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Voici une nouvelle édition de votre revue électronique de L’ADOQ pour l’année 2015
sous le thème Les fractions réinventées! Cette édition spéciale élaborée par Mme
Nathalie Bisaillon et M. Michel Lyons est une référence pour soutenir les
interventions des orthopédagogues en mathématiques. Ainsi, cette revue se veut
avant tout un outil pour vous permettre de planifier des interventions
orthopédagogiques efficaces basées sur les besoins de vos apprenants.
Depuis plusieurs années, Mme Bisaillon et M. Lyons ont à cœur de développer des
pistes d’actions orthopédagogiques et font preuve d’une grande générosité en
partageant leurs connaissances avec les orthopédagogues. Aussi, le conseil
d’administration tient à remercier chaleureusement Mme Bisaillon et M. Lyons pour
leur extraordinaire collaboration et leur précieuse implication dans ce projet
d’envergure.
Bonne lecture!
La didactique du menuisier
Section 4 : Activités-clés
RÉINVENTER LES FRACTIONS
Par Nathalie Bisaillon et Michel Lyons
La didactique du menuisier
Intrigué par la capacité du vieux menuisier peu instruit à utiliser les fractions du système
impérial de mesure, dans son métier, l’étudiant en mathématiques le questionne.
« Vous utilisez sûrement la mise au dénominateur commun!?
– La mise au quoi!? Non, non!!
– Alors, comment pouvez-vous calculer les fractions de pouce, sans ce procédé
mathématique fondamental!?
– Écoute ben, le collégien. Moi, durant mes six années
d’école, j’ai jamais pigé les maths. Sauf que pour bâtir
un escalier ou réparer un mur, j’ai pas mon égal. Vois-tu,
j’utilise ma jugeote. Pas de temps à perdre avec tes
simagrées de do… minateur!!
– D’accord, mais comment pouvez-vous donc calculer
sans dénominateur commun, disons, l’épaisseur exacte
d’un contreplaqué de cinq huitièmes de pouce recouvert
d’un panneau de gypse de trois quarts de pouce!?
– Cinq huit pis trois quarts! ? Facile! ! Cinq huit, c’est la
moitié plus un huit. Trois quarts avec la moitié de c’te
moitié-là, ça fait un pouce. Jusque-là, tu me suis!?
– Euh… vous voulez dire que…
– Reste l’autre moitié de la moitié plus un huit, ça
donne… un pouce et trois-huit. Rien qu’à voir, on voit
ben!! Ensuite, pense à un pouce et demi faible, enlève le
trait de scie pis tu vas tomber drette dans le mille. Bon,
laisse-moi travailler, le jeune. Sinon ton mur d’escalier va
pas se réparer tout seul!!
Fig. 1 Rien qu’à voir, on voit bien!
Ce jour là, quand l’étudiant assista à son cours, il ne
voyait déjà plus les maths tout à fait de la même manière.
La veille, il admirait le génie des savants du Moyen Âge pour avoir inventé le procédé
algébrique d’addition de fractions. Après la leçon du vieux menuisier, il se disait que des
humains possédant des connaissances modestes, mais plus pratiques que les savants
mathématiciens avaient peut-être résolu le même problème,
bien avant l’algèbre et simplement de façon visuelle. « En
utilisant leur jugeote », comme disait le vieux menuisier!! Plus
tard, quand l’étudiant se pencha sur l’étude du théorème de
Pythagore, il se demanda s’il n’en était pas ainsi de tout le
génial édifice théorique mathématique qu’il admirait tant.
Questionnant désormais ses propres certitudes, il se
demanda ce que les menuisiers de l’Antiquité pourraient bien
lui enseigner à ce sujet. Songeur, il murmura : « a2 + b2 est
La corde à 13 nœuds
égal à c2… Rien qu’à voir… Hum, peut-être bien!! »
u =
le 2 ÷ 2 10
1 =x
it2 la for×m1 1) 2 + 3 = 5
le xS÷o 5/10 et non 5/5? »
2
5 5 10 X
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3 × 4 =e 2Dqouite-ocneladédeusirt s la « vraie » vie?
C
Soit l’opération C
C
déduir addition a?
