Vous êtes sur la page 1sur 38

Communication et politique :

la monarchie britannique de
Victoria à nos jours

Assiette commémorative du Jubilé d’or de la reine Victoria, 1887 (coll. part.)

Cours et TD du Professeur Philippe Chassaigne


Année universitaire 2018-2019

1
Bibliographie

On a privilégié les ouvrages en français, mais un minimum de lectures en anglais est


néanmoins requis…

1. Instruments de travail :

CANNON John (dir.), A Dictionary of British History, Oxford, Oxford University Press,
2004.
CHARLOT Monica et CHARLOT Claire, Glossaire des institutions politiques britanniques,
Paris, Nathan, 1999.
CHASSAIGNE Philippe, Lexique d’histoire et de civilisation britanniques, Paris, Ellipses,
1997.
PANTON Kenneth, Historical Dictionary of the British Monarchy, Plymouth, Scarecrow
Press, 2011.

2. Aspects généraux :
BOGDANOR Vernon (dir.), The British Constitution in the Twentieth Century, Oxford; New
York: Oxford University Press, 2003.
BOGDANOR Vernon, The Monarchy and the Constitution, Oxford, Clarendon Press, 1995.
CANNADINE David, son article sur les rituels de la monarchie britannique, dans
HOBSBAWM Eric et RANGER Terence (dir.), L'Invention de la tradition, Paris, Ed.
Amsterdam, 2012 (1ere éd.: Cambridge University Press, 1983).
CANNADINE David, History in Our Time, Londres, Penguin, 1998.
CATSIAPIS Hélène, La Royauté anglaise au XXe siècle, Paris, Ellipses, 2000.
CHARLOT Monica (dir.), The British Monarchy in the 20th Century, Gap, Ophrys, 1992.
GOLBY James, PURDUE William, The Monarchy and the British People, 1760 to the
Present, Londres, Batsford, 1988.
NAIRN Tom, The Enchanted Glass. Britain and its Monarchy, Londres, 1988.
OLECHNOWICZ Andrzej (dir.), The Monarchy and the British Nation, 1780 to the Present,
Cambridge, Cambridge University Press, 2007.

3. Points particuliers :
CANNADINE David, conférence inaugurale (keynote speech) de 2012, "The Making of a
Monarchy for the Modern World 2012": https://www.youtube.com/watch?v=ah0ia9X3vvU
CHASSAIGNE Philippe, Buckingham Palace fin de siècle. La monarchie britannique à
l'épreuve, Toulouse, Privat, 2001.
CHASSAIGNE Philippe, La Reine Victoria, Paris, Gallimard, 2017.

2
CLARKE Stephen, Édouard VII, un roi anglais made in France, Paris, Albin Michel, 2017
(journalistiquement drôle).
COTTRET Bernard, Ces reines qui ont fait l'Angleterre, Paris, Tallandier, 2016.
HOMANS Margaret. Royal Representations. Queen Victoria and British Culture, 1837-1876,
Chicago, ChicagoUniversity Press, 1998.
KUHN William M., Democratic Royalism. The Transformation of the British Monarchy
1861-1914, Basingstoke, Macmillan, 1996.
MOULIN Joanny, Elisabeth II, une reine dans l'histoire, Paris, Flammarion, 2011.
PLUNKETT John. Queen Victoria. First Media Monarch, Oxford, Oxford University Press,
2003.
PROCHASKA Frank, Royal Bounty. The Making of a Welfare Monarchy, Londres, Yale
University Press, 1998.
PROCHASKA Frank, The Republic of Britain, 1760-2000, Londres, Allen Lane, 2000.
ROCHE Marc, Elisabeth II. Une vie, un règne, Paris, La Table ronde, 2012.

Les éditions Penguin (Londres, Allen Lane) publient une collection de courtes biographies sur
les souverains anglais/britanniques : « Penguin monarchs », disponibles en version Kindle.
BRENDON Pierce, Edward VIII. The Uncrowned King, 2016.
CANNADINE David, George V. The Unexpected King, 2014.
DAVENPORT-HINES Richard, Edward VII. The Cosmopolitan King, 2016.
HURD Douglas, Elizabeth II. The Steadfast, 2015.
RIDLEY Jane, Victoria. Queen, Matriarch, Empress, 2015.
ZIEGLER Philip, George VI. The Dutiful King, 2014.

3
Programme des séances

Date cours TD
21/01 Un bilan à l’avènement de Autour de George IV (dossier documentaire)
Victoria (1837)
28/01 Pas de cours Pas de TD
04/02 Evolution des media Extrait du Rapport Leveson (2012)
britanniques aux XIXe et XXe s.
11/02 La mise en place d’une Le Times et la « réclusion » de Victoria
monarchie médiatique sous après la mort d’Albert (3 textes)
Victoria (1837-1901)
18/02 For King & Country : Des Saxe-Cobourg et Gotha aux Windsor
transformations de l’image sous (1917) (3 documents)
la Première Guerre mondiale (et
un peu avant : 1901-1918)
04/03 Un traumatisme : l’abdication La crise de l’Abdication (2 textes)
d’Edouard VIII (1936)
11/03 George VI et la Seconde Guerre Discours de George VI, 1939 et 136 (2
mondiale ; une « monarchie du textes)
peuple » ?
18/03 Confrontée aux réalités d’un Sur le documentaire Royal Family, 1969 (2
monde qui change : Elizabeth II textes)
de 1952 à 1977
25/03 Une relation complexe assumée A l’épreuve de la mort de la princesse
depuis les années 80 Diana, 1997 (2 textes)
01/04 Le souverain, trait d’union entre Jane Connors, « Pourquoi l’Australie aime
les parties du monde britannique toujours la famille royale britannique »
et du Commonwealth (2017)

4
Souverains (passés, présent, à venir)

La reine Victoria (1837-1901), portrait de 1859 par Winterhalter

Publicité pour la marque de cacao en poudre Fry, fournisseur de la reine, 1897.

5
Illustrated London News, 1902 : Edouard VII entouré de soldats de l’Empire.

« Un monarque européen vénéré en Asie comme un seigneur » : George V et la reine Mary


lors du durbar de décembre 1911 : reportage du magazine américain Life.

6
« Une » du Daily Mirror sur l’abdication d’Edouard VIII (10 décembre 1936).

George VI et son épouse dans des ruines d’un quartier populaire de Londres, pendant le Blitz.

7
La famille royale et le Premier Ministre Winston Churchill le jour de la « Victoire en
Europe » (VE Day), sur le balcon de Buckingham Palace.

Couronnement de la reine Elizabeth II, 1953.

8
Mariage de Charles et de Diana, 1981.

John Wonnacott, « The Royal Family. A Centenary Portrait », 2000.

9
« Quatre générations de famille royale », à 119 ans d’intervalle : 1894 et 2013.
A gauche, Victoria, le Prince de Galles, le duc d’York et le Prince Edouard d’York.
A droite, Elizabeth II, le Prince de Galles, le duc de Cambridge et le Prince George de
Cambridge.

10
Textes et documents
(tous les textes ont été traduits par Ph. Chassaigne, sauf indication contraire)

Un souverain controversé : George IV (1820-1830)

George, alors Prince de Galles et Prince Régent, par Richard Cosway, 1780.

11
« Which is the Dirtiest. So foul the Stains will be Indelible » : George IV et Caroline,
caricature de George Cruikshanks, vers 1820-1821.

« ALL the WORLD’S a STAGE. And one man in his time plays many parts » : caricature de
George IV, à nouveau par George Cruikshanks, 1824.

