Irlande 4,50 € Italie 4,50 € Japon 800 ¥

Afrique CFA 3 200 FCFA Algérie 480 DA

Portugal cont. 4,50 € Suisse 6,20 CHF

É-U 7,50 $US G-B 3,80 £ Grèce 4,50 €
Autriche 4,50 € Canada 6,95 $CAN
Allemagne 4,50 € Andorre 4,50 €

TOM 790 CFP Tunisie 6,50 DTU

Maroc 38 DH Pays-Bas 4,50 €
DOM 4,90 € Espagne 4,50 €
N° 1372 du 16 au 22 février 2017
courrierinternational.com
France : 3,90 €

France Doit-on repenser

notre modèle social ?

BALKANS LE SPECTRE
DE LAGUERRE

Plus de vingt ans après la fin

de la guerre dans l’ex-Yougoslavie,
les tensions s’exacerbent dans
la région. La Russie, elle,
place ses pions. Le cri d’alarme
de la presse des Balkans

M 03183 - 1372 - F: 3,90 E

3’:HIKNLI=XUX^U\:?b@d@r@c@k";
 9

ou rs d a n s
7 j
le monde
Pandas dans
la brume
Parmi les images primées lors
de cette soixantième édition
du World Press Photo, nous avons
choisi de publier celle qui apportait
une note d’espoir et de légèreté.
Ce cliché, réalisé par Ami Vitale
pour le National Geographic,
montre deux salariés de la réserve
de Wolong (province de Sichuan)
en Chine, en train d’essayer
de repérer des pandas géants
équipés de colliers émetteurs.
Leur déguisement leur permet
d’approcher les plantigrades sans
les familiariser avec la présence
humaine. Environ 300 pandas
géants vivent dans cet espace
préservé de 7 000 km2. En 2016,
on dénombrait 1 864 pandas géants
adultes dans le monde,
une population en hausse.
Ce qui a permis à l’Union
internationale pour la conservation
de la nature (UICN) d’éliminer
en septembre le panda géant
de la catégorie des espèces
en danger pour le faire passer
dans celle des espèces vulnérables.
Toutes les images primées au World
Press Photo 2017 sont à retrouver
sur Courrierinternational.com
et sur www.worldpressphoto.org
À lire aussi sur notre site,
la polémique autour de la photo
de l’année. C’est le photographe turc
Burhan Ozbilici qui a remporté
le premier prix pour son cliché
pris en décembre 2016 montrant
l’assassin de l’ambassadeur russe
à Ankara et sa victime à terre.
Photo Ami Vitale pour le “National Geographic”

SUR NOTRE SITE

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Retrouvez tous les vendredis

notre diaporama “La semaine
en images”. Et dans notre
édition imprimée, chaque jeudi,
la photo d’actualité la plus forte.
10.
a ns
7 joursodnde
le m
États-Unis.
L’incompétence règne
à la Maison-Blanche
La démission, le 13 février, de Michael Flynn,
conseiller du président chargé de la sécurité
nationale, met en lumière l’amateurisme
de l’équipe Trump, déplore cet éditorialiste.
—The Washington Post
(extraits) Washington
Q uand Donald Trump a annoncé sa
candidature à la Maison-Blanche,
il a soutenu que son manque d’ex-
périence en politique et son mépris affi-
ché pour les détails (ou même les grandes
lignes) des dossiers non seulement ne pose-
raient pas problème, mais expliqueraient
même pourquoi il serait un président formi-
dable. Il fallait repenser le système, et cela
ne pouvait être accompli par quelqu’un qui
en était prisonnier.
C’est idiot. Si vous n’aimez pas la façon
qu’a votre garagiste de maintenir votre voi-
ture en état de marche, vous en trouvez un
autre, plus doué — vous n’allez pas recru-
ter un concepteur de sites Internet sous
prétexte qu’il va apporter un regard neuf
sur la façon traditionnelle de considérer les
moteurs de voiture. Or c’est ce qu’ont fait
46 % des électeurs américains en novembre
dernier, et l’on peut maintenant en appré-
cier le résultat.
On peut être d’accord ou non, en subs-
tance, avec ce que ce gouvernement tente
d’entreprendre. Difficile de nier, en revanche,
qu’il s’y attaque en faisant la démonstration
d’une incompétence à couper le souffle.
Commençons par le sujet du jour, le
conseiller chargé de la sécurité nationale
Michael Flynn. Il vient de perdre son poste
car, entre le jour de l’élection et celui de l’in-
vestiture, il se serait entretenu avec l’am-
bassadeur de Russie au sujet des sanctions
imposées à Moscou par le gouvernement
Obama (peut-être pour lui garantir qu’elles
seraient levées une fois Trump aux com-
mandes). Puis il a menti à ce sujet. Flynn a
notamment déclaré au vice-président Pence
qu’il n’avait jamais abordé la question des
sanctions avec l’ambassadeur, et Pence a
ensuite pris publiquement sa défense.
Mais le plus frappant, dans la dernière
série d’affaires liées à Flynn, c’est peut-être
de voir à quel point tout ce qui touche à la
sécurité nationale à la Maison-Blanche – tout
ce que Flynn était censé gérer – est désor-
mais un véritable capharnaüm. Comme le
raconte The New York Times dans son édition
du 13 février, le personnel du conseil chargé
de la sécurité nationale “se lève le matin, lit
les tweets du président Trump puis se démène
pour que les décisions politiques aillent dans le
même sens. La plupart ignorent totalement ce
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
↙ Michael Flynn. “Celle-là, c’est pour avoir filé des infos à la Russie… Et l’autre, là, c’est
pour avoir nié les faits aux États-Unis.” Dessin de Dave Granlund, États-Unis.
que M. Trump déclare aux dirigeants étran-
gers lors de ses conversations téléphoniques.”
Et que dire de ce qui suit : selon deux per-
sonnes directement en contact avec des res-
ponsables de l’entourage présidentiel, Flynn
a été surpris d’apprendre que le département
d’État et le Congrès jouaient un rôle crucial
dans les ventes et les transferts de techno-
logie à l’étranger. Par exemple, Trump et
son équipe ont été stupéfaits quand ils ont
découvert que le président ne pouvait pas
simplement ordonner au Pentagone de livrer
plus d’armes à l’Arabie Saoudite.
Selon plusieurs conseillers, Flynn, pour-
tant militaire de carrière, ne savait même
pas comment mobiliser la garde nationale
en cas d’urgence, lors d’une catastrophe
naturelle de type Katrina ou d’un attentat
bactériologique dans une ville américaine.
Et ce n’est pas la première fois que des per-
sonnages clés de la Maison-Blanche ignorent
le fonctionnement des procédures les plus
Flynn ne savait même
pas comment mobiliser
la garde nationale
en cas d’urgence.
élémentaires. La vérité, c’est qu’aucun pré-
sident avant Trump n’a eu autant besoin
d’une équipe expérimentée et compétente.
Son inculture et son mépris des subtilités
politiques et bureaucratiques font qu’il est
incapable d’offrir à son équipe des direc-
tives claires sur ce qu’ils devraient faire et
sur la façon de gérer les affaires courantes.
Pour combler ce néant, il aurait dû s’entou-
rer de gens capables de travailler sur les dos-
siers sans faire de bourdes et un minimum
au fait des rouages du système.
Au lieu de cela, il a nommé aux postes
les plus élevés des gens qui n’ont pas la
moindre expérience de la vie politique à
ce niveau. Le résultat, c’est une adminis-
tration qui avait annoncé un changement
radical mais qui, en pratique, va surtout
nous conduire à la catastrophe.
L’aspect le plus frappant de ce que rap-
portent ces collaborateurs de la Maison-
Blanche est ce qu’ils révèlent sur l’homme
pour qui ils travaillent. Ils ont dit à des jour-
nalistes que Trump regardait énormément
les chaînes d’information en continu à la
télévision, qu’il appelait Flynn au milieu de
la nuit pour savoir s’il valait mieux avoir
un dollar fort ou un dollar faible, qu’il avait
interrompu un appel téléphonique avec le
président russe Vladimir Poutine pour se
faire expliquer ce qu’était le nouveau traité
Start [sur la réduction des armes straté-
giques entre Moscou et Washington], et
enfin qu’il exigeait que les notes d’infor-
mation soient rédigées “sur une seule page,
avec beaucoup de graphiques et de cartes”,
entre autres choses.
Pour une large part, ces informations ont
quelque chose de comique, mais elles sont
parfois vraiment effrayantes. Prenez par
exemple ces images stupéfiantes de CNN,
où l’on voit Trump et le Premier ministre
japonais [lire aussi p. 27] dînant au Mar-a-
Lago en compagnie des membres de ce club
[situé en Floride et propriété de Trump], et
où soudain le nouveau président américain
décide de prendre un coup de fil concer-
nant un tir de missile par la Corée du Nord.
Tandis que les riches membres du Mar-a-
Lago regardaient la scène de leurs tables,
et qu’en fond un chanteur s’accompagnait
au piano, le dîner de Trump et d’Abe s’est
rapidement mué en session stratégique, si
bien que les clients ont assisté en direct
aux prises de décisions et qu’ils ont pu les
décrire en détail à CNN.
Certes, on peut se réjouir de ne pas avoir
élu une candidate qui s’est trompée de boîte
électronique [allusion à Hillary Clinton],
dans la mesure où l’actuel gouvernement
se dit très attaché à la sécurité des dossiers
ultrasensibles. Les démocrates devraient
être quelque peu rassurés par toute cette
pagaille, si elle a pour effet de freiner la
mise en œuvre du programme de Trump.
Mais vous verrez quand il y aura une
vraie crise…
—Paul Waldman
Publié le 13 février
Contexte
●●● La démission de Michael Flynn,
le 13 février, est un “revers majeur pour
l’administration Trump”, souligne
un commentateur de CNN. Éphémère
conseiller chargé de la sécurité nationale,
Flynn pourrait avoir laissé entendre à
l’ambassadeur de Russie à Washington,
à la fin de décembre, que Trump
se montrerait plus clément que Barack
Obama avec Moscou, comme l’a révélé
The Washington Post le 9 février.
En réaction à cet article, Michael Flynn a
d’abord nié que le sujet des sanctions ait
été abordé dans ses conversations avec
l’ambassadeur russe, avant de faire
marche arrière, expliquant qu’il ne savait
plus si c’était le cas. Surtout, il avait assuré
au vice-président Mike Pence qu’il n’avait
eu aucune conversation substantielle avec
l’ambassadeur. Ce qui avait conduit
le vice-président à répéter cette
affirmation erronée à la télévision.
SOURCE
THE WASHINGTON POST
Washington, États-Unis
Quotidien, 475 000 ex.
washingtonpost.com
The Washington Post est le grand
quotidien de la capitale
américaine et l’un des titres les
plus influents de la presse
mondiale.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Succès pour
les immigrés
SUISSE — Appelés à se pro-
noncer le dimanche 12 février
sur la simplification de la pro-
cédure de naturalisation des
petits-enfants d’immig rés,
les Suisses ont répondu oui à
60,4 %. “Du côté des partisans
de cette mesure, c’est la surprise”,
dans un contexte qui est “peu
favorable à des signes d’ouverture
sur les questions d’immigration”,
écrit Le Temps. “Les Suisses
ouvrent un peu plus grand la porte
aux petits-enfants d’immigrés, nés
ici tout comme eux, scolarisés dans
les mêmes écoles, poursuit le jour-
nal. C’est un signe de confi ance,
une invitation à participer à la vie
politique.”
Plein
à craquer
ÉTATS-UNIS —
Depuis le
11 février, l’eau
contenue par
le plus haut
barrage du
pays, celu i
d’Oroville, en
Californie, a
atteint la capacité maximale
de remplissage, menaçant ainsi
l’édifice. “Tandis que des orages
d’une ampleur record continuaient
de gonfler le lac, une fi ssure a été
détectée dans le déversoir d’ur-
gence”, rapporte le Los Angeles
Times. Les autorités ont déclen-
ché un ordre d’évacuation pour
les 200 000 habitants de la zone
menacée en cas de rupture du
barrage. Après cinq ans de séche-
resse, cette situation est particu-
lièrement spectaculaire, note le
quotidien.
56 024
CITOYENS EUROPÉENS vivant au Royaume-Uni ont fait une demande
de résidence permanente au cours du troisième trimestre 2016, rapporte
The Guardian. Un chiffre en hausse de près de 50 % depuis le vote pro-Brexit,
car le gouvernement britannique “a refusé à plusieurs reprises de garantir aux
ressortissants de l’UE qu’ils puissent rester une fois que le pays sortira de l’Union”.
L’attitude du gouvernement est à double tranchant, explique le journal : en retour,
les autres pays membres seront certainement moins enclins à garantir le permis
de séjour aux quelque 1,2 million de Britanniques qui vivent sur leur territoire.
Seau contre
pétrole
INDE — Deux
navires-citernes
sont entrés en col-
lision à la fin de
janvier au large
de Chennai, dans
l’État du Tamil Nadu,
libérant 100 tonnes
de pétrole qui pol-
luent la côte sur
43 kilomètres. “Les
autorités cherchent à
comprendre comment une
chose pareille a pu se produire à
3 kilomètres seulement du rivage”,
rapporte le Hindustan Times, le
11 février. Elles ont été si lentes à
réagir que la pollution s’annonce
catastrophique, d’autant que les
équipes de secours et de net-
toyage ne disposent “d’aucun
équipement adéquat”, déplore le
journal, qui parle de “simples
seaux en plastique” pour nettoyer
les plages.
Sur la liste
noire
VENEZUELA — “Narcotrafiquant”
et “proche du violent cartel
mexicain Los Zetas” : telles
sont les accusations portées le
13 février par le Trésor amé-
ricain contre le vice-prési-
dent vénézuélien, rapporte El
Nacional. Tareck El Aissami,
numéro deux du gouvernement
de Caracas, “arrive en tête de liste
des individus sanctionnés par l’ad-
ministration de Donald Trump”,
écrit le journal vénézuélien. Ses
actifs seront bloqués aux États-
Unis. Une mesure qui pourrait
tendre encore un peu plus les
relations entre le Venezuela et
les États-Unis.
ESPAGNE
Podemos choisit la radicalité
La victoire de la ligne dure lors du congrès de la formation de
gauche radicale consacre le triomphe d’un mouvement populiste
et place le PSOE comme seul parti de gouvernement de gauche,
estime le quotidien de centre gauche El País.
—El País Madrid
↑ Dessin
L a victoire de Pablo Iglesias au congrès
de Podemos, qui s’est tenu hier
[dimanche 12 février] à Madrid,
confirme que la formation violette pour-
suivra dans la voie idéologique et straté-
de Vlahovic, gique suivie jusqu’à présent. Le maintien
Serbie. d’Iglesias, venu s’ajouter aux nombreux
soutiens en faveur de ses propositions,
conforte le Podemos le plus rétif à la par-
ticipation à la vie institutionnelle et par-
lementaire que nous ayons vu jusqu’ici.
Cette victoire consacre le triomphe d’un
mouvement populiste et assumé comme tel
qui cherche à contester l’ordre établi
en s’appuyant sur la mobilisation
sociale, sur la rue. Et c’est l’échec du
Podemos que beaucoup d’électeurs
espéraient : une nouvelle formation
susceptible d’attirer l’électorat d’autres
partis, fondamentalement des socia-
listes, mais aussi des abstention-
nistes, qui, avec la montée des
→ Dessin inégalités et la multiplication
de Medi, des scandales de corruption,
Albanie. ne se sentaient plus représentés
par les partis politiques existants.
L’actuel numéro deux et porte-
parole parlementaire de Podemos,
Íñigo Errejón, essuie un échec
retentissant. En effet, il a tenté sans
succès de convaincre les congres-
sistes de la nécessité de modé-
rer le discours du parti et de
favoriser l’intégration de ce
dernier aux institutions, afin
Pleins pouvoirs pour Iglesias
●●● “Iglesias, sans frein”, titre en une El
Periódico de Catalunya au lendemain de
sa victoire lors du congrès de Podemos. Sa
liste de candidats pour rénover le Conseil
citoyen, l’organe exécutif, s’est imposée en
remportant 37 postes de conseillers,
contre 23 pour celle du numéro deux du
mouvement, Íñigo Errejón, et 2 pour les
anticapitalistes, le troisième grand
courant du parti. De plus, Iglesias a
été confirmé comme secrétaire général
avec près de 89 % des votes. “En résumé,
il a tout gagné, et de façon catégorique”,
écrit El Periódico. Pour le très
conservateur La Razón, Iglesias dispose
ainsi de “tout le pouvoir pour purger” la
formation des partisans d’Errejón.
Podemos, né du mouvement des Indignés
7 JOURS. 11
de gagner en crédibilité comme force de
gouvernement et d’élargir la base électo-
rale aux prochaines élections. Les mau-
vais résultats électoraux enregistrés par
Podemos en juin 2016, quand son refus
de faire alliance avec le PSOE et son pacte
avec Izquierda Unida [Gauche unie, coali-
tion formée autour du Parti communiste]
lui ont fait perdre plus d’un million de voix,
démontrent que les thèses du bloc dirigé
par Errejón avaient une plus grande per-
tinence politique et électorale. Cela ne fait
que confirmer ce paradoxe bien connu qui
veut que les militants des partis, plus idéo-
logisés, fassent rarement les mêmes choix
que les électeurs de ces mêmes
partis, plus pragmatiques.
Mais s’il y a une leçon à retenir
de la victoire stratégique d’Igle-
sias, c’est que le PSOE ne pourra
pas compter sur Podemos pour
gouverner, pas même comme sou-
tien parlementaire. Les socialistes
demeurent ainsi le seul parti de
centre gauche ayant des chances
de gouverner. Une solitude qui
oblige le PSOE tant à réunir une
équipe dirigeante consensuelle
(à la fois du point de vue
interne et aux yeux de l’élec-
torat) qu’à mettre en œuvre un
programme de gouvernement
crédible et porteur d’avenir, lui
permettant de récupérer les
suffrages captés par Podemos
et l’abstention.—
Publié le 13 février
et créé il y a à peine trois ans, a fait une
entrée fracassante sur la scène politique
espagnole lors des élections européennes
de 2014, un succès confirmé lors de deux
scrutins, en mai puis en décembre 2015.
C’est à partir de ce moment que les
premiers débats ont surgi sur la position à
adopter vis-à-vis du parti socialiste
(PSOE). Pour les législatives de juin 2016,
Iglesias a choisi de maintenir les
socialistes à distance, en optant pour une
alliance avec les anciens communistes et
divers gauche d’Izquierda Unida. Mais le
mouvement perd un million de voix par
rapport au précédent scrutin. Un résultat
vu comme un échec, qui n’a fait
qu’alimenter les divisions, qui se sont
manifestées lors du congrès du 12 février.
12. 7 JOURS
LE
NTIEL
SIDE2017
PRÉ
Marine Le Pen,
le vrai danger pour l’Europe
Si l’UE a les yeux braqués sur Donald Trump et le désordre
mondial qu’il apporte, elle ferait mieux de se soucier du FN,
son plus proche ennemi, assure ce journaliste portugais.
—Observador Lisbonne
A
ngela Merkel se serait dite plus pré-
occupée par l’élection en France
que par le Brexit. Au Portugal, nous
avons tous les yeux rivés sur Trump. Les
Portugais, qui d’habitude ne s’intéressent
qu’à ce qu’il se passe chez eux, n’ont d’yeux
ces jours-ci que pour le nouveau locataire
de la Maison-Blanche. Et si on en finissait
avec cette Trumpomanie et qu’on regardait
ce qui se passe en Europe ? Car les événe-
ments qui vont s’y produire à court terme
seront bien plus lourds de conséquences
pour le Portugal.
Il y a encore quelques semaines, la pré-
sidentielle française suivait relativement
tranquillement son bonhomme de chemin.
Il semblait hautement invraisemblable que
Marine Le Pen l’emporte sur François Fillon
au second tour. Le candidat des Républicains
s’annonçait comme le prochain président
français. Et tout a basculé avec l’affaire des
emplois fictifs qui touche la femme et deux
des enfants de Fillon. Un séisme est en train
d’ébranler la vie politique hexagonale. Si
le choix des électeurs de la primaire de la
droite et du centre s’est porté sur Fillon,
c’est parce qu’il semblait être le candidat
le plus sérieux et le moins compromis avec
l’oligarchie politique nationale. Personne
ne voulait entendre parler de Sarkozy, et
Juppé est un homme du passé.
Mais ces derniers jours ont montré que
François Fillon est en fait comme tous les
autres. Il puisait son pouvoir de séduction
dans sa différence tranquille, sans radica-
lisme. Il apparaissait comme le grand recours
au sein d’un parti dont les grandes figures
sont rejetées par la majorité de l’électorat.
Et le recours s’est effondré à une vitesse ver-
tigineuse. Aujourd’hui, plus personne chez
Les Républicains ne croit encore à une vic-
toire de Fillon. On doute même qu’il par-
vienne à rester candidat, et le parti est dans
Si elle est élue,
la France signera l’arrêt
de mort de l’euro.
la confusion la plus totale. À deux mois de
l’élection, les conservateurs sont passés de
la certitude quasi totale d’une reconquête
de l’Élysée au risque de ne même pas avoir
de candidat à présenter.
Et la situation au Parti socialiste n’est
guère plus plaisante. François Hollande n’a
pas participé à la primaire de la gauche. Son
ancien premier ministre, Manuel Valls, a été
vaincu par un autre ancien ministre, plus
jeune, qui n’a aucune chance d’être présent
au second tour, sans parler de remporter la
présidentielle.
Sarkozy, Hollande, Juppé, Valls, et
maintenant Fillon : la France vient de voir
tomber en quelques mois les principales
personnalités politiques de ces dernières
années. Resteraient donc Marine Le Pen et
Emmanuel Macron. Ce serait inédit dans
l’histoire de la Ve République : un duel au
second tour sans aucun représentant des
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
↙ Marine Le Pen. Dessin
de Balaban, Luxembourg.
deux grands partis du gouvernement. Dans
cette configuration, le dernier duel oppo-
serait la candidate d’un parti extrémiste au
poulain d’un “mouvement”, En marche !. Et
si l’un d’eux accède à l’Élysée, il ou elle en
sera le premier locataire sans groupe parle-
mentaire. Autant dire qu’à partir du mois de
mai prochain nul ne sait comment la France
sera gouvernée, pas même les Français.
Redoutable. Une chose semble sûre en
revanche : en cas d’élection de Marine Le
Pen, la France sortira de l’euro et signera
très certainement l’arrêt de mort de la
monnaie unique et de l’Union européenne.
Entre la candidate FN et la mort de l’Eu-
rope, il n’y a plus qu’un jeune homme qui
ne s’est jamais présenté à une élection,
qui est entré en politique il y a cinq ans
comme conseiller de François Hollande et
qui a travaillé pour la banque Rothschild.
La réussite de Macron dans une campagne
qui l’oppose à Marine Le Pen, adversaire
redoutable, reste imprévisible. On notera
toutefois l’ironie de l’Histoire qui, après la
crise financière, place l’espoir de l’Europe
dans un ancien banquier qui se dit lui-même
libéral. Vingt ans après Tony Blair, une vic-
toire de Macron en France serait celle de
la troisième voie. J’ai beau me retrouver
dans ses idées, je dois avouer que la pers-
pective d’un second tour Macron-Le Pen
ne me rassure pas. La dernière fois que
j’ai vu un duel entre économie et immi-
gration, c’était au Royaume-Uni, et c’est
le deuxième enjeu qui l’a emporté.
La présidente du Front national n’a jamais
été aussi proche de l’Élysée, et si elle y entre
ce sera la fin de l’Europe. Alors oubliez
Donald Trump, pour quelques mois au
moins. Après la chute de Fillon, c’est la
France que nous devons surveiller de près.
—João Marques de Almeida
Publié le 5 février
SUR NOTRE SITE
courrierinternational.com
À retrouver sur notre site :
q “Le Brexit sera merveilleux.
Le Royaume-Uni a été très
intelligent de s’en aller.”
Des mots de Donald Trump ou
de Marine Le Pen ? Découvrez-le
avec notre quiz en ligne.
q “À Aulnay-sous-Bois, la
misère choisit la révolte.”
La Süddeutsche Zeitung
analyse les manifestations
qui ont eu lieu en France
après l’affaire Théo.
À la une
L’AUBE D’UNE
RÉVOLUTION POLITIQUE
“Une victoire de Le Pen
provoquerait la crise la plus grave
qu’on ait connue depuis un
demi-siècle. Et même si elle ne
l’emporte pas, le système est
plongé dans les ennuis jusqu’au
cou.” L’hebdomadaire
conservateur The Spectator se
montre alarmant dès
l’introduction de son dossier
du 9 février, annoncé en une par
le titre : “France, le grand
effondrement.” Pour le magazine
britannique, ce désordre
politique est dû à la nature même
de l’Hexagone, “fluctuant entre
de courts spasmes de
changement et de plus longues
périodes d’immobilisme”. Mais
cette époque incertaine peut-elle
briser les traditions
démocratiques françaises ? “La
question au cœur de cette
élection est de savoir si le réflexe
républicain existe toujours en
France, relate le journal. Sinon
Marine Le Pen peut l’emporter.”
PEUR SUR L’ÉCONOMIE
“Le plus grand danger pour
l’Europe”, titre Handelsblatt
dans son édition du lundi
13 février, sous une photo de
Marine Le Pen. Pour le journal
allemand, les attaques répétées
de la candidate du Front national
contre l’Allemagne visent à
“miner l’Europe”. Sa remise en
cause de l’euro – “un Deutsche
Mark déguisé”, selon le FN –
provoque l’ire du quotidien
économique : “On peut tricher
avec les électeurs, mais pas avec
les mathématiques. Marine Le Pen
a toujours les chiffres contre elle,
que ce soit pour son programme
monétaire absurde ou sa victoire
à la présidentielle.”
14. 7 JOURS
CONTROVERSE
Chine : faut-il se réjouir de la mort d’un fraudeur ?
Le 29 janvier, un homme a été tué par un tigre dans un zoo de la ville de Ningbo (est du pays) après avoir atterri dans l’enclos
des félins. Il avait escaladé le mur d’enceinte pour ne pas payer le billet d’entrée. Un drame qui a divisé la presse chinoise.
OUI
Il a été
trop égoïste
—Sina Weibo Pékin
I l était clair que le mur de trois mètres
de haut, surmonté qui plus est d’un
grillage, était infranchissable pour
un tigre. Mais M. Zhang, lui, y est arrivé !
Il y a toujours des gens qui agissent
au mépris des règles. Ils ne font jamais
la queue, car pour eux passer devant les
autres est normal ; quand ils traversent
la route, ils ne regardent jamais si le feu
est vert ou rouge, car ils pensent que, de
toute façon, aucune voiture n’osera les
écraser. Ils ne sont pas du genre à rester
dans les clous ni à respecter les règles du
jeu ; ils se moquent de ces psychorigides
qui se conforment aux règles, se gargari-
sant en leur for intérieur d’être si intelli-
gents. Si vous crachez malgré l’interdiction,
un vigile peut vous le pardonner ; si vous
brûlez un feu rouge, un agent de la cir-
culation peut vous le pardonner ; mais si
vous franchissez le mur de son enclos, un
tigre ne laissera pas passer cela…
Certains disent qu’il faut respecter les
défunts. Je veux bien respecter la mémoire
de quelqu’un qui est mort en agissant
courageusement pour une juste cause,
en protégeant sa famille ou en défendant
sa patrie, mais dites-moi un peu en quoi
quelqu’un qui est mort en se comportant
de manière débile sans respecter les règle-
ments mérite que l’on honore sa mémoire ?
Rien ne s’accomplit sans règles. La victime
a payé le prix de son incartade, et cela doit
nous servir de leçon. Ne nous apitoyons
plus sur son sort ! Il a commis une faute,
un point c’est tout ! S’il s’en était tiré, par
chance, ses enfants auraient fort bien pu
payer par la suite le prix de son incons-
cience en l’imitant à leur tour.
Cet homme aurait pu être de ceux
qui traversent à pied une autoroute, qui
prennent le volant alors qu’ils ont trop
bu, qui fument en prenant de l’essence…
Tout cela cache au fond un mépris des
règles, une grande arrogance et un carac-
tère égoïste. Celui qui agit en dehors des
règles doit être prêt à en payer le prix,
quel qu’il soit, car à ce moment-là tous
ses droits, y compris le droit de vivre,
ne sont plus protégés par un cadre juri-
dique ou moral. Dans cette affaire, seul
le tigre a accompagné le défunt dans sa
tombe, mais en d’autres lieux cela aurait
très bien pu être un homme.
Mauvaise habitude. En fin de compte,
c’est parce que le prix à payer pour une
infraction de règle est trop bas qu’il est
devenu habituel de les enfreindre. Et cette
habitude a enfin été brisée en mille mor-
ceaux sous les griffes acérées d’un tigre.
Car enfin, quelqu’un de respectueux n’au-
rait pas risqué de mourir dévoré par un
tigre juste pour éviter de payer la centaine
de yuans [environ 13 euros] du billet d’en-
trée dans le zoo ! Quand ne pas respec-
ter les règlements devient une habitude,
on ne fait plus attention à rien, même à
ne pas mettre sa vie en danger !
Un internaute a très bien résumé le pro-
blème ainsi : certains estiment que les
règles n’ont aucune utilité en ce monde,
tout cela parce que personne ne les a
rudoyés quand ils ont voulu couper une
file d’attente, parce que quand ils ont
craché par terre personne n’y a attaché
d’importance, parce que personne ne les
a remis à leur place quand ils ont changé
de voie sans crier gare, ou parce que per-
sonne n’a rien fait quand ils ont conduit
sans raison avec leurs feux de route allu-
més. C’est ce qui explique qu’untel des-
cende de voiture dans l’enclos des animaux
féroces en plein milieu d’un parc anima-
lier ou que tel autre a l’idée de franchir
une clôture pour s’y introduire. L’animal
avait conservé son caractère de bête sau-
vage qui lui est propre, alors que l’homme,
lui, avait perdu l’intelligence spécifique à
l’espèce humaine. Observons un moment
de silence à la mémoire du tigre abattu !
—Feng Qingyang
Publié le 30 janvier
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
NON
Il faut respecter
la vie humaine
—Sina Weibo Pékin
O n trouve désormais de nombreuses
personnes, qui, non contentes d’ac-
cuser le touriste coupable d’avoir
enfreint le règlement, expriment leur com-
passion envers le tigre abattu. Pour cer-
tains, l’homme dévoré par le tigre était
clairement dans son tort. Pour d’autres,
tous les êtres vivants étant égaux, la vie
d’un tigre est une vie au même titre que la
vie d’un homme. Que ce touriste perde la
sienne du fait de son erreur ne mérite pas
qu’on s’apitoie sur son sort, mais pourquoi
entraîner le tigre avec lui dans sa mort ?
Cependant, ces arguments sont l’expres-
sion d’un raisonnement dénué de toute sensi-
bilité. Derrière un appel de façade au respect
des règles, ce genre de propos montre que
leurs auteurs ne savent pas ce qu’être civi-
lisé veut dire. Le touriste qui s’est introduit
dans une zone interdite a déjà payé de sa vie
le fait d’avoir voulu resquiller de manière
mesquine et stupide. La présence ou non
de règlements, leur infraction ou non, ne
sert qu’à établir l’étendue de sa responsa-
bilité ; or, de toute évidence, en étant tra-
giquement tué par un tigre, il a déjà payé
dans cette affaire beaucoup plus que ce
qu’il n’aurait dû. Dans ces circonstances,
l’accuser encore plus ne ressemble-t-il pas
à donner des coups de fouet à un cadavre ?
De plus, entre stigmatiser ce touriste
pour son non-respect du règlement et s’api-
toyer sur la mort du tigre qu’il a entraînée,
il y a un grand écart du point de vue du
raisonnement logique qui nécessite une
certaine gymnastique cérébrale pour être
comblé. Toute personne ayant un tant soit
peu de cœur est incapable de passer d’un
tel extrême à l’autre.
On peut se demander si ce n’est pas un
sentiment de supériorité plutôt qu’une
conscience des règles qui pousse certains à
se montrer non seulement fort peu compa-
tissants pour ce touriste qui a commis une
erreur, mais à aller jusqu’à prendre parti
pour le tigre. C’est comme si un piéton était
percuté par une voiture en traversant la
chaussée et que des gens non seulement
considèrent que c’est bien fait pour lui,
mais qu’en plus ils s’inquiètent de savoir
si la voiture n’a pas été trop abîmée. Ce
n’est pas le respect des règles qui inspire
une telle attitude, mais bien le peu d’im-
portance accordé à la vie humaine.
Le second argument avancé plus haut me
laisse également pantois : c’est à se deman-
der si en Chine la protection animale n’est
pas devenue la cause politiquement cor-
recte par excellence ! Il est clair pourtant
que ce n’est pas le cas. C’est donc faire
preuve d’une profonde hypocrisie que de
s’apitoyer sur le sort du tigre sans mani-
fester la moindre émotion par rapport à la
mort d’un être humain, alors qu’à l’heure
actuelle la protection juridique des animaux
reste très imparfaite et qu’il n’existe pas
encore dans notre pays de véritable sen-
sibilisation au bien-être animal.
Sans parler de cette question : ces gens
se sont-ils vraiment préoccupés jusque-là
des conditions de vie des tigres dans les
zoos ? Ne sont-ils jamais allés s’y prome-
ner ? Ne leur est-il jamais arrivé de jeter
n’importe quoi à manger aux animaux ?
N’ont-ils jamais consommé de gibier ?
Passons ! Est-ce une bonne chose d’ac-
corder autant d’importance à la vie d’un
tigre, sans se préoccuper du fait que notre
société classe encore la vie humaine en
différentes catégories ? Comme chacun
sait, lors d’un accident de la circulation,
les indemnités corporelles versées sont
fonction des niveaux de revenus en zone
rurale ou urbaine. Ceux qui font tout
un pataquès de l’abattage d’un tigre ne
feraient-ils pas bien de s’intéresser égale-
ment à cette cruelle réalité ?
Je ne suis pas contre la protection ani-
male, mais comment être un protecteur des
animaux digne de ce nom quand on accorde
aussi peu d’importance à la vie humaine ?
—Wei Yingjie
Publié le 30 janvier
16. Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017