» vdie
aieble n
Doit-on est une
a) Si la multiplication
a n s ap«pvlircarépétée,
la À quoi servent les fractions?
le d
a plicab (1/2) est-il plus petit que
pourquoi leprésultat
a) Trouvez au moins 5 situations
chacun des facteurs (2/3 et 3/4) ?
b) Pourquoi ne trouve-t-on pas un dénominateur qui permettront à l’élève de
commun, comme pour l’addition « ordinaire » ? réinvestir les fractions dans
son cheminement scolaire.
b) Ajoutez au moins 5 occasions
pratico-pratiques différentes
Soit la formule x ÷ 12 = x × 21 = 2x de les utiliser dans la vie de
tous les jours.
Considérons le cas x = 1 $ !
Assurez-vous que ces dix
1 applications soient les plus
On obtient donc 1 $ ÷ 2 =2$
variées et accessibles possible
Cette formule s’applique-t-elle pour des élèves du 3e cycle du
vraiment dans la « vraie » vie ? primaire.
Éléments de réflexion
Q1 Aucune de ces représentations de 1/4 ne montre « 1 part sur 4 parts égales ».
a) Pour une majorité d’élèves, prolonger le segment ouvert change la fraction de 1/3 à 1/4.
b) Près de 60 % des élèves de 11 à 14 ans que nous avons évalués répondent 1/5.
c) Ces parts triangulaires ne sont pas « égales ». Pourtant chacune représente bien 1/4.
Q2 La note qui est donnée à chaque numéro du test est bel et bien une fraction (d’ensemble).
Q3 a) L’explication trouvée donne-t-elle du sens à -2 × -3!? Et pour a × b = c, le cas général!?
b) L’explication logique dépend directement de celle donnée en a).
Q4 La réponse est oui. Des exemples pratiques surviennent à l’épicerie. Et même à vélo…
Q5 a) Ces applications montrent que des difficultés à comprendre les fractions entraînent des
conséquences fatales dans la poursuite des apprentissages scolaires des élèves.
b) Ne pas trouver d’applications convaincantes condamne l’élève à devoir comprendre…
plus tard!! L’expérience montre que cela n’arrive malheureusement que très rarement.
1 Dans le cadre de la didactique actuelle en mathématiques, nous considérons que les élèves n’ont aucune chance
de répondre à ce type de question. C’est pourquoi nous les adressons à des adultes instruits, qu’ils soient ou non
impliqués dans l’enseignement des mathématiques. Les milliers de profs et de parents auxquels nous avons
déjà posé ces questions nous ont aidé à établir la normalité recherchée ici, puisqu’ils avaient certainement
eu tout le temps d’intégrer leur apprentissage scolaire des fractions à leurs expériences de vie.
1.3 Est-il devenu NORMAL de ne pas comprendre!?
Les questions de la page précédente font appel au raisonnement et à la
compréhension des fractions. Pour distinguer ces deux processus cérébraux de
l’efficacité, que nous avons définie précédemment, disons d’abord qu’on vise ici les
plus hauts niveaux d’abstraction de la pensée mathématique. L’abstraction analogique
est le mécanisme cognitif qui se trouve au cœur même de la compréhension [6].
L’abstraction logique permet le déploiement du raisonnement [7]. Le tableau suivant
résume le rôle de ces deux modes complémentaires d’abstraction dans le domaine
spécifique de l’apprentissage de l’arithmétique sur les nombres rationnels.
Établir des liens de pertinence ou d’utilité entre Organiser des idées objectives permettant de
les différentes manifestations du concept et la percevoir les structures régulières ou de tirer
réalité. Donner du sens. des conclusions irréfutables. Expliquer.
Exemples : Trouver des applications pratiques Exemples : Soit 2/3 et 3/4. Pourquoi un
pour 1 $ ÷ 1/2 = 2 $ ou 2/3 × 3/4 = 1/2. dénominateur commun avec + et pas avec × ?
La compréhension est une activité cérébrale Le raisonnement est une activité cérébrale
sollicitant surtout les aires visuelles. sollicitant surtout les aires du langage.
Comprendre, c’est VOIR. Raisonner, c’est CONVAINCRE.