12
Les funérailles de George IV, vues par un contemporain.

Le cortège funéraire devait se mettre en marche à 9 heures, mais la foule était depuis
longtemps déjà devenue plus indifférente qu’impatiente, et certains, dans leurs conversations,
montraient une légèreté de sentiments qui ne saurait être portée à leur crédit. En fait, le
peuple, par son comportement, se montrait davantage porté à la plaisanterie et à la gaité qu’au
deuil et à la tristesse.
Pendant un moment, les spectateurs et les soldats semblèrent abandonner tout espoir de voir
passer le cortège funéraire, et commencèrent à parler entre eux abondamment. Nous
écoutâmes avec beaucoup d’attention, que ce soit les propos des soldats ou ceux des
spectateurs, mais tous s’en tenaient à l’expression de leur curiosité, ou à de banales
plaisanteries. Je n’ai pas entendu un seul propos louangeur envers feu Sa majesté, ni une
parole de regret. On parlait beaucoup du cortège, on spéculait sur la cérémonie ; mais pas un
mot sur la personne en l’honneur de qui tout ceci était organisé. Le spectacle intéressait tout le
monde, le roi défunt était traité avec indifférence. […]
Ces funérailles ont été diversement appréciées ; mais l’opinion qui domine, et à laquelle nous
pouvons nous rallier sans peine, est qu’elles ne répondirent pas aux attentes du public. Toute
la journée fut, en fait, davantage une foire qu’une journée de deuil ; et si le comportement du
peuple peut servir de critère quant à l’opinion qu’il avait du souverain défunt, ce n’était en
aucune façon de la vénération, du respect ou de l’estime pour sa mémoire.
Si, à l’avenir, son nom devait être mentionné avec respect, et si on devait considérer ses actes
comme ayant fait honneur à l’humanité, nous ne savons pas vraiment en quoi il serait digne de
tels éloges. Ni en privé, ni en public, sa personnalité ne méritera d’être honorée : avait-il de
hautes ambitions ? Accomplissait-il les devoirs liés à sa charge avec persévérance ? Fut-il un
souverain frugal, juste, opiniâtre ? Fit-il passer ses intérêts privés après l’intérêt général ? Fut-
il d’une grande intelligence, avait-il les connaissances nécessaires pour diriger une grande
nation ? A-t-il, conscient qu’il était du bien public, consacré sa vie à l’étude des progrès
quotidiens que la science nous apportait ? Et, enfin, a-t-il montré dans sa vie privée l’exemple
de la mesure, de la fidélité à sa tâche ? A-t-il fait preuve de goûts subtils et raffinés ? Ce n’est
pas en cela que George IV mériterait, maintenant ou à l’avenir, d’être loué. Si les générations
futures devaient célébrer sa mémoire, ce sera à elles d’en trouver les raisons.

Robert Huish, Memoirs of George IV, Londres, Thomas Kelly, 1830, p. 416 et 418.

13
Extraits du Rapport Leveson sur « la culture, les pratiques et l’éthique de la presse »
(2012)

20. Depuis de nombreuses années, on s’est plaint qu’une certaine partie de la presse faisait
peu de cas des droits des uns et des autres, sans que cela se justifiât par l’intérêt général. Les
tentatives pour y mettre bon ordre n’avaient pas été couronnées de succès. Les promesses
succédaient aux promesses. Même les changements mis en place après la mort de Diana,
Princesse de Galles, n’avaient pas duré longtemps. Les pratiques mises à jour pendant
l’Opération « Motorman », qui conduisirent à la publication de deux rapports parlementaires,
montrèrent que de larges sections de la presse s’étaient livré dans un commerce à large échelle
d’informations privées et confidentielles, ne présentant que peu d’intérêt pour la collectivité.
Un détective privé, Steve Whittamore, s’était certainement livré à des violations criminelles
répétées de la législation sur la protection des données et, de prime abord, les journalistes qui
avaient eu recours à ses services ou avaient utilisé ses informations (payées par ailleurs à un
prix élevé) devaient savoir, ou auraient dû le savoir, que ces informations ne pouvaient pas
avoir été obtenues de façon légale.
21. Rien de ceci n’a conduit un seul journal à se pencher sur ces propres pratiques, ni sur
celles de ses confrères. Aucun journal n’a cherché à savoir (et encore moins, à rendre
public)si ses journalistes s’étaient conformé à la législation sur la protection des données.
Certains organes de presse ont rapidement interdit le recours à des détectives privés pour
rechercher des informations ; d’autres ont pris leur temps pour l’interdire à leur tour, et
d’autres encore n’ont rien fait du tout. Lorsque le Commissaire à l’Information a cherché à
obtenir du Gouvernement puis du Parlement que les peines encourues pour les infractions
criminelles à la législation soient accrues, il a dû faire face à des très fortes pressions émanant
de la presse (et de la Press Complaints Commission), contestant la proposition que des
journalistes commettant des infractions criminelles, même à large échelle et de façon
systématique, puissent être passibles de condamnations pénales.
22. Lorsque Clive Goodman, un journaliste travaillant pour News of the World, et Glenn
Mulcaire, un détective privé, furent condamnés pour avoir piraté les téléphones portables de
membres de la Maison royale et d’autres personnes, l’enquête criminelle avait montré de
façon implicite qu’ils n’étaient pas le seuls à avoir utilisé, sciemment ou non, des
informations provenant du piratage de téléphones. La plupart des entreprises seraient atterrées
que certains de leurs employés aient, ou puissent avoir, commis des infractions de nature
criminelle dans le cadre de leur travail. Mais pas News of the World. Lorsque la police,
dûment mandatée, a voulu effectuer une perquisition, le personnel l’a chassée des locaux du
journal. Le journal a très généreusement indemnisé deux employés qui furent condamnés à de
la prison ferme pour leur privation de salaire pendant qu’ils purgeaient leurs peines.
23. Une fois de plus, ni News of the World ni aucun autre titre de News International, ni
personne d’autre, n’a cherché à entreprendre la moindre enquête en profondeur (cette fois, en
ce qui concerne le piratage de téléphone) ; on s’est contenté de rejeter la faute sur « un
journaliste voyou »1, ce qui fut l’excuse présentée à la Press Complaints Commission, au
Parlement et au reste du monde, et on n’est pas allé plus loin. Bien sûr, on riait allègrement

1
« One rogue reporter » dans le texte (note du traducteur).

14
sous cape quant à la façon dont la pratique du piratage de téléphones portables était répandue
dans la profession mais (avec une seule exception) la presse ne fit rien pour interroger ses
propres pratiques ou pour mettre en lumière des comportements qui, s’ils avaient été ceux du
Gouvernement, du Parlement, de toute autre institution nationale, ou de n’importe quelle
organisation d’importance, auraient fait l’objet de l’enquête la plus approfondie que les
journalistes auraient pu réaliser.
[…]

29. On a pu avancer que, même s’il y avait un vrai problème dans la façon dont News of the
World obtenait et publiait certaines informations (mais en aucun cas toutes celles qu’il
publiait), il n’y a aucune raison pour en conclure que d’autres titres se comportaient de façon
contraire à la loi ou à la déontologie. En ce qui concerne les affaires très médiatisées de
pratiques à l’évidence immorales qui suggèreraient l’inverse, on a avancé qu’elles étaient des
exceptions aberrantes, et qu’elles ne reflétaient pas l’ensemble des pratiques, ou des critères
moraux, de la presse en général. Je rejette totalement cette analyse. Bien sûr, la plupart des
enquêtes [journalistiques] ne débouche pas sur des procès pour diffamation, pour atteinte à la
vie privée ou aux droits des individus, et la plus grande partie de ces enquêtes a été menées en
respectant un degré élevé (sinon très élevé) d’intégrité et de professionnalisme. Mais le
nombre significatif de reportages qui n’ont pas répondu à ces critères ne peut être ignoré et je
ne doute pas qu’il représente une culture (ou, plus probablement, une sous-culture) propre à
certains titres de la presse [britannique].

Lord Leveson, An Inquiry Into The Culture, Practices and Ethics of the Press, Londres, The
Stationery Office, 2012, pp. 7-9.

15
Le débat autour de la « réclusion » de Victoria entre 1861 et 1871

1. Article du Times, 1er avril 1864 :


Il y a, il est vrai, des hommes et des femmes qui, cédant à un goût naturel ou à des aléas de la
vie, se referment sur eux-mêmes et ne deviennent rien de plus que des noms. Ce sont eux qui
sont tenus pour des modèles de piété, de bonté, de moralité, dont on parle des vertus à voix
basse, que l’on vénère secrètement entre un petit groupe d’initiés et d’admirateurs. Mais il
n’est possible pour personne, d’aucun rang ou d’aucune profession, de devenir cet être
mystique et impersonnel, dépourvu de sentiments et d’idées propres. Les personnes les plus
recluses ne peuvent se constituer un monde qui rejette complètement la réalité ; et ceux qui
vivent tant dans le passé seront quand même confrontés au présent. De fait, elles sont d’autant
plus capables de se laisser aller à exprimer leurs sentiments sur les questions du moment
qu’elles se sont complu dans les souvenirs des temps passés. Qui veut s’abstenir du monde et
de ses obligations doit ne plus rien savoir, ne plus s’occuper de rien, ne plus rien faire, et se
contenter de voir les événements suivre leur cours. Mais en fait, ils ne peuvent le faire ; ils ne
le feront jamais ; et la seule conséquence, est une lutte au cours de laquelle ils ne vivent pas,
mais ne meurent pas vraiment non plus. Ils ne vivent pas dans le passé, comme ils le
voudraient, mais n’accomplissent pas non plus leurs devoirs dans le monde des vivants.