d’un
continent
à l’aut r e.
fra nce Europe ...........
Amériques........
19
20
Afrique .......... 22
Asie ............. 26
Moyen-Orient..... 28

Politique. Doit-on
bouleverser notre
modèle social ?
Le débat sur la Sécurité sociale est l’un
des enjeux majeurs de la campagne
présidentielle. Mais les Français sont-ils
FOCUS pour autant prêts à des changements ?
Pas si sûr. Ailleurs en Europe, la question se pose
aussi. Premier volet de notre série de thématiques
autour de la présidentielle française.

On ne —Reaction (extraits) Londres le modèle économique anglo-saxon, qui

ne marcherait jamais en France. Les
ne serait plus la France, du moins pour
la plupart de ses habitants. Et je dois dire

change pas L ’autre soir, je discutais avec un jeune

une formule
qui marche
Il sera difficile de réformer
le système français, pourtant les
caisses se vident, reconnaît ce
journaliste britannique.
Français, proviseur adjoint d’un des
meilleurs lycées de Bretagne et –
ce qui n’est peut-être pas très étonnant
– plutôt de gauche. Nous discutions de
l’impact de la victoire de François Fillon
à la primaire de la droite, un candidat au
message thatchérien et au conservatisme
catholique.
Ce triomphe de Fillon plongeait mon
ami français dans l’embarras. Les électeurs
avaient fait éclater la baudruche Sarkozy,
condamnant l’ancien président à passer
le reste de ses jours à écouter Carla Bruni
susurrer les chansons d’un prochain album.
Ça, c’était une bonne chose. Mais le nouvel
homme du moment se révélait aussi rigide
que les reliques d’un saint médiéval.
Mon ami m’a surpris en reprenant l’un
des grands clichés du débat français.
Selon lui, Fillon était prêt à appliquer
Britanniques, m’a-t-il expliqué, sont un
peuple de commerçants obsédés par le
profit et le succès individuel, alors que
les Français, plus égalitaires et épris de
justice sociale, sont prêts à travailler dur,
mais seulement si l’État leur garantit une
vie confortable en contrepartie. Il faisait
allusion à la semaine de 35 heures, à une
allocation-chômage généreuse – et de
longue durée –, à la couverture maladie
universelle, à la préretraite et à l’emploi à
vie dans un secteur public hypertrophié
– des avantages sans lesquels la France
Bref, malgré un taux
de chômage de 10,5 %,
la République
française se porte
remarquablement bien.
qu’il est difficile de contester cette analyse.
L’une des choses que l’on remarque
quand on vient vivre en France – et pas
simplement y faire du tourisme –, c’est
que, contre toute logique, le système
fonctionne tant bien que mal. Comme
Simon Nixon, du Wall Street Journal,
l’observait le 28 novembre dernier, “la
France de 2016 est très différente de la Grande-
Bretagne de 1979, où les ordures n’étaient
pas ramassées, les morts pas enterrés et où
l’économie était paralysée par des grèves
qui réduisaient la semaine de travail à trois
jours. À cette époque, le Royaume-Uni avait
dû demander une aide au Fonds monétaire
international. Par comparaison, l’économie
française a connu en 2016 une croissance de
1,4 %, son secteur public est peut-être inefficace
mais l’opinion y demeure très attachée, et,
grâce aux achats d’obligations de la Banque
centrale européenne, la France est à l’abri
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
← Dessin de Kianoush,
Iran.
des tensions du marché. Bref, les pressions
internes ou externes en faveur d’une réforme
restent faibles.”
Ce journaliste n’a pas tort. Quand on se
déplace dans Paris, tout a l’air normal. Les
cafés et les bars résonnent de bruits et de
rires ; les métros et les bus sont bondés ;
les magasins et les lieux de divertissement
semblent en plein essor ; les chauffeurs
de taxi sont en concurrence avec les
chauffeurs indépendants d’Uber ; et les
livreurs à vélo de Deliveroo sillonnent
des rues nettoyées par des hommes en
vert, assistés de gigantesques aspirateurs
et des traditionnelles bouches de lavage.
Bref, malgré un taux de chômage de
10,5 % et une chute libre des revenus
du tourisme, la République française se
porte remarquablement bien. Ceux qui
distribuent le pain et organisent les jeux
méritent une prime.
Tel est le style de vie
par lequel la France
nous appâte depuis
des générations.
Au dire de mon ami, si la France est dans
cet état, c’est parce qu’elle n’a pas besoin
d’une forte croissance comme la Chine,
l’Inde ou le Brésil. Le pays est déjà riche,
doté d’une infrastructure développée, et il
a juste besoin d’un peu plus d’argent tous
les ans pour se maintenir sur les rails. Au
Royaume-Uni et aux États-Unis, la plus-
value immobilière est considérée comme
une sorte de symbole de virilité, alors qu’en
France les gens aspirent seulement à avoir
un toit sur leur tête et assez d’argent pour
se payer une bière ou un verre de vin après
le travail, aller voir le film du moment et
passer le mois d’août à la mer.
Tel est le style de vie par lequel la France
nous appâte depuis des générations.
Mais correspond-il à une réalité ou les
Français se bercent-ils d’illusions ? [Durant
sa campagne pour la primaire], Fillon a
annoncé qu’il allait sortir le pays de la
torpeur dans laquelle il était plongé. Il a
promis une révolution thatchérienne fondée
sur quatre piliers : une réforme fiscale, la fin
de la semaine de 35 heures, le relèvement
de l’âge de la retraite et la suppression de
500 000 postes de fonctionnaires.
Sa vision des problèmes est assez juste.
Le chômage atteint un niveau alarmant. Les
entreprises ne peuvent pas se permettre
d’embaucher, en raison de charges sociales
exorbitantes. Dans les supermarchés, les
magasins de bricolage et les banques, la
plupart des caisses et des guichets sont
automatisés. Même avec des carnets
de commandes pleins, les fabricants
n’augmentent pas leurs effectifs, de crainte
qu’un ralentissement de l’activité ne crée un
surplus d’employés impossibles à licencier
pour la bonne raison que tous envisagent
de prendre leur retraite à 57 ans avec une
pension confortable.
Mais cerner les problèmes et les
résoudre sont deux choses distinctes.
S’il tente de réformer la semaine de
travail réglementaire, Fillon se heurtera
à l’opposition des syndicats, avec des
grèves et des manifestations garanties.
Les 35 heures sont inscrites dans la théologie
socialiste comme si elles étaient nées de la
Révolution française, avaient été portées sur
les fonts baptismaux par les communards
et consacrées par les soixante-huitards –
et non comme l’une des réformes mises en
place en janvier 2000. Pour les syndicats, la
semaine de 35 heures est devenue, au même
titre que la retraite à 57 ou 58 ans, un droit
de l’homme et un thème de ralliement.
Même chose pour les allocations. Les
travailleurs français jugent naturel que
l’on prenne soin d’eux en cas de problème.
En 2016, quand le garage où il travaillait a
fait faillite, un de mes voisins a perdu son
emploi. À 52 ans, il semble parfaitement
satisfait de sa situation. Lui et sa femme
– qui a renoncé à son travail dans une
laiterie il y a quatre ans, quand on lui a
diagnostiqué un diabète – ont pu maintenir
leur train de vie grâce à leurs allocations,
qui compensent plus ou moins leur perte
de revenus. Opérée d’un genou à l’hôpital,
cette femme n’a rien eu à débourser et,
durant sa convalescence, elle a reçu la visite
d’une infirmière trois fois par semaine. Un
autre voisin, aujourd’hui décédé, a eu ses
repas livrés à domicile deux fois par jour
grâce aux services sociaux. Et quand il
s’est cassé une jambe, son généraliste lui a
régulièrement rendu visite pour s’assurer
que tout allait bien. Qui voudrait renoncer
à de tels avantages ?
Exclus. Comme l’écrit Simon Nixon, le
problème majeur de la société française
est la fracture grandissante entre ceux qui
font partie du système et ceux qui en sont
exclus. “Le modèle étatique français a toujours
fait passer les puissants groupes d’intérêt –
y compris les fonctionnaires –, les grandes
entreprises, les syndiqués et les employés plus
âgés, qui bénéficient généralement de contrats
à durée indéterminée et très protégés, avant
les indépendants, les petites et moyennes
entreprises et les employés jeunes, souvent
contraints d’accepter des contrats temporaires
et précaires.”
Cela dit, les syndicats protègent les
emplois des travailleurs et comptent sur
l’État pour garantir aux chômeurs, aux
malades et aux personnes âgées le niveau
de vie dont ils jouissaient durant les années
d’abondance. Les grandes entreprises, de
leur côté, conservent une forte rentabilité
grâce à une technologie novatrice et
compétitive ainsi qu’à une main-d’œuvre
plus productive qu’aux États-Unis ou au
Royaume-Uni en contrepartie de salaires
décents et d’un haut niveau de protection.
On ne change pas une formule qui
marche. Oui, mais jusqu’à un certain point.
Le problème est que le déclin de l’économie
française, si lent soit-il, se poursuit. Rien
LLE
ENTIE
SID 2017
PRÉ
ne change d’une année à l’autre, mais au
fil des décennies les caisses de l’État se
vident, et le système s’essouffle.
Fillon promet un retour à la réalité.
Marine Le Pen, au contraire, promet plus
ou moins la même chose, faisant de l’UE
son punching-ball et des migrants ses
souffre-douleur. En ces temps empreints
de folie que connaît le monde occidental,
j’hésite à dire que c’est cette voix qu’une
majorité de Français écouteront. [Peut-être
que certains opteront] pour ce qui est juste
et raisonnable afin que la France puisse
conserver sa place à la table des grands.
Mais je ne parierais pas là-dessus. Car,
aux yeux des Français, il n’y a pas d’autre
table que celle sur laquelle ils mangent
tous les soirs, en regardant la télévision
et en buvant un verre de vin.
—Walter Ellis
Publié le 29 novembre 2016
SOURCE
REACTION
Londres, Royaume-Uni
reaction.life
Installé à Londres, Reaction
se décrit comme “un site
proposant des articles d’opinion
et d’analyse sur la politique,
l’économie et la culture”,
d’orientation centre droit.
Le site a été fondé en juin 2016
par Iain Martin, ancien
rédacteur en chef du quotidien
écossais The Scotsman,
et entend offrir à ses lecteurs
“quelque chose de nouveau,
de différent et de grande
qualité”.
   
 

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FRANCE.
EUROPE. 17
Pas touche
à la Sécu !
●●● “Les Français et les Britanniques
ont au moins une chose en commun,
rappelle The Financial Times. Ils se
plaignent de leur système de santé,
mais ils l’adorent.” Et il existe toujours
un homme politique, de chaque côté
de la Manche, pour tenter de
réformer le National Health Service
(NHS) ou la Sécurité sociale. Autant
avancer dans un champ de mines !
avertit le quotidien économique.
Certes, la Sécu a très peu changé
depuis sa création, à la fin
de la Seconde Guerre mondiale,
et elle croule sous les dettes.
Mais suggérer de la “privatiser”,
ne serait-ce qu’en partie, comme
l’a fait François Fillon pendant la
campagne de la primaire de la droite,
ne peut pas passer.
Et c’est compréhensible, indique
The Financial Times. Car même
si le système français n’est pas
le plus efficace au monde,
les hôpitaux publics français
sont mieux équipés que la plupart
des cliniques privées. Ils attirent
les meilleurs spécialistes
et bénéficient des découvertes
de très grands centres de recherche
médicaux. Peut-être la Sécu
est-elle l’un des derniers luxes
de la France – et c’est celui auxquels
les Français s’accrocheront
le plus désespérément.
Lire la suite du Focus p. 18




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18. FRANCE FOCUS PROTECTION SOCIALE
Aux Pays-Bas,
un thème au cœur
de la campagne
L a protection sociale est l’un des
enjeux des législatives néerlan-
daises qui auront lieu le 15 mars.
La dégringolade des travaillistes du PvdA
– selon les sondages, le parti perdrait près
de trois quarts de ses sièges – y est étroi-
tement liée. “De nombreuses personnes
estiment ne pas avoir la protection sociale
qu’elles espéraient. C’est une des raisons pour
lesquelles le PvdA n’a pas le vent en poupe”,
analyse De Groene Amsterdammer.
En tant que membre de la coalition
au pouvoir depuis 2012, le parti est tenu
pour coresponsable de l’austérité. Ce sont
notamment les coupes dans les soins aux
personnes âgées, surtout dans les maisons
de retraite, qui fâchent, explique le site
de l’émission d’actualités EenVandaag.
En effet, les travaillistes, menés par le
vice-Premier ministre Lodewijk Asscher
– qui gouverne dans une coalition avec
le VVD du Premier ministre conserva-
teur Mark Rutte –, ont été contraints de
donner le feu vert à ces coupes budgé-
taires qu’à l’origine ils ne soutenaient pas.
Bon nombre d’électeurs ont donc l’im-
pression que les travaillistes ont “vendu
leur âme” pour pouvoir gouverner, selon
le quotidien AD.
À la surprise générale, le Premier
ministre Mark Rutte a promis le 7 février,
dans une interview au journal, d’inves-
tir 2 milliards d’euros supplémentaires
dans les maisons de retraite, un investis-
sement que l’État semble pouvoir se per-
mettre grâce à la croissance économique.
Désormais la proposition est dénoncée
par tous les partis de l’opposition comme
“une promesse électoraliste”, note NRC
Handelsblad.—
En Belgique,
la fronde contre
les coupes sociales
Q u’est-il donc arrivé à “Maggie” ?
La ministre de la Santé belge, qui
avait réussi la prouesse d’être la
femme politique la plus populaire du
pays, tant chez les Flamands que chez
les francophones, est soudain tombée en
disgrâce, et sa cote a dégringolé dans les
sondages. Si Maggie De Block “a vu son
étoile pâlir”, explique La Libre Belgique,
c’est qu’à l’automne dernier de nouvelles
coupes budgétaires ont été annoncées
dans le secteur de la santé, à hauteur
de 902 millions d’euros en 2017, sur un
↑ Fabriqué en France. Dessin de Balaban, Luxembourg.
budget fédéral de 61 milliards. “Et ce
malgré ses promesses répétées de ne plus
‘toucher à la Sécu’.” C’est aussi le mode
de financement de la Sécurité sociale qui
est revu : si les économies devaient ne
pas suffi re, le gouvernement se réserve
le droit de diminuer le budget alloué au
secteur et de ne pas appliquer les accords
entre partenaires sociaux.
Médecins, pharmaciens, personnel hos-
pitalier, mutuelles… le journal dresse la
liste des professionnels et de leurs griefs
vis-à-vis de la ministre libérale flamande.
Mais elle n’est pas la seule à décider.
En 2010, il avait fallu un an et demi à la
Belgique pour se doter d’un gouvernement
de coalition. La fois suivante, en 2014, les
choses sont allées beaucoup plus vite. Les
partis de droite, flamands comme franco-
phones, n’ont mis que quatre mois pour
trouver un terrain d’entente sur ce qui les
rassemble : l’économie.
Le gouvernement de Charles Michel a
rapidement annoncé la couleur et promis
d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2018.
Au menu, notamment, 11 milliards d’éco-
nomies en cinq ans et le recul de l’âge de
la retraite de 65 à 67 ans à partir de 2030.
Ce programme a immédiatement suscité
une vague de grèves et de manifestations.
L’année 2014 a été enregistrée comme celle
qui a compté le plus de jours de grève ces
vingt-cinq dernières années, relate Knack.
Et, après une accalmie l’année suivante,
2016 a battu un nouveau record.
Outre ces mouvements de colère et les
messages de haine adressés à plusieurs
ministres, la grogne a aussi pris la forme,
en décembre 2014, d’une “attaque fritière”.
Lors d’une conférence, des militantes
ont attaqué Charles Michel avec des jets
de frites et de mayonnaise. Il avait alors
répondu : “Ce n’est pas un pot de mayon-
naise qui me fera changer de cap.”—
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
LE
NTIEL
SIDE2017
PRÉ
En Allemagne,
le casse-tête
pharmaceutique
L
’Allemagne a un bon système de santé,
mais il est beaucoup trop cher.” Tel est
le résultat d’une récente enquête
menée par la chaîne régionale publique
SWR (Stuttgart), qui incrimine en grande
partie l’industrie pharmaceutique, accusée
de faire grimper les coûts en mettant régu-
lièrement sur le marché de nouveaux médi-
caments brevetés.
En Allemagne, les dépenses en médica-
ments augmentent depuis des années de
1 à 1,5 milliard par an, pour atteindre près
de 35 milliards d’euros, selon les données de
2015. À qui la faute ? À l’industrie pharmaceu-
tique, dénonce SWR, en écho aux critiques
avancées par les professionnels et caisses
d’assurance-maladie. Car c’est elle qui fixe
librement le prix de lancement, avant qu’il
ne soit négocié à la baisse au cours de la
première année par une commission fédé-
rale constituée de médecins, caisses d’as-
surance et établissements hospitaliers. La
réforme adoptée en 2011 pour remédier au
problème a certes permis d’économiser près
de 1 milliard en 2015, mais elle demeure lar-
gement insuffisante – en raison des multiples
“opportunités légales”. Ainsi, la tactique dite
d’evergreening permet de “rajeunir” un médi-
cament dès qu’il devient meilleur marché en
le brevetant de nouveau au prix fort ; il en
existe bien d’autres, comme celle du “rééti-
quetage” de médicaments préexistants. Le
remède à ces dysfonctionnements résiderait
dans une nouvelle réglementation du droit
de la propriété intellectuelle. Pour le profit
de la santé du plus grand nombre et l’équi-
libre des caisses d’assurance-maladie.—
3 questions à…
Charles Bremner, correspondant
du quotidien britannique The Times.
La santé, sujet brûlant
outre-Manche
1. En quoi le système de santé
français diffère-t-il du National
Health Service (NHS),
son équivalent britannique ?
Le NHS est surchargé, les soins limités
et l’attente illimitée. Les dépenses
baissent – les charges
sociales qui financent
le système britannique
sont beaucoup
moins élevées qu’en
France –, alors que
la taille du système
ne cesse d’augmenter.
Résultat, le recours aux
assurances privées augmente
et les Britanniques paient deux fois :
des cotisations sociales (certes, très
basses) et une assurance privée
(pour les foyers les plus aisés). Le reste
de la population renonce à certains
soins. On reconnaît évidemment
les qualités du système français, celles
de ses services d’urgence notamment.
2. Les Français sont très attachés
au système de santé. Au Royaume-
Uni, pourrait-il disparaître ?
Au Royaume-Uni, peu de gens
remettent en question l’existence
du NHS, même si sa gestion est
un scandale national. En son temps,
David Cameron a voulu couper dans
les dépenses de santé. Cette question
a fait irruption dans la campagne
du Brexit : le camp en faveur du Brexit
avait même promis de reverser
la contribution quotidienne de Londres
à l’Union européenne au NHS – ce qui
ne se fera évidemment jamais. Mais
l’avenir du NHS est un des sujets les plus
brûlants de la politique britannique.
3. Pensez-vous que la France
soit prête à casser le système,
comme le proposent certains
candidats à la présidentielle ?
En France, il existe cette tentation.
Mais il en est une encore plus grande :
celle de sortir les sortants. Car la classe
politique est discréditée. Le chômage
augmente, tout autant que des
privilèges politiques qui ne sont pas
du tout encadrés. On considère qu’une
classe a des droits qui ne doivent pas
être remis en question. Cette spécificité
de classe très française n’a jusque-là
jamais été réformée.
—Propos recueillis
par Courrier international
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017 D’UN CONTINENT À L’AUTRE. 19

↙ Dessin de Kazanevsky,

europe
Ukraine.