Les questions 4 et 5 qui ont été posées à la page précédente sont associées à la
compréhension! ; les questions 1 à 3 sollicitent le raisonnement. De toutes les raisons
qui peuvent expliquer pourquoi la majorité des adultes instruits n’arrivent que très
rarement à des réponses satisfaisantes, la plus probante est l’absence d’opportunité
d’apprendre. En clair, on peut apprendre les fractions à tous les niveaux scolaires
sans nécessairement devoir les associer à la réalité de manière convaincante et sans
devoir expliquer le pourquoi de ses procédés techniques. On peut être efficace avec
les fractions sans savoir à quoi elles servent ni pourquoi ça marche! ! L’opportunité
d’apprendre peut être abondamment centrée sur la mémorisation et les procédés
techniques, laissant peu ou pas de place à la compréhension et au raisonnement.
Bien que définir la normalité est plus compliqué que cela en ait l’air, nous proposons ce
critère assez consensuel : quand une imposante majorité d’adultes instruits
n’arrive pas à réaliser une performance de niveau élémentaire, ne pas savoir
devient la normalité. Ainsi, nous ne craignons pas d’affirmer que
Nous profiterons évidemment de la suite du document pour revenir sur toutes les
interrogations soulevées dans le présent chapitre et pour proposer une approche
éprouvée, afin de redonner aux élèves l’opportunité d’apprendre, en sollicitant la
compréhension et le raisonnement authentiques sans pour autant négliger de
valoriser l’efficacité nécessaire à une saine réussite dans l’univers des fractions.
Section 2 : Pourquoi tant de difficultés?
L’effet Buckley
Il est difficile de ne pas inclure dans la présente liste une posture souvent rencontrée
qui tend à rendre quasi acceptable le malaise mathématique, en général, ou même à
lui accorder une contribution essentielle à la formation intellectuelle. Il y a quelques
années, une campagne publicitaire plutôt réussie faisait la promotion d’un sirop pour la
toux au goût particulièrement désagréable avec ce slogan-choc : « Ça goûte mauvais
et ça marche! ! » Prétendre que le malaise ressenti à la suite d’un apprentissage sans
liens avec la réalité et porteur d’une logique algorithmique rendue inaccessible aurait
un quelconque effet positif sur le développement cognitif constitue le plus fallacieux
des faux-fuyants et nous déplorons tout refus de considérer l’intelligence des enfants
comme terreau indispensable à leurs apprentissages. Ne pas comprendre et ne pas
savoir pourquoi ne « marche » pas du tout pour les fractions! ! Il y a trop d’élèves
normaux mystifiés par ce sujet et trop d’adultes instruits qui n’y comprennent rien pour
accorder le moindre mérite formateur à ce « cauchemar », à cet « échec lamentable ».
Quand une majorité d’élèves décroche, quand la plupart des adultes instruits ne
comprennent toujours pas, quand une majorité de profs avouent leur propre inconfort,
quand beaucoup de chercheurs ne trouvent pas et que ne pas comprendre est devenu
normal, il faut réfléchir mieux pour traquer les causes du malaise.
La dyscalculie
Plusieurs personnes seront surprises d’apprendre que la dyscalculie est une maladie
mentale. Aussi nommée trouble du calcul, même si la dyscalculie a fait son apparition
dans le DSM [14] et nous considérons ses critères diagnostics comme « scientifiquement
infondés » [15]! ! Il faut dire que la publication récente de la nouvelle édition du DSM fait
l’objet de l’une des plus importantes controverses dans l’histoire de la psychiatrie
moderne. Les deux principaux dénonciateurs des abus du DSM étant Robert Spitzer,
illustre réformateur du diagnostic et grand architecte du DSM 3, et Allen Frances, le
très influent psychiatre américain qui a présidé le comité rédacteur du DSM 4. Nous ne
souhaitons pas exposer ici notre argumentation contre le recours à une maladie aux
allures chamaniques pour justifier le malaise fractionnaire pas plus que les autres
difficultés en mathématiques. Nous nous contenterons simplement d’une citation chère
à Spitzer et reformulée dans des termes très articulés par Frances [16].
