Vous êtes sur la page 1sur 123

UNIVERSITÉ DE LIÈGE

FACULTÉ DE PHILOSOPHIE ET LETTRES


Histoire

La Guerre de Juliers et la bataille de Baesweiler (22 août 1371) :


défaite militaire, politique et stratégique de Wenceslas de Luxembourg

Travail de fin d'études


présenté par
Olivier LOUIS
en vue de l'obtention du grade
de master en Histoire

Année académique 2010-2011

1
INTRODUCTION

Le Juliers, où se situe Baesweiler, se trouve, tout comme aujourd'hui, dans une région-carrefour de
l'Europe, entre le Rhin et la Meuse. Il y a 6 siècles, Froissart le constatait déjà : « ...les gens,
marchans et autres, ne povoient aler, passer, ne entrer en Allemaigne fors par les terres et dangiers
du duc de Julliers et du duc de Gueldre »1. La guerre de Juliers est aussi un carrefour où convergent
plusieurs voies historiques. Là convergent deux siècles d'expansion brabançonne, de la Meuse vers
le Rhin, avec la politique de la maison de Luxembourg, au XIVe siècle, pour y croiser les intérêts et
les ambitions des ducs de Juliers et des ducs de Gueldre. La Landfriede est le feux rouge
défectueux qui provoqua le crash de Baesweiler. La multiplicité des approches de cet évènement,
que ce soit par l'histoire du duché de Brabant, du Bas-Rhin, de la Landfriede, ou par l'histoire de la
maison de Luxembourg et du règne de Charles IV, rend souvent mal aisée la compréhension de la
bataille de Baesweiler et de ses causes. Beaucoup d'historiens se contentent de l'expliquer
simplement par l'agression des marchands brabançons dans le Juliers, avec l'aval du duc Guillaume
II, mais les faits sont plus complexes qu'ils n'y paraissent.

L'objectif de ce travail n'est pas d'utiliser la liste des combattants de la bataille de Baesweiler pour
expliquer un aspect de l'histoire militaire brabançonne, tel le recrutement d'une armée ou la
prosopographie des combattants. Van Oeteren2 s'y est déjà appliqué, dans un excellent mémoire de
licence, dont je doute fort pouvoir atteindre le niveau. Il s'agira plutôt, ici, de recadrer la guerre de
Juliers dans un contexte géographique et chronologique plus vaste. Il y a d'abord, dans un cadre
régional, le contexte du Brabant qui vient se mêler au contexte du Bas-Rhin (Gueldre et Juliers),
avec, comme traits d'union, la Landfriede et les prétentions des ducs de Brabant sur le Limbourg
puis sur le Rhin. Vient ensuite, dans un cadre plus général, la politique impériale et dynastique de
deux frères, Charles IV et Wenceslas de Luxembourg. On ne peut comprendre la défaite de
Wenceslas sans tenir compte de ces éléments. L'hypothèse de Van Oeteren, qui avançait que la
guerre de Wenceslas contre Godefroid de Heinsberg fut un « détonateur » pour la guerre de Juliers,
sera ici examinée plus en profondeur. Je crois que Van Oeteren et Boffa n'ont pas assez mis en
exergue la Chronographia regum Francorum pour ce qui est de la bataille elle-même. Van Oeteren
l'a ignoré tandis que la synthèse générale de Boffa, sur l'histoire militaire brabançonne au XIVe
1 FROISSART, XIII, p. 19.
2 VAN OETEREN, Recrutement et composition d'une armée brabançonne au XIVe siècle. Le cas de Baesweiler (1371),
mémoire de licence, inédit, ULB, 1987. Serge Boffa regrette que cet ouvrage ne soit pas publié.

2
siècle3, ne lui permettait pas d'aller trop en profondeur. Enfin, la capture et la libération de
Wenceslas a fait, du frère de l'empereur Charles IV, un émule malchanceux du roi de France Jean II.
Il sera question, ici aussi, mais de manière moins exhaustive et approfondie, des démarches de
Jeanne de Brabant pour libérer son époux et de l'attitude de Charles IV après la défaite de son frère.

3 BOFFA Sergio, Warfare in medieval Brabant : 1356-1406, Woodbridge, Boydell Press, 2004.

3
Partie I : Causes lointaines et contexte de la guerre contre le Juliers (1371).

1) L'expansion des ducs de Brabant vers la Meuse et le Rhin du XIIe au XIVe siècle.

C'est depuis Godefroid Ier dit le Barbu (1095-1139), en 1106, que les comtes de Louvain sont
devenus ducs de Basse-Lotharingie et comtes de la marche impériale d'Anvers. Cette dignité ducale,
que les comtes de Louvain tiennent désormais en fief de l'empereur, de manière quasi-héréditaire
depuis lors, confère à ceux-ci une certaine prééminence sur les princes voisins et sur les régions
sises entre l'Escaut et le Rhin4. Tout au long du XIIe siècle, les comtes de Louvain tentent d'aligner
la réalité de leur situation géopolitique sur leur dignité, de plus en plus illusoire, de duc de Basse-
Lotharingie, mais ils se heurtent, à l'ouest, aux comtes de Flandre qui tiennent, à l'est de l'Escaut, la
Flandre dite impériale, et à l'est, aux évêques de Liège. Il reste que Godefroid II (1139-1142) et
Godefroid III (1142-1190) parviennent à faire du Brabant une principauté solide et homogène 5, dont
les villes sont de plus en plus prospères 6 sous l'effet dynamique du développement économique de
la Flandre, d'une part, et de la route Bruges-Louvain-Maastricht-Cologne, d'autre part. C'est cette
prospérité des villes, telles Louvain, Bruxelles, Anvers, mais aussi Nivelles, Léau, Tirlemont et
Vilvorde, qui déterminèrent Henri Ier (1190-1235) à tourner son regard vers le Rhin, c'est-à-dire
vers les limites orientales de son duché lotharingien.

La diète impériale de Schwäbisch-Hall, en 1190, enlèva officiellement aux comtes de Louvain le


droit d'exercer le pouvoir ducal en dehors de leurs biens patrimoniaux, ce qui vidait de tout son sens
leur titre de duc de Basse-Lotharingie7. Cela n'empêcha toutefois pas Henri Ier et ses successeurs
non seulement de conserver ce titre, ne serait-ce que par en réaction à cette décision 8, mais aussi de
tenter d'accroître leur puissance et leurs possessions. Bloqués à l'ouest et au sud par les puissants

4 UYTTEBROUCK André, Le gouvernement du duché de Brabant au bas Moyen Age, 1355-1430, Bruxelles, Editions de
l'Université de Bruxelles, 1975, p. 19. PIRENNE Henri, Histoire de Belgique, tome I, Bruxelles, Maurice Lamertin,
1929, p. 231.
5 PIRENNE, op.cit., p. 231.
6 Idem, p.232.
7 UYTTEBROUCK , op.cit., p. 19.
8 Dès la fin du XIIe siècle apparaît le titre de « duc de Brabant », qui finira par se substituer au titre de « duc de
Basse-Lotharingie » , qui apparaît pour la dernière fois sous Jean Ier.

4
comtés de Flandre et de Hainaut, le duc de Brabant Henri Ier dirige donc ses efforts vers l'est et vers
le Rhin. Il a une très bonne raison d'agir ainsi : mieux contrôler la route Bruges-Louvain-
Maastricht-Cologne, vitale pour le commerce brabançon, route que les évêques de Liège peuvent lui
barrer à tout moment9. La principauté de Liège, qui se dresse entre le Brabant et le Rhin, devient par
conséquent son principal ennemi10.