Russie. Centenaire Rendez-vous

d’octobre 1917 : Une année

russe
qu’est-ce qu’on fête ? ●●● À partir de
la semaine prochaine,
dans les pages 360°
de Courrier
Grande révolution ou massacre sanglant ? Les experts réunis international,
au sein du comité d’organisation des célébrations ont avant découvrez notre série
tout pour mot d’ordre d’éviter la zizanie. historique “1917,
l’année de toutes
les révolutions”.
Le troisième jeudi
de chaque mois,
jusqu’en septembre,
—Moskovski de collaborateurs des musées. nous reviendrons
Komsomolets Moscou Le cinéma est représenté sur les événements
par Andreï Kontchalovski qui ont entraîné

N i les communistes ni aucun

représentant des autres
partis ne siègent au comité
d’organisation des célébrations du
centenaire de la révolution de 1917,
qui s’est réuni pour la première
fois le 23 janvier au musée de l’His-
toire contemporaine russe. Sergueï
Narychkine, le patron du SVR, le
service des renseignements exté-
rieurs, qui est parallèlement pré-
sident de la Société d’histoire de
Russie, a expliqué que les représen-
tants politiques avaient été écar-
tés du débat à dessein, afin d’éviter
de semer la zizanie. Selon lui, le
comité d’organisation revendique
une approche objective et mesurée
des événements dramatiques sur-
venus entre 1917 et 1921, et n’a pas
l’intention de prendre parti. “Les
vainqueurs et les victimes avaient
chacun leur vérité”, a-t-il souligné.
C’est Vladimir Poutine, dans son
message adressé fin 2016 à l’As-
semblée fédérale, qui a parlé de la
nécessité d’une “analyse honnête”
des causes et des conséquences
des révolutions de février et d’oc-
tobre 1917. D’après lui, ces leçons
sont nécessaires avant tout à la
réconciliation nationale – il est
en effet absolument inadmissible
de raviver la “discorde, la haine et
le ressentiment liés au passé” dans
la vie contemporaine. Le président
a chargé la Société d’histoire de
Russie de former le comité d’orga-
nisation qui doit préparer la célé-
bration du fameux anniversaire,
signifiant ainsi que, dans ce pro-
cessus, les fonctionnaires et les
politiques devaient laisser la place
aux experts.
Finalement, le comité a été formé
sur un principe académique : il est
composé dans une large majorité
de chercheurs, d’enseignants et
et Nikita Mikhalkov (qui
a tourné en 2015 Coup
de soleil, d’après Jours
mau dits d’Iva n
Bounine). L’Église
orthodoxe russe,
par le confesseur
de Poutine, Tikhon
Chevkounov, et par Vladimir
Legoïda, directeur du départe-
ment synodal [de l’information] du
patriarcat de Moscou. L’émigration
blanche, par les princes Alexandre
Troubetskoï et Nikita Lobanov-
Rostovsky. Par ailleurs, les direc-
teurs des principales chaînes de
télévision ont également été invi-
tés à siéger au comité, même si
aucun d’entre eux n’était présent
à la première assemblée.
Avant tout, le comité doit déter-
miner précisément ce que célébrera
la Russie en 2017. Si ce n’est pas l’an-
niversaire de la gloire d’Octobre,
comme le pensent les commu-
nistes, et pas non plus le cente-
naire d’une révolution sanglante
qui aura fait de la Russie la per-
dante du xxe siècle, comme le pen-
saient, et continuent à le penser,
leurs opposants, Soljenitsyne en
tête, alors quoi ?
Sergueï Narychkine a noté qu’il
s’agissait d’un processus drama-
tique et complexe qui s’est étendu
de 1917 à 1921 et dont les étapes
successives ont été : la révolution
de Février, la révolte du général
Kornilov, les élections à l’Assem-
blée constituante, la révolution
“La réconciliation,
c’est insuffisant,
nous exigeons
la repentance.”
Prince Troubetskoï, MEMBRE
DU COMITÉ D’ORGANISATION
d’Octobre, et enfin
la guerre civile. Ainsi,
ces événements centenaires
peuvent porter le nom de Grande
Révolution russe et occuper la
place qui leur revient dans l’his-
toire politique de l’Europe du XVIe
au xxe siècle.
Événement mondial. Mais les
participants à la réunion n’ont pas
pu échapper au débat. Une partie
d’entre eux appelait à communi-
quer le plus largement possible, y
compris en prime time à la télévi-
sion, autour des préparatifs de la
commémoration. Une autre, au
contraire, demandait que le débat
soit réservé à un cercle restreint
de spécialistes, le traumatisme
étant encore vif dans la société,
et les conséquences de toute dis-
cussion publique imprévisibles.
De l’avis du président de la Société
impériale orthodoxe de Palestine,
Sergueï Stepachine, nous serions
encore loin de pouvoir présenter
à la population une version uni-
voque des événements : “La révo-
lution a-t-elle été ‘grande’ou pas ? Ce
n’est pas à nous d’en juger.”
Les représentants de l’émigra-
tion blanche ont été, quant à eux,
déçus par l’étroitesse de l’approche
idéologique. “La réconciliation, c’est
insuffisant, nous exigeons la repen-
tance. Or cela va au-delà d’une simple
compréhension des faits”, a regretté
le prince Troubetskoï. Le conseiller
spécial du président pour la coopé-
l’implosion de la
Russie tsariste.
Notre premier volet
est consacré
à la révolution
de Février :
le changement
de régime était-il
une fatalité ?
ration culturelle, L’historien russe
Mikhaïl Chvydkoï, a Alexandre Choubine,
rappelé que le centenaire de la révo- interrogé par le magazine
lution, en tant qu’événement d’en- moscovite Expert, nous
vergure mondiale, ferait également livre son analyse.
l’objet de célébrations au-delà de la
Russie. “Les médias occidentaux se
montrent aujourd’hui très critiques
envers tout ce qui se passe dans notre
pays, c’est pourquoi le thème de la révo-
lution servira à faire enfler une nou-
velle vague de sentiments antirusses”, SOURCE
a fait remarquer le haut fonction-
naire. Selon lui, les problèmes vont
commencer en 2017 et se pour-
suivront jusqu’en 2018, lorsque
les pays formés sur les ruines de
l’Empire russe (en particulier la MOSKOVSKI
Pologne, aujourd’hui hostile) “conso- KOMSOMOLETS
lideront leur souveraineté à coups de Moscou, Russie
critiques envers l’URSS et la Russie”. Quotidien, 1 160 000 ex.
“C’est un contexte qu’il faut prendre www.mk.ru
en compte dans nos préparatifs”, Fleuron de la presse
estime Chvydkoï. populaire, le tabloïd
Pour l’instant, le programme des est l’un des rares
festivités compte près de cent évé- gros tirages du pays.
nements, dont le plus intéressant, Il peut faire
de l’avis des organisateurs, devrait dans le sensationnel
être la reconstitution de l’assaut du ou le people, mais
palais d’Hiver, en vidéo 3D, pro- il fait preuve d’une
grammée le 25 octobre au musée de très grande réactivité
l’Ermitage. De nombreux partici- à l’actualité, possède
pants se sont dits prêts à se rendre d’excellentes plumes
spécialement à Saint-Pétersbourg et pratique un journalisme
pour l’occasion, ou au moins à en professionnel
apprendre plus auprès du direc- qui n’hésite pas
teur du musée, Mikhaïl Piotrovski. à se montrer critique.
—Elena Egorova
Publié le 23 janvier
20. D’UN CONTINENT À L’AUTRE
amériques
États-Unis. La Californie
ne doit pas
faire sécession
Un “Calexit” serait une catastrophe, souligne ce journaliste
de Los Angeles. À l’ère Trump, les progressistes californiens
et ceux du pays ont tout à y perdre.
—Los Angeles Times
(extraits) Los Angeles
I maginez que le prési-
de nt D on a ld T r u mp
annonce qu’il veut bouter
la Californie hors des États-Unis.
Sans nous, après tout, Trump
aurait remporté le vote populaire
le 8 novembre, avec 1,4 million de
voix d’avance. Mais l’Amérique
progressiste perdrait son plus
grand réservoir de voix pour
tous les scrutins à venir. Le
Sénat de Washington compte-
rait deux démocrates de moins ;
la Chambre des représentants
se verrait amputée de 38 démo-
crates et de seulement 14 républi-
cains. Et les États-Unis dans leur
ensemble auraient une diversité
ethnique bien moins importante.
Pour toutes ces raisons, Donald
Trump, Mitch McConnell (le
chef de la majorité au Sénat),
Paul Ryan (le président répu-
blicain de la Chambre des repré-
sentants), les adversaires de la
légalisation de la marijuana, les
partisans de l’interdiction de
l’avortement et diverses orga-
nisations nationalistes blanches
pourraient bien conclure qu’une
séparation d’avec la Californie
leur apporterait un bénéfice poli-
tique. Alors que les progressistes
de tout le pays y verraient, à juste
titre, une catastrophe.
Les Californiens
sont mieux éduqués,
plus riches et
plus tolérants.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
CARTOON MOVEMENT
Il paraît donc logique que
Marcus Ruiz Evans, le leader
de l’organisation Yes California
Independence, qui fait cam-
pagne pour l’indépendance de
la Californie, était inscrit chez
les républicains quand il a consti-
tué ce mouvement séparatiste,
selon le San Jose Mercury News.
Il a même brièvement animé une
émission de radio conservatrice
à Fresno et n’a pas voulu révéler
au quotidien local s’il avait ou non
voté pour Trump en novembre.
Aujourd’hui, il plaide pour l’in-
dépendance du Golden State
[surnom de la Californie] auprès
des progressistes. Dans une tri-
bune parue à la fin de janvier
dans le San Jose Mercury News, il
explique que son organisation va
lancer une pétition pour réclamer
un vote sur le “Calexit” et enta-
mera donc le long processus pour
un retrait des États-Unis. “Les
Californiens sont mieux éduqués,
plus riches, plus tolérants et plus
attachés à la santé et à l’éducation
que le reste du pays, souligne-t-il.
Nous avons une vision différente de
l’éducation, de la science, de l’immi-
gration, de la fiscalité et de la santé.”
De plus, il est clair que le site
de Yes California Independence
s’adresse aux opposants à Trump,
dont certains ont sur Twitter
exprimé leur soutien à une séces-
sion de la Californie après le scrutin
présidentiel. Si même les ennemis
de Trump empruntent cette voie…
En cette période de grande
urgence, à l’heure où certains de
ceux qui nous gouvernent virent
à l’autoritarisme, Yes California
Le mouvement pour
le Calexit présente de
gros points négatifs
et pas vraiment
de points positifs.
Independence fait un pari qui a
très peu de chances de réussir et
qui menace l’existence même des
démocrates. Les élections législa-
tives de mi-mandat de 2018 pour-
raient changer le cours de l’histoire
des États-Unis. Elles détermineront
si Trump continuera à gouverner
sans opposition significative des
parlementaires républicains – qui
ont abandonné les principes conser-
vateurs pour embrasser son popu-
lisme – ou sera confronté à un parti
d’opposition redynamisé prêt à
enquêter sur ses conflits d’intérêts.
Le mouvement pour le Calexit
présente de gros points négatifs et
pas vraiment de points positifs. La
Californie a, pendant des décen-
nies, exercé plus d’influence sur
la vie politique et la culture des
États-Unis que l’inverse. La séces-
sion n’améliorerait pas nos valeurs,
mais le reste du pays s’éloignerait
encore plus de notre tolérance et
de notre diversité. Et les autres
États demeureraient nos voisins,
l’indépendance politique ne chan-
geant rien à la réalité géographique.
Cela me rappelle la vieille blague
du libertarien qui se plaint des vio-
lations des libertés civiles auprès
d’un conservateur. “L’Amérique,
aimez-la ou quittez-la !” lui lance
le conservateur. “Quoi ? réplique
le libertarien. Pour être victime de
sa politique étrangère tyrannique ? !”
Nombre des arguments présen-
tés par l’organisation Yes California
↙ Dessin de Pete Kreiner,
Australie.
Independence ne tiennent pas la
route. “La Californie compte cer-
taines des meilleures universités,
mais nos écoles sont à plus d’un égard
parmi les pires du pays”, peut-on
lire sur son site. Si la plupart des
autres États font mieux que nous
en matière d’éducation, pourquoi
faudrait-il faire sécession pour
améliorer la situation ?
“La Californie est un leader mon-
dial sur les questions environne-
mentales, lit-on ailleurs sur le
site. Cependant, tant que les autres
États continueront à débattre de
la réalité du changement clima-
tique, ils ne feront pas de vrais
efforts pour réduire les émissions
de gaz à effet de serre.” Mais si
les États-Unis, en dehors de la
Californie, continuent à ne rien
faire, ou pas grand-chose, pour
lutter contre le changement cli-
matique, les Californiens et le
reste du monde en pâtiront. Evans
reconnaît certains des dangers
présentés par la sécession dans
sa tribune publiée dans le San Jose
Mercury News, mais il les balaie
naïvement. “Personne ne va reti-
rer de l’argent de la Californie si elle
fait sécession”, écrit-il. Il a mani-
festement oublié que plusieurs
grandes entreprises se sont déjà
délocalisées pour partir s’instal-
ler dans des États moins chers.
Pureté idéologique. “Si les
grandes banques sont trop grosses
pour sombrer, ajoute-t-il, c’est aussi
le cas de l’une des dix meilleures
économies du monde.” Sauf que
les grandes banques ont sombré,
justement ! Et les chances que
Washington nous soutienne
financièrement seraient plutôt
minces une fois que l’on aurait
coupé les ponts. Nous devien-
drions plutôt ce que la Grèce est
aujourd’hui à l’Allemagne. Certes,
notre climat est clément, mais
cela ne fait pas tout.
Le principal avantage de la
sécession serait d’ordre psycho-
logique. Certaines personnes,
surtout les plus privilégiées, se
sentent souillées d’être associées
aux autres États républicains. La
sécession leur permettrait de se
sentir meilleures. C’est ce que la
campagne pour le Calexit s’ef-
force d’exploiter. Mais la satis-
faction de ce désir de pureté
idéologique aurait cependant
un prix très élevé : une vie pire
pour des millions de Californiens
et des dizaines de millions
d’Américains.
—Conor Friedersdorf
Publié le 27 janvier
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
MEXIQUE
Le mur qui
cache
la forêt
Le fameux mur que Donald
Trump veut ériger à la frontière
avec le Mexique est le déplorable
résultat de la corruption et de
l’iniquité des gouvernements
mexicains successifs,
estime cet éditorialiste.
—Proceso Mexico
L e président américain Donald Trump
a signé un décret présidentiel pour
planifier, et donc concrétiser, la
construction du mur très controversé
qu’il veut voir ériger entre son pays et le
Mexique. Il avait déjà engagé des démarches
analogues en vue d’abroger la loi dite
“Obamacare”, la réforme de l’assurance-
maladie mise en place par Barack Obama.
Au Mexique, une véritable campagne de
dénigrement du chef de l’État voisin fait
rage : la classe politique appelle à l’“unité”,
mais dans le seul but, au fond, de préser-
ver ses privilèges scandaleux en se servant
du peuple comme chair à canon.
Pourtant, le divorce entre le gouverne-
ment [du président mexicain] Enrique Peña
Nieto et les Mexicains est tel qu’il rend
impossible cette prétendue unité au profit
de ceux qui possèdent tout et refusent de
le perdre. Imagine-t-on le violeur et sa vic-
time se retrouver pour aller, main dans la
main, participer à des activités en faveur
de l’unité ? Le gouvernement mexicain et
AMÉRIQUES. 21
↙ Dessin de Boligán
paru dans El Universal, Mexico.
la “particratie” se livrent à ce que l’on peut Du point de vue juridique, le président amé-
appeler un lynchage en règle, en désignant ricain agit de façon irréprochable et pour le
Trump comme le responsable de tous bien de ses électeurs. S’il construit, ou veut
Les partis politiques
mexicains feraient
bien de se remettre
les maux de notre pays. À cela s’ajoutent construire, ce mur, c’est à cause de l’émi-
diverses manœuvres visant à détourner gration importante que nourrit le système
l’attention des Mexicains et à diaboliser antidémocratique du Mexique. Si, au lieu du
en question.
le président états-unien. Mexique, les États-Unis avaient pour voisin
J’ai pour ma part effectué des recherches le Japon ou la Suède, croyez-vous qu’on par-
involontairement, un président américain
rend un immense service au Mexique en
approfondies dans les traités, conventions lerait d’un mur ? Bien sûr que non, car dans mettant notre gouvernement sous pres-
internationales et accords bilatéraux, et ces pays la corruption est faible, et sévère- sion. Une pression qui va grandir chaque
je peux affirmer que rien, en ment punie. Je pense même que jour si des mesures drastiques ne sont pas
termes juridiques, n’empêche leurs ressortissants, comme c’est prises pour une répartition des richesses, le
les États-Unis d’exercer leur le cas aujourd’hui, n’auraient pas respect de l’État de droit (aujourd’hui une
souveraineté en construisant besoin d’un visa pour entrer sur pure abstraction) et des réformes visant à
ce fameux mur. La mesure prise le territoire états-unien. créer, sans démagogie, des contre-pouvoirs
par Donald Trump est conforme Si l’initiative les offense, les dignes de ce nom.
à ses promesses de campagne OPINION partis politiques mexicains Peut-être serait-il également souhaitable
ainsi qu’à la loi en vigueur. feraient bien de se remettre en et bénéfique que, de part et d’autre, les États
Ce mur n’est pas du goût d’une grande question, eux qui furent les artisans d’un frontaliers, ceux qui seront les plus touchés
partie des Mexicains, ni de leur gouverne- système judiciaire et institutionnel aussi par le mur, mettent en place une coopération
ment et de leurs partis politiques. Pourtant, onéreux que défaillant, dans lequel l’égalité dans les domaines économiques et sociaux.
ce décret pris par Trump n’est en rien une des chances n’est rien de plus qu’un mirage. Il semble donc qu’on en ait fini avec le
offense faite au Mexique. Certes, il serait La crise que génère le projet de Trump paternalisme états-unien. Voilà pour notre
absurde que notre pays débourse ne serait- peut être bénéfique : elle est l’occasion de pays l’occasion d’inventer sa propre stratégie,
ce que 1 centime pour cette opération, et se mettre au travail pour créer un système sans compter sur les aides trop longtemps
ce pour des raisons simples : elle n’entre rationnel et équilibré. versées à fonds perdu par les États-Unis à
pas dans nos priorités d’action publique, Si nous nous y étions attelés plus tôt, soyez l’État mexicain et dont les Mexicains, eux,
et tout le monde au Mexique s’accorde à certains que l’immigration serait aujourd’hui n’ont jamais vu la couleur.
dire, à juste titre, que ce mur est incompa- aussi dérisoire qu’elle l’est entre la France —Ernesto Villanueva
tible avec les intérêts de l’État mexicain. et l’Australie. Pour la première fois, et bien Publié le 4 février
Un État dont la corruption systématique
pousse un nombre significatif de nos com-
patriotes à chercher en dehors de nos fron-
tières les perspectives que les autorités de PRÉSENTENT
leur pays leur bouchent.
Une décision motivée. Des années
durant, les États-Unis ont mené avec le
Mexique une politique paternaliste à bien
des égards. Les effets des aides écono-
miques fournies ont été rares et limités.
Et ce uniquement parce que ces fonds,
faute d’être surveillés par Washington,
ont été utilisés à d’autres fins que celle
de l’intérêt général du Mexique.
Trump a pris une décision étayée et
motivée. Je ne vois pas comment un tri-
bunal international pourrait imposer aux
États-Unis des limitations à leur souve-
raineté nationale au motif qu’elle incom-
mode un pays voisin. Ce que M. Peña
Nieto et la particratie ne disent pas, c’est
que ce mur est la conséquence directe de
la corruption, de l’injuste répartition des
richesses nationales et du fossé béant
entre les plus défavorisés et les plus puis-
sants qui caractérisent notre pays depuis
des années. Voilà donc la réponse appor-
tée aujourd’hui à cette corruption endé-
mique qui continue de prospérer : un mur.
Il faudrait être stupide, et bien culotté,
pour affirmer que les turpitudes et l’im-
punité des hautes sphères de l’État sont
la faute de Trump.
Au Mexique, une
véritable campagne
de dénigrement du chef
de l’État voisin fait rage.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
ÉTHIOPIE
Berhanu Nega.
Du campus
au maquis
En juillet 2015, le professeur Berhanu Nega a troqué
le confort de sa vie en exil aux États-Unis pour un bungalow
spartiate à Asmara, la capitale érythréenne. À la tête d’une
guérilla, ce spécialiste du développement économique passé
par les geôles du gouvernement d’Addis-Abeba s’est donné
cinq ans pour renverser le régime de son pays, l’Éthiopie.
Itinéraire d’un chef rebelle presque sexagénaire.
—The New York Times
Magazine (extraits) New York
U n temps, Berhanu Nega, aujourd’hui
âgé de 58 ans, a été l’un des pro-
fesseurs les plus populaires de
l’université de Bucknell [en Pennsylvanie,
États-Unis]. Cet exilé éthiopien, titulaire
d’un doctorat de la New School for Social
Research de Manhattan, donnait des cours
sur un des sujets les plus prisés du dépar-
tement d’économie : le développement éco-
nomique en Afrique. Quand il n’animait
pas des séminaires ou n’était pas occupé
dans sa confortable demeure située dans
un quartier boisé à cinq minutes du campus
de Bucknell, dans la bourgade rurale de
Lewisburg, en Pennsylvanie, Nega par-
tait à l’étranger participer à des confé-
rences et intervenait sur la question des
droits de l’homme au Parlement euro-
péen de Bruxelles. “Il s’intéressait de près
à la relation entre démocratie et développe-
ment, explique John Rickard, professeur
d’anglais devenu un de ses meilleurs amis.
Il affirmait qu’il était impossible de parvenir
à un développement économique sans démo-
cratisation, et vice versa.”
Personnalité sympathique et active sur
le campus, Nega soutenait les Eagles de
Philadelphie et les Cavaliers de Cleveland,
avait fait du porte-à-porte pour Obama
en 2008 et était connu comme l’un des
joueurs de squash les plus redoutables
de Bucknell. Marié à une optométriste
née en Éthiopie, il est le père de deux fils,
qu’il a envoyés dans des établissements
prestigieux : l’université de Pennsylvanie
et Carnegie Mellon. Le week-end, il lui
arrivait de recevoir à dîner des collègues
de Bucknell et leurs familles, qu’il réga-
lait de récits sur la culture abyssinienne
et de plats éthiopiens qu’il préparait lui-
même. Il faisait venir les épices d’Addis-
Abeba et faisait à la main son injera, un
pain au levain à base de farine de teff.
Quand on l’interrogeait sur son passé,
il restait vague. Mais les étudiants assez
curieux pour enquêter sur Google appre-
naient ainsi que l’homme qui leur décri-
vait les politiques de développement en
Afrique subsaharienne était en réalité
directement impliqué dans le long conflit
entre l’Éthiopie et sa voisine l’Érythrée,
qui dure depuis près d’un demi-siècle. Au
début du millénaire, la guerre s’est rallu-
mée, dégénérant en affrontement frontalier
pour une zone dépourvue de valeur d’en-
“Il s’intéressait de près
à la relation
entre démocratie
et développement.”
John Rickard, PROFESSEUR D’ANGLAIS
DEVENU UN DE SES MEILLEURS AMIS
viron 650 kilomètres carrés. Aujourd’hui
encore, les deux pays se font face, chacun
ayant massé des milliers d’hommes, tant
des forces conventionnelles que des unités
de guérilla, le long de la frontière. Du côté
érythréen, une de ces unités, Ginbot 7, a
été formée par un groupe d’Éthiopiens
en révolte. Nega a contribué à sa création
et est à l’origine du mouvement, qu’il a
fondé en 2008 avec un autre exilé éthio-
pien, Andargachew Tsege, à Washington.
Prisonnier politique dans les geôles du
gouvernement d’Addis-Abeba pendant
deux ans, Nega est désormais condamné
à mort par contumace. Les étudiants de
Bucknell, à la découverte du passé de leur
↙ Berhanu Nega en mai 2016.
Photo Devin Yalkin/Prospekt
professeur, n’en ont été que plus fasci-
nés. “C’était palpitant de venir assister à
ses cours”, affirme Rickard.
Au sein de Ginbot 7, Tsege, basé en
Érythrée, occupait les fonctions de res-
ponsable politique. Nega, lui, était le leader
intellectuel du groupe et son principal
collecteur de fonds, qu’il récoltait auprès
de la diaspora éthiopienne en Europe et
aux États-Unis. Mais tout a changé un
jour de juin 2014, quand Tsege, que tout
le monde surnomme Andy, a effectué
une courte escale à Sanaa, la capitale du
Yémen, en route pour Asmara, la capitale
de l’Érythrée. Assis dans la zone de tran-
sit de l’aéroport, attendant de monter à
bord de son avion, il a été arrêté par les
forces de sécurité yéménites, qui opéraient
semble-t-il en accord avec les services
éthiopiens. Embarqué pour Addis-Abeba,
il y a été exhibé à la télévision d’État et
risque aujourd’hui la peine de mort.
Quelques jours après l’arrestation et
l’extradition de Tsege, Nega s’est porté
volontaire pour le remplacer en Érythrée.
“Est-ce que j’allais rester un universitaire, à
critiquer la situation depuis ma tour d’ivoire ?
m’a-t-il dit. Ou allais-je choisir de faire
bouger les choses en m’engageant en tant que
citoyen ?” Il a mis sa maison en vente et pris
un congé sans solde à durée indétermi-
née. Un congé sabbatique prolongé, a-t-il
déclaré à ses collègues. La vérité n’était
connue que d’une poignée de proches, de
son épouse et de ses deux fils.
Par une chaude après-midi de juillet
2015, Nega a fait sa valise et dit adieu à son
épouse. Puis des camarades l’ont déposé à
l’aéroport international John F. Kennedy. Il
était muni d’un laissez-passer du gouver-
nement érythréen lui permettant d’entrer
sur le territoire. C’était une nouvelle vie
qui l’attendait dans cette dictature dému-
nie, parfois dépeinte comme la Corée du
Nord de l’Afrique : le régime a la triste
réputation de soutenir les chebabs, un
groupe terroriste islamiste en Somalie, et
d’avoir imposé un système de conscrip-
tion qui condamne nombre de citoyens
de plus de 18 ans à une servitude sans fin.
Pensant également avoir attiré l’attention
Bio express
BERHANU NEGA
EN SIX DATES
1958 — Naissance en Éthiopie.
1977 — Engagement dans
la rébellion contre la dictature.
1980 — Exil aux États-Unis.
2005 — Candidat à la mairie
d’Addis-Abeba, la capitale.
2008 — Fondation de Ginbot 7,
mouvement d’opposition politique
qu’il incarne depuis les États-Unis.
2015 — Nega rejoint le maquis
pour diriger les opérations.
AFRIQUE. 23
du gouvernement Obama, Nega craignait
d’être intercepté et refoulé par le dépar-
tement de la sûreté du territoire. Ce n’est
qu’une fois l’avion d’EgyptAir dans le
ciel, au-dessus de l’Atlantique, en route
pour un des pays les plus isolés et les plus
répressifs de la planète, qu’il a commencé
à se détendre.
E n cette nuit de juillet, toutes les
lumières sont éteintes dans Asmara,
la capitale de l’Érythrée, située à
plus de 2 000 mètres d’altitude, et le chef
rebelle, dans l’obscurité de son bungalow,
a étalé une carte sur une table basse, pour
me montrer l’itinéraire d’une mission
clandestine qu’il compte entreprendre le
lendemain matin. À l’aube, accompagné
d’un camarade, le guérillero doit se diri-
ger à plus de 400 kilomètres vers le sud-
ouest, jusqu’à la frontière, militarisée et
minée, avec l’Éthiopie, pour y retrouver
des agents de renseignements dans un
camp rebelle. Ses contacts font passer des
“informations top secret” sur les positions
Lors de ses visites
fréquentes sur le front,
il donne des cours
d’histoire.
des troupes éthiopiennes et les capaci-
tés des cellules de résistance en Éthiopie
même, dont Nega espère qu’elles pourront
désormais agir en coopération avec ses
propres combattants du côté érythréen
de la frontière. “Ils ont des documents, et
ils tiennent à ne les confier qu’à moi, m’ex-
plique-t-il. Quand ils détiennent des infor-
mations sensibles, ils veulent d’abord que
je les voie avant de les relayer au reste de
l’organisation.”
Nega, un costaud à l’allure peu soignée et
à la calvitie naissante, se frotte le front dans
la lumière clignotante. Ces dernières années,
Ginbot 7 s’est développé. Aujourd’hui,
le mouvement est dirigé par un conseil
de 80 membres dispersés dans le monde
entier. En tant que commandant en chef,
Nega supervise plusieurs centaines de com-
battants en Érythrée, ainsi qu’un nombre
inconnu de rebelles sur le territoire éthio-
pien, qui lancent de temps à autre des opé-
rations au nom de l’organisation. Lors de
ses visites fréquentes sur le front, il ren-
contre les officiers sur le terrain, assiste à
des entraînements et – chassez le naturel…
– donne des cours d’histoire et de démo-
cratie à l’aide d’une craie et d’un tableau
noir dans une “classe” en pleine brousse.
Nega revient à la carte, où il trace une
ligne qui va jusqu’à la Tekezé, rivière qui
marque la partie la plus occidentale de la
frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Le
cours d’eau est un point de passage pour
les déserteurs éthiopiens qui rejoignent
les rebelles.
24. AFRIQUE
La maison sert aussi d’infirmerie pour
les rebelles malades ou blessés au combat,
et elle offre un sanctuaire provisoire aux
déserteurs éthiopiens qui ont traversé le
front. Parmi les derniers arrivés se trouve
un ancien officier de l’armée de l’air éthio-
pienne, un Oromo [cette ethnie s’est sou-
levée contre le pouvoir central en 2016]
qui s’est rendu dans le Nord au cours
d’un périple de quarante-deux heures
en bus et à pied, puis a franchi la Tekezé
à la nage jusqu’en Érythrée. Il a pris la
décision de faire défection alors qu’il
croupissait dans une cellule, en prison à
Addis-Abeba, accusé “à tort”, soutient-
il, d’être membre du mouvement séces-
sionniste oromo.
N ega fait partie d’une génération
d’Éthiopiens qui a grandi dans la
violence et les troubles. Pendant le
déjeuner, il raconte ce qu’était la vie d’un
lycéen quand une junte marxiste, le Derg,
soutenu par les Soviétiques, avait renversé
l’empereur Hailé Sélassié et imposé une
dictature brutale. Fils d’un riche entre-
preneur, Nega avait connu une enfance
privilégiée. Il a été témoin de la saisie des
immenses exploitations de blé et de soja
de son père, tandis que les forces de sécu-
rité arrêtaient, incarcéraient et exécutaient
des milliers de dissidents, dont de nom-
breux étudiants. Deux de ses sœurs aînées
et lui ont rejoint un mouvement de résis-
tance, le PRPE (Parti révolutionnaire du
peuple éthiopien). Ils ont vécu dans la clan-
destinité, passant de planque en planque
pour échapper à la police. L’aînée de ses
sœurs a fini par être interpellée et a dis-
paru dans les prisons du Derg. Sa famille
l’a longtemps cherchée.
“Des gens venaient chez nous et ils disaient
à mes parents : ‘Je l’ai vue à tel endroit.’ Ma
mère se mettait alors à la chercher partout”,
se souvient-il. D’anciens compagnons de
captivité de sa sœur lui ont appris par la
suite qu’elle était morte en prison. Elle se
serait suicidée à l’aide d’une capsule de cya-
nure qu’elle portait autour du cou. “On en
avait toujours sur nous, parce que si on était
arrêté, on était torturé avant d’être exécuté, et,
avec la torture, on pouvait être contraints de
trahir les gens”, explique Nega. Tandis qu’à
Addis-Abeba la répression s’intensifiait, le
PRPE a envoyé Nega dans le Nord, dans la
province du Tigré, théâtre d’une guerre de
guérilla de plus en plus violente contre le
Derg. Là, il a participé à des attaques contre
les forces gouvernementales. En 1978, les
dirigeants du PRPE se sont déchirés dans
une lutte pour le pouvoir, et Nega a été jeté
en prison. Il a été relâché un jour avant que
les gardes n’ouvrent le feu sur les prison-
niers restants, causant la mort de quinze
d’entre eux. Nega s’est enfui au Soudan, où
il a vécu comme réfugié à Khartoum pen-
dant près de deux ans, puis a obtenu l’asile
politique aux États-Unis en 1980.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
les vivres de la région et provoqué une
famine catastrophique qui a fait un million
Contexte de morts. Les images d’enfants mourant
de faim, diffusées dans les médias, sont à
ÉRYTHRÉE
A-S l’origine d’un mouvement d’aide interna-
Mer tional, ainsi que du célèbre tube We Are
Rouge
the World. Dans le monde entier, l’Éthio-
Asmara YÉMEN pie est devenue synonyme de famine.
Cette dernière s’est atténuée et, en 1990,
SOUDAN
au moment où Nega trouvait un poste
RÉGION
de maître de conférences à Bucknell, la
DU TIGRÉ rébellion a repris de plus belle. “Il ne se
DJIBOUTI
vantait jamais de son passé dans la gué-
ÉTHIOPIE rilla”, déclare Dean Baker, un ancien col-
lègue de Bucknell aujourd’hui à la tête du
Addis-Abeba Centre de recherche politique et écono-
mique de Washington.
En 1991, au bout de dix ans d’affronte-
COURRIER INTERNATIONAL
ments, trois groupes rebelles – le Front de
400 km
libération des peuples du Tigré, le Front
SOMALIE
de libération oromo et le Front populaire
de libération de l’Érythrée – ont vaincu le
Derg et sont entrés dans Addis-Abeba. Le
1941 — Capitulation des troupes À Addis-Abeba, Nega
italiennes. Le roi Hailé Sélassié Ier
remonte sur le trône.
n’a pas tardé à déchanter.
1962 — Annexion de l’Érythrée. Il a passé vingt
Début de la guérilla du Front et un mois en prison.
de libération de l’Érythrée (FLE).
1974 — Soulèvement général nouveau gouvernement, sous la direction
de la population. Le Derg du chef rebelle tigréen Meles Zenawi, a
(Comité de coordination entrepris de reconstruire le pays, ravagé
des forces armées, de la police par la guerre. Pour Nega, l’heure était
et de l’armée territoriale) enfin à l’optimisme. Il connaissait bien
renverse Hailé Sélassié Ier. Meles – à l’université, le Premier ministre
Abolition de la monarchie. était dans la même classe que sa sœur
1991 — Début de la guérilla disparue. Une fois que les Tigréens ont
du Front démocratique consolidé leur pouvoir, Nega, bien décidé
révolutionnaire du peuple à contribuer aux efforts de reconstruc-
éthiopien (FDRPE) en janvier. tion, a obtenu un congé sans solde de
En mai, démission du président Bucknell et est rentré à Addis-Abeba avec
Mengistu Hailé Mariam, qui sera son épouse et ses deux fils, encore petits.
condamné à mort par contumace Il était alors convaincu que Meles “avait
en 2008. Soutenu par les de bonnes intentions”, me dit-il.
indépendantistes érythréens,
le FDRPE s’empare du pouvoir.
1993 — L’Érythrée proclame
son indépendance.
En 1998, une guerre éclate entre
les deux pays. Depuis 2000,
règne une paix armée.
M ais Nega n’a pas tardé à déchan-
ter. À l’université d’Addis-Abeba,
où il enseignait à temps partiel
(car il avait également repris plusieurs
des affaires de son père), la hiérarchie
a interdit toute dissension, proscrit le
conseil étudiant et le journal de l’éta-
blissement. Quand Nega a encouragé ses
I l décroche son diplôme à l’univer-
sité d’État de New York, à New
Paltz, où il faisait également partie
de l’équipe de football. Tout en prépa-
rant son doctorat à la New School for
étudiants à réclamer davantage de liber-
tés universitaires, la police les a agressés,
ainsi que d’autres manifestants. Alors que
les émeutes s’étendaient dans la capi-
tale, les forces de l’ordre ont tiré, faisant
Social Research, il résidait à Brooklyn, 41 morts. Nega a passé un mois en prison
où il a rédigé sa thèse sur les échecs de pour avoir soutenu la contestation. “La
l’agriculture éthiopienne sous le régime nuit, j’entendais les prisonniers qui étaient
communiste. Pendant ce temps, son pays passés à tabac et torturés”, raconte-t-il.
sombrait toujours plus dans l’horreur. En mai 2005, l’économie a connu une
Quand les mouvements de guérilla ont embellie et le gouvernement était appa-
multiplié leurs attaques dans le Tigré, au remment au sommet de sa popularité.
milieu des années 1980, le dictateur du Le pays a alors organisé les premières
Derg, Mengistu Hailé Mariam, a coupé véritables élections multipartites de son
histoire, auxquelles il a invité des obser-
vateurs internationaux. Mais les résul-
tats n’ont pas été ceux qu’espérait Meles.
La Coalition pour l’unité et la démocra-
tie (CUD) de Nega a remporté 137 des
138 sièges du conseil municipal d’Addis-
Abeba. Nega était sur le point de devenir
maire, mais le gouvernement a réfuté la
victoire du CUD et l’a emprisonné, ainsi
que d’autres dirigeants de son parti. Aux
États-Unis, ses collègues ont lancé une
campagne pour sa libération. “La faculté
de Bucknell a approuvé une motion en sa
faveur, afin d’attirer l’attention sur son
sort, rapporte Rickard. Nous avons discuté
avec des journalistes, des ambassadeurs,
pour veiller à ce qu’il reste sur le devant de
la scène.” Sous la pression de la commu-
nauté internationale, Nega a été remis
en liberté après vingt et un mois passés
derrière les barreaux, et il est rentré aux
États-Unis. L’expérience “l’a endurci”, dit
Samuel Adamassu, un membre de la dias-
pora éthiopienne qui connaît Nega et sa
famille depuis les années 1980. “Ça lui a
fait comprendre que ces gens-là ne change-
ront pas à moins qu’on les y oblige.”
Quand Nega a participé à la fondation
du mouvement Ginbot 7, en 2008, l’an-
née où il a repris ses cours à Bucknell, il
a expliqué que le mouvement s’efforce-
rait “d’organiser la désobéissance civile et
d’aider les mouvements armés existants” en
Éthiopie et à l’étranger, et “de faire pres-
sion sur le gouvernement et la communauté
internationale afin de parvenir à des négo-
ciations”. Pourtant, dans son programme,
Ginbot 7 préconise de déstabiliser les auto-
rités “par tous les moyens”, y compris des
attaques contre l’armée et la police. Un
message discordant de la part d’un pro-
fesseur enseignant dans une université
américaine de gauche dont les premiers
cours ont eu lieu dans le sous-sol de la
première église baptiste de Lewisburg,
en 1846. “C’est une ligne qu’il a franchie”,
commente Rickard, pour qui ces appels
à la violence sont “troublants”, mais com-
préhensibles. “Il n’a jamais été pacifiste, il
n’a jamais renoncé à la lutte armée, pour-
suit-il. Il a vu des résultats électoraux annu-
lés, des centaines de personnes assassinées
dans les rues. Sa sœur est morte, et son meil-
leur ami est en prison, où ses jours sont en
danger. Pour lui, la violence est une solution
viable et nécessaire. Ça a quelque chose de
choquant, d’une certaine façon.”
Quand Ginbot 7 a commencé à fomen-
ter son mouvement de résistance, l’Éthio-
pie était occupée à se donner une image
de réussite économique. Mais que ce soit
devant ses étudiants ou à l’étranger, Nega
affirme que la transformation de l’Éthio-
pie n’est qu’un mirage créé pour calmer
les observateurs occidentaux, qui s’in-
quiètent du manque de démocratie. “En
2005, il est devenu évident que le processus
politique ne leur apporterait aucune légiti-
mité. C’est là qu’ils ont adopté ce nouveau
discours, celui du développement”, me dit-il.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Il maintient qu’Addis-Abeba a “trafiqué
ses comptes” et que son taux de croissance
est essentiellement dû à ses énormes pro-
jets dans le domaine des infrastructures
et à l’aide occidentale au développement,
presque sans aucune contribution du sec-
teur privé. “La Banque mondiale déverse de
l’argent en Éthiopie comme si la fin du monde
était pour demain”, se plaint-il.
E n fin d’après-midi, trois jours après
ma première rencontre avec lui à
Asmara, et peu après son retour
de la frontière, nous traversons le décor
de sa nouvelle vie à bord de son pick-up
Hilux blanc. Nous longeons l’ancien hôtel
Intercontinental, rebaptisé Asmara Palace
Hotel, délabré et presque désert, et une
grande église catholique que Nega ne par-
vient pas à identifier. “Je suis nul comme
guide touristique”, s’excuse-t-il. Quand il
est à Asmara, il passe le plus clair de son
temps enfermé dans sa résidence ou un
bureau qu’il emprunte en centre-ville – un
des rares endroits d’Asmara qui dispose
d’une connexion haut débit. L’Érythrée
est le pays le moins connecté du monde,
avec environ 1 % seulement d’internautes,
et cette précieuse connexion en bande
large lui permet de prendre régulière-
ment des nouvelles de ses fils et de son
épouse sur Skype. “Je ne pense pas qu’elle
soit très heureuse de me savoir ici, recon-
naît-il, mal à l’aise. En fait, nous n’en par-
lons plus du tout.”
Personne n’investissant dans le pays,
Asmara est comme une ville figée dans
le temps. Deux ânes se faufilent sur l’ave-
nue Harnet, la principale artère de la capi-
tale, s’arrêtant pour grignoter quelques
herbes autour d’un palmier. Alors que
nous considérons la foule qui déambule
sur la chaussée dégagée, flanquée d’une
Il passe le plus clair de
son temps enfermé dans
sa résidence ou un bureau
du centre d’Asmara.
imposante cathédrale de briques rouges,
d’un cinéma Art déco, et de boulangeries
et cafés italiens vétustes, Nega m’explique
pourquoi il a choisi de faire appel au sou-
tien d’une dictature.
“Vous voulez vraiment qu’on parle des
dictatures avec lesquelles couchent les États-
Unis ? me demande-t-il. Là, on a un pays
qui est prêt à nous accorder un refuge, un
pays qui a autrefois fait partie de l’Éthio-
pie. Quand je regarde ces gens, quand je
leur parle, je vois qu’ils sont exactement
comme moi, ils sont aussi éthiopiens que
moi. Pourquoi est-ce que je ne leur deman-
derais pas leur aide ?”
Il affirme que la dictature érythréenne
n’a pas que des défauts. “C’est le seul pays
On peut vivre
qui dit, malgré sa pauvreté : ‘Nous allons
sans philosophie...
suivre notre propre cap, que ça vous plaise
ou non’, lance-t-il. Ils ne sont pas corrom-
Mais moins bien.
pus. Les membres du gouvernement, on les
voit passer dans des vieilles voitures des
années 1980. J’ai vu leurs vies, leurs mai- VLADIMIR
sons. Ça a quelque chose du combat de David JANKÉLÉVITCH
contre Goliath, ici.”
Pour lui, le rapport des Nations unies
qui évoque des crimes contre l’humanité
serait une “exagération”. Il est normal MENSUEL N° 107
Mars 2017
qu’il répugne à parler en mal du pays
qui a accordé l’asile à son mouvement –
un avantage qui pourrait lui être retiré à
tout moment. “Je ne tiens pas à me mêler
de leurs affaires personnelles, dit-il, pru-
dent. Ils ont toujours été gentils avec nous.” COMMENT
ALLER BIEN
DANS UN
MONDE
QUI VA MAL ?
BOÈCE
Consolation
ENQUÊTE EN INDE ANDRÉ COMTE-SPONVILLE
de la Philosophie
SUPPLÉMENT OFFERT
EXTRAITS
CAHIER
En privé, toutefois, le chef rebelle peut se LA GRANDE POLITIQUE « PASCAL, MON MAÎTRE CENTRAL
permettre de se montrer plus critique. “Il DU PETIT COIN D’INCROYANCE » BOÈCE
Ne peut être vendu séparément. © Fototeca/Leemage ; iStockphoto.
ne se fait aucune illusion sur l’Érythrée”, ENTRETIEN
constate Dean Baker, son ami et ancien NOAM
CHOMSKY
collègue de Bucknell. « Il existe
une nature
humaine »
Nega se donne “quatre
ou cinq ans” avant d’entrer
en Éthiopie à la tête
de ses forces rebelles.
Quand je demande à Nega s’il est certain
que la pression exercée par les groupes
rebelles pourra entraîner la chute du gou-
vernement éthiopien, il me répond que
Peut-on
le moment est idéal. “Maintenant, tout
le monde résiste à l’État, dans toutes les aller bien
régions du pays.” Il se donne “quatre ou
cinq ans” avant d’entrer en Éthiopie à la
tête de ses forces rebelles en tant qu’élé- dans un
ment d’une nouvelle coalition démocra-
tique. “Ça ne prendra certainement pas dix monde
qui va mal?
ans”, m’assure-t-il.
En attendant, il va continuer à dresser
ses plans depuis son abri précaire, dans les
limbes et la solitude. De retour au bunga-
low, il me guide dans un couloir pour me
montrer où il dort : une chambre spar-
Nouveulllee
tiate seulement meublée d’un lit, d’une
armoire et d’une table de nuit couverte
form
de boîtes de vitamines et de médicaments
contre la tension. (Il a perdu sa mutuelle
en quittant Bucknell, mais sa femme est
toujours couverte et, lors de son dernier
En vente
voyage aux États-Unis en mai, il a acheté
l’équivalent de trois mois de soins.) Il
sort du congélateur une bouteille givrée
chez votre
d’Absolut, et nous sert deux verres. Nous
nous asseyons dans la cour bétonnée,
près d’un fil où est suspendu son linge.
Une fois de plus, le courant saute et nous
plonge dans une obscurité totale, avant
de revenir quelques secondes plus tard.
marchand
Le contraste avec son ancienne vie outre-
Atlantique – à soutenir les Green Dragons,
l’équipe d’athlétisme de Lewisburg dont
son fils fait partie, à passer les vacances
de journaux
sur les plages du Maryland et de Caroline et en version numérique sur www.philomag.com
du Nord avec sa nombreuse famille –
pourrait difficilement être plus marqué.
—Joshua Hammer
Publié le 31 août
26. D’UN CONTINENT À L’AUTRE
asie
Birmanie. Les
Rohingyas,
éternelles victimes
Aung San Suu Kyi reste timorée devant les exactions commises
par l’armée contre cette minorité musulmane. Car la chef
du gouvernement peine à faire face à un conflit hérité du passé.
—The New York Times (extraits)
New York
Q uelques jours avant les élections légis-
latives de novembre 2015, Aung San
Suu Kyi avait été interrogée sur la
manière dont elle remédierait à la répres-
sion de longue date dont est victime la
minorité musulmane des Rohingyas si son
parti arrivait au pouvoir. Voici ce qu’elle
avait répondu : “Un proverbe birman dit
qu’il faut rendre les gros problèmes petits pour
qu’ils disparaissent.” Or un an après l’écra-
sante victoire de la Ligue nationale pour
la démocratie (LND), le gros problème des
Rohingyas l’est devenu encore plus. L’État
d’Arakan, sur la côte occidentale du pays,
où vivent la plupart des Rohingyas, est le
théâtre de flambées de violence, et Aung
San Suu Kyi, déjà vilipendée pour son indif-
férence apparente à leurs souffrances, est
désormais accusée de rester silencieuse
devant des exactions flagrantes.
Certaines de ces critiques sont justifiées,
d’autres le sont moins. Aung San Suu Kyi a
hérité d’un problème semble-t-il insoluble,
issu de décennies de règne militaire, et
dont il convient de comprendre les carac-
téristiques si l’on veut pouvoir aider vrai-
ment les Rohingyas.
ç s’agissait d’un cas de maltraitance infantile
Après des dizaines d’années de tensions,
une flambée de violences interethniques en
2012 a créé un fossé entre les communau-
tés musulmane et bouddhiste en Arakan.
Plus de 120 000 personnes, pour la plupart
des Rohingyas, ont été déplacées à l’inté-
rieur de l’État. Une grande partie du plus
d’un million de Rohingyas, privés de leurs
droits de citoyenneté et de vote juste avant
les élections de 2015, n’ont toujours pas de
papiers d’identité. Les restrictions de dépla-
cement mises en place limitent leur accès
à l’emploi et à des services publics de base,
et leur liberté religieuse.
Cette situation, désastreuse, n’a fait
qu’empirer en octobre après le meurtre de
neuf gardes-frontières lors d’attaques contre
des postes à la frontière avec le Bangladesh,
attribuées à des Rohingyas locaux et à un
groupe de Rohingyas entraînés à l’étranger
et venus du Moyen-Orient. L’armée birmane,
la Tatmadaw, a riposté par de brutales repré-
sailles. Environ 1 500 bâtiments de la ville
de Maungdaw ont ainsi été incendiés ; les
organisations humanitaires ont recensé de
nombreux cas d’exécutions sommaires, de
viols et de passages à tabac par des membres
des forces nationales de sécurité. Quelque
6 5 0 0 0 mu s u l m a n s ont f u i ver s
le Bangladesh, selon les Nations unies.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Le gouvernement a rejeté les accusations
de graves exactions commises par les forces
de sécurité. Les démentis – un mélange de
propos sans pitié et de déclarations mala-
droites, voire comiques – ont été apportés
à la fois par le porte-parole de la présidence,
par les médias d’État, de plus en plus rétro-
grades, et sur les pages Facebook de plu-
sieurs responsables gouvernementaux. Ainsi
étaient inscrits sur le site du bureau de la
conseillère d’État Aung San Suu Kyi les
termes “faux viols”, utilisés pour contester
les signalements de violences sexuelles com-
mises par des troupes de soldats.
Certes, certains comptes rendus des évé-
nements ont été un peu bâclés, avec des
médias qui ont sorti des informations, des
photos ou des images fabriquées de toutes
pièces de prétendues exactions. (The Daily
Mail a par exemple posté sur son site une
vidéo censée montrer un soldat birman
en train de torturer un tout jeune enfant
rohingya avec une sorte de Taser, alors qu’il
au Cambodge.) Il n’en reste pas moins que
la réaction obtuse du gouvernement d’Aung
San Suu Kyi a de quoi étonner.
Obtuse. En effet, tout gouvernement
vraiment soucieux de transparence aurait
ignoré cette hystérie et aurait permis à
des journalistes et enquêteurs des droits
de l’homme dûment accrédités d’accéder
librement aux lieux du drame pour vérifier
la réalité des exactions commises. Au lieu
de cela, le gouvernement a fait renvoyer
ou discréditer de nombreux membres
des médias. En empêchant des journa-
listes d’aller dans le nord de l’Arakan, les
forces de sécurité n’ont fait qu’alimenter
les craintes de ceux qui pensent que l’ac-
tion humanitaire est entravée dans la zone
des conflits. Un comité d’enquête spécial
dirigé par l’ancien général Myint Swe a
été formé pour se pencher sur la ques-
tion des violences survenues en octobre ;
il s’est empressé de rejeter en bloc toutes
les demandes relatives au mauvais com-
portement des forces de sécurité.
Sans conteste, l’aura d’Aung San Suu Kyi
en tant qu’icône internationale des droits
de l’homme s’est ternie. En même temps,
les critiques à son endroit sont si peu nuan-
cées et si excessives qu’elles occultent les
obstacles considérables que son gouverne-
ment et elle-même doivent affronter, sans
parler de la complexe réalité de la Birmanie
depuis la fin du régime autoritaire.
Aung San Suu Kyi s’est retrouvée confron-
tée à une persécution institutionnalisée des
Rohingyas quand elle est arrivée au pou-
voir. Cela fait des décennies (bien avant
L’aura d’Aung San Suu
Kyi en tant qu’icône
internationale
des droits de l’homme
s’est ternie.
↙ Sur le rouleau compresseur de l’armée
birmane : dossier Rohingyas .“Il n’y a pas de
Rohingyas…” Dessin de Stephff, Thaïlande.
Crimes
contre l’humanité
●●● Selon un rapport publié par
le bureau du Haut-Commissariat
aux droits de l’homme des Nations
unies, il est “plus que probable
qu’aient été commis des crimes
contre l’humanité” dans l’Arakan.
Ce rapport se base sur
200 entretiens menés par des
enquêteurs des droits de l’homme
au Bangladesh auprès des réfugiés
ayant fui face aux exactions
de l’armée birmane. Les témoins
racontent des destructions
systématiques dans les villages
de la région de Maungdaw, située
dans le nord de l’Etat d’Arakan.
En représailles après l’attaque
début octobre de postes-frontières
par des militants rohingyas,
les militaires auraient commis
des viols, tués des enfants
dans des conditions atroces.
Il est très difficile d’évaluer
le nombre de victimes
de cette campagne de violence.
Les estimations s’établissent entre
une centaine et plus d’un millier.
les violences de 2012) que les relations
entre la communauté musulmane et les
Arakanais, une minorité ethnique boudd-
histe, sont tendues. Par ailleurs, de nom-
breux Arakanais n’ont pas du tout confiance
dans l’armée et le gouvernement central,
tous deux dominés par des personnes d’eth-
nie bamar [ethnie majoritaire en Birmanie] ;
ils estiment qu’ils ont été négligés et que
les richesses naturelles de leur État ont été
pillées. Durant les nombreuses années de
junte militaire, la Tatmadaw a encouragé
les divisions ethniques dans tout le pays.
En Arakan, elle a pris des mesures de plus
en plus répressives contre les Rohingyas,
et les violentes campagnes menées contre
eux en 1978 et au début des années 1990
ont chassé au Bangladesh des centaines de
milliers de personnes.
Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi a
déjà pris des mesures importantes pour com-
bler ces profondes fissures. La dirigeante
birmane a annoncé la création d’un Comité
central pour l’instauration de la paix et du
développement ainsi que des plans en faveur
d’un développement économique général.
Une commission consultative sur l’Arakan
a également été formée. Avec à sa tête l’an-
cien secrétaire général des Nations unies
Kofi Annan, elle regroupe des diplomates,
des commissaires aux droits de l’homme et
d’anciens hauts fonctionnaires de tout pre-
mier plan, à la fois birmans et étrangers.
On a certes reproché à Aung San Suu Kyi
d’avoir demandé aux diplomates étrangers de
s’abstenir d’employer le terme “Rohingya”.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Mais peu de gens savent qu’elle a aussi donné
des instructions aux hauts fonctionnaires
de Birmanie pour qu’ils cessent d’utiliser le
terme “Bengali” pour les désigner, une appel-
lation que cette population rejette et qui est
souvent employée comme une insulte. Il sem-
blerait qu’elle ait voulu ainsi calmer un peu
le débat, trop souvent fait d’exagérations et
de brandons de discorde, sur l’identité des
Rohingyas en recentrant la discussion sur la
recherche de solutions pratiques à la ques-
tion de leurs moyens d’existence.
Par ailleurs, Aung San Suu Kyi est sou-
vent prise à partie pour des faits commis
par les forces de sécurité, alors qu’elle n’a
aucun moyen de juguler celles-ci. Son champ
d’action est officiellement délimité par la
Constitution de 2008, qui donne aux haut
gradés de l’armée le contrôle de trois minis-
tères clés en matière de sécurité, à savoir ceux
de la Défense, des Frontières et des Affaires
intérieures. Quand bien même elle voudrait
condamner les exactions et insister pour que
les coupables rendent des comptes, elle dis-
poserait de peu de leviers sur les militaires,
car la Constitution réserve à la Tatmadaw
un quart des sièges au Parlement.
Le fait qu’Aung San Suu Kyi s’abstienne
d’exprimer son opposition à la culture de
l’impunité de l’armée peut, il est vrai, être
perçu comme un encouragement au mau-
vais comportement de celle-ci. Cependant,
il faut bien voir que la dirigeante doit trou-
ver un équilibre très délicat et respecter
un programme de réformes très chargé,
dans l’espoir en particulier d’amender la
Constitution non démocratique, sans se
mettre à dos pour autant la Tatmadaw, qui a
le plus à perdre d’une libéralisation accrue.
D’autre part, la question des Rohingyas est
impopulaire, ce groupe ethnique étant honni
par la majorité, bouddhiste, de la population.
Incapacité. Si la communauté interna-
tionale veut vraiment venir en aide aux
Rohingyas, elle doit mieux prendre la
mesure des réalités complexes de la période
de transition que connaît la Birmanie. Il
s’agit de cesser d’être obnubilé par les
souffrances de cette communauté et de
les relativiser par rapport aux défis très
difficiles dont a hérité le gouvernement
de la LND après des décennies de mau-
vaise gestion par les militaires et auxquels
il lui faut absolument s’atteler.
Cependant, la nécessité de resituer la
déplorable répression des Rohingyas dans
un contexte politique plus large ne permet
pas pour autant de disculper l’État de son
incapacité à prévenir et à sanctionner les
exactions. Ni Aung San Suu Kyi de ce qui
ressemble à une approbation tacite de froids
démentis officiels. Seule une compréhen-
sion (et non une condamnation en bloc)
des difficultés auxquelles est confronté
son gouvernement a une chance d’abou-
tir à des mesures concrètes pour alléger
les souffrances des Rohingyas.
—David Scott Mathieson
Publié le 16 janvier
JAPON
Abe choisit
Trump
La visite du Premier
ministre aux États-Unis
a permis de réaffirmer
l’alliance nippo-américaine.
—Asahi Shimbun Tokyo
L e président Trump semble bien
décidé à placer “l’Amérique d’abord”,
y compris dans ses alliances. Nul
doute alors que le critère d’évaluation des
relations nippo-américaines sera de savoir
si elles sont bénéfiques ou non pour l’éco-
nomie américaine. Le monde entier a les
yeux rivés sur le rapprochement entre le
président américain et le Premier ministre
Shinzo Abe, mis en scène par la visite de ce
dernier aux États-Unis du 10 au 12 février.
Mais les relations bilatérales n’auront vrai-
semblablement rien à voir avec celles héri-
tées du passé, qui constituaient un des
piliers de l’équilibre mondial [depuis la fin
de la Seconde Guerre mondiale].
Abe avait deux options : soit il prenait
ses distances avec M. Trump, qui non
seulement menace les valeurs univer-
selles comme la liberté et les droits de
l’homme mais qui augure aussi un chan-
gement d’ordre mondial, soit il se rappro-
chait de lui. Le Premier ministre a misé
sur la seconde solution, probablement dans
le but de faire valoir la position du Japon
avant que le nouveau gouvernement amé-
ricain n’ait établi sa politique à l’égard de
pays comme la Chine et la Russie.
Cordial. Depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, la sécurité nationale du
Japon dépend des États-Unis. C’est pour-
quoi sa politique extérieure a jusqu’ici
été définie selon le positionnement de
Washington. Le Japon a même soutenu
les États-Unis dans son intervention uni-
latérale en Irak [en 2003], contre l’avis de
l’Allemagne, de la France et de la Russie.
Quel que soit le jugement que l’on porte
sur le résultat de cette intervention, le
Premier ministre de l’époque, Junichiro
Koizumi, avait gagné la confiance du pré-
sident George Bush.
La politique japonaise repose sur l’idée
que, pour être en mesure d’exprimer son
opinion, il faut avoir des liens étroits avec
son interlocuteur. Mais M. Abe est allé
plus loin. Alors que la communauté inter-
nationale reste très hostile au président
Trump, le Premier ministre a accepté l’ac-
cueil extrêmement cordial que celui-ci lui
a réservé, en passant près de deux jours en
sa compagnie, dont un à pratiquer le golf
dans un club de luxe en Floride.
Durant l’entretien qui s’est déroulé à la
Maison-Blanche, il semble qu’aucune exi-
gence inattendue n’ait été formulée par les
États-Unis. Les deux partis ont pu réaffirmer
devant la communauté internationale que
l’alliance bilatérale était “inébranlable” à tra-
vers le communiqué commun du 10 février.
Les autorités japonaises ont décrit comme
un fait sans précédent la mention dans ce
communiqué que l’article 5 du traité de sécu-
rité nippo-américain couvre les îles Senkaku
[Diaoyu en chinois], qui sont au cœur d’un
contentieux territorial entre le Japon et la
Chine. Il s’agit pourtant d’une position par-
tagée de longue date par les deux alliés.
Immature. Au cours de la conférence
de presse donnée par les deux dirigeants
après leur rencontre, M. Abe a mentionné
les créations d’emplois que le Japon pour-
rait garantir aux États-Unis, mais il s’est
abstenu de commenter le décret anti-immi-
gration qui a suscité un tollé aux États-
Unis, faisant valoir qu’il s’agissait d’une
question de politique intérieure. M. Abe a
réussi à faire croire d’emblée qu’une rela-
tion étroite le liait au président Trump.
Mais est-ce bien cela le but de ce type de
rencontre ? Même si de franches discus-
sions pourront avoir lieu lors de futurs
entretiens, l’incapacité à exprimer des avis
contraires à ceux de son homologue n’est
pas le signe d’une relation bilatérale mûre.
Les liens nippo-américains ne devraient
pas se limiter à des questions bilatérales
mais être ouverts à des sujets d’intérêt
mondial, comme les réfugiés et le chan-
gement climatique. Après avoir exprimé
 
