13,
p. 444.
34. PRO, FCO 21/1550, R. F. Wye, « Mao Tse-tung’s Speech on the 10 Major Relationships »,
14 janvier 1977.
35. MAE, 752INVA/2118, « La Chine se tourne de nouveau vers les pays occidentaux »,
8 novembre 1976.
36. John P. McKay, « Foreign Enterprise in Russian and Soviet Industry : A Long Term
Perspective », Business History Review (automne 1974), 48, no 3, p. 353 ; le récit saisissant
d’Eugene Lyons constitue une excellente source primaire, Assignment in Utopia, George
G. Harrap, Londres, 1938.
37. Frank Dikötter, Mao’s Great Famine : The History of China’s Most Devastating
Catastrophe, 1958-1962, Bloomsbury, Londres, 2010, en particulier le chapitre 10 (« Shopping
Spree » [Vague d’achats]) et le chapitre 37 (« The Final Tally » [Le bilan final]). Voir aussi le
chapitre 20 (« Housing » [Logement]) sur la transformation de la capitale en gigantesque
chantier de construction.
38. Dikötter, Mao’s Great Famine, p. 79.
39. Frank Dikötter, The Cultural Revolution : A People’s History, 1962-1976, Bloomsbury,
Londres et New York, 2016, pp. 260-261 ; sur le niveau de vie, voir aussi la conclusion à
laquelle sont arrivés Lein-Lein Chen et John Devereux, « The Iron Rice Bowl : Chinese Living
Standards 1952-1978 », Comparative Economic Studies, 2017, no 59, pp. 261-310.
40. Frederick C. Teiwes et Warren Sun, « China’s New Economic Policy Under Hua Guofeng :
Party Consensus and Party Myths », China Journal, no 66 (juillet 2011), p. 7.
41. PRO, FCO 21/1553, John Gerson, « The Chinese Leadership Observed », 11 octobre 1977 ;
Gerson assista à un banquet donné à une date ultérieure, en octobre 1977.
42. PRO, FCO 21/1554, « PRC Internal Situation », 17 octobre 1977 ; sur les Quatre
Modernisations, voir Lawrence C. Reardon, The Reluctant Dragon : Crisis Cycles in Chinese
Foreign Economic Policy, Hong Kong University Press, Hong Kong, 2002, chapitre 3.
43. Hoover, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Minutes d’une réunion du
Politburo, 9 février 1978.
44. Teiwes, « China’s New Economic Policy », p. 11. Shanghai, B250-5128, Chen Guoding,
Rapport sur le sixième plénum, 13 au 15 juillet 1981, pp. 39-71.
45. Dikötter, The Cultural Revolution, p. 157.
46. Shanghai, B1-8-11, Rapport du Conseil des Affaires de l’État, 6 novembre 1978, pp. 14-16 ;
le Hebei était l’une de ces provinces : voir Hebei, 919-1-148, 11 décembre 1968.
47. O. Arne Westad, « The Great Transformation », in Niall Ferguson, Charles S. Maier, Erez
Manela et Daniel J. Sargent (sous la dir.), The Shock of the Global : The 1970s in Perspective,
Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 2010, p. 79.
48. Dikötter, Tragedy of Liberation, pp. 137-138.
49. Hebei, 979-10-512, Discours de Gu Mu, 13 avril 1980, pp. 51-60.
50. « Interest in Technology », South China Morning Post, 24 septembre 1977.
51. Guangdong, 235-2-242, Rapport sur la mission commerciale, 20 octobre 1977, pp. 157-180.
52. Wenzhou, J1-27-60, Conférence nationale sur le commerce extérieur, 18 décembre 1979,
p. 189 ; Hoover Institution, Milton Friedman Papers, Boîte 188, « Report of Trip to the People’s
Republic of China », pp. 6-7 et 20.
53. Ruan, Deng Xiaoping, p. 28.
54. Ruan, Deng Xiaoping, p. 36.
55. PRO, FCO 21/1609, Roger Garside, « The April the Fifth Movement », 12 décembre 1978 ;
Percy Cradock, « The Politburo and « Democracy Wall » », 18 décembre 1978.
56. Robert D. Novak, « China’s Saviour », Washington Post, 24 février 1997.
57. Hubei, SZ1-4-808, zhongfa 1978 (77), 28 décembre. 1978, notamment le discours de Hua
Guofeng à la Conférence de travail du Comité central du 25 novembre 1978 et les conversations
de Hua Guofeng et Ye Jianying au troisième plénum des 13 et 18 décembre 1978 ; une étude
détaillée de la conférence de travail et du plénum qui suivit, basée sur des dossiers diffusés
officiellement, figure dans Vogel, Deng Xiaoping, pp. 229-247 ; voir aussi Ruan, Deng
Xiaoping, pp. 44-48.
58. Westad, « The Great Transformation », p. 76.
59. Voir, entre autres, Katherine G. Burns, « China and Japan : Economic Partnership to
Political Ends », article non publié, Stimson Center, consulté le 25 septembre 2020 ; Tomozo
Morino, « China-Japan Trade and Investment Relations », Proceedings of the Academy of
Political Science, 38, no 2 (1991), pp. 87-94 ; Wang Hong, China’s Exports since 1979, St
Martin’s Press, Londres, 1993, p. 143.
60. Richard L. Walker, « What We Should Know About China », National Review, 2 mai 1980 ;
Walker cite aussi Laszlo Ladany, China News Analysis, 14 juin 1974, pp. 1-2.
61. Hoover Institution, Henry S. Rowen Papers, Boîte 62, Minutes of Meeting with Committee
on the Present Danger, 27 novembre 1977 ; voir aussi Box 62, « Hao Te-ching’s Discussion with
Governor Edmund G. Brown », 16 juillet 1977.
62. Fox Butterfield, « Brzezinski in China », New York Times, 24 mai 1978.
63. Document 191, « Telegram from the Liaison Office in China to the Department of State »,
11 janvier 1979, et document 208, « Memorandum of Conversation », 30 janvier 1979, Foreign
Relations of the United States, 1977-1980, vol. XIII, United States Government Printing Office,
Washington, 2013, pp. 709-710 et 778.
64. Sur la normalisation et la clause de la nation la plus favorisée, on trouvera une analyse
instructive dans Jean A. Garrison, « Explaining Change in the Carter Administration’s China
Policy : Foreign Policy Adviser Manipulation of the Policy Agenda », Asian Affairs, 29, no 2,
été 2002, pp. 83-98.
65. Don Oberdorfer, « Teng and Khrushchev », Washington Post, 5 février 1979.
66. PRO, FCO 21/1686, J. S. Wall, « Secretary of State’s Talks with Mr Vance : China »,
23 mai 1979.
67. MAE, 752INVA/2090, Claude Arnaud, « Manifestation paysanne à Pékin », 15 janvier
1979 ; PRO, FCO 21/1685, « Peking’s Democracy Wall », janvier 1979 ; Roger Garside, « April
5th Movement : Organisation and Attitudes », 6 janvier 1979.
68. Cet article est paru dans Gregor Benton (éd.), Wild Lilies, Poisonous Weeds : Voices from
People’s China, Pluto Press, Londres, 1982 ; les lecteurs devraient aussi consulter un autre
recueil de sources primaires, en l’occurrence Geremie Barmé et John Minford (éd.), Seeds of
Fire : Voices of Conscience, Hill and Wang, New York, 1988.
69. MAE, 752INVA/2093, Claude Arnaud, « Politique intérieure de la Chine du 9 mars au
5 avril 1979 », 4 avril 1979 ; voir également « Strains of Gershwin in Peking », South China
Morning Post, 17 mars 1979.
70. PRO, FCO 21/1685, Percy Cradock, « My Telno 354 : The Internal Situation », 9 avril
1979 ; FCO 21/1686, « Tightening Political Control », avril 1979.
71. Deng Xiaoping, « Uphold the Four Cardinal Principles », 30 mars 1979, Selected Works of
Deng Xiaoping, vol. 2, éditions diverses.
72. Liu Yan et Wang Tao, « “Jianchi sixiang jiben yuanze” de xingcheng yu lishi diwei »
(L’émergence et la position historique des « Quatre Principes fondamentaux »), Dangdai
Zhongguo shi yanjiu, 22, no 2, mars 2015, p. 21.
73. PRO, FCO 21/1686, Christopher O. Hum, « May Day and After », 7 mai 1979.
74. Nigel Wade, « Brave Editor Who Defied Hua », Sunday Telegraph, 21 octobre 1989 ; voir
aussi le dossier complet in PRO, FCO 21/1689, « Political Prisoners in China », 1979 ; sur la
réunion chargée de débattre de la clause de la nation la plus favorisée, voir « Trial, Conviction
and Imprisonment of Wei Jingsheng », audience devant la Sous-commission sur les Opérations
internationales et les droits de l’homme, 18 décembre 1995, US Government Printing Office,
Washington, 1996, p. 5.
75. Tianjin, X211-1-503, Conférence de travail centrale sur la sécurité publique, 25 avril 1981.
76. Pitman Potter, From Leninist Discipline to Socialist Legalism : Peng Zhen on Law and
Political Authority in the PRC, Stanford University Press, Stanford, Californie, 2003, p. 113 ;
Tan, The Chinese Factor, p. 257.
77. James H. Mann, About Face : A History of America’s Curious Relationship with China,
from Nixon to Clinton, Alfred A. Knopf, New York, 1998, p. 103.
78. Des mesures approximatives de la pollution peuvent se trouver in MAE, 752INVA/2117,
Claude Martin, « Pékin : Les embarras d’une capitale », 20 août 1979.
79. Bryan Johnson, « First Week in Peking is Mental Overload », Globe and Mail, 5 octobre
1979.
80. Wenzhou, J1-27-60, Rapport du ministère de la Culture, 4 janvier 1980, pp. 150-56.
81. PRO, FCO 21/1552, Mark Fenn, « Culture in China », 13 juin 1977 ; FCO 21/1800, Percy
Cradock, « Youth in China », 27 juin 1980 ; Earl Vinecour, « The Teresa Teng Craze », South
China Morning Post, 23 mai 1982.
82. Timothy McNulty, « China Has TV Thirst », Boston Globe, 1er janvier 1980.
83. Bryan Johnson, « Status in China Now Requires TV and Fan to Cool It », Globe and Mail,
1er janvier 1980.
84. Bryan Johnson, « Masses Hypnotized by a Doctored Medium », Globe and Mail,
2 décembre 1980.
85. Paul Theroux, La Chine à petite vapeur, Grasset, Les Cahiers Rouges, Paris, 2004, p. 145.
86. Sur l’élaboration de cette résolution, il est conseillé de lire Robert L. Suettinger,
« Negotiating History : The Chinese Communist Party’s 1981 », Project 2049 Institute,
Washington, 2017.
87. Voir Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Grandes lignes
du sixième plénum, pp. 19-22, citant l’intervention de Deng Xiaoping à la Réunion des Quatre
Mille Cadres qui débat du projet de résolution le 25 octobre 1980.
88. « Resolution on Certain Questions in the History of Our Party since the Founding of the
People’s Republic of China », 27 juin 1981, History and Public Policy Program Digital Archive,
Wilson Center, traduit de Beijing Review, 24, no 27, 6 juillet 1981, pp. 10-39.
89. Bien qu’une version expurgée de l’une de ces sessions ait été plus tard rendue publique,
tous les détails concrets sont restés secrets ; toutefois, un résumé a été présenté par Deng Liqun
dans un long discours prononcé à la Garnison de la Capitale en juillet 1981 ; voir Hoover
Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Deng Liqun, Talk at the Capital
Garrison [Conversation à la caserne de la capitale], 7 et 8 juillet 1981, pp. 37-42 en particulier ;
la version expurgée de l’intervention de Hu Yaobang du 19 novembre 1980 peut être consultée
au Zhonggong zhongyang wenxian yanjiushi (Service de recherche sur la littérature du Parti
communiste chinois), éd., Sanzhong quanhui yilai zhongyao wenjian huibian (Compilation des
principaux documents depuis le troisième plénum), Renmin chubanshe, Beijing, 1982, vol. 2,
pp. 735-747 ; voir aussi Shanghai, B250-5-128, Chen Guoding, Report on the Sixth plénum, 13
au 15 juillet 1981, pp. 39-71.
90. « Resolution on Certain Questions ».

Notes du chapitre 2
91. Dikötter, The Tragedy of Liberation, p. 215.
92. Li, The Private Life of Chairman Mao, p. 392.
93. Patrick Tyler, « Chen Yun, Who Slowed China’s Shift to Market, Dies at 89 », New York
Times, 12 avril 1995.
94. La meilleure analyse des conséquences indésirables des réhabilitations menées sous Hu
Yaobang est très nettement celle de Ruan, Deng Xiaoping, chapitre 2.
95. Wenzhou, J1-26-84, Rapport du ministère des Finances, 5 mai 1979, pp. 7-25.
96. Nai-Ruenn Chen, China’s Economy and Foreign Trade, 1979-1981, Département du
Commerce, Washington, 1982, pp. 1-2.
97. Robert Service, Comrades : A History of World Communism, Harvard University Press,
Cambridge, Massachusetts, 2007, p. 6.
98. Dikötter, Mao’s Great Famine, chapitre 23, « Wheeling and Dealing ».
99. Dikötter, Mao’s Great Famine, p. 211.
100. Hebei, 979-10-512, Han Guang, Rapport sur la construction du capital, 23 mars 1980,
pp. 22-46.
101. Hubei, SZ43-6-183, Discours de Zhao Ziyang à la Conférence nationale des chefs de
province, 15 novembre 1980, pp. 1-5.
102. Wenzhou, J1-26-81, 26 septembre 1979, pp. 31-46, ainsi que le Rapport du Comité de
planification provincial de Zhejiang, 31 mai 1979, pp. 120-152.
103. Hebei, 979-10-512, Gu Mu, Discours sur les grands travaux, 13 avril 1980, pp. 51-60.
104. Cette coupe dans le budget de l’État figure dans Wenzhou, J1-26-81, 27 mars 1979, pp. 6-
30 ; les chiffres d’investissement local ont été rendus publics et sont mentionnés dans Chen,
China’s Economy and Foreign Trade, 1979-1981, Département du Commerce, Washington,
1982, pp. 1-2.
105. Wenzhou, J51-29-40, 7 novembre 1979, pp. 90-93.
106. Nanjing, 5093-4-69, 10 décembre 1979, pp. 1-4 ; Wenzhou, J1-28-51, 7 mars 1981,
pp. 49-54 ; Tianjin, X199-2-1958, 6 juillet 1979, pp. 37-40.
107. Hubei, SZ48-2-310, Rapport d’Enquête sur les Prix, 16 janvier 1979, pp. 20-29 ; les
estimations d’HSBC sont citées dans MAE, 2882TOPO/2936, « L’économie chinoise en 1981 »,
mai 1982, p. 6.
108. Nanjing, 5054-5-216, 4 août 1982, pp. 29-33 ; Hubei, SZ43-6-183, Discours de Gu Mu à
la Conférence de travail sur les importations et les exportations, 23 décembre 1980, pp. 134-
139 ; MfAA, Berlin, ZR481/86, « Sozialökonomische Widersprüche in China », avril 1982, p. 4.
109. Hubei, SZ43-6-183, Discours de Gu Mu à la Conférence de travail sur les importations et
les exportations, 23 décembre 1980, pp. 134-139 ; la dette extérieure est détaillée dans Yao
Yilin, Rapport du Politburo, 28 novembre 1980, pp. 31-37.
110. Hubei, SZ34-11-91, 22 mai 1980, Rapport du Conseil des Affaires de l’État sur la
spéculation et la contrebande, pp. 46-51.
111. Wenzhou, J87-31-25, 22 janvier 1981, pp. 249-251.
112. Sur le budget, voir Hubei, SZ43-6-183, Discours de Zhao Ziyang à la Conférence
nationale des chefs de province, 15 novembre 1980, pp. 1-15, ainsi que le discours de Wang
Bingqian, 21 décembre 1980, pp. 76-81.
113. Ruan, Deng Xiaoping, p. 98.
114. Hubei, SZ43-6-183, Discours de Zhao Ziyang à la Conférence nationale des chefs de
province, 15 novembre 1980, pp. 1-15.
115. Dikötter, The Tragedy of Liberation, p. 81.
116. Dikötter, Mao’s Great Famine, p. 81.
117. PRO, FCO 21/1687, Christopher O. Hum, « Back to Basics », 13 novembre 1979.
118. Hubei, SZ43-6-183, Discours de Zhao Ziyang à la Conférence nationale des chefs de
province, 15 novembre 1980, pp. 1-15 ; Ruan, Deng Xiaoping, p. 98.
119. Michael Parks, « Dream for a Steel Complex Turns into a Nightmare », Los Angeles
Times, 29 novembre 1981 ; Jonathan Sharp, « Baoshan : Model of a Planning Disaster », South
China Morning Post, 24 juillet 1981 ; Takashi Oka, « Peking Shelves Grandiose Plans »,
Christian Science Monitor, 8 décembre 1980.
120. MAE, 2882TOPO/2935, « Statistiques monétaires chinoises pour 1981 », 19 avril 1982,
p. 5 ; Wenzhou, J34-32-57, Conférence nationale sur la banque, 30 avril 1982, pp. 126-136.
121. Wenzhou, J20-17-23, Rapport du Bureau d’État des statistiques, 31 octobre 1979, pp. 76-
78 ; les chiffres sont repris dans MAE, 2882TOPO/2936, François Lemoine, « Réformes
économiques et finances publiques en Chine », décembre 1983, p. 5.
122. Wenzhou, J34-32-36, Rapport du Conseil des Affaires de l’État, 9 décembre 1982, pp. 20-
26 ainsi que le Rapport sur les problèmes de biens de consommation courante, 24 juillet 1982,
pp. 66-69 ; Nanjing, 5020-5-208, 6 septembre 1982, pp. 94-98.
123. Wenzhou, J1-27-60, Conférence nationale sur le commerce extérieur, 18 décembre 1979,
p. 197.
124. Wenzhou, J1-27-60, Conférence nationale sur le commerce extérieur, 18 décembre 1979,
p. 201.
125. Shanghai, B76-5-112, Commentaires sur le commerce extérieur par Zhao Ziyang, Gu Mu
et Yao Yilin, 11 décembre 1980 ; Shanghai, B1-9-1340, Document du Conseil des Affaires de
l’État et de la Commission de planification économique, 18 octobre 1984, pp. 28-30.
126. Voir Lin Guijun et Ronald M. Schramm, « China’s Foreign Exchange Policies since 1979 :
A Review of Developments and an Assessment », China Economic Review, 14, no 3,
décembre 2003, pp. 250-258 ; voir également Nicholas R. Lardy, Foreign Trade and Economic
Reform in China, 1978-1990, Cambridge University Press, Cambridge, 1992.
127. Lin et Schramm, « China’s Foreign Exchange Policies since 1979 », p. 251.
128. Dikötter, The Cultural Revolution, chapitre 2, « The Silent Revolution ».
129. Dikötter, The Cultural Revolution, pp. 262-263 et 270.
130. Dikötter, The Cultural Revolution, pp. 275-276.
131. MAE, 2882TOPO/2951, « Production et consommation des produits agricoles en Chine »,
1er septembre 1986, p. 4 ; Guangdong, 235-2-284, Rapport du Conseil des Affaires de l’État,
12 mars 1978, pp. 144-148 ; Hubei, SZ107-6-52, Rapport du Comité central sur l’agriculture,
15 août 1979, pp. 3-8.
132. Les achats à l’étranger sont détaillés dans Fox Butterfield, « China’New Dialectic :
Growth », New York Times, 5 février 1978 ; MAE, 2882TOPO/2951, « Production et
consommation des produits agricoles en Chine », 1er septembre 1986, pp. 3-5 ; Dong Fureng,
Industrialization and China’s Rural Modernization, World Bank, Washington, 1992, p. 91.
133. Wenzhou, J1-26-81, Conférence nationale sur la fixation des prix, 4 octobre 1979, pp. 188-
218 ; l’estimation de 8 milliards provient de Shanghai, Conférence nationale sur la planification,
B1-8-113, 17 janvier 1980, pp. 40-54 ; l’estimation de 30 milliards se trouve dans MAE,
2882TOPO/2951, « La fin des communes populaires », 23 février 1983, p. 6.
134. Wenzhou, J1-26-83, Projet de rapport du Centre de décisions pour l’accélération du
développement de la campagne, 22 décembre 1978, p. 13.
135. Hebei, 979-10-508, Conférence de Deng Xiaoping, sur la base de notes de Deng Liqun,
2 avril 1980, pp. 10-23.
136. Wenzhou, J1-27-32, Document no 75 sur la campagne, 14 novembre 1980, pp. 113-126.
137. Wenzhou, J87-31-25, Conférence nationale sur l’agriculture, janvier 1981, pp. 153-158.
138. Wenzhou, J87-31-25, Enquête sur les campagnes, janvier 1981, pp. 159-164 ; Hebei, 925-
2-188, Rapport sur le District de Lulong, 27 octobre 1982, pp. 1-7.
139. Sur les niveaux de vie, voir Dong, Industrialization, p. 36 ; MfAA, ZR 2629/90, Rapport
de Bernd Jordan, 7 décembre 1983 ; Kate Zhou, How the Farmers Changed China : Power of
the People, Westview Press, Boulder, Colorado, 1996 ; voir également Daniel Kelliher, Peasant
Power in China : The Era of Rural Reform, 1979-1989, Yale University Press, New Haven,
Connecticut, 1992.
140. Dikötter, The Tragedy of Liberation, pp. 224-225.
141. MAE, 2882TOPO/2951, « La fin des communes populaires », 23 février 1983, p. 20 ; le
chiffre de 100 millions est aussi mentionné dans Dong, Industrialization, p. 8.
142. Gansu, 216-4-164, 17 octobre 1983, pp. 136-137 ; Hebei, 925-2-166, Wan Li, Discours du
Comité d’État sur l’Agriculture, 11 mars 1981, pp. 349-354.
143. Hubei, SZ118-5-324, Secrétariat du Parti communiste chinois, Conférence de travail sur
l’éducation, 8 au 12 mai 1981, pp. 1-20.
144. Dong, Industrialization, p. 53.
145. Dikötter, The Cultural Revolution, pp. 230-231.
146. Dikötter, The Cultural Revolution, pp. 278-280 ; l’exemple de Chuansha provient de Lynn
T. White, Unstately Power : Local Causes of China’s Economic Reforms, M. E. Sharpe,
Armonk, État de New York, 1998, pp. 94 et 101 ; il faut aussi lire Zhang Qi et Liu Mingxing,
Revolutionary Legacy, Power Structure, and Grassroots Capitalism under the Red Flag in
China, Cambridge University Press, Cambridge, 2019, pp. 189-196.
147. Hubei, SZ43-6-183, Xu Jing’an, Rapport diffusé par Zhao Ziyang, 8 novembre 1980,
pp. 82-86.
148. Shanghai, B250-5-542, Rapport sur Wuxi, Jiangyin et Shazhou, 9 juillet 1984, pp. 1-10.
149. Shanghai, B250-5-542, Rapport sur Guangdong, décembre 1984, pp. 48-65.
150. Shanghai, B250-5-542, Rapport sur Guangdong, décembre 1984, p. 48.
151. Li Rui, Journal, 19 septembre 1994.
152. Hubei, SZ43-6-183, Xu Jing’an, Rapport diffusé par Zhao Ziyang, 8 novembre 1980,
pp. 82-86 ; les importations en tableaux statistiques sont dans Chen, China’s Economy and
Foreign Trade, 1979-1981, p. 31.
153. Ruan, Deng Xiaoping, p. 101.
154. Martin King Whyte, Feng Wang et Yong Cai, « Challenging Myths About China’s One-
Child Policy », China Journal, no 74, juillet 2015, pp. 144-159. Le chiffre de Shandong se
trouve dans Shandong, A188-1-2, 12 et 30 décembre 1972, pp. 50 et 155.
155. MAE, 2882TOPO/2917, « Le contrôle des naissances en Chine », 27 août 1982.
156. Wenzhou, J11-7-20, Commentaires de Chen Yun à la réunion du Politburo, 2 septembre
1980, pp. 215-216.
157. Chen Yun, « Pay Attention to Grain Work », traduit par Mao Tong et Du Anxia dans Chen
Yun, Chen Yun’s Strategy for China’s Development, M. E. Sharpe, Armonk, État de New York,
1983, pp. 67-72.
158. Thomas Sharping, Birth Control in China 1949-2000 : Population Policy and
Demographic Development, Routledge, Londres, 2003, p. 42.
159. Le terme « pseudo-science » est employé et justifié dans Whyte, « Challenging Myths
About China’s One-Child Policy ».
160. MAE, 2882TOPO/2917, « Le contrôle des naissances en Chine », 27 août 1982.
161. MAE, 2882TOPO/2917, « Renforcement du contrôle des naissances », 14 janvier 1982.
162. Gansu, 141-1-30, Commentaires de Zhao Ziyang sur le contrôle des naissances, 18 août et
8 septembre 1982, pp. 70-79.
163. Whyte, « Challenging Myths About China’s One-Child Policy ».