Henri Ier porte son premier coup à Maastricht, étape importante sur la voie Bruges-Cologne. En
1204, il obtient en fief du roi Philippe de Souabe le domaine impérial de Maastricht 11 et l'avouerie
du chapitre impérial de Saint-Servais. Cette concession est à l'origine de la co-seigneurie des ducs
de Brabant et des évêques de Liège sur cette ville. Elle constituera pendant longtemps une véritable
épine brabançonne dans le pied de la principauté 12. Le duc n'en reste pas là et saisit la première
opportunité qui se présente à lui pour s'en prendre à Liège directement. En 1212, Henri dirige une
expédition contre la cité et, la trouvant mal fortifiée, la saccage le 3 mai 13. Pour le duc, tous les
moyens sont bons pour s'assurer du contrôle de la Meuse et des voies d'accès vers le Rhin en même
temps qu'affaiblir la principauté liégeoise qui se trouve sur son chemin 14. L'année suivante, Henri
entre à nouveau en campagne contre Liège. Cette fois, une solide réaction liégeoise, animée d'un
certain esprit patriotique15, s'oppose à lui. Le duc, incapable de prendre Liège qui vient à peine
d'être fortifiée, est sévèrement battu à Steppes, en Hesbaye, par les milices urbaines de Liège, Huy
et Dinant, aidées par les chevaliers lossains et limbourgeois de Louis II de Looz 16. Battu, son duché
pris en tenaille par les vainqueurs de Steppes à l'est et le comte de Flandre à l'ouest, le duc n'a pas
d'autres solutions que de conclure la paix. Il met un frein à ses ambitieuses visées vers la Meuse et
le Rhin et à sa politique énergique contre Liège. Henri Ier parvient, cependant, à conserver ses
acquis à Maastricht en se réconciliant avec les Staufen et en prêtant serment à Frédéric II en 1215 17.
Il est, malgré ses déboires, le premier duc de Brabant à concrétiser l'expansion du Brabant vers l'est,
à initier ce Drang nach Osten brabançon que ses successeurs poursuivront. Mais ceux-ci vont
découvrir en la personne de leur ancien allié, l'archevêque de Cologne, un nouvel ennemi.

9 GANSHOF François-Louis, Brabant, Rheinland, und Reich im 12., 13., und 14. Jahrhundert, Bonn, Peter Hanstein,
1938, p. 8.
10 PIRENNE, op.cit., p. 232.
11 C'est-à-dire tous les droits que l'Empire avait conservé dans la ville de Maastricht.
12 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 62.
13 Le prétexte du duc est de ramener à l'obéissance, envers l'empereur excommunié Otton IV de Brunswick, l'évêque
Hugues de Pierrepont.
14 PIRENNE, op.cit., p. 233.
15 Idem, p.237.
16 GAIER Claude, Art et organisation militaires dans la principauté de Liège et le comté de Looz au Moyen Age,
Bruxelles, 1968, p. 254-259.
17 PIRENNE, op.cit., p. 239.

5
Henri II (1235-1248) et Henri III (1248-1261) poursuivent le programme politique de Henri Ier sur
la Meuse et le Rhin. Le contrôle de la route commerciale Bruges-Cologne, dont dépend la
prospérité des villes et des marchands brabançons, reste pour eux un objectif important. Ils
renoncent à leurs prétentions sur la Flandre impériale afin de mieux se concentrer vers l'est, ils
réglementent les tonlieux entre Meuse et Rhin, en accord avec les comtes de Hollande et de
Gueldre, et bâtissent la tour de Wijk pour mieux contrôler le pont de Maastricht. En vain tentent-ils
de s'emparer de Saint-Trond, principale étape entre Louvain et Maastricht, que contrôle l'évêque de
Liège18. Les ducs de Brabant n'hésitent pas non plus à s'immiscer dans les querelles intestines
liégeoises, soutenant tantôt le prince, tantôt la bourgeoisie, au gré de leurs intérêts 19. En 1239, en
guerre contre l'archevêque de Cologne, Conrad de Hochstaden, Henri II ravage les environs de
Bonn au coeur de l'archevêché de Cologne et s'empare du château de Dalhem, poste avancé
important sur la rive droite de la Meuse 20. En 1257, le roi des Romains, Alphonse, fait de Henri III
son vicaire et lui confère le rôle de gardien des vassaux et des villes de l'Empire entre le Brabant et
le Rhin ainsi qu'entre le diocèse de Trèves et la mer21.

Les ducs de Brabant n'agissent pas seulement dans leur propre intérêt, mais, bien au contraire, sont
conscients de l'étroite relation qui existe entre leur sujets et leurs ambitions personnelles. Ainsi
évitent-ils, selon Pirenne, de se lancer dans des projets trop ambitieux, telle la candidature
impériale22, qui n'en valent pas la chandelle et les détourneraient d'une politique conciliant leurs
intérêts et ceux de leurs sujets23. On peut parler, à cet égard, d'une politique presque nationale 24.
C'est ainsi qu'en 1239, aussitôt après sa chevauchée contre l'archevêché de Cologne, Henri II
conclut une trêve avec Conrad de Hochstaden pour ne pas nuire au commerce du vin rhénan dont
bénéficie le Brabant. Conformément aux souhaits des villes de Bruxelles et de Louvain, Henri III
conclut, en 1251, un accord avec la ville de Cologne pour favoriser le commerce de la cité rhénane

18 PIRENNE, op.cit., p. 245.


19 Rôle d'arbitrage des ducs de Brabant que jouera encore Wenceslas.
20 GANSHOF, op.cit., p. 10. En 1243, le comte Thierry de Dalhem cède au duc Henri tous ses droits sur le comté de
Dalhem. RAHLENBECK Charles, Histoire de la ville et du comté de Dalhem, Bruxelles, Labroue et Cie, 1852, p. 63.
21 « Ideo, habita plena deliberatione curam et universalem custodiam, defensionem et tuitionem super vasallos,
civitates, oppida, villas, terras ac omnia et singula jura, ad culmen imperiale spectantes, a Brabantia usque ad
Renum, videlicet aquisgranum, Sinzechen, Landeseron, Werde et a terminis dioecesis Treverensis in descensu Reni
usque ad mare, cum oppidis Dusporch, Cremonia, et quibuslibet villis et juribus per totam Westphaliam, tibi
duximus committendam, donec personaliter venerimus vel aliud de ipsis duxerimus statuendum. ».
Récompense d'Alphonse X de Castille à Henri de Brabant pour son soutien à sa candidature à l'Empire face à
Richard de Cornouailles, candidat de l'archevêque de Cologne, son ennemi. Diplôme n° LIII, in WILLEMS J.F., Codex
diplomaticus, in Brabantsche Yeesten, t. I, Bruxelles, 1839.
22 Henri II, s'il l'avait voulu, aurait pu sérieusement briguer le trône impérial, mais préféra s'abstenir, considérant qu'il
était « plus avantageux de disposer de la couronne que de la recevoir ». PIRENNE, op.cit., p. 246-247.
23 Idem, p. 249.
24 GANSHOF, op.cit., p. 11.

