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CONSTITUTIONNEL
1 9 9 7
1
Comité de rédaction
BRUYLANT
BRUXELLES
SOMMAIRE
Pages
ÉTUDES DOCTRINALES
<< Les messages du Roi >>, par Pascal Boucquey. 3
<< Leonardo Sciascia, la peine de mort et la Constitution >>, par
Marc V erdussen. 23
CHRONIQUES ÉTRANGÈRES
<< Etats-Unis : évaluation de la session 1995-1996 de la Cour
suprême à travers l'évolution des tensions entre le fédéralisme
et le droit d'égalité >>, par Michel Rosenfeld . 31
<< République d' Afrique du Sud : de la Constitution intérimaire
à la Constitution définitive •>, par Xavier Philippe 45
JURISPRUDENCE COMMENTÉE
Cour d'arbitrage, arrêt n° 70/96 du 11 décembre 1996 (obs. par
Elisabeth Willemart : << La Cour d'arbitrage et l'égalité entre
les contribuables >>) 61
DOCUMENTS
<< Une comm1ss10n parlementaire peut-elle interroger des
membres du cabinet du Roi ? >>, par André Alen . 79
<< Une comm1ss10n parlementaire peut-elle interroger des
membres du cabinet du Roi ? •>, par Jean-Claude Scholsem 83
<< Peut-on convoquer les collaborateurs du Roi à une commission
d'enquête parlementaire ? >>, par le Service des affaires juridi-
ques et de documentation du Sénat 89
ACTUALITÉS CONSTITUTIONNELLES
Recensions bibliographiques 97
Informations scientifiques . 106
ÉTUDES DOCTRINALES
PAR
PASCAL BOUCQUEY
A. - Le régime constitutionnel
de l'exercice des pouvoirs du Rai
(3) Commission chargée d'émettre un avis motivé sur l'application des principes constitution-
nels relatifs à l'exercice des prérogatives du Roi et aux rapports des grands pouvoirs constitu-
tionnels entre eux (commission dite, Soenens ,,), Mon. b., 6 août 1949, spéc. p. 7591.
(4) Voy. R. FUSILLER, Les monarchies parlementaires, Paris, Les Éditions ouvrières, 1959,
p. 391 : , Le Roi ne peut mal faire (... ) ne signifie pas que tout ce qu'il fera sera bien et juste,
mais qu'il n' est justiciable tl' aucune juridiction. » Sur la responsabilité pénale du Roi, voy.
M. VERDUSSEX, Contour8 et enje·ax du droit constitutionnel pénal, Bruxelles, Bruylant, 1995,
pp. 503 et s.
(5) Voy. A. VAXWELKEXHUYZEN, v 0 «Chef de l'Etat», R.P.D.B., compl., t. V, n°" ll ets.
(6) W.,J. GANSHOF VAX DER MEERSC:H, << Le commandement de l'armée et la responsabilité
ministérielle en droit constitutionnel beige,,, Revue de l'Université de Bruxelles, 1949, p. ll.
LES MESSAGES DU ROi 5
fait échapper au contróle direct des assemblées politiques >> (7). Ce sont les
ministres du Roi qui assument seuls la responsabilité politique des actes
royaux.
Cependant, il y aurait injustice à instaurer une responsabilité ministé-
rielle absolue, c'est-à-dire une responsabilité qui couvrirait tous les actes du
Roi, qu'ils aient - ou non - été accomplis avec l'accord des ministres.
Henri Rolin a clairement exprimé cette idée : les ministres << ne peuvent être
responsables d'une attitude royale qu'ils n'approuvent pas>> (8). Ainsi donc,
pour que les ministres endossent la responsabilité des actes du Roi, << il
faut - de toute évidence - qu'ils participent à leur accomplissement.
Cette participation se manifeste par Ie contreseing >> (9).
L'article 106 de la Constitution exprime cette idée fondamentale. Mais il
y ajoute aussitót un corollaire essentie! : les actes du Roi doivent toujours
être contresignés par ses ministres; en d'autres termes, dans l'exercice de
ses pouvoirs constitutionnels, le Roi ne peut agir seul ( 10).
En cas de divergence entre Ie Roi et ses ministres, qui doit l'emporter ?
En 1949, la Commission chargée d'émettre un avis motivé sur l'exercice des
prérogatives constitutionnelles du Roi estimait que, si les ministres main-
tiennent leur position à l'encontre de celle du Chef de l'Etat, << ils n'auront,
en règle générale - après avoir attiré l' attention du Roi sur la gravité de
la situation et les risques qu' elle comporte ( 11) - d' autre ressource que
d'offrir leur démission >> (12). En cas de conflit persistant entre Ie Roi et ses
ministres, Ie gouvernement ne pourrait donc adopter que deux attitudes :
se soumettre ou se démettre.
Cette conception n'a plus cours aujourd'hui. Bien sûr, Ie Roi a toujours
la possibilité de faire pression sur les ministres afin de les convaincre de
(10) 0. ÜRBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, t. II, Les pouvoirs de l'Etat, Liège et
Paris, Dessain et Giard et Brière, 1908, p. 204; P. ERRERA, Traité de droit public belge, 2" éd.,
Paris, Giard et Brière, 1918, p. 203 ; commission Soenens, rapport cité, p. 7591 ; W.J. GANSHOF
VAN DER MEERSCH, op.cit., p. 15; A. VANWELKENHUYZEN, op.cit., n° 43; A. ALEN, Handboek
van het Belgisch Staatsrecht, Deurne, Kluwer, 1995, p. 124 ; F. DELPÉRÉE, « La monarchie beige,,,
Revue internationale de politique comparée, 1996, vol. 3, pp. 277 et s., spéc. pp. 284-285.
(11) En effet, pareille situation est« de nature à découvrir et à exposer dangereusement Ie Roi
lui-même » (W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Les rapports entre Ie Chef de l'Etat et Ie Gou-
vernement en droit constitutionnel beige,,, R.D.l.D.C., 1950, p. 188).
(12) Commission Soenens, rapport cité, p. 7592. Dans Ie même sens, voy. R. FusILLER, op.
cit., p. 395 ; R. ERGEC, << L'institution monarchique à l'épreuve de la crise », J. T., 1990, pp. 265
et s., spéc. p. 266.
6 PASCAL BOUCQUEY
changer de voie (13). Mais s'ils s'obstinent, Ie Roi devra céder, dès lors
qu'une majorité parlementaire soutient Ie gouvernement. En effet, dans la
mesure ou seuls les ministres sont responsables de la politique gouverne-
mentale, il semble normal de leur laisser la<< liberté de la décision >> (14). Par
ailleurs, -- comment ne pas l'apercevoir? - , l'entêtement politique du Roi
aurait de graves conséquences : pareille situation serait << de nature à décou-
vrir et à exposer dangereusement Ie Roi lui-même >> (15). La volonté du gou-
vernement doit donc prévaloir.
5. - Le pouvoir exécutif fédéral est composé de deux autorités publi-
ques distinctes. Ceci explique que des positions contradictoires puissent voir
Ie jour. En aucun cas, cependant, ces divergences ne pourront être révélées.
En toutes circonstances, Ie pouvoir exécutif doit apparaître uni ; Ie Roi et
ses ministres doivent parler à l'unisson. Si des tensions surgissent entre eux,
celles-ci doivent se résoudre dans l' ombre, dans Ie secret du << collo que
constitutionnel >> ( 16). Plus généralement, l 'interdiction de dévoiler let Cou-
ronne consiste à faire défense de révéler l'influence du Chef de l'Etat dans
l'élaboration des décisions et dans les prises de positions communes.
Cette règle constitutionnelle trouve sa justification. Le Roi et Ie gouver-
nement fédéral ne forment pas deux branches distinctes et autonomes du
pouvoir exécutif (c'est le cas en revanche de la Chambre des représentants
et du Sénat, pour ce qui concerne Ie pouvoir législatif). Le pouvoir exécutif
est un et sa volonté << n'est pas divisible >> (17). Cette unité serait altérée si
l'une des autorités qui Ie composent venait à prendre, unilatéralement, une
initiative et la rendait publique sans même permettre aux autres membres
de donner leur avis sur Ie projet en question (18).
(13) Comme l'a écrit P. Wwxv. Ic Roi n·est pas « une machine à signer ,,. Il a Ie pouvoir de
s'opposer aux projets de ses ministres : c·est ,, Ie bénéfice d'une organisation dualiste de l'exóeu-
tif ,, (Droit con8titutionnel. Principe8 et droit positif. Bruxelles, Bruylant, 1952, n" 428). Voy. égal.
A. MoLITOR, La Jonction royale en Belgique, 2" éd., Bruxelles, CRISP, p. 55.
(14) P. Wm:-.rv, op. c-it., p. 574, n° 426; R. SEXELLE, « Le monarque constitutionnel en Bel-
gigue •>, Res Pnblica, 1962, p. 65; F. DELPÉRÉE, Droit constitutionnel. t. II, op. ei/.,µ. 111, n" 55;
F. DELPÉRÉE et B. DUPRET, « Nul ne peut découvrir la Couronne », Le8 Cahiers constitutionnel8,
Hl8rJ, µµ. 24-2,5. Voy. égal. B. WALEFFE, Le Rai nonnne et rérnque ses rninistres. Bruxelles, Bruy-
lant. Hl71, p. 91.
(1.5) W.J. GANSHOF VAN DER ThIEERSCH, « Les raµports entre Ie Chef de l'Etat .. >), op. eit.,
1950, p. 188.
(16) Voy. R. ERGEc et M. UYTTENDAELE, « La monarchie en Belgique - Reflet du passé ou
né<•essité nationale?,,, in Présence du droit publ-ic et de8 droits de l'hornrne. Mé/anges offerts à
J. Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 608-610, n" 16; Commission Soenens, rapport cité,
p. 7,592; "'.J. GAXSHOF VAN DER MEERSrH, << Les rapports entre Ie Clwf de l'Etat... ». op. cit.,
p. 191; A. MoLITOR, op.cit., pp. 54-55; F. DELPf;RÉE, Droit con.stitutionnel, t. II, op.cit., n° 338.
( l 7) F. DELPÉRÉE et B. DUPRET, ,, Nul ne peut découvrir la Couronne ». op. cit .. p. 14; P. "'I-
GNY, op. cit., p. 571, n° 425.
( 18) R. ERGEC et M. CYTTEXDAELE (op. cit., pp. 608-609) apportent une autre justification à
la règle selon laquelle nul ne peut déeauvrir la Couronne. Selon ces auteurs. Ie Rai est palitique-
ment irresponsable. Cette irresponsabilité a un corollaire : la nécessaire neutralité royale. Com-
ment imaginer que Ie Rai puisse se jeter dans rarène µolitique, prenne publiquement position en
faveur de tel ou tel autre parti. alors qu'il est appelé à occuµer Ie tröne pendant de longues
LES MESSAGES DU ROI 7
années, sans possihilité de remplacement périodique ? L'institution royale est symholique : elle
doit rester à !'abri des critiques et donc à !'abri des luttes partisanes. L'on peut se demander.
cependant, si la neutralité royale n'est pas chimérique : Ie Roi ne peut-il soutenir l'action - par-
tisane par essence - de son gouvernement 1 Le Roi ne peut-il, par exemple, appeler à jouer Ie
jeu de la structure fédérale de I' Etat, alors que certains partis s'affichent comme étant ,, unita-
ristes >) ?
(19) F. DELPÉRÉE et B. DUPRET, « Le roi des Belges ,,, Pouvoirs, 1990, n° 54, p. 16.
(20) Idem.
(21) Selon l'expression célèbre de W. BAGEHOT, citée par R. ERGEC', ,, L'institution monarchi-
que ... ,,, op. cit., p. 265.
(22) Ainsi Ie Roi exerce-t-il une « mission d'authentification ,,, selon les termes de F. DELPÉ-
RÉE et B. DuPRET, ,, Le roi des Bel ges ,,, op. c-it., p. 18.
(23) Même si l'article 106 de la Constitution, selon lequel aucun acte du Roi ne peut avoir
d'effet sans contreseing, semble ne viser que les actes jnridiques. Peut-on concevoir un contre-
seing ministériel pour une visite officielle ou un discours I Le contreseing ne se conçoit-il pas uni-
quement pour les actes écrits ? Adapter pareille interprétation restrictive reviendrait à vrai dire
à nier la coutume constitutionnelle et Ie système parlementaire. Si ]'on devait aclmettre qu'un
message royal n'engage pas la responsabilité des ministres. on ouvrirait une brèche irréparable
clans l'irresponsabilité et l'inviolabilité royales.
(24) Voy. commission Soenens, rapport cité. p. 7591.
8 PASCAL BOUCQUEY
(32) Voy. F. DELPÉRÉE, « Le Roi règne ... », op. cit., p. 702; F. DELPÉRÉE et B. DUPRET, « Le
roi des Belges », op. cit., p. 22 ; A. MoLJTOR, op. cit., p. 102.
(33) Voy. J. STENGERS, L'action du Roi en Belgique -·-- Pouvoir et influence, 2• éd., Bruxelles,
Racine, 1996, pp. 20-2 l.
(34) « Il arrive que, dans Ie but de donner à la politique gouvernementale un plus large crédit,
les ministres fassent état de la conformité de leur opinion avec celles du Roi ( ... ) en obtenant
du Roi qu'il défende leurs projets dans un discours public ou rendu public. Ce système a donné
lieu à des critiques justifiées. Il aboutit pratiquement au renversement du principe constitution-
nel : c'est Ie Roi qui, en ce cas, couvre scs ministres ,, (W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Des
rapports entre Ie Chef de l'Etat ... », op. cit., p. 192).
(35) D'une manière exceptionnelle, les messages du Roi peuvent prendre une forme particu-
lière - spécialement lorsqu'il s'agit d'insister sur Ie fait que Ie Chef de l'Etat n'en est pas Ie seul
auteur. Ainsi, Ie 27 septembre 1996, Ie Palais et les services du Premier ministre ont estimé néces-
saire de diffuser un communiqué conjoint pour dénier certaines informations parues dans la presse.
