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Tu rêveras

de paix, puis
tu t’ éveilleras
hervé rené martin

2015 - 2020 : des attentats au coronavirus


Tu rêveras de paix,
puis tu t’ éveilleras

ISBN : 979-10-95292-03-6
Deuxième édition, 2020
Mise en page : Double You
www.double-you-design.fr
TABLE DES ILLUSTRATIONS

Illustrations de Claire Cavazza

La montagne descend jusqu’ aux maisons des hommes 3


L’ hiver 19
Ne tirez pas sur l’ oiseau du printemps 54
L’ enfant s’ éveille en dormant 83
L’ eau allée avec le soleil 107
hervé rené martin

TU RÊVERAS DE PAIX,
PUIS TU T’ ÉVEILLERAS

2015 – 2020
des attentats au coronavirus

1
Pour Aurélien et Virgil, qui m’ ont posé la question
à laquelle je tente de répondre dans ce petit livre.

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

« La montagne descend jusqu’aux maisons des hommes »


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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

PREMIÈRE PARTIE
UN CHEMIN DE CONNAISSANCE

« J’ ai oublié presque tout de l’ enseignement que mes professeurs


ont tiré de leurs livres, mais je me rappelle très bien
ce qu’ ils m’ ont appris en dehors des manuels. »
Gandhi

« Apprendre c’ est découvrir ce que tu sais déjà.


Faire, c’ est démontrer que tu le sais.
Enseigner c’ est rappeler aux autres qu’ ils savent aussi bien que toi. »
Richard Bach

« Le fait est que ce sont des imbéciles heureux les gens qui pensent qu’ une
goutte d’ eau est simple ou qu’ un rocher est fixe et inerte. Quant aux
savants qui savent que la goutte d’ eau est un univers immense et que le
rocher est un monde actif de particules élémentaires jaillissant comme
des fusées, ce sont des imbéciles savants. »
Masanobu Fukuoka

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

1
SORTIR DE LA CAVERNE

Il n’ y a pas de guerres justes ou injustes. Il n’ y a que la guerre ou la paix.


J’ ai reçu cet enseignement des expériences de ma vie. Ce ne fut pas le
fruit d’ une illumination soudaine mais un patient labeur de l’ esprit,
au moyen duquel je m’ applique, jour après jour, à démêler le faux du
vrai. Certains le font spontanément avec le cœur, mais le mien ayant été
longtemps défaillant, il me fallut solliciter d’ autres facultés en moi pour
y parvenir.
Lorsque nous arrivons au terme des fausses idées que nous nous faisions
sur nous-mêmes et sur le monde, la réalité nous apparaît dans toute sa
clarté. Comme la mèche de la bougie se consume en donnant vie à la
flamme, nos cécités se consument en éclairant la conscience.
Quand j’ en eus fini d’ ôter un à un les voiles des illusions me recouvrant
les yeux, je me retrouvai l’ esprit vide soudain. Ne sachant dès lors que
faire de moi-même, je redescendis des hauteurs de mes abstractions
mentales vers mon cœur que j’ avais laissé blessé derrière moi. Il attendait,
sans impatience aucune, que je rentre en ma demeure.
J’ étais guéri : il n’ avait jamais été blessé.
J’ eus alors l’ envie d’ écrire un petit livre au fil duquel je raconterais ce
chemin de conscience me conduisant de mes propres guerres intimes
jusqu’ à ma paix intérieure. Durant le temps de la narration, je voyais
le monde craquer autour de moi, comme s’ il se trouvait désormais à
l’ étroit dans le costume de ses vieilles croyances, et j’ eus l’ intuition que
nous étions sans doute nombreux à le détricoter.
Ce que nous appelons le monde n’ est que l’ ombre portée de nos
projections mentales sur le mur de la caverne de Platon. Pour connaître
le monde réel – qui n’ apparaît pas au-dehors mais sur l’ écran de nos
cieux intérieurs une fois ôtés les voiles de nos illusions – il faut nous
retourner. Sortir de la grotte. Et allumer le soleil.
C’ est très exactement ce que nous faisons à la naissance : nous nous
retournons dans le ventre de notre mère, nous rampons vers la sortie et,

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en ouvrant les yeux, nous allumons la lumière de la caverne. Le film peut


alors commencer.
Il s’ agit aujourd’ hui de renaître en conscience, afin de ne plus regarder le
monde à travers le prisme déformant de nos vieilles croyances, désormais
à bout de souffle, mais de le découvrir dans sa radieuse réalité.
Pour cela nous devons procéder à l’ envers de tout ce que nous avons
appris. Sortir de la caverne implique d’ entrer en nous-mêmes. Quitter le
dehors pour aller à la rencontre de l’ inconnu que nous sommes à nous-
mêmes. Alors le monde change. C’ est au-dedans de nous que se font
les révolutions. « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’ univers et les
dieux. » Socrate.
Un tel chemin de connaissance nous conduit vers l’ inconnu.
Ou plutôt, vers ce que nous avons oublié de nous-mêmes.

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

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LE VRAI ET LE FAUX

Celui qui tient le vrai et le faux pour égal glissera tout naturellement sur
la pente de la facilité vers le faux. S’ engager sur un chemin de conscience
implique dès lors de se doter d’ une intention clairement affirmée. Je
l’ exprime pour ma part en ces termes : même si j’ ignore pour l’ heure
encore ce qu’ est la vérité, elle est mon unique objectif.
N’ étant ni un spécialiste des conflits internationaux, ni un politique
en charge des affaires de la nation, et encore moins un spécialiste des
pandémies, je m’immisce ici dans un débat auquel personne ne m’a invité.
Un spécialiste est quelqu’ un qui pose un regard particulier sur une
problématique donnée, ignorant le tout dont elle est une partie. La
spécialisation grossit le détail jusqu’ à masquer l’ ensemble. Ainsi, en
médecine occidentale, un spécialiste de telle ou telle partie du corps,
s’ abstrait volontairement de l’ individu pris dans sa globalité afin de se
concentrer sur le détail. Le résultat est que lorsque le détail (le symptôme)
disparaît, un autre apparaît ailleurs.
Un politique, quant à lui, défend des intérêts particuliers contre d’ autres
intérêts particuliers, générant ainsi une opposition qui exacerbe d’ autant
les tensions. L’ effet produit est la métastase des conflits, lesquels ne
peuvent être apaisés qu’ au moyen d’ une vision globale et d’ une approche
totalement désintéressée.
Ce que nous avons à comprendre ici n’ est donc affaire ni de spécialistes
ni de politiques.
Notre incapacité actuelle à dépasser un tel état de conflit vient de ce
que nous faisons primer la fonction sur l’ être. Ce n’ est pas en tant que
« politique » que je dois apprécier les questions qui relèvent de ma
fonction mais en tant qu’ « humain », en mon âme et conscience. Dans
cette dimension de mon être, je sais que classifier les guerres en « justes »
et « injustes » (fussent-elles celles que nous déclarons aux virus) est au
mieux une ineptie, au pire un mensonge au service d’ inavouables fins.
Ce que je vois s’ éclairer à la lumière des attentats, puis aujourd’ hui du

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

confinement, est une dictature mondialisée qui resserre ses filets autour
des populations de la planète afin de les contraindre à se couler dans le
moule de l’ organisation marchande du monde.
Le sentiment d’ insécurité, généré par l’ appel constant à la guerre, est
un leurre qui nous empêche de voir la réalité du désastre en cours.
Ici l’ arbre de la barbarie – ainsi nommé par le microcosme politico-
médiatique – cache la forêt de la terreur : combien d’ emprisonnements,
de dénis de la démocratie, de tortures, d’ assassinats… au Moyen-Orient
avant l’ éclosion de l’ État islamique ? Là, la chasse à un virus – qui tue
largement moins de monde que la pollution – légitime la mise en place
d’ un « état d’ urgence », au nom duquel les « gouvernements de l’ ombre »
testent un appareil de répression qui était jusqu’ à jour inédit dans les
démocraties : interdiction aux médecins de prescrire tel médicament,
infantilisation des populations, préparation de campagnes vaccinales
forcées, serrage de la vis du pressoir économique...

Une bonne nouvelle pourtant ! Toute médaille ayant par chance son
revers, je postule que par l’ irruption soudaine de cette violence dans nos
vies, il nous est offert la possibilité d’ ouvrir les yeux sur le monde dans
lequel nous vivons pour de vrai : un monde que nous créons de toutes
pièces – chacun de nous séparément et tous ensemble.
Pour être à même de changer nos conditions d’ existence, nous devons
retourner notre système de pensée. Le mettre sens dessus dessous, en
passant de la pensée égotique de la séparation – au prisme de laquelle
nous nous percevons au mieux comme concurrents, au pire comme
ennemis mortels – à celle de l’ unification, où nous nous reconnaissons
semblables, animés chacun d’ une commune aspiration à vivre en paix.
Répondre à une attaque par l’ attaque augmente d’ autant l’ intensité
du conflit. Mettre de la compréhension dans le chaos qui nous agite,
aussi bien collectivement qu’ individuellement, est le chemin de paix sur
lequel s’ engage aujourd’ hui l’ humanité.
Cela s’ appelle un saut de conscience, ou un changement de paradigme.
Nous incarnons l’ énergie de la vie. Du mieux que nous pouvons. Tous

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ensemble et chacun de nous séparément. C’ est un chœur. Ce peut être


celui des esclaves1, qui est lamentations, ou celui des polyphonies qui est
danse de la vie – et c’ est alors le plus bel exercice qui soit.
Il se forme actuellement au sein de l’ humanité, une chorale d’ âmes qui
chantent ensemble. Quel que soit ton registre, la couleur ou la tessiture
de ta voix, une place t’ y est réservée qui ne peut être occupée que par
toi. Si tu ne l’ occupes pas, elle reste vide et manque à l’ ensemble. Nul n’ y
cherche à s’ imposer aux autres. Chacun tout au contraire s’ efface jusqu’ à
se laisser entièrement traverser par le chant. Et l’ effacement de chacun
au sein du chant, efface la guerre par enchantement.
La seule guérison possible pour un cœur blessé est d’ aimer.

1 Dans le célèbre opéra de Verdi, Nabucco.

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

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CE QUE RÉVÈLENT LES ATTENTATS

Début 2015, deux jeunes gens qui m’ interviewaient me demandèrent ce


que cachaient selon moi les attentats.
Aujourd’ hui je suis en mesure de leur répondre que non seulement les
attentats ne cachent rien, mais qu’ ils nous révèlent tout au contraire ce
qui jusque là nous demeurait caché. À nous de choisir de voir ou de ne
pas voir ce qui nous est désormais clairement montré.
Sommes-nous, après tout, obligés de nous en tenir à la paresse
explicative distillée par les « autorités », lesquelles n’ ont d’ autre discours
à la bouche que la radicalisation de l’ Islam ? Formule préfabriquée par
l’ administration américaine durant les années 90, après qu’ elle lui ait
elle-même donné naissance en armant les moudjahidine afghans contre
leur ennemi juré de l’ époque, le communisme soviétique !
Une fois dissipé l’ écran de fumée de l’ islamisme, apparaît l’ objet réel du
débat : la radicalité.
Du latin radicalis, (de la racine, premier, fondamental), la radicalité
conduit aujourd’ hui les acteurs du drame à sortir de l’ invisibilité en se
faisant exploser, tandis que ceux qui tirent les ficelles dans l’ ombre voient
leurs affaires prospérer : au lendemain des attentats du 13 novembre
2015 à Paris, 5 entreprises leaders du marché mondial de l’ armement
ont vu leurs côtes grimper en flèche à la bourse de New York.
Et si c’ était non pas telle ou telle faction qui se radicalisait mais la société
humaine dans son ensemble ?
Où en sommes-nous, aujourd’ hui, de notre histoire commune, qui
commence voilà quelques deux cent mille ans en Afrique, jusqu’ à
coloniser à cette heure toute la surface du globe ? L’ espace nous fond
littéralement sous les pieds, alors même qu’ entraînés par l’ élan de la vie
nous continuons à nous reproduire, à croître – jusqu’ à ce que de vital
l’ élan devienne létal. Parce que, oui, la vie se perpétue au moyen de la
mort : celle de chacun de nous comme, possiblement aujourd’ hui, celle
de l’ humanité.

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Alors, naturellement, la mort se rapprochant, nous nous radicalisons.


Nous retournons vers nos racines. Vers ce qui nous fonde et donne
un sens à nos existences. Quitte à explorer le pire afin de prendre son
exacte mesure. Il nous faut bien l’ expérimenter pour pouvoir décider
en conscience si c’ est cela que nous voulons ou non. Et plus nous
l’ explorons, plus nous comprenons qu’ il est toujours à venir. Le pire n’ a
pas de fin, la seule issue possible pour nous désormais, autre qu’ une
horreur à perpétuité, est son retournement au sein de la conscience.
Là seulement, le pire est en mesure d’ ouvrir sur le meilleur.
Le premier pas sur ce chemin de conscience nous enjoint de poser un
regard clair sur la réalité que nous vivons. L’ humanité est en guerre
contre elle-même. Et chacun des acteurs que nous sommes la mène
avec les moyens qui sont les siens : ici les attentats suicides répondent
aux bombardements ; là nous détruisons la biosphère par nos actes de
consommation et de production ; là encore nous faisons joujou avec le
climat en épandant dans le ciel des nuages de nanoparticules toxiques
qui nous empoisonnent en retombant.
Une fois ce constat établi, il nous reste à dire clairement si nous désirons
ou non poursuivre dans cette voie. Si oui, le lecteur ne trouvera aucun
intérêt à la suite de l’ ouvrage. Si non, la question se pose alors de savoir
si nous sommes en mesure de changer nos comportements.
Nous est-il possible de vivre autrement que dans des rapports de
domination, de prédation, d’ oppression, qui, par la nature même du
monde fini qui est le nôtre, s’ exacerbent aujourd’ hui en un embrasement
généralisé ?
La particularité de ces instants de péril extrême est qu’ ils concentrent
en eux une gigantesque énergie propice au retournement. Cette énergie
que nous mettons aujourd’ hui dans la guerre, pouvons-nous la mettre
au service de la paix ? Il suffit pour cela de changer d’ objectif, de penser
autrement. De penser « paix » là où jusqu’ alors nous pensions « guerre ».
L’ énergie est neutre. Elle est au service de la pensée.
Gandhi avait coutume de dire qu’ il préférait de loin un violent se
convertissant à la non-violence suite à une prise de conscience, qu’ un
non-violent par tiédeur. Le premier est doté d’ une grande quantité
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d’ énergie, qu’ il peut mettre alors au service de sa nouvelle cause, tandis


que le second n’ en a guère à offrir. Il avait également pour habitude
de répondre par cette question à ceux qu’ il entendait se plaindre des
désordres de la planète : « Peux-tu être le changement que tu désires voir
dans le monde ? »

« Pour atteindre la vérité dans la vie, nous devons rejeter toutes les idées
apprises et reconstruire l’ ensemble de notre système de connaissance »
(Descartes).
Après avoir passé plusieurs décennies à me défaire de mes croyances,
il me reste peu ou prou une seule conviction : JE CRÉE LE MONDE À
MON IMAGE.
Je le crée par mes pensées, mes paroles et mes actions.
Que puis-je faire dès lors par mes actions pour que cessent les attentats ?
Première option. Pousser l’ oppression jusqu’ à l’ anéantissement de celui
que je désigne comme mon ennemi. Passer d’ une oppression si peu
que ce soit réglementée et encadrée à un écrasement total. Il ne faut pas
seulement anéantir les combattants mais également leurs enfants, qui
n’ auront sinon de cesse, leur vie durant, de venger leurs parents. Cela se
pratiquait en des temps pas si éloignés où l’ on ne prenait pas la peine de
légitimer les actes de barbarie, la loi communément admise étant celle
du plus fort. Les hommes étaient réduits en esclavage, les femmes et les
filles faisaient partie du butin de guerre au même titre que l’ argenterie,
et les garçons passés au fil de l’ épée afin de se prémunir de leurs futurs
désirs de vengeance.
Sommes-nous prêts à aller jusque là ? Un chef de guerre, un homme
politique, un stratège, un intellectuel est-il prêt à poser en ces termes le
problème sur la table ?
Et si c’ était le cas, serions-nous disposés à entériner un tel choix ?
Deuxième option. Arrêter la surenchère des coups donnés-reçus.
Dire : OK, nous avons compris que poursuivre dans cette voie nous
conduit à la catastrophe. Pouvons-nous dès lors essayer d’ imaginer un
nouveau mode de vivre ensemble satisfaisant pour tous et toutes ?

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Ce ne sont certes pas les humains de bonne volonté qui manquent pour
un tel projet.
Bien évidemment, ce ne peuvent être les marchands d’ armes qui
s’ expriment ainsi. À moins, pourquoi pas, qu’ ayant compris que le
vent était en train de tourner, ils décident de mettre leur technologie,
leur savoir-faire entrepreneurial, leur capital, leur logistique au service
d’ autre chose justement que la fabrication et la vente d’ armes. Au service,
par exemple, du bien-être des populations du globe, de l’ écologie, de la
santé, d’ une nourriture saine, etc., etc.
En attendant, nous le pouvons, nous les citoyens des pays vendeurs
d’ armes qui réprouvons leur usage. Et puisqu’ on raconte à l’ école à
nos enfants la jolie histoire de la démocratie, nous pourrions jouer à
la prendre au mot et voir si nous sommes une majorité, dans un pays
comme la France par exemple, à désirer réellement en finir avec l’ état de
guerre (larvé ou actif) dans lequel se trouve le monde depuis le début de
l’ Histoire. Ce serait le premier référendum où l’ on demanderait à une
population de se prononcer sur la poursuite de la guerre ou l’ avènement
de la paix. Quelqu’ un se sent-il de lancer une pétition sur le sujet ?
Il est bien entendu que nous devons prendre conscience au préalable de
ce à quoi une telle démarche nous engage. Sachant que notre économie
est adossée conjointement à la fabrication et l’ usage d’ armes (que nous
employons aussi bien contre les humains que contre la nature), une telle
décision entraînera de facto une refonte de notre économie, et donc de
nos modes de vie.
Je ne parle pas ici d’ un simple réaménagement du système politico-
économique actuellement à l’ œuvre sur la planète, mais de l’ émergence
de nouvelles manières d’ « être au monde » et de « vivre ensemble »,
générant à terme le renouvellement complet d’ un système de
gouvernance désormais obsolète.
Comme le montrent les films « Demain », « En quête de sens », ou
encore « Human », les initiatives allant dans le sens d’ un changement de
comportement ne cessent de se multiplier, n’ étant limitées pour l’ heure
que par la puissance d’ inertie du vieux système – laquelle a forcément
une limite. La loi de conservation de l’ énergie établit que celle-ci étant

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invariante dans un système isolé, elle passe simplement d’ une forme à


une autre. Avec une constante dans ce type de phénomène : la forme
nouvelle s’ impose tout naturellement au détriment de la forme ancienne.
En l’ occurrence ici, l’ énergie de la paix, bien qu’ encore largement
minoritaire pour l’ heure, ne cesse de gagner du terrain sur l’ énergie de
la guerre – laquelle, de par sa nature même, participe au surplus à sa
propre fragmentation.

Par ma parole.
Comment puis-je contribuer par ma parole au changement que je désire
voir dans le monde ? Je m’ en tiendrai ici au premier accord Toltèque2 :
« Que ta parole soit impeccable ».
« Votre parole, écrit l’ auteur, peut créer les rêves les plus beaux ou tout
détruire autour de vous ». Or, aujourd’ hui, la parole publique, telle qu’ elle
s’ impose dans le champ politico-médiatique, est peccable, c’est-à-dire :
« fautive, erronée, mensongère ». Quand un politicien, s’ exprimant dans
les médias, vous dit que contrairement à ses opposants il n’ utilise pas,
lui, la langue de bois, vous pouvez être assuré qu’ il ment. « Enlevez la
négation », disait Freud. Je n’ ai jamais entendu Gandhi, Socrate, Nelson
Mandela ou Martin Luther King – pour ne citer que ceux-là – utiliser
une telle expression. Quand vous dites ce que vous pensez, en votre âme
et conscience, être la vérité, vous ne perdez pas de temps en précautions
oratoires. Vous allez droit au but. Et si les membres de l’ appareil d’ État
avaient une parole impeccable, ils n’ auraient aucun besoin de classer des
documents « secret défense », consacrant ainsi une partie de nos impôts
aux fins même de nous en interdire l’accès. Un ami journaliste m’a
raconté que lors de la première conférence de presse de Barack Obama
après son accession à la Maison-Blanche, il lui avait été demandé s’ il allait
ouvrir une commission d’ enquête sur les attentats du 11 septembre 2001.
« Obligez-moi », a répondu celui-ci.
Est-ce à dire que le président du pays le plus puissant du monde ne peut
pas se permettre de prendre l’ initiative d’ une véritable enquête sur une

2 « Les 4 accords toltèques, Don Miguel Ruiz, éd. Jouvence. »

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action terroriste ayant causé la mort de 3000 de ses compatriotes et le


double de blessés, alors même que la version officielle est proprement
rocambolesque ? En disant « Obligez-moi », il aura au moins ouvert
une porte – laquelle n’ a pas été franchie – à savoir que s’ appuyant sur le
précédent du Watergate, qui conduisit l’ un de ses prédécesseurs, Richard
Nixon, à la démission, il aurait pu ainsi mettre à profit la pression
publique pour entreprendre une action qu’ il ne se sentait pas en mesure
d’ initier de son propre chef. Je reste donc pour ma part avec une forte
suspicion de complicité de l’ appareil d’ État américain dans un tel crime,
sans être en mesure de l’ étayer juridiquement. À l’ inverse, ledit appareil
n’ est pas en mesure de se défendre de telles suspicions dans le respect
des codes institués par les autorités judiciaires.
Avoir une parole impeccable signifie que vous ne parlez pas pour ne rien
dire, encore moins pour mentir, ni pour blesser quelqu’ un ou chercher
à nuire à autrui ; que vous mettez vos paroles non au service de la
destruction du monde mais de son harmonie. Socrate, un des premiers
maîtres de la parole impeccable fut condamné par l’ État à boire la ciguë
parce qu’ il dérangeait les affaires des potentats en place.
La parole est à ce point puissante que tous les moyens sont bons pour
réduire au silence ceux qui mettent la leur au service de la vérité.
- « Sais-tu ce que je viens d’ apprendre sur ton ami ? demanda un jour un
homme à Socrate.
- Avant que tu me le dises, répondit le philosophe, j’ aimerais savoir si tu as
vérifié si cela est vrai ?
- Non, dit l’ homme, j’ en ai seulement entendu parler.
- Très bien, tu ne sais donc pas si ce que tu vas me dire est la vérité. Alors,
dis-moi, est-ce au moins quelque chose de bien ?
- Non, au contraire !
- Donc tu veux me raconter de mauvaises choses qu’il a dites sur moi, sans même
savoir si elles sont vraies. Penses-tu pour le moins qu’ elles me seront utiles ?
- Pas vraiment.
- Alors, conclut Socrate, si ce que tu t’ apprêtes à me dire n’ est ni vrai, ni
bien, ni utile, pourquoi me le dire ? »

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Reste la pensée. Pas de problèmes, me direz-vous, il peut certes être


difficile de changer le monde par nos actions ou nos paroles puisque
cela peut être, si ce n’ est au risque de notre vie, pour le moins à celui de
nos habitudes et de notre confort. En revanche nous ne risquons pas
grand-chose avec nos pensées, il ne tient qu’ à nous de les divulguer ou
de les tenir secrètes.
Super ! La voie est donc libre. Et croyez-moi, il s’ agit en l’ espèce d’ une
voie royale. En fait, si vous vous observez un tant soit peu, il ne pourra
vous échapper que vos paroles et vos actions sont le produit de votre
pensée ou ne sont pas. Ici j’ écris volontairement de « votre » pensée
et non de « vos » pensées. Nous sommes constamment traversés de
pensées que nous présumons être les nôtres alors qu’ elles ne le sont
pas le moins du monde. Je les appelle des pensées ambiantes, lesquelles
nous viennent de notre éducation, du milieu dans lequel nous évoluons,
des informations dont nous sommes abreuvés à longueur de journée,
de la publicité, des religions, des croyances héritées… Il s’ agit là d’ un
brouhaha qui nous entre par les oreilles et nous ressort par la bouche
sans seulement avoir été mâché.
Mais voilà, nous sommes des êtres de conscience.
« La conscience est une activité mystérieuse au moyen de laquelle l’ homme
est en mesure d’ appréhender sa propre réalité », écrivait Malebranche au
17e siècle. Donc nous trions toutes ces pensées qui nous traversent, nous
les passons au fil de notre réflexion, en rejetons certaines, en conservons
d’ autres que nous faisons pour le coup résolument nôtres. Ainsi, petit
à petit, nous créons notre propre pensée. Si celle-ci reste forcément
influencée par le milieu (familial, social, professionnel…) au sein duquel
nous interagissons, elle le transforme en retour. Fonctionnant comme un
champ d’ énergie où s’ échangent en continu des flux d’ information (pour
la plupart de manière inconsciente), ledit milieu se modifie à mesure de
l’ apport de nouvelles pensées émises par les individus qui le composent.
Ce sont toujours les individus qui agissent. Ils le font à partir des
informations, entre lesquelles ils arbitrent lorsqu’ ils sont conscients, et
qui les manipulent quand ils ne le sont pas.

