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La conception d’un espace de coworking

inclusif et capacitant par l’analyse de
l’activité et des vulnérabilités des sujets
Marvin Mouyéké1,2, Vincent Person1,2, Gaëtan Bourmaud1,
Catherine Gouedard1, Anouk Serreau 2.
1
C3U-Paragraphe, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis ;
2
Silver innov’, 54 rue Molière, 94200 Ivry-sur-Seine

marvin.mouyeke@gmail.com / person.vince@gmail.com

Résumé : Cette communication s’appuie sur une intervention ergonomique visant la conception d’un
espace de coworking, se proposant d’accueillir une diversité de professionnels, dont des personnes en
situation de handicap. A partir de situations de référence identifiées, plusieurs méthodes d’analyse de
l’activité ont été mobilisées. Ces méthodes ont permis d’analyser et de décrire comment les situations
de vulnérabilité liées au handicap favorisent le développement de la capacité d’agir et de ce fait,
comment les personnes porteuses de déficience(s) s’avèrent finalement autrement capables
(Rabardel, 2005 ; Plaisance, 2009 ; Bourmaud et Gouédard, 2021). Des ateliers, impliquant des
personnes en situation de handicap et des concepteurs, ont été menés, afin de co-définir les repères
pour la conception d’un environnement inclusif et capacitant, adapté à l’activité réelle des personnes,
à leurs savoirs d’expérience, et favorable au déploiement de leur pouvoir d’agir. Il semble alors que
concevoir un espace de coworking revient à concevoir un environnement capacitant marqué par une
complexité du système de ressources, une diversité des usagers et une composante sociale essentielle.

Mots-clés : Espace de coworking, Situation de handicap, Conception environnementale, Ressources.

The design of an inclusive and enabling coworking space through

the analysis of the activity and vulnerabilities of subjects

Abstract. This communication is based on an ergonomic intervention aiming at the design of a

coworking space, which is intended to welcome a diversity of professionals, including subjects with
disabilities. Engaged in different identified reference situations, several methods of activity analysis were
mobilized. Those tools allowed to analyze and describe how the situations of vulnerability linked to the
disability favor the development of the capacity to act and thus, how the subjects with disability(ies)
turn out to be otherwise capable (Rabardel, 2005 ; Plaisance, 2009 ; Bourmaud and Gouédard, 2020).
Workshops were then held, involving subjects with disabilities and designers, with the aim of co-defining
the benchmarks for the design of an inclusive and empowering environment, adapted to the subjects'
real activity, to their experiential knowledge, and favorable to the deployment of their power to act. It
seems then that designing a coworking space amounts to designing a enabling environment, marked
by a complexity of the resources system, a diversity of users and an essential social component.
Keywords: Coworking space, Disability, Environmental Design, Resources.

*Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Genève les 6, 7 et 8
juillet 2022. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du
document, qui est la suivante :
Mouyéké, M., Person, V., Bourmaud, G., Gouédard., C. & Serreau, A. (2022). La conception d’un espace de coworking inclusif et capacitant par
l’analyse de l’activité et des vulnérabilités des sujets. Actes du 56ème Congrès de la SELF, Vulnérabilités et risques émergents : penser et agir
ensemble pour transformer durablement. Genève, 6 au 8 juillet 2022.
Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies
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commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page.

SELF 2022, Genève 873

Conception d’un espace de coworking inclusif
INTRODUCTION
Cette communication présente une intervention
ergonomique, répondant à la demande suivante :
penser la conception d’un espace de coworking
inclusif, destiné à des personnes porteuses et
non-porteuses de déficience au sein des locaux de la
structure Silver innov’1. Silver innov’ est une pépinière
hôtel d’entreprise dédiée à la silver économie. Ainsi,
la structure accueille et accompagne des entreprises
travaillant sur des solutions innovantes pour améliorer
les conditions et la qualité de vie des personnes
vieillissantes ou porteuses de déficience à travers des
dispositifs contribuant à l’allongement de l’espérance
de vie et au maintien des capacités d’autonomie.