 
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ASIE. 27
↙ Dessin de Bleibel paru
dans The Daily Star, Beyrouth.
dans son discours de politique générale
de janvier son intention de “coopérer avec
des pays partageant des valeurs fondamen-
tales comme la liberté, la démocratie, le res-
pect des droits de l’homme et l’État de droit”,
M. Abe va devoir passer à l’action. Grâce
à la bonne entente qu’il a établie avec le
président américain, il devrait notamment
chercher à remettre les États-Unis sur la
voie d’une coopération internationale.
—Hirotoshi Sako
Publié le 13 février
Des doutes
persistent
●●● “Les États-Unis soutiennent
à 100 % le Japon”, a déclaré
le président américain après le tir
du nouveau missile balistique lancé
par la Corée du Nord le 12 février,
alors que Shinzo Abe était
en pleine visite aux États-Unis.
Washington s’attendait à une telle
provocation de Pyongyang,
interprété comme un test
pour l’administration Trump.
La réaffirmation de l’alliance
de défense a pu dissiper
les craintes du côté japonais,
mais pas complètement :
“Il s’agit peut-être d’une stratégie
d’approche pour qu’il soit plus
difficile pour le Japon de refuser
ce que les États-Unis exigeront
par la suite, notamment dans
le domaine économique”, alerte
le Mainichi Shimbun, faisant
allusion aux reproches lancés
par le président Trump durant sa
campagne électorale. “La question
des accords bilatéraux a été remise
entre les mains des ministres
de l’Économie, les négociations
sont loin d’être terminées”, peut-on
lire dans le Nihon Keizai Shimbun.
     
