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LA REVOLTE DE LYNORYA

La fin de la Tyrannie des Elfes


Paul Colombier
Pour Emilie, Valentin, Noël et Marilyne.
CHAPITRE PREMIER
Seriel
Un fracas métallique, de la boue, du sang, un cri de douleur ou de colère, le cœur qui tape
dans les tempes, la peur, les tambours de la guerre provoquant vibrations dans son abdomen.
Sous son armure rudimentaire, Seriel n’était ni courageux ni puissant. Les plaques d’acier
qu’il portait sur le corps pesaient lourd, mais elles n’étaient pas la raison de sa paralysie. La
peur. A ses côtés, ses compagnons se ruaient vers l’ennemi avec une détermination qu’il
n’avait absolument pas. Du sang, une tête roule à ses pieds. Il recula d’effroi, mais la vague
d’acier le poussa vers l’avant. Il tombe, une lame passe au-dessus de sa tête. Le poids des
bottes l’écrasèrent contre le sol boueux, du sang et de la terre mouillée entrèrent dans sa
bouche et maculèrent son visage. Jonya le releva, lui fit simplement un regard complice, puis
repartit en hurlant. Seriel empoigna son épée de fer, hurla de toutes ses forces et plongea dans
la mêlée. Il leva sa lame et l’abaissa. Elle rebondit sur une épaulette et l’entraina en arrière.
Sans en démordre, il asséna un coup d’estoc. « Comme dans du beurre ». Lorsque sa lame lui
parvint à nouveau, des tripes la déguisaient. J’en ai eu un, pensa-t-il gaiement. Il repartit à
l’assaut. Autour de lui, des centaines d’autres, menés par l’espoir, l’espoir d’un renouveau.
L’espoir ne gagne pas une bataille. Le plat d’un glaive lui frappa le heaume. Le coup résonna
à l’intérieur de sa boite crânienne. Pas le temps de respirer, il faut suivre le mouvement. «
Défoncez-leur la gueule ! » hurla un homme, avant de se faire broyer le crâne par un marteau
de guerre. Un elfe coupé en deux, un homme décapité, un elfe énucléé. Seriel frappait
aléatoirement, son fer rebondissait sur les armures ennemies. Une flèche se rua dans la gorge
de son compagnon à sa droite. Le sol, boueux et pourpre. Le ciel, gris sombre teinté du rouge
sanglant. La pluie, fine, gelée et intense transperçait le visage du jeune homme. « A quatorze
ans, on est un homme ou une fiotte », lui avait dit son père alors qu’il lui tendait l’épée qu’il
agrippait fermement. Que penserait mon père en me voyant ? est-il encore vivant ? Bien sûr,
c’est un homme lui, un vrai de vrai. Je dois lui faire honneur ! Il se leva, planta sa lame dans
une jambe en hurlant. Un jeune, à peine plus âgé que lui, trancha à vif la tête blonde de l’elfe
sans défense. Il reprit ses appuis, manqua de glisser, para difficilement une lame volant dans
sa direction, frappa, trancha. Tuer, c’est pas si compliqué. Une lame percuta la plaque en acier
qui protégeait son torse. Sa respiration se coupa net. Un homme fonça dans la mêlée, et créa
une brèche dans les rangs ennemis. Sa tête fut séparée de son corps, mais déjà se dispersaient
les elfes. Des hurlements de terreur, des cris de douleur, des rires, du sang se mêlant à la boue.