« À quoi leur sert d’avoir des noms, demanda le Moucheron, s’ils ne répondent pas
à ces noms! ? — À eux, ça ne leur sert à rien, dit Alice, mais c’est utile, je le
suppose, aux gens qui les nomment. Sinon, pourquoi les choses auraient-elles
des noms!? » [Alice au pays des merveilles]
2.2 Obstacles à l’apprentissage des fractions
Au moment de chercher à mieux cerner le malaise fractionnaire, on serait porté à croire
que l’inventeur de la théorie de la relativité a émis l’opinion suivante pour nous avertir :
« La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est
quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie
et pratique : rien ne fonctionne... et personne ne sait pourquoi!! » [Albert Einstein]
Affirmons d’abord notre conviction que la grande majorité des élèves peuvent
comprendre les fractions. Nous sommes cependant conscients que des conditions
adverses peuvent entraver cet apprentissage et pour les décrire, nous adhérons à la
vision rafraîchissante de Brousseau [17] quant au rôle joué par trois types d’obstacles :
« […] nous allons nous intéresser à d’autres causes, celles qui résideraient dans le
rapport de l’élève au savoir et aux situations didactiques et non plus dans celles qui
seraient liées à ses aptitudes ou à d’autres caractéristiques. […] Mettre en cause
l’élève, uniquement l’élève, me paraît une attitude analogue (aussi vaine) que celle
qui chercherait à expliquer pourquoi l’eau fuit d’un seau percé en analysant les
différences de qualité entre l’eau qui est sortie et celle qui est restée, comme si les
raisons de la fuite résidaient dans des qualités propres à l’eau. » [18]
2.2.1 Obstacles posés par le concept mathématique de fraction lui-même2
La fraction est un concept multiforme, un véritable monstre polycéphale. En donner
une définition [19] correcte pose un premier obstacle qui ressemble à combattre une
hydre impitoyable. Pour bien saisir les risques encourus, voyons ce q u e la
fraction 2/3 évoque spontanément, dans notre esprit. Faisons Opérateur
Partition
maintenant le même exercice mental avec la fraction 7/4.
Bien que ces deux fractions soient assimilables au cas Quotient
général a/b, il arrive très souvent qu’elles soient Proportion
attribuées à des têtes différentes de l’hydre fractionnaire. Rapport
La représentation la plus souvent évoquée pour 2/3 par
l’adulte instruit est une partition de tarte. Imaginons, par
exemple, le prélèvement de 2 morceaux d’une tarte Mesure
subdivisée en 3 parts égales. La fraction 7/4 est quant à elle
généralement associée à un quotient donnant lieu à un
nombre fractionnaire, soit 7 ÷ 4 = 1 3/4.
Ces associations n’ont cependant rien d’obligatoire et ne reposent sur aucune base
mathématique absolue. À l’inverse, il serait parfaitement correct de se représenter 2/3
comme le quotient 2 ÷ 3 (imaginons 2 tartes partagées entre 3 personnes) et 7/4
comme une partition du type 7 × 1/4 (imaginons quelques tartes subdivisées en 4 parts
égales et prélevons ensuite 7 morceaux, ce qui représente une tarte et trois-quarts).
Pour l’architecte, ces deux fractions pourraient cependant évoquer une tout autre idée,
soit celle du rapport associé au calcul d’échelle. Dans ce cas, 2/3 représente une
réduction et 7/4 évoque un agrandissement. Traditionnellement, l’école primaire
propose d’abord la définition de partition. Après une, deux et parfois même trois
années de partitions guillerettes, les cas du type 7/4 (fractions impropres) surgissent
obligeant l’élève à affronter une autre tête de l’hydre sournoise. De nombreux auteurs
parlent ici de rupture. D’autres ruptures suivront, avec la rencontre des nouvelles têtes
de l’hydre. Établir une définition valide de la fraction qui soit adaptée aux jeunes élèves
est un combat perdu d’avance. Si on choisit une manifestation plus simple, les autres
têtes de l’hydre nous dévoreront tôt ou tard. Si on définit la bête dans sa globalité, la
définition devient abstraite, déconnectée de toute représentation visuelle et tout
simplement inaccessible pour les élèves. Le choix de LA définition de fraction
ordinaire destinée à de jeunes cerveaux crée un obstacle monstrueux.
2 Brousseau qualifie ces obstacles conceptuels d’épistémologiques, c’est-à-dire qu’il relèvent de la théorie de la
connaissance particulière au sujet ou, dans le cas qui nous intéresse, de l’arithmétique des nombres rationnels.
La nature multiplicative du concept de fraction pose un deuxième obstacle
épistémologique considérable. Dans le Dictionnaire de mathématiques élémentaires,
la fraction est présentée comme un nombre « à deux étages » [20].