(36) Ch. WOESTE, discours prononcé à la Chambre des représentants Ie 6 décembre 1904, Ann.
parl., Ch., s.o. 1904-1905, p. 2ll; dans Ie même sens, voy. la lettre que Ie Roi Baudouin a adres-
sée au Premier ministre Martens Ie 30 mars 1990, reproduite dans A. MoLITOR, op. cit., p. 56.
(37) Voy. supra, n° 5.
10 PASCAL BOUCQUEY
11. - Les ministres sont responsables de tout acte politique posé par Ie
Chef de l'Etat. S'agissant des messages, comment est comprise cette respon-
sabilité? Quelle est l'étendue de la couverture ministérielle '? Depuis 1831,
quatre solutions différentes ont été proposées.
(38) F. DELPÉRÉE et B. DePRET, « Nul ne peut découvrir la Couronne », op. ci:t., p. 18.
(39) Voy. les interventions de MM. DE 8MET DE NAYER et WOESTE, lors de la séance du
23 juin 1887, Ann. pari., Ch., s.o. 1886-1887, pp. 1754-1755.
LES MESSAGES DU ROI ll
Selon une telle conception, la responsabilité des ministres se limite au << fait
d'avoir donné au Roi !'occasion de s'exprimer >> (40).
Cette responsabilité peut paraître limitée. A vrai <lire, cependant, il faut
garder à !'esprit que << l'autorisation ne sera procurée que si les déclarations
publiques du Roi, et les dissentiments qu'elles peuvent mettre à jour, ne
risquent pas de faire courir au cabinet de trop graves dangers >> (41). Et
c'est au gouvernement d'apprécier ces risques d'une manière discrétion-
naire. Ainsi, en novembre 1888, le discours que Léopold II comptait pro-
noncer lors du Grand concours de tir, à Bruges, a tout simplement été
annulé : un des ministres de son cabinet estimait que les propos du Roi
mettraient Ie gouvernement dans << une situation intolérable >> (42).
Une telle solution permet toutefois qu'apparaissent publiquement des
contradictions entre le Roi et son gouvernement ; ces divergences ne seront
pas susceptibles de mettre en cause la responsabilité politique des ministres,
dans la mesure ou le gouvernement ne reprend pas à son compte Ie contenu
des messages royaux (43).
Cette pratique permet au gouvernement d'échapper à la censure politi-
que, notamment lorsqu'un ministre a négligé de porter toute l'attention
nécessaire à un discours royal (44), lorsque le Roi se montre opiniätre sur
tel sujet particulier (45) ou encore lorsque Ie gouvernement ne peut faire
autrement que de révéler les opinions du Roi (46).
(40) ScHOLLAERT, discours prononcé à la Chambre des représentants Ie 6 juillet 1909, Ann.
pari., Ch., s.o. 1908-1909, p. 1871; W. l\1ARTENS, Ann. parl., Ch., s.o. 1989-1990. séance du
19 avril 1990, p. 2019.
(41) F. DELPÉRÉE et B. DFPRET. « Nul ne peut découvrir la Couronne ,,, op. cit., p. 20.
(42) Cité par J. STENGERS, op. cit., p. 225.
(43) Dans Ie même sens, voy. L. DFPRIEZ, << Chronique constitutionnelle beige», R.D.P.. 1905,
p. 438; 0. ÛRBAN, op. cit., p. 230.
(44) Voy. Ie discours prononcé par Ie Roi Baudouin à Paris, en 1961, qui vantait << l'héritage
du Christianisme » et dénigrait Ie relativisme. Le discours avait provoqué des remous dans !'opi-
nion publique beige. P.-H. Spaak, alors ministre des Affaires étrangères, avait Ju le texte préala-
blement. ,, Mais faute d'une attention suffisante, il ne s'était pas rendu compte de ce que certains
passages du texte pouvaient avoir dïnadmissih]e pour les incroyants ,, (,J. STENGERS, op. cit.,
pp. 223-224).
(45) La rédaction du projet de discours que Léopold IT devait prononcer pour l'inauguration.
à Bruges, d"un monument dédié à Breydel et De Coninck a donné lieu à de fortes tensions entre
Ie Roi et son cabinet (voy. infra). Après avoir accepté de modifier son texte, le Roi écrit : << ,J'ai
fait maintenant ce qu'on m'a demandé; j'ai remanié trois fois Ie disc,ours, mais jen ·y ch.angerai
plus rien ,, (cité dans ,J. STENGERS, op. cit., p. 222. Nous soulignons.)
(46) Pareille situation s'est présentée lors du refus du rui Baudouin de sanetionner la loi dépé-
nalisaut partiellement l'avortcment. Vo_v. infra, n" 17.
(47) L. HeYSMANS, Ann. pari., Ch., s.o. Hl04-Hl05, pp. 20:3 ets.; w .. J. GANSH0F \"AN DER
MEERSCH, ,, Des rapports entre Ie Chef de l'Etat ... », op. cit., p. 192.
12 PASCAL BOUCQUEY
nions personnelles du Roi, mais uniquement celles d'entre elles que Ie gou-
vernement partage avec lui. La responsabilité des ministres est susceptible
d' être engagée sur tous les points abordés dans Ie message.
Le droit constitutionnel réclame pareille interprétation (48). Bien sûr, la
question de l' étendue de la responsabilité ministérielle ne se pose pas vis-à-
vis des propos vagues - << les vooux, les paroles d'accueil et de remercie-
ment ►> (49) - que contiennent les messages royaux. En revanche, dès Ie
moment ou Ie Roi tient des propos << relatifs à l'orientation politique du
pays >>, ceux-ci ne sauraient relever de la seule appréciation personnelle du
Roi (50). Le Roi peut s'exprimer sur un sujet sensible - comme Ie proces-
sus d'indépendance du Congo, la fédéralisation de l'Etat ou Ie fonctionne-
ment de la justice (51) - , à condition toutefois d'être en parfait accord
avec son gouvernement (52). Limiter la responsabilité à l'habilitation de
tenir Ie discours reviendrait à permettre au Roi de découvrir sa propre Cou-
ronne. Ne pas faire endosser la responsabilité des opinions émises publique-
ment par Ie Roi exposerait celui-ci << à être discuté, et donc diminué dans
son autorité ►> (53).
(48) P. ERRERA, op. cit., p. 204; R. SENELLE, « Le monarque constitutionnel ... ,,, op. cit.,
p. 65.
(49) A. M0LIT0R, op. cit., p. 103.
(50) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, (< Le commandement de l'armée ... ,,, op. cit., p. 24;
IDEM, ,, Les rapports entre Ie Chef de l'Etat ... ,,, op. cit., p. 192.
(51) Message du 11 septembre 1996, La Libre Belgique, 11 septembre 1996.
(52) Dans cette mesure, Ie communiqué du Palais du 5 mars 1997, exprimant l'inquiétude du
Roi face« à !'absence d'une Europe sociale réelle, comme en témoigne !'annonce, sans concerta-
tion préalable, de la fermeture brutale de I' entreprise Renault à Vilvorde », est tout à fait
conforme au droit constitutionnel, même s'il a pu paraître, à certains observateurs étrangers,
outrepasser la neutralité et la prudence qui sied à un membre de la familie royale (Le Soir,
6 mars 1997).
(53) W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Le commandement de l'armée ... >),op.cit., p. 24. Le
röle du gouvernement est assez étroit : il doit assumer la responsabilité politique des discours du
Roi, mais il n'a pas à interpréter les propos tenus par Ie Chef de l'Etat, ni à les expliquer si leur
sens fait l'objet d'une question parlementaire. « Il n'est pas de tradition (qu'un ministre) en
assure l'exégèse. ,, (J.-L. DEHAENE, dans La Libre Belgique, 24 février 1997).
(54) Const., art. 101.
LES MESSAGES DU ROI 13
(55) F. PERIN, • Le message radiophonique du Roi du 13 janvier 1959 ,,, C.H. CRISP, n° 3.
(56) Ibidem. Dans cette mesure, on ne peut que s'étonner des propos tenus dans la presse au
lendemain de l'allocution du Roi Baudouin relative à l'indépendance du Congo, selon lesquels Ie
Roi ne pourrait se prononcer • avant que Ie Parlement n'ait délibéré ,, (Pourquoi Pas?, 16 janvier
1959, cité par F. PERnl, op.cit.). Il faut aussi s'étonner des déclarations du président du P.R.L.,
Louis Michel, à propos du communiqué du 10 septembre 1996 sur la disparition des enfants : ,, On
ne peut déplacer Ie centre de gravité de la démocratie. C'est au parlement de contröler Ie gouver-
nement et de vérifier Ie bon fonctionnement de nos institutions dans le strict respect des pouvoirs
de chacun. Le parlement ne peut en aucun cas se laisser dessaisir de ses prérogatives. La survie
de l'Etat de droit l'impose » (Le Soir, Il septembre 1996). Or, Ie but du communiqué n'était pas
de contröler Ie bon fonctionnement des institutions, mais bien d'inciter au controle et d' engager
Ie pouvoir exécutif sur un certain nombre de thèmes sensibles. Il faut Ie répéter : il n'y a pas
de thèmes dont pourraient connaître seules les chambres législatives, quine puissent faire l'objet
d'une position publique de la part du Roi ou du gouvernement.
(57) Voy. la<< revue de presse, effectuée par M. DELBEKE, interpellant Ie gouvernement, lors
de la séance du 23 juin 1897, Ann. parl., Chambre, s.o. 1896-1897, p. 1746.
14 PASCAL BOUCQUEY
du Roi eut été au creur d'un débat électoral qui aurait revêtu un caractère
plébiscitaire. Pour préserver les institutions, on les aurait ainsi profondé-
ment dénaturées ►> (62).
(58) Lettre du 30 mars 1990, reproduite dans A. MoLITOR. op. cit., p. 56.
(59) C'est Ie Roi lui-mème qui provoque cette publicité: « Monsieur Ie Premier ministre, puis-
je vous demander de faire part de cette lettre, à votre meilleure convenance, au gouvernement
et au Parlement?,, (A. MoLITOR, op. cit., p. 57).
(60) B. DUPRET, « Le Roi a-t-il découvert la Couronne? >►, Journ. proc .. n° 171, 20 avril 1990,
p. 12.
(61) R. ERGEC, ,, L'institution monarchique ... ,,, op. cit., p. 266. Sur cette question, voy. égal.
F. DELPÉRÉE, « Faut-il réviser l'article 69 de la Constitution? ,,, Journ. proc., n° 171, 20 avril 1990,
pp. 9 et 10; IDEM,,, Le Roi sanctionne les lois ,,, J.T., 1991, pp. 593 ets.; X. MABILLE, ,, Le débat
politique d'avril 1990 sur la sanction et la promulgation de la loi », C.H. CRISP, n° 1275; ,J. VE-
LAERS, « Op de grenzen van Grondwet en politiek. Enkele beschouwingen bij het 'uitgedoofde'
koninklijke vetorecht», in Opstellen aangeboden aan J. Gijssels, Anvers, Maklu, 1994. pp. 445 ets.
(62) R. LALLEMAND, ,, La conscience royale et la représentation de la Nation ,,, J. T., 1990,
pp. 465 et s., spéc. p. 468.
LES MESSAGES DU ROI 15
(6:~) Lettre du Roi Baudouin du 30 mars 1990, dans A. MoLrTOR, op. cit., p. 57.
(64) R. LALLEMA~D, op. cit., p. 466.
(65) Voy. R. ERGEC, ,, L'institution rnonarchique ... ,,, op.cit., p. 266. Dans Ie rnêrne sens, voy.
l'intervention, Ie 23 juin 1887, à la Charnbre des représentants, de M. MAGNETTE, Ann. pari.,
Charnbre, s.o. 1896-1897, p. 1751.
(66) Voy. supra, n°' 14-15.
16 PASCAL BOUCQUEY
(67) L. DUPRIEZ, <YJ). cit., p. 443; J. STENG ERS, <YJ). cit., p. 226.
LES MESSAGES DU ROi 17
(68) La Libre Belgique, 12 septembre 1996. Nous soulignons. Dans Ie même sens, voy. Ie mes-
sage de Noë! prononcé par Ie Roi Albert II Ie 24 décembre 1996 : « Nous voulons que la justice
soit plus humaine, plus efficace et que Ie secret de l'instruction soit respecté ,, (reproduit dans Le
Soir, 26 décembre 1996).
(69) En ce qui concerne les controles internes et les controles externes du pouvoir judiciaire,
voy. J. VELU, « Représentation et pouvoir judiciaire ,,, discours prononcé à l'audience solennelle
de rentrée de la Cour de cassation du 2 septembre 1996, J. T., 1996, pp. 625 et s. ; E. L!EKEN-
DAELE, discours d'installation prononcé devant la Cour de cassation Ie 11 octobre 1996, J. T.,
1996, pp. 755-756; F. DELPÉRÉE, « Propos sur la justice et la politique », J.T., 1997, pp. 69 ets.
(70) Le Roi ne veut pas ,, généraliser les critiques ,,. Cela prouve bien que certaines critiques
doivent être émises ...
18 PASCAL BOUCQUEY
rité (71), que de << corriger et d'améliorer la justice ►> là 011 c'est nécessaire,
afin de la rendre << plus efficace ►> et << plus humaine ►>.
22. - Les réformes institutionnelles n' ont pas directement visé Ie statut
ni Ie röle du Chef de l'Etat. Cependant, il serait faux de dire que la Cou-
ronne sort indemne des modifications successives de la Constitution.
Comme l'a indiqué Ie Premier ministre Dehaene lors de la révision constitu-
tionnelle de 1993, on a opté pour Ie << maintien des caractéristiques essen-
tielles du pouvoir royal en ne Ie réformant que !à 011 la modification était
rendue nécessaire par la réforme de l'Etat ►> (73).
