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Shabnam Yazdani

Le miel amer

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Je dédie ce livre à ma mère. Elle a patiemment écouté mes cris de désespoir et m’a soutenue
sans faillir lors des moments tourmentés et mes hauts et bas. Je le dédie aussi à mes amies Shadi,
Laleh, Sanaz, Nahal et Paria qui m’ont épaulée et portée dans les plus durs moments de ma vie.

2
Le déroulement d’une vie ressemble au Théâtre. Il existe des moments qu’il faut traverser avec
gaîté et simplicité et d’autres qu’il ne faut pas laisser passer légèrement d’un regard mais, au Commenté [Office1]: Aussi légèrement qu’un regard
contraire, avec une attention profonde, en tirer des leçons et continuer sa vie en pleine conscience,
avec plus de sérénité.
Avec ma sœur jumelle Nassim, nous sommes nées dans une famille relativement traditionnelle
et plus aisée que la moyenne. Mon père était chausseur et avait une boutique chic au nord de
Téhéran. Pour acquérir sa boutique, il lui manquait un tiers du prix et il a ainsi été obligé de Commenté [Office2]: Comme il lui manquait un tiers du prix
s’associer à trois de ses amis et anciens collègues. Il était quelqu’un de très simple et aimant mais, pour acheter sa boutique, il a été
de par son éducation traditionnelle, il était strict et exigeant lorsqu’il s’agissait de ma sœur et moi Commenté [Office3]: À cause de
et surveillait de près nos fréquentations. Malheureusement le qu’en dira-t-on et les jugements des
autres lui étaient très importants. Ma mère était couturière. C’était une femme simple et était moins
sévère avec nous.
Le point faible de mon père était son penchant pour l’alcool. Ses excès ont complètement Commenté [Office4]: Mon père avait un point faible :
changé le cours de notre vie. Notre espoir d’une vie plus aisée, sans problème financier, a peu à
peu été transformé en rêve inaccessible. Malheureusement, les associés soi-disant amis et collègues Commenté [Office5]: S’est peu à peu
de mon père ont profité de son point faible et l’ont dépossédé de son magasin. Ils ont obtenu sa Commenté [Office6]: Les associés de mon père, ses
signature lorsqu’il était ivre, en lui donnant eux cent mille tomans et la promesse qu’ils ne collègues et prétendus « amis »,
retireraient pas son nom de l’acte de propriété, qu’il pourrait revenir quand il voudrait, ils l’ont
ainsi dépossédé de son bien. Commenté [Office7]: Remarque : je supprimerais cette
Ma mère était contre cet arrangement, et savait que tout rebâtir à nouveau serait très difficile partie de la phrase, déjà assez longue, puisque c’est écrit juste
avant.
pour mon père. Mais il était trop tard et mon père avait pris sa décision. Avec la perte de son
magasin de Téhéran, nous avons tous déménagé dans la province natale de mon père. Il était très Commenté [Office8]: Repartir de zéro
doué dans son métier et était un fabricant de chaussures renommé à Téhéran. Ses chaussures Commenté [Office9]: Mais c’était trop tard : mon père avait
pris sa décision.
fabriquées entièrement en cuir et à la main étaient plus chères que les chaussures de gammes
inférieures, et peu de gens en province pouvaient se permettre d’y mettre le prix demandé. Il n’a Commenté [Office10]: De les acheter
donc pas rencontré le succès escompté en province. Il était l’aîné de huit frères et sœurs et offrait
gracieusement sacs et chaussures à ses cinq sœurs. Mais ses revenus n’ont pas été suffisants et Commenté [Office11]: Étant trop faibles,
après quelques années passées en province, nous sommes retournés à Téhéran, dans l’espoir de
reprendre sa boutique.
Les personnes qui avaient pris sa place, contrairement à leurs promesses, ne lui ont pas permis Commenté [Office12]: Lui ont refusé
de retourner travailler dans son magasin et ont prétendu qu’il avait déjà touché sa part et qu’il Commenté [Office13]: Prétendant
n’avait plus aucun droit. Ma mère avait beau lui dire qu’ils l’avaient trompé et dépossédé pour une
somme ridicule quand il était en état d’ébriété et qu’il devait les poursuivre en justice, il ne voulait
rien entendre et disait qu’il ne pouvait pas attaquer ses amis de longue date. Commenté [Office14]: Refusait d’attaquer
Mon père était obligé de travailler pour d’autres afin de subvenir à nos besoins mais ces revenus Commenté [Office15]: Fut donc ?
n’étaient pas suffisants. Commenté [Office16]: demeuraient trop faibles
À la fin du collège, au moment d’entrer au lycée et de choisir la branche d’étude, ma sœur et
Commenté [Office17]: notre orientation
moi qui aimions la branche cinéma et grimage, avons décidé de nous inscrire au conservatoire des
Arts Graphiques. Mais les préjugés de mon père et son refus de nous voir inscrites dans le domaine
du cinéma, nous ont interdit de suivre le chemin que nous désirions tant suivre. Commenté [Office18]: Malheureusement, les préjugées de
mon père concernant les carrières artistiques nous ont
empéché de poursuivre cette voie tant désirée.

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Chaque fois que nous faisions intervenir notre mère en notre faveur auprès de lui, pour qu’il Commenté [Office19]: Ma mère intervenait auprès de lui en
nous permette de nous inscrire au conservatoire des Arts Graphiques et de suivre les études que notre faveur
nous souhaitions, nous nous confrontions au refus systématique et ferme de notre père. Il disait : Commenté [Office20]: Autorise à
« Voulez- vous me faire honte et faire dire aux gens que les filles de Mozafar sont devenues actrices Commenté [Office21]: Remarque : pas nécessaire, je
et qu’ils se moquent de moi ? ». supprimerais
Ainsi, le chemin de vie de ma sœur et moi a complètement changé de direction. Étant donné Commenté [Office22]: Ferme et systématique (ça sonne
mieux dans ce sens :D)
que ni l’une ni l’autre n’avaient de don particulier pour les Mathématiques et la Géométrie, nous
avons été obligées de nous orienter vers le conservatoire d’Hygiène et de Petite Enfance. Commenté [Office23]: Et que les gens se moquent de moi en
disant que les filles de Mozafar sont devenues actrices ?
Heureusement, nous avons réussi avec succès ces quatre années d’études.
Après l’obtention de notre Baccalauréat, notre père était toujours opposé à l’idée que Nassim Commenté [Office24]: dû
et moi puissions travailler. Finalement, après nos multiples implorations et l’intervention de nos
oncles auprès de lui, il a enfin accepté que nous travaillions. La sévérité de notre père ne se limitait Commenté [Office25]: l’avoir tant implore et fait intervenir
pas à son mécontentement du fait que nous voulions travailler ou discuter avec des garçons de nos oncles,
notre famille, nous n’avions même pas l’autorisation de voyager, même avec des amis dont nous Commenté [Office26]: fini par accepter
connaissions bien la famille ! Chaque fois, nous faisions intervenir notre mère en notre faveur, Commenté [Office27]: Remarque : je supprimerais, c’est dit
mais mon père refusait fermement en disant : « Quand vous serez mariées, vous pourrez voyager juste au-dessus
à souhait avec votre mari. Mais maintenant, non, ce n’est pas possible. J’ai ma réputation à tenir Commenté [Office28]: Remarque : là vraiment je pense qu’il
faut reformuler. Je propose
auprès de la famille. Je vous ai élevées comme des bouquets de fleurs et je ne veux pas que les « Mon père était très sévère : non seulement il avait du mal à
gens disent que les filles de Mozafar sont parties en voyage avec des inconnus ! ». accepter de nous voir travailler ou discuter avec des garçons
Nous n’avions pas d’autre choix que d’obéir. Plus exactement, nous n’avions pas le courage de de notre famille, mais en plus il nous interdisait de voyager,
même accompagnées d’amis dont nous connaissions bien la
protester en lui disant que sa réputation ne serait pas en danger pour un malheureux voyage, ni de famille ! »
lui demander pourquoi le qu’en dira-t-on était important au point d’ignorer les plus forts souhaits Commenté [Office29]: Ma mère intervenait
de ses filles. Bien que très frustrées par la sévérité de notre père, nous savions très bien que nous systématiquement
ne pourrions rien faire et que jamais il ne changerait d’avis.
J’étais très contente de travailler mais je n’étais pas satisfaite de ne pas continuer mes études en
parallèle. Finalement, après deux années de présentation au concours d’entrée à l’université, j’ai
été admise en Psychologie. Afin de payer les frais universitaires, je travaillais les jours sans cours
en tant que secrétaire dans une clinique d’endocrinologie. À peu près un quart des patients étaient
transsexuels, d’enfants de cinq ans à des adultes de trente-cinq ans. J’étais très surprise de n’en Commenté [Office30]: On ne dit plus ça, on parle de
avoir jamais entendu parler auparavant, ni en famille, ni ailleurs, alors que le nombre de patients personnes transgenres.
ayant ce type de problème était élevé. Commenté [Office31]: Ça ne passera pas non plus, il faut
Après trois années d’études, étant donné que l’université était loin de mon domicile et que éviter de parler de problèmes, ce sont juste des personnes
trans, comme nous nous sommes des personnes cis. Il vaut
j’avais quelques problèmes financiers, malheureusement, j’ai dû abandonner mes études et me mieux dire quelque chose comme « je n’avais jamais entendu
consacrer uniquement au travail. Cette fois, il s’agissait du service commercial d’une société parler de transidentité auparavant, j’étais donc étonnée de
informatique où Nassim était responsable du bureau de direction. Comme ils étaient très satisfaits voir qu’autant de personnes entamaient une transition. »
de son travail, ils m’ont également acceptée en tant que salariée. J’ai donc été embauchée en tant Commenté [Office32]: À reformuler : Malheureusement,
que secrétaire du service commercial des accessoires informatiques. ayant quelques problèmes financiers et habitant trop loin de
l’université, j’ai dû arrêter après trois ans pour me consacrer
Je travaillais à temps plein et, bien que pensant continuellement à reprendre mes études, je uniquement au travail.
n’avais pas assez de temps libre à y consacrer.

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D’une année à l’autre, à cause de l’augmentation du quota des familles des martyres, des
vétérans de la guerre et autres, réussir le concours d’entrée à l’université devenait de plus en plus
difficile et l’entrée à l’université publique demandait du temps et de la concentration.
Après deux années de travail dans la société, Nassim et moi avions vingt- quatre ans, et par
l’intermédiaire d’un de ses collègues lui ayant présenté un prétendant, Nassim l’a épousé quelques
mois après leurs fiançailles. Heureusement, la famille de son époux était très gentille et lui-même
était adorable et respectable. Nassim était satisfaite et heureuse avec lui, c’était le plus important.
Ma sœur et moi étions des jumelles très fusionnelles. Après son mariage, j’ai ressenti un grand
vide et je me sentais très seule. Sans ma sœur, je me sentais incomplète. Mais j’ai essayé de me
raisonner en me disant qu’elle avait fondé une famille solide et que je devais m’habituer à cette
nouvelle condition le plus rapidement possible. J’ai alors recommencé à étudier pour préparer les
concours.
J’ai décidé de me présenter à un concours dans le domaine des sciences expérimentales, ce qui
n’était pas dans la continuité logique de mes précédentes études. Heureusement, j’ai été reçue en
Informatique, mais comme c’était dans une université privée, les frais de scolarité étaient très
élevés et je ne pouvais pas demander l’aide de mon père. La chance m’a cependant souri, car la
direction de la société pour laquelle je travaillais, satisfaite de mon travail, a accepté de m’accorder
une bourse pour mes études. J’ai alors été obligée de bien travailler mais aussi de bien étudier. Le
travail et les études avaient complètement rempli mon emploi du temps. C’était difficile mais
réalisable. J’ai ainsi fini la première année avec succès.
Mon loisir principal en fin de semaine était d’aller à la montagne accompagnée de quelques
collègues, ou bien de passer du temps avec ma très bonne amie et voisine Paria. Nous appelions
sa mère « tante » tellement nous étions proches.
L’une de ces fins de semaine, avec Paria et sa mère, nous avons rendu une visite impromptue
à des anciens voisins qui avaient quitté notre quartier dix ou douze ans plus tôt. Ma tante devait
rendre à Madame Kardani, l’ancienne voisine. Ce jour-là, après tant d’années, j’ai revu Kamran,
son fils aîné. Sa rencontre m’a laissé une impression étrange et j’ai senti que le regard de Kamran
était également un regard particulier.
Une semaine plus tard, ma tante a appelé ma mère et lui a dit que Madame Kardani et Kamran
ont été séduits par Shabnam et si vous êtes d’accord, ils souhaitent vous rendre visite pour lui
demander sa main. Après avoir demandé l’avis de mon père, ma mère a accepté et leur a fixé Commenté [Office33]: Ce n’est pas une formulation hyper
rendez-vous. correcte, entre la narration et le dialogue, mais ça se fait
parfois quand même et là j’aime bien, mais je ne sais pas si ça
Depuis toutes petites, on nous disait constamment que pour une fille respectable, il y aura passera.
rapidement un bon prétendant et qu’elle fera un bon mariage. Mais je me demandais toujours quel
genre de fille était une fille respectable ? Une fille qui n’exprime pas ses propres désirs de peur du
qu’en dira-t-on et de l’avis des autres ? Une fille qui ne dit pas non pour ne pas heurter les autres ?
Une fille qui renonce à voyager seule de peur de faire une mauvaise impression auprès de la famille
et même des gens qu’elle ne connait pas ?

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Les personnes dont mes parents craignaient tant le jugement, avaient elles-mêmes des grandes
filles dont personne n’osait parler et encore moins juger ! Mais hélas, mille hélas, le destin de ma
sœur et moi avait été tracé par la peur du regard de ces personnes en question.
Quelques jours plus tard, Kamran et ses parents nous ont rendu visite. Les anciens voisins
étaient très heureux de se revoir après tant d’années. Les Kardani étaient une famille de cinq
personnes : Kamran avait une sœur et un frère plus jeunes que lui. Sa sœur était mariée et avait
deux enfants, son frère était encore lycéen. À en croire ses parents, Kamran avait passé cinq ou
six ans en Suède et travaillait actuellement dans l’achat et la vente de devises avec son père et son
beau-frère.
Mon père a posé des questions sur les raisons du séjour en Suède de Kamran, et surtout de son
retour. Ils ont alors répondu que Kamran désirait vraiment vivre à l’étranger et que, malgré les
réticences de ses parents, il s’était rendu en Suède, mais qu’après quelques années séparées de sa
famille il ne supportait plus cet éloignement et a fini par rentrer en Iran.
Après leur départ, mes parents, considérant les Kardani comme des personnes raisonnables,
m’ont demandé si je voulais rencontrer et sortir quelques fois avec Kamran pour apprendre à le
connaître. Je ne savais pas quoi répondre. En effet, quels étaient les critères pour choisir un
époux ? Ce garçon était presque inconnu, et je devrais passer le reste de ma vie à ses côtés ?
J’avais le vertige, mais je pensais quand même que je devais me marier, car ça fait partie des
étapes de la vie, après tout. Mon père disait toujours que les apparences d’un homme et d’une
femme deviennent familières pour les deux au bout de six mois de vie commune. L’important est
que l’homme soit bon, fidèle, honnête et qu’il ait l’esprit de famille... Mais comment peut-on savoir
tout cela après seulement quelques rendez-vous ? J’étais perplexe et très tourmentée.
Le physique de Kamran était plutôt agréable. Il était assez grand, ni maigre ni enveloppé, avec
des cheveux châtain clair et des yeux couleur miel. Dans l’ensemble j’aimais bien son apparence,
mais son âme restait un énorme point d’interrogation.
J’ai accepté que Kamran vienne pour faire connaissance. Mes parents ont également un peu
plus bavardé avec lui. Il ne semblait pas être un mauvais garçon. Il était gai et souriant. J’aurais
aimé le voir plus souvent. Je n’arrivais pas à croire que je pouvais rester seule avec un garçon.
Malgré mes vingt-cinq ans, le fait de sortir en voiture avec un futur mari potentiel me donnait la
chair de poule.
Nous sommes sortis deux fois ensemble. Nous avons parlé de nos aspirations et de nos points
de vue sur la vie. Kamran n’était pas allé à l’université. Ça me gênait un peu, car je vivais dans une
société pour laquelle les titres et diplômes comptaient. D’un autre côté, j’essayais de me convaincre
que les études n’étaient pas tout. Kamran, contrairement à ce que j’aurais préféré, ne parlait pas
très bien et n’avait pas un langage très soutenu, il était finalement assez quelconque. Mais je n’avais
malheureusement pas appris à patienter pour obtenir ce que je voulais vraiment et je ne réalisais
pas que Kamran ne serait pas le premier ni le dernier. Je pensais que pour être libre et pouvoir
vivre comme je le souhaitais, loin des jugements des autres, je devais me marier.

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Deux mois après nos fiançailles, nous nous sommes mariés religieusement. Pendant une
semaine ou deux, tout allait bien, mais peu à peu le comportement de Kamran est devenu étrange.
Contrairement à ce que l’on pouvait attendre d’un jeune marié, c’est-à-dire savourer cette nouvelle
proximité, il semblait plutôt perturbé et nerveux.
Quand nous étions seuls, au lieu de parler de choses intéressantes et d’imaginer comment
construire notre vie commune, il parlait souvent de choses bizarres qui n’avaient aucun sens pour
moi, par exemple la Franc-Maçonnerie, qui ne m’intéressait pas du tout mais qui avait l’air de le
fasciner. Quelquefois, au milieu de tout ça, il finissait par oublier totalement ma présence.
À l’époque j’avais peur de mentionner ces comportements étranges de Kamran. Je pensais que
si j’en parlais à ma famille et qu’elle voulait en discuter avec lui, Kamran me considérerait
autrement et se comporterait de façon encore pire. Mais c’était des idées fausses qui découlaient
de mon manque de confiance en moi.
À cause de ces idées fausses et d’une peur qui me semble aujourd’hui injustifiée, je n’ai rien dit
à personne, et les comportements étranges de Kamran ont plus ou moins continué jusqu’à la fête
du mariage. Ce soir-là, j’ai eu un vrai choc.
L’appartement où nous allions habiter appartenait à la mère de Kamran, et le jour du mariage
on nous a annoncé qu’il avait été mis à son nom, en tant que cadeau de mariage. Il était situé au
rez-de-chaussée d’un immeuble de quatre étages et comportait deux chambres et un salon qui
donnait sur un jardin. Dans le jardin, il y avait des toilettes et une remise qui contenait de vieilles
affaires appartenant à mes beaux-parents.
Lorsque nous avons regagné l’appartement, en pleine nuit après la fête du mariage, j’ai pris une
douche et me suis préparée à aller au lit en attendant Kamran. Après tout, c’était notre nuit de
noces ! Kamran fumait et regardait la télévision. J’ai alors défilé devant lui en nuisette pour qu’il
réagisse mais en vain. Je lui ai demandé : « Tu n’es pas fatigué ? Il est trois heures du matin. Tu ne
viens pas te coucher ? » Il m’a répondu : « Vas-y, je viendrai après.
» J’étais très énervée mais je n’ai rien laissé paraître et me suis couchée puis endormie.
Vers cinq heures du matin, ayant froid et entendant du bruit, je me suis réveillée. La lumière
était allumée dans le jardin et le salon. Je me suis donc levée et suis allée au salon, et j’ai vu Kamran
dans la chambre en face de la nôtre, en train de mettre une grande planche en marbre sous le lit à
une place. Cette plaque était dans la remise, je pense qu’à l’origine c’était le plateau d’une table
basse. À cause du poids de la plaque, Kamran était en sueur et respirait bruyamment.
Surprise, j’ai demandé : « - Peut-on savoir ce que tu fais à cette heure de la nuit ?
- Je cache cette plaque sous le lit, m’a-t-il répondu a mis en forme : Retrait : Gauche : 0 cm, Première ligne :
0,5 cm, Avec puces + Niveau : 1 + Alignement : 0,81 cm +
- Pourquoi ? Est-ce si important à cette heure tardive ? Retrait : 1,45 cm, Éviter veuves et orphelines, Sans coupure
- Tu ne t’en rends pas compte, mais cette plaque a une très grande valeur et ne doit pas être de mots, Taquets de tabulation : 0,25 cm,Gauche
visible sinon des extra-terrestres pourraient venir la chercher ! Il y a un dessin très important là-
dessus ! »

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J’étais tellement surprise et déboussolée que je ne savais pas quoi répondre. Je lui ai juste dit :
« Kamran, c’est juste une plaque en marbre, le plateau de la table de ta mère ! Qu’est-ce-que tu
racontes ? »
Il m’a interrompue : « De toute façon, tu n’y comprends rien, tu ferais mieux d’aller te
coucher ! »
Je suis retournée dans la chambre la tête remplie de questions, en ayant très froid et un goût
amer dans la gorge. Impossible de me rendormir. J’avais beau me répéter que je me trompais, que
mes doutes étaient infondés, que Kamran avait de bonnes raisons d’agir ainsi et que je ne devais
pas laisser rapidement les pensées négatives m’envahir, j’étais incapable de bouger et je suis restée
au lit, préoccupée. Kamran est venu au lit vers sept heures et demie et s’est endormi sans faire
attention à moi.
J’avais très envie de parler de cet incident avec sa famille, pensant qu’ils pourraient me fournir
une bonne explication. Les jours passaient et je cherchais l’occasion de leur en parler. Je ne voulais
pas en parler à ma propre famille avant d’avoir pu entendre ce la sienne avait à dire.
Un soir, dans la suite des fêtes du mariage, nous avons été invités par des proches de Kamran.
Je me préparais tout en rassemblant mes affaires pour mon cours du lendemain. Kamran cirait ses
chaussures. Je lui ai demandé s’il voulait bien regarder mes chaussures et les cirer en cas de besoin.
Mais Kamran, très énervé, les veines du cou enflées, s’est mis à crier : « Je ne suis pas le servant
de ton père pour te cirer les chaussures ! Tu n’as qu’à le faire toi- même ! »
Très affectée par son ton et les larmes aux yeux, je n’ai rien dit et ai ciré moi-même mes
chaussures. Je n’aimais pas trop ma sensibilité et ma tendance à pleurer facilement, j’étais très
gênée par ce trait de mon caractère, mais je n’arrivais pas à m’en débarrasser. Sur le trajet, j’étais
très triste et je ne parlais pas. Kamran ne disait pas grand-chose non plus.
Lorsque nous sommes arrivés à la soirée, je n’avais pas encore récupéré et mon ressentiment
se lisait sur mon visage. La mère de Kamran s’en est très vite rendu compte et m’a demandé ce
qui s’était passé. Au début, je ne voulais rien dire, mais comme elle insistait, je lui ai raconté
l’incident. Cela l’a beaucoup affectée. Après, je me suis rendu compte qu’elle parlait en douce à
son mari et qu’il réagissait avec agacement, grognant et secouant la tête.
Plus tard dans la soirée, Madame Kardani a pris Kamran à part pour lui parler quelques
minutes. Il a semblé agacé en écoutant sa mère puis s’en est éloigné en protestant.
Les examens de deuxième année avaient commencé et j’essayais d’oublier tout ça et de me
consacrer à mes études. Mais j’avais beaucoup de mal à me concentrer. J’étais même très
préoccupée au travail et je ne me sentais pas tranquille.
Les responsabilités du travail et des études, ainsi que le comportement changeant de Kamran
m’avaient privée de toute concentration. J’ai alors décidé d’alléger mon emploi du temps et de
démissionner de la société, ce qui impliquait de ne plus bénéficier de ma bourse d’études.
Shadi, ma collègue et très bonne amie, qui avait récemment démissionné et rejoint son mari
dans sa société privée en informatique, m’a dit que leur service technique avait besoin de
personnel. J’ai profité de l’occasion et leur ai dit que j’étais intéressée car leurs horaires me
convenaient plus. Heureusement, après avoir démissionné et renoncé à ma bourse, ils ont accepté
de m’embaucher.

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Je tolérais la vie avec Kamran mais je n’avais plus le beau sentiment du début d’une nouvelle
vie commune avec une personne que l’on vient de rencontrer. Kamran se couchait très tard le soir
et, la plupart du temps, il regardait des films d’horreur que je détestais à cause du bruit des cris et
des plaintes qui me gênait beaucoup.

À chaque fois que je lui demandais de baisser le son de la télévision, il me répondait : « Si tu ne


veux pas entendre, tu n’as qu’à fermer les portes de la chambre et du salon, je ne baisserai pas le
son. »
Un soir je lui ai dit : « Ce film me terrorise, tu comprends ? Ne suis-je pas ta femme ? Pourquoi
tu te comportes de cette façon avec moi ? »
Il m’a répondu : « Je regarderai ce film plusieurs fois pour que tu subisses ce qu’il s’y passe ! »
J’ai alors claqué la porte et commencé à pleurer dans la chambre. J’étais fâchée contre moi-
même de repousser chaque fois une bonne discussion avec sa famille.
Lors d’une soirée chez mes parents, Kamran parlait à mon père et je me suis rendu compte
qu’il lui racontait son séjour en Suède. J’ai alors écouté avec attention. Il disait : « J’ai eu une
insomnie et je n’arrivais pas à dormir. Vers trois heures du matin, je suis allé aux toilettes. Ma
maison était hors de la ville et était entourée d’espaces verts. Depuis la petite fenêtre des toilettes,
on pouvait voir une sorte de forêt qui était derrière la maison. »
Il a fait une pause puis a continué : « Avant de sortir des toilettes, j’ai ouvert la fenêtre et j’ai
regardé dehors. Il faisait nuit noire. Tout à coup j’ai aperçu un rayon lumineux, accompagné d’un
bruit effrayant, qui se dirigeait vers moi à travers les arbres. J’étais mort de peur. J’ai vite refermé
la fenêtre et me suis appuyé au mur à côté. J’étais paralysé de terreur. Ça s’est calmé après quelques
minutes. Je suis allé au lit, sous la couette, et n’en suis plus ressorti jusqu’au matin. »
Mon père lui a demandé : « Qu’est-ce que c’était à ton avis ? » Il a dit : « Je ne sais pas mais quoi
que ce fut, ça faisait un bruit horrible. »
Mon père lui a dit : peut-être que tu étais à moitié endormi et que c’était juste ton imagination
et pas la réalité. Mais Kamran a insisté en disant qu’il l’avait vu de ses propres yeux.
Ma mère a alors annoncé que le dîner était prêt, ce qui a mis fin à la discussion.
Quelque temps après, un vendredi après-midi, j’ai senti que Kamran était très perturbé, il
n’avait pas l’air tranquille. Je lui ai alors demandé ce qui se passait et pourquoi il était si nerveux.
Il m’a répondu : « Ce n’est rien, j’ai juste mal à la tête. » J’ai demandé : « Veux-tu que je t’apporte
des analgésiques ? » Il a dit :
« Mais non, mes maux de tête ne sont pas une maladie... » Je lui ai demandé : « Alors quelle
sorte de maux de tête as-tu ? » Il a répondu : « Il y a une fille qui me parle sans cesse et n’arrête
pas de me raconter des choses. Je n’aime pas du tout sa voix, c’est ça qui me donne mal à la tête. »
En entendant ces paroles, pendant quelques instants j’ai été transportée dans un autre monde.
C’était comme si quelqu’un d’autre vivait à ma place avec Kamran. Je n’arrivais pas à croire qu’il
s’agissait de ma vie ! J’avais peur de comprendre que Kamran était...

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Je savais que je l’embêtais en lui posant certaines questions, mais j’avais besoin de me prouver
quelque chose. Je lui ai dit : « Bon, que te dit cette fille ? Est- ce qu’elle te parle en ce moment ? »
Il a mis sa tête dans ses mains et m’a dit : « Laisse-moi Shabnam, qu’est-ce que c’est que cette
questions ? »
Puis il est allé dans la chambre et s’est allongé sur le lit. Je suis restée avec des dizaines de
questions sans réponse et des peurs sans fin.
Un jour, j’avais cours de quatre à six heures de l’après-midi. Kamran devait venir me chercher
à la sortie pour aller dîner chez ses parents. Au milieu du cours, quelqu’un a frappé à la porte et
est entré dans la classe sans attendre la permission du professeur. C’était Kamran ! Sans tenir
compte du professeur ni de la classe, il s’est approché de moi et, énervé, s’est mis à crier :
« Pourquoi tu ne sors pas ? Je viens de perdre mon temps à te chercher dans toutes les classes ! »
Il portait un long manteau russe qu’il avait acheté en Suède et avait sa ceinture très serrée et
exagérément haut. Il avait aussi relevé ses manches jusqu’aux coudes comme on le ferait pour une
chemise. J’ai eu très honte de son accoutrement et de son comportement devant mon professeur
et les autres étudiants. Le professeur, très étonné, fixait Kamran avec stupeur et, avant qu’il ne
pose une question, je me suis vite excusée et j’ai sorti Kamran de force hors de la classe. Je lui ai
dit : « Je t’avais dit que le cours se terminait à six heures ! Tu es en avance ! »
Il m’a répondu : « Et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire si on part maintenant ? »
Je n’ai pas trouvé raisonnable d’argumenter avec lui. J’ai demandé au professeur la permission
de partir, j’ai rassemblé mes affaires et je suis sortie de la classe pour me diriger directement vers
la voiture et monter dedans.
J’avais très honte de son allure et de son ton, mais je savais que discuter avec lui ne mènerait à
rien.
Mon enthousiasme des débuts pour mes cours et mon nouveau travail avait disparu et je n’y
allais plus qu’une fois sur deux.
Six mois de vie commune avec Kamran s’étaient écoulés et j’attendais toujours pour le bon
moment pour parler à sa famille. C’était bientôt une fête religieuse, et l’une des cousines de ma
mère qui la fêtait chaque année chez elle m’avait demandé d’acheter des pâtisseries près de chez
moi et de les lui apporter. J’avais accepté avec plaisir. Mais la veille, un événement inattendu m’a
empêchée de tenir parole et m’a même obligée à mettre de côté mon travail et mes études pour
quelque temps.
Ce soir-là, comme d’habitude, je suis allée au lit la première. En pleine nuit, je ne sais pas à
quelle heure exactement, je me suis réveillée avec un sentiment étrange. Je sentais la chaleur du
souffle de Kamran sur mon visage lorsque j’ai ouvert les yeux. Dans l’obscurité totale, j’apercevais
juste l’éclat des yeux de Kamran qui était à côté du lit et se penchait sur moi.

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J’ai eu peur et ai voulu m’asseoir. J’ai allumé la lumière à côté du lit et l’ai vu me fixer très
étrangement avec les yeux injectés de sang à force d’insomnie.
J’avais très peur. Je ne savais pas si j’étais réveillée ou pas. D’une voix blanche, je l’ai appelé :
« Kamran...Kamran... »
Après quelques secondes, sans bouger, il a dit : « Ton esprit n’est pas ici et il est loin, en train
de me tromper. Ton corps seul est ici ! » Après, très calmement, il s’est allongé sur le lit et s’est
endormi.
J’étais pétrifiée. Je n’arrivais pas à bouger. Je ne savais toujours pas si je rêvais ou si j’étais
réveillée. Je ne sais pas combien de temps je suis restée ainsi. Plus tard, lorsque j’ai repris mes
esprits, je me suis levée très doucement pour ne pas le réveiller, je me suis enfermée dans la salle
de bain et j’ai pleuré jusqu’au lendemain.
Vers huit heures du matin, alors que je m’étais un peu calmée, je suis allée dans l’autre chambre
et je me suis allongée sur le lit. Je ne savais pas quoi penser ou faire. Je me suis alors endormie.
Quand je me suis réveillée, mes yeux ne voyaient plus. Mes paupières étaient très gonflées par
mes pleurs. J’ai essayé, avec difficulté, de lire l’heure. Il était treize heures. Je suis allée dans notre
chambre et j’ai constaté que contrairement à d’habitude, où je devais réveiller Kamran en insistant,
il s’était déjà réveillé et avait quitté la maison.
Je me suis souvenue de ma promesse pour les pâtisseries. La seule chose que j’aie pu faire était
de téléphoner à Paria, de la prier d’aller chez le pâtissier à ma place, d’envoyer les pâtisseries avec
un taxi à ma cousine, puis de venir me voir.
En l’attendant, j’ai essayé de dégonfler mes paupières avec des compresses froides, sans trop
de succès. Quand Paria est arrivée et m’a vue dans cet état, elle a été très surprise et m’a demandé
avec angoisse ce qui s’était passé.
Enrouée à force d’avoir pleuré, je lui ai raconté tout ce qui s’était passé, du comportement
étrange de Kamran avant notre mariage jusqu’à l’incident de la veille. Je lui ai demandé : « Paria,
te souviens-tu un vendredi après-midi quand tu étais chez nous, lorsque Kamran a commencé à
parler de la Franc Maçonnerie et de certaines de ses idées ? Je t’avais demandé si tu ne trouvais
pas ses paroles étranges et tu m’avais répondu que j’étais devenue trop sensible et que ce n’était
pas grand-chose ? Tu me trouves encore trop sensible ? »
Après mes révélations, Paria, sous le choc et pleine de tristesse, a essayé de me rassurer en me
disant que ma peur du divorce, du qu’en dira-t-on et des jugements des autres était infondée.
Après notre conversation, je me suis calmée mais je n’avais pas envie d’aller à la fête.
J’ai dit à Paria : « Je ne veux pas t’accaparer plus que cela, si tu veux partir, n’hésite pas. Je vais
dormir. » Mais Paria ne voulait pas me laisser seule ; elle m’a d’abord convaincue que prendre une
douche me ferait du bien, puis m’a encouragée à aller à la fête. Mais je n’avais pas envie d’affronter
le regard des autres.