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Nous sommes ainsi, chacun de nous, formés par une pensée collective
que nous contribuons à former en retour. Comme nous évoluons sur le
plan physique, ayant traversé les règnes minéral, végétal et animal3 pour
parvenir à notre condition humaine, nous évoluons aussi sur le plan de
l’ esprit. C’ est une évolution que nous accomplissons individuellement,
laquelle produit ses effets sur le collectif que nous formons tous ensemble.
De même que sur le plan physique, une telle évolution se produit de
façon linéaire et graduelle en période stable, et sous forme de sauts
évolutifs en période instable. Le philosophe allemand Karl Jaspers
inventa le terme de « moment axial » pour décrire la mutation que
connut l’ humanité au Ve siècle avant Jésus-Christ. À une époque où
les humains, disséminés à la surface de la planète, n’ étaient certes pas
interconnectés au moyen de la technologie comme nous le sommes
aujourd’ hui, un foisonnement soudain de nouveaux modes de pensées
s’ étendit à travers l’ Eurasie : le bouddhisme, l’ hindouisme, les grands
prophètes juifs, Lao-Tseu en Chine, Zoroastre en Iran, Platon, Aristote,
Socrate, Pythagore, Archimède… en Grèce ; laquelle initia de nouveaux
modèles sociétaux qui allaient profondément marquer les siècles à venir :
séparation du politique et du religieux, invention de la démocratie,
développement de l’ usage de la monnaie dans les cités, émergence des
notions d’ individu, de liberté, de rationalité et de science. Dans le même
temps, les cultes à mystères, porteurs de valeurs universelles (morale, charité,
immortalité de l’ âme…), se répandirent dans le monde gréco-romain.
Un certain nombre d’ auteurs s’ accordent aujourd’ hui pour dire
que le monde a connu depuis deux autres périodes axiales. La fin
de l’ Empire romain, qui favorisa la montée en puissance de l’ Église
adossée au monarchisme : le religieux envahit dès lors tout l’ espace
politique et social, et les pouvoirs temporel et spirituel furent à nouveau
confondus. Puis la Renaissance, berceau de la modernité, qui signa la
fin de la puissance divine, privilégiant l’ expérimentation, la méthode,
la rationalité, la recherche scientifique et l’ individualisme, lesquels
allaient évoluer tout naturellement, au fil des siècles, vers la révolution
industrielle et le libéralisme économique.

3 Règnes dont nous ne sommes pas « séparés », contrairement à ce que nous avons un peu
trop tendance à croire pour notre plus grand malheur, mais dont nous sommes l’élaboration.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

Il semble que ces changements soudains de paradigme (c’ est-à-dire


de notre « vision collective » du monde et de la place que nous y
occupons) se produisent dans des moments de crise (du grec krisis :
« décision, choix »), ce qui tend à confirmer l’ idée que nous participons
d’ un ensemble cohérent, doué de signification et de plasticité et dont
toutes les parties sont connectées entre elles : un système intelligent et
autorégulateur au service du développement de la vie.
Ainsi, l’ on peut considérer que le passage du temps des croyances à celui
des connaissances et de leurs applications, constitua à la Renaissance un
réel progrès pour l’ humanité. Jusqu’ au moment où celles-ci atteignirent
un tel niveau d’ efficacité qu’ elles devinrent tout naturellement les
nouvelles croyances, finissant par se retourner à leur tour contre le
développement de la vie.
Devant l’ urgence de la situation – et la nécessité d’ une réponse globale
au péril dont un nombre croissant d’ entre nous prennent désormais
conscience –, une accélération soudaine du flux d’ informations se
produit au sein du champ unifié de l’ humanité.
Une fois toutes les données pesées dans la balance, il appartient à chacun
d’ entre nous de faire, en son âme et conscience, le choix de la mort ou
celui de la vie.
Nous en sommes là. Au moment de la décision. Du choix.
Au cours de l’année 2015, qui s’ouvrit sur l’attaque de Charlie hebdo,
j’ai tenu, au fil des événements, et des pensées qu’ils suscitaient en moi,
un journal dans lequel j’interroge les faits à la lumière de cette nouvelle
transformation du monde. Journal que j’ai tout naturellement rouvert en
2020, tant l’hystérie collective générée par la pandémie, m’est apparue
comme le match revanche… en attendant que nous nous fassions la belle !
L’idée maîtresse de ce petit ouvrage est que la seule porte d’entrée au retour-
nement de l’humanité se trouve en chacun des individus qui la composent.
Il n’ y a qu’ une porte et elle est en chacun de nous.
Nous n’ avons d’ autre choix que celui de subir ou d’ agir.

18
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

« L’ hiver »
19
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

DEUXIÈME PARTIE
LE DEHORS

Imaginez un jeu qui se joue en famille. Une famille de 7 milliards de frères


et sœurs. Chacun a droit d’ exprimer une demande que tous les autres
s’ engagent à exaucer. Un veut l’ argent, l’ autre la beauté, un autre encore
la puissance, le courage, l’ habileté, la ruse…
Il s’ agit d’ un jeu coopératif n’ ayant d’ autre fin que de jouer ensemble.
La partie s’ arrête quand un des joueurs demande la paix : contrairement
aux autres souhaits, où le donateur perd ce qu’ il donne, quand tous les
participants offrent la paix à celui qui la demande, chacun s’ en trouve
apaisé et n’ a dès lors plus rien à demander.
Juste avant de commencer, leurs parents leur font boire le breuvage de
l’ oubli puis se retirent. Quand les joueurs s’ éveillent, ils ne savent pas que
la partie a commencé ni à quoi ils jouent. Ils ressentent simplement un
manque en eux qui les poussent à exprimer un désir. Au début ils parlent
tous en même temps, s’ adressant plus à leurs parents disparus qu’ aux
autres joueurs. C’ est un véritable tohu-bohu où personne ne s’ entend.
Au fur et à mesure de l’ avancement de la partie, ils vont tenter d’ en
comprendre les règles.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

4
POURQUOI JE NE SUIS PAS CHARLIE

9 janvier 2015. Avant-hier, deux hommes armés de fusils automatiques


ont fait irruption dans les locaux de Charlie Hebdo, tuant douze
personnes. Un commentateur a parlé de guerre. D’ autres ont fait le lien
avec les attentats du 11 septembre 2001 contre le Centre du commerce
mondial.
C’ est peu après la chute de l’ Union soviétique que l’ Occident s’ est choisi
un nouvel ennemi en déclarant la guerre à l’ Islam. Pourquoi l’ Occident
avait-il besoin d’ un nouvel ennemi ? Parce que l’ Occident – qui ne
s’ étend plus seulement à l’ ouest de l’ Asie mais sur la totalité du globe –,
cet empire d’ origine chrétienne, capitaliste, industriel, composé d’ une
mosaïque de démocraties marchandes est un empire guerrier.
Et l’ on ne peut faire la guerre sans ennemi.
Mais pourquoi faire la guerre alors que nous pouvions nous contenter
de continuer tranquillement à piller le monde ? Parce qu’ il nous faut une
légitimité pour le faire en « toute bonne conscience ».
Sans cette légitimité, nous mourrions de honte, nous les démocrates,
inventeurs des droits de l’ homme.
Pourquoi avoir choisi une religion plutôt qu’ un système économique
comme ce fut le cas pour l’ Union soviétique ? Parce qu’ il n’ existe plus
aucune opposition aujourd’ hui au système capitaliste mondialisé. Tous
les discours politiques répètent à l’ envi que le combat se situe désormais
entre archaïsme et modernité. L’ Islam est-il archaïque ? Il l’ est selon
moi au même titre que les autres religions monothéistes. Le président
américain prête serment sur la Bible. Mais vous ne pouvez pas prendre
le président américain pour ennemi au prétexte qu’ il serait archaïque. Il
pourrait vous en cuire. Le président américain est un homme moderne
qui regarde vers l’ avenir. C’ est-à-dire vers les territoires qui recèlent
encore quelques richesses propres à maintenir sous perfusion la vie
titubante d’ un géant aux pieds d’ argile.

21
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Il n’ y a au vrai aucune antinomie entre archaïsme et modernité.


Étymologiquement, archaïsme signifie « marcher en premier ». Il désigne
l’ ancien. Moderne définit quant à lui ce qui est récent, actuel. Ô la vieille
querelle entre les anciens et les modernes ! Quand il s’ agit de guerre, plus
les ficelles sont grosses (on désigne par ce terme les galons des officiers)
plus sûrement les soldats marchent au pas. Je n’ ai jamais été de cette
guerre-là. J’ en ai connu d’ autres mais pas celle-là. Je me sens tout aussi
ancien qu’ actuel. Un vieillard n’ est-il pas actuel ? Je suis vieux comme
l’ humanité. Une humanité toute jeune en fait, qui s’ apprête seulement
à sortir de l’ adolescence. La modernité fut le dernier avatar de notre
adolescence. Une tentative de tout maîtriser, de tout rationaliser face à
la peur de devenir adulte.
Devenir adulte, c’ est quitter ses parents et ses dieux. C’ est devenir soi-
même responsable du monde.
La question est : l’ Occident peut-il se passer aujourd’ hui d’ ennemi ? Pas
tant qu’ il reste dans la guerre. Peut-il sortir aujourd’ hui de la guerre ?
Oui, il le peut – au prix de son anéantissement. C’ est-à-dire de son
renoncement à tout ce qui le fait exister : ses croyances, ses préjugés,
son arrogance, ses mensonges, ses armes de destruction massive qu’ il
fabrique, vend et dont il use, sa voracité, son insouciance, sa croissance
économique dopée par la vente de ses armes... Pour l’ heure, il externalise
encore son anéantissement. Mais cela ne saurait durer. Plus il s’ étend,
plus il l’ incorpore, comme jadis l’ Empire romain en lutte contre les
Barbares finit inéluctablement, dans sa conquête toujours plus grande
de territoires, par accueillir les Barbares en son sein. Alors l’ Empire
chut. Vous me direz qu’ il existe aujourd’ hui en Occident des êtres qui
pensent autrement qu’ en termes de guerre. Je vous l’ accorde. Du reste
si vous n’ avez pas encore arrêté la lecture de ce texte, si vous ne l’ avez
pas jeté à la poubelle, alors vous en êtes. Il en existait de même dans
la Rome antique, des êtres de paix. Nous savons aujourd’ hui qu’ ils ne
furent pas suffisamment nombreux pour déposer l’ Empire avant sa
chute. Le serons-nous ? Parviendrons-nous à déposer l’ Occident avant
qu’ il n’ anéantisse le monde ?
Je porte aujourd’ hui le deuil des victimes de ce terrible attentat. Comme
je porte le deuil des victimes de toutes les guerres que nous menons
22
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

encore à cette heure à travers le monde. Ces guerres qui ne disent


pas leur nom, que nous menons contre les hommes et la nature.
C’ est-à-dire contre nous-mêmes. À l’ échelle planétaire, il n’ y a que des
guerres civiles.
De nombreux médias proposent d’ aider Charlie Hebdo à sortir un
prochain numéro. S’ il m’ était donné d’ en rédiger la Une, je n’ écrirais que
ces mots : « Écrasés par la douleur, anéantis par l’ irruption soudaine de
la violence dans nos vies, nous sommes conscients que crier vengeance
serait rajouter une fois de plus de la guerre à la guerre. Nous appelons
aujourd’ hui à la paix dans le monde. »
S’ il osait faire cela, Charlie Hebdo passerait pour la première fois de son
histoire de la caricature à l’ écriture. De la dénonciation à l’ énonciation.
Il pourrait alors énoncer en toute sérénité que les hommes qui voilent
leurs femmes, au même titre que ceux qui les déshabillent sur les
affiches, se coupent d’ une grande source de joie. Ces hommes-là, ceux
qui voilent leurs femmes, comme ceux, au rang desquels j’ ai longtemps
compté, qui les déshabillent sur les affiches, s’ inventent une vie d’ une
grande tristesse.

10 janvier. Ce matin, au bar de la place où je bois le samedi mon


rituel café hebdomadaire, un homme commentait à l’ encan les récents
attentats. Une femme l’ interrompit en lui lançant : « La haine appelle la
haine... et la paix engendre la paix. » L’ homme continua de parler mais
ce fut comme s’ il s’ était tu : plus personne ne l’ entendait. La femme
s’ était tue et tout le monde la regardait.

« L’ idée même de vénération m’ est étrangère, m’ écrit Sébastien, mon


filleul, mais si quelqu’ un vénère un prophète, pour quelle raison irais-je
le blesser en caricaturant l’ objet de sa vénération ? »

23
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

« Caricature » dérive du participe passé du verbe italien caricare :


« charger ». Il signifie littéralement « action de charger » et définit
par extension un portrait rendu ridicule par l’ exagération des traits.
En appeler à la liberté d’ expression pour légitimer le fait de tourner
quelqu’ un en ridicule, ressort selon moi d’ un usage caricatural de la
liberté d’ expression.
Si c’ est le seul usage qu’ il m’ était donné de faire d’ une telle liberté, je
préférerais en être privé.

« (...) Et toc !
- Et tic et tac
- Tacatacatacatacatacatacata.... »
Il peut parfois suffire d’ un simple petit « et toc ! » pour que s’ impose
en deux temps trois mouvements le staccato d’ une mitraillette. Nul ne
se souvient alors de la phrase qui précéda l’ interjection. Seul compte
désormais sa conclusion : « Et toc ! » Nous l’ avons tous dit un jour ;
enfant c’ était un jeu. Ma petite fille me le lance parfois – le pouce pressé
sous le menton – quand elle gagne une partie serrée de quelque jeu.
C’ est une façon de manifester son plaisir d’ avoir gagné. On ne risque
rien à dire « et toc » quand on s’ aime. Quand Manon me le lance, j’ ai
envie de l’ embrasser tellement je suis heureux de cette complicité entre
nous. « Et toc Papé ! »
Quand on s’ aime, on ne risque rien. C’ est dans l’ absence d’ amour que
survient le danger – parce que « Et toc ! » veut dire alors : Prends-toi ça
dans les dents !
« Prends-toi ça dans les dents !
- Va te faire mettre.
- Paf ! (le bruit de la baffe)
- Tacatacatacatacatacatacata.... »

24
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Charb est enterré aujourd’ hui. Sur France Inter, un commentateur le


présente ainsi : « Un poète qui détestait la guerre et les religions. »
Le premier usage de détester se trouve dans la langue religieuse au sens
de « détourner avec des imprécations, en prenant les dieux à témoin »
(Le Robert). D’ une valeur primitive forte, son sens s’ est affaibli au XVIe
siècle en : « ne pas aimer ».
Il me semble que le drame que nous venons de vivre s’ origine dans
cette différence a priori minime de lecture. Charb était-il un poète qui
n’ aimait ni la guerre ni les religions ? Ou quelqu’ un qui les détestait ?
La simple lecture de la réalité nous montre que Charb est mort d’ une
guerre qu’ il détestait, sous les coups de religieux qui le détestaient.
La détestation engendre la détestation, quand ne pas aimer ne produit
rien d’ autre qu’ un manque d’ amour. Si ce manque est comblé par ailleurs,
personne n’ en meurt. S’ il ne l’ est pas, alors commencent les ennuis.
Aussi insupportable cela puisse-t-il nous paraître, la seule manière
d’ apaiser un conflit est d’ aimer notre ennemi. De lui donner l’ amour
qu’ il n’ a pas reçu. Quand on reçoit de l’ amour on devient un être aimant
– un peu, beaucoup… à la mesure tout autant de ce qui nous est donné
que de ce que nous sommes prêts à recevoir.
Commençons par nous aimer nous-mêmes. Par nous donner à nous-
mêmes l’ amour dont il nous semble avoir manqué. Quand nous
sommes en amour de nous, nous n’ avons plus d’ ennemi. Tout au plus
pouvons-nous être confrontés à des personnes qui nous veulent du mal
– ce qui n’ est pas la même chose. Quand j’ ai un ennemi, je suis prêt à
le poursuivre sans fin autour du monde pour l’ occire. Il en va de mon
intégrité psychique. Quand quelqu’ un me veut du mal, si je suis un être
aimant, je tenterai seulement de l’ arrêter.
Et même cela me paraît sujet à caution. Dans le travail que je fais de
compréhension de moi-même, il m’ apparaît que les soucis ordinaires de
la vie : les disputes de voisinage, les problèmes de fratrie, les incidents
domestiques... m’ enseignent chaque fois quelque chose sur moi-même.
Au point que j’ en arrive à penser que si des personnes extérieures
n’ étaient venues à l’ occasion me chercher des poux dans la tête, je ne

25
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

me serais pas rendu compte que j’ en avais. À croire que si elles n’ avaient
existé, il m’ aurait fallu les inventer, au risque sinon de continuer à me
gratter la tête sans savoir ce qui me démangeait.
Je vais le dire bien que cela soit particulièrement difficile à entendre :
je pense que dans une dimension de nous-mêmes qui échappe à notre
conscience, nous créons les conditions objectives de notre évolution
– c’ est-à-dire de l’ expansion de notre conscience. Et je ne vois rien
d’ étonnant à ce que celles-ci nous obligent à sortir bien malgré nous de
notre zone de confort. Étant par nature un paresseux actif, je ne me fais
certes pas l’ apôtre de l’ effort pour l’ effort, mais ayant toujours eu le goût de
la dépense physique, je peux en mesurer les effets sur ma santé. Et ce qui
vaut pour le corps vaut tout autant pour l’ esprit – l’ un et l’ autre n’ étant
pas des entités distinctes mais deux dimensions de mon être vibrant
sur des fréquences différences. Les bouddhistes l’ expriment au moyen
d’ une très jolie formule : « le corps est le barattage du lait de l’ esprit. »

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

5
LA TERRE PROMISE

22 février 2015. Suite aux tensions actuelles sur le sol français entre
juifs et musulmans, la question est publiquement posée de l’ appel aux
violences racistes sur Internet.
Ce qui se passe aujourd’ hui en France entre juifs et musulmans s’ origine
en Palestine où deux peuples frères se font la guerre pour l’ appropriation
d’ un territoire. Les guerres fraternelles sont les plus haineuses qui soient.
Quand les juifs retournèrent en Palestine après l’ holocauste, ils s’ y
revendiquèrent propriétaires historiques des lieux pour les avoir habités
deux mille ans plus tôt avant d’ en être chassés par le colonisateur romain.
Symboliquement, ils le firent parce qu’ ils n’ avaient d’ autre choix, après
la Shoah, que celui de retourner sur la terre promise de l’ enfance de
leur peuple afin d’ y recouvrer l’ estime d’ eux-mêmes. Sauf que cette
terre était occupée par leurs frères immémoriaux. C’ est l’ histoire du
fils prodigue que le père accueille en le fêtant, au grand dam du frère qui
a tenu la maison en son absence.
Alors nous, les Grandes puissances, qui avons décimé les premiers
et colonisé les seconds, ne pourrions-nous, plutôt que d’ attiser pour
des raisons stratégiques les tensions au Moyen-Orient, aider les frères
ennemis à faire la paix ?
Nous le pourrions puisque nous sommes de grandes puissances.
Et c’ est puisque nous sommes de grandes puissances que nous ne le
faisons pas.
C’ est même pour cela que nous avons, au même titre que les nazis, favorisé
le mouvement sioniste. Déjà, au 19e siècle, la France et l’ Angleterre
cherchaient à refouler leurs ressortissants juifs vers la Palestine pour en
faire des agents de l’ impérialisme européen dans la région.
S’ agissant donc des troubles que cela nous cause – pour ceux d’ entre
nous qui ne sont ni juifs ni musulmans – nous pouvons dire que nous
avons collectivement ce que nous méritons.

27
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Et ce n’ est pas cher payé au regard de ce que cela nous rapporte en armes
vendues et en énergies fossiles acquises à bon compte.
Avec les gains que leur rapporte la vente du pétrole, les gouvernements
arabes achètent les armes dont ils ont besoin pour s’ approprier les sites
d’ exploitation, le plus souvent au détriment de leurs propres peuples.
C’ est tout bénéfice pour nous. Finalement le pétrole ne nous coûte pas
grand-chose.
Et c’ est heureux, parce que sinon nous n’ aurions pas les moyens de nous
le payer. Ou c’ est bien malheureux, si l’ on pense à toutes les économies
d’ énergie que nous pourrions faire si le pétrole était trop cher pour nous.
Plutôt que de gaspiller l’ énergie à tout vent, nous l’ économiserions
aux ailes des moulins à vent, tendant des filets dans les déserts pour y
recueillir l’ humidité de la nuit en eau des fontaines, traversant du pas
lent de nos montures des paysages qui nous réjouissent l’ âme, essaimés
de champs, de pâturages, de vergers… propices tout autant à nous
alimenter le corps qu’ à nous bercer les yeux.
Ceci n’ est pas un passé englouti dans nos mémoires ancestrales. Cela
n’ a jamais existé : avant le pétrole, il y avait le fouet pour puiser l’ énergie
des esclaves.
Cela éclot à ma conscience comme un futur possible à vivre. Le seul futur
possible – autre que l’ enfer – à vivre pour nous désormais sur cette terre.

Le terrible échec du mouvement sioniste ? Fuir l’ Europe des camps


de la mort pour vivre dans un camp fortifié grand comme deux
départements français. Durant la Shoah, l’ homme en haut du mirador
était un Allemand qui dirigeait son arme contre l’ ennemi intérieur pour
l’ empêcher de sortir. Aujourd’ hui, il est un Israélien qui dirige son arme
vers l’ extérieur pour empêcher le frère ennemi d’ entrer.
Avec, comme arme de dissuasion suprême, une bombe atomique, dont
les cibles potentielles sont si proches qu’ elles ne peuvent être atteintes
sans que le lanceur en soit irradié !

28
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Au mitan du siècle dernier, les Français résistant à l’ occupation de leur


pays étaient traités de terroristes par les Allemands. Un peu plus tard,
les Algériens résistant à l’ occupation du leur furent traités de terroristes
par les Français. Aujourd’ hui, les Palestiniens résistant à l’ occupation de
leurs terres sont traités de terroristes par les Israéliens. La manipulation
du langage est sans fin. Plus la ficelle est grosse, moins elle apparaît à
l’ œil nu.
Puisque Israël a la bombe atomique, puisque toutes les grandes
puissances l’ont, pourquoi l’Iran et la Corée du Nord ne l’auraient-ils pas ?
Aucune logique ne peut légitimer cela. Seul un rapport de forces le peut.
Et dans le rapport de forces qui s’ établit actuellement dans le monde, il
y a des gens qui préfèrent mourir en emportant le plus grand nombre
possible de leurs ennemis avec eux dans la tombe, plutôt que de continuer
à vivre sous le joug de la domination occidentale, dont les États-Unis
d’ Amérique assurent le leadership et dont Israël est la tête de pont au
Moyen-Orient. Avec, depuis la chute de l’ Union soviétique, des tas de
matières fissiles qui se baladent un peu partout à travers le monde.

Étrange histoire que celle de la Palestine, qui est à la fois la terre promise
des juifs, la terre sainte des chrétiens et le futur État arabe. Sur ce
minuscule territoire en forme d’ appendice, les trois grandes religions
monothéistes embrasent leurs haines divines en un foyer fortement
infectieux. À croire qu’ en avalant le dieu unique, l’ humanité a oublié de
recracher le noyau.
Si la Palestine est aujourd’ hui le lieu symbolique de la guerre que se
fait l’ humanité à elle-même, il est celui où la paix, si nous parvenons à
l’ établir, aura le plus de retentissement dans le monde. Je fais le pari qu’ à
partir de ce premier exemple, la paix s’ étendra par capillarité sur toute
la surface du globe. Sommes-nous prêts – nous les humains – à y mettre
les moyens nécessaires ? Il existe déjà des échanges visant à la paix entre
Palestiniens et Israéliens de bonne volonté. Plutôt que de nous en tenir
à déplorer la guerre, nous pouvons encourager de telles tentatives de
fraternisation, les aider à se développer, les montrer en exemple. Nous
pouvons en faire une cause mondiale ; une expérimentation grandeur
29
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

nature de la paix possible dans le monde. Si nous réussissons là, nous


réussirons partout.
Cela semble irréaliste ? Nous connaissons des projets bien plus irréalistes
que celui-là qui furent pourtant réalisés. Allons ! Ne pouvons-nous
accomplir pour la paix ce que nous sommes capables de produire pour
la guerre ? Si non, alors nous sommes bel et bien condamnés. Si oui,
nous sommes sauvés. C’ est aussi simple que cela. Nous tenons notre
destin entre nos mains.
« Je vis dans une ville mixte, Haïfa, où Juifs et Arabes mènent encore
une existence commune. C’ est la ville la plus saine d’ Israël. Personne
ici ne peut dire que nos deux peuples ne peuvent vivre ensemble. Le
problème ce n’ est pas nos peuples, mais le gouvernement qui alimente
le feu de la haine. » Ayman Odeh4
Pourquoi les États favorisent-ils dans leur grande majorité le violent au
détriment du paisible ? Pourquoi les 45 nations coalisées contre l’ État
islamique dans une guerre qui tue plus de civils que de combattants du
djihad, n’ ont-elles pas soutenu, quand il était encore temps, l’ opposition
modérée à Bachar al-Assad, tyran de père en fils, favorisant ainsi, au prix
de 250 000 morts, gazages, emprisonnements, tortures... la montée de la
radicalisation ?
Pourquoi ne posons-nous pas massivement la question à ceux qui nous
gouvernent ? Ne sommes-nous pas en démocratie ? N’est-ce pas notre droit ?
Pour ma part, il me semble que c’ est à tout le moins notre devoir. Sinon
le terme même de démocratie ne veut rien dire. Ou alors nous devons
admettre que nos gouvernements font la guerre pour défendre nos
intérêts et, à partir de ce constat, en endosser la responsabilité.
Soyons cohérents avec nous-mêmes, soit nous opinons, fut-ce par notre
silence, et en assumons les conséquences, soit nous dénonçons haut et
fort la violence faite en notre nom. Là-dessus, ma position est claire : je
réprouve les iniquités commises par l’ État français dans la guerre qu’ il
mène aujourd’ hui contre la nature et mes frères humains où qu’ ils vivent

4 Leader de la liste arabe unie, troisième force politique d’Israël avec 13 sièges obtenus à
la Knesset lors des dernières élections.

30
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

sur la planète, et je suis prêt à assumer les conséquences que l’ avènement


de la paix produira sur mon confort de vie.