Le télétravail et les tiers-lieux, notamment les espaces
de coworking, sont en plein essor. De plus en plus
d’espaces de coworking sont conçus afin de
permettre aux professionnels de réaliser leur activité
en dehors de leur entreprise et de leur domicile. Ces
espaces permettent ainsi de limiter l’immixtion de la
sphère professionnelle dans la vie privée et
également de maintenir les dimensions sociales,
profondément mises en péril dans les situations de
télétravail. Cependant, au sein de ces espaces,
comme au sein de bon nombre d’espaces de la
société urbaine, nous pouvons observer des barrières
qui limitent l’accessibilité et l’usage aux personnes
porteuses de déficience, entraînant ainsi des
situations de handicap ou bien des situations où
l’activité est empêchée. Nous dresserons tout
d’abord le cadre théorique dans lequel nous nous
sommes inscrits, nous présenterons notre
méthodologie reposant sur deux volets de situation
de référence, nous présenterons les principaux
résultats de l’analyse de l’activité et des vulnérabilités
des personnes, avant de présenter les ateliers de
co-conception. Une conclusion ainsi qu'une mise en
perspective des résultats viendront clôturer cette
communication.
1. C ONSTAT ET CADRE THÉORIQUE
1.1. Situation de handicap et déficience
La notion de "handicap" a beaucoup évolué et a
suscité de nombreux débats ces quarante dernières
années, comme le rappellent Bourmaud et
Gouédard (2021). En 2001, l’Organisation Mondiale
de la Santé (OMS) adopte un modèle dynamique du
handicap sous le nom de « Classification
Internationale de la Fonctionnalité du Handicap et
de la Santé ». La déficience y est définie comme
“toute perte ou anomalie d’un organe ou de la
fonction propre à cet organe”. Les handicaps sont
reconnus comme étant le résultat direct d’obstacles
suscités par l’environnement (modèle dit social du
handicap). La préoccupation de l’ergonomie pour
l’analyse des situations de handicap a été confortée
par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et
des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées. La loi de 2005 fait référence
à la fois aux altérations du sujet, mais également aux
influences de l’environnement, conduisant à une
1
Intervention réalisée dans le cadre du stage de Master 2 de deux
étudiants en Ergonomie, encadrée à Silver Innov par Anouk Serreau, et
par les encadrants du Master 2 de l’Université Paris 8 F. Decortis et G.
Bourmaud. Nous remercions l’ensemble des acteurs ayant participé
pour leur volontariat et leur implication.
874 SELF 2022, Genève
limitation d’activité et à une restriction de
participation à la vie citoyenne.
Pour Gardou (2009), le handicap est une privation de
liberté, qui se manifeste à des degrés variables, en
fonction de la gravité de la déficience et de
l’environnement (principalement conçu pour des
sujets qu’il nomme les “bien-portants"). En 2000,
Ravaud et Stiker démontrent l’exclusion majoritaire
des personnes porteuses de déficience de certains
lieux, de biens sociaux ou même de droits universels
(culture, loisirs, instruction, monde professionnel).
Rabardel (2005), propose la définition conceptuelle
du "sujet capable". Tout sujet est capable d’intervenir
dans le monde, “peut " et “a la puissance" d’orienter
son activité vers des objets divers. Au cours de son
activité, le sujet capable peut mobiliser un ensemble
de ressources, internes et externes, qui constituent son
pouvoir d’agir. Alors, les sujets porteurs de déficiences
ont la capacité d’agir et de développer des
ressources pour aller au-delà de situations parfois
handicapantes. L’enjeu est de promouvoir un
environnement et un espace à caractère
développemental, permettant le déploiement du
pouvoir d’agir. Pour Gouédard et Sarralié (2016), les
situations qui diminuent le pouvoir d’agir sont autant
d’occasions de genèses. Les sujets sont alors
“autrement capables" de mobiliser les ressources à
leur disposition pour faire face aux situations
(Plaisance, 2009 ; Bourmaud et Gouédard, 2021).