12
Après réflexion, j’ai décidé d’y aller quand même car je savais que la mère et la sœur de Kamran
y étaient aussi invitées. Je voulais qu’elles voient d’elles-mêmes dans quel état je me trouvais.
J’ai remercié Paria pour tout le mal qu’elle s’était donné pour moi. Elle m’a encore une fois
consolée et demandé d’être forte, puis elle est partie.
Je n’arrivais toujours pas à croire ce que j’étais en train de vivre.
J’ai pris une douche et, après m’être un peu calmée, j’ai appelé Kamran pour lui dire que je
m’apprêtais à aller à la fête. Avec un ton neutre comme s’il avait déjà oublié l’incident de la veille,
il m’a dit : « Si tu veux, je peux venir te chercher et t’y conduire ! » J’avais encore son regard étrange
en tête.
Je lui ai répondu : « Non, ce n’est pas la peine de venir me chercher. Je vais prendre un taxi
pour y aller et je rentrerai soit avec ta sœur, soit en taxi. »
Il s’est rendu compte que je n’allais pas très bien et m’a demandé : « Il s’est passé quelque
chose ? » J’avais envie de lui demander pourquoi il m’avait fixée de la sorte en pleine nuit et m’avait
dit toutes ses choses horribles, mais je me suis vite ravisée. Je savais qu’il aller tout nier en bloc,
comme d’habitude. Il était déjà arrivé qu’il se montre évasif ou même complètement amnésique
lorsque j’évoquais son attitude étrange.
J’ai répondu : « Non, je suis un peu fatiguée ! » et j’ai raccroché normalement.
Quand je suis arrivée à la soirée, tout le monde me regardait d’un air surpris : le gonflement de
mon visage et de mes yeux n’était pas encore résorbé. Dès que ma mère et Nassim m’ont vue,
elles m’ont demandé : « Que se passe-t-il ? Pourquoi cette mine ? »
Moi qui étais très en proie aux envies de pleurer ces jours-là, je me suis retenue et j’ai répondu :
« pas grand-chose, une petite dispute avec Kamran. »
Nassim m’a prise à part : « Dis la vérité ! Que se passe-t-il ? ». Je lui ai juste parlé de l’incident
de la veille, car c’était ni le moment ni le lieu de tout expliquer en détail. Elle était pétrifiée et ne
savait pas quoi dire.
Elle m’a dit : « Bien, parle avec lui, demande-lui pourquoi... » Je l’ai interrompue : « Ma chérie,
s’il en était conscient, je ne serais pas dans cet état ! C’est une longue histoire. On en reparlera plus
tard. »
Le regard des autres me faisait sentir que l’état de mon visage intriguait tout le monde et que
s’ils en avaient eu le courage, ils m’en auraient tous demandé la raison.
Lorsqu’elle m’a vue, la sœur de Kamran, qui était arrivée avant moi, m’a demandé d’aller
m’asseoir à côté d’elle. Sa mère avait eu une visite inattendue et s’était excusée de ne pas pouvoir
venir.
Elle m’a d’abord demandé des nouvelles, puis m’a demandé, inquiète : « Qu’est-ce qui s’est
passé ? As-tu pleuré ? »

13
J’ai profité de l’occasion et je lui ai tout raconté en détail. Elle était très embêtée. Elle a
commencé à pleurer : « Mon dieu, je ne comprends pas pourquoi il recommence ! » Je voulais en
savoir plus mais la maîtresse de maison m’a appelée pour me remercier d’avoir envoyé les
pâtisseries. La phrase de Nazanine se répétait dans ma tête. Ma cousine me remerciait et je lui
répondais sans attention, j’étais encore trop concentrée sur ce que Nazanine venait de me dire.
Je m’entendais bien avec ma belle-sœur, elle était gentille. Elle voulait également être proche
de moi, mais parfois la jalousie ne le permettait pas.
À la fin de la soirée, elle s’est excusée parce qu’elle avait elle-même des invités qui l’attendaient
et devait vite rentrer chez elle. Ma mère, Nassim et moi avons pris un taxi pour rentrer.
Sur le chemin du retour, j’ai brièvement décrit le comportement de Kamran. Comme je m’y
attendais, ma mère et Nassim m’ont reproché de ne pas en avoir parlé plus tôt et ont insisté en
disant qu’il n’était pas trop tard et que je devais absolument en parler avec sa famille. Je les ai
rassurées en leur promettant de le faire bientôt. J’étais en effet déterminée à leur en parler et je
savais que j’avais beaucoup trop reporté cette conversation.
Ces jours-là, même au travail, je n’étais pas très en forme. Shadi s’en était bien rendu compte.
Un jour où j’étais allée travailler avec le visage gonflé, elle m’a demandé pourquoi j’avais l’air si
fatigué. Je ne me suis pas épanchée et lui ai dit que ce n’était rien et que cela allait s’arranger.
Je savais que je pouvais faire confiance à Shadi mais je n’étais pas très sûre de l’ampleur de ce
qui m’était arrivé, et puis je voulais d’abord en parler à sa famille. J’étais tellement stupide ! S’ils
devaient me révéler quoi que ce soit, ils l’auraient fait avant le mariage.
Une semaine après la fameuse nuit, nous sommes allés comme d’habitude chez les parents de
Kamran. Sa mère était très simple et gentille, elle aimait beaucoup que nous leur rendions visite.
Ce soir-là, j’étais décidée à parler au père de Kamran du comportement de son fils et des incidents,
mais visiblement Nazanine l’avait déjà fait. Après le dîner, vers vingt heures trente, son père a
insisté pour emmener Kamran dehors. Celui-ci était visiblement contre cette idée, puisqu’il
répétait : « Mais enfin papa, pourquoi ? Il n’y en a plus besoin... Qu’est-ce que j’ai fait ? » Ils ont
fait beaucoup d’efforts pour m’éviter, je ne devais pas comprendre les raisons de cette sortie.
J’étais surprise et énervée. J’ai réalisé que ces comportements de Kamran n’étaient pas une
nouveauté pour sa famille ! Si Nazanine leur a déjà parlé, pourquoi ne me demandent-il rien, ou
ne m’expliquent-ils rien ? Et sont-ils en train de me cacher quelque chose de plus ?
Après le départ de Kamran et son père, je suis allée voir sa mère qui était en train de mettre de
l’ordre dans la salle de bain : « Pourquoi Kamran ne voulait-il pas accompagner son père ? Où
voulait-il l’emmener ? »

14
La mère de Kamran, avec un air qui trahissait sa réticence à me répondre, et visiblement
essayant de me cacher sa peine, a fini par m’informer : « Ce n’est pas grand-chose, Kamran doit
seulement reprendre ses injections, car sa maladie s’est de nouveau déclarée. »
J’avais l’impression de rêver ! Injections... Maladie... Mon Dieu, qu’est-ce que sa mère était en
train de me dire ? Alors que je peinais à avaler ma salive, j’ai demandé : « Qu’est-ce que cela veut
dire ? Kamran est malade ? »
Tout en poursuivant ses rangements, sa mère, ayant l’air de vouloir se confier, m’a dit : « Non,
mais quand il est rentré de Suède, il allait très mal. Nous avons consulté beaucoup de médecins.
Ils l’ont même hospitalisé. Je ne sais pas, le Docteur disait qu’il souffrait de ski...phonie... Je ne
sais pas mais il était très énervé et racontait parfois des histoires très étranges qui étaient
complètement fausses comme quand il disait qu’il était de race impériale et le fils de la reine
Soraya... Je ne sais pas, des choses comme ça... » Elle a continué la voix tremblante et en pleurant :
« Un jour il m’a plaquée contre le mur et m’a serré la gorge en me disant que je n’étais pas sa
mère... » Ses sanglots l’ont empêchée de continuer. a mis en forme : Police :Adobe Garamond Pro, 12 pt,
Couleur de police : Texte 1, Français
D’un côté, je n’arrivais pas à croire que ce que j’entendais était l’histoire vraie de ma vie et, de
l’autre, j’avais beaucoup de pitié pour sa mère.
C’était vraiment absurde qu’au lieu d’avoir pitié pour moi-même, je me préoccupais d’une
personne qui n’avait pas dit la vérité dès le début, une vérité que j’aurais dû connaître avant le
mariage !
J’avais enfin la réponse claire à une question qui m’effrayait : Kamran était atteint de
schizophrénie.
J’ai commencé à pleurer avec la mère de Kamran, non pas pour lui, mais pour moi-même et
pour ces maudites peurs qui me collaient encore à la peau et qui m’avaient poussée à continuer
cette vie-là jusque-là.
La mère de Kamran a continué : « Nous pensions tous que s’il se mariait, il irait sûrement mieux
et que quand il serait occupé avec sa vraie vie, il n’aurait plus ses pensées étranges. »
Je ne pouvais rien dire. Je me sentais très mal. J’étouffais, comme si j’avais un gros poids sur la
cage thoracique. Je ne sentais plus ni mes mains ni mes pieds. À cet instant, une seule question
résonnait dans ma tête : mon Dieu, dois-je divorcer ? Est-ce que je serais marquée comme
divorcée aux yeux de la société ?
Qu’en penseront les autres ?
Une fois légèrement calmée, sa mère continua : « Il allait mieux et le Docteur avait réduit ses
injections d’une fois par semaine à une fois tous les six mois. Il avait même dit qu’il n’avait plus
besoin de prendre des cachets. Mais je ne comprends pas pourquoi il a recommencé... »
J’avais envie de parler et me plaindre de ne pas avoir été informée avant le mariage, mais
Kamran et son père venaient de rentrer. Kamran n’allait pas très bien et dès que j’ai voulu m’en
approcher, son père m’en a empêchée en me disant : « Laisse-le tranquille jusqu’à ce qu’il se
remette. » J’étais très agacée mais comme je savais que si je commençais à parler les larmes ne me
lâcheraient pas, j’ai décidé d’essayer de me calmer avant de m’exprimer.

15
Kamran était livide. Il se plaignait sans cesse de la sécheresse de sa gorge, de son état bizarre
et de vertiges. Ce soir-là, nous avons été obligés de passer la nuit chez mes beaux-parents à cause
de son état. Comme il allait mieux le lendemain matin, son père a insisté pour qu’il se lève et qu’ils
aillent ensemble au bureau.
Étant restée seule avec la mère de Kamran, j’ai essayé de profiter de cette occasion pour lui
demander le nom et l’adresse du médecin traitant son fils. J’ai donc réussi à avoir son nom, son
adresse et le nom de l’hôpital où Kamran avait été hospitalisé. J’étais très idiote de croire que
j’avais été habile en faisant cela.
J’avais très peur de continuer à vivre avec Kamran et j’avais enfin accepté l’idée qu’il fallait que
je me sépare de lui. Mais la même peur habituelle et absurde de la séparation, qui était plus forte
que moi, m’empêchait d’avancer. Je pensais constamment à ce que j’allais faire après le divorce.
Comment la société accueillerait une jeune femme divorcée ? Que penseraient les gens ? Ne
diraient-ils pas que Shabnam est idiote de ne pas avoir compris dès le début ? J’étais submergée
par des pensées et des croyances absurdes et fausses qui émanaient de ma culture et qui m’avaient
appris à mettre mes désirs et mon bien-être en dernière position.
Le pire était le droit de la Femme dans les lois qui stipulaient que si au moment du mariage, on
n’avait pas clairement écrit que la femme avait le droit de divorcer, elle ne pourrait plus le faire
sans le consentement de son époux.
Avec les injections, les manifestations cliniques de la maladie de Kamran devenaient plus rares.
En réalité, ses humeurs, ses comportements et ses hallucinations étaient contrôlables par les
médicaments. Mais dès que la date de l’injection s’éloignait, son comportement changeait à
nouveau. Pendant ces périodes j’avais réellement peur de lui. Le pire était qu’il n’était jamais
volontaire pour ses injections et qu’il n’y allait qu’après insistance de son père ou d’une de ses
amies, Roya, que Kamran écoutait. Sans cela, il était impossible qu’il observe seul son traitement,
et il répétait qu’il n’avait aucun problème, que le problème c’était le cerveau des autres !
Un jeudi après-midi, il était rentré plus tôt que d’habitude. Prenant l’air d’un petit garçon gâté
qui ne voulait pas se faire punir, il est venu me voir et m’a dit :
« Shabnam, je veux te dire quelque chose, mais promets-moi de ne pas t’énerver ! »
Je lui ai répondu en riant : « Cela dépend... », mais il s’est rapproché et a dit : « Non, d’abord il
faut me promettre de ne pas me gronder ! »
J’ai dit : « Bon, dis-moi ce que c’est ! » Je n’avais plus de sentiment frais et amoureux pour cet
homme qui avait représenté pour moi le compagnon et l’être protecteur avant le mariage.
Il est allé dans la chambre à coucher et, à son retour, il tenait entre les mains la Torah que mon
oncle paternel m’avait offerte en souvenir.
La reliure était en argent et l’édition datait de plus de soixante ans.
Quand il me l’a donnée, j’ai failli m’étouffer de fureur : il avait arraché toutes les pages et il n’en
restait plus que la reliure.

16
Je lui ai demandé : « Qu’as-tu fait Kamran ? Pourquoi as-tu arraché toutes les pages ? »
Il m’a répondu : « Ce livre était ensorcelé et le garder à la maison n’était pas prudent. C’est
pour cela que j’en ai arraché toutes les pages et que je les ai brûlées.
»
J’étais en train de devenir folle ! Je ne savais pas comment réagir. Je sentais les veines de mon
cerveau enfler. Je me suis levée, très énervée, et j’ai dit à voix haute : « Quel sort ? Qu’est-ce que
cela veut dire ? Tu me rends folle ! » Je suis allée dans la chambre en claquant la porte.
Cette fois, malgré l’énervement qui m’avait envahie, je n’arrivais pas à pleurer. J’ai contacté sa
famille et j’ai tout raconté en leur demandant de ne pas oublier les injections de Kamran.
Parfois, en observant le comportement de sa famille, je me rendais compte que ce qu’ils
voulaient en réalité c’était une infirmière qui prenne soin de lui pour se décharger de leur
responsabilité. Il était évident qu’ils étaient fatigués de lui. Agacée, je leur rapportais les moindres
faits et gestes de Kamran.
La plupart du temps, leur façon de le blâmer montrait qu’ils n’étaient pas bien conscients de la
maladie de leur fils. Ils l’humiliaient pour son comportement et ses agissements. Cette réaction
m’affectait beaucoup et me faisait de la peine pour Kamran.
J’essayais de réduire nos relations sociales ; lorsque nous étions invités ou recevions, Kamran
parlait de choses étranges et de ses hallucinations qui étaient tellement incroyables que certains se
moquaient de lui. Ou alors il donnait des réponses très inconvenantes à des questions qu’on lui
posait. D’un côté j’avais honte, de l’autre j’avais vraiment de la peine pour lui.
Deux semaines après l’incident du livre brûlé, il avait rendez-vous pour ses injections. Il allait
de plus en plus mal et la prise de son traitement était mensuelle. Mais comme d’habitude, il refusait
d’y aller.
J’ai contacté son père. Très occupé, il m’a proposé d’appeler Roya pour qu’elle le pousse à aller
faire ses injections. Je n’avais pas d’autre solution.
Une heure plus tard, Roya est arrivée et, après une longue discussion, a réussi à le convaincre.
Je me demandais jusque quand je devais prier son père ou Roya pour venir le convaincre pour
son traitement ? Quand son père ne serait plus là, quel serait mon sort ?
Cette question occupait souvent mon esprit. Il fallait parler à l’homme de ma vie comme à un
enfant pour qu’il accepte d’être soigné. Au lieu de profiter de la vie, de nos moments ensemble,
de construire le progrès de notre foyer, j’étais obligée de me concentrer sur ses dates d’injection.
Le pire était aussi que sa famille ne se sentait pas du tout responsable et ne m’aidait pas beaucoup.
Comme une petite fille derrière une vitrine de magasin de jouets qui rêve d’avoir une belle
poupée, dès que je voyais un jeune couple heureux et souriant, je me sentais mal et j’étais accaparée
par le souhait d’une vie de couple calme.
Après l’injection, Roya est restée une demi-heure puis est partie. Comme d’habitude après ses
injections, Kamran n’était pas de bonne humeur. J’ai essayé de le laisser tranquille pour qu’il aille
mieux. Ce soir-là, il a voulu dormir dans la chambre d’invités. Comme je voulais lui faciliter la vie,
j’ai accepté.

17
Au mur de cette chambre, il avait accroché un sabre à deux pointes acheté lors d’un de ses
voyages en province. Sur l’autre mur, il y avait un tableau représentant l’imam Ali. Kamran aimait
beaucoup la décoration de cette chambre.
Cette nuit-là, en plein milieu de la nuit, il y eut un incident qui a mis fin à notre vie commune.
Je me suis réveillée avec un poids sur la gorge. J’avais du mal à respirer. Kamran serrait ma gorge
d’une main et, de l’autre main, il tenait le sabre en me disant d’une voix calme : « Tu es une
diablesse et ton âme doit être purifiée ! »
J’étais transie de terreur. J’ai pensé que c’était la fin et que je n’avais plus que quelques minutes
à vivre.
L’augmentation de la pression de sa main sur ma gorge et le manque d’oxygène m’ont incitée
à me débattre pour sauver ma vie. J’ai essayé de lui parler mais n’y arrivais pas à cause de sa main
qui appuyait sur ma gorge. J’ai réussi à murmurer : « Que fais-tu Kamran... C’est moi, Shabnam...
Lâche- moi... » J’ai essayé de l’éloigner en repoussant son ventre avec ma main mais on aurait dit a mis en forme : Police :Adobe Garamond Pro, 12 pt,
Couleur de police : Texte 1, Français
que son poids s’était décuplé. Je l’ai appelé à nouveau. Tout à coup, sans rien dire, il est allé
remettre le sabre à sa place et est venu se mettre dans le lit, m’a tourné le dos et s’est endormi.
Je ne savais toujours pas si je dormais ou si j’étais éveillée. J’étais tétanisée et incapable de
bouger. Je suis restée ainsi un bon moment, puis je me suis levée, je suis allée dans notre chambre
à coucher et me suis assise en pleurant doucement mais avec beaucoup d’amertume. Je me disais :
« Mon dieu, cela suffit ! Il y a neuf mois que je supporte cette vie et j’ai pitié pour Kamran mais je
n’en peux plus. Demain, je dirai à ma famille que je ne veux plus vivre avec lui. »
Je me suis parlée jusqu’au matin et j’essayais de me convaincre qu’il ne fallait pas se sentir
coupable de quitter Kamran et que c’est à sa famille de s’inquiéter pour leur fils, pas à moi.
Le lendemain matin de bonne heure, j’ai appelé Shadi pour lui demander une journée de congé.
Elle s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas et m’a demandé ce qui s’était passé.
Je lui ai répondu que je lui expliquerais en personne. Après ce coup de fil à Shadi et sans
attendre le réveil de Kamran, je suis allée chez ma mère. Dès mon arrivée j’ai éclaté en sanglots et
annoncé que je ne voulais plus vivre avec Kamran.
Quand j’eus fini de tout raconter en hoquetant et en larmes, je suis allée dans une autre
chambre pour continuer à pleurer en serrant mes genoux dans mes bras.
Mes parents n’ont pas été très surpris, on aurait dit qu’ils s’y attendaient. Ma mère, qui pleurait
tout en écoutant mon récit de l’incident de la veille, m’a dit : « Il ne faut plus que tu y retournes.
Nous allons voir sa famille pour en discuter avec eux. »
Elle se reprochait sans cesse à elle et à mon père de ne pas s’être mieux renseigné au sujet de
Kamran et de s’être contenté des liens de voisinage. Mon père, plus pragmatique, a répondu :
« Oui bien sûr, nous n’avons pas été assez prudents mais il est un peu tard pour les reproches et
il faut réfléchir à une solution. »

18
Après quelques minutes ma mère s’est approchée pour me consoler. Sa voix tremblante
trahissait son malaise : « Je sais que c’est très difficile mais tu te fais du mal en pleurant. Viens et
réfléchissons ensemble à ce que nous allons faire. » J’ai répondu : « D’accord ! Vas-y, je te suis. »
En réalité je n’avais absolument pas envie d’en parler mais plutôt, comme un enfant, je voulais
que tout s’arrange d’un coup de baguette magique et que je revienne à ma vie d’avant le mariage.
En même temps, je voulais que cette relation prenne fin le plus vite possible.
J’ai dit à ma mère : « Il y a quelque temps, en parlant de la maladie de Kamran à sa mère, j’ai
réussi à obtenir le nom et l’adresse du médecin qui traite Kamran. On pourrait aller le voir pour
qu’il nous donne un certificat attestant de la maladie et du traitement de Kamran. »
Ma mère a dit : « C’est une excellente idée. Nous irons cet après-midi à son cabinet, sa secrétaire
nous laissera peut-être le rencontrer pour en discuter avec lui. »
Dans l’après-midi, quand nous nous préparions à partir, j’ai dit : « au fait Maman, ma carte
d’identité et mon certificat de mariage sont chez vous. Prenons-les pour les montrer au médecin,
sinon je ne pense pas qu’il puisse nous donner des informations sur l’un de ses malades. » Comme
nous n’avions pas l’adresse exacte, il nous a fallu un certain temps pour trouver le cabinet du
médecin. Heureusement il était présent et n’avait pas plus de trois ou quatre patients dans la salle
d’attente. Nous avons prié la secrétaire de nous laisser voir le médecin une fois que tout le monde
sera passé. Au début, elle n’acceptait pas, mais en constatant notre insistance, elle nous a dit qu’elle
doutait que le médecin nous donne des informations en l’absence du patient.
Je lui ai dit que j’avais les documents prouvant que j’étais bien la femme de Kamran et, qu’à ce
titre, j’avais bien le droit d’avoir des informations sur sa maladie.
Elle a dit : « De toute façon, il faut que vous patientiez. » Après deux heures d’attente, nous
sommes enfin entrées et je me suis présentée en tant qu’épouse de Kamran Kardani, en posant
mes documents sur le bureau du médecin.
Après les avoir examinés, le médecin nous a demandé : « Que puis-je faire pour vous ? » Je lui
ai fait un résumé de ce qui s’était passé depuis le début de notre mariage et à la fin je lui ai demandé
de m’expliquer les caractéristiques de la maladie de Kamran.
Il m’a répondu : « Cela va faire à peu près sept ans que Kamran est sous traitement pour sa
schizophrénie. Généralement, cette maladie se manifeste à la puberté, mais comme Kamran s’est
rendu seul en Suède à l’âge de dix-sept ans, la maladie s’est déclarée là-bas. »
Le médecin parlait et je pleurais sans pouvoir me contrôler. Les larmes avaient envahi mon
visage. Il disait : « J’avais bien dit à ses parents qu’il ne fallait pas que Kamran se marie. Lorsqu’ils
m’ont demandé mon avis, j’étais absolument contre, et je les ai même avertis du risque que sa
maladie s’aggrave et qu’on serait obligé de rapprocher les injections. Mais visiblement, ils ne m’ont
pas écouté. »

19
Ma mère a demandé : « Que faut-il faire maintenant ? Qu’est-ce qu’on peut dire à cette
famille ? » Il a répondu : « Si votre fille veut rester et continuer à vivre avec Kamran, elle est
maintenant alertée, mais il faut savoir que s’il lui arrive quoi que ce soit, elle seule est responsable
car vis-à-vis de la loi, Kamran est malade et la loi n’émet pas de jugement pour un malade mental. »
J’étais sonnée. J’ai demandé : « Que voulez-vous dire par s’il m’arrive quoi que ce soit ? »
Le médecin, m’a répondu à la manière d’un professeur lassé des questions de son élève : « Les
schizophrènes ont souvent des hallucinations qui leur semblent réelles. Par exemple, il peut vous
voir comme le diable, ou comme un animal dangereux, et il voudra vous éliminer. » Il a continué :
« Il faut que vous sachiez que cette maladie est incurable et peut également être génétique. Avoir
des enfants avec ces patients représente un risque. »
Ma mère essayait de retenir ses larmes avec beaucoup d’efforts, mais elle n’y arrivait pas. Après
avoir un peu repris son souffle, elle lui a demandé : « Si, pour aller en justice, nous avions besoin
d’un certificat attestant de la maladie de Kamran et du fait que vous aviez alerté ses parents sur
les risques d’un mariage, nous le donneriez-vous ? »
En hésitant un peu, il a répondu : « Oui, si vous voulez, vous pouvez venir le demander à ma
secrétaire d’ici deux jours. »
Nous l’avons salué et sommes parties. Je ne savais pas où je devais aller. J’avais envie d’aller
chez ses parents, leur cracher à la figure en leur demandant pourquoi ils ne nous ont jamais parlé
de tous ces problèmes.
Ma mère, qui essayait de me cacher sa nervosité, a dit : « Rentrons à la maison pour en discuter
avec ton père et décider de la marche à suivre. » Mais j’avais envie d’être seule pour pleurer. Ce
n’était pas un petit problème qu’ils nous avaient caché, mais c’était trop tard et je me devais de
rester forte car je savais que j’avais une longue route difficile devant moi.
Sur le chemin du retour, ma mère m’a un peu reproché d’avoir attendu si longtemps avant de
parler de tout ça. J’ai répondu : « À cause des fausses idées que vous nous avez mises en tête à
propos du divorce qui est mal vu, de ce que diraient les gens,... »
Elle m’a interrompue : « On s’en fiche du qu’en dira-t-on ! Quand tu souffres dans ta vie, tu ne
dois plus écouter ces choses-là. »
J’ai poursuivi : « Finalement, c’est cette éducation absurde qui m’a obligée à continuer à vivre
avec Kamran jusqu’ici, si je n’avais pas ces fausses croyances, je n’aurais pas continué si
longtemps. »
Mais je me suis tue en me disant que ma mère n’était pas fautive et que je ne devais pas la
blâmer, elle-même a été victime de cette éducation et de cette culture traditionnelle, je ne devais
plus la déranger avec ça.
Ce soir-là, après avoir informé mon père de la conversation avec le médecin, il m’a dit : « Si tu
as décidé de te séparer de Kamran, sache que la porte de ma maison t’est grande ouverte. Ne te
préoccupe pas du tout de ce que diront les gens. C’est toi qui es importante... »

20
Ma mère l’a interrompu : « Qu’est-ce que ça veut dire si tu as décidé ? Elle doit divorcer ! Si elle
est en danger, il ne faut pas tergiverser. Nous avons été imprudents de ne pas nous être renseignés
mieux et nous avons nous-mêmes rendu notre fille malheureuse. C’est notre faute. »
J’ai dit : « C’est bon, dire ces choses-là n’a plus de sens maintenant. Je vais appeler Kamran
pour qu’il vienne ici et que l’on en discute. »
J’ai demandé à mes parents de ne rien dire à Kamran et de me laisser évoquer le sujet. Kamran
n’était pas en lui-même quelqu’un de mauvais. Si sa maladie le laissait tranquille, il était même un
très gentil garçon. Mais de toute manière ce n’était pas sa faute et quand la maladie s’aggravait, ce
n’était plus le même homme.
Lorsqu’il est arrivé, je l’ai emmené dans la chambre et, avec beaucoup de peine, j’ai essayé de
lui faire comprendre que je voulais me séparer de lui. Mais je n’ai pas réussi à lui avouer que la
raison de cette décision était sa maladie et il avait beau me demander pourquoi je le quittais, je
n’arrivais pas à le lui avouer.
Il était dans tous ses états. On aurait dit qu’il avait le vertige. Il est allé dans le salon pour
demander à mes parents : « Qu’est-ce qu’elle dit Shabnam ? Pourquoi veut-elle se séparer de
moi ? »
Mon père lui a un peu parlé pendant que j’étais encore dans la chambre et que je pleurais. J’étais
complètement déboussolée. J’avais de nouveau l’impression de rêver. Mes larmes continuaient à
couler sans que je puisse les contrôler. J’avais envie que quelqu’un vienne me réveiller.
Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’il était en train de s’échapper de ma cage
thoracique. Mon père a essayé de le raisonner et finalement lui a dit : « Pour l’instant, il vaut mieux
que Shabnam reste quelques jours ici. Quand elle ira mieux, tu pourras lui parler. Je vais moi-
même contacter ton père. »
Je suis restée chez mes parents et Kamran est allé chez les siens pour les informer de la
situation. Le soir même, son père a appelé le mien et lui a demandé des explications. Mon père lui
a dit la vérité. Que la cause de ma demande de séparation est la maladie de Kamran et que tous
nos problèmes venaient de là.
Comme je m’y attendais, son père a tout nié en bloc et a dit : « Qu’est-ce que vous dites
Monsieur ? Quelles sont ces accusations envers mon fils ? Qu’est- ce que la schizophrénie ?
Quelle maladie mentale ? Mon fils se porte très bien et n’a aucun problème. Si votre fille ne veut
plus vivre avec lui, elle n’a pas à trouver de fausses excuses... »
Monsieur Kardani continuait à tout nier en bloc et mon père l’a interrompu :
« Je vous propose, pour que tout soit bien clair, que nous nous donnions rendez-vous chez
Shabnam et Kamran car nous ne pouvons pas juger de cette décision par téléphone. » À la fin de
l’appel, mon père leur a demandé que l’on se retrouve tous chez nous pour en discuter, y compris
les témoins du mariage des deux côtés.

21
Le lendemain soir, mes parents, mes témoins et moi-même étions présents. Du côté de
Kamran, il n’y avait que ses parents et sa sœur. Quand mon père a demandé la raison de l’absence
de leurs témoins, Monsieur Kardani a répondu : « Nous avons notre réputation à conserver et
nous ne pouvons pas nous ridiculiser avec ces enfantillages ! De toute façon, qu’est-ce que c’est
que cette histoire de maladie ? Nous devons résoudre ce problème entre nous. »
Avec beaucoup de sang-froid, mon père lui a répondu : « Cher Monsieur Kardani, les
évènements qui ont eu lieu ne nous semblent pas du tout être des enfantillages et je suis sûr que
si votre propre fille se trouvait dans cette situation, vous ne resteriez pas sans rien faire... »
Le visage de Monsieur Kardani montrait clairement qu’il était prêt à exploser d’énervement.
Comme il était en surpoids, son visage rougissait à la moindre contrariété et semblait déborder de
sa peau.
Il avait l’intention de dominer la conversation et de se plaindre à nouveau. Mon père l’en a
empêché et s’est tourné vers moi : « Il vaut mieux demander à Shabnam ses explications et les
raisons de sa décision. »
J’ai jeté un coup d’œil rapide à Madame et Monsieur Kardani et à Nazanine. Le visage de
Madame Kardani était figé par la douleur et l’angoisse et, pour la première fois, je décelais un peu
de tendresse dans le regard de Nazanine. Le regard de Monsieur Kardani était celui d’un joueur
de cartes en train de perdre, qui ne voulait pas laisser paraître sa défaite par orgueil.
Comme j’étais bien décidée à en finir avec ce jeu, j’ai dit : « Je ne me sens pas capable de supplier
constamment Kamran d’aller faire ses injections, il ne m’écoute pas et à chaque fois je suis obligée
de faire appel à quelqu’un d’autre pour venir le convaincre. À la suite des derniers incidents, où
Kamran se tenait près de mon lit en pleine nuit et qu’il me parlait de trahison, ou bien qu’il voulait
m’étrangler car il croyait que j’étais le diable ou... » À cet instant, Monsieur Kardani, affichant un
sourire étrange teinté d’agressivité, m’a interrompue : « Quelles sont ces bêtises que tu inventes ?
Tout est faux ! Kamran ne ferait pas de mal à une fourmi. Reprenez votre vie... » Mon père l’a
interrompu à son tour : « Quelles bêtises Monsieur Kardani ? Je connais très bien ma fille. Elle est
assez intelligente pour savoir ce qu’elle fait. Ces évènements ne sont pas des affabulations.
J’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi Kamran doit recevoir des injections chaque mois ? »
Il s’est passé quelques secondes avant que Monsieur Kardani ne réponde à la question de mon
père : « Lorsque Kamran est allé en Suède et est revenu, comme il était jeune et que l’éloignement
de sa famille lui avait été difficile, il était un peu nerveux pendant quelques années. Son médecin
a trouvé que pour son bien-être, il valait mieux lui prescrire des médicaments. »
Kamran, tel un enfant ayant fait une bêtise et attendant sa punition, ne disait rien et restait assis
comme un petit être opprimé. Sa mère et sa sœur, pour confirmer les dires de Monsieur Kardani,
chuchotaient de temps en temps quelque chose à ma mère.
Après le discours de son père, j’ai dit : « Je sais très bien que Kamran n’est pas quelqu’un de
méchant, mais lorsque sa maladie s’aggrave, il n’est plus lui- même. Comme l’a dit son médecin,
s’il m’arrivait quoi que ce soit, nous n’aurons aucun recours légal, et comme Kamran est atteint
d’une maladie mentale, il n’est pas responsable selon la loi. Le médecin nous a clairement expliqué

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sa maladie et nous a même dit qu’il vous avait avertis du risque que représentait un mariage et que
sa maladie pouvait même s’aggraver. »

23
Il m’était très difficile de nommer ou de parler de sa maladie devant Kamran. J’étais bien
consciente qu’il souffrait beaucoup de mes paroles, mais j’y étais obligée car son père était en train
de nous prendre pour des imbéciles et niait tout en bloc. Pour me calmer et me rassurer, je me
disais que les vrais fautifs étaient ses parents car ils n’avaient pas anticipé ce qui se passait
maintenant.
Je continuais : « À cause du comportement étrange de Kamran, je n’ai même pas réussi à me
concentrer sur mes études et j’ai dû quitter l’université une année complète et... » Tout d’un coup,
Monsieur Kardani s’est déplacé sur le canapé et, très énervé, m’a interrompue : « Peut-on savoir
pourquoi tu vas à l’université ? Qui t’as demandé de faire des études ? Reste chez toi et occupe-
toi de ton mari... » Le son de ces paroles m’a enflammée... J’ai perdu tout contrôle et j’ai soulevé a mis en forme : Police :Adobe Garamond Pro, 12 pt,
Couleur de police : Texte 1, Français
la coupe de fruits en cristal qui se trouvait sur la table basse pour l’écraser par terre. Ma mère et
Nazanine m’en ont empêchée. En pleurs et en hoquetant, j’ai dit : « Que voulez-vous dire ? Avez-
vous engagé une esclave pour obéir à tous vos ordres ? Si votre propre fille était dans la même
situation, vous auriez dit les mêmes choses ? Maintenant c’est à vous de décider si je dois étudier
ou pas ? »
Mon père était très triste de me voir dans cet état et a fini par dire avec agressivité : «
Alors finalement vous reconnaissez que votre fils a besoin d’une infirmière et qu’il est bel et
bien malade ! Vous voyez bien dans quel état est ma fille, qui était pourtant si calme et posée,
après neuf mois de vie commune avec Kamran ! Et maintenant vous osez dire que tout ce qu’elle
dit est faux ? »
Le père de Kamran, déstabilisé, a dit : « Mon fils n’est pas fou Monsieur ! Il y a quelques années,
à cause de l’éloignement de sa famille, il a été un peu déprimé et c’est pour cela qu’il prend des
médicaments... »
Mon père, encore énervé, l’a interrompu à nouveau : « Nous étions en droit de savoir cela ! Je
dois avouer que c’est aussi notre faute d’avoir fait confiance à d’anciens voisins et de ne pas avoir
plus enquêté. Je vous ai confié ma fille calme et équilibrée et vous me la rendez fanée et nerveuse. »
Kamran, devant mon énervement, s’était retiré dans la chambre et Nazanine l’y avait suivi de
peu. Mon père était en train de parler quand Nazanine m’a appelée.
Kamran était en train de pleurer. J’avais beaucoup de peine pour lui mais je ne voulais plus
laisser ce sentiment avoir le dessus dans mon cœur. Nazanine m’a dit : «
S’il te plait Shabnam, change ta décision. Nous avons bonne réputation devant notre famille. »
Elle s’est ensuite tournée vers Kamran et lui a dit : « Et toi, tu allais mieux ! Pourquoi as-tu
recommencé tes folies ? »
Je me suis dit qu’on devait être très égoïste pour parler ainsi. J’ai dit : « S’il n’y avait pas le
problème de la maladie mentale, moi j’aime Kamran et ma vie, mais maintenant, la situation est
particulière. Je ne peux ni avoir des enfants, ni une vie normale. Aurais-tu accepté toi- même de
continuer une telle vie, alors que tu me demandes de rester juste pour garder intacte la réputation
de votre famille ? Ton père t’aurait-il dit les mêmes choses devant ta belle-famille, de rester et de
soigner ton mari ? Je crois que vous n’êtes absolument pas conscients de l’ampleur et de la gravité
de la maladie de Kamran ! »

24
Nazanine secouait la tête et sanglotait : « Je n’en sais rien, je suis perdue... »
Kamran s’est alors adressé à moi en pleurant : « Je promets de faire mes injections à temps.
Accepte seulement de ne pas te séparer de moi ! »
Son visage était rouge et couvert de larmes. Avec peine, je lui ai répondu : « Maintenant que
ton père est encore en vie, quelqu’un d’autre que moi t’oblige avec beaucoup de difficulté à les
faire ou même à aller travailler. Dans quelque temps, quand ton père ne sera plus là, que devrai-je
faire ? »
Je me suis ensuite excusée et ai quitté la chambre.
L’atmosphère qui régnait au salon était lourde. Ma mère et celle de Kamran discutaient.
Madame Kardani, contrairement à son mari, ne niait pas du tout la maladie de Kamran et donnait,
à voix basse, des explications à ma mère. Je me suis assise près d’elles pour leur dire : « J’ai essayé
de faire de mon mieux pour continuer à vivre avec Kamran. Lorsque j’ai appris pour sa maladie,
j’ai pensé pouvoir contrôler la situation, mais avec les derniers évènements, j’ai eu la certitude que
ce n’était pas réalisable. Lorsque je parlais à Kamran de ses comportements étranges, il ne s’en
souvenait pas. Cela démontre qu’il ne réalise pas ce qui lui arrive. Comme le disait le médecin,
n’importe quel nouvel évènement de la vie, comme la mort d’un proche, le mariage ou la naissance
d’un enfant, peut se transformer en choc pour ces patients et aggraver leur état ou provoquer chez
eux une réaction dangereuse.
J’ai vraiment essayé de l’encourager à vous voir plus souvent, car je sentais
bien que votre avis comptait beaucoup pour lui, mais je n’ai vu aucun effort de votre côté et
vous avez continué à être dans votre monde. C’est pourquoi je me suis dit que je ne pouvais pas
devenir une infirmière plus affectueuse qu’une mère et que j’ai moi aussi le droit d’avoir, comme
les autres, une vie calme. Je suis tout à fait sûre que si Nazanine avait le millième de mes problèmes,
vous ne lui permettriez pas de continuer ainsi sa vie. J’ai moi aussi le droit de décider de ma vie. »
Le père de Kamran, se levant, a dit avec beaucoup d’assurance : « Alors, puisque tu veux le
divorce, tu n’as qu’à t’en occuper toi-même car nous n’allons pas du tout t’aider. Nous n’avons
pas marié notre fils pour le faire divorcer... »
Mon père l’a interrompu : « Quelles sont ces paroles Monsieur Kardani ? Vous croyez que nous
avons marié notre fille pour la faire divorcer ? D’ailleurs, si vous dites que votre fils est
mentalement sain, c’est à Kamran lui-même de décider de collaborer, pas à vous. » Mon oncle par
alliance, qui était l’un de mes témoins de mariage et qui était venu à la demande de mon père, a
dit : « Monsieur Kardani, étant donné ce qui s’est passé, et comme ce mariage n’a pas d’avenir,
essayez d’être raisonnable pour que l’on puisse y mettre fin et que l’on permette à ces deux
personnes de ne pas souffrir encore plus. » Mais son père a rétorqué avec fermeté : « Non
Monsieur Amani, nous n’allons prendre aucune initiative pour ce divorce ! » Ils ont ensuite pris
congé en marmonnant.