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28. D’UN CONTINENT À L’AUTRE
moyen-
orient
Israël.
Colonies : la loi casse-tête
Légaliser la confiscation des terres palestiniennes par des implantations
juives illégales n’est pas seulement un imbroglio juridique,
mais risque aussi de remettre en question la légalité de toutes les colonies.
—Ha’Aretz Tel-Aviv
L
e 6 février, la Knesset adop-
tait la loi dite de hasdara
[“régularisation”]. Cette loi
controversée est censée légaliser
rétroactivement la confiscation de
terres palestiniennes privées sur
lesquelles des implantations [colo-
nies de peuplement] juives ont été
érigées. Le contexte de cette loi
est le fait que la Cour suprême a
à plusieurs reprises accédé à des
plaintes déposées par des proprié-
taires palestiniens lésés par la créa-
tion des implantations “sauvages”,
qui sont illégales au regard même
du droit israélien. L’avant-poste le
plus connu était Amona, évacué [le
2 février] quelques jours avant l’en-
trée en vigueur de la nouvelle loi.
D’un point de vue juridique,
l’affaire semble ne pas faire un
pli. Bien qu’ayant bénéficié d’une
nomination très politique décidée
par le Premier ministre Benyamin
Nétanyahou, le procureur géné-
ral de l’État, Avihaï Mandelblit, a
lui-même reconnu qu’il ne pour-
rait pas défendre cette loi devant
un tribunal. La loi de “régulari-
sation” contrevient tant au droit
international qu’aux lois fonda-
mentales israéliennes.
Droit international. La Cis-
jordanie est un territoire occupé
par une puissance belligérante, un
statut régulièrement confirmé par
la Cour suprême israélienne. La
législation israélienne ne peut pas
s’appliquer à ce territoire occupé.
Quant au vote par le Parlement
israélien d’une loi qui viole les
droits de propriété de Palestiniens
qui ne sont pas des citoyens israé-
liens et qui ne peuvent donc par-
ticiper aux élections législatives
israéliennes, il contrevient aux
principes élémentaires de la démo-
cratie et outrepasse les compé-
tences de la Knesset.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Cette loi viole également le droit
international relatif à l’occupation
selon lequel la puissance occu-
pante doit subvenir aux besoins
de la population occupée et ne
peut exproprier des terres qu’à
des fins strictement militaires,
ces dernières devant rester l’ex-
ception. Ces principes reposent
sur les conventions de La Haye
et ont été plusieurs fois rappe-
lés par la Cour suprême. La loi de
“régularisation” contrevient éga-
lement à la convention de Genève,
qui interdit explicitement le trans-
fert de ressortissants civils de la
puissance occupante dans les
Territoires occupés. Enfin, si elle
en a la volonté, la Cour suprême
n’aura qu’à s’appuyer sur les lois
fondamentales israéliennes qui
garantissent le droit à la propriété.
Mais, si l’affaire semble pliée sur
le plan juridique, les choses sont
plus compliquées sur le plan poli-
tique. Les juges de la Cour suprême
risquent d’y regarder à deux fois
avant d’abroger cette loi. Plusieurs
d’entre eux craignent que cela ne
fasse que renforcer la détermina-
tion des députés d’extrême droite
à lui couper les ailes, entre autres,
en tentant de faire passer une loi
fondamentale faisant de la Cour
suprême une instance davantage
consultative que contraignante.
Cela dit, on peut imaginer que
certains acteurs de l’actuelle coa-
lition gouvernementale seraient
plutôt soulagés de voir la Cour
suprême sauver le gouvernement
de lui-même en décrétant que la loi
de “régularisation” est anticonsti-
tutionnelle. Dans un tel scénario,
chacun serait gagnant. D’un côté,
le Premier ministre Nétanyahou
serait débarrassé d’une loi qu’il a
votée sous la contrainte de l’ex-
trême droite. D’un autre côté, cette
dernière rappellerait à ses électeurs
qu’elle a tout fait pour défendre
les intérêts des colons et “l’intérêt
national” mais qu’elle a été sabo-
tée par des juges “libéraux”, pour
ne pas dire “gauchistes”.
Expropriations. Mais il n’y a
pas que la Cour suprême qui est
concernée par la loi de “régulari-
sation”. Une autre ombre plane :
l’enquête préliminaire ouverte
par le bureau de la procureure
de la Cour pénale internationale
(CPI) de La Haye. Dans son rap-
port de novembre 2016, la procu-
reure [Fatou Bensouda] évoque
explicitement “la ‘régularisation’
de constructions bâties sans auto-
risation préalable des autorités
israéliennes et la confiscation et
l’expropriation de terres privées”.
Avec le vote de la loi de “régu-
larisation”, la procureure de La
Haye risque de passer de l’“en-
quête préliminaire” à l’instruc-
tion complète de la question des
implantations prise dans son entiè-
reté. Une conséquence pourrait
en être l’inculpation par la CPI
de responsables politiques israé-
liens impliqués dans la politique de
colonisation. En d’autres termes,
contrairement aux appels déposés
devant la Cour suprême et qui ne
concernent que les avant-postes
illégaux et la loi de “régularisa-
tion”, l’instruction menée par la
CPI s’élargirait à toutes les colo-
nies de Cisjordanie, concentrerait
tous les projecteurs sur toutes les
expropriations décidées par Israël
depuis cinquante ans et conclurait
à l’illégalité des implantations dans
leur ensemble.
—Eyal Gross
Publié le 10 février
↙ Dessin de Tjeerd,
Pays-Bas.
La course
à l’annexion
—Yediot Aharonot
(extraits) Tel-Aviv
L a loi de “régularisation”
n’est que pure routine.
L’État d’Israël opère dans
les Territoires [occupés] selon un
principe général et constant : tout
ce que les colons font est légal, légi-
time et sioniste. Certes, la Cour
suprême ordonne parfois la démo-
lition de constructions ou l’évacua-
tion de tel avant-poste, mais ces
interventions sont une goutte d’eau
dans l’océan. Si une confiscation
de terres est invalidée, une expro-
priation de plus grande ampleur
suivra. Tout simplement parce
que l’illégalité de ces avant-postes
est légale aux yeux des autorités.
L’État agit vis-à-vis des colons
selon le principe de la pensée
inversée. Les colons font ce qu’ils
veulent et l’État trouve a pos-
teriori des façons de légaliser
leurs actes criminels. Contre le
droit international, contre tout
principe de justice et contre tout
bon sens. Tout simplement parce
que des terres palestiniennes, ça
n’existe pas. Ce sont des “terres
publiques”. Destinées à quel
public ? Au public des colons.
À la Knesset, le ministre Ofir
Akunis [Likoud] a déclaré que la
loi de “régularisation” n’était pas
une question de propriété privée
mais qu’elle “porte sur notre droit
fondamental sur ce pays. Ce vote
n’est pas qu’un acte législatif, mais
la réaffirmation des liens entre le
peuple juif et toutes ses terres.”
Plus qu’une loi qui supprime
un obstacle somme toute margi-
nal dans la course à l’annexion,
l’important est que le gouver-
nement Nétanyahou, aidé par
le chaos américain, n’a rien à
craindre d’une condamnation
internationale. Et ne parlons pas
de l’opposition travailliste. Ce ne
sont pas des principes qu’Isaac
Herzog [le leader du Parti tra-
vailliste] a opposés à cette loi, mais
le risque que “des actes d’accusa-
tion internationaux soient édictés
contre des responsables politiques
et militaires israéliens”. Oubliez
les Palestiniens. Les Juifs sont en
danger. Gevald ! [“Au secours !”
en yiddish]. Avec une telle opposi-
tion, la droite n’a rien à craindre.
—Aviad Kleinberg
Publié le 12 février
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
SYRIE
Une laïcité introuvable
Entre le régime de Bachar El-Assad, qui exerce une véritable
dictature confessionnelle, et ses opposants, qui se sont alliés aux
factions islamistes, les laïques n’ont plus voix au chapitre.
—Al-Hayat Londres
A ujourd’hui, la Russie est l’acteur
[international] qui insiste le plus
sur la nécessité d’un État laïque en
Syrie. C’est ce que montrent la déclaration
de Vienne [décembre 2015 sur le conflit
syrien] et le projet de nouvelle Constitution
qu’elle propose pour le pays. Or la Russie
n’est certainement pas l’avocat de la laï-
cité le mieux placé pour se faire entendre
auprès des Syriens après toute la violence
dont elle a usé pour soutenir le régime de
Bachar El-Assad. Donald Trump non plus,
qui joue sur la corde des discriminations
religieuses en interdisant aux Syriens l’en-
trée sur le territoire américain.
À la conférence d’Astana [réunissant en
janvier les représentants du régime syrien
et certains groupes rebelles sous le
patronage de la Russie, de l’Iran et de
la Turquie], les rebelles armés syriens
se sont vantés d’avoir obtenu le retrait
du mot “laïcité” de la déclaration finale,
au profit de termes vagues sur le carac-
tère “civil” d’une Syrie “multiethnique et
multiconfessionnelle”. On imagine donc
aisément le défi posé aux forces laïques
d’opposition pour défendre leurs idées
dans cette polarisation confessionnelle
croissante du conflit syrien
Quand la révolution a éclaté [en 2011],
les opposants laïques syriens devaient
réfuter les arguments de ceux qui disqua-
lifiaient les manifestants en mettant en
doute la sincérité de leurs revendications
sous prétexte qu’ils étaient majoritaire-
ment issus d’un groupe confessionnel
précis [sunnite] et qu’ils prenaient les mos-
quées comme point de départ des mani-
festations. Ils devaient aussi montrer le
lien indéfectible entre laïcité et démocra-
tie, pour dire et redire que la laïcité est
condamnée à l’échec si elle est imposée
par le haut, par la force, sans l’assentiment
de la population et sans respecter les pro-
cédures démocratiques. De même fallait-
il répondre à ceux qui prétendent que la
laïcité équivaut à l’athéisme, leur expli-
quant qu’au contraire la laïcité protège la
religion dans ce qu’elle a de plus impor-
tant, en tant que droit et choix personnels.
Légitimité. Les laïques avaient également
à déconstruire le discours du régime qui
avait réussi à se présenter comme garant
de “l’État laïque”, seul rempart contre les
groupes islamistes et contre l’anéantis-
sement du pluralisme. En tenant ce dis-
cours, Assad recherchait un semblant
de légitimité sur la scène intérieure et
internationale.
Mais le principal défi posé aux laïques
consistait à expliquer qu’en réalité l’État
syrien n’était pas laïque mais se drapait
seulement dans les apparences de la laï-
cité. Les éléments de laïcité qui existaient
étaient hérités de l’époque de l’indépen-
dance [héritière des lois du mandat fran-
çais sur la Syrie, 1920-1943], que ce soit par
rapport au droit, au statut des femmes, à
l’éducation ou encore à la liberté de culte.
Les discriminations religieuses et confes-
sionnelles ont toujours existé en Syrie,
mais au lieu de se résorber sous le régime
Assad, elles se sont aggravées. Et cela de
manière souterraine, par les discrimina-
tions dans l’accès aux postes politiques,
dans l’administration, dans la police et
dans l’armée. Sans oublier les disparités
des lois sur le statut personnel selon les
différents groupes religieux. Par ailleurs,
le fait de mobiliser [les minorités confes-
sionnelles, notamment les Alaouites], en
soutien du régime a créé en réaction la
crispation confessionnelle de la majo-
rité [sunnite]. Ce nationalisme autori-
taire a échoué à ancrer la laïcité dans la
vie sociale parce qu’il a dévoyé le discours
laïque dans le seul but de renforcer son
emprise dictatoriale. Curieusement, il n’a
pas non plus hésité au besoin à encoura-
ger les tendances islamistes, pour contrer
l’opposition de gauche et laïque.
Le défi posé aux laïques ne consistait
pas seulement à dénoncer le dévoiement
de la laïcité par le régime. Il fallait aussi
relever le défi consistant à se positionner
vis-à-vis de l’opposition islamiste. C’était
d’autant plus difficile qu’il fallait faire bloc
avec elle face au régime alors même qu’il
y avait un doute croissant quant à la sin-
cérité de ses promesses de militer pour la
liberté et l’instauration d’un État laïque.
Car on était bien obligé de constater les
contradictions entre les discours des isla-
mistes et leurs expériences concrètes : en
Égypte, les Frères musulmans, dès leur
accession au sommet de l’État [juin 2012],
ont cherché à accaparer le pouvoir et à
islamiser l’État et la société. En Turquie,
Recep Tayyip Erdogan n’a eu de cesse de
rogner la laïcité. Et en Syrie même, les
principales factions islamistes se sont
empressées d’imposer la charia dès qu’elles
ont pu prendre le contrôle d’un territoire.
La religion ne doit pas
être souillée par les affres
de la politique.
 
& *  %% *%& +*   
!  " #+ *!* ! ! $+! "+*  $+*%
MOYEN-ORIENT. 29
↙ Dessin de Stavro paru
dans The Daily Star, Beyrouth.
Cette nouvelle donne n’a pas manqué
de justifier les peurs des minorités reli-
gieuses [chrétiennes et alaouites] de voir
leurs spécificités et leurs droits anéantis
par l’agenda totalitaire des islamistes. Ainsi,
ces minorités se sont encore une fois ran-
gées sous la bannière de la [pseudo-]laïcité
[du régime]. Ce qui n’a fait qu’aggraver le
drame de l’opposition laïque, à savoir que
la laïcité est perçue, aux yeux de la majorité
des Syriens, comme le fait des minorités.
Cela ne sert à rien de se raconter des his-
toires sur la “vieille tradition de tolérance”
des Syriens, en expliquant que la majorité a
toujours tendu la main aux minorités, leur
a permis de pratiquer leur culte, et a même
laissé certains de leurs membres accéder à
des postes de responsabilité. Car en tenant
de tels discours, on consacre implicitement
le distinguo entre majorité et minorités,
au détriment d’une vision de la nation en
tant que communauté de citoyens égaux.
Vision nouvelle. Aussi faut-il déconstruire
ces prétentions de la majorité sunnite, qui
se vante d’avoir accordé généreusement
des “largesses” aux minorités. Ce qu’il
faut, ce n’est pas de la générosité, mais
des garanties légales pour tous les habi-
tants, à égalité, sans égard pour leur sexe,
leur religion et leur appartenance eth-
nique. Et la tâche aujourd’hui consiste à
promouvoir la laïcité au sein de la majo-
rité sunnite du pays. Il faut expliquer que
la laïcité n’est pas cet outil dont le pou-
voir se sert pour maltraiter et réprimer
cette majorité. Celle-ci doit comprendre
qu’il lui incombe, du fait même de son
statut majoritaire, de conduire la société.
Aussi doit-elle être capable de proposer
aux minorités le cadre d’une civilisation
humaniste, à travers une vision nouvelle
dans laquelle la religion ne soit pas souil-
lée par les affres de la politique. Si elle n’en
est pas capable, alors elle ne sera pas le
moteur de la société et laissera celle-ci
otage de conflits destructeurs sans fin.
—Akram al-Bounni
Publié le 5 février

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30. Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017

à la une

BALKANS.
LE SPECTRE
DE LA
GUERRE
Le 14 janvier, un train en provenance de Belgrade s’est
dirigé vers Mitrovica, au Kosovo, ville où la tension est
quotidienne entre les communautés serbe et albanaise.
Couvert du slogan “Le Kosovo, c’est la Serbie” en
vingt-six langues, il a provoqué une violente polémique
entre les gouvernements kosovar et serbe. Et rappelé
au monde que, dans les Balkans occidentaux, les tensions
interethniques qui ont fait exploser l’ex-Yougoslavie
dans les années 1990 ne se sont pas volatisées, malgré
près de vingt ans d’une stabilité relative (lire p.33).

