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Le «mobbing», psychoterreur sur l'employé. Ce


nouveau concept étudie les conséquences du
harcèlement psychologique sur les lieux de travail.
(Heinz Leyman : ""Mobbing, la persécution sur le lieu
de travail"")

Emmanuèle Peyret

Si le mobbing est un nouveau concept en provenance de Suède, mis au

point par un chercheur allemand, Heinz Leyman, la «psychoterreur sur le lieu de travail» exercée par
un groupe ou un chef sur une victime se pratique depuis toujours. Dans le nord de l'Europe, les
gouvernements ont pris au sérieux le mobbing (de l'anglais to mob: molester, malmener) et ses
conséquences: dépressions, suicides, maladies psychosomatiques... et coût financier. En Allemagne,
des entreprises interviennent désormais pour assister les «victimes». Promenade dans cet univers
impitoyable avec Heinz Leyman, dont le livre, publié en Allemagne en 1993, vient de sortir en français
(1).

Quelle différence entre un conflit au sein d'une entreprise et ce que vous appelez le mobbing?

L'un est la poursuite et la dégénérescence de l'autre. Nous considérons qu'il y a mobbing lorsqu'une
personne est acculée, mise en état d'infériorité constamment, fréquemment (au moins une fois par
semaine) et sur une longue période, agressée, soumise à des manoeuvres hostiles et dégradantes. La
définition est précise et nous avons établi une liste de 45 agissements, qui décrivent les quatre phases
de la psychoterreur. Un mobbing commence en conflit, brimades, etc., puis on passe à la
psychoterreur, jusqu'au déni des droits de la victime, toléré ou décidé par le personnel. Enfin, c'est
l'exclusion du marché du travail, suivie d'arrêt-maladie, de décision d'internement psychiatrique, de
licenciement ou de démission. La progression est insidieuse: cela va de nier la présence de la victime
jusqu'à l'agresser physiquement. On l'empêche de s'exprimer, on critique son travail ou sa vie privée,
on l'isole en interdisant à ses collègues de lui adresser la parole, on lance des rumeurs. La personne est
discréditée: on ne lui confie aucune tache, sauf quand elles sont inutiles ou dégradantes. Enfin, on en
vient aux menaces, agressions, dégâts à son domicile, etc. Quand il y a conjonction de plusieurs
facteurs, la cible risque de s'effondrer psychologiquement et de développer des malaises et des
maladies psychosomatiques.

Y a-t-il un profil type du «mobbé» ou du «mobbeur»?

Nous n'avons encore que peu d'éléments sur les catégories socioprofessionnelles. Ce que nous croyons
percevoir, c'est le danger que représentent des entreprises ou administrations mal organisées, où le
stress est très élevé. Les frustrations engendrées provoquent des conflits qui peuvent dégénérer. Quoi
qu'il en soit, un mobbing peut arriver à tout le monde: un chef «mobbé» par un groupe de salariés, un
employé face à des collègues, des subordonnés agressés par un supérieur. Il n'y a pas de structures

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Le «mobbing», psychoterreur sur l'employé. Ce nouveau concept étudi... https://www.liberation.fr/vous/1996/02/06/le-mobbing-psychoterreur-s...

psychologiques particulières. La différence se fait sur la façon de sortir d'un mobbing. Au bout d'un
moment, les dégâts psychiques sont très importants, jusqu'à aller parfois au suicide. Au cours de nos
recherches, nous avons constaté que cela se manifeste par le même type d'anxiété profonde que chez
les victimes de guerre, d'une prise d'otages, de viols ou de tortures. Et son comportement anxieux,
apeuré, la fait rejeter par son entourage.

Est-ce un phénomène nouveau?

Pas du tout, cela existe depuis toujours, mais jusqu'ici personne n'avait entrepris de recherches
scientifiques sur la question. J'ai commencé à y travailler dans les années 80, au moment où la Suède
reconnaissait les maladies psychosomatiques comme maladies professionnelles. En 1984, j'ai publié
mon premier livre et, au bout de quelques années, le gouvernement suédois a reconnu que le mobbing
représente un vaste gaspillage économique: selon nos recherches, en Suède, entre un suicide sur six et
un sur dix est la conséquence d'un mobbing.

Depuis 1993, le mobbing est un délit dans ce pays. Le phénomène est peu à peu reconnu en Allemagne,
en Australie, aux Etats-Unis, en Italie. D'autant que les études ont montré qu'un mobbing coûte très
cher à l'entreprise (arrêt-maladie, absences répétées, baisse de productivité). Entre 175.000 et
500.000 F, selon une estimation faite en Allemagne.

Peut-on estimer le nombre de salariés «mobbés»?

L'enquête statistique la plus importante a été faite en Suède: le mobbing y touche 3,5% des actifs. Il
semble que le phénomène soit de plus en plus fréquent en descendant du nord vers le sud de l'Europe.
En Italie, nos premières recherches montrent que le nombre de cas est deux fois plus élevé qu'en
Allemagne ou en Autriche, et quatre fois plus que dans les pays scandinaves. On estime à 1 million le
nombre de mobbings en France.

(1) Mobbing, la persécution sur le lieu de travail, Seuil, 98 F, 231 pp.

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