2. Lettre au Times, 6 avril 1864 (signée : The Court, mais écriture manuelle de la reine) :
Une idée fausse semble s’imposer, et a récemment été exposée fréquemment dans les
journaux, qui voudrait que la Reine reprenne la place qui était la sienne avant son grand
malheur ; c’est-à-dire, qu’elle assiste en personne à des réceptions officielles, ou en petit
comité, qu’elle assiste comme avant à des bals de la Cour, etc. Nous ne pourrions démentir
cette idée de façon trop explicite.
La Reine prend vraiment à cœur les désirs de ses sujets de la voir, et elle fera tout ce qu’elle
peut pour satisfaire cette aspiration loyale et affectueuse. A chaque fois que son apparition en
public permettra d’arriver à des résultats concrets, à permettre à l’intérêt national d’aller de
l’avant, ou quelqu’autre chose, attachée comme elle l’est au bien de son peuple, la Reine ne se
dérobera pas, comme elle ne s’est jamais dérobé, à aucun sacrifice personnel, aussi
douloureux qu’il puisse l’être.
Mais il y a d’autres devoirs, et des devoirs plus élevés, que ceux d’un simple rôle
représentatif, que l’on fait maintenant reposer sur la Reine, seule, sans aucune aide – des
devoirs qu’elle ne peut négliger sans porter atteinte à la fonction de l’Etat, qui lui pèsent sans
arrêt dessus, l’écrasant sous le travail et l’inquiétude.
La Reine s’est efforcée d’accomplir ces devoirs jusqu’à ce que sa force et sa santé, déjà
éprouvées par la tristesse profonde et permanente qui s’est substitué à son bonheur, aient été
gravement atteintes.
Exiger d’elle qu’elle supporte, de surcroît, la fatigue de ces cérémonies officielles qui peuvent
tout aussi bien être accomplies par d’autres membres de sa famille, est lui demander de courir

16
le risque de se rendre totalement incapable d’accomplir les autres obligations qu’elle ne peut
négliger sans porter atteinte à l’intérêt général.
La Reine va, cependant, faire ce qu’elle peut, de la façon la moins préjudiciable à sa santé, à
ses forces, à son moral, pour répondre aux attentes de ses sujets, et apporter son soutien et son
prestige à la société, et encourager ainsi les activités économiques, ce qui lui est demandé.
Plus que cela, la Reine ne peut le faire ; et, dans sa bonté, son peuple ne le lui demandera sans
doute pas.

3. Article du Times, 15 décembre 1864 :


Dans tous les deuils arrive un moment où les jours de tristesse doivent être considérés comme
appartenant au passé. Les vivants ont leurs exigences autant que les morts ; et quelles
exigences peuvent être plus importantes que ceux d’une grande nation, et la société de l’une
des premières capitales européennes ? Aucune maison régnante ne peut se permettre de
donner raison à ceux qui considèrent que le trône n’est qu’une relique d’un autre temps et la
royauté un simple cérémonial. Une recluse ne peut occuper le trône britannique sans affaiblir
progressivement l’autorité que le souverain exerçait habituellement. Pour le salut de la
Couronne, ainsi que du peuple, nous voudrions implorer Sa Majesté de recommencer à
exercer en personne ses fonctions suprêmes. Il se peut qu’à la longue Londres s’habitue à se
passer du Palais, mais il n’est pas souhaitable que nous en arrivions à cette simplicité
républicaine. Pour toutes ces raisons nous pensons que, maintenant que trois années se sont
passées et que toutes les marques possibles d’affection et de reconnaissance envers la
mémoire du prince consort ont été rendues, Sa Majesté pensera aux attentes de ses sujets et
aux devoirs de sa haute charge, et ne les repoussera pas plus longtemps pour s’abandonner à
un vain deuil.

In Edward Cook, Delane of The Times, Londres, Constable, 1915, pp. 149, 150, 152.

17
Des Saxe-Cobourg et Gotha aux Windsor (1917)

1. Des titres de noblesse britanniques pour un peuple britannique

Tout le monde accueillera favorablement l’initiative du Roi d’abolir les titres allemands
portés par les membres de sa famille. En certaines circonstances, des parents du Roi, qui sont
britanniques de naissance et de cœur et qui ont servi l’Etat avec dévouement, ont été obligés
de porter des titres qui leur étaient devenus aussi détestables et dont la consonance ne pouvait
aller de pair avec leurs fonctions. Le Roi a très justement interprété le sentiment général, et,
en outre, il a soulagé ses parents d’un fardeau qui était insultant, en décidant d’en finir avec
ces titres. Mais la décision du Roi va bien plus loin que cela, en élaborant un nouveau système
de titres royaux et quasi-royaux. Elle diminue le nombre de titres, et stipule que seuls les
descendants directs du souverain, figurant dans l’ordre de succession, seront appelés « Altesse
royale ». Les titres d’« Altesse » et d’« Altesse sérénissime » disparaîtront progressivement –
puisque le Roi n’en confèrera plus – et les Altesses et Altesses sérénissimes d’aujourd’hui
seront intégrées dans la Pairie britannique. Tout ceci est parfaitement britannique dans sa
conception, et sera apprécié par le peuple, car c’est en fait un retour aux anciennes pratiques
des familles royales britanniques avant l’avènement de la Maison de Hanovre. De façon assez
surprenante, les difficultés provoquées par la multiplication indue des titres royaux ne s’était
pas fait sentir dans les jours anciens. Ce n’est qu’au cours de la génération passée qu’on en est
venu à penser que le cercle restreint des titres royaux devrait conserver sa distinction
spécifique. Il était temps, en dehors du caractère inapproprié des titres allemands en eux-
mêmes, de mettre un terme à l’habitude ayant cours sur le Continent de transmettre le titre de
« Prince » ou « Princesse » à tous les membres d’une famille princière. Si cela avait continué,
sa fréquence aurait dévalué le titre ; mais le nouveau système, avec le recours à la Pairie, sera
à l’avantage à la fois des familles princières et de la Pairie. Ce nouvel ordre des choses est un
lien de plus entre le Trône et le peuple, faisant de notre Monarchie constitutionnelle en droit
comme en fait un élément particulier de notre démocratie britannique.
En vue de l’accomplissement du plan rapidement résumé ci-dessus, le Roi a fait du Duc de
Teck (le frère de la Reine) un marquis, et du Prince Alexandre de Teck (le second frère de la
Reine) un comte. Le Duc de Teck est le fils de feu la Princesse Marie-Adélaïde de
Cambridge, et il est impossible d’imaginer une famille plus britannique que les Teck, dans
leur façon de vivre, de servir leur pays et de concevoir la vie. Les Britanniques seront ravis de
s’adresser à une telle famille sous un titre anglais. Le Prince Louis de Battenberg, dont on
n’oubliera pas les états de services dans la Marine, où ses qualités professionnelles et son
enthousiasme étaient appréciées à leur juste valeur, devient un Marquis. Le Prince Alexandre
de Battenberg (fils de la Princesse Béatrice et petit-fils de la reine Victoria) devient lui aussi
un marquis. Les autres Battenberg porteront leur nom sous forme anglaise : « Mountbatten »,
qui, par une heureuse coïncidence, n’est pas seulement la simple traduction de « Battenberg »
- ce ne serait pas une justification suffisante en elle-même – mais, comme on l’a vu dans le
Times, est le nom, célèbre dans l’histoire anglaise, du promontoire surplombant le port de
Portsmouth. Les deux petites-filles de Victoria, par leur mère la Princesse Christian, vont
donc abandonner leur nom de Schleswig-Holstein et être simplement appelées Princesses
Helena Victoria et Marie-Louise. Il faut néanmoins se rappeler que le titre Schleswig-Holstein

18
est d’origine purement danoise. Le Prince Christian de Schleswig-Holstein était danois de
naissance et le resta jusqu’en 1863, lorsque la Prusse annexa les provinces danoises par la
force.
Comme nous l’avons dit, l’idée est de limiter l’usage du titre « Altesse royale ». Il avait été
accordé aux gendres de Victoria. Leurs enfants devinrent « Altesse » et leurs petits-enfants
« Altesse sérénissimes ». Ces titres conférés par décision royale ne peuvent être retirés que
par décision royale ; mais comme les familles n’étant pas dans l’ordre de succession par
primogéniture vont être versées dans la Pairie du royaume, ils vont disparaître. Le titre
d’« Altesse royale » sera limité aux enfants du souverain et à leurs enfants. Ainsi, les enfants
du Prince de Galles et de tous ses frères seront des Altesses royales, mais pas ceux de la
Princesse Mary, bien qu’ils seront Princes et Princesses. Mais (à moins que la succession soit
interrompue), les petits-enfants du Prince de Galles seront des Altesses royales, mais pas ceux
de ses frères.
Nous ne savons pas s’il serait expédient, ou souhaitable, pour les membres cadets de la
Famille royale d’avoir à l’avenir un nom de famille qui soit incontestablement britannique.
C’est un sujet auquel de nombreux esprits affûtés se sont colletés dans le passé et Charles
Greville, croyons-nous bien, a écrit une brochure sur le sujet : « Quel est le patronyme de la
Famille royale ? » ; « Plantagenêt » serait peut-être jugé un peu trop dramatique. Mais
« Lancastre » ne susciterait aucune objection. Il se trouve que le Roi est bien sûr duc de
Lancastre. Le besoin d’un tel patronyme peut ne pas se faire sentir mais nous sommes sûrs
que le cas échéant, on choisira un nom bien britannique, plongeant ses racines dans le passé. Il
devrait incarner et exprimer toute cette idée de connexion entre l’espèce royale et le peuple,
contenue dans le nouveau système.