Cette analogie lumineuse traduit clairement l’idée de la nature
différente de nombres comme 2/3 ou 7/4, comparés à 6 ou -5. La Nature additive
fraction s’exprime par un rapport de division entre deux quantités, 3
soit ici 2 par rapport à 3 ou 7 par rapport à 4. Cela ajoute alors une
Nature multiplicative
nouvelle dimension au nombre entier et on dira que le concept de
fraction est de nature multiplicative. Pour illustrer cette différence,
considérons la mesure de l’étendue d’un segment qui s’exprime par 2
une seule valeur (voir le cas 3 cm, à droite), tandis que pour obtenir
l’étendue d’un rectangle, il en faut deux, longueur PAR largeur. Le
rapport 2/3 exprime bien les proportions du rectangle ci-contre, une 3
autre façon de révéler la double dimension de la fraction. Tout
comme le rectangle, la fraction est bidimensionnelle. La nature d’abord additive, puis
multiplicative de la représentation des nombres a aussi laissé des traces d’une lente
évolution dans l’histoire des numérations [21]. Enfin, constatons que, à sa face même, la
fraction ordinaire est exprimée par une opération de division non effectuée, puisque sa
notation y recourt explicitement. En effet, a/b est un parfait synonyme de a ÷ b,
consacrant l’obstacle permanent de la présence sous-jacente et parfois sournoise
de la dimension multiplicative dans la nature même du nombre rationnel.
Puisque la fraction exprime un rapport de division par sa structure symbolique, il n’est
pas inutile de soulever un deuxième obstacle posé
par le concept d’équivalence qui gouverne l’idée
de rapport proportionnel. En numération sur les
nombres entiers, l’équivalence permet de décomposer
des nombres tout en considérant que ce type de
changement ne change… rien! ! Ainsi, 1 centaine +
3 unités et 9 dizaines + 13 unités sont des visages
différents de 103, mais ils sont égaux à cause de
l’utilisation de l’équivalence entre les diverses unités
ou positions du système de numération. Avec les
fractions, la présence de l’équivalence est
omniprésente et le rôle qu’elle joue est une source de
difficulté conceptuelle prévisible, notamment dans la
compréhension du rôle joué par les fractions
équivalentes. En guise d’exemple, au moment
d’additionner 3/4 + 5/8, on pourrait dire que 3/4 n’est
pas la meilleure représentation de cette fraction,
compte tenu de l’opération à faire. Il suffirait
cependant d’adopter la représentation équivalente 6/8
pour lever la difficulté et ainsi transformer une addition
« difficile » en une autre, beaucoup plus simple3.
L’idée élémentaire de changer sans rien changer
peut devenir un obstacle dans plusieurs chapitres de
l’arithmétique fractionnaire, notamment en addition, en
soustraction ou pour établir une comparaison ou une
mise en ordre (voir ci-contre) de plusieurs fractions.
3 Voir les étapes 3 et 4 dans la Revue de l’ADOQ, Les incontournables du nombre, publiée en novembre 2011.
Le dernier obstacle conceptuel que nous désirons souligner à gros traits est posé par
la structure inclusive des ensembles de nombres véhiculant l’idée
fondamentale d’extension [22]. L’extension dans les nombres réels est
R
illustrée ci-contre au moyen d’ensembles emboîtés. À partir des nombres
Q
naturels N = {0, 1, 2, 3…}, une première extension conduit aux entiers
relatifs Z = { …-2, -1, 0, 1, 2…}. Ce nouvel ensemble recouvre aussi bien Z N
les « nouveaux nombres négatifs » que l’ensemble de départ des nombres
a × c = a×c
naturels. L’ensemble des nombres rationnels Q b est
d une
b × d autre extension
appliquée cette fois à partir de Z. Tout nombre qui peut s’écrire sous la forme a/b avec
a et b dans Z et b ≠ 0 est un nombre rationnel, soit un « nouveau nombre » à deux
étages. Cela signifie que -3/1, 0/1, 4/1 (c’est-à-dire les nombres -3, 0 et 4) s’intègrent
dans Q, par extension en devenant des fractions et donc eux aussi des nombres à
deux étages! ! 4 L’obstacle conceptuel colossal posé par l’arrivée des fractions consiste
non pas à rencontrer de nouveaux nombres, mais plutôt à y raccrocher ceux déjà
connus, avec toutes leurs opérations. Car, si Q introduit bien de nouveaux nombres,
les opérations de l’arithmétique sur les entiers (+, –, × et ÷) se présentent dans Q sous
le même nom et sous le même visage symbolique que dans N. Les quatre opérations
vont désormais s’appliquer à tous les nombres rationnels, incluant ceux issus de N ou
de Z devenus des sous-ensembles de Q. Ajoutons finalement que l’algèbre élèvera au
maximum l’obstacle de l’extension en appliquant les opérations de base à tous les
nombres réels R . Pour mesurer l’immensité de l’obstacle
d’extension, observons à droite la définition algébrique
Samedi, 17 octobre 2015 de la a c = a×c
multiplication dans Q. Cette formule s’applique aussi dans N et b × d b×d
dans Z quand b = d = 1. Cependant, en sens inverse, l’addition
répétée définie dans N ne peut pas être étendue dans Q, un constat normalement
déjà fait à la question 3 de la Section 1! ! L’extension ne fonctionne d’ailleurs pas plus
vers Z (par exemple avec -2 × -3 = +6, un cas mystifiant, pour l’addition répétée!!) que
vers R (par exemple pour ∏ × ∏, un cas impossible à justifier par la répétition).