Le processus de civilisation est un processus de dénaturation. Nous n’ en


sommes pas responsables. C’ est toute la symbolique du jardin d’ Éden.
La nature nous chasse. Elle nous a créés et elle nous chasse !
Par nature nous sommes des nomades. Nous ne pouvons nous arrêter. La
civilisation commence au néolithique avec l’ invention de l’ agriculture. À
partir de là, nous tournons la page de la nature, nous nous sédentarisons.
Quelques 10 000 ans plus tard, nous tentons d’ échapper au désespoir
civilisationnel au moyen de voyages organisés autour de la planète,
comme des détenus ont droit à une heure de promenade par jour dans la
cour de la prison, rêvant d’ évasions célestes, de voyages intergalactiques
au prix de l’ épuisement du peu qu’ il nous reste de nature.
La première divinité est la Pacha-mama, la Terre-mère qui nous enfante.
Quand nous parvenons à l’ âge adulte, il nous faut produire nous-mêmes
notre propre nourriture. Notre mère ne peut plus nous allaiter, elle est
épuisée ; même si nous l’ aimons pour la vie et l’ amour qu’ elle nous
donne, il nous faut partir pour être nous-mêmes. Nous n’ avons pas le
choix. Si nous voulons connaître l’ avenir que nous réserve la civilisation,
regardons l’ histoire du peuple juif – le peuple élu de l’ exode. Chaque fois
qu’ il s’ est arrêté quelque part en gardant son identité sans se fondre dans
le paysage, il n’ a pas tardé à être persécuté. C’ est comme si sa nature
profonde lui disait : « tu ne peux pas t’ arrêter ». Et quand il crut enfin
pouvoir le faire, la civilisation usa des moyens les plus performants pour
organiser sa disparition : la mise à mort industrialisée, organisée par des
comptables, à coups de pesticides, sur fond de musique wagnérienne,
dans le silence assourdissant du Vatican et loin des yeux loin du cœur
des nations bien pensantes qui s’ en lavèrent les mains, organisant de la
gauche le recyclage des nazis utiles à l’ essor industriel des démocraties
marchandes et, de la droite, la grande opération de communication du
procès de Nuremberg.
Alors, ceux d’ entre eux qui survécurent tout autant à l’ effroi qu’ à
la comédie de la chose jugée, retournèrent chez eux, aux origines de

31
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

l’ exode bimillénaire, où il s’ enfermèrent dans un camp fortifié.


La civilisation commence dans le croissant fertile du Moyen-orient et
s’ y achève, à l’ abri des miradors et des barbelés.
Est-ce donc cela, la terre qui nous était promise : un camp fortifié,
nos enfants assassins aux ordres des armées ? Est-ce cela la manne qui
descend sur nous des cieux : la douceur du miel et de l’ amande noyée
sous le fracas des obus, des maisons explosées, des oliviers millénaires
éventrés au bulldozer ? Rien ne peut plus désormais nous être promis.
Nous n’ avons sur terre que les territoires que nous occupons, par les
armes ou dans la paix. Ce ne peut être les deux à la fois.
Tous les territoires du monde sont désormais occupés. Dire qu’ un
peuple est occupé est une bévue du langage. C’ est le territoire qui fait
l’ histoire. Un peuple n’ est jamais occupé, il ne peut qu’ être libre ou
réduit en esclavage. Et c’ est l’ histoire terrible de l’ humanité de s’ être
réduite elle-même en esclavage.
Aujourd’ hui les Pygmées, les Tziganes, les Bédouins, les Lapons, les
Mongols, les Berbères, les Touaregs… tentent encore de tracer, vaille
que vaille, leurs routes ancestrales à travers les chicanes, les contrôles,
les interdits, les barbelés civilisationnels jusqu’ à immobilité complète.
Alors, quand nous serons totalement immobilisés, que plus un seul
espace vierge ne nous sera accessible, les puissances que nous avons
libérées avec une insouciance qui confine à la folie, se retourneront
contre nous jusqu’ à annihilation complète. Les camps de concentration
nazis ne furent que le préambule à ce qui est en train de se produire
aujourd’ hui à l’ échelle de l’ humanité. Après avoir échangé notre
autonomie contre un système d’ existence automatisé, nous avons fait le
choix de renoncer à notre liberté de penser qui nous perturbait par trop
l’ esprit. Une fois conditionnés à penser tous dans la même direction,
nous formons de nous-mêmes les rangs sans qu’ il soit nécessaire de
nous y contraindre en rien, ni même qu’ un ordre nous soit donné : nous
n’ avons plus besoin de recevoir d’ ordre, « nous sommes » l’ ordre. Nous
franchissons à cette heure le portail d’ entrée au dessus duquel clignote
une enseigne lumineuse où se répètent à l’ infini ces seuls mots :
LA LIBERTÉ EST SOURCE DE DÉSORDRE ET D’ INSÉCURITÉ.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

Ce camp-là, qui recouvre désormais la quasi totalité de la planète, et


dont, une fois à l’ intérieur, il nous sera impossible de sortir autrement
que par la mort, est la dernière étape du processus d’ écrasement de
l’ Être. Ici chacun est le gardien, à la fois de soi et des autres, et nul ne
peut échapper au contrôle de tous par tous.

33
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

6
LA DÉMOCRATIE DE LA CANNE BLANCHE

La mondialisation est le plus grand empire ayant jamais existé sur terre.
Ses centres de commandement sont les places boursières du monde. Ses
sujets sont tous les humains. Elle s’ étend sur toute la surface du globe : il
ne lui reste plus un seul barbare susceptible de la menacer de l’ extérieur,
les ayant tous aspirés dans son champ d’ influence.
La mondialisation est un empire de barbares civilisés qui broie d’ une
main d’ acier tout ce qui vit sur la terre, depuis ses entrailles jusqu’ au
sommet de ses plus hautes montagnes. Entre ses doigts de fer gicle un
jus riche en oligo-éléments dont se repaissent les nantis. Sous la table du
saccage s’ étagent des monceaux de déchets dont se nourrissent à leur
tour les servants de l’ empire. Quand tout le monde s’ est servi, la grande
cohorte des intouchables, chargée d’ évacuer les restes avariés, mange ce
dont personne n’ a voulu.
La mondialisation n’ a d’ autre horizon que son propre imaginaire et
pour seule limite ce qui ne lui sert à rien et qu’ elle laisse de côté. Ce
manque d’ imagination lui est son talon d’ Achille. Et ce côté d’ elle dont
elle ne sait que faire est ce qui la perdra.
Ceux qui, dans l’ empire mondialisé, ne servent à rien, comme ceux qui
refusent de le servir, et encore ceux qui refusent de se servir aux rebuts
des agapes, préférant s’ en tenir à cultiver leurs propres jardins, déposent
des morceaux de silence sur l’ impérial vacarme. Chaque morceau
de silence éteint aussi doucement que sûrement un morceau égal
de vacarme.
Chaque fois qu’ un morceau de silence est posé sur un morceau équivalent
de bruit, il l’ éteint à jamais. Le bruit ne renaît jamais du silence.
Chaque fois que nous choisissons le silence plutôt que le bruit ; chaque
fois que nous nous accordons à nous-mêmes une plage de silence, nous
déposons une goutte d’ eau sur l’ incendie.
C’ est l’ histoire du colibri que raconte Pierre Rabhi.

34
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

21 avril, déclaration radiophonique de François Hollande, alors


président de la République : « Ceux qui font monter les migrants sur des
bateaux pourris sont des terroristes ».
Enfin une parole vraie dans la bouche d’ un homme politique !
Nous sommes, chacun de nous, qui épuisons les ressources naturelles
de pays lointains au détriment de leurs habitants, des terroristes.
Nous sommes, chacun de nous, qui légitimons par nos modes de
consommation la mise en place de tyrans dans des pays qui sont nos
greniers de pétrole, de métaux précieux, d’ oléagineux…, des terroristes.
Le président de la République française, s’ il avait un dixième du pouvoir
que nous lui prêtons, serait le chef des terroristes : le Ben Laden français.
Mais il n’ en a pas même le centième. Il est une marionnette posée sur la
plage arrière de nos voitures, qui agite de satisfaction son petit drapeau
tricolore chaque fois que nous faisons le plein d’ essence.

Dans l’ Hérault, un maraîcher iconoclaste, Pascal Poot, produit des


semences paysannes d’ une grande vitalité en les mettant en état de
stress (pas d’ arrosage, soumis au froid…). Après plusieurs réplications,
il obtient des plants de tomates donnant jusqu’ à 25 kilos de fruits sans
le moindre arrosage. Pour avoir vendu ses semences à des personnes
soucieuses d’ économiser l’ eau et d’ obtenir des aliments de la meilleure
qualité nutritive possible, il s’ est retrouvé verbalisé par le service de
répression des fraudes au motif que lesdites semences ne sont pas
inscrites au catalogue officiel, soi-disant garant de la sécurité des
consommateurs. L’ État français, qui autorise l’ usage des pesticides5,
ferme les yeux sur le rejet dans l’ eau et dans l’ air d’ éléments radioactifs,
a cautionné l’ écoulement de poches de sang contaminé et l’ usage de
l’ amiante, etc., etc., condamne un producteur artisanal des plus belles
semences qui soit au nom de la sécurité des consommateurs !

5 Dont les néonicotinoïdes qui déciment les abeilles.

35
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

La parole politique est un boniment que les électeurs avalent avec


d’ autant plus de gloutonnerie qu’ ils préfèrent ignorer les iniquités
commises en leurs noms et nécessaires à leur confort.
Quand une parole politique est vraie, celle ou celui qui la prononce est
assuré de disparaître illico presto du paysage médiatique.
Il y a une dizaine d’ années, les Verts allemands étaient à 15 % dans les
sondages quand ils émirent l’ idée de taxer les carburants pour lutter
contre la pollution. En une semaine, ils dégringolèrent de 10 points dans
les intentions de vote. La proposition fut retirée sur-le-champ.
Si j’ avais jusque là des doutes sur le bon fonctionnement de la démocratie,
je n’ en ai plus depuis.

« Que fait-on quand on ressent le besoin d’ un roi ?


- On en prend un parmi nous et on le sacre.
- Qu’ est-ce qu’ on est alors ?
- Des sujets.
- Comment se sent-on quand on est un sujet ?
- Protégé.
- Combien de temps dure le sentiment de protection ?
- Jusqu’ à ce qu’ on perde le souvenir du danger et qu’ on commence à en
avoir ras le bol d’ être pris pour des serfs.
- Que se passe-t-il alors ?
- On se révolte et on coupe la tête du roi.
- Et après ?
- On se coupe la tête entre nous pour savoir qui gouvernera et qui servira.
- Et une fois qu’ on s’ est bien coupé la tête ?
- On sait qui a gagné et qui a perdu. À partir de là, tout recommence
comme avant. Au début, on se sent libre, puis avec le temps on
comprend qu’ on s’ asservit soi-même. Et ceux qui étaient nos rois sont
devenus commerçants. On appelle cela à juste titre la démocratie – qui

36
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

est le gouvernement du peuple par le peuple – puisque dans une société


marchande nous sommes forcément tous un peu commerçants et que
les commerçants sont au gouvernement. Ainsi nous régnons sur nous-
mêmes, et nous nous vendons les uns aux autres selon notre pouvoir
d’achat. « Tous ensemble, tous ensemble, tous ensemble… Ouais ! » Il
fut un temps où on appelait cela la dictature du prolétariat, aujourd’hui,
on dit société de consommation. Et là où jadis la religion était l’opium du
peuple, puis l’argent le nerf de la guerre, puis le pouvoir d’achat et la sécurité
le seul credo politique qui vaille, voici venu le temps du Soma du Meilleur
des mondes où les enseignes lumineuses sont nos nouvelles étoiles.

37
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

7
ET DIEU DANS TOUT ÇA ?

Les trois religions monothéistes sont fondées sur le mythe du


sacrifice. Elles le sont par la nature des choses, puisque pour passer du
« poly » (nombreux, vaste, puissant, violent...) au « mono » (seul, unique,
solitaire…), il nous faut sacrifier le pluriel au profit du singulier.
Dans celles dont je suis issu – le judaïsme puis la chrétienté – le sacrifice
fondateur est la demande que fait Yahvé à Abraham de lui offrir Isaac,
son fils unique, en holocauste.
Isaac signifie « Il rira ». Donc, si l’ on s’ en tient au symbole, Dieu demande
à Abraham de lui sacrifier son rire. Et quand celui-ci, obéissant, pose le
couteau sur la gorge de son enfant, Dieu retient le bras armé au dernier
moment pour le diriger vers un objet transitionnel. Il s’ agit d’ un code
relationnel entre eux. Dieu dit : « Si tu me fais totalement allégeance,
jusqu’ à me sacrifier ta descendance, je ne prends que ta capacité au
bonheur. En échange, je t’ offre ma protection. » Vous voyez ? Pratiqué
par des voyous sur de petits commerçants, cela s’ appelle un racket.
Ici j’ aimerais apporter une précision d’ une grande portée théologique,
trop souvent passée sous silence selon moi. Avant d’ être le dieu unique
des juifs, Yahvé fut leur dieu de la guerre aux temps où ils étaient
polythéistes6. Et quand on s’ invente un dieu de la guerre, ce n’ est pas
pour qu’ il rigole mais pour qu’ il nous défende les armes à la main ; on
a les autres à côté pour les vendanges, les moissons, la pêche, l’ amour…
Quand on en fait un dieu unique, la guerre devient la grande affaire qui
prime sur tout le reste.
À partir de là, que devient le rire d’ Isaac ? Que devient un fils qui a senti
le couteau de son père sur sa gorge, prêt à le saigner pour plaire à une
idole ? Et que devient le rire d’ Abraham, qui n’ oubliera jamais qu’ il fut
sur le point d’ immoler son fils unique, la prunelle de ses yeux qui lui
vint à l’ âge canonique de cent ans ?

6 Il portait alors le nom de Yahvé Sabaoth, généralement traduit par « des armées ».
Voir Nous réconcilier avec la terre, de H.R. Martin et C. Cavazza, chap « De la déesse
mère à Dieu le père » (entretien avec E. Grieder).

38
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

Il devient une vallée de larmes. Pour que sa descendance vive en paix,


il eut fallu qu’ Abraham refuse de faire allégeance à Yahvé. Une mère en
bonne santé n’ aurait jamais fait cela : sacrifier le fruit de sa chair à un
dieu qui commande depuis les cieux. À personne du reste. L’ homme le
peut, lui. Le père le peut quand il est toujours un fils et qu’ il obéit au
commandement de son propre père. Abraham est un fils âgé de 100 ans,
qui obéit toujours aveuglément aux ordres de son père, jusqu’ à sacrifier
son propre fils. Et son rire avec.
Alors Dieu lui dit : « OK, maintenant que je sais que tu me crains, je le
jure par moi-même, parce que tu as fait cela, que tu ne m’ as pas refusé
ton fils, ton unique, je te bénirai et je multiplierai ta postérité comme
les étoiles du ciel et comme le sable qui est sur le bord de la mer ; et ta
postérité possédera la porte de tes ennemis. »
La porte de tes ennemis ! Vous voyez ? Nous sommes toujours dans la
guerre. Et le prix à payer pour obtenir la bénédiction de Dieu est notre
allégeance, jusqu’ au meurtre de ce que nous avons de plus cher.
Pour en sortir, il faut un second sacrifice. Cette fois, c’ est Dieu qui nous
offre Son fils, Jésus (qui signifie « sauveur ») Christ (qui signifie « choisi
par Dieu »).
Et cette fois Dieu n’ arrête pas notre bras. Nous crucifions son fils. Et
nous restons dans la guerre.
Voilà, nous sommes dans une relation unique à Dieu. Et nous sommes
dans la guerre.
Nous ne pouvons en sortir qu’ en revenant au début. Au moment où nous
avons sacrifié le nombreux pour l’ unique, le pluriel pour le singulier, le
vaste pour le solitaire, le puissant pour la guerre. Je reviens au moment
du choix, avant de m’ inventer un dieu unique. Pourquoi cette aspiration
en moi ? Qu’ est-ce que je cherche ?
Un regard dans lequel être différencié, reconnu. J’ ai besoin d’ une place
où je me sépare de la foule, de la masse, des autres, de la soupe originelle…
Où je suis singulier, afin de devenir responsable de mes actes là où je
n’ étais jusqu’ alors que le jouet des forces de la nature en moi. Donc je
crée un regard unique. Et patatras, je l’ envoie dans les cieux, où j’ en fais

39
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

un gendarme céleste qui, depuis là-haut, me juge, commande, dit la loi,


punit, aux yeux duquel je ne peux échapper : le gardien de ma prison.
En envoyant cette singularité que nous venons de créer à l’ extérieur de
nous, nous restons dans l’ indifférencié : l’ omnipotence du créateur nous
renvoie à notre propre impuissance. Et par je ne sais quel tour de passe-
passe, nous plaidons coupables ! Mea culpa, mea culpa, mea maxima
culpa ! Nous ne pouvions créer plus terrible piège que celui-là : nous
tenir pour personnellement coupables des désordres d’ un monde dans
l’ ordre duquel nous n’ avons aucun moyen d’ intervenir puisque, selon
nos propres dires, seul Dieu dispose d’ un tel pouvoir ! Il fallait être
drôlement futé pour imaginer un truc pareil. Et drôlement crédule pour
gober l’ hameçon.
Il n’ est peut-être pas inutile de rappeler ici que la Bible est un écrit –
il y en avait encore peu à l’ époque – et que les scribes étaient alors au
service des puissants. C’ est à dire de ceux qui n’ ont aucun intérêt à ce
que l’ ordre du monde favorise l’ épanouissement et la liberté d’ esprit des
« masses laborieuses ».
On pourrait dès lors avancer que l’ ordonnancement du monde civilisé
fut de tout temps (et l’ est aujourd’ hui encore) entre les mains d’ une
élite différenciée, à charge par la masse indifférenciée d’ en assurer le
bon fonctionnement.
Il n’ en demeure pas moins – pour peu que nous soyons prêts à dépasser
le stade de la culpabilité – qu’ il est aujourd’ hui de notre responsabilité
de sortir de l’ état de domestication pour accéder à notre propre
souveraineté. « Ils sont grands parce que nous sommes à genoux », écrivait
Étienne de la Boétie au XVIe siècle.7
Pour que l’ intuition originelle selon laquelle nous sommes, chacun de
nous, un regard unique dans l’ univers, porte des fruits propres à nous
réjouir le cœur et l’ esprit, il aurait fallu le garder en nous. Non le projeter
sur plus grand que nous, mais a contrario, nous élever à sa démesure :
lorsque nous acceptons l’ idée d’ unicité, il n’ y a plus de mesures qui
vaillent ; nous sommes alors, par la force des choses, dans la dé-mesure.

7 Discours de la servitude volontaire ou Le Contr’un.

40
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Aujourd’ hui, nous restons dans la guerre parce que nous sommes encore
indifférenciés, soumis 24 heures sur 24 à des appareils de mesures qui
n’ ont de cesse de nous dénaturer afin de nous transformer en objets
comptables, variables d’ ajustement, sujets d’ enquêtes… Or, même si
cela est difficile à entendre, il est de notre responsabilité d’ accepter cet
état de servitude volontaire ou de décider d’ en sortir.
Il ne s’ agit pas de nous révolter contre l’ ordre établi. L’ histoire est jonchée
de révoltes qui, une fois le bain de sang épongé, accouchent d’ un nouvel
ordre remis entre les mains d’ une nouvelle élite et s’ imposant à une
masse indifférenciée.
Il s’ agit de sortir, une fois pour toutes, du placenta originel où nous
vivons les uns sur les autres sans aucun pouvoir de choix sur rien. Et pour
cela, prendre la mesure de notre unicité, donc, de notre responsabilité.
Moi, vous, chaque feuille d’ arbre, chaque instant présent… est unique
dans l’ univers. C’ est ce que nous apprenons dans la douleur au cours de
l’ évolution de la conscience. Chaque brin du réel est unique. Dieu n’ existe
pas. En tout cas aucun de ceux que nous avons nommés, représentés
et devant lesquels nous nous mettons à genoux. Ce ne sont là que des
idoles, des fantasmagories de notre esprit que nous inventons pour nous
protéger de nous-mêmes. Par peur de notre unicité. Du vertige de notre
unicité. Parce que lorsque nous en sommes là, nous percevons que nous
sommes maîtres de notre destin et que ne nous arrive que ce que nous
créons nous-mêmes. Alors, quand nous inventons le malheur, personne
d’ autre ne peut en endosser la responsabilité. Il ne s’ agit pas de renier
Dieu (ce qui est la meilleure façon de continuer à le faire exister), mais
de réintégrer en nous les fonctions que nous lui avons attribuées.
Les dieux pluriels étaient les divinités de la nature : le souffle de la forêt,
l’esprit des eaux, celui des morts, du volcan, du soleil… C’était une façon
pour nous de dialoguer avec la nature avant que nous la mettions en pièces
détachées pour voir ce qu’elle a dans le ventre. Le dieu unique, lui, est une
société d’assurance dont la couverture s’étend sur tout ce qui vit sous les
cieux. « Protégez-nous, donnez-nous notre pain quotidien, pardonnez-
nous, délivrez-nous du mal, ne nous laissez pas succomber à la tentation... »
Plus nous désirons de garanties, plus le montant de la prime est élevé.

41
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

En matière d’ assurances, le principe est on ne peut plus simple. Nous


mutualisons les risques. À titre individuel nous pouvons être gagnants
ou perdants. Le gagnant est celui qui, ayant un sinistre, reçoit plus qu’ il
n’ a versé. Le perdant est celui à qui rien n’ arrive et qui paye sa prime
à fonds perdu en se disant : « on ne sait jamais, des fois que le ciel me
tombe sur la tête ».
Au niveau collectif, il entre autant d’ argent qu’ il en sort. Plus les frais
de gestion. Ce que nous abandonnons à Dieu pour qu’ il fasse le travail à
notre place. Le sacrifice.
Dans notre chemin de vie, collectif comme individuel, il vient un
moment où la couverture d’ assurance nous prive d’ être assurés de nous-
mêmes. Donc je la résilie. Je résilie mon contrat qui me lie à ce dieu
unique que j’ ai moi-même créé de toutes pièces.
Ainsi seulement je retrouve le goût du rire. Je n’ ai plus rien à sacrifier.
Qu’ il pleuve ou qu’ il vente, que le soleil brille, que le printemps succède à
l’ hiver, l’ été au printemps et l’ automne à l’ été, je jouis du temps qu’ il fait.
Je me marre.
Que reste-t-il une fois le dieu unique renvoyé aux oubliettes de
l’ Histoire ?
Il reste l’ histoire.
Celle que j’ écris, que je vis, qui me conduit de ma naissance à ma mort.
Et après ?
Qui mourra verra.

« Un affranchi commande à Dieu », écrivait Maître Eckart au XIIIe siècle.


Qu’ est-ce qu’ un affranchi pour Maître Eckart ? C’ est quelqu’ un qui,
plutôt que d’ aller le dimanche à la messe en pensant à ses vaches, garde
ses vaches en pensant à Dieu.
Dieu est une source de pur amour ou n’ est rien.
Il est question ici de tout autre chose que ce dont je parle plus haut et qui
42
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

est enseigné dans les églises, les temples, les mosquées et consigné dans
des textes sacrés tant de fois traduits, interprétés, commentés que nous
avons fini par en perdre le sens.
Je ne postule pas que nous nous sommes créés nous-mêmes – ce qui
ressort à mes yeux d’ une impossibilité ontologique8. J’ avance qu’ à partir
de l’ intuition profonde que nous sommes tous issus d’ une source en
effet unique, et de notre incapacité pour l’ heure encore à surmonter le
vertige qu’ une telle intuition génère en nous, nous avons créé de toutes
pièces des dieux égotiques. C’ est-à-dire des idoles à notre image. Ou
plutôt à l’ image que nous avons de nous-mêmes, laquelle n’ a aucune
réalité, étant une simple illusion que nous intercalons entre nous et cette
réalité qui nous fait tellement peur.
On notera au passage, s’ agissant de nommer la source de toute vie, que
là où un théologien utilise le vocable Dieu, un physicien quantique parle
lui du vide.8
Nommer un même phénomène de noms différents fut longtemps
considéré par les religieux comme un sacrilège, envoyant les hérétiques
aux bûchers, et par les rationalistes comme des errements valant
relégation au ban de la communauté scientifique. Tout le monde cherche
la vérité unique valant pour tous et, croyant l’ avoir trouvée, entend
l’ imposer aux autres.
Et si nous considérions plutôt cette pluralité de points de vue comme
une richesse ? Il n’ y a pas UNE façon de nommer le mystère de notre
création. Il y en a soit aucune, soit autant que d’ êtres de conscience
qui peuplent l’ univers. Penser qu’ il n’ y en a qu’ une, et donc que c’ est
forcément la mienne qui est la bonne, est le terreau même de la guerre.
Ta vision m’ enrichit. Puisse la mienne t’ enrichir de même.

8 Un vide dont nous savons désormais qu’il est considérablement plus plein que ce que
nous appelons le plein. Il y a plus d’énergie dans un cm³ de vide que dans toute la matière
contenue dans l’univers.