A la fin de sa vie, le dernier descendant de sexe masculin d’Olivier Cromwell voulut


transmettre son patronyme à son gendre, un certain M. Russell ; pour ce faire, il écrivit une
lettre au roi pour demander son autorisation. On dit que lorsque George III reçut la demande,
le vieux souverain refusa absolument, en répétant « Non, non ! Plus de Cromwell ! ». Le roi
George V, plus sûrement et plus sagement inspiré, dit en fait « Plus de Princes allemands ! ».
Tous les membres de la Famille royale lui en seront reconnaissants. Ces titres font honte à
ceux qui les portent, les événements les ayant rendus insupportables pour le pays. Le Roi peut
agir de sa propre initiative et attribuer des titres sans outrepasser les limites constitutionnelles
de la Monarchie britannique. En cette occasion, Sa Majesté est allée droit au but. Elle ne s’est
pas trompée. Elle a agi comme un Roi britannique qui veut que les Britanniques portent des
noms britanniques.

The Spectator, 23 juin 1917, p. 7.

19
2. Caricature de Punch

« Bon débarras » (Good Riddance), Punch, 27 juin 1917.

3. « Le château de Windsor »

Windsor a été le foyer des rois anglais depuis des siècles. Il y avait un relai de chasse avant la
conquête normande. Edouard le Confesseur a donné le manoir à l’abbaye de Westminster, et
le terrain est arrivé ensuite entre les mains du Conquérant, qui appréciait la forêt comme
réserve de chasse. Il a remplacé la première enceinte de bois par un mur circulaire en pierre et
c’est ainsi qu’a commencé une résidence royale.
Les monarques qui se sont succédé ont modifié le palais, l’ont étendu et rebâti. Henry III a
édifié le premier donjon circulaire, vers 1212, ainsi que le chemin de ronde et la Grande salle.
En 1344, Edouard III a reconstruit tout le château sur une plus grande échelle pour en faire le
20
lieu de réunion du nouvel Ordre de la Jarretière, qu’il venait de fonder. Il choisit cet endroit
parce que Froissart avait rappelé une légende – cela aurait été le mont sur lequel Arthur et ses
Chevaliers de la Table Ronde se réunissait tous ensemble. L’essentiel du donjon circulaire
date du temps d’Edouard. Ce que nous connaissons sous le nom de la Chapelle d’Albert a été
donné, encore inachevé, par Henry VIII au Cardinal Wolsey, qui a employé un marbrier
florentin pour en faire son tombeau. Tout le bronze qui y fut employé a été arraché sous le
Commonwealth [période de la dictature de Cromwell père et fils 1649-1660, NdT], et le métal
fut fondu et vendu.
Wolsey fut sans doute la seule personne à ne pas être de sang royal à être associé d’aussi près
au château de Windsor. Pour revenir à ses royaux propriétaires, il servit de résidence à Henry
Ier, Henry II, Jean sans Terre, Henry III y est né. Le Prince noir s’est marié à Windsor et le
château a servi de prison pour deux rois écossais – David Bruce et Jacques Stuart. La chapelle
St George est aussi le lieu de funérailles de plusieurs souverains – Edouard IV, qui l’a faite
construire, Henry VIII, la reine Elizabeth, Jane Seymour, et Charles Ier, qui y fut enterré en
toute discrétion.
Les Hanovriens ont aussi utilisé le château comme résidence et George III y élut sa demeure.
Deux de ses successeurs, George IV et Guillaume IV, y moururent, ainsi que le Prince
consort. Le prince Léopold, le duc d’Albany et le duc de Clarence y sont inhumés.
Le château et la ville sont en tous aspects totalement anglais. Chaucer, qui était maçon et
architecte autant que courtisan et poète, a œuvré sur la pierre blanche qui sépare la nef du
chœur de la chapelle de St George, et Shakespeare a imaginé Falstaff en regardant vers le parc
de Windsor à travers les fenêtres de Garter Inn.

The Guardian, 18 juillet 1917.

21
La crise de l’Abdication (1936)
1 Le discours d’abdication

(traduit par Marie-Madeleine Beauquesne et George Roditi ; date de parution en France :


1951).

22
2. « La nouvelle de l’abdication dans les Dominions »
Des sentiments mélangés de tristesse et de loyauté.

Le roi Edouard a transmis directement le message annonçant son abdication aux


gouvernements de ses Dominions. Ces envois furent organisés de façon à ce que la nouvelle
puisse être annoncée au même moment dans les différentes parties du Commonwealth
britannique.
La façon dont la nouvelle a été rendue publique a été, le plus souvent, la publication
d’une édition spéciale des journaux.
Hier soir, la Chambre des lords a été informée que les gouvernements d’Australie,
Canada, Afrique du Sud et Nouvelle Zélande avaient donné leur accord quant à la législation
se rapportant à l’abdication et à l’accession du duc d’York. M. De Valera, Président de l’Etat
libre d’Irlande, a convoqué le Dail [Parlement irlandais, ndt] pour discuter des textes de loi
qui résultaient de l’abdication.
Dans les Dominions, en Inde, et dans les colonies, la nouvelle de l’abdication du Roi a
suscité le même sentiment de tristesse et de déception que dans la Mère Patrie.
La déception générée par la décision du Roi a été le plus souvent suivie par des
expressions de fidélité envers le duc d’York. En Australie, on se souvient avec plaisir de la
venue du duc et de la duchesse d’York pour inaugurer le Parlement à Canberra.
Les dépêches suivantes provenant de Reuters montrent comment l’information a été
reçue dans les Dominions.
Afrique du Sud
[…]
L’impression qui domine est sans doute de la tristesse et de la sympathie pour le roi
Edouard, même s’il est certain que le nouveau roi bénéficiera d’un accueil chaleureux. Hier
après-midi, le Cape Argus écrivait ainsi :
« Une nouvelle fois, le Palais de Buckingham verra s’installer une famille heureuse et
unie, et, sous ses auspices, la crise désastreuse d’aujourd’hui tombera dans l’oubli en quelques
jours ».
L’annonce de l’avènement du duc d’York a suscité le plus grand intérêt dans la
population autochtone [les Noirs, NdT]. Ils n’ont jamais vu le futur roi.
Leur réaction à l’annonce de l’abdication est un très grand regret : lors de sa visite en
Afrique du Sud, le roi Edouard s’était rendu sympathique auprès des deux populations de
l’Union.
[…]
Le Cape Times écrit :