6
avec le Brabant25. Le duc n'est pas seul à regarder vers le Rhin : les villes du Brabant sont, autant
que leur duc, intéressées par cette artère nourrissant leur prospérité économique. Mais, à la
différence de leur seigneur, les marchands brabançons ne sont pas favorables à toute forme de
guerre qui nuirait à leurs activités commerciales. En d'autres termes, les ducs de Brabant n'ont pas
intérêt à éterniser un conflit situé dans la région entre Meuse et Rhin ; ils ont intérêt à ce que leurs
chevauchées outre Meuse soient aussi brèves que possible pour ne pas porter nuisance au
commerce brabançon ni s'aliéner une bourgeoisie de plus en plus puissante.

Le règne de Jean Ier (1268-1294) constitue un nouveau temps fort de l'expansion brabançonne vers
l'est. Il prend prétexte du titre que son père avait obtenu d'Alphonse de Castille pour s'affirmer
comme défenseur et gardien de la paix et de la sécurité des régions comprises entre le le Brabant et
le Rhin. En cela, il se heurte au duc de Limbourg, à l'archevêque de Cologne et à l'évêque de Liège,
qui peuvent prétendre à une autorité similaire entre la Meuse et le Rhin. Les ducs de Limbourg
exercent, en effet, entre la Meuse et le Rhin le Geleitsrecht ou droit impérial de conduit, tandis que
les évêques de Liège, en vertu de la Paix de Dieu de 1081, sont théoriquement susceptibles de
maintenir l'ordre en tant que « juge ecclésiastique » dans tout le diocèse de Liège26. Le duc Jean,
homme de guerre accompli autant que diplomate aguerri, favorise la bourgeoisie marchande et se
fait le pourfendeur des petits nobles, brigands ou faux-monnayeurs à leurs heures. Ceux-ci troublent
la sécurité des voies commerciales et ruinent littéralement les marchands en percevant des tonlieux
trop élevés et imposés de force27. Contre cette Raubrittertum, Jean crée, en 1279, une alliance avec
d'autres princes. Lui-même, l'archevêque de Cologne, le comte de Gueldre et le comte de Clèves
s'engagent à assurer la sécurité des voyageurs, pèlerins et marchands contre les brigands et les faux-
monnayeurs entre la Dendre et le Rhin 28. Il persuade également les membres de cette alliance à
renoncer à des tonlieux perçus par eux sur la Meuse et le Rhin 29. Par ces mesures, Jean Ier se dote
non seulement du soutien de ses propres villes, mais aussi de Liège, d'Aix-la-Chapelle et de
Cologne30, atout important en cas de guerre, à une époque où la bourgeoisie et ses milices
commencent à peser de tout leur poids sur les champs de bataille, alors même qu'elles revendiquent
une autonomie plus grande à l'intérieur des villes face aux princes et aux seigneurs. Jean Ier
parvient même, en 1286, à se faire reconnaître comme avoué de Liège, véritable coup de théâtre31.

25 Ibidem.
26 Diocèse qui s'étend, d'ouest en est, depuis Louvain jusqu'à Aix-la-Chapelle. VAN UYTVEN Raymond, « Noble
Brabant, résisite ! », in Histoire du Brabant : du duché à nos jours, Zwolle, Waanders, 2004, p. 107.
27 Ibidem.
28 GANSHOF, op.cit., p. 11.
29 PIRENNE, op.cit., p. 249.
30 VAN UYTVEN, op.cit., p. 107.
31 PIRENNE, op.cit., p. 249.

7
Mais la grande affaire du règne de Jean Ier est, avant tout, sa victoire dans la guerre de succession
du duché de Limbourg. En 1283, lorsque Ermengarde de Limbourg, dernière représentante directe
de son lignage, meurt sans enfants, plusieurs prétendants revendiquent l'héritage du territoire
limbourgeois, parmi lesquels le comte de Berg, le seigneur de Fauquemont et le comte de
Luxembourg. Le comte de Gueldre Renaud, veuf d'Ermengarde, obtient de l'empereur Rodolphe de
Habsbourg le duché de Limbourg et toutes les autres possessions de sa défunte épouse en
possession viagère. Jean rachète ses droits sur l'héritage au comte de Berg Adolphe, neveu de
Renaud et cousin d'Ermengarde, qui ne se sent pas assez fort pour revendiquer le Limbourg 32.
L'enjeu de ce conflit dépasse de loin, évidemment, la simple question de l'héritage du duché de
Limbourg. Le Limbourg est traversé par la voie Bruges-Cologne si chère aux ducs de Brabant
depuis un siècle et demi, et Jean, en entrant en possession du Limbourg, agrandirait son contrôle sur
cette route au moins de Maastricht à Rolduc. Si, par contre, le Limbourg tombait entre les mains des
comtes de Gueldre, c'en serait fini de l'expansion brabançonne vers l'est 33. De plus, si le duc de
Brabant devenait duc de Limbourg, l'influence de l'archevêque de Cologne, à l'ouest du Rhin,
risquerait bien de s'affaiblir au profit des ducs de Brabant. Il était hors de question pour l'archevêque
Siegfried de Westerburg de laisser pareille menace se concrétiser. Une coalition anti-brabançonne
se forma autour de celui-ci avec l'évêque de Liège, le comte de Luxembourg, le comte de Gueldre,
le comte de Flandre et le seigneur de Fauquemont. Quant à Jean, il parvint à rallier dans son camps
le comte de Juliers, le comte de Berg et le comte de Clèves. Il neutralisa, en outre, la menace
flamande en s'alliant au comte de Hollande et réussit même à garder pour lui la sympathie des
bourgeoisies mosanes et rhénanes contre leurs propres princes, l'évêque de Liège et l'archevêque de
Cologne34 ! L'évêque de Liège, Jean de Flandre, fut neutralisé par le traité d'amitié conclu entre le
duc de Brabant et la bourgeoisie de Liège. Pour sa part, l'archevêque Siegfried était affaibli par la
révolte des bourgeois de Cologne encouragée et soutenue par le duc de Brabant35. Jean détourne
donc à son avantage les luttes sociales entre bourgeoisie et prince dans les principautés adverses,
stratégie dont il récolte rapidement les fruits. Le conflit s'éternisant, le duc, en 1288, frappe
directement au coeur de l'archevêché de Cologne. Le 5 juin, devant le château de Worringen 36 sur le
Rhin, il défait ses ennemis, l'archevêque de Cologne, le comte de Gueldre et le comte de

32 Ibidem.
33 GANSHOF, op.cit., p. 12.
34 En plus des bourgeois de ses propres villes, dont les intérêts convergent ici trop avec ceux du duc pour ne pas
soutenir celui-ci.
35 PIRENNE, op.cit., p. 250 ; GANSHOF, op.cit., p. 13.
36 Château qu'il assiégeait à la demande des bourgeois de Cologne, car le seigneur du lieu prélevait un tonlieux sur les
navires marchands du Rhin.