25
J’étais épuisée. J’avais l’impression d’avoir déplacé une montagne. Le soir, Kamran est resté
seul chez nous et je suis repartie chez mes parents.
Le lendemain, avant d’aller au tribunal pour déposer une demande de divorce, je suis allée au
bureau pour expliquer la situation à Shadi et lui demander la permission de m’absenter quelques
jours. Je n’avais pas la force mentale de tout affronter en même temps.
Shadi, qui avait deviné que quelque chose n’allait pas rien qu’en me voyant, a commencé à
pleurer quand j’ai raconté les détails de la maladie de Kamran et ma décision de divorcer. Elle en
était très désolée et m’a assuré qu’elle ferait tout ce qu’elle pourrait pour m’aider.
En sortant de la société, je me suis dirigée vers le tribunal. J’avais pris un tchador avec moi car
il fallait en porter un pour pouvoir rentrer dans le bâtiment. La vue de personnes tristes, fanées et
nerveuses dans les couloirs me donnait la chair de poule. Une boule dans la gorge, je cherchais le
bureau où il fallait me rendre.
Finalement j’ai réussi à le trouver après un quart d’heure de recherche. Il y avait une longue file
d’attente devant la porte et je devais patienter jusqu’à ce que ce soit mon tour. Je me suis mise
dans la file et j’ai commencé à observer ce qui m’entourait. Une femme criait très fort : « Être une
femme sous l’islam des mollahs, c’est la misère, c’est la mort ! Si tu as un problème avec ton mari
et qu’il ne veut pas divorcer, tu dois brûler et mourir. »
Je ressentais des frissons en entendant ces paroles. Je me disais que peut- être moi non plus, je
n’arriverais pas à faire avancer les choses ! Ensuite, je me raisonnais en me disant que non, moi
j’ai le certificat du médecin. Donc mon cas est différent. En attendant, je me suis beaucoup parlé.
Quand arriva mon tour, je suis entrée dans le bureau du juge. Je lui ai donné les documents et
lui ai expliqué que mon mari était atteint de schizophrénie et que j’étais venue demander le divorce.
Le juge, après avoir examiné les pièces, m’a demandé : « Où est votre époux ? Sans sa présence,
vous ne pouvez rien faire... » Je lui ai dit : « Son père ne l’autorise pas à venir... » Le juge m’a
interrompue : « Est-ce son père qui divorce, pour qu’il ait besoin de son autorisation ? »
J’ai dit : « Comme je vous l’ai expliqué, il est malade, n’arrive pas à prendre de décision, et
comme il travaille pour son père, ce dernier ne l’autorise pas à venir au tribunal. » Le juge a jeté le
dossier devant son secrétaire : « Allez-vous-en et revenez avec lui car sans la présence de votre
époux, je ne peux rien faire. » Il a ensuite appelé la personne suivante.
Avec la boule devenue habituelle dans la gorge, je suis allée voir le secrétaire et lui ai demandé :
« Que dois-je faire ? Sa famille l’empêche de venir. »
S’étant rendu compte de mon état désespéré, le secrétaire m’a répondu : « Essaie de le contacter
toi-même et amène-le ici, car pour les maladies mentales, les membres de la commission médicale,
qui sont les médecins du tribunal, doivent l’examiner, évaluer son état et décider après. Même si
tu as les certificats médicaux, sans sa présence, rien ne peut se faire. »

26
J’ai explosé en sanglots dès que j’ai quitté le bureau. Je suis sortie du tribunal et j’ai attendu
dehors pour me calmer un peu. J’ai ensuite appelé Kamran et, contre ma volonté, je lui ai menti
en lui disant que je voulais discuter avec lui. Il m’a tout de suite demandé : « Cela veut dire que tu
veux revenir ? » J’ai hésité et lui ai répondu peut-être. J’ai continué en lui demandant de me
promettre de ne rien dire à sa famille de notre entrevue, sinon je changerais d’avis. Je lui ai donné
rendez-vous vers midi près de mon lieu de travail.
Je ressentais une haine pour moi-même et pour tout. La loi islamique iranienne m’obligeait à
mentir. Pour avancer dans mes démarches, j’étais obligée de mentir.
Je me suis souvenue que ma belle-mère m’avait parlé de l’hospitalisation de Kamran d’un mois
à son retour de Suède. J’avais deux heures devant moi. Je me suis dit que si j’allais à l’hôpital avec
mon formulaire de demande de divorce, ils me donneraient son dossier médical. J’ai vite pris un
taxi direction l’hôpital. En demandant à droite et à gauche, j’ai fini par trouver les archives. En
expliquant ma situation à l’aide du certificat donné par le médecin et du formulaire de demande
de divorce, j’ai demandé une copie de son dossier médical.
La dame qui était responsable des archives m’a dit : « Malheureusement, je ne peux rien vous
donner sans la présence du patient ou de ses parents. » Je l’ai alors suppliée : « Je vous en prie,
aidez-moi pour que je puisse avancer dans ma démarche car sa famille ne bouge pas le petit doigt
pour faciliter notre séparation... » Elle a alors élevé le ton en m’interrompant : « Je vous l’ai dit,
sans leur présence, je ne vous donnerai rien : » et elle a refermé la porte.
Ma boule dans la gorge m’empêchait de respirer et je commençai à étouffer. Je sortis
rapidement de l’hôpital pour me rendre à mon rendez-vous avec Kamran.
Dès qu’il est arrivé, j’ai vu qu’il était très content, il pensait certainement que j’allais revenir
vivre avec lui.
Il m’a dit en souriant : « Tu as joué à la petite fille gâtée. Reviens vers notre foyer ! Qu’est-ce
qui te manque ? »
Je n’avais pas le courage ni la patience de tout expliquer à nouveau et Kamran n’avait pas l’air
de comprendre la situation. Je lui ai dit : « Si tu me promets de m’accompagner à l’hôpital où tu as
été hospitalisé pour qu’ils nous donnent ton dossier et que nous l’apportions ensemble au tribunal,
je te promets de réfléchir. »
Il a répondu : « Eh bien, tu recommences ! Ne m’as-tu pas dit que tu revenais ? » J’ai dit : « Je
n’ai rien promis. Fais cela pour moi et je pourrais prendre ma décision plus tranquillement. »
J’avais enfin compris que Kamran, tel un enfant de six ou sept ans, était simple et crédule et
qu’il était vite appâté par des promesses. On aurait dit qu’il vivait dans un autre monde.
Après beaucoup de pourparlers et d’insistance de ma part, il a enfin accepté de venir avec moi.
Je ne voulais pas que cela dure trop longtemps pour que son père ne se rende pas compte de son
absence et comprenne qu’il était avec moi. Il a fait un malaise dès la porte d’entrée de l’hôpital
franchie. Il était complètement pâle. J’ai eu très peur.

27
Je lui ai demandé : « Que se passe-t-il ? Pourquoi es-tu si pâle ? » Il a dit :
« Je sens que je me noie. »
J’ai paniqué : « Pourquoi ? Que se passe-t-il ? »
Après une pause, il a dit : « Cela me rappelle mon hospitalisation ici. Ils m’attachaient au lit et
me donnaient des chocs. Je ne veux pas rester ici. Sortons au plus vite ! »
Je me dégoutais de lui avoir fait revivre ses souvenirs. Je me parlais et me répondais : « Bon
qu’est-ce que je fais ? Si je ne l’avais pas emmené ici, je ne pourrais pas demander le divorce... Si
son égoïste de père avait accepté un divorce par consentement, Kamran et moi n’aurions pas eu
tous ces soucis. »
Très rapidement, j’ai entamé les démarches pour obtenir au plus tôt le dossier pour sortir de
ce maudit hôpital. Après une demi-heure de passage d’un bureau à l’autre, grâce à la présence de
Kamran, nous sommes ressortis avec une copie de son dossier médical.
Maintenant, je ne savais plus quoi dire à Kamran. Sur le chemin du retour, il m’a demandé :
« Tu ne veux pas que je dise à mes parents de revenir une fois chez vous pour discuter avec ta
famille pour que tu reviennes ? » Je lui ai répondu : « Kamran, es-tu bien conscient que cela ne
regarde pas nos familles et que c’est à nous deux de décider ? Disons que ton père et le mien se
mettent d’accord, quel est mon rôle là-dedans ? »
Il a dit : « Bon sang, qu’est-ce que tu es difficile ! Viens vivre ta vie. Il ne te manque rien. On
dirait que le bonheur t’a lassée ! Je te l’ai dit, je promets de faire mes injections. »
Je savais bien que comme toujours, discuter avec lui n’avait aucun effet et que cela ne faisait
que me fatiguer encore plus. Alors, j’ai dit : « Très bien, je vais bien réfléchir et je te recontacte. »
Et je lui ai demandé de me déposer sur le chemin de la maison de mes parents.
Quand je suis arrivée, ma mère m’a demandé : « Qu’as-tu fait ? Je t’avais dit de me laisser
t’accompagner pour que tu ne sois pas seule. » J’ai répondu : « Non maman chérie ! Cela t’aurait
énervée et tu n’aurais rien pu faire. » Je lui ai ensuite expliqué en détail tout ce qui s’était passé.
Le lendemain je suis retournée au tribunal avec tous les documents en ma possession. J’étais
sûre que cette fois les choses avanceraient. En même temps, je cherchais une solution pour amener
Kamran devant la commission médicale. De nouveau après une longue attente, je suis entrée dans
le bureau du juge. Après étude du dossier, il m’a dit : « Très bien, le secrétaire va vous fixer un
rendez- vous pour la commission médicale dans trois mois, il faudra y venir avec votre époux.
Après la troisième réunion de la commission, réunions qui ont lieu tous les trois mois, cela veut
dire à peu près d’ici un an, vous reviendrez avec l’avis de la commission pour que le jugement soit
rendu. »
Tout tournait autour de moi. Mes oreilles n’entendaient plus. Mes yeux ne voyaient plus rien.
Mon Dieu, dans trois mois, uniquement la première réunion de la commission médicale, et cela
doit se répéter trois fois... Avec peine, j’ai dit au juge : « Monsieur le juge, la première réunion dans
trois mois ? C’est très tard ! Vous ne pouvez pas donner un rendez-vous plus tôt... » Il m’a
interrompue et en jetant les documents sur le bureau du secrétaire, il a dit : « Non Madame, c’est
la loi ! Il n’y a pas que votre dossier ! Personne suivante ! »

28
Je suis allée voir le secrétaire et lui ai demandé : « Vous ne pouvez pas faire quelque chose pour
avancer la date pour moi ? Tel que cela se présente, je dois passer ma vie au tribunal ! »
Il m’a répondu : « Je suis désolé, je n’y peux vraiment rien. Si je le pouvais, je vous aiderais. »
J’ai dit : « En plus, on m’a dit que mon mari devra être présent aux trois réunions. Je ne peux
pas l’y forcer. Que puis-je faire ? »
Il a eu pitié de moi et m’a dit : « Bon essaie de voir ce que tu peux faire, car tu n’as pas d’autre
solution. Si tu veux y arriver, il faudra l’emmener avec toi. » Il m’a ensuite indiqué le chemin vers
le bureau où il fallait compléter le dossier pour la commission médicale et prendre rendez-vous.
En sortant du bureau du juge, je me suis rendue le plus vite possible au bureau concerné. Après
une longue attente, c’était mon tour. Le responsable du bureau était un mollah. Quand je suis
entrée, il m’a dévisagée des pieds à la tête et m’a dit : « Bien ma fille, approche-toi et dis-moi ce
que je peux faire pour toi.
» J’ai resserré fort mon tchador et je lui ai mis le dossier sur son bureau.
J’ai dit : « Il faut votre accord pour avoir un rendez-vous pour la réunion de la commission
médicale. »
Il s’est levé, a quitté son bureau et s’est rapproché de moi en me tendant la main. J’étais sonnée.
Je me suis dit qu’il voulait surement me serrer la main. Sinon, pourquoi il me la tend ?
D’un coup, il a saisi mon poignet et m’a dit : « Tu es une fille jeune, pourquoi te retrouves-tu
dans ces endroits ? Je ferai en sorte que la première réunion de la commission pour ton divorce
ait lieu beaucoup plus tôt pour toi, mais il y a une condition... » Tout en parlant, il me serrait mon
poignet.
Je n’y croyais pas ! Je me suis dit mon dieu, mon grand dieu, où est-ce que je suis ? Au tribunal ?
Un endroit où ils ont pour devoir de résoudre les problèmes douloureux des gens, un endroit où
les pauvres femmes doivent gâcher leur vie à essayer d’obtenir des droits qu’elles n’ont plus ?
Pourquoi dans la loi islamique la femme n’a pas le droit de divorcer ? Non, mon dieu, cela dépasse
mes capacités ! Je n’en peux plus, cela suffit...
À cet instant, seuls sa voix basse et ses mots incompréhensibles résonnaient dans entre mes
oreilles. Pour me défaire de sa main répugnante, j’ai retiré la mienne avec une telle force que mon
tchador est tombé. Je me suis dirigée vers la porte en pleurant comme un enfant à qui on avait
retiré son jouet le plus cher, puis j’ai dit : « Nous sommes dans un lieu où vous devez m’aider à
faire respecter mon droit de musulmane. Et vous, vous me faites de telles propositions ? »

29
Le mollah, affolé, et ayant peur que l’on ne m’entende, m’a répondu : « Que se passe-t-il
Madame ? Je veux vous aider à accélérer vos démarches... »
J’ai fortement claqué la porte et suis sortie du tribunal. Je ne me préoccupais pas du tout du
regard des passants. Mon tchador traînait par terre. J’étais tellement énervée que j’insultais la terre
et le monde entier. J’étais écrasée. Je n’arrivais pas à croire ce qui m’arrivait. Jusque-là, je pensais
que ces choses n’arrivaient que dans des films, mais maintenant c’est ma vie qui s’était transformée
en film !
J’ai fini par me calmer en marchant un peu. J’ai téléphoné à une de mes amies dont le père avait
un haut poste au gouvernement et lui ai raconté rapidement ce qui m’arrivait. Je lui ai demandé
où je pouvais porter plainte. La pauvre était sonnée et m’a dit : « Shabnam chérie, je suis désolée
que tu aies subi cela. Essaie de te calmer. Je te contacte d’ici trente minutes sans faute. »
J’étais très perturbée. Je ne savais pas où aller. Je me suis rendue à la société pour parler à Shadi.
J’ai demandé à sa secrétaire pour la voir. Dès qu’elle a vu mon état, sans poser de question, elle
est vite rentrée dans le bureau de Shadi et en est ressortie pour me dire qu’elle était disponible. En
m’apercevant, Shadi s’est levée de son bureau pour venir vers moi : « Que se passe-t-il ? Qu’est-ce
que tu t’es fait ? »
Je lui ai tout raconté. Mes sanglots m’interrompaient de temps en temps. Shadi était très
affectée et essayait de me consoler. Elle m’a dit : « Je sais que tu traverses des moments difficiles
mais saches que maintenant que tu as pris ta décision, il va te falloir être très forte et ne plus te
laisser affecter autant. »
Pendant notre conversation, mon amie Elnaz, qui devait me rappeler, a téléphoné. Elle m’a dit
que d’après son père il fallait que je porte plainte au bureau principal de la magistrature et m’en a
donné les coordonnées. Après une heure à parler avec Shadi, je m’étais enfin calmée. Je me suis
levée, ai pris congé et suis rentrée chez mes parents. J’ai raconté l’incident à ma mère mais je n’ai
rien dit à mon père, je savais qu’il allait vouloir résoudre directement le problème avec le mollah
en question.
Le lendemain, j’ai pris rendez-vous avec le bureau principal de la magistrature pour porter
plainte. Ils m’en ont fixé un deux jours plus tard. Avec ma mère, nous nous y sommes rendues à
l’heure convenue. Après avoir été reçues par le directeur général du bureau, qui me semblait être
un homme raisonnable, celui-ci m’a demandé d’expliquer les raisons de ma plainte.
J’ai commencé : « Je pense que l’un des endroits où l’on peut faire totalement confiance aux
employés est le tribunal. Le divorce est une des démarches très lourde de sens pour les femmes,
dans cette Société. Alors lorsque l’un des employés de ce tribunal, qui se dit religieux, au lieu à
m’écouter, vient me saisir la main et me dit que pour éviter de courir de droite et à gauche, je dois
accepter sa proposition pour qu’il fasse avancer mon dossier, que dois-je comprendre ? J’ai des
parents qui m’aident, je travaille et je suis indépendante. Mais que peuvent faire les filles qui n’ont
rien ni personne ? Je suis sûre que nombre d’entre elles qui n’avaient personne pour les soutenir
et qui étaient désespérées ont dû accepter ces propositions. »
Le directeur m’a demandé de lui donner le nom et le numéro du bureau de ce mollah, et après
nous avoir lu la plainte à haute voix, nous a dit de revenir dix jours plus tard pour en connaître le
résultat.

30
Entre temps, les vacances universitaires étaient finies et je devais me réinscrire. Je n’avais
aucune envie que mes problèmes viennent interférer avec mes études. Je savais que
psychologiquement, je n’étais pas tout à fait prête pour étudier, mais je n’avais pas d’autre solution.
Je me suis inscrite en dernière année de mon cursus universitaire.
La société qui m’employait avait déménagé dans des locaux plus vastes sur la place Vanak,
l’augmentation du volume de travail et l’emploi de nouveau personnel l’exigeant. Cela faisait un
moment que je n’y allais plus régulièrement à cause de mes problèmes. J’ai demandé à Shadi de
considérer mon emploi, dès le début de ce mois, comme un stage d’études, pour que je puisse
finir la dernière année universitaire le plus rapidement possible. Shadi m’a demandé de le formuler
par écrit pour le comité de direction et d’en attendre la réponse. Heureusement, une semaine plus
tard, j’ai reçu la réponse positive du comité et de Shadi.
J’essayais de m’occuper l’esprit avec le travail et les quelques modules universitaires qui
restaient, mais me concentrer était devenu très difficile. Kamran m’appelait sans cesse pour me
demander si j’avais bien réfléchi et pris ma décision.
J’avais caché mon travail et mes études à sa famille car, s’ils l’avaient su, ils auraient freiné mes
démarches au tribunal en prétextant que je travaillais sans l’autorisation de mon époux.
J’avais envie de prendre l’avis de quelques avocats pour bien m’informer sur ma situation
juridique, sur mes droits et sur la marche à suivre. Leurs honoraires étaient cependant très élevés.
J’aurais aussi pu confier mes démarches à un avocat et me concentrer sur mon travail et mes
études sans avoir à courir les couloirs du tribunal. Mais bon, cela m’était impossible.
J’ai pris rendez-vous avec deux avocats, dont l’un était le père d’une amie, pour avoir leur avis.
Les deux m’ont dit que Kamran ne pouvait pas être juridiquement responsable et ne pouvait donc
pas prendre ses propres décisions. C’était donc son père qui devait décider pour lui. Par
conséquent, dans notre cas, il s’agissait d’une annulation de mariage et non d’un divorce. Ils m’ont
dit que selon la loi, c’était à la famille de Kamran de me le verser entièrement. S’ils refusaient, je
pouvais avoir, faisant office de Mehrieh, un bien immobilier ou tout autre bien au nom de Kamran.
Comme le père de ce dernier était totalement opposé à séparation, il fallait s’attendre à ce qu’il
refuse de payer le Mehrieh.
Concernant le Mehrieh : une somme fixée à l’avance que l’époux doit verser à sa femme en cas
de séparation,

31
Malgré les moments très difficiles que je traversais, j’ai décidé de ne pas couper mes liens avec
Dieu. Je lui demandais de l’aide. Tous les matins avant de me lever et tous les soirs avant de me
coucher, je l’implorais. J’étais sûre qu’avec son aide je réussirai. Je ne perdais pas espoir, car je
savais que cette puissance absolue me donnerait l’énergie nécessaire pour persévérer.
Dix jours se sont écoulés et j’ai appelé le secrétaire du directeur du bureau principal de la
magistrature pour connaître le résultat de ma plainte. Il m’a demandé de m’y rendre en personne.
Heureusement, on avait bien tenu compte de ma plainte, et j’ai appris que le mollah qui m’avait
fait sa proposition dégoûtante avait déjà fait l’objet de sept autres plaintes. Cette fois ils l’avaient
relevé de ses fonctions. J’ai demandé au secrétaire : « Il y a eu sept autres plaintes ? Alors pourquoi
ce monsieur travaillait encore et n’avait pas été renvoyé ? » Le secrétaire, qui visiblement n’avait
pas envie de répondre à ma question, m’a lancé un regard contenant mille points d’interrogation
en secouant la tête.

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J’occupais mes journées avec le travail et les études en attendant la date de réunion de la
commission médicale du tribunal. Je me sentais utile et, le plus important, je me sentais
financièrement indépendante. Un matin, pour mettre à jour une pièce appartenant à l’un de nos
clients, j’ai dû me rendre au troisième étage, au service commercial. Dès que j’ai ouvert la porte,
je suis restée pétrifiée à la vue de Camélia, la cousine germaine, du côté maternel, de Kamran. Je
ne savais que dire. Inconsciemment, je l’ai saluée et je suis repartie à mon étage sans faire mon
travail. J’ai très vite contacté Shadi et lui ai expliqué la situation. Elle était aussi surprise que moi
et m’a dit : « Quelle coïncidence. Es-tu sûre que c’était bien la cousine de Kamran ? Je sais que
l’on vient d’embaucher une nouvelle secrétaire au service commercial mais j’ignorais qu’elle avait
un lien avec la famille de Kamran. Je lui ai répondu : « Oui, j’en suis sûre, je l’ai rencontrée à
plusieurs réceptions familiales. Si jamais elle en parle à la famille de Kamran, ce sera une
catastrophe. Monsieur Kardani pourra prendre sa revanche et m’empêcher d’avancer, quel sera
mon sort ? » Shadi m’a dit : « Bon, ne t’inquiète pas, je vais en parler à Monsieur Jahanian, le
directeur général, pour qu’il lui fasse bien comprendre qu’elle ne doit rien dire à la famille de
Kamran. » Heureusement, Camélia était intelligente et n’a jamais parlé de mon travail à la famille
de Kamran.
En classe, au lieu d’être attentive, je pensais constamment à des stratégies pour que Kamran
accepte de se présenter devant la commission.
Sa famille ne nous avait pas du tout contactés et était sûre que je devais être très occupée à
courir à droite à gauche pour faire avancer la procédure. J’espérais aussi que Kamran ne leur avait
rien dit de nos rendez-vous.
Selon la loi islamique, si la femme demande le divorce, elle n’a droit à aucune aide financière
de son mari. En même temps, elle ne peut pas travailler sans l’autorisation de ce dernier. Alors se
pose la question : comment continuer à vivre ? Dans la société musulmane, si une femme ne peut
plus continuer à vivre avec son mari et demande le divorce, et si ses raisons ne sont pas légalement
suffisantes, elle n’a même pas le droit de se séparer, et le mari peut refuser de l’aider
financièrement. Elle n’a alors plus aucune solution. Elle doit renoncer à vivre et mourir !
Les jours passaient et la date de la réunion de la commission approchait. La seule solution qui
me restait pour convaincre Kamran à s’y présenter, était de lui laisser miroiter la possibilité de
mon éventuel retour au foyer.
Mes collègues de bureau ont petit à petit appris que j’étais en pleine séparation. J’avais
beaucoup de chance de travailler avec de vrais êtres humains qui me soutenaient moralement pour
que je puisse mieux supporter le poids de mes problèmes. Mais pour moi-même, fréquenter mes
amies, surtout celles qui étaient mariées, était difficile. J’avais l’impression que le regard des autres
sur une femme séparée de son mari était différent et je me sentais de trop en leur compagnie. Il
ne restait plus qu’une semaine avant la date de réunion de la commission et j’étais très stressée.

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J’ai enfin trouvé un moyen pour que Kamran accepte de venir au tribunal. Je l’ai appelé vers
treize heures. J’ai insisté pour que son père ne sache pas qu’il m’avait en ligne. Je lui ai dit que
j’avais décidé d’accepter de revoir sa famille pour discuter, mais à une condition. Il m’a dit : « S’il
te plaît, au nom de Dieu, arrête ce jeu ! Cela suffit ! Reviens à la maison, pourquoi tu continues à
poser des conditions ? » Je l’ai interrompu en lui disant que s’il voulait vraiment que je revienne, il
devait m’écouter. En grognant un peu, il m’a dit : « Bon, raconte ! »
J’ai dit : « Le tribunal veut constituer une commission médicale. Si à leur avis, tu es sain,
j’accepterai volontiers de recevoir ta famille pour discuter. Il faut que tu me jures que tu ne leur
en diras rien, car tu connais ton père ! » Il m’a répondu : « Mais enfin, je suis déjà venu une fois
avec toi, que me demandes-tu de plus ? »
À son ton, il était évident qu’il n’allait pas bien et qu’il n’avait pas reçu ses injections, car lorsque
la date d’injection s’éloignait, il devenait très facilement irritable et agressif. Je me suis dit que la
chance n’était pas dans mon camp et que j’avais choisi le mauvais moment pour l’appeler. Mais je
n’ai pas abandonné et lui ai dit : « De toute façon, j’ai aussi mes droits. Si tu acceptes, rappelle-moi
d’ici ce soir. » Sans me dire au revoir, il a raccroché.
Il ne m’a pas rappelée ce soir-là. J’étais inquiète et avais peur qu’il en parle à sa famille et qu’elle
lui interdise de venir. Kamran m’a rappelée le lendemain après-midi et m’a dit : « Je ne
t’accompagnerai au tribunal qu’à une seule condition, que tu arrêtes tes enfantillages et que tu
retournes chez nous. » J’ai répondu : « D’accord, si tu m’accompagnes, je reviendrai. » Nous nous
sommes donné rendez-vous devant le tribunal. Après avoir raccroché, j’étais pétrifiée pendant
quelques secondes. Je me disais, mon dieu, je mens avec une telle facilité ! Un mensonge que je
sais très néfaste et ayant des conséquences pénibles pour Kamran. Cependant, c’était la seule issue
possible cause de sa famille et des lois du pays.
Nous avions rendez-vous à quinze heures et j’avais l’espoir que Kamran y arrive, car il dormait
chaque jour jusqu’à midi. Avec ma mère, nous étions devant le tribunal avant quinze heures. Mon
cœur, par le stress, était en train de percer ma poitrine... Il était quinze heures et Kamran n’était
toujours pas arrivé. Je devenais folle. J’ai dit à ma mère qu’il en avait certainement parlé à sa famille
et qu’ils l’ont empêché de venir. Ma mère me consolait constamment. Elle essayait de garder son
sang-froid. Elle a dit : « Allons à l’intérieur, ils vont nous appeler. » On nous a appelés à quinze
heures dix. Quand je leur ai dit que mon époux n’était pas encore arrivé ils nous ont accordé un
quart d’heure. J’essayais d’appeler Kamran, sans succès. J’étais en train de mourir de colère.
Finalement, Kamran est arrivé à quinze heures vingt. Sans lui dire bonjour je lui ai lancé : « Je
t’avais dit que le rendez-vous était à quinze heures. Pourquoi es-tu en retard ? » Son sourire
montrait qu’il ne prenait pas la situation au sérieux. Il a répondu : « Mon père m’avait donné un
travail à finir... » Je l’ai coupé : « Dépêche-toi, viens ! On est en retard. »
Quand nous sommes entrés dans le bureau, ou pour mieux dire, le salon où avait lieu la
commission médicale, ils nous ont demandé d’y aller chacun à notre tour car nous devions
répondre séparément à leurs questions. Ils m’ont convoquée en premier. Sept médecins étaient
assis autour d’une table ovale. Un secrétaire notait toutes mes réponses.

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Chaque médecin m’a posé des questions sur les états et les comportements de Kamran avant
et après ses injections. Ils m’ont aussi demandé comment j’ai appris qu’il était malade. Je leur ai
répondu avec attention et précision. Ils m’ont ensuite demandé de sortir et faire entrer Kamran.

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Il y est resté plus longtemps que moi. À sa sortie il avait la mine défaite, exactement comme
lorsque son père insistait pour qu’il fasse ses injections.
« Regarde ce que tu me fais ! Nous étions en train de vivre tranquillement. Qu’est-ce qui te
manquait pour que tu commences ce jeu-là ? », me dit-il.
C’est très difficile d’avoir face à soi quelqu’un qui n’est pas dans un état mental sain et surtout
qui ignore qu’il est malade. Je n’arrivais pas à lui parler comme à un être normal car il ne vivait pas
dans le même monde que moi. Il n’avait pas la capacité de comprendre mes souhaits ni les
problèmes que me causait notre vie commune. Le jour où nos deux familles s’étaient réunies pour
discuter de nos problèmes, lorsque je relatais ses paroles et ses comportements étranges, il était
évident qu’il ne s’en souvenait absolument pas. Et il riait. Sa mère, habituée à son état, pleurait et
hochait sa tête. J’avais beaucoup de choses à dire, mais parler à Kamran n’était que me fatiguer
moi-même.
Je lui ai dit : « D’accord, tu as raison. Attends, je vais demander quand nous aurons les
résultats. » Le secrétaire nous informa d’un délai de deux semaines pour connaître les résultats de
la commission et de l’obligation de notre présence. Il était même possible que la première réunion
ne soit pas conclusive et que nous ayons à attendre la troisième réunion pour connaître le résultat
définitif. En entendant la dernière partie de sa phrase, j’ai gelé sur place. « Qu’est-ce que ça veut
dire ? Est-ce que l’examen du malade par sept médecins avec toutes leurs questions n’est pas
suffisant ? » Le secrétaire, peu avenant, n’a absolument pas tenu compte de mon état d’angoisse :
« C’est comme ça ! Allez-vous-en, revenez dans deux semaines. Si vous avez des plaintes à
formuler, faites-le par écrit. »
Pour le retour, Kamran nous a poliment proposé de nous raccompagner. Je ne voulais pas
qu’il trouve là une occasion de répéter ses demandes de mon retour au foyer. Je ne voulais pas
être encore obligée de mentir. Je lui ai répondu que ma mère et moi avions une course à faire et
que nous ne retournions pas directement chez nous. Il nous a alors dit au revoir en souriant,
comme s’il avait déjà oublié son énervement d’il y a quelques minutes.
Après son départ, bien que n’étant pas tout à fait en état de travailler, j’ai dit à ma mère que
j’allais au bureau. Elle a tenté de m’en dissuader et m’a plutôt encouragée à me reposer un peu.
Mais je savais que je devais occuper mon esprit en travaillant et que rester à la maison à ne rien
faire me noierait dans des pensées douloureuses et stériles. Ces jours-là, aller travailler représentait
une distraction pour moi.
En entrant dans la société, j’ai aperçu l’un de mes collègues, Mahiar, qui appartenait à la famille
du mari de Shadi. Il travaillait à un autre étage. Me voyant arriver au travail à une heure inhabituelle
et la mine déconfite, il m’a demandé, inquiet : « Il s’est passé quelque chose ? » Je n’avais pas du
tout envie de m’épancher. Je lui ai juste répondu qu’il n’y avait rien de grave et me suis dirigée vers
mon bureau.

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Les deux semaines d’attente pour la réponse de la commission médicale m’ont semblé durer
deux ans. Les employés du tribunal n’avaient jamais un comportement très correct. Même pour
répondre à une question, ils ne relevaient pas leur tête. J’ai donc renoncé à y retourner pour me
renseigner. Je n’avais d’autre choix que de patienter. Je voulais que ce cauchemar terrifiant prenne
fin au plus tôt.
Finalement, le jour de l’annonce est arrivé. Sur la route pour aller au tribunal, je réfléchissais à
la réponse que j’allais avoir. J’étais presque sûre que comme Kamran avait lui-même été présent
et que sept médecins avaient discuté avec lui, le résultat serait en ma faveur. J’étais dans l’ensemble
moins inquiète que les fois précédentes. Je suis entrée dans le bureau du secrétaire, l’ai salué et lui
ai dit que je venais pour le résultat de la commission médicale. Je lui ai mis le numéro du dossier
sur son bureau. Avec son air habituel, après m’avoir négligemment salué à son tour, il a regardé le
numéro du dossier et a commencé à chercher. Deux minutes plus tard, il est revenu à son bureau
et a dit : « Madame, les médecins ont décidé que la commission devait se réunir à nouveau en
présence de votre époux. Ils ont d’autres questions à lui poser afin de compléter le dossier et
émettre leur avis définitif. »
Je ne m’attendais pas à cette réponse. Je me suis mise à bégayer : « Mais... Mais pourquoi
Monsieur le juge a dit que si mon mari était là, j’aurais une réponse... Mais... » Il ne m’a pas laissée
finir : « Madame, c’est la loi et je n’y peux rien. C’est la réponse inscrite sur votre dossier. »
J’étais encore au bord des larmes. J’ai eu du mal à parler : « J’avais déjà expliqué la première
fois... La famille de mon mari l’empêche de venir et s’ils s’en rendent compte, j’aurai de gros
problèmes dans mes démarches... La dernière fois j’ai eu beaucoup de mal à le convaincre et j’ai
dû user de mensonges... » Le secrétaire m’a interrompue de nouveau : « Cette fois-ci aussi, mentez-
lui. De toute façon, je vous ai donné le résultat. La deuxième réunion de la commission est prévue
dans trois mois. Je vous ai noté la date exacte sur ce papier. »
J’avais envie de crier très fort que la seule chose qui n’avait pas de valeur ici était la vie des êtres
humains. Tous les documents médicaux démontraient que mon mari était atteint d’une maladie
mentale et qu’en vivant sous le même toit, ma vie était bel et bien en danger. La séparation était
mon droit. Mais pour l’obtenir, je devais arpenter les couloirs du tribunal. Quelle sorte de loi est-
ce ? À quel moment cette loi respectait-elle les femmes ?
Mon Dieu, comment pourrais-je encore réussir à faire venir Kamran au tribunal ? En plus, son
égoïste de père était absolument contre le divorce par consentement mutuel. Je n’avais pas d’autres
solutions que de patienter. Si j’abandonnais mes efforts, ce serait moi qui perdrais, pas Kamran.
Je devais donc rester forte et continuer.
Je n’ai plus contacté Kamran et lui non plus. Il ne m’a même pas contactée pour connaître le
résultat de la commission. Il semblé avoir oublié. Je regardais les jours se succéder dans une attente
mortelle.
J’ai passé les examens finaux à l’université avec beaucoup de difficulté. Je savais que je ne devais
pas m’attendre à de brillantes notes. Dans ces circonstances, seul le fait de valider mes modules
comptait pour moi.
Je n’avais pas eu la moyenne à un module de mathématiques. Pour pouvoir le passer à
nouveau, j’ai demandé à l’un de mes professeurs de bien vouloir me donner quelques cours

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particuliers, ce qu’il a fini par accepter devant mon insistance. J’ai fait tout mon possible pour
passer ce module et finir le projet de fin d’année, que je réalisais avec une autre étudiante, pour
avoir l’esprit tranquille au moins sur le plan des études.