Un rayon de soleil transperça les nuages, illuminant le champ de bataille. Quelques heures
auparavant, cet endroit avait été une terre cultivée. Les graines qui y poussaient maintenant
était celle de la violence. Le craquement d’un visage piétiné. Seriel tomba nez à nez avec un
elfe. Il flottait dans son armure trop imposante pour son corps frêle, et son épée courbe
tremblait. Adrénaline ou peur, peu importait. Le jeune homme s’élança en s’exclamant. Sa
lame et son nez se plantèrent dans le sol. Lorsqu’il releva la tête, deux fers étaient croisés au-
dessus de lui. Jonya asséna un coup de pied dans la hanche de son vis-à-vis, qui s’écroula. Le
glaive transperça le nez du frêle, puis creusa la terre. Le jeune homme blond repartit aussitôt à
l’attaque, suivi d’une trainé de sang et de quelques bouts de cervelle. Seriel titubait. La
bataille n’était plus une mêlée concentrée en un endroit, mais plein d’escarmouches plus ou
moins importantes. Le jeune homme était esseulé, au centre du monde, au centre d’Elfyrya.
« Ceci restera gravé dans les mémoires pour les millénaires qui suivront ! Ici et maintenant,
tout change, non pas parce que nous le voulons mais parce qu’il le faut ! C’est une nécessité
qui nous incombe aujourd’hui, à nous tous ! Lynorya assiste aujourd’hui à un nouveau
commencement. Vos bras et votre bravoure seront les fondations d’un monde plus juste. En
réalité, vous vous battez certes pour un idéal, mais vous vous battez aussi pour vous, pour
votre monde, pour vos enfants. Saignez ces putains d’oreilles pointues ! ». Aguenon fut le
premier à entrer dans la mêlée, accompagné par une vague de fers déchainée par son discours.
Seriel tourna la tête. Parade haute, déséquilibre, éventrement, décapitation. Le chef des
Hommes maitrisait l’épée bien mieux que ceux qu’il dirigeait. Volteface, visage tranché en
deux. Esquive, l’elfe chute dans une effusion sanglante. Le nombre d’oreilles pointues
diminuait à vue d’œil, les armures blanches et or s’écroulaient sur le sol dans une harmonie
métallique. Les dorés se regroupèrent au centre du champs, comme des bêtes traquées durant
une battue. Ils tremblaient sous leur équipement, certains pleuraient. Pas de pitié. La vague de
fer engloutit le poisson doré.

Les quelques survivants elfes furent exécutés. Les oreilles pointues étaient pas loin de cinq
cents, les Hommes à peine trois cents. Il ne restait que cinquante survivants tout au plus.
Seriel extirpa difficilement son glaive de la mâchoire de sa victime, et regarda autour de lui.
Désolation. Sang.
- Seriel ! Que les quatre dieux soient bénis, tu as survécu !
- Bien sûr que j’ai survécu, répondit-il fièrement, par contre toi, cela m’étonne Jonya.
J’aurai parié que tu serais mort rien qu’en voyant un cadavre.
- Ne dis pas de conneries, rétorqua le jeune homme blond, tu t’es fait dessus à peine la
bataille avait commencé. J’ai même pensé que tu allais t’évanouir.
- C’est totalement faux d’abord ! J’ai été le soldat le plus vaillant que tu n’as jamais vu !
Même Aguenon pâlit de jalousie en ce moment ! J’ai tué au moins une vingtaine de
dorés.
- Tu veux plutôt dire qu’une vingtaine de dorés ont failli te tuer, lança Jonya en rigolant.
Si je ne t’avais pas sauvé les miches, ton cadavre serait déjà froid.
Seriel fronça les sourcils. Jonya posa sa main sur l’épaule de son ami.
- Je suis heureux que tu aies survécu.
- Je le suis aussi. As-tu vu mon père durant la bataille ? Est-il vivant ?
- Je crois l’avoir vu aux côtés d’Aguenon, là-bas, dit-il en pointant du doigt un
regroupement de soldats. Je suis certain qu’il sera très fier de ce que tu as accompli
aujourd’hui.
- Tu le penses vraiment ? Je veux dire, bien sûr ! J’ai été brave, j’ai tué des dizaines
d’oreilles pointues. Aucune raison qu’il ne soit pas empli d’une fierté incroyable !