8
Luxembourg37.

La victoire de Worringen fait du duc de Brabant le plus puissant prince des Pays-Bas et de la basse
Rhénanie, en même temps qu'elle sonne le glas de l'autorité des archevêques de Cologne à l'ouest
du Rhin. La montée en puissance des comtes de Gueldre s'en trouve, également, pour longtemps
freinée. Le duché de Limbourg et toutes ses dépendances, la seigneurie de Rolduc, les châteaux de
Kerpener et de Wassenberg, tombent entre les mains des ducs de Brabant 38. Duc de Brabant et duc
de Limbourg, Jean peut désormais prétendre, de manière incontestée, au titre de duc de Basse-
Lotharingie que les ducs de Limbourg, depuis un demi-siècle, contestaient depuis un siècle et demi
aux comtes de Louvain39. Mais le plus important est que le duc Jean contrôle désormais la route de
Louvain à Cologne, que ses ancêtres et prédécesseurs convoitaient depuis le XIIe siècle. En tant que
duc de Limbourg, sa position à l'est de la Meuse est légitime et lui confère un droit de regard certain
sur toutes les affaires des régions situées entre Meuse et Rhin. De plus, par le Limbourg, le duc de
Brabant enclave la principauté de Liège entre ses possessions40. Même si le Brabant est devenu, à la
fin du XIIIe siècle, complètement indépendant de l'autorité impériale 41, l'acquisition du Limbourg
consacre plus que jamais l'importance des relations entre le Brabant et l'Empire, en particuliers les
princes, les villes et les territoires de l'Allemagne de l'ouest 42. D'ailleurs, les empereurs n'ont guère
d'autre choix que de reconnaître l'importance de ce vassal d'Empire de plus en plus puissant. En
1292, le roi des Romains Adolphe de Nassau accorde à Jean une « lieutenance impériale », certes
théorique mais toujours bonne à prendre, sur les territoires situés entre Kaiserwerth, Aix-la-
Chapelle, Trèves et la mer du Nord43.

L'acquisition du Limbourg, après Worringen, constitue grosso modo l'expansion territoriale


maximale des ducs de Brabant. Leur tâche principale consiste à présent à sauvegarder l'acquis et à
défendre une position importante obtenue sur le plan international, d'autant plus que la politique de
Jean Ier a endetté si fortement le duché qu'il ne lui est plus permis de continuer plus avant son

37 Il faut noter la présence du côté brabançon des milices urbaines du Brabant, de Liège et de Cologne, ainsi que des
milices rurales du comté de Berg. VAN UYTVEN, op.cit., p. 107.
38 GANSHOF, op.cit., p. 13. Le 15 octobre 1289, le roi de France Phlippe IV reconnaît à Jean les territoires du Limbourg,
de Duisburg, de Wassenberg, de Herve, de Sprimont et de Tiel. VAN UYTVEN, op.cit., p.107.
39 En fait, le titre de duc de Brabant et celui de duc de Limbourg émanent de la prétention de ces deux princes à se
vouloir duc de Lotharingie. Dans les faits, ils ne sont que comte (comte de Louvain ou comte de Limbourg). Jean Ier
exagère volontairement quand il se fait appelé après Worringen « duc de Brabant, de Limbourg et de Lotharingie ».
Tout est bon décidément pour accroître son prestige. UYTTEBROUCK, op.cit., p.20.
40 PIRENNE, op.cit., p. 252.
41 Jean Ier ne tint pas compte de la reconnaissance des droits de Renaud de Gueldre sur le duché de Limbourg.
42 GANSHOF, op.cit., p. 14.
43 VAN UYTVEN , op.cit., p. 107.

9
expansion et de multiplier les interventions coûteuses sur l'échiquier international 44. Sous le règne
de ses successeurs, son fils Jean II (1294-1312) et son petit-fils Jean III (1312-1355), plus occupés à
l'ouest et à l'intérieur même du duché, l'expansion vers l'est est pratiquement arrêtée. Cela ne veut
pas dire que la Rhénanie revêt moins d'importance qu'autrefois. Le port d'Anvers reste, au contraire,
une plaque tournante importante où transitent les marchandises provenant de l'Allemagne de l'Ouest
vers l'Angleterre45.

Jean III consolide les gains de son grand-père. Tel est le sens du long conflit qui l'oppose au
seigneur de Fauquemont46. Criblé de dettes, Renaud de Fauquemont impose des tonlieux illégaux
sur les marchands brabançons et étrangers passant par ses terres, lesquelles sont justement
traversées par la voie Louvain-Cologne, véritable aubaine pour Renaud. Irrité contre ce Raubritter ,
le duc de Brabant entre en guerre contre lui en 1318, dévaste le territoire de Fauquemont et force
Renaud à conclure la paix. Celui-ci lui cède le château de Heerlen et la ville de Sittard, que Jean III
annexe au duché de Limbourg47. Pourtant, après avoir assiégé la ville et le château de Fauquemont
par trois fois et avoir rasé le château la troisième fois (1329) 48, Jean III ne parvient pas toujours à
soumettre Renaud, protégé et aidé par le comte de Luxembourg et roi de Bohême, Jean l'Aveugle.

Le duc de Brabant est, au goût de certains, devenu trop puissant et dérange de nombreux princes et
seigneurs entre la Meuse et le Rhin. Les évêques de Liège ne voient pas d'un bon oeil
l'encerclement de leur principauté, coincée entre le Brabant et le Limbourg depuis 1288, tandis que
les bourgeoisies de Dinant, Huy et Liège redoutent de voir le duc leur couper le cours de la Meuse
ou leur interdire l'accès vers Anvers et les ports flamands49. Les acquisitions du pays de Heusden, en
1319, et de la ville de Graves avec la seigneurie de Cuyk, en 1323, qui permettent d'aligner
davantage la frontière nord du Brabant avec la basse Meuse, rendent tendues les relations avec le
comte de Gueldre tendues. Les villes flamandes rivalisent avec celles du Brabant et s'inquiètent de
voir le port d'Anvers se développer au détriment de la Flandre. La prospérité économique du
Brabant est d'ailleurs une proie très tentante pour ses voisins50. Aussi, certains n'ont pas oublié
l'humiliation de Worringen. Hostile au Brabant, le comte de Luxembourg Jean de Bohême n'a

44 Idem, p. 108.
45 GANSHOF, op.cit., p. 14.
46 Valkenburg en neerlandais, Falkenberg en allemand, dans le Limbourg hollandais actuel, presque à mi-chemin entre
Maastricht et Herzogenrath (Rolduc).
47 PIRENNE, Histoire de Belgique, II, p. 11.
48 CUVELIER Joseph, « Renaud de Fauquemont », in BNB, Bruxelles, 1906, vol. XIX, p. 78-87.
49 PIRENNE, op.cit., p 14.
50 VAN UYTVEN, op.cit., p. 108.

10
aucune peine à réunir autour de lui une ligue anti-brabançonne51, qui envahit deux fois le Brabant en
1332 et 1334, « espérant le dépecer et en partager les dépouilles »52. Mais cette ligue, fragile et
beaucoup trop hétéroclite, ne put rien contre un Brabant homogène et solide, où les intérêts des
villes convergeaient avec ceux du duc. D'ailleurs, la ligue anti-brabançonne se disloqua rapidement
et même si Jean III versa des indemnités à ses ennemis (août 1334), le Brabant et son duc sortirent
de ce conflit plus puissants que jamais et même couverts de gloire. C'est dans ce contexte, en juin
1333, que l'évêque de Liège Adolphe de la Marck vendit Malines au comte de Flandre Louis de
Nevers. A ce moment, le roi de France somma le comte de Flandre de céder la ville au duc de
Brabant, ce qui fut fait dès le mois d'octobre de la même année. Jean III annexera définitivement
Malines au duché en 134753.