43
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

8
LANCER LA MODE DE LA PAIX

Août 2015. La planète n’ est pas seulement menacée par le réchauffement


climatique : elle l’ est tout autant par la chute annoncée d’ un empire
mondialisé à bout de souffle. Les migrants syriens, qui refluent
aujourd’ hui au risque de leurs vies vers l’ eldorado européen, sont la
conséquence directe d’ une politique de la terreur menée depuis des
lustres par ledit empire en vue de satisfaire aux conditions matérielles
de son hégémonie. Comme l’ ayatollah Khomeini fut en son temps
la réponse du peuple iranien au diktat des États-Unis gouvernant le
pays par l’ entremise tyrannique du Shah d’ Iran, l’ État islamique est
aujourd’ hui la réponse du peuple syrien au tyran Bachar al-Assad.
Quant à ce qui aurait pu être le soutien des grandes puissances à une
opposition démocratique, nous avons clairement vu que ce n’ est pas
l’ option qui fut retenue.
On pourra m’ opposer ici que je passe sous silence les tensions
exacerbées dans la région par de grandes nations y défendant chacune
des intérêts propres. Certes, l’ Empire ne parle pas d’ une voix unique,
étant formé d’ un cartel de potentats où chacun joue sa partie. De même,
à intervalles réguliers, les grands cartels maffieux règlent leurs comptes
entre eux : certains alors gravissent des échelons vers le sommet tandis
que d’ autres descendent dans la tombe. La seule chose qui ne change
pas est la mainmise de l’ empire du crime sur un territoire qui recouvre
désormais la totalité du globe. Les Luciano, Genovese, Capone passent,
les bandits-manchots9 demeurent. Les États du reste ne s’ y trompent
pas, dont certains n’ hésitent plus, afin de satisfaire au bon équilibre de
leurs comptes, à réintégrer les profits de la drogue et de la prostitution
dans leur Produit National Brut. L’ aveu ne saurait être plus explicite !
Qu’ ils sauvent des banques privées de la faillite avec l’ argent des
contribuables, favorisent les spéculations boursières sur les marchés des
céréales ou les droits à polluer, autorisent l’ exploitation de gaz de schiste

9 Machines à sous.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

criminelle pour la nature et les humains, encouragent l’ obsolescence


programmée, participent allègrement aux trafics d’ armes mondiaux
ou ferment doctement les yeux sur le blanchiment d’ argent, de tels
gouvernements contribuent à la mise sous tutelle de la planète par un
système maffieux dont ils sont, in fine, la puissance régalienne.
Cela fait plus de vingt ans que je travaille sur le concept de mondialisation,
l’ ayant étudié sous de multiples formes. Aujourd’ hui, je peux synthétiser
le résultat de ma réflexion en une phrase : nous nous trouvons,
mondialement, sous l’ emprise d’ une organisation maffieuse, dont nous
sommes, chacun de nous, tout autant les victimes que les rouages, nous
situant, selon les hasards de notre naissance, du bon ou du mauvais côté
du manche – ou entre les deux.

*
Aujourd’ hui, on parle à la radio de la Françafrique, cette vieille rengaine
post-coloniale.
Mais qu’ est-ce que la Françafrique au juste ?
Ce sont des rois nègres que nous adoubons, puis que nous flagornons
pour qu’ ils nous laissent piller les richesses de leurs pays et nous achètent
des armes en prime pour maintenir leurs peuples sous la tyrannie.
C’ est tout bénéfice pour nous. Ainsi nous pouvons nous emparer de
leurs matières premières à bas prix, leur revendant en échange de la
haute technologie hors de prix. Peu d’ hôpitaux (rarement adaptés aux
besoins lorsque c’ est le cas) et beaucoup d’ avions de chasse.
Quand il leur vient un opposant, nous l’ achetons, ou l’ assassinons s’ il
refuse d’ être corrompu.
C’ est aussi simple que cela : nous sommes chez nous en Françafrique,
jusqu’ à ce qu’ une puissance plus grande que nous, plus agressive, ou la
révolte des peuples nous en chasse.

45
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Quand j’ affame l’ Afrique par mes actes de consommation, j’ affame et


je pille une richesse en moi que je ne sais nommer et dont je pressens
qu’ elle est mon bien le plus précieux. Quand l’ Afrique aura disparu –
comme un économiste commit un jour l’ incongruité de me l’ affirmer :
« Cher monsieur, tous les experts sont d’ accord pour dire que dans 30
ans l’ Afrique aura disparu ».10 (sic !) – quand l’ Afrique sera morte de
faim, j’ aurais perdu mon bien le plus précieux. Une richesse essentielle
en moi que je ne sais nommer se sera définitivement transformée en un
désert stérile.

*
Nous cherchons à écraser ceux qui nous résistent pour des raisons soi-
disant de pétrole. (Je parle ici des raisons non avouées, lesquelles se
cachent derrière la grande farce de la lutte contre un terrorisme que
nous avons créé de toutes pièces.) Mais à quoi nous sert in fine le pétrole
si ce n’ est à écraser le monde jusqu’ à nous écraser nous-mêmes ?
Alors cessons de nous mentir, le terrorisme n’ est pas la cause de nos
agissements mais sa conséquence. Le pétrole n’ est pas l’ enjeu de nos
guerres mais le moyen de les faire. Que reste-t-il dès lors, une fois révélée
l’ inconsistance des alibis ? Il reste l’ écrasement. Pour qui ose regarder
la réalité sans fard, l’ enjeu est donc l’ écrasement. Point. Pourquoi dès
lors nous mentir, le dissimuler sous de fausses intentions ? Lâchons-
nous que diable ! Que tous les écraseurs de la terre se donnent la main ;
on écrase beaucoup mieux ensemble que séparément. L’ union fait la
farce. Et qu’ on en finisse une bonne fois pour toutes puisque tel semble
être notre désir. La logique commande que nous y passions tous : les
hommes, les femmes, les vieillards, les enfants, les nouveau-nés. Que
pas un de nous ne subsiste puisque nous jouons à être la mauvaise
graine de l’ univers. Ce sera rendre un service à la vie. Nous serons la
première espèce vivante à nous autodétruire en conscience pour le bien
du Tout. Si notre nature est d’ être des écraseurs et que nous ne sommes
pas en mesure de changer de nature, alors écrasons mes frères. Mais ne
nous voilons pas la face, ne nous jetons pas de la poudre aux yeux. Parce

10 était il y a 25 ans, il n’en reste donc plus que 5 !

46
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

que c’ est un peu facile de faire semblant de ne pas comprendre ce qui


se passe alors que nous avons tous les indicateurs sous les yeux, toutes
les informations dont nous avons besoin pour comprendre les enjeux.
C’ est un peu facile de dormir devant la télévision. La seule question
que nous avons à nous poser est : je tourne le bouton ou pas ? Je me
déconnecte ou pas ? Un jour, une dame un peu naïve me demanda dans
un débat comment je pouvais me tenir informé alors que je ne regardais
pas la télévision. Eh bien ! justement Madame, je ne m’ informe pas (de
l’ ancien français enformer : mettre en forme), je ne me laisse pas mettre
en forme par autrui, je me désinforme tout seul, comme un grand.
Donc, maintenant que vous avez tourné le bouton, puisque vous êtes
en train de me lire, je vous pose la deuxième question : voulez-vous
continuer ?
À quoi ? Au jeu de la vie. C’ est vous qui choisissez. Chacun à part soi.
Pour continuer le jeu, il nous faut changer le « je » de place. Entrer
dans la vie comme dans une interrogation. Au lieu de dire « je veux »,
demandons « puis-je ? ».
Je sais, cela paraît fou ! Mais vu l’état de folie dans lequel se trouve aujourd’hui
le monde, franchement, je ne vois pas où est le problème. Ce n’est certes
pas la folie qui nous fait défaut. Nous en avons autant que nécessaire. Il
suffit juste de la retourner. La mettre au service, non plus de la destruction
du monde mais de sa réinvention. Il n’est pas d’inventeur sans une part
de folie. Prendre simplement soin d’éviter les GROSSES inventions. S’en
tenir à de petites choses et s’assurer de leurs effets avant de les laisser se
reproduire, comme il vient un jour à une femme l’idée fantasque de porter
une plume à son chapeau ; si l’idée plaît, d’autres, séduites, se prennent à
l’imiter. Ainsi tout naturellement se créent les modes.
Il s’ agit aujourd’ hui de tourner la page de la grande mode de la guerre
pour lancer celle de la paix. Elle naît de notre désir profond de vivre
autrement. Nul n’ est obligé de rester enfermé dans le carcan de la
croyance qu’ il n’ existe sur terre que des rapports possibles de domination,
d’ oppression, de violence. Une autre vie est possible.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

9
NOUS SOMMES LIBRES DE PENSER AUTREMENT

De son vivant, le Christ nous enseigna par sa présence et sa parole juste.11


Plus tard, ceux qui l’avaient accompagné sur son chemin de révélation
entreprirent de colporter son message d’amour et de paix. Ils allaient dans
le même appareil que lui, l’imitant en tous points, et connurent donc tout
naturellement la même destinée : les Romains les jetèrent dans le cirque
où, dévorés par les lions, ils souffrirent à leur tour le martyre.
Peu à peu pourtant l’idée fit son chemin, jusqu’à ce qu’au IVe siècle, sous
le règne de Constantin, le christianisme devienne la religion officielle. Les
empereurs, les monarques ont tout avantage à privilégier l’adoration d’un
dieu unique : ils en tirent leur propre légitimité de gouvernant unique.
Vêtus d’ une chasuble tissée de fils d’ or, les prêtres officiaient le dos
tourné à l’ assemblée. Outre que l’ or était une marque de pouvoir, il
conduisait l’ énergie que les prêtres, par leurs incantations, puisaient
dans les cieux auprès de ce dieu que l’ Empire avait laissé crucifier, s’ en
étant lavé les mains. Ainsi les fidèles à genoux recevaient d’ un même
élan le message de la légitimité du sacrifice et l’ énergie nécessaire au
labeur : le travail physique pour produire les richesses établissant la
magnificence de Rome, et l’ asservissement de l’ esprit pour qu’ ils ne leur
viennent pas à l’ idée de se rebeller. Ainsi, alors même que l’ étendue des
conquêtes rendait l’ empire de plus en plus difficilement gouvernable
par la contrainte des corps, une autre forme de gouvernance se mettait
insidieusement en place : la sujétion des esprits.
Idée de génie qui survécut non seulement à la chute de Rome sous la
contre-poussée des Barbares, mais, jusqu’ à ce jour encore, à tous les
avatars de l’ histoire. Les anciens Barbares sont désormais majoritairement
convertis, et l’ Empire chrétien ne s’ étend plus seulement sur le Bassin
méditerranéen et l’ Europe occidentale, mais sur la quasi-totalité du
globe. C’ est un empire esclavagiste totalitaire.

11 Je ne parle pas ici d’un personnage historique, dont nous ne savons s’il a ou non existé,
mais d’une histoire que nous nous racontons et qui influe fortement sur nos modes de
pensées – que nous soyons croyants ou athées.

48
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Au fil du temps, les fils d’ or ont été remplacés par des fils de soie puis de
coton, l’ esclavagisme par le capitalisme – lequel se révéla d’ une efficacité
bien supérieure en termes de rentabilité économique – et la messe (qui
relevait de l’ espace public) par la télévision, dont l’ effet hypnotique
s’ immisce désormais jusque dans le moindre interstice de la vie privée.
Pendant ce temps, les vrais fidèles – ceux qui le sont non aux rites mais au
message originel d’amour et de paix, incompatible pour le coup avec les ors
du pouvoir – reculaient dans l’ombre. Ils le firent tout autant pour se mettre à
l’abri des bûchers de l’Inquisition que pour comprendre ce qui était réellement
en jeu. Ceux-là reviennent aujourd’ hui pour témoigner de ce qu’ ils ont
vu et qui demeure encore pour l’ heure caché au plus grand nombre.
L’ église chrétienne valorise la crucifixion, la culpabilité, l’ obéissance
aveugle. Celui qui descend dans son ombre (cette part de nous qui
nous terrifie tellement que nous ne cessons de la refouler hors de notre
conscience) y découvre qu’ il se crucifie lui-même, se juge coupable et
obéit à des forces aveugles dont il ignore tout. Nul besoin de soldats
romains, de Sanhédrin, de Ponce Pilate, de Dieu le père qui nous
abandonne. Le piège de l’ ego a remarquablement fonctionné. Désormais
(croyants comme athées) nous exécutons nous-mêmes la tâche avec
tout le zèle requis, construisant de nos propres mains les murs de notre
prison, sans qu’ il soit nécessaire de nous y contraindre en rien.
Nous créons notre propre servitude par autosuggestion, parce que nous
croyons qu’ il n’ existe pas d’ autre destinée possible pour nous sur cette
terre. Et que c’ est tout ce que nous méritons.
Comment en sortir ?
En changeant d’ histoire. « Nous sommes remontés jusqu’ à la source,
nous disent ce qui reviennent de l’ ombre ; là, nous l’ avons vu et nous
vous le rapportons : nous sommes libres de penser autrement. »
Contrairement aux admonitions de l’Église s’arrogeant le droit de prêcher
en son nom, l’enseignement premier de Jésus repose non sur la crucifixion
mais sur la résurrection – c’est-à-dire sur la vie éternelle. Non sur la culpabilité
mais sur l’ amour fraternel : « aimez-vous les uns les autres comme je
vous ai aimés ». Non sur l’ obéissance aveugle mais sur la rédemption –
qui est délivrance de la culpabilité et libération de la servitude.

49
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

C’ est parce que nous croyons que nous sommes coupables – que nous le
croyons vraiment, au profond de nous – que nous nous laissons asservir
par toutes les formes de pouvoir – civils ou religieux – qui s’ exercent sur
nous. Et cette fausse pensée est soigneusement entretenue par lesdits
pouvoirs. Notre tâche est de l’ amener à la lumière de la conscience qui
la dissipera avec une déconcertante facilité, pour la raison qu’ elle n’ a pas
la moindre réalité et que ce qui n’ est pas réel ne peut prendre l’ ascendant
sur nous qu’ en demeurant tapi dans l’ ombre. Ramenée au jour, elle est
une chimère qui s’ évapore.
Une telle fantasmagorie de l’ esprit se forme à l’ illusion que nous ne
sommes pas aimés. Et si nous ne le sommes pas, pensons-nous, c’ est
parce que nous ne sommes pas aimables. C’ est donc de notre faute. Ici
se referment les mâchoires du piège.
Or, tout au fond de nous, sous la culpabilité, qui n’ est qu’ un écran de
fumée que nous étendons par peur devant la réalité, nous sommes
amour. Aimer est le seul moyen de connaître l’ amour (littéralement :
« naître avec »). En aimant, nous ouvrons une écluse en nous par laquelle
s’ écoule l’ amour. Il s’ écoule de l’ intérieur vers l’ extérieur. Il suffit de
demander pour recevoir. Et l’ on ne peut recevoir qu’ en donnant !
Quand, en aimant, nous libérons l’ espace occupé en nous par l’ énergie
de l’ amour, nous l’ offrons à un autre afin qu’ il puisse y transfuser à son
tour sa propre énergie d’ amour. Et ainsi de suite. C’ est une chaîne sans
fin. Une chaîne humaine dont nous sommes les maillons. C’ est à cet
effet que nous sommes si nombreux aujourd’ hui sur terre. Pour que la
lumière de l’ amour s’ expanse à travers nous. Dès que nous le retenons,
il se liquéfie, s’ accumule, pousse de toute sa masse contre la digue du
barrage. Quand la poussée est trop forte, le barrage lâche ses eaux dans
la vallée des larmes, dévastant tout sur leur passage. N’ attendons plus
que surviennent les catastrophes, offrons-nous l’ amour dont nous avons
besoin pour vivre en plénitude. Guérissons-nous les uns les autres de
nos fausses croyances. Tu crois faire le mal, mon frère, comme je l’ ai
longtemps cru ? Tu te juges coupable ? Tu crois à la réalité de la haine, de
la peur, de l’ attaque ? Réveille-toi, tu fais un cauchemar.

50
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

*
À mon frère musulman.
Il y a un temps pour les croisades, les maux croisés des croix dressées et
des croissants en lame de sabre. Et il y a un temps pour les mathématiques,
les langues croisées, les philosophies... qui sont une dentelle que depuis
des siècles nous tissons ensemble au point de croix.
Chacun de notre côté, nous avons exploré la peine, la souffrance et le
labeur de la guerre.
Que nous reste-t-il dès lors à partager ? L’ apocalypse, où nous lâchons
pour de bon les chiens de la terreur ? Ou la musique, la poésie qui sont
une sous des formes multiples ?
Les deux sont possibles. Il y a toujours eu parmi nous des hommes de
paix pour échanger les savoirs et les saveurs. Et des hommes de guerre
pour rendre les coups aux blessures.
Seront-ce dès lors les frères aimants qui gagneront la paix, ou sera-ce la
guerre qui perdra les frères ennemis ?
La résolution de ce dilemme, où nous engageons cette fois l’ avenir de
l’ humanité, nous est enseignée par nos frères juifs : le Grand pardon.
Alors ce jour, si tu veux bien mon frère, je fais ma part du chemin. Moi,
le chrétien qui domine aujourd’ hui le monde, invoquant la religion du
sacrifice pour légitimer mon règne, je te demande pardon. Je dépose mon
épée à tes pieds et, allant au bout de ma croyance, je te dis : « Frappe-moi
si tu penses que ce dernier coup t’ est nécessaire à l’ assouvissement de
ta colère. Je t’ abandonne ma vie plutôt que de continuer à la perdre en
essayant de te prendre la tienne. Et cette fois, par ce don de moi-même
que je te fais, je ne me sacrifie pas, je me sauve.
« Quant au tombeau que je voulais délivrer jadis de ta croyance que je
nommais impie, je t’ en remets les clefs. Quand tu l’ ouvriras, tu verras
au nom de quoi nous nous sommes si longtemps battus : quelques
ossements et de vieilles croyances. Elle n’ est pas celée dans ce sombre
caveau, le nom de la double force qui depuis si longtemps d’ un élan nous
attire et de l’ autre nous effroie. Tu la trouveras dans ton cœur comme je
l’ ai trouvée dans le mien, elle a pour nom : l’ Autre, L’ Étrange, qui excite
notre curiosité tout autant que nos alarmes.
51
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

« Va en paix, mon frère. Garde l’ eau précieuse de Palestine pour les


fruits de tes jardins plutôt que pour le fleurissement de tes mausolées.
Les morts n’ ont pas besoin d’ eau. Le seul cadeau que nous puissions leur
offrir est de vivre ce qu’ ils n’ ont pas vécu et de le partager avec eux dans
le silence de nos cœurs. Si cette terre fut sainte un jour à mes yeux, elle
le demeure à jamais. Et les hommes qui y vivent sont bénis.

Afin d’ accompagner au mieux le lecteur qui ne serait pas


familier avec les idées que je développe dans ce livre, je résume ici
celles principalement exposées dans les deux premières parties.

1 – Le message relatif aux désordres actuels du monde, tel que


relayé par les instances politico-médiatiques, n’ a d’ autre utilité
que de tenter de murer les fenêtres dont les vitres ont été soufflées
par les explosions des attentats-suicides. Ceci afin d’ empêcher
les curieux de jeter un œil à l’ intérieur de la maison du pouvoir.
Non qu’ il s’ y trouve quoi que ce soit qu’ il faille cacher aux regards,
mais tout au contraire parce que c’ est une maison vide où nul
n’ habite. Et cela, il est de première importance pour la poursuite
des opérations que personne ne le sache. La façade n’ est qu’ un
décor de carton-pâte, et les personnages qui s’ agitent derrière les
vitres, des marionnettes dont on ne sait qui les manipule. Sans
doute, in fine, nul autre que nous-mêmes.

2 – Les religions, les grandes philosophies, les cosmogonies


véhiculent toutes peu ou prou le même message, profondément
vrai, qui se décline en quelques variantes autour d’ un thème central :
l’ amour ; la non-culpabilité ; la conscience ; la connaissance ;
la paix… que l’ on peut illustrer par quelques-unes d’ entre elles.

52
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Le message de la religion chrétienne est la douceur et


l’ amour. Celui de la religion judaïque est le pardon. Le Bouddha,
lui, porte le chemin de conscience jusqu’ à l’ illumination suprême.
Suivant le même cheminement, la philosophie de Socrate prône
la connaissance de soi, dont il dit qu’ elle est connaissance de
l’ univers et des dieux. Pour les Indiens navajos, les humains sont
descendus dans ce monde pour établir la paix entre la terre et le
ciel qui étaient en guerre depuis l’ instant où ils furent créés, c’ est-
à-dire, depuis que l’ esprit (puisque tout commence par l’ esprit)
vit dans la croyance de la séparation : moi et les autres au-dehors,
la dualité au-dedans. On retrouve la même idée d’ une tâche de
pacification prise en charge par l’ humanité dans le très beau livre
Dialogues avec l’ ange : « L’ homme entend tous les cris de l’ univers
et il doit y faire naître de la douceur. »
L’ Histoire nous a largement démontré que les deux premières
– pour avoir été prises dans les rets du pouvoir : l’ une a créé un
empire dont l’ autre fut la victime expiatoire – ont accouché l’ exact
contraire de ce qu’ elles prônaient. La religion de l’ amour et de la
douceur a enfanté des bûchers de l’ Inquisition, du colonialisme,
de l’ esclavagisme, du capitalisme, du nazisme… la religion du
pardon a élevé pour sa part la victimisation au rang de justification
absolue à son allègre participation désormais à l’ embrasement
généralisé du monde.
Seules celles qui n’ ont pas été contaminées par des
enjeux de pouvoir ont été en mesure de garder plus ou
moins préservé leur message originel. Les autres ont
été détruites de l’ intérieur par les pulsions égotiques
– « Moi je » – qui nous animent tous. Ce sont ces pulsions qu’ il
nous appartient aujourd’ hui de transcender. Et c’ est au demeurant
cela seul qui se trouve à la portée de chacun de nous, le reste nous
échappant totalement.

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

« Ne tirez pas sur l’oiseau du printemps »


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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

TROISIÈME PARTIE
LE DEDANS

« Toute attaque est une attaque contre Soi. »


Un Cours en miracles

55
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

11
LA DANSE DE MA VIE

Il y a plus de 30 ans, je me suis trouvé à deux doigts d’ être pris dans un


mouvement de foule. Avec un ami nous avions accompagné à Londres
deux de nos élèves sélectionnés aux championnats du monde de boxe
américaine. Nous nous sommes très rapidement aperçus qu’ il existait une
entente entre les Anglais, qui étaient les organisateurs de la compétition,
et les Américains qui régnaient sur la discipline, pour truster tous les titres
en manipulant de manière éhontée l’ arbitrage. Le soir du deuxième jour,
la seule finale où ne figurait aucun anglo-saxon opposait en super-lourds
un Français et un Allemand. Nous formions au bord du ring deux groupes
d’ une vingtaine de personnes chacun qui soutenions nos combattants à
quelques mètres l’ un de l’ autre. La tension due aux frustrations que nous
avions vécues tout au long du week-end était palpable et s’ exprimait de
part et d’ autre par des injonctions aux combattants, des cris, des insultes
à l’ arbitre. Puis nous nous mîmes à les échanger d’ un groupe à l’ autre,
prêts à nous élancer pour en découdre, en finir une bonne fois pour toutes
avec nos rancœurs accumulées en offrant un exutoire à notre violence.
Je sentais physiquement l’ oscillation du groupe, j’ oscillais avec lui, c’était
comme un rapport sexuel : avant, arrière, avant arrière, puis l’ un de nous
se jeta sur le groupe adverse et je me sentis emporté, aspiré avec lui. Par
chance il fut rattrapé in extremis par un entraîneur qui faisait autorité
dans l’ équipe et l’ affaire en resta là. D’ habitude, je faisais partie de ceux
qui calmaient le jeu et là, non, je faillis être emporté par l’ élan aveugle de
la masse indifférenciée que nous formions. La foule n’ a aucune maîtrise
des événements, elle les subit. Nous étions, de part et d’autre, une masse
séparée en deux camps qui jouait au grand jeu de la guerre. Il n’ y eut que
deux individus dans le groupe. Celui qui se lança à l’ attaque, porté par
notre inconscience collective et nous entraînant avec lui : le meneur, et
celui qui l’ arrêta : l’ homme conscient.
Soit nous sommes manipulés par des forces inconscientes, et nous
menons les affrontements jusqu’ à leur terme : le combat cesse alors faute
de combattants, soit nous agissons en conscience.

56
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Cette petite aventure m’ a énormément enseigné sur moi-même et,


par-là, sur la marche du monde.
Pour comprendre la marche du monde – et ainsi être en mesure
d’ agir dessus – il nous faut comprendre comment nous fonctionnons
nous-mêmes. Le dehors – ce que nous appelons le réel – est le reflet
du dedans, de notre monde intérieur. Toutes les clefs sont en nous. En
chacun de nous. Pour pouvoir nous en servir utilement, il nous suffit
de nous appuyer sur nos expériences et d’ en tirer les enseignements.
Dans l’ histoire que je viens de vous raconter, l’ enseignement est : toute
oppression (je nie ta valeur, je triche pour m’ accaparer les titres, je te
domine par la ruse…) génère en retour une décompression sous forme
d’ explosion. L’ intéressant, dans le cas présent, est que nous n’ avons pas
fait alliance pour amener l’ injustice au jour ; nous – les perdants – nous
sommes soulagés de l’ oppression en nous jetant les uns sur les autres.
Cela me rappelle une expérience menée sur des animaux de laboratoire.
On place un rat dans une cage composée de deux parties communicantes,
puis on électrifie celle dans laquelle il se trouve. Secoué par la décharge,
le rat se réfugie dans l’ autre. On le laisse se reposer un moment et on
recommence. Au bout d’ un certain temps, l’ animal s’ adapte, parvenant
même à anticiper la décharge. L’ expérimentateur passe alors à un mode
d’ électrification aléatoire. Privé de tout repère, le rat, incapable d’ éviter
la décharge et ne pouvant se reposer entre deux attaques, entre dans
une phase dépressive : son poil se ternit, il maigrit, dépérit. On le place
alors dans une cage non électrifiée, en compagnie d’ un congénère ayant
subi le même traitement. Les deux rats se jettent aussitôt l’ un sur l’ autre.
Le vainqueur reprend du poil de la bête tandis que le vaincu se laisse
mourir.
S’ il en avait les moyens, le cobaye se ferait-il sauter avec une ceinture
d’ explosifs, entraînant avec lui dans la mort le plus grand nombre
possible de laborantins ?