L’obstacle de l’extension devient ainsi indissociable du choix éventuel des
définitions visant à « présenter » la multiplication ou la division aux élèves.
4 Voir la métaphore que nous proposons au sujet de cette extension, en page couverture du présent document.
5 Brousseau les décrit comme des obstacles d’origine ontogénique, c’est-à-dire qui surviennent à cause des limites
du développement de l’enfant, de son âge, de sa culture ou d’autres facteurs essentiellement individuels.
l’acquisition du concept de nombre, celui sur lequel Piaget a jadis attiré l’attention du
monde de l’éducation. Le concept piagétien de nombre est acquis, en moyenne, vers
l’âge de 6 ans et demi. Cette donnée essentielle signifie que dans une classe ordinaire
de 1re année, en janvier, il est statistiquement prévu qu’environ un élève sur deux aura
acquis le concept de nombre. Cela laisse la moitié du groupe dans l’univers additif du
nombre. L’acquisition du concept de multiplication apporte à l’élève une perception plus
évoluée du nombre, mais elle demeure insuffisante pour aborder l’univers de la fraction
proprement dite. Déjà, ce constat devrait être plus que suffisant pour tuer dans l’œuf
toute tentative de voir chez les enfants de moins de 6 ans une quelconque capacité de
réfléchir de façon autonome sur le sens même élémentaire de la fraction. Savoir
partager un biscuit en deux portions plutôt inégales (ma moitié étant évidemment plus
grande que celle de l’autre…) et pouvoir les nommer moitiés ne relève aucunement de
la pensée multiplicative dont il est ici question [24]. La pensée multiplicative acquise
pour plusieurs au début de la deuxième année du primaire va gagner en solidité avec
la maîtrise du groupement, la combinaison d’ensembles, l’arrangement, la notion d’aire
et toute une panoplie de représentations multiplicatives du nombre entier. Pour
l’enseignement des fractions en classe ordinaire, l’acquisition solide du concept de
multiplication ne peut donc être logiquement tenue pour acquise avant le 2e cycle du
primaire, ce qui est largement confirmé par la grande majorité des études qui situent
vers l’âge de 9 ans le moment idéal pour introduire les fractions proprement dites dans
le programme d’étude. À ce sujet, une recherche éclairante [25] dédiée à l’acquisition de
la pensée multiplicative tire les conclusions suivantes :
1. La pensée multiplicative est nettement distincte de la pensée additive.
2. La pensée multiplicative apparaît chez la moitié des élèves de 2e année.
3. La pensée multiplicative se développe lentement chez les élèves du primaire.
4. À peine la moitié des élèves de 5e année ont une solide pensée multiplicative6.