1.2. Les espaces de coworking, des
environnement sociaux
Pour pallier les problématiques liées à l’accessibilité
en entreprises et pour garantir le maintien à l’emploi
de personnes porteuses de déficience, le télétravail
apparaît comme “un des leviers qui permettent
l’emploi de ces personnes" (Montfort, 2015 dans
Uguen et Carballeda, 2016). Cependant, l’activité de
travail réalisée au domicile pose question quant à
l'isolement. Nous pouvons en effet nous demander
dans quelle mesure déplacer le travail dans la sphère
domestique permet le développement de la
personne, l’intégration à un collectif et à un
environnement social dynamique. Pour Walrave et
De Bie (2005), l’isolement professionnel est plus
fortement ressenti chez les télétravailleurs réalisant
leur activité au domicile, que chez ceux qui auraient
à leur disposition des espaces dédiés (tiers-lieux) au
sein desquels ils pourraient être en contact avec des
membres de leur organisation. Alors, pour répondre
aux problématiques liées au sentiment d’isolement,
“les espaces de coworking [sont à faire valoir] dans
une volonté de contrer l’isolement du télétravailleur
par le partage d’espaces avec des professionnels
variés dans un même espace de travail “ (Uguen et
Carballeda, 2016).
De nouveaux lieux de réalisation de l’activité, comme
les espaces de coworking, sont en expansion depuis
ces deux dernières années. Cette dénomination de
"tiers-lieu" renvoie à une situation au sein de laquelle
l'activité professionnelle n’est réalisée ni dans
l'entreprise ni au domicile, mais dans un espace
spécifique, annexe, qui préserve la séparation entre
la sphère professionnelle et la sphère privée.
Cependant, en région parisienne, il n'existait au
moment de l’intervention qu’un seul espace de
coworking accessible. Ainsi, la majorité des
coworkings existants sont pénalisés par des barrières
Conception d’un espace de coworking inclusif
qui conduisent à des situations de handicap pour les
sujets porteurs de déficiences.
Les espaces de coworking sont des environnements
marqués par l’émergence d’une communauté
(entrepreneurs, opérateurs indépendants, membres
d’une Start-up) qui réalise son activité de travail tout
en partageant un espace commun, des ressources
communes et leurs connaissances (Parrino, 2013).
Ainsi, l’aspect social s’avère être une composante
essentielle pour les coworkers. Cette alternance entre
activités individuelles et activités partagées permet
de considérer les espaces de coworking comme des
environnements sociaux marqués par la poursuite
d’un but social. Les coworkers ne considèrent pas le
coworking comme un simple lieu de réalisation de
l’activité professionnelle, mais bien comme un lieu de
vie reposant sur des interactions et des relations
sociales. Même dans le cadre d’activité individuelle,
l’activité du coworker est “souvent dirigée vers autrui”
(Clot, 1995 ; lu dans Bourmaud, 2006).
1.3. La coactivité au travail et partage
d’expérience
Le terme de "co-activité" permet de rendre compte
de l’activité des coworkers et des sujets porteurs de
déficience d’un point de vue systémique, à travers
l’interaction entre les sujets et ainsi de rendre compte
des systèmes d’activités inter-reliés. Au sein des
espaces de coworking et lors de situations de travail
de sujets porteurs de déficience, de nombreux
étayages ont lieu, favorisant notamment le
développement de compétences et le partage de
savoir-faire. La transmission de compétences et de
savoirs expérientiels entre coworkers ou entre
collègues repose sur la notion de "ressource". Un
coworker/opérateur ayant des compétences
abouties dans un domaine peut aider un autre
coworker/opérateur à réaliser sa tâche. Ainsi, de par
sa posture d'expert, le premier constitue une forme
de ressource contribuant à l’apprentissage et au
développement des compétences du second. Cette
forme de co-activité renforce la notion d’activité
constructive (Numa-Bocage, Clauzard, et Pastré,
2012) qui contribue au processus de construction du
sujet. Ainsi, l’activité de l’aidant va favoriser le
développement interne de l’aidé, qui va développer
ses compétences, son pouvoir d’agir et des schèmes
communs à ceux de l’aidant.
2. M ÉTHODOLOGIE
Pour mener à bien l’analyse de l’activité des futurs
usagers de l’espace de coworking inclusif, cette
intervention a reposé sur l’analyse de deux volets de
situations de référence. Le premier volet « coworking
existant » comprenait l’analyse systémique d’espaces
de coworking existants dans le territoire Grand-Orly
Seine Bièvre. Le deuxième volet « sujets porteurs de
déficience » comprenait des situations de travail en
bureau (travail en entreprise, en espace aménagé,
télétravail en espace aménagé) de sujets porteurs de
déficiences. Ces analyses ont permis d’appréhender
les déterminants et les effets de l’activité des sujets et
d’identifier les situations d’empêchement, les
ressources et les contraintes de sujets porteurs et
non-porteurs de déficience. En accord avec Rétaux
et Bourmaud (2014), la conception de l’espace a été
menée de telle sorte à ce que l’environnement ne
joue pas uniquement le rôle de « compensation
technique », mais s’inscrive dans une approche
développementale et systémique. Cette intervention
repose également sur la distinction entre les notions
de « situation de handicap » et de « déficience
potentielle ». Au cours de leur activité, tous les sujets
(porteurs ou non-porteurs de déficience) sont
susceptibles d’être confrontés à des situations de
handicap. Ainsi, cette intervention et par extension
cet article, contribuent à favoriser un modèle inclusif
plutôt qu’un modèle déficitaire du handicap.