23
« il serait exagéré de dire que le trône est sorti intact de cette terrible épreuve, mais au
moins on peut affirmer que le mal qui a été fait n’est pas irréparable et que système
monarchique continue d’être fermement enraciné dans les cœurs et les consciences de tous les
sujets britanniques ».
[…]
Australie
Ayant annoncé la nouvelle de l’abdication du roi dans un message radiodiffusé, le
Premier Ministre, M. Lyons, a fait part de ses très profonds regrets quant à la décision du roi.
Il a dit :
« Les Australiens se souviendront de lui de la façon la plus heureuse, comme d’un
soldat, d’un ambassadeur et d’un mai ; ils admiraient aussi les qualités humaines du Prince
qui a succédé à un Souverain qui avait porté la royauté à son plus haut niveau.
C’est par sa propre volonté que la roi Edouard renonce au trône d’un puissant Empire,
contre l’avis expressément indiqué des représentants de tous ses sujets.
Nous aurions tous profondément souhaité qu’il agisse autrement. Nous lui disons au
revoir avec la plus profonde tristesse et nous nous tournons vers le nouveau roi, qui est un
homme que nous connaissons et que nous aimons aussi, qui monte sur le trône avec une
épouse que nous connaissons et aimons elle aussi, depuis qu’il y a 10 ans, ils sont venus
ouvrir une session parlementaire.
Nous nous souvenons de la présence amicale et aimable de l’épouse du nouveau roi,
qui va devenir notre reine ».
[…]
Cinq cents personnes assistèrent à une réunion publique à Melbourne au cours de
laquelle furent prononcé des discours soutenant que le roi avait été « chassé du trône en raison
de l’intérêt qu’il montrait pour les classes laborieuses ». Des manifestants portaient des
banderoles affirmant leur loyauté au roi [Edouard, NdT].
[…]
Nouvelle-Zélande
« C’est un des jours les plus tristes dans l’histoire du peuple britannique, déclara M.
Savage, Premier ministre de Nouvelle-Zélande, à la nouvelle de l’abdication du roi Edouard.
Cela va causer un profond malheur chez ses millions de sujets dans tout l’Empire.
L’attachement que le roi suscitait, en tant qu’occupant du trône britannique était renforcée par
la façon dont, en tant que Prince de Galles mais aussi en tant que roi, il se fit le porte-parole
du bien-être de son peuple.
Les personnes qui ont suivi de près la situation au cours de ces tristes journées savent
bien que tout a été tenté pour trouver une solution qui fût acceptable à Sa Majesté et au
Commonwealth britannique des Nations. Que ces efforts n’aient pas étés couronnés de succès
suscite de profonds regrets que nous ressentiront dans ce Dominion comme dans le reste de
l’Empire.

24
Je n’hésite pas un instant à dire que la loyauté de ce Dominion envers la Couronne
sera aussi forte et constante qu’elle n’a jamais été et que le peuple de la Nouvelle-Zélande
honorera et servira le nouveau roi avec toute leur affection et leur dévouement habituels ».

The Manchester Guardian, 11 décembre 1936.

25
George VI et la Seconde Guerre mondiale.

1. Discours de Noël, 25 décembre 1939.


La fête que nous connaissons tous sous le nom de Noël est, par-dessus tout, une fête de la paix
et du foyer. L’amour de la paix est profond chez tous les peuples libres de la terre, car seule la
paix assure au foyer sa sécurité. Mais la véritable paix est dans le cœur des hommes, et c’est
un drame que, de nos jours, des pays puissants n’ont pour seule politique que l’agression et la
suppression ce que nous chérissons pour l’humanité.
C’est ce qui a rassemblé nos peuples et leur a donné une unité inconnue auparavant. Nous
sentons, dans nos cœurs, que nous luttons contre la malfaisance, et cette conviction nous
donnera la force de continuer chaque jour, jusqu’à l’obtention de la victoire.
Dans notre pays, nous faisons face, résolus et confiants, à ce qui nous attend. Nous sommes
emplis de fierté et de gratitude envers le courage et le dévouement infaillibles de la Marine
royale, sur laquelle s’est abattu depuis quatre mois la tempête d’une guerre menée sans pitié et
sans relâche.
Et quand je parle de notre Marine, je parle tous les hommes de notre Empire qui sont à bord
des navires, de la marine marchande, des chasseurs de mines, des chalutiers, des dériveurs,
des officiers les plus expérimentés au dernier matelot qui vient de s’engager. A tous et à
chacun, dans cette grande Flotte, j’adresse un message de gratitude et de félicitations de ma
part, comme de celle de tous mes peuples.
J’adresse le même message à nos vaillantes forces aériennes qui, avec la Marine, sont le plus
sûr bouclier pour notre défense. Ils ajoutent chaque jour de nouveaux lauriers à ce que leurs
prédécesseurs ont remportés.
Je voudrais avoir un mot particulier pour féliciter les armées de l’Empire, les hommes qui
sont venus de loin, et en particulier au Corps expéditionnaire britannique. Leur tâche est dure.
Ils attendent, et l’attente met les nerfs à l’épreuve. Mais que, le moment venu de passer à
l’action, ils se montreront dignes des plus hautes traditions de leur grande Arme.
Et que tous ceux qui se préparent à servir leur pays sur mer, sur terre ou dans les airs
reçoivent mes félicitations. Les hommes et les femmes de notre vaste Empire, dont les
activités diverses ont toutes un même objectif, sont tous membres d’une grande famille de
nations, qui s’est préparée à tout sacrifier pour que la liberté soit protégée dans le monde
entier.
Tel est l’esprit de l’Empire, des grands Dominions, de l’Inde, de chaque colonie, grande ou
petite. Tous ont offert une aide pour laquelle la Mère patrie ne peut suffisamment les
remercier. Une telle unité dans l’effort n’a jamais été vue auparavant dans le monde.
Je crois au fond de mon cœur que la cause qui rassemble mes peuples et nos vaillants et
fidèles Alliés est celle de la civilisation chrétienne. Une véritable civilisation ne peut être
édifiée sur un aucun autre fondement. Souvenons-nous en dans les jours sombres qui nous
attendent, et lorsque nous préparerons la paix pour laquelle tout le monde prie.

26
Une nouvelle année approche. Ce qu’elle nous réserve, nul ne peut le dire. Si elle amène la
paix, nous serons si reconnaissants. Si la lutte doit continuer, nous y ferons face sans
broncher.
En attendant, je pense que nous pouvons tous trouver un message d’encouragement dans les
quelques phrases par les quelles je voudrais finir de m’adresser à vous :
« Et j’ai dit à l’homme qui se trouve à la porte de la nouvelle année ‘‘Donne-moi une lampe
afin que je puisse m’aventurer vers l’inconnu en toute sécurité’’. Et il répondit ‘‘Avance dans
l’obscurité et place ta main dans la main de Dieu. Ce sera pour toi mieux que de la lumière et
que la plus sûre des routes’’ ».
Que cette main Toute-puissante nous guide et nous soutienne tous.

Source : https://en.wikisource.org/wiki/Christmas_Message,_1939.

2. Discours du 8 mai 1945.


Aujourd’hui nous remercions Dieu pour une grande délivrance. Je vous parle depuis la plus
ancienne capitale de notre Empire, durement éprouvée par la guerre mais sans jamais douter
ou avoir peur, je vous parle depuis Londres, et je vous demande de vous joindre à moi dans
cette action de grâces.
L’Allemagne, cet ennemi qui a plongé l’Europe dans la guerre, a finalement été vaincue. En
Extrême-Orient nous combattons encore le Japon, un ennemi cruel et déterminé. Nous nous y
consacrerons avec la plus grande résolution et avec toutes nos ressources. Mais, en cette heure
où l’épouvantable ombre de la guerre s’est éloignée des foyers de nos îles, nous pouvons
enfin prendre le temps de rendre grâces avant de penser à ce qui nous attend maintenant que
l’Europe connaît à nouveau la paix.
Souvenons-nous de ceux qui ne sont pas revenus, de leur résolution et leur courage au
combat, de leur sacrifice devant un ennemi sans pitié ; souvenons-nous des hommes et des
femmes dans les différentes forces armées, qui ont payé de leur vie. Nous sommes arrivés à la
fin de nos épreuves, et ils ne sont pas avec nous pour que nous nous réjouissions ensemble.
Saluons aussi avec toute la gratitude qu’ils méritent tous ceux qui nous ont apporté la victoire.
Je ne peux célébrer le mérite de chacun car, dans une guerre totale, tous se hissent au même
sommet et tous se dévouent pour le bien commun. Qu’ils portent des armes ou non, hommes
et femmes, vous avez combattu jusqu’à vous dépasser. Personne ne le sait autant que moi ; et,
en tant que votre Roi, je remercie de tout mon cœur ceux qui ont porté les armes si
vaillamment sur terre et sur mer, ou dans les airs ; et les civils qui, supportant leurs nombreux
problèmes, les ont enduré sans se plaindre.
En gardant ces souvenirs à l’esprit, pensons à ce qui nous soutenu pendant ces presque six
années de souffrances et de danger. Savoir que tout était en jeu : notre liberté, notre
indépendance, notre existence même en tant que peuple ; mais savoir aussi qu’en nous
défendant nous-mêmes nous défendions les libertés du monde entier ; que notre cause n’était
pas seulement celle de cette nation, ni celle de cet Empire et du Commonwealth, mais celle de