Après avoir embrassé le camp anglais entre 1335 et 1346, Jean III rejoignit la cause française : en
1347 il s'allie à Philippe de Valois. Au même moment, le duc renforce cette alliance par l'union
matrimoniale de ses enfants avec des alliés du roi de France et avec des membres de la maison
royale française. Cet évènement sera lourd de conséquences pour le duché de Brabant-Limbourg 54.
Le duc Jean fiance ses deux fils, Henri et Godefroid, à deux princesses royales, Jeanne de
Normandie et Bonne de Bourbon55. En outre, il marie sa fille aînée, Jeanne, à Wenceslas, futur
comte de Luxembourg et demi-frère de l'empereur Charles de Luxembourg, dont la maison est l'un
des meilleurs appuis de la France en Europe 56. Sa seconde fille, Marguerite, épouse le comte de
Flandre Louis de Male, avec la promesse secrète qu'elle hériterait de Malines et d'Anvers à la mort
de son père57, tandis que Marie est promise au comte de Gueldre Renaud III. Henri et Godefroid de
Brabant meurent cependant très vite58, propulsant du coup Jeanne de Brabant à la succession de
Jean III. Avant de mourir, celui-ci décide que Jeanne héritera, seule avec son époux Wenceslas, du
Brabant et du Limbourg, unifiés et indivisibles59. En compensation, il octroie des rentes à
Marguerite et à Marie. Lorsque décède le duc Jean III, le 5 décembre 1355, dernier héritier mâle de
la maison de Louvain, Wenceslas, déjà duc de Luxembourg, devient duc de Brabant et de Limbourg.
Ce processus d'unification territoriale, favorable à la maison de Luxembourg, est vite ébranlé par les
51 La ligue se composait du comte de Gueldre, de l'évêque de Liège, du comte de Luxembourg, du comte de Juliers, du
comte de Looz, du comte de Namur, du comte d'Eu, du seigneur de Fauquemont, du seigneur de Beaumont, rejoints
en 1334 par le comte de Flandre et le comte de Hollande et de Hainaut. Le roi de France Phllippe VI soutenait la
ligue.
52 PIRENNE, op.cit., p. 19.
53 Idem, p. 18-23.
54 GANSHOF, op.cit., p. 16.
55 Respectivement petite-fille et nièce du roi de France.
56 Leur père Jean de Luxembourg, dit l'Aveugle, est mort dans les rangs français à la bataille de Crécy (1346).
57 VAN UYTVEN, op.cit., p.109.
58 Respectivement en 1349 et 1352.
59 PIRENNE, op.cit., p. 184.

11
revendications du comte de Flandre ainsi que par les échecs politiques et militaires de Wenceslas,
dont la défaite de Baesweiler fait partie des plus cuisants.

L'avènement de Jeanne de Brabant et de Wenceslas, ainsi que l'absence de règle de succession,


provoque donc une guerre entre le Brabant et la Flandre, conflit désastreux qui marquera toute la
politique des ducs de Brabant durant toute la seconde moitié du XIVe siècle 60. Le comte de Flandre,
Louis de Male, refusant de se contenter du dédommagement 61 octroyé à Marguerite, décide, par la
guerre, d'obtenir Malines qui lui avait été promise. Contrôler Malines permettrait de contrôler le
bassin du Rupel et le bas Escaut. S'il y arrive, le comte de Flandre pourrait à sa guise fermer au
Brabant l'accès au port d'Anvers et déstabiliser ainsi le commerce des villes brabançonnes au profit
de la Flandre. Après avoir envahi le Brabant en juin et en août 1356 et assiégé Anvers, les Flamands
écrasent l'armée de Wenceslas à Scheut près de Bruxelles. Sans armée pour défendre le Brabant, la
plupart des villes brabançonnes, à l'exception de Maastricht, Nivelles et Bois-le-Duc, capitulent et
ouvrent leurs portes au comte de Flandre, qu'elles reconnaissent comme le seul duc de Brabant
légitime (fin août 1356). Au même moment, Louis de Male s'allie aux Liégeois, qui attaquent le
Brabant, tandis que le comte Guillaume Ier de Namur en profite pour attaquer le Brabant par le sud.
Mais, placés en mauvaise posture dès le mois de septembre, en raison du retour des milices
flamandes dans leur patrie, les maigres garnisons de Louis de Male ne peuvent tenir le duché face à
la révolte des villes brabançonnes, en octobre, encouragées par la libération de Bruxelles à
l'initiative du patricien Everard T'serclaes. Le duché est ainsi libéré, à l'exception de la seigneurie de
Malines. Louis de Male renonce à reconquérir le Brabant. Seuls la possession de Malines et le
contrôle de l'Escaut l'intéressent, ce qu'il obtient d'ailleurs de facto. Réfugié dans le Limbourg,
Wenceslas attend vainement une intervention militaire de son frère Charles IV mais, en attendant,
trouve dans la chevalerie du Limbourg et des pays d'Outre-Meuse les effectifs nécessaires pour
poursuivre la guerre. Celle-ci perdure, sans évènements majeurs, par des actions d'escarmouches et
de harcèlement sporadiques62 jusqu'en juin 1357.

Deux traités mettent fin à la guerre dite « de succession du Brabant » : la convention de Maastricht,
le 20 février 1357, et le traité d'Ath, le 4 juin 1357. Au lieu de fournir une assistance militaire à son
frère Wenceslas, l'empereur Charles IV est venu lui-même à sa rencontre à Maastricht au début du
mois de février 1357. Le souverain et le duc signent tous les deux, le 9 février, une convention
favorable à la maison de Luxembourg. Cet acte nomme Wenceslas mambour effectif du duché de
60 BOFFA Sergio, Warfare in medieval Brabant (1356-1406), Woodbridge, Boydell Press, 2004, p. 3.
61 120 000 écus d'or.
62 BOFFA, op.cit., p. 9.

12
Brabant et prévoit qu'en cas de décès de la duchesse Jeanne sans enfants 63, Wenceslas succèderait
au duché de Brabant. Si par contre Wenceslas vient à mourir en premier et que Jeanne se marie une
troisième fois64, les enfants éventuels de Wenceslas et Jeanne succéderaient au Brabant. Enfin, si
Wenceslas et Jeanne viennent à mourir tous les deux sans enfants, le chef de la maison de
Luxembourg et roi de Bohême hériterait du duché de Brabant 65. Cette convention subordonnait les
intérêts du Brabant à ceux de la maison de Luxembourg et stipulait que tout traité de paix avec le
comte de Flandre devait être soumis à l'empereur, pour approbation 66. La convention poserait ainsi,
si elle était respectée, les bases d'un processus d'unification territorial Brabant-Limbourg-
Luxembourg, au profit évidemment des Luxembourg, et renforcerait la puissance de ces derniers au
sein de l'Empire face à la concurrence des Wittelsbach, lesquels menaient, de leur côté, une
politique similaire.

C'est un Wittelsbach d'ailleurs, le comte de Hainaut, de Hollande et de Zélande, Guillaume de


Bavière, qui arbitra les négociations entre le Brabant et la Flandre au printemps 1357. Le traité
d'Ath (4 juin 1357) qui en ressortit fut, non sans surprise, largement favorable à la Flandre. Il fut,
aussi, lourd de conséquences pour le Brabant67 et s'opposait, en fait, à la convention de Maastricht.
Le marquisat impérial d'Anvers et la seigneurie de Malines tombaient entre les mains du comte de
Flandre68, ce qui était désastreux pour le duché, puisque les villes brabançonnes se voyaient ainsi
privées de leur seul débouché direct vers la mer, par l'Escaut, que le comte de Flandre pouvait barrer
quand bon lui semblerait. Anvers en effet, qui abreuvait en marchandises le Brabant, par lequel elles
transitaient ensuite vers le Rhin, occupait une place de plus en plus importante au XIVe siècle. Sous
domination flamande, le commerce maritime risquait dès lors d'être canalisé vers Bruges, qu'Anvers
concurrençait sérieusement69. Enfin, cerise sur le gâteau, Louis de Male conservait son titre de duc
de Brabant, même s'il reconnaissait les droits de Jeanne sur le duché. En fait, l'épouse du comte de
Flandre et ses descendants succéderaient à Jeanne à la tête du duché.