2.1. Situation de référence : “coworking
existant”
Le volet de situation de référence « coworking
existant » a reposé sur l’analyse de l’activité au sein
de 5 espaces de coworking identifiés à partir du
critère d’appartenance au territoire soutenu par Silver
innov’. La diversité de ces espaces ont permis
d’obtenir une vision systémique de l’activité. Les 5
espaces de coworking analysés disposaient de
typologie de pôles - des pôles distincts dirigeaient les
activités (pôle individuel, cuisine, détente, phonebox,
réunion, terrasse…) - et étaient également de nature
différente (incubateur, service ouvert à tous). Au
total, au sein de ce volet de situations de référence,
nous avons observé 14 sujets au sein de trois espaces
de coworking lors de nos observations ouvertes et 5
sujets au sein de deux espaces de coworking lors de
nos observations systématiques. En complément,
l’analyse a reposé sur deux méthodes d’entretiens :
les entretiens semi-directifs d’environ 1h pour saisir la
partie invisible de l’activité et la Méthode des
Défaillances Substitution de Ressources (MDSR)
(Bourmaud, 2006). Cette méthode consiste en un
entretien au cours duquel nous avons placé le sujet
dans une situation hypothétique où certaines de ses
ressources étaient défaillantes. Cela nous a permis de
comprendre comment le sujet s’empare d’une ou
plusieurs autres ressources pour réaliser son activité
(ressources de substitution) et d’explorer les systèmes
d’instruments tout en tenant compte de leur
caractère d’ensemble.
2.2. Situation de référence : “sujet porteur
de déficience”
L’identification des sujets porteurs de déficience
réalisant une activité de bureau s’est faite selon le
critère d’appartenance au territoire départemental
de Silver innov’. Aussi, il est attendu que le futur
espace de coworking inclusif réponde à certaines
typologies de déficience. En raison de la situation
sanitaire actuelle, forçant beaucoup de sujets à
réaliser leur activité professionnelle depuis leur
domicile, les observations directes ont été
majoritairement empêchées, ce qui nous a conduit à
construire des carnets de bord que les sujets devaient
remplir. Il était demandé aux sujets d’avoir un retour
réflexif sur une demi-journée de travail en y
renseignant la tâche, l’activité, l’objet de son activité,
les ressources mobilisées, la présence de
communication verbale (et la durée, le destinataire
et l’objet éventuels), le lieu de réalisation de l’activité,
des ressentis libres et des commentaires en fonction
de l’heure. L’objectif de ces carnets de bord était de
se rapprocher au plus d’une observation réelle en
situation. Nous avons récolté 8 carnets de bord, 4
présentant une activité réalisée en télétravail
(étudiants en études supérieures, un sujet porteur de
surdité partielle, un sujet porteur de malvoyance, et 2
SELF 2022, Genève 875
Conception d’un espace de coworking inclusif
carnets d’un sujet porteur de paraplégie), 4 en
espace partagé (chargées de missions, hémiplégies).
Nous avons cependant pu rencontrer et observer 2
sujets en situation réelle dans leur espace de travail
en entreprise.
Nous avons également effectué des entretiens
semi-directifs auprès de 10 sujets porteurs de
déficience. La thématique de l’isolement ressortant
dans 4 de ces entretiens, nous avons approfondi
cette thématique auprès d’un sujet porteur d’une
paraplégie. La grille et la catégorisation de cet
entretien a été réalisée à partir d’observations
ouvertes et d’éléments théoriques.