23. - Les évolutions ont trait, d'abord, aux attributions du Roi. L'ar-
ticle 37 de la Constitution prévoit désormais que Ie pouvoir exécutif fédéral
appartient au Roi. Comment mieux indiquer que les compétences attri-
buées au Chef de l'Etat par la Constitution, au titre du pouvoir exécu-
tif (74), sont limitées à la sphère fédérale? Si<< Ie Roi n'a d'autres pouvoirs
que ceux que lui attribue formellement la Constitution ►> et que ces pouvoirs
(71) Louis Michel affirme Ie contraire (La Libre Belgique, Il septembre 1996; voy. supra,
note 56). Il ressort pourtant du message que Ie Roi charge les institutions de contróle de faire toute
la clarté sur Ie drame. Il n'entend pas prendre position lui-même.
(72) Voy. sur ce point A. MOLITOR, op.cit., pp. 61-64; R. SENELLE, « Rol en betekenis van
de monarchie in een federale Belgïe ,,, in Zeven knelpunten na zeven jaar Staatshervorming, sous
la direction de A. ALEN et L.P. SuETENS, Bruxelles, Story-Scientia, 1988, pp. 33 et s.
(73) Cité par J. BRASSINE, La Belgique fédérale, Dossier du CRISP, n° 40, 1994, p. 153 (nous
soulignons). Voy. égal. F. DELPÉRÉE, ,, Les autorités fédérales », in F. DELPÉRÉE (dir.), La Bel-
gique fédérale, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 105.
(74) Les attributions du Roi en tant que troisième branche du pouvoir législatif ont été aussi
restreintes : Ie droit d'initiative, l' amendement et la sancti on royale ne pourront s' exercer que
dans les matières laissées à la fédération.
LES MESSAGES DU ROI 19
<< sont exercés de la manière établie par la Constitution >>, cela signifie que
les compétences qui ont été transférées aux communautés et aux régions
sont soustraites au pouvoir exécutif fédéral. Le Roi n'est plus compétent
que pour les matières fédérales. Ses ministres - c'est-à-dire les ministres
fédéraux - sont responsables devant la Chambre des représentants -
assemblée en charge des matières fédérales par excellence (article 101 de la
Constitution).
24. - Les fonctions du Roi ont également évolué par le fait des réformes
institutionnelles. Dans un Etat fédéral par dissociation (76), la fonction
symbolique du Chef de l'Etat acquiert une dimension particulière : le Roi
représente, en quelque sorte, l'un des derniers bastions de l'unité nationale.
En revanche, les fonctions de médiation et d'incitation - fonctions avant
tout politiques - se voient désormais limitées à la sphère fédérale. En par-
ticulier, le Roi n'a pas à attirer l'attention d'un gouvernement communau-
taire ou régional sur un problème qui ne relève pas de la compétence de la
fédération. Il n' a pas à concilier deux collectivités qui ne parviendraient pas
à accorder leur politique ; d' autres institutions remplissent cette mis-
sion (77).
28. - Selon une conception inverse, l' on pourrait imaginer que Ie Roi
puisse aborder tous les thèmes dans ses messages - tant les matières com-
munautaires et régionales que les matières fédérales - , avec l'assentiment
d'un ministre Jédéral. Le Roi est Ie Chef de l'Etat. Cela signifie qu'il peut
traiter de tous les sujets sensibles à !'ensemble des Belges. Conformément
à l' article 106 de la Constitution, il appartient à un ministre fédéral d' ap-
porter son concours à un tel message.
Cette deuxième thèse pourrait s' appuyer sur la procédure de ratification
royale de la désignation des ministres-présidents communautaires et régio-
naux, qui est contresignée par un ministre fédéral. C' est également en qua-
lité de Chef de l'Etat que Ie Roi reçoit leur serment.
A vrai dire, pareille proposition s'éloigne des principes esquissés au cours
des dernières révisions constitutionnelles. Dans l'Etat beige, les principes
qui prévalent dans les relations entre la fédération et les collectivités fédé-
rées sont l' autonomie (79) et l' absence de hiérarchie entre les composantes et
la fédération. La ratification royale de la désignation des ministres-prési-
(78) Dans Ie même sens, voy. P. WIGNY, op. cit., pp. 565 ets., n°' 421-422; F. DELPÉRÉE,
Le Roi règne ... », op. cit., p. 703 ; R. ERGEO et M. UYTTENDAELE, ,, La monarchie en Bel-
<<
30. - Une dernière solution est possible, et elle seule est acceptable.
Elle concilie les exigences du droit constitutionnel classique avec les nou-
velles données institutionnelles. Les discours du Roi peuvent contenir des
réflexions relatives à des matières transférées aux communautés et aux
régions, mais à la condition que Ie Roi veille à ne s'exprimer que sur des
préoccupations communes aux trois régions ou aux trois communautés,
c'est-à-dire sur ce qui, dans les compétences des communautés et des
région, reste << essentiellement national >> (84). Sans s'immiscer dans la politi-
que des collectivités fédérées, sans se prononcer sur la manière dont elles
gèrent leurs attributions, sans rien dire sur l' organisation des matières com-
munautaires et régionales, Ie Roi peut prendre la parole sur des thèmes qui
ne relèvent plus de la compétence de la fédération, à condition d'y exprimer
<< les préoccupations de la collectivité nationale >> et de << traduire les volontés
(83) L'attitude adoptée par Ie Roi au cours d'une ,, visite» à une communauté peut parfois
conduire à des difficultés. Tel fut Je cas, par exemple, lorsqu' Albert Il, assistant à la fête fla-
mande en juillet 1994, entonna Ie ,, Vlaamse Leeuw ,,. S' agissait-il d'une ingérence dans les affaires
intérieures flamandes ? La présence du Roi, en elle-même, ne peut être considérée que comme un
« acte de coopération entre les autorités fédérales et fédérées » ("M. VERDUSSEX, interview à La
Libre Belgique, 13 juillet 1994). En revanche, Ie geste pttrticulier du Roi pouvait laisser croire
qu'il participait activement à la cérémonie ; il était, en cela, criticable (ibid.).
(84) F. DELPÉRÉE, ,, La monarchie beige», op. cit., p. 288.
(85) IDEM,« La Couronne de Belgique », op. cit., p. 348.
LEONARDO SCIASCIA,
LA PEINE DE MORT
ET LA CONSTITUTION (*)
PAR
MARC VERDUSSEN
Marc VERDUSSEN est chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université Catholique de Lou-
vain et avocat au barreau de Bruxelles. Il est membre du comité scientifique des Quaderni Leo-
nardo Sciascia.
(*) Il s'agit du texte remanié d'un rapport rédigé dans Je cadre d'un séminaire international
organisé à Florence, Ie 8 février 1997, sur Ie thème : ,, La morte wme pena in Leonardo Sciascia :
da 'Porte aperte' all'abolizione della pena di morte ,, (à paraître, en italien, dans un ouvrage publié
par Jes éditions La Vita Felice).
(1) « Préface », in F. CALVI, La vie quotidienne de la mafia de 1950 à nos jours, Paris, Hachette,
1986, p. 17.
(2) J. DAUPHINÉ, Leonardo Sciascia - Qui êtes-vous ?, Paris, La Manufacture, 1990, p. 90.
24 MARC VERDUSSEN
<<en paix >> (10). Comme !'inspecteur Rogas dans Le contexte (11). Comme Ie
professeur Laurana dans A chacun son dû (12). Comme Monseigneur Angelo
Ficarra dans Du cóté des infidèles (13). Comme Frère Diego dans La mort de
l'Inquisiteur (14). Comme bien d'autres << héros >> de Sciascia. C'est << la
confrontation d'un individu et des forces sociales de sa destruction >> (15).
A deux égards au moins, Portes ouvertes est de nature à interpeller la
science constitutionnelle : d' abord, parce que Leonardo Sciascia réitère son
inconditionnelle opposition à la peine de mort ; ensuite, parce qu'il envisage
celle-ci comme Ie produit et !'instrument du pouvoir politique.
A plusieurs reprises, Sciascia a entendu manifester, explicitement ou
implicitement, son hostilité à la peine capitale. Il l' a fait dans ses écrits,
comme dans Noir sur noir, ou il s'interroge sur les vertus réellement dissua-
sives d'une mesure qu'il tient pour un crime suprême, crime qu'une partie
de la société commet impunément à travers la loi (16). Il l'a fait aussi dans
les discours qu'il a prononcés en sa qualité de parlementaire ( 17).
Cette hostilité confirme, si besoin en est, la filiation intellectuelle de !'au-
teur sicilien avec l'illuminisme rationaliste du siècle des Lumières ( 18). « Un
esprit XVIIIe dans un corps XXème >> (19), selon ses propres mots.
Mais si l' on entend interdire la peine de mort, ou cette interdiction doit-
elle trouver sa place ?
Dans tout Etat de droit respectueux des valeurs démocratiques et huma-
nistes, la Constitution, règle suprême dans la hiérarchie normative, devrait
être Ie lieu ou est prohibé l'établissement, ou Ie rétablissement, de la peine
de mort.
La Constitution n'a pas seulement pour vocation de jeter et d'assembler
les bases fondamentales de l'organisation de l'Etat, mais aussi d'énumérer
et de garantir un certain nombre de droits dits << fondamentaux ►>, répondant
par là à la nécessité de veiller au respect de la personne humaine. En
(10) L. CATTAXEI, Leonardo Sciascia - lntroduzione e guida allo studio dell'opera scia,,ciana.
Storia e antologia della critica, Firenze, Le Monnier, 1990, p. 154.
(ll) Le contexte (Il contesto}, trad., Paris, Denoël, 1972.
(12) A chacun son dû ( A ciascuno il suo), trad., Paris, Denoël, 1967.
(13) Du cóté des infidèles (Dalle parti degli infedeli}, trad., Paris, Grasset, 1970.
(14) La mort de !'Inquisiteur (Morte dell'lnquisitore), trad., Paris, Denoël, 1970.
(15) J. BONNET,« Le culte de l'opposition », L'Arc, numéro spécial consacré à Leonardo Scias-
cia, 1979, vol. 77, p. 2.
(16) Noir sur noir (Nero su nero), trad., Paris, Maurice Nadeau, l98l. Voy. égal. Le Conseil
d'Egypte (Il consiglio d'Egitto), trad., Paris, Denoël, 1965; Les poignardeurs (I pugnalatori},
trad., Paris, Flammarion, 1984; La sorcière et le capitaine (La strega e il capitano}, tra<l., Paris,
Fayard, 1987: De la Sicile et de la vie en général (Fuoco all'anima), trad., Paris, Liana Levi,
1993.
(17) Voy. A. MAORI, Leonardo Sciascia - Elogio dell'eresia. L'impegnofuori e dentro il Parla-
mento peri diritti civili, per una giustizia giusta (1979-1989), Milano, La Vita Felice, 1995, p. 4l.
(18) G.S. SANTANGELO, « Leonardo Sciascia e la statua. Note di lettura su Sciascia e l'illumi-
nismo ,,, Quaderni Leonardo Sciascia, 1996, vol. l "', p. 85.
(19) J.-N. SCHIFANO, op. cit., p. 317.
26 MARC VERDUSSEN
(23) Le marquis BECCARIA lui-même admettait que la mort d'un citoyen puisse être regardée
comme nécessaire « dans ces moments de trou bie ou une nation est sur Ie point de recouvrer ou
de perdre sa liberté,> (Dei delitti e delle pene, 1764, §XVI).
(24) Mon. b., l"' août 1996.
(25) Voy. spéc. Ie rapport fait au nom de la commission de la justice par M. Luc Willems
(Doe. parl., Chambre, sess. ord. 1995-1996, n° 453/5).
28 MARC VERDUSSEN
ÉTATS-UNIS : ÉVALUATION
DE LA SESSION 1995-1996 DE LA COUR SUPRÊME
À TRAVERS L'ÉVOLUTION DES TENSIONS
ENTRE LE FÉDÉRALISME ET LE DROIT D'ÉGALITÉ
PAR
MICHEL ROSENFELD
Michel RosEN"FELD est professeur de droit à la Benjamin N. Cardozo School of Law. Il est co-
directeur du « Cardozo-New School Project on Constitutionalism ».
Le texte a été traduit de l'anglais par Michel KAISER, avocat au barreau de Bruxelles et assis-
tant à l'Université Catholique de Louvain.
(1) Voy. Barron v. Mayor of the City of Baltimore, 32 U.S. 243 (1833).
(2) No state << shall deny to any person within its jurisdiction the equal protection of the
laws,,.
(3) Voy., par exemple, Wicklard v. Filburn, 317 U.S. 111 (1942) (la réglementation fédérale
de l'économie s'étend jusqu'à la consommation par l'agriculteur de sa propre récolte).
32 MICHEL ROSENFELD
Durant ces vingt dernières années, Ie droit d'égalité raciale comme toutes
les autres libertés fondamentales contenues dans Ie Bill of Rights (9) à l'ex-
ception du droit à la liberté d'expression (10), s'est trouvé sérieusement
limité suite à la jurisprudence constitutionnelle restrictive d'une Cour
Suprême clairement plus conservatrice. Ces dernières années cependant,
l'érosion des compétences fédérales face au pouvoir ragaillardi des Etats
s'est étendue au-delà des limites du quatorzième amendement. En 1995,
pour la première fois en plus de cinquante ans, la Cour Suprême a déclaré
inconstitutionnelle une loi adoptée par Ie Congrès en vertu de sa compétence
pour régler Ie commerce entre les Etats (11). Même si les implications de ce
revirement très important demeurent incertaines, il apparaît désormais que
Ie gouvernement fédéral ne détient pas un pouvoir illimité pour régler les
matières qui sont susceptibles d'avoir un impact sur l'économie nationale.
(4) Voy., par exemple, 8wann v. Charlotte-Meclenburg Bd. of Educ., 402 U.S. l (1971); Keyes
v. School Dist., 413 U.S. 189 (1973).
(5) 347 u.s. 483.
(6) Voy., par exemple, Cooper v. Aaron, 358 U.S. l (1958); Griffin v. Country School Bd. of
Prince Edward County, 377 U.S. 218 (1964).