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Il semblait que Kamran s’était souvenu de moi. Il avait appelé une ou deux fois ma mère pour
lui demander de mes nouvelles. Pour qu’il ne sache pas que j’étais au travail, elle lui répondait que
j’étais chez ma sœur ou que je n’allais pas bien et que je ne souhaitais pas lui parler. Lors de ses
appels, il n’avait même pas mentionné la commission médicale et n’avait posé aucune question à
ce sujet. J’ignorais s’il l’avait oublié ou si cela lui importait peu ou pas du tout.
J’ai été reçue au deuxième examen de mathématiques et j’ai réussi à rendre le projet de fin
d’études dans les temps. J’étais enfin tranquille sur ce plan et je n’avais plus à jouer à cache-cache
pour étudier. Mes occupations diverses me facilitaient l’attente des trois mois pour la deuxième
réunion de la commission médicale.
À cette époque, mes sujets de conversation préférés étaientt devenus la loi, les droits des
femmes et bien sûr les problèmes rencontrés lors de mes nombreuses visites au tribunal.
Il me restait un mois pour finir mon stage d’études, à la fin duquel Shadi m’offrirait un contrat
de travail définitif. J’étais très contente. Je me disais que même si je n’étais pas heureuse dans ma
vie privée, au moins je travaillais avec des personnes dotées de haute qualité humaine et je
remerciais le ciel d’avoir la paix de ce côté-là.
La date de la deuxième réunion de la commission médicale approchait et je ne voulais plus
contacter Kamran à ce sujet. J’ai contacté le père avocat de mon amie pour lui demander son avis
sur l’absence de Kamran à cette deuxième réunion. Est-ce que ce qui s’était dit lors de la première
rentrait quand même en ligne de compte ? Il était d’avis qu’il fallait essayer de faire venir Kamran
à nouveau, et qu’en son absence la commission ne prendrait probablement pas de décision en ma
faveur.
Mais je n’avais vraiment pas envie de jouer avec les nerfs de quelqu’un de souffrant. Cela me
semblait être abusif cette fois. J’ai donc décidé d’y aller sans Kamran.
Comme d’habitude, j’étais en avance le jour de la réunion. Quand ils nous ont appelés Kamran
et moi, je suis entrée. Ils m’ont demandé de ses nouvelles. Avec beaucoup d’assurance, j’ai dit :
« D’après les certificats médicaux et comme vous l’avez constaté vous-mêmes la dernière fois,
mon époux souffre de schizophrénie et n’a le droit de rien faire sans l’autorisation de son père. La
dernière fois, j’ai réussi à le faire venir avec des promesses et je lui ai demandé de ne rien dire à sa
famille. Mais je ne peux plus lui faire de fausses promesses pour le faire venir. La décision est entre
vos mains maintenant. »
Après m’avoir écoutée, l’un des médecins a dit : « Très bien, sortez et attendez qu’on vous
appelle. » J’ai attendu près d’un quart d’heure et ils m’ont appelée de nouveau à l’intérieur. Le
même médecin, qui avait l’air raisonnable, a dit : « À notre avis, et comme le témoignent les
certificats médicaux, votre époux est bien atteint de cette maladie, mais... » En entendant le
« mais », tout mon être a tremblé « ...comme le dit la loi, vous devez attendre encore trois mois
pour la troisième réunion de la commission médicale... ». Je l’ai interrompu : « Pourquoi une
troisième réunion ? Si tout est certifié des points de vue juridique et médical, pourquoi vous nous
faites perdre du temps ? » J’ai alors éclaté en sanglots : « Si c’était un homme dont l’épouse avait la
même maladie, vous lui auriez aussi demandé des certificats médicaux ou vous l’en auriez
débarrassé sans aucun document ? »
Un autre médecin a alors répondu : « Madame, nous sommes vraiment désolés mais c’est la loi
et il faut en passer par toutes les étapes. Vous pouvez demander le troisième rendez-vous au
secrétaire. » Et il a fait un signe à la dame qui était assise à mes côtés. Je pleurais tellement que je

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n’ai rien saisi des explications du secrétaire et j’ai juste pris la feuille pour le prochain rendez-vous
qui était dans trois mois avant de sortir.

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J’ai pris un taxi pour me rendre au travail en pleurant et en murmurant avec Dieu. Mon Dieu,
Quelle loi humaine stipule qu’il fallait mettre tant de restreintes pour les femmes mais que dès
qu’un homme ne veut plus vivre avec sa femme, il peut, sans rendre des comptes ou sans donner
de raison, jeter la malheureuse hors de son foyer.
J’étais fatiguée et écrasée. Je suis arrivée au travail les yeux rouges et enflés. Je ne voulais pas
du tout rentrer chez moi et attrister ma mère avec mon état. Je l’avais assez ennuyée ; dernièrement
j’étais devenue irritable et je l’avais assez harcelée avec mon comportement. Je voulais être seule
et m’occuper l’esprit par le travail. Me concentrer dessus me permettait de m’éloigner un tant soit
peu de tous mes problèmes.
En entrant dans le bâtiment de la société, je n’avais envie de rencontrer personne tant que mes
yeux n’avaient pas dégonflé. Mais, par hasard, j’ai rencontré Mahiar qui avait quelque chose à faire
à notre étage, devant la porte de mon bureau. Je me suis forcée à lui sourire, comme si tout allait
bien. Mais de toute façon, en voyant ma tête, n’importe qui serait demandé ce qui m’arrivait.
Mahiar n’y a pas dérogé et m’a demandé ce qui se passait. Sans le vouloir, je lui ai avoué que j’étais
en train de divorcer et que je revenais du tribunal, et je suis entrée dans mon bureau. Il m’a dit
être désolé pour moi, son affection se lisait sur son visage. Son état m’intriguait. Je lui ai raconté
en résumé pourquoi je me séparais et à quelle étape j’en étais. On aurait dit que cette confession
brève m’avait allégée d’un poids et j’ai commencé à travailler dans un meilleur état d’esprit.
À cette époque, pour m’échapper de ma pénible solitude, je restais au bureau assez tard le soir.
Mais j’étais en permanence stressée à l’idée que la famille de Kamran apprenne que je travaille et
où je travaille. Je ne savais pas à quel point je pouvais faire confiance à Camélia et à sa discrétion
promise.
Comme les fois précédentes, dans l’attente de la troisième réunion de la commission médicale,
je laissais passer les jours. Je n’avais pas d’autre choix. Le stress et l’attente des allers-retours au
tribunal faisaient partie intégrante de ma chienne de vie.
Dans ces conditions difficiles, Shadi, en tant que ma supérieure hiérarchique directe, me
soutenait sans réserve que ce soit moralement ou pour me permettre de m’absenter de temps en
temps.

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Cette nouvelle situation était en quelque sorte en train de me construire. La recherche de
solutions pour les petits et grands problèmes, la volonté de résister à la dépression, et enfin le
souhait de me garder en bonne santé physique pour pouvoir réagir en temps voulu avaient fait de
moi une autre Shabnam. Ça me rendait fière.
Il restait deux jours avant la troisième réunion de la commission médicale. Cette fois aussi,
j’avais décidé de m’y rendre seule et n’avais pas contacté Kamran. Lui aussi, il me contactait moins
qu’avant. Peut-être qu’il était en train d’accepter la situation et qu’il s’habituait à mon absence. Ou
bien, dans son état, avait-il complètement oublié qu’il avait une épouse ?
Les sept mêmes médecins et le même secrétaire étaient là et m’ont de nouveau demandé
pourquoi mon mari n’était pas là. J’ai répondu : « Comme je l’avais dit la dernière fois, sa famille
l’empêche de venir. » Le même médecin qui était intervenu la fois précédente, m’a dit : « Très bien
Madame, dans ce cas, nous allons revoir une nouvelle fois les documents et le dossier de votre
époux et nous vous ferons connaître notre avis en tenant compte des circonstances. » Alors que
l’angoisse envahissait mon visage, j’ai vite dit : « Où et quand aurai-je le résultat ? » Cette fois, le
secrétaire a répondu : « Pour le résultat, il ne faudra pas revenir ici. Nous allons transmettre l’avis
de la commission médicale au bureau du juge en charge de votre dossier de demande de divorce
et vous devez vous y rendre d’ici un mois. »
Encore un mois d’attente ! Je n’ai rien dit, j’ai pris le récépissé de mon dossier et je suis partie.
Je me suis assise dans la salle d’attente pour réfléchir. Je me disais qu’il ne fallait plus m’inquiéter
et que, grâce à Dieu, tout sera bientôt fini. Tout à coup, j’ai été secouée par un immense doute.
Et si la commission votait contre, malgré les certificats médicaux ? Dans ce cas, sa famille serait
très heureuse et se moquerait de moi et n’accepterait pas le divorce. Quel serait alors mon avenir ?
Je me suis répondu que non, il n’y avait aucune raison d’avoir peur. Dans les documents de
l’hôpital, il est clairement écrit que Kamran est atteint de schizophrénie. Son médecin a également
attesté que continuer la vie conjugale représentait un danger pour moi. De plus, les médecins de
la commission l’ont interrogé eux-mêmes. Alors, il n’y a aucune raison d’être inquiète et tout sera
réglé dans le bon sens, avec l’aide de Dieu.
Une fois calmée, je suis allée travailler. En premier lieu, j’ai rapidement appelé ma mère et
Nassim pour leur dire comment s’était passée cette troisième réunion. Elles m’ont soutenue
comme d’habitude et m’ont souhaité de réussir. Shadi attendait aussi le résultat. J’ai pris rendez-
vous avec elle auprès de sa secrétaire et suis allée dans son bureau pour tout lui raconter. Je lui ai
dit que si tout se passait bien grâce à Dieu, je serais libre d’ici deux mois au plus tard, et que ce
cauchemar finirait ainsi qu’une année de course, stress et angoisse. Elle m’a dit : « C’est vrai que
tu as beaucoup souffert ces derniers temps, mais se battre contre les problèmes te rendra plus
forte et tu auras une plus grande expérience de la vie. »

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J’avais changé de poste dans la société et j’étais devenue technicienne réparatrice. J’aimais
beaucoup mon travail et l’ambiance. Ce goût pour mon travail m’encourageait à mettre le passé
de côté. Mais je ne m’étais pas encore habituée à l’étiquette de femme séparée et je n’acceptais que
très rarement les invitations de mes amies. Dans l’entreprise, bien qu’à l’aise avec les collègues
hommes (qui étaient par ailleurs très polis et corrects), j’essayais toujours de mettre une plus
grande distance entre eux et moi. Ils étaient aussi conscients de mes inquiétudes et essayaient de
ne pas créer de situation embarrassante pour moi. Cependant, seule l’attitude de Mahiar était
différente. Il faisait beaucoup plus attention à moi, venait plus souvent à l’étage où je travaillais et,
il m’appelait même parfois sur ma ligne directe pour me poser des questions techniques.
Avant la fin du délai d’un mois, j’ai téléphoné au bureau du juge pour m’enquérir de l’état
d’avancement de mon dossier. Ils m’ont dit ne pas pouvoir répondre au téléphone et qu’il fallait
me rendre sur place. Le fait de porter le tchador et aller dans ce lieu surpeuplé et chaotique me
gênait moins qu’avant. Soit je m’y étais habituée, soit c’était l’effet du comportement agréable de
Mahiar qui m’aidait à mieux supporter ces conditions.
Je me suis rendue au bureau du juge. Comme d’habitude, il fallait que j’attende un long
moment. D’un côté je remerciais le ciel de ne pas être dans une situation habituelle de divorce, de
l’autre j’avais vraiment beaucoup de pitié pour les femmes qui étaient là et qui devaient crier fort
pour réclamer leurs droits. Je commençais à détester de plus en plus les lois de mon pays.
Une pauvre femme dont le mari était fortement dépendant à l’opium, qui avait vendu tous
leurs biens pour s’en procurer et qui n’était même pas prêt à se désintoxiquer, était venue
demander le divorce. Mais comme son mari était contre le divorce, le juge avait tranché en sa
faveur à lui en disant à la femme que tant que son époux subvenait à ses besoins et qu’il ne voulait
pas divorcer, elle devait rester et continuer à vivre avec lui. Cette pauvre femme criait en pleurant :
« Pourquoi ne vous en rendez-vous pas compte ? Je n’ai pas demandé qu’il subvienne à mes
besoins ! Cet homme est devenu opiomane après le mariage et il est en train de nous faire tout
perdre. Il est toujours soit en transe, soit comme mort ! Je ne peux pas avoir une vie saine avec
cet homme. »
Je me demandais comment le juge avait pu donner ce verdict, et s’il s’agissait de sa propre fille,
aurait-il donné ce même verdict ?
J’étais plongée dans mes pensées quand le secrétaire m’a appelée. En entrant, le juge, qui avait
l’air très débordé comme d’habitude, m’a demandé : « Vous êtes venue pour avoir le résultat de la
commission médicale ? » J’ai aquiescé. Hésitant un peu, il dit : « L’avis de la commission est que
Monsieur Kamran Kardani est bien malade. Du point de vue juridique, il n’est pas responsable et
ne peut pas prendre de décision. Donc, d’après la loi islamique, votre mariage n’a jamais été légal
dès le début et un verdict d’annulation de mariage vous a été accordé. Mais... » En entendant le
« mais », je me suis figée, je me suis dit pourvu qu’ils ne trouvent pas d’autres bâtons à me mettre
dans les roues.
« ... Mais comme son père se trouve être son tuteur, il faut que lui-même ou son avocat soit
présent pour la notification et la signature de l’acte d’annulation du mariage. Comme le veut la loi,

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nous allons lui notifier le verdict et s’il est d’accord et ne fait pas appel, votre dossier sera fermé
après signature du verdict. »
D’un côté, j’étais contente que le verdict rendu me soit favorable mais de l’autre, j’étais sûre et
certaine que le père de Kamran allait me poser problème.

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J’ai demandé : « Comment pourrais-je savoir si ce monsieur est d’accord ou pas ? Et pour la
réponse définitive, dois-je vous appeler, ou bien allez-vous me la notifier ? » Le juge m’a répondu :
« Si Monsieur Kardani ne fait pas appel, vous recevrez par courrier une convocation pour venir
au tribunal. Pour ce qui est du Mehrieh, si son père est prêt à le payer, les choses iront vite. Dans
le cas contraire, c’est à vous de voir avec lui, ou bien renoncer au Mehrieh ou prendre d’autres
dispositions. De toute façon, si son père, en tant que tuteur, s’opposait au verdict, l’examen du
dossier serait de nouveau reporté. »
Comme à l’accoutumée, il a jeté le dossier sur le bureau du secrétaire et a appelé la personne
suivante. Comme si les questions qui se présentaient aux usagers n’avaient aucune importance. Il
se comportait comme si l’usager n’avait même pas le droit de poser de questions. J’éprouvais de
la pitié pour moi-même mais, une fois encore, je n’avais d’autre choix que de patienter.
Je devais maintenant prier pour que le père de Kamran ne s’oppose pas au verdict, mais j’en
doutais fort. Certainement qu’il s’y opposerait, rien que pour me piquer avec son venin. J’étais
également sûre qu’il ne paierait pas le Mehrieh. Je n’avais plus aucun contact avec Kamran.
Quelques mois avant, ma mère l’avait appelé pour fixer un rendez-vous le vendredi, pour que
nous allions chez lui chercher mes affaires.
Ma mère et moi sommes donc allées chez Kamran le vendredi en question. Il était seul. Il avait
l’air normal. C’était comme si on lui avait demandé d’aider un ami à déménager. Il était très à l’aise
et nous aidait même à faire les cartons. Contrairement aux autres fois, il ne m’a pas du tout parlé
de mon éventuel retour ou de notre vie commune. On aurait dit qu’il avait enfin accepté la
séparation. Ma mère et moi avons ramené mes affaires chez mes parents. Comme je n’avais pas
du tout envie d’avoir des objets qui me rappelleraient cette vie commune, j’en ai vendu une partie
à très bas prix, et donné l’autre partie.
Quatre semaines après ma dernière visite au tribunal, ma mère m’a appelée dans l’après-midi,
pour me dire que j’avais reçu une lettre du tribunal. C’était une convocation au tribunal dans cinq
jours.
Le jour venu, je me suis présentée au bureau spécifié sur la convocation. Après dix minutes, le
secrétaire a appelé nos noms à Kamran et moi. Quand je suis entrée, le juge a dit : « Apparemment,
la partie adverse, c’est-à-dire le tuteur légal de Monsieur Kamran Kardani n’est pas présente. Dans
ce cas, nous sommes obligés de reporter le rendez-vous à une autre date. » J’ai demandé : « Et si
jamais il ne vient pas au prochain rendez-vous non plus, que se passe-t-il ?
» Le juge a répondu : « Comme le veut la loi, nous sommes obligés de lui envoyer trois
convocations et s’il ne se présente pas la troisième fois, l’annulation de mariage sera prononcée
en son absence. » Il m’a ensuite demandé, à propos du Mehrieh, si j’avais eu un accord avec la
famille de Kamran. Je lui ai dit que jusqu’à présent, il n’y avait eu aucune discussion à ce sujet. Il
m’a alors demandé si je voulais y renoncer. Sans hésiter, je lui ai dit non et que j’étais pratiquement
sûre que le père de Kamran n’accepterait pas de le payer.
Le juge a donc ajouté qu’il enverrait également une demande écrite à la famille de Kamran pour
préciser la situation à ce sujet. Il a demandé au secrétaire de me donner un rendez-vous dans un
mois.

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Depuis ma séparation, malgré le bon accueil de mes parents, mon père ne cessait de me
reprocher de rentrer tard du travail ou d’accepter de sortir avec mes collègues. Il se disait inquiet
et ne voulait pas qu’on médise sur moi. Mais en faisant cela il me gênait plus qu’autre chose. Je lui
disais : « Mon cher papa, j’ai vingt-sept ans et il n’y a aucune raison pour que, malgré l’erreur que
j’ai commise et qui m’a conduite au divorce, je doive m’enfermer à la maison ou me couper du
monde. Tout cela pour que les commères ne me collent encore une autre étiquette. Ne soyez pas
extrémiste ! Je fais déjà attention et je ne vais chez personne. Est-ce pêcher que d’aller quelques
fois à la montagne avec mes collègues ? »
J’essayais de ne pas laisser ce sujet me parasiter l’esprit, mais cela me pompait quand même de
l’énergie. Un jour, à la société, la direction m’a demandé de former un nouvel employé. C’était un
grand garçon qui s’appelait Anoush. J’ai appris plus tard que c’était un ami de Mahiar. C’était un
garçon très joyeux et agréable au premier abord.
Ces jours-là, Mahiar avait trouvé une bonne excuse pour venir à notre étage : faire, soi-disant,
une petite pause cigarette avec Anoush.
Toute la famille d’Anoush avait émigré aux États unis et il vivait seul dans leur maison. Sa mère
lui rendait de temps en temps visite.
Mahiar et Anoush étaient très proches. On aurait dit que Mahiar représentait le grand frère.
D’après lui ils passaient le plus clair de leur temps libre ensemble.
Comme d’habitude, selon la loi, j’ai reçu une convocation écrite au tribunal cinq jours avant.
Comme je m’y attendais, même leur avocat n’était pas présent et le juge a reporté le rendez-vous
un mois plus tard, pour la troisième fois. Ce serait le dernier rendez-vous. J’étais très agacée mais
je m’attendais évidemment à ce type de comportement de la part du père de Kamran. De toute
manière, je n’avais d’autre solution que de patienter.
Les jours passaient dans l’attente du dernier rendez-vous. On m’avait donné la responsabilité
de la formation du personnel du service des réparations. J’étais ainsi à un bureau installé dans un
coin de l’atelier de réparation. Un jour, avant midi, Mahiar m’a appelée sur ma ligne directe et,
après avoir pris de mes nouvelles, m’a demandé pour la première fois : « As-tu du temps pour aller
boire un café ensemble à la fin de la journée ? » J’ai été très contente de sa proposition et j’ai
accepté. Mais juste après avoir raccroché, de drôles d’idées m’ont occupé l’esprit. Je me suis dit,
pourvu qu’il ne me prenne pas pour une fille facile. Par ailleurs, comme je n’étais pas encore
officiellement divorcée, si jamais on venait à nous arrêter ensemble, quel malheur s’abattrait sur
moi ? C’était des idées angoissantes issues du fait que la femme n’était pas considérée comme un
être à part entière, et qu’un simple café ou une conversation avec un collègue pouvait être qualifié
de débauche !
Je suis allée voir Shadi dans son bureau pour lui raconter le coup de fil de Mahiar et mes peurs
conséquentes. Elle m’a dit : « Ce sont ces mêmes peurs qui ne te laissent pas prendre correctement
tes décisions. Sortir avec Mahiar ne représente pas autant de risques que tu te l’imagines, ta peur
est exagérée. » Après dix minutes de conversation, elle m’a convaincue d’aller au rendez-vous sans
stress.

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Malgré les paroles de Shadi, j’étais quand même excitée mais j’essayais de paraître calme. J’en
ai aussi parlé à Laleh et Sanaz qui m’ont toutes deux rassurées également en me disant qu’il n’y
avait pas de quoi s’inquiéter et qu’il n’y avait aucune raison que Mahiar me juge mal et qu’elles ne
le voyaient pas du tout dans cet état d’esprit.
Mahiar m’a rappelée vers la fin de la journée pour savoir si j’étais prête. Je lui ai dit que je le
rejoindrais dans cinq minutes devant l’entrée.
En sortant, je l’ai vu qui m’attendait. Je n’étais pas très à l’aise. Certes nous étions collègues
depuis plus d’un an, et je l’avais rencontré avant cela dans la plupart des réceptions de Shadi et
son mari, mais j’avais quand même un sentiment étrange. Nous sommes allés au café le plus
proche, l’ambiance y est feutrée et intime. Après avoir commandé des cafés, Mahiar m’a demandé
si tout allait bien dans mon travail. Il m’a aussi un peu raconté ce qu’il faisait dans le sien. Je sentais
qu’il n’était pas non plus très à l’aise et même un peu timide. Après un quart d’heure ou vingt
minutes de discussion sur le travail, Mahiar m’a posé une question qui m’a pétrifiée. Sans aucun
préambule, il m’a demandée en mariage ! J’avais les bouts des doigts gelés et les mains moites.
Ensuite, sans attendre ma réponse, il a commencé à me parler de sa situation familiale.
Son père était décédé depuis quelques années et il vivait avec sa mère. Sa sœur était mariée et
avait deux enfants. Sa mère était la seconde femme de son père et d’après ce qu’il m’a raconté,
son père avait été quelqu’un de très difficile à vivre.
Il a poursuivi : « Bon, maintenant je te demande de bien réfléchir à ma proposition. Je ne veux
pas de réponse tout de suite. Je comprends ta situation actuelle. »
J’ai dit : « Pour te dire la vérité, j’ai eu un choc ! Je ne m’attendais pas du tout à ta proposition.
Tu sais que je ne suis pas encore divorcée. C’est vrai que le verdict a été rendu mais il reste encore
les finalisations administratives et je ne sais pas combien de temps cela peut prendre. Je ...je...te
trouve plutôt bien, mais nous devons faire un peu plus connaissance, je n’ai plus envie de prendre
des décisions hâtives. » Il a rebondi : « C’est d’accord. Cela ne pose aucun problème. En attendant
nous pouvons apprendre à mieux nous connaître. »
D’un côté, j’étais très heureuse que quelqu’un me fasse cette proposition, surtout que
j’éprouvais de bons sentiments vis-à-vis de lui. De l’autre côté, j’étais inquiète pour ma situation
qui n’était pas très claire. Je n’étais pas non plus très attirée par l’idée de sortir régulièrement avec
Mahiar, car si nous nous faisions arrêter, c’était moi qui aurait de gros problèmes, j’étais une
femme pas encore officiellement divorcée.
Quand Mahiar m’a raccompagnée chez mes parents, j’étais inquiète à l’idée qu’eux ou qu’une
connaissance de ma famille nous aperçoivent ensemble car j’en craignais les conséquences. Je n’ai
rien dit à mes parents de la demande en mariage de Mahiar.
Je me disais, mon dieu que c’est bon de savoir que quelqu’un pour qui tu as de bons sentiments
les a lui aussi envers toi ! Mais aussi que c’est difficile de ne pas pouvoir librement le fréquenter
pour mieux le connaître et savoir si tu peux envisager de vivre avec lui.

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J’avais envie d’avoir assez de courage pour m’élever contre toutes ces barrières et déclarer haut
et fort que je ne voulais pas faire un mariage traditionnel. De dire que j’ai envie, à vingt- sept ans,
de vivre seule. J’ai aussi envie de vivre quelque temps avec quelqu’un pour savoir si je peux le
choisir pour la vie, car c’était bien là la seule solution... Mais je n’étais pas assez forte pour y arriver
et, à cause de l’éducation que j’avais reçue, j’accordais bien plus d’importance à ce que diraient les
gens et au jugement de la Société qu’à mes propres désirs.
Le lendemain, dès l’arrivée de Shadi, je suis allée la voir pour lui raconter toute ma soirée avec
Mahiar. Elle était très agréablement surprise et me disait qu’elle était heureuse pour moi. Elle avait
une très bonne opinion de Mahiar et de sa famille.
L’avis de Shadi a réussi à me calmer un peu l’esprit. Avant d’en parler à mes parents, j’ai raconté
cette histoire à ma sœur et son mari. Ils m’ont demandé de faire plus attention et de ne pas prendre
de décision précipitée. Je n’étais pas non plus pressée de prendre une décision et j’avais envie de
fréquenter plus souvent Mahiar tant que j’en avais l’occasion. Nassim était inquiète et m’a dit de
faire bien attention tant que mon dossier de divorce n’était pas clos.
Ma vie privée n’était pas très stable pendant cette période, mais sur le plan professionnel j’avais
évolué. Je dirigeais à présent le service des réparations.
La date du troisième rendez-vous au tribunal approchait. Je redoutais un nouveau plan
diabolique du père de Kamran, mais j’étais contente de savoir que la fin des démarches
administratives était proche. Je me disais que même si Monsieur Kardani avait l’intention de faire
quelque chose, il ne pouvait plus trop retarder la procédure à ce stade.
Pendant ce temps, je m’étais rapprochée de Mahiar. Nous nous voyions souvent au travail pour
raisons professionnelles et nous donnions parfois rendez-vous au café. Shadi et une autre collègue
et amie au courant de la situation nous invitaient ensemble chez elles. La plupart du temps, nous
nous rencontrions chez Anoush, afin d’être plus longtemps ensemble.
À la convocation du tribunal pour la dernière fois, alors que l’avocat de la famille Kardani
devait venir signer l’annulation du mariage, il y eut un évènement qui, comme d’habitude, ne
m’était pas favorable. Cette fois, leur avocat était venu mais le père de Kamran s’était opposé au
verdict et ne voulait pas payer le Mehrieh. Il s’était également plaint que j’avais emporté, en
déménageant, des affaires appartenant à Kamran. Le père de Kamran qui avait souvent dit ne pas
avoir d’intérêt pour les biens matériels, était enfin en train de montrer son vrai visage.
J’ai répondu qu’il mentait et que le jour où j’avais pris mes affaires, Kamran était présent et que
je n’avais pris que les affaires qui m’appartenaient. Cette fois, pour la première fois, le juge a donné
une réponse qui m’a beaucoup plu. Il a dit à l’avocat : « À propos des affaires emportées, les faits
ont eu lieu en présence de Monsieur Kamran Kardani... » L’avocat a interrompu le juge :
« Monsieur le juge, d’après le verdict du tribunal, Kamran Kardani n’étant pas légalement
responsable sa présence ce jour-là n’a pas de valeur légale. Madame a emporté tout ce qu’elle
voulait et... » Agacée et énervée, j’ai coupé la parole à l’avocat : « Monsieur le juge, voyez comme
ils sont incohérents dans leurs propos ! D’un côté, ils refusent le verdict du tribunal, nient la
maladie de leur fils et disent que je me rebelle en demandant le divorce, et de l’autre ils ne
considèrent pas leur fils comme un adulte en bonne santé. Est-ce que leur refus du verdict et leur
incohérence vous semblent raisonnables ? »

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Le juge, qui semblé d’accord avec mes conclusions, s’est tourné vers l’avocat : « Leur plainte
contre le verdict n’est pas acceptable. S’ils disent que leur fils est malade et que sa présence lors
du déménagement ne compte pas, alors leur refus du verdict du tribunal n’a aucun sens. Ce refus
incohérent est une intimidation. D’après les témoins et les documents médicaux, Monsieur
Kamran Kardani est effectivement irresponsable aux yeux de la loi et son père est considéré
comme son tuteur. Au sujet de la plainte à propos de l’enlèvement des affaires de Monsieur
Kamran Kardani, si son père ne le considérait pas comme un adulte responsable, alors il se devait
d’être présent lors du déménagement de madame, pour qu’il n’y ait aucune confusion. » Il a
examiné le dossier quelque temps et a poursuivi : « Dans tous les cas, le Mehrieh de madame doit
être payé, mais combien et comment, étant donné qu’il n’y a pas de bien immobilier ou autre au
nom de Monsieur Kamran Kardani, vous devez vous-mêmes arriver à un accord. »
J’ai dit : « Lors du mariage, ils ont dit que l’appartement où nous vivions était au nom de
Kamran mais aujourd’hui ils disent qu’il est à sa mère. Il n’y a aucun doute sur le fait que le
transfert de propriété ait été effectué après. N’y a-t-il aucun moyen légal de résoudre le problème
dans ce cas ? » Le juge a répondu :
« Si, vous pouvez porter plainte contre le fait qu’ils aient transféré la propriété de Kamran à sa
mère après votre demande de divorce. Mais je ne vous le conseille pas car il va falloir passer
beaucoup de temps pour réunir les preuves pour le tribunal. »
Pleine de haine, j’ai répondu : « J’ai passé presque deux ans à apporter des preuves qui existaient
dès le début sur les documents. Je n’ai plus de nerfs pour continuer. »
Le juge a dit : « Alors je vous conseille de voir ici même avec monsieur l’avocat pour fixer un
rendez-vous et vous mettre d’accord sur le montant de Mehrieh qu’ils sont prêts à vous verser.
Ainsi, comme vous le dites, vous ne perdrez plus votre temps. »
En sortant du bureau du juge, l’avocat de Monsieur Kardani a finalement déclaré qu’il était prêt
à me payer un sixième du Mehrieh, à savoir près de trois millions de tomans.
J’étais très agacée. Cela faisait deux ans que j’errais au tribunal et je n’avais jamais mentionné le
Mehrieh. J’ai dit : « Comment Monsieur Kardani, avec toutes les tortures qu’il m’a fait subir, peut-
il encore parler ainsi ? Je ne le prierai jamais pour de l’argent ou quelques biens. »
Leur avocat a commencé à chercher dans sa sacoche, et m’a dit : « Alors fixons une date pour
que je vous remette deux chèques. » Il m’a proposé d’aller le voir à son bureau dans une semaine.
J’en avais presque fini avec le tribunal et je devais patienter deux mois avant d’avoir le verdict
final signé. Comme l’a dit le secrétaire, ce long délai était dû au nombre élevé de demandes de
divorce. Je ne me suis plus trop énervée en apprenant qu’il me fallait attendre encore deux mois,
car le verdict du tribunal me semblait clair. Le secrétaire m’a expliqué qu’après l’obtention de l’acte
final du tribunal je devais me rendre chez le notaire pour inscrire l’annulation du mariage sur mon
livret d’identité. Il m’a prévenue que cela pouvait aussi prendre un certain temps.

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Pour la première fois je suis sortie du tribunal sans pleurer, mais tout mon être débordait d’une
haine envers une loi qui défendant soi-disant les droits des femmes, mais qui, en pratique, ne leur
permettait pas de vivre librement.
À cette époque j’avais une grande motivation pour aller travailler, c’était le fait d’y voir Mahiar.
Pour pouvoir sortir avec lui l’esprit tranquille, j’ai mis ma mère au courant. Elle en était contente
pour moi. Mais, comme toutes les mères, elle m’avertissait et me recommandait d’avancer avec
précaution et de bien ouvrir les yeux.
Avant d’avoir en main l’acte de décision finale du tribunal, j’ai pris rendez-vous chez un notaire
pour l’inscription de l’annulation du mariage sur mon livret d’identité. Le jour de l’obtention de
l’acte, je me sentais très bizarre. J’étais très contente de voir aboutir mes deux années d’efforts
pénibles au tribunal, mais j’étais anxieuse et craignais de nouveaux obstacles.
Finalement, une fois l’acte validé et tamponné dans les mains, je n’arrivais pas à croire que ces
temps difficiles étaient finis. J’étais enfin libre. J’ai d’abord contacté ma mère et Nassim puis Shadi
et Mahiar pour partager ma joie avec eux. Je n’avais plus ce grand chagrin me pesant sur le cœur
et je n’avais plus de crainte pour sortir avec Mahiar.
Cinq mois après la demande de Mahiar et une relation presque quotidienne, Mahiar m’a dit
vouloir en parler à sa famille et leur demander de rencontrer la mienne pour officialiser sa demande
en mariage. J’ai à nouveau ressenti ces drôles de stress et peur qui me faisaient craindre la réaction
de sa famille en apprenant que j’étais divorcée. Ces idées irrationnelles me faisaient souffrir mais,
j’avais beau essayer, je n’arrivais pas à me les enlever de la tête.
Mahiar et moi nous entendions bien. Il faisait très attention à moi et me respectait. Tout ce que
je n’avais pas trouvé chez Kamran était présent chez Mahiar.
À la fin de la semaine, j’ai mis mon père au courant de la situation. Je lui ai bien expliqué en
détail depuis combien de temps et dans quelles circonstances j’avais rencontré Mahiar. Je lui ai
aussi dit que Mahiar avait des liens familiaux avec le mari de Shadi. Ma famille connaissait bien
Shadi et n’avait eu que de bons échos sur sa famille. Le lendemain même, sans que je sois au
courant, mon père avait contacté Shadi et s’était renseigné en détail sur Mahiar et sa famille.
Mahiar et sa mère habitaient à deux rues de chez Nassim. Il était en train d’acquérir un
appartement en face de celui de sa mère. Comme je m’en suis rendue compte plus tard, Mahiar
était particulièrement attaché à sa mère.
Mon père était maintenant au courant, j’étais plus calme et tranquille pour passer du temps
libre avec Mahiar. Pour éviter de répéter ce qui s’était passé avec Kamran, mon père a
apparemment fait une enquête de voisinage détaillée sur Mahiar.
Deux semaines après avoir mis mon père au courant, un après-midi, alors que j’étais très
occupée au travail, Mahiar est arrivé et m’a demandé quelques minutes pour parler ensemble dans
le réfectoire. Il était clair qu’il n’était pas très en forme.

50
Une fois assis, il a essayé d’avaler sa salive avec peine et m’a dit : « J’ai mis ma famille au courant
de ma demande de mariage. » Je lui ai demandé : « Alors, quel est leur avis ? » Il a baissé la tête :
« Ma mère a demandé à ma tante de consulter le Coran à propos de notre mariage, et la
consultation n’a pas donné une réponse positive. »
J’ai été de nouveau envahie du même drôle de stress et anxiété qu’avant, mais je n’ai rien laissé
paraître : « Si tu es sûr de ton choix et que tu te sens assez fort pour continuer dans cette direction,
il n’y a pas lieu de t’inquiéter. »
Mahiar, voulant me témoigner son affection, m’a pris la main : « Je n’ai aucun problème avec
toi, mais quand ma mère me parle ainsi, cela me perturbe... » Je l’ai interrompu pour lui dire
quelque chose qui m’était très difficile à formuler.
« Regarde Mahiar, je ne veux plus me tromper dans la vie. Tu sais très bien ce que j’ai dû subir
pour mon erreur. Réfléchis bien, et si tu es vraiment sûr de toi, saute le pas. Je n’ai pas du tout
envie que ta famille pense que, dans ma situation, c’est moi qui ne te lâche pas. » Mahiar, la mine
défaite, a dit : « Je te contacterai plus tard. » Il est rapidement parti.
Je sentais ma tête lourde. Cela m’était très difficile de constater que sa famille s’opposait à notre
union car j’étais divorcée, alors que j’aimais Mahiar et que je me sentais heureuse en sa présence.
Je ne pouvais rien y faire. J’avais à porter cette sinistre étiquette à vie, le regard de la société avait
changé vis-à-vis de moi, malgré mon innocence.
Une semaine est passée. Nous ne nous sommes pas du tout contactés. Shadi m’a proposé de
déjeuner ensemble. Cela se voyait que je n’étais pas aussi en forme qu’avant. Elle m’en a demandé
la raison et je lui ai raconté l’histoire de la consultation du Coran. J’ai poursuivi : « Tu sais, Shadi,
malheureusement dans notre société, dès que l’on parle de relations amicales avec une femme
divorcée, tout le monde pense en premier lieu aux relations charnelles. En général, dès qu’il s’agit
d’une fille et d’un garçon, c’est avant tout le problème des relations sexuelles qui vient à l’idée de
tout le monde. Alors que la famille de Mahiar ignore que je souffre et que j’appréhende l’idée de
sortir avec lui de peur de me faire arrêter, alors de là à avoir des relations sexuelles... » Shadi m’a
vite interrompue : « Ah la la, Shabnam chérie, pourquoi tu recommences avec ces idées ? Même
si vous aviez des relations charnelles, tu as bien le droit de connaître mieux ton partenaire avant
le mariage. C’est même possible que cela même cause plus tard une séparation. Ne sois pas si
anxieuse, si Mahiar est ton âme sœur il arrivera sûrement à convaincre sa famille. S’il ne le fait pas,
sache qu’il ne te mérite pas car il n’aura pas pu leur faire face et imposer ses volontés et son choix. »
De retour à mon bureau après le déjeuner, je pensais constamment aux paroles de Shadi et je
suis arrivée à la conclusion qu’elle avait totalement raison. J’aimais Mahiar, mais il était préférable
de le laisser prendre sa décision et que celle-ci soit ferme et sans équivoque.
Huit jours plus tard, vers dix heures du matin, Mahiar m’a appelée sur ma ligne directe. Il m’a
dit avoir sérieusement discuté avec sa famille et donné plus de détails sur moi. Aussi, ils ont accepté
de venir demander ma main. J’étais contente mais je me sentais assez mal en même temps. J’avais
l’impression d’être un bien à vendre et qu’il était nécessaire que le vendeur loue suffisamment ses
mérites pour convaincre l’acheteur.