3. L’ANALYSE DE L’ACTIVITÉ ET DES VULNÉRABILITÉS
DES SUJETS
3.1. Approche systémique et classe de
situations
Dans l'ensemble des situations observées, les sujets
réalisaient principalement des tâches sur ordinateur
que nous avons défini comme classe de situations
(traitement de texte, recherche internet, rédaction
de mail…). Cependant, restreindre les activités
observées uniquement aux tâches réalisées sur
ordinateur serait réducteur. En effet, nous avons
également observé des activités dirigées vers autrui,
notamment lors de situations où le sujet prend une
pause. Ces activités dirigées vers autrui sont relatives
aux classes de situations observées qui étaient
dirigées vers un objet social (lorsque deux coworkers
discutent lors d’une pause). Ainsi, cela démontre
l’importance d’autrui et de la composante sociale au
sein des activités professionnelles en espaces de
coworking ou en espaces partagés. Cependant,
nous avons découvert que cette composante sociale
pouvait être impactée lors des situations de
télétravail, conduisant ainsi à un sentiment
d’isolement social.
3.2. L’isolement social
Nos entretiens ont démontré que l’inaccessibilité de
Tableau 1 : “Activités empêchées relevées
sur l’ensemble de l’étude”.
876 SELF 2022, Genève
nombreux espaces publics est à l’origine d’un
sentiment d’isolement ressenti par les sujets, en lien
avec les conséquences de leur déficience. Aussi, le
recueil des carnets de bord proposés aux sujets
porteurs de déficience met en lumière l’absence
d’interactions sociales et fonctionnelles au cours de
l’activité professionnelle réalisée en télétravail. Sur
l’ensemble des carnets de bord présentant une
activité réalisée en télétravail (4 carnets, 29h40
d’observation), les sujets n’ont communiqué que
pendant 3h46. Sur ces 3h46, 3h10 était de l’ordre de
la communication fonctionnelle. 36m étaient de type
social. Sur l’ensemble de ces carnets de bord, la
communication fonctionnelle répondait aux tâches :
“travail de groupe”, “demander un conseil” tandis
que la communication sociale répondait aux tâches
“déjeuner” et “prendre une pause”.
L’entretien portant sur le sentiment d’isolement a
accentué les résultats sur l’absence d’espace de
travail dédié à l’activité professionnelle comme
facteur d’isolement. Un facteur de développement
et de bien-être était médiatisé par l’application
Snapchat. Ces technologies de l’information et de la
communication permettent le maintien d’un lien
social et de discussions informelles avec son collectif
de travail.
3.3. Déficience, situation de handicap et
activité empêchée
Nos observations ont démontré que certains des
acteurs se sont adaptés aux différentes situations
rencontrées et qu'ils ont développé des ressources
leur permettant de réaliser leur activité au sein même
de leur espace de travail. De plus, la notion de «
situation de handicap » n’est pas corrélée
systématiquement avec celle de « déficience ». En
lien avec la dimension interactionnelle
caractéristique du sujet et de la situation (voir
Bourmaud et Gouédard, 2021), certains sujets
porteurs de déficience, ne ressentent pas de situation
de handicap dans leur activité de travail, tandis que
d’autres se sentent « autrement capable » de réaliser
leur objet d’activité.
Conception d’un espace de coworking inclusif
Le tableau 1 présenté ci-dessus, réalisé sur l’ensemble
de l’intervention, permet de rendre compte des
différentes situations d’empêchement verbalisées par
les sujets et de leur pouvoir d’agir, afin de s’éloigner
d’une approche déficitaire.
L’analyse du tableau 1 permet d’établir que les sujets
porteurs de déficiences, et sujets non-porteurs de
déficience sont tous susceptibles, au cours de leur
activité d’être confrontés à des situations, des
espaces limitant leur activité. Cependant, tous
apparaissent dans ces situations comme des “sujets
capables” de développer des moyens pour réaliser
l’objet de leur activité grâce à leurs ressources
internes et externes qui vont favoriser leur pouvoir
d’agir, i.e. sujets “autrement capables”. Ces
“situations de handicap” donnent lieu à des
"genèses". (Gouédard et Sarralié, 2016). Elles
constituent une part constructive de l’expérience :
ces situations sont autant de savoirs expérientiels qui
permettent au sujet de se révéler à partir de
l’expérience vécue et de se développer pour leurs
activités futures.