(7) Voy., par exemple, Keyes v. School Dist. No. 1, Denver, Colo., 445 F.2d 990 (10th Cir.
1971) modifié par U.S. 189 (1973) (désaccord de la Cour); Bradley v. School Bd. of Richmond, Va.,
338 F. Supp. 67 (E.D. Va. 1972), Rev'd, 462 F. 2d 1058 (4th Cir. 1972), Affd, 412 U.S. 92 (1973)
(désaccord de l'Etat); Graves v. Bd. of Educ. of North Little Rock, Ark. School Dist., 299 F.
Supp. 843 (E.D. Ark. 1969) (professeurs). Voy. égal. H.R. Rep. No. 914, 88th Cong., 2nd Sess.
(1964) reproduit dans 1964 U.S.C.C.A.N. 2391, 2503-508.
(8) Voy., par exemple, la Déclaration des Principes Constitutionnels, 102 Cong. Rec. 4515-16
(1956); 100 Cong. Rec. 6750 (décalaration du sénateur Russel). Voy. également :\f. TRUSHXET,
The Significance of Brown v. Board of Education, 80 Va. L. Rev. 173, 180 ( 1994).
(9) Voy., par exemple, Maryland v. Craig, 497 U.S. 836 (1990); Me Karkle v. Wiggins, 465
U.S. 168 (1984); Arizona v. Evans, 115 S. Ct. 1185 (1995) (procédure pénale); Bowers v. Hard-
wick, 478 U.S. (1986) (vie privée).
(10) Voy., par exemple, Texas v. Johnson, 491 U.S. 397 (1989); 44 Liquomart, Ine. v. Rhode
Is/and, 116 S. Ct. 149S (1996).
(Il) Voy. U.8. v. Lopez, 115 U.S. 1624 (1995).
LA COUR SUPRtME DES ETATS-UNIS 33
(12) Voy. E. ScHMITT, « Senators Reject Both Job-bias ans Gay Marriage •>, N. Y. Times,
Sept 11, 1996, p. Al.
(13) Voy., par exemple, Lewin v. Lewin, 852 P. 2d 44 (Hawaii 1993).
(14) Voy., par exemple, D.W. DuNLAP, « Foes of Gay Marriage are Foiled in California
Senate >>, N. Y. Times, Sept 6, 1996, p. A24.
(15) Voy. Defense of Marriage Act, H.R. 3396, 104th Cong., 2nd Sess. (1996).
(16) Voy. Seminole Tribe v. Florida, 116 S. Ct. 114 (1996) (fédéralisme); Shaw v. Hunt, 116
S. Ct. 1894 (1996) and Bush v. Vera, 116 S. Ct. 1941 (1996) (répartition des circonscriptions élec-
torales).
34 MICHEL ROSENFELD
Ie second (17). Dans ces deux cas, cependant, Ie juge Scalia a émis une opi-
nion dissidente pour Ie moins amère et sarcastique.
La décision Seminole Tribe v. Florida est remarquable, même si cette
affaire ne soulève que des questions liées au fédéralisme, et que ces der-
nières sont en définitive assez périphériques. L'en jeu dans cette affaire
consistait à déterminer si Ie Congrès, agissant en vertu de son pouvoir
constitutionnel de régler Ie commerce << entre Etats >> et << avec les tribus
indiennes >> ( 18), était habilité à autoriser les poursuites contre un Etat ou
ses officiels <levant les tribunaux fédéraux relativement à la rupture des
négociations rendues obligatoires par l'Etat fédéral à l'intérieur de ses fron-
tières entre un des Etats et une tribu native des Etats-Unis concernant
l'installation d'un casino dans la réserve de cette tribu. La Cour Suprême
a décidé, par une faible majorité, que, dans les circonstances de l'espèce, les
poursuites fédérales se heurtaient au onzième amendement qui concerne
l'interdiction de poursuivre les Etats <levant les juridictions fédérales sans
leur consentement.
La décision ne mérite d'être mentionnée que pour deux raisons essentiel-
lement. Premièrement, la Cour Suprême est revenue sur sa jurisprudence
antérieure, en allant à l'encontre d'une décision de 1989 qui avait proclamé
que les poursuites fédérales semblables à celles observées dans Séminole
Tribe étaient autorisées par Ie onzième amendement (19). Deuxièmement,
la compétence des Etats faisant l'objet de la discussion ayant mené au
litige Seminole Tribe - c'est-à-dire Ie pouvoir de jouer un röle actif dans
la concession et l'installation de casinos à l'intérieur des réserves
indiennes - a été totalement créée par Ie Congrès (20). En effet, en vertu
de la Constitution, Ie Congrès a Ie pouvoir de décider seul d' autoriser ou
non une tribu à installer un casino à l'intérieur de sa réserve. Par consé-
quent, en habilitant les Etats à jouer un röle actif dans ce processus d' au-
torisation, Ie Congrès a agi dans un esprit de conciliation et pas en étant
juridiquement obligé. Il en résulte que la décision du Congrès de soumettre
les Etats à la juridiction des tribunaux fédéraux ne doit pas être considérée
comme une tentative de réduction des pouvoirs des Etats, mais plutöt
comme un élément supplémentaire d'un projet fédéral d'extension des
actuelles compétences des Etats. En outre, lorsqu' on l' analyse à la lumière
des observations précédentes, la décision de la Cour suprême dans Seminole
Tribe représente un pas supplémentaire dans Ie processus d' accroissement
des pouvoirs des Etats aux dépens de ceux du gouvernement fédéral et fait
de la décision adoptée par la Cour durant la session 1994-95, U.S. v.
(17) Voy. Romer v. Evans, 116 S. Ct. 1620 (1996) (homosexuels) et U.S. v. Virginia, 116 S.
Ct. 2264 (1996) (femmes).
(18) U.S. Const. Art. I Sec. 8, cl. 3.
(19) Pennsylvania v. Union Gas Co., 491 U.S. 1 (1989).
(20) Voy. Seminole Tribe v. Florida. op. cit., 116 S. Ct., p. 1124.
LA COUR SUPR~ME DES ETATS-UNIS 35
Si l' on se penche maintenant sur les décisions prises en matière d' égalité
constitutionnelle, une première impression semble laisser apparaître que
deux d'entre elles paraissent étendre Ie droit d'égalité et les deux autres le
restreindre. Une analyse plus précise révèle cependant une situation quel-
que peu plus complexe. Il ne peut être sérieusement contesté que la décision
de la Cour U.S. v. Virginia (22) représente une poussée des droits des
femmes sur base du principe d'égalité. Par contre, l'extension aux homo-
sexuels de la protection en matière d'égalité en vertu de la décision de la
Cour Romer v. Evans (23) peut en fin de compte se résumer à très peu de
choses.
Pour être mieux à même de développer ces observations, il est utile d'ef-
fectuer brièvement une référence préalable à l'état de la jurisprudence de
la Cour Suprême en matière de protection égalitaire avant sa session 1995-
96. De manière très générale, cette jurisprudence est caractérisée par deux
éléments essentiels : un engagement à combattre les inégalités particulières
plutöt qu'à instituer des situations d'égalité générale, d'une part, et la
reconnaissance de !'individu et non du groupe en tant que sujet ou bénéfi-
ciaire propre de l'égalité constitutionnelle (24), d'autre part. La première de
ces deux caractéristiques a également reçu une consécration en doctrine à
travers l'instauration d'un critère de controle à trois niveaux. Reconnais-
sant que les lois en général divisent les personnes en différentes catégories
avec des charges et des bénéfices inégaux - par exemple, si l'àge du permis
de conduire est fixé à dix-huit ans, ceux qui n'ont pas encore atteint eet
age ne peuvent bénéficier d'un droit égal à celui des autres citoyens - le
critère en question se dirige vers une relation ou ajustement entre une clas-
sification opérée par le législateur et l'objectif que tente d'atteindre la loi
en question. Ceci explique que les trois niveaux qui composent ce critère se
distinguent l'un de l' autre selon le degré d' ajustement qu'ils nécessitent
chacun. L'ajustement Ie plus permissif est celui associé au critère de 1'<< exa-
men minimum •> (25) applicable aux distinctions en matière économique et
sociale et qui requiert simplement que les distinctions législatives opérées
soient << raisonnablement reliées >> à !' objectif de la loi qui doit être << appro-
prié >> (26). Le niveau d'ajustement suivant est celui établi par le critère de
(:35) << Physical differences between men and women .. are enduring >► (116 S. Ct., p. 2276).
(:36) 116 S. Ct., p. 2280.
(:37) 116 S. Ct., p. 2298 (opinion dissidente du juge Scalia).
38 MICHEL ROSENFELD
firme pas que l'inégalité basée sur l'orientation sexuelle mérite une atten-
tion constitutionnelle particulière comme cela avait été Ie cas pour les iné-
galités raciales et celles apparaissant entre hommes et femmes.
La loi invalidée dans Romer était un amendement à la Constitution de
l'Etat du Colorado. L'amendement adopté suite à un référendum étatique
avait été initié en réaction à plusieurs réglementations locales du Colorado
qui avaient banni les discriminations, entre au tres sur base de l' orientation
sexuelle, en matière de logement, d'emploi, d'enseignement, etc. L'amende-
ment abrogeait les réglementations locales impliquées en tant qu'elles inter-
disaient les discriminations sur base de l'homosexualité. Il prohibait aussi
toute action du gouvernement de l'Etat ou des gouvernements locaux à
n'importe que! niveau dans Ie but de protéger les homosexuels. En particu-
lier, !'amendement prévoyait que l'Etat ne pouvait adopter aucune loi par
laquelle l'orientation homosexuelle aurait pu constituer la base d'une
plainte du chef de discrimination (45). Ainsi, par exemple, si une loi de
l'Etat avait interdit aux détaillants en commerce toute discrimination entre
les membres du public désirant acheter leurs biens, un client potentie! écon-
duit sur base de son homosexualité n'aurait pu introduire une plainte pour
discrimination alors que toute autre personne discriminée sur une autre
base y aurait été autorisée.
La majorité à la Cour Suprême a conclu que !'amendement en question
avait pour objectif de rendre les homosexuels inégaux par rapport à n'im-
porte quelle autre catégorie de personnes, et a déclaré qu'une telle disposi-
tion était inconstitutionnelle en ce qu'un Etat ne pouvait considérer une
catégorie de personnes comme étant tout-à-fait étrangère à ses lois (46). En
outre la majorité au sein de la Cour a aussi insisté sur Ie fait que !'amende-
ment ne satisfaisait même pas au critère Ie plus clément de l'examen mini-
mum.
Selon l'Etat du Colorado, les objectifs de !'amendement étaient les sui-
vants : d'une part, protéger la liberté d'association de ses autres citoyens,
tels les propriétaires et les employeurs qui invoquent une série d'objections
religieuses à l'homosexualité et, d'autre part, conserver les ressources de
l'Etat pour combattre les discriminations contre d'autres groupes (47). Sans
se pencher sur la question de savoir si ces objectifs étaient légitimes, la
majorité au sein de la Cour a décidé que l'interdiction trop générale et sans
restriction concernant les homosexuels contenue dans l' amendement n' était
rationnellement liée à aucun objectif d'Etat. Dans son opinion dissidente,
Ie juge Scalia, rejoint par deux autres juges, a argumenté qu'une désappro-
(45) ,, Whereby homosexual... orientation ... shall be the basis of... [a] claim of discrimination >>
que l' on trouve à des niveaux de gouvernement plus élevés et donc plus
éloignés. En adoptant une telle position, l' arrêt Romer prouve donc, en pre-
nant en compte tous les niveaux de gouvernement existants, qu'un simple
transfert des compétences de l'Etat fédéral vers les Etats ne constitue pas
toujours la solution idéale.
La confrontation la plus marquante de l'année dernière entre la défense
du droit d'égalité en faveur des homosexuels et celle des principes établis
en matière de fédéralisme ne concerne pourtant ni Romer, ni d' ailleurs la
Cour Suprême elle-même - même si elle atteindra plus que probablement
la Cour dans Ie futur. Ladite confrontation concerne plutöt !'extrême agita-
tion politique relative au mariage entre personnes de même sexe. Il est très
important de souligner que cette question du mariage entre personnes de
même sexe a été amenée à !'avant de la scène constitutionnelle et politique
par la problématique du lien intrinsèque entre l'égalité constitutionnelle et
Ie fédéralisme.
Comme conséquence de la << nationalisation >> des droits fondamentaux
garantis par Ie Quatorzième Amendement, un Etat ne peut imposer à ses
résidents des droits plus restrictifs que ceux garantis par la Constitution
fédérale. Cela n'empêche cependant pas l'Etat en question d'accorder des
libertés constitutionnelles plus larges que celles qui sont assurées par Ie gou-
vernement fédéral. Partant de ces principes, la Cour Suprême d'Hawaii a
interprété la disposition sur l' égalité que contient sa prop re constitution
comme nécessitant que les discriminations basées sur l' orientation sexuelle
soient soumises au critère de !'examen strict (48). C'est pour cette raison
que, bien que la loi hawaïenne interdise aujourd'hui les mariages entre per-
sonnes de même sexe, les observateurs pensent que la Cour Suprême
hawaïenne sera appelée à considérer cette loi comme inconstitutionnelle. Il
est, en effet, difficile d'imaginer comment une interdiction des mariages
entre personnes de même sexe pourrait s' avérer << nécessaire >> pour atteindre
un intérêt étatique << contraignant >> (49).
Ce n'est pourtant pas la perspective de mariages entre personnes de
même sexe à Hawaii, ni même l'idée que les homosexuels des quarante-neuf
autres Etats pourraient se précipiter vers Hawaii pour se marier qui a été
à la base d'un débat brûlant à travers les Etats-Unis. Le véritable objet de
ce débat réside dans Ie fait qu'en vertu d'un des piliers constitutionnels du
fédéralisme américain, un mariage légalement contracté dans un Etat pour-
rait être reconnu comme légal dans tous les autres Etats, tout en étant en
contrariété avec Ie droit de ces mêmes Etats. En effet, l'article IV de la Sec-
(54) En ce qui concerne les critères constitutionnels retenus avant 1993, voy., par exemple,
United Jewish Organizations of Williamsburg, Ine. v. Carey, 430 U.S. 144 (1977).