63 Ce qui était probable. Jeanne est agée de 34 ans et a 15 ans de plus que Wenceslas.
64 Jeanne avait été l'épouse de Guillaume II d'Avesnes, comte de Hainaut, Hollande et Zélande.
65 QUICKE Fritz, Les Pays-Bas à la veille de la période bourguignonne (1356-1384) : contribution à l'histoire politique
et diplomatique de l'Europe occidentale dans la seconde moitié du XIVe siècle, Bruxelles, Editions universitaires,
1947, p. 43.
66 Ibidem ; STEIN R., « Le Lion brabançon assoupi (1356-1430)», in Histoire du Brabant : du duché à nos jours,
Zwolle, Wanders, 2004, p. 157.
67 On peut d'ailleurs voir dans le traité d'Ath une facette de la lutte d'influence qui opposaient les Luxembourg aux
Wittelsbach au sein de l'Empire.
68 Il faut noter que la seigneurie de Malines était octroyée en pleine possession au comte de Flandre, alors que Anvers
était seulement cédée en fief, pour lequel Louis de Male prêtait hommage à Jeanne. Mais dans les faits, les ducs de
Brabant n'eurent plus aucun contrôle sur le grand port scaldien à partir de 1357. UYTTEBROUCK, op.cit., p 47.
69 QUICKE, op.cit., p. 63.

13
Le traité d'Ath fut un véritable croche-pied à la convention de Maastricht, à l'empereur et aux
Luxembourg, renforçant la position de la Flandre et affaiblissant le Brabant au sein des Pays-Bas. Il
s'agissait désormais pour Wenceslas de limiter autant que possible les effets de cet accord
désastreux tout en poursuivant, autant que faire se pouvait, la « politique de Maastricht »70. Ce fut là
du reste une des principales motivations de sa politique d'expansion dans les territoires d'Outre-
Meuse, ce en quoi il poursuivait l'oeuvre déjà entamée, il y a déjà bien longtemps, par ses
prédécesseurs. Mais cette fois, le duc de Brabant et de Limbourg était aussi duc de Luxembourg et
demi-frère de l'empereur lui-même. La vieille « politique lotharingienne » des comtes de Louvain
rejoignaient désormais la « nouvelle politique lotharingienne » des Luxembourg71.

Le règne de Wenceslas et de Jeanne constitue la dernière phase d'expansion des ducs de Brabant
dans les territoires situés entre Meuse et Rhin. Mais ce qui fait la particularité de Wenceslas, par
rapport à ses prédécesseurs, est qu'il ajoute à la dimension brabançonne de sa politique une
dimension luxembourgeoise et une dimension impériale. Afin d'enrichir son patrimoine personnel et
de favoriser les activités économiques brabançonnes, Wenceslas entreprend l'acquisition de terres et
de châteaux compris entre la Meuse et le Rhin 72, dont la seigneurie de Fauquemont, les châteaux de
Millen, Gangelt et Waldfeucht, ainsi que la terre et le château de Wassenberg. Il faut toutefois
signaler que Wenceslas réalise d'abord ces acquisitions dans le but d'augmenter le patrimoine de la
maison de Luxembourg. En même temps qu'il achète, en 1364, les droits de succession sur
Fauquemont en tant que duc de Luxembourg, il agrandit son duché de Luxembourg par l'achat du
comté de Chiny73. D'ailleurs, les États du Brabant ne participent pas à cette politique d'expansion
personnelle dont la guerre de Juliers en 1371, guerre « privée » du duc, constitue un prolongement74.

Bien entendu, cette politique annexioniste ne plaît pas aux voisins immédiats, le duc de Gueldre et
le duc de Juliers. Certaines des possessions convoitées par Wenceslas, telles Fauquemont, Millen,
Waldfeucht, Gangelt et Wassenberg, sont d'ailleurs carrément enclavées dans le duché de Juliers 75.
En fait, les tensions entre Wenceslas, d'une part, et le duc de Gueldre et de Juliers, d'autre part, ne
cesseront pas de croître dans les années 1360 jusqu'à la guerre de Juliers en 1371. En plus d'irriter
ses voisins rhénans pour des questions territoriales, Wenceslas reverse pour ainsi dire de l'huile sur

70 Idem, p. 43.
71 QUICKE Fritz, « Un testament inédit de l'empereur Charles IV », in RBPH., t. 6 (1-2), 1927, p. 257.
72 QUICKE, Les Pays-Bas à la veille..., p. 105.
73 Ibidem;
74 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 66-68 et p. 71-72. Mais toutes ces acquisitions reviendront au Brabant-Limbourg du fait de
l'union Jeanne-Wenceslas et de la mort de celui-ci avant Jeanne, sans héritiers.
75 En plus de Kerpen et de Lommersum. UYTTEBROUCK, op. cit., p. 68.

14
le feu par sa politique de prestige impérial que son frère lui autorise de mener, mais que ses moyens
et sa situation lui permettent difficilement de réaliser 76, notamment en le nommant vicaire impérial
et en lui conférant l'avouerie d'Alsace (1366). La guerre de Cent Ans n'arrange pas les choses. Les
Pays-Bas forment, depuis 1337, un véritable champs de bataille diplomatique où les principautés se
rangent derrière la France ou l'Angleterre, changeant parfois de camps à plusieurs reprises. Le traité
de Brétigny, conclu entre la France et l'Angleterre en 1360, ne met pas fin à ces tractations
diplomatiques. Les comtes de Gueldres77 et de Juliers figurent, depuis le début de ce conflit, parmi
les meilleurs alliés du roi Édouard III d'Angleterre, tandis que Wenceslas, après s'être un temps
rapproché de l'Angleterre, se tourne vers la France et Charles V.

Dès 1364, Wenceslas entreprend de mettre la main sur l'une des plus grandes et des plus importantes
seigneuries des pays d'Outre-Meuse : Fauquemont, qui permet de contrôler une importante section
de la route Maastricht-Cologne, ayant donc dans la région une importance stratégique notable 78.
Ayant achetés cette année-là les droits de successions aux héritiers de Fauquemont, Wenceslas entre
en guerre avec l'un d'entre eux, Waleran de Fauquemont, seigneur de Born, qui renvendique pour
sien cet héritage79, et ravage depuis son château de Ravenstein plusieurs villages brabançons. Après
avoir assiégé plusieurs places fortes de Waleran80, Wenceslas se résout à mettre fin au conflit
pacifiquement. A cet effet, une nouvelle commission de la Landfriede d'entre Meuse et Rhin est
créée. Le 19 juillet 1365, les jurés de la Landfriede se prononcent en faveur de Wenceslas, sentence
que Waleran respecte comme il l'avait promis81. Cependant, même si Wenceslas installe dès 1365 un
drossard à Fauquemont82, ce n'est qu'en 1378 qu'il entrera officiellement en pleine possession de la
seigneurie en rachetant les droits de Waleran de Fauquemont83.