Notes du chapitre 3
164. Deng Xiaoping, « Discours d’ouverture du Douzième Congrès national du Parti
communiste chinois », 1er septembre 1982, Œuvres choisies de Deng Xiaoping, vol. 3, éditions
diverses.
165. Deng Xiaoping, « Discours à un forum de la Commission militaire du Comité central du
PCC », 4 juillet 1982, Œuvres choisies de Deng Xiaoping, vol. 2, éditions diverses.
166. Dikötter, The Cultural Revolution.
167. Yang Zhongmei, Hu Yao-Bang : A Chinese Biography, Routledge, Londres, 1989, pp. 111-
112.
168. MAE, 752INVA/2117, « Quelques aspects du problème des jeunes en Chine », 9 avril
1980 ; Linda Matthews, « Young Soldier Is New China Hero », Los Angeles Times, 1er mai 1980.
169. Stanley Oziewicz, « China Youth Have a New Model Hero », Washington Post,
2 novembre 1982 ; Christopher Wren, « Peking’s New Line Calls for New Heroes », New York
Times, 16 janvier 1983.
170. Christopher Wren, « Peking’s New Line Calls for New Heroes », New York Times,
16 janvier 1983.
171. Une excellente analyse apparaît dans Wang Jing, High Culture Fever : Politics, Aesthetics,
and Ideology in Deng’s China, University of California Press, Berkeley, Californie, 1996.
172. Song Yuehong, « Sixiang jiben yuanze cong tichu dao xieru xi », Guangming ribao,
25 avril 2015.
173. Li Rui, Journal, 18 et 21 mars 1983.
174. « 30,000 Jailed in Clamp on Economic Crime », South China Morning Post, 26 juillet
1983 ; la citation est extraite d’Amanda Bennett, « China Starts New Drive Against Crime »,
Wall Street Journal, 24 août 1983.
175. MAE, 2882TOPO/2913, Claude Martin, « Crime et châtiment », 14 octobre 1983 ;
Amanda Bennett, « China Starts New Drive Against Crime », Wall Street Journal, 24 août 1983.
176. MAE, 2882TOPO/2913, Claude Martin, « Crime et châtiment », 14 octobre 1983 ; on
ignore au juste si le chiffre de 80 000 incluait les 30 000 condamnés pour crimes économiques ;
voir aussi Murray Scot Tanner, « State Coercion and the Balance of Awe : The 1983-1986
« Stern Blows » Anti-Crime Campaign », China Journal, no 44, juillet 2000, pp. 93-125.
177. Deng Xiaoping, « The Party’s Urgent Tasks on the Organisational and Ideological
Fronts », 12 octobre 1983, Œuvres choisies, vol. 3, éditions diverses.
178. Michael Weisskopf, « China Moves to Rescue Itself from Outside “Spiritual Pollution” »,
Washington Post, 2 décembre 1983.
179. Shanghai, B243-3-149, Rapport du Bureau de Shanghai pour l’enseignement supérieur,
31 octobre 1983, pp. 51-54 ; Gansu, 107-5-152, 9 novembre 1983, pp. 93-96 ; Shanghai, A76-4-
271, 31 octobre 1983, pp. 1-6.
180. Christopher Wren, « China’s Prey, “Spiritual Pollution”, Proves Elusive », New York
Times, 20 décembre 1983.
181. MAE, 2882TOPO/2914, « La réforme agricole et l’évolution du monde rural en Chine »,
28 février 1984.
182. Jonathan Mirsky, « Get Rich Quick Is All the Rage in China », Observer, 10 juillet 1983.
183. Keun Lee, « The Chinese Model of the Socialist Enterprise : An Assessment of Its
Organization and Performance », Journal of Comparative Economics, 14, no 3, septembre 1990,
p. 385.
184. Lee, « The Chinese Model of the Socialist Enterprise », p. 386.
185. Wenzhou, J34-32-71, Rapport de la succursale de Wenzhou de la Banque populaire de
Chine, 19 novembre 1983, pp. 181-184 ; Tianjin, X110-1-823, 27 février 1985, pp. 109-111 ;
Tianjin, X95-2-2099, Rapport du ministère du Commerce, 5 janvier 1985, pp. 8-13 ; l’exemple
de Taizhou se trouve dans MAE, 2882TOPO/2936, United States Mission, « Tax Reform in
China’s Provinces », 5 décembre 1983.
186. MAE, 2882TOPO/2936, United States Mission, « Attacking China’s Deficit Enterprises »,
8 décembre 1983.
187. Hubei, SZ69-7-469, Conférence nationale sur la deuxième étape du système fiscal (du
22 juin au 7 juillet 1984), 13 juillet 1984, pp. 9-22.
188. Vogel, Deng Xiaoping, p. 450 ; voir aussi Li Rui, Journal, 21 janvier 1984.
189. Chen Yulu, Guo Qingwang, Zhang Jie, Major Issues and Policies in China’s Financial
Reform, Enrich Professional Publishing, Honolulu, 2016, vol. 3, p. 24.
190. Lee Zinser, « The Performance of China’s Economy », in Joint Economic Committee
(éd.), China’s Economic Dilemmas in the 1990s, US Government Printing Office, Washington,
1991, vol. 1, figures 3 et 4, pp. 112-113.
191. Chen, Guo et al., Major Issues and Policies in China’s Financial Reform, vol. 3, p. 24 ;
également Fonds monétaire international, International Financial Statistics and Wigram Capital
Advisors Limited.
192. C’était le chiffre cité par Wang Renzhong lors de sa rencontre avec Erich Honecker ; il
ajouta que pour les cinq premiers mois de 1985, l’inflation s’établissait à 6 % ; voir BArch,
Berlin, DY 30/2436, Minutes des conversations entre Erich Honecker et Wang Renzhong,
27 juin 1985, pp. 28-34.
193. Hubei, SZ73-6-393, Rapport sur la province du Henan diffusé par la Banque populaire de
Chine, 3 septembre 1985, pp. 78-81 ; Document sur la province de Jilin diffusé par la Banque
populaire de Chine, 29 mai 1985, pp. 23-27.
194. Hubei, SZ73-6-599, 1987, pp. 1-15.
195. Hubei, SZ73-6-599, 1987, pp. 1-15.
196. Hubei, SZ73-6-599, 1987, pp. 47-57 et 21 février 1987, p. 82 ; également Hubei, SZ73-6-
623, 24 décembre 1987, pp. 1-11.
197. Voir aussi Donald Hay, Derek Morris, Guy Liu et Shujie Yao, Economic Reform and State-
Owned Enterprises in China 1979-87, Clarendon Press, Oxford, 1994, p. 178.
198. BArch, Berlin, DY 30/2436, Minutes des conversations entre Erich Honecker et Wang
Renzhong, 27 juin 1985, pp. 28-34.
199. Hubei, SZ73-6-599, 1987, pp. 47-57.
200. Tianjin, X87-2-1673, 26 décembre 1984, pp. 3-9.
201. MAE, 2883TOPO/3791, « L’économie chinoise, vers un réformisme de gauche », 14 mars
1987.
202. Gansu, 116-4-362, 1985, pp. 58-65.
203. Gansu, 128-7-215, Zhao Ziyang aux dirigeants des provinces et des municipalités, 11 avril
1985, pp. 67-76.
204. Tianjin, X110-1-818, 25 novembre 1985, pp. 55-56.
205. Tianjin, X110-1-820, Rapport du Comité économique municipal, 23 août 1985, pp. 107-
116 ; Tianjin, X110-1-804, Rapport du Bureau no 1 de l’industrie légère, juillet 1985, pp. 259-
269.
206. Hubei, SZ1-9-285, 27 novembre 1984, pp. 114-132.
207. Shanghai, B182-3-199, février 1975, pp. 23-4 ; citation de Shanghai, B248-2-1056,
4 février 1977, pp. 3-7.
208. Shanghai, B248-2-810, 11 avril 1975, pp. 6-9.
209. Shanghai, B248-2-1056, 4 février 1977, pp. 3-7.
210. Shanghai, B248-4-219, 19 août 1977, pp. 18-27.
211. Shanghai, B248-4-219, 19 août 1977, pp. 18-27.
212. Shanghai, B102-3-57, 13 décembre 1979, p. 49.
213. Shanghai, B1-9-210, Rapport sur Shenyang, 29 juillet 1980, pp. 25-34.
214. Nanjing, 5003-4-459, 3 mars 1984, pp. 92-103.
215. Shanghai, B123-11-1329, 14 septembre 1985, pp. 166-170 ; l’estimation des colporteurs
non enregistrés est extrapolée à partir d’une enquête sur le nombre total de marchands de fruits ;
voir Shanghai, C47-4-136, 14 mars 1986, p. 22.
216. Wenzhou, J51-30-22, 1er septembre 1980, pp. 252-258.
217. Wenzhou, J34-32-71, 1er juin 1983, pp. 127-131.
218. Wenzhou, J80-16-12, Rapport sur la visite de Zhao Ziyang à Wenzhou, 1er décembre 1985,
pp. 2-10 ; Rapport sur la visite de Hu Qiaomu à Wenzhou, 12 novembre 1986, pp. 39-45.
219. Kate Xiao Zhou et Lynn T. White III, « Quiet Politics and Rural Enterprise in Reform
China », Journal of Developing Areas, 29, no 4, juillet 1995, p. 477.
220. Hubei, SZ80-2-221, 23 septembre 1985, pp. 124-125.
221. C’est arrivé par exemple dans le secteur des services à Shanghai ; voir Shanghai, B1-10-
317, 4 mai 1985, pp. 46-49.
222. Jan Prybyla, « A Systemic Analysis of Prospects for China’s Economy’in Joint Economic
Committee » (éd.), China’s Economic Dilemmas in the 1990s, US Government Printing Office,
Washington, 1991, vol. 1, p. 221.
223. Liu Guoguang, « A Sweet and Sour Decade », Beijing Review, 2-6 janvier. 1989, pp. 22-
29, cité dans Prybyla, « A Systemic Analysis », p. 221.
224. Nanjing, 5020-4-76, 24 septembre 1985, pp. 46-53.
225. Shanghai, B1-10-317, 27 septembre 1985, pp. 56-62.
226. Michael Weisskopf, « Private Squalor and Public Lives », Guardian, 23 février 1985.
227. Susan Young, « Policy, Practice and the Private Sector in China », Australian Journal of
Chinese Affairs, no 21, janvier 1989, pp. 61-62 ; le nombre de personnes employées par les
entreprises de village est mentionné dans MAE, 2883TOPO/3800, 21 décembre 1988.
228. Wenzhou, J34-32-180, Allocution du maire adjoint de Wenzhou, 4 mars 1987, pp. 82 et
85.
229. Terry Cheng, « A Tale of One City’s Rise to Fame », South China Morning Post, 5 juin
1984.
230. Wenzhou, J1-28-51, Conférence sur Guangdong et Fujian, 24 décembre 1980, pp. 43-47 ;
Wenzhou, J87-31-25, Allocution de Chen Yun, 18 janvier 1981, pp. 189-192.
231. Terry Cheng, « A Tale of One City’s Rise to Fame », South China Morning Post, 5 juin
1984.
232. Guangdong, 235-2-242, septembre 1977, pp. 181-188.
233. Guangdong, 229-6-323, 14 mars 1978, pp. 1-31 ; Shanghai, B1-8-3, 24 novembre 1977,
p. 34.
234. Dikötter, Mao’s Great Famine, p. 110.
235. Shanghai, A33-7-141, Rapport sur la Conférence nationale sur le Front uni tenue du
15 août au 3 septembre 1979, 6 novembre 1979, p. 1-12 ; Shanghai, B1-8-130, Conférence sur
les Chinois d’Outre-mer, 15 octobre 1981, pp. 114-119.
236. Shanghai, A33-7-141, Rapport sur la Conférence nationale sur le Front uni tenue du
15 août au 3 septembre 1979, 6 novembre 1979, p. 147 ; MAE, 752INVA/2117, Yves
Rodrigues, « Visite à la municipalité de Shum Chun », 19 juin 1979.
237. Frank Ching, « China Seen Ready to Join Foreign Firms in Ventures in Hong Kong,
Macao, China », Wall Street Journal, 31 août 1979.
238. Guangdong, 235-2-286, Résolution du Conseil des Affaires de l’État, 1er septembre 1978,
p. 46.
239. Frank Ching, « Problems Hobble China Joint Venture », Wall Street Journal, 31 août 1979.
240. Barry Kramer, « Harpers International, China to Establish Vehicle Assembly Plant near
Hong Kong », Wall Street Journal, 13 février 1979 ; MAE, 752INVA/2117, Yves Rodrigues,
« Visite à la municipalité de Shum Chun », 19 juin 1979.
241. Guangdong, 253-2-332, Rapport du Bureau spécial pour Zhuhai et Bao’an, 20 octobre
1978, pp. 102-109.
242. « Where a Different Kind of War Is Being Fought », South China Morning Post, 19 août
1979.
243. Reardon, The Reluctant Dragon, pp. 207-208.
244. MAE, 2882TOPO/2938, « Performances économiques et commerciales de la Chine en
1985 », 5 mai 1986, pp. 30-32 ; Shanghai, B1-9-1481, 28 avril 1984, pp. 1-6.
245. PRO, FCO 21/3738, « China’s Trade and Economic Relations », 1987 ; l’estimation d’un
milliard de dollars par an se trouve dans MAE, 2882TOPO/2938, « Nuages sur les zones
économiques spéciales ? », 11 juillet 1985 ; MAE, 2882TOPO/2938, « Performances
économiques et commerciales de la Chine en 1985 », 5 mai 1986, pp. 30-32.
246. Wenzhou, J153-1-27, Discours de Zhao Ziyang à la Conférence du Conseil des Affaires de
l’État sur la Quatrième Révolution industrielle, 9 octobre 1983, pp. 14-23.
247. Wenzhou, J153-1-27, Ma Hong, « On a Development Strategy for Our Country », non
daté, pp. 29-39 ; MAE, 2882TOPO/2914, Hervé Ladsous, « La Chine et le choc du futur »,
22 mars 1984.
248. Shanghai, A33-6-247, Conférence sur les villes côtières, 16 avril 1984, pp. 17-18 ; MAE,
2882TOPO/2938, « Nuages sur les zones économiques spéciales ? », 11 juillet 1985, estimait la
production de Beijing à un milliard de yuans par an.
249. Reardon, The Reluctant Dragon, p. 199.
250. Shanghai, A33-6-247, Conférence sur les villes côtières, 16 avril 1984, p. 19.
251. Shanghai, B76-5-824, 25 février 1983, pp. 28-31.
252. Shanghai, Note sur des sujets spéciaux, B76-5-433, 18 mars 1982,
pp. 4-8.
253. David S. Bennahum, « Heart of Darkness », Wired, 11 janvier 1997.
254. Shanghai, B103-4-1238, 4 octobre 1980, pp. 19-22 ; Shanghai, B1-8-94, 15 novembre
1980, p. 65.
255. Shanghai, B43-1-70, octobre 1982, pp. 55-57.
256. Tianjin, X172-2-2292, juillet 1985, pp. 32-42.
257. Shanghai, B76-5-433, Directive de l’Administration sur la Protection des secrets d’État,
25 mai 1982, pp. 12-19 ; sur la structure précise de cette institution, voir Chen Yongxi,
« Circumventing Transparency : Extra-Legal Exemptions from Freedom of Information and
Judicial Review in China », Journal of International Media & Entertainment Law, 2018, 7, no 2,
p. 213.
258. Shanghai, B1-10-62, Instructions du Comité de Shanghai sur la protection des secrets
d’État, 20 octobre 1985, pp. 55-56.
259. MAE, 2882TOPO/2927, École nationale des ponts et chaussées, « Un voyage en Chine »,
1er décembre 1986.
260. MAE, 2882TOPO/2937, Charles Malo, « Réforme des structures du commerce extérieur
chinois », 20 septembre 1984 ; MAE, 2882TOPO/2938, François Gipouloux, « Les réserves en
devises de la Chine », 25 octobre 1985.
261. Gansu, 128-7-215, Zhao Ziyang aux dirigeants de des Provinces et des Municipalités,
11 avril 1985, pp. 67-76.
262. MAE, 2882TOPO/2938, François Gipouloux, « Les réserves en devises de la Chine »,
25 octobre 1985 ; voir aussi Fonds monétaire international, International Financial Statistics and
Wigram Capital Advisors Limited.
263. John Burns, « Scandal Blights Hainan Hope », New York Times, 12 novembre 1985.
264. Le chiffre de 3,20 yuans contre un dollar a été communiqué par Yao Yilin ; voir Shanghai,
A76-4-351, Documents sur le deuxième plénum, Réactions à l’allocution de Yao Yilin à la
Conférence de travail nationale sur l’économie, 6 octobre 1983, pp. 56-59.
265. Shanghai, B1-9-1505, 17 mars 1984, pp. 59-65.
266. Lin et Schramm, « China’s Foreign Exchange Policies since 1979 », pp. 254-256.
267. Tianjin, X78-3-2551, 18 janvier 1985, p. 38.
268. Shanghai, B1-10-282, 24 juin 1985, pp. 2-5 ; Shanghai, B1-10-62, Rapport sur le
Commerce extérieur, 9 août 1985, pp. 75-81.
269. Cui, « China’s Export Tax Rebate Policy », p. 340 ; sur 1959, voir tableau XXIV, Division
statistique des Nations unies, Statistiques internationales sur le commerce, 1900-1960, 1962.
270. Wang Hong, China’s Exports since 1979, p. 145.
271. Louis Kraar, « A Little Touch of Capitalism », Fortune, 107, no 8, 18 avril 1983, p. 125.
272. Margaret Thatcher Foundation, PREM 19/789, « Mr Heath’s Call on Deng Xiaoping »,
« Telno 202 », 6 avril 1982.
273. Margaret Thatcher Foundation, PREM 19/789, « Call on the Prime Minister by Lord
Maclehose », 23 juillet 1982.
274. Margaret Thatcher Foundation, PREM 19/790, « Record of a Meeting Between the Prime
Minister and Premier Zhao Ziyang », 23 septembre 1982.
275. Margaret Thatcher Foundation, PREM 19/790, « Record of a Meeting Between the Prime
Minister and Vice Chairman Deng Xiaoping », 24 septembre 1982.
276. Margaret Thatcher Foundation, PREM 19/790, « Record of a Meeting Between the Prime
Minister and Officials of the Executive Council of Hong Kong », 26 septembre 1982.
277. Margaret Thatcher Foundation, PREM 19/788, « Hong Kong : Sir Y.K. Pao »,
28 septembre 1982.
278. Margaret Thatcher Foundation, PREM 19/1059, « Chinese Remarks », 7 novembre 1982.
279. Margaret Thatcher Foundation, PREM 19/1057, « Future of Hong Kong : Second Phase,
Round Four », 22 septembre 1983.
280. Margaret Thatcher Foundation, PREM 19/1058, « Future of Hong Kong », 21 octobre
1983.
281. Deng Xiaoping, « China Will Always Keep Its Promises », 19 décembre 1984, Selected
Works of Deng Xiaoping, vol. 3, éditions diverses.
282. MAE, 2882TOPO/2914, Charles Malo, « Le triomphe de Deng Xiaoping », 2 octobre
1984 ; Deng Xiaoping, « Speech at the Ceremony Celebrating the 35th Anniversary of the
Founding of the People’s Republic of China », 1er octobre 1984, Selected Works of Deng
Xiaoping wenxuan, vol. 3, éditions diverses.

Notes du chapitre 4
283. Mao Zedong, « Combat Liberalism », 7 septembre 1937, Selected Works of Mao Tse-tung,
vol. 2, p. 32.
284. Hoover Institution, Hongda Harry Wu Collection, Boîte 1, Deng Xiaoping, Allocution sur
les tâches urgentes du Parti sur les fronts organisationnel et idéologique, 12 octobre 1983.
285. Ronald Reagan Library, Secrétariat exécutif : Dossier de pays – Chine, Boîte 6-7, Chas
Freeman, « Situation Message », 31 août 1981.
286. Mao Min, The Revival of China, Kindle Direct Publishing, 2017, vol. 3, p. 421.
287. Mao Min, The Revival of China, vol. 3, p. 421 ; MAE, 2882TOPO/2915, « Discours de Hu
Yaobang sur la propagande », 16 avril 1985 ; voir aussi Vogel, Deng Xiaoping, p. 566.
288. Mao Min, The Revival of China, vol. 3, p. 422 ; Li Rui, Journal, 15 et 20 décembre 1995.
289. Li Rui, Journal, 20 et 24 décembre 1995.
290. Zhao Ziyang, Prisoner of the State, Simon & Schuster, New York, 2, pp. 192-193 ; voir
aussi David Bachman, « Institutions, Factions, Conservatism, and Leadership Change in China :
The Case of Hu Yaobang », in Ray Taras (éd.), Leadership Change in Communist States, Unwin
Hyman, Boston, 1989, p. 95.
291. Li Rui, Journal, 29 novembre 1998.
292. John F. Burns, « 1,000 Peking Students March in Resentment Against Japan », New York
Times, 19 septembre 1985.
293. Hubei, SZ118-9-195, Rapport sur les troubles estudiantins, avec des interventions de Li
Peng et Hu Qili, février 1986, pp. 25-33 ; John F. Burns, « Students in Peking Renew Protests
against Japan », New York Times, 21 novembre 1985.
294. Hubei, SZ1-9-488, Allocution sur les manifestations étudiantes par Hu Qili, 4 octobre
1985.
295. PRO 21/3305, « Student Unrest in China », 19 mars 1986.
296. Tianjin, X41-1-721, Document du parti sur les objectifs du plan quinquennal, suivie d’une
allocution de Zhao Ziyang, 18 et 23 septembre 1985, pp. 133 et 196-197.
297. Instructions de Deng Xiaoping au Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire,
Li Rui, Journal, 24 janvier 1986.
298. Liang Heng et Judith Shapiro, « China, the Year – and Claws – of the Tiger », New York
Times, 8 mars 1986 ; « 2 Sentenced to Death in China Crackdown », Boston Globe, 22 janvier
1986.
299. Hoover Institution, Hongda Harry Wu Collection, Box 3, Rapport de Gu Qiliang à la
Conférence nationale de travail sur le Laogai et le Laojiao, 17 juin 1986.
300. « More Flak at Western “Pollution” », South China Morning Post, 20 mars 1986 ; Daniel
Southerland, « Popular Singer Is Banned in China », Washington Post, 23 novembre 1985.
301. PRO, FCO 21/1800, Christopher O. Hum, « Election Fever », 22 octobre 1980.
302. « China Tries to Muzzle Students Demanding More Democratic Government », Ottawa
Citizen, 15 décembre 1986 ; Julia Kwong, « The 1986 Student Demonstrations in China : A
Democratic Movement ? », Asian Survey, 28, no 9, septembre 1988, p. 973.
303. Scott Savitt, Crashing the Party : An American Reporter in China, Soft Skull Press,
Berkeley, CA, 2016, p. 106 ; également PRO, FCO 21/3308, Rapports confidentiels de Richard
Evans, 23, 24, 29 et 31 décembre 1986.
304. « Zhenxi he fazhan anding tuanjie de zhengzhi jumian » (Entretenir et développer la
stabilité et l’unité politiques), Renmin ribao, 23 décembre 1986.
305. Wenzhou, J201-5-70, Directive à toutes les Provinces émise par le Comité central,
24 décembre 1986, pp. 151-153.
306. « Zhengzhi tizhi gaige zhi neng zai dang de lingdao xia jinxing » (La réforme du système
politique ne peut être menée que sous l’égide du parti), Renmin ribao, 25 décembre 1986.
307. Kwong, « The 1986 Student Demonstrations in China », p. 972.
308. Li Rui, Journal, 26 décembre 1986.
309. Li Rui, Journal, 30 décembre 1986.
310. « Main Points of Deng Xiaoping’s Speech on the Current Problem of Student
Disturbance », 30 décembre 1986, traduit en chinois dans Chinese Law and Government, 21,
no 1, printemps 1988, pp. 18-21 ; voir aussi Li Rui, Journal, 3 janvier 1987.
311. Zheng Zhongbing, Hu Yaobang nianpu ziliao changbian (Chronologie de la vie de Hu
Yaobang), Shidai guoji chubanshe youxian gongsi, Hong Kong, 2005, vol. 2, pp. 1183-1185.
312. L’accusation fut évoquée dans le Document no 8 du Comité central, selon Li Rui ; voir Li
Rui, Journal, 19 avril 1989 ; également « New Offensive from the Left », Asiaweek, 19 avril
1987, pp. 28-29, et Lu Keng, Lu Keng huiyi yu chanhuilu (Mémoires et confessions de Lu
Keng), Shibao wenhua chuban qiye youxian gongsi, Taipei, 1997, p. 205.
313. Li Rui, Journal, 19 juillet 1987.
314. Li Rui, Journal, 29 mars 1987.
315. Les nombreuses violations qu’a subies la constitution du parti au cours de la procédure qui
mena à la démission de Hu Yaobang sont abordées dans Yang, Hu Yao-Bang, pp. 155-158 ; voir
aussi Lowell Dittmer, « China in 1989 : The Crisis of Incomplete Reform », Asian Survey, 30,
no 1, janvier 1990, pp. 25-41.
316. Andrew Nathan, Perry Link et Liang Zhang (éd.), The Tiananmen Papers : The Chinese
Leadership’s Decision to Use Force against Their Own People, Little, Brown, Londres, 2002,
p. xxxv ; excepté pour l’introduction, je ne me suis plus appuyé sur les Tiananmen Papers, car
l’authenticité de certains de ces documents reste douteuse.
317. László Ladány, « China’s Communist Old Guard Are Still in Command », Far Eastern
Economic Review, 17 décembre 1987.
318. Savitt, Crashing the Party, p. 117.
319. Julian Baum, « Peking Propagandists Bring Back Their “60s Hero” », Christian Science
Monitor, 6 mars 1987 ; Marlowe Hood, « Tarnished Myth of Socialism’s “Rustless Screw” »,
South China Morning Post, 8 mars 1987.
320. Hoover Institution, « Zhongguo Gong Chan Dang Issuances », Boîte 1, Directive du
ministère de la Propagande, 9 janvier 1987 ; sur Liu Xiaobo en 1986, voir Geremie Barmé,
« Confession, Redemption, and Death : Liu Xiaobo and the Protest Movement of 1989 », in
George Hicks (éd.), The Broken Mirror : China After Tiananmen, Longman, Londres, 1990,
pp. 52-99.
321. PRO, FCO 21/3738, « China’s External Economic Relations », octobre 1987.
322. BArch, Berlin, DY 30/2437, Minutes de la rencontre entre Erich Honecker et Zhao
Ziyang, 8 juin 1987, pp. 10-20.
323. PRO, FCO 21/3738, « China’s External Economic Relations », octobre 1987.
324. Chen, Guo et al., Major Issues and Policies in China’s Financial Reform, vol. 3, p. 26.
325. PRO, FCO 21/3738, Peter Wood, « Economic Policy After the Congress », 24 novembre
1987.
326. PRO, FCO 21/3738, Peter Wood, « Déjà vu : Overheating in the Chinese Economy »,
5 novembre 1987.
327. Thomas M. H. Chan, « China’s Price Reform in the Period of Economic Reform »,
Australian Journal of Chinese Affairs, no 18, juillet 1987, pp. 85-108.
328. Shanghai, B1-10-409, Rapport de Ye Gongqi, 14 septembre 1985, pp. 117-21 ; Rapport sur
la Conférence nationale sur le contrôle des prix, 13 août 1985, pp. 122-125 ; voir aussi
Shanghai, B1-10-40, Directives du Bureau d’État des prix, 23 juillet 1985, pp. 2-7.
329. Tianjin, X81-1-700, juin 1985, pp. 121-130 ; X81-1-663, 21 mai 1984, pp. 25-27.
330. Shanghai, B1-10-409, Rapport de Ye Gongqi, 14 septembre 1985, pp. 117-121.
331. PRO, FCO 21/3738, Peter Wood, « Bread and Circuses », 3 septembre 1987.
332. PRO, FCO 21/3738, Peter Wood, « Bread and Circuses », 3 septembre 1987.
333. Marlowe Hood, « Deng’s Burden », South China Morning Post, 15 octobre 1988.
334. MAE, 2883/TOPO3772, Gérard Chesnel, « Le protectionnisme provincial en Chine »,
29 novembre 1990.
335. PRO, FCO 21/3736, Charles Parton, « Investment », 26 mars 1987.
336. PRO, FCO 21/3739, Peter Wood, « China : Economy », 7 décembre 1987 ; voir aussi
Fonds monétaire international, International Financial Statistics and Wigram Capital Advisors
Limited.
337. Hubei, SZ273-6-618, Rapport de la succursale du Hubei de la Banque de Chine, 9 avril
1987, pp. 30-38.
338. PRO, FCO 21/4002, Peter Wood, « The Right Price », 27 janvier 1988.
339. « Rationing of Pork and Sugar in Beijing », South China Morning Post, 2 décembre 1987.
340. MAE, 2883TOPO/3791, « Les difficultés de la réforme économique en Chine »,
1er décembre 1988.
341. MAE, 2883TOPO/3791, « Les difficultés de la réforme économique en Chine »,
1er décembre 1988.
342. Hubei, SZ69-8-339, Discours de Xiang Huaicheng à la Conférence nationale sur la
maîtrise de la dépense sociale, 6 avril 1988, pp. 28-44.
343. Hubei, SZ69-8-339, Allocution de Zhao Ziyang, Compte-rendu à la Conférence nationale
sur la maîtrise de la dépense sociale, 6 avril 1988, pp. 28-44.
344. « Protest Action on the Increase by Students », South China Morning Post, 30 août 1988.
345. Ruan, Deng Xiaoping, p. 197.
346. Ruan, Deng Xiaoping, p. 192.
347. Li Rui, Journal, 24 avril 1989.
348. « Women de xiwang jiu zai zheili » (C’est là que réside notre espoir), Renmin ribao,
19 août 1988.
349. « Panic Buying Prompts Run on Banks in China », Chicago Tribune, 2 septembre 1988 ;
Wenzhou, J202-8-117, 8 septembre 1988, pp. 66-67.
350. Wenzhou, J202-8-117, 30 septembre et 11 octobre 1988, pp. 114-115 et 118-119.
351. « Panic Buying Prompts Run on Banks in China », Chicago Tribune, 2 septembre 1988 ;
Wenzhou, J202-8-117, 8 septembre 1988, pp. 66-67 ; Robin Pauley, « Inflation Wounds China’s
Reformers », South China Morning Post, 21 septembre 1988.
352. Li Rui, Journal, 23 août 1988.
353. Wenzhou, J202-8-117, 30 septembre et 11 octobre 1988, pp. 114-115 et 118-119.
354. Larry Jagan, « Industrial Unrest Plagues China », Guardian, 26 août 1988.
355. Chen, Guo et al., Major Issues and Policies in China’s Financial Reform, vol. 3, p. 26.
356. Hubei, SZ43-7-433, Directive du Conseil des Affaires de l’État sur la discipline
économique, 4 octobre 1988, pp. 59-63.
357. MAE, 2883TOPI/3800, OECD, Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et des
Activités piscicoles, « Some Comments on the Grain Crisis in China », 30 octobre 1989 ; la
citation de Zhao Ziyang se trouve dans Hubei, SZ1-9-332, Conférence nationale sur
l’agriculture, 21 décembre 1984, pp. 25-29.
358. MfAA, ZR 2629/90, Bernd Jordan, Rapport sur les problèmes économiques et sociaux
dans l’agriculture, 27 février 1986.
359. MAE, 2883TOPI/3800, OECD, Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et des
Activités piscicoles, « Some Comments on the Grain Crisis in China », 30 octobre 1989.
360. MfAA, ZR 2629/90, Bernd Jordan, Rapport sur les problèmes économiques et sociaux
dans l’agriculture, 27 février 1986 ; Gansu, 216-4-256, Minutes de la Conférence sur le travail
rural, 18 décembre 1985, pp. 49-68 ; l’aspect obligatoire du nouveau système fut établi
clairement par l’État en 1986 ; voir PRO, FCO 21/3387, Charles Parton, « Agriculture :
Contracts Are a National Duty », 18 juin 1986.
361. PRO, FCO 21/3736, Charles Parton, « The Rural Sector in 1986 », 18 juin 1986.
362. MAE, 2883TOPI/3800, OECD, Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et des
Activités piscicoles, « Some Comments on the Grain Crisis in China », 30 octobre 1989.
363. Hubei, SZ68-4-362, 26 octobre 1988, pp. 48-78 ; également le 27 octobre 1988, pp. 165-
209 ; sur le comté de Yueqing, voir Wenzhou, J34-32-224, 5 janvier 1989, pp. 95-101 ; la
question des billets à ordre est abordée d’experte manière dans D. Gale Johnson, « The People’s
Republic of China 1978-90 », Country Studies, no 8, International Centre for Economic Growth,
ICS Press, San Francisco, 1990, pp. 1-14.
364. Hubei, SZ108-6-271, Conférence nationale sur l’agriculture, 14 novembre 1988, pp. 43-
51.
365. Gansu, 128-8-236, 28 décembre 1988, pp. 56-61, suivi de 128-8-389, 3 avril 1989, pp. 1-
10.
366. Zhu Rongji, On the Record : The Shanghai Years, 1987-1991, Brookings Institution Press,
Washington, 2018, pp. 240-246 ; Zinser, « The Performance of China’s Economy », pp. 102-
118.
367. Le Hubei en constitue un exemple, SZ43-7-462, Document sur l’esprit du troisième
plénum du Treizième Congrès, 11 novembre 1988, pp. 56-62.
368. PRO, FCO 21/4251, Peter Wood, « China : Pre NPC Economic Situation », 9 mars 1989.
369. Hubei, SZ108-6-271, Conférence nationale sur l’agriculture, 14 novembre 1988, pp. 43-
51 ; une estimation du nombre de chantiers suspendus se trouve dans Lee Zinser, « The
Performance of China’s Economy », p. 109 ; le chiffre de 50 millions figure dans MAE,
2883TOPO/3800, « Évolution de l’emploi en Chine », 9 mars 1989.
370. FCO 21/4192, « NPC Meeting : Comment », 5 avril 1989.
371. Savitt, Crashing the Party, p. 157.
372. Savitt, Crashing the Party, p. 157.
373. Savitt, Crashing the Party, p. 155.
374. Savitt, Crashing the Party ; « China Slaps Ban on Video Tapes of Controversial TV
Series », South China Morning Post, 9 octobre 1988 ; le terme « bazooka » est mentionné dans
Ruan, Deng Xiaoping, p. 27.
375. Savitt, Crashing the Party, p. 157.
376. Zhao Ziyang, « Yanzhe you Zhongguo tese de shehuizhuyi daolu qianjin » (Progression
sur la route du socialisme à la chinoise), Renmin ribao, 4 novembre 1987.
377. Ren Wanding, « Beijing Must Bring Out the Ballot Boxes », South China Morning Post,
29 novembre 1988 ; voir aussi Savitt, Crashing the Party, p. 167.
378. Roderick MacFarquhar (éd.), The Politics of China, Cambridge University Press,
Cambridge, p. 433 ; « Graft “at Worst level in Forty Years” », South China Morning Post,
24 janvier 1989.
379. Marlowe Hood, « Growing Internal Disquiet Again Focuses on Outsiders », South China
Morning Post, 11 décembre 1988.
380. Frank Dikötter et Olivier Richard, Récit de témoin conjoint, 26 mai 1986, collection de
l’auteur.
381. Tim Luard, « China Wrestles with Student Racial Unrest », Christian Science Monitor,
28 décembre 1988 ; « China Racial Unrest Moves to Beijing », Los Angeles Times, 3 janvier
1989.
382. Wenzhou, J201-8-47, Conférence nationale sur le travail juridique et politique, 19 janvier
1989, pp. 2-20.