(55) 509 u.s. 630.
(56) 116 S. Ct. 1894 (1996).
(57) 116 S. Ct. 1941 ( 1996).
(58) Voy. Shaw v. Hunt, 116 S. Ct., p. 1903.
(59) Une tendance similaire s'est affirmée dans Ie contexte des décisions la Cour Suprême en
matière de discrimination positive basée sur la race. Voy. Riehmond v. J.A. Crosson Co., 448 U.S.
469 (1989); Adarand Construetors, Ine. v Pena, 115 S. Ct. 2097 (1995).
RÉPUBLIQUE D'AFRIQUE DU SUD
DE LA CONSTITUTION INTÉRIMAIRE
À LA CONSTITUTION DÉFINITIVE
PAR
XAVIER PHILIPPE
l. ~ LE PROCESSUS D'ÉLABORATION
DE LA CONSTITUTION DÉFINITIVE
Tel n'a pas été Ie cas. Entre Ie début des travaux de l'assemblée consti-
tuante et l' adoption du texte de la constitution définitive Ie 8 mai 1996, ce
ne sont pourtant pas moins de 10 projets qui ont vu Ie jour, démontrant
l'intensité du débat (8). Le délai limite d'adoption de la Constitution par la
seule assemblée constituante était fixée au 9 mai 1996, soit deux ans après
la première réunion de !' Assemblée nationale (9). Le texte définitif fût
adopté Ie 8 mai, après une dernière tentative du National Party d'inscrire
certaines questions dans Ie texte définitif.
(10) Les 6 comités thématiques. de 30 membres chaeun, étaient les suivants : Ie comité n° 1
chargé du « caractère démocratique de l'Etat », Ie comité n° 2 chargé des structures de gouverne-
ment, Ie comité n° 3 chargé des relations entre les différents niveaux de gouvernement, Ie comité
n° 4 chargé des droits fondamentaux, Ie comité n° 5 chargé de la justice et du système juridique,
Ie comité n° 6 chargé des struetures spécialisées de gouvernement. Compte tenu de l'ampleur de
sa táche, ce dernier comité était divisé en quatre sous-comités : Ie n° 6-1 était chargé de l'admi-
nistration publique, Ie n° 6-2 était chargé des institutions financières et des entreprises publiques,
Ie n° 6-3 était chargé des institutions de eontröle et de transformation (du régime). Ie n° 6-4 était
chargé des services de sécurité.
(11) Ceci s'est parfois traduit par certains échanges assez vifs entre les rédacteurs et Ie public,
ce dernier considérant que Ie texte proposé était trap flou et ne pourrait être invoqué dans Ie
cadre d'une instance, par exemple. Cette partiüipation a démontré l'utilité de la communication
entre I' assemblée constituante et Ie public. S'il est vrai que Ie corps électoral n' a pas été eonsulté
à ]'issue du processus d'écriture, il aura en revanche contribué à l'élaboration du texte définitif.
Sur cette participation du public, voy. Ie Rapport annuel de l'Assemblée constituante 1996, pp. 40
et s.
( 12) Composé de 44 mem bres désignés par les partis en fonction de leur représentation au sein
de l'assemblée constituante.
(13) Composé de 19 membres permanents, Ie sous-comité constitutionnel est apparu comme
une structure plus légère et mieux adaptée que Ie comité constitutionnel. En différentes occa-
sions, les partis politiques ont nommé des membres ad hoc pour Ie traitement des questions tech-
niques.
48 XAVIER PHILIPPE
en 1994, cinq fois en 1995, Ie 29 mars ainsi que du 23 avril au 8 mai en 1996
pour l' adoption du texte définitif. L' assemblée constituante est restée l' or-
gane souverain de bout en bout du processus d'écriture, et même si Ie tra-
vail des comités est apparu déterminant dans l'élaboration du texte, il ne
faut pas oublier qu'ils représentaient avant tout une émanation de l'assem-
blée constituante.
D'autres structures ont également marqué Ie processus d'élaboration
même si elles ne possédaient pas Ie même poids. Ainsi, faut-il mentionner
Ie röle du comité de gestion qui a assumé la redoutable tàche d' organiser et
de coordonner matériellement les travaux des différents comités, Ie comité
indépendant d'experts constitutionnels, la commission sur Ie << gouverne-
ment provincial >> ou encore Ie conseil du V olkstaat. Bien que leur röle ait
été plus discret, leurs travaux n'en ont pas moins influencé Ie texte défini-
tif.
B. - La procédure d'adoption
( 14) Rappelons que les Principes constitutionnels sont composés de 34 directives qui figurent
à l' annexe IV de la Constitution intérimaire. Ce texte est Ie résultat des négociations dites
« multi-partis • ou Conseil des négociations qui ont pris place après l'échec de la CODESA. Il a
servi de lignes directrices à la fois pour la rédaction de la Constitution intérimaire et de la Consti-
tution définitive; voy. sur ce point R.B.D.C, 1995, p. 438.
(15) Comité créé par l'article 72(2) de la Constitution intérimaire.
LA RÉPUBLIQUE D' AFRIQUE DU SUD 49
constitutionnel ( 16). Il a ensuite insisté sur les principes qui devaient gou-
verner l'écriture à savoir la définition des instruments, institutions, pou-
voirs et contre-pouvoirs qui permettraient d'assurer l'effectivité du carac-
tère démocratique du gouvernement et d'un véritable Etat de droit ( 17). Le
travail d'écriture présentait à eet égard une double difficulté : traduire en
langage juridique un accord politique entre les partis en s'assurant de la
lisibilité du texte ; s' assurer de la conformité du nouveau texte aux Prin-
cipes constitutionnels. Matériellement, les comités thématiques se sont réunis
en dressant la liste des questions sur lesquelles ils se sont accordés ; chaque
parti a ensuite adressé un rapport contenant une proposition de texte.
Celle-ci a fait ensuite l' objet d'une discussion pleinère puis d'une adoption
pour servir de base au premier avant-projet de Constitution. Le comité
constitutionnel a ensuite collecté et rassemblé ce premier texte mais ne l'a
pas conservé en l'état. Il l'a transmis à un comité technique chargé d'amé-
liorer les textes élaborés par les comités thématiques à la fois sur le plan
technique, mais également grammatica!. A eet égard, une opération origi-
nale a été menée par ce comité - suite à une décision prise en ce sens par
l'assemblée constituante - qui a fait appel à des experts linguïstes réputés
pour réécrire en langage clair et simple les textes élaborés, compréhensibles
par tous (18). Ceci explique que le projet de Constitution définitive ayant
fait l'objet de la véritable négociation soit en fait le second, épuré des sco-
ries rédactionnelles de la première version.
C. - La certification de la Constitution
par la Cour constitutionnelle
(19) CCT 23/96 Certification de la Constitution définitive 1996(10) BCLR 1253(CC); l'accès aux
décisions de la Cour peut se faire par Ie site internet: http ://www.wits.ac.za/archive.html/. Il est
impossible de relater ici tous les aspects de cette décision.
(20) Domaines de 1' enseignement supérieur, des collectivités locales, des ,, chefs traditionnels >►
et de la police.
(21) N°' 17 et 18(2).
52 XAVIER PHILIPPE
dans le cadre des révisions ordinaires (22) à la seule majorité des deux tiers
de l'Assemblée Nationale (23). Cette modalité simple revenait à aligner la
révision constitutionnelle sur la procédure législative ordinaire avec comme
seule exception l' exigence d'une majorité qualifiée. Cette situation ne cor-
respondait pas aux exigences du Principe constitutionnel n° 15 qui pré-
voyait la nécessité de majorités et de procédures spéciales pour de telles
révisions. En l'espèce, seul le premier critère était rempli.
La décision de la Cour constittuionnelle du 6 septembre 1996 a conduit
l'assemblée constituante à se réunir de nouveau pour amender le texte
adopté le 8 mai. Ce fut fait le 11 octobre 1996, sans véritable difficulté (24).
On remarquera au passage à quel point la décision de la Cour constitution-
nelle fut bien acceptée et respectée. Le texte révisé fut à nouveau soumis
pour certification à la Cour constitutionnelle qui, dans une seconde décision
du 4 décembre 1996 (25), accepta la certification. La Constitution fut enfin
promulguée le 10 décembre 1996 et est entrée en vigueur le 1er janvier 1997.
(22) C'est-à-dire celles ne touchant pas aux droits fondamentaux, à la structure de l'Etat et
au mode de révision lui-même.
(23) Article 174 du texte définitif.
(24) Seule l'éventuelle nouvelle participation de !' Inkatha Freedom Party a laissé planer un
doute quant à l'ampleur du processus de révision, mais les conditions imposées par ce dernier ont
été telles que toute remise en cause des fondements du texte aurait bouleversé !' équilibre atteint.
(25) CCT 37/96 Certification of the amended text of the final Constitution, 1997 (1) BCLR (CC).
(26) Soit à peine un peu moins que la Constitution intérimaire qui en comportait 251.
LA RÉPUBLIQUE D' AFRIQUE DU SUD 53
texte (32). Ce comité, qui peut reprendre l'un des textes ou proposer Ie sien,
est chargé d' établir un consensus. Si aucun accord n' est atteint, l' Assemblée
Nationale peut reprendre son texte mais doit alors l'adopter à la majorité
des deux tiers.
Le pouvoir exécutif est composé du Cabinet qui comprend Ie Président,
Ie vice-président et !'ensemble des ministres. Le Président procède directe-
ment de l' Assemblée Nationale puisqu'il en est issu et est élu par elle pour
cinq ans lors de sa première réunion. Son élection lui fait perdre son statut
de parlementaire et bien qu'il soit autorisé à s' adresser à l' Assemblée et à
siéger, il ne peut pas être interpellé ou mis en cause par celle-ci en tant que
Chef de l'Etat. Le Président nomme tous les autres membres du Cabi-
net (33). Le vice-président joue Ie röle du chef du gouvernement devant Ie
Parlement et doit être membre de l' Assemblée Nationale. Le Cabinet est
responsable devant Ie Parlement qui peut par un vote de défiance l' obliger
à démissionner ; deux options sont toutefois possibles : Ie vote peut exclure
Ie Président ou l'inclure. Dans Ie premier cas, il doit reformer un nouveau
gouvernement. Outre les fonctions traditionnelles dévolues à l'exécutif, Ie
Cabinet est également chargé de pallier les carences d'une éventuelle défail-
lance d'une province dans l'exercice de ses compétences. Dans une telle
hypothèse toutefois, Ie Conseil National des Provinces doit être saisi et
approuver l'intervention dans un délai de 30 jours à compter de son com-
mencement.
La quatrième caractéristique du nouveau texte repose sur la structure et
la rénovation du pouvoir juridictionnel. Si l'organisation juridictionnelle a
été simplifiée dans les appellations attribuées aux Cours (34), Ie point mar-
quant reste Ie röle dévolu à la Cour constitutionnelle qui s'impose comme
Ie gardien de la Constitution mais également de son application par les
High Courts et la Cour Suprême. Un système original a en effet été créé qui
permet à la Cour constitutionnelle de garder Ie monopole de l'interprétation
constitutionnelle tout en permettant aux High Courts et la Cour Suprême
de statuer sur des exceptions d'inconstitutionnalité. Les décisions de ces
juridictions qui reconnaissent l'inconstitutionnalité d'un acte parlementaire
ou d'une décision du Président ne peuvent prendre effet qu'après confirma-
tion de la décision par la Cour constitutionnelle. Il s'agit donc d'un controle
(32) Lorsque celui-ci affecte d'une façon ou d'une autre les provinces.
(33) Composé du Président, du vice-président et des ministres, tous devant être membres du
Parlement à l'exception de deux.
(34) Les anciennes sections provinciales et locales de la Cour Suprême ont disparu au profit
de l' appellation de High Court. Les différents degrés de juridiction sont donc les suivants : 11!agis-
trates' Court ( 1•• instance), High Court ( l '" instance ou appel), Supreme Court (appel ou 2nd degré
d'appel). Le débat sur la justice et Ie système juridique témoigne d" l'interrogation des respon-
sables sud-africains de maintenir Ie système issu de la Common Law ou d'ancrer plus fermement
Ie nouveau régime dans un système ou la place du droit romano-germanique (plus exactment
romano-hollandais) serait renforcé : voy. sur ce point Z. YACCOB, « Judiciary and the Legal Sys-
tem in Aspects of Constitutional Development in South Africa », op. cit., p. 19.
56 XAVIER PHILIPPE
(35) Ce statut a d'ailleurs évolué par rapport à la Constitution intérimaire. Le Parlement est
en effet amené à jouer un röle centra! dans la détermination de I' applicabilité du droit internatio-
nal tant sur Ie plan externe qu'interne. Voy. l'article 231 de la Constitution définitive.
LA RÉPUBLIQUE D' AFRIQUE DU SUD 57
(36) Le débat sur la structure de l'Etat sud-africain ne sera pas abordé ici. Il faut toutefois
noter que Ie caractère unitaire de l'Etat a été abandonné. La discussion porterait aujourd'hui
plutöt sur Ie point de savoir s'il s'agit d'un Etat régional ou fédéral. Voy. J. DE VILLE, « La
répartittion des pouvoirs ... >>, op. cit., p. 159.
(37) Article 93 de la Constitution intérimaire.
(38) A l'exception de l'Appelate Division, équivalent de la Cour de cassation et du Conseil
d'Etat réunis, devenue aujourd'hui la Cour suprême.
(39) Article l68(4)(d).
58 XAVIER PHILIPPE
*
* *
Les limites de la présente contribution sont inévitables. Présenter en
quelques pages une concentration d'événements tels ceux des deux der-
nières années en Afrique du Sud constitue un raccourci qui n' a d' autre hut
que de brosser un tableau général de la situation et inviter le lecteur à aller
plus loin.