Si la Serbie est bel et bien lancée sur la voie de l’adhésion

à l’Union européenne, elle a du mal à résister à la pression
de Moscou, qui tente d’accroître son influence dans
la région (p. 34). Belgrade entretient aussi l’ambiguïté
face aux velléités sécessionnistes de l’entité serbe
de Bosnie-Herzégovine (la République serbe de Bosnie),
↑ Journée internationale
des personnes disparues à
Merdare, près de la frontière
Il est temps que
menées par le président résolument prorusse Milorad
Dodik. À tel point qu’en Bosnie de nombreux citoyens
redoutent aujourd’hui une nouvelle guerre (p.32).
entre la Serbie et le Kosovo,
le 30 août 2016. Photo Armend
Nimani/AFP.
l’Europe agisse
Dans la région, les foyers de tension ne manquent pas.
Tandis que la Croatie semble en proie à une fièvre
nationale populiste, que dire de l’étrange putsch
au Monténégro lors des élections de décembre (p. 33) ?
Préoccupés par l’arrivée tumultueuse au pouvoir de
Donald Trump et par la vague eurosceptique déclenchée Le Brexit, l’élection de Trump, la crise en Italie
par le Brexit en Grande-Bretagne, les Occidentaux ont laissé l’Europe groggy. À la veille de scrutins
se sont désintéressés de cette région qui, selon les mots importants sur le continent (Pays-Bas, France,
de Winston Churchill, “produit plus d’histoire qu’elle ne
peut en consommer” (lire ci-contre).
Allemagne), l’Union européenne semble impuissante
La situation, explosive, peut-elle dégénérer ? à endiguer les tensions dans les Balkans. Il y a pourtant
Décryptage à partir de la presse des Balkans. urgence, estime ce journal croate.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
—Jutarnji List Zagreb
e débat récent à la commission des affaires
L étrangères du Parlement européen, consa-
cré à la Serbie et au Kosovo, a ressemblé aux
débats des années passées. Mêmes messages,
mêmes qualificatifs, mêmes conclusions. L’état de
droit, la corruption, l’indépendance de la justice et
la liberté des médias restent des problèmes chro-
niques dans les deux États. À quelques exceptions
près, les députés européens ont montré qu’ils ne
suivaient pas la situation dans la région. Pire, ils
n’ont aucune idée de ce qui s’y passe.
Ainsi, parlant de la Serbie, les députés slovènes
ont davantage évoqué la Croatie que la Serbie,
en critiquant le “blocage croate des négociations de
l’adhésion de la Serbie à l’UE”, bien qu’alors il n’y
eût plus de blocage, les Croates ayant retiré leurs
objections sur le chapitre concernant le respect
des droits de la minorité croate en Serbie.
On a répété que la Serbie demeurait un facteur
de paix et de stabilité dans la région et vanté son
dialogue constructif avec les pays voisins. Les dépu-
tés européens ont même “salué” un progrès dans
la normalisation des relations avec Kosovo. On a
particulièrement insisté sur les bonnes relations
entre la Serbie et l’Albanie, en les citant comme
exemple pour la région.
Malheureusement, la situation dans la région
n’est pas aussi bonne qu’on pourrait le croire en
écoutant le débat à Bruxelles, ou telle que l’UE
peut l’imaginer. On ne peut plus la qualifier de
“stable, mais fragile”, selon la formule habituelle
des experts de la sécurité à Bruxelles. Elle est
tendue, voire dangereuse. Dans aucun pays des
Balkans occidentaux il n’y a de stabilité durable.
DANS AUCUN PAYS DES
BALKANS OCCIDENTAUX
IL N’Y A DE STABILITÉ
DURABLE.
La normalisation des relations entre le Kosovo
et la Serbie s’est arrêtée, on peut même parler de
détérioration des relations entre les deux pays.
Notamment après l’arrestation en France, le 4
janvier, de Ramush Haradinaj, ancien Premier
ministre kosovar et homme politique important,
sur la base d’un mandat d’arrêt serbe.
En réponse, Pristina n’a pas autorisé le pré-
sident serbe Tomislav Nikolic à se rendre au
Kosovo pour célébrer avec les Serbes locaux le
Noël orthodoxe. C’est la première fois depuis
des années qu’un homme politique serbe ne
s’y rend pas à l’occasion de Noël. Les Serbes
du Kosovo ont quitté les institutions kosovares
qu’ils ne considèrent pas comme les leurs. Il est
assez paradoxal que le vice-président du gou-
vernement kosovar, un Serbe, en disant “mon
gouvernement” pense au gouvernement de
Belgrade et non pas à celui dont il est membre.
Le Kosovo n’a pas encore mis en place l’accord
sur la création d’une association des municipalités
à majorité serbe du nord du Kosovo. L’opposition
kosovare considère que cet accord risque de
créer une nouvelle République serbe [comme
la république serbe de Bosnie, une des deux
entités qui composent la Bosnie-Herzégovine].
Le président de la République serbe de Bosnie,
Milorad Dodik, justifie cette crainte en appelant
à la réunification de quatre municipalités serbes
du nord du Kosovo avec la Serbie.
La république serbe de Bosnie a célébré sa
Journée de l’indépendance, proclamée illé-
gale par la Cour constitutionnelle de Bosnie-
Herzégovine, en présence du président de la
Serbie, Tomislav Nikolic, et des plus hauts
dignitaires de l’Église orthodoxe serbe. Si les
autorités à Bruxelles croient toujours que le
Premier ministre serbe, Aleksandar Vucic, est
“différent” et qu’il ne soutient pas les festivi-
tés en république serbe de Bosnie, il a envoyé
ses meilleurs vœux à Dodik et au peuple pour
leur “fête nationale”. → 32
BALKANS, LE SPECTRE DE LA GUERRE. 31
Galerie
Les 4 hommes forts de la région
MILORAD DODIK
57 ans. Président de la République
serbe de Bosnie depuis 2010
Après les accords de Dayton en 1995,
AFP
les Américains voient en Milorad Dodik l’homme
de la transition. L’un des premiers opposants
à Radovan Karadzic (le “boucher des Balkans”,
président de la République serbe de 1992 à 1996), il
est Premier ministre de 1998 à 2001. À cette époque, Dodik prône
la réconciliation et condamne les crimes de Karadzic. Cinq ans
après, il change de discours et agite régulièrement la perspective
d’un référendum d’indépendance qui ferait éclater la Bosnie-
Herzégovine. En raison de ses velléités sécessionnistes il s’est
retrouvé sur la “liste noire” des États-Unis, avec les terroristes
et les trafiquants de drogue internationaux.
ANDREJ PLENKOVIC
WIKIMEDIA COMMONS
46 ans. Premier ministre de la Croatie depuis 2016
Diplomate, ancien député au Parlement
européen, Andrej Plenkovic a pris les rênes de
l’Union démocratique croate (HDZ, conservateur
nationaliste) en juillet 2016, en pleine vague
populiste. Moderne, modéré, il s’est employé à
mettre fin aux guerres idéologiques au sein de son parti
et du pays, d’où son surnom : “Xanax”. En octobre, il devient
Premier ministre. Sans un appui fort du HDZ, il peine à prendre
des décisions à rebrousse-poil du populisme ambiant. Récemment,
il a soutenu l’idée d’un retour du service militaire régulier,
qu’il n’a pas fait lui-même, à cause d’une “anémie congénitale”.
ALEKSANDAR VUCIC
46 ans. Premier ministre
de la Serbie depuis 2014
Ex-membre des supporteurs ultranationaliste
AFP
du célèbre club de foot l’Étoile rouge de
Belgrade, Vucic a aujourd’hui la réputation d’un
dirigeant proeuropéen, pragmatique, prêt aux
compromis douloureux (sur le Kosovo), voire garant
de la stabilité dans les Balkans. Sa carrière monte en flèche en
2008 lorsqu’il rompt avec le chef du Parti radical serbe, Vojislav
Seselj (jugé et emprisonné pendant douze ans par le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, il est finalement acquitté en
2016). Il fonde, avec Tomislav Nikolic, le Parti progressiste serbe
(SNS), qui gagne presque toutes les élections de 2012 à 2016.
Sans opposition significative ni médias critiques, Vucic gouverne
d’une manière autoritaire, sur fond de populisme.
HASHIM THAÇI
48 ans. Président du Kosovo depuis 2016
Pendant la guerre, il était surnommé “le
Serpent”. Ancien chef de l’Armée de libération
du Kosovo (UÇK) dans les années 1990, Hashim
AFP
Thaçi s’est rendu indispensable
en reprenant l’aile politique de l’UÇK, le Parti
démocratique du Kosovo (PDK). Ayant de bons
rapports avec les Américains, il appose sa signature sur
le document autorisant l’entrée de l’Otan au Kosovo en 1999 ainsi
que le désarmement de l’UÇK. Élu Premier ministre du Kosovo en
2007, il proclame l’indépendance du pays l’année suivante.
Il est soupçonné de trafic d’armes avec la Suisse et l’Albanie pour
les besoins de l’UÇK, ainsi que de trafic d’organes de prisonniers,
principalement serbes, selon un rapport de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe.
32. À LA UNE
31 ← L’envoyé spécial de Vucic à Zagreb n’a-t-
il pas déclaré récemment que “la Serbie défendrait
par tous les moyens les Serbes de Croatie [la plus
grande minorité du pays, 4,4% ]” ? Le pays “qui
a un rôle constructif dans la région” a proféré des
menaces par la voix de son ministre des Affaires
étrangères, Ivica Dacic, à l’égard du Monténégro
et de la Macédoine en raison de leur soutien au
Kosovo. Vucic a accusé récemment les hommes
politiques albanais de “préparer des attaques ter-
roristes” contre les représentations diplomatiques
serbes dans le monde. Quant au chef de la diplo-
matie albanaise, il a appelé le Kosovo “à réexa-
miner son dialogue” avec la Serbie. Les hommes
politiques albanais rendent bien la pareille à leurs
homologues serbes. Ils leur rappellent l’époque
où ils étaient au service du régime de Slobodan
Milosevic [voir chrono].
Alors que le Monténégro est censé adhérer
bientôt à l’Otan, la situation n’est pas stable
dans ce pays non plus. L’opposition proserbe et
la population serbe appellent à s’opposer à cette
adhésion. La Macédoine, elle aussi, est en crise.
L’UNION EUROPÉENNE EST
IMPUISSANTE À FAIRE QUOI
QUE CE SOIT DANS LA RÉGION.
HORMIS DONNER DE L’ARGENT,
ELLE N’A RIEN À OFFRIR.
Après l’accord sur une plateforme commune de
tous les partis représentant les Albanais, et au
vu de leurs revendications après les élections, il
sera difficile de doter bientôt ce pays d’un gou-
vernement. Et en Albanie, si la situation a l’air
stable, les rapports entre le pouvoir et l’opposi-
tion sont très conflictuels.
L’Union européenne est impuissante à faire
quoi que ce soit dans la région. Hormis donner
de l’argent, elle n’a rien à offrir. Elle n’a pas non
plus une attitude politique claire – elle ne le
peut d’ailleurs pas au regard de sa situation inté-
rieure. Quant aux États-Unis, en pleine transi-
tion politique, ils restent passifs dans la région.
La Grande-Bretagne, qui a eu un rôle important
dans les Balkans, ne pourra pas le garder après
le Brexit. L’Italie traverse une crise, la France
s’occupe d’elle-même. Il ne reste donc que l’Al-
lemagne comme un acteur important, mais elle
est isolée.
Lorsque l’Union dit qu’il n’y aura pas d’élar-
gissement dans un avenir proche, elle admet une
réalité que les leaders narcissiques des Balkans
sont en train d’intégrer. Elle n’y a plus de poids.
Le vide laissé par elle dans la région est en train
d’être comblé de manière agressive par la Russie
et la Turquie. Il est important que la communauté
internationale se réveille pour empêcher le glis-
sement de la région vers de nouveaux conflits.
Elle doit empêcher aussi la création de soi-disant
“grands États” (Grande Serbie, Grande Albanie,
Grande Croatie). Souvent les tragédies se sont
produites dans les Balkans parce que la commu-
nauté internationale s’y est mal débrouillée. Il est
urgent de parer à cette situation.
—Augustin Palokaj
Publié le 11 janvier 2017
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Contexte
BOSNIE-HERZÉGOVINE. UN AIR
DE DÉJÀ-VU À SARAJEVO.
MONTÉNÉGRO
EN ATTENDANT
L’OTAN
●●● Pour la troisième
fois, le Sénat américain
a reporté, mi-janvier, le
vote sur le protocole Face aux turbulences qui affectent les relations entre Belgrade et
d’adhésion du Sarajevo, les Bosniens redoutent que la guerre éclate à nouveau.
Monténégro à l’Otan.
Le protocole est déjà
ratifié par 22 des 28 pays —Oslobodjenje (extraits) Sarajevo primer désormais sur les réformes et l’adhésion
membres de l’Alliance à l’UE. Une véritable inversion des priorités !
atlantique. Mais, à a rhétorique des hommes politiques balka- Quel système de sécurité peut protéger les
Podgorica, le pouvoir,
pro-Otan et pro-UE,
veut aller plus vite, vu
L niques est aussi changeante que la météo,
les bourrasques alternant avec les accalmies.
Ces derniers temps, les propos sont plus va-
citoyens des conflits et de la violence dans un
État où toutes les institutions fonctionnent sur
le principe ethnique, où la police est divisée, les
les pressions de la t-en-guerre que pacifistes. C’est la raison services de renseignements en guerre interne
Russie pour empêcher pour laquelle la majorité des habitants des où personne n’a confiance en personne ?
ce qu’elle considère Balkans accordent peu de crédit à leurs leaders.
comme “une entrée Que dire de la rencontre f in janvier Que va faire Trump ? Ce chamboulement
forcée dans l’Otan”, entre Aleksandar Vucic et Denis Zvizdic, dans l’ordre des priorités a-t-il quelque chose à
et les pressions de
l’opposition
les Premiers ministres serbe et bosnien, qui
ont parlé à Belgrade en termes très conciliants ?
voir avec les prédictions d’une nouvelle guerre,
évoquées d’une manière peu responsable par les
monténégrine, qui exige À les entendre, on dirait des “frères politiques”, prétendus experts internationaux de sécurité ou
un référendum.Selon
l’enquête citée par
et non les plus hauts responsables de deux pays
dont les relations étaient très tendues dans le
un général bosnien à la retraite ? Dans une guerre
hypothétique, qui attaquera le premier et qui sera
l’hebdomadaire serbe passé et sont toujours affectées par de nombreux contraint de se défendre ? Pas de réponse ! Oui,
Novi Magazin, 39 %
de Monténégrins sont
problèmes graves. Leur message a donné l’espoir
d’une amélioration significative des relations entre
des individus privés de toute empathie appellent
à la guerre pour leurs intérêts particuliers et
pour, et autant sont Belgrade et Sarajevo, notamment les engagements n’hésitent pas à pousser les jeunes dans des
contre. D’après la de Vucic – à savoir que la Serbie respecterait combats perdus d’avance. Il faut les dénoncer
Constitution du pays, l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine, à temps, afin d’éviter l’avènement de nouveaux
c’est le Parlement qui ainsi que le statut d’entité de la république Karadzic et Mladic, ou d’autres criminels de
aura le dernier mot. serbe de Bosnie, et qu’elle n’a pas l’intention de guerre. Je ne dis pas que personne ne soit prêt à
Or, les choses s’immiscer dans les affaires intérieures de la enfiler les bottes et les treillis militaires, et à
se compliquent. Bosnie-Herzégovine. répondre à l’appel des trompettes patriotiques,
L’opposition a décidé de Qui l’eût cru ? Deux semaines auparavant, des mais, dans leur grande majorité, les gens ne
boycotter le Parlement messages au ton diamétralement opposé, et ô veulent pas la guerre. Je ne sais pas où se
en raison d’une tentative combien inquiétants, avaient secoué la région. À cachent les nouveaux seigneurs de guerre, je
de coup d’État l’occasion de la “fête nationale” de la république peux simplement supposer qu’ils se trouvent
non élucidée (imputée serbe de Bosnie, jugée inconstitutionnelle par loin des tranchées et du bruit des canons, là où
“aux agents russes Sarajevo, le président serbe, Tomislav Nikolic, ils ne risquent pas d’être touchés par une balle !
et serbes”) s’est rendu à Banja Luka pour affirmer son soutien Qu’en pense le nouveau président des États-
qui s’est déroulée lors à la politique sécessionniste du président de Unis ? Les responsables politiques bosniens,
des législatives l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine, Milorad ainsi que le sécessionniste sanctionné Milorad
d’octobre 2016, gagnées Dodik. Entre-temps, ce dernier s’est retrouvé Dodik, rêvent de conquérir sa sympathie. Étant
de peu par le Parti sur la liste noire des États-Unis pour obstruction donné son intention de modifier les bases sur
démocrate socialiste active aux accords de Dayton [signés en 1995, lesquelles reposait jusqu’alors la politique
de Milo Djukanovic, ils ont mis fin à trois ans de guerre en Bosnie]. étrangère américaine, et le possible partage
au pouvoir depuis Il s’agit de sanctions comprenant l’interdiction des sphères d’influence avec Vladimir Poutine,
vingt-cinq ans. de séjour aux États-Unis et le gel de ses biens Donald Trump pourrait compliquer davantage
en Amérique, ainsi que dans les autres pays qui la situation dans les Balkans.
se joindraient aux sanctions. Cela ne veut pas dire qu’il y aura forcément
Comment les choses vont-elles évoluer dans une guerre. La paix dans cette région dépend
les Balkans ? Pour l’instant, elles ne s’annoncent avant tout des hommes politiques locaux, qui
pas bien. “Les citoyens nous appellent pour nous doivent renoncer à la politique exclusivement
demander si une nouvelle guerre se prépare”, a nationaliste et commencer à agir en hommes d’État
déclaré Sifet Podzic, député de la chambre basse du responsables. En ce qui concerne le destin de la
Parlement bosnien. Il estime que la sécurité doit Bosnie-Herzégovine, deux choses sont certaines :
primo, son partage est impossible car les Bosniens
ne l’accepteront jamais ; secundo, une nouvelle
IL Y AURA TOUJOURS CEUX guerre, peu importe son issue, signifierait la
disparition non seulement de la république serbe
QUI SONT PRÊTS À ENFILER de Bosnie et de la Fédération croato-bosniaque,
LES BOTTES ET LES TREILLIS mais de la Bosnie-Herzégovine tout entière.
—Gojko Boric
MILITAIRES. Publié le 26 janvier 2017
 Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Le grand jeu au cœur des Balkans
INFLUENCE Otan : État membre
OCCIDENTALE
Union européenne :
Principales tensions Facteur d’instabilité :
régionales la crise des migrants
SLOVÉNIE
Superficie : 20 273 km2
Population : 1 978 029 hab.
dont 83,1 % de Slovènes
SOURCES : FRANCE DIPLOMATIE, WORLD FACTBOOK/CIA, PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT (PNUD), FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL (FMI)
Principales minorités (en %) :
Serbes (2), Croates (1,8),
Bosniaques (1,1)
IDH : 25e sur 188
PIB par hab. : 18 679 euros
CROATIE
Superficie : 56 594 km2
Population : 4 313 707 hab.
dont 90,4 % de Croates
Principale minorité (en %) :
Serbes (4,4)
IDH : 47e sur 188
PIB par hab. : 10 348 euros
BOSNIE-HERZÉGOVINE
Superficie : 51 209 km2
Population : 3 861 912 hab.
dont 50,1 % de Bosniaques
Principales minorités (en %) :
Serbes (30,8), Croates (15,4)
IDH : 85e ex aequo sur 188
PIB par hab. : 3 590 euros
MONTÉNÉGRO
2
Superficie : 13 812 km
Population : 644 578 hab.
dont 45 % de Monténégrins
Principales minorités (en %) :
Serbes (28,7), Bosniaques (8,7),
Albanais (4,9)
IDH : 49e sur 188
PIB par hab. : 5 480 euros
* Nom officiel : Fédération de Bosnie-Herzégovine
** Nom officiel : Ancienne République yougoslave de Macédoine.
Chronologie
1995 — Les accords de Dayton
mettent fin à trois ans de guerre
en Bosnie-Herzégovine, partagée
dès lors en Fédération croato-
bosniaque (musulmane) et en
République serbe.
1999 — Campagne de
bombardement contre les cibles
serbes par les forces de l’Otan.
Le président serbe Slobodan
Milosevic est jugé coupable de
mener une politique de
purification ethnique contre la
population albanophone du
Kosovo, alors province de la Serbie.
2000 — Destitution du Milosevic,
président tout au long des
État participant au plan d’action pour l’adhésion
État membre
Principales
routes
AUTRICHE
Ljubljana
Zagreb
SLOVÉNIE
Banja Luka
M
e
r Mitrovica
A Population : 2 100 025 hab.
d
r dont 64,2 % de Macédoniens (slaves)
i Podgorica
ITALIE
guerres qui ont déchiré la
Yougoslavie. Accusé de crimes
de guerre, de crimes contre
l’humanité et de génocide, il est
extradé à La Haye en 2001 pour
comparaître devant le Tribunal
pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY). Il meurt
en prison en 2006.
2006 — Le Monténégro déclare
son indépendance de la Serbie.
2008 — Le Parlement du Kosovo
proclame unilatéralement son
indépendance de la Serbie.
Belgrade s’y oppose farouchement.
2013 — Membre de l’Otan depuis
2009, la Croatie accède à l’UE.
Troupes de l’Otan déployées (KFOR)
État sur la voie de l’adhésion
Barrière frontalière
existante...
HONGRIE
CROATIE
RÉP. SERBE DE BOSNIE
BOSNIE-HERZÉGOVINE
FÉDÉRATION RÉP.
CROATO- SERBE
BOSNIAQUE* DE
BOSNIE
Sarajevo
MONTÉNÉGRO
a
t Albanais (25,2), Turcs (3,9),
i Roms (2,7), Serbes (1,8)
q Skopje
u
e IDH : 81e sur 188
100 km
juin 2016 — Accusé d’un virage
à droite, notamment d’avoir
voulu relativiser les crimes commis
par le régime oustachi pronazi
durant la Seconde Guerre
mondiale, le gouvernement
croate dirigé par le parti
nationaliste HDZ tombe, après
seulement cinq mois au pouvoir.
À la surprise générale, Andrej
Plenkovic, le nouveau leader du
HDZ, remporte les élections
anticipées de septembre.
Septembre 2016 — Les électeurs
de la république serbe de Bosnie-
Herzégovine (Republika srprska)
votent en faveur du maintien de
BALKANS, LE SPECTRE DE LA GUERRE. 33
État candidat potentiel
... en construction Clôture sur de
ou annoncée petits tronçons
ROUMANIE
Novi Sad
Belgrade
SERBIE
Base
russo-serbe
de Nis
Pristina
KOSOVO
BU
MACÉDOINE
Tirana (ARYM**)
ALBANIE
GRÈCE
Abréviation
IDH : l’indice de développement humain propose un classement
des 188 pays selon le niveau d’éducation, l’espérance de vie et le PIB.
leur propre fête nationale, dont
la date, le 9 janvier, est fortement
contestée par les Bosniaques.
Le vote est considéré comme
un premier pas vers la sécession.
Octobre 2016 — À la veille des
législatives au Monténégro, un
mystérieux “putsch” est déjoué.
Une vingtaine de “nationalistes
russes” sont accusés d’avoir
voulu tuer Milo Djukanovic,
le Premier ministre sortant.
14 janvier 2017 — Un train
couvert de messages nationalistes
serbes est bloqué à la frontière
kosovare, attisant la tension
entre Belgrade et Pristina. Le
INFLUENCE Lien fort avec
RUSSE la Russie (diplomatique,
économique ou militaire)
Rapprochement
politique possible
SERBIE
Superficie : 77 474 km2
Population : 7 143 921 hab.
dont 83,3 % de Serbes
Principales minorités (en %) :
Hongrois (3,5), Roms (2,1),
Bosniaques (2)
IDH : 66e sur 188
PIB par hab. : 4 280 euros
KOSOVO
Superficie : 10 887 km2
Population : 1 883 018 hab.
dont 92,9 % d’Albanais
Principales minorités (en %) :
Bosniaques (1,6), Serbes (1,5),
Turcs (1,1), Ashkalis (0,9)
IDH : nc
PIB par hab. : 3 126 euros
MACÉDOINE (ARYM) **
Superficie : 25 713 km2
E
I
AR
LG Principales minorités (en %) :
PIB par hab. : 4 286 euros
ALBANIE
Superficie : 28 748 km2
Population : 3 038 594 hab.
dont 83 % d’Albanais.
Principale minorité : Grecs (1 %)
IDH : 85e ex aequo sur 188
PIB par hab. : 3 700 euros
président kosovar Hashim Thaçi
y voit une “provocation délibérée”.
Le président serbe Tomislav
Nikolic riposte en affirmant :
“Nous ne voulons pas la guerre
sauf s’il faut protéger les Serbes
de possibles meurtres.”
5 février — Sous la pression de
la communauté internationale,
les Serbes du Kosovo acceptent
de détruire le mur construit
en décembre 2016 au milieu de
Mitrovica, ville du nord du pays
où les communautés serbe
et albanaise vivent dans
un face-à-face tendu
depuis la guerre de 1998-1999.
34. À LA UNE
Moscou resserre son
emprise sur Belgrade
L’Occident en crise, le Kremlin se dépêche d’associer la Serbie à ses intérêts
pour conserver une influence dans la région, et par conséquent en Europe.
—Jutarnji List (extraits) Zagreb
es Balkans sont-ils en train de devenir le
L nouveau théâtre du bras de fer qui se joue
entre les grandes puissances mondiales ?
Les zones orientales de l’ex-État yougoslave,
qui ne font pas partie de l’UE ou de l’Otan,
demeurent “le seul territoire libre de l’Eu-
rope” auquel puisse encore prétendre la Russie.
Certes, ce territoire se réduit à la Serbie et à la
Bosnie-Herzégovine, mais il est suffisamment
grand pour rallumer les passions.
Actuellement, l’Occident est en crise et
Bruxelles n’a pas de projet clair concernant
les Balkans occidentaux, hormis le principe
général de l’adhésion et les tentatives évidentes
d’empêcher la Russie de s’y implanter. Quant à la
Russie, elle est en train de passer d’une politique
de déstabilisation permanente à une politique
d’implantation, notamment en Serbie, par un
soutien tacite aux velléités sécessionnistes du
président de la République serbe de Bosnie, Milorad
Dodik, partagées récemment d’une manière
inquiétante par le président serbe, Tomislav Nikolic.
L’UE considère le Premier ministre serbe,
Aleksandar Vucic, comme son allié : il a commencé
les négociations d’adhésion et confirme que
c’est l’objectif stratégique de la Serbie. L’Europe
hésite pourtant dans sa politique entre la carotte
et le bâton, au point que certains se demandent
à Belgrade si elle est toujours un partenaire
souhaitable, d’autant que le chant des sirènes
russes est de plus en plus attrayant. Quoi qu’il en
soit, Vucic sera contraint de faire un choix : soit
l’UE, soit la Russie, tâche rendue plus compliquée
par la perspective de l’élection présidentielle du
9 avril, et peut-être de législatives anticipées. Son
choix risque de déterminer non seulement l’avenir
de la Serbie, mais de la région tout entière. La
politique pratiquée jusqu’à présent par Vucic,
qui ménage la chèvre et le chou, ne convient pas
plus à l’UE qu’aux Russes.
En optant pour Moscou, la Serbie demeurerait
isolée dans l’Europe. Mais Moscou serre fort son
étreinte et n’a pas l’intention de lâcher Belgrade, en
témoigne le “don” de six MiG-29 russes [annoncé
Les informés de franceinfo
Jean-Mathieu Pernin, du lundi au vendredi de 20h à 21h
chaque vendredi avec
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
à la fin de 2016]. Pour les Russes, l’acceptation serbe
de leur “cadeau ” va au-delà du profit politique
immédiat que Vucic pourrait en tirer pour la
campagne électorale, en calmant ou exacerbant
les tensions entre Serbes et Croates. Quant à ces
derniers, ils achètent des hélicoptères américains.
Mikhaïl Alexandrov, expert au Centre
universitaire d’analyse militaire et politique
de Moscou, qui conseille le Kremlin, considère
que la “vente” des MiG est arrivée à point
nommé vu les pressions de l’UE et de l’Otan
sur la Serbie. Selon lui, une base militaire en
Serbie, en plus de celle de Tartous en Syrie,
serait un grand succès “parce qu’elle rendrait plus
compliquées d’éventuelles opérations de l’Otan dans
les Balkans et en Méditerranée”. Le Kremlin attend
depuis longtemps de la Serbie qu’elle donne aux
“employés” de sa base humanitaire russo-serbe
de Nis [à 100 kilomètres de la frontière kosovare]
le même statut et la même liberté de mouvement
dont bénéficient les “employés” de l’Otan.
La question kosovare. La Russie surveille autant
les liens éventuels de la Serbie avec l’Otan que SOURCE croire que la reconnaissance du Kosovo est la
son adhésion à l’UE. Lors de l’inauguration du condition sine qua non de son adhésion à l’UE. Au
consulat honorifique serbe à Saint-Pétersbourg en JUTARNJI LIST Kosovo, la Serbie n’a aucune influence sur le terrain
présence du président serbe, l’oligarque russe Zagreb, Croatie et, dans le processus de négociation, Vucic a déjà
Guennadi Timtchenko, dit “le banquier de Quotidien, 66 000 ex. accepté cette réalité et la défaite, même s’il n’ose
Poutine”, a estimé que “la Serbie ne profiterait www.jutarnji.hr/ pas le dire publiquement. “On ne va pas échanger le
guère de l’adhésion à l’UE”, que “ses entreprises Créé après Kosovo contre l’UE”, s’étonne pourtant le président
et usines seraient condamnées à la faillite” et que l’indépendance de la Nikolic, bien que lui-même, ainsi que la majorité des
“la Serbie connaîtrait le sort de l’Ukraine”. En ce Croatie, le “Journal du Serbes, sache que le Kosovo est bel et bien perdu.
qui concerne les négociations d’adhésion, le matin”, d’orientation L’élection présidentielle survient au mauvais
journal moscovite Kommersant avance une thèse libérale, est le deuxième moment pour Vucic. Non parce qu’il ne contrôlerait
intéressante : “Le Premier Ministre croate, Andrej quotidien du pays. On pas la situation dans le pays, mais en raison des
Plenkovic, n’a pas décidé de lui-même de bloquer les y trouve des reportages pressions qu’il subit des deux côtés. Il ne voit pas
négociations d’adhésion de la Serbie à l’UE (sous et chroniques de d’un bon œil Nikolic, son collègue de parti, rester
prétexte que Belgrade ne respecte pas les droits de la qualité, le journal ayant quatre ans de plus à la présidence tant le président
minorité croate), mais sous la pression de Bruxelles, ouvert ses colonnes à serbe est le seul à s’opposer à lui ! Ce qui embarrasse
ceci étant une invitation adressée à Vucic à choisir de nombreux écrivains le plus Vucic, c’est pourtant la demande de Poutine
entre l’UE et la Russie.” croates. de soutenir la candidature de Nikolic. Ce dernier
La Russie dispose d’un autre atout : le Kosovo. est ouvertement l’homme de Moscou à Belgrade,
Moscou ne cesse de rappeler à la Serbie qu’à la et sa victoire renforcerait le courant prorusse sur
fin de la balade bruxelloise elle sera contrainte la scène politique serbe.
de reconnaître le Kosovo, et que seule la Russie —Vlado Vurusic
pourrait l’aider. En Serbie, on laisse constamment Publié le 15 janvier
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017 BALKANS, LE SPECTRE DE LA GUERRE. 35

Aleksandar Vucic, à ne pas visiter Dubrovnik

[en Croatie] adressé aux touristes indiens. Ces
← Une coopérative
agricole
3 questions à…
affaires ne sont pas dignes d’hommes politiques abandonnée à LAVDRIM LITA, journaliste albanais,
sérieux. Les points communs ne s’arrêtent pas Kravica, en Bosnie,
reporter sur les Balkans occidentaux
là. Il y a beaucoup de similarités : l’ampleur de la en 2015. On peut lire
pour le site italien East Journal.
corruption, le contrôle des partis au pouvoir sur sur l’affiche de
la société, la réhabilitation de criminels de guerre, Poutine :
le révisionnisme concernant la Seconde Guerre “République serbe”. Macédoine “La
mondiale et le non-respect de nos lois. Photo Dado Ruvic-
Vingt ans après la fin des guerres en ex- Reuters Grande Albanie ?
Yougoslavie, une atmosphère belliqueuse se
fait toujours sentir, comme si on l’entretenait
Nous avons d’autres
volontairement. chats à fouetter !”
Regardez ce qui se passe dans la région. On assiste Contexte
à une course aux armements, c’est à qui aura les
forces aériennes les plus puissantes. C’est comique, CROATIE, 1) Pourquoi n’y a-t-il toujours pas
vu la taille des États dans la région. Mais il ne faut UN VOISIN de gouvernement en Macédoine depuis
pas sous-estimer la force et la capacité de nui- COMPLIQUÉ les élections de décembre 2016 ?
sance des nationalistes. En Croatie et en Serbie, ●●● La Croatie Aucun des deux partis principaux n’a obtenu
on parle de revenir au service militaire obligatoire. a “des relations la majorité. Le VMRO-DPMNE (conservateur
Si une grande puissance internationale souhaite traditionnellement nationaliste) a remporté 51 des 120 sièges,
un conflit, elle l’aura. Les dépôts peuvent vite se mauvaises avec contre 49 pour les sociaux-démocrates
remplir d’armes meurtrières, et la propagande et la Serbie, tendues avec du SDSM. Les Albanais constituent environ
la démagogie sont prêtes à déclencher les sirènes la Slovénie, et elles 25 % de la population de Macédoine.
de la guerre. se sont récemment Les trois partis albanais et une coalition
La Serbie a envoyé récemment au Kosovo un détériorées de petits partis ont obtenu 20 sièges
“monastère sur rails”, un train arborant l’ins- avec la Bosnie- au nouveau Parlement. Ils sont donc en
cription “Le Kosovo, c’est la Serbie”. Herzégovine,” affirmait situation de “faiseurs de roi” pour ce qui est
Cette provocation du “train russe”, frappé de l’ins- l’hebdomadaire de la formation d’un nouveau gouvernement,
cription “Le Kosovo, c’est la Serbie” en 26 langues, de Belgrade Novi et ils ont décidé de créer une plateforme
c’est l’exemple même d’une grande bêtise. Chez Magazin dans un commune en posant comme première
nous, on cherche “la solution” aux problèmes poli- dossier consacré condition que la langue albanaise
tiques ou économiques en ayant recours à la rhéto- aux Balkans en janvier. et les symboles multiethniques soient
rique patriotique ou nationaliste. Si tragi-comique À la fin de 2016, Zagreb officiellement reconnus. Les négociations
qu’elle soit, l’affaire du train patriotique aurait pu a brièvement bloqué avec le gouvernement sortant du VMRO-
avoir des conséquences dangereuses. l’ouverture du DPMNE ont échoué à la fin de janvier. Ils sont

GARE AUX Vous avez dit que ce sont des hommes sortis de
la manche de Milosevic qui sont au pouvoir en
Serbie, entre autres le Premier ministre Vucic et
chapitre 26 des
négociations de
l’adhésion de la Serbie
donc allés voir les sociaux-démocrates.