Notes du chapitre 5
383. FCO 21/3951, Peter Clark, « Street Level China », décembre 1988.
384. Kate Phillips, « Springtime in Tiananmen Square, 1989 », Atlantic, mai 2014.
385. FCO 21/3951, Peter Clark, « Street Level China », décembre 1988 ; Ann Scott Tyson,
« China Sit-In Spotlights Education », Christian Science Monitor, 11 avril 1988.
386. FCO 21/3951, Peter Clark, « Street Level China », décembre 1988.
387. FCO 21/4251, Peter Clark, « China Economy », 2 février 1989 ; Uli Schmetzer, « Chinese
Greet New Year with Old Traditions », Chicago Tribune, 6 février 1989.
388. « Subdued Welcome for the Year of the Snake », South China Morning Post, 8 février
1989.
389. Richard M. Nixon, 1999 : Victory Without War, Simon & Schuster, New York, 1988,
p. 251 ; 1999. Victoire sans guerre, p. 309 ; Ergo press, 1989, Issy-les-Moulineaux.
390. Voir l’explication et la chronologie officielles des événements qui conduisirent au Quatre
Juin, consignés au nom du parti par le maire de Beijing pour l’Assemblée nationale populaire,
Chen Xitong, « Guanyu zhizhi dongluan he pingxi fan geming baoluan de jueyi », 6 juillet
1989, Guowuyuan gongbao, 1989, no 11, 18 juillet 1989, pp. 454-455.
391. Fang Lizhi, « China’s Despair and China’s Hope », New York Review of Books, 2 février
1989 ; Wenzhou, J201-8-46, Circulaire du Bureau du Comité central, 23 février 1989, pp. 174-
176.
392. L’épisode entier est reconstitué de main de maître dans Mann, About Face, pp. 176-179.
393. Seth Faison et Marlowe Hood, « Keep Out of Our Affairs, Zhao Warns », South China
Morning Post, 27 février 1989.
394. Ruan, Deng Xiaoping, p. 203.
395. Li Rui, Journal, 15 mars 1989 ; voir aussi Ruan, Deng Xiaoping, p. 209.
396. Nicholas Kristof, « Power War, Chinese Way », New York Times, 23 mars 1989.
397. Li Rui, Journal, 18 mars et 15 avril 1989.
398. MAE, 2883/TOPO3772, Charles Malo, « Disparition de Hu Yaobang », 17 avril 1989.
399. MAE, 2883/TOPO3772, Charles Malo, « Après la mort de Hu Yaobang », 18 avril 1989 ;
« Agitation étudiante », 19 avril 1989 ; les bouteilles en verre sont mentionnées dans Savitt,
Crashing the Party, p. 183.
400. Wenzhou, J201-8-47, Directives du Bureau de la sécurité publique, 18 avril 1989, pp. 58-
61.
401. MAE, 2883/TOPO3772, Charles Malo, « Agitation étudiante », 19 avril 1989 ; voir aussi
Wenzhou, J201-8-47, Li Ximing, « Guanyu Beijing xuechao qingkuang de tongbao » (Rapport
sur les circonstances du mouvement étudiant à Beijing), 19 mai 1989, pp. 66-81 ; une traduction
fiable est parue sous l’intitulé « Internal Speech of Li Ximing, Secretary of the Beijing
Municipal Party Committee, May 20 1989 », Chinese Law and Government, 23, no 1, printemps
1990, p. 58 ; Eddie Cheng, Standoff at Tiananmen, Sensys Corp., Highlands Ranch, Colorado,
2009, pp. 74-75.
402. MAE, 2883/TOPO3772, Charles Malo, « Poursuite de l’agitation étudiante », 21 avril
1989 ; Kate Phillips, « Springtime in Tiananmen Square, 1989 », Atlantic, 29 mai 2014 ; Cheng,
Standoff at Tiananmen, pp. 76-77 ; David Holley, « Thousands Join Beijing March for
Democracy », Los Angeles Times, 22 avril 1989.
403. MAE, 2883/TOPO3772, Charles Malo, « Funérailles de Hu Yaobang et agitation sociale »,
24 avril 1989 ; voir aussi Gansu, 128-8-344, Rapport de Mu Yongji, gouverneur adjoint de la
province, 14 juillet 1989, pp. 37-50.
404. Li Peng, Journal, 21-22 avril 1989 ; Jonathan Mirsky, « People Power », Observer,
23 avril 1989.
405. Jonathan Mirsky, « People Power », Observer, 23 avril 1989.
406. « Zhao Ziyang zong shuji zai Hu Yaobang tongzhi zhuidaohui shang zhi daoci »,
Guowuyuan gongbao, 13 mai 1989, pp. 293-296 ; « Can China Find Its Gorbachev ? »,
Guardian, 24 avril 1989 ; la décision de ne pas lui conférer le titre de « grand marxiste » fut
prise la veille ; voir Li Peng, Journal, 21 avril 1989, et voir aussi Li Rui, Journal, 21 avril 1989 ;
sur les différents titres et rangs conférés lors des funérailles, voir Wen-hsuan Tsai, « Framing the
Funeral : Death Rituals of Chinese Communist Party Leaders », China Journal, no 77,
janvier 2017, pp. 51-71 ; l’éloge funèbre fut aussi publié dans Le Quotidien du Peuple, le
22 avril.
407. Li Rui, Journal, 27 avril 1989.
408. Li Peng, Journal, 22 avril 1989.
409. « Chinese Bid Adieu to Hu Yaobang », Times of India, 23 avril 1989.
410. MAE, 2883/TOPO3772, Charles Malo, « Funérailles de Hu Yaobang et agitation sociale »,
24 avril 1989 ; Uli Schmetzer, « Chinese Riots Leave Trail of Looting, Damage », Chicago
Tribune, 24 avril 1989 ; Seth Faison, « Students Fear Backlash after Riots in Two Cities », South
China Morning Post, 24 avril 1989 ; télégramme du secrétaire du parti mentionné dans Li Peng,
Journal, 22 avril 1989.
411. Li Peng, Journal, 23 avril 1989.
412. Chen Xitong, « Guanyu zhizhi dongluan he pingxi fangeming baoluan de qingkuang
baogao » (Rapport sur la répression des troubles contre-révolutionnaires), Zhonghua renmin
gongheguo guowuyuan gongbao, 11, no 592, 18 juillet 1989, pp. 453-476 ; Li Peng, Journal,
24 avril 1989 ; Li Rui, Journal, 24 avril 1989 ; sur les équipes d’étudiants, voir aussi MAE,
2883TOPO/3772, Charles Malo, « Mouvement étudiant », 26 avril 1989 ; volontaires
mentionnés dans Cheng, Standoff at Tiananmen, p. 119.
413. Les propos de Deng Xiaoping furent largement diffusés ; une traduction est parue dans le
South China Morning Post, reproduite dans Michael Oksenberg, Lawrence R. Sullivan et Marc
Lambert (éd.), Beijing Spring, 1989 : Confrontation and Conflict. The Basic Documents,
Routledge, Londres, 1990, pp. 203-204 ; ma citation se fonde sur Chen, « Guanyu zhizhi
dongluan », p. 460.
414. MAE, 2883TOPO/3772, Charles Malo, « Mouvement étudiant », 26 avril 1989 ; l’éditorial
a été traduit dans Oksenberg, Beijing Spring, doc. 25, bien que ma formulation soit légèrement
différente.
415. MAE, 2883TOPO/3773, « Mouvement étudiant », 28 avril 1989 ; voir aussi Li Rui,
Journal, 28 avril 1989 ; Cheng, Standoff at Tiananmen Square, pp. 111-113.
416. MAE, 2883TOPO/3773, « Mouvement étudiant », 28 avril 1989 ; Zhao Ziyang notait le
mécontentement de Deng dans ses mémoires ; voir Zhao, Prisoner of the State, p. 46.
417. Oksenberg, Beijing Spring, p. 217 ; voir aussi Cheng, Standoff at Tiananmen, pp. 117-118.
418. Cheng, Standoff at Tiananmen Square, pp. 117-118 ; « Workers Urged to Support
Stability », South China Morning Post, 2 mai 1989.
419. Daniel Southerland, « Students Planning New Protest », Washington Post, 30 avril 1989.
420. Chen, « Guanyu zhizhi dongluan », p. 461.
421. Li Rui, Journal, 22 avril 1989, rapportant une réunion d’intellectuels à l’esprit réformateur
au Palais des Sciences qui eut lieu dans la soirée du 22 avril ; Li Peng, Journal, 30 avril 1989.
422. Li Peng, Journal, 1er mai 1989 ; Li Rui, Conversation avec Qin Chuan, Journal, 6 mai
1989 ; Zhao, Prisoner of the State, pp. 18-19.
423. Li Peng, Journal, 3 mai 1989.
424. Li Rui, Journal, notes de la réunion du Palais des Sciences, 3 mai 1989.
425. Li Peng, Journal, 4 mai 1989 ; voir aussi Oksenberg, Beijing Spring, pp. 251-252.
426. MAE, 2883TOPO/3773, Charles Malo, « 70e anniversaire du mouvement du 4 Mai »,
5 mai 1989 ; « Conciliatory Words after the Marches », South China Morning Post, 5 mai 1989.
427. Voir l’analyse de premier ordre de Kate Wright, « The Political Fortunes of Shanghai’s
World Economic Herald », Australian Journal of Chinese Affairs, no 23, janvier 1990, pp. 121-
132.
428. Chen, « Guanyu zhizhi dongluan », p. 462 ; voir aussi Li Peng, Journal, 5 mai 1989 ;
« Zhao Ziyang fenxi dangqian guonei xingshi » (Zhao Ziyang analyse la situation intérieure),
Renmin ribao, 4 mai 1989.
429. « China Students Show Restraint », Guardian, 8 mai 1989.
430. Chen, « Guanyu zhizhi dongluan », p. 465.
431. Cheng, Standoff at Tiananmen, p. 126.
432. Seth Faison, « 10,000 Cyclists in Beijing Demand More Press Freedom », South China
Morning Post, 11 mai 1989.
433. Li Rui, Journal, 7 mai 1989.
434. Chen, « Guanyu zhizhi dongluan », p. 462.
435. Cheng, Standoff at Tiananmen, pp. 130-131.
436. Dikötter, The Cultural Revolution, p. 65.
437. Cheng, Standoff at Tiananmen, p. 74.
438. Cheng, Standoff at Tiananmen, pp. 132-135 ; « 3,500 Students Go on Hunger Strike in
China », Chicago Tribune, 14 mai 1989 ; « Huyushu » (Appel) in Huo yu xue zhi zhenxiang :
Zhongguo dalu minzhu yundong jishi (La vérité sur le feu et le sang : un récit véridique du
mouvment pour la démocratie en Chine continentale), Zhonggong yanjiu zazhi she, Taipei,
1989, section 4, p. 22 ; voir aussi Chen, « Guanyu zhizhi dongluan », p. 465.
439. Li, « Internal Speech of Li Ximing », p. 64.
440. Peter Gumbel et Adi Ignatius, « Widening Demonstrations Disrupt Historic Chinese-
Soviet Meeting », Wall Street Journal, 16 mai 1989 ; Cheng, Standoff at Tiananmen, pp. 181-
183.
441. Voir par exemple Seth Faison, « China and USSR Normalize Ties », 17 mai 1989 ; la
citation est extraite de PRO, FCO 21/4193, « Activities of Chinese Leadership », juin 1989 ;
voir aussi Li Peng, Journal, 16 mai 1989 ; Zhao, Prisoner of the State, p. 47.
442. Cheng, Standoff at Tiananmen, p. 179 ; le texte se trouve dans « 5.17 xuanyan »
(Déclaration du 17 mai), Huo yu xue zhi zhenxiang, 4e partie, pp. 14-15.
443. Li Peng, Journal, 16 mai 1989.
444. Li Peng, Journal, 17 mai 1989 ; voir aussi Zhao, Prisoner of the State, pp. 27-29.
445. Nicholas Kristof, « Chinese Premier Issues a Warning to the Protesters », New York Times,
19 mai 1989 ; voir aussi Oksenberg, Beijing Spring, p. 268.
446. PRO, FCO 21/4193, « Beijing Troubles », 23 mai 1989 ; « China’s Premier Takes Hard
Line », San Francisco Chronicle, 18 mai 1989 ; Nicholas Kristof, « Chinese Premier Issues a
Warning to the Protesters », New York Times, 19 mai 1989.
447. PRO, FCO 21/4197, A. N. R. Millington, « China : Student Demonstrations », 30 mai
1989 ; Li Rui, Journal, 22 mai 1989.
448. Li Rui, Journal, 18 mai 1989 ; Wenzhou, J201-8-47, Li Zemin, secrétaire provincial du
parti, allocution au Comité provincial du parti, 9 septembre 1989, pp. 100-103 ; Tiananmen
Papers, p. 284.
449. Wenzhou, J201-8-47, Rapport de Li Zemin, secrétaire provincial du parti, 9 septembre
1989, pp. 88-121, Gansu, 128-8-344, Rapport de Mu Yongji, gouverneur adjoint de la province,
14 juillet 1989, pp. 37-50.
450. PRO, FCO 21/4199, « Disturbances in Xinjiang Autonomous Region », 21 mai 1989.
451. Oksenberg, Beijing Spring, p. 313.
452. Li Rui, Journal, 20 mai 1989.
453. Ces chiffres précis émanent de PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing »,
3 juillet 1989 ; Li Peng, Journal, 20 mai 1989.
454. « People Search for Truth », South China Morning Post, 24 mai 1989 ; Cheng, Standoff at
Tiananmen, p. 201 ; PRO, FCO 21/4199, « China : Student Demonstrations », 25 mai 1989.
455. « Demonstrations Growing in South China Cities », Los Angeles Times, 24 mai 1989 ;
MAE, 2883TOPO/3773, « Situation à Shanghai », 23 et 24 mai 1989 ; « Clampdown on Protests
in Wuhan », South China Morning Post, 23 mai 1989 ; pour Lanzhou voir Gansu, 128-8-344,
Rapport de Mu Yongji, 14 juillet 1989, pp. 37-50.
456. Cette concentration de forces est évoquée dans PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in
Beijing », 3 juillet 1989 ; les commentaires de Yao Yilin sont repris dans Li Rui, Journal, 25 mai
1989 ; l’apparition de Li Peng à la télévision est évoquée dans David Holley, « Premier Li
Peng », Los Angeles Times, 27 mai 1989.
457. Le discours de Yang Shangkun à la Commission militaire centrale a été largement diffusé ;
Li Rui en a trouvé un exemplaire collé à un poteau téléphonique (Li Rui, Journal, 30 mai 1989) ;
ce fut aussi mentionné par l’ambassade de Grande-Bretagne (PRO, FCO 21/4197, Alan Donald,
« Telno 981 ») ; une traduction partielle est reprise dans Oksenberg, Beijing Spring, pp. 320-
327.
458. Li Peng, Journal, 21 et 22 mai 1989 ; voir aussi PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in
Beijing », 3 juillet 1989.
459. MAE, 2883TOPO/3773, Charles Malo, « Situation intérieure », 29 mai 1989.
460. Gansu, 259-2-368, « Chuanda Li Peng, Yang Shangkun, Yao Yilin de jianghua »
(Retransmission des allocutions de Li Peng, Yang Shangkun et Yao Yilin), 26 mai 1989, p. 106 ;
voir aussi 264-1-61, Wu Jian, « Chuanda Li Peng, Yang Shangkun de jianghua »
(Retransmission des allocutions de Li Peng et Yang Shangkun), 1er juin 1989, p. 91.
461. Gansu, 238-1-211, Rapport du Bureau provincial pour la protection de l’environnement,
3 juin 1989, pp. 1-4.
462. Li Rui, Journal, 27 mai 1989.
463. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989.
464. MAE, 2883TOPO/3773, « Situation à Shanghai », 22, 23 et 24 mai 1989 ; voir aussi Jay
Matthews, « In Shanghai and Other Cities, Fervor for Democracy Seems to Wane », Washington
Post, 28 mai 1989.
465. Eamonn Fitzpatrick et Dean Nelson, « Cash and Tears Flow at Concert », South China
Morning Post, 28 mai 1989 ; Chris Yeung, « Another Vast Crowd Joins World-Wide Show of
Solidarity », South China Morning Post, 29 mai 1989.
466. Jay Mathews, « Goddess of Democracy Rises », Washington Post, 31 mai 1989 ; Uli
Schmetzer, « Torch of China’s Lady Liberty Rekindles Fervor », Chicago Tribune, 31 mai 1989.
467. Nicholas Kristof, « Chinese Students in About-Face », New York Times, 30 mai 1989 ;
PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989.
468. David Holley, « Beijing Students’Bravery Sparked Epic Drama », Los Angeles Times,
2 juin 1989.
469. Amnesty International, « People’s Republic of China : Preliminary Findings on Killings of
Unarmed Civilians, Arbitrary Arrests and Summary Executions since 3 June 1989 », Amnesty
International, Londres, document daté du 14 août 1989 ; Li Rui, Journal, 2 juin 1989 ; voir aussi
PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989.
470. Amnesty International, « People’s Republic of China », p. 275 ; PRO, FCO 21/4194,
« PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989 ; Jonathan Mirsky, « China’s Old Men Use Force
to Stay in Power », Guardian, 4 juin 1989 ; Uli Schmetzer and Ronald Yates, « Beijing
Residents Repel Troops », Chicago Tribune, 3 juin 1989.
471. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989, situe l’horaire à
2 h 30 ; PRO, FCO 21/4197, Alan Donald, « Telno 1002 », 3 juin 1989 ; Amnesty International,
« People’s Republic of China », situe l’horaire entre quatre et cinq heures ; Jay Mathews,
« Chinese Students Waited Quietly in Tiananmen for Army Action », Washington Post, 3 juin
1989, n’a vu qu’un bus à Liubukou ; Amnesty International signalait deux bus ; Alan Donald,
« Telno 1002 », 3 juin 1989, mentionne au moins trois endroits où des autobus militaires ont été
saisis ; le rapport le plus fiable émane de Daniel Southerland, qui comptait quatre autobus
militaires du côté ouest de la place : « Chinese Citizens Block Troops from Reaching Central
Square », Washington Post, 3 juin 1989 ; les camions militaires proches de la place sont
mentionnés dans Colin Nickerson, « Chinese Civilians Repulse Army Advance on the Square »,
Boston Globe, 3 juin 1989.
472. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989.
473. PRO, FCO 21/4197, Alan Donald, 3 juin 1989, « Telno 1002 » ; PRO, FCO 21/4194,
« PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989 ; Amnesty International, « People’s Republic of
China ».
474. Li Peng, Journal, 3 juin 1989 ; bien que Li Peng n’emploie pas la formule « émeutes
contre-révolutionnaires » dans ses notes, elle était mentionnée dans une communication émise
par le Comité central et le Conseil des Affaires de l’État deux jours plus tard ; voir PRO, FCO
21/4197, Alan Donald, « Chinese Internal Situation », 5 juin 1989.
475. PRO, FCO 21/4197, Alan Donald, 3 juin 1989, « Telno 1002 » ; PRO, FCO 21/4194,
« PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989 ; Amnesty International, « People’s Republic of
China ».
476. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989 ; Savitt, Crashing the
Party, pp. 192-194.
477. Southerland, « Remembering Tiananmen ».
478. Li Rui, Journal, 3 et 7 juin ; voir aussi « Voices from Tiananmen », South China Morning
Post, p. 1.
479. Liang Jingdong, « Witness to History », Salt Lake Tribune, 3 juin 1999 ; Amnesty
International, « People’s Republic of China ».
480. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989 ; voir aussi Amnesty
International, « People’s Republic of China ».
481. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989.
482. Liang, « Witness to History » ; PRO, FCO 21/4194, lettre avec le récit d’un témoin à Alan
Donald, 11 juillet 1989.
483. Liang, « Witness to History ».
484. Les témoins de la scène s’accordent sur très peu d’aspects, notamment l’heure à laquelle
les éclairages publics ont été éteints ; 4 h 40 est l’horaire indiqué dans PRO, FCO 21/4197,
« Telnos 1010 et 1012 », « China Internal », 4 juin 1989 ; voir aussi Cheng, Standoff at
Tiananmen, p. 263 ; Wu Renhua, l’historien de référence sur ces événements, écrit « 4 h 00
précises » ; Wu Renhua, Liusi shijian quancheng shilu (Un récit complet de l’incident du Quatre
Juin), Yunchen wenhua shiye gufen youxian gongsi, Taipei, 2019, non publié.
485. Savitt, Crashing the Party, p. 197.
486. Savitt, Crashing the Party, p. 197 ; voir aussi Liang, « Witness to History ».
487. PRO, FCO 21/4194, récit d’un témoin daté du 14 septembre 1989.
488. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989.
489. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989 ; PRO, FCO 21/4194,
lettre avec récit d’un témoin à Alan Donald, 11 juillet 1989 ; voir aussi PRO, FCO 21/4197,
« Telno 1012 », 4 juin 1989.
490. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989.
491. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989.
492. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989.
493. Savitt, Crashing the Party, p. 194.
494. Phillips, « Springtime in Tiananmen Square, 1989 » ; PRO, FCO 21/4197, « Telno 1011 »,
4 juin 1989 ; PRO, FCO 21/4199, Alan Donald, « Telno 1196 », 22 juin 1989 ; Amnesty,
p. 282 ; Li Rui, dans son entrée de journal daté de juin 1990, estimait aussi le bilan des tués
entre 2 700 et 3 400 victimes.
495. PRO, FCO 21/4194, M. H. Farr, commandant de la Royal Navy, « PLA Operations in
Beijing », 3 juillet 1989.
496. Phillips, « Springtime in Tiananmen Square, 1989 ».