Je ne suis pas une fiotte, pensait-il alors qu’il prenait la direction de l’amas d’armures. Les
Hommes encerclaient leur chef, attendant qu’il ouvre la bouche. Seriel joua du coude, et
parvint à se rapprocher. « Mes amis, mes frères, aujourd’hui nous avons gagné ! ». Un
hurlement de joie retentit. « Mais ce n’était que la première bataille. Aussi grande est la joie,
aussi honorifique est la victoire, aussi inoubliable est cette journée, je ne suis pas satisfait ! Et
vous ne devriez pas l’être non plus. Gagner une bataille, bien d’autres avant nous ont su le
faire, mais changer le destin, aucun ne l’a fait jusqu’à présent. Ce n’est pas la joie que cette
victoire doit susciter, mais l’espoir. L’espoir sera notre guide. Mes frères, aujourd’hui nous
allumons la flamme de l’espoir et nous l’alimentons du sang des tyrans ! ». Applaudissement,
cris. Seriel remarqua un homme à la peau grisée par la vieillesse et la fatigue, et au regard
sévère, engoncé dans une armure de fer rouillé. Son père. Il se tenait droit comme un i, les
mains croisées dans le dos. Le jeune homme s’approcha.
- Père, dit-il timidement, m’avez-vous vu ?
- Comment aurais-je pu te voir, rétorqua-t-il d’un ton sec, alors même que tu restais
planqué ? Ta seule victime, c’est toi. As-tu fait dans tes braies ? Je peux presque sentir
l’odeur par-dessus celle des cadavres. Si seulement ton frère était encore là, il te
mettrait la correction que je n’ai plus la force ou la volonté de t’infliger. Va ! Rejoins
donc ta blondinette et allez vous enculer dans un coin.
Le jeune homme s’éloigna, puis se mit à pleurer. « J’ai fait tout ce qu’il m’avait demandé, et
ce n’est pas assez. Peut-être aurais-je dû mourir… ». Une main se posa sur son épaule,
interrompant sa complainte. Seriel sécha ses larmes en un éclair et se releva. Un grand homme
aux longs cheveux bruns et au visage héroïque se trouvait derrière lui.
- Ague… Aguenon, bégaya-t-il, je suis déso…
- Ne sois pas désolé jeune homme, tu t’es battu avec beaucoup de courage. Je l’ai vu. Je
dirai même que tu avais plus de bravoure que moi.
- Vous mentez, vous avez bien plus de courage que je n’en aurai jamais.
- Penses-tu ? Laisse-moi t’avouer quelque chose, tu veux bien ? Juste avant la bataille,
j’ai vomi mes tripes de peur contre cette arbre (il pointa du doigt un gros chêne).
J’étais terrifié, au point d’en avoir des crampes dans l’estomac. Le courage, ce n’est
pas de ne pas avoir peur, c’est d’agir malgré celle-ci. Seuls les fous n’ont pas peur.
C’est notre principal défense contre le danger. C’est aussi l’une des plus belles
preuves d’amour.
- Mais ce n’est pas ce que dit mon père ! La peur c’est pour les fiottes. Lui il n’a jamais
peur.
- Si ce que tu dis est vrai, je le plains terriblement. Je vais devoir te laisser maintenant,
mais sache que tu peux compter sur moi.
Aguenon se leva et repartit en souriant au jeune homme. Les survivants commencèrent à
quitter le champ de bataille. Seriel passa au milieu des décapités, des éventrés, des broyés. Ses
bottes rouillées s’enfonçaient dans la boue et dans le sang. La pluie ne parvenait pas à
nettoyer tout le sang qui maculait les plaques d’armure qu’il portait. Son épée, qu’il serrait
toujours aussi fermement, gouttait. La vague de fer disparut dans la forêt, ne laissant sur le
rivage que mort et destruction. Sur cette terre poussaient maintenant les germes de la révolte,
la fin de la Tyrannie.
CHAPITRE II
Cidril
Le nain

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