Il est néanmoins possible en guise de conclusion d' ouvrir les horizons et
de replacer la Constitution définitive sud-africaine dans une perspective
comparatiste. La Constitution du 10 décembre constitue un texte constitu-
tionnel étonnement moderne qui illustre en grandeur réelle comment s' écrit
une Constitution moderne et comment les expériences constitutionnelles
d'autres Etats peuvent être valorisées dans la construction d'un nouvel
Etat de droit. L' Afrique du Sud n' a pas choisi de copier ce qui se faisait
ailleurs mais a construit sa propre Constitution en bénéficiant d' autres
expériences.
Il reste également que nombre d'autres aspects ne peuvent être décrits,
comme !'ambiance dans laquelle se sont déroulées les négociations constitu-
tionnelles ou encore le soin apporté à la rédaction pour favoriser sa compré-
hension et sa lisibilité (41). Le mot de la fin, - s'il peut en exister une -
revient au Président de l' assemblée constituante, Cyril Ramaphosa, qui
dans son discours à l'issue de l'adoption de la révision du 11 octobre 1996
concluait en ces termes : << Ge n'est pas la fin de notre travail. Une grande
táche attend notre nation ; celle de construire une interprétation des valeurs
contenues dans cette Constitution... Cette Constitution n 'appartient pas aux
politiciens et aux juristes mais à chaque homme, femme et enfant dans ce pays.
Pour vivre et devenir une réalité, la Constitution avec ses nobles idéaux de
(40) Article 231(4). Voy. égal. J. DuGARD, ,, International Law and the Final Constitution ,,.
S.A.J.H.R., 1995, 241.
(41) L'idée développée a été d'écrire la Constitution comme un livre de façon à ce que !'en-
semble de sa lecture permette la compréhension des droits, organes, relations et pouvoirs qu' elle
contient.
LA RÉPUBLIQUE D' AFRIQUE DU SUD 59
COUR D'ARBITRAGE
(Extraits)
( ... )
II. - LA PROCÉDURE
( ... )
L'article 4, 2°, de la loi du 4 avril 1995 portant des dispositions fiscales et finan-
cières, publiée au Moniteur belge du 23 mai 1995, complète l'article 206 du Code des
impöts sur les revenus 1992, remplacé par l'article 1°' de la loi du 6 août 1993, par
un paragraphe 3 rédigé comme suit :
<< Par dérogation aux §§ 1e, et 2, les pertes professionnelles antérieures ne peuvent
IV. - EN DROIT
(... )
ARRÎT N° 70/96 DU 11 DÉCEMBRE 1996 63
-B-
( ... )
B.5.1. Les différents moyens invoqués par les parties requérantes sont pris de la
violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
B.5.2. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdi-
sent toute discrimination, qu'elle qu'en soit !'origine. Ils sont également applicables
en matière fiscale, ce que confirme d'ailleurs l'article 172 de la Constitution, lequel
fait une application particulière du principe d'égalité formulé à l'article 10.
B.6.1. L'article 206 du Code des impöts sur les revenus 1992, depuis sa modifica-
tion par l'article 1er de la loi du 6 août 1993, permet, dans son paragraphe 1er, de
déduire successivement les pertes professionnelles antérieures des revenus profession-
nels de chacune des périodes imposables suivantes, dans les limites fixées par l'ali-
néa 2 qui disposait :
<< La déduction ne peut en aucun cas dépasser, par période imposable, 20 millions
de francs ou, lorsque Ie montant des bénéfices après application des articles 202 à 205
excède 40 millions de francs, la moitié de ce montant. >>
En son paragraphe 2, cette disposition prévoit des règles particulières pour les
sociétés qui reçoivent un apport ou qui absorbent une autre société.
L'article 4, 1°, de la loi du 4 avril 1995 portant des dispositions fiscales et finan-
cières abroge l'alinéa 2 du paragraphe 1er et supprime dès lors les limites mises, de
manière générale, à la déduction des pertes professionnelles antérieures. Conformé-
ment à l'article 10, alinéas 1er et 2, de la loi, eet article entre en vigueur à partir de
l'exercice d'imposition 1998, des dispositions particulières étant en outre prévues
pour l'exercice d'imposition 1997.
L'article 4, 2°, de cette même loi complète l'article 206 du Code des impöts sur les
revenus 1992 par un paragraphe 3, qui interdit, par dérogation aux paragraphes 1er
et 2, la déduction des pertes professionnelles antérieures << lorsque la moyenne du
chiffre d' affaires et des produits financiers comptabilisés au cours des exercices
sociaux se rattachant aux trois périodes imposables précédentes représente moins de
5 p.c. de la moyenne du montant total de l'actif figurant dans les comptes annuels
de ces exercices >>. En son alinéa 2, cette disposition précise les montants qu'il faut
prendre en compte, en lieu et place du chiffre d'affaires et des produits financiers,
pour les sociétés soumises à la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au controle
des établissements de crédit ( 1°) et pour les entreprises d' assurances visées à l' ar-
ticle 56, § 2, 2°, h (2°). Conformément à l'article 10, alinéa 3, de la loi, eet article
entre en vigueur à partir de l'exercice d'imposition 1996.
Les parties requérantes demandent toutes l'annulation de l'article 4, 2°, de la loi
du 4 avril 1995. Certaines demandent en outre l'annulation de l'article 10, alinéa 3,
de cette même loi.
B.6.2. Il résulte des travaux préparatoires des dispositions entreprises que Ie légis-
lateur a voulu, d'une part, supprimer les limites à la déduction des pertes antérieures
pour ne plus priver les entreprises d'une partie de leurs moyens d'investissement, ce
qui était dommageable pour l'économie et pour Ie développement de grands projets
64 ELISABETH WILLEMART
d'investissement, mais qu'il a entendu, d'autre part, exclure les sociétés << en som-
meil >> ou << en veilleuse >> de la possibilité d'encore imputer des pertes antérieures sur
les résultats positifs du futur (Doe. parl., Sénat, 1994-1995, n° 1304, pp. 14 à 17).
Cette deuxième mesure est justifiée par<< la volonté d'empêcher dorénavant l'utilisa-
tion de pertes comme un moyen de défiscalisation des profits d'une activité nouvelle
greffée artificiellement sur une société coquille vide>> (idem, p. 16).
B.7.1. C'est au législateur qu'il appartient de déterminer les objectifs qu'il entend
poursuivre en matière fiscale. Il peut se soucier tout à la fois de promouvoir Jes inves-
tissements et de limiter !'impact budgétaire qui en résulte en luttant contre un usage
abusif qui pourrait être fait de la faculté de déduction des pertes. Il est ainsi légitime
que Ie législateur refuse Ie bénéfice de la déduction des pertes professionnelles anté-
rieures à des sociétés qui n'exercent pas une activité économique réelle et qui seraient
artificiellement maintenues en vie afin de permettre qu'il soit tiré profit d'un avan-
tage fiscal. La Cour doit cependant vérifier si la mesure prise par Ie législateur peut
se justifier objectivement et raisonnablement au regard de eet objectif. Elle doit plus
particulièrement vérifier si les critères qui permettent de déterminer qu'une société
est << en sommeil >> sont objectifs et pertinents.
B.7.2. La disposition entreprise retient à eet égard un critère objectif chiffré qui
est obtenu en rapprochant la moyenne du chiffre d'affaires et des produits financiers
comptabilisés au cours des exercices sociaux se rattachant aux trois périodes impo-
sables précédentes et Ja moyenne du montant total de l'actif figurant dans les
comptes annuels de ces exercices. Si Ie premier chiffre atteint les 5 p.c. du second,
la déduction des pertes antérieures est permise. Dans Ie cas contraire, elle est inter-
dite.
B.7.3. S'il est vrai que Ja loi fiscale vise en même temps des contribuables dont
les situations de revenus et d'avoirs sont diverses et qu'elle peut appréhender cette
diversité de situations en faisant usage de catégories générales, elle ne peut cepen-
dant, en voulant éviter les abus de certaines sociétés, atteindre d'autres sociétés aux-
quelles un tel reproche ne peut être fait. Or, en l'espèce, Ie critère retenu par Ie légis-
lateur permet sans doute de viser des sociétés qui sont en sommeil ; mais la disposi-
tion litigieuse atteint également des sociétés qui sont en développement ou qui, pour
des raisons propres à leur secteur d' activité, ont un actif important sans pouvoir réa-
liser Ie chiffre d'affaires prévu par cette disposition. Certes, Ie législateur a pris en
compte une certaine évolution dans Ie temps, puisqu'il se fonde sur les résultats se
rattachant aux trois périodes imposables précédentes. Ce correctif n'est cependant
pas suffisant pour les sociétés qui sont abusivement considérées comme étant << en
sommeil >>, par application d'un critère purement mathématique.
annule les articles 4, 2°, et 10, alinéa 3, de la loi du 4 avril 1995 portant des dispo-
sitions fiscales et financières.
( ... )
66 ELISABETH WILLEMART
Observations
LA COUR D'ARBITRAGE
ET L'ÉGALITÉ ENTRE LES CONTRIBUABLES
PAR
ELISABETH WILLEMART
La Cour d' arbitrage ne se laisse cependant pas enfermer dans une logique
trop rigoureuse lorsqu'il s'agit d'appliquer cette définition aux distinctions
opérées par la loi fiscale (3). Consciente des difficultés et des enjeux propres
à la matière, elle reconnaît au législateur fiscal une marge de mana.mvre
plus confortable qu'en d'autres domaines. La Cour veille à ne pas entraver
excessivement son action et limite l'intensité de son propre controle, que la
doctrine qualifie, de ce fait, de << marginal >>. La décision du 11 décembre
1996 mérite d'être située dans l'ensemble de la jurisprudence fiscale de la
Cour d'arbitrage et, en particulier, parmi les arrêts qui, comme la décision
commentée, concluent à l'inconstitutionnalité de la norme entreprise (4).
(3) Voy. S. VAN CROMBRUGGE, « De gelijkheid in het fiscaal recht>>, R. W., 1991-1992,
pp. 1203-1210; L. NEEFS, ,, De gelijkheid in het fiscaal recht,,, R. W., 1992-1993, pp. 30-33;
H. SIMONART et A. RASSON-ROLAND, « La jurisprudence de la Cour d'arbitrage », in Protection des
droits fondamentaux du contribuable (dir. R. ANDERSEN et J. MALHERBE), Bruxelles, Bruylant,
1993, pp. 5-40; E. CoLLA, « L'élaboration de la loi fiscale. La règle de l'égalité devant l'impöt
dans la jurisprudence de la Cour d'arbitrage •>, Act. dr., 1993, pp. 295-317; P. VAN ÜRSHOVEN,
« 'Inzake belastingen kunnen geen voorrechten worden ingevoerd'. Het gelijkheidsbeginsel in
belastingzaken», in Controverses actuelles dans la jurisprudence fi8cale, Diegem, Kluwer, 1994,
pp. l-23.
(4) Quatorze arrêts (neuf sur recours en annulation, un sur demande de suspension et quatre
sur question préjudicielle) ont déjà conduit à un constat d'inconstitutionnalité.
(5) F. DELPÉRÉE et A. RASSON-ROLAND, « La jurisprudence de la Cour d'arbitrage en 1995 >>,
op. cit., p. 383.
68 ELISABETH WILLEMART
le cas des taxes sur les jeux et paris, à propos desquelles la Cour d' arbitrage
relève << qu'à cöté de l'objectif budgétaire que peut poursuivre tout légis-
lateur dans l'exercice de sa compétence fiscale, le législateur décrétal a, en
l'espèce, voulu restreindre l'utilisation des appareils de la catégorie A, a,
dénommés 'Bingos' >> (6). Tel est également le cas des écotaxes et autres
taxes d'environnement qui << ont nécessairement pour conséquence de trai-
ter différemment ceux qui font le commerce d'objets dont la raréfaction est
poursuivie par le législateur >> (7).
A. - La souplesse du contróle
(15) Voy. !'arrêt n" 6/9.5, du 2 février 1995 : Je législateur a instauré un ,, privilège au sens de
l'artiele 172 », en accordant expressément, sans aucune justification, un traitement de faveur aux
redevables de l'écotaxe sur Ie papier, lorsqu'ils impriment des magazines.
(16) Voy. l'arrêt n" 64/915, du 13 septembre 1!)9,5, B.14 : en permettant à l'Exécutif de définir
lui-même les éléments constitutifs d'un impöt, la disposition en cause erée une différence de trai-
tement entre les redevables de eet impöt et !'ensemble des contribuables. ,, Une telle différence
de traitement n' est pas susceptible de trouver une justification, compte tenu de l' article 170 de
la Constitution, puisque cette disposition garantit, sans exception, à tout citoyen qu'il ne sera
pas soumis à une dette d'impöt sans que celui-ci ait été décidé par une assemblée démocratique-
ment élue 1>.
( 17) Arrêt 11° 74/95, du 9 novembre 1995, B.3.2.
(18) Arrêt 11° 34/94, du 26 avril 1!)94, B.3.3.
(19) Arrêt 11° 59/92, du 8 octobre 1992. B.4.12.
(20) Arrêts 11° 59/92, du 8 octobre 1!)92; 11° 34/94, du 26 avril 1994; n° 44/94 du 1 e,· juin
1994; 11° 74/95, du 9 novembre 1995; 11° 6/95, du 2 février 1995 et n° 64/95, du 13 septembre
1995.
(21) En ce sens, voy. J. DE ,JAGER, ,, Discriminatie in de Vlaamse afvalwaterheffingen,,,
Tijdschrift voor milieurecht, 1993, p. 40.
L'ÉGALITÉ ENTRE LES CONTRIBUABLES 71
Les critères à l' aune desquels s' apprécie Ie caractère objectif et raison-
nable d'une justification perdent, en matière fiscale, une part de leur signi-
fication.