51
Je me disais, mon dieu, pourquoi ne sommes-nous pas, comme le sont la plupart des gens
ailleurs, libres de fréquenter une personne qui nous plait pour voir si on peut être heureux et
supporter ensemble les hauts et les bas de la vie commune ? Pourquoi la religion musulmane ne
permet-elle pas à la fille de choisir avant d’être choisie ? Pourquoi avoir des relations charnelles
avant le mariage représente un péché qui la conduira en enfer et même, selon la loi, passible de
pendaison ou de lapidation, mais que pour l’homme, cela ne représente qu’un petit délit dont il
peut s’acquitter en payant une petite somme ? Je me posais ces questions en continu sans y trouver
de réponse. Malgré tout mon attachement à l’Iran, il m’arrivait souvent de rêver de partir à
l’étranger et de ne plus penser à revenir.
Deux jours après le coup de fil de Mahiar, sa mère a contacté mes parents et a fixé la date
officielle de la demande en mariage deux jours plus tard. Ces jours-là, étant très excitée, je n’avais
pas du tout faim et je ne me nourrissais que pour tenir debout.
Le jour venu, Mahiar est venu de chez nous accompagné de sa mère et de sa tante, qui avait
l’air très gentille. Après les premiers salamalecs, sa mère a expliqué qu’elle avait perdu son mari
dix ans plus tôt et qu’elle vivait seule avec Mahiar depuis. Mon père a aussi donné des détails sur
ma vie et les raisons de ma séparation. Il a terminé son discours en disant que ma mère et lui
étaient uniquement concernés par mon bonheur futur et qu’ils ne demandaient à la famille de
Mahiar que de l’honnêteté et de la droiture. J’avais préalablement parlé à ma famille en leur
demandant de ne pas évoquer de Mehrieh et d’accepter ce que proposerait sa famille car ce type
de conversation me donner l’impression d’être une marchandise. Quand la famille de Mahiar a
soulevé la question du Mehrieh, mon père a répondu : « La valeur de Shabnam est si élevée qu’il
ne me semble pas correct de parler de Mehrieh. Nous accepterons ce que vous voudrez. Je n’ai
pas besoin de donner mon avis, vous êtes vous-même mère et comprenez bien que tout ce que
nous voulons actuellement pour notre fille, c’est son bonheur et rien d’autre. » La mère de Mahiar
a également rassuré mes parents en disant que Mahiar était un garçon très sensible et qu’il ne
souhaite qu’une vie calme. Elle a proposé à fixer le Mehrieh à quatorze pièces d’or et mon père
n’a rien dit.
La date du mariage religieux a été fixée pour la semaine suivante. J’étais très contente. Mes
sentiments n’avaient rien à voir avec ce que j’avais ressenti à l’époque de Kamran et la situation
était complètement différente. J’étais chaque jour impatiente de revoir Mahiar et j’adorais nos
conversations, alors que je n’avais jamais rien éprouvé de tel pour Kamran. Dès ce soir-là,
tranquilles et sans stress, nous allions tous les matins ensemble au travail et revenions en fin
d’après-midi. Le lendemain de la demande, nous avons informé nos collègues de notre intention
de nous marier.
J’étais contente de voir que les collègues et amis proches étaient heureux d’apprendre cette
nouvelle. Certains pleuraient même de bonheur. Voir que mes collègues et amis m’aimaient tant
m’avait donné une forme particulière d’orgueil et je remerciais encore le ciel d’avoir de si bons
collègues et amis.
Mahiar aussi me racontait, avec une fierté particulière, que tous ses collègues et amis avaient
approuvé notre décision et étaient très heureux pour nous.

52
Le mariage religieux a eu lieu un jeudi. La mère de Mahiar avait prévu une petite réception chez
sa sœur après la cérémonie. À la fin de celle-ci à l’office notarial, Shadi m’a téléphoné pour nous
féliciter et m’a demandé de lui rendre visite, accompagnée de Mahiar, avant le dîner. Mahiar et
moi avons donc eu la surprise en arrivant au cinquième étage (celui où je travaillais) d’entendre
entendant les hourras et la musique d’une petite fête qu’ils nous avaient organisée. Tous nos
collègues, y compris tous les directeurs, étaient présents et nous félicitaient en nous souhaitant du
bonheur. J’étais très excitée et contente de toute cette affection et de constater que nous
comptions vraiment pour eux. À la fin de la fête, le directeur de Mahiar et Shadi nous ont offert
deux pièces d’or en tant que cadeau de mariage.
Nous sommes ensuite allés chez Mojdeh, la sœur de Mahiar. À la fin
de la soirée, lorsque ma famille prenait congé en la remerciant, elle a demandé la permission à
mon père de me garder chez elle, c’est-à-dire avec Mahiar.
D’un côté, même à vingt-sept ans, j’étais gênée que de telles questions se posent, d’un autre
côté, je pensais : quelles sont ces traditions qui font qu’à mon âge, même pour rester auprès de
mon époux légal, je devais en demander la permission à mon père. Ceci était dû au fait que nous
n’étions que religieusement mariés et que nous n’avions pas encore emménagé chez nous pour
commencer notre vie commune.
L’appartement de Mahiar n’était pas encore prêt. Donc ce soir-là nous sommes allés chez sa
mère pour dormir, tandis que celle-ci, pour nous laisser tranquilles, est restée dormir chez sa fille.
Je me disais : comme c’est bon de rester auprès de quelqu’un que tu aimes et que tu as toi-
même choisi ! Tu peux le toucher et passer de très jolis moments avec lui !
À notre arrivée chez eux, Mahiar a commencé à déplacer le canapé pour que nous puissions
mieux regarder la télévision à deux. Il m’a demandé d’être à l’aise et m’a montré sa chambre pour
que j’enfile une tenue plus confortable. Une fois changée, je suis venue au salon et me suis assise
sur le canapé. Mahiar nous a servi une boisson fraîche et s’est assis à mes côtés.
En me prenant dans ses bras et m’embrassant sur la joue avec l’air d’avoir gagné à la loterie, il
a dit : « Je suis très content de mon choix. Les autres hommes de la société seront très jaloux car
j’ai obtenu la fille qui est la fleur au-dessus du panier ! »
En l’entendant, je me suis sentie fière car j’ai compris que mes collègues masculins avaient parlé
de moi entre eux. Nous avons décidé ce soir-là qu’au lieu de célébrer notre mariage par une
réception coûteuse, nous allions partir une semaine à Antalya. Mais Mahiar hésitait à en parler à
sa mère : « Ma mère s’y opposera car je suis son unique fils et qu’elle aimerait organiser une grande
réception de mariage pour moi. Mais je déteste l’idée que toute la famille vienne, et qu’après
beaucoup de dépenses, elle critique tout. »
En l’écoutant, je me suis rendu compte que l’avis de sa mère avait une grande importance pour
lui, mais j’ignorais si cela était dû au respect ou bien à la peur.
Qaand je lui ai demandé s’il ne pouvait pas convaincre sa mère qu’un voyage nous intéressait
plus que de tout dépenser pour une réception, malgré un air voulant se monter insouciant par
rapport à l’avis de sa mère, il a dit :
« Si, je peux. Je lui parlerai et lui dirai que je n’ai pas envie d’une réception. C’est tout ! »

53
Mais je me suis petit à petit rendu compte que dans l’ensemble, Mahiar n’appréciait pas
beaucoup les fréquentations familiales.
Comme il s’y attendait, sa mère n’a pas apprécié l’idée d’un voyage à la place d’une réception
de mariage. Il a néanmoins réussi à la convaincre en utilisant tous les moyens possibles.
Nous avons alors réservé un voyage organisé pour un mois plus tard. En attendant, je passais
plus de temps chez la mère de Mahiar que chez mes parents. À peu près en même temps que
notre cérémonie de mariage religieux, un membre éloigné de sa famille, qui était un monsieur d’un
certain âge et très rationnel, a demandé la main de ma belle-mère.
J’étais bien consciente qu’accepter cela était un peu difficile pour Mahiar mais il essayait de ne
pas montrer qu’il était affecté. Nous encouragions tous la mère de Mahiar à bien réfléchir à cette
proposition. Après notre retour de voyage, nous réceptionnerions l’appartement de Mahiar pour
nous y installer et elle allait se retrouver seule. Si elle acceptait la demande en mariage, elle ne serait
plus seule et Mahiar et sa sœur s’inquièteraient moins pour leur mère.
En attendant, Anoush qui était très proche de Mahiar, passait le plus clair de son temps avec
nous et semblait souvent prendre les décisions à sa place. Par exemple, il nous a accompagnés
pour choisir le mobilier pour le nouvel appartement ou bien même pour nos sorties au restaurant.
Un soir, nous devions être véhiculés par l’un de mes collègues, Shahram, pour aller acheter une
gazinière. Anoush nous a dit qu’il venait avec nous. J’ai protesté auprès de Mahiar : « Que fait
Anoush entre nous ? Cela commence à suffire ! Il veut être constamment avec nous ! N’a-t-il pas
sa propre vie ? »
Mahiar semblait être de mon avis et a fait comprendre à Shahram que nous souhaitions être
seuls. En arrivant au magasin, Mahiar et moi sommes sortis rapidement de la voiture et Shahram
nous a dit au revoir et a redémarré aussitôt sans laisser descendre Anoush.
J’ai demandé à Mahiar : « Pourquoi ne dis-tu pas directement à Anoush que tu n’es plus
célibataire et qu’il ne doit pas être vingt-quatre heures sur vingt- quatre avec toi ? » Mahiar, qui
n’avait pas l’air de blesser directement Anoush, m’a dit : « Il arrivera bien à le comprendre tout
seul. » et il a vite changé de sujet de conversation.
À cette époque tout allait merveilleusement bien, excepté la présence quasi-permanente
d’Anoush, ce qui me dérangeait un peu. L’appartement n’étant pas encore prêt je restais tantôt
chez mes parents, tantôt chez Mahiar et sa mère. Les soirs où j’étais chez mes parents et que
j’appelais chez Mahiar pour lui parler, sa mère me disait qu’il était allé chez Anoush.
J’aurais aimé en parler à Nassim ou à ma mère mais j’avais peur de les inquiéter. La seule autre
personne en qui je pouvais avoir confiance n’était autre que Shadi, comme d’habitude.
Quand je lui ai confié ce qui me préoccupait, elle m’a dit : « Ne deviens pas trop susceptible.
Peut-être que Mahiar ne s’est pas encore habitué à la vie à deux. Peut-être aussi que quand tu n’es
pas là, comme Anoush est son meilleur ami, il en profite pour le voir. »
Elle m’a un peu rassurée, j’ai pensé que c’était peut-être encore moi qui émetais de mauvais
jugements.

54
La veille de notre départ, Mahiar m’a proposé de ne pas rapporter de cadeaux souvenirs pour
les autres. Il voulait qu’on profite pleinement tous les deux de notre voyage. Sa proposition ne
m’a pas semblé incongrue et j’ai accepté.
L’hôtel que l’organisateur nous avait réservé était très grand et très beau et, plus important, il
était situé au bord de la mer. À notre entrée ils nous ont dit que tout était plein et qu’ils n’avaient
pas de chambre disponible. Après protestations des voyageurs auprès du tour opérateur, ils nous
ont finalement proposé de séjourner dans un club situé dans le parc de l’hôtel. Pour y arriver il
fallait passer sous une belle tonnelle fleurie. Comme c’était propre et beau, nous avons accepté.
Tout s’est bien passé les trois premiers jours mais dès le quatrième soir, Mahiar a commencé à
téléphoner à Anoush. Quand nous nous baladions, Mahiar cherchait constamment des idées de
cadeau pour Anoush.
Quand je lui ai rappelé qu’il avait proposé lui-même de ne rien rapporter, avec un air qui me
faisait comprendre que cela ne me regardait pas, il m’a dit :
« Anoush m’est plus cher qu’un ami, c’est comme un membre de ma famille. Je dois lui
rapporter un cadeau. » et il a continué à marcher.
J’ai été étonnée de sa manière de me répondre. Jamais il ne m’avait parlé sur ce ton. Je lui en
voulais.
Quand j’aimais une personne il était très important pour moi de le lui montrer et, plus
important encore, de lui dire que je l’aimais. J’avais la conviction que dire et entendre ces mots
doux était non seulement plaisant pour les deux partenaires, mais aussi que ça leur donnait de la
motivation et de l’énergie. J’acceptais aussi les différences entre deux personnes et j’étais
convaincue que ces mêmes différences rendaient la vie de couple plus intéressante et pleine de
sens. Elles sortaient un couple de la routine ; il ne fallait pas considérer que les différences de
caractère constitueraient un frein au bon déroulement de la vie à deux.
J’étais vexée mais je n’ai rien dit. Finalement il lui a trouvé un cadeau, dont je n’avais même pas
envie de connaître la nature. Après le dîner sur la grande terrasse de l’hôtel, j’ai demandé à Mahiar
de m’accompagner pour nous promener sur la plage. Il m’a dit être fatigué et voulait se coucher
tôt. Je n’ai pas insisté, nous sommes restés encore un peu sur la terrasse avant de regagner notre
chambre. J’ai pris une douche et me suis préparée pour me coucher. Mahiar ne semblait pas avoir
apprécié ma réflexion et mon opposition à l’achat d’un cadeau pour Anoush : il ne m’a même pas
prise dans ses bras au lit ce soir-là.
J’ai été réveillée au milieu de la nuit par de la musique forte qui venait de l’hôtel. À mon grand
étonnement, Mahiar n’était pas là. Je me suis levée, habillée, suis sortie de la chambre et suis passée
sous la tonnelle fleurie. La musique était envahissante et je devais mettre trois à quatre minutes
pour arriver à l’hôtel ou vers la mer. Comme j’avais peur du noir, je n’ai fait que la moitié du
chemin et j’avais beau regarder aux alentours, je n’ai vu aucun signe de Mahiar. La musique venait
plutôt de la plage.

55
J’étais furieuse que Mahiar ait refusé ma proposition de promenade au bord de la mer pour
finalement sortir seul. Il savait que je détestais être seule, surtout la nuit. Pourquoi m’avait-il laissée
seule en pleine nuit ?
Sans le retrouver, je suis rentrée dans la chambre. J’ai essayé de m’endormir à nouveau mais en
vain. Mahiar est revenu une heure et demie plus tard. Il avait bonne mine et il était évident qu’il
s’était bien amusé. Il a été surpris en me voyant réveillée. Je lui ai lancé, le ton plein de reproches :
« Tu m’as dit en début de soirée que tu étais fatigué et que tu ne voulais pas te promener sur la
plage, puis tu attends que je sois endormie pour sortir et aller te balader seul ? Est-ce que je te
dérange ? »
Impassible, il a répondu : « Bon, j’ai eu envie d’être un peu seul. » J’ai répondu : « Très bien, je
suis assez intelligente pour te laisser seul quand tu en exprimes l’envie. En agissant ainsi, tu m’as
gâché la nuit. J’avais envie de me promener dans le parc de l’hôtel et sur la plage mais je suis
rentrée pour te faire plaisir, et toi, tu t’échappes en cachette en pleine nuit ! Je trouve que ton
comportement n’est pas du tout correct. »
Je suis retournée au lit et me suis allongée. J’avais le cafard. Je ne comprenais pas pourquoi
Mahiar se comportait ainsi lors de notre tout premier voyage ensemble, que j’avais idéalisé. J’avais
envie qu’il me prenne au moins dans ses bras, mais il s’est couché et endormi sans même se
préoccuper de mon état.
Je n’arrivais pas du tout à digérer cet incident. Si Mahiar m’aimait comme il me l’avait dit avec
tant de motivation, pourquoi se comportait-il ainsi ? Pourquoi me faisait-il cela après seulement
un mois et demi de mariage ? Pourquoi ne me prenait-il plus dans ses bras ? Pourquoi lors d’un
voyage de noces, où la mariée s’attend à de l’attention, était-il si indifférent à mon égard ?
Je me suis peu à peu endormie avec toutes ces questions en tête. Le lendemain, quatrième jour
du séjour, il n’y avait pas de programme organisé par le voyagiste, c’était une journée libre.
J’ai proposé à Mahiar d’aller en ville pour faire du shopping et il a accepté. Nous nous sommes
donc préparés pour prendre le bus qui emmenait les touristes vers les centres commerciaux.
En ville, nous avons visité quelques monuments historiques et avons continué la journée en
entrant dans les boutiques qui attiraient notre attention. Pendant que j’essayais des pantalons dans
l’une d’elle, Mahiar m’a dit qu’il allait déjà faire la queue à la caisse à cause du monde qu’il y avait.
J’ai dit : « Très bien, j’essaie les pantalons et s’il y en a un qui me plait, je t’y rejoindrais. » Une
fois l’essayage terminé j’ai rejoint Mahiar dans la file d’attente. Devant nous se trouvaient deux
hommes dont la tenue et le maquillage attiraient le regard de la foule.
Après un moment, Mahiar s’est tourné vers moi et m’a dit d’une voix basse :
« Depuis que je suis derrière ces deux-là, ils n’arrêtent pas de me dévisager. »
Ce qu’il m’a dit m’a semblé très étrange. J’ai rétorqué : « Mais moi, je n’ai rien remarqué de tel.
Il est évident qu’il s’agit d’un couple et il n’y a aucune raison pour qu’ils te regardent, vu que tu es
accompagné d’une fille ? » Il a dit : « De toute façon, ils me regardent trop. » J’ai essayé d’y faire
plus attention, mais, à part un ou deux regards normaux, je n’ai rien constaté.

56
Cette journée s’est finalement bien déroulée jusqu’au soir, et un concert de Shohreh était prévu
après le dîner par l’organisateur du séjour. J’étais indisposée et j’avais des nausées et très mal au
ventre. J’avais très envie de rester à l’hôtel avec Mahiar. J’avais besoin de son affection. Le premier
mois de notre mariage, il m’offrait toute son attention et j’étais vraiment ravie de mon choix. Mais
je me suis rendue compte peu à peu qu’il ne me regardait plus comme les premiers jours, j’avais
le sentiment que je ne l’intéressais plus. Comme je n’avais pas une grande confiance en moi, je
cherchais constamment mes défauts et je pensais qu’il était de mon devoir de faire plus d’efforts
pour le rendre heureux.
Cette charge de rendre heureux à sens unique commençait à me peser et je me demandais
pourquoi c’était toujours à moi de faire l’effort.
Je savais que Mahiar adorait Shohreh, donc je ne voulais pas le priver du plaisir d’aller l’écouter.
Comme je n’aimais pas rester seule, j’ai décidé de l’accompagner au concert malgré mon piteux
état.
C’était une très bonne soirée pour Mahiar, mais moi j’essayais de donner le change en
prétendant être heureuse. C’était ma faute. J’aurais dû rester à l’hôtel.
Il nous restait deux jours sur place et j’avais très envie d’en profiter pour bénéficier de la plage
et du soleil. J’ai dit à Mahiar : « Je ne viendrai pas à la croisière prévue sur le fleuve et je resterai
prendre un bain de soleil sur la plage, je ne me sens pas très en forme et j’ai envie de profiter du
soleil ces deux derniers jours. » Il a un peu réfléchi avant de me répondre : « Je n’irai pas non plus,
je resterai avec toi à la plage. » J’étais très contente de sa décision.
J’ai préparé les affaires pour aller à la plage et j’ai dit en chemin : « J’ai l’impression d’avoir
perdu du poids... » Il m’a interrompue : « Oui, on dirait un crayon, on ne voit plus que tes os. » J’ai
été étonnée de le voir si vite poser un œil négatif sur cette situation.
« Que veux-tu dire ? Je ne suis pas mécontente de ma silhouette et je ne voulais pas dire que
c’était laid. » Et j’ai continué avec malice : « Tu sais très bien que tout le monde rêve d’avoir une
silhouette aussi fine. Je voulais dire que... » Il m’a interrompue à nouveau : « Qu’est-ce que tu
crois ? Personne ne va se battre pour ce tas d’os. »
J’ai été très surprise. Il était vraiment en train de jouer avec mes nerfs. Je ne comprenais pas du
tout pourquoi il se comportait ainsi. Je ne comprenais pas ce qui l’agaçait tant ni pourquoi il me
parlait sur ce ton.
Je lui ai demandé : « Il s’est passé quelque chose ? Y a-t-il quelque chose qui t’a contrarié pour
que tu me répondes comme ça ? Je voulais juste dire que quand je vais mal, je n’ai plus d’appétit
et je perds rapidement du poids. Qu’est-ce qui te contrarie dans cela ? »
Les premières semaines qui ont suivi le mariage religieux, Mahiar s’observait dans parfois dans
le miroir et me demandait : « Qu’est-ce qui t’a plu en moi ? J’ai un si grand nez et j’ai la peau si
foncée... » Je lui répondais : « Ton comportement et ton attention envers moi m’ont fait t’aimer,
et puis je ne te trouve pas laid du tout. » J’essayais de faire ressortir ses qualités, je sentais que ses
paroles reflétaient un manque de confiance en lui et je n’aimais pas du tout le voir se rabaisser
ainsi.

57
Je ne comprenais le revirement soudain de son comportement. J’étais inquiète et me posais des
questions. J’avais peur de m’être trompée, d’une autre façon, cette fois encore. Je cherchais
constamment mes défauts car j’étais sûre que Mahiar n’était pas atteint de maladies mentales.
Vraiment, pourquoi me parlait-il aussi mal et essayait-il de me rabaisser ? Moi j’essayais de lui
donner toute l’affection que je pouvais...
Après cette conversation, Mahiar a accéléré le pas pour me devancer puis a continué à marcher.
Arrivés à la plage, nous avons étendu nos serviettes sur des chaises longues pour prendre un bain
de soleil. Quelques minutes après m’être allongée, j’ai commencé à lui parler en fermant les yeux.
Comme je n’ai pas eu de réponse, j’ai ouvert les yeux et j’ai vu que sa chaise était vide. J’ai regardé
les alentours mais ne l’ai pas vu. J’ai essayé de ne pas y prêter attention et je me suis allongée de
nouveau. J’ai fermé les yeux mais je lui en voulais de ne rien me dire et de n’en faire qu’à sa tête.
Est-ce qu’il était venu seul en voyage ? On aurait dit qu’il ne me voyait pas, j’ai même pensé qu’il
le faisait exprès pour me contrarier.
Il est revenu une demi-heure plus tard, caméscope en main. Je lui ai dit : « Mahiar chéri,
pourrais-tu me prévenir quand tu t’absentes pour que je ne m’inquiète pas inutilement ? »
Enervé, il m’a répondu : « Eh bien, décidément tu n’arrêtes pas de me critiquer ! Je ne peux
rien faire sans ta permission ! »
Comme à chaque fois qu’on m’agressait verbalement, j’ai senti les larmes monter : « Je ne t’ai
jamais dit de me demander la permission. Pourquoi changes-tu de sujet ? Je t’ai juste demandé de
me prévenir quand tu t’en vas, c’est tout ! Est-ce si difficile ? »
Il a pris sa serviette et s’en est allé. J’ai éclaté sanglots derrière mes lunettes de soleil. Je ne
comprenais réellement pas les raisons de son changement d’attitude et de ton. Je fouillais dans ma
mémoire pour essayer de trouver la cause dans mon comportement ou mes paroles, mais je
n’arrivais pas à comprendre.
Je pleurais car avant de dire oui à Mahiar, je l’avais prévenu que j’étais sensible et lui avais
longuement parlé de mes attentes d’une vie de couple. Au début il partageait mon point de vue et
nous avions globalement les mêmes aspirations. Quand nous étions fiancés tout se passait à
merveille, jusqu’à il a quelques jours. Je ne comprenais absolument pas les raisons d’un tel virage
dans son comportement.
Après quelques minutes, je me suis calmée, j’ai rassemblé mes affaires et je suis retournée dans
la chambre. Mahiar ne s’y trouvait pas. J’ai pris une douche pour aller mieux. En sortant de la salle
de bain, j’ai vu Mahiar qui parlait avec quelqu’un au téléphone. J’ai fait des gestes pour lui
demander qui c’était. L’air agacé, il m’a répondu que c’était Anoush. J’ai été très contrariée. Je me
suis dit : encore Anoush ! Je pense que dans ce voyage, il a plus parlé à Anoush qu’à moi.
Mais je n’ai rien laissé paraître pour éviter une dispute. Je ne voulais pas non plus qu’il sache
que j’étais devenue susceptible au sujet d’Anoush.
J’ai essayé de m’occuper en rangeant mes affaires, mais j’avais beau essayer de ne pas montrer
ce qui me travaillais, je n’y arrivais pas. Je me parlais intérieurement tout en remplissant ma valise.
N’était-il pas content de m’avoir ? Est-ce que je ne suis pas sexy pour lui ? Je m’énervais au fur et
à mesure que je me posais ces questions et, hélas, cela se voyait de plus en plus sur mon visage.

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Après son coup de fil, tout en rangeant ses affaires dans son sac de voyage, il a dit : « Je sors
pour prendre quelques photos du parc de l’hôtel. » J’ai répondu : « Attends-moi, je me prépare
rapidement et je viens avec toi... » J’étais en train de parler quand soudain il a jeté la caméra sur le a mis en forme : Police :Adobe Garamond Pro, 12 pt,
Couleur de police : Texte 1, Français
lit et m’a dit, très énervé : « Mais enfin, pourquoi te colles-tu à moi tout le temps ? T’ai-je demandé
de venir avec moi ? »
J’étais pétrifiée. Avec une voix qui avait du mal à sortir de ma bouche, j’ai dit : « Mais que se
passe-t-il ? Je ne comprends pas du tout ton attitude envers moi. Pourquoi te comportes-tu ainsi ?
Qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi gâches-tu notre voyage ? »
Il a encore plus élevé la voix et pour dire, avec un ton suffisant : « Je n’ai pas le droit d’être un
peu tout seul ? Si je veux faire quoi que ce soit, dois-je absolument te demander la permission ?
Quand je téléphone à Anoush, tu t’énerves, quand je veux aller filmer dehors, tu me demandes
pourquoi je ne t’ai pas prévenue... »
Je l’ai interrompu : « Attends ! Pourquoi aggraves-tu la situation ? Qu’est-ce que j’ai dit ?
Pourquoi cherches-tu des excuses comme un enfant ? Tu veux être seul ? Je te l’ai dit, vas-y. À
propos d’Anoush, tes coups de fil et l’achat d’un cadeau pour lui, c’est toi-même qui avais dit ne
vouloir rien rapporter à personne pour ne dépenser que pour nous deux. Ensuite non seulement
tu téléphones à Anoush depuis l’hôtel, ce qui coûte déjà cher, mais en plus tu lui achètes un
cadeau ! ». J’ai poursuivi, très énervée par les excuses qu’il inventait : « Quand est-ce que je t’ai dit
de me demander la permission pour faire quoi que ce soit ? Je t’ai juste demandé de me le signaler,
ce qui est très différent. Dans tous les cas, nous sommes un couple et si ma demande t’est trop
pénible, c’est qu’il y a un autre problème ! »
Tel un enfant qui veut avoir le dernier mot, il a dit : « Oui, j’achète un cadeau pour Anoush qui
est mon meilleur ami et je trouve que j’ai raison de le faire ! »
Il était très clair qu’il cherchait des prétextes. Cette fois, très calme et d’un ton las, je lui ai
répondu : « Tu sais Mahiar, je n’ai plus du tout d’énergie pour ce type de conversation stérile.
Nous sommes venus en voyage pour nous amuser. À propos des cadeaux à rapporter, il n’est pas
question de jauger le niveau d’amitié, mais d’une décision que nous avions prise ensemble. ». J’ai
ensuite posé ma valise sur le lit et suis allée me rafraîchir la figure.
Mais je n’allais pas mieux. Je me demandais : est-ce que je me suis trompée à nouveau ? Mon
Dieu, à quoi d’autre aurais-je dû faire attention ? Nous nous étions renseignés sur lui à la société
et dans son quartier. Nous avons été collègues un bon moment, tout allait bien. Je ne pouvais pas
vivre avec lui sous le même toit, avant le mariage pour le connaître sous cet angle-là. Mais en deux
mois de vie commune Mahiar a complètement changé, aussi simplement que cela ! Où sont tous
les compliments qu’il me faisait et la fierté avec laquelle il me présentait à tout le monde ? Est-ce
qu’il est possible qu’une personne change du tout au tout aussi brusquement ? Faisait-il semblant
au début ? Si c’est le cas, c’est qu’il a une double personnalité. Avant le mariage, très adulte et
respectable, et maintenant, agissant la plupart du temps comme un enfant capricieux et insatisfait.

59
Je n’arrivais pas à y croire. Je me disais que j’étais stupide et crédule de me fier à l’apparence
des gens. Je suis moi-même très sincère et tout ce que je dis correspond réellement à ce que je
pense. Mon Dieu, je ne dis pas que je suis parfaite, j’ai aussi mes défauts, mais... Je n’arrivais
réellement pas à savoir ce qui en moi, provoquait cette gêne chez Mahiar...
Cette fois, sans ces peurs que l’on nous avait inculquées dès l’enfance, selon lesquelles nous
serions pêcheurs si nous doutions de la religion ou que nous nous posions des questions sur ce
sujet, j’ai demandé à dieu : mon Dieu, ce sont juste ces quelques mots prononcés en arabe qui
font qu’une fille et un garçon deviennent des époux légitimes et peuvent coucher ensemble ? Pour
choisir une personne avec qui l’on va vivre, faut-il vraiment se fier aux apparences et au
comportement, alors qu’ils peuvent être simulés pendant un temps ?
Au moment où je sortais de la salle de bain, il m’a lancé, sur un ton méchant et sans même me
regarder : « Je veux sortir. Est-ce que tu viens avec moi ? » Et sans attendre ma réponse, il est sorti
et je l’ai suivi. Une fois arrivé à l’endroit qu’il voulait voir, il a commencé à faire des photos tandis
que je m’asseyais au soleil, sur le gazon. C’était le dernier jour et j’essayais d’oublier les problèmes
récents. Je n’arrivais vraiment pas à en trouver la solution. Mes ces questions sans réponse
envahissaient sans cesse toutes mes pensées.
Je me suis remémorée la soirée disco d’il y a quelques jours, que nous avions beaucoup
appréciée tous les deux. Je n’arrivais pas à comprendre ce que Mahiar me reprochait et, si j’étais
en cause, pourquoi il ne m’en parlait pas pour que je puisse réparer mes erreurs.
Nous avions rendez-vous vers midi avec l’organisateur qui devait nous expliquer les modalités
du départ de l’hôtel à l’aéroport. Quand j’ai vu les autres touristes qui avaient l’air si heureux et
plaisantaient ensemble, j’ai eu pitié pour moi-même. Je me suis fait violence et me suis dit que je
n’avais aucun souci, que j’étais sûre que je n’avais rien fait de mal pour irriter Mahiar. S’il avait un
problème, c’était bien le sien ; il n’arrivait probablement pas à s’accommoder à la vie de couple. Je
ne dois pas me gâcher le voyage. Je lui donnerai le temps de s’y habituer. J’ai ensuite essayé d’être
de bonne humeur.
Nous sommes retournés à la chambre la libérer et rendre les clés à la réception. Nous avions
trois heures devant nous et avons donc laissé les bagages à la réception de l’hôtel. Prenant un air
séducteur, j’ai dit à Mahiar :
« Je veux aller me promener hors de l’hôtel, veux-tu venir avec moi ? » J’essayais de faire
semblant que tout allait bien et d’oublier nos discussions agitées. De son côté, Mahiar essayant de
faire pareil, m’a répondu :
« Non, je préfère rester à l’hôtel. »
Je suis alors sortie de l’hôtel pour me diriger vers un centre commercial vendant de l’artisanat
local. J’y ai passé une demi-heure, pendant laquelle j’ai beaucoup réfléchi. En deux mois de vie
commune, je m’étais aperçue que Mahiar avant le mariage et en tant que collègue était très différent
de Mahiar, époux avec qui je partageais le même toit.

60
Je me disais qu’il n’était pas malade et que nous avions seulement quelques divergences de
point de vue. Il faudrait du temps pour se connaître et c’est à moi de construire ma propre vie.
J’aimais Mahiar et j’essaierais de sauver notre couple par tous les moyens. Pour moi, les causes de
ces problèmes étaient le manque d’expérience dans les relations entre filles et garçons dès notre
petite enfance. C’était dû à notre culture traditionnelle fanatique, qui nous interdisait de telles
interactions.
J’en étais maintenant persuadée, la connaissance de deux jeunes devait se faire avant la vie
commune et cela était tout à fait rationnel. Mais en Iran, pour la majorité des familles, elle devait
se faire après le mariage religieux. Le point qui rendait les choses plus difficiles, surtout pour les
filles, était de ne pas pouvoir se séparer si elle tombait sur un homme qui ne lui convenait pas, à
cause des lois islamiques qui lui rendaient la séparation presque impossible. C’est pour cela que
nous entendions de temps en temps le récit de femmes qui, même étant mères de plusieurs
enfants, renonçaient à tout et quittaient le pays illégalement ou finissaient même par se suicider.
C’était et cela reste la pure et amère vérité pour les femmes en Iran.
À mon retour j’ai rejoint Mahiar et les autres voyageurs du groupe dans le salon de l’hôtel en
attendant le bus pour l’aéroport. En général Mahiar ne parlait jamais en présence d’inconnus.
Dans le bus, la plupart des voyageurs étaient jeunes et à peu près de notre âge et ils plaisantaient
et passaient un bon moment. J’ai été très surprise de constater que Mahiar était très à l’aise et
parlait et plaisantait avec les autres.
Il s’est tourné vers un homme qui discutait avec d’autres passagers et il lui a dit en plaisantant :
« Je me suis trompé en amenant Shabnam avec moi à ce voyage. Lorsqu’on est invité, on
n’emmène pas ses propres sandwichs. » Et il a éclaté de rire. Je l’ai simplement regardé et lui ai
même souri. Mais l’épouse de cet homme à qui Mahiar s’était adressé a rebondi tout de suite :
« Justement Monsieur Mahiar, vous êtes en voyage de noces, ce que vous avez dit n’était pas du
tout approprié. C’est quelque chose que dirait un homme âgé pour plaisanter avec sa femme. »
Quand j’aimais quelqu’un profondément je n’arrivais pas du tout à lui envoyer des pics ou me
moquer de ses points faibles. Au contraire, j’essayais de le rassurer de plus en plus pour qu’il
surmonte ses faiblesses. Mahiar n’était pas comme moi. Pour me calmer à ce moment-là, je me
suis dit : bon Shabnam, il n’y a pas de raison que Mahiar soit comme toi. Les gens sont différents
les uns des autres.
Notre vol vers Téhéran était en fin de semaine et nous avions deux jours devant nous avant la
reprise du travail. Le lendemain de notre arrivée, la mère de Mahiar nous a posé beaucoup de
question sur le voyage. Je ne lui en ai raconté que les épisodes agréables, en ajoutant que nous
avions fait un très beau voyage. Mahiar lui a uniquement parlé des lieux visités qui l’avaient
intéressé.
Comme je m’y m’attendais, Anoush fut la première personne à nous rendre visite chez la mère
de Mahiar. Contrairement aux débuts où je le trouvais très simple et affectueux, le voir là ne m’a
pas été très agréable. Je faisais juste semblant d’être très heureuse.