27
tous les pays où, la main dans la main, on chérit la liberté et le respect du droit. Dans les
heures les plus sombres, nous savions que les peuples européens réduits en esclavages se
tournaient vers nous ; leurs espoirs étaient les nôtres ; leur confiance en nous nous renforçait
dans notre détermination. Nous savions que, si nous échouions, tomberaient les dernières
barrières protégeant le monde d’une tyrannie planétaire. Mais nous n’avons pas échoué. Nous
avons gardé la foi en nous-mêmes ; nous avons gardé la foi et sommes restés unis avec nos
grands alliés. Cette foi, cette unité, nous ont porté jusqu’à la victoire, malgré les dangers qui
semblaient parfois devoir nous submerge.
Mettons-nous alors en passe de traiter les tâches qui nous attendent avec la même confiance
résolue en notre mission. Un lourd travail nous attend, que ce soit pour redresser notre propre
pays après les ravages de la guerre, ou pour rétablir la paix et la raison dans un monde en
mille morceaux.
Cela nous arrive à un moment où nous avons tous donné le meilleur de nous. Pendant plus de
cinq ans, notre cœur et notre esprit, nos forces physiques et morales ont été consacrées au
renversement de la tyrannie nazie. Forts de ce succès, nous nous consacrons maintenant à en
finir avec notre dernier ennemi. La Reine et moi-même savons les épreuves que vous avez
supportées dans le Commonwealth et dans l’Empire. Nous sommes fiers d’en avoir partagées
certaines avec vous, et nous savons aussi qu’ensemble, nous allons regarder le futur en face
avec résolution, et montrer que nos réserves en matière de volonté et de vivacité sont
inextinguibles.
C’est très réconfortant de penser que les années d’obscurité et de danger, dans lesquelles les
enfants de ce pays ont grandi, sont révolues et, s’il plaît à Dieu, elles le sont à jamais. Nous
aurons échoué, et le sang de ceux qui nous sont le plus cher aura été répandu en vain, si la
victoire pour laquelle ils sont morts ne conduit pas à une paix durable, basée sur la justice et
reposant sur la bonne volonté. Pour cela, recueillons-nous en ce jour de triomphe justifié et de
malheur digne, puis remettons-nous à notre tâche, comme un peuple résolu à ne rien faire qui
ne soit digne de ceux qui sont morts pour nous, et pour faire du monde celui qu’ils
ambitionnaient pour leurs enfants comme pour les nôtres.
Telle est la tâche à laquelle nous sommes liés par l’honneur. Dans le danger, nous avons
humblement remis notre destin entre les mains de Dieu, et Il nous a été notre Force et notre
Bouclier. Remercions-en le, et en cette heure de Victoire, remettons-en nous, dans notre
nouvelle tâche, à nouveau entre ses Mains.

Source : http://www.intriguing-history.com/ve-day-1945-king-george-vi-speech/

28
Sur le documentaire « Royal Family » (1969)

1. Chronique télévisuelle du Spectator.

A la conférence de presse, un représentant du consortium BBC-ITV qui produisit le film


présenta le documentaire de Dick Cawston sur la famille royale comme « le meilleur film
jamais fait pour la télévision ». Cette déclaration en disait plus sur sa dévotion envers la
Maison de Windsor que sur sa capacité à juger les programmes télévisés. Il devrait aussi,
ajouta-t-il, se vendre très, très bien. Après cette introduction, et tout un laïus fumeux sur le fait
qu’il ne fallait pas quitter nos sièges pendant l’entracte, il était difficile de visionner le film
avec impartialité. Mais Cawston ne sait pas faire de mauvais documentaire et l’auteur du
script, Tony Jay, est un des maîtres de l’écriture filmique. Le résultat final ne pouvait qu’être
professionnel au plus haut degré et, bien que considérablement long, à la fois amusant et
intéressant la plupart du temps.

Cawston, qui produisit et réalisa le film, était confronté à un problème fondamental. Il n’y
avait qu’une seule prise. Il ne pouvait évidemment être question de dire à la Reine, aux
membres de sa famille, au Président Nixon ou à toute autre personnalité qui y apparaît,
« Désolé, cela vous ennuierait-il de recommencer ? », comme on le fait sans cesse dans la
réalisation des autres documentaires. La question est polie, mais c’est en fait un ordre
impératif que le réalisateur répète sans aucune pitié jusqu’à ce qu’il ait obtenu l’effet
particulier qu’il avait en tête. Son utilisation pose un vrai point d’interrogation au cœur même
du film documentaire. Le cinéma vérité2 fut inventé pour surmonter le problème, comme c’est
le cas dans le film. Nombre de séquences ont donc un air délicieux de spontanéité : un petit
garçon au bord des larmes, une grande sœur enjoignant à son petit frère de descendre d’une
échelle (et le petit garçon ne l’écoute pas). La conséquence fut un ratio de tournage élevé (le
rapport entre les images tournées et les images utilisées) : 20 pour 1, mais ce n’est pas trop
élevé, par rapport à d’autres films.

D’un certain point de vue, ce film représente l’apothéose des films familiaux, dans lesquels le
spectateur reconnaît sans cesse des petits événements, des situations quotidiennes, des
expressions que l’on ne peut mieux qualifier que d’archétypique. Ce sentiment de familiarité
explique le succès que, sans l’ombre d’un doute, le film rencontrera partout où il sera diffusé.
En même temps, il projette aussi un éclairage intéressant sur la façon dont la famille royale est
perçue, non seulement dans notre pays, mais aussi, par extension, dans beaucoup d’autres.
D’où la pertinence de l’argument, qui ne fait pas appel aux sentiments mais plutôt à la
psychologie, que le rôle de la famille archétypique est si important qu’en avoir une, avec tout
le décorum que le film montre – les maîtres des comptes, les lords chambellans, les
administrateurs, les écuyers, les intendants personnels, les yachts, les avions privés –, n’est
pas trop cher payé ; en fait, c’est plutôt une bonne affaire. L’objectif du film, si on y réfléchit
(s’il n’a aucunement été soumis à la censure de la famille royale, il n’est néanmoins pas
diffusé sans leur accord), est sans doute de mettre en avant l’idée qu’une famille en vaut bien

2
En français dans le texte (note du traducteur).

29
une autre. Cela peut même laisser présager une identification avec une monarchie de type
scandinave. En plus des plaisirs de l’identification, il y a ceux de croire que l’on peut regarder
au-delà de la façade richement ornée de la monarchie. A quoi la reine ressemble-t-elle
« vraiment », se demandent bien des gens ? Je me souviens que, lorsque la BBC retransmis la
cérémonie du Salut aux Couleurs3 en Russie, un responsable de la télévision soviétique me fit
part de la plainte de son épouse que la caméra ne faisait pas assez de gros plans de la Reine.
Mais une Reine doit se cacher derrière les ornements du Monarque. C’est une des faiblesses
du documentaire (une autre se trouvant dans les scènes de transition, avec ces plans
interminables d’employés de la Maison cheminant dans les couloirs) que les deux images ne
se confondent jamais. Il manquait un moment où la Reine aurait parlé de la conception de son
rôle en tant que Monarque, expliqué comme un être humain passe du statut de membre d’une
famille à celui d’emblème. Peut-être que son héritier viendra un jour devant les caméras de
télévision pour éclairer un peu ce phénomène ancien et très intéressant.

Stuart Hood, The Spectator, 28 juin 1969, p. 12.

2. « Une vraie carotte royale » : The Guardian.


« Absolument excitant…. Epoustouflant… Le film le plus fascinant jamais réalisé… » C’est
avec ces quelques adjectifs modestes qu’un Monsieur de ITV a dévoilé aux journalistes (puis,
quelques heures plus tard, à 350 millions de téléspectateurs dans le monde entier) « Royal
Family », presque deux heures « uniques » montrant la reine et ses proches, en public et en
privé, le tout magnifiquement filmé en Technicolor. C’est, sans aucun doute, une événement
mineur mais non négligeable dans l’histoire de la monarchie : vous n’avez jamais Sa Majesté
(SM) comme cela auparavant, disent-ils, et c’est vrai !
Des petits scoops se succèdent dès la première minute. Nous voyons SM donner des carottes à
son cheval pour le Salut aux Couleurs [Trooping the Colours]. Nous voyons le prince Philip
se battre avec un emploi du temps compliqué : « D’où est-ce que je pars pour me rendre
là ? ». Nous voyons la reine acheter des petits pots de glace pour le prince Edouard et le
mettre en garde qu’il ne fasse pas « des saletés dégoûtantes dans la voiture » ; sans
mentionner un barbecue à Balmoral, avec la princesse Anne chargée des saucisses, le prince
Philip des steaks, et la reine qui annonce triomphalement que « la salade est prête ».
« Qu’est-ce que c’est que cette cravate, demande un duc hilare à un officiel quelconque qu’on
lui présente, les Alcooliques anonymes ? » La reine demande si l’ambassadeur américain est
bien arrivé et s’il s’est installé chez lui. « Oui, bien sûr, même s’il a été déçu du fait qu’il
fallait faire des rénovations ». Nous voyons Richard Nixon serre des mains et faire des petites
blagues, et dire au prince Charles : « Je vous ai vu à la télé » ; « C’est réciproque, je vous ai
vu parfois ». SM achète un sac de bonbons. Lord Snowdon appelle sa belle-sœur « Ma’am ».
Comme Lord North avant lui, Harold Wilson arrive pour une discussion au coin de feu. Un
joueur de cornemuse esseulé joue dans les jardins du palais de Buckingham – l’horloge la
moins chère que l’on puisse trouver.