Ainsi, lors de la conception, il était important de
prendre en compte ces situations, dans lesquelles
l’activité était empêchée et de co-concevoir des
solutions adaptées pour aboutir à un environnement
capacitant (Falzon, 2013). L’analyse des vulnérabilités
de tous (sujets porteurs et non-porteurs de
déficience), a également permis d’incarner une
démarche “inclusive” et non “intégrative” auprès de
tous les acteurs concernés, lors des ateliers de
co-conception.
4. L ES ATELIERS DE CO-CONCEPTION
4.1. La conception dans l’usage
Au cours de cette intervention, nous avons conduit à
distance trois ateliers de co-conception de 2h30
chacun, impliquant 8 sujets. Parmi eux, 4 étaient
“futurs usagers”, 2 “représentants de projets
innovants”, 1 était “designer d’espace” et 1 était le
porteur du projet. Ces acteurs ont également été
choisis selon leur appartenance au territoire de Silver
innov’ et étaient représentatifs de typologies et des
thématiques liées au handicap. Ainsi, ces ateliers ont
permis de créer une alliance stratégique entre les
différents acteurs du projet, afin d’aboutir à une
maquette adaptée aux attentes de tous. L’enjeu de
cette maquette était aussi de projeter les participants
dans les activités futures probables pour la
conception des principes de l’espace de coworking.
4.2. La projection de l’activité
L’outil Mavimplant de l’INRS que nous avons utilisé lors
de ces ateliers, s’est avéré propice à la conception
dans l’usage, car il permet à la fois de maquetter en
3D des espaces de travail, mais aussi d’y placer les
activités qui s’y déroulent. Ainsi, nous avons pu
demander aux sujets de se projeter dans une activité
future de coworker et d’appréhender leurs objets
d’activité. Demander à l’ensemble des acteurs de se
projeter dans l'espace, nous a donc permis d'ancrer
la dimension de l’activité et d’ajuster la maquette en
conséquence. Par exemple, dans la première version
de la maquette, les futurs usagers ne proposaient
qu’une seule phonebox. Cependant, au sein des
projections d’activité, la totalité d'entre eux mobilisait
la phonebox à un moment de la journée. Ainsi, les
acteurs de la conception se sont rendu compte
qu’une phonebox était insuffisante et ont ajouté une
seconde phonebox dans l’espace. Aussi, lors de la
projection orale du sujet Abr. (figure 1), (responsable
stratégie, porteur de dystrophie musculaire) dont
l’activité repose sur des tâches réalisées sur
l’ordinateur (rédaction de mails, réalisation de devis)
et sur une découverte des autres coworkers (aspect
social), nous avons appris que son activité est
également marquée par la présence d’une
assistante de travail, ce qui nous a conduit à ajouter
un pôle attente, pôle qui n’avait pas été pensé par
les futurs usagers. Ainsi, la projection de leur activité
couplée aux résultats issus des situations de référence
ont apporté des éléments permettant de penser la
conception de l’espace de coworking inclusif.
Figure 1 : ”Projection de l’activité de Abr.responsable stratégie,
porteur de dystrophie musculaire”.
4.3. La co-conception de la maquette
Lors de ces 2 ateliers, les 8 acteurs ont abouti à un
consensus : un espace de coworking est un lieu de
vie. Il traduit une véritable composante systémique :
c’est un système qui se doit de soutenir des activités
de travail et le maintien d'un lien social. Les acteurs
de la co-conception nous ont déclaré que cela peut
passer par la conception de divers pôles qui
dirigeraient, du moins de manière prescrite, les
activités (pôle individuel, pôle collectif, pôle partagé,
pôle détente) mais également par le biais de
solutions organisationnelles mises en place par la
structure (activités annexes, dispositifs de mise en
relation, accompagnement des coworkers,
sensibilisation au handicap). L’ensemble des acteurs
et nous-mêmes avons d’abord réfléchi aux pôles
nécessaires au sein du futur espace (figure 2). Trois
pôles ont émergé, un pôle collectif permettant de
réaliser une co-activité sans gêner les autres
coworkers. Un pôle de travail individuel séparé du
pôle collectif par une cloison traitant les nuisances
sonores. Enfin, un pôle phonebox permettant aux
coworkers de réaliser des visioconférences. L’espace
attente a été élaboré plus tard. Après avoir défini ces
pôles, nous avons aménagé l’espace en disposant
les postes de travail : certains fixes et d’autres
mobiles. Dans un dernier temps, nous avons abordé
la question des espaces annexes et notamment des
espaces partagés au sein des locaux de Silver innov’
afin de ne pas se restreindre uniquement à l’espace
de coworking. Cela a permis d’identifier l’importance
de l’accessibilité du bâtiment de la structure.