Notes du chapitre 6
497. Claudia Rosett, « Anything Could Happen Next in Tiananmen », Wall Street Journal,
7 juin 1989.
498. Yuan Mu, « State Council Spokesman Yuan Mu Holds News Conference », Oksenberg,
Beijing Spring, pp. 348-349.
499. Claudia Rosett, « Anything Could Happen Next in Tiananmen », Wall Street Journal,
7 juin 1989.
500. James Sterba, « Chasing for Evidence of China’s “Civil War” », Washington Post, 7 juin
1989.
501. Daniel Williams, « China Hard-Liners Appear in Control », Los Angeles Times, 9 juin
1989.
502. David Chen and Geoffrey Crothall, « Unrest Growing in the Provinces », South China
Morning Post, 7 juin 1989 ; cet article et d’autres signalaient qu’au moins 300 personnes avaient
perdu la vie ; voir aussi Louisa Lim, The People’s Republic of Amnesia : Tiananmen Revisited,
Oxford University Press, Oxford, 2015.
503. David Chen et Geoffrey Crothall, « Unrest Growing in the Provinces », South China
Morning Post, 7 juin 1989 ; Gansu, 128-8-344, Rapport de Mu Yongji, 14 juillet 1989, pp. 37-
50.
504. MAE, 2883TOPO/3773, Barroux, « Situation à Shanghai », 6 juin 1989.
505. MAE, 2883TOPO/3773, Barroux, « Le maire de Shanghai », 9 juin 1989 ; également
Charles Goddard, « Shanghai Protest as Calm Returns », Guardian, 10 juin 1989.
506. Colin Smith, « Would-Be Martyrs in Retreat – For Now », Observer, 11 juin 1989.
507. Hoover Institution, Jim Mann Papers, Boîte 2, « Secretary’s Morning Summary » ; PRO,
FCO 21/4197, « Telno 723 » et « Telno 596 », 5 juin 1989.
508. Daniel Schorr, « Washington Notebook », New Leader, 12 juin 1989.
509. « Excerpts of President Bush’s News Conference », Washington Post, 6 juin 1989 ; James
Gerstenzang, « Bush Rejects China Curbs, Urges Respect for Rights », Los Angeles Times,
9 juin 1989.
510. Gansu, 259-2-381, Deng Xiaoping’s June 9 Talk to the Troops [Allocution de Deng
Xiaoping aux soldats, 9 juin], 22 juin 1989, pp. 1-8.
511. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989 ; Harrison E. Salisbury,
Tiananmen Diary : Thirteen Days in June, Little, Brown, Londres, 1989, p. 88.
512. PRO, FCO 21/4194, « PLA Operations in Beijing », 3 juillet 1989 ; Salisbury, Journal,
p. 88.
513. Daniel Southerland, « Chinese Citizens Block Army Troops in Beijing », Washington
Post, 3 juin 1989.
514. Mann, About Face, pp. 201-203.
515. Kissinger envoya ce message par l’intermédiaire de Huang Hua, l’ancien ministre des
Affaires étrangères et ambassadeur qui avait eu un rôle déterminant en invitant Nixon à Beijing ;
voir Li Rui, Journal, 16 juin 1989.
516. The National Security Archive, George Washington University, « Memorandum of
Conversation : LTG Brent Scowcroft, Deng Xiaoping et al., 2 juillet 1989 ».
517. Mann, About Face, p. 209.
518. PRO, FCO 21/4193, « Political Situation », 9 juin 1989 ; Amnesty, p. 284 ; MAE,
2883TOPO/3773, Charles Malo, « Après la révolte des étudiants », 19 juin 1989.
519. « Intellectual Accuses Deng of “Extermination Plan” », South China Morning Post,
26 juin 1989.
520. Jeffie Lam, « “Operation Yellow Bird” : How Tiananmen Activists Fled to Freedom
through Hong Kong », South China Morning Post, 26 mai 2014.
521. Commentaires de Huo Shilian repris dans Li Rui, Journal, 19 juin 1989 ; « Western
Leaders Condemn Executions in Shanghai », South China Morning Post, 22 juin 1989.
522. Wenzhou, J201-8-47, Directive du Comité central, zhongfa (1989) no 3, 30 juin 1989,
pp. 122-127 ; Amnesty International, « People’s Republic of China ».
523. Liao Yiwu, Bullets and Opium : Real-Life Stories of China After the Tiananmen Massacre,
Atria, New York, 2019, pp. 33-40, 57-58 et 73-88.
524. Liao, Bullets and Opium, pp. 33-40, 57-58 et 73-88.
525. Wenzhou, J201-9-70, Rapport du vice-ministre de la Sécurité publique Gu Linfang, 5 mai
1990, pp. 209-224.
526. Shanghai, B76-7-872, Jiang Zemin, Yao Yilin, Qiao Shi et d’autres sur les syndicats de
travailleurs, 28 juillet 1989, pp. 2-10.
527. Shanghai, A33-6-466, Jiang Zemin, Yao Yilin, Qiao Shi et d’autres à la Conférence du
Front uni, du 11 au 15 juin 1990, pp. 1-28.
528. James Tyson, « China Arrests Leaders of Catholic Church », Christian Science Monitor,
2 février 1990.
529. Susan Man Ka-po, « Iron Fist Tightens Around the Church », South China Morning Post,
23 septembre 1990 ; Beverley Howells, « How Catholic Cells Will Fight Repression », South
China Morning Post, 29 décembre 1991.
530. Justin Hastings, « Charting the Course of Uyghur Unrest », China Quarterly, no 208,
décembre 2011, p. 900 ; également Pablo Adriano Rodriguez, « Violent Resistance in Xinjiang
(China) : Tracking Militancy, Ethnic Riots and “Knife-Wielding” Terrorists (1978-2012) »,
HAO, no 30, hiver 2013, p. 137.
531. Wenzhou, J201-9-70, Comité central, Document sur le renforcement du travail juridique
dans le but de protéger la stabilité sociale, 2 avril 1990, pp. 1-12 ; citation de Li Peng à
Wenzhou, J201-9-70, Allocution sur la loi et la politique, par Li Zemin, secrétaire du parti de la
province de Zhejiang, 31 mars 1990, pp. 31-44 ; « Wending yadao yique » (La stabilité sociale
par-dessus tout), Renmin ribao, 3 juin 1990.
532. Zhao, Prisoner of the State.
533. Li Rui, Journal, 15 et 16 juin 1989 et les mois suivants.
534. Vogel, Deng Xiaoping, p. 642.
535. Li Rui, Journal, 27 juin 1989.
536. Li Peng, Journal, du 19 au 21 juin 1989 ; Zhao, Prisoner of the State, pp. 49-50.
537. Li Peng, Journal, 24 juin 1989 ; Li Rui, Journal, 24 juin 1989.
538. Pour des réactions à Shanghai à l’ascension de Jiang Zemin en juin 1989, voir Sheryl
WuDunn, « An Urbane Technocrat », New York Times, 25 juin 1989.
539. Wenzhou, J201-8-46, zhongfa (1989) no 7, 28 juillet 1989, pp. 1-17.
540. « Economic Aid for Backward Countries », South China Morning Post, 12 mai 1957 ;
« Spending Fails to Curb Reds », Chicago Daily Tribune, 7 janvier 1957 ; « Secretary Bars
Recognition as Defense Peril », Washington Post, 5 décembre 1989.
541. Pang Xianzhi et Jin Chongji (éd.), Mao Zedong zhuan, 1949-1976 (Biographie de Mao
Zedong, 1949-1976), Zhongyang wenxian chubanshe, Beijing, 2003, vol. 2, p. 1027.
542. Shanghai, A76-3-645, 28 août 1989, pp. 20-30.
543. PRO, FCO 21/4194, S. C. Riordan, « How to Quell a CounterRevolution : The True
Story », 1er août 1989 ; également MAE, 2883TOPO/3772, « Expositions sur la répression de
Pékin », 14 août 1989 ; une exposition plus modeste fut organisée par le musée des Beaux-Arts.
544. MAE, 2883TOPO/3772, « Culte de la personnalité de Deng Xiaoping », 14 août 1989.
545. MAE, 2883TOPO/3772, « Les étudiants chinois entre la faucille et le marteau »,
11 septembre 1989.
546. MAE, 2883TOPO/3772, « Les étudiants de l’université de Pékin à l’ombre des fusils »,
7 novembre 1989 ; « Les étudiants chinois entre la faucille et le marteau », 11 septembre 1989.
547. Wenzhou, J201-8-46, Li Ruihuan, Conférence téléphonique sur la campagne contre la
pornographie, 29 août 1989, pp. 196-200 ; également Conseil des Affaires de l’État et Bureau
du Comité central, 16 septembre 1989, pp. 178-187 ; « Anti Porn Drive Is Only the Start of
Campaign », South China Morning Post, 1er novembre 1989.
548. « Anti Porn Drive Is Only the Start of Campaign », South China Morning Post,
1er novembre 1989 ; Frederic Moritz, « China Shackles Its Freer Press », Christian Science
Monitor, 4 août 1989 ; voir aussi Richard Curt Kraus, The Party and the Arty in China : The
New Politics of Culture, Rowman & Littlefield, Lanham, Maryland, 2004, p. 93.
549. Wenzhou, J201-8-46, Li Zemin, le secrétaire provincial du parti en conférence
téléphonique, 5 septembre 1989, pp. 215-222 ; Willy Lam, « Smut Is Only Start of Campaign »,
South China Morning Post, 1er novembre 1989.
550. MAE, 2883TOPO/3772, Charles Malo, « Célébrations du 40e anniversaire », 2 octobre
1989.
551. Wenzhou, J201-8-46, télégramme du département de la Propagande sur les Préparatifs du
Quarantième anniversaire, 29 août 1989, pp. 42-55.
552. MAE, 2883TOPO/3772, Charles Malo, « Célébrations du 40e anniversaire », 2 octobre
1989 ; également David Holley, « Under Tight Wraps, China Marks 40th Anniversary of
Communist Rule », Los Angeles Times, 2 octobre 1989.
553. PRO, FCO 21/4194, Susan Morton, « Life Returns to Normal in Peking ? », 7 août 1989.
554. « Asian Games », South China Morning Post, 8 juillet 1989.
555. Rajdeep Sardesai, « Emotional Roller-Coaster », Times of India, 14 octobre 1990 ; Mark
Fineman, « Beijing Changes Tune », Los Angeles Times, 25 janvier 1990.
556. Ann Scott Tyson, « Beijing Marshals City Residents to Spruce Up for Asian Games »,
Christian Science Monitor, 21 septembre 1990.
557. John Kohut, « Jubilant Beijing Leaders Preside over Asiad Closing », South China
Morning Post, 8 octobre 1990.
558. « Buyao dangtou, jia weiba zuoren, taoguang yangmei, zuotou bishi zhudong » ; Li Rui,
entrée de journal datée du 28 décembre 1991, notes sur le document résumant une réunion du
24 décembre entre Deng Xiaoping, Jiang Zemin, Yang Shangkun et Li Peng.
559. Wenzhou, J201-8-46, zhongfa (1989) no 7, 28 juillet 1989, pp. 1-17 ; télégramme du
département de la Propagande sur les Préparatifs du Quarantième Anniversaire, 29 août 1989,
pp. 42-55.
560. Ann Scott Tyson, « Beijing Marshals City Residents to Spruce Up for Asian Games »,
Christian Science Monitor, 21 septembre 1990 ; citation de Chen Xitong dans Simon Long,
« Beijing Washes Whiter for Asian Games Showcase », Guardian, 7 août 1990.
561. Willy Lam, « Role for “United Front” Parties », South China Morning Post, 2 janvier
1990.
562. « “Hero” Lei Resurrected to Win People’s Support », South China Morning Post,
11 décembre 1989 ; Seth Faison, « A Nation Going Backwards with Tale of Simple Hero »,
South China Morning Post, 4 mars 1990.
563. « Model Soldier’s Inspiration », South China Morning Post, 12 mars 1990.
564. « Party Leader Calls on Chinese Youth to Keep Patriotism Alive », Xinhua News Agency,
4 mai 1990 ; également « Party Leader Praises Students », South China Morning Post, 4 mai
1990.
565. MAE, 2883TOPO/3775, « 150e anniversaire de la guerre de l’Opium », 8 juin 1990 ;
également « Beijing Revives “Opium War” to Combat Liberalism », Christian Science Monitor,
31 mai 1990.
566. « When a Five-Year-Old Becomes a Victim of History », South China Morning Post,
14 décembre 1991.
567. Shanghai, A33-6-440, Séance de travail sur le Front uni au quatrième plénum, 8-
9 août 1989, pp. 50-58.
568. Willy Lam, « Role for “United Front” Parties », South China Morning Post, 2 janvier
1990.
569. Shanghai, A33-6-440, Séance de travail sur le Front uni au quatrième plénum, 8-
9 août 1989, pp. 50-58.
570. Shanghai, A33-6-466, Jiang Zemin, Yao Yilin, Qiao Shi et d’autres à la Conférence sur le
Front uni, du 11 au 15 juin 1990, pp. 1-28 et 127-130.
571. Margaret Scott, « Hong Kong on Borrowed Time », New York Times, 22 octobre 1989.
572. Shanghai, A33-6-466, Jiang Zemin, Yao Yilin, Qiao Shi et d’autres à la Conférence sur le
Front uni, du 11 au 15 juin 1990, pp. 1-28 et 127-30.
573. Christine Loh, Underground Front : The Chinese Communist Party in Hong Kong,
University Press, Hong Kong, 2019.
574. « Lee, Szeto Subversive, Says China », South China Morning Post, 22 juillet 1989.
575. Loh, Underground Front, p. 176.
576. Deng Xiaoping, « Speech at a Meeting with Members of the Committee for Drafting the
Basic Law of the Hong Kong Special Administrative Region », 16 avril 1987, Œuvres choisies
de Deng Xiaoping, vol. 3, éditions diverses.
577. Wenzhou, J201-8-46, Rapport sur la manière d’informer au sujet de. la situation politique
en Europe de l’Est, 21 décembre 1989, pp. 56-61 ; ce rapport de Wang Fang est mentionné dans
Li Rui, Journal, 8 décembre 1989.
578. MAE, 2883TOPO/3773, Claude Martin, « La montée des inquiétudes », 27 août 1991.
579. MAE, 2883TOPO/3773, Claude Martin, « La montée des inquiétudes », 27 août 1991 ; Li
Rui, Journal, 8 octobre 1991 ; Willy Lam, « Beijing Set to Fight « Capitalist Trends » », South
China Morning Post, 26 août 1991.
580. Nicolas Kristof, « Beijing’s Top Priority : Maintain Communism », New York Times,
15 septembre 1991 ; Li Rui, Journal, 7 octobre 1991 ; voir aussi Henry He, Dictionary of the
Political Thought of the People’s Republic of China, Routledge, Londres, 2000, p. 24.
581. Willy Lam, « Cultural Revolution Re-Run Waiting in the Left Wing », South China
Morning Post, 18 juillet 1991.
582. Willy Lam, « Cultural Revolution Re-Run Waiting in the Left Wing », South China
Morning Post, 18 juillet 1991.
583. « Chen Yun Urges Restraint in Economic Construction », 5 décembre 1991, in FBIS
(FBIS-CHI-91-239), 12 décembre 1991 ; Willy Lam, « Ideology “Boosted” in 390,000
Villages », South China Morning Post, 16 novembre 1991 ; Daniel Kwan, « Socialism Ideology
Stepped Up », South China Morning Post, 28 août 1991 ; la citation de Li Peng se trouve dans
Wenzhou, J201-9-68, Rapport sur l’Économie rurale par le Comité provincial du parti,
22 janvier 1990, pp. 69-108.
584. Willy Lam, « Revival for Mao Crusade Against West », South China Morning Post,
27 décembre 1991.
585. PRO, FCO 21/4194, Alan Donald, lettre sans titre datée du 11 juillet 1989.
586. Library of Congress, « Meeting With Vice Premier Deng Xiaoping, Beijing, avril 2015,
1980 », Robert S. McNamara Papers, Boîte 199 ; ma collègue Priscilla Roberts m’a
aimablement orienté vers les archives de McNamara Papers à la Bibliothèque du Congrès.
587. Mann, About Face, p. 239.
588. PRO, FCO 21/4253, « Fall in Reserves at End June », 29 septembre 1989.
589. Seth Faison, « New Rules on Imports », South China Morning Post, 7 août 1989 ; « China
Tightens Curbs to Narrow Trade Gap », South China Morning Post, 18 juillet 1989 ; Joint
Committee, China’s Economic Dilemmas, p. 749.
590. Gansu, 151-3-74, Zheng Tuobin, ministère du Commerce extérieur, Conférence sur le
commerce extérieur, 1er août 1990, pp. 44-89.
591. Gansu, 151-3-43, Zheng Tuobin, ministère du Commerce extérieur, Conférence sur le
commerce extérieur, 23 décembre 1989, pp. 85-112 ; voir aussi Joint Committee, China’s
Economic Dilemmas, p. 749.
592. Gansu, 151-3-74, 1er août 1990, Zheng Tuobin, ministère du Commerce extérieur,
Conférence sur le commerce extérieur, 1er août 1990, pp. 44-89.
593. Wenzhou, J34-32-327, Document du Conseil des Affaires de l’État, 4 février 1990, guofa
(1990) no 11, pp. 8-15.
594. PRO, FCO 21/4550, PRO, FCO 21/4550, « Economic Development and Reform Policy in
mid-1990 », octobre 1990 ; « CIA Report on China’s Economy », 20 août 1990 ; John
F. Cooper, « Tiananmen June 4, 1989 : Taiwan’s Reaction », Taiwan Insight, article posté le
10 juin 2019.
595. Wenzhou, J201-9-70, télégramme urgent concernant Fang Lizhi, 23 juin 1990, pp. 305-
358 ; voir aussi Fang Lizhi, « The Chinese Amnesia », New York Review of Books, 37, no 14,
27 septembre 1990, p. 30.
596. MAE, 2883TOPO/3798, Charles Malo, « Visite à Pékin du vice-président de la Banque
mondiale », 6 avril 1990.
597. Mann, About Face, pp. 240-241.
598. MAE, 2883TOPO/3793, Claude Martin, « Rumeurs de dévaluation du yuan »,
20 décembre 1991.
599. Gansu, 151-3-43, Zheng Tuobin, ministère du Commerce extérieur, Conférence sur le
commerce extérieur, 23 décembre 1989, pp. 85-112.
600. PRO, FCO 21/4253, Peter Wood, « Not at Any Price : Markets, Monopolies and Price
Controls », 4 septembre 1989.
601. PRO, FCO 21/4253, Peter Wood, « Not at Any Price : Markets, Monopolies and Price
Controls », 4 septembre 1989.
602. PRO, FCO 21/4253, Peter Wood, « Spinning a Yarn : Cotton and the Textile Industry »,
28 septembre 1989.
603. Gansu, 151-3-81, Document de Gansu China Textile Products Import and Export
Corporation, 15 mai 1990, pp. 4-5 ; PRO, FCO 21/4253, Peter Wood, « Spinning a Yarn :
Cotton and the Textile Industry », 28 septembre 1989.
604. PRO, FCO 21/4253, Peter Wood, « Not at Any Price : Markets, Monopolies and Price
Controls », 4 septembre 1989.
605. L’estimation de 40 % se trouve dans PRO, FCO 21/4550, Andrew Seaton, « China :
Economic Reporting », 7 décembre 1990 ; pour la masse monétaire, voir MAE, 2883
TOPO/3793, « Situation économique et financière de la Chine », 19 avril 1991 ; ce document
situe le volume des subsides entre 30 et 40 % du budget.
606. PRO, FCO 21/4550, « Economic Development and Reform Policy in mid-1990 »,
octobre 1990 ; le chiffre officiel du PIB s’élevait à 4,2 % en 1989 et à 3,9 % en 1990.
607. PRO, FCO 21/4550, « Economic Development and Reform Policy in mid-1990 »,
octobre 1990.
608. Qu Qiang, « Triangular Debts », in Chen et Guo (éd.), Major Issues and Policies in
China’s Financial Reform, vol. 3, pp. 19-36.
609. Wenzhou, J202-12-96, 28 décembre 1992, pp. 46-57.
610. See PRO, FCO 21/4550, M. Wright, « China Economy », 12 juillet 1990.
611. Wenzhou, J202-12-96, 28 décembre 1992, pp. 46-57.
612. Gansu, 128-9-60, Allocutions de Li Peng et Zhu Rongji sur la Dette triangulaire,
4 septembre 1991, pp. 1-11 ; Li Rui, Journal, 2 novembre 1991.
613. Li Rui, Journal, 2 août 1991 : « Wang Bingqian does not even have a basic understanding
of accounting (credit, debt) and should step down ; Li Guixian has even less understanding of
banks » [« Wang Bingqian n’a aucune notion de comptabilité (credit, dette) et devrait
démissionner ; Li Guixian comprend encore moins la banque »].
614. Willy Lam, « Zhu “Finds Solution to State-Run Firms” », South China Morning Post,
1er octobre 1991.
615. Willy Lam, « Faction Fighting Out in the Open », South China Morning Post,
27 novembre 1991.

Notes du chapitre 7
616. Paul Marriage, « Roadshow Points to New Era of Reform », South China Morning Post,
2 février 1992.
617. Deng Xiaoping, « Excerpts from Talks Given in Wuchang, Shenzhen, Zhuhai and
Shanghai », 18 janvier au 21 février 1992, Selected Works of Deng Xiaoping, vol. 3, éditions
diverses.
618. Bruce Gilley, Tiger on the Brink : Jiang Zemin and China’s New Elite, 1998, University of
California Press, Berkeley, Californie, 1998, pp. 185-186 ; « China to Speed Economic
Reform », Chicago Tribune, 6 février 1992 ; Willy Lam, « Beijing Breaks Taboo by Calling for
Capitalism », South China Morning Post, 24 février 1992.
619. Gilley, Tiger on the Brink, p. 186.
620. Willy Lam, « Deng Takes Fight to Headquarters », South China Morning Post, 18 mars
1992.
621. Shanghai, B109-6-288, Projets pour Pudong, 30 juin 1991, pp. 28-32 ; « Pudong, Symbol
of the Future », South China Morning Post, 29 avril 1991 ; Geoffrey Crothall, « Skeptical
Greeting for Latest Shanghai Plan », South China Morning Post, 10 août 1990 ; voir aussi
MAE, 2883TOPO/3793, « Pudong », avril 1991.
622. John Kohut, « Mayor Expects Shanghai Will Pass Shenzhen », South China Morning Post,
11 mars 1992 ; Kenneth Ko, « Foreign Investment Pours into Pudong », South China Morning
Post, 3 avril 1992.
623. Manoj Joshi, « Shanghai, City of Contrasts », Times of India, 10 septembre 1993 ; Martin
Wollacott, « Beware of China’s Latest Harbinger », Guardian, 19 mai 1993.
624. Martin Wollacott, « Shanghai Aims to Reclaim Its Greatness », Ottawa Citizen, 9 août
1993.
625. Geoffrey Crothall, « Pudong Status Starts Internal Economic War », South China Morning
Post, 28 mai 1990.
626. Kent Chen, « Development Zones “Wasteful” », South China Morning Post, 30 mars
1993.
627. Kent Chen, « Development Zones “Wasteful” », South China Morning Post, 30 mars
1993.
628. Meg E. Rithmire, Land Bargains and Chinese Capitalism : The Politics of Property Rights
under Reform, Cambridge University Press, Cambridge, 2015 ; voir aussi Minxin Pei, China’s
Crony Capitalism : The Dynamics of Regime Decay, Harvard University Press, Cambridge,
Massachusetts, 2016.
629. « Kumagai Granted Further Rights on Hainan Island », South China Morning Post, 18 mai
1992 ; Carl E. Walter et Fraser J. T. Howie, Red Capitalism : The Fragile Financial Foundation
of China’s Extraordinary Rise, John Wiley, New York, 2012, p. 38 ; Matthew Miller, « Real
Estate Sector Clean-Up in Hainan », South China Morning Post, 21 juillet 1999.
630. Gansu, 136-1-127, 13 janvier 1995, pp. 112-130 ; 136-1-99, 8 février 1993, pp. 111-120.
631. Gansu, 128-9-374, State Council Document on Real Estate, 26 mai 1995, pp. 99-104.
632. « China : Will the Bubble Burst ? », South China Morning Post, 25 mai 1993 ; John
Gittings, « The Patient Has China Syndrome », Guardian, 10 juillet 1993 ; les chiffres sur
l’investissement étranger viennent de Sheryl WuDunn, « Booming China Is Dream Market for
West », New York Times, 15 février 1993.
633. Sheryl WuDunn, « Booming China Is Dream Market for West », New York Times,
15 février 1993 ; Hoover Institution, Milton Friedman Papers, Boîte 188, « 1993 Hong Kong-
China Trip », tapuscrit non publié retranscrit d’un enregistrement, dicté en octobre 1993.
634. MAE, 2883TOPO/3772, Charles Malo, « Où va la Chine ? », 29 novembre 1989.
635. Wenzhou, J34-32-332, télégramme urgent du ministère des Finances, 14 juin 1990, pp. 32-
33 ; voir aussi Conseil des Affaires de l’État, 13 octobre 1990, pp. 64-65 ; les montants totaux
ont été calculés dans Marc G. Quintyn et Bernard J. Laurens et al. (éd.), Monetary and
Exchange System Reforms in China : An Experiment in Gradualism, Fonds monétaire
international, Washington, 1996, pp. 24-36.
636. Walter and Howie, Red Capitalism, p. 100.
637. Walter and Howie, Red Capitalism, pp. 11-14.
638. Sheryl WuDunn, « Booming China Is Dream Market for West », New York Times,
15 février 1993.
639. Sheryl WuDunn, « Booming China Is Dream Market for West », New York Times,
15 février 1993.
640. « Building Boom Sends Cement Price Soaring », S, South China Morning Post, 26 janvier
1993 ; Marissa Lague, « China Aims to Control Cost of Construction », South China Morning
Post, 10 mars 1993.
641. John Gittings, « The Patient Has China Syndrome », Guardian, 10 juillet 1993.
642. Richard Holman, « China Lifts Coal Controls », Wall Street Journal, 4 août 1992 ; Sheryl
WuDunn, « China Removes Some Price Controls on Food », New York Times, 29 novembre
1992.
643. Lin and Schramm, « China’s Foreign Exchange Policies since 1979 », pp. 257-258 ; Joon
San Wong, « Yuan’s Rate Further Inflates the Bubble », South China Morning Post, 7 janvier
1993.
644. « China : Will the Bubble Burst ? », South China Morning Post, 25 mai 1993.
645. « China Crisis Looms Over IOUs », South China Morning Post, 9 décembre 1992.
646. PRO, FCO 21/4550, « Teleletter on Record Harvest », 23 novembre 1990 ; John Gittings,
« The Patient Has China Syndrome », Guardian, 10 juillet 1993.
647. Geoffrey Crothall, « Yang Supports Liberal Calls for Faster Reform », South China
Morning Post, 6 février 1992.
648. Gilley, Tiger on the Brink, pp. 195-196 ; voir aussi Li Rui, Journal, 30 janvier, 27 février et
18 avril 1993.
649. Sheryl WuDunn, « Chinese Party Congress Replaces Nearly Half of Central Committee »,
New York Times, 19 octobre 1992 ; David Holley, « China’s New Leaders Get a Blessing From
Deng », Los Angeles Times, 20 octobre 1992.
650. Geoffrey Crothall et Willy Lam, « Advisory Body to Be Disbanded », South China
Morning Post, 12 octobre 1992.
651. David Holley, « China Completes Its Biggest Shake-Up of Military Chiefs », Los Angeles
Times, 16 décembre 1992 ; Gilley, Tiger on the Brink, pp. 196-199.
652. Gilley, Tiger on the Brink, pp. 203-204.
653. « China in Austerity Moves », New York Times, 5 juillet 1993 ; « China Names Vice-
Premier Bank Governor », Daily News (Halifax), 3 juillet 1993.
654. Patrick Tyler, « China Austerity Drive is Hurting US Ventures », New York Times,
11 novembre 1993 ; Willy Lam, « Zhu Hits Some Bumps on China’s Road to Recovery », South
China Morning Post, 15 septembre 1993.
655. Willy Lam, « Zhu Hits Some Bumps on China’s Road to Recovery », South China
Morning Post, 15 septembre 1993.
656. Steven Mufson, « As China Booms, Fear of Chaos Fuels New Force », Washington Post,
11 novembre 1995.
657. Wang Shaoguang, « China’s 1994 Fiscal Reform : An Initial Assessment », Asian Survey,
37, no 9 (septembre 1997), pp. 801-817 ; voir aussi Pei, Crony Capitalism, pp. 53-56.
658. Lin et Schramm, « China’s Foreign Exchange Policies since 1979 », p. 258.
659. « Clinton Advisor Says GATT Entry is Highly Desirable », South China Morning Post,
2 juin 1994 ; Sheila Tefft, « GATT Chief Calls for Chinese Membership », Christian Science
Monitor, 11 mai 1994.
660. Lin et Schramm, « China’s Foreign Exchange Policies since 1979 », pp. 258-259.
661. Rowena Tsang, « Rumours Fail to Dislodge Forex Chief », South China Morning Post,
9 mai 1995.
662. Willy Lam, « Zhu Toils to Counter Inflation », South China Morning Post, 1er décembre
1994 ; « Inflation and Spiralling Wages Giving Zhu Sleepless Nights », South China Morning
Post, 9 mai 1995 ; les chiffres de l’inflation se trouvent dans Li Rui, Journal, 26 septembre
1994.
663. « Inflation and Spiralling Wages Giving Zhu Sleepless Nights », South China Morning
Post, 9 mai 1995.
664. « Inflation and Spiralling Wages Giving Zhu Sleepless Nights », South China Morning
Post, 9 mai 1995 ; « Bank Head Urges Lower Inflation », South China Morning Post, 27 juillet
1995.
665. Wenzhou, J202-13-120, Wang Zhongshu in Telephone Conference on Losses in Industry,
10 mars 1994, pp. 94-96.
666. Teresa Poole, Independent, 23 décembre 1994.
667. Willy Lam, « Unrest on the Cards », South China Morning Post, 6 décembre 1995.
668. Patrick Tyler, « China’s First Family Comes Under Growing Scrutiny », New York Times,
2 juin 1995 ; Seth Faison, « Deng’s Son Sidesteps Row », South China Morning Post, 19 janvier
1989.
669. Peter Goodspeed, « China’s “Princelings” », Toronto Star, 12 juin 1994 ; Li Rui, Journal,
12 décembre 1993.
670. Patrick Tyler, « 12 Intellectuals Petition China on Corruption », New York Times,
26 février 1995.
671. Uli Schmetzer, « Chinese Executives Find That Deng Connection Is No Longer
Protection », Chicago Tribune, 23 mars 1995.
672. Steven Mufson, « China’s Corruption “Virus” », Washington Post, 22 juillet 1995.
673. Harry Wu papers, Boîte 1, Rapport du Comité central sur Chen Xitong, 28 septembre
1995.
674. Patrick Tyler, « Jiang Leads Purge of Beijing Party », Guardian, 9 mai 1995.
675. Jiang Zemin, « Lingdao ganbu yiding yaojiang zhengzhi » (Les cadres dirigeants doivent
mettre l’accent sur la politique), 27 septembre 1995, Jiang Zemin wenxuan (Œuvres choisies de
Jiang Zemin), Renmin chubanshe, Beijing, 2006, vol. 1, pp. 455-459 ; Jiang Zemin, « Zhengque
chuli shehuizhuyi xiandaihua jianshe zhong de ruogan zhongda guanxi » (Sur le maniement
correct d’un certain nombre de relations majeures dans la modernisation du socialisme), Jiang
Zemin wenxuan, vol. 1, pp. 460-475 ; Willy Lam, « Jiang’s Act Runs into Problems », South
China Morning Post, 11 octobre 1995 ; Kathy Chen, « China Applies the Brakes to Reforms »,
Wall Street Journal, 7 avril 1995.
676. Li Rui, Journal, 3 août 1995.
677. Li Rui, Journal, 28 janvier 1996.
678. PRO, FCO 21/1371, W. G. Ehrman, « Mr Teng Hsiao-Ping on the Situation in China »,
5 février 1975 et « Teng Hsiao-Ping Discusses Economy, Cultural Revolution, Taiwan »,
10 décembre 1974 ; Selig S. Harrison, « Taiwan After Chiang Ching-Kuo », Foreign Affairs, 66,
no 4 (printemps 1988), pp. 790-808 ; voir aussi « Hu : Force Last Resort Against Taiwan »,
South China Morning Post, 1er juin 1985.
679. Nicholas Kristof, « A Dictatorship That Grew Up », New York Times, 16 février 1992.
680. Patrick Tyler, « For Taiwan’s Frontier Island, the War Is Over », New York Times,
4 octobre 1995.
681. Nicholas Kristof, « A Dictatorship That Grew Up », New York Times, 16 février 1992.
682. Gilley, Tiger on the Brink, p. 248.
683. Rone Tempest, « China Threatens U.S. Over Taiwan Leader’s Visit », Los Angeles Times,
26 mai 1995.
684. « Taiwan Leader to Leave U.S. », Los Angeles Times, 11 juin 1995.
685. Simon Beck, « Strengths Across the Strait », South China Morning Post, 4 novembre
1995 ; Gilley, Tiger on the Brink, p. 254.
686. « Taiwan’s Democratic Election », New York Times, 24 mars 1996.
687. Document 219, « Message from the Government of the United States to the Government
of the People’s Republic of China », non daté, message transmis dans la soirée du 3 avril 1972,
30 janvier 1979, Foreign Relations of the United States, 1969-1972, vol. XVII, US Government
Printing Office, Washington, 2006, pp. 873-874.
688. Nayan Chanda, Brother Enemy : The War After the War, Harcourt, San Diego, 1987,
pp. 19-21.
689. Harvey Stockwin, « Mischief Reef a Scene of Power Politics », Times of India News
Service, 9 avril 1995 ; Robert Manning, « China’s Syndrome : Ambiguity », Washington Post,
19 mars 1995.
690. Voir, parmi d’autres récits de témoins, les reportages de Liz Sly, « Something New in
China », Chicago Tribune, 28 octobre 1996 ; Jasper Becker, « A Journey Through Jiang’s
Utopia », South China Morning Post, 28 janvier 1996 ; Joseph Kahn, « Envying Singapore,
China’s Leaders Turn One City Into a Model », Wall Street Journal, 19 décembre 1995 ; les
caméras sont mentionnées dans Maggie Farley, « The Polite Patriots of China », Los Angeles
Times, 14 septembre 1996.
691. Rone Tempest, « Insults, Spitting, Pigeon Poaching Not Allowed », Los Angeles Times,
25 janvier 1997.
692. « Jiang Calls for Return to Socialist Orthodoxy », Korea Times, 26 janvier
1996 ; Willy Lam, « The Party Returns to Mao’s Heroes », South China Morning Post, 24 avril
1996.
693. Willy Lam, « Liberal Fears Over “Strike Hard” Policy », South China Morning Post,
18 juillet 1996.
694. « Mickey Mouse and Donald Duck Are on the Run in China », Times of India, 25 octobre
1996 ; Steven Mufson, « China’s “Soccer Boy” Takes on Foreign Evils », Washington Post,
9 octobre 1996 ; Joseph Kahn, « He’s the Very Model of a Modem Plumber and a Hero in
China », Wall Street Journal, 1er juillet 1996.
695. Wenzhou, J202-15-168, Rapport du Conseil des Affaires de l’État sur les marques
étrangères, 10 décembre 1995, pp. 1-6.
696. Josephine Ma, « Beijing to Protect Domestic Brands », South China Morning Post, 8 août
1996 ; Cheung Lai-Kuen, « Foreign Limits to Go in Stages », South China Sunday Morning
Post, 28 avril 1996.
697. Seth Faison, « Citing Security, China Will Curb Foreign Financial News Agencies », New
York Times, 17 janvier 1996 ; Sandra Sugawara, « China Restricts Filmmakers », Washington
Post, 29 juin 1996 ; Teresa Poole, « China’s Hooligan Author », South China Morning Post,
21 décembre 1996.
698. « Dissident Liu Xiaobo Released and Banished to Dalian », South China Morning Post,
20 janvier 1996 ; Steven Mufson, « China Detains Dissident During Party Meeting »,
Washington Post, 9 octobre 1996.
699. Uli Schmetzer, « New China Dream », Chicago Tribune, 19 juin 1996.
700. Willy Lam, « The Power Players of Beijing », South China Morning Post, 12 mars 1997.
701. « TV Tribute to Deng’s Role Sets the Tone for Next Congress », South China Morning
Post, 2 janvier 1997 ; « Series on Patriarch Offers No New Glimpse », South China Morning
Post, 13 janvier 1997 ; Willy Lam, « Shenzhen Plays Up Deng’s Reform Views », South China
Morning Post, 22 janvier 1997.
702. Seth Faison, « Beijing after Deng », New York Times, 21 février 1997 ; Kathy Chen,
« After Deng’s Death, It’s Business as Usual », Wall Street Journal, 21 février 1997.