2) En janvier, le Premier ministre albanais

NATIONALISTES ! le président Nikolic. Est-ce que cela se reflète

L’écrivain serbe Filip David
dénonce l’irresponsabilité des
leaders au pouvoir dans la région.
—Globus Zagreb
l a la réputation d’un intellectuel à la grande par les nazis croates avec l’aide des Allemands)
dans leur politique ?
Le pouvoir ne supporte aucune critique. Regardez
à l’UE, au motif que
Belgrade tardait à
traduire les manuels
a convoqué ces partis à Tirana.
Que cherche-t-il ?
Edi Rama a répondu positivement à la
de quoi ont l’air les médias sous contrôle du “gou- scolaires destinés demande de ces partis qui lui demandaient
vernement proeuropéen”. Les tabloïds contrôlés à la minorité croate. sa bénédiction pour leur programme. Il a
par le pouvoir propagent un racisme primaire et Ses relations avec la d’ailleurs souligné que tout parti albanais
l’intolérance. Ils décrivent l’Union européenne Bosnie-Herzégovine de Macédoine qui s’opposerait à cette
comme une institution détestant tout ce qui est sont elles aussi initiative serait considéré comme
serbe. Peut-on bâtir une nouvelle société ou de compromises en raison un “ennemi” de la nation albanaise. Bien
bonnes relations sur de telles bases ? de la menace d’une évidemment, le ministère des Affaires
En Croatie, on s’emploie à réhabiliter en douce sécession des régions étrangères de Macédoine l’a accusé
l’État indépendant de Croatie (1941-1945, créé majoritairement d’ingérence. Mais la vérité, c’est qu’Edi
croates de ce pays. Rama est peu influent auprès des Albanais

I intégrité morale. Écrivain serbe d’origine et son idéologie oustachi, présentée comme un
juive, Filip David a compté parmi les plus “mouvement nationaliste et anticommuniste”.
virulents opposants à Slobodan Milosevic. L’hypocrisie politique est un autre point commun.
Quant à la Slovénie,
Zagreb affiche son
intention de ne pas
de Macédoine. Le plus influent est Hashim
Thaçi, ex-combattant de l’Armée de
libération de Kosovo (UÇK) et actuel
Aujourd’hui, il se montre très critique à Le président serbe ne jure que par Tito (le prési- reconnaître la décision président du Kosovo.
l’égard des nationalistes et populistes au dent historique de la Yougoslavie communiste) de l’arbitrage
pouvoir dans l’ex-Yougoslavie. lorsqu’il visite les États du Proche-Orient pour international sur la 3) Faut-il craindre les appels en faveur
Les relations entre Serbes et Croates, mais aussi y courtiser les pays non alignés, toujours pas frontière maritime de la “Grande Albanie” ?
entre les autres pays de la région, n’ont jamais informés du démantèlement de la Yougoslavie dans la baie de Piran, La Grande Albanie est une invention de la
été aussi mauvaises depuis les années 1990. et des changements survenus dans les Balkans. reprochant aux presse serbe ! Elle n’existe pas en tant que
FILIP DAVID : C’est incroyable à quel point des Le Premier ministre croate n’ose pas enlever la Slovènes d’avoir fait mouvement politique. L’élite albanaise n’a pas
affaires insensées ont marqué ces plaque frappée du slogan des nazis pression sur les juges. de programme d’unification, ni avec le Kosovo
derniers temps les relations entre la croates, qui a été érigée à l’empla- ni avec les Albanais du Monténégro ou de la
Croatie et la Serbie. Il suffit de rappeler cement de l’ancien camp de la mort Macédoine. En Albanie, l’Alliance rouge et
l’affaire du chocolat serbe (distribué de Jasenovac, en même temps qu’il noir, parti nationaliste, n’a obtenu que 1 % des
à Noël par la présidente croate aux effectue, la conscience tranquille, voix lors des dernières élections de 2013. Les
enfants d’une crèche de Dubrovnik ; une visite amicale en Israël. Albanais ont d’autres chats à fouetter, des
elle a dû présenter des excuses), ou —Vlado Vurusic problèmes économiques surtout. Ils souhaitent
l’appel du Premier ministre serbe, INTERVIEW Publié le 5 février plutôt intégrer l’Union européenne !
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
tra n s-
versales.ie
économ
Grexit, le retour
Endettement. Le FMI prône un allégement de la dette
grecque, mais les pays de la zone euro s’y refusent. Faute
d’un accord, le plan d’aide validé en 2015 pourrait capoter.
—Financial Times
(extraits) Londres
A près plusieurs mois passés
loin des projecteurs, le
plan de sauvetage de
la Grèce revient au centre des
inquiétudes des marchés obliga-
taires. Le rendement de la dette
souveraine grecque est en forte
hausse [son taux d’emprunt à dix
ans tourne autour de 8 %, contre
0,30 % pour l’Allemagne], ce qui
reflète les craintes suscitées par
les divergences d’opinion entre la
zone euro et le Fonds monétaire
international (FMI) et par le sen-
timent qu’en cette année riche en
élections en Europe la conjonc-
ture politique sera peu propice à
un accord. De son côté, Athènes
prévient qu’il ne cédera pas aux
“exigences irrationnelles” du FMI.
Quel est le problème ? Les créan-
ciers de la Grèce – les États de
la zone euro et le FMI – n’ont
pas le même avis sur la situation
économique du pays et sur la
manière de rendre son niveau
Techno ......... 38
Signaux .........39
d’endettement supportable. Le
FMI soutient depuis longtemps
que l’austérité imposée à la Grèce
avec le troisième plan de sau-
vetage [adopté à l’été 2015], de
86 milliards d’euros [dont 35 mil-
liards ont été déboursés], doit être
compensée par une baisse des
objectifs d’excédent budgétaire
et par un allégement conséquent
de la dette [qui représente 180 %
du PIB]. Mais un groupe de parti-
sans de la rigueur, Allemagne en
tête, s’y refusent, faisant valoir
qu’une plus grande indulgence
De Groene Amsterdammer, Pays-Bas.
pénaliserait leurs contribuables.
Tant que ce désaccord subsistera,
le FMI ne participera pas au troi-
sième plan. Pour l’heure, seul le
mécanisme européen de stabilité,
doté de 500 milliards d’euros,
prête de l’argent à la Grèce.
En quoi cela est-il important ?
Berlin n’a jamais vraiment fait
confiance à la Commission euro-
péenne pour superviser le ren-
flouement de la Grèce. Depuis
l’adoption du premier plan, en
2010, l’Allemagne insiste pour que
le FMI participe à l’opération, au
motif que lui seul a le savoir-faire
et la crédibilité nécessaires pour
piloter un plan aussi complexe.
Cette exigence s’est progressive-
ment imposée en Allemagne, en
Finlande et aux Pays-Bas, où les
parlementaires ont martelé qu’ils
ne pourraient souscrire longtemps
à un renflouement de la Grèce sans
l’imprimatur du FMI.
Le Fonds devait prendre une
décision avant la fin de 2016, mais
il n’a pas tenu ce délai. Si l’impasse
se prolonge, il pourrait devenir
impossible d’obtenir les appro-
bations parlementaires qui condi-
tionnent le versement des futures
tranches d’aide, ce qui compromet-
trait l’ensemble du plan. Wolfang
Schäuble, le ministre des Finances
allemand, a déclaré que sans le
FMI le plan de sauvetage, dans sa
forme actuelle, était mort. À l’ap-
proche des élections aux Pays-
Bas [en mars] et en Allemagne [en
septembre], le sujet est de plus en
plus sensible dans ces deux pays.
Quels sont les points de désac-
cord ? Le FMI juge irréalistes
certaines exigences de l’UE, en
particulier le fait que la Grève doive
présenter un excédent budgétaire
primaire (hors service de la dette)
de 3,5 % du PIB dès 2018 puis le
maintenir à “moyen terme”. Il pré-
conise un excédent de 1,5 %, mais
les pays de la zone euro devraient
combler la différence en accor-
dant à la Grèce un allégement
substantiel de sa dette. Les prêts
consentis à Athènes seraient alors
si préférentiels qu’ils deviendraient
quasiment des dons, une hypo-
thèse politiquement explosive en
Allemagne. Mais le FMI ne s’oppose
pas seulement à Berlin. Sa longue
bataille verbale avec Athènes s’est
elle aussi envenimée. Doutant de
la capacité du pays à maintenir
l’objectif des 3,5 % d’excédent bud-
gétaire, le Fonds souhaite que le
Parlement adopte des mesures
d’austérité supplémentaires qui
37
↙ Dors bien. Sur le pavé : FMI.
Dessin de Bertrams paru dans
seraient automatiquement mises
en œuvre si Athènes n’atteignait
pas ses objectifs.
Quelles sont les raisons de cette
confrontation ? Elle repose sur le
désaccord profond qui oppose le
FMI et la Commission sur l’avenir
de l’économie grecque. Bruxelles
considère que le FMI s’entête dans
son refus de reconnaître que le
pays se porte mieux que prévu.
Quant au Fonds, qui était exces-
sivement optimiste au début du
plan de sauvetage, il campe sur
sa position : la Grèce ne pourra
pas maintenir ses performances
actuelles [le FMI prévoit 2,7 % de
croissance en 2017, mais seulement
1 % à moyen terme] et la dette
deviendra “explosive” après 2022.
Pourquoi est-il urgent de trou-
ver une solution ? La Grèce a suf-
fisamment de liquidités pour tenir
jusqu’en juillet [elle devra alors
rembourser 7 milliards d’euros]
sans bénéficier d’une nouvelle
tranche d’aide. Mais la réalité poli-
tique est différente: des dirigeants
de l’UE craignent que ce climat
d’incertitude ne sape la confiance
des investisseurs en Grèce – ce
qui entraînerait la réalisation des
prédictions du FMI.
La réunion des ministres des
Finances de la zone euro, le
20 février, sera la dernière avant
les législatives aux Pays-Bas – le
premier des scrutins décisifs qui
auront lieu cette année en Europe.
Tous les décideurs politiques s’ac-
cordent sur la nécessité de sortir
de l’impasse et, en coulisse, les dis-
cussions vont bon train.
Comment parvenir à un accord ?
Il suffit que chaque partie fasse des
concessions, même si c’est plus
facile à dire qu’à faire. Athènes
devrait s’engager sur quelques
mesures d’austérité, le FMI devrait
se résigner à ce que ces mesures
soient moins importantes qu’il
l’espérait, et Berlin devrait revoir
ses exigences à la baisse sur la durée
du maintien de l’excédent de 3,5 %
après 2018. L’Allemagne devrait
également fournir des précisions
sur le futur allégement de la dette.
La question essentielle est de
savoir qui devra faire les plus
grandes concessions, et personne
ne parie sur Berlin ou le FMI. Le
bras de fer dure depuis près de
deux ans, sans le moindre signe de
fléchissement d’un côté comme
de l’autre.
—Jim Brunsden
Publié le 8 février
38. TRANSVERSALES
TECHNO
Les robots
prennent le large
Archéologie. Le développement de petits robots
autonomes et d’un Internet sous-marin efficace
devrait bouleverser les recherches de cités englouties.
—The Guardian Londres
P ersonne ne sait ce qui s’est
passé à Atlit-Yam. Jusqu’en
7000 av. J.-C., cet antique
village semble avoir connu une
existence prospère. Ses habitants
élevaient du bétail, pêchaient et
récoltaient des céréales. Ils dispo-
saient de puits d’eau douce, vivaient
dans des maisons de pierre aux
cours pavées. Toute la communauté
était organisée autour d’un remar-
quable monument : sept pierres de
500 kilos agencées en demi-lune
autour d’une source. Puis, un jour,
tout s’est arrêté.
Ce village, situé autrefois sur
le littoral méditerranéen, repose
aujourd’hui à dix mètres sous les
flots au large de la côte israélienne.
Il a été inondé quand la mer est
montée à la fin de la dernière gla-
ciation. Mais Atlit-Yam avait déjà
été détruit à l’époque, brutalement,
peut-être par un raz-de-marée.
Enfoui sous le sable au fond de l’eau,
le village est considéré comme le
plus grand site d’habitation préhis-
torique le mieux préservé jamais
retrouvé sous la mer. Des sque-
lettes y gisent encore, intacts, dans
leurs sépultures.
Pour les archéologues sous-
marins, Atlit-Yam est un joyau du
néolithique. En étudiant les bâti-
ments, les outils et les vestiges de
ces vies passées, il a été possible de
reconstituer l’activité de ce bourg
animé. “Il semble qu’il ait été habité
jusqu’au jour où il a été submergé”,
dit Benedetto Allotta, directeur
du département de génie indus-
triel de l’université de Florence.
Pour en brosser un tableau plus
complet, les chercheurs ont besoin
d’autres sites comparables. L’ennui,
c’est qu’ils sont difficiles à repérer.
En janvier a été lancé Archeosub,
un projet qui devrait bouleverser
la quête des cités englouties, des
épaves et autres curiosités sous-
marines. Sous la férule de cher-
cheurs italiens, la construction
d’une nouvelle génération de robots
sous-marins ou véhicules sous-
marins autonomes (AUV) destinés
aux archéologues va ainsi com-
mencer. “On peut trouver un grand
nombre d’installations humaines
[englouties] pas très loin de la côte,
explique Benedetto Allotta. En
Méditerranée, il y a sans doute beau-
coup d’autres Atlit-Yam qui attendent
d’être explorés et étudiés.”
Marchandises. L’idée est de
confier des AUV sophistiqués à
des chercheurs toujours à court de
moyens financiers. Ce qui passe
entre autres par la transforma-
tion d’une technologie coûteuse
et lourde utilisée par l’armée et l’in-
dustrie pétrolière en robots beau-
coup moins chers et plus légers. Ces
derniers doivent être abordables
pour les archéologues, et assez
légers pour être lancés depuis un
petit bateau, voire depuis la côte,
plutôt qu’à l’aide d’un treuil à bord
d’un grand navire de recherche.
La réduction du coût et du
poids n’est qu’un début.
L’équipe à l’origine
d’Archeosub a éga-
lement commencé
à produire des AUV
plus intelligents. Une fois
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
immergés, les sous-marins peuvent
s’intégrer à un “Internet sous-
marin” qui apporte la puissance
du Wi-Fi jusque dans les profon-
deurs. Une fois connectés, les AUV
peuvent communiquer entre eux
et élaborer, par exemple, la façon
la plus efficace d’étudier un site ou
de repérer des objets précis sur les
fonds marins.
Les essais l’ont démontré, cette
approche fonctionne. À Porto, dans
le nord du Portugal, quand des
cargos perdent des conteneurs, il
est possible de déployer des AUV
pour retrouver les marchandises
perdues. L’an dernier, l’équipe de
Benedetto Allotta a envoyé trois
AUV à la recherche d’épaves au
large de Marzamemi, en Sicile.
C’est là que repose celle d’un navire
romain, dite “épave de l’église”, qui
a coulé alors qu’il transportait du
marbre et de la brèche [une roche de
type conglomérat] en partie prédé-
coupés, destinés à la construction
d’une église, au vie siècle de notre
ère. “Nous nous sommes servis des
AUV pour nous faufiler et chercher
d’autres vestiges, raconte Benedetto
Allotta. Nous avons pu reconstituer
la zone où avaient coulé des navires
romains antiques qui apportaient
des colonnes de marbre en Italie.”
Il n’est cependant pas simple de
créer un réseau Internet sous l’eau.
Sous la surface, les ondes électro-
magnétiques utilisées dans le Wi-Fi
ne se déplacent que sur quelques
centimètres. Il faut faire appel à un
mélange plus complexe de techno-
logies. Les ondes acoustiques, qui
sont affectées par la profondeur, la
température, la salinité et le vent
de surface, permettent de commu-
niquer sous l’eau sur de grandes
distances. Et à courte portée, les
AUV peuvent échanger des don-
nées grâce à des rayons lumineux.
Mais des solutions plus inventives
sont envisagées. Un AUV qui tra-
vaillerait sur le fond marin pour-
rait transférer ses données vers un
second robot qui, lui, remonterait à
la surface et transmettrait le tout
par satellite. Des AUV capables de
transmettre des images depuis les
fonds marins par les ondes acous-
tiques et de se connecter à d’autres
pour se recharger sont en dévelop-
pement. En surface, des balises
GPS indiquent aux robots où ils
se trouvent.
“Si on veut mettre en
place une sorte d’Inter-
net sous-marin, on ne
peut pas faire appel à la
technologie conçue pour
le monde terrestre”, com-
mente Chiara Petrioli, ingé-
nieure informaticienne qui
travaille à l’université de Rome
dans le cadre du projet Sunrise.
“Il faut être plus malin que ça.”
David Lane, spécialiste en
ingénierie autonome à l’univer-
sité Heriot-Watt d’Édimbourg,
a créé une version maritime de
Dropbox [un service de stockage
et de partage de fichiers] pour cet
Internet sous-marin. Elle permet
aux AUV de partager les infor-
mations des scans des fonds
marins et d’autres données.
Si un AUV, lors d’un premier
passage, repère un objet inté-
ressant sur le fond, il peut en
partager les coordonnées
↙ Dessin de Falco,
Cuba.
avec un AUV voisin, équipé de
caméras et de sonars plus perfor-
mants, et réclamer une inspection
plus détaillée. “En archéologie sous-
marine, ces véhicules ont un poten-
tiel énorme, s’enthousiasme David
Lane. Les fonds marins regorgent de
richesses historiques.”
Le golfe de Baratti, au large
de la Toscane, est l’un des sites
où Benedetto Allotta prévoit de
déployer les nouveaux AUV. En
1974, on y a retrouvé une épave
remarquable, à 18 mètres de pro-
fondeur. Plus qu’un navire mar-
chand, le vaisseau, vieux de deux
mille ans, était une boutique d’apo-
thicaire flottante. Plus d’une cen-
taine d’étuis en bois en ont été
retirés, ainsi que d’autres équipe-
ments médicaux antiques, dont des
boîtes en étain abritant des com-
primés. D’autres navires romains
ont sombré, éparpillant au fond
des mers leur cargaison d’huile
d’olive et de vin conservés dans
de grandes jarres de terre cuite,
les dolia. Souvent, il ne reste que
les dolia. Les bateaux en bois, eux,
ont disparu ou sont enfouis sous
la vase. Benedetto Allotta espère
obtenir les premiers résultats des
essais du projet Archeosub cet été.
“Pour l’instant, nous ne pouvons pas
encore donner aux archéologues la
technologie qu’il leur faut, conclut-il.
Mais nous touchons au but.”
—Ian Sample
Publié le 29 décembre 2016
SUR NOTRE SITE
courrierinternational.com
Vous vivez à l’étranger ou comptez
vous y installer ? Vous trouverez
infos et conseils sur notre site.
Cette semaine, par exemple :
un article sur le mal du pays
(comprendre et guérir) et des
témoignages de femmes expats
qui vivent à Delhi.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017 TRANSVERSALES. 39

Chaque semaine, une page

sig n au x visuelle pour présenter

l’information autrement

Plus chère la vie

Depuis le passage à l’euro en 2002, les prix n’ont cessé d’augmenter. En Espagne, certains ont été multipliés par trois.

QUELQUES EXEMPLES * Carte de 10 trajets

de bus ou métro
DE LA HAUSSE DES PRIX à Barcelone. Une formule
déjeuner Un ticket
EN QUINZE ANS Une carte T-10*
de cinéma
(EN EUROS)
9,95 + 66,3 % 10
+ 87 % 9,70
PRIX EN NOVEMBRE 2001 + 95,5 %
ENTRE PARENTHÈSES, EN PESETAS
9
[monnaie espagnole avant le passage à l’euro]

PRIX EN NOVEMBRE 2002 8,25

PRIX EN NOVEMBRE 2016
VARIATION EN %

6,01
Un paquet
de Marlboro 5,32 (1 000)
5,50

+ 102 % 4,85 (885)

4,96
(825)

2,40 2,50
Un café Une bière
Une baguette (400) pression
de pain dans un bar
+ 116,6 %
Un stylo à bille + 139,5 % 1,15 1,30
+ 200 % 0,90 1 1,10
+ 133 % 0,70
0,45 0,48 0,60
0,30 0,30 0,35
(80) (100)
(50) (50)
2001 2002 2016 2001 2002 2016 2001 2002 2016 2001 2002 2016

EL PERIÓDICO DE CATALUNYA. Fondé en 1978, c’est le à l’euro en 2002. “Certains articles qui valaient 100 pesetas sont
premier journal espagnol à avoir lancé une version électronique, passés du jour au lendemain à 1 euro (166,4 pesetas), soit une
La source en 1994. Cette infographie publiée le 30 décembre 2016 montre augmentation de 66 %, écrit le quotidien catalan. La population
l’évolution du prix de quelques produits depuis le passage a eu le sentiment que tout était à l’avenant.”
360
40. Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017

MAGAZINE
Bello FiGo, ne tirez pas sur le rappeur q Culture.... 44
Ceci n’est pas une métaphore q Tendances........... 46

n 2016, un certain nombre d’événements m’ont

Qu’est-ce E
conduit à m’interroger sur l’expression “être un
authentique Japonais”. Au mois d’août, la double
nationalité de Renho Murata, d’origine taïwanaise,
a posé problème pour sa nomination à la tête
du Parti démocrate progressiste, la principale
force d’opposition. Mais aux Jeux olympiques de Rio,

qu’être plusieurs sportifs d’origine étrangère, dont l’athlète

Asuka Cambridge [né en Jamaïque d’un père jamaïcain
et d’une mère nipponne], ont été encouragés par un
grand nombre de Japonais.
Dans le quartier de Homigaoka, dans la ville de Toyota
[fief du constructeur automobile du même nom], la moitié