61
La mère de Mahiar avait beaucoup d’affection pour Anoush et répétait sans cesse qu’elle le
considérait comme son propre fils. L’après-midi, j’ai proposé à Mahiar de rendre visite à mes
parents. Il m’a demandé : « Ne peux-tu pas y aller toute seule ? » Stupéfaite, j’ai dit :
« Mahiar...Veux-tu dire que tu ne veux pas voir ma famille après dix jours... ». Il m’a interrompue
en grognant : « Bon, ne recommence pas ! Je vais venir. ». Nous nous sommes préparés, j’ai dit au
revoir à la mère de Mahiar et à Anoush, puis j’ai fait signe à Mahiar de venir. Mais je me suis rendu
compte qu’Anoush allait aussi nous accompagner. Je ne pouvais pas lui interdire de venir chez
mes parents, mais j’étais contrariée. Sur le chemin, Mahiar, souriant, racontait notre voyage à
Anoush.
Après une demi-heure chez mes parents, Mahiar m’as dit tout bas : « Bon, allons-nous en... » Il
avait l’air d’un petit garçon qu’on avait traîné de force à une réception et qui était impatient de
partir au plus vite. Je ne me sentais pas calme du tout et son attitude me gênait énormément.
« Si tu veux partir, fais-le. Je vais rester un peu plus longtemps et je rentrerai plus tard. » Il a eu
l’air très content de ma proposition. Anoush et lui ont rapidement pris congé et sont partis.
Ma mère a demandé : « Quand est-ce que vous réceptionnerez votre appartement ? ». J’ai
répondu : « Nous aurons les clés au plus tard dans un mois, nous y ferons quelques petits travaux
avant d’y emménager. »
Après une petite conversation avec ma mère et par téléphone avec Nassim, principalement
pour raconter notre voyage, j’ai dit au revoir à mes parents et je suis rentrée. Mojdeh, la sœur de
Mahiar, était là avec ses enfants et son mari. Heureusement, ma belle-mère et belle-sœur étaient
très gentilles avec moi et j’étais devenue particulièrement proche de cette dernière.
Ce soir-là, chez eux, Mahiar était devenu un vrai conférencier, il racontait notre voyage avec
brio. Il était aussi question de Monsieur Forouzani, le prétendant de sa mère. Apparemment, ils
avaient convenu de se marier. J’étais très contente pour elle, car lorsqu’elle racontait sa vie avec le
père de Mahiar, il était évident qu’elle n’avait pas eu une vie heureuse. Elle vantait les mérites,
l’attention et la politesse de Monsieur Forouzani et il était clair qu’elle allait beaucoup mieux grâce
à cette nouvelle relation.
Ma belle-mère n’était pas du tout casanière. Elle passait le plus clair de son temps en voyage
ou avec ses amis.
Après la reprise du travail, et après avoir réglé les affaires courantes de mon service, la première
chose que j’ai faite était évidemment de prendre rendez-vous avec Shadi. Je lui ai tout raconté car
je la considérais comme ma meilleure conseillère. Elle m’a dit : « Je sais que tu as du mal à
supporter Anoush, qu’il te semble trop proche de ton mari, mais Shabnam, ne sois pas trop
susceptible, sinon tu vas toi- même te gâcher la vie. Ne dis-tu pas que tu aimes Mahiar ? Alors
accorde-lui un peu de temps. Peut-être qu’il n’arrive pas à sortir de sa vie de célibataire si
facilement. Ne te plains pas trop non plus de la présence d’Anoush, sois sûre que petit à petit, leur
relation va être moins fusionnelle. »
Quand je suis sortie de son bureau, comme à l’accoutumée, je me suis dit que Shadi avait raison.
J’aime Mahiar et ma vie avec lui, je ne dois pas la détruire avec ma susceptibilité mal placée. Prenant
cette nouvelle résolution, je suis retournée à mon travail.

62
Quelques semaines se sont ainsi passées. Nous avions reçu les clés de l’appartement et avions
commencé à y faire quelques changements et la peinture. Nous prenions parfois des jours de
congé pour acheter des meubles, un lit, la batterie et d’autres fournitures au bazar.

63
Après un mois et demi de travaux dans l’appartement, nous avons emménagé puis pendu la
crémaillère avec nos collègues. C’était un sentiment agréable de partager le même toit avec l’être
aimé et d’emménager dans un lieu qu’on avait soi-même décoré.
Avant notre emménagement, la mère de Mahiar s’était mariée à Monsieur Forouzani et l’avait
rejoint dans son appartement, qui n’était pas très loin du nôtre. Mais elle envisageait, après notre
emménagement, de rendre l’appartement de Monsieur Forouzani qui était une location, pour
s’installer avec lui dans son propre appartement.
Avant d’emménager, alors que nous étions encore chez la mère de Mahiar, quelques-uns de ses
amis, que je ne connaissais pas et qu’il agréable ne souhaitait pas me présenter, l’ont invité à une
soirée. C’était une soirée entre célibataires, et Mahiar m’a dit que personne ne viendrait avec son
épouse.
Je savais bien que Mahiar avait le droit d’être seul avec ses amis de temps en temps. Je ne m’y
suis donc pas du tout opposée. Il m’a dit qu’il ne rentrerait pas plus tard que minuit. Je lui ai donné
ma bénédiction et lui ai dit que je l’attendrais.
Vers minuit, je l’ai appelé pour savoir s’il serait en retard ou pas et lui ai dit que comme j’étais
très fatiguée, s’il voulait rester plus longtemps, j’irais me coucher. Il m’a aimablement dit qu’il
serait là d’ici une heure.
Je me suis occupée en regardant la télévision au salon, en attendant Mahiar. Je voulais être
réveillée quand il rentrerait mais je me suis assoupie devant la télévision. Il m’a réveillée à son
arrivée et m’a un peu raconté la soirée. Il avait passé un moment agréable et s’est même excusé
d’être rentré en retard. Sa bonne humeur me contentait.
Nous vivions ensemble depuis six mois. Mahiar se plaignait que nous rentrions chez nous
directement après le travail. Je ne comprenais pas en quoi cela le gênait. Pour moi, il était très
plaisant de faire le chemin ensemble en nous racontant nos journées respectives. Mais je me suis
peu à peu rendu compte que j’avais un idéal romantique et qu’une vie si idéale n’existait que dans
les livres. J’observais cependant une telle relation chez certains couples autour de moi et cela
provoquait en moi des questions.
Un jour d’été, avant dix-huit heures, en fin de journée de travail, Mahiar est venu me voir :
« Rentre seule. Je resterai faire des heures supplémentaires. » Je lui ai répondu : « D’accord, je
t’attendrai pour le dîner. »
Je travaillais au service après-vente et Mahiar au service commercial. Il m’arrivait parfois de me
rendre au troisième étage, leur étage, pour commander une pièce ou autre chose.
Une heure après l’appel de Mahiar, j’avais fini mon travail et, vers dix-huit heures trente, je me
suis rendue au bureau de Shadi pour donner mon compte-rendu et discuter d’une pièce qui devait
être préparée d’ici le lendemain pour un client. Sa secrétaire m’a dit : « Shadi vient d’aller au
troisième étage pour une réunion dans le bureau de Monsieur Jahanian. Si tu te dépêches, tu
pourras la rattraper avant sa réunion. » Je suis montée rapidement par les escaliers au troisième
étage. Avant d’ouvrir la porte du service commercial, j’ai entendu la voix de Mahiar qui était en
train de parler en riant avec l’un de ses collègues et qui lui a dit au revoir, en partant au bout de
quelques secondes. J’avais un drôle de sentiment. J’avais envie de m’avancer et de lui dire que si
ses heures supplémentaires avaient pris fin plus tôt que prévu, qu’il m’attende pour que nous
rentrions ensemble. Mais je l’ai suivi sans qu’il s’en aperçoive jusqu’au bout de la rue, et j’ai vu
qu’il avait rendez-vous au carrefour avec un garçon que je n’avais jamais vu.

64
Je me sentais très mal et j’avais le cœur qui battait vite. Je me répétais que ce n’était peut-être
rien de grave. Je suis vite retournée au troisième étage de la société et, sans laisser paraître quoi
que ce soit, j’ai demandé à la secrétaire du service si elle n’avait pas vu Mahiar, car je voulais le
voir. Avec sarcasme, elle m’a répondu : « Aujourd’hui, il a fini plus tôt et a dit qu’il avait un rendez-
vous personnel, il ne te l’a pas dit ? ». J’ai répondu en riant : « C’est vrai, j’avais oublié. C’est le
travail qui me fait perdre la mémoire. Il m’avait dit qu’il avait quelque chose à faire dehors. »
Je suis vite retournée à mon étage, j’avais complètement oublié pourquoi je m’étais rendue au
troisième étage. Je ne savais que faire. J’avais beau essayer de le joindre sur son téléphone portable,
il était éteint. Je m’énervais de plus en plus. Je me demandais pourquoi il faisait ces choses-là ?
Pourquoi ne voulait-il pas une vie tranquille avec moi ?
Je suis rentrée chez nous et j’ai préparé un dîner simple. Je n’avais pas du tout faim. Mahiar est
arrivé vers vingt heures trente. J’ai attendu que nous ayons dîné avant de mentionner le sujet. Sans
lui dire que je l’avais vu rencontrer ce garçon, je lui ai demandé : « Comment était le travail ? ». Il
m’a répondu : « Comme d’habitude. J’avais beaucoup de factures à finir. ». J’ai dit : « Je suis
descendue et votre secrétaire m’a dit que tu avais fini tôt et que tu avais un rendez-vous personnel
à l’extérieur. ».
Il a dit : « Alors, tu n’as pas confiance en moi ? Tu es allée poser des questions en bas ? ». J’ai
répondu : « Non, il ne s’agit pas de confiance. Tu étais en train de sortir, je t’ai aperçu par hasard
car au même moment je voulais parler à Shadi d’un des clients et elle avait une réunion avec
Monsieur Jahanian, j’ai dû descendre au troisième étage. C’est là que je t’ai entendu dire au revoir.
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi tu caches des choses. Pourquoi me dis-tu faire des heures
supplémentaires alors que ce n’est pas le cas ? Ce manque de franchise et tes mensonges me font
souffrir. »
Il a dit : « Tu sais, je n’aime pas te donner des explications sur ce que je fais. Est-ce que tu
doutes de moi ? »
J’ai dit : « Te rends-tu compte de ce que tu es en train de dire ? Tes phrases ne sont pas
cohérentes. Tu as beaucoup changé, Mahiar ! Tu n’es plus du tout le gentleman que j’ai connu qui
me consultait pour chaque petite chose. Te souviens-tu que même à propos des allées et venues
et des conversations avec les filles de ton service, tu me demandais mon avis ? Tu t’es fait connaître
ainsi et j’ai décidé d’épouser ce Mahiar-là. ». Ensuite, comme d’habitude, je n’ai pas pu retenir mes
larmes et j’ai éclaté en sanglots.
En mettant son pantalon afin de se rendre chez sa mère, juste pour répondre quelque chose,
il m’a dit : « Toi aussi tu as changé. »

65
C’est vrai que j’avais changé, Mahiar savait que je lui parlais de tous mes problèmes et que
j’aimais que cela soit réciproque. J’étais très triste. Nous avons été en froid pendant quelques jours
jusqu’à ce que, comme d’habitude, ce soit moi qui prenne les devants pour nous réconcilier.
Dernièrement, nous avions très peu de relations conjugales, à peu près une fois toutes les deux
à trois semaines. Une fois, lorsque j’ai évoqué le sujet en lui demandant d’avoir plus souvent des
relations sexuelles, cela lui semblait trop lourd et il répondait : « Je ne peux pas, je suis fatigué, j’ai
des préoccupations et je trouve déjà qu’une fois par semaine est de trop. »
Lorsque j’ai constaté que je n’arriverais pas à ce que je désirais, je me suis pliée à la volonté de
Mahiar. Dans le lit, il ne me prenait même plus dans ses bras, et pour me faire comprendre qu’il
ne fallait pas que je le touche, il me tournait le dos et s’endormait. Plusieurs fois j’ai essayé, avec
des caresses et même des massages, de l’attirer vers moi, sans succès. Il en était même parfois
agacé.
Après avoir beaucoup cogité, j’en ai parlé à Mojdeh, ma belle-sœur, et je lui ai également parlé
des allées et venues d’Anoush chez nous. Je lui ai aussi dit que le fait que Mahiar se rende aussi
souvent chez lui me gênait également. Chaque fois que je lui en parlais, il répondait tout de suite
que je ne lui faisais pas confiance, et en me collant cette étiquette, il continuait à faire ce dont il
avait envie.
Mojdeh était de mon avis à propos des visites trop fréquentes d’Anoush et me conseillait
d’utiliser mes atouts féminins pour attirer Mahiar. J’essayais de faire tout ce que je savais faire de
ce côté-là, mais rien n’y faisait.
Une nuit où comme d’habitude, Mahiar ne m’avait même pas prise dans ses bras avant de
dormir, j’ai été réveillée par le bruit de la télévision. La porte de la chambre était fermée. Je suis
allée au salon et j’y ai vu Mahiar en train de regarder un film pornographique en se masturbant.
J’ai été choquée de le voir ainsi et suis sortie tout d’un coup de ma torpeur. Lorsqu’il s’est
aperçu de ma présence, il a vite éteint la télévision et s’est rhabillé instamment. J’ai demandé :
« Qu’est-ce que tu es en train de faire ? Quand je te parle de sexe, tu changes rapidement de sujet
et tu dis toujours que tu es fatigué, mais pour te lever en pleine nuit et faire ce que tu faisais là, tu
ne l’es pas ? » Très sûr de lui, il m’a répondu : « Eh bien, ce sont les habitudes de mon époque de
célibat. » Il s’est ensuite levé et allé au lit.
Je ne savais plus ce que je devais dire. J’en étais arrivée à me dire que je ne l’intéressais peut-
être plus. Mais je n’avais plus envie de me poser trop de questions car cela me demandait
constamment d’attirer l’attention de Mahiar, ce qui me coûtait beaucoup trop d’énergie.
Le lendemain il s’est comporté comme si rien ne s’était passé. Je n’avais pas non plus envie
d’entamer une discussion à ce propos, j’en connaissais déjà la réponse.

66
Les jours et les semaines passaient et les visites d’Anoush chez nous ou les visites de Mahiar
seul chez Anoush après le travail, souvent en me le cachant, devenaient de plus en plus fréquentes.
Cela faisait aussi quelque temps qu’Anoush avait confié sa voiture à Mahiar, et que pour toute
course pour Anoush, même pour aller travailler et revenir, ils trouvaient l’occasion de passer du
temps ensemble. Lorsque je protestais en disant que cette voiture fournissait une excuse pour les
trop nombreuses visites d’Anoush, je n’obtenais rien d’autre que des grognements ou des
remarques me qualifiant de trop soupçonneuse, et ça c’était quand il prêtait attention à ce que je
disais.
La fête de Norouz s’approchant, il fallait faire le grand ménage de printemps et nous n’avions
que les fins de semaines pour nous y consacrer. Deux semaines avant Norouz, j’ai demandé à
Mahiar de m’aider à nettoyer les placards de la cuisine. Il m’a répondu qu’il avait promis à Anoush
d’aller l’aider chez lui pour le ménage du printemps ! Surprise, j’ai dit : « Qu’est-ce que ça veut
dire ? Je dois tout faire seule ici et toi tu vas aider Anoush ? Est-ce qu’il est plus important que
moi pour toi ? » Agacé de ma question, il a dit : « Mais enfin ! Pourquoi es-tu tant jalouse de lui ?
À part être aimable avec toi, qu’a-t-il fait pour que tu lui en veuilles tant ? Tu commences vraiment
à exagérer là...
» Il est parti en claquant la porte.
Je n’y croyais pas ! C’est comme si Mahiar défendait son épouse ! Je ne comprenais pas
pourquoi il préférait Anoush à moi. La seule chose qui me venait à l’esprit était que peut-être...
Encore mes imaginations négatives... Je me suis dit que c’était sûrement dû aux récentes tensions
entre nous, et j’ai vite effacé de mon esprit la réponse qui m’était venu en tête.
Je ressentais une telle fatigue nerveuse que je me confiais à ce propos à quelques collègues et
amies très proches. Tout ce qu’elles pouvaient faire était de s’inquiéter pour moi et me consoler.
De temps en temps, elles me proposaient quelques solutions pour couper les relations entre
Anoush et Mahiar, mais rien ne fonctionnait.
Comme j’ai vu que je n’arriverais à rien en parlant d’Anoush avec Mahiar, j’en ai parlé à ma
belle-mère en lui disant que cela m’ennuyait. Après avoir une longue discussion, elle m’a expliqué
que Mahiar considérait Anoush comme un frère, et qu’il ne fallait pas m’inquiéter à ce sujet. J’ai
dit : « Mais cela fait à peine un an que nous vivons ensemble. Anoush est plus important pour lui.
Vous avez vu vous-même que soit Anoush est chez nous, soit Mahiar est chez lui, je n’ai aucune
intimité avec Mahiar. Quand je m’en plains, il me répond que je suis trop soupçonneuse et c’est
sa seule réponse pour me faire taire. »
En parler à ma belle-mère n’a rien donné. J’étais dans une impasse et mon cerveau était
embrouillé. Pendant ce temps, c’était moi qui souffrais le plus. Anoush était complètement
indifférent vis-à-vis de moi. J’ai alors décidé de faire semblant d’ignorer complètement leur
relation et de voir si ce comportement allait affecter Mahiar qui jusqu’ici avait réagi comme un
enfant têtu.
Ce soir-là, Mahiar est rentré très tard avec la voiture d’Anoush. Quand il l’avait, cela signifiait
que le lendemain Anoush serait avec nous. Il s’est d’abord rendu à l’appartement de sa mère. J’étais
en train de ranger ma coiffeuse dans la chambre et j’entendais ses rires pendant qu’il racontait la
bonne journée qu’il avait passée avec Anoush. Il est resté presqu’une demi-heure chez sa mère.

67
Comme si personne ne l’attendait chez lui. J’avais l’impression de ne plus exister à ses yeux. J’en
étais très vexée mais j’ai décidé de garder mon sang-froid.

68
En rentrant, il avait comme un masque de mauvaise humeur et de fatigue sur le visage, comme
s’il n’avait pas du tout ri aux éclats quelques minutes auparavant. Il avait acquis deux personnalités
complètement différentes l’une de l’autre. Une personnalité joyeuse et vivante avec Anoush et sa
famille, et une autre boudeuse et fatiguée en ma présence.
Je lui ai simplement dit bonsoir et, bien que sachant que ma question n’avait pas de sens, je lui
ai demandé : « Tu n’as pas faim ? » Sans me regarder, il m’a dit non.
Je souhaitais trouver un moyen d’engager la conversation pour lui faire comprendre que je
n’étais pas dans le même état d’esprit que le matin. J’ai dit :
« Comment avance le ménage chez Anoush ? C’est fini ? » Sans me regarder et d’un ton neutre,
il m’a répondu : « Non, on continuera demain. »
Dès que j’ai entendu qu’il serait de nouveau chez Anoush le lendemain, j’ai commencé à
bouillonner intérieurement, mais je n’en ai rien laissé paraître. Mahiar est allé se doucher puis s’est
couché. J’aimais réellement Mahiar. Malheureusement, cet amour à sens unique, qui n’était
précieux qu’à mes seuls yeux, m’empêchait de réfléchir posément et de prendre des décisions.
Cette année, à Norouz, l’un de mes oncles paternels, pilote de chasse et en mission à Shiraz,
nous avait invités, mes parents, Nassim et moi, ainsi que nos époux, à le rejoindre là-bas. Mahiar
a dit que comme il ne connaissait pas cet oncle, je pouvais y aller toute seule. J’ai répondu : « Moi
non plus, je ne connais pas toute ta famille mais on doit se fréquenter mutuellement pour se
connaître. » Finalement, après insistance de sa mère qui lui disait que, ne connaissant pas Shiraz,
il devait découvrir cette belle ville et qu’il s’y amuserait certainement, il a accepté de m’y
accompagner, mais en continuant à bouder.
Comme nous n’avions pas de voiture, nous avons voyagé avec Nassim, son mari et sa fille.
Mes parents nous ont rejoints deux jours plus tard. Il ne faisait pas très beau et il pleuvait
beaucoup la plupart du temps. Malgré cela, nous avons réussi à visiter quelques lieux d’intérêt
dans Shiraz même. Comme j’y étais déjà allée et que j’avais visité tous les lieux importants,
j’essayais de faire tout mon possible pour que Mahiar passe un bon moment. Mon oncle
maternel, qui le rencontrait pour la première fois, essayait lui aussi de tout faire pour que le séjour
soit agréable et inoubliable pour nous tous et plus particulièrement pour Mahiar.
Malheureusement, chaque fois que nous décidions de sortir de Shiraz pour voir les sites
archéologiques des alentours, de fortes pluies et de l’orage nous en empêchaient. C’est pourquoi
nous avons décidé, le dernier jour, lors du retour vers Téhéran, de visiter Persépolis et quelques
autres lieux historiques voisins. Mais par malchance, ce jour-là aussi, il y eut une telle forte pluie,
que nous n’arrivions même pas à nous arrêter en route pour nous dégourdir les jambes.
Il s’est mis à faire beau presque deux heures avant d’arriver à Téhéran. Mahiar, déçu de ne pas
avoir pu visiter Persépolis, boudait et était silencieux depuis notre départ. Nassim et moi avions
beau essayer d’engager la conversation avec lui, il ne nous répondait que très brièvement et sur un
ton sec. Mon beau-frère s’est arrêté près d’un restaurant pour se reposer, et a demandé à chacun
ce que nous voulions boire. J’avais vraiment honte du comportement de Mahiar. Ce dernier n’est
même pas sorti de la voiture pour prendre un peu l’air et a gardé une mine de petit enfant contrarié.
Je lui ai dit : « Bon, accepte une boisson que t’offre le mari de Nassim ! Quel est ce comportement ?
Ce n’était tout de même pas notre faute s’il a commencé à pleuvoir ! Pourquoi boudes-tu comme
un enfant de deux ans ? Tu fatigues vraiment tout le monde avec ton attitude. »

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Arrivés chez nous, sa mère nous a invités à dîner et m’a dit que comme je devais être fatiguée,
ce n’était pas la peine que je fasse la cuisine et que nous serions mieux tous ensemble chez eux.
Après le rangement rapide de nos affaires et une petite douche, nous nous sommes rendus à
l’appartement de sa mère. Elle nous a demandé : « Alors, comment était le voyage ? Racontez-
moi. » Mahiar a répondu, sans préambule :
« Je ne me suis pas du tout amusé. C’était nul ! Je n’aurais pas dû y aller ! » J’étais abasourdie.
J’ai regardé sa mère, la honte se lisait sur son visage. D’un ton sec elle a dit : Mahiar... Je l’ai
interrompue et j’ai dit, contrariée mais d’un ton calme : « C’est comme cela que tu nous remercies,
après tout le respect que mon oncle et sa femme t’ont témoigné ? Pourquoi tu ne leur as pas dit
que tu avais passé un mauvais séjour en leur disant au revoir ? » Mahiar avait l’air d’avoir honte.
Sa mère a dit :
« Quelle est cette nouvelle façon de parler que tu as acquise récemment et de quoi te plains-
tu ? ». Il a interrompu sa mère : « Mais enfin, qu’est-ce que j’ai dit ? Nous n’avons pas pu voir
Persépolis et je n’étais allé là-bas que pour ça. ». J’ai senti que discuter avec ce Mahiar-là était inutile
car il refusait d’écouter.
Je me suis tournée vers sa mère et Monsieur Forouzani : « Nous n’avons pas pu y aller car il
pleuvait et il y avait de l’orage tout le temps. Mais ce n’est pas une raison pour dénigrer tout le mal
que se sont donné nos hôtes pour nous recevoir. ». En regardant la mère de Mahiar, j’ai poursuivi :
« Est-ce que j’ai parlé une seule fois ainsi de votre famille ? »
Elle me comprenait tout à fait, elle est venue vers moi et m’a dit doucement :
« Ne le prends pas à cœur. Je ne comprends pas pourquoi Mahiar a autant changé ! » En évitant
que celui-ci ne l’entende, j’ai répondu : « Il ne se sent bien qu’en présence d’Anoush. Quand il est
avec moi, il cherche constamment les disputes, comme un enfant le ferait. »
Comme je l’avais décidé, j’essayais en permanence de me montrer indifférente aux relations
exagérées de Mahiar et Anoush, et je laissais passer les journées, souvent en ayant envie de pleurer
à cause du comportement de mon mari, mais je me retenais. De temps en temps, je faisais bien
comprendre à sa famille que ces relations particulières me gênaient. Mais je savais qu’il s’agissait
de ma vie privée et que cela ne concernait absolument pas sa famille. Parfois, j’essayais néanmoins
de profiter de la sagesse et l’expérience de Monsieur Forouzani, mais nos problèmes conjugaux
étaient trop compliqués.
Malheureusement, lorsque je m’écoutais sans aucune influence extérieure, j’essayais d’écouter
mon cœur et de réfléchir avec logique, je me posais la question : Shabnam, qu’est-ce qui te
contente dans cette vie ? Tu essaies seulement de garder ta bonne mine en te donnant des claques
pour que personne ne sache ce que tu ressens à l’intérieur. Mais cela en vaut-il la peine ? Répondre
à cette question m’était très pénible, ou pour mieux le dire, je fuyais ma propre réponse.

70
Une idée particulière me taraudait parfois, mais c’était tellement incroyable que je l’effaçais très
vite de ma pensée. Je me demandais quelle pouvait être la raison de toutes ces allées et venues
avec Anoush ? Pourquoi Anoush comptait-il tellement pour Mahiar qu’à chaque fois que j’en
parlais il prenais tout de suite sa défense voire me faisait la tête ? Mais je ne poursuivais pas à fond
mon raisonnement même en pensée, alors de là à en parler à qui que ce soit !
Après Norouz j’ai appris le décès de ma grand-mère maternelle, qui vivait en province, malade
et alitée. J’étais au travail lorsque ma mère m’a appelée. J’étais très triste mais, en même temps, je
me suis dit que cela l’avait soulagée. Ces derniers temps elle avait beaucoup souffert de sa maladie.
Je voulais contacter Mahiar pour le mettre au courant et lui dire que nous devions prendre des
congés pour nous rendre à la cérémonie en province. Comme je commençais à bien le connaître
et que je savais qu’il aurait rechigné à l’idée de venir, je me suis dit que s’il ne venait pas, je n’allais
pas du tout me faire de souci. Je savais cependant qu’en mon absence il serait constamment avec
Anoush, et cela m’agaçait. Après avoir posé mes propres congés, j’ai appelé Mahiar pour l’en
informer. Il m’a fait présenté ses condoléances et m’a demandé : « Faut-il absolument que je
vienne ? » J’ai répondu : « T’est- il si difficile de venir à l’enterrement de la grand-mère de ta
femme ? Mais si vraiment tu as l’intention de venir en boudant, je préférerais que tu ne viennes
pas. ».
Mécontent, il a dit : « Bon, je vais voir ! », et a raccroché.
Cela faisait un certain temps que je rentrais seule le soir et que Mahiar n’arrivait que deux heures
plus tard. En attendant, je préparais le dîner. Mahiar passait toujours voir sa mère une demi-heure
avant de rentrer chez nous. J’en ai profité pour aller chez elle afin de les informer du décès de ma
grand-mère, sans trop savoir encore si Mahiar m’accompagnerait à l’enterrement ou pas.
Sa mère et son mari m’ont présenté leurs condoléances et se sont montrés très affectés. Elle
m’a ensuite demandé : « Allez-vous à l’enterrement ?
». J’ai répondu : « Oui, j’ai pris des congés. », Mahiar était silencieux et n’a rien dit sur le fait
qu’il n’allait pas venir, j’en ai déduit qu’il m’accompagnerait.
Nassim et son mari nous y emmeneraient en voiture. Il y avait à peu près six heures de route
pour aller à Malayer, ville où ma grand-mère avait vécu.
Quand nous sommes arrivés chez elle il restait encore quelques heures avant la cérémonie à la
mosquée. Nous avons déjeuné et nous nous sommes préparés pour nous y rendre. À la mosquée,
les hommes allaient au premier étage et les femmes au deuxième. La lecture du coran et la prière
ont duré presque une heure. À la sortie de la mosquée, j’ai eu beau chercher Mahiar, je ne l’ai pas
trouvé. J’ai demandé à mon beau-frère s’il l’avait vu, il m’a dit : « Non, il est sorti de la mosquée
au début de la cérémonie et il n’est plus revenu. ».
Je me suis un peu inquiétée. J’ai dit à Nassim : « J’espère qu’il ne lui est rien arrivé à la sortie de
la mosquée ! ». Elle m’a répondu : « Mais non, ce n’est pas un enfant, il ne s’est surement pas perdu
et il ne lui est rien arrivé ! Où qu’il soit, il rentrera de lui-même à la maison. ».
Après deux heures d’absence, Mahiar est revenu chez ma grand-mère. Quand je lui ai demandé
où il était passé, il m’a répondu en riant : « Je suis allé au cinéma. La cérémonie me fatiguait et j’ai
décidé d’aller me promener en ville. J’ai vu qu’ils projetaient un film intéressant au cinéma, alors
j’y suis allé. ».

71
À cet instant, je me suis demandé ce qui m’avait rendu amoureuse de lui ? Il se comportait
vraiment comme un enfant.
Avec un sourire amer plein de question, je lui ai dit : « Tu as occupé ton temps ainsi. Alors,
comment était le film ? » Très content et souriant, il m’a raconté le film.
Le seul jour que nous avons passé à Malayer, Mahiar n’a pas cessé de se plaindre de différentes
choses. Il disait que nous avions seulement gâché nos congés en venant ici.
De retour à Téhéran, que ce soit à la société ou à sa famille, il se vantait, satisfait de lui et en
riant, de son exploit, c’est à dire être allé au cinéma en plein milieu de la cérémonie pour le décès
de ma grand-mère. Sa famille, comme s’ils le considéraient comme un petit garçon, en riaient et
plaisantaient avec lui à ce sujet.
Je n’étais pas satisfaite de ma vie. Je n’avais pas le courage de protester. Mahiar en était bien
conscient, il profitait de mon point faible et me poussait à bout en toute circonstance. Dès que je
me plaignais un peu, il me collait l’étiquette de soupçonneuse, puis continuait son chemin comme
il voulait. Lors de chaque réception en présence de nos collègues, j’essayais de donner le change
en me montrant très heureuse de ma vie avec Mahiar.
Un soir de semaine, comme les autres soirs, je lui ai dit : « Je veux aller me coucher. Tu viens ?
». Il a répondu : « Non, je viendrai plus tard. Je n’ai pas sommeil. ». Je suis allée me coucher comme
d’habitude.
Je me suis réveillée en pleine nuit par le bruit des touches de l’ordinateur que nous avions
installé dans la chambre d’à côté. En y entrant, j’ai vu que Mahiar était en train de chatter avec un
homme à peu près du même âge que lui. Cet homme avait allumé sa webcam, mais pas Mahiar.
Il a ri en me voyant : « Viens Shabnam, je discute avec cet homme qui croit que je suis une fille,
il me pose des questions que l’on pose à des filles. Viens t’asseoir et regarde. ». C’était la première
fois depuis longtemps que Mahiar, de bonne humeur, me demandait quelque chose. C’est
pourquoi je ne lui ai pas demandé pourquoi il était éveillé si tard alors qu’on travaillait le lendemain.
Je me faisais vraiment pitié d’attendre avidement un sourire et une conversation normale de mon
mari, sans poser de question, de peur de gâcher ce moment.
Je me suis assise à côté de lui et je l’ai aidé à répondre comme une fille. Mais la conversation
était devenue très sexuelle et après vingt minutes de tergiversations, son correspondant lui a
demandé d’enlever ses vêtements et de lui montrer ses seins, croyant toujours que Mahiar était
une fille.
J’ai alors dit à Mahiar : « Que veux-tu faire ? Tu ne veux pas avouer que tu es un homme ? ». Il
a dit : « Non, attends, on va rire encore plus, je vais d’abord lui demander de nous montrer son
sexe avant de me déshabiller. » Je n’en croyais pas mes yeux !

72
L’homme s’est dénudé sans se faire prier et a montré son sexe. Je n’arrivais pas à y croire, je
n’ai pas réussi à regarder et, en riant mais pleine de haine, j’ai dit à Mahiar : « Qu’est-ce que c’est
que cet être ? Il est vraiment tordu pour se déshabiller sur une simple demande... ». Mahiar a
beaucoup ri et, content de son manège, il a dit : « C’est pour rire, ce n’est pas sérieux. »
Ensuite l’homme a demandé à Mahiar de se déshabiller à son tour, et de lui montrer d’abord
ses seins. J’ai dit : « Bon, ça suffit, écris-lui que tu es un homme. Il sera déçu et il se déconnectera.
Tu as déjà suffisamment rigolé. »
Mahiar a répondu : « Au lieu d’écrire, je vais me déshabiller et enlever mon slip. Comme ça on
rigolera plus. ». Très étonnée, mes yeux commençaient à sortir de leurs orbites : « Aurais-tu
vraiment le culot de le faire ? » Il m’a interrompue : « Ah la la, Shabnam, c’est pour rire. ». Il a
rapidement enlevé son slip et allumé la webcam.
Contrairement à ce que je pensais, l’homme n’a pas interrompu le chat, il a même beaucoup ri
et continué sa conversation avec Mahiar.
J’étais assise à côté et je n’arrivais pas du tout à croire que Mahiar avait pu faire une telle chose.
À la fin, ils se sont même échangé leur numéro de portable et se sont dit au revoir.
Très étonnée, je lui ai demandé : « N’as-tu pas honte d’aller rencontrer cet homme ? » Il m’a
répondu en riant : « Voyons, qui a dit que j’irais le voir ? Viens, allons-nous coucher. ». Et sans
prêter attention à mon état, il est allé au lit. Le lendemain je n’arrivais pas toujours pas à « digérer »
la situation. Contrairement aux fois précédentes, je n’ai absolument pas réussi à confier ce tracas
à Shadi.
À la fin de la journée de travail, Mahiar m’a dit, comme d’habitude : « Rentre à la maison. Je
dois aller acheter quelques pièces pour le travail au Bazar Informatique. ». Dès qu’il l’a prononcé,
en un instant, j’ai pensé à l’homme de cette nuit en me demandant s’il ne lui avait pas donné
rendez-vous. Mais j’ai vite repris mes esprits : non, ce n’est pas possible. Il n’y a aucune raison
qu’il ait fait cela. Tu t’es encore mis n’importe quoi dans la tête...
C’était cependant les conséquences du comportement de Mahiar qui m’orientaient vers ces
pensées. Pour moi, il était inconcevable que deux hommes normaux se montrent d’abord leur
sexe, commencent à plaisanter ensemble, puis finissent par s’échanger leur numéro pour se
rencontrer plus tard ! J’avais beau essayer de retourner le problème dans tous les sens, je
n’arrivais pas à y trouver une explication convaincante. Par ailleurs, je n’avais pas envie de
confier cela à quiconque de peur de trahir la confiance de Mahiar.
La date de l’anniversaire de Mahiar approchait. Je savais ce qu’il voulait. Cela faisait un moment
qu’il parlait de l’achat d’un peignoir bleu en éponge. J’en ai parlé à sa mère pour lui faire une
surprise. Je lui ai dit que je lui achèterais en douce un gâteau d’anniversaire. Je faisais tout mon
possible pour attirer l’attention de Mahiar de nouveau vers moi, sans me douter que ce ne serait
si simple.