Autre acquisition importante de Wenceslas, qui vexe beaucoup le duc de Gueldre Édouard, est le
« trio » Millen, Gangelt et Waldfeucht84. Ces trois bourgs ou châteaux, dont les fortifications sont

76 Idem, p. 136-137.
77 A l'exception de Renaud III.
78 BOFFA, op.cit., p. 13. Déjà sous Jean III, Renaud de Fauquemont menaçait le commerce brabançon en prélevant des
tonlieux élevés. Voir plus haut.
79 Waleran est le parent mâle le plus proche de Philippa, héritière et fille du dernier seigneur de Fauquemont, Jean de
Fauquemont, qui revend ses droits à Wenceslas en 1364. Waleran, au nom de la loi salique, revendique l'héritage en
s'opposant à Philippine, puis à Wenceslas.
80 Les Brabançons assiègent sans succès Ravenstein et prennent Herpen en juillet 1364. BOFFA, op.cit., p. 14.
81 Ibidem.
82 Renaud Thoreel de Berneau, châtelain, dorassard et receveur du pays de Fauquemont.
83 Wenceslas acquiert aussi par Fauquemont les droits sur Saint-Vith et Bütgenbach. Seul Bütgenbach, parmi toutes les
acquisitions de Wenceslas, ira rejoindre après sa mort le patrimoine luxembourgeois. UYTTEBROUCK, op.cit., p. 67.
84 Ces trois lieux sont aujourd'hui en Allemagne, tous trois sur la frontière hollandaise. Ils forment ce triangle typique
qui s'enfonce en coin dans l'actuel Limbourg hollandais, coupant presque la région de Maastricht-Heerlen-Geelen du
reste des Pays-Bas.

15
encore visibles aujourd'hui, font partie de la seigneurie de Heinsberg et revêtent une certaine
importance stratégique85. Gangelt contrôle la route de Berg-op-Zoom à Juliers et relie, par
conséquent, le Brabant septentrional à la Rhénanie. Faisant pourtant partie de la seigneurie de
Heinsberg, dans le duché de Juliers, ces trois localités étaient considérées par le duc de Gueldre
comme relevant de sa zone d'influence et sont l'une des causes de la première guerre de Gueldre
(1366-1368). Le seigneur Godefroid III de Heinsberg engage Millen, Waldfeucht et Gangelt au duc
de Gueldre Édouard en 1363, qui les engage à son tour à son conseiller Jean de Mörs 86. Dès 1365,
Wenceslas entame les négociations pour acheter Millen, Waldfeucht et Gangelt à Jean de Mörs,
seigneur engagiste des lieux87. L'opposition du duc de Gueldre empêche momentanément Wenceslas
de réaliser ses desseins. Il n'obtiendra définitivement ces terres qu'en 1378 en devenant, par achat,
seigneur engagiste des lieux. En 1383, Godefroid de Heinsberg renonce, du vivant de Wenceslas et
de Jeanne, à ses droits de nu-propriétaire sur ces lieux 88. Même si Wenceslas, en 1371, n'a pas
encore la pleine possession effective de Millen-Gangelt-Waldfeucht, les procédures du duc de
Brabant pour l'acquisition de ces terres sont considérées, par le duc de Juliers, comme des
empiétements sur son propre duché et vues, par le duc de Gueldre, comme une intrusion
brabançonne sur sa frontière sud89. Froissart lui même fait de ces trois châteaux une pomme de
discorde entre le Brabant et la Gueldre et une des causes de l'intervention du duc de Gueldre dans la
guerre de Juliers en 137190.

Wenceslas a plus de facilités pour obtenir Wassenberg mais en paie le prix en raison des difficultés
que lui causent le seigneur engagiste du lieu, Godefroid III de Heinsberg. Situés par contre dans le
duché de Gueldre, la terre et le château de Wassenberg appartiennent, depuis Jean II, aux ducs de
Brabant. En 1310, celui-ci avait engagé cette seigneurie au seigneur de Heinsberg, Godefroid II. En
1356, Wenceslas et Jeanne se sont engagés, par l'article 4 de la Joyeuse Entrée, à récupérer

85 Le pourtour circulaire des remparts de Waldfeucht et Gangelt est nettement visible à la fois dans la topographie
urbaine de ces lieux et par vue satellite. La toponymie à Waldfeucht en conserve la trace : Wallweg et Auf dem Wall.
Des châteaux de Gangelt et Waldfeucht, il ne reste rien. A Millen par contre, il subsiste encore le donjon et les douves,
qui dominaient, au XIVe siècle, le bourg de Millen. Cf. www.google.com/map.
86 LAURENT H., QUICKE F., Les origines de l'état bourguignon. L'accession de la maison de Bourgogne aux duchés de
Brabant et de Limbourg : 1383-1407, Bruxelles, 1939, p. 172-173.
87 En 1363, Godefroid III de Heinsberg cède en gage Millen, Waldfeucht et Gangelt au duc de Gueldre Édouard, qui
lui-même cède en gage ces biens à Jean de Mörs.
88 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 70 ; QUICKE, op.cit., p. 112.
89 BOFFA, op.cit., p.15.
90 « D'autre part, les Gelrois ont maltalent aux Brabançons pour la cause de trois beaulx et moult fors châteaulx, qui
sont par delà la rivière de Meuse, tels que Gangeth, Vuch, et Mille que le duc de Brabant tient aussi de force et par
raison, ainsi que tout en lisant je le vous exposeray, sur le duc de Guelre et à l'entrée de son pays. » « ...se messire
Edouard de Guelres, lequel fut occis par une merveilleuse incidence à la bataille de Julliers...feust demouré en
vie, ...il feust venu à son intention de ses châteaulx car il estoit bien si vaillant homme et si hardy chevallier que il
les eust reconquis. » JEAN FROISSART, Oeuvres de Froissart : chroniques (1325-1400), ed. par KERVYN DE LETTENHOVE,
vol. XIII, Bruxelles, 1867-1877, réimpression par Biblio Verlag, Osnabrück, 1967, p. 2-3.

16
Wassenberg91. En 1368, Wenceslas récupère enfin cette engagère, sans aucun frais, une commission
d'arbitrage ayant jugé que les déprédations du seigneur de Heinsberg, Godefroid III, étaient
supérieures au montant du gage qui devaient être remboursé. Alors même qu'il avait déjà commis
des abus et des déprédations, pour des raisons mal connues, à l'encontre des intérêts de Wenceslas et
de Jeanne, la décision de la commission du 24 décembre 1368 92 mécontente fortement Godefroid de
Heinsberg, qui se voit privé de l'importante seigneurie de Wassenberg, ce qui l'incite à entrer en
guerre contre Wenceslas dès le mois de novembre 1370 93. Le 11 juillet 1371, à la veille de
l'expédition de Juliers, Wenceslas engage Wassenberg à Jean de Mirlaer pour la somme de 4 000
moutons. La seigneurie de Wassenberg comprend un ensemble de villages 94, regroupés autour du
château de Wassenberg, qui domine la vallée de la Roer95. Contrôler Wassenberg, d'une part, et
Millen, Gangelt et Waldfeucht, d'autre part, revient à prendre en étau la seigneurie de Heinsberg qui
se trouve au centre de cette zone. On peut comprendre, dès lors, que le seigneur de Heinsberg n'ait
pas vu d'un très bon oeil les acquisitions faites dans la région et à son détriment par Wenceslas. Il
rejoint donc le camp des mécontents que sont les ducs de Gueldre et les ducs de Juliers.