57
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

Simone Weil : « Ne pas oublier qu’à certains moments de mes maux de


tête, quand la crise montait, j’avais un désir intense de faire souffrir un
autre être humain, en le frappant précisément au même endroit du front
(…) Mécanique humaine. Quiconque souffre cherche à communiquer sa
souffrance – soit en maltraitant, soit en provoquant la pitié – afin de la
diminuer, et il la diminue vraiment ainsi. Celui qui est tout en bas, qui n’a
le pouvoir de maltraiter personne (s’il n’a pas d’enfant ou d’être qui l’aime)
sa souffrance reste en lui et l’empoisonne. » La pesanteur et la grâce.
Sommes-nous en mesure d’ entendre cela ? Que nous sommes prêts
à faire souffrir pour nous soulager de notre propre souffrance ?
Personnellement je le peux pour l’ avoir découvert en moi avant même
d’ avoir lu La pesanteur et la grâce. Ce n’ était certes pas volontaire,
je n’ étais pas conscient alors de ce que je faisais, mais force m’ est de
reconnaître que je me suis bel et bien soulagé de ma souffrance sur des
êtres qui m’ aimaient. Et je le confirme aujourd’ hui où je peux regarder
cela sans jugement : je m’ en trouvais vraiment soulagé alors. Pour
un temps. Ensuite, cela revenait et je devais recommencer. Jusqu’ au
moment où j’ ai amené le mécanisme au jour. Seule la conscience nous
sauve. La souffrance s’ arrête quand nous sommes suffisamment grands
pour l’ accueillir en nous et la reconnaître pour ce qu’ elle est : de l’ amour
blessé. Alors l’ amour blessé guérit en nous et, tout de suite, demande à
sortir. Il n’ y a qu’ une énergie dans l’ univers et elle doit circuler librement.
Quand nous la retenons, elle nous détruit. De même que la seule façon
de faire circuler la souffrance est de faire souffrir, la seule manière de
faire circuler l’ amour est d’ aimer.

*
« L’ espace et le temps ne sont pas les conditions de notre vie ; ce sont des
modalités de notre pensée. » Albert Einstein
Je postule que la pensée préexiste au monde physique. Les sportifs, les
danseurs l’ expérimentent au quotidien quand ils répètent mille fois
un geste en pensée, enseignant ainsi à leur corps le bon chemin pour
parvenir à l’ exécuter de la meilleure façon qui soit.

58
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Or nous pensons de manière binaire : le bien le mal, la gauche la droite,


le jour la nuit, le masculin le féminin, le plaisir la souffrance… tous
termes qui s’ excluent mutuellement dans notre esprit dès lors que nous
les opposons.
Mais le deux n’est pas obligatoirement la guerre. Il peut aussi être la danse.
À partir de là, la question est : pouvons-nous penser autrement ?
Pouvons-nous penser la danse là où nous pensons aujourd’ hui encore
la guerre ? Pouvons-nous simplement essayer, chacun de nous, à titre
individuel, dans le silence de notre cœur, prendre un peu de cette guerre
collective à notre compte et en faire un pas de danse ?
Vous avez peur de passer pour un dérangé de l’ esprit ? Eh bien oui, pour
changer le monde, il nous faut déranger l’ esprit ! C’ est un passage obligé.
Soit nous laissons les choses aller leurs cours et la guerre s’ arrêtera d’ elle-
même, le moment venu, dans une explosion finale dont la puissance
échappe à toute imagination. Soit, pire encore, nous entrons dans une
interminable agonie. Deux pauvres fous qui utilisent leurs dernières forces
pour se porter le dernier coup, et ne parviennent même plus à soulever
leurs épées et meurent d’ épuisement, le cœur empli de haine (Hamlet).
Que risquons-nous d’ essayer ? Au moins, même si nous échouons,
nous mourrons sans regret. Je vais vous raconter, si vous le voulez bien,
un épisode de ma vie assez récent où j’ ai trouvé en moi le courage de
franchir ce pas qui mène du combat à la danse.
Il y a quelques années, j’ ai traversé un conflit très dur avec ma fille.
Après une confrontation violente où presque tous les coups étaient
permis, nous sommes entrés dans une période de guerre froide qui a
duré quatre ans. Pendant quatre ans je n’ ai pas vu ma fille, ni ma petite
fille, ni mon gendre. Et pendant cette période j’ ai eu une seconde petite
fille dont je n’ ai appris l’ existence que 4 mois après sa naissance. Au
cours de cette mise à distance, nous avons, chacun de notre côté, essayé
de comprendre ce qui se passait et cherché comment en sortir. Une amie
thérapeute, qui m’ accompagnait dans ce travail de rédemption, m’ a
dit un jour cette phrase qui m’ a marqué à vie : « dans un conflit, c’ est
l’ adulte qui fait la paix ». Je me suis dit OK, c’ est moi, le père. Est-ce
que je suis adulte ? J’ avais 55 ans alors. Et je me suis rendu compte que

59
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

pour devenir adulte, pour parvenir véritablement à l’ âge adulte, pour


être en mesure de faire la paix en moi avec ma fille, il me fallait encore
grandir. Vous voyez ? Je ne dis pas la paix avec ma fille, je dis la paix en
moi avec ma fille. C’ est-à-dire que là où j’ avais des pensées de guerre à
son égard, je m’ efforçais de créer des pensées de paix. Pour cela il m’ a
d’ abord fallu comprendre ce qui était en jeu : les forces inconscientes qui
m’ animaient, me manipulaient. J’ ai utilisé différentes techniques pour y
parvenir. Nous disposons aujourd’ hui de tout un éventail thérapeutique
susceptible de nous aider. L’ important est de ne pas croire que quelqu’ un
va nous guérir sans que nous ayons besoin de lever le petit doigt. Non,
c’ est le patient (celui qui travaille dans la patience) qui fait le travail. Le
véritable thérapeute est simplement un aîné qui est passé par là avant vous
et vous accompagne un bout de chemin. Quand vous êtes en thérapie,
vous n’ êtes pas allongé sur un brancard de l’ esprit avec quelqu’ un qui
vous perfuse. Vous êtes debout sur vos deux jambes et vous marchez à
l’ aveuglette dans l’ obscurité, jusqu’ à commencer à entrevoir la lumière
au bout du tunnel.
Un jour, au bout de quatre ans de cet harassant travail, le téléphone a
sonné et j’ai entendu : « Bonjour, c’est ta fille, tu aimerais qu’on se voit ? »
Voilà pour l’ histoire vue de mon côté. L’ autre lui appartient. Je le connais
en partie puisqu’ elle me l’ a racontée. Et c’ est peu ou prou le même
chemin qu’ elle a suivi, avec les outils qui sont les siens.
Mais la danse n’ est pas encore la paix. Elle est la plus belle interaction
qui soit entre deux individus qui se vivent comme séparés l’ un de l’ autre
et désirent communiquer entre eux. La paix s’ établit dans la conscience
que je forme un tout avec l’ autre, une unicité qui nous englobe, et que ce
qui est bon pour lui est bon pour moi. Tout au fond de nous, sans en être
conscients, nous partageons tout, le meilleur et le pire. « Le mal perpétré
par un seul homme souille tous les autres hommes, de même que les
larmes versées par un seul lavent tous les autres. Le meurtre comme la
bonté engagent à chaque fois l’ humanité entière, la sauvent ou la perdent
à chaque fois » (Christian Bobin).
La danse est ce qui se rapproche le plus de l’ immobilité de la paix. Là
où la guerre s’ immobilise dans la mort, la danse s’ immobilise dans le

60
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

mouvement de la vie. C’ est cette conscience du mouvement de la vie en


eux que cherchent à atteindre les danseurs soufis. Elle se produit lorsque
la pensée s’ arrête.
Et avec elle le temps.
Quand le temps s’ immobilise, nous entrons dans l’ éternité de l’ instant
présent où la communication devient communion.

*
Un lecteur me pose la question suivante : « Vous vous présentez comme
un homme ayant longtemps été en guerre avec lui-même. Comment un
être peut-il se faire la guerre à lui-même ? À qui la fait-il s’ il est seul ? »
Parce que nous ne sommes pas « seuls » justement. Nous ne sommes pas
unifiés au-dedans de nous. Une des acceptions de Satan, le démon des
chrétiens à qui échoit le mauvais rôle de faire le pendant à l’ unité divine,
est le diviseur. Nous sommes en guerre quand nous sommes divisés au-
dedans de nous, nous sommes en paix quand nous sommes unifiés.
J’ ai récemment rencontré une très gentille dame de 80 ans qui m’ a
montré comment elle se donnait toute seule des coups de pied aux
fesses en se traitant d’ imbécile, ce qui, à cet âge, requiert une certaine
souplesse. Bon, c’ est anecdotique et ça nous a bien fait rire. Mais sur
le fond on peut s’ interroger sur le mécanisme. Il y a au moins deux
personnes en elle, deux entités, deux forces en opposition : une qui traite
l’ autre d’ imbécile et lui donne des coups de pied aux fesses, l’ autre qui
reçoit les coups de pied et s’ entend qualifier d’ imbécile.
Du coup j’ ai décidé d’ observer à l’ occasion comment cela se passait à
l’ intérieur de moi. J’ utilise pour ce faire un truc assez simple, je mets
un signal d’ alerte dans un coin de mon esprit, un peu comme un post-
it qu’ on colle sur le frigo, avec écrit dessus : « quand je sens un conflit
en moi, je me mets en état d’ observation ». Quelques nuits plus tard, je
suis en train de penser seul dans mon lit quand la petite lampe s’ allume
dans ma tête et je prends conscience que je suis en train de me juger.
« OK Hervé, me dis-je, tu es bien seul là ? ». (Vous voyez ? Je me parle.
« Je » – le sujet – parle à « moi » : le complément.) Et je reprends mon

61
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

monologue intérieur en observant attentivement pour le coup ce qui


se passe. L’ opération peut paraître compliquée à première vue, mais
ça demande juste un peu de souplesse de l’ esprit, du même ordre que
l’ agilité physique de la dame qui se donne des coups de pied aux fesses.
Il suffit d’ un peu d’ entraînement.
Donc, à partir de là, je me place du côté de celui qui observe et je prends
conscience que trois personnes dialoguent en moi : un plaignant,
un juge, un accusé. Je ne me souviens plus de quoi il était question
exactement – bien que se révélant à l’ examen profondément semblables
dans leur structure, mes jugements personnels sont extraordinairement
divers et variés. Ce pourrait être quelque chose comme : j’ ai trop bu
de ce mauvais vin et maintenant j’ ai mal à la tête (le plaignant). T’ es
vraiment trop con (le juge). Qu’ est-ce que j’ y peux, c’ est pas moi qui ai
demandé à naître dans une famille d’ alcoolique. (l’ accusé qui assure lui-
même sa défense).
Et cela peut tourner indéfiniment en rond, passer indifféremment d’ un
sujet à l’ autre. Il s’ agit d’ un mécanisme autonome qui nous colonise,
nous prend en otage. C’ est l’ ego qui pense en nous. « Ça » pense.
La particularité de cette expérience est que lorsque vous observez
en conscience la guéguerre que se jouent sur l’ écran de votre cinéma
intérieur les personnages ici dénommés plaignant, juge et accusé, vous
êtes un : l’ observateur. Et en même temps, vous savez que vous contenez
ceux-là. Il y a plusieurs acteurs sur la scène et un seul spectateur. Quand
je suis unifié, je suis le spectateur, le témoin. Et ce que je vois m’ apparaît
alors comme une illusion.12

À partir de là, puisque nous connaissons désormais le chemin


susceptible de nous conduire, chacun de nous, à la paix intérieure, il
nous reste à trouver celui nous conduisant ensemble à la paix sur
terre. Il s’ agit en fait du même chemin. Du moment où nous sommes
suffisamment nombreux à faire ce travail de conscience, ce que nous
12 Je conseille au lecteur désireux d’explorer plus avant cette disposition innée en nous
à endosser tour à tour différentes personnalités, de lire le superbe livre de Daniel Keyes,
Les Mille et Une Vies de Billy Milligan.

62
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

nommons l’ inconscient collectif produit en son sein un levain qui le fait


lever en une conscience collective. Nous sommes des formes éphémères
de l’ esprit. Quand nous amenons de la conscience dans nos existences,
le champ unifié de l’ esprit gagne en conscience. La conscience ne nous
appartient pas plus que nous n’ appartenons à l’ inconscient. Ce sont
les deux états de l’ esprit en nous lorsque nous nous percevons comme
des êtres divisés. Nous sommes simplement des transformateurs. Nous
transformons de l’ esprit inconscient en esprit conscient, comme les
ombilics chers à Darwin transforment un sol aride en terre fertile par
leur simple fonction digestive. Nous sommes les ombilics de l’ esprit. Si
nous n’ existions pas, l’ univers ne serait pas ce qu’ il est.

*
Il y a quelques années, lassé de l’ ignorance dans laquelle je me trouvais
de l’ origine des tumultes m’ éreintant l’ âme, j’ ai offert ma voix à je ne sais
quelle partie obscure de moi dont j’ ignorais tout mais dont je pressentais
la malfaisance. « Parle », lui ai-je proposé. Et je me suis effacé. Je suis
littéralement sorti de moi afin de lui laisser le champ libre, l’ écoutant
sans intervenir. Alors cette entité (je ne sais au juste comment la
nommer) s’ est exprimée par le véhicule de ma parole. Les mots sortaient
de ma bouche mais ce n’ était pas « moi » qui les prononçait. Ce n’ était
pas mon moi conscient, ce complexe autonome, comme l’ appellerait
C.G. Jung, par lequel je me représente à moi-même et au monde, mais
un champ de forces m’ habitant, et qui donc était tout autant moi que je
peux l’ être quand je dis « je ». Un champ de forces sans contours définis
et qui, pour se trouver hors du champ de ma conscience, avait barre
sur moi. Et là, s’ exprimant par le véhicule de ma parole, elle s’ adressait
à moi. « Je t’ ai piégé », furent les seuls mots qu’ elle répéta à plusieurs
reprises, exprimant par son intonation une haine viscérale à mon égard :
JE T’ AI PIÉGÉ ! En même temps, je percevais un fléchissement en elle
à mesure qu’ elle répétait sa seule incantation, comme si elle ne pouvait
tenir sa haine entière que dans l’ obscurité et, qu’ advenant au jour,
celle-ci commençait de s’ étioler, allant irréversiblement en s’ affaiblissant.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

Je n’ ai jamais répété l’ expérience mais j’ ai engagé toute ma volonté pour


ne pas laisser « mon ennemi intérieur » disparaître à nouveau dans
l’ obscurité. Il m’ est apparu quelques jours plus tard en rêve sous les
traits d’ un meurtrier doué d’ une force colossale, animé de l’ inflexible
détermination de m’ anéantir. Puis à nouveau les nuits qui suivirent.
Pressentant que sa révélation était d’ une importance capitale dans le
processus d’ introspection que j’ avais entrepris en lui offrant la parole,
je m’ exhortais, du dedans même de mes rêves, à ramener au jour à mon
réveil les scènes de mes fantasmagories nocturnes. C’ était un combat
épuisant. Non pas un combat contre lui mais contre les puissances de
renoncement en moi, comme lorsque, escaladant une montagne, ivre
de fatigue, il nous faut puiser au plus profond de nous les forces qui
nous tendent vers le but. Mais là je ne gravissais nul sommet vers la
lumière, je descendais tout au contraire dans mes ténèbres. J’ ouvrais une
porte. Il se tenait là, colosse immobile, incapable de se mouvoir dans un
espace si exigu qu’ il l’ occupait en entier, vibrant d’ une indicible fureur.
Il ne me menaçait pas. Il « était » une menace en soi. Il me regardait.
Sans un mot, sans un geste. Seulement ce terrible regard. Il avait les
yeux rouges. Ce n’ est qu’ aujourd’ hui, tandis que j’ écris ces lignes, que
je prends conscience qu’ il avait les yeux de quelqu’ un qui a longtemps
pleuré. À l’ époque je me tenais loin d’ une telle perception, j’ étais au
reste beaucoup trop terrifié pour m’ inquiéter de ses états d’ âme. C’ est
seulement à cette heure, l’ ayant à nouveau remonté au jour par la magie
de l’ écriture, que je suis en mesure de l’ accueillir pleinement. Je peux
alors pressentir que sous la haine dont ses yeux me foudroyaient, couvait
un désespoir d’ une égale intensité. Cet homme s’ était construit sur les
décombres d’ un enfant. Un enfant aimant la vie d’ un amour infini. Et
cet enfant avait reçu une blessure. Il avait été blessé dans l’ infinité de
son amour et cette blessure infinie lui interdisait de vivre. Il ne pouvait
non plus en mourir. Seulement demeurer là, au cœur de ses propres
ténèbres, transmuant au fil du temps son amour infini en haine infinie,
se tissant jour après jour un cocon de haine dont il ne serait sorti pour
rien au monde. Il ne voulait pas en sortir. Il voulait, de toute la colossale
puissance de son âme blessée, que quelqu’ un vienne le chercher. Non,
pas « quelqu’ un ». Il voulait que vienne le chercher celui ou celle qui

64
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

l’ avait blessé. Et ce n’ était peut-être même pas une personne, peut-être


était-ce le monde qui l’ avait blessé. Avec le temps il s’ était peu à peu
réduit à cette seule volonté : « Viens me chercher ». Il était désormais
entièrement contenu à l’ intérieur de cette inhumaine aspiration :
attendre réparation de la blessure qui lui avait été causée. Et quand celui
qui l’ avait blessé viendrait, il le tuerait. Il s’ était enfermé lui-même dans le
plus terrible des pièges : il ne pouvait être délivré que par celui qui l’ avait
blessé et n’ avait d’ autre désir, d’ autre volonté que de l’ anéantir. Pour
rien au monde il n’ aurait accepté de lui la moindre parcelle d’ amour. Il
avait attendu trop longtemps. Il n’ était plus un enfant désormais, il était
loin le temps où il mendiait de l’ amour. Il était un homme adulte qui
répondait par la guerre à ceux qui le blessaient – et, du simple fait qu’ il
s’ interdisait de vivre, tout être vivant l’ approchant lui était une blessure.
Il attendait que je vienne lui ouvrir la porte pour me tuer. Et tant que je
ne descendrai pas, il m’ empêcherait de vivre – et de mourir aussi : je ne
risquais pas de m’ en tirer à si bon compte.
Pourquoi moi ? Est-ce moi qui l’ avais blessé ? Non, formant une seule et
même personne, nous avions été blessés en même temps. Il voulait que
ce soit moi pour la seule raison qu’ il ne connaissait personne d’ autre.
Parce que j’ étais son monde. Et en cela il avait raison : qui d’ autre que
moi aurait pu descendre dans mes propres bas-fonds ? Il attendait que
je vienne déposer mon amour à ses pieds, profitant alors de ma position
à genoux pour m’ écraser la nuque sous son pied. Du moins le croyait-il.
Du moins « je » le croyais. Mais ce n’ est pas ainsi que cela se passa. Même
si ce ne fut pas aussi clair sur le moment que cela peut l’ être aujourd’ hui,
il s’ est reconnu en moi et je me suis reconnu en lui.
À peine nous étions-nous découvert que déjà nous n’ étions plus les
mêmes. Exilé du monde, il n’ avait pu porter son amour infini que sous
forme d’ une haine infinie. La haine est à l’ amour ce que l’ ombre est à
la lumière. Elle n’ est pas son contraire, elle en est la face que n’ éclaire
nul regard. Le contraire de l’ amour est la peur. À partir de l’ instant où
j’ avais pris sur moi d’ ouvrir la porte et d’ oser le regarder, la peur avait
commencé de refluer. À partir de l’ instant où il s’ était découvert dans
mon regard, sa haine avait commencé de s’ éclairer.

65
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Comment aurait-il pu en être autrement puisque nous n’ étions qu’ un ?


Déjà, à cet instant, même encore séparés, nous n’étions qu’un. De tout
temps nous n’avions été qu’un. La séparation est une illusion. Rien n’est
jamais « réellement » séparé en nous. Ceci est une croyance qu’il nous
appartient de détisser, comme on épluche un oignon une peau après l’autre
jusqu’ à recouvrer notre unité une fois tous les voiles de l’ illusion ôtés.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

12
THE SHOW MUST GO ON

15 novembre. Irruption soudaine du dehors dans le monde du dedans.


Deux jours après la deuxième vague d’ attentats ayant endeuillé Paris cette
année, une autre attaque se produit à Bamako au Mali. La présentatrice du
journal de 13 h de France-Inter : « Est-ce que cela va s’arrêter un jour ? »
Non madame, cela ne va pas s’ arrêter. Pourquoi cela s’ arrêterait-il ?
Avons-nous anéanti tous les candidats au suicide ? Avons-nous arrêté
de bombarder l’ opposition armée en Syrie, avec toutes les « bavures »
commises sur les populations civiles, hôpitaux, etc. ? Pas que je sache.
Avons-nous arrêté de faire ami-ami avec l’ Arabie saoudite : État
islamique qui voile ses femmes, assassine les opposants au régime (150
exécutions capitales pour cette seule année), finance en sous-main le
terrorisme (celui-là même que nous combattons à leur côté !), mène
au Yémen une guerre qui figure au hit-parade de la violation des droits
humains, mais..., mais... se trouve être un de nos plus gros clients en
matière d’ armement.
Il y a quelques mois, François Hollande recevait à l’ Élysée le vice-prince
héritier du Royaume d’ Arabie saoudite. Au menu, signatures de contrats
pour un montant total de 10,3 milliards d’ euros. Et tout le monde de
se congratuler et de poser pour la postérité devant les objectifs des
photographes. Et à nouveau la Bourse qui grimpe : de belles affaires en
perspective : fabrication d’ avions, de chars, de missiles... puis nouvelles
commandes à venir pour la reconstruction des sites appelés à être
détruits par les armes fraîchement vendues.
Pouvons-nous vendre des armes en nous berçant de l’ illusion qu’ elles
ne serviront pas à tuer ? Et puisque nous savons bien que c’ est à cette fin

13 On doit à Milton Friedman, prix Nobel d’économie en 1976 et grand propagandiste de


l’ultra-libéralisme, d’avoir théorisé « la stratégie du choc »*, en conseillant aux hommes
politiques de mettre à profit l’état de stupeur succédant à une catastrophe, pour faire pas-
ser des réformes impopulaires.
* Titre du documentaire que Naomi Klein consacre à ce sujet.

67
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

que nous les produisons, quel égarement de l’ esprit nous ferme les yeux
quand elles tuent les enfants des autres et nous fait crier à l’ injustice
quand il s’ agit des nôtres ? Pouvons-nous adosser notre économie sur la
vente d’ engins de mort et jouer les outragés quand ceux-ci se retournent
contre nous ?
Je suis citoyen d’ un pays qui crée sa richesse en fabricant des mines
antipersonnel, des avions de combat, des chars d’ assaut, des canons… ;
je suis conscient que ces armes peuvent à tout moment se retourner
contre moi et n’ ai d’ autre choix que d’ en accepter l’ éventualité ou de
m’ opposer de toute mon énergie à leur fabrication.
En attendant, le spectacle doit continuer.
Ce 30 novembre 2015 s’ ouvre la COP 21, c’ est-à-dire la 21e édition
d’ une conférence mondiale sur le climat, dont les effets attendus ont
toutes les chances d’ être inversement proportionnels aux moyens
pharaoniques consacrés à son organisation. Aurions-nous vraiment
besoin de tout ce cérémonial si nous étions vraiment décidés à inverser
la tendance autodestructrice dans laquelle l’ humanité semble se trouver
irréversiblement engagée ? Dans son discours d’ ouverture, Laurent
Fabius raconte que lors de sa visite au Bangladesh, une femme ayant dû
déménager 9 fois à cause des inondations lui demande si l’ organisation
de cette énième conférence mettra fin à son calvaire. Je ne sais ce qu’ il
lui a répondu, mais à l’ évidence la seule réponse honnête possible est,
là encore, « Non madame ». Les cycles du climat sont de l’ ordre de
plusieurs milliers d’ années et la tendance ne va certes pas s’ inverser par
miracle au prétexte que 150 têtes couronnées se réunissent en grand
apparat dans la Ville Lumière. Dans les années 70, Guy Debord appelait
cela « La société du spectacle ». En attendant, pour raison invoquée
« d’ état d’ urgence », les opposants à l’ aéroport de Notre Dame des
Landes sont, eux, privés de scène. Ainsi, ceux qui ont quelque chose
à dire – à savoir qu’ il est mensonger de faire croire que nous luttons
contre le dérèglement du climat alors même que nous encourageons une
intensification des transports aériens – sont priés de se taire.
Tout l’ art du spectacle est de mettre les attentats à profit pour museler
la réflexion et la contestation d’ un processus létal à l’ œuvre.14 Ainsi

68
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

nous ne voyons pas les véritables forces en jeu. Qu’ y a-t-il derrière cette
guerre, où s’ affrontent d’ un côté une quarantaine de nations surarmées,
et de l’ autre des individus bardés d’ explosifs qui se font sauter en essayant
d’ entraîner avec eux le plus grand nombre possible de leurs ennemis dans
la mort ? Un empire mondialisé à bout de souffle qui cherche à ratisser
le dernier carré de richesses exploitables. Le sol s’ effondre sous la fonte
du permafrost, le sixième continent étend sa pollution de plastique sur
trente mètres d’ épaisseur au milieu de l’ océan, l’ économie mondiale se
trouve au bord de l’ effondrement, le climat se dérègle... tandis que les
cotations boursières des marchands d’ armes ne cessent de grimper.
À partir de là, nous n’ avons d’ autre choix que de regarder la réalité en
face. Elle s’ énonce ainsi : pour que la civilisation du gaspillage puisse
aller son train, il est nécessaire qu’ une frange conséquente de l’ humanité
soit asservie et la nature surexploitée.
Nous sommes dès lors tous responsables du monde que nous habitons.
Observons comment nous pensons le monde et nous saurons dans quel
monde nous aspirons à vivre. C’est cela un changement de paradigme.
Quand nous changeons notre façon de penser, le monde change. Un
humain après l’autre, chacun en son âme et conscience. Sinon nous
demeurons les esclaves de nos pulsions, de notre paresse et nous inventons
des théories du complot pour nous affranchir de notre responsabilité.
Il existe actuellement un déséquilibre entre les forces de destruction qui
s’ expriment dans la guerre de tous contre tous, orchestrée par les grandes
places financières de la planète, et celles de transformation, mises en
œuvre par de petits groupes d’ individus conscients. Les premières sont
encore beaucoup plus puissantes à cette heure, mais elles sont vieilles et
ont entrepris leur déclin ; les secondes sont encore fragiles, mais elles
ont en elles l’ énergie de la jeunesse. Ces forces naissent et meurent en
chacun de nous. La seule porte ouvrant sur une transformation possible
de l’ humanité se trouve en chacun nous. « Nous sommes appelés à pleins
poumons à faire neuf ce qui était vieux », écrivait Christiane Singer
quelques heures avant de mourir, « le pessimisme m’ ennuie à mourir, il
croit si bêtement que ce qui a été va se répéter. »14

14 Derniers fragments d’un long voyage. Albin Michel

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

13
IL N’ Y A QU’ UNE PORTE
ET ELLE EST EN CHACUN DE NOUS

21 décembre, solstice d’ hiver. Retour au-dedans.