3
Trooping the Colour (note du traducteur).

30
Tout ceci ne sert en fait qu’à faire passer l’amère pilule d’une vie de cérémonies incessantes.
Pendant les deux heures du documentaire, on ouvre et ferme de lourdes portes, des gentlemen
emmédaillés arpentent des couloirs interminables, les foules applaudissent, on serre des
mains, on achève des voyages et on reçoit des chefs d’Etat. On voit mieux aussi comment le
Palais fonctionne : une petite affaire familiale, avec tout le confort moderne, et la Trésorerie
[Ministère des Finances] qui surveille cela de près. Le documentaire retrace une année dans la
vie de la reine, très méticuleusement, et si certains détails sont soporifiques, alors la réalité
elle-même doit l’être, et grandement.
Mais ce qui importe, c’est ce qui se passe en coulisse. La BBC et ITV n’ont pas vendu des
droits de diffusions considérables pour qu’on s’en tienne aux seuls rituels. La reine a
coopéré : elle a permis que des caméras la suivent partout pendant une année ; du coup, pour
la première fois, nous voyons la famille royale, sans aucun apprêt, au petit déjeuner, discuter
en toute simplicité. On a enregistré 43 heures de film, alors à quoi ressemblent vraiment les
« vrais Royals » ?
Eh bien, le duc est le duc et… il est le duc. Le prince Charles a l’air d’un gentil garçon. La
princesse Anne est vive et amusante. Le prince Edward s’agite beaucoup et lit bien pour un
enfant de 5 ans. La reine, qu’elle s’occupe de ses domaines ou se prépare pour affronter une
soirée à Covent Garden, semble vaguement nerveuse et dépourvue de conversation mondaine,
mais elle sait ce qu’elle fait et préfère échapper aux réceptions diplomatiques qui n’en
finissent pas. Elle ne se souvient pas des vêtements, ni des bijoux, qu’elle a portés. Elle est
plus à l’aise avec les chevaux et les chiens. S’il y avait d’autres scoops à révéler, Richard
Cawston, le réalisateur un peu inepte du documentaire, les a soigneusement évités ; mais il est
plus que probable que c’est votre lot. Les Royals rient un peu et s’ennuient beaucoup. Ils sont
des êtres humains normaux et ordinaires.
Et c’est là ce qui importe encore plus. Nous voyons des foules admirer le palais de
Buckingham, puis on les emmène « derrière la célèbre façade ». Sans que cela soit une
coïncidence, le palais a nouvel Attaché de presse et Bill Heseltine croit qu’il est possible
d’amener les Windsor à la rencontre de leur peuple – pour la plus grande gloire des
exportations nationales, pour que la démocratie soit plus saine et les relations publiques mieux
menées. C’est une politique qui se défend, et qu’il mène bien, mais les difficultés
commencent à surgir vers la 95e minute.
Mission accomplie : ils sont gentils. Mais alors, ont-ils vraiment besoin de tout le tralala, des
yachts, des multiples résidences secondaires ? Nous savons qu’ils se préoccupent des
dépenses – « les Rolls ont 8 ans » - mais quelle est la valeur essentielle de tous ces objets de
valeur ? Si l’on va voir un tout petit peu du côté des monarchies hollandaise ou suédoise,
Balmoral, Britannia, Windsor semblent bien inutiles. On les sent comme prisonniers de leur
propre piège, et qu’ils seraient contents de s’en échapper. On se demande, maintenant que la
télévision a pénétré le Saint des Saints, quand est-ce que le prince Charles va rencontrer
Simon Dee4. Le problème, c’est que lorsque le mystère a disparu, on ne peut pas le restaurer.
Peter Preston, The Guardian, 20 juin 1969, p. 11.

4
Simon Dee (1935-2009) a introduit le concept du chat show en Grande-Bretagne avec Dee Time sur la BBC 1
(1967-1970).

31
A l’épreuve de la mort de la princesse Diana (1997)

1. Discours d’Elizabeth II après la mort de Diana, 5 septembre 1997.


Depuis la terrible nouvelle de dimanche dernier, nous avons observé, en Grande-Bretagne
comme dans le monde entier, l’expression d’une accablante tristesse face à la mort de Diana.
Nous avons tous essayé d’y faire face, chacun à sa manière. Ce n’est pas facile d’exprimer un
sentiment de perte, d’autant qu’au choc initial succèdent souvent d’autres sentiments :
l’incrédulité, l’incompréhension, la colère, et l’inquiétude pour ceux qui restent. Nous avons
tous ressentis ces émotions au cours de ces derniers jours. Aussi, ce que je vous dis
maintenant, en tant que votre Reine, mais aussi en tant que grand-mère, je vous le dis du fond
du cœur.
Tout d’abord, je veux rendre un hommage personnel à Diana. Elle était un être humain
exceptionnel et doué. Dans les bons moments, comme dans les moments difficiles, elle n’a
jamais perdu sa capacité à sourire et à rire, ni à être une inspiration pour les autres, par sa
chaleur et sa gentillesse.
Je l’admirais et je la respectais – pour son énergie et son engagement auprès des autres, et
particulièrement pour sa dévotion envers ses deux fils. Cette semaine, à Balmoral, nous avons
tous essayé d’aider William et Harry à faire face à la perte dévastatrice qu’ils ont subie, ainsi
que le reste d’entre nous.
Quiconque a connu Diana ne pourra jamais l’oublier. Les millions de ceux qui ne l’ont jamais
rencontré, mais pensé qu’ils la connaissaient, se souviendront d’elle. Pour la part, je crois
qu’il y a des leçons à tirer de sa vie et des réactions extraordinaires et émouvantes qui ont
suivi sa mort. Je partage votre détermination à chérir sa mémoire.
C’est aussi l’occasion pour moi, au nom de ma famille, et en particulier du Prince Charles et
de William et Harry, de remercier tous ceux d’entre vous qui ont porté des fleurs, envoyé des
messages et rendu hommage de mille et une façons à une personne remarquable. Ces gestes
de sympathie nous ont grandement aidés et réconfortés.
Nos pensées vont aussi à la famille de Diana et des personnes qui périrent avec elle. Eux
aussi, je le sais, ont trouvé de la force dans ce qui s’est passé depuis la fin de la semaine
dernière, alors qu’ils cherchent à apaiser leur chagrin avant de faire face au futur sans un être
aimé.
Je souhaite que demain nous pouvions tous, où que ne soyons, nous retrouver dans
l’expression de notre chagrin devant la disparition de Diana, et de notre gratitude pour sa trop
courte vie. C’est ue chance de voir toute la nation britannique unie dans la tristesse et le
respect.
Puissent ceux qui sont morts reposer en paix et puissions-nous, chacun d’entre nous,
remercier Dieu de nous avoir donné quelqu’un qui a rendu heureux tant et tant de personnes.

Source : https://www.royal.uk/speech-following-death-diana-princess-wales#na.

32
2. Eloge funèbre de Diana par son frère, lord Spencer, 6 septembre 1997.

33
34
35
Pourquoi l’Australie aime toujours la famille royale britannique
Jane Connors5
Un monarque un peu âgé éternue et cela fait les gros titres dans le monde entier. Les
rédacteurs en chef des journaux s’inquiètent de savoir si leurs nécrologies sont à jour et
commencent à réfléchir comment ils pourraient présenter un nouveau roi excentrique et son
épouse controversée. Et juste une semaine plus tard, la mort de l’ancien beau-frère de la reine6
suscite un intérêt d’un niveau vraiment surprenant, moins en raison de ses talents artistiques
que de son ancien lien avec la Couronne.
En une époque saturée par des notoriétés de 15 minutes, la célébrité de la Famille royale a
quelque chose de particulier. Les sondages d’opinion montrent que les partisans d’une
république australienne demeurent désespérément peu nombreux et que la catégorie des 18-24
ans est parmi celles qui souhaitent le plus conserver la monarchie.
Plus d’un siècle après la fondation de la Fédération, pourquoi en est-il ainsi ?