Notes du chapitre 8
703. Rod Mickleburgh, « The Handover of Hong Kong », Globe and Mail, 1er juillet 1997.
704. PRO, CAB128/99/13, Réunion du gouvernement, 11 avril 1991 ; voir aussi Loh,
Underground Front, pp. 179-180.
705. PRO, PREM 19/3626, 6 mars 1992.
706. Fan Cheuk-Wan, « Hurd Responds to Li Peng Attack with Offer of Talks », South China
Morning Post, 16 mars 1993 ; Jonathan Mirsky, « BuddhaSerpent Patten Feels His Colony
Tremble », South China Morning Post, 28 mars 1993.
707. David Holley, « China’s Agenda : Reforms and Dictatorship », Los Angeles Times, 6 mars
1993.
708. John Kohut, « One Step Forward, One Step Back », South China Morning Post, 13 mars
1993 ; Willy Lam, « Patriotism Has Now Become the Last Refuge of Li Peng », South China
Morning Post, 24 mars 1993.
709. Willy Lam, « Activists Bid to Speed Up Democracy », South China Morning Post,
13 mars 1993.
710. Li Rui, Notes sur la visite à Guangzhou, Journal, 19 septembre 1994.
711. Jonathan Dimbleby, The Last Governor, Little, Brown, Londres, 1997, p. 310.
712. Steven Mufson, « Hong Kong : The Return to China », Washington Post, 1er juillet 1997.
713. « Too Much at Stake to Accept Cheaper Yuan’s Temptations », South China Morning Post,
2 janvier 1998.
714. Liz Sly, « Bloom Is Off China’s Boom », Chicago Tribune, 4 février 1997 ; ces 60 % de la
capacité totale sont mentionnés dans Joseph Kahn, « China’s Overcapacity Crimps Neighbors :
Glut Swamps Southeast Asia’s Exports », Wall Street Journal, 14 juillet 1997 ; Li Rui, Journal,
9 janvier 1998.
715. Joseph Kahn, « China’s Overcapacity Crimps Neighbors : Glut Swamps Southeast Asia’s
Exports », Wall Street Journal, 14 juillet 1997 ; Somchai Jitsuchon et Chalongphob
Sussangkarn, « Thailand’s Growth Rebalancing », Tokyo, Asian Development Bank Institute,
2009.
716. Liz Sly, « China’s Growth May Slip Further », Chicago Tribune, 7 mars 1998 ; Kathy
Chen, « China’s Retailers Multiply in Spite of Weak Sales », Wall Street Journal, 7 janvier
1998.
717. Wenzhou, J34-33-480, Rapport de Dai Xianglong, 26 septembre 1998, pp. 19-31.
718. Wang Xiangwei, « Fears Grow as China Slides Into Deflation », South China Morning
Post, 12 novembre 1997 ; « Deflation Worsens as Prices Dip 3.3PC », South China Morning
Post, 14 septembre 1998 ; Karby Leggett, « The Outlook », Wall Street Journal, 13 mars 2000.
719. Henny Sender, « China Faces Flood of Cheap East Asian Imports », Wall Street Journal,
24 juillet 1998 ; Peter Seidlitz et David Murphy, « Asian Flu Reaches Mainland », South China
Morning Post, 19 juillet 1998.
720. Wenzhou, J34-33-480, Rapport de Dai Xianglong, 26 septembre 1998, pp. 19-31.
721. Peter Seidlitz et David Murphy, « Frustration Rises Over Flood of Forex Edicts », South
China Sunday Morning Post, 6 décembre 1998.
722. Mark O’Neill, « Flat Forex Growth Blamed on Smuggling, Reporting Errors », South
China Morning Post, 7 octobre 1998 ; Seth Faison, « China Attacks “Hidden” Crime :
Smuggling », New York Times, 17 juillet 1998.
723. Howard Balloch, Semi-Nomadic Anecdotes, Lulu Publishing Services, Morrisville,
Caroline du Nord, 2013, pp. 548-549.
724. Balloch, Semi-Nomadic Anecdotes, pp. 54.
725. Wang Jikuan cité dans Li Rui, Journal, 4 mars 1996 ; Gansu, 145-12303, Intervention de
Zhu Rongji à la Conférence sur la réforme des entreprises d’État, 16 mai 1998, pp. 38-59.
726. John Bartel et Huang Yiping, « Dealing with the Bad Loans of the Chinese Banks »,
Columbia University, APEC Study Center : Discussion Paper Series, juillet 2000 ; Walter et
Howie, Red Capitalism, p. vxii ; sur les créances douteuses, voir aussi Carsten A. Holz,
« China’s Bad Loan Problem », manuscrit, Hong Kong University of Science and Technology,
avril 1999.
727. Wenzhou, J34-33-480, Rapport sur les banques, 27 octobre 1998, pp. 225-244 ;
Conférence de Dai Xianglong, 26 septembre 1998, pp. 19-31 ; sur l’enquête de Wenzhou, voir
Wenzhou, J34-33-456, 12 octobre 1998, pp. 13-23.
728. Wenzhou, J202-16-163, Communiqué du Conseil des Affaires de l’État sur l’encours des
dettes étrangères, 6 novembre 1997, pp. 1-6 ; Communiqué de la Province du Zhejiang sur les
encours de prêts étrangers, 4 septembre 1997, pp. 35-37.
729. Hong Zhaohui et Ellen Y. Yan, « Trust and Investment Corporations in China », dans Chen
Beizhu, J. Kimball Dietrich et Yi Fang (éd.), Financial Market Reform in China : Progress,
Problems and Prospects, Westview Press, Boulder, Colorado, 2000, p. 290, ainsi que Zhu Jun,
« Closure of Financial Institutions in China », dans Banque des règlements internationaux (éd.),
Strengthening the Banking System in China : Issues and Experience, Banque des règlements
internationaux, Basel, 1999, pp. 311-313.
730. « BoC Digs Deep for CADTIC Debts », South China Morning Post, 10 janvier 1997 ;
Tony Walker, « China Shuts Debt-Ridden Investment Group », Financial Times, 15 janvier
1997.
731. Wenzhou, J202-17-139, Rapport de la Banque populaire de Chine sur les Sociétés
fiduciaires d’investissement, 26 août 1998, pp. 76-78.
732. Walter et Howie, Red Capitalism, pp. 57-58.
733. MAE, 2883TOPO/3772, « Réflexions de M. Guy Sorman sur la situation en Chine »,
28 novembre 1989.
734. Gansu, 136-1-114, Rapport de la Commission d’État pour la Restructuration de
l’économie, 1er décembre 1993, pp. 122-138.
735. Foo Ghoy Peng, « Ambitious Economic Reformists Decree “Big is Beautiful” », South
China Morning Post, 19 septembre 1997.
736. Leslie Chang, « Big is Beautiful », Wall Street Journal, 30 avril 1998.
737. Steven Mufson, « China to Cut Number of State Firms », Washington Post, 15 septembre
1997 ; « China : Merger, Acquisition Timely », China Daily, 13 janvier 1998 ; « China :
Administrative Reform », Oxford Analytica Daily Brief Service, 8 mai 1998 ; Russell Smyth,
« Should China Be Promoting LargeScale Enterprises and Enterprise Groups ? », Department of
Economics, Monash University, janvier 1991, p. 24.
738. Daniel Kwan, « Jiang Backs Shareholding System », South China Morning Post, 1er avril
1997.
739. Walter et Howie, Red Capitalism, pp. 178-179.
740. Erik Guyot et Shanthi Kalanthil, « China Telecom’s IPO Lures Investors », Wall Street
Journal, 6 octobre 1997.
741. Walter et Howie, Red Capitalism, pp. 182-184.
742. Karby Leggett, « The Outlook », Wall Street Journal, 13 mars 2000 ; Peter Wonacott,
« China’s Privatization Efforts Breed New Set of Problems », Wall Street Journal, 1er novembre
2001.
743. « Rust-Belt Unemployment Hits 10pc », South China Morning Post, 18 novembre 1997 ;
Jasper Becker, « Old Industry Dies Hard », South China Morning Post, 9 août 1997.
744. Gansu, 145-12-303, Rapport de Wu Bangguo sur la Réforme des entreprises d’État,
14 mai 1998, pp. 60-87.
745. Gansu, 145-12-303, Rapport de Wu Bangguo sur la Réforme des entreprises d’État,
14 mai 1998, pp. 60-87.
746. Mark O’Neill, « No Work, No Future », South China Morning Post, 20 juin 2000 ; Mark
O’Neill, « The Growing Pains of Change », South China Morning Post, 13 août 1998 ; Jasper
Becker, « The Dark Side of the Dream », South China Morning Post, 12 octobre 1997.
747. Gansu, 136-1-189, Rapport de Yao Yugen, Chef du Comité économique provincial,
25 juillet 1998, pp. 74-81.
748. Craig Smith, « Municipal-Run Firms Helped Build China », Wall Street Journal, 8 octobre
1997.
749. Gansu, 128-9-235, Rapport du ministère du Travail, 29 décembre 1992, pp. 1-9.
750. Chiffres du Gansu, 128-10-175, 5 décembre 1998, pp. 17-21 ; voir aussi « Coal Mines to
Face Safety Measures Blitz », South China Morning Post, 12 février 1997 ; pour les fusions des
mines étatiques, voir dans Mark O’Neill, « Coal Mines Dosed as Beijing Cleans Up Inefficient
Sector », South China Morning Post, 14 septembre 2000.
751. Jasper Becker, « A Collapse of the Working Class », South China Morning Post, 8 août
1998 ; voir aussi Qin Hui, « Looking at China from South Africa », sur
www.readingthechinadream.com, consulté le 28 septembre 2019.
752. Gansu, 128-10-289, Document du Conseil des Affaires de l’État sur l’endettement dans les
campagnes, 6 mai 1999, pp. 70-77.
753. Jasper Becker, « Slump in Countryside Deepens as Bubble Bursts for Rural Enterprises »,
South China Morning Post, 27 août 1999 ; Gansu, 128-10-232, Rapport du Gouverneur adjoint
de la province, Wu Bilian, 9 mai 1998, pp. 10-32.
754. Gansu, 128-10-551, Allocution de Zhu Rongji devant le Comité économique de la
Conférence consultative populaire, 28 août 2001, pp. 120-128 ; voir aussi Gerard Greenfield et
Tim Pringle, « The Challenge of Wage Arrears in China », dans Manuel Simón Velasco (éd.),
Paying Attention to Wages, Organisation internationale du travail, Genève, 2002, pp. 30-38.
755. Wenzhou, J34-33-318, Document sur les fonds coopératifs ruraux, 10 mars 1997, pp. 40-
59 ; Wenzhou, J34-33-417, février 1997, pp. 156-175 ; sur la fermeture de ces fonds, voir
Carsten A. Holz, « China’s Monetary Reform : The Counterrevolution from the Countryside »,
Journal of Contemporary China, 10, no 27, 2001, pp. 189-217 ; voir aussi Wen Tiejun,
« Nongcun hezuo jijinhui de xingshuai, 1984-1999 » (L’ascension et la chute des fonds
coopératifs ruraux, 1984-1999), University Services Centre, Chinese University of Hong Kong,
décembre 2000.
756. Zuo Xuejin, « The Development of Credit Unions in China : Past Experiences and Lessons
for the Future », Conférence sur la réforme du secteur financier en Chine, Harvard University,
Cambridge, Massachusetts, 11- 13 septembre 2001 ; Lynette H. Ong, Prosper or Perish : Credit
and Fiscal Systems in Rural China, Cornell University Press, Ithaca, État de New York, 2012,
p. 156.
757. Ong, Prosper or Perish, p. 159.
758. Gansu, 128-10-475, Document sur la dette gouvernementale et les prêts convertible,
14 mai 2001, pp. 90-98 ; voir aussi Feng Xingyuan, « Local Government Debt and Municipal
Bonds in China : Problems and a Framework of Rules », Copenhagen Journal of Asian Studies,
31, no 2 (2013), pp. 23-53.
759. Gansu, 136-1-189, Rapport de Zhong Zhaolong, président de la Conférence consultative
populaire de la province du Gansu, 25 juillet 1998, p. 41.
760. Gansu, 128-10-464, Conseil des Affaires de l’État, document 62, 28 août 2001, pp. 72-3,
suivi du Rapport de la Commission disciplinaire, 27 juillet 2001, pp. 74-87.
761. Ong, Prosper or Perish, p. 138 ; sur les privations dnas les campagnes, les deux sources
primaires suivantes sont essentielles : Cao Jinqing, China along the Yellow River : Reflections
on Rural Society, Routledge Curzon, Londres, 2005, p. 4 ; Chen Guidi et Wu Chuntao, Will the
Boat Sink the Water ? : The Life of China’s Peasants, PublicAffairs, New York, 2006.
762. Steven Mufson, « China’s Beefed-Up Private Sector », Washington Post, 12 avril 1998 ;
Liz Sly, « China Granting “Important” Private Sector Room to Grow », Chicago Tribune,
10 mars 1999.
763. Liz Sly, « China Granting “Important” Private Sector Room to Grow », Chicago Tribune,
10 mars 1999.
764. Liz Sly, « China Granting “Important” Private Sector Room to Grow », Chicago Tribune,
10 mars 1999.
765. Jasper Becker, The Chinese, The Free Press, New York, 2000, pp. 148-60 ; Richard
McGregor, The Party : The Secret World of China’s Communist Rulers, HarperCollins, New
York, 2010, p. 43.
766. Les termes étaient suoyouzhi gaozao, ou simplement zhuanzhi, ou gufenhua.
767. Carsten Holz et Tian Zhu, « Reforms Simply Shifting Burden », South China Morning
Post, 1er octobre 1999.
768. Erik Eckholm, « Unrest Grows at China’s Old State Plants », New York Times, 17 mai
2000 ; John Pomfret, « Chinese Workers Are Showing Disenchantment », Washington Post,
23 avril 2000.
769. Ted Plafker, « Incidence of Unrest Rising in China », Washington Post, 18 juillet 2000.
770. Willy Lam, « Nip Protest in the Bud, Jiang Tells Top Cadres », South China Morning Post,
17 novembre 1998 ; Jasper Becker, « Jiang Rejects Political Reform », South China Morning
Post, 19 décembre 1998.
771. John Harris, « Jiang Earns Clinton’s High Praise », Washington Post, 4 juillet 1998.
772. Liz Sly, « On Human Rights, China Takes a 2-Tack Strategy », Chicago Tribune, 6 octobre
1998 ; John Pomfret, « Politics Stirs Crackdown in China », Washington Post, 3 janvier 1999 ;
on peut lire l’histoire émouvante de l’un des fondateurs du Parti démocrate chinois dans Zha
Jianying, « Enemy of the State », Tide Players : The Movers and Shakers of a Rising China, The
Free Press, New York, 2011.
773. Liz Sly, « On Human Rights, China Takes a 2-Tack Strategy », Chicago Tribune, 6 octobre
1998 ; Henry Chu, « Chinese Rulers Fear Angry Workers May Finally Unite », Los Angeles
Times, 4 juin 1999.
774. John Gittings, « Cult Descends on Heart of Beijing », Guardian, 26 avril 1999.
775. Craig Smith, « Influential Devotees at Core of Chinese Movement », Wall Street Journal,
30 avril 1999.
776. Charles Hutzler, « Beijing Seeks to Rein in Falun Gong », South China Morning Post,
9 mai 1999 ; voir aussi, plus généralement, James Tong, « Anatomy of Regime Repression in
China : Timing, Enforcement Institutions, and Target Selection in Banning the Falungong,
juillet 1999 », Asian Survey, 42, no 6 (décembre 2002), pp. 795-820.
777. Kevin Platt, « Another Tiananmen Ahead », Christian Science Monitor, 23 juillet 1999.
778. John Pomfret, « Cracks in China’s Crackdown », Washington Post, 12 novembre 1999 ;
Cindy Sui, « Falun Gong Holds Jail Hunger Strike », Washington Post, 15 février 2000.
779. Ted Plafker, « Falun Gong Stays Locked in Struggle with Beijing », Washington Post,
26 avril 2000 ; « Cult Protests Upstage Festivities », South China Morning Post, 2 octobre 2000.
780. Philip Pan, « Five People Set Themselves Afire in China », Washington Post, 24 janvier
2001.
781. John Pomfret et Philip Pan, « Torture Is Tearing at Falun Gong », Washington Post, 5 août
2001.
782. Mark O’Neill, « Thousands of Unemployed Recruited to Round Up Falun Gong », South
China Morning Post, 31 janvier 2001 ; Robert Marquand, « In Two Years, Falun Gong Nearly
Gone », Christian Science Monitor, 6 août 2001.
783. Michael Sheridan, « China Crushes the Church », Sunday Times, 1er juillet 1999 ; Kevin
Platt, « The Wrong Churches in China », Christian Science Monitor, 21 décembre 1999.
784. Vivien Pik-Kwan Chan, « Officials “Mask Extent of Church Closures” », South China
Morning Post, 14 décembre 2000 ; Wenzhou, J202-20-126, 4 janvier 2001, pp. 16-17.
785. Daniel Kwan, « Nation Doomed if Cadres Lose Faith in Communism », South China
Morning Post, 1er juillet 1999 ; Wenzhou, J34-34-93, télégramme urgent transmettant des ordres
sur l’étude de documents importants, 15 juillet 1999, pp. 60-62.
786. Li Rui, Journal, 27 avril 2000.
787. « Party Chief Makes “Important Speech” on Party Building in Shanghai », BBC
Monitoring Asia Pacific, 5 mai 2000.
788. Wenzhou, J201-25-9, Document sur la construction du parti, 5 juillet 2000, pp. 124-163.
789. Clara Li, « City’s Rich Line Up to Be “Red Capitalists” », South China Morning Post,
13 août 2001.
790. Wenzhou, J34-34-84, Allocutions de Wen Jiabao sur la Construction du Parti à l’intérieur
du système financier, 5 avril 1999, pp. 5-15, également dans le même fichier, son intervention
datée du 14 septembre 1999, pp. 67-82.
791. Li Rui, Journal, 2 août et 11 septembre 2001 ; Mark O’Neill, « Party Closes Leftist Journal
That Opposed Jiang », South China Morning Post, 14 août 2001.
792. Steven Lee Myers, « Deaths Reported », New York Times, 8 mai 1999.
793. Mark O’Neill, « Politics, Patriotism and Laying the Blame », South China Morning Post,
11 mai 1999.
794. Elisabeth Rosenthal, « China Protesters Rage at America », New York Times, 9 mai 1999 ;
Erik Eckholm, « Tightrope for China », New York Times, 10 mai 1999.
795. John Pomfret et Michael Laris, « China Suspends Some U.S. Ties », Washington Post,
10 mai 1999.
796. Wenzhou, J201-24-74, Jiang Zemin, Allocution au Comité permanent du Politburo, 8 mai
1999, pp. 33-39.
797. Wenzhou, J201-24-74, Jiang Zemin, Allocution au Comité permanent du Politburo, 9 mai
1999, pp. 39-47.
798. Wenzhou, J201-26-51, Conférence nationale sur la sécurité publique, 5 avril 2001, pp. 89-
116.
799. Wenzhou, J232-18-17, Allocution du secrétaire du Parti Jiang Jufeng, 29 juin 2001,
pp. 181-197.
800. Wenzhou, J201-24-74, Série de télégrammes du Bureau du Comité central, 17 juin 1999,
pp. 25-28.
801. Karoline Kan, Under Red Skies : Three Generations of Life, Loss, and Hope in China,
Hachette Books, New York, 2019, pp. 83-87.
802. John Pomfret, « Ashes Returned to China », Washington Post, 12 mai 1999.