Dans le neuvième chapitre du Procès, Franz Kafka raconte une histoire
qui, bien des années après l’ avoir lue, me donne encore le frisson :
« Une sentinelle se tient postée devant la Loi ; un homme vient un jour
la trouver et lui demande la permission d’ entrer. Mais la sentinelle lui
dit qu’ elle ne peut le laisser pénétrer en ce moment. L’ homme réfléchit
et demande alors s’ il pourra entrer plus tard. “C’ est possible, dit la
sentinelle, mais pas maintenant.” La sentinelle s’ efface devant la porte
ouverte et l’ homme se penche pour regarder à l’ intérieur. Le voyant
faire, celle-ci rit et dit : “Si tu en as envie, essaie donc d’ entrer malgré
ma défense. Mais dis-toi bien que je suis puissant. Et je ne suis que la
dernière des sentinelles. Tu trouveras à l’ entrée de chaque salle des
gardiens de plus en plus puissants ; dès le troisième, même moi, je ne
peux plus supporter leur vue.” L’ homme ne s’ était pas attendu à de telles
difficultés, il avait pensé que la Loi devait être accessible à tout le monde
et en tout temps, mais maintenant, en observant mieux la sentinelle, son
manteau de fourrure, son grand nez pointu et sa longue barbe rare et
noire à la tartare, il se décide à attendre quand même jusqu’ à ce qu’ on lui
permette d’ entrer. La sentinelle lui donne un escabeau et le fait asseoir
à côté de la porte. Il reste assis là des jours et des années. Il multiplie les
tentatives pour qu’ on lui permette d’ entrer et fatigue la sentinelle de ses
prières. Celle-ci lui fait subir parfois de petits interrogatoires sur son
village et sur beaucoup d’ autres sujets, mais ce ne sont que des questions
indifférentes comme les posent les grands seigneurs et pour finir elle
dit toujours qu’ elle ne peut pas le laisser entrer. L’ homme, qui s’ est
abondamment pourvu pour son voyage de toutes sortes de provisions,
emploie tout, si précieux que ce soit, pour la soudoyer. La sentinelle
prend bien tout, mais en disant : “Je n’ accepte que pour que tu ne puisses
pas penser que tu as négligé quelque chose.” Pendant ces longues années
d’ attente, l’ homme ne cesse d’ observer la sentinelle. Il en oublie les

70
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

autres gardiens, il lui semble que le premier est le seul qui l’ empêche
d’ entrer dans la Loi. Et il maudit bruyamment la cruauté du hasard.
Plus tard, en devenant vieux, il ne fait plus que grommeler. Il retombe
en enfance, et comme, au cours des longues années où il a étudié la
sentinelle, il a fini par connaître jusqu’ aux puces de son col de fourrure,
il prie les puces elles-mêmes d’ intercéder en sa faveur. Finalement, sa
vue s’ affaiblit et il ne sait si c’ est la nuit qui se fait autour de lui ou s’ il est
trompé par ses yeux. Mais maintenant il discerne dans l’ ombre l’ éclat
d’ une lumière qui brille à travers les portes de la Loi. Il n’ a plus pour
longtemps à vivre désormais. Avant sa mort, tous ses souvenirs viennent
se presser dans son cerveau pour lui commander une question qu’ il n’ a
pas encore posée. Et, ne pouvant redresser son corps raidi, il fait signe
à la sentinelle d’ approcher. Celle-ci se voit obligée de se pencher très
bas sur lui car la différence de leur taille a considérablement augmenté.
Que veux-tu donc encore savoir ? lui demande-t-elle, tu es insatiable.
– Si tout le monde cherche à connaître la loi, dit l’ homme, comment
se fait-il que depuis si longtemps, personne d’ autre que moi ne t’ ait
demandé d’ entrer ?
La sentinelle voit que l’ homme est sur sa fin et, pour atteindre son
tympan mort, elle lui rugit à l’ oreille : « Personne d’ autre que toi n’ avait
le droit d’ entrer ici, car cette entrée n’ était faite que pour toi, maintenant
je ferme et je m’ en vais. »

*
« Attention, à partir de maintenant matière et esprit se touchent. »
Dialogues avec l’ ange.
La rencontre se produit en nous, ici et maintenant. Je l’ imagine comme
deux magnifiques vaisseaux spatiaux ayant entamé leurs manœuvres
d’ approche. L’ Un, le vide, le terrible, le silence absolu, le néant, l’ impensé ;
l’ Autre, le plein, le bruyant, le fragile, l’ expérimenté qui revient à sa
source et dit « Voilà ce que j’ ai trouvé ». Et le seul fait que nous ayons
commencé l’ approche, modifie forcément notre manière de penser le
monde. Nous ne pouvons pas penser le monde de la même manière
lorsque nous voguons à ses confins et lorsque nous nous rapprochons

71
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

de sa source. Tout simplement parce qu’ il s’ y trouve dans deux états


différents. Et cet ajustement de la pensée sur le point d’ être accueillie par
l’ impensé ne peut être accompli qu’ à titre individuel. « Je » pense, donc
« je » suis. Chacun de nous : un par un. Et tous ensemble à la fois. Quand
un être modifie si peu que ce soit son cadre de pensée, il se produit des
modifications partout dans l’ univers.
Si ce que je formule ici est un tant soit peu cohérent, cela veut dire
que le temps des religions est révolu. Et c’ est pour cela qu’ elles se
fondamentalisent. Toutes. Sans exception. Pour tenter d’ échapper à
leurs morts programmées. Et je range avec la politique qui, sous son
nom aujourd’ hui d’ économie, est désormais une religion comme
une autre, c’ est-à-dire un théâtre d’ ombres. Le pouvoir ne cesse de se
spectaculariser en surface tandis qu’ il révèle en dessous un corset de
fer d’ une rigidité telle qu’ il devient quasiment impossible d’ échapper
au système de contraintes que nous impose à cette heure l’ organisation
marchande du monde. Ce n’ est pas des chaînes physiques dont
nous devons aujourd’ hui nous libérer, mais de celles de l’ esprit. Du
conditionnement de notre propre esprit qui nous conduit à penser sur
des rails alors qu’ en face de nous arrive un train à très grande vitesse !
Comme le dit joliment Pierre Rabbi : nous vivons dans une erreur.
L’ important est d’ en prendre conscience.

*
L’ idée de mourir nous est à ce point insupportable qu’ elle nous conduit
tout droit au suicide ! (qui est une mort par anticipation, au moyen de
laquelle nous raccourcissons le temps de la peur).
Alors nous disparaîtrons. Comme ça ! Pfuit ! Plus rien.
Et nous ne serons plus qu’ un souvenir dans l’ univers.
Les anges – s’ ils existent – raconteront comment nous avons nous-
mêmes détruit notre jardin d’ Éden, persuadés qu’ en échange nous en
recevrions un nouveau encore plus beau.
C’ est mal connaître l’ univers. Celui qui y casse un jouet n’ a d’ autre
solution que de le réparer. Notre jardin d’ Éden nous est donné une fois

72
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

pour toutes et à jamais. Il est l’ intuition profonde en nous que la mort


n’ existe pas.15
*
L’ évolution de l’ humanité se mesure à ses demeures. Au début elles
furent des cavernes, des grottes, des abris naturels, puis, selon les
contrées, des bâtis de palmes, de terre, de glace, de pierres, de marbre…
Plus les édifices grandissaient, plus les matériaux étaient denses et plus
pesantes devenaient les civilisations.
Avec le béton armé, nous avons atteint le point oméga de l’ évolution. Il
ne nous reste plus que les abris anti-atomiques à explorer, le point zéro
de l’ évolution, la caverne sans les dessins sur les parois, sans le chant du
vent aux failles de la falaise. C’ est le point qu’ il nous faut, semble-t-il,
atteindre pour que tout recommence un jour. Autrement. Ailleurs ?
Aucune crainte, cela est sans commencement ni fin. C’ est seulement la
forme que nous prenons qui change.
Mais nous pouvons très bien, si nous le désirons, sauter l’ étape des abris
antiatomiques. Chacun le peut. Chacun est libre de ne pas descendre
aux abris.
À quel prix, me direz-vous ?
Au prix de notre vie. C’ est-à-dire de nos croyances.
En dernier ressort, notre liberté se joue toujours au prix de notre vie.
Ce n’ est qu’ en osant explorer l’ inconnu que nous sommes à nous-
mêmes qu’ il nous est possible de nous défaire de nos vieilles croyances,
lesquelles ne sont rien d’ autre que des illusions que nous avons prises
pour la réalité.
Peut-être la question nous sera-t-elle posée un jour prochain : se terrer
dans un abri en béton armé ou se faire la belle à l’ air libre ?
C’ est le rôle du monde, cet écran sur lequel nous projetons ce qui nous
est caché de nous, de nous amener à notre propre réalité.

15 Intuition : en théologie, « vision directe de Dieu ». Chez Descartes, « forme de connaissance


immédiate qui ne recourt pas au raisonnement. » Le Robert historique de la langue française.

73
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Regarde l’ écran du monde et tu y découvriras ta guerre intérieure ou ta


paix infinie.
Et si nous croyons qu’ il nous faut mourir pour passer de l’ une à l’ autre,
alors la mort m’ apparaît comme la plus radieuse aventure qui soit.
La merveille est que tant que nous croyons à sa réalité, nous ne pouvons
y échapper. Il en existe une pour chacun de nous, à notre mesure et à
notre heure. Elle est – au cœur même de notre croyance – notre seule
délivrance possible de la pensée binaire, de l’ espace et du temps.
La mort est la dernière illusion, la dernière et la plus belle des croyances
qu’ il nous appartient d’ ôter en pleine conscience pour nous connaître
enfin (naître à nous-mêmes) dans notre totale nudité, notre parfaite
innocence.
Une légende raconte que le Bouddha attend à la porte du paradis que s’ y
présente le dernier humain. Quand celui-ci arrivera, il entrera à sa suite
et refermera la porte derrière lui.

74
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

14
CHANGER DE PARADIGME

« Je crois que nous sommes à un point de transition entre une société


qui pense qu’ il y a une quantité limitée d’ espace, et qui entre en guerre
pour cela, et une société qui réalise que nous baignons dans une quantité
d’ énergie infinie, à notre disposition partout dans l’ univers, et que cette
énergie est la source de toute création. » Nassim Haramein.
Nous, les hommes, avons d’ abord asservi les animaux, puis les forêts,
puis nos femmes afin qu’ elles nous secondent dans notre entreprise
d’ assujettissement de la nature.
Ainsi libérés d’une part de notre labeur, nous avons asservi le sol et le sous-
sol à la force de nos bras et l’ intelligence de notre cerveau – sans cœur.
Puis nous avons asservi nos enfants pour qu’ ils nous aident à creuser le
sol afin d’ en extirper les richesses, jusqu’ à ce qu’ il ne reste absolument
plus rien. Cela les femmes ne l’ ont pas supporté. Pour le bien de leurs
enfants et celui de la nature nourricière, les femmes se révoltent partout
aujourd’ hui dans le monde – pour nombre d’ entre elles au risque de
leurs vies.
Et leur révolte nous libère. Jour après jour, la révolte des femmes contre
l’ idéal de domination des hommes libère l’ humanité.
Mis au pied du mur par les femmes, les hommes de bonne volonté se
libèrent à leur tour en accueillant leur propre féminité.
Il nous reste à convaincre (au moyen de la seule exemplarité) les
hommes qui ne sont pas encore passés du côté de la bonne volonté, ainsi
que les femmes qui continuent, par ignorance des véritables enjeux, à
collaborer avec la domination masculine. Il ne s’ agit pas de combattre
leurs opinions – ce serait, encore et toujours, mener la guerre –, mais
de montrer qu’ une autre vie est possible. Le véritable enseignement ne
consiste pas à dire ce qu’ il faut faire, mais à faire ce que nous savons être
bon pour nous-mêmes et pour le monde. Il appartient ensuite à chacun
de juger sur pièces.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

Changer de paradigme, nous impose aujourd’ hui de passer de


l’ imaginaire de la séparation à celui de la communion, de la domination
à celui de la coopération. Quand les Indiens Khogis bâtissent un pont,
les hommes le construisent tandis que les femmes, assises à l’ écart, le
pensent. Sommes-nous en mesure, nous, êtres « civilisés », de nous
élever à un tel niveau d’ harmonie sociale ?
Je vous propose un exercice, le plus facile qui soit à réaliser, qui ne requiert
nul ustensile, nul partenaire, nulle dépense d’ énergie. Un exercice où
vous êtes seul avec vous-même, dans votre chambre, dans la nature, au
cinéma avant que le film ne commence, où vous voulez. Vous pensez à
quelqu’ un, une personne avec laquelle vous êtes en contact ou que vous
connaissez de vue ou un personnage public qui paraît à la télévision.
Vous pouvez aussi choisir un proche : un parent, un frère, une sœur,
un collègue de travail, un voisin… le seul critère est que cette personne
génère chez vous une irritation (légère de préférence afin d’ éviter que
la difficulté ne soit trop grande). Maintenant, vous imaginez que vous
êtes seul avec cette personne dans un lieu de votre choix. Vous prenez
le temps qu’ il vous faut. Puis vous vous approchez d’ elle, vous la prenez
dans vos bras et vous éprouvez un sentiment d’ amour à son égard.
Quoi qu’ il se passe, ne vous jugez pas. Observez simplement ce qui se
produit. Êtes-vous empêché ? Comment la personne réagit-elle dans
votre imaginaire ? Que ressentez-vous ? Accueillez toutes les pensées,
les émotions, les sentiments qui viennent. Repérez les blocages. Gardez
en tête que c’ est moins cette personne-là en particulier qui importe que
le fait de libérer l’ amour en vous.
Essayez. Cela ne coûte rien. Si vous n’ y arrivez pas du premier coup,
recommencez autant de fois que nécessaire. Rien ne presse. Personne
d’ autre que vous n’ est au courant, personne n’ attend rien en retour. Vous
êtes libre de tenter l’ aventure autant qu’ il vous plaira. Ce n’ est pas le
résultat qui compte, mais l’ enseignement sur vous-même que l’ exercice
vous apporte. Je postule que rien n’ existe dans l’ univers qui n’ ait été au
préalable pensé. Je postule que la pensée crée le monde. Si je me trompe,
quelle importance ? Si j’ ai raison et que vous parveniez au cours de cet
exercice à aimer un autre en pensée, vous changez de paradigme. Vous
passez de la guerre à la paix.
76
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Pour ma part, je me suis entraîné, dans cet exercice, à effectuer une


gradation jusqu’ à atteindre ce que l’ humanité a produit de plus terrible.
Quand je me suis senti prêt, j’ ai convoqué Hitler dans mon imaginaire.
La scène se passe en hiver, dans une ville froide de Bavière. Il se tient
au centre d’ une place vide, seul, abandonné de tous. Plus personne ne
l’ acclame, ne le craint, ne le salue le bras levé, ne défile devant lui au
pas de l’ oie. Le monde entier lui a tourné le dos. Même Eva Braun lui
a tourné le dos après qu’ ils se soient donnés de concert la mort dans
le Führerbunker. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il est persuadé
d’avoir agi sa vie durant pour le bien. À ses yeux, le bien était la grandeur
retrouvée de l’Allemagne, humiliée par le traité inique de Versailles, où les
puissances victorieuses avaient imposé leur loi au perdant en « pressant le
citron jusqu’à ce que les pépins craquent », selon la célèbre expression de
Lloyd George, le Premier ministre anglais de l’époque. Il a créé de l’emploi
pour les innombrables chômeurs mis sur la paille par la grande dépression
consécutive au krach boursier de Wall Street en 1929. Il a lutté contre les
puissances de l’argent, représentées à ses yeux par les Juifs. Il a restauré
dans l’imaginaire aryen les grandes forces de la nature, désacralisées par
la civilisation industrielle, si arrogante et si sûre d’ elle-même.
Il a beau tourner et retourner le problème dans sa tête, il ne comprend
pas ce qu’ il a bien pu faire de travers. Il ne voit qu’ une faute qu’ il ait pu
commettre : il a perdu la guerre. Il a essayé de renverser les puissances
des ténèbres et il s’ est retrouvé englouti dans les ténèbres.
Je m’ approche doucement de lui afin de ne pas l’ effaroucher. Il ne me
voit pas. Son regard vide me traverse. Je suis le seul humain avec lui sur
cette grande place froide et il ne me voit pas. Il faut que je m’ approche
jusqu’ à le toucher pour qu’ il prenne conscience de ma présence. Il
sursaute alors, me regardant le temps d’ un éclair. C’ est à peine s’ il m’ est
donné d’ entrapercevoir un infime frémissement tout au fond de ses yeux.
Quelque chose de perdu qui s’ enfuit déjà. Je n’ ai pas le temps d’ en voir
plus, il a déjà baissé la tête. Quand je le prends dans mes bras, il se raidit.
Je sens son corps se pétrifier contre le mien et j’ ai alors l’ intuition qu’ il
n’ a jamais connu de sa vie quelque geste de tendresse que ce soit. Qu’ il
ne s’ est jamais trouvé blotti dans les bras d’ une mère aimante. Je le garde

77
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

ainsi tout le temps dont il a besoin pour seulement commencer d’ être en


mesure d’ accueillir ma chaleur. Peu à peu, je le sens aller. C’ est comme si,
avec une infinie lenteur, il me tombait de toute son immobilité dans les
bras. Comme s’ il devait traverser l’ univers de part en part pour parvenir
jusqu’ à moi. Et tout ce temps qu’ il met pour émerger de l’ ombre, il se
dégèle goutte à goutte contre ma poitrine. Par effet inverse, son froid
glacial s’ insinue en moi et je dois faire appel à tout ce que le ciel contient
d’ amour, de lumière et de chaleur pour ne pas littéralement geler sur
place. Et parce que j’ ai appelé, cela vient à mon aide. Je prends tout son
froid et lui communique en retour, non ma propre chaleur – qui serait
sans aucun effet sur une telle inertie polaire –, mais une chaleur que je
puise directement à une source dont j’ ignorais jusqu’ alors qu’ elle puisse
seulement exister. Comment un tel océan d’ amour peut-il exister dans
le monde sans que je n’ en aie jamais rien su ? Il m’ aura fallu descendre
jusque là pour en prendre conscience. Jusqu’ au fond des ténèbres. Là,
tout au fond des ténèbres, irradie une lumière à côté de laquelle l’ éclat
du soleil paraît mille fois plus pâle qu’ une luciole perdue dans le désert
de la nuit. Et pour pouvoir m’ ouvrir à elle, il m’ aura fallu prendre l’ enfer
dans mes bras. Je n’ ai à cet instant aucun jugement sur l’ enfer que je
tiens dans mes bras. Le plus petit jugement sur les atrocités commises
par cet homme nous précipiterait incontinent lui et moi dans l’ abîme.
Puis il vient un moment – je ne sais combien d’ heures, de jours,
d’ années ont passé : je me tenais hors du temps, où une telle immobilité,
une telle acceptation aurait été impossible – il vient un moment où il
redresse le visage et me regarde dans les yeux. Mon Dieu ! Quelqu’ un
a-t-il jamais regardé cet homme dans les yeux ? Je n’ ai jamais vu une
aussi vertigineuse incompréhension dans le regard d’ un homme. Il
ne comprend tout simplement pas qu’ on puisse lui accorder ne fut-ce
qu’ un atome d’ attention. Tous ses rapports jusque-là ont été factices,
présidés par la seule loi de la peur. Et là, pour la première fois, un autre
humain le regarde sans peur ni reproche, avec nulle autre intention que
celle de faire sa connaissance.
Cela seulement m’ anime : le désir profond de faire sa connaissance.
De découvrir qui il est. De voir par quel canal le mal pénètre dans ce
monde, quel chemin empruntent les ténèbres pour parvenir jusqu’ à

78
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

nous ? Et dans cet échange de regards, lui, devant qui hier encore le
monde tremblait, prend l’ abyssale mesure de son inhumaine solitude.
La découvre-t-il dans mes yeux, moi qui à cette heure ne suis que
communion avec la source qui m’ irrigue ? Ne suis-je là que pour
permettre à la source d’ amour de découvrir à travers mes yeux ce qu’ elle
n’ est pas, son contraire, sa négation : la peur ? Oui, je vois la peur en lui.
Non celle des hommes, mais de la source qui le regarde à travers moi.
Le temps d’ un battement de cils, je le vois aux prises avec une indicible
horreur et je dois le retenir pour ne pas qu’ il s’ effondre. Mais je le tiens
et il reste debout tandis que son âme seule se met à genoux.
C’ est fini. L’ enfer n’ est plus de ce monde.
Il ferme doucement les yeux, se blottit dans mes bras comme seuls
savent se blottir les nouveau-nés et je le sens qui s’ immerge à petits coups
de cœur dans le fleuve d’amour. Je n’ ai jamais été aussi ouvert. Jamais
aussi transparent. Rien ne m’ appartient. Je ne dirige rien. Je me laisse
traverser par un fleuve d’ amour qui opère sa guérison à travers moi.
Quand je le sens prêt, je lui prends le menton entre le pouce et l’ index
et relève à nouveau doucement son visage. Je décèle maintenant une
présence en lui. Quelqu’ un qui regarde. Quelqu’ un en lui regarde avec
un indicible étonnement, mais sans aucune frayeur désormais, la source
dont il est issu et qu’ il avait cru perdue à jamais. La source qu’ il a haïe de
toute son âme pour l’ avoir laissé se perdre. Pendant un moment rien ne
se passe, il est un lichen asséché qui retrouve peu à peu le goût de la pluie.
Quand il a suffisamment bu à la source, que je sens la paix suffisamment
ancrée en lui pour qu’ il ne risque pas d’ imploser à la vue de ce qui l’ attend,
je fais apparaître une à une dans mes yeux, avec toute la lenteur requise,
chacune des atrocités auxquelles il a ouvert la porte du monde, et dont il
m’ a été donné de recevoir connaissance : des images de Nuit et Brouillard,
des scènes de Shoah, des phrases de Mein Kampf, les acclamations de la
foule à ses hurlements... Sans rien dire, en silence, toujours sans le moindre
jugement, la moindre appréciation, je ne lui en épargne aucune – elles sont
les siennes et il ne m’appartient pas de l’en priver – lui laissant tout le temps
d’en prendre connaissance avant de passer à la suivante. J’accorde la vitesse
de défilement des images au rythme de sa lecture. Quand je perçois un

79
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

doute, une incompréhension dans ses yeux, je reviens en arrière jusqu’à


ce que j’y vois la reconnaissance de ses actes. Je lui donne ainsi à voir tout
ce qu’il fut. Sans une seule fois ciller des paupières, il lit jusqu’au bout sa
propre histoire que je lui donne à voir.
Il referme alors les yeux et laisse une première larme couler sur ses
joues. Puis une seconde. Une troisième… Il pleure maintenant en
un écoulement ininterrompu de son âme. Sans un sanglot, sans un
gémissement, sans un reniflement. Par le cours de ses larmes, il se vide
inexorablement de lui-même jusqu’ à totale résipiscence. En amenant le
mal à son acmé, Hitler a pris sur lui toutes les souillures de l’ humanité.
Maintenant il les lave. C’ est à cet instant que je comprends le sens
profond du baptême : après celui de l’ eau, ouvrant l’ ère astrologique des
Poissons, et dont la figure emblématique est le Christ, vient 2000 ans
plus tard celui du feu, qui annonce l’ ère du Verseau. Comme au théâtre
trois coups nous avertissent de la lever du rideau. La shoah, en frappant
nos imaginations, nous redresse soudain dans nos fauteuils alors même
que la salle s’ immerge dans l’ ombre. La bombe atomique, en illuminant
la scène d’ une sidérante explosion de lumière, captive entièrement notre
attention. La pandémie mondiale du coronavirus nous dit maintenant
que la pièce est terminée, et qu’ après un temps de retraite où nous allons,
chacun chez nous, nous ressourcer dans le silence de nos cœurs, viendra
à nouveau le moment de sortir à la rencontre des autres, et que cette fois
nous n’ avancerons plus masqué, mais à visage découvert, et totalement
transparent quant à nos intentions.
À la fin, je ne tiens plus rien dans mes bras. Je suis une arche sous laquelle
s’ écoulent, dans un roulement de flots, toutes les larmes de l’ univers.
Des larmes de joie. De délivrance.
À l’ aplomb de l’ arche, que je forme de mes bras, le soleil m’ inonde de
lumière, reflétant ses brisures à l’ écoulement intemporel du grand fleuve
de la vie. « Je croyais jusqu’ alors que l’ amour était reliance, qu’ il nous
reliait les uns aux autres. Mais cela va beaucoup plus loin ! Nous n’ avons
pas à être reliés : nous sommes à l’ intérieur les uns des autres. C’ est cela
le mystère. C’ est cela le plus grand vertige. »16

16 Christiane Singer, Derniers fragments d’un long voyage.

80
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Nous sommes à l’ intérieur les uns des autres dans le grand fleuve de
la vie, dont nous sommes les formes sans cesse changeantes. Et peu
importe au fond le rôle que nous y jouons. Il n’ est d’ autre réalité que le
roulement du fleuve. Une seule chose est de notre responsabilité : quel
que soit le personnage qu’ il nous revient d’ interpréter, le jouer au mieux
de nos capacités. Mieux vaut, pour la réussite du grand œuvre de la
vie, un bon acteur jouant les mauvais rôles, qu’ un mauvais acteur à qui
échoit le beau rôle.