Dans le présent document, nous serons brefs au sujet du développement de la
dimension multiplicative du nombre entier chez les élèves du primaire. Outre les
travaux mentionnés à la note [24], à la fin du document, et la recherche mentionnée ci-
dessus, nous renvoyons les lecteurs au dossier intitulé Les Incontournables du
nombre [26] , que nous avons précédemment rédigé et où nous décrivons le
développement initial du concept de multiplication, son évaluation et des activités
possibles pour en stimuler l’acquisition. Pour la suite, nous y ferons simplement
référence, quand cela sera opportun. Aux conclusions énoncées ci-dessus au sujet de
la pensée multiplicative, nous ajoutons la nôtre. La définition de la multiplication
comme une addition répétée est mathématiquement erronée puisqu’elle
rencontre plusieurs exceptions. Elle crée un obstacle au développement de la
pensée multiplicative parce qu’elle ne se distingue pas assez de la pensée
additive. Cet obstacle devient déroutant, même pour l’adulte instruit, dans la
multiplication de fractions, dans celle des entiers négatifs et en algèbre.
NOTES IMPORTANTES
1. Pour évaluer la compétence de l’élève au sujet du concept de multiplication ou pour la
développer au niveau approprié, nous vous invitons à consulter le document Étapes
incontournables du nombre. Sans la pensée multiplicative, nous considérons qu’il est
nuisible et inutile de viser l’acquisition, même la plus élémentaire, du concept de
fraction.
2. Dans le même document, la nature du concept d’équivalence et son rôle indispensable
dans la compréhension de la numération est présenté (Étape 3).
6 Traduction libre de : « A surprising finding is that only 49 % of the fifth graders are solid multiplicative thinkers. »
Un deuxième obstacle d’origine cognitive dépend du développement chez l’élève
du sens de l’équivalence nécessaire à la notion de proportion. Le psychologue
Gérald Noelting a étudié ce développement dans la perspective constructiviste de la
théorie piagétienne de l’équilibration dans une recherche fondamentale [27]. Dans une
série d’épreuves, les enfants devaient évaluer le goût
plus, moins ou également prononcé de divers mélanges
faits d’eau et de jus d’orange. La recherche démontre
que ce n’est qu’au stade opératoire concret inférieur IIA,
Fig. 1 – Mélanges 1:1 vs 2:2
soit vers l’âge moyen de 8 ans, que l’enfant peut
maîtriser l’égalité des rapports 1:1 et 2:2. Autrement dit,
environ la moitié des élèves de 8 ans sauraient
reconnaître que les mélanges illustrés à la figure 1 ont le
« même goût ». Et ce n’est qu’au stade opératoire
concret supérieur IIB que la même performance serait
accessible, en moyenne vers l’âge de 10 ans et demi, Fig. 2 – Mélanges 2:4 vs 1:2
avec les mélanges proposés à la figure 2. Ces
conclusions convergent parfaitement vers celles précédemment établies pour la
pensée multiplicative solide. Il semble donc illusoire de proposer l’étude proprement
dite des fractions avant l’âge de 9 ans, en tout cas dans la classe ordinaire, sachant
que la grande majorité des élèves en sont alors à développer un « Schème de variation
de termes inégaux, traités conjointement » [28]. Ce schème est exactement celui qui
permet de considérer que les fractions suivantes sont équivalentes : 1/2 et 2/4. Cette
capacité d’égaliser la relation entre 1 et 2 avec celle entre 2 et 4 se retrouve dans
l’égalité fondamentale 1/2 = 2/4. Déduire faussement que 2 quarts sont supérieurs à
1 demi en ne considérant que la valeur des numérateurs est un obstacle
fréquemment heurté par les élèves de moins de 8 ans ou par ceux plus âgés qui
éprouvent des difficultés.
NOTES IMPORTANTES
1. Pour évaluer la compétence de l’élève au sujet du concept d’équivalence ou pour la
développer au niveau approprié en numération, nous vous invitons à consulter le
document Étapes incontournables du nombre. Assurez-vous que les notions d’échange
équivalents sont au moins compris sur les nombres entiers, comme proposés à l’Étape 3,
avant de viser un quelconque apprentissage de base sur les fractions.
2. Pour amorcer les activités-clés proposées à la Section 3 du présent document, nous
considérons que l’élève doit suffisamment capter l’idée d’équivalence, pour réfléchir
de façon autonome à des problèmes portant éventuellement sur des proportions
simples. Les premières activités de la Clé 1 devraient vous permettre d’établir cette
capacité de réflexion autonome.
Section en cours
de rédaction.
Section 4 : Activités-clés
Section en cours
de rédaction. Voir les
ressources disponibles
dans le dossier
Activités-clés
Notes et références