Les informations font désormais le tour du monde en quelques secondes, mais la première fois
qu’un monarque britannique mourut (George III en 1820), la nouvelle prit plusieurs mois pour
atteindre Sydney. Lorsque ce fut le cas, le gouverneur Macquarie donna ordre de suivre le
protocole du deuil officiel.

Les magasins et les lieux de divertissement fermèrent, et les tribunaux suspendirent leurs
activités le temps qu’une procession solennelle parcoure la ville.

La réputation de la famille royale était particulièrement mal en point à l’époque et, dans son
Histoire de l’Australie, Manning Clark écrit qu’il ne vit aucune manifestation d’affection ou
d’admiration personnelle pour le souverain, seulement des cérémonies publiques de
vénération pour la monarchie, comme faisant intégralement partie de la constitution
britannique et de ses institutions. La loyauté envers la Couronne demeurait quelque chose de
purement officiel.

Cela changea complètement au cours du XIXe siècle. Alors que l’autorité politique de la
Couronne passait progressivement au Parlement, et qu’un empire lourd à gérer demandait plus
d’attention formelle, les hommes politiques ont compris le symbole qu’une famille sur le
trône représentait potentiellement.

La reine Victoria et ses nombreux enfants sont devenus les éléments centraux d’une pièce de
théâtre efficaement élaborée : la « Première Famille » dans une famille de nations dispersées
autour du monde.

Devenue veuve en 1861, Victoria fut brutalement priée de sortir de son veuvage en 1876 pour
devenir Impératrice des Indes, et, plus tard, la « Mère de l’Empire ». Des timbres, des pièces,
de la vaisselle, des emballages de chocolats portaient son effigie aux quatre coins du globe :
elle était la personne la plus célèbre au monde lorsqu’elle mourut en janvier 1901.

Les communications étaient non seulement bien plus rapides à l’époque – la nouvelle atteignit
l’Australie en quelques heures – mais la couverture médiatique s’attachait à des aspects plus
intimes et personnels. Le nouveau roi avait été, disait-on, « visiblement touché » par le décès
de sa mère.

5
Historienne spécialiste des visites royales en Australie.
6
Antony Armstrong-Jones, devenu lord Snowdon, époux de la princesse Margaret entre 1960 et 1978.

36
Lorsque nous perdîmes le dernier souverain, en février 1952, la famille royale britannique
était plus populaire en Australie que jamais auparavant ou depuis, et les gros titres
noircissaient les « unes » de leur malheur.

« Le roi George VI meurt dans son sommeil », disait The Age ; « l’Empire est plongé
soudainement dans la stupeur et la douleur ». La BBC, faute de savoir vraiment quoi faire,
cessa ses émissions pour la journée, à l’exception des bulletins d’informations et des
nouvelles maritimes. L’ABC7 fit à peine mieux.

Des années 1870 aux années 1950, l’Australie ne fit que prêter davantage d’intérêt et accorder
davantage d’affection à cette famille royale.

Ce ne fut pas sans rencontrer des moments difficiles, mais ce fut toujours soutenu. En
témoignent, l’omniprésence des portraits et des souvenirs dans les demeures privées, la
couverture médiatique, les albums-souvenirs, les générations d’« Elizabeth » et de
« Margaret » et, par-dessus tout, les sept visites royales réalisées entre 1867 et 1954, chacune
établissant de nouveaux records en termes d’affluence et surprenant ses organisateurs par la
ferveur de l’accueil réservé aux visiteurs royaux.

Comme avec tout phénomène de ce genre, les raisons sous-jacentes étaient toujours
complexes, alimentées en proportion variables par le patriotisme, un sentiment
d’appartenance raciale et une sensation de solitude alors que l’Empire prenait fin ; néanmoins,
cela était exprimé avec une énergie joyeuse, qui a, depuis, disons, toujours, agacé les
républicains, qui n’y comprenaient rien.

Ainsi, les festivités du Jubilé d’argent 8 de Victoria en 1887 suscitèrent la colère du périodique
The Bulletin envers les « idiots qui applaudissent », les « loyaux radoteurs d’Australie », qui
étaient « pire qu’une charretée de chimpanzés ».

Ce n’était encore rien comparé au désespoir et à la fureur provoqués par la visite du duc et de
la duchesse de Cornouailles et d’York pour les cérémonies de la naissance de la Fédération,
en 1901.

Dans les années 1890, les radicaux avaient considéré la monarchie britannique comme un
anachronisme dérisoire. Il ne leur paraissait pas possible de concilier raisonnablement la
Fédération australienne, son esprit indépendant, et la flagornerie servile du passé colonial.

Pensez à leur détresse, donc, lors de l’ouverture tant attendue du premier Parlement fédéral, le
rôle central de la cérémonie étant joué par « un petit prince par accident », dont « l’existence
sans but, stérile » détournait la presse et le peuple de la « véritable » nature de cet événement.

Bien sûr, comme toujours, certains ne venaient que pour voir le spectacle, comme ils vont
voir des grands événements sportifs ou une foire agricole. Et d’autres, parfaitement à l’aise
avec l’idée de royauté en elle-même, pouvaient ne pas apprécier voir leurs voisins ou leurs
dirigeants élus faire des courbettes et agiter les mains. Il y a toujours eu des opposants actifs.

Le mouvement républicain du XXe siècle se manifestait fièrement dans les années 60 et il eut
assez de force pour susciter un référendum dans les années 90.

7
Australian Broadcasting Corporation (note du traducteur).
8
Il s’agit en fait du Jubilé d’or (idem).

37
Mais pourquoi une majorité d’Australiens, bon an mal an, et même en 1975, ont refusé de
rejeter une institution aussi anachronique et contraire à l’esprit australien qu’une monarchie
constitutionnelle, continue de susciter un débat.

L’écrivain Miles Franklin s’en rendit compte en 1934, revenant ici après une longue absence,
au milieu d’une visite officielle par un prince de rang secondaire (Henry, duc de Gloucester).
Elle écrivit à un ami américain combien c’était « un spectacle affligeant » de voir « comment
la foule vénère ces ‘‘pains et ces jeux du cirque’’. On pourrait blasphémer contre le Seigneur
sans se faire remarquer, mais la moindre critique envers un prince royal vous fait mal
considérer ».

Trente ans plus tard, en 1966, le poète républicain Max Harris raillait l’« emprise tenace que
le concept de monarchie exerce sur ce lointain continent », et le raillait sans doute encore
lorsqu’il mourut en 1995, ayant vécu assez longtemps pour voir la Couronne survivre la crise
constitutionnelle, l’Annus horribilis et même le Squidgygate.

L’intérêt du public pour la monarchie, profondément enraciné qu’il était dans le respect pour
une Reine se tenant assidûment à son devoir, se concentra de façon spectaculaire sur Diana
dans les années 80 et maintenant se focalise sur William et Kate ; il a survécu au mépris des
républicains, dont les explications pour un tel phénomène avaient auparavant tourné autour
des classes populaires et de la petite bourgeoisie, et, en particulier, les femmes à l’esprit
simple, censées être désespérément séduites par les récits à l’eau de rose et les contes de fées.

Il a dépassé le mépris condescendant des historiens conservateurs et des partisans de la


monarchie constitutionnelle, embarrassés qu’ils étaient de cet intérêt pour la famille royale,
ainsi que l’exaspération de générations d’historiens nationalistes plus à gauche, qui refusaient
tout simplement de s’y intéresser, fût-ce au prix de les empêcher de comprendre la persistance
du « cordon ombilical de l’Empire ».

De façon surprenante, c’est un historien écossais de gauche, Tom Nairn, qui a plaidé pour que
l’on réhabilite le « royalisme populaire » en tant que phénomène à prendre sérieusement en
considération, dans les années 80, les « années Diana ». Ce n’était pas un phénomène « passif
et stupide », mais il possédait au contraire une « charge électrique apparemment
inépuisable ».

En Australie, ceci s’est véritablement nourri d’un intérêt historique et un sens de continuité ;
par des liens entre deux peuples considérés comme une même race ; par des images
reproduites à l’infini dans les journaux ; par des souvenirs, à la fois familiers er familiaux ; et
par l’attrait que, de façon très compréhensible, peuvent avoir le cérémonial, l’aura de célébrité
et de glamour, ou le plaisir du divertissement.

Peut-être que récemment, un mécontentement croissant envers le monde politique a encore


renforcé le soutien envers une monarchie essentiellement cérémonielle, quelqu’irrationnel que
ce puisse être. Lorsque la Reine nous quittera, et je parie qu’elle en a encore pour quelques
années, il ne faudra pas être surpris par les manifestations de deuil.

The Australian, 21 janvier 2017.

38

Vous aimerez peut-être aussi