SELF 2022, Genève 877
Conception d’un espace de coworking inclusif
Figure 2 : “Maquette finale du
futur espace de coworking
inclusif”.
Ces ateliers ont permis
d’aboutir à une
maquette, présentant des
similitudes aux coworking
observés durant
l’intervention, notamment
concernant les typologies
de pôles. Cependant, elle
présente également des
distinctions, favorisant
l’aspect inclusif de
l'espace (accessibilité du
cheminement et des
postes de travail, inclusion
avec une absence de
postes prédéfinis pour une
typologie de déficience). De plus, cette maquette,
réalisée avec les acteurs, peut être considérée
comme une forme de co-diagnostic issu d’une
compétence de compréhension et d’analyse de leur
propre activité. Cette démarche permet d’inscrire
cette intervention capacitante dans la continuité des
perspectives illustrées par Barcellini en 2017.
DISCUSSION
Les résultats issus de nos observations de sujets porteurs
de déficience et de coworkers démontrent que les
activités que nous avons observées sont riches et ne
se restreignent pas à une simple activité de travail. En
effet, nous avons observé à de nombreuses reprises les
sujets se demander conseil et s’entraider. À travers ces
médiations interpersonnelles, les sujets ont développé
des savoirs faire communs (utilisation de l’espace,
d’outils) et également répondre à l’objet social de leur
activité. Nos observations ont mis en évidence que
l’espace peut être considéré comme un artefact qui
soutient l’activité et que les coworkers s'approprient
(Cf. Bourmaud & Rétaux, 2021). Durant la démarche
de co-conception participative, nous n’avons pas mis
l’accent sur les déficiences et sur les compensations
afin de favoriser la conception de l’espace
capacitant et inclusif. Le résultat issu de ces ateliers est
une maquette reprenant certains principes des
coworkings observés mais s’en éloignant également
afin de favoriser l’inclusion au sein de l’espace. De
plus, les futurs usagers ont appuyé l’importance de la
composante sociale à travers la notion de "lieu de
vie". Les acteurs ont expliqué que le futur espace de
coworking inclusif devait être conçu pour dépasser la
définition réductrice de "lieu de travail". Lors de ces
ateliers, ils ont également souligné l’importance du
rôle de la structure d'accueil dans la sensibilisation aux
spécificités du handicap, dans l’accompagnement et
la mise en relation des coworkers.
CONCLUSION ET MISE EN PERSPECTIVE
Concevoir un espace de coworking, c’est concevoir
un environnement capacitant marqué par une
complexité du système de ressources, une diversité
des usagers et une composante sociale essentielle.
Cette intervention ergonomique permet d’offrir une
vision systémique et de considérer le futur espace de
coworking inclusif comme un système et non comme
878 SELF 2022, Genève
un simple lieu de travail. Nous pensons que cette
approche systémique, couplée à la conception que
nous avons réalisée avec de futurs usagers, a
contribué à l’émergence de solutions techniques et
organisationnelles qui permettront que le futur
espace réponde aux enjeux, aux besoins et à
l’activité réelle de ses futurs coworkers. La conception
d’un coworking inclusif ne se résume pas à des
solutions de compensation au handicap. Il s’agit de
comprendre les enjeux, les besoins et les particularités
des sujets vulnérables afin d’agir sur les situations
handicapantes. Enfin, le futur espace de coworking
doit être appréhendé comme un lieu de vie inclusif,
au sein duquel sujets porteurs et non-porteurs de
déficience ne seraient pas différenciés les uns des
autres, mais formeraient une communauté. Nous
considérons que la démarche d’intervention réalisée
peut constituer une contribution pour les futurs
travaux en ergonomie relatifs à la thématique du
handicap. La démarche ne doit pas forcément
reposer sur une approche déficitaire du handicap
(fragilité et incapacité) mais bien sur la
compréhension des capacités des sujets porteurs de
déficience à se savoir autrement capables et plus
particulièrement sur leur contribution dans le cadre
de projet de conception.
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