73
Le jour de son anniversaire, en sortant du travail, je me suis vite rendue au magasin et lui ai
acheté le peignoir. Sur le chemin de retour à la maison, j’ai acheté un très beau gâteau
d’anniversaire et me suis rendue chez ma belle- mère. J’étais certaine que Mahiar aimerait
beaucoup son cadeau car l’un de ses amis avait un tel peignoir et il en parlait souvent avec envie.
Sa mère lui a téléphoné en lui disant qu’elle voulait le voir pour quelque chose et lui a demandé
de quitter un peu plus tôt le travail et de se rendre directement chez elle.
Quand il est arrivé, en voyant les préparatifs de la fête, contrairement à mon attente, il a
commencé à grogner et trouver des prétextes. Il a dit : « Est-ce que je suis un petit garçon pour
que vous m’organisiez une fête d’anniversaire ? Je n’aime pas du tout ces enfantillages. ». Sa mère
remarquant mon désarroi, a dit en plaisantant et riant : « Bon très bien, ne parle pas comme un
enfant. Viens ouvrir tes cadeaux. ». Monsieur Forouzani, a dit en riant : « Mais enfin, il ne faut pas
être de mauvaise humeur ! Elles veulent juste te faire plaisir. ». Mahiar a commencé à ouvrir mon
cadeau avec une mine sévère. En voyant le peignoir, il a dit : « Bon sang, pourquoi cette couleur ?
J’en voulais un en blanc. Pourquoi fais-tu les achats sans me demander d’abord ? ».
Je me sentais très mal. J’étais tellement agacée que je n’arrivais plus à respirer. Et la même
maudite envie de pleurer, qui m’empêchait toujours de répondre, m’avait envahie à nouveau. Sa
mère qui, comme moi, ne s’attendait pas du tout à cette réflexion puérile de Mahiar, voulait très
vite changer de sujet : « Quelle est cette manière de parler ? Tu peux au moins remercier ta femme
et aller le changer en demandant la couleur que tu veux ! ».
J’ai dit : « Toi-même disais que tu voulais un peignoir comme celui d’Edmond ton ami, et que
tu préférais le bleu. Ce n’est pas grave, si la taille te convient, j’irai l’échanger contre un bleu. ».
Sans me remercier, il a jeté le peignoir sur la table : « Ce n’est pas la peine, celui-ci me convient ! »
Il est alors allé s’asseoir sur le canapé pour regarder la télévision.
Sa mère m’a regardée et, avec toujours la même envie de pleurer qui me défigurait, j’ai secoué
la tête et me suis occupée en rangeant les papiers cadeaux. La mère de Mahiar, me voyant dans
cet été, a dit : « Je ne comprends pas pourquoi il est devenu capricieux comme un enfant ces
derniers temps ! ».
Elle a ensuite apporté une part de gâteau à son fils, et en la posant sur la table basse, elle lui a
demandé : « Veux-tu aussi du thé ? » Mahiar a répondu : « Qui a dit que je voulais du gâteau ? Je
n’en veux pas, ramène-le ! ». Sa mère, énervée, a dit : « Peux-tu m’expliquer pourquoi tu te
comportes ainsi ? ». Mahiar est retourné dans notre appartement sans lui répondre.
Je n’ai plus réussi à contenir mes larmes. Sa mère s’en est rendu compte et elle s’est approchée
de moi pour me consoler. Avant qu’elle ne parle, j’ai dit en pleurant : « Je ne comprends pas du
tout pourquoi il se comporte ainsi. Si au moins il parlait et exposait ses raisons, on saurait comment
réagir. »
Monsieur Forouzani a dit : « C’est à la femme de trouver comment calmer un homme. Essaie
de lui parler calmement pour savoir ce qu’il veut. ». J’ai répondu : « Il ne m’en laisse jamais
l’occasion. Soit il est chez Anoush, soit ils sont sortis ensemble. Dès que je veux discuter, il change
de sujet. Si j’impose mes paroles, très vite il me colle la même étiquette que d’habitude et ne me
laisse pas continuer. »

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Je suis rentrée à notre appartement deux heures plus tard, mais je n’avais pas du tout envie de
parler à Mahiar. Il m’a semblé qu’il souhaitait la même chose. Nous avons passé quelques jours
sans échanger un seul mot et c’est à nouveau moi qui me suis rapprochée de lui pour entamer une
conversation.
J’ai passé encore quelques mois dans cette ambiance et avec beaucoup de questions sans
réponse. Un jeudi, Mahiar m’a dit avoir invité Anoush chez nous et lui avoir proposé d’y passer
la nuit. Je ne lui ai même pas dit que j’aurais préféré qu’il me demande mon avis avant, car j’avais
décidé de le supporter tel qu’il était et de ne jamais entamer une discussion susceptible de
provoquer une colère chez lui.
Je me trouvais dans les conditions d’une mère inexpérimentée qui, pour calmer au plus vite
son enfant, lui faisait passer n’importe quel caprice.
Les jeudis le travail finissait à midi, mais depuis six mois, Mahiar restait travailler l’après-midi
pour faire des heures supplémentaires. Le soir Mahiar et Anoush sont arrivés ensemble alors que
j’étais en cuisine. Les deux étaient de bonne humeur et après m’avoir saluée et demandé comment
j’allais, ils ont laissé leurs affaires et sont allés rendre visite à ma belle- mère. En sortant, Mahiar a
juste dit : « Nous allons en face. »
Notre relation n’était plus celle d’un couple. Je me sentais de trop dans sa vie, je voyais bien
que j’étais une gêne pour lui. Il était évident qu’il n’avait plus d’amour pour moi. Il ne passait pas
son temps avec moi et n’était pas heureux en ma présence. La seule chose qui le rendait de bonne
humeur, était mon absence. Passer du temps avec Anoush, lui emprunter sa voiture sans que je
proteste et ne pas avoir à répondre à des questions sur les lieux où il allait et avec qui lui suffisaient.
J’avais maintenant complètement compris que Mahiar n’était pas fait pour une vie conjugale. Je
savais aussi que je trichais avec moi-même. Mais je ne voulais pas mettre fin à cette vie commune
pour deux raisons. La première était que j’aimais encore Mahiar et la seconde était mon refus de
divorcer à nouveau. Rien que d’y penser, cela me donnait la chair de poule.
Ma famille s’était bien rendu compte de mon état et ma mère et Nassim essayaient d’en
connaître la raison par tous les moyens. Mais, qu’avais-je à leur dire ? Mon père, qui avait
remarqué les nombreuses allées et venues d’Anoush, m’alertait de temps en temps en me disant
qu’il n’était pas normal que ce garçon célibataire passe autant de temps chez nous. Pour pouvoir
répondre quelque chose, je lui disais qu’Anoush était le meilleur ami de Mahiar, mais je savais très
bien que cette réponse n’était pas logique.
Une heure plus tard, ma belle-mère est venue me demander d’apporter mon dîner chez eux
pour que nous soyons tous ensemble. Je n’ai pas refusé. Quand je suis entrée chez eux, j’y ai vu
Mahiar, Anoush et Monsieur Forouzani en train de discuter et rire devant la télévision. Quand
Mahiar était en compagnie d’Anoush il était possible que je parvienne de bénéficier d’un sourire
de lui. Nous avons dîné et, passé dix heures, nous sommes retournés à notre appartement.
J’ai commencé à préparer des friandises pour grignoter en regardant la télévision par satellite.
Nous y avons passé deux heures et avons parlé la plupart du temps du travail et des évènements
de la société. La plupart du temps, tous les deux, ils parlaient de la société et des collègues, souvent
pour se plaindre et critiquer les autres. Pour me réserver une petite place entre eux, souvent je les
caressais dans le sens du poil. C’était seulement ainsi que j’arrivais à compter un tout petit peu
pour Mahiar.

75
Je me dégoûtais moi-même. J’étais devenue une vraie marionnette ! Mahiar avait bien compris
comment jouer avec moi. Comme j’avais perdu toute confiance en moi et que j’en étais arrivée à
mendier pour un peu d’affection, je le laissais se jouer de moi.
Vers minuit et demi, je me suis levée du canapé pour aller me coucher. Je savais que quand
Anoush était là je ne pouvais pas m’attendre à ce que Mahiar vienne se coucher tôt. Mahiar m’a
rejointe dans la chambre pour me dire doucement : « Shabnam, couche-toi. Je veux regarder un
film porno avec Anoush. ». Avec un rire jaune, je lui ai dit : « Tu m’as toujours dit que tu n’aimais
pas ce genre de film. C’est juste en ma présence que cela te pose problème. ».
Il n’a pas du tout apprécié ma réponse et m’a dit : « Très bien, est-ce que je t’ai demandé quoi
que ce soit ? Regarde comme tu es sarcastique ! » Il a claqué la porte.
J’avais pris l’habitude de me poser des questions auxquelles je ne trouvais pas de réponse. De
temps en temps, en pensée, je les posais à Mahiar, juste pour me satisfaire moi-même. Je savais
que je n’aurais jamais le courage de formuler tout haut le fait que mon deuxième mariage était
également une catastrophe. En réalité, j’avais très peur du jugement des autres et de l’avenir que
je devrais traverser en solitaire.
Depuis quelques mois, grâce à mes succès professionnels, j’avais obtenu le poste de directrice
du service après-vente. Tous mes collègues m’en ont félicitée sauf Mahiar. Je n’arrivais pas à
« digérer » le fait que Mahiar vante auprès de sa famille les mérites d’Anoush chaque fois qu’il avait
réparé une pièce d’ordinateur, alors qu’il ne leur avait jamais parlé de mon travail ni de mon
ascension professionnelle. Il m’affrontait même de temps en temps à ce sujet. Du coup je me
retenais bien de parler de mon poste ou de toute autre chose susceptible d’ennuyer Mahiar. Je
n’arrivais pas du tout à comprendre les raisons de sa jalousie envers moi.
Un jour, lors d’une réunion du comité de direction, Anoush a donné sa feuille de demande de
congés à la secrétaire et lui a demandé de nous l’apporter à la réunion. Il était obligé de retourner
dans la ville où il avait fait ses études, une petite ville voisine d’Ispahan, pour y rechercher son
diplôme universitaire. Le directeur de son service lui a alors accordé ses congés qui seraient les
deux derniers jours de la semaine.
Le soir, quand Mahiar est rentré, il a dit : « Shabnam, je vais accompagner Anoush à Ispahan
en fin de semaine, pour qu’il récupère son diplôme. »
Sachant très bien que je faisais une proposition absurde et mal venue, j’ai dit : « Ah très bien,
je vais aussi venir. On peut y ajouter les deux jours du week-end et cela nous fera quatre jours à
Ispahan ! ».
Il est devenu rouge de colère et a dit : « Encore une fois, j’ai voulu faire quelque chose et tu
t’en mêles ? Enfin, j’ai envie d’y aller seul avec Anoush. En plus, on ne va pas dormir à l’hôtel. On
veut aller dans un foyer entre célibataires, et on revient en deux jours. Aussi, on n’ira pas à Ispahan
même, c’est une petite ville universitaire et on prendra une chambre dans leurs logements
d’étudiants. Ce n’est pas du tout un lieu convenable pour toi ! »

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Je n’ai plus caché ma colère mais j’ai essayé de parler calmement : « Pourquoi crois-tu que ce
n’est pas un lieu pour moi ? Comment font toutes les étudiantes qui y vivent ? ». Très vite, il m’a
coupé la parole : « Tu sais, en vérité, je n’ai pas envie que tu viennes avec nous, c’est tout ! ». Et,
comme à l’accoutumée, il est parti chez sa mère.
J’ai éclaté en sanglots. Je me fichais à présent qu’ils m’entendent pleurer. J’avais envie de laisser
exploser tout ce que je gardais en moi depuis si longtemps. J’ai téléphoné à sa mère quelque temps
plus tard. Heureusement que Monsieur Forouzani a décroché puisque c’était à lui que je voulais
parler. Je lui ai demandé de passer à notre appartement quelques minutes. À son arrivée, je lui ai
tout raconté depuis le début. Comme je l’ai perçu, il voyait le sujet de la même façon que moi.
Il m’a répondu : « Si j’étais à ta place, je ne laisserais pas ces deux-là partir en voyage ensemble.
Il faut que tu trouves un stratagème pour voyager avec eux. ».
J’ai dit : « Monsieur Forouzani, vous connaissez quand même assez Mahiar. Avez-vous vu dans
quel état il est venu chez vous tout à l’heure ? Il ne m’a même pas permis de parler et m’a
clairement dit qu’il ne voulait pas que j’y aille avec eux, qu’ils veulent y aller seuls tous les deux.
Comment puis-je m’imposer ? »
La discussion avec Monsieur Forouzani n’a pas donné de résultat concret pour moi. Il était
aussi d’accord que tous les jeunes mariés avaient quelques fois envie de revivre un peu la vie de
célibataire, mais que Mahiar était dans l’exagération et qu’il était anormal et très curieux qu’il refuse
catégoriquement que je les accompagne.
J’ai décidé de ne pas parler à Mahiar et c’était tout à fait ce qu’il souhaitait. Ils sont partis tous
les deux avec la voiture d’Anoush.
J’étais très déprimée. J’avais envie de parler à quelqu’un. Je suis allée voir Shadi pour lui raconter
la situation. Elle m’a dit qu’elle avait également noté de gros changements dans le comportement
de Mahiar dernièrement puis m’a conseillé d’aller parler de mon problème à un psychologue. Je
lui ai dit que je n’en avais pas envie pour le moment.
Parfois lorsque je parlais à Nassim je lui posais des questions sur les réactions de son mari à
différents comportements de Nassim. Mais au fond de moi, je savais que ces questions étaient
issues de mon manque de confiance en moi et que j’avais envie de savoir si c’était moi qui étais
trop susceptible.
Pendant leur voyage de deux jours, Mahiar ne m’a pas du tout contactée. Il n’a appelé sa mère
que deux fois. La sœur de Mahiar, tout à fait consciente de mon état perturbé, m’a invitée à dîner
chez elle un soir en l’absence de Mahiar.
Elle essayait de me faire comprendre qu’elle était au courant de ma situation. Elle m’a
également donné des conseils et m’a demandé d’essayer d’être plus présente à la maison, et d’en
changer la décoration, par exemple.
J’ai répondu : « Mojdeh chérie, tu le sais bien, j’ai déjà fait toutes ces choses- là. Ce n’est pas le
cœur du problème et Mahiar n’y prête même pas attention. De temps en temps, je rentre plus tôt
à l’appartement, pour y améliorer l’atmosphère, afin que Mahiar s’y sente bien, et mille autres
choses. Mais il cherche très souvent des prétextes. Ces derniers temps, je n’ai même plus protesté
contre la présence abusive d’Anoush et, malgré mon mécontentement, je me montrais souriante.
J’ai même essayé de me comporter avec Mahiar comme une amie, en pensant que cela nous
rapprocherait, mais rien de tous ces efforts n’a porté ses fruits. Il y a quelques jours, quand il m’a

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dit vouloir aller avec Anoush pour chercher son diplôme, il s’est irrité et énervé dès que j’ai
proposé de les accompagner. Il ne m’a pas adressé la parole depuis. ».

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Mojdeh m’a promis d’essayer de faire comprendre à Anoush qu’il devait laisser Mahiar
tranquille car il n’était plus célibataire et qu’il avait des responsabilités familiales. Elle m’a aussi
demandé de faire cette fois encore le premier pas pour me réconcilier avec Mahiar.
J’étais contente que Mojdeh veuille bien intervenir dans cette histoire car Mahiar comprendrait
ainsi que tous ses proches étaient concernés par ses relations exagérées avec Anoush. Et moi j’étais
malheureusement dans une impasse, et au lieu de faire appel à mon intelligence pour prendre des
décisions, j’en étais arrivée à confier les rênes de ma vie à tout le monde : dès que quelqu’un me
proposait une solution, j’acceptais tout de suite.
Mahiar et Anoush sont revenus d’Ispahan le jeudi après-midi. Comme je l’avais promis à sa
sœur, je les ai accueillis en souriant, les saluant et leur demandant comment leur voyage s’était
passé. Contents que je ne sois pas en colère, ils m’ont très normalement raconté comment étaient
la ville universitaire et leur foyer d’hébergement.
J’avais invité la mère de Mahiar, Monsieur Forouzani, Mojdeh et sa famille à venir dîner chez
nous. Je savais que Mojdeh, en voyant Anoush, lui parlerait comme promis pour qu’il comprenne
la situation.
Le dîner fini, nous sommes tous allés sur la terrasse pour prendre le thé et les fruits, à l’air libre.
C’est à ce moment que Mojdeh a commencé son offensive envers Anoush, elle lui a demandé :
« Anoush, quand est-ce que ta mère revient des États unis ? » Il a répondu : « Je ne sais pas,
pourquoi ? » Mojdeh a dit : « Il est temps que ta mère relève ses manches pour toi pour que tu
puisses toi aussi entamer une vie à deux. ». Anoush a rebondi en riant : « Pour l’instant, ma vie me
convient ainsi. ». Mojdeh a répondu : « Non, ce n’est pas possible. Tant que tu restes célibataire,
tu ne laisses pas Mahiar et sa vie privée tranquilles. Tu dois aussi te marier pour t’occuper de ta
propre vie. Mahiar pourra ainsi mieux gérer sa vie privée. »
La mère de Mahiar a dit en riant : « Même si sa mère ne vient pas, Anoush est comme mon
propre fils et je m’occuperai personnellement de lui trouver une épouse. »
Mahiar, qui n’avait pas du tout apprécié ni le ton de Mojdeh ni cette discussion, a dit : « Mais
enfin, lâchez-le ! Pourquoi vous en prenez-vous à Anoush ? Changez de conversation. ».
Mojdeh a essayé d’insister mais Mahiar s’est adressé violemment à elle : « Tu n’as qu’à t’occuper
de ta propre vie ! Il n’est pas du tout nécessaire que tu penses à Anoush. ».
Comme j’étais simple observatrice, j’ai bien remarqué la gêne qu’a ressenti Mojdeh à cause du
ton de Mahiar devant Anoush. Elle s’est levée au bout de quelques minutes, puis a fait signe à sa
famille de se lever également.

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Après leur départ, Anoush a également pris congé. J’ai commencé à débarrasser la table sur la
terrasse et Mahiar a suivi sa mère chez elle pour se plaindre du comportement de Mojdeh envers
Anoush. Il parlait tellement fort que j’arrivais à l’entendre.
Lorsqu’il est revenu, j’étais en train de débarrasser en silence la table du dîner. J’étais contente
que Mahiar ait enfin compris que je n’étais pas la seule à me plaindre de ses relations excessives
avec Anoush.
Il a commencé à se parler tout haut, mais c’était pour que les oreilles du mur puissent
l’entendre : « Je ne comprends pas pourquoi ce pauvre Anoush est devenu une épine dans le pied
de tout le monde ! Alors qu’il est très affectueux et ne dérange personne. »
J’ai dit : « Cher Mahiar, Anoush n’est pas le problème. Tu sais très bien que tout le monde s’est
rendu compte que tu as abandonné ta femme et ta vie à deux, et qu’Anoush représente tout pour
toi. Saches qu’il y a un souci lorsque ta propre sœur s’en aperçoit et parle ainsi à Anoush. »
Enervé, il m’a répondu : « Mais non, ton problème à toi n’est pas seulement Anoush. Madame,
tu me soupçonnes. Même quand je plaisante ou ris avec les collègues filles, tu te plains... ». Je l’ai
interrompu : « Ne mélange pas les problèmes, Mahiar ! Si je réagis, ce que tu appelles soupçonner,
c’est bien parce que je tiens à toi et que je veux préserver notre vie. Quand j’arrive à l’improviste
à ton étage et que je te vois très souriant avec tes collègues féminines alors qu’avec moi tu es tout
le temps fatigué et de mauvaise humeur, ou bien aussi quand j’ai eu mon accident et que ça
t’importait si peu que tu ne m’as même pas rendu visite car on avait eu une dispute avant, ça fait
mal. Surtout que quand c’est Anoush qui se cogne maladroitement la tête contre le poteau de
l’arrêt du bus, là tu l’emmènes à l’hôpital de peur qu’il n’ait une commotion cérébrale et tu le
ramènes même chez lui ! Tout ceci me gêne et je me pose des questions. N’ai-je même pas le droit
de protester contre toute cette indifférence ? ».
Mahiar m’écoutait simplement pendant que je déballais toute ma rancœur avant de me
répondre, avec une grimace amère et ironique : « Alors maintenant, jalouser Anoush s’est ajouté
aux soupçons mal placés. ».
Avec cette réponse, il en a rajouté à mes soi-disant fautes. Je n’avais plus aucun doute sur le
fait que lui parler était complètement inutile. Il avait décidé de ne pas écouter. Il avait très bien
compris comment jouer avec mes nerfs.
Le lendemain, vendredi, quand Anoush a appelé Mahiar comme d’habitude pour qu’ils se
voient, Mahiar lui a dit de façon très directe de ne pas venir chez nous car tout le monde l’accusait
de trop m’accaparer.
J’ai été très contente d’entendre la réponse de Mahiar à Anoush, mais je savais très bien que
cela ne changerait pas fondamentalement nos relations. J’ai quand même essayé, en oubliant tout
ce qui s’était passé, de créer une atmosphère joyeuse dans l’appartement. J’ai mis de la musique et
après avoir préparé le plat favori de Mahiar, je me suis changée et maquillée légèrement. Je me
suis parfumée avec son parfum préféré, et je suis allée m’asseoir sur le canapé d’où il regardait la
télévision par satellite. Je l’ai enlacé par le côté, me suis glissée dans ses bras, posé mes lèvres sur
les siennes et j’ai commencé à l’embrasser. D’un bond, il m’a repoussée : « Ah, que fais-tu ? Cela
me dégoûte ! »

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Je n’arrivais pas à croire ce que j’avais entendu. J’étais médusée. Je suis restée ainsi un certain
temps. Puis j’ai dit : « Que veux-tu dire ? Depuis quand es-tu dégoûté de m’embrasser ? ». Il s’est
levé en riant : « Mais c’est que tu arrives sans crier gare. ». Et il est allé à l’appartement de sa mère.
Je n’arrivais toujours pas à croire que j’avais bien entendu ce qu’il m’avait dit et surtout son état
lorsqu’il m’a repoussée. Je me suis souvenue de ce que m’avait raconté au téléphone ma cousine
germaine du côté paternel.
Il y a quelque temps, ma cousine, son mari et ses enfants, qui vivaient aux Pays-bas, étaient
venus en Iran pour rendre visite à la famille et faire du tourisme. Je les avais invités à déjeuner et
ils étaient restés chez nous jusqu’au soir. Un mois plus tard, de retour aux Pays-Bas, elle m’avait
téléphoné et m’avait dit : « Shabnam, je voudrais te poser une question. Tu ne vas pas m’en
vouloir ? Comme je t’aime énormément, je t’en parle. ». J’ai dit : « Non, vas-y. ». Elle m’a demandé :
« Shabnam, ton mari ne serait-il pas homosexuel ? ». Surprise, j’ai dit : « Non, pourquoi tu dis ça ?
». Elle a dit : « Parce qu’ici, aux Pays-Bas, il y en a beaucoup et on arrive très bien à les reconnaître
avec leur démarche, les gestes de leurs mains et leur façon de s’exprimer. Ton mari a toutes ces
caractéristiques. Comment ne t’en es-tu pas encore rendu compte ? » Je ne savais que dire, j’ai
éludé la question très fermement et j’ai changé de sujet de conversation. »
Suite au comportement récent de Mahiar et l’examen des signes que j’avais observés chez lui, je
n’avais plus de doute à ce sujet. Mais comme je ne voulais pas accepter la vérité, je trichais avec
moi-même.
Le matin, avant de me lever, j’aimais beaucoup prendre Mahiar dans mes bras, mais ce n’était
malheureusement pas arrivé depuis plus d’un an. J’essayais de le faire parfois quand même et j’en
profitais pour le masser. J’adorais faire cela. Le samedi matin, à sept heures, Mahiar dormait encore
quand je me suis réveillée pour aller travailler. Il était couché sur le flanc. Quand j’ai relevé la
couette pour sortir du lit, j’ai constaté qu’il était tout nu. En regardant de plus près ses fesses, j’ai
cru sentir mon cœur s’arrêter de battre. J’ai constaté qu’il avait épilé son anus, pas toutes les fesses,
mais seulement le trou.
En voyant cette image, j’ai réussi à un peu mieux accepter ce qu’il m’avait dit la veille sur ce
qu’il ressentait en m’embrassant.
Bien que voyant Mahiar endormi, je n’ai pas pu m’empêcher de demander : « Mahiar, pourquoi
t’es-tu épilé l’anus ? ». Quand il a réalisé que je l’avais remarqué, il s’est vite relevé pour
s’envelopper avec la couette : « En quoi cela te regarde ? Je l’ai fait à cause de la chaleur. Ça me
gêne quand je transpire. »
J’ai dit : « C’est juste ton anus qui te gêne quand il fait chaud ? Pourquoi ne pas avoir épilé tes
fesses en entier ? ». Il a répondu : « Mais enfin ? Qu’est-ce que tu me veux ? Pars travailler, tu vas
être en retard ! ». Et il s’est recouché.

81
Je ne voulais pas accepter ce qui était sous mes yeux. J’avais tellement peur de divorcer à
nouveau que j’étais prête à continuer cette vie conjugale qui n’avait plus de place pour moi. J’avais
enfin compris que Mahiar, avec son ton affirmé, sérieux et sa confiance en lui, voulais me faire
comprendre que continuer cette vie ensemble n’avait plus de sens.
Sur le chemin du travail mon esprit était envahi par ce qu’il avait dit après mon baiser de la
veille et ce que j’avais vu ce matin. J’étais complètement perdue, je ne savais plus quoi faire ni ce
qui se passerait dans l’avenir.
En arrivant à la société, je me répétais, Shabnam, commence ton travail et essaie de ne plus
penser à rien. Mais j’avais beaucoup de difficulté à me concentrer.
Après avoir préparé les factures pour les clients, que je devais porter au service commercial, je
me suis rendue au troisième étage. En revenant, j’ai rencontré le mari de Shadi qui était le directeur
du service commercial et supérieur hiérarchique direct de Mahiar. Après les salutations usuelles et
une petite conversation professionnelle, il m’a demandé : « Pourquoi n’es-tu pas allée à Ispahan
avec ton mari et Anoush ? ». J’ai répondu : « Ils y sont allés pour le certificat d’Anoush,
pourquoi ? ». Il a dit : « Monsieur Jahanian, le directeur général, était aussi à Ispahan et il les a vus
par hasard à l’hôtel Kossar, ils y avaient même pris l’une des meilleures suites. ».
Il y avait du sarcasme dans sa dernière phrase. J’ai dit : « L’hôtel Kossar ? Mais ils m’ont dit
n’être même pas allés à Ispahan et qu’ils avaient résidé au foyer de l’université ! ». Il a posé sa main
sur mon épaule : « Fais attention à toi et à ta vie ! ». Et il est parti après m’avoir dit au revoir.
J’étais comme dans un cauchemar. Je me disais : Shabnam, ouvre les yeux. Tout ceci est un
signe. Mahiar est en train d’écraser ta personnalité et il se joue de toi. Cela suffit maintenant !
Je suis directement allée au bureau de Shadi. Son mari l’avait mise au courant à propos
d’Ispahan. Les pleurs dans la voix, je lui ai dit : « Shadi, pourquoi ne m’arrive-t-il que des choses
comme ça ? Je fais beaucoup d’efforts pour avoir une vie tranquille. Pourquoi ça ne fonctionne
pas ? ». Je lui ai raconté en pleurant la réaction de Mahiar, son rejet envers moi, ce qu’il m’avait dit
et ce que j’avais vu ce matin.
Shadi était sous le choc. Elle ne s’attendait pas du tout à entendre de telles choses : « Shabnam,
il faut vraiment que tu ailles consulter un bon médecin. Tout ceci n’est pas bon signe. À quel prix
veux-tu continuer la vie avec Mahiar ? Si tu te sépares maintenant, c’est mieux que plus tard où tu
seras mentalement détruite. »
Je n’avais pas du tout envie d’entendre ce que Shadi me disait à propos du divorce, mais
malheureusement il faudrait bien que je l’affronte tôt ou tard, les évènements s’enchaînaient.

82
Je suis retournée à mon poste après ma conversation avec Shadi. Je n’arrivais pas du tout à me
concentrer sur mon travail mais je devais finir ce que j’avais à faire. J’ai prudemment commencé
à rechercher un médecin spécialisé dans le problème que je rencontrais, j’avais trop de questions
à poser. L’une de mes amies m’a finalement donné le numéro de téléphone d’un spécialiste des
problèmes d’homosexualité, qui selon ses dires, était un très bon médecin.
J’ai appelé son cabinet pour demander un rendez-vous au plus tôt. J’ai essayé de le caser
pendant mes horaires de travail pour ne pas être absente de la maison. Le lendemain à quinze
heures, je suis entrée dans le cabinet du médecin. J’étais très stressée et je n’avais pas envie
d’entendre ce qu’il allait sûrement me dire.
J’étais déjà au bord des larmes quand on m’a appelée. J’étais mentalement très diminuée, la
pression que je subissais m’avait coupé l’appétit et j’étais constamment nauséeuse.
Le médecin m’a invitée à m’asseoir avant de me demander : « Bon, que puis-je faire pour vous ?
». Je lui ai fait le résumé de ma vie avec Mahiar depuis le début. Je lui ai raconté que Mahiar avait
subitement changé d’attitude avec moi en général et dans nos relations conjugales. Sa proximité
avec Anoush. Les soirées auxquelles il se rendait en célibataire. Le fait qu’il ne veut pas me
présenter à ses amis. Son dégoût lorsque je l’avais embrassé. Et même son épilation. J’ai tout
raconté. À la fin, j’ai ajouté : « Je suis peut-être devenue trop susceptible ou moralement affaiblie
au point d’inventer tout ça. Je ne sais pas si c’est moi qui m’imagine que mon mari est homosexuel
ou bien si c’est la vérité. ». C’était la première fois que j’utilisais, avec beaucoup de difficulté, ce
mot pour qualifier Mahiar. Avant ça, rien que le fait d’y penser me donnait la chair de poule. Non
pas que je considérais que l’homosexualité était une mauvaise chose, mais si mon mari l’était ça
voudrait dire que je devrais divorcer une deuxième fois.
Le médecin m’a écoutée jusqu’à la fin avec attention, puis m’a dit : « Ma fille, si tu doutes de
l’homosexualité de ton mari avec ce que tu viens de me raconter, moi je n’en doute pas un seul
instant. Continuer votre vie à deux sera encore plus difficile pour lui que pour toi, car c’est
comme si on te disait, à toi, de coucher avec une fille. Vois-tu comme cela peut te paraître
bizarre ?
Te séparer de ton mari serait en fait l’aider. »
Je n’ai plus pu retenir mes larmes et je lui ai demandé, en pleurant : « Alors pourquoi s’est-il
marié ? Est-ce possible qu’il ne se connaisse ni lui-même, ni les besoins de son corps à trente-
quatre ans ? »
Le médecin a répondu : « Certaines personnes peuvent être bisexuelles. D’autres, qui
malheureusement n’ont pas le droit de révéler leur préférence dans notre Société ni d’y vivre avec
une personne du même sexe, décident parfois, comme votre mari, de se marier. Ils ne se rendent
compte qu’après qu’ils sont incapables de vivre durablement avec quelqu’un du sexe opposé. Une
ou deux relations, peut-être, mais de façon permanente, non. Donc, essayez d’être forte et
compréhensive avec lui pour vous séparer au plus vite. Ce sera mieux ainsi, aussi bien mentalement
que physiquement.
J’ai remercié le médecin avant de sortir de son cabinet en pleurant toujours. Dans la rue les
gens me dévisageaient mais cela m’était égal. J’avais envie de me lamenter, de crier très fort :
pourquoi moi ?

83
En arrivant au bureau, je suis allée directement voir Shadi. J’étais dans tous mes états et ça se
lisait sur mon visage. Je n’avais pas envie que mes collègues me voient ainsi et qu’ils me demandent
ce qui s’était passé.
J’ai prié Shadi de ne laisser personne entrer dans son bureau et en quelques minutes, je lui ai
raconté tout ce que le médecin m’avait dit en hoquetant et en étant obligée de faire des pauses de
temps en temps. J’ai fini par dire : « Je ne peux pas me séparer. J’aime Mahiar. Je n’arrive
absolument pas à me séparer une deuxième fois... ». Shadi m’a coupé la parole : « Qu’est-ce que
tu racontes là ? Tu n’as jamais été si faible et en vrac ! Sois un peu logique. Comment de temps
pourras-tu continuer une telle vie ? Comme te l’a dit le médecin, tu ne peux pas vivre avec Mahiar.
Je ne me préoccupe pas du tout de Mahiar, mais une séparation serait bien mieux pour vous deux.
Rentre chez toi et réfléchis tranquillement. N’attends pas qu’il soit trop tard. Tous les signes que
tu as observés ne te suffisent-ils pas ? Qu’attends-tu pour que tu l’acceptes enfin ? ».
J’ai dit : « Mais enfin, pourquoi c’est moi qu’il a choisie ? Je lui avais confié tous les malheurs de
mon premier mariage et lui avais bien dit que je ne recherchais que la tranquillité ! C’est vraiment
cruel... » Shadi m’a de nouveau interrompue : « Shabnam chérie, tu ne fais que te détruire encore a mis en forme : Police :Adobe Garamond Pro, 12 pt,
Couleur de police : Texte 1, Français
plus, avec toutes ces questions ! Tu ne peux pas revenir en arrière, mais tu peux régir avant que ça
n’empire. ».
Elle m’a ensuite commandé un taxi et demandé de rentrer chez moi pour réfléchir prendre des
décisions rationnelles. Sur le chemin je réfléchissais à comment en parler à Mahiar, sa famille et la
mienne. Non, je n’y arriverais pas, j’en étais vraiment incapable.
Une fois chez moi j’ai essayé d’ouvrir la porte de notre appartement tout en douceur, pour que
la mère de Mahiar ne se rende pas compte de mon retour. J’ai commencé par prendre une douche
pour me rafraîchir les idées et que mon visage dégonfle un peu. Je me plaignais tout le temps à
dieu et je lui demandais : pourquoi enocre moi ? Que veux-tu me prouver, cette fois-ci ?
Quand Mahiar est rentré, en voyant mon état pitoyable, il m’a seulement demandé : « Il s’est
passé quelque chose ? Pourquoi as-tu pleuré ? ». Je savais que c’était sans issue, mais juste pour me
calmer moi-même et lui faire comprendre qu’il ne pouvait pas se comporter avec moi comme il
le voulait, je lui ai demandé : « Pourquoi m’avoir menti ? Pourquoi m’avoir dit que vous n’alliez
pas à Ispahan et que vous logiez au foyer universitaire ? ».
Il a dit : « Je ne comprends pas ce que tu racontes. Veux-tu encore recommencer ? ».
J’ai dit : « N’aggrave pas ta faute ! Le directeur général vous a vus à l’hôtel Kossar à Ispahan. ».
Il est devenu rouge écarlate et m’a dit, énervé et déboussolé : « Ce que je fais ne te regarde pas
du tout... ». Je lui ai coupé la parole pour lui répondre, cette fois très agressive et avec une totale
confiance en moi : « Mahiar, ça suffit ! À qui penses-tu avoir affaire ? Si je n’ai rien dit pendant
tout ce temps et que je t’ai laissé faire tout ce que tu voulais, ce n’est pas que je n’avais pas compris
ton manège ! C’était juste parce que je t’aimais et que notre vie à deux était importante pour moi.
Mais aujourd’hui j’en ai plus qu’assez de tes jeux de gamin et de ton comportement agressif et
nuisible. ».
Sans rien dire, il est sorti de l’appartement en claquant la porte. Il est allé chez sa mère et n’est
revenu qu’au matin.