L' objectivité des critères de distinction conduit rarement la Cour à décla-
rer que les catégories établies par la loi sont discriminatoires. Ce constat
n'est pas propre à la matière fiscale et n'est pas révélateur d'une prudence
particulière. Rares sont en effet les critères qui ne présentent pas, au moins,
l'objectivité formelle <lont se satisfait la Cour à ce stade.
(22) Arrêt n° 1/93, du 7 janvier 1993. B.1.4 et B.1.5 (précédé de !'arrêt n° 60/92, du 8 octobre
1992, accueillant la demande de suspension).
(23) Arrêt n° 89/94, du 14 décembre 1994, B.5.2.
(24) Arrêt n° 64/94, du 14 juillet 1994, 4.B.4.
(25) Arrêt n" 41/93, du 3 juin 199:3, B.:U.
72 ELISABETH WILLEMART
que << Ie législateur décrétal n'a pas recouru à des critères qui, même sous
Ie rapport de leur pertinence, soient dépourvus de toute justification >> (26).
B. - La précision du dispositif
(31) Arrêts n° 44/95, du 6 juin 1995; n° 75/95, du 9 novembre 1995 et n° 39/96, du 27 juin
1996.
(32) Sur les techniques d'arrêts de la Cour d'arbitrage, en général, voy. B. LoMBAERT, « Les
techniques d'arrêt de la Cour d'arbitrage », R.B.D.C., 1996, pp. 317-355.
(33) Arrêt n° 6/95, du 2 février 1995. Voy. égal. les arrêts n° 16/92, du 12 mars 1992; n° 59/
92, du 8 octobre 1992; n° 44/94, du l"' juin 1994; n° 64/95, du 13 septembre 1995.
(34) Arrêt n° 16/92, du 12 mars 1992. Voy. égal. les arrêts n° 34/91, du 21 novembre 1991 et
n" 59/92, du 8 octobre 1992.
74 ELISABETH WILLEMART
(3.5) Voy. les arrêts n° 60/92, du 8 octobre 1992 (suspension) et n° 1/93, du 7 janvier 1993
(annulation).
(36) Arrêts n° 44/95, du 6 juin 1995 et n° 75/95 du 9 novembre 1995.
(37) M. DASSESSE et P. MrnxE, Droit fiscal. Principes généraux et impóts sur les revenus,
3" éd., Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 661.
L'ÉGALITÉ ENTRE LES CONTRIBUABLES 75
taires ont justifié l'étalement des reports : les pertes sont intégralement et
indéfiniment reportables, mais Ie montant de la déduction est limité pour
chaque période imposable (38).
La loi du 4 avril 1995 << portant des dispositions fiscales et financières >>
modifie l' article 206 du Code des impöts sur les revenus. Elle supprime, à
partir de l'exercice 1998, toute limite temporelle ou quantitative à la récu-
pération des pertes antérieures (39). En revanche, certaines sociétés se
voient radicalement refuser cette déduction : << les pertes professionnelles
antérieures ne peuvent en aucun cas être déduites des revenus professionnels de
la période imposable ni d'aucune autre période imposable ultérieure, lorsque la
moyenne du chiffre d 'affaires et des produits financiers comptabilisés au cours
des exercices sociaux se rattachant aux trois périodes imposables représente
mains de 5 % de la moyenne du montant total de l'actif figurant dans les
comptes annuels de ces exercices >> (40).
(38) Sur les régimes successifs de déduction des pertes antérieures, voy. D. GARABEDIAN,
,, Développements récents à propos de la déduction des pertes antérieures des sociétés », R.G.F.,
1995, pp. 233 et s.
(39) Artic:le 4, 1°, de la loi du 4 avril 1995 portant des dispositions fiscales et financières.
(40) Article 4, 2°, de la loi du 4 avril 1995 précitée.
(41) Doe. parl., Sénat, sess. 1994-1995, n° 1304-2.
76 ELISABETH WILLEMART
(42) L'inadéquation du critère de distinction avait déjà été évoquée lors des travaux prépara-
toires de la loi du 4 avril 1995 (Doe. par/., Sénat, sess. 1994-1995, n° 1304-2) et dénoncée par les
fiscalistes. Voy. G. KLEYXEX, « Mesure réfléchie ou improvisation chargée d'émotivité et d'arbi-
traire ? La saga des pertes fiscales ,,, L 'Eclw, 21 mars 1995 ; « Une erreur législative à annuler au
plus töt par la Cour d' arbitrage. La Belgique condamne à mort les sociétés en phase d' expan-
sion », L'Echo, 18 avril 1995; M. ELOY, ,, La nouvelle réglementation des pertes fiscales, Un dou-
loureux réveil pour les sociétés dormantes ,,, L'Echo, 18 avril 199,5; X, « Sociétés mises en veil-
leuse : c·est Ie montant total qui se perd ,,, Le Fiscologue, avril 1995, n° 513, pp. l et s.
(43) Arrêts n° 44/94. du l"' juin 1994, B.3.7, et n° 80/93, du 9 novembre 1993. B.l.4.
L'ÉGALITÉ ENTRE LES CONTRIBUABLES 77
PAR
ANDRÉ ALEN
1. - LES PRINCIPES
CONSTITUTIONNELS GÉNÉRAUX
ticle 106 de la Constitution qui dispose qu'<< aucun acte du Roi ne peut avoir
d'effet, s'il n'est contresigné par un ministre qui, par cela seul, s'en rend res-
ponsable >>. Si l' on s'en tient littéralement aux term es de l' article 106 de la
Constitution, il semble que l'obligation qui y figure est limitée aux actes
écrits, mais la coutume constitutionnelle a largement étendu cette obliga-
tion : tout acte du Roi susceptible d' avoir une incidence politique directe ou
indirecte doit être couvert par un ministre. La règle constitutionnelle qui
veut que Ie Roi n'agisse jamais seul dans Ie domaine politique est absolue (4).
1.3. L'unité entre Ie Roi et Ie gouvernement ressort déjà de ce qui pré-
cède : l' acte du Roi au sens constitutionnel du terme naît du concours de
la volonté du ministre avec celle du Roi (5). Le colloque constitutionnel
entre Ie Roi et les ministres doit rester secret (<• Ie colloque secret >>) et la
part du Roi dans les décisions prises sous la responsabilité des ministres ne
peut être connue (6). C'est pourquoi Ie Conseil d'Etat exclut du débat toute
pièce qui pourrait faire apparaître cette part (7). Le gouvernement décide
librement et sous sa responsabilité politique s'il souhaite suivre d'éventuels
avis du Roi et comment. En tout cas, Ie gouvernement ne peut pas se pré-
valoir de l'avis du Roi; en effet, la règle constitutionnelle serait inversée si
l' on faisait couvrir les ministres par Ie Roi (8).
2. - LE CABINET DU Ror
2.2. Ces principes ont ensuite été repris par les constitutionnalistes, par
exemple André Mast (10), Jacques Velu (11) et Pierre Wigny (12).
André Molitor peut donc écrire, à juste titre, que les collaborateurs per-
sonnels du Roi n' ont pas de responsabilité devant Ie Parlement, mais
devant Ie Roi seul (13). Et, comme il est précisé in fine dans Ie rapport de
la Commission, les principes qui y sont énoncés sont également applicables
aux membres de la Maison militaire du Roi (14).
2.3. Nous retiendrons surtout de ce qui précède que les collaborateurs du
Roi:
a) sont des collaborateurs privés qui sont nommés librement par Ie Roi,
sans contreseing ministériel ;
b) ont pour mission d'informer Ie Roi et de se conformer à ses ordres ;
c) ne sont pas responsables devant Ie Parlement, mais uniquement à
l'égard du Roi.
(10) A. MAST, Overzicht 1Jan het Belgi8ch Grondwettelijk Recht, 9• éd., Bruxelles, Story-Scientia,
1987, p. 309, n° 255.
(11) ,J. VELD, Notes de droit public, vol. II, 2• éd., Bruxelles, P.lJ.B., 1977-1978, pp. 387-388,
n° 649.
(12) P. WIGNY, Droit constitutionnel, t. II, Bruxelles, Bruylant, 1952, pp. 580-581, n° 430.
(13) A. MoLJTOR, La fonction royale en Belgique, 2• éd., Bruxelles, CRISP, 1994, p. 135.
(14) Dans Ie même sens, voy. ibid., p. 152.
82 ANDRÉ ALEN
3. - L'IMPOSSIBILITÉ,
POUR UNE COMMISSION PARLEMENTAIRE,
D'INTERROGER DES COLLABORATEURS PERSONNELS DU ROI
À PROPOS DE DÉCISIONS POLITIQUES
PAR
JEAN-CLAUDE SCHOLSEM
seulement Ie droit mais aussi Ie devoir de se faire une opinion personnelles sur
les affaires qui lui sont soumises. A cette fin, Ie Roi doit être informé et éclairé.
S'il ne pouvait !'être que par ses Ministres, qui sont ses seuls conseillers respon-
sables, mais qui presque toujours, représentent une fraction de !'opinion publi-
que, la fonction royale risquerait d'être absorbée par la fonction ministérielle
et Ie Roi ne pourrait que difficilement remplir sa haute mission de conciliateur
des partis. C'est pourquoi Ie Roi doit pouvoir prendre !'avis de collaborateurs
privés, qui ne sont pas engagés dans les luttes politiques.
Les fonctions des collaborateurs privés du Roi, qu'ils appartiennent au Cabi-
net civil ou à la Maison militaire, sont d'origine coutumière. Le Cabinet du Roi
constitue un rouage éminemment utile au fonctionnement du régime, mais ses
membres n'ont aucun pouvoir propre ni aucune responsabilité dans I'Etat.
La nomination des membres du Cabinet du Roi ne se fait pas sous Ie contre-
seing ministériel et Ie Roi les nomme librement. Il faut cependant approuver
sans réserve la coutume qui laisse aux Ministres, discrètement consultés, la pos-
sibilité de faire connaître les raisons pour lesquelles telle nomination leur paraît
inopportune.
Le Cabinet du Roi a pour täche d'informer Ie Roi et de faciliter, selon ses
ordres, les contacts entre Ie Roi et les Ministres. Dans l'accomplissement de
cette mission, les membres du Cabinet du Roi doivent s'effacer et faire preuve
d'une discrétion absolue. lis abuseraient de leur qualité s'ils prétendaient avoir
une politique personnelle, s'ils s'arrogeaient Ie droit d'apprécier l'opportunité
des demandes d'audience adressées au Roi par les membres du Gouvernement
ou encore s'ils présentaient une opinion qui leur est personnelle comme étant
celle du Roi. Leur devoir de loyauté à l'égard des Ministres est absolu et il com-
mande les rapports qu'ils peuvent avoir avec les membres de l'opposition et
(4) Id.
(5) P. DE VrnscHER, ,, Le Cabinet du Roi ,,, Ann. dr. et 8C. pol., t. X. 1950, p. 170.
(6) ,'lfon. b., 6 août 1949, pp. 7589 et s.
COMMISSION PARLEMENTAIRE ET CABINET DU ROI 85
s'ils ont des contacts avec les fonctionnaires, ce ne sera que de l'assentiment
du Ministre intéressé.
Les fonctions des membres de la Maison militaire du Roi sont de la même
nature que celles de ses autres collaborateurs privés ; leur statut est Ie même
et ils sont tenus par les mêmes devoirs >>.
(7) C.E., 19 décembre 1951, Michielsen, n° l.222; C.E., 19 mai 1959, Meulemeester, n° 7.082.
(8) C.E., 8 juin 1961, Leloup, n° 8.649.
(9) J. VELD, Notes de droit public, U.L.B., éd. 1979-1980, vol. 2, pp. 414 et s.
(10) Sur la portée de cette formule, voy. F. DELPÉRÉE et B. DUPRET, << Nul ne peut découvrir
la couronne », Les Cahiers constitutionnels, 1989.
86 JEAN-CLAUDE SCHOLSEM
(ll) J. VELD,« Considérations sur les rapports entre les commissions d'enquête parlementaire
et Ie pouvoir judiciaire >►, J. T., 1993, pp. 585 et 590.
(12) Voy. A. ALES et F. MEERSOHAUT, « Beschouwingen omtrent het wezen van het parlemen-
tair onderzoeksrecht», in Liber Amicorum E. K ring.s, Bruxelles, Story-Scientia, 1991, pp. 10 et s.
( 13) Sur les différences entre les commissions d'enquête et les commissions parlementaires
ordinaires, voy. !'avis du Conseil d'Etat du 6 avril 1990, Doe. pai-l., Ch., s.o. 1989-1990, n° 860/2.
(14) Voy. not. la synthèse de G. TRAEST. Het recht van onderzoek van het Parlement, Adminis-
tratief Lexicon, 1979, pp. 2 et s.
COMMISSION PARLEMENTAIRE ET CABINET DU ROi 87
PAR
Dans un avis du 13 février 1990, Ie Conseil d'Etat définit les pouvoirs res-
pectifs des commissions d'enquête et des commissions parlementaires ordi-
naires, en ce qui concerne l' audition de témoins.
Les pouvoirs d'une commission d'enquête comportent << Ie droit de citer
des experts et des témoins, de les entendre et de les contraindre, Ie cas
échéant, à témoigner. Des sanctions sont prises en cas de refus ou d'omis-
sion de s'acquitter de ces devoirs >>.
Les commissions parlementaires ordinaires ne disposent pas de tels pou-
voirs. Elles << peuvent inviter et entendre certaines personnes, en raison de
leur expertise ou pour d'autres motifs, mais elles ne peuvent les contraindre
ni à comparaître, ni à prendre la parole. Elles ne peuvent pas, dès lors, leur
imposer Ie serment. Des sanctions pénales sont par conséquent nécessaire-
ment exclues •> (1).
La commission spéciale Rwanda ne dispose pas actuellement des pou-
voirs d'une commission d'enquête.
Le point 4 de la proposition du bureau, approuvée par Ie Sénat, confirme
ce point de vue : << Pour exercer sa mission, la commission interroge des per-
sonnes et organise des confrontations. Quand la procédure parlementaire
normale n'est pas suffisante, pour mieux atteindre ses objectifs, la commis-
sion spéciale peut, à la demande d'un tiers de ses membres, décider, à la
majorité de ses membres, de faire usage des compétences prévues à l'ar-
ticle 56 de la Constitution et dans la loi du 3 mai 1880 sur les enquêtes par-
lementaires •>.