Notes du chapitre 9
803. Jasper Becker, « First Money, Then Enlightenment », South China Morning Post,
8 novembre 2001.
804. Clay Chandler, « Trying to Make Good on Bad-Debt Reform », Washington Post,
15 janvier 2002.
805. Gene Epstein, « The Tariff Trap », Barron’s, 82, no 28 (15 juillet 2002), pp. 21-22.
806. Alexander Delroy, « Industries Foresee World Trade Welcome for China », Chicago
Tribune, 11 octobre 2001 ; Peter Humphrey, « Honey Pot Full of Sticky Promise », South China
Morning Post, 17 juillet 2000 ; Jerome Cohen, « China’s Troubled Path to WTO », International
Financial Law Review, 20, no 9 (septembre 2001), pp. 71-74.
807. Paul Blustein, « China’s Trade Moves Encourage U.S. Firms », Washington Post, 6 avril
1999 ; Ian Perkin, « A New Long March in the Offing », Hong Kong Business, décembre 1999 ;
Steve Chapman, « The Empty Case Against the China Trade Deal », Chicago Tribune, 18 mai
2000.
808. Certaines de ces conceptions sont résumées dans Chalmers Johnson, « Breaching the Great
Wall », American Prospect, no 30 (février 1997), pp. 24-29.
Paul Blustein, « China’s Trade Moves Encourage U.S. Firms », Washington Post, 6 avril 1999 ;
Ian Perkin, « A New Long March in the Offing », Hong Kong Business, décembre 1999 ; Steve
Chapman, « The Empty Case Against the China Trade Deal », Chicago Tribune, 18 mai 2000.
809. Kevin Platt, « A Deal That May Transform China », Christian Science Monitor,
16 novembre 1999 ; Will Hutton, « At Last, the Fall of the Great Wall of China », Observer,
21 novembre 1999.
810. United States Census Bureau, Foreign Trade : Trade in Goods with China,
www.census.gov ; Marla Dickerson, « Mexico Files Trade Grievance », Los Angeles Times,
27 février 2007.
811. Karby Leggett, « Economy Stirs as China Gears for WTO », Wall Street Journal, 12 April
2000 ; Karby Leggett, « Foreign Investment Not a Panacea in China », Wall Street Journal,
14 janvier 2002.
812. Jasper Becker, « Best-Laid Plans Go Astray », South China Morning Post, 16 mars 2001 ;
James Kynge, China Shakes the World : The Rise of a Hungry Nation, Weidenfeld & Nicolson,
Londres, 2006, p. 61.
813. Jason Booth et Matt Pottinger, « China’s Deflation Puts Pressure on WTO Nations », Wall
Street Journal, 23 novembre 2001.
814. Jon Hilsenrath et Lucinda Harper, « Deflation Fears Make a Comeback », Wall Street
Journal, 13 août 2002.
815. Mary Jordan, « Mexican Workers Pay for Success », Washington Post, 20 juin 2002 ; Ken
Belson, « Japanese Capital and Jobs Flowing to China », New York Times, 17 février 2004.
816. Peter Wonacott et Leslie Chang, « As Fight Heats Up Over China Trade, Business Is
Split », Wall Street Journal, 4 septembre 2003.
817. Un excellent compte-rendu figure dans Kynge, China Shakes the World.
818. « U.S. Businesses Urge Trade Sanctions to Stop Piracy of Software in China »,
Washington Post, 11 avril 1989 ; Daniel Southerland, « Piracy of U.S. Software in China Is Big
Problem, Commerce Officials Warn », Washington Post, 14 janvier 1989.
819. « U.S. Sidesteps Piracy Trade Issue with China Until After Rights Deadline », Washington
Post, 1er mai 1994 ; Teresa Poole, « Peking Backs off US Trade War », Independent, 27 février
1995 ; Miriam Donohoe, « China Faces Up to Its Counterfeiters », Irish Times, 29 juin 2001.
820. John Pomfret, « Chinese Pirates Rob “Harry” of Magic, and Fee », Washington Post,
1er novembre 2002 ; voir aussi, plus généralement, William C. Hannas, James Mulvenon et
Anna B. Puglisi, Chinese Industrial Espionage : Technology Acquisition and Military
Modernization, Routledge, Londres, 2013, et William C. Hannas et Didi Kirsten Tatlow (éd.),
China’s Quest for Foreign Technology : Beyond Espionage, Routledge, Londres, 2021.
821. Li Yahong, « The Wolf Has Come : Are China’s Intellectual Property Industries Prepared
for the WTO ? », Pacific Basin Law Journal, 20, no 1, 2002, p. 93 ; John Pomfret, « Chinese
Pirates Rob “Harry” of Magic, and Fees », Washington Post, 1er novembre 2002 ; Kynge, China
Shakes the World, p. 57.
822. Karby Leggett, « U.S. Auto Makers Find Promise and Peril in China », Wall Street
Journal, 19 juin 2003.
823. Janet Moore, « Intellectual Property », Star Tribune, 28 novembre 2005 ; Andrew
England, « Counterfeit Goods Flooding Poorer Countries », Washington Post, 30 décembre
2001.
824. Mike Hughlett, « Counterfeits Pose Real Risks », Chicago Tribune, 29 septembre 2006 ;
Joseph Kahn, « Can China Reform Itself ? », New York Times, 8 juillet 2007 ; Tania Branigan,
« Chinese Figures Show Fivefold Rise in Babies Sick from Contaminated Milk », Guardian,
2 décembre 2008 ; David Barboza, « China Finds Poor Quality in Its Stores », New York Times,
5 juillet 2007.
825. Joseph Kahn, « China’s Workers Risk Limbs in Export Drive », New York Times, 7 avril
2003.
826. Wenzhou, J202-20-59, Rapport sur le travail des enfants dans la province du Zhejiang,
24 janvier 2003, pp. 7-12.
827. David Barboza, « China Says Abusive Child Labor Ring Is Exposed », New York Times,
1er mai 2008.
828. Ching-Ching Ni, « China’s Use of Child Labor Emerges from the Shadows », Los Angeles
Times, 13 mai 2005.
829. Keith Bradsher, « Fuel Shortages Put Pressure on Price Controls in China », New York
Times, 18 août 2005 ; Don Lee, « China Braces for Leap in Gas Prices », Los Angeles Times,
9 juin 2008.
830. Cui Zhiyuan, « China’s Export Tax Rebate Policy », China : An International Journal, 1,
no 2 (septembre 2003), pp. 339-349 ; voir également Usha C. V. Haley et George T. Haley,
Subsidies to Chinese Industry : State Capitalism, Business Strategy, and Trade Policy, Oxford
University Press, New York, 2013.
831. Peter Wonacott et Phelim Kyne, « Shifty, U.S. Investors Intensify Criticism of China
Trade Policies », Wall Street Journal, 6 octobre 2003.
832. « China’s Money Supply Soars », Asian Wall Street Journal, 12 septembre 2003 ; David
Francis, « Will China Clothe the World ? », Christian Science Monitor, 5 août 2004.
833. Keith Bradsher, « China Finds a Fit with Car Parts », New York Times, 7 juin 2007.
834. Ching-Ching Ni, « Citibank Enters China’s Consumer Banking Market », Los Angeles
Times, 22 mars 2002.
835. Walter et Howie, Red Capitalism, p. 27.
836. Kathy Chen, « China Sets Own Wireless Encryption Standard », Wall Street Journal,
3 décembre 2003 ; Evelyn Iritani, « U.S. Accuses China of Hampering Trade », Los Angeles
Times, 19 mars 2004.
837. World Trade Organization (Organisation mondiale du travail), International Trade
Statistics 2009, Genève, WTO, 2009, tableau II.50, p. 88.
838. Peter Wonacott, « China Saps Commodity Supplies », Wall Street Journal, 24 octobre
2003.
839. Mark Magnier, « China Courts the World to Slake a Thirst », Los Angeles Times, 17 juillet
2005.
840. Wenzhou, J156-19-11, Rapport du Bureau des affaires extérieures, 20 juillet 2002 ; voir
aussi Li Zhongjie, Gaige kaifang guanjian ci (Mots-clefs pour la réforme et l’ouverture),
Renmin chubanshe, Beijing, 2018, pp. 350-351.
841. Joseph Kahn, « Behind China’s Bid for Unocal : A Costly Quest for Energy Control »,
New York Times, 27 juin 2005.
842. Zhongguo guoji maoyi cujin weiyuanhui jingji xinxibu (ed.), « Woguo “zou chuqu”
zhanlüe de xingcheng ji tuidong zhengce tixi fenxi » (Analyse de la stratégie « Going Global »
de notre pays), janvier 2007, pp. 1-3.
843. Mark Magnier, « China Courts the World to Slake a Thirst », Los Angeles Times, 17 juillet
2005 ; James Traub, « China’s African Adventure », New York Times, 19 novembre 2006.
844. « China’s Global Reach », Christian Science Monitor, 30 janvier 2007 ; Alexei
Barrionuevo, « China’s Appetites Lead to Changes in Its Trade Diet », New York Times, 6 avril
2007.
845. Christian Tyler, Wild West China : The Taming of Xinjiang, John Murray, Londres, 2003.
846. Gansu, 128-6-320, Rencontre de Zhao Ziyang avec Feng Jixin, chef de la province du
Gansu, 28 juillet 1982, pp. 113-120.
847. Derek Edward Peterson, « When a Pound Weighed a Ton : The Cotton Scandal and Uzbek
National Consciousness », thèse de doctorat, université de l’État d’Ohio, 2013 ; également
Riccardo Mario Cucciolla, The Crisis of Soviet Power in Central Asia : The « Uzbek Cotton
Affair » (1975-1991), thèse de doctorat, IMT School for Advanced Studies, Lucca, Italie, 2017.
848. MAE, 2882TOPO/2936, « Controverse sur l’exploitation du Nord-Ouest chinois »,
30 septembre 1983.
849. Willy Lam, « Jiang Woos Uighurs With Aid Promise », South China Morning Post,
4 septembre 1990 ; Ivan Tang, « Boom in Cotton Sows Seeds of Discontent », South China
Morning Post, 10 juin 1997.
850. Liz Sly, « Ethnic Crisis Brews in China », Chicago Tribune, 19 octobre 1999.
851. Liz Sly, « Ethnic Crisis Brews in China », Chicago Tribune, 19 octobre 1999 ; Josephine
Ma, « Go West », South China Morning Post, 18 mai 2001.
852. Elizabeth Van Wie Davis, « Uyghur Muslim Ethnic Separatism in Xinjiang », Asian
Affairs, 35, no 1 (printemps 2008), pp. 15-29.
853. « Half Harvest Remains Unsold in China Major Cotton Producing Region », Xinhua News
Agency, 6 novembre 2008 ; Cotton Economics Research Institute Policy Modeling Group,
Global Cotton Baseline, Cotton Economics Research Institute, Lubbock, Texas, 2009, p. 11.
854. William Kazer, « Ambitious Building Boom Fuels Growth », South China Morning Post,
28 décembre 2001.
855. Joseph Kahn, « China Gambles on Big Projects for Its Stability », New York Times,
13 janvier 2003.
856. Ron Glucksman, « Business : The Chinese Chicago », Newsweek, 24 mai 2004 ; Joseph
Kahn, « China Gambles on Big Projects for Its Stability », New York Times, 13 janvier 2003.
857. Phelim Kyne et Peter Wonacott, « As Investment in China Booms, Some Fear a Real-
Estate Bust », Wall Street Journal, 10 octobre 2002 ; Kathy Chen and Karby Leggett, « Surge in
Lending in China Stokes Economic Worries », Wall Street Journal, 3 octobre 2003.
858. Peter Goodman, « Booming China Devouring Raw Materials », Washington Post, 21 mai
2004.
859. Kathy Chen et Karby Leggett, « Surge in Lending in China Stokes Economic Worries »,
Wall Street Journal, 3 octobre 2003.
860. Joseph Kahn, « China Gambles on Big Projects for Its Stability », New York Times,
13 janvier 2003.
861. Kathy Chen et Karby Leggett, « Surge in Lending in China Stokes Economic Worries »,
Wall Street Journal, 3 octobre 2003 ; Joseph Kahn, « China Gambles on Big Projects for Its
Stability », New York Times, 13 janvier 2003.
862. Walter et Howie, Red Capitalism, pp. 17-19.
863. Walter et Howie, Red Capitalism, pp. 19-20.
864. Peter Goodman, « Manufacturing Competition », Washington Post, 11 août 2004.
865. Jian Dong, « Foreign Capital M & A to Be Further Regulated », Jingji daobao, 2 avril
2007 ; voir aussi Mure Dickie, « China Moves to Combat Threat of Foreign-Owned
Monopolies », Financial Times, 11 novembre 2006 ; « China Regulations : Problems with
China’s New M & A Law », EIU ViewsWire, 6 novembre 2006.
866. Hu Jintao, « Jianchi fayang jianku fendou de youliang zuofeng », (Persévérer et
développer dans un style de travail de première qualité par une lutte opiniâtre), Renmin ribao,
3 janvier 2003.
867. John Gittings, « China Launches Drive Against Party Corruption », Guardian, 21 février
2003 ; Jia Hepeng, « The Three Represents Campaign Reform the Party or Indoctrinate the
Capitalists ? », Cato Journal, 24, no 3 (automne 2004), p. 270 ; Peter Goodman,
« Manufacturing Competition », Washington Post, 11 août 2004 ; Derek Scissors, « Deng
Undone », Foreign Affairs, 88, no 3 (juin 2009), pp. 24-39.
868. Sur la pollution et l’assaut contre la nature pendant le Grand Bond en avant, voir Dikötter,
Mao’s Great Famine ; chapitre 21 ; voir aussi Judith Shapiro, Mao’s War against Nature :
Politics and the Environment in Revolutionary China, Cambridge University Press, New York,
2001.
869. Wenzhou, J1-27-61, Rapport sur la Pollution dans la province du Zhejiang, 2 février 1980,
pp. 167-170.
870. Shanghai, B184-2-732, Conférence nationale sur la pollution industrielle, 21 janvier 1983,
pp. 211-220 ; Gansu, 238-1-117, Rapport sur la pollution, mars 1985, p. 101.
871. Gansu, 238-1-268, Qu Geping, Rapport sur la pollution, 19 avril 1992, pp. 87-101 ; Song
Jian, Rapport sur la pollution, 19 avril 1992, pp. 72-87.
872. Wenzhou, J173-5-109, 15 décembre 1998, pp. 140-149 ; Gansu, 128-10-177, Rapport du
Conseil des Affaires de l’État, 7 novembre 1998, pp. 4-28.
873. Jim Yardley, « Pollution Darkens China’s Prospects », International Herald Tribune,
31 octobre 2005 ; « Millions in China Drink Foul Water, Beijing Discloses », Wall Street
Journal, 30 décembre 2005 ; voir aussi Elizabeth Economy, The River Runs Black : The
Environmental Challenge to China’s Future, Cornell University Press, Ithaca, New York, 2004 ;
sur les années plus récentes, voir Huang Yanzhong, Toxic Politics : China’s Environmental
Health Crisis and Its Challenge to the Chinese State, Cambridge University Press, Cambridge,
2020.
874. Joseph Kahn et Mark Landler, « China Grabs West’s Smoke-Spewing Factories », New
York Times, 21 décembre 2007.
875. Joshua Kurlantzick, « China’s Blurred Horizon », Washington Post, 19 septembre 2004.
876. Howard French, « Riots in a Village in China as Pollution Protest Heats Up », New York
Times, 19 juillet 2005 ; Howard French, « Land of 74,000 Protests », New York Times, 24 août
2005 ; Ching-Ching Ni, « China Finds Chemical Plants Pose Widespread Risk to Rivers », Los
Angeles Times, 25 janvier 2006.
877. Zhao Xu, Liu Junguo, Hong Yang, Rosa Duarte, Martin Tillotson et Klaus Hubacek,
« Burden Shifting of Water Quantity and Quality Stress from Megacity Shanghai », Water
Resources Research, 52, no 9 (septembre 2016), pp. 6916-6927.
878. Simon Montlake, « China’s Pearl River Smells, but Mayor Vows to Swim », Christian
Science Monitor, 5 mai 2006.
879. Mark O’Neill, « Beijing Wins Olympics in Moscow », South China Morning Post,
14 juillet 2001.
880. Alan Abrahamson, « Bidding Its Time », Los Angeles Times, 1er juillet 2001.
881. John Gittings, « Mystery Bug Causes Panic Across China », Observer, 16 février 2003.
882. John Pomfret et Peter Goodman, « Outbreak Originated in China », Washington Post,
17 mars 2003 ; Matt Pottinger, « Hong Kong Hotel Was a Virus Hub », Wall Street Journal,
21 mars 2003 ; Michael Lev, « China Not Sharing Data on Outbreaks, Health Group Says »,
Chicago Tribune, 22 mars 2003 ; Lawrence Altman et Keith Bradsher, « China Bars W.H.O.
Experts from Origin Site of Illness », New York Times, 26 mars 2003.
883. Matt Pottinger, « Outraged Surgeon Forces China to Take a Dose of the Truth », Wall
Street Journal, 22 avril 2003 ; « China’s Other Disease », Wall Street Journal, 22 avril 2003 ;
« Eyi chaozuo, yushi wubu » (Cette ingérence malveillante est inutile), Renmin ribao, 17 avril
2003.
884. « A Shot of Transparency », The Economist, 12 août 2006.
885. Cheryl Miller, « The Red Plague », New Atlantis (hiver 2007) ; Verna Yu, « Doctor Who
Exposed Sars Cover-Up Is Under House Arrest in China, Family Confirm », South China
Morning Post, 9 février 2020.
886. Peter Wonacott, « Beijing Postpones Marketing Launch for’08 Olympics », Wall Street
Journal, 15 mai 2003.
887. Jim Yardley, « Beijing’s Olympic Quest », New York Times, 29 décembre 2007 ; John
Boudreau, « A Marathon of Building for Beijing Olympics », McClatchy-Tribune News, 16 août
2007 ; « Chinese Spokesman : Has No Forced Evictions for Beijing Olympics », BBC
Monitoring Asia Pacific, 5 juin 2007.
888. Don Lee, « Chinese Hope Pre-Games Cleanup Will Be Fresh Start », Los Angeles Times,
6 août 2008.
889. « Press Hails “Greatest Ever” Olympic Opening Show », Agence France Presse, 9 août
2008.
890. Tania Branigan, « Olympics : Child Singer Revealed as Fake », Guardian, 12 août 2008 ;
Jonathan Watts, « China Faked Footprints of Fire Coverage in Olympics Opening Ceremony »,
Guardian, 11 août 2008 ; Belinda Goldsmith, « Ethnic Children Faked at Games Opening »,
Reuters, 15 août 2008.
891. « China Declares “People’s War” as Tibet Riots Spread », Times of India, 17 mars 2008 ;
Robert Barnett, « The Tibet Protests of Spring 2008 : Conflict Between the Nation and the
State », China Perspectives, no 3 (septembre 2009), pp. 6-23.
892. « Olympic Torch Protests Around the World », Reuters, 28 avril 2008 ; Howard French,
« Unrest in Tibet Exposes a Clash of Two Worlds », New York Times, 20 mars 2008 ; Jim
Yardley, « Nationalism at Core of China’s Angry Reaction to Tibetan Protests », New York
Times, 30 mars 2008.
893. Mark Magnier, « Dialing Back Chinese Anger », Los Angeles Times, 19 avril 2008.
894. Edward Wong et Keith Bradsher, « As China Girds for Olympics, New Violence », New
York Times, 4 août 2008 ; Howard French, « China to Curb Dissidents in Shanghai During
Games », New York Times, 26 juin 2008 ; « Olympic Hangover : The Games Are Over, But Hu
Jia Is Still in Prison », Washington Post, 24 octobre 2008.
895. « U.S. Seeks Release of Olympic Protesters », Korea Times, 25 août 2008.

Notes du chapitre 10
896. Wenzhou, J202-22-817, 14 mai 2009, pp. 1-14 ; Don Lee, « China’Bosses Are
Abandoning Ship », Los Angeles Times, 3 novembre 2008 ; Edward Wong, « Factories Shut,
China Workers Are Suffering », New York Times, 14 novembre 2008.
897. David Barboza, « Great Engine of China Slows », New York Times, 26 novembre 2008.
898. Edward Wong, « Factories Shut, China Workers Are Suffering », New York Times,
14 novembre 2008 ; Keith Bradsher, « China’s Route Forward », New York Times, 23 janvier
2009.
899. Keith Bradsher, « China’s Route Forward », New York Times, 23 janvier 2009.
900. Patrick Chovanec, « China’s Hidden Inflation », Bloomberg, 22 octobre 2010.
901. Michael Wines et David Barboza, « Fire Trips Alarms About China’s Building Boom »,
New York Times, 17 novembre 2010 ; Ana Swanson, « How China Used More Cement in 3
Years Than the U.S. Did in the Entire 20th Century », Washington Post, 24 mars 2015 ; Holland
Cotter, « A Building Boom in China », New York Times, 21 mars 2013.
902. Didi Kirsten Tatlow, « A Challenge to China’s Self-Looting », International Herald
Tribune, 23 juin 2011.
903. Andrew Jacobs, « Harassment and Evictions Bedevil Even China’s Well-Off », New York
Times, 28 octobre 2011.
904. Andrew Jacobs, « Harassment and Evictions Bedevil Even China’s Well-Off », New York
Times, 28 octobre 2011 ; Wade Shepard, « During Its Long Boom, Chinese Cities Demolished
an Area the Size of Mauritius Every Year », CityMonitor, 22 septembre 2015, citant le cabinet
d’études GK Dragonomics.
905. Adrian Wan, « Hong Kong’s Architectural Heritage Conservation Is Praised », South
China Morning Post, 24 juillet 2013.
906. Christina Larson, « The Cracks in China’s Shiny Buildings », Bloomberg Businessweek,
27 septembre 2012 ; Choi Chi-yuk, « The Shame of Sichuan’s Tofu Schools », South China
Morning Post, 6 mai 2013.
907. David Pierson, « A Boom Muffled in China », Los Angeles Times, 7 septembre 2010.
908. Keith Bradsher, « It’s All About the Dollar », New York Times, 16 octobre 2009 ; David
Pierson, « China Bounces Back, But Is It for Real ? », Los Angeles Times, 21 octobre 2009.
909. Jamil Anderlini et Geoff Dyer, « Beijing Accused of Launching Attack on Private
Enterprise », Financial Times, 26 novembre 2009 ; Michael Wines, « China Fortifies State
Businesses to Fuel Growth », New York Times, 30 août 2010.
910. Neil Gough, « What Trade Overhaul ? », South China Morning Post, 10 décembre 2011.
911. « Awash in Cash », China Economic Review, août 2012.
912. David Pierson, « China Bounces Back, But Is It for Real ? », Los Angeles Times,
21 octobre 2009.
913. Stephen Castle et David Jolly, « China Escalates Trade Fight Over European Shoe Tariff »,
New York Times, 5 février 2010.
914. Edward Wong, « Confidence and Disdain Toward U.S. from China », International Herald
Tribune, 17 juin 2008 ; Carter Dougherty and Katrin Bennhold, « Russia and China Blame
Capitalists for Crisis », New York Times, 29 janvier 2009 ; Barry Naughton, « In China’s
Economy, The State’s Hand Grows Heavier », Current History, 108, no 719 (septembre 2009),
pp. 277-283 ; sur la « voie chinoise » (Zhongguo daolu), voir par exemple « Zhongguo dalu »
(La voie chinoise), Renmin ribao, 26 juin 2012 ; voir aussi Wang Xiangping, « “Zhongguo
moshi” yu Zhongguo tese shehuizhuyi daolu », Dangdai Zhongguo shi yanjiu, 2013, no 5,
pp. 89-97.
915. Willy Lam, « Hu Jintao’s Great Leap Backward », Far Eastern Economic Review, 172,
no 1 (janvier 2009), pp. 19-22.
916. Andrew Jacobs, « Chinese Learn Limits of Online Freedom as the Filter Tightens », New
York Times, 5 février 2009.
917. Sharon LaFraniere, « In Second Internet Crackdown, China Squelches Multimedia »,
International Herald Tribune, 18 décembre 2009 ; Michael Wines et Sharon LaFraniere, « Web
Censors in Mainland Everywhere But Nowhere », International Herald Tribune, 8 avril 2010.
918. Jake Hooker, « Quake Revealed Deficiencies of China’s Military », New York Times,
2 juillet 2008 ; Jennifer Ngo, « Hong Kong Responds Generously After Latest Sichuan
Earthquake », South China Morning Post, 21 avril 2013.
919. « U.S. House Overwhelmingly Passes Rep. Wu Resolution in Support of Jailed Sichuan
Earthquake Activists », US Fed News Service, 20 novembre 2009.
920. David Barboza, « Prominent Artist Pushes for Candor on Sichuan Earthquake »,
International Herald Tribune, 20 mars 2009 ; « The Artist’s Blog Banned by the Chinese
Government », The Times, 23 avril 2011.
921. Tania Branigan, « Chen Guangcheng », Guardian, 27 avril 2012 ; Peter Ford, « China’s
Blind Activist Lawyer, Chen Guangcheng, Released From Prison », Christian Science Monitor,
9 septembre 2010.
922. Willy Lam, « The Politics of Liu Xiaobo’s Trial », dans Jean-Philippe Béja, Fu Hualing et
Eva Pils (éd.), Liu Xiaobo, Charter 08 and the Challenges of Political Reform in China, Hong
Kong University Press, Hong Kong, 2012, pp. 262-263 ; Hu Ben, « Weiwenban rujie jincun »
(Les bureaux pour le maintien de la sécurité de la société entrent dans les rues et les villages),
Nanfang zhoumo, 18 août 2010.
923. « Beijing Denounces Nobel Prize », Capital, 6 novembre 2010.
924. Andrew Jacobs et Jonathan Ansfield, « Well-Oiled Security Apparatus in China Stifles
Calls for Change », New York Times, 1er mars 2011 ; « China’s Urumqi to Install 17,000
Surveillance Cameras », BBC Monitoring Asia Pacific, 25 janvier 2011 ; « China : Chongqing
Will Add 200,000 Surveillance Cameras », New York Times, 10 mars 2011 ; « The Good and
Bad of TV Surveillance », Kamloops Daily News, 3 octobre 2011.
925. « Hundreds Join “Jasmine Revolution” », South China Morning Post, 21 février 2011 ;
Andrew Jacobs, « Catching Scent of Revolution, China Moves to Snip Jasmine », New York
Times, 10 mai 2011.
926. Tania Branigan, « Ai Weiwei Interrogated by Chinese Police “More Than 50 Times” »,
Guardian, 10 août 2011.
927. Sharon LaFraniere, Michael Wines et Edward Wong, « China Reins In Entertainment and
Blogging », New York Times, 27 octobre 2011 ; « China Cracks Down on “Fake Journalists and
News” », Dow Jones Institutional News, 14 novembre 2011 ; David Pierson, « China Fails to
Ease Controls », Los Angeles Times, 23 mars 2011.
928. Andrew Jacobs, « Chinese Heroism Effort Is Met with Cynicism », New York Times,
6 mars 2012.
929. Barbara Demick, « Chinese Perk Up at Wen’s Words : The Premier Has Spoken Out on
Political Reform. Some Doubt His Sincerity », Los Angeles Times, 16 octobre 2010 ; Shi
Jiangtao, « Beijing Slams Door on Political Reform », South China Morning Post, 11 mars
2011.
930. Wenzhou, J202-22-450, zhongfa (2008) 14, Directive du Comité central sur l’étude du
marxisme, 14 septembre 2008, pp. 1-16.
931. « China Marks 60 Years of Communist Rule », Korea Times, 2-4 octobre 2009.
932. « Chinese VP Calls for Enhancing Study of Marxism », Xinhua News Agency,
10 décembre 2009 ; « Chinese Journal on Sinicization, Modernization, Popularization of
Marxism », BBC Monitoring Asia Pacific, 19 décembre 2009.
933. « Xi Jinping : Man for All Factions Is Tip for Top », South China Morning Post,
23 octobre 2007 ; Jane Perlez, « China Leader with Close Army Ties Would Be Force for U.S.
to Contend With », New York Times, 4 novembre 2012.
934. Wenzhou, J202-22-450, 15 janvier 2008, zhongban (2008) no 2, Directive du Comité
central sur le lancement d’un travail idéologique mondial, pp. 17-32.
935. Rowan Callick, « China Splashes $10bn in Push for “Soft Power” », Australian, 23 février
2009.
936. Zhang Yuwei, « Confucian Way of Spreading Chinese Culture », Chicago Tribune,
21 janvier 2011.
937. « Beware the Beijing Model », The Economist, 26 May 2009 ; « Chinese Party Paper
Views World’s Fascination with “China Model” », BBC Monitoring Asia Pacific, 30 juin 2009.
938. « China’s Real 2010 Defense Spending Estimated at US$240 Bln », Asia Pulse, 11 mars
2011.
939. Tom Vanden Brook et Calum MacLeod, « China’s Military Flexes Its Muscle », USA
Today, 28 juillet 2011.
940. Robert Maginnis, « China Lies About Its Huge Military Buildup », Human Events, vol. 67,
no 14, 11 avril 2011, p. 8 ; Nuclear Threat Initiative, « China Missile Technology », juin 2012.
941. Elisabeth Bumiller, « U.S. Official Warns About China’s Military Buildup », New York
Times, 25 août 2011.
942. « China’s Aggressive New Diplomacy », Wall Street Journal, 1er octobre 2010.
943. Don Lee, « Run-In at Sea U.S. Fault, Beijing Says », Los Angeles Times, 11 mars 2009.
944. Jane Perlez, « Alarm as China Issues Rules for Disputed Area », New York Times,
2 décembre 2012.

Notes de l’épilogue
945. David Barboza, « China’s Cities Piling Up Debt to Fuel Boom », New York Times, 7 juillet
2011.
946. Lynette H. Ong, « State-Led Urbanization in China : Skyscrapers, Land Revenue and
“Concentrated Villages” », China Quarterly, no 217 (mars 2014), p. 175 ; Gabriel Wildau,
« Legacy of Chinese Government’s Economic Stimulus Is Mixed », Financial Times,
20 novembre 2015.
947. « Researcher Puts China’s Local Government Debt at 20 Trillion Yuan », Dow Jones
Institutional News, 17 septembre 2013 ; Hong Shen, « China Seeks Clearer View of
Government Debt Mountain », Wall Street Journal, 21 octobre 2013 ; « China’s Hidden Debt
Risk », Korea Times, 26 mars 2013.
948. Dinny McMahon, « With Cash Scarce in China, IOUs Proliferate », Wall Street Journal,
4 avril 2014 ; voir aussi l’ouvrage indispensable de Dinny McMahon, China’s Great Wall of
Debt, Little, Brown, Londres, 2018.
949. Josh Noble et Gabriel Wildau, « Fear of a Deflationary Spiral », Financial Times,
1er décembre 2014.
950. Patrick Chovanec, « China Destroyed Its Stock Market in Order to Save It », Foreign
Policy, 16 juillet 2015.
951. Keith Bradsher, « China’s Wealthy Move Money Out as Country’s Economy Weakens »,
New York Timesmes, 14 février 2016.
952. « Robber Barons, Beware », The Economist, 24 octobre 2015.
953. Gary Huang, « How Leading Small Groups Help Xi Jinping and Other Party Leaders
Exert Power », South China Morning Post, 20 janvier 2014 ; Nis Grünberg, « The CCP’s Nerve
Center », Merics, 30 octobre 2019.
954. « Chairman of Everything », The Economist, 2 avril 2016, citant Geremie Barmé.
955. « No Cult of Personality Around Xi, Says Top China Party Academic », Reuters,
6 novembre 2017 ; Rowan Callick, « No Turning Back the Tide on Xi Jinping Personality
Cult », The Australian, 25 novembre 2017 ; Viola Zhou, « “Into the Brains” of China’s
Children : Xi Jinping’s “Thought” to Become Compulsory School Topic », South China
Morning Post, 23 octobre 2017 ; Jamil Anderlini, « Under Xi Jinping, China is Turning Back to
Dictatorship », Financial Times, 11 octobre 2017 ; plus généralement, voir, François Bougon,
Inside the Mind of Xi Jinping, C. Hurst, Londres, 2018.
956. Tom Phillips, « Xi Jinping : Does China Truly Love “Big Daddy Xi” or Fear Him ? »,
Guardian, 19 septembre 2015. Teng Biao, « What Will This Crackdown on Activists Do to
China’s Nascent Civil Society ? », Guardian, 24 janvier 2015.
957. Peter Ford, « From Occupy Central to Tibet, China Sees “Hostile Foreign Forces” »,
Christian Science Monitor, 9 novembre 2014.
958. Edward Wong, « China Freezes Credentials for Journalists at U.S. Outlets, Hinting at
Expulsions », New York Times, 6 septembre 2020.
959. Lucy Hornby and Charles Clover, « China’s Media Pressed Into Service », Australian
Financial Review, 4 avril 2016 ; « Foreign Journalists Forced to Leave China as Diplomatic
Tensions Worsen », Reuters, 8 septembre 2020 ; Leo Lewis, « Axe Foreign Textbooks, China
Tells Universities », The Times, 31 janvier 2015.
960. Robert Fulford, « Pooh Bear Goes Underground in Xi’s China », National Post, 17 mars
2018 ; Wu Huizhong, « In Echo of Mao Era, China’s Schools in Book-Cleansing Drive »,
Reuters, 9 juillet 2020.
961. Voir Elizabeth C. Economy, The Third Revolution : Xi Jinping and the New Chinese State,
Oxford University Press, Oxford, 2018.
962. « The Xinjiang Papers », New York Times, 16 novembre 2019.
963. Peter Ford, « China Targets “Hostile Foreign Forces” in Crescendo of Accusations »,
Christian Science Monitor, 9 novembre 2014.
964. « China “Does Not Share Our Values”, NATO Chief Says », Reuters, 30 juin 2020 ;
« Important to “Strengthen” Common Policy on China, Says NATO Chief », ANI, 14 juin 2021.
965. Adam Dunnett, « Three Reasons China Is Losing Its Allure for the Foreign Business
Community », South China Morning Post, 28 mai 2021 ; Shannon Brandao, « Yes,
Manufacturing Really Is Leaving China – And Authorities Are Scrambling to Slow Down the
Exodus », Arabian News, 11 avril 2021.
966. Michael Pettis, « Xi’s Aim to Double China’s Economy Is a Fantasy », Financial Times,
22 novembre 2020 ; « China Has Over 600 Million Poor with $140 Monthly Income », PTI
News, 28 mai 2020.
967. Michael Pettis, « Xi’s Aim to Double China’s Economy Is a Fantasy », Financial Times,
22 novembre 2020.
968. Scott Rozelle et Natalie Hell, Invisible China : How the Urban-Rural Divide Threatens
China’s Rise, University of Chicago Press, Chicago, 2020.
Bibliographie sélective

Archives

PRINCIPALES ARCHIVES NON CHINOISES


BArch – Bundesarchiv, Berlin
HIA – Hoover Institution Library and Archives, Palo Alto
MAE – Ministère des Affaires étrangères, Paris
MfAA – Politisches Archiv des Auswärtigen Amts, Berlin
PRO – The National Archives, Londres