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À peine quelques minutes après son départ, sa mère est venue me voir et m’a demandé : « Que
se passe-t-il ? Pourquoi criez-vous si fort ? ». Je n’avais pas le cœur à lui raconter ma visite chez le
médecin, j’étais tout à fait consciente du mal que cette amère vérité pourrait lui faire.
J’ai juste mentionné le mensonge de Mahiar à propos d’Ispahan et tous les petits tracas qu’il
me causait. J’ai aussi ajouté que depuis quelques mois, nous n’avions plus de relations conjugales
et que la seule chose qui comptait actuellement pour Mahiar était sa relation avec Anoush. J’ai dit :
« Si je ne proteste pas contre leur relation, tout va bien, mais si je lui fais le moindre reproche sur
le manque d’attention qu’il me prête, nous nous disputons de nouveau et il me recolle l’étiquette
du soupçon et de la jalousie envers Anoush. ».
La mère de Mahiar tentait de me consoler : « Je vais moi-même téléphoner à Anoush pour lui
dire qu’il n’a plus le droit de venir ici et qu’il doit lâcher Mahiar. »
Je lui ai dit : « Cela va juste provoquer une résistance de Mahiar envers vous. Non, ce n’est plus
la peine. On a passé ce stade-là. Vous avez bien vu sur quel ton Mahiar a répondu à Mojdeh quand
elle a évoqué l’idée qu’Anoush devait se marier. Ce n’est pas la peine de céder votre respect. »
Après une courte conversation ne menant à rien, la mère de Mahiar est rentrée chez elle et je
suis restée seule avec tout mon monde rempli de pleurs, de douleur et de cafard.
Je me disais, mon dieu, je ne recherche qu’une vie calme et remplie d’amour, pourquoi ne
m’arrive-t-il que des problèmes ? Mon Dieu, qu’aurais-je dû faire de plus pour bien connaître
Mahiar ? Comment pouvais-je m’apercevoir de son homosexualité ? Mon Dieu, pourquoi ai-je
servi de repère pour qu’il se rende compte qu’il ne pouvait être avec le sexe opposé ? Et des
dizaines d’autres pourquoi auxquels je n’avais aucune réponse.
Je ne suis pas allée travailler le lendemain et j’ai contacté le bureau de Shadi pour demander un
jour de congé. J’ai appelé mon service pour piloter rapidement le travail en cours et je leur ai
promis d’essayer d’y aller le jour d’après. Je savais que j’avais pris trop de congés mais je n’avais
pas d’autre solution et je n’arrivais pas à être efficace.
Mahiar est encore resté chez sa mère pour la nuit et n’est même pas revenu le lendemain pour
se changer. J’ai juste vu la voiture d’Anoush qui était venu le chercher. Ils sont partis ensemble. Je
suis restée à l’appartement toute la journée pour essayer de me mettre d’accord avec moi-même.
Je me posais des questions et je sentais que j’allais mourir sans Mahiar. J’ai téléphoné à Nassim et
je lui ai tout raconté en hoquetant. Elle pleurait en même temps et savait qu’elle n’arriverait pas à
me consoler. Elle m’a juste dit d’essayer d’être forte car il ne me restait pas d’autre choix.
Je faisais les cent pas dans l’appartement en me disant, Shabnam, qu’attends-tu encore de
Mahiar ? Est-ce qu’il est affectueux avec toi ? Te respecte-t-il ? As-tu seulement un peu de valeur
pour lui ? Non, rien de tout cela ! Donc, tu peux t’en séparer... Mais je retournais encore au début.

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Mon Dieu, comment y arriverais-je ? Non, non, je ne peux pas ! Cette fois, cela dépasse ma
volonté. Mon Dieu, toi qui connais les capacités de tes sujets, tu es le seul être à savoir ce que j’ai
enduré. Est-ce ainsi que tu veilles sur tes sujets ?
Juste à ce moment-là, ma mère m’a téléphoné : « J’ai appelé à la société pour te demander de
tes nouvelles et ils m’ont dit que tu étais chez toi. Pourquoi ? Il s’est passé quelque chose ? ». J’ai
essayé de ne rien laisser paraître dans ma voix, mais je n’y ai pas parvenue. Elle me disait, très
inquiète : « Que se passe-t-il ? Parle-moi ! À ta façon de pleurer, il est impossible que tout aille
bien ! ».
Je n’avais pas envie de la mettre au courant à ce moment précis. Je lui ai dit qu’il n’y avait rien
de grave. Mais devant son insistance, je l’ai priée de ne rien me demander pour l’instant jusqu’à ce
que je trouve le bon moment pour lui parler.
Je n’avais pas du tout faim. J’avais perdu beaucoup de poids ces derniers temps. J’avais
également des vertiges et des nausées à cause de la pression psychologique que je subissais.
Shadi m’a appelée dans l’après-midi pour me demander de mes nouvelles. Lorsqu’elle a perçu
mon état, elle m’a beaucoup parlé et m’a même un peu secouée. À la fin, elle m’a dit : « Je sais que
tu es dans des conditions très difficiles, mais essaie d’être forte et de ne pas baisser les bras. Je sais
très bien que tu es une fille très méritante et que tu es capable de t’adapter très vite à une nouvelle
situation. ». Je l’ai remerciée pour son appel. Je réfléchissais à ce qu’elle m’avait dit, mais ma peine
était impossible à soulager.
Je n’arrivais pas à accepter de voir ma vie avec Mahiar prendre fin. Peut-être parce qu’il ne
l’avait pas encore formulé lui-même.
Shadi m’avait fait promettre d’être présente le lendemain pour la fête de la société et de ne pas
montrer ma faiblesse par mon absence. J’avais complètement oublié que la société avait organisé
une fête de fin d’année et que nous étions tous conviés dans un grand jardin pour le déjeuner.
Après beaucoup de tergiversations avec moi-même, j’ai fini par décider d’y aller. Le matin, j’ai
essayé de me donner bonne mine grâce au maquillage pour cacher un peu mon état anxieux et
perturbé. Mais tout cela était inutile puisque je n’arrivais pas du tout à sourire serait-ce qu’un peu,
même en me faisant violence. J’ai pris un taxi pour aller à la réception. Mahiar et Anoush y étaient
avant moi. Mes collègues et amis proches sont venus vers moi pour me demander de mes
nouvelles. Cela faisait quelque temps que je n’allais plus à la société qu’une fois sur deux et que je
n’y étais pas en grande forme. Ils étaient presque tous au courant.
Je me suis rendu compte plus tard que la plupart des collègues, à cause des nombreuses allées
et venues d’Anoush et de Mahiar, s’étaient bien aperçus de ce qui se passait. Ils n’osaient
simplement pas y faire allusion en ma présence en pensant que ça me gênerait. Ils ne savaient pas
que moi- même, malheureuse, j’essayais de me dépêtrer de cette situation.

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Pendant que j’étais en train de faire des salamalecs avec mes amis, Mahiar s’est approché :
« Shabnam, viens une minute, je veux te parler. ». Je me suis excusée auprès de mes amis avant de
le suivre dans un coin tranquille du jardin, à l’écart des autres. Mahiar, dans un état normal, m’a
dit très directement et clairement : « Je veux me séparer de toi, je ne peux plus continuer ainsi.
Essaie de penser à toi. ». Il s’est éloigné immédiatement après avoir dit ça, sans attendre ma
réponse.
J’étais sous le choc, pétrifiée. Bien que préparée à entendre cela, j’avais envie d’éclater en
sanglots et pleurer bruyamment. Je l’ai fait, mais intérieurement. J’étais en train d’étouffer.
Mes amis, ayant remarqué le retour de Mahiar, sont venus me chercher et m’ont vue en train
de pleurer. Je n’allais pas bien du tout. Je n’arrivais pas à contrôler mes larmes et mes sanglots. Ils
m’ont demandé : « Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’il t’a dit Mahiar ? ».
En sanglotant, j’ai dit : « Il veut se séparer de moi... », et j’ai continué à pleurer.
Mes amis n’étaient pas du tout surpris. C’était comme si tout le monde connaissait la situation
mieux que moi et qu’ils s’attendaient à un tel moment.
Je n’avais plus du tout envie de retourner au cœur de la réception. J’avais envie de rester seule
et de pleurer très fort. Mais mes amis m’ont encouragée à me calmer et à revenir à la réception,
pour que Mahiar ne me voie pas dans un tel état de faiblesse. Vraiment, je n’avais pas non plus
envie qu’il se remarque à quel point j’étais perturbée. J’ai passé de l’eau sur mon visage, mis mes
lunettes de soleil et rejoint mes amis à notre table. Voir Anoush et Mahiar me faisait très mal.
Pendant tout le temps où je n’avais pas osé imaginer la nature de leur relation, tout en me sentant
coupable juste à l’idée d’y penser, ils avaient été ensemble et s’étaient moqués de moi.
Cet après-midi-là, Mahiar ne m’a plus adressé la parole et n’est même pas rentré le soir. J’ai
téléphoné à ma mère pour lui décrire la situation. Malgré tous les indices, les signes et les témoins,
il m’était encore difficile de l’accepter. Je pleurais à chaudes larmes en lui parlant. Elle pleurait
avec moi en essayant de me réconforter. Elle avait beau insister pour que je ne reste pas seule et
que j’aille chez eux, je n’ai pas accepté et je lui ai dit que j’avais juste envie d’être seule. Même si la
solitude m’avait toujours pesé, elle me semblait être le seul remède à cet instant. Mon père m’a
appelée dix minutes plus tard pour tenter de me consoler. Il m’a dit avoir déjà parlé à Monsieur
Forouzani des relations exagérées d’Anoush et de Mahiar et qu’il lui avait même demandé d’en
parler à ce dernier.
Apparemment tout le monde s’était rendu compte de la situation bien avant moi. Il n’y avait
que moi pour me punir et me dire que j’étais trop susceptible. Mahiar en avait profité pour pouvoir
faire ce qu’il voulait tout en m’accusant systématiquement de soupçons infondés.
J’ai passé toute la nuit à réfléchir pour qu’il comprenne le lendemain, lorsque je le verrais, que
je n’étais pas si idiote, que j’avais compris son manège et que si j’avais fermé les yeux jusque là
c’était uniquement par amour.

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Ainsi, le lendemain, en arrivant à la société, je me suis d’abord rendue au troisième étage, lieu
de travail de Mahiar. Il a été très surpris de me voir. Je me suis dirigée vers son bureau, me suis
penchée de façon à ce que ses collègues ne m’entendent pas et j’ai dit : « J’ai une seule question à
te poser. À trente-quatre ans, tu devais sûrement connaître ton orientation sexuelle et tes besoins
physiques. Alors pourquoi m’as-tu épousée ? Tu savais bien que je voulais une vie tranquille, et tu
connaissais tout de mon passé douloureux ! ».
Il m’a regardé et, sans être choqué par ma question ni renier quoi que ce soit, les larmes plein
les yeux, il m’a dit : « Excuse-moi ! ».
Je suis retourné dans mon service. Il avait joué pendant deux ans avec ma vie et mes nerfs et
maintenant il ne faisait que s’excuser ! Comment avait-il pu m’utiliser comme un repère pour une
expérimentation et s’excuser ensuite ?
Les jours passaient. J’avais beau essayer, je n’arrivais plus à me concentrer sur mon travail et
j’avais en permanence les actes et les paroles de Mahiar qui me hantaient. Les collègues avaient
été mis au courant. Cela faisait presque deux semaines qu’Anoush avait démissionné sur les
conseils de Mahiar, et qu’il ne venait plus que très rarement à la société. Il n’avait même pas
attendu la réponse à sa demande.
J’ai entendu dire par mes collègues que Mahiar avait également donné sa démission et qu’il
allait bientôt quitter la société. Quatre collègues et amies proches, qui étaient au courant, me
venaient souvent me voir dans mon bureau pour me consoler et bavarder un peu.
Un jour, vers midi, Mahiar m’a appelée pour fixer un rendez-vous et se rendre ensemble au
tribunal. Il m’a aussi demandé d’aller récupérer mes affaires chez lui un jour de semaine.
J’ai immédiatement eu la chair de poule et le vertige en entendant le mot tribunal. Imaginer de
nouveau les nombreuses heures d’attente dans ce maudit immeuble empli de stress m’a donné
envie de vomir.
J’ai contacté ma mère pour lui dire qu’il fallait fixer un jour pour aller ensemble chercher mes
affaires chez Mahiar. Ma mère, très aimante, m’a dit de ne pas m’inquiéter, que dieu veillait sur
nos droits et qu’un jour Mahiar payerait pour ces méchancetés.
J’ai passé un coup de fil rapide à Mahiar et lui ai fixé un jour précis de la semaine pour aller
chercher mes affaires. Je lui ai dit d’aller lui-même s’occuper d’obtenir un rendez-vous au tribunal
et de me tenir au courant. À la fin il m’a dit : « J’ai réuni les quatorze pièces d’or pour ton Mehrieh
et je te les donnerai au tribunal. ». Je lui ai répondu : « Même des milliers de pièces d’or ne
pourraient pas refermer l’immense plaie que tu as creusée dans mon cœur ! » et j’ai raccroché très
vite.
Bien que lui reprochant de m’avoir fait perdre deux années de ma vie et d’avoir joué avec mon
corps et mon âme, il m’était très difficile de le sortir de mes pensées, mais il fallait bien que j’y
arrive.
Cette fois-ci, je me disais que contrairement à ce que j’ai vécu avec Kamran je ne me sentais
pas fautive dans mon choix. Nous nous connaissions depuis deux ans et nous nous étions bien
renseignés à son sujet. Malheureusement, cette fois, j’avais été victime d’une culture malade, qui
n’acceptait pas l’homosexualité. Les homosexuels iraniens ne trouvent pas leur place dans la
société et, pour fuir les regards malveillants des autres, sont obligés de se fondre dans la masse en
cachant leur véritable personnalité. Certains, comme Mahiar, fabriquent un simulacre de mariage
et, en étiquetant leur épouse comme étant trop soupçonneuse, avancent leur stratagème jusqu’à la
séparation. Ainsi leur famille n’insiste plus pour qu’ils se marient de nouveau. Mille regrets que
des personnes comme moi soient obligées d’être victimes de ce regard et cette culture. Il leur faut
payer les pots cassés corps et âme pour réussir à trouver une vie calme et sans commérages.

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Sur le chemin de l’appartement, ma mère essayait de me consoler en me disant de considérer
leur maison comme la mienne. Elle me disait que chacun avait son destin et qu’il fallait que je sois
forte.
La mère de Mahiar nous attendait dans l’appartement. Après un bonjour, elle a dit : « Je ne
comprends pas ce qui s’est passé entre vous et pourquoi vous allez vous séparer. ».
Je n’arrivais pas à savoir si elle n’était vraiment pas au courant de la situation de Mahiar ou si
elle faisait semblant de ne pas savoir. Sans répondre, j’ai commencé à réunir mes affaires. Sa mère
parlait tout en aidant la mienne. J’ai alors compris qu’ils me considéraient comme la principale
cause de cette séparation. Mahiar, pour éviter d’attirer leurs soupçons, avait mis en avant les miens
et c’était finalement moi qui portais le chapeau de fautive. Mais j’avais préalablement prévenu ma
mère que je ne souhaitais pas expliquer de façon claire et directe les raisons de notre séparation à
la mère de Mahiar.
Ma mère lui a alors répondu : « Vous avez certainement réussi à bien connaître Shabnam en
deux ans. Vous savez qu’elle est très patiente et affectueuse. Elle n’est pas du tout d’accord avec
cette séparation. ».
C’est à ce moment précis que Mahiar est entré dans l’appartement. Il nous a saluées froidement
avant de rejoindre sa mère. Il était très clair qu’ils observaient avec attention les affaires que nous
emportions. J’étais très agacée de ce comportement et j’avais envie de tout lâcher et partir.
Dans la cuisine, alors que je réunissais quelques objets, j’ai déplacé un ensemble de couverts
pour atteindre autre chose. Mahiar a immédiatement montré l’ensemble : « C’est à moi ! N’y
touche pas ! ».
J’étais pétrifiée. J’avais envie de crier devant sa mère et lui dire : tu m’as gâché ma vie en me
cachant ta vraie personnalité et tu as joué avec mes nerfs et mon esprit. Alors maintenant, quelques
couverts t’intéressent tant ?
Ma mère est intervenue avant que je ne lui réponde : « Monsieur Mahiar, tu as joué avec la vie a mis en forme : Justifié, Retrait : Gauche : 0 cm, Première
ligne : 0,5 cm, Droite : 0,18 cm, Espace Avant : 0 pt,
de ma fille ! Que valent les biens matériels dans ce cas-là ? ». Elle a ensuite posé les affaires qu’elle Interligne : Multiple 1,02 li, Éviter veuves et orphelines, Sans
avait entre les mains et a continué : « Nous te laissons tout cela pour que tu comprennes bien que coupure de mots, Taquets de tabulation : 0,25 cm,Gauche
la vie de notre fille, dont tu as gâché deux ans, vaut beaucoup plus que quelques bien matériels. ».
C’était la première fois que ma mère s’adressait à Mahiar de cette manière, mais il ne s’est pas
laissé intimider et l’a rendue fautive : « Votre fille est la cause principale de notre séparation... ».
Dès que je l’ai entendu, j’ai senti comme une boule de feu se poser sur ma tête et j’ai perdu
tout contrôle. Je n’arrivais pas à croire que Mahiar était si culotté. Il savait que j’étais au courant
de tout mais il continuait à parler ainsi devant moi sans aucune gêne. Je ne l’ai pas laissé finir sa
phrase et j’ai saisi un vase sur l’étagère de la cuisine pour le jeter par terre avec fracas.

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Je pleurais très fort : « Est-ce bien moi la responsable de cette séparation ? N’étais-je pas une
bonne épouse ? Mahiar, tu es vraiment abject de dire des choses pareilles... ».
Mahiar, vraisemblablement très contrarié de voir le vase que nous avions reçu en cadeau éclaté
en mille morceaux, s’est avancé vers moi et m’a donné une grande claque. J’étais tétanisée, je ne
savais que faire et je pleurais à chaudes larmes sans réussir à me retenir.
Ma mère n’a pas supporté de voir cette scène. Elle a bousculé Mahiar disant : « De quel droit
lèves-tu la main sur ma fille ? Crois-tu que nous ne connaissons pas les raisons de cette séparation ?
Tu as pensé que comme nous étions des gens respectables qui ne voulons pas mentionner le sujet,
tu pouvais profiter de notre pitié et gifler ma fille avec obscénité ? ».
Lorsque j’ai vu ma mère dans cet état de bouillonnement, je me suis oubliée. J’avais mal pour
elle. J’avais honte de l’avoir entraînée dans une situation pareille.
Monsieur Forouzani, alerté par le bruit, est arrivé et a demandé ce qui s’était passé. Comprenant
la situation, il a commencé par calmer ma mère en lui présentant toutes ses excuses pour le
comportement de Mahiar.
Après les excuses que Mahiar m’avaient présentées quand j’étais allée le voir dans son bureau
à la société, je ne m’attendais absolument pas à un tel comportement de sa part. Je pensais que,
fautif et sachant que j’étais au courant de tout, il se comporterait avec discernement. Je ne
m’attendais pas non plus à ce que sa mère vienne nous surveiller lors du déplacement de quelques
affaires et nous montrer ainsi qu’elle n’avait aucune confiance en nous. N’étaient-ils pas du tout
conscients que ma vie valait plus que quelques affaires et meubles ?
Après avoir réuni mes affaires, j’ai demandé à mes frères Mehran et Mehrdad de m’aider à les
transporter chez ma mère. Alors qu’ils étaient en train de déplacer les meubles, qu’ils portaient à
deux, Mahiar les surveillait comme un proviseur et leur répétait : « Faites attention à ne pas abîmer
les murs ! ». Mehrdad, mon frère aîné, énervé par cette répétition, lui a dit :
« Monsieur Nazemi, c’est dommage que vous n’ayez pas prêté autant d’attention à la vie de ma
sœur qu’à vos murs ! Ne vous inquiétez pas, nous on fait attention. « Mahiar, qui n’avait entendu
que du respect jusqu’ici de la part de ma famille, m’a dit avec soupçon : « Pourquoi tes frères ne
me respectent-ils pas ? ». La joue encore brûlante suite à sa claque, je lui ai répondu sur un ton
humiliant : « Tu n’as même pas honte... », je n’ai pas fini ma phrase tant je n’arrivais pas à croire
que l’on puisse ainsi écraser l’humain.
Je me suis de nouveau installée chez mes parents. J’étais très triste, mais comme toujours, je
n’avais d’autre solution que de patienter. Patience, patience, et encore patience...
Je n’avais pas bon moral. J’étais devenue anorexique et je maigrissais de jour en jour. J’avais les
nerfs en pelote et je réagissais au quart de tour à n’importe quel petit souci. Aucun sujet ni aucune
parole n’arrivait à me rendre joyeuse, je ne voulais pas du tout me montrer en société et j’avais
tout le temps envie d’être seule.

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Laleh, Sanaz, Nahal et Farnaz, mes quatre amies proches et collègues, faisaient très attention à
moi et essayaient de me rendre joyeuse à tout prix. Mais plus rien ne m’intéressait. Je me
demandais ce que serait mon avenir dans un pays où le poids du regard des gens pouvait te casser
le dos. Divorce... Deux fois... Qui arriverait à croire que j’ai été victime, les deux fois, du mensonge,
de la peur et de la fuite des autres ?
Ma pauvre mère, qui devait supporter mes sautes d’humeur, ne disait rien et me chouchoutait
comme une fleur. Comme cette fois notre séparation se faisait par consentement mutuel, il ne
fallait pas aller à l’ancien tribunal, mais à l’annexe située près de la société. Nous nous y sommes
rendus pour en finir avec le divorce.
Après quelques entretiens et en présence de nos témoins qui étaient ma mère et Monsieur
Forouzani, notre divorce a été prononcé. Mahiar avait donné sa démission définitive une semaine
avant et avait quitté la société. Nous ne nous sommes plus jamais revus.
Les tensions nerveuses et psychologiques de la journée m’empêchaient de dormir la nuit, et je
refusais systématiquement de prendre des somnifères. J’ai décidé d’aller consulter un spécialiste
de l’homéopathie et de suivre quelques séances de yoga, mais rien ne me calmer la nuit.
Après mon divorce, lorsque je parlais à mes amis, tous me disaient être au courant de ce qui se
passait entre Mahiar et Anoush. Presque toute la société était consciente de cette relation mais
personne n’avait osé m’en parler car chacun redoutait ma réaction.
Les jours et les nuits passaient et j’essayais de m’occuper avec le travail et le yoga. Je me disais
que si je travaillais plus j’ennuierais ma mère un peu moins.
J’ai parlé avec Paria, dont toute la famille envisageait de partir au Canada, et j’ai décidé
d’entamer des démarches pour y aller aussi.
Un matin, avant de partir travailler, la mère de Paria (que j’appelais ma tante) a téléphoné :
« Shabnam, contacte Shahla, elle veut te parler de quelque chose. ».
Shahla était une voisine de longue date de ma famille et de celle de Paria, dont le fils jouait avec
mes frères. Nassim et moi avions d’excellentes relations avec Shahla lorsque nous étions encore
célibataires. Elle était toujoursde bon conseil et à l’écoute.
Je l’ai appelée vers midi. Après s’être remémoré un peu dans le passé, je lui ai dit :
« Ma tante m’a dit de t’appeler. C’est à quel sujet ? »
Elle m’a répondu : « Oui, je veux te parler de quelque chose mais je préfère que tu viennes
boire le thé pour parler tranquillement. ».
J’ai demandé : « Est-ce une bonne nouvelle ? », elle m’a répondu : « Oui, viens, tu verras par
toi-même. ». J’ai dit : « D’accord, mais aujourd’hui j’ai trop de travail et je ne peux pas venir. Mais
demain après-midi, j’aurai plus de temps, je pourrai venir vers seize heures. »
J’avais de plus en plus de responsabilités dans mon travail, et il arrivait qu’en tant que directrice
nationale du service après-vente j’aie à me déplacer en province pour contrôler les entrepôts et
mettre à jour les informations pour les techniciens. Contrairement au passé, où à cause de mes
problèmes personnels, je déléguais beaucoup à mes employés, je prenais plus de choses en main
et m’occupais avec le travail.
Le lendemain j’ai essayé de finir mon travail à seize heures. Cela faisait une éternité que je
n’avais pas vu Shahla et son mari. J’ai acheté des pâtisseries avant d’aller chez eux.
En entrant dans leur appartement, je me suis remémorée les jours où nous allions leur rendre
visite avec Nassim et Paria. De ce lieu, je n’avais gardé que de très bons souvenirs.

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Après les salutations usuelles et une conversation sur mon travail et les évènements de tous les
jours, Shahla m’a dit : « On a entendu que ton deuxième mariage n’a pas été des plus heureux ? ».
J’ai répondu : « Hélas, non. ». Elle ne m’a pas demandé trop de détails car elle avait bien
conscience que je n’aimais pas trop en parler.
Après cela, elle m’a dit : « J’ai un frère qui vit à Paris et qui veut se marier. Je sais que prendre
une décision est difficile pour toi avec tout ce qui t’est arrivé. C’est pour cela que je vais te faire
une description complète et sans exagération de mon frère, pour que tu puisses décider en toute
connaissance de cause. ».

Comme je connaissais Shahla depuis longtemps et que j’avais entière confiance en son
honnêteté et en sa parole, j’ai décidé de l’écouter avec attention jusqu’au bout.
Elle m’a donné une description complète de son frère, son travail et ses conditions de vie en
France. J’ai dit : « Tu sais, Shahla, j’essaie de partir au Canada pour continuer mes études, en même
temps d’voir une vie affective pour moi a aussi la plus haute importance, mais comme j’ai eu deux
mauvaises expériences, prendre une décision à distance m’est très difficile.
Shahla a dit : “Mon frère Milad peut venir ici sans problème. Vous pourrez passer quelque
temps ensemble pour apprendre à vous connaître. Je te donne son numéro de téléphone pour que
vous vous contactiez. Il est possible que déjà au téléphone, vous vous plaisiez et que vous ayez
envie de continuer votre relation, ou bien, au contraire, que vous vous rendiez compte que vous
n’êtes pas faits l’un pour l’autre. ».
J’ai accepté sa proposition et suis repartie avec le numéro de téléphone de Milad.
En arrivant à la maison, j’ai tout raconté à ma mère. Elle était contente mais aussi avait ses
propres inquiétudes et me répétait d’être très prudente pour ne pas être blessée une troisième fois.
Elle m’a aussi recommandé d’être très franche et d’exprimer clairement mes volontés.
Le lendemain j’ai acheté une carte téléphonique et, vers neuf heures du soir, soit dix-huit heures
trente à Paris, j’ai appelé Milad.
Il a décroché après trois sonneries. J’arrivais à percevoir son sourire même au téléphone. Je me
suis présentée et j’ai dit que je l’appelais de la part de sa sœur Shahla. Il me connaissait. Il était clair
que Shahla lui avait parlé de moi et lui avait un peu raconté mon parcours. Je souhaitais néanmoins
exposer moi-même mes problèmes et mes attentes sans rien cacher, déjà car je n’avais rien à y
perdre et aussi pour qu’il comprenne ce que j’attendais d’un époux.
J’ai commencé à parler de moi et de mes deux séparations douloureuses. Je lui ai même dit que
commencer une vie conjugale pour la troisième fois ne me serait pas du tout facile, qu’il devra
peut-être y mettre beaucoup d’énergie, et que s’il pensait y arriver, nous pourrions commencer
une relation.
Milad m’a ensuite parlé de sa vie et de la durée de son séjour en France. Il avait un niveau de
vie financièrement dans la moyenne. Il était décorateur d’intérieur et aimait beaucoup son travail.
Son but était de fonder une famille.
Nous nous parlions pratiquement tous les soirs et apprenions à nous connaître de plus en plus.
Milad était un homme qui avait beaucoup d’humour, mais je savais qu’on ne pouvait pas se fier à
des conversations téléphoniques pour bien connaître quelqu’un.

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Notre relation téléphonique a duré presque six mois et nous nous voyions aussi de temps en
temps par Internet et webcam. En parallèle, j’allais rendre visite à Shahla et je lui parlais de nos
conversations. Heureusement, comme je m’y attendais, Shahla était de très bon conseil et
m’assurait que Milad était un homme très honnête et qu’il ne mentait jamais. S’il n’était pas sûr de
pouvoir tenir sa parole, il ne promettait pas.
Après ces six mois de relation par téléphone et Internet, j’ai demandé à Milad de venir en Iran
et d’y rester autant qu’il le pourrait, pour faire plus ample connaissance. Je lui ai également dit qu’il
était possible, après nous être vus en personne, que nos attentes ne se concrétisent pas et que si
cela ne fonctionnait pas pour quelque raison que ce soit, il fallait aussi nous préparer à cette
éventualité. Notre relation de six mois, à distance, nous a donné un aperçu, mais être en présence
l’un de l’autre serait très différent. Milad a alors accepté et a commencé à prendre un mois de
congés pour venir en Iran.
Ces jours-là, il m’arrivait très souvent de converser avec mon dieu. Je lui demandais de m’aider
pour que cette fois, je puisse avoir une vie saine. Je n’avais plus la force d’entendre des paroles
injustes. J’avais envie d’un Amour vrai. J’essayais beaucoup de ne pas se laisser reproduire les
situations illogiques et injustes de mes précédentes unions dans cette relation avec Milad.
Désormais, je ne gardais plus pour moi la moindre parole gênante ou déplacée. Je me faisais
violence pour éloigner mes peurs anciennes. Je me disais qu’il fallait que je sois très sérieuse et
exigeante, car si pour quelque raison que ce soit, ma relation avec Milad prenait fin, je ne perdrais
rien et j’en serais moins affectée psychologiquement. Et ce jusqu’à ce que notre relation évolue et
que nous commencions une vie à deux.
Comme la fin de l’année s’approchait, mes voyages en province étaient devenus plus
fréquents. J’ai essayé de former l’un de mes collaborateurs, dont j’étais satisfaite, pour qu’il puisse
m’accompagner dans mes voyages.
Pendant ce temps, j’ai mis Shadi au courant de ma relation avec Milad. Elle en était ravie et me
demandait quelques fois, comment cela évoluait et surtout elle insistait pour que je sois très
prudente. Je lui étais très redevable car elle m’avait toujours aidée à être psychologiquement solide.
De plus, elle me soutenait au travail et assurait mes arrières professionnellement. J’ai toujours dit
que j’étais très heureuse d’être entourée d’excellentes amies comme Shadi, Laleh, Sanaz et Nahal.
Elles avaient réellement partagé avec moi mes joies et mes peines.
À l’arrivée de Milad en Iran, nous nous sommes donné rendez-vous pour la première fois chez
Shahla. J’avais dit à Milad que même si nous ne nous plaisions pas au premier regard, nous
pouvions nous le dire très franchement, car il n’était pas un jeune homme inexpérimenté de vingt
ans et moi pas une jeune fille de seize ans.
J’ai acheté un beau bouquet de fleurs et me suis rendue chez Shahla. En montant les escaliers,
je sentais que mon cœur allait s’échapper de ma poitrine. Stressée, il me semblait qu’il y avait plus
d’escaliers que d’habitude.
Arrivée à la dernière marche, J’ai aperçu Milad qui portait une chemise marron rayée de beige
et un pantalon en coton beige. Il attendait sur le pas de la porte, les mains dans le dos. J’ai marqué
un arrêt, et nous avons tous les deux éclaté de rire. Milad était moins grand que moi. Il avait un
visage souriant et gai.

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J’ai continué à monter et dès que je suis arrivée à son niveau, il m’a tendu une rose qu’il avait
cachée dans son dos. Nous nous sommes embrassés sur la joue. C’était très étrange pour moi
d’embrasser un homme qui n’était pas mon mari.
Je suis entrée et j’ai donné mon bouquet de fleurs à Milad. Je me suis un peu calmée en enlevant
mon manteau et mon foulard, mais je n’avais pas encore récupéré mon battement de cœur
habituel. Shahla est juste venue pour me saluer, me faire la bise et me demander des nouvelles.
Puis elle a mis les fleurs dans un vase et nous a laissé seuls.
Je sentais que pour Milad aussi, le fait de se voir en vrai après six mois d’entretiens
téléphoniques était un peu étrange. Une fois un peu calmée, avec un battement de cœur normal,
j’ai commencé à raconter ma vie privée et professionnelle, ce qui était un peu une redite, puisque
nous en avions déjà parlé au téléphone.
Milad m’a demandé : “Bon, maintenant, comment me trouves-tu ? Est-ce que mon apparence
te convient assez pour continuer cette relation ou pas ?”
J’ai répondu : “Tu sais, tu ne me déplais pas, mais je ne peux pas dire que j’ai eu le coup de
foudre. Mais avec mon expérience acquise lors de mes deux précédentes unions ratées, je ne vais
pas faire de l’apparence physique un critère de choix. En tout cas, nous nous sommes parlé
pendant six mois et nous nous connaissons mieux, et ta venue permettra de confirmer et
compléter cette connaissance. J’espère qu’à la fin nous soyons heureux tous les deux, quel que soit
le résultat : soit la transformation de cette relation en une vie conjugale, soit sa fin.
En parallèle je parlais du comportement de Milad à mon psychiatre. Il me disait que pour les
filles iraniennes (à notre époque), entamer une vie conjugale ressemblait à ouvrir une pastèque.
Tant qu’elles ne sont pas entrées dans cette vie-là, elles ne peuvent pas très bien connaître leur
partenaire. Il me demandait de me comporter cette fois sans ressentir la notion de ‘faute religieuse’
avec Milad, comme un couple marié. Je n’étais pas très à l’aise à cette idée, mais j’avais la ferme
intention d’y réfléchir.
Ma mère m’a demandé d’inviter Milad chez nous, afin que toute la famille puisse le connaître
de près. Il a accepté avec plaisir et Shahla et lui sont venus dîner chez nous. Heureusement, Milad
a plu à ma famille.

Il ne restait plus que dix jours avant la fin du séjour de Milad en Iran, et il m’a demandé de lui
donner ma réponse définitive. Lorsque j’ai voulu répondre, je me sentais dans un état étrange.
C’était comme si je n’étais pas présente. Je me répétais dans la tête, mon dieu, c’est quoi cette
façon de choisir l’homme de ta vie, tu vas te marier sans le connaître ? D’ailleurs, j’avais
absolument aucun autre choix. Quand j’ai répondu oui, je sentais que mon cerveau n’était pas aux
commandes et qu’une force extérieure avait fait bouger mes lèvres.
Je me sentais dans un état très bizarre. Je me sentais lourde, et même si j’avais commencé ma
journée très en forme, j’avais très sommeil à ce moment précis.

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D’une part, il me semblait correct, et de l’autre, je me demandais si j’avais fait le bon choix
cette troisième fois ? Jusque-là, Milad me semblait être un homme bien et convenable et j’espérais
qu’il le reste et qu’il ne change pas de comportement après le mariage.
Trois jours après le mariage religieux, nous avons organisé une petite réception intime chez
Shahla, et j’ai annoncé la nouvelle à mes meilleures amies. Heureusement, toutes les démarches
auprès de l’ambassade de France, ainsi que le mariage selon la loi française se sont bien et vite
déroulés, et j’ai obtenu mon visa avant que Milad ne rentre en France.
Nassim, mes parents, mes frères, Shahla et tous mes amis étaient très contents et me
souhaitaient beaucoup de bonheur. C’est vraiment un sentiment très agréable et extraordinaire
que de constater que tu as de la valeur pour ta famille et tes amis. Je me sentais très fière d’avoir
un tel entourage et je remerciais Dieu.
Je devais transmettre mes fonctions à mon successeur et cela allait me prendre à peu près un
mois.
Chaque année, avant les vacances de Norouz, la société organisait une réception dans un hôtel
pour remercier les efforts du personnel et lui transmettre ses vœux. C’était ma dernière présence
à cette fête. Lors de son discours en tant que directrice générale du service après-vente, elle a
annoncé que j’allais bientôt quitter la société pour commencer une nouvelle vie en France. À la
fin de son discours, elle m’a demandé de dire quelques mots. Cette nouvelle était assez
imprévisible pour la plupart de mes collègues.
Après avoir transmis les commandes à mon successeur, j’ai dit au revoir à ma famille et mes
amis, et je suis partie pour la France.
J’y ai alors commencé une nouvelle vie dans un monde nouveau et complètement différent de
ce que j’avais connu les trente années précédentes.
Je sais très bien que me lamenter sur les années gâchées de ma vie ne sert à rien d’autre qu’à
me faire du mal et parasiter mes bons moments. Mais je me lamente sur le sort des filles et des
femmes iraniennes qui vivent en Iran et ont encore à composer avec la culture traditionnelle et le
regard de la Société, qui sont un frein à une vie libre pour elles.

Malheureusement, notre Société est toujours sous le joug de cette culture malade. Il existe
encore des familles qui obligent leurs enfants à faire des mariages arrangés, sans que les partenaires
se connaissent. C’est le droit de chaque jeune d’apprendre à connaître le caractère et l’état
psychologique de son futur partenaire avant le mariage. C’est la base même d’une relation de
couple. Alors, pour faire connaissance ainsi, Dieu ne punira personne. Je suis sûre qu’il existe des
parents qui n’arrivent pas à accepter la vraie identité physique et psychologique de leur enfant.
Ainsi, ils les obligent à vivre une vie qui ne leur convient pas, en étant forcés de faire semblant.
S’il existe des personnes qui ne veulent pas vivre avec des partenaires du sexe ou du genre opposé,
les obliger à le faire ou les renier dans la Société et en famille ne fera qu’écraser leur personnalité
et rendre victime des tierces personnes, comme cela a été mon cas.
J’espère que cette histoire, amère mais vraie, ouvrira les yeux des familles sur les immenses
problèmes qu’elles sont susceptibles de créer pour leurs enfants.

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