(l) Avis du Conseil d'Etat, section de législation, du 13 février 1990 sur une proposition de
Ioi portant des mesures tendant à promouvoir l'exercice du droit d'enquête parlementaire (Doe.
pari., Ch., s.o. 1988-1989, n° 860/2, p. 14).
90 LE SÉNAT
(2) Avis du Conseil d'Etat, section de législation, du 3 octobre 1989 sur une proposition de
loi complétant la loi du 3 mai 1880 sur les enquêtes parlementaires (Doe. parl., Ch., s.o. 1988-
1989, p. 27).
(3) A. ALEN en F. MEERSSCHAUT, ,, Beschouwingen omtrent het wezen van het parlementair
onderzoeksrecht», in Liber Amicorum E. Krings, Bruxelles, Story-Scientia, 1991, p. 14.
(4) A ce propos, voy. J. VELU, « Considérations sur les rapports entre les commissions d'en-
quête parlementaire et Ie pouvoir judiciaire », J. T., 1993, p. 589.
92 LE SÉNAT
(5) F. DELPÉRÉE et B. DuPRET, << Nul ne peut découvrir la Couronne >>, Les Cahiers constitu-
tionnels, 1989, p. 14.
(6) Rapport de la Commission chargée d'émettre un avis motivé sur l'application des prin-
cipes constitutionnels relatifs à l'exercice des prérogatives du Roi et aux rapports des grands pou-
voirs constitutionnels entre eux, Mon. b., 6 août 1949, p. 7592.
(7) Article 37 de la Constitution.
(8) Article 106 de la Constitution.
(9) F. DELPÉRÉE et B. DUPRET, op. cit., p. 14.
CONVOQUER LES COLLABORATEURS DU ROi 93
LE DEVOIR DE SECRET
ET LES COLLABORATEURS DU ROi
Quant aux collaborateurs du Roi, ils sont tenus au même devoir de secret
que les ministres ou que tout autre interlocuteur du Roi. Cette obligation
s'impose avec d'autant plus de force que, par la nature même des fonctions
qu'ils exercent, ils sont les témoins privilégiés du colloque singulier du Sou-
verain. Devant bénéficier de la confiance totale du Roi, ils sont choisis par
ce dernier en raison de leurs qualités d'indépendance et de discrétion abso-
lues.
Et l' auteur de tirer cette importante conclusion pour notre propos << A
la vérité, les membres de la Maison du Roi, à leur niveau et à leur place,
connaissent dans l' exercice de leur fonction une situation analogue à celle
qui est imposée au Roi lui-même (... ) >>.
<< Tout ceci entraîne pour les intéressés un devoir particulier de réserve et
n' ont pas officiellement d' existence prop re, que leur röle est de 'gérer' la
fonction royale, comme le disait un sociologue belge, mais en faisant tout
remonter vers le Roi. Ils doivent savoir que par un phénomène de transfert,
on attribuera au Roi tout ce qu'ils diront ou feront à l'extérieur: d'ou pru-
dence nécessaire dans les propos et les initiatives (... ) >>.
<< Il est de règle que les membres de la maison ne prennent pas la parole
les propos mêmes privés et officieux. Il ne siérait pas qu'un dignitaire criti-
que (... ) l'action du gouvernement qui a la confiance du Roi et des
Chambres, ou tiennent des propos dont le contenu ou l'orientation pour-
raient être attribués au Roi >> (16).
Le caractère tout à fait privé et officieux du personnel attaché au Palais,
les liens de loyauté et de fidélité qui unissent les collaborateurs au Roi, le
fait qu'ils ne répondent que <levant le Roi seul, les obligations particulières
de discrétion et d' effacement qui leur interdisent d' exprimer une opinion en
public et en privé, tout cela conduit à opérer, pour reprendre l'expression
d' André Molitor, un << transfert >> par lequel on attribuera au Roi tout ce
qu'ils diront à l'extérieur. Le Roi et ses collaborateurs sont si étroitement
associés que le même auteur n'hésite pas à conclure que << les membres de
la Maison du Roi, à leur niveau et à leur place, connaissent dans l'exercice
de leur fonction une situation analogue à celle qui est imposée au Roi lui-
même >>. Ou encore, pour reprendre l'expression du professeur Delpérée,
<< mettre en cause les collaborateurs immédiats du Roi, ( ... ) c'est mettre en
RECENSIONS BIBLIOGRAPHIQUES
nière rubrique, elle est conçue comme un Dans Ie prolongement, les auteurs consa-
outil de travail et de référence, notam- crent la troisième partie aux restrictions
ment sur Ie plan bibliographique. qui peuvent, ou ne peuvent pas, être
On trouve, dans ce premier numéro, apportées à ces droits. La quatrième
entre autres choses, des articles de Jac- partie décrit la procédure devant les
ques Robert (<< Le Conseil constitutionnel organes juridictionnels de Strasbourg.
en Europe >>), de Noëlle Lenoir (<< Le nou- La cinquième et dernière partie contient,
vel ordre constitutionnel en Afrique du pour !'essentie!, quelques réflexions pros-
Sud •>), de Georges Vedel (<< Excès de pectives sur les questions relatives à
pouvoir administratif et excès de pou- l'extension des droits protégés, à l'aug-
voir législatif >>) et de Oliver Schrameck mentation des parties contractantes, aux
(<< Le Conseil constitutionnel et l'Univer- relations avec l'Union européenne et à la
sité •>). Ce même numéro comprend éga- réforme de la procédure de controle.
lement un dossier sur la Cour de la Fédé- La consultation de l'ouvrage est facili-
ration de Russie. tée par la présence d'un index détaillé,
Cette nouvelle revue est semestrielle. ainsi que de plusieurs tables répertoriant
les arrêts, les décisions, les traités, les
M.V. documents ou encore les lois citées dans
les différentes parties. On y trouve éga-
*
lement un tableau de l'état des ratifica-
* * tions, tant de la Convention que de ses
protocoles additionnels, et la version
Droits de l'homme intégrale de ces textes.
Francis G. Jacobs and Robin Une contribution supplémentaire sur
C.A. White, The European Convention on un texte considéré d'ores et déjà comme
Human Rights, 2e éd., Oxford, Clarendon << un chapitre d'une Constitution euro-
Press, 1996, 469 pp. péenne en voie de développement •> •••
En 1975, Francis G. Jacobs et Robin M.V.
C.A. White avaient publié la première
édition d'un ouvrage qui deviendra vite *
un classique de la littérature anglo- * *
saxone dans Ie domaine de la protection
internationale des droits de l'homme. Minorités
Les auteurs - qui sont respectivement
avocat général à la Cour de justice des Susanna Mancini, Minoranze autoctone
Communautés européennes et professeur e Stato - Tra composizione dei conjlitti e
à l'Université de Leicester - viennent seccessione, Milano, Giuffrè, Seminario
de mettre la dernière main à la seconde giuridico della Università di Bologna,
édition de eet ouvrage. 1996, 310 pp.
Celui-ci comprend cinq parties. La Fruit d'une réflexion approfondie qui
première partie rappelle les origines his- a coûté à son auteur près de cinq années
toriques, les objectifs et les principes de travail, l'ouvrage - écrit en ita-
d'interprétation de la Convention euro- lien - se donne pour objectif de présen-
péenne des droits de l'homme. La ter !'ensemble des questions que pose
deuxième partie - quantitativement la aujourd'hui la résurgence du phénomène
plus substantielle - étudie les différents ethnique dans les Etats démocratiques,
droits conventionnellement protégés. en empruntant, outre la perspective du
100 RECENSIONS BIBLIOGRAPHIQUES
que des Centres publics d'aide sociale du L'ouvrage qu'il a sorti dans la célèbre
8 juillet 1976. collection de la Faculté de droit de
L'ouvrage s'adresse aussi bien aux l'Université Catholique de Louvain - il
juristes qu'aux praticiens du droit com- s' adresse donc au premier chef à un
munal et de !'aide sociale. Suivant la public d'étudiants - entend précisé-
méthode du commentaire article par ment tracer Ie cadre institutionnel (et
article, les auteurs exposent sans détours non à proprement parler Ie cadre maté-
les justifications, la signification et les riel) du plus important des volets com-
implications concrètes de chaque disposi- posant Ie triptyque communautaire.
tion, à la lumière des circulaires ministé- Trois morceaux composent ce travail.
rielles et de la jurisprudence du Conseil Dans un premier temps, l' auteur entend
d'Etat. poser un certain nombre de jalons, tan-
Le caractère didactique de l'ouvrage töt généraux, tantöt plus techniques,
séduira Ie lecteur qui souhaite se forger mais qui tous ont la valeur de prolégo-
une vision globale de la matière. Son mènes et sont donc indispensables à l'in-
cöté pratique plaira à l'utilisateur qui telligence du livre : les objectifs de l'inté-
cherche ponctuellement une réponse aux gration européenne, l'ordre juridique
questions auxquelles il est confronté. Ces communautaire, Ie champ d'application
nombreuses références seront utiles à spatio-temporel du droit communau-
ceux qui désirent approfondir une taire, etc. Dans un deuxième temps, il
recherche en rapport avec !'aide sociale. s' agit de brosser un tableau des diffé-
rentes institutions communautaires
E. Willemart (politiques, juridictionnelles, financières,
consultatives), en définissant leur com-
* position, leur fonctionnement, leurs com-
* * pétences et leurs pouvoirs. Enfin, dans
un troisième temps, c'est Ie droit com-
munautaire proprement dit en tant
Institutions européennes
qu' appareil normatif qui est décrit,
Joe Verhoeven, Droit de la Commu- depuis l'identification et la classification
nauté européenne, Bruxelles, Larcier, des sources jusqu' à leur interprétation
Précis de la Faculté de droit de l'Univer- jurisprudentielle. Les délicats problèmes
sité Catholique de Louvain, 1996, des responsabilités et des sanctions sont
448 pp. ici abordés.
* *
Les Publications des Facultés univer- La collection << La pensée juridique >>,
sitaires Saint-Louis ont sorti, sous la que dirigent Jacques Lenoble et Michel
direction de Philippe Gérard, François Troper, est enrichie aujourd'hui d'un
Ost et Michel van de Kerchove, un volume reprenant la traduction française
ouvrage intitulé Droit négocié, droit (par B. Laroche et V. Faure) de deux
imposé? (Bruxelles, 1996, 703 pp.). L'ou- textes de Hans Kelsen, à savoir La doc-
vrage est articulé autour de trois pers- trine du droit naturel et le positivisme
pectives : la théorie et la philosophie du juridique et, surtout, Théorie générale du
droit, les sciences sociales et Ie droit droit et de l'Etat, qui est une des amvres
positif. Entre autres choses, on relèvera majeures du juriste autrichien
les contributions de Hugues Dumont (Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J.,
RECENSIONS BIBLIOGRAPHIQUES 105
1997, 518 pp.). L'ouvrage s'ouvre sur 5° éd., Paris, Montchrestien, 1996,
une introduction de Stanley L. Paulson. 477 pp.
Dans la même collection, on signale la - Arnaud Martin, Le président des
parution d'un ouvrage de Uberto Scar- assemblées parlementaires sous la V' Ré-
pelli intitulé : Qu 'est-ce que le positivisme publique, préface de Dimitri Georges
juridique ? (préface de Letizia Gianfor- Lavroff, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothè-
maggio, Bruxelles, Bruylant, Paris, que constitutionnelle et de science politi-
L.G.D.J., 1996, 107 pp.). La traduction que (t. 83), 1996, 632 pp.
a été assurée par C. Clavreul. - La Corte di cassazione nell' ordina-
mento democratico, Actes d'un colloque
* tenu à Rome Ie 14 février 1995, Milano,
Giuffrè, 1996, 311 pp.
Nicole Tortello, avocat, et Pascal - Elias Kastanas, Unité et diversité :
Lointier, consultant en sécurité informa- rwtions autonomes et marge d 'appréciation
tique, ont publié un ouvrage intitulé des Etats dans la jurisprudence de la Cour
Internet pour les juristes (Paris, Dalloz, européenne des droits de l'homme, avant-
1996, 331 pp.). Guide de connexion et propos de Franz Matscher et préface de
ouvrage de réflexion sur le droit du Giorgio Malinverni, Bruxelles, Bruylant,
<• réseau des réseaux >>, ce livre entend coll. Organisation internationale et rela-
répondre à la fois aux questions prati- tions internationales, 1996, 480 pp.
ques et aux interrogations théoriques
- Dimitris Triantafyllou, Des compé-
suscitées par Internet. Il s'adresse à !'en-
tences d 'attribution au domaine de la
semble des professionnels du droit : avo- I
loi - Etude sur les fondements juridiques
cats, magistrats, notaires, greffiers, uni-
de l 'activité administrative communau-
versitaires ou encore juristes d'entre-
taire, préface de J.P. Jacqué, Bruxelles,
prise.
Bruylant, 1997, 432 pp.
- Luigi Matteo Bonavolontà, 1 ser-
* vizi di cancelleria - Guida teorico-pratica
per gli operatori giudiziari, Milano,
Nous tenons également à signaler les
Giuffrè, Cosa et Come, 1997, 453 pp.
publications suivantes :
- Michel Troper et Françoise
- Henry Roussillon, Le Conseil
Michaut (dir.), L'enseignement de la phi-
constitutionnel, 3• éd., Paris, Dalloz, coll.
losophie du droit, Actes du colloque
Connaissance du droit, 1996, 145 pp. . international organisé à Paris Ie 1°' juil-
~·······-··
- Yves Mény, Politique comparée - let 1994, Bruxelles, Bruylant, Paris,
Les démocraties ( Allemagne, Etats-Unis, L.G.D.J., coll. La pensée juridique,
France, Grande-BretO{Jne et ]talie), 1997, 170pp.
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