Ce n’ est que des mois plus tard qu’ il me sera donné de prendre conscience
que, par cet exercice de la pensée, je m’ étais sauvé. Je ne l’ ai pas sauvé
lui, qui n’ est dans cette histoire qu’ un archétype, une personnification
commode du mal : un point de fixation qui, m’ hypnotisant, me privait
de tourner les yeux vers le mal en moi, la souffrance en moi, l’ attaque en
moi, la peur en moi. C’ est en l’ accueillant, non comme un étranger mais
comme mon frère en humanité, que je me suis sauvé. Sans le savoir. Je
ne savais pas alors ce que je faisais. Je me laissais simplement guider par
une voix intérieure en laquelle j’ avais mis ma confiance – était-ce celle
du metteur en scène ?
Il est impossible d’ être traversé d’ un tel élan d’ amour sans en être sauvé.
La nature de l’ amour est de s’ écouler vers ceux qui en ont besoin. Et
jamais aucun homme sur terre n’ avait manqué autant d’ amour que
celui-là. Il fut, en son temps, une personnification particulièrement
marquante de l’ archétype de la peur – qui est privation d’ amour. J’ eus
même l’ intuition qu’ il n’ était venu qu’ à cette seule fin : obliger, par ses
appels désespérés, l’ Amour à descendre sur terre. Mettre en demeure le
ciel de se réconcilier avec la terre. Parce que le ciel est l’ adulte, le premier
né, c’ est à lui de faire le dernier pas, qui est celui de la paix.
Et comme le raconte si joliment la cosmogonie des Navajos, nous
sommes, nous les humains, des envoyés du ciel sur la terre. Nous sommes
les envoyés spéciaux du ciel, porteurs d’ un message de paix que nous
adressons en son nom à la guerre. Et quand l’ ampleur même de notre
tâche semble nous la rendre insurmontable, nous appelons à notre aide,
du plus fort que nous pouvons, le ciel dont nous sommes les envoyés sur

81
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

terre. Quand nous appelons suffisamment fort, que nous joignons nos
voix les unes aux autres pour appeler du plus fort que nous pouvons,
le ciel nous répond. La vérité commande de dire que nous n’ appelons
jamais aussi fort que lorsque nous sommes dans la plus grande affliction
qui soit.
Quant à l’ Histoire, qui ne fut que guerres, carnages, conquêtes, trahisons,
génocides…, elle est le temps qu’ il nous fallut, pour, jouant au jeu de la
paix après avoir bu le breuvage de l’ oubli, en comprendre les règles.
Quand nous sommes en paix, nous ne pouvons plus faire un seul pas.
Le dernier pas est celui par lequel nous sortons du monde pour entrer
dans l’ éternité. Là, ni temps ni espace où nous aurions à nous déplacer.
Seulement l’ infinité de l’ instant présent.
Ici se termine la partie.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

« L’ enfant s’éveille en dormant »


83
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

QUATRIÈME PARTIE
2020 : LA NOUVELLE HARMONIE

« Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons


et commence la nouvelle harmonie.
« Un pas de toi, c’ est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
« Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne
– le nouvel amour !
« Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps »,
te chantent ces enfants. « Élève n’ importe où la substance de nos
fortunes et de nos vœux » on t’ en prie.
Arrivée de toujours, qui t’ en iras partout. »
A. Rimbaud, Les illuminations

84
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

15
LA VIE EST LE DROIT À L’ ERREUR

Dans la partie qui précède, j’ ai tenté de mettre en lumière l’ idée qu’ il


n’ existe aucune antinomie entre le dedans et le dehors, aucune préséance,
aucune dualité, aucune causalité même de l’ un à l’ autre. Ils ne sont que
leur propre reflet au miroir qu’ ils se tendent mutuellement. Tu veux
te connaître ? Regarde le monde. Si tu le fais sans la moindre once de
jugement, tu t’ y découvriras tel que tu es, sans aucun risque d’ erreur.
Si tu juges, alors tu verras ce que « tu crois » être. Et si ce qui t’ apparaît
ne t’ agrée pas, il ne tient qu’ à toi de retirer le jugement de l’ équation, et
ainsi te découvrir dans ta radieuse réalité.

Une magnifique expérience de la physique quantique démontre que


lorsqu’ on envoie deux particules de lumière issues d’ un même atome
dans deux directions opposées de l’ espace, celles-ci restent « unies »
quelle que soit la distance qui les sépare. Lorsqu’ on agit sur l’ une, l’ autre
– fut-elle alors dans une lointaine galaxie – réagit « instantanément »,
échappant ainsi aux règles de la Relativité générale qui établit que rien
dans l’ univers ne peut se déplacer plus vite que la lumière. Les physiciens
appellent ce phénomène, la « non-séparabilité ».
Une idée émise par des chercheurs, tel que le britannique Rupert
Sheldrake, avance que des particules qui se sont « connues », qui ont
été intriquées (comme les fils d’ une tapisserie) forment à jamais un
champ d’ information qui échappe aux lois de l’ espace et du temps et
au sein duquel chaque partie contient toute l’ information contenue
dans ce champ. Nassim Haramein, inventeur d’ une très belle théorie
d’ unification de l’ univers – qu’ il définit mathématiquement comme
un trou noir – le dit ainsi : « Chaque atome de l’ univers contient
l’ information de tous les autres atomes de l’ univers ». Rien d’ étonnant
au fond à cela puisque, in fine, nous sommes constitués (chacun de nous,
chaque pierre, chaque arbre, chaque étoile, l’ univers dans son entier…)
de particules élémentaires contenues à l’ origine dans un point infiniment

85
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

petit, d’ une telle densité que le temps et l’ espace ne peuvent y exister.


Et donc qu’ elles restent intriquées à jamais. Non séparées.
Voilà, nous croyons que nous sommes séparés – les uns des autres,
au-dedans de nous, de notre source créatrice... – et nous ne le sommes
pas. Cela change radicalement (de radicalis : « de la racine, premier,
fondamental ») notre vision du monde. C’ est pour cela qu’ il nous faut
retourner à nos racines : pour changer radicalement notre vision erronée
du monde. La retourner. Passer du paradigme de la séparation, de l’ ego,
du « Moi je », au paradigme de l’ unité de l’ Être. Nous nous sommes
trompés, tout simplement. Ce n’ est pas grave, nous avons tout le temps
dont nous avons besoin pour corriger nos erreurs : « le temps est un
mécanisme d’ apprentissage qui sera aboli quand il ne sera plus utile. »
Un Cours en miracles.
Nous en avons donc autant que nécessaire à notre disposition : « Le but du
temps est de rendre le temps non nécessaire. »17 Cette phrase m’apparaît d’une
telle puissance que je la sens à même de perforer mes plus solides blindages.
À cet effet, je me la répète souvent le soir au moment de m’endormir,
espérant qu’elle mettra mon sommeil à profit pour ouvrer sa rédemption
en moi. Je ne parviens pas encore tout à fait à la saisir avec mon mental,
mais je l’accueille en moi comme la vérité que je pressens en elle. Il arrive
que l’ intuition nous soit d’ une bien plus grande richesse que la raison.

« La vie est le droit à l’ erreur », a écrit C.G. Jung.


Plus encore même que le droit, elle m’ apparaît aujourd’ hui comme le
moyen de sa correction possible. Nous nous sommes trompés en esprit
et nous venons au monde pour corriger notre erreur de jugement.
Nous n’ avons pas, en tant qu’ humains, à porter la culpabilité d’ une
telle erreur. Le seul effet de la culpabilité est de nous distraire de notre
quête de la vérité. Nous avons simplement à faire le travail pour lequel
nous sommes venus : trouver l’ erreur et l’ effacer. Quand nous effaçons
l’ erreur, le faux, nous recouvrons la vue. Et nous voyons la vérité qui
jusque là nous crevait les yeux.

17 Ibidem

86
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Quand nous agissons sur le dehors, le dedans réagit instantanément.


Et vice-versa. Ils appartiennent au même champ unifié.
Le dehors est l’ apparition du dedans. Il est son reflet au miroir de
l’ univers. Chaque bombe qui explose dans le monde révèle une blessure
en moi qu’ il m’ appartient de guérir. La bombe n’ occasionne pas la
blessure, elle n’ a d’ autre utilité que de la faire apparaître à la lumière
de son explosion. C’ est pour cela que nous fabriquons des explosifs qui
nous meurtrissent le corps : pour qu’ ils nous révèlent les blessures de
notre âme afin que nous puissions les guérir. Tandis que notre âme
pleure, les bombes éclairent notre chemin de conscience.
Qu’ ai-je appris pour ma part à la lumière des attaques répétées que nous
perpétrons allègrement contre la vie ?
Simplement ceci : quand nous faisons du bien à nos frères humains
sans aucun souci de gratification pour nous-mêmes, nous sommes
baignés de bien-être. Quand nous leur occasionnons de la souffrance,
nous générons un état de souffrance en nous – fut-il caché sous une
apparente satisfaction relative à un gain que nous aurions obtenu au
moyen de notre attaque. Nous pouvons certes faire semblant de rire au-
dehors mais, que nous le voulions ou non, que nous en ayons conscience
ou non, nous pleurons pour de vrai au-dedans. « Toute attaque est une
attaque contre soi ». Et : « nous sommes les uns à l’ intérieur des autres ».
Ceci est à mes yeux la plus grande merveille que la vie m’ ait enseigné :
il ne m’ arrive rien que je n’ ai moi-même produit. Je bénis chaque
événement de ma vie comme le plus précieux des cadeaux. Je découvre
aujourd’ hui que ceux qui me furent les plus douloureux à l’ époque
où ils m’ arrivèrent, recelaient en eux une incroyable richesse. Pour en
prendre toute la mesure, il m’ aura fallu comprendre que la richesse
n’ est pas quelque chose qui nous ajoute, mais qui tout au contraire nous
enlève. Nous arrivons au monde chargés de tout un tas de bagages, dont
nous ont obligeamment pourvu nos ancêtres, et dont nous apprenons,
chemin faisant, que l’ effet le plus notable est de ralentir notre marche
rédemptrice. C’ est aujourd’ hui à mes yeux bien cher payé le confort
tout relatif qu’ ils sont censés nous procurer. Puissé-je quitter un jour
prochain ce monde autrement plus léger que j’y suis parvenu il y a 72 ans.

87
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

En attendant, je goûte l’ incroyable liberté que me procure le


considérable allègement de mon équipage. Adieu culpabilité, fausses
croyances, allégeances, flatteries, médisances, vaines espérances, désirs
de gratification… « Ô que ma quille éclate, ô que j’ aille à la mer ».
A. Rimbaud, Le bateau ivre.

Maintenant nous sommes conscients.


Pourrions-nous aller plus loin que les camps de la mort, la bombe
atomique et la marchandisation du monde ? Quoi d’ autre après ?
Qu’ aurions-nous de plus à apprendre que nous ne sachions déjà ? Aller
plus loin serait nous entêter dans l’ erreur de la nuit alors que le jour est
en train de se lever. Nous savons tout. Le jour se lève et nous n’ avons
plus besoin de nous éclairer à la lueur des explosions. Maintenant nous
pouvons souffler les bombes. Nous fêtons le jour anniversaire de notre
naissance et, comme cadeau, nous nous offrons les uns aux autres le
présent de la grande fraternité humaine.
Dans le superbe film « Human » de Yann Arthus Bertrand, un bel homme
d’ une quarantaine d’ années confie à la caméra son bonheur de vivre
avec une telle lumière dans les yeux qu’ il en devient contagieux. Filmé
en plan rapproché poitrine, il raconte ses magnifiques voyages à travers
le monde et toutes les merveilleuses rencontres humaines qu’ il a eu la
chance de faire. Pour un peu on lui en voudrait de toute cette joie dont
nous sommes privés, nous que nos occupations quotidiennes assignent
à résidence. Puis il lâche cette phrase incroyable, avec un sourire qui ne
l’ est pas moins : « Aujourd’ hui, si Dieu me proposait de me rendre mes
jambes, je lui dirais de les garder. »
Faire d’ un terrible malheur la plus belle chance de sa vie est le cadeau de
cet homme à l’ humanité.

88
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

16
LE CHEVAL DE TROIE DE L’ AMOUR

Et voilà que le rideau vient de tomber. La scène s’ éteint, la salle se


rallume. Il n’ y a ni salut, ni applaudissements (comment pourrions-
nous nous saluer et nous applaudir nous-mêmes ?) Nous sommes au
reste beaucoup trop abasourdis par la représentation grandeur nature
de notre vie, à laquelle nous venons d’ assister, pour accomplir quelque
geste que ce soit. Nous n’ osons même pas nous regarder. Nous venons de
nous voir « du dehors » et voulons goûter seuls un moment, l’ étrangeté
du trouble que cela génère en nous.
Je vous écris depuis mon confinement, qui ne change quasiment rien
à ma vie et en même temps presque tout. À part les grandes balades
en vélo, les marches de 5 heures et les cours de Qi Gong, mes journées
sont tissées de la même trame qu’ elles l’ étaient avant que ne commence
la grande hystérie collective de la pandémie. À la faveur de la peur, que
les médias dominants répandent dans les foyers où nous nous trouvons
confinés sur ordre, les gouvernements testent de nouveaux systèmes
répressifs, cherchant ainsi à voir jusqu’ où ils peuvent aller, en prévision
de la grande dictature mondiale qui se prépare depuis quelques décennies
déjà dans le secret des grands « Think-tank » internationaux, tels que
l’ OCDE18 ou le Forum de Davos, pour ne parler que des plus connus.
Pendant ce temps, nous sommes nombreux à mettre à profit ces instants
où nous nous retrouvons dans le secret de nos cœurs, pour nous libérer
des chaînes de l’ esprit au moyen desquelles nous nous sommes nous-
mêmes entravés par peur de vivre. Et là où les médias dominants
connaissent des chutes drastiques d’ audimat ou de lectorat, les chaînes
où nous parlent ceux qui ont traversé le miroir de la peur, explosent sur
la Toile. Et là où les grands sommets internationaux nous endormaient à

18 Organisation de Coopération et de Développement Économique, sise au château de la


Muette (!) à Paris, qui réunit les pays les plus riches du monde, et dont l’objet est de « faire
des recommandations de politique économique » aux gouvernements, tels que le taux de
chômage en dessous duquel il convient de ne pas descendre, la privatisation de l’éducation
nationale par le développement des tutoriels, la casse des services publics...

89
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

coups de milliards devant la télévision, un « Sommet de la conscience »,


réalisé avec quatre bouts de ficelle, nous tient en haleine une semaine
durant, nous éveillant à des paroles que nous n’ avions jamais entendues.
Quand, par nécessité de remplir à nouveaux ses caisses, le gouvernement
rouvrira d’ ici quelques semaines les portes de nos prisons, il y a fort à
parier qu’ il ne trouvera plus grand monde dedans. Les gouvernements
peuvent certes assujettir les corps, dans la mesure où ils bénéficient
de la complicité armée d’ un certain nombre d’ entre nous, mais nul
n’ est en mesure de nous assujettir l’ esprit, sauf à bénéficier de notre
propre complicité.

Il y a, même ici, dans le Parc Naturel Régional des Monts d’ Ardèche où


le volume de bruit dépasse rarement le vrombissement d’ un tracteur, les
appels à la joie des enfants et les bêlements des brebis, un silence que je
n’ avais jamais connu. Une amie évoque un roulement de tambour. Oui,
c’ est cela : un roulement de tambour qu’ on n’ entendrait pas avec les
oreilles mais dont on ressentirait les vibrations par la plante des pieds. Il
se produit une rencontre entre mon silence intérieur, que je m’ applique à
goûter depuis quelques années déjà, et celui qui me parvient à cette heure
du dehors. L’ impression qui en découle est que nous vivions jusqu’ alors
les uns sur les autres. Je ne parle pas ici de distance, ou d’ absence de
distance physique, mais d’ un intervalle plus subtil (d’ esprit à esprit en
quelque sorte), au moyen duquel il nous est donné la possibilité d’ exister
à part entière, de penser par nous-mêmes, là où nous avions tendance à
penser « communément ». Jusque-là, quand nous nous disions bonjour,
nous nous serrions la main ou nous faisions la bise, sans prendre la
peine, la plupart du temps, de nous regarder. C’ était une chose acquise,
une habitude se reproduisant d’ elle-même. Nous retrouvant, nous étions
exactement les mêmes, pensions-nous, que lorsque nous nous étions
quittés la fois d’ avant. Et il ne nous serait pas venu à l’ idée de le vérifier
par un regard englobant la personne : « Oui, c’ est bien toi, je te reconnais
comme tu me reconnais ! » La bise ou la main serrée nous le faisait
tenir pour acquis ! Désormais, nous ne pouvons reprendre contact avec
l’ autre que par le regard. En nous connectant avec les yeux, dont on dit
qu’ ils sont le miroir de l’ âme, nous échangeons une foule d’ informations

90
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

qui ne passent pas par les mots. Depuis le début du confinement, il y a


maintenant 3 semaines (nous sommes le 5 avril 2020), je « rencontre »
des personnes que jusque là je m’ en tenais à croiser. J’ évite ceux qui
portent des masques. Je me dis qu’ ils sont peut-être contaminés. Oh !
pas par le coronavirus, que j’ accueille comme un messager de paix et
de silence, que la nature m’ envoie pour m’ inciter à prendre le temps
de la réflexion avant de faire le prochain pas qui me précipiterait dans
l’ abîme. Je voudrais rappeler ici que nous inhalons en moyenne 200 000
virus par minute, et que sans eux, nous ne pourrions tout bonnement
pas vivre ! Leur « inventeur », Louis Pasteur, reconnut du reste à la fin
de sa vie que c’ était moins le virus qui devait être tenu pour responsable
de la maladie, que le terrain. C’ est-à-dire notre organisme, dont nous ne
cessons d’ affaiblir le système immunitaire à coups de pesticides, de sur-
médication, de 5G, de nourriture industrielle, de manque d’ exercice, de
vaccins, d’usage outrancier de désinfectants, de micro-ondes, de pollution
en tous genres… La peur, la paresse, la faiblesse de l’âme sont les ingrédients
sous-jacents de la pandémie. À force de nous protéger de notre propre
nature, nous avons fini par nous en séparer. Nous l’avons mise à distance
respectable, dans le fol espoir quelle cesse de nous infecter, alors même
que nous lui devons la vie à chaque seconde de nos existences !
L’ ironie de l’ histoire veut que cette distance, à laquelle nous l’ avons
mise depuis le grand chambardement de la Révolution industrielle, est
exactement celle dont elle avait besoin pour nous voir, à son tour, du
dehors. La nature n’ est pas, comme nous avons un peu trop tendance
à l’ imaginer, le produit d’ un ensemble de phénomènes dus au hasard,
mais une « intelligence » qui nous anime : nous met en vie ! Et son
système immunitaire est une merveille d’ efficacité. La nature a plusieurs
cordes à l’ arc de son système immunitaire – qui est tout autant le nôtre,
à charge pour nous de le maintenir en l’ état. Pour les dinosaures, dont
quelques spécimens suffisaient à raser une forêt primaire en un temps
record, et qui, par leur démesure, étaient un obstacle au développement
d’ autres espèces – dont nos ancêtres les petits mammifères – elle le
régla assez brutalement, sans s’ embarrasser des précautions d’ usage
et des sommations requises par les droits internationaux, d’ une
météorite tombée du ciel, à laquelle répondit une succession d’ éruptions

91
2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

volcaniques. Nous sommes nés, nous les humains, par l’ entremise


lointaine des lémuriens, des cendres de cette catastrophe cosmique. Et
nous ne pouvons que rendre grâce à la nature, de nous avoir, par ce coup
de semonce, offert la possibilité d’ advenir à la vie.
Et voilà que c’ est maintenant notre tour !
Alors pourquoi ne nous raye-t-elle pas de même de la carte ? Ou,
tout simplement, ne nous laisse-t-elle pas nous exterminer nous
mêmes, puisque nous en avons très largement les moyens, attendant
tranquillement (le temps, contrairement à nous, ne lui étant pas
compté) que nous en ayons terminé avec notre auto-éradication, pour
se ressourcer à son rythme, où les millénaires sont l’ équivalent de nos
secondes : 65 millions d’ années entre la disparition des dinosaures et
notre avènement !

La question, ici posée, mérite selon moi réponse, et je ne doute pas que
chacun aura la sienne à proposer.
Je pense pour ma part que c’ est parce qu’ elle nous aime !
La nature nous aime de manière inconditionnelle. Comme une mère
aime ses enfants, même quand ils commettent le pire. Cet amour fait
partie de sa nature : il est inscrit dans sa fibre maternelle. Et plus nous
nous éloignons d’ elle (bien qu’ il s’ agisse là d’ une vaine croyance, dans
la mesure où partout où nous allons, nous l’ amenons avec nous), plus
elle étend ses bras loin pour nous empêcher de tomber. Et quand nous
nous trouvons à une distance de sécurité suffisante, elle voit bien que
nous ne sommes que des enfants turbulents. Que nous ne pensons pas
à mal quand nous crevons les yeux des chats. Elle applique à la lettre
la prière du Christ sur la croix : « Père, pardonne-leur car ils ne savent
pas ce qu’ ils font ». Oui, c’ est elle qui demande à notre père de ne pas
nous punir – ce qu’ au reste, contrairement à l’ idole judéo-chrétienne
que nous avons nous-mêmes dressé sur son socle, il n’ a pas la moindre
intention de faire ! Jusqu’ au moment où elle comprend que nous sommes
vraiment en danger et qu’ il lui faut absolument trouver d’ urgence une
solution. Alors, contrairement aux dinosaures, qui étaient simplement

92
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

des états transitoires de formes bien plus abouties en cours de gestation,


elle décide de nous enseigner.

Et voici son enseignement19 :


CORONAVIRUS : Nature, pourquoi as-tu fait commencer l’ épidémie en
Chine ?
- Parce que la Chine est aujourd’ hui le symbole de la «marchandisation»
du monde et du vivant. Premier producteur de produits manufacturés,
conditions de travail où l’ on ne sait où commence et où finit un esclavage
qui ne dit pas son nom, surpeuplée, hyper polluée, fliquée, filmée 24 h
sur 24, sillonnée d’ ondes électro-magnétique (5 G, etc.) qui affaiblissent
le système immunitaire, et enfin, plus grande dictature au monde, la
Chine m’ a semblé le foyer idéal d’ une pandémie destinée à se répandre
sur la terre, afin que les humains prennent conscience qu’ il est urgent
pour eux de sortir de leur vieux schémas de pensée, dominés par la peur
de l’ autre, et qui les mènent depuis la nuit des temps par le bout du nez.
- Où vas-tu vas m’ envoyer maintenant ?
- Partout sur la planète où la peur t’ accueillera. Tu te logeras dans les
poumons de ceux qui ont peur.
- Je ne connais pas la peur, comment la reconnaîtrai-je ?
- Tu n’ as aucune inquiétude à avoir, c’ est elle qui te reconnaîtra. Dès
qu’ elle te sentira dans les parages, elle attirera ton attention.
- Et pourquoi est-ce que je dois me loger dans leurs poumons ?
- Parce que c’ est par là que les hommes respirent. C’ est dans leurs
poumons qu’ ils aspirent le bon air et le bonheur de vivre, ou la pollution,
le désespoir et la tristesse.
- Mais s’ ils sont tristes, et qu’ en plus tu me mets dedans, alors il ne leur
restera plus qu’ à mourir.
- Sais-tu pourquoi les humains sont tristes ?

19 Variante d’un texte qui circule sur le Net, dont je ne connais pas l’auteur originel,
et dont je vous livre ici ma propre facture.

93
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

- Parce qu’ ils ont peur de mourir ?