ARCHIVES PROVINCIALES

Gansu – Gansu sheng dang’anguan, Lanzhou

91 Zhonggong Gansu shengwei (Comité provincial du parti du Gansu)


107 Gongqingtuan Gansu sheng weiyuanhui (Comité des Ligues de la
jeunesse communiste chinoise du Gansu)
116 Zhongguo renmin zhengzhi xieshang huiyi Gansu sheng
weiyuanhui (Comité provincial de la Conférence consultative
politique du peuple chinois du Gansu)
128 Gansu sheng renmin zhengfu (Gouvernement populaire provincial
du Gansu)
136 Gansu sheng zhengfu jingji tizhi gaige weiyuanhui (Comité
provincial du Gansu pour la réforme économique)
141 Gansu sheng jihua shengyu weiyuanhui (Comité provincial du
Gansu pour le contrôle des naissances)
145 Gansu sheng laodongju (Bureau provincial du travail du Gansu)
151 Gansu sheng duiwai maoyiju (Bureau provincial du Gansu pour le
commerce extérieur)
216 Gansu sheng nongyeting (Bureau provincial du Gansu pour
l’agriculture)
238 Gansu sheng huanjing baohuju (Bureau provincial du Gansu pour
la protection de l’environnement)
259 Gansu sheng tiyu yundong weiyuanhui (Bureau provincial du
Gansu pour les sports)

Guangdong – Guangdong sheng dang’anguan, Guangzhou

235 Guangdong sheng renmin weiyuanhui (Assemblée populaire


provinciale du Guangdong)

Hebei – Hebei sheng dang’anguan, Shijiazhuang

879 Zhonggong Hebei shengwei nongcun gongzuobu (Département du


Comité provincial du parti du Hebei pour le travail rural)
925 Hebei sheng nongye shengchan weiyuanhui (Comité de la
production agricole de la province du Hebei)
979 Hebei sheng nongyeting (Bureau de l’agriculture de la province du
Hebei)
1021 Hebei sheng duiwai jingji maoyiting (Bureau du commerce
extérieur de la province du Hebei)

Hubei – Hubei sheng dang’anguan, Wuhan

SZ1 Zhonggong Hubei sheng weiyuanhui (Comité provincial du parti


du Hubei)
SZ29 Hubei sheng zonggonghui (Fédération des syndicats de la
province du Hubei)
SZ34 Hubei sheng renmin weiyuanhui (Assemblée populaire
provinciale du Hubei)
SZ75 Hubei sheng liangshiting (Bureau des céréales de la province du
Hubei)
SZ81 Hubei sheng shangyeting (Bureau du commerce de la province du
Hubei)
SZ90 Hubei sheng gongyeting (Bureau de la province du Hubei pour
l’industrie)
SZ107 Hubei sheng nongyeting (Bureau de la province du Hubei pour
l’agriculture)
SZ115 Hubei sheng weishengting (Bureau de la province du Hubei pour
la santé)

Shandong – Shandong sheng dang’anguan, Jinan

A1 Zhonggong Shandong shengwei (Comité du parti de la province de


Shandong)
ARCHIVES MUNICIPALES
Hangzhou – Hangzhou shi dang’anguan, Hangzhou, Zhejiang

J101 Zhongguo renmin yinhang Hangzhou zhihang (succursale de la


Banque de Chine pour le Hangzhou)
J132 Hangzhou shi minzhengju (Bureau municipal du Hangzhou pour
l’administration civile)

Nanjing – Nanjing shi dang’anguan, Nanjing, Jiangsu

4003 Nanjing shiwei (Comité du parti de la municipalité de Nanjing)


5003 Nanjing shi renmin zhengfu (Gouvernement populaire de la
municipalité de Nanjing)
5019 Nanjing shi jihua weiyuanhui (Comité de planification de la
municipalité de Nanjing)
5020 Nanjing shi jingji weiyuanhui (Comité économique de la ville de
Nanjing)
5023 Nanjing shi tongjiju (Bureau des statistiques de la municipalité de
Nanjing)
5054 Nanjing shi caizhengju (Bureau des finances de la municipalité de
Nanjing)
5071 Nanjing shi nonglinju (Bureau de l’agriculture et de la foresterie
de la municipalité de Nanjing)
5093 Nanjing shi duiwai maoyiju (Bureau du commerce extérieur de la
municipalité de Nanjing)

Shanghai – Shanghai shi dang’anguan, Shanghai


A36 Shanghai shiwei gongye zhengzhibu (Comité du parti de la
municipalité de Shanghai pour l’Industrie et la Politique)
A38 Shanghai shiwei gongye shengchan weiyuanhui (Comité pour la
Production industrielle du Comité du parti de la municipalité de
Shanghai)
B1 Shanghai shi renmin zhengfu (Gouvernement populaire de la
municipalité de Shanghai)
B3 Shanghai shi renmin weiyuanhui wenjiao bangongshi (Bureau pour
la culture et l’éducation de l’Assemblée populaire de la municipalité
de Shanghai)
B6 Shanghai shi renmin weiyuanhui cailiangmao bangongshi (Bureau
pour les finances, la production céréalière et le commerce de
l’Assemblée populaire de la municipalité de Shanghai)
B45 Shanghai shi nongyeting (Bureau pour l’agriculture de la
municipalité de Shanghai)
B50 Shanghai shi renwei jiguan shiwu guanliju (Bureau pour les
emplois tertiaires de l’Assemblée populaire de la municipalité de
Shanghai)
B74 Shanghai shi minbing zhihuibu (Poste de commandement de la
milice de la ville de Shanghai)
B92 Shanghai shi renmin guangbo diantai (radio de la ville de
Shanghai)
B98 Shanghai shi di’er shangyeju (Bureau no 2 du commerce pour la
ville de Shanghai)
B104 Shanghai shi caizhengju (Bureau des finances de la municipalité
de Shanghai)
B105 Shanghai shi jiaoyuju (Bureau de l’éducation de la municipalité
de Shanghai)
B109 Shanghai shi wuzi (Bureau des biens et des matériaux de la
municipalité de Shanghai)
B120 Shanghai Shi renmin fangkong bangongshi (Bureau de la défense
aérienne de la municipalité de Shanghai)
B123 Shanghai shi diyi shangyeju (Bureau no 1 du commerce de la ville
de Shanghai)
B127 Shanghai shi laodongju (Bureau du travail de la municipalité de
Shanghai)
B134 Shanghai shi fangzhi gongyeju (Bureau de l’industrie textile de la
municipalité de Shanghai)
B163 Shanghai shi qinggongyeju (Bureau de l’industrie légère de la
municipalité de Shanghai)
B167 Shanghai shi chubanju (Bureau de l’édition de la municipalité de
Shanghai)
B168 Shanghai shi minzhengju (Bureau de l’administration civile de la
municipalité de Shanghai)
B172 Shanghai shi wenhuaju (Bureau de la culture de la municipalité
de Shanghai)
B173 Shanghai shi jidian gongye guanliju (Bureau des machines-outils
et des appareils électroniques de la municipalité de Shanghai)
B182 Shanghai shi gongshanghang guanliju (Bureau de la supervision
des entreprises de la municipalité de Shanghai)
B227 Shanghai shi geming weiyuanhui laodong gongzizu (Équipe de
gestion des salaires du Comité révolutionnaire de la municipalité de
Shanghai)
B228 Shanghai shi renmin zhengfu zhishi qingnian shangshan xiaxiang
bangongshi (Bureau de la municipalité de Shanghai pour l’envoi de
jeunes diplômés dans les campagnes)
B244 Shanghai shi jiaoyu weisheng bangongshi (Bureau de la
municipalité de Shanghai pour l’éducation et la santé)
B246 Shanghai shi renmin zhengfu jingji weiyuanhui (Comité du
Gouvernement populaire de la municipalité de Shanghai pour
l’Économie)
B248 Shanghai shi renmin zhengfu caizheng maoyi bangongshi
(Bureau de la finance et du commerce du Gouvernement populaire
de la municipalité de Shanghai)
B250 Shanghai shi nongye weiyuanhui (Comité sur l’Agriculture de la
municipalité de Shanghai)

Tianjin – Tianjin shi dang’anguan, Tianjin

X43 Tianjin shi gongshangye lianhehui (Fédération de l’Industrie et du


Commerce de la municipalité de Tianjin)
X78 Tianjin shi jihua weiyuanhui (Comité de planification municipal de
Tianjin)
X81 Tianjin shi wujiaju weiyuanhui (Comité du Bureau de tarification
de la municipalité de Tianjin)
X87 Tianjin shi caizhengju (Bureau des finances de la municipalité de
Tianjin)
X95 Tianjin shi liangshiju (Bureau de la production céréalière de la
municipalité de Tianjin)
X110 Tianjin shi jingji weiyuanhui (Comité pour l’Économie de la
municipalité de Tianjin)
X172 Tianjin shi yiqingju (Bureau no 1 pour l’industrie légère de la
municipalité de Tianjin)
X175 Tianjin shi duiwai maoyiju (Bureau pour le commerce extérieur
de la municipalité de Tianjin)
X199 Tianjin shi wenhuaju (Bureau municipal pour la culture de la
municipalité de Tianjin)
X211 Tianjin shiwei bangongting (Bureau du Comité du parti de la
municipalité de Tianjin)
X213 Tianjin shi xuanchuanju (Bureau de la propagande de la
municipalité de Tianjin)

Wenzhou – Wenzhou shi dang’anguan, Wenzhou

J1 Zhonggong Wenzhou shiwei (Comité du parti pour la municipalité


de Wenzhou)
J20 Wenzhou shi jihua weiyuanhui (Comité de planification pour la
municipalité de Wenzhou)
J27 Wenzhou shi caimao bangongting (Bureau municipal de Wenzhou
pour la finance et le commerce)
J34 Zhongguo renmin yinhang Wenzhou shi zhihang (Succursale de
Wenzhou de la Banque populaire de Chine)
J51 Wenzhou shi renmin zhengfu (Gouvernement populaire de la
municipalité de Wenzhou)
J80 Wenzhou shi dang’anju (Bureau des archives de la municipalité de
Wenzhou)
J87 Wenzhou diqu weiyuanhui (Comité régional de Wenzhou)
J153 Wenzhou shi xingzheng ganxiao (École des cadres de
l’administration de la municipalité de Wenzhou)
J156 Wenzhou shi qiaowu bangongshi (Bureau des affaires chinoises
internationales de la municipalité de Wenzhou)
J173 Wenzhou shi huanbaoju (Bureau de la municipalité de Wenzhou
pour la protection de l’environnement)
J201 Wenzhou shiwei bangongshi (Service municipal du Comité du
parti de Wenzhou)
J202 Wenzhou shizheng bangongshi (Bureau du Gouvernement
populaire de la municipalité de Wenzhou)
J232 Wenzhou shi jingji tizhi gaige bangongshi (Bureau de la
municipalité de Wenzhou pour la réforme économique)

Ouvrages publiés
Amnesty International, « People’s Republic of China : Preliminary
Findings on Killings of Unarmed Civilians, Arbitrary Arrests and
Summary Executions since 3 June 1989 », Londres, Amnesty
International, document daté du 14 août 1989.
Bachman, David, « Institutions, Factions, Conservatism, and
Leadership Change in China : The Case of Hu Yaobang », in Ray
Taras (éd.), Leadership Change in Communist States, Boston,
Unwin Hyman, 1989.
Barmé, Geremie, « Confession, Redemption, and Death : Liu Xiaobo
and the Protest Movement of 1989 », in George Hicks (éd.), The
Broken Mirror : China After Tiananmen, Londres, Longman, 1990,
pp. 52-99.
Barmé, Geremie et John Minford (éd.), Seeds of Fire : Dissident Voices
of Conscience, New York, Hill and Wang, 1988.
Barnett, Robert, « The Tibet Protests of Spring 2008 : Conflict Between
the Nation and the State », China Perspectives, no 3, sept. 2009,
pp. 6-23.
Becker, Jasper, The Chinese, New York, The Free Press, 2000.
Becker, Jasper, City of Heavenly Tranquillity : Beijing in the History of
China, Oxford, Oxford University Press, 2008.
Béja, Jean-Philippe, Fu Hualing et Eva Pils (éd.), Liu Xiaobo, Charter
08 and the Challenges of Political Reform in China, Hong Kong,
Hong Kong University Press, 2012.
Benton, Gregor (éd.), Wild Lilies, Poisonous Weeds : Dissident Voices
from People’s China, Londres, Pluto Press, 1982.
Bougon, François, Dans la tête de Xi Jinping, Arles, Solin/Actes Sud,
Essais, 2017.
Burns, Katherine G., « China and Japan : Economic Partnership to
Political End », article non publié, Stimson Center, consulté le
25 septembre 2020.
Cao Jinqing, China along the Yellow River : Reflections on Rural
Society, Londres, Routledge Curzon, 2005.
Callick, Rowan, The Party Forever : Inside China’s Modern Communist
Elite, Londres, Palgrave Macmillan, 2013.
Chang, Leslie T., Factory Girls : From Village to City in a Changing
China, New York, Random House, 2009.
Chen Guidi et Wu Chuntao, Will the Boat Sink the Water ? : The Life of
China’s Peasants, New York, PublicAffairs, 2006.
Chen Lein-Lein et John Devereux, « The Iron Rice Bowl : Chinese
Living Standards 1952 – 1978 », Comparative Economic Studies,
2017, no 59, pp. 261-310.
Chen, Nai-Ruenn, China’s Economy and Foreign Trade, 1979-1981,
Département du Commerce, Washington, 1982.
Chen Yongxi, « Circumventing Transparency » : Extra-Legal
Exemptions from Freedom of Information and Judicial Review in
China », in Journal of International Media & Entertainment Law,
2018, 7, no 2, pp. 203-251.
Chen Yulu, Guo Qingwang et Zhang Jie, Major Issues and Policies in
China’s Financial Reform, Honolulu, Enrich Professional
Publishing, 2016.
Cheng, Eddie, Standoff at Tiananmen, Sensys Corp., Colorado,
Highlands Ranch, 2009.
Creemers, Rogier, « Cyber China : Upgrading Propaganda, Public
Opinion Work and Social Management for the Twenty-First
Century », Journal of Contemporary China, 26, no 103, sept. 2016,
pp. 85-100.
Cui Zhiyuan, « China’s Export Tax Rebate Policy », China : An
International Journal, 1, no 2, sept. 2003, pp. 339-349.
Day, Alexander, The Peasant in Postsocialist China : History, Politics,
and Capitalism, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
Dikötter, Frank, The Age of Openness : China Before Mao, Berkeley,
University of California Press, 2008.
–, Mao’s Great Famine : The History of China’s Most Devastating
Catastrophe, 1958-1962, Londres, Bloomsbury, 2010.
–, The Tragedy of Liberation : A History of the Chinese Revolution
1945-1957, Londres, Bloomsbury, 2013.
–, The Cultural Revolution : A People’s History, 1962-1976, Londres et
New York, Bloomsbury, 2016.
Dimbleby, Jonathan, The Last Governor, Londres, Little, Brown, 1997.
Dong Fureng, Industrialization and China’s Rural Modernization,
Banque mondiale, Washington, 1992.
Economy, Elizabeth C., The River Runs Black : The Environmental
Challenge to China’s Future, New York, Ithaca, Cornell University
Press, 2004.
–, The Third Revolution : Xi Jinping and the New Chinese State,
Oxford, Oxford University Press, 2018.
Fang Lizhi, The Most Wanted Man in China : My Journey from
Scientist to Enemy of the State, New York, Holt and Co., 2016.
Feng Xingyuan, « Local Government Debt and Municipal Bonds in
China : Problems and a Framework of Rules », Copenhagen Journal
of Asian Studies, 31, no 2, 2013, pp. 23-53.
Garrison, Jean A., « Explaining Change in the Carter Administration’s
China Policy : Foreign Policy Adviser Manipulation of the Policy
Agenda », Asian Affairs, 29, no 2, été 2002, pp. 83-98.
Garside, Roger, Coming Alive : China after Mao, Londres, Deutsch,
1981.
Gilley, Bruce, Tiger on the Brink : Jiang Zemin and China’s New Elite,
Berkeley, Californie, University of California Press, 1998.
Greenfield, Gerard et Tim Pringle, « The Challenge of Wage Arrears in
China », in Manuel Simón Velasco (éd.), Paying Attention to Wages,
Organisation internationale du travail, Genève, 2002, pp. 30-38.
Haley, Usha C. V. et George T. Haley, Subsidies to Chinese Industry :
State Capitalism, Business Strategy, and Trade Policy, New York,
Oxford University Press, 2013.
Hannas, William C., James Mulvenon et Anna B. Puglisi, Chinese
Industrial Espionage : Technology Acquisition and Military
Modernization, Londres, Routledge, 2013.
Hannas, William C. et Didi Kirsten Tatlow (éd.), China’s Quest for
Foreign Technology : Beyond Espionage, Londres, Routledge, 2021.
Hastings, Justin, « Charting the Course of Uyghur Unrest », China
Quarterly, no 208, déc. 2011, pp. 893-912.
Hay, Donald, Derek Morris, Guy Liu et Shujie Yao, Economic Reform
and State-Owned Enterprises in China 1979-87, Oxford, Clarendon
Press, 1994.
He, Henry, Dictionary of the Political Thought of the People’s Republic
of China, Londres, Routledge, 2000.
He, Rowena Xiaoqing, Tiananmen Exiles : Voices of the Struggle for
Democracy in China, Londres, Palgrave Macmillan, 2014.
He Qinglian, The Fog of Censorship : Media Control in China, New
York, Human Rights in China, 2008.
Holz, Carsten A., « China’s Bad Loan Problem », manuscrit, Hong
Kong University of Science and Technology, avril 1999.
–, « China’s Monetary Reform : The Counterrevolution from the
Countryside », Journal of Contemporary China, 10, no 27, 2001,
pp. 189-217.
Hong Zhaohui et Ellen Y. Yan, « Trust and Investment Corporations in
China », in Chen Beizhu, J. Kimball Dietrich et Yi Fang (éd.),
Financial Market Reform in China : Progress, Problems and
Prospects, Boulder, Colorado, Westview Press, 2000, pp. 285-298.
Hornsby, Adrian, « Tiananmen Square : The History of the World’s
Largest Paved Open Square », Architectural Review, 12 oct. 2009.
Huo yu xue zhi zhenxiang : Zhongguo dalu minzhu yundong jishi (La
verité au sujet du feu et du sang : récit véridique du mouvement
pour la démocratie en Chine continentale), Zhonggong yanjiu zazhi
she, Taipei, 1989.
Huang Yanzhong, Toxic Politics : China’s Environmental Health Crisis
and Its Challenge to the Chinese State, Cambridge, Cambridge
University Press, 2020.
Jia Hepeng, « The Three Represents Campaign : Reform the Party or
Indoctrinate the Capitalists ? », Cato Journal, 24, no 3, automne
2004, pp. 261-275.
Jin Chongji (éd.), Zhou Enlai zhuan, 1898-1949 (Biographie de Zhou
Enlai, 1898-1949), Zhongyang wenxian chubanshe, Beijing, 1989.
Kan, Karoline, Under Red Skies : Three Generations of Life, Loss, and
Hope in China, New York, Hachette Books, 2019.
Kelliher, Daniel, Peasant Power in China : The Era of Rural Reform,
1979-1989, New Haven, Connecticut, Yale University Press, 1992.
Kraus, Richard Curt, The Party and the Arty in China : The New
Politics of Culture, Lanham, Maryland, Rowman & Littlefield,
2004.
Kwong, Julia, « The 1986 Student Demonstrations in China : A
Democratic Movement ? », Asian Survey, 28, no 9, sept. 1988,
pp. 970-985.
Kynge, James, China Shakes the World : The Rise of a Hungry Nation,
Londres, Weidenfeld & Nicolson, 2006.
Lam, Willy Wo-Lap, Chinese Politics in the Era of Xi Jinping :
Renaissance, Reform, or Retrogression ?, Londres, Routledge, 2015.
Lardy, Nicholas R., Foreign Trade and Economic Reform in China,
1978-1990, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
Lee, Keun, « The Chinese Model of the Socialist Enterprise : An
Assessment of Its Organization and Performance », Journal of
Comparative Economics, 14, no 3, sept. 1990, pp. 384-400.
Li Zhisui, The Private Life of Chairman Mao : The Memoirs of Mao’s
Personal Physician, New York, Random House, 1994.
Li Zhongjie, Gaige kaifang guanjian ci (Quelques mots-clefs de la
réforme et de l’ouverture), Renmin chubanshe, Beijing, 2018.
Liang Zhongtang, Zhongguo shengyu zhengce yanjiu (Recherche sur la
politique chinoise de contrôle des naissances), Shanxi renmin
chubanshe, Taiyuan, 2014.
Liao Yiwu, Bullets and Opium : Real-Life Stories of China After the
Tiananmen Massacre, New York, Atria, 2019.
Lim, Louisa, The People’s Republic of Amnesia : Tiananmen Revisited,
Oxford, Oxford University Press, 2015.
Lin Guijun et Ronald M. Schramm, « China’s Foreign Exchange
Policies Since 1979 : A Review of Developments and an
Assessment », China Economic Review, 14, no 3, déc. 2003,
pp. 246-280.
Liu Binyan, A Higher Kind of Loyalty : A Memoir by China’s Foremost
Journalist, New York, Pantheon Books, 1990.
Loh, Christine, Underground Front : The Chinese Communist Party in
Hong Kong, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2019.
Lu Keng, Lu Keng huiyi yu chanhuilu (Mémoires et confessions de Lu
Keng), Shibao wenhua chuban qiye youxian gongsi, Taipei, 1997.
MacFarquhar, Roderick et Michael Schoenhals, Mao’s Last Revolution,
Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 2006.
Mann, James H., About Face : A History of America’s Curious
Relationship with China, from Nixon to Clinton, New York, Alfred
A. Knopf, 1998.
Mao Zedong, Jianguo yilai Mao Zedong wengao (Les manuscrits de
Mao Zedong depuis la fondation de la République populaire),
Zhongyang wenxian chubanshe, Beijing, 1998.
McKay, John P., « Foreign Enterprise in Russian and Soviet Industry :
A Long Term Perspective », Business History Review, automne
1974, 48, no 3, pp. 336-356.
McMahon, Dinny, China’s Great Wall of Debt, Londres, Little, Brown,
2018.
McGregor, Richard, The Party : The Secret World of China’s
Communist Rulers, New York, Harper Collins, 2010.
Morino, Tomozo, « China-Japan Trade and Investment Relations »,
Proceedings of the Academy of Political Science, 38, no 2, 1991,
pp. 87-94.
Naughton, Barry, « In China’s Economy, The State’s Hand Grows
Heavier », Current History, 108, no 719, sept. 2009, pp. 277-283.
Ogden, Suzanne, Kathleen Hartford, Nancy Sullivan et David Zweig,
China’s Search for Democracy : The Students and Mass Movement
of 1989, New York, Routledge, 1992.
Oksenberg, Michael, Lawrence R. Sullivan et Marc Lambert (éd.),
Beijing Spring, 1989 : Confrontation and Conflict. The Basic
Documents, Londres, Routledge, 1990.
Ong, Lynette H., Prosper or Perish : Credit and Fiscal Systems in
Rural China, Ithaca, New York, Cornell University Press, 2012.
Ong, Lynette H., « State-Led Urbanization in China : Skyscrapers, Land
Revenue and « Concentrated Villages » », China Quarterly, no 217,
mars 2014, pp. 162-179.
Osnos, Evan, Chine, l’âge des ambitions, Paris, Albin Michel, 2015.
Pai Hsiao-Hung, Scattered Sand : The Story of China’s Rural Migrants,
Londres, Verso, 2012.
Pan, Philip, Out of Mao’s Shadow : The Struggle for the Soul of a New
China, Basingstoke, Picador, 2009.
Pang Xianzhi et Jin Chongji (éd.), Mao Zedong zhuan, 1949-1976
(Biographie de Mao Zedong, 1949-1976), Zhongyang wenxian
chubanshe, Beijing, 2003.
Pei Minxin, China’s Crony Capitalism : The Dynamics of Regime
Decay, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 2016.
Potter, Pitman, From Leninist Discipline to Socialist Legalism : Peng
Zhen on Law and Political Authority in the PRC, Stanford,
Californie, Stanford University Press, 2003.
Prybyla, Jan, « A Systemic Analysis of Prospects for China’s
Economy », in Joint Economic Committee (éd.), China’s Economic
Dilemmas in the 1990s, US Government Printing Office,
Washington, 1991, vol. 1, pp. 209-225.
Qin Hui, « Looking at China from South Africa », sur le site
www.readingthechinadream.com, téléchargé le 28 sept. 2019.
Quintyn, Marc G., Bernard J. Laurens et al. (éd.), Monetary and
Exchange System Reforms in China : An Experiment in Gradualism,
Washington, International Monetary Fund, 1996.
Reardon, Lawrence C., The Reluctant Dragon : Crisis Cycles in
Chinese Foreign Economic Policy, Hong Kong, Hong Kong
University Press, 2002.
Rithmire, Meg E., Land Bargains and Chinese Capitalism : The Politics
of Property Rights under Reform, Cambridge, Cambridge University
Press, 2015.
Rodriguez, Pablo Adriano, « Violent Resistance in Xinjiang (China) :
Tracking Militancy, Ethnic Riots and « Knife-Wielding » Terrorists
(1978-2012) », HAO, no 30, hiver 2013, pp. 135-149.
Rozelle, Scott et Natalie Hell, Invisible China : How the Urban-Rural
Divide Threatens China’s Rise, Chicago, University of Chicago
Press, 2020.
Ruan Ming, Deng Xiaoping : Chronicle of an Empire, Routledge,
Londres, 2018.
Savitt, Scott, Crashing the Party : An American Reporter in China,
Berkeley, Soft Skull Press, Californie, 2016.
Rubin, Barry, Modern Dictators : Third World Coup Makers,
Strongmen, and Populist Tyrants, New York, McGraw-Hill, 1987.
Salisbury, Harrison E., Tiananmen Diary : Thirteen Days in June,
Londres, Little, Brown, 1989.
Shapiro, Judith, Mao’s War against Nature : Politics and the
Environment in Revolutionary China, New York, Cambridge
University Press, 2001.
Strittmatter, Kai, We Have Been Harmonised : Life in China’s
Surveillance State, Londres, Custom House, 2020.
Suettinger, Robert L., « Negotiating History : The Chinese Communist
Party’s 1981 », Project 2049 Institute, Washington, 2017.
Sullivan, Lawrence R., « Assault on the Reforms : Conservative
Criticism of Political and Economic Liberalization in China, 1985-
86 », China Quarterly, no 114, juin 1988, pp. 198-222.
Tan, Pamela, The Chinese Factor : An Australian Chinese Woman’s Life
in China from 1950 to 1979, New South Wales, Roseberg, Dural,
2008.
Tanner, Murray Scot, « State Coercion and the Balance of Awe : The
1983-1986 “Stern Blows” Anti-Crime Campaign », China Journal,
no 44, juillet 2000, pp. 93-125.
Teiwes, Frederick C. et Warren Sun, « China’s New Economic Policy
Under Hua Guofeng : Party Consensus and Party Myths », China
Journal, no 66, juillet 2011, pp. 1-23.
Theroux, Paul, Riding the Iron Rooster : By Train Through China,
New York, Houghton Mifflin, 1988.
Tong, James, « Anatomy of Regime Repression in China : Timing,
Enforcement Institutions, and Target Selection in Banning the
Falungong, July 1999 », Asian Survey, 42, no 6, déc. 2002, pp. 795-
820.
Tsai, Wen-hsuan, « Framing the Funeral : Death Rituals of Chinese
Communist Party Leaders », The China Journal, no 77,
janvier 2017, pp. 51-71.
Tyler, Christian, Wild West China : The Taming of Xinjiang, Londres,
John Murray, 2003.
Vogel, Ezra F., Deng Xiaoping and the Transformation of China,
Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 2011.
Walter, Carl E. et Fraser J. T. Howie, Red Capitalism : The Fragile
Financial Foundation of China’s Extraordinary Rise, New York,
John Wiley, 2012.
Wang Hong, China’s Exports since 1979, Londres, St Martin’s Press,
1993.
Wang Jing, High Culture Fever : Politics, Aesthetics, and Ideology in
Deng’s China, Berkeley, Californie, University of California Press,
1996.
Wang Shaoguang, « China’s 1994 Fiscal Reform : An Initial
Assessment », Asian Survey, 37, no 9, sept. 1997, pp. 801-817.
Westad, O. Arne, « The Great Transformation », in Niall Ferguson,
Charles S. Maier, Erez Manela et Daniel J. Sargent (éd.), The Shock
of the Global : The 1970s in Perspective, Cambridge,
Massachusetts, Harvard University Press, 2010, pp. 65-79.
White, Lynn T., Unstately Power : Local Causes of China’s Economic
Reforms, Armonk, État de New York, M. E. Sharpe, 1998.
Whyte, Martin King, Feng Wang et Yong Cai, « Challenging Myths
About China’s One-Child Policy », China Journal, no 74,
juillet 2015, pp. 144-159.
Wright, Kate, « The Political Fortunes of Shanghai’s World Economic
Herald », Australian Journal of Chinese Affairs, no 23, janvier 1990,
pp. 121-132.
Wu Hung, Remaking Beijing : Tiananmen Square and the Creation of a
Political Space, Londres, Reaktion Books, 2005.
Wu Renhua, Liusi tusha neimu jiemi : Liusi shijian zhong de jieyan
budui (L’histoire interne du massacre du Quatre Juin : les soldats de
la loi martiale du Quatre Juin), Yunchen wenhua shiye gufen
youxian gongsi, Taipei, 2016.
–, Liusi shijian quancheng shilu (Récit complet de l’incident du Quatre
Juin), Yunchen wenhua shiye gufen youxian gongsi, Taipei, 2019.
Yan Jiaqi et Gao Gao, Turbulent Decade : A History of the Cultural
Revolution, Honolulu, University of Hawaii Press, 1996.
Yan Pengfei et Ding Xia (éd.), Makesizhuyi jingjixue yu Zhongguohua
yanjiu (Recherches sur l’économie marxiste et la sinification),
Zhongguo shehui kexue chubanshe, Beijing, 2015.
Yang Zhongmei, Hu Yao-Bang : A Chinese Biography, Routledge,
Londres, 1989.
Zha Jianying, Tide Players : The Movers and Shakers of a Rising
China, New York, The Free Press, 2011.
Zhang Qi and Liu Mingxing, Revolutionary Legacy, Power Structure,
and Grassroots Capitalism under the Red Flag in China,
Cambridge, Cambridge University Press, 2019.
Zhao Xu, Liu Junguo, Yang, Hong, Rosa Duarte, Martin Tillotson et
Klaus Hubacek, « Burden Shifting of Water Quantity and Quality
Stress from Megacity Shanghai », Water Resources Research, 52,
no 9 (sept. 2016), pp. 6916-6927.
Zhao Ziyang, Prisoner of the State : The Secret Journal of Premier
Zhao Ziyang, New York, Simon & Schuster, 2010.
Zheng Zhongbing, Hu Yaobang nianpu ziliao changbian (Chronologie
de la vie de Hu Yaobang), Shidai guoji chubanshe youxian gongsi,
Hong Kong, 2005.
Zhonggong zhongyang wenxian yanjiushi (Bureau de littérature de
recherche du Parti communiste chinois), éd., Sanzhong quanhui yilai
zhongyao wenjian huibian (Compilation de documents importants
depuis le troisième plénum), Renmin chubanshe, Beijing, 1982.
Zhou, Kate Xiao, How the Farmers Changed China : Power of the
People, Boulder, Colorado, Westview Press, 1996.
Zhou, Kate Xiao et Lynn T. White III, « Quiet Politics and Rural
Enterprise in Reform China », Journal of Developing Areas, 29,
no 4, juillet 1995, pp. 461-490.
Zinser, Lee, « The Performance of China’s Economy », in Joint
Economic Committee (éd.), China’s Economic Dilemmas in the
1990s, Washington, US Government Printing Office, 1991.
Zhu Jun, « Closure of Financial Institutions in China », in Bank for
International Settlements (éd.), Strengthening the Banking System in
China : Issues and Experience, Bâle, Bank for International
Settlements, 1999, pp. 304-319.
Remerciements