japonais ? des 7 000 habitants sont de nationalité étrangère [et servent

généralement de main-d’œuvre dans les usines]. Marco
Soares, un lycéen de 18 ans, fait partie de ceux qui avaient
les yeux rivés au petit écran durant les Jeux olympiques.
De nationalité brésilienne, il descend d’arrière-grands-
parents japonais. Il s’est lancé dans l’athlétisme à partir
du lycée et a remporté des tournois régionaux. Dans l’ave-
Ils sont métis ou nés dans nir, il souhaite être naturalisé et participer aux Jeux olym-
piques. Ses yeux clairs contrastent avec sa peau mate, mais
un pays lointain, et leur sa manière de s’asseoir le dos bien droit et de parler par-
fois d’un air intimidé est celle de tous les Japonais de
présence sur le sol nippon son âge. Quand je lui demande s’il soutient davantage
les athlètes d’origine étrangère, il répond aussitôt :
ne va pas de soi. En tout cas “Non, pas du tout. Je me considère moi-même comme
un simple Japonais.”
pour ceux qui restent Ses amis d’enfance sont pour la plupart brési-
liens. Mais il s’est toujours efforcé de fréquenter
convaincus que les Japonais aussi des enfants japonais pour bien apprendre
cette langue, car il souhaitait aider ses parents
composent une population en leur servant d’interprète. S’il envisage de
demander la nationalité, ce n’est pas parce que
homogène. Mais à l’heure cela lui permettra de participer plus facilement
aux Jeux olympiques. “J’ai envie de passer toute
où l’archipel vieillit ma vie au Japon. C’est le pays où je suis né et où j’ai
et se dépeuple, n’est-il pas grandi, et j’ai un peu de sang japonais dans les veines.
Pourquoi ne serais-je pas japonais ?”
urgent d’en finir avec
ce mythe du “sang pur” ?
—Asahi Shimbun Akihito, empereur
Il est depuis 1990 le “symbole de l’État
Tokyo et de l’unité du peuple”, comme formulé
dans la Constitution. Bien qu’il ne possède
aucun pouvoir politique et n’ait pas le droit
de s’exprimer sur les affaires publiques,
il joue un rôle unificateur. À sa manière,
et dans les limites protocolaires, il se montre
proche des peuples. Son allusion à ses origines
coréennes dans un discours prononcé en 2002,
lors de la Coupe du monde de football organisée
conjointement avec la Corée du Sud, a surpris
DÉBAT beaucoup de Japonais. Photo Imperial Household
Agency of Japan/Reuters
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Certaines célébrités d’origine étrangère souhaitent en
finir avec les stéréotypes sur l’apparence physique
des Japonais. En 2015, Ariana Miyamoto, née
il y a vingt-deux ans d’un père africain-
américain et d’une mère nipponne, a été
choisie pour représenter l’archipel au
concours de Miss Univers. Élevée par
sa mère et sa grand-mère japonaises à
Sasebo [où se trouve une base navale
américaine, près de Nagasaki], elle a
subi des brimades dans son enfance
pour la couleur de sa peau. Ne sup-
portant plus d’être stigmatisée, elle a
passé ses années de lycée dans sa famille
paternelle, aux États-Unis. Malgré cela,
elle se souvient aussi d’avoir éprouvé
du soulagement à son retour au Japon.
Au lendemain de sa sélection, les féli-
citations mais aussi les injures et les
commentaires racistes ont afflué sur
Internet. Ariana n’a pas été surprise
par ces critiques, mais elle espérait
surtout qu’elles donneraient lieu à
un véritable débat. C’est le suicide
d’un de ses amis d’origine étran-
gère qui l’a décidée à se présenter
au concours de beauté. Son ami se
sentait très mal au Japon, pourtant
son pays natal. On se moquait régu-
lièrement de “ce métis qui ne parlait
même pas l’anglais”.
e veux que les gens sachent
J
qu’il y existe des Japonais
d’apparence différente.”
A r ia n a a reç u en
un an plus de 400
demandes d’inter-
view. Les médias étrangers
ont été particulièrement nom-
breux à réagir. Voici ce qu’on
a pu lire dans le magazine
américain Newsweek : “Les
Japonais sont confrontés à un
choix : soit ils continuent à agir
comme par le passé et, avec la
récession économique, ils perdent
leur place sur la scène mondiale, soit
ils s’habituent à voir des ‘clous qui
dépassent’[expression japonaise péjorative
pour désigner ceux qui ne sont pas conformes
à la norme] et ouvrent la porte [à l’immigra-
tion].” Pourquoi les journalistes étrangers
se sont-ils ainsi intéressés à une candidate
japonaise à la peau mate ? L’auteur de l’article
de Newsweek, Taylor Wofford, fournit la
réponse suivante : “Dans le monde entier, on a
tendance à considérer les Japonais comme un peuple
360°. 41
SOURCE
ASAHI SHIMBUN est une véritable institution.
Tokyo, Japon Trois mille journalistes, répartis
Quotidien, 11 720 000 ex. dans 300 bureaux nationaux et
asahi.com 30 à l’étranger, veillent à la récolte
Fondé en 1879, chantre de l’information. L’article que nous
du pacifisme nippon depuis vous proposons ici a été publié
la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre d’une série intitulée
le “Journal du Soleil-Levant” “D’où venons-nous ?”.
Ariana Miyamoto,
Miss Japon 2015
Il y a deux ans, elle a été la première métisse élue
pour représenter le pays au concours de Miss
Univers. Née en 1994 d’une mère japonaise et d’un
père africain-américain qui travaillait sur la base
américaine de Nagasaki, elle a depuis déclaré
la guerre aux stéréotypes physiques. Interrogée
sur sa double nationalité par les médias nippons,
elle a répondu qu’elle ne garderait à l’avenir que
sa nationalité japonaise. Photo John Locher/AP/Sipa
homogène. Le choix d’Ariana Miyamoto comme candidate
a été perçu par certains médias comme un signe de chan-
gement.” En 2016, une Japonaise d’origine indienne,
Priyanka Yoshikawa, a également été choisie pour
représenter le Japon au concours de Miss Monde.
Mais, à l’origine, les Japonais étaient-ils vraiment un
peuple homogène ? Selon Kenichi Shinoda, directeur
du département d’anthropologie du musée national
de la Nature et des Sciences, si l’on classait l’ADN
mitochondrial (transmis par la mère) des popu-
lations mondiales en cent groupes, les Japonais
seraient représentés dans une vingtaine de ces
groupes. Cette proportion étant plus importante
que celle trouvée chez leurs voisins de Corée
du Sud et du nord-est de la Chine, il en déduit
que “les Japonais peuvent être considérés comme
un groupe ayant une grande diversité génétique”.
L’humanité descend d’Homo sapiens, apparu
en Afrique il y a quelque 200 000 ans et qui
a commencé à essaimer dans le monde voici
60 000 ans. Selon la thèse actuelle, fondée sur
les progrès de la génétique, l’archipel nippon a
d’abord été peuplé par les Jomons [entre 14 000
et 350 av. J.-C. environ], auxquels se sont ultérieu-
rement mélangées les populations yayois, venues du
continent asiatique en apportant l’agriculture et les tech-
niques métallurgiques [approximativement de 300 av.
J.-C. à 300 ap. J.-C.]. Jusqu’à récemment, la thèse domi-
nante, fondée sur des éléments comme la structure du
squelette, était que le peuple jomon formait un groupe
homogène d’origine méridionale. Mais, pour M. Shinoda,
La thèse du “peuple mélangé”
convenait à un pays qui
entendait régner sur d’autres
peuples d’Asie.
42. 360°
il présentait par endroits une certaine diversité, due à
des migrations en provenance de l’île de Sakhaline [au
large de la Sibérie] et de la péninsule coréenne.
L’ADN du peuple jomon se retrouve toujours aujourd’hui
chez de nombreux Japonais. Pour l’anthropologue, c’est
la preuve que ce peuple a pu coexister pacifiquement avec
les Yayois : “Les nouveaux arrivants ont été acceptés et se
sont intégrés à la population locale. Il semble que c’est juste-
ment cette tolérance qui fonde la particularité japonaise.” La
majeure partie de l’archipel a ensuite été unifiée par la
cour du Yamato [fondée par des cavaliers venus de Corée,
à partir du IIIe siècle], pour former le Japon tel qu’on le
connaît aujourd’hui. Bien qu’une grande partie du proces-
sus d’unification demeure inconnue, le Kojiki et le Nihon
shoki, deux recueils de textes datant du VIIIe siècle, men-
tionnent la résistance des Kumasos sur l’île de Kyushu,
des Izumos dans la région de San-in [dans le sud-ouest de
l’île de Honshu] et des Emishis dans la région du Tohoku
[nord-est de l’île de Honshu]. Si l’on en croit certains cher-
cheurs, ces populations étaient considérées comme des
peuples autochtones par le pouvoir impérial.
Entre 1639 et 1854, le gouvernement a décidé la fermeture
du pays [entre autres par refus des missionnaires chrétiens].
Durant cette période, la ville de Nagasaki a su maintenir
des contacts avec l’étranger. Selon Toka Chin, directeur de
l’Association pour l’histoire des échanges entre Nagasaki
et la Chine, la ville comptait jusqu’à 60 000 habitants à
certaines périodes, et recevait alors la visite de quelque
10 000 Chinois par an. Un certain nombre d’entre eux ont
même épousé des Japonaises issues de grandes familles.
“Épouser un Chinois devait être considéré comme un hon-
neur à l’époque”, fait observer M. Chin, qui raconte que les
enfants de ces couples mixtes servaient généralement de
traducteurs auprès des délégués au commerce.
ais une fois que le Japon a été modernisé
M
et a commencé à rivaliser avec les grandes
puissances occidentales, le mépris vis-à-vis
des peuples d’anciennes civilisations comme
la Chine et la Corée a gagné du terrain. Et
c’est à l’époque où le Japon expansionniste
a annexé Taïwan [en 1895] et la Corée [en 1910] que la
thèse de la diversité des origines du peuple japonais
s’est largement répandue. Dans un ouvrage publié en
1995, Tan-ichi minzoku shinwa no kigen [“Les origines
du mythe du peuple unique”, non traduit], le sociologue
Eiji Oguma étudie comment cette thèse a évolué entre
la fin du XIXe siècle et le XXe siècle. Avant la Seconde
Guerre mondiale, l’idée généralement admise était que
les Japonais s’étaient mélangés depuis les temps anciens
à des populations du continent asiatique. Cette thèse
était enseignée à l’école et certains manuels pré-
sentaient les Kumasos et les Emishis comme des
peuples étrangers qui s’étaient intégrés au peuple
yamato [l’ethnie aujourd’hui majoritaire sur
l’archipel]. À l’époque de l’annexion de la
Corée, en 1910, l’Asahi Shimbun écrivait
dans sa tribune : “Tous les anthropologues
s’accordent à penser que le peuple japonais est
issu d’un large brassage avec d’autres populations
du monde.”
Si la thèse de “peuple mélangé” a été mise en avant,
c’est parce qu’elle convenait à un pays qui enten-
dait régner sur d’autres peuples d’Asie. Mais, avec
la défaite de 1945, les Coréens et les Taïwanais ont
perdu leur nationalité japonaise. C’est alors que la
thèse actuelle du peuple unique – celle d’un peuple
vivant en paix dans un pays insulaire depuis les
temps anciens – a fait surface. Selon M. Oguma,
cette thèse “cadrait avec la perte générale de confiance
des Japonais dans les relations internationales et la las-
situde vis-à-vis de la guerre”. Pendant la période de
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Renho Murata,
chef de l’opposition
Née en 1967 d’un père taïwanais et d’une mère
japonaise, elle a été ressortissante taïwanaise
jusqu’en 1985, année où la législation
lui a permis de devenir japonaise. À la suite
d’une erreur de procédure, elle est toutefois
binationale, une rareté au Japon.
Ex-mannequin et ex-journaliste, elle est
devenue en 2016 la première femme
à diriger le Parti démocrate progressiste,
principale force d’opposition. Accusée
de ne pas être loyale à la nation en raison
de sa binationalité, elle a mis un terme
à celle-ci. Photo Kyodo News via Getty Images
l’essor économique qui a suivi, le concept d’homogénéité a
été en parfaite adéquation avec une société centrée sur ses
entreprises. Quand le pays a enfin accédé au rang de puis-
sance économique, les milieux politiques ont présenté le
“peuple unique” comme une particularité et un atout du
Japon. Selon les chiffres de l’ONU, le pourcentage d’im-
migrés est supérieur à 10 % dans tous les pays développés.
Bien qu’il faille se garder de comparaisons simplistes, la pro-
portion d’étrangers résidant au Japon demeure inférieure
à 2 %. Or le pays est confronté à un grave déclin démo-
graphique. Le gouvernement actuel, qui s’est donné pour
objectif de stabiliser la population autour de 100 millions
d’habitants au cours des cinquante prochaines années, a
annoncé un plan d’aides à la naissance et à l’éducation. Il a
également décidé d’accueillir davantage d’apprentis et de
travailleurs qualifiés étrangers. Le gouvernement a même
fait le calcul suivant : pour maintenir la population au-
dessus des 100 millions, il faudrait que l’archipel accueille
200 000 étrangers par an et que le taux de fécondité, qui
était de 1,45 enfant par femme en 2015, remonte à 2,07.
Face aux critiques selon lesquelles ces “étrangers” seraient
en fait des “immigrés”, le Premier ministre Shinzo Abe
[ultraconservateur] ne cesse de répéter au Parlement qu’il
n’envisage aucune politique d’immigration à proprement
parler. La forte résistance de la société japonaise vis-à-vis
du terme “immigration” témoigne de son attachement à
la thèse du peuple unique. “Ceux qui vivent dans l’illusion de
l’homogénéité et qui ne font pas grand cas de leur propre indi-
vidualité ne peuvent pas approuver la présence d’individualités
différentes”, explique Masataka Okamoto, professeur asso-
cié à l’Université préfectorale de Fukuoka. Dans le cadre
de recherches sur la protection des droits des Coréens
résidant au Japon, il a étudié de près la politique menée
à l’égard des minorités étrangères. En passant en revue
les déclarations de personnalités politiques sur le “peuple
unique”, il s’est étonné que ce peuple ne soit jamais réel-
lement nommé. “S’il s’agit du ‘peuple yamato’, je ne suis pas
concerné, puisque je suis d’origine izumo”… “Après la guerre,
le concept de peuple unique mais aussi le sentiment d’apparte-
nir à ‘un peuple’s’est propagé au Japon avec une rapidité inat-
tendue”, souligne-t-il.
Aujourd’hui, le mot “Japonais” est sur toutes les
lèvres et dans tous les médias, et certains appellent
même ouvertement à l’expulsion des étrangers. Pour
M. Okamoto, ce peuple a perdu ce à quoi il pouvait
autrefois se raccrocher : ses racines, ou encore sa
culture d’entreprise [sur laquelle peut se fonder
le sentiment d’appartenance]. Si l’on réduisait à
un an les quarante siècles au cours desquels l’ar-
chipel a été habité, le temps écoulé depuis la
modernisation ne représenterait pas plus d’un
jour. Dans un monde où la circulation des
personnes ne cesse de s’accroître, quelles
sont les valeurs qui doivent nous consti-
tuer, et que doit-on continuer à défendre ?
—Takura Asakura
Publié le 3 janvier
Le concept d’homogénéité
a été en adéquation
avec une société centrée
sur ses entreprises.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Asuka Cambridge, athlète
Il a vu le jour en Jamaïque en 1993, deux ans avant
que ses parents, un couple nippo-jamaïcain,
ne s’installent à Osaka. Aux Jeux olympiques de Rio,
en 2016, lui et ses coéquipiers sont arrivés deuxièmes
du 4 × 100 mètres, derrière les Jamaïcains emmenés
par Usain Bolt. De quoi être fêtés en héros de retour
au pays. Dans le milieu sportif, les métis et les étrangers
naturalisés sont nombreux : l’équipe nationale de foot
compte quelques Brésiliens, et plusieurs lutteurs
de sumo sont d’origine mongole ou hawaïenne.
Photo Asahi Shimbun via Getty Images
Priyanka
Yoshikawa,
Miss Japon 2016
Chargée de représenter son pays
au concours Miss Monde en 2016,
elle affirme avoir été encouragée
par le succès d’Ariana Miyamoto
(voir p. 41). De père indien et de
mère nipponne, elle a souffert
de brimades pendant son
enfance au Japon. Le profil
atypique de cette jeune
femme de 23 ans intrigue
l’archipel : elle est non seulement
interprète-traductrice, mais
aussi dresseuse d’éléphants.
Photo Toru Yamanaka/AFP
360°. 43
En bref
UN ARTICLE POLÉMIQUE
L’article de l’Asahi Shimbun que nous vous
proposons ici a suscité de vifs débats sur
la Toile. Le mythe de l’homogénéité des Japonais
est un sujet très sensible ; l’aborder est souvent
considéré comme un manque de loyauté
à l’égard de la nation. Difficile, donc, d’évoquer
les différentes ethnies qui peuplent le pays
et les discriminations dont elles sont victimes
depuis des siècles, qu’il s’agisse des Aïnous
au Nord, des Okinawais au Sud ou encore
des zainichi, ces Coréens résidant au Japon
qui ont été dénaturalisés en 1945. Tout aussi
délicat est le sujet des métis, ou hafu
(néologisme formé à partir de l’anglais half,
“moitié”). De plus en plus nombreux dans
le show-business, ils sont souvent des métis
occidentaux à la peau claire. C’est pourquoi
l’émergence d’une Miss Japon comme Ariana
Miyamoto a tant fait réagir en 2016.
L’ÉPINEUSE QUESTION
DE LA NATIONALITÉ
Pour être japonais, le droit du sang est
prédominant. De 1873 à 1950, les Japonaises
se mariant à des étrangers étaient déchues
de leur nationalité. Jusqu’à un assouplissement
de la loi, survenu en 1985, il fallait obligatoirement
avoir un père japonais pour prétendre
à la citoyenneté. Le Japon est aujourd’hui le seul
pays du G7 à ne pas reconnaître la double
nationalité : les binationaux, estimés à environ
800 000 personnes, sont priés de renoncer
à l’un de leurs passeports avant d’avoir 22 ans.
Et pour les étrangers, être naturalisé reste
un privilège accordé aux élites.
44. 360°
culture.
Bello FiGo
Ne tirez pas
sur le rappeur
Immigré né au Ghana, ce chanteur italien récupère
dans ses textes les pires clichés racistes. Il énerve la
droite, désarçonne la gauche… Et fait abondamment
parler de lui. Analyse d’un phénomène.
—Vice Italia (extraits) Milan
I l m’est arrivé quelque chose d’étrange
dimanche dernier : j’étais en train
de déjeuner avec toute ma famille
quand un reportage sur Bello FiGo est
passé au JT. Or, contrairement à ce qui
se passe d’habitude quand il est ques-
tion de rappeurs italiens, je n’ai pas été
obligé d’expliquer – même pas à ma mère
– de qui il s’agissait. Quand j’ai voulu le
faire, je me suis entendu répondre : “Je
vois qui c’est, j’en ai entendu parler.” C’est
à ce moment-là que j’ai pris la mesure de
la célébrité de Bello FiGo.
Il s’est passé environ un mois depuis
que le rappeur a été jeté en pâture sur
le plateau de l’émission politique Dalla
vostra parte, le salon des défenseurs du bon
peuple sur la chaîne Rete 4 [voir encadré].
Présenté comme “le réfugié qui se vante de
ne pas payer de loyer” face à Alessandra
Mussolini [petite-fille du Duce et euro-
députée de droite dure], il a fini par lui
répondre par un dab [un geste de victoire
prisé des rappeurs et des footballeurs].
Depuis ce moment-là – un moment par-
ticulièrement notable dans l’histoire de
la télévision italienne –, bien des choses
ont changé.
Jusqu’alors, Bello FiGo [“beau gosse”]
faisait le buzz sur Internet, mais rien de
plus. Il était connu comme le principal
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
représentant de la scène “lol rap”, qui d’actualité et la manœuvre lui a réussi. désobligeants, d’insultes racistes, voire
a explosé vers 2012 avec des rappeurs C’est là qu’il a été invité à la télévision. de menaces, si bien que les organisateurs
comme Trucebaldazzi [auteurs d’un rap Et, du jour au lendemain, il est devenu
bricolé, très populaire sur les réseaux une sorte d’icône pop : le nombre de vues
sociaux]. Après avoir débuté avec des de ses clips a explosé et avec lui celui des
tubes totalement ineptes du
type Mi faccio una sega [“Je me
commentaires indignés de ceux
MUSIQUE qui le comprenaient de travers.
ont été obligés de tout décommander. Le
même genre de commentaires tapisse
aussi quotidiennement la page Facebook
de Bello FiGo.
Mais si certains l’insultent, d’autres se
branle”], il s’est mis à com- Comme souvent avec les phéno- sont mis – plus ou moins consciemment –
poser des chansons toutes semblables, mènes du web, la bulle avait fini par écla- à reprendre ses gestes et sa musique dans
conçues pour devenir virales. Puis il a ter et la farce était parvenue aux oreilles un but tout autre que celui de le dénigrer.
atteint une “zone de confort” et a com- de tout le pays, y compris de gens qui Un exemple suffit à lui seul à l’illustrer :
mencé à apparaître comme un rappeur n’étaient pas en mesure de la comprendre. le 14 janvier, à Milan, le parti d’extrême
à part entière, une sorte d’équivalent de Tout s’est passé en un éclair. Bello FiGo, droite Forza Nuova organisait une mani-
[l’Américain] Riff Raff. qui jusque-là bricolait des chansons sur les festation. Un groupe de jeunes qui se trou-
C’était avant de sortir ses deux titres pâtes au thon, est soudain devenu un per- vait là par hasard s’est mis à “dabber”
les plus connus, Non pago affitto [“Je ne sonnage dérangeant, le symbole de tout devant les fascistes en écoutant Non pago
paie pas de loyer”] et Referendum costitu- ce que la droite italienne a en horreur. La affitto à plein volume. Comment l’expli-
zionale [à propos du référendum constitu- poupée vaudoue qui concentre sur elle quer ? Et surtout, comment se fait-il que
tionnel du 4 décembre dernier]. De toute les tentatives de censure et les intimida- l’on ait parlé davantage de ces jeunes que
évidence (du moins à mon avis), il n’y avait tions des fascistes et racistes de tout poil. de la contre-manifestation officielle orga-
aucune intention politique derrière ces Il suffit de regarder ce qui s’est passé ces nisée à la même heure par l’Anpi [l’Asso-
chansons. Bello FiGo a sans doute sim- derniers mois. Depuis décembre, Bello FiGo ciation nationale des partisans italiens,
plement choisi de surfer sur des thèmes s’est déjà vu annuler une série de concerts qui défend la mémoire de la lutte contre
pour raisons de sécurité. À Mantoue, on les fascistes] ? Bello FiGo serait-il devenu
a même vu fleurir des affiches contre lui plus qu’un rappeur, un symbole politique ?
sur les murs de la ville et, après l’annu- “Je ne crois pas que Bello FiGo soit une icône
lation de la soirée, le maire de l’antifascisme”, analyse Pablo, un jeune
a déclaré que “ce personnage homme qui était à la contre-manifestation.
[créait] des tensions”. Même “Je crois plutôt que les fascistes font une fixa-
chose à Brescia et Legnano : tion sur lui parce qu’il fait quelque chose d’assez
les “événements Facebook” simple : il reprend les discours racistes enten-
montés pour l’occasion ont dus au café du commerce et en fait une sorte
été inondés de commentaires de rap approximatif. Ce faisant, il est devenu
← “Nous voulons : de l’argent,
des salaires, du wifi” : extraits
du clip Non pago affitto.
Photos YouTube.
Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017
Contexte
“GQ ITALIA”/YOUTUBE
L’ÉMISSION QUI A TOUT CHANGÉ
“Moi, je ne paie pas de loyer / Tous mes
amis sont arrivés ici par bateau / À
peine arrivés, nous avons un logement,
des voitures, des belles meufs / Je ne
me salis pas les mains, parce que je
suis déjà noir.”
C’est cette chanson, Non pago affitto
(“Je ne paie pas de loyer”), qui a valu
à Bello FiGo d’être invité à Dalla vostra
parte, relate Il Foglio. Une émission de
la chaîne privée Rete 4 “dont le public
est habitué à entendre à peu près ce
que chante le rappeur [né au Ghana et
immigré en Italie] : les immigrés ne sont
pas des réfugiés, ils ont la belle vie, ils
vivent à l’hôtel, ils veulent nos
femmes”. Le journal décrit le tableau :
“Il y a d’abord Belpietro, le
présentateur, qui l’interroge, en le
vouvoyant : ‘M. Bello FiGo, pourquoi
faites-vous des chansons provocatrices
sur des sujets qui énervent les
Italiens ?’ ; lui, qui répond que ce ne
sont pas des provocations mais des
droits fondamentaux. [L’eurodéputée
de la droite dure] Alessandra Mussolini
qui hurle qu’il devrait être chassé
à coups de pied parce qu’il fait de
l’argent sur la souffrance des Italiens,
puis un autre invité qui l’accuse
d’inciter au viol.” Bref, “un non-sens
total”. En invitant Bello FiGo, ajoute
le Corriere della Sera, “le présentateur
savait qu’il susciterait des réactions. Le
malentendu – ironie contre indignation
– a fait le reste”. De fait, l’émission
a été abondamment commentée dans
la presse. Pour Il Foglio, Bello FiGo
est sans doute “le véritable intellectuel
de référence de cette période dadaïste.
Avec lui, on dépasse le surréalisme
et le situationnisme. Il ne rentre dans
aucune catégorie logique ou musicale,
il ne respecte même pas la grammaire
et la syntaxe”. “S’il n’était pas aussi
vulgaire, ce serait un phénomène
intéressant”, estime GQ. Quant à
La Repubblica, elle a en vain essayé
de le rencontrer. “Une interview ? Je ne
sais pas, souvent je le cherche pendant
des heures et je ne le trouve pas, a
répondu son manager. Même moi je n’ai
pas compris ce qu’il pense sérieusement.”
← Photos Instagram
Bello FiGo (@ilverobellofigo)
l’obsession des gens qui tiennent sérieusement
le discours que lui s’amuse à singer.” Pour
Pablo, cependant, ce procédé – qui, de par
sa nature, fonctionne très bien sur le web –
est différent de ceux de la lutte antifasciste
et ne saurait s’y substituer.
L’extrême gauche italienne est très divi-
sée à propos du rappeur. Le clivage reflète
des divergences préexistantes ; Bello FiGo
a sans doute servi de catalyseur. “Après son
passage sur Rete 4, il y a eu une polémique en
interne entre les ‘pour’ et les ‘contre’, recon-
naît Ivan, un militant d’extrême gauche.
Ceux qui critiquent Bello FiGo disent que sa
représentation caricaturale du racisme contri-
bue à aliéner des tas de gens qu’on pourrait, en
théorie, convaincre par le dialogue.” Il ajoute :
“Personnellement, je crois que, chez les moins
de 35 ans, il est évident pour tout le monde
que Bello FiGo est ironique – ou alors, si cer-
tains ne le comprennent pas, c’est qu’ils sont
irrécupérables.”
Charge contestataire. D’un autre côté,
force est de constater que la méthode Bello
FiGo porte ses fruits. “Bello FiGo fait de la
provoc, il est arrogant, il se fout du monde, et
c’est quelque chose que notre mouvement pra-
tiquait dans les années 1970, mais que nous
avons ensuite complètement perdu, poursuit
Ivan. En plus, il manie l’ironie. Il nous apporte
la démonstration que le discours de l’extrême
gauche italienne est éculé, qu’elle est incapable
de communiquer avec les jeunes – nous faisons
encore des manifs avec des concerts [du groupe
de hip-hop] 99 posse, comme il y a vingt ans.”
Voilà. D’une certaine manière, Bello FiGo
est en train de devenir un artiste politique
malgré lui, même si le message politique le
plus profond qu’il ait délivré à ce jour dans
ses chansons ressemble à ça : “J’ai des chattes
sur la bite / Parce que je ressemble à Berlusconi.”
Ce qui nous amène à une autre obser-
vation. Si la méthode est maligne, Bello
FiGo n’est pas conscient, à mon sens, des
répercussions qu’elle peut avoir. Quelques
jours après l’émission qui l’a fait connaître
du grand public, un article a été publié sur
DinamoPress, un site de la galaxie d’ex-
trême gauche, expliquant comment Bello
FiGo avait “réduit à néant vingt ans de rhé-
torique sur l’immigration, à droite comme à
gauche”. “La seule présence de Bello FiGo sur
le plateau est une humiliation pour les inter-
locuteurs, elle dévalorise leurs contenus poli-
tiques, analyse l’auteur [le sociologue Alessio
Banini]. Or c’est précisément là qu’est le cœur
du débat : désormais, ils n’ont plus de contenu
à proposer, uniquement une forme. Et, sur la
forme, ils se font écraser par un personnage
qui est encore plus absurde qu’eux.”
Je fais part de cet article à Ivan, qui me
semble plutôt d’accord. “Il ne fait pas de poli-
tique au sens classique du terme, mais il te parle
de la vie. Il montre que les migrants sont des
gens comme vous et moi, avec des qualités et des
défauts, des gens qui ont quelque chose à dire.”
Le procédé de Bello FiGo fait donc de lui un
troll [l’un de ces agents perturbateurs qui
grouillent sur la Toile] vis-à-vis de la droite
360°. 45
xénophobe, mais il a également une autre
conséquence : il remet en cause le discours
de la gauche sur les “pauvres migrants”,
réduits à des éléments de langage. En défini-
tive, observe Ivan : “Aujourd’hui, Bello FiGo
représente bien plus que sa personne et ce qu’il
entend représenter.”
Pendant notre conversation, Pablo me cite
le cas de Guilty of Being White [“Coupable
d’être blanc”], un morceau de Minor Threat,
célèbre groupe punk américain, qui est
l’exemple inverse de ce qui s’est produit
avec Non pago affitto. La chanson parle
de l’appartenance à une minorité et des
conséquences qui en découlent, inversant
la question raciale à partir de l’expérience
personnelle du chanteur blanc de Minor
Threat, qui fréquentait une école à majorité
noire. Or cette inversion n’a pas été com-
prise et la chanson est devenue une sorte
d’hymne pour les néofascistes d’Europe de
l’Est. “C’est comme ça que ça marche, chacun
prend les choses et les détourne à son profit”,
commente Pablo. Dans le cas de Bello FiGo,
ses chansons provoc sont arrivées au bon
moment et, aujourd’hui, il y a des gens qui
leur associent une charge contestataire
qu’elles n’avaient pas au départ.
Le fait que ce soit un groupe de jeunes
qui ait relevé cette charge contestataire
et s’en soit servi spontanément – et non
la gauche, qui l’aurait fait de manière
réfléchie – illustre bien, à mon sens, la fai-
blesse de la gauche d’aujourd’hui. Même
si, à vrai dire, il y a eu quelques tenta-
tives [de groupes de gauche d’exploiter
Il est soudain devenu un
personnage dérangeant,
le symbole de tout
ce que la droite italienne
a en horreur.
cette charge dans leur communication sur
Internet]. Il est également caractéristique
que, devant les intimidations dont le rap-
peur a fait l’objet ces dernières semaines,
il n’y ait pas eu de la part de la gauche une
prise de position claire. “Le fait que Bello
FiGo ait engendré cette dynamique de divi-
sion est positif : pour nous, il est important
que la société soit obligée de choisir son camp,
conclut Ivan. En tant que mouvement, il fal-
lait le faire, nous avons perdu une occasion
de défendre quelque chose que beaucoup de
gens auraient compris.”
Cela dit, il ne faudrait pas faire passer Bello
FiGo pour beaucoup plus que ce qu’il est –
c’est-à-dire un provocateur, dont le symbole
politique se trouve davantage dans l’œil de
celui qui regarde que dans ses intentions
propres. Non pago affitto n’est pas Bella ciao,
en somme. Mais, nonobstant ses défauts et
ses limites, il a pris position de la manière
la plus claire qui soit – et, à cet égard, on ne
peut pas ne pas le soutenir.
—Mattia Salvia
Publié le 18 janvier
46. 360° Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017

tendances.
SUR LES
RÉSEAUX
“TWO MOONS”- GABRIEL ISAK

Ceci n’est pas une métaphore

La lune, le corbeau ou encore l’horizon : les symboles se succèdent
dans le projet Blue Journey de Gabriel Isak. En représentant
PHOTO l’état intime et abstrait qu’est la dépression, le photographe suédois
@yungjake
“transforme une période triste de sa vie en une série d’images captivante”,
considère My Modern Met. Il y convoque “des thèmes minimalistes
et un symbolisme sombre”, dont il confie avoir puisé l’inspiration dans
Arcimboldo
les peintures de Magritte et la période surréaliste. version texto
Max et les hackers
ESPAGNE — Avec plus
leurs points faibles en la matière
ainsi qu’à éviter les fuites d’informations.
À travers une “aventure graphique
P our le nez, une orange. Du fro-
mage pour les pommettes, des
fourmis pour les cheveux et des
porte-monnaie pour la bouche. Voici com-
ment @yungjake compose un portrait en
de 70 000 cyberattaques par an, très intuitive” que décrit El País, le petit emojis de Leonardo DiCaprio. Ce “créa-
l’Espagne est le troisième pays chef d’entreprise Max “se confronte teur aux talents multiples”, comme le décrit
du monde le plus touché par à des situations simples de la vie réelle”, The Fader, cumule les talents : rappeur,
les malveillances numériques. et se voit rappeler “les bases vidéaste, graphiste… Pour réaliser ces
Pour endiguer le phénomène, de la sécurité, comme changer portraits 100 % émoticônes, il s’aide du
l’Institut national de cybersécurité régulièrement son mot de passe ou ne site emoji.ink. Cet Arcimboldo postmo-
a mis en place un jeu vidéo qui jamais se connecter à des réseaux derne prend soin de distiller ses créations
enseigne aux entreprises à détecter Wi-Fi non protégés”. avec parcimonie.
 Courrier international — no 1372 du 16 au 22 février 2017 360°. 47

Opération ILS DESSINENT

coffres ouverts LE FUTUR
CANADA — Plusieurs voitures
FILIPPO YACOB, Designer
intégralement couvertes italien, 29 ans
de peinture blanche
DESSIN DE SONDRON, NAMUR, L’AVENIR

stationnent dans des rues

de Toronto ces dernières
Codeurs
semaines. Le coffre ouvert,
les véhicules font office
en culottes
de magasins éphémères
vendant des gants, des
courtes

J’irai revoir Hiroshima

bonnets et des casquettes.
Pas inutile en soi dans la ville
canadienne à l’hiver rugueux.
Mais ces couvre-chefs, vendus
par l’association Raising
the Roof à des fins caritatives,
JAPON — Soixante et onze ans après les bombardements viennent surtout rappeler
du 6 août 1945, Hiroshima inaugure une application pour faire aux habitants de la métropole
connaître aux visiteurs à quoi ressemblait la ville avant les les conditions de vie des SDF,
bombardements. Selon le quotidien japonais Mainichi Shimbun,
l’initiative a pour but de “promouvoir un ‘tourisme de la paix’
explique le Toronto Star.
Le quotidien rappelle aussi
auprès des voyageurs étrangers”. Il suffit de tendre sa tablette le pouvoir symbolique
ou son smartphone vers les endroits concernés pour que l’appli de la voiture, un “endroit
montre en miroir des photos datant d’avant la dévastation dans lequel une personne
nucléaire et diffuse des explications historiques en anglais. sans domicile ou sans accès
“Nous aimerions que les visiteurs apprennent la réalité à un refuge peut être forcée
des dommages causés par la bombe atomique et restent de passer la majorité
aussi plus longtemps à Hiroshima”, a déclaré au journal de son temps pour
un attaché de la ville, chargé du projet. se mettre à l’abri”.
It’s raining
beer
PAYS-BAS — Et si
la sensibilisation aux
problématiques climatiques
passait par la bière ? Peut-être
en partie, en tout cas, selon
la brasserie Hemelswater
d’Amsterdam, qui produit
I l était plombier et élec-
tricien et fait aujourd’hui
parti du célèbre classement
des “30 under 30” du magazine
américain Forbes, qui distingue
30 entrepreneurs sociaux de
moins de 30 ans. C’est l’histoire
un peu folle de Filippo Yacob,
italien de 29 ans aujourd’hui ins-
tallé à Londres, l’inventeur
de Cubetto, un jouet
en bois qui aide les
enfants dès 3 ans
à apprendre les
bases de la pro-
grammation
i n for mat ique.
L’idée lui est venue
à la naissance de son
fils, quand il a réfléchi à un moyen

de la bière en récoltant de l’eau
sur les toits des immeubles.
Son premier breuvage
EN PROJET se nomme Code Blond,
“en référence aux codes
de la prévision météorologique
pour signaliser les événements
dangereux comme les orages,
les tempêtes de neige ou
les fortes averses”, éclaire
le site Pop Up City. En utilisant
les eaux de pluie,
en augmentation à cause
du réchauffement, Joris Hoebe
espère attirer l’attention
sur le sujet et “faire prendre
conscience aux gens que
chacun peut essayer de mieux
adapter la ville à la pluviosité”.
La prochaine étape à son
initiative : produire de la crème
glacée et de la soupe grâce
à la pluie amstellodamoise.
UNIFRORM
PRIMO TOYS
ludique d’en enseigner les rudi-
ments sans devoir pour autant
placer son enfant devant un
écran. Il s’est alors reconverti
dans le design free-lance et se
remet à peine d’une expérience
ratée de start-up. “Je travaillais de
près avec des développeurs web et
des programmeurs informatiques
pour donner vie à toutes sortes de
projets technologiques, cela m’a
aidé à comprendre la puissance
créative du code”, explique-t-il au
bimensuel. Cubetto, selon Yacob,
“s’utilise comme un jouet mais est
aussi puissant et modulable que
n’importe quel outil de langage de
programmation”.

Miam. Retrouvez chaque semaine

la chronique
Courrier d’ailleurs
Des courbes au bord de la Tamise sur OÜI FM

Jeudi à 11 h 30 et samedi à 17 h avec

P eninsula Place, c’est le nom du projet

architectural de Santiago Calatrava qui
devrait “radicalement transformer le quar-
tier de Greenwich”, à Londres, selon Architecture
Digest. Situé à côté de la salle omnisports O2
Arena, le complexe tout en courbes sera enca-
dré de trois gratte-ciel et comprendra, outre
des boutiques, un cinéma et un théâtre. Il sera éga-
lement desservi par une nouvelle station de métro et
de bus. Une transformation ambitieuse, dont le coût
est estimé à 1,25 milliard d’euros et qui, pour l’ar-
chitecte suisso-espagnol, “s’inspire du riche héritage
architectural de Londres et de la géographie très spéci-
fique de la péninsule de Greenwich”.