- Ça, c’est ce qu’ils croient. Mais s’ils avaient vraiment peur de mourir,
ils ne feraient pas en sorte, par leurs modes de comportement, de mourir
plus tôt que prévu. La mort ne peut être qu’une épiphanie : une apparition
dans un « autre » monde. Quand nous tentons de la forcer, comme un
cambrioleur force une porte, ou comme un violeur force une femme, alors
la mort n’est que dissipation dans le néant. La cruelle vérité, vois-tu, est
que les humains ont bien plus peur de vivre que de mourir. Et s’ils tiennent
leurs cœurs soigneusement fermés, c’est de crainte que la vie n’y entre.
- Peut-être parce qu’ ils ont peur que la vie les blesse dans ce qu’ ils ont de
plus fragile.
- Oui, et c’ est là qu’ ils se trompent. Quand on ouvre son cœur rien ne
peut y pénétrer.
- Comment cela est-il possible ?
- Parce que le cœur des humains est rempli d’ amour. Je le sais, parce
que c’ est moi qui l’ y ai mis. Les humains sont mes enfants. Avant de leur
donner naissance, je leur ai glissé dans le cœur une immensité d’ amour,
infiniment repliée sur elle-même, afin qu’ elle puisse s’ y blottir le temps
du voyage. Quand, à l’ approche de sa fin, ils ouvrent leurs cœurs, l’ amour
se déplie jusqu’ à me recouvrir entièrement. Ils ont tout le temps dont ils
ont besoin pour ça. Ils ne sont pas obligés d’ ouvrir grand leurs cœurs
d’ un coup. Il suffit qu’ ils l’ ouvrent un tout petit peu chaque jour pour
que la transfusion s’ opère.
- Mais s’ ils ont le temps, alors pourquoi interviens-tu aujourd’ hui ?
- Parce qu’ ils ont perdu leur temps ! Je n’ aurais jamais cru cela possible,
et pourtant c’ est arrivé. En fait c’ est dû à un manque de communication
entre leur père et moi. Comme il les a créés libres, je me suis interdit
d’ intervenir dans leur destinée. Tu vois ? C’ est la même histoire que
celle des hommes et des femmes sur cette terre : des pères, des mères
et de leurs enfants. L’ homme chérit par dessus tout la liberté, la mère,
elle, assure la pérennité. Les enfants se sentent d’ autant plus libres qu’ ils
savent leur pérennité assurée. Dès lors ils peuvent grandir en toute
sérénité, ne désirant qu’ une chose : devenir aussi grands que leur père,

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

aussi beaux qu’ il l’ est à leurs yeux, aussi doués de toutes les qualités dont
ils le parent. Le problème est que c’ est facile d’ idéaliser quelqu’ un dont
on entend parler sans jamais le voir, quelqu’ un qu’ on s’ en tient seulement
à imaginer. Alors que moi, qui m’ occupe d’ eux au quotidien, ils me
considèrent comme une « chose » acquise, qui leur doit tout et à laquelle
ils ne doivent rien : « nourris-moi, nettoie mes déjections, donne-moi
de la bonne eau à boire, du bon air à mes poumons,... » Et quand je le
fais, ils font caca dedans, puis y rajoutent de la javel avant de la boire, me
recouvrent de goudron, m’ intoxiquent de plastique... Forcément, leur
père, lui, n’ est pas là pour intervenir. Il règne, très haut, là-bas, dans le
futur des cieux, pendant que moi je m’ active dans la profondeur de leur
présent. Lui, a donné sa semence puis s’ est retiré, attendant qu’ ils soient
grands pour s’ occuper d’ eux. Du coup je l’ ai contacté pour lui faire part
de mes craintes. Il m’ a répondu immédiatement, sans s’ alarmer, c’ est
un être d’ un calme absolu auquel je fais entièrement confiance. Nous
avons chacun un rôle bien spécifique à tenir, dans lequel l’ autre ne se
permet jamais d’ intervenir. Le problème est que ni lui ni moi n’ avions
pensé à ce moment extrêmement délicat où nos enfants ne sont plus des
enfants, tout en n’ étant pas encore des êtres autonomes : cette traversée
de l’ adolescence qui, aux temps premiers, était un apprentissage de la
vie adulte et qui n’ est aujourd’ hui plus qu’ une révolte, un refus obstiné
d’ accéder au monde des parents. Un monde, dont, en attendant de ne
pas y entrer, ils continuent en toute insouciance de profiter. L’ humanité
traverse aujourd’ hui cet instant critique de l’ adolescence, où la mère
que je suis n’ arrive plus à les tenir, alors même que leur père ne peut
venir les chercher sans les priver de leur liberté – qui est la condition
sine qua non de leur réalisation. Ils se retrouvent dès lors livrés à eux-
mêmes. Et comme ils ont passé jusque-là leur temps à jouer, n’ ayant
rien appris des modalités du voyage, nous avons décidé de leur accorder
un temps supplémentaire d’ apprentissage. Pour te le dire de façon plus
imagé, je viens de sonner la fin de la récréation. Maintenant je les mets
en rang deux par deux et les fais entrer en classe dans le plus grand
silence. Quand ils ont pris place derrière leurs pupitres, je leur annonce
que je ne suis plus leur maman mais leur maîtresse. Que personne ne
sera autorisé à redoubler et qu’ à la fin de l’ année tout le monde passera

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

dans la classe supérieure, où leur père les attend afin de parfaire leur
enseignement. Ensuite seulement, ayant appris à répondre d’ eux mêmes
et de leurs actes, ils seront libres.
- Et moi, tu peux me dire ce que je viens faire dans ton plan ?
- Je vais te confier une mission. Tu es si petit que tu peux te faufiler
partout sans qu’ on te voie. Comme je te l’ ai dit, j’ ai mis dans le cœur
de chaque humain, avant leur naissance, une quantité d’ amour infinie
qui n’ attend que de sortir pour se répandre partout à travers l’ univers,
jusqu’ à atteindre leur père. Tu vois, pour être très franche avec toi, je
dois t’ avouer que même si je les aime plus que tout, je me sers quand
même un peu d’ eux : en les chargeant d’ amour avant qu’ ils ne partent
rejoindre leur père, je me dis qu’ en le recevant, il comprendra que tout
cet amour vient de moi et qu’ il m’ aimera d’ autant plus en retour.
- Bon, j’ai compris ma mission, mais je ne sais toujours pas comment opérer.
- Ce que j’ ai fait pour eux, en les chargeant d’ amour, je l’ ai fait exactement
de même avec toi. Et comme tu es beaucoup, beaucoup plus petit, j’ ai
dû d’ autant plus comprimer l’ amour. C’ est comme le Big bang : plus
c’ est replié, plus ça contient d’ énergie. Ainsi tu seras mon cheval de
Troie. Quand tu arriveras dans leurs poumons, tu profiteras de leur
état de grande faiblesse pour te glisser incognito dans leurs cœurs. Il se
produira alors une étincelle qui mettra le feu aux poudres de l’ amour.
Pour cette dernière opération tu n’ auras besoin de t’ occuper de rien.
Tout est programmé d’ avance. Il suffit que tu pénètres dans leur cœur
pour que l’ étincelle se produise d’ elle-même : c’ est le rapprochement des
deux infinis d’ amour, infiniment repliés sur eux-mêmes, qui déclenche
le processus de réaction en chaîne.
- Cette fois j’ ai tout compris, Nature. Je file de ce pas remplir ma mission.
(un peu plus tard)
- Tu es parti tellement vite que dans ta précipitation tu as oublié ta
couronne, je viens juste de la retrouver.
- Non, je ne l’ ai pas oubliée, je l’ ai laissée exprès. Je la récupérerai quand
j’ aurais accompli ma mission. Les couronnes sont pour les rois, et pour
le moment j’ ai bien assez à faire comme sujet.

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

17
SORTIR DE L’ ILLUSION
(DE LA FONCTION À LA RÉALISATION)

Il y a deux formules possibles pour sortir de l’ illusion : « Je me suis


éveillé » ou « J’ ai perdu conscience ».
Je les écris au passé parce que cela est déjà réalisé.
Maintenant nous pouvons descendre tranquillement de la croix. La
dualité, qui nous y crucifiait, et que nous confondions dans nos rêves
avec le jugement – « c’ est ma faute » – se révèle pour ce qu’ elle est :
la structure de l’ esprit sans laquelle nous ne pourrions penser debout :
« Nous ne sommes pas des êtres humains qui vivons une expérience
spirituelle », écrit Teilhard de Chardin, « mais des êtres spirituels
qui vivons une expérience humaine ». Et comme, nous les humains,
marchons sur nos deux pieds, entendons avec nos deux oreilles, voyons
avec nos deux yeux…, nous pensons de même de manière binaire. Dit
autrement, la structure de notre pensée est bipolarisée. Et comme nous
avons tendance à nous identifier à notre structure (notre corps) nous
nous trouvons sans cesse tiraillés entre ces deux polarités. Comme si,
marchant, nous devions décider à chaque instant quel pied il convient
d’ avancer ! Il nous faut donc comprendre que nous ne sommes pas
notre structure. Que celle-ci, justement, est seulement « nôtre » et en
aucun cas ne peut être « nous ». Il nous appartient donc de séparer
« la fonction » – qui est un processus automatisé, comme notre cœur
bat, nos artères pulsent, notre estomac digère, nos poumons respirent,
notre cerveau reçoit des informations, calcule, les met en formes…, sans
que nous ayons, par bonheur, besoin d’ y intervenir en rien... – de « la
réalisation » de qui nous sommes et de ce que nous accomplissons.
Tout le processus d’ éclosion de l’ humanité commence par une perte
de conscience : ce que décrit la parabole chrétienne de la chute quand
nous sommes chassés du Jardin d’ Éden, parce qu’ en goûtant au fruit de
l’ arbre de la connaissance du bien et du mal, nous avons perdu notre
innocence. Or seule une innocence absolue peut nous mettre en vie et

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

nous y maintenir dans le funambulesque équilibre du vivant où, si un


seul atome manquait, nous nous effondrerions les uns sur les autres.
Nous sommes un miracle ! Aucune théorie, aucun calcul, aucune
expérience n’ est en mesure d’ expliquer, au moyen des seules probabilités
du hasard, fussent-elles infinies, notre présence en conscience sur cette
terre et partout dans l’ univers. Seul un acte de foi absolu peut nous
permettre de tendre vers cette compréhension, à laquelle nous ne
parviendrons jamais : « Heureux les simples en esprit car le Royaume
des cieux leur appartient ».
J’ ai récemment fait une expérience de la pensée de ce que pouvait être
cette chute ontologique qui précède notre venue au monde. Je me suis,
pour ce faire, accroché en esprit à un surplomb rocheux au-dessus du
vide. (Vous pouvez choisir l’ image qui vous convient le mieux : un
trapèze, un nuage, une montgolfière… peu importe). Puis j’ ai demandé à
la source d’ amour qui me donne vie à chaque seconde de mon existence,
d’ étendre ses bras sous moi. J’ ai attendu le temps nécessaire pour la
sentir « physiquement », jusqu’ à être sûr que je ne pouvais pas tomber,
que l’ écart qui me séparait de ses bras était suffisamment infime pour
être sûr que je ne risquais absolument rien, tout en pouvant me donner
l’ illusion de tomber pendant une fraction de seconde. Alors seulement
j’ ai lâché et, pendant un temps si court qu’ il ne pouvait avoir de durée,
j’ ai revécu ce qu’ il m’ a semblé être l’ horreur originelle de la chute dans
le vide de l’ esprit. j’ ai poussé un cri d’ horreur, en même temps que je me
sentais accueilli avec une inimaginable douceur. Puis j’ ai éclaté en pleurs
en répétant « Mon Dieu, Mon Dieu, Mon Dieu... »
Pendant ce temps infiniment court, j’ ai perdu conscience. Je me suis
trouvé réduit à néant. Je postule que c’ est à partir de cet événement
singulier que le temps crée son œuvre en me ramenant doucement à
moi. Par ce chemin de conscience, je reprends peu à peu mes esprits.
Au fil du temps, j’ ai fini par comprendre que j’ étais accroché à la peur et
que, par ma décision de lâcher prise, je me suis enfin laissé aller dans les
bras de l’ amour.
Aujourd’ hui, où nous parvenons à la fin des temps, l’ amour ouvre ses
bras et nous rend à nous-même. Les rêves de guerre laissent doucement

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

la place à un grand rêve de paix qui, peu à peu, se transforme à son tout
en un rêve d’ éveil, qui nous dépose avec une infinie tendresse au seuil de
l’ éternité, où nous attendons, dans un état de ravissement qui confine à
l’ extase, que quelqu’ un vienne nous chercher.

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

18
L’ ADIEU AUX ARMES ET AUX LARMES

À l’ échelle de l’ humanité, la structure de vie, qui se reproduit d’ elle-


même, enfante aujourd’ hui de sa propre mort par auto-étouffement.
Bien que nous ayons sous les yeux tous les indicateurs de notre
disparition annoncée, rien n’ y fait. Nous continuons non seulement de
nous reproduire, mais d’ accroître au surplus la quantité de biens que
nous estimons nécessaires à nos existences. Afin de tenter de sauver
leur économie, les Chinois font aujourd’ hui le choix de libérer leur
démographie jusque là contenue et la Bourse guette avidement les signes
de reprise de leurs activités de destruction massive. Quelle est donc cette
folie qui nous entraîne au-delà de nos capacités d’ adaptation ? Nous
avons besoin de deux planètes pour maintenir notre niveau de vie. Six, si
tous les humains vivaient sur le même pied que les Américains ! Certains
croient entrevoir la solution du problème dans la conquête de l’ espace ;
d’ autres dans les lois de la sélection naturelle : les meilleurs survivront,
les plus faibles disparaîtront, laissant ainsi la place à plus aptes qu’ eux.
Sauf qu’ en l’ espèce, les meilleurs sont par nature les pires ! Dans la loi
de la sélection naturelle appliquée à l’ humanité, les survivants sont les
assassins, ceux qui sont prêts à éradiquer leurs frères de la surface du
globe pour rester eux-mêmes en vie. Et ceux-là ne s’ arrêteront pas en si
bon chemin, ils détruiront tout jusqu’ à s’ anéantir eux-mêmes.
Ce sont donc ceux-là qu’ il nous faut convaincre si nous voulons
poursuivre l’ aventure humaine. Non en les stigmatisant mais en
continuant d’ éclairer ce qu’ il reste de ténèbres en nous. Pour cela,
posons-nous honnêtement la question de ce que nous verrions si nous
nous regardions avec les yeux d’ un autre. Et gardons la réponse à l’ esprit
quand nous regardons les autres. Je peux certes concevoir qu’ un autre
me regarde à travers l’ écran de ses préjugés, mais je n’ ai pour autant
aucune autorité à corriger sa vue. J’ ai par contre toute capacité à voir
clair en l’ autre en cessant de projeter mes préjugés sur lui. Alors ce qui
était projection devient vision. Et le monde s’ éclaire à mes yeux.
Quelle étrange beauté que celle de l’ aventure que nous vivons !
100
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Je vois l’ esprit qui se fait matière pour prendre forme. Quand l’ Être
émerge, façonné de lave en fusion fraîchement éteinte, il apparaît sous
les traits d’ un monstre – étymologiquement : « un prodige avertissant de
la volonté des dieux ». À l’ aube des temps, l’ Esprit, formé de sa propre
volonté, est une bête émergeant du chaos du sans forme. La suite de
l’ histoire – qui est la nôtre : la plainte de la bête sous les cieux, sa honte, sa
colère, sa voracité, son innocence, sa culpabilité... – nous la connaissons.
Ici commence l’ histoire nouvelle. La mue du monstre. Sa carapace qui
se lézarde. Le masque se fissure sous la poussée de l’ Être. Un à un, nous
en ôtons les morceaux qui nous collent à la peau. Il nous est poussé des
mains pour ce travail de patience, ce puzzle à l’ envers. Nous entrons
dans le temps de l’ apparition de l’ Être.
Jusqu’ alors je me cachais dans l’ ombre sous un masque d’ urbanité,
afin que nul ne voit le monstre que j’ étais, cherchant dans des traités
d’ esthétique où se trouvait le « beau » dont je sentais l’ appel en moi.
Il appelait en moi et je me cachais à sa vue pour ne pas qu’ il me
découvre dans mon insondable laideur. Et tandis que je me cachais, il
me venait de sous le masque qu’ il détissait du dedans, me laissant le
soin de parachever ma mue en m’ ôtant moi-même les morceaux qui me
collaient à la peau. Nul n’ advient au monde s’ il n’ en manifeste le désir
par des actes concrets ; ainsi seulement pouvons-nous être assurés de
notre volonté de participer à la grande aventure de l’ Esprit fait chair.
Sans cette inébranlable volonté, nous ne pourrions accoster aux rivages
de l’ existence. Rien ne nous est jamais imposé de ce que nous vivons.
Maintenant je me lave le visage. Ô le bien que cela fait, la fraîcheur de
la source sur ma nouvelle peau. Le bonheur que c’ est d’ avoir la figure
à l’ air. libre Pour la première fois, je ne sens pas le jugement sur moi.
C’ est un silence partout, sur la terre et sous les cieux. Mes yeux se
dessillent. Le monde s’ écarte à mon regard. Aucun reflet de moi où je
puis m’ apparaître. Quelle liberté ! Je me couche dans l’ herbe, étire mes
membres de bien-être et, la bouche ouverte, je bois à la source des cieux.
Couché dans l’ herbe, je songe au vieux théâtre où nous jouions jadis,
échangeant les rôles au gré de nos humeurs. Viols, meurtres, holocaustes,
attentats, trahisons, tromperies… nous les connaissions par cœur,

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

n’ ayant qu’ à changer de costume pour passer de l’ un à l’ autre. Quels


acteurs nous étions ! Quel plaisir nous avions à nous donner la réplique !
À chaque baisser de rideau, nous nous congratulions dans les coulisses,
heureux d’ avoir si bien joué ensemble. C’ était partout des : « … Et la
scène du 3, comme tu l’ as bien jouée, quand tu as brandi ton coutelas
sanglant, j’ ai eu tellement peur que j’ ai failli me faire pipi dessus... et le
général, tu as vu le général quand il est entré à cheval avec la poursuite
qui lui faisait un soleil levant dans le dos, c’ était d’ une beauté à vous
couper le souffle. » Comme nous étions heureux à chaque fin de partie,
buvant ensemble le verre de l’ amitié avant de rentrer chacun chez soi se
reposer de nos émotions et remettre ça le lendemain. Oh oui, comme
nous nous aimions de partager cette grandiose aventure où nos feux
d’ artifice étaient des explosions de chair !
La pièce nous plaisait tellement que les jours de relâche nous allions en
voir des variantes au cinéma, les offrant en jeux vidéo à nos enfants. Déjà,
tout petits, ils adoraient s’ entre-tuer. C’ était un tel enchantement qu’ à
intervalles réguliers on y jouait pour de vrai. Des guerres avec du vrai
sang, de vraies larmes, des estropiés, des membres arrachés par les obus
qui volent dans les airs. On y jouait à fond, prenant un intense plaisir
à souffrir et à faire souffrir, tout y passait : tortures, corps à corps à la
baïonnette, mitrailleuses, attentats-suicides, camps de la mort… on est
allé jusqu’ à la bombe atomique ! Avec ça on pouvait en tuer des millions
d’ un coup sans s’ exposer au moindre danger ! On n’ avait jamais rien
réalisé d’ aussi beau. Ce fut soudain un déferlement d’ enthousiasme sur
le monde où chaque faction voulut la sienne. Bientôt il y en eut tellement
qu’ il devenait impossible d’ en lancer une sans que toutes n’ explosent
de concert, nous entraînant avec elles dans la grande nuit des rideaux
baissés. Nous comprîmes alors que nous tenions notre destin entre
nos mains. Quelle ironie du sort ! Nous nous étions élevés au rang de
démiurges pour nous retrouver coincés comme des rats, incapables du
moindre geste sous peine de voler aussitôt en éclats ! « Quoi ? On ne
peut plus jouer ! » étions-nous nombreux à nous plaindre, tandis que
les plus obstinés cherchaient désespérément de nouvelles perspectives
d’ amusement, allant jusqu’ à proposer de revenir au temps des petites
guerres à taille humaine. Mais comment s’ accommoder de l’ ordinaire

102
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

quand on a connu le sublime ? Nous avons commencé à déserter la


scène. Le jeu ne nous amusait plus. On s’ est mis à sauter du spectacle
en marche. Seulement quelques-uns au début. Ceux qui restaient leur
gueulaient dessus par la fenêtre : « lâches, traîtres, déserteurs, si on vous
attrape vous êtes bons pour le peloton d’ exécution ». Vu du dehors,
c’ était comme un énorme train galopant vers le précipice. Mais le ver
était dans le fruit, c’ était une folie qui nous entraînait à nous jeter par les
fenêtres au risque de nous rompre le cou. Il vint bientôt un moment où
nous fûmes aussi nombreux dehors que dedans. Alors ce fut un sauve-
qui-peut général. Ceux qui restaient encore dans le grand désastre en
marche étaient prêts à s’ écraser les uns les autres pour gagner au plus
vite la sortie. Plus personne ne prenait seulement la peine d’ insulter les
fuyards. Il n’ y avait plus que des fuyards. Au reste, quelqu’ un l’ aurait
fait que les mots lui seraient restés collés aux lèvres, l’ élan qui nous
emportait vers le néant ayant désormais dépassé la vitesse du son.
Alors il se produisit un miracle : nous fûmes à nouveau ensemble. Et ce
n’ était plus cette fois pour nous faire la guerre, mais pour sauver ceux
qui étaient encore embarqués dans la grande catastrophe roulant son
train d’ enfer. Ceux du dehors se prirent à courir afin d’ aider les derniers
passagers à quitter le monde en perdition. Ceux du dedans leur jetaient
les enfants par la fenêtre et ils les attrapaient au vol, les couchant dans
l’ herbe avant de s’ élancer à nouveau pour attraper les suivants. À la fin,
même le conducteur a sauté. Il n’ y avait plus personne à l’ intérieur pour
lui crier dessus, le traiter de déserteur. On était tous dehors à l’ applaudir.
C’ est lui qui avait tenu le plus longtemps. On en fit notre héros.
Nous prîmes alors conscience que nous n’ avions pas arrêté de jouer
ensemble, nous avions simplement changé de jeu. Ici c’ était un autre
paysage, si pur, si paisible qu’ on en avait le cœur retourné. Quand on
repensait à ce qu’ on avait vécu, on en était éberlués. On ne se reconnaissait
plus. Puis peu à peu nous nous sommes mis à perdre la mémoire. Il n’ y
avait plus ni passé ni futur, seulement le présent.
Nous fûmes tous sauvés, aucun acteur n’ est resté dans le bolide de
ferraille. Quand il fut précipité dans le vide, il ne contenait plus que les
vieilles mémoires de la même pièce sans cesse rejouée. Nous perçûmes

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2015 - 2020 : des attentats au coronavirus

l’ écho de son fracas résonnant dans le lointain ainsi que le roulement


d’ un tonnerre. Depuis nous en commémorons chaque année le jour
anniversaire : notre adieu aux armes.
Ce qui nous surprend le plus aujourd’ hui est que notre nouvel état
de détente ne nous plonge pas dans l’ ennui. Nous avons tellement de
choses à inventer ensemble ! C’ est toujours la même énergie qui nous
anime, nous l’ avons simplement retournée. Aujourd’ hui nous passons
le plus clair de notre temps à observer la nature afin de pénétrer les
mystères de son fonctionnement et de ne la perturber en rien. Comment
se reproduit-elle, comment crée-t-elle son propre équilibre ? Nous
apprenons à y trouver notre place, acceptant la mort qui ne nous est plus
un fléau. Nous avons compris qu’ elle est la condition du renouvellement
incessant des formes, de l’ invention sans fin au service de la perpétuation
de la vie. Le plus étrange est que depuis que nous avons cessé de nous
raidir, nous ne mourons plus : nous changeons simplement de forme.
La vie est un flux. Celui qui s’ accroche aux rochers est malmené par les
flots qui ne cessent de le blesser. Celui qui se laisse porter par le courant
voyage sans fin.

104
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

Fin
NOUS SOMMES UN

Je suis un et indivisible.
L’ humanité est une et indivisible.
La terre est une et indivisible.
L’ univers est un et indivisible.
L’ Esprit est un et indivisible.
La séparation est une illusion.
Nous sommes Un.

Aux humains de bonne volonté qui font leur part dans le changement
de paradigme qui s’ opère à cette heure sur la terre. Ici commence ce qui
ne connaîtra pas de fin.

12 avril, lundi de Pâques. Il y a 2 000 ans, trois femmes chargées


d’ aromates se rendent au tombeau du Christ afin de lui oindre le corps.
Cheminant, elles se demandent qui pourra les aider à faire basculer la
lourde pierre qui en clôt l’ entrée. Mais quand elles arrivent, la pierre est
couchée sur le sol : le tombeau est vide.

À midi, repas de fête sur la terrasse avec mes voisins.

Plus tard dans la soirée, mon filleul m’ appelle : les rorquals et les
dauphins reprennent possession des calanques de Marseille.
Je vois une danse. Nous reculons d’ un pas, la nature avance d’ un. Nous
nous tenons à l’ exacte distance qui nous préserve de nous effondrer l’ un
sur l’ autre, tout en créant un espace relationnel entre nous. « J’ ai pensé
à un jeu, dit l’ humanité à la nature : dans cet espace, que je m’ engage

105
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

à garantir vierge de toute empreinte, et où seuls mes pas sur le sable


apparaîtrons le temps que ta vague les efface, je te propose, au rythme de
la musique jouée par la rotation des étoiles, de nous dire, par notre danse
commune, ce que nous ne pouvons nous dire avec des mots : Toi, parce
que tu ne connais pas le langage, nous, parce que pour avoir longtemps
parlé pour ne rien dire, le temps du silence nous est venu. »

106
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

« L’ eau allée avec le soleil »20

20 « Inspiré de L’Éternité d’Arthur Rimbaud : « Elle est retrouvée / Quoi ? L’Éternité. /


C’est la mer allée / Avec le soleil. »

107
Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

REMERCIEMENTS

À Claire Cavazza, pour ses belles encres de Chine et pour m’avoir une
nouvelle fois accompagné dans la finalisation du manuscrit. Comme
d’habitude son sens critique et son ouverture d’esprit ont fait merveille.

À Vanessa Chamonal, pour sa correction orthographique.

À l’équipe jumelle de Double You pour la réalisation de la couverture,


la maquette et la mise en page.

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Tu rêveras de paix, puis tu t’éveilleras

DU MÊME AUTEUR

À paraître :
NOTRE PRÉSENCE AU MONDE (tétralogie) :
* NOTRE PRÉSENCE AU MONDE,
** LE CIEL EST À L’ENVERS,
*** L’ESSENCE DES CHOSES,
****PREMIERS FRAGMENTS D’HUMANITÉ.

RENCONTRE AVEC SOI, autoédition 2015.

NOUS RÉCONCILIER AVEC LA TERRE (avec Claire Cavazza),


Flammarion, 2009.

ÉLOGE DE LA SIMPLICITÉ VOLONTAIRE, Flammarion, 2007.

LA FABRIQUE DU DIABLE, Climats, 2003.

LA GRÂCE PERDUE DU BOXEUR, Climats, 2002.

LA MONDIALISATION RACONTÉE À CEUX QUI LA SUBISSENT,


Climats, 1999.

L’ORIGINE DU MONDE (tétralogie érotique), Climats + Cercle poche :


* L’ÉVEIL DE CLÉMENCE, 1997.
** LE BUISSON ARDENT, 1998.
*** LA DISPOSITION, 2000
**** LA DÉFLORATION, 2004.

LE FILS DE MINOS, Le Rocher, 1989.

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