C’est avec gratitude que je salue la faculté des arts et des sciences de
l’université de Hong Kong pour la bourse de recherche Hsu Long-sing
qu’elle m’a accordée. Il me faut aussi remercier un grand nombre de gens
qui ont lu et commenté les versions successives du texte, et citer ici les
noms de Gail Burrowes, Fraser Howie, Christopher Hutton, Willy Lam et
Priscilla Roberts, mais aussi d’autres lecteurs qui préfèrent rester anonymes.
Peter Baehr, Jean-Pierre Cabestan, Rowan Callick, Simon Cartledge, Ron
Gluck, Paul Gregory, Charles Hill, Carsten Holz, Jean Hung, Li Nanyang et
Michael Sheng ont apporté à mes interrogations des commentaires, des
suggestions et des réponses très appréciés. Rodney Jones, chez Wigram
Capital Advisors Limited, n’a pas seulement lu le manuscrit complet, mais
il m’a aussi permis d’accéder à des ensembles de données inestimables. J’ai
aussi reçu le soutien d’amis et de collègues en Chine continentale, mais je
préfère ne pas les nommer pour des raisons qui ne sont que trop évidentes.
L’équipe de la bibliothèque et des archives de la Hoover Institution
m’ont apporté leur aide indéfectible, en particulier dans l’évaluation des
journaux de Li Rui. Aux archives du ministère des Affaires étrangères à La
Courneuve, Ariane Morais-Abreu m’a été d’une grande aide, notamment en
facilitant la déclassification de tout un lot de documents jusqu’à l’année
1992. Je suis aussi grandement redevable envers mes éditeurs, en
l’occurrence Michael Fishwick à Londres et Ben Hyman à New York, et à
mon éditeur du manuscrit Richard Collins, ainsi qu’à Francisco Vilhena et à
toute l’équipe de Bloomsbury. J’aimerais exprimer ma gratitude à mon
agent littéraire, Andrew Wylie, à New York, et à James Pullen à Londres.
Enfin, merci à ma femme Gail Burrowes, comme toujours, avec tout mon
amour.
Index des noms de personnes

Ai Weiwei 449, 451, 453, 455, 461


Ba Jin 152

Baker, James A. 245


Bao Tong 252

Ben Ali, Zine al-Abidine 454


Bergsten, Fred 387
Bo Xilai 327, 472

Bo Yibo 76, 134, 164, 222, 271, 327


Brejnev, Léonid 58, 62

Brzezinski, Zbigniew 61

Bush, George H. W. 195-196, 243, 245, 278, 365


Cao Jinqing 363

Carter, Jimmy 62, 67


Ceauşescu, Nicolae 271

Chai Ling 213, 232, 247

Chai Shufan 133


Chen Boda 27, 473
Chen Guangcheng 451, 453
Chen Kaige 329

Chen Xitong 211, 261, 263, 317


Chen Yun 56, 75-77, 80, 83, 103-104, 132, 139, 154, 163-164, 175, 177, 196,
222, 273, 285, 287, 306

Chevardnadze, Édouard 206


Chiang Ching-kuo 277

Chiang Kaï-shek 26, 323


Christie, Agatha 69

Chtcharanski, Anatoly 67

Clinton, Bill 310, 316, 322-323, 368, 379, 381-382, 391


Clinton, Hillary 464

Cohen, William 378


Cui Jian 213, 261

Cui Tiankai 453

Dai Xianglong 312, 342, 345, 417


Dalaï-Lama 433, 453
Deng Liqun 110, 152-154, 163, 273, 287, 319, 377
Deng Xiaoping 8, 30-31, 34-44, 48-50, 53, 55-66, 71-73, 75-79, 81, 85-86, 95,
105, 107, 109, 111-112, 117, 131-132, 135, 137, 139, 148-151, 153-155,
158-159, 162-165, 169, 174-175, 177, 185-186, 194-196, 199, 201-203, 205,
207-209, 214-215, 217, 220-221, 240, 243-246, 249, 252-253, 257-259, 262,
269, 271-272, 275, 278, 287, 289-292, 294, 304-305, 307, 310, 314-316,
320, 325-327, 330, 345, 347, 377, 380, 385, 412-413, 416, 442, 458, 465,
479

Donald, Alan 236


Dulles, John Foster 255
Du Runsheng 208

Eisenhower, Dwight David 319


Eltsine, Boris 272

Engels, Friedrich 458


Fang Jue 369
Fang Lizhi 160, 162, 165, 195-196, 245, 278

Farr, M. H., commandant 236


Feinstein, Dianne 142
Friedman, Milton 52, 194, 297
Geng Huichang 452
Gorbatchev, Mikhaïl 206, 211, 213-215, 218, 243, 270-271

Greenspan, Alan 337


Gu Kailai 472

Gu Mu 51, 132, 140


Haig, Alexander 259
Han Dongfang 250

Hao Deqing 60
Havel, Václav 448

Hawke, Bob 242


Heath, Edward 148
Hiro-Hito, empereur 195

Hitler, Adolf 430


Honecker, Erich 13, 120, 166

Hua Guofeng 31, 34-39, 41-42, 44, 48, 50, 53, 56, 73, 76, 79, 81, 85, 104,
134, 201

Huang Ju 292-293
Huang Qi 451

Huang Qifan 414


Hu Jia 434, 453
Hu Jintao 371, 374, 376, 379, 406, 408, 412, 419, 445, 448, 456, 458, 461,
468
Humphrey, Peter 386, 478
Huo Shilian 248
Hu Qiaomu 72, 109-110, 114, 128, 153-154, 165
Hu Qili 210, 252
Hu Sheng 265
Hu Yaobang 53-55, 66, 73, 99, 108, 111, 117, 139, 148, 151-155, 157, 162-167,
197-199, 201-202, 209, 234, 253, 320, 342, 410
Jackson, Henry, sénateur 61-62

Jean-Paul II, pape 250, 270


Jiang Qing, alias Madame Mao 29-30, 32, 36, 38-39, 68-70, 473

Jiang Yanyong 429


Jiang Zemin 160, 209, 223, 252-254, 257, 259, 262, 264-266, 272, 279, 290-291,
305-306, 308, 318-319, 321-323, 326-327, 330-331, 333-334, 343, 349, 351,
358, 365, 367-368, 373-377, 379-381, 385, 406, 408, 410-411, 414, 418,
426, 445, 458, 463
Kahn, Albert 45

Kan, Karoline 381


Khrouchtchev, Nikita 42-43, 47, 66, 71, 155

Kim Il-sung 148


Kissinger, Henry 51, 245-246, 278, 324, 387

Kohl, Helmut 242

Krenz, Egon 243, 259


Ladány, László 59

Lam, Samuel, révérend 251


Lardy, Nicholas 387

Lee, Bruce 187


Lee, Martin 268, 388
Lee Teng-hui 277, 321-323

Lénine, Vladimir Illitch 51, 66, 139, 154, 163, 274, 458
Li Dongmin 39

Li Guixian 286, 307


Li Hongzhi 370

Li Keqiang 9, 18, 470, 480

Lilley, James 245


Lin Biao 41, 72

Lincoln, Abraham 160


Lin Zexu 264
Li Peng 175, 183, 194, 196-198, 201-203, 205, 211-212, 216-217, 219-222, 239-
240, 243, 252, 254, 259, 262, 267-268, 274, 285-286, 291-292, 294, 306,
311, 318, 335

Li Rui 12-13, 176, 219, 226, 229, 235, 285-286, 315, 339
Li Ruihuan 161, 256, 258

Li Shuxian 278
Liu Binyan 152, 162, 165

Liu Guoguang 130


Liu Jianlun 428
Liu Jingmin 427

Liu Shaoqi 155


Liu Xiaobo 165, 232, 247, 316, 329, 448, 453, 461

Liu Yuhui 468

Li Xiannian 41, 48, 76, 83, 134, 153, 197, 222


Li Ximing 202

Lord, Winston 196, 324


Lu Keng 153, 163

Lu Ping 335-336
Lu Xun 27
Machel, Samora 16

Madame Mao 70
voir Jiang Qing 70

Ma Hong 138
Major, John 334
Manning, Robert A. 325

Mao Yuanxin 30-31, 33-35


Mao Zedong 11-12, 25-27, 29-32, 36-38, 40-45, 48, 50-51, 53-57, 64, 68, 71-72,
79, 81, 83-84, 91-92, 100, 103, 108, 124, 133, 150-151, 154-155, 191, 211,
224, 232, 249, 255, 259, 274, 287, 289, 313, 318, 327, 372, 419-420, 443,
473, 475-476
Marx, Karl 108, 110, 113, 163, 388, 447, 458
McNamara, Robert 275
Meng Jianzhu 449
Merkel, Angela 423
Merrill Lynch 437
Ming, dynastie 25

Mitterrand, François 242

Mondale, Walter 51
Mo Yan 329

Muldoon, Robert 37
Nagy, Imre 35-36

Nakasone, Yasuhiro 156


Nixon, Richard Milhouse 57, 59, 194, 324
Novak, Robert 55-57
Obama, Barack 446
Ong, Lynette 361

Orwell, George 325, 475

Ostrovski, Nikolaï 108, 264


Ozawa, Seiji 64

Palmer, James 9
Pan Wei 462

Patten, Chris 333-336


Peng Dehuai 55

Peng Zhen 66-67


Phillips, Kate 236
Pol Pot 63

Pompeo, Mike 478


Qian Qichen 325

Qiao Shi 198-199, 222, 228, 250

Qin Benli 209


Qing, dynastie 25-26, 148

Qu Geping 421
Qureshi, Moeen 278

Ren Wanding 55, 186, 195, 200, 247


Ren Wuzhi 251

Ren Zhongyi 102, 336


Rong Yiren 346
Rubin, Barry 16

Sakharov, Andreï 67
Salisbury, Harrison 244

Sarkozy, Nicolas 453


Scowcroft, Brent 245-246, 278
Service, Robert 78

Shakespeare, William 69
Shattuck, John 316

Shi Binhai 369

Snow, Edgar 57, 259


Solarz, Stephen 267

Song Ping 273


Song Ziming 133

Sousa, John Philip 64


Speer, Albert, fils 430

Staline, Joseph 42-43, 45, 47, 66, 72, 112, 155, 254
Stoltenberg, Jens 479
Sun Dawu 419

Sun Yat-sen 26
Su Shaozhi 186, 209, 247

Sutherland, Peter 310

Su Xiaokang 183-184, 210, 213, 247


Su Zhenhua 36, 38

Tang Haisong 402


Tan Zuoren 451

Tao Zhu 84
Teng, Teresa 69, 223, 321

Thatcher, Margaret 148-149, 242, 248, 268

Theroux, Paul 70
Toffler, Alvin 138, 142

Trump, Donald 347


Wałęsa, Lech 250, 269-270

Walker, Richard 60

Wang Baosen 316


Wang Bingqian 286

Wang Chenghua 398


Wang Dan 186, 212, 216, 247, 330, 368

Wang Dongxing 38-40, 53


Wang Fang 271
Wang Hongwen 35, 39

Wang Huning 319, 375


Wang Qishan 471

Wang Renzhong 120


Wang Ruoshui 109-111, 114, 186, 316

Wang Ruowang 162, 165

Wang Shuo 329


Wang Yaoting 51

Wang Zhen 185


Wan Li 98, 132, 140
Wei Jingsheng 55, 64, 66, 68, 108, 162, 186, 316, 368

Wen Jiabao 342, 376, 440, 447, 450, 456-457


Wu Bangguo 354-355, 457
Wuer Kaixi 212, 216, 247
Wu Jinglian 442

Xiang Huaicheng 173


Xiang Songzuo 20

Xiao Ke 217

Xi Jinping 11, 13, 458-459, 465, 467, 471-473, 475-476


Xi Zhongxun 137, 459

Xu Jiatun 267
Xu Qinxian 229

Xu Wenli 368-369

Yang Baibing 263, 305


Yang Bin 419

Yang Jiechi 464


Yang Shangkun 76, 163-164, 207, 217, 222, 239, 241, 243, 259, 262-263, 304

Yang Zhou 335

Yan Jiaqi 215, 247


Yao Wenyuan 39

Yao Yilin 94-95, 117, 132, 173, 221, 250, 349


Yao Yugen 356

Ye Jianying 36, 38, 41, 48, 53, 56, 148


Yuan Mu 205-206, 239, 286, 377

Yu Jie 457

Yu Qiuli 163, 165


Zakaria, Fareed 457

Zhai Manxia 112


Zhang Ba Jin 462

Zhang Chunqiao 35-36, 39

Zhang Hua 109


Zhang Shanguang 369

Zhang Yimou 329


Zhang Yufeng 36-37

Zhao Ziyang 13-14, 83-84, 102, 105, 109, 117, 122, 128, 132, 138-139, 143,
148, 155, 157, 159, 162-163, 165-167, 169, 172, 174-175, 177-178, 182-183,
185, 194-197, 199, 201-203, 207-211, 213-216, 219-220, 247, 252-253, 258,
410
Zheng Tuobin 277, 280

Zhou, Kate 96
Zhou Dahu 376
Zhou Enlai 29-31, 33-34, 39, 44, 48, 51, 63, 97, 117, 175, 212, 222

Zhou Guanwu 316


Zhou Xiaochuan 417, 447
Zhou Yang 110-111, 114

Zhou Yongkang 424, 453, 455-456, 472


Zhu Rongji 138, 223, 241, 285-287, 292, 295, 306-312, 341-342, 344, 348, 359,
365, 371, 380, 383, 385-386, 414, 416, 471
Index des noms de lieux

Afghanistan 62, 411


Afrique 188, 406-407, 455

Allée de la Soie 191-192, 260, 343, 394


Allemagne de l’Est 96, 121, 243

Allemagne de l’Ouest 86, 270


Anhui, province 95, 160
Argentine 260, 408

Australie 86, 93, 267, 275, 404, 461, 479


Bangladesh 402

Baren 251

Beidaihe 174
Beijing 7, 9, 14, 17, 20, 25, 32, 42-43, 46, 50, 54, 56-57, 60-63, 65, 68, 80,
85, 102, 108, 112, 116, 123, 128, 131, 148-149, 157, 160, 172, 181, 186,
191, 193, 195-196, 198, 202, 206, 209, 212, 214, 218-220, 239, 242-248,
250, 255, 261-262, 264, 267, 269, 272, 275, 277-279, 282, 287, 290, 294,
301, 312-313, 316, 320, 323-324, 328, 330, 334-335, 342, 350, 367, 369,
371, 373, 378, 381-383, 386-388, 392, 394, 401, 409-410, 414-415, 419,
422, 426, 428-430, 433-435, 441, 443, 446-448, 450, 454, 461, 464-465,
467, 474, 477-479

Belgrade 377, 379, 381-382


Bhoutan 478

Brésil 86, 404, 408, 479

Brunei 478
Cambodge 63

Canada 93, 275, 344, 392


Chang’an, avenue 25-26, 32, 55, 202, 204, 217, 219-220, 225-228, 230-231, 233-
235, 240, 260, 262, 370

Changchun 119, 370


Changsha 64, 159, 202, 221, 249, 290, 379

Chengdu 126, 156, 202, 240, 378

Chili 408
Chongqing 327, 414, 421, 454, 472

Cimetière révolutionnaire de Babaoshan 202, 234


Cité interdite 9, 25, 32-33, 35, 69, 225, 231

Columbia, université 195

Corée du Nord 17, 201-202, 207, 477


Corée du Sud 195, 276, 341, 350, 450, 463, 477
Cornell, université 322
Dahomey 16

Dalian 139, 281, 294, 327, 329-330, 346, 415, 425, 472

Dazhai 99-100, 132, 170, 327


Dongguan 101

École centrale du parti 53, 458


École militaire de Shijiazhuang 257
Égypte 454
Équateur 408
Érythrée 408

États-Unis 8, 45, 50-52, 55, 58-59, 61-62, 64, 67, 86, 132-133, 136, 141, 147,
195, 244-246, 248, 255, 267, 275, 277-278, 320-324, 337, 342, 368, 378-
380, 382-383, 387-389, 391-392, 394-395, 403-404, 408, 410, 414, 424, 435,
438, 441, 444, 446-447, 450, 460, 463, 472, 474, 476-479
Europe de l’Est 83, 271
France 58, 140, 321, 359, 409
Fudan, université 318, 462
Fujian, province 83, 137, 171, 319, 322, 346
Fuzhou 294
Gansu, province 10, 95, 98, 113, 122, 182, 200, 218, 296, 356, 359, 362, 369,
409

Gobi, désert de 431


Grande Muraille 184-185, 191, 449
Grèce 447

Guangdong, province 10, 84, 92, 95, 101-102, 105, 132-133, 137, 307, 336, 346-
347, 399, 427-428, 453
Guangze 171
Guangzhou 64, 102, 113, 139, 221, 241, 251, 290, 294, 347, 379, 413, 425-428,
441
Guizhou, province 95, 318
Hainan, île de 83, 144, 147, 295, 324, 346, 465

Hangzhou 124, 218, 368, 379, 421, 424, 444


Hebei, province 96, 154
Hefei, université de science et de technologie 160
Heilongjiang, province 116, 313, 362
Henan, province 84, 92, 118, 362, 450

Hong Kong 7, 14, 47, 69, 102, 113, 132-137, 147-150, 153, 156, 186, 194, 209,
221, 223-225, 241, 247-248, 251, 266-269, 278, 289-294, 297, 299-300, 315-
317, 333, 335, 343, 352-353, 388, 400, 418, 427-429, 440, 445, 450, 476-
477
Hongrie 203, 255, 270

Huangshi 119
Hubei, province 82, 119-121, 129, 181

Hunan, province 92, 152, 202, 249, 263, 379, 459


Inde 59-60, 392, 465, 477, 479
Indonésie 50, 134, 339, 477

Japon 17, 26, 46, 52, 58-60, 86, 133, 138, 147, 155-156, 166, 188, 195, 275-
276, 279, 341, 381, 392, 404, 407, 417, 421, 438, 444, 450, 463-465, 477,
479
Jiangsu, province 101, 105, 307

Jianguo, hôtel 191, 193, 230, 235


Jiaotong, université 160

Jilin, province 119, 359, 367


Jinan 248
Kazakhstan 412

Kenya 49
Kosovo 378, 411

Lanzhou 122, 200, 218, 221-222, 241, 362, 421


Liaoning, province 30-31, 40, 286, 354, 367, 453

Libye 454
Macao 134-135, 221, 293
Malaisie 324, 339
Mandchourie 155, 406, 431
Matsu 319
Mer de Chine du Sud 319, 324-325, 464-465

Mexique 389, 392


Mongolie 10, 50, 478

Mongolie Intérieure 359, 431


Moscou 27, 35, 45-46, 57-58, 60-61, 214, 254, 271-272, 274, 318, 344, 410,
426, 442

Mozambique 16
Musée d’Histoire de la Chine 35, 225, 232, 256, 264

Myanmar 478

Nanjing 31, 81-82, 88, 130, 135, 160, 188, 221, 265, 421
Nankai, université 7-8, 10

Népal 478
Ningbo 218, 294, 345

Nouvelle-Zélande 37, 52, 133


Ouzbékistan 412, 460

Pakistan 411
Palais d’Été 220, 234

Palais de l’Assemblée du peuple 26, 32-34, 36, 38, 46, 48, 55, 65, 200-201, 207,
214, 216, 225, 232, 240, 264, 290, 305, 368, 448
Palais des Sciences 208

Papouasie Nouvelle-Guinée 479

Paracels, îles 324-325, 464


Pérou 408

Philippines 324-325, 339, 465, 477


Pologne 84, 162, 203, 250, 255, 269

Porte de la Paix Céleste 25-26, 28, 57


Pyongyang 203, 207, 215
Qincheng, prison 247
Qingcaosha, réservoir 425
Qingdao 340, 363

Quemoy 319-322

Qufu 171
Roumanie 271

Rui’an 176
Russie 60, 272, 337, 406

Sarawak 325
Senkaku, îles 464

Shaanxi, province 91, 202, 459


Shandong, province 104, 171, 281, 367
Shanghai 31, 35, 64, 75, 86, 101, 103, 108, 123-126, 130, 133, 137, 139-142,
145, 160, 169, 172, 175, 177, 182, 186, 194, 197-198, 207, 209, 218, 221,
223, 241-242, 248, 252, 254, 290-294, 299, 301, 305-306, 318, 326, 328,
335, 340, 344, 346, 363, 379, 386, 395, 398, 402-403, 409, 412-415, 423,
425, 454, 459, 462, 470, 478

Shangyu 363
Shantou 137, 294
Shanxi, province 99, 154, 362
Shaoshan 31
Shenyang 126, 131, 172, 354, 356
Shenyang Blower Works 141

Shenyang Steel Complex 354

Shenzhen 14, 132, 135-139, 147-148, 289, 292, 299, 301, 315, 326-327, 330-331,
347, 415, 425-426, 459, 470
Sheraton Grande Muraille, hôtel 196, 236

Sichuan, province 76, 85, 105, 126, 202, 301, 359, 414, 444, 450
Singapour 148, 267, 428, 478

Soudan 407-409

Spratly, îles 324-325, 464


Sumatra 463

Sun Yat-sen Memorial, hôpital 427-428


Suzhou 196

Syrie 16
Taihu, lac 425
Taïwan 26, 69, 83, 148, 156, 223, 277-278, 294, 319-325, 327, 450, 460, 463-
464, 478

Taizhou 116
Tanggu 112

Tchécoslovaquie 448
Thaïlande 337, 339
Tian’anmen, place 9, 25-26, 28, 32-34, 36-41, 46, 55-56, 73, 150, 156-157, 174,
191, 198, 200, 205-206, 211, 220, 223-224, 226-227, 230-234, 237, 259,
264, 270, 277, 316, 331, 372, 430, 432

Tianjin 7-8, 10, 81, 104, 123, 132, 139, 142, 145, 160-161, 169, 172, 256, 294,
371, 413
Tianjin, université 188
Tibet 189, 320, 371, 432-435, 460
Tourfan 47

Tsinghua, université 198, 459


Tunisie 454

Turkménistan 412
Université de pédagogie de Pékin ou Université normale de Pékin 232

Université de Pékin 186, 197, 199, 211-213, 236, 257, 462


Université des langues et des cultures de Pékin 188
Université populaire de Beijing 20

Ürümqi 157, 218, 251, 411, 453


Venezuela 408

Vietnam 58-59, 62-64, 228, 324, 464-465, 477


Vladivostok 206, 344
Wangfujing, rue 231, 233-234

Wenzhou 127-128, 131, 139, 176, 192, 218, 294, 345, 360, 374, 376, 380, 398,
439
Wuhan 119, 131, 156, 160, 172, 221, 289, 467, 478

Xiamen 137, 294, 327

Xi’an 92, 156, 202, 211, 241


Xibaipo 419

Xinjiang, province 47, 112, 157, 189, 212, 218, 251-252, 409-412, 422, 425, 440,
460
Yangtsé, fleuve 86, 112, 120, 123, 311, 326, 414, 425
Yémen 454
Yougoslavie 203, 378

Yunnan, province 362, 409

Zhangjiagang 326-327
Zhejiang, province 80-81, 95, 98, 128, 176, 218, 345-346, 363, 374, 420-421, 459

Zhejiang, université 416


Zhengzhou 118

Zhongnanhai 9, 33, 64, 196, 199, 212, 225-227, 369, 372


Zhuhai 135-137, 294, 304

Zimbabwe 408
Du même auteur

Comment devenir dictateur. Le culte de la personnalité au XXe siècle, Paris, Les Arènes, 2022.
The Cultural Revolution : A people’s History, 1962-1976, Londres et New York, Bloomsbury, 2016.
The Discourse of Race in Modern China, revised and expanded second edition, New York, Oxford
University Press ; Londres, Hurst & Company, 2015.
The Tragedy of Liberation : A History of the Chinese Revolution, 1945-1957, Londres et New York,
Bloomsbury, 2013.
Mao’s Great Famine : The History of China’s Most Devastating Catastrophe, Londres, Bloomsbury ;
New York, Walker Books, 2010.
The Age of Openness : China before Mao, Berkeley, University of California Press ; Hong Kong,
Hong Kong University Press, 2008.
Things Modern : Material Culture and Everyday Life in China, Londres, Hurst & Company, 2007.
Cultures of Confinement : The History of the Prison in Asia, Africa and Latin America, avec Ian
Brown, Ithaca, Cornell University Press ; Londres, Hurst & Company, 2007.
Exotic Commodities : Modern Objects and Everyday Life in China, New York, Columbia University
Press, 2007 ; rééd. Thing Modern : Material Culture and Everyday Life in China, Londres,
Hurst & Company, 2007.
Narcotic Culture : A History of Drugs in China, avec Lars Laamann et Zhou Xun, Chicago,
University of Chicago Press ; Londres, Hurst & Company ; Hong Kong, Hong Kong University
Press, 2004.
« Patient zero » : China and the Myth of the Opium Plague, Londres, School of Oriental and African
Studies, Inaugural Lecture Series, 2003.
Crime, Punishment and the Prison in Modern China, New York, Columbia University Press ;
Londres, Hurst & Company ; Hong Kong, Hong Kong University Press, 2002.
Imperfect Conceptions : Medical Knowledge, Birth Defects and Eugenics in China, New York,
Columbia University Press ; Londres, Hurst & Company, 1998.
The Construction of Racial Identities in China and Japan : Historical and Contemporary
Perspectives, Honolulu, University of Hawaii Press ; Londres, Hurst & Company ; Hong Kong,
Hong Kong University Press ; Sydney, Allen and Unwin, 1997.
Sex, Culture and Modernity in China : Medical Science and the Construction of Sexual Identities in
the Early Republican Period, Honolulu, University of Hawaii Press ; Londres,
Hurst & Company ; Hong Kong, Hong Kong University Press, 1995.
The Discourse of Race in Modern China, Stanford, Stanford University Press ; Londres,
Hurst & Company ; Hong Kong, Hong Kong University Press, 1992.
Retrouvez tous nos ouvrages
sur www.tallandier.com

Vous aimerez peut-être aussi