Les acquisitions territoriales de Wenceslas et Jeanne constituent la dernière phase de l'expansion des
ducs de Brabant au-delà la Meuse, avant l'époque bourguignonne. Fauquemont, Wassenberg,
Millen, Gangelt, Waldfeucht, mais encore Bedburg, Kerpen et Lommersum 96, en plein coeur du
Juliers à mi-chemin entre Juliers et Cologne, sont les jalons, tout au long du XIVe siècle, d'une
expansion territoriale, déterminée mais fragile et dispersée. Ces possessions, situées en Juliers et
Gueldre, sont une source de conflits non seulement avec les ducs de Juliers et de Gueldre mais aussi
avec les seigneurs locaux, tel le seigneur de Heinsberg. C'est là d'ailleurs l'une des causes
principales de la guerre de Juliers, en 1371, et de la bataille de Baesweiler 97. Le duc de Brabant, qui
a réussi pourtant à s'imposer après Worringen dans les pays « plutôt mosans », entre Masstricht et
Rolduc, ne parvient pas à s'imposer et à se faire accepter dans les pays « plutôt rhénans », ce
qu'illustre remarquablement la défaite de Baesweiler. Il est et reste, pour les princes et seigneurs du

91 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 66.


92 Présidée par Robert de Namur, seigneur de Beaufort, la commission est composée par Jean d'Enghien, comte de
Liches, Jean de Polanen, seigneur de la Leck et de Bréda et Renaud Thoreel de Berneau, sénéchal et drossard de
Fauquemont. QUICKE Fritz, « Documents concernant la politique des ducs de Brabant et de Bourgogne dans le duché
de Limbourg et les terres d'Outre-Meuse pendant la seconde moitié du XIVe slècle (1364-1396) » in BCRH, 93,
1929, p. 74.
93 BOFFA, op.cit., p. 18-19.
94 Doveren, Ratem et Birgelen entre autres.
95 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 66. Le château se trouvait sur une motte naturelle, du haut de laquelle on embrasse une vue
dominant la plaine alentours et la Roer.
96 Ces trois derniers lieux sont tenus en engagère.
97 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 71.

17
bas-Rhin, en particulier pour le duc de Juliers et ses vassaux, un prince des Pays-Bas et un
étranger98, qui ne voit dans la Rhénanie que des intérêts économiques. Wenceslas ne le sait que trop
bien. Membre de la prestigieuse maison de Luxembourg et frère de l'empereur Charles IV, il peut
toutefois bénéficier, pour légitimer son action vers le Rhin, d'un prestige « impérial » qui sera
cependant contesté et que ruinera la défaite de Baesweiler.

98 GANSHOF, op.cit., p. 15.

18
2) Les rapports entre le Brabant et la Gueldre avant la guerre de Juliers.

Les rapports entre le duché de Brabant et le duché de Gueldre ne sont pas des plus chaleureux au
XIVe siècle, en particuliers durant la seconde moitié du siècle. Baesweiler constitue un jalon
important dans l'histoire de ce maltalent99 entre les ducs de Brabant et les ducs de Gueldre. Cette
bataille est, en quelque sorte, le « crépuscule des dieux » de l'anciennes maison comtale des
Flamenses : Édouard meurt au combat à Baesweiler, le 22 août 1371, et son frère, Renaud III
décède quatre mois plus tard, le 4 décembre. C'est la maison de Juliers qui héritera, non sans de
nombreux remous, du duché Gueldre et maintiendra l'union dynastique entre la Gueldre et le Juliers
pendant une cinquantaine d'année100.

Le comté de Gueldre forme, tout comme le Brabant et le Luxembourg, l'un des plus grands
territoires du duché de Basse-Lotharingie. Au XIII siècle, le comte de Gueldre Renaud Ier (1271-
1326) dirigea ses ambitions vers le sud et entrevit une possibilité d'expansion avec le Limbourg. Il
épousa Ermengarde, la fille héritière du dernier duc de Limbourg, Waleran IV. Celui-ci mourut en
1279. Ermengarde décèda, en 1283, sans avoir donné d'enfants à Renaud, mais celui-ci obtint de
l'empereur Rodolphe de conserver à titre viager le duché de Limbourg et toutes les autres
possessions de sa défunte épouse. L'attitude de son neveu, le comte de Berg Adolphe VII, qui vendit
ses droits sur l'héritage limbourgeois au duc de Brabant Jean Ier, contrariait tous les plans du comte
de Gueldre. La querelle dégénéra vite en guerre et le comte de Renaud fut vaincu à Worringen en
1288. Cette guerre constitua l'un des premiers bras de fer entre les comtes de Gueldre et les ducs de
Brabant et Worringen mit fin à l'expansion des Flamenses vers le sud101.

Renaud II (1326-1343) fut l'un des meilleurs alliés du roi d'Angleterre contre la France, qu'il
soutenait militairement et diplomatiquement dans le conflit franco-anglais. En 1332, il épousa, en
seconde noce, la soeur d'Édouard III qui lui donnera deux fils, Renaud et Édouard 102. La même
99 Le mot est de Froissart. Il ajoute : « Longtemps a esté et se sont tenus en grant hayne ceulx de Guelres et ceulx du
Brabant.Si sont iceulx pays marchissans sur aucunes bandes l'un à l'autre, et la greigneur hayne que les
Brabançons aient au duc de Guerles et à ses hoirs, c'est pour la ville de Grave que les ducs de Guelres ont tenu de
force ung long temps contre les Brabançons ; car ils dient ainsi, pour tant que cette ville de Grave siet deçà la
Meuse ou pays de Brabant, que le duc de Guelres la tient à grant blasme sur eulx. Et du temps passé, plusieurs
parlemens en ont esté mais tousjours sont demourés les Guelrois en leur teneure ». FROISSART, XIII, p. 2.
100 JAHN Ralf, « Die Schlacht bei Baesweiler 1371 », in Geldrischer Heimatkalender, 1997, p. 250-253.
101 JANSSEN Wilhelm, « Die Geschichte Gelderns bis zum Traktat von Venlo (1543) : Ein Überblick », in TEKATH K.H.,
STINNER J. (dir.), Gelre, Geldern, Gelderland:Geschichte und Kultur des Herzogtums Geldern, Geldern, Verlag des
historischen Vereins für Geldern und Umgegend, 2001, p. 17 ; JAHN Ralf G., « Geldern un Brabant », in ibidem,
p. 117.
102 LUCAS Henry Stephen, The Low Countries and the Hundred Years' War : 1326-1347, Ann Arbor, University of

19
année, il rejoignit la coalition contre le Brabant jusqu'en 1334, laquelle fut ensuite dirigée avec le
Brabant contre la France. En 1339, l'empereur Louis IV de Bavière élèva le comté de Gueldre en
duché et fit du comte de Gueldre un prince d'Empire. La mort de Renaud II, en 1343, survint
toutefois prématurément, car il laissait derrière lui deux fils encore mineurs et une situation
financière et politique fragile103.

Le règne de Renaud III (1343-1361, 1371) et de son frère Édouard fut, pour la Gueldre, une période
troublée et ponctuée par la guerre civile entre le parti des Bronckhorsten et celui des Heeckeren104.
Renaud n'avait que 13 ans lorsqu'il fut déclaré majeur en 1344. Il épousa, en 1347, une des filles de
Jean III, Marie de Brabant, ce qui déplut à son oncle, Édouard III, qui voulait plutôt lui faire
épouser la fille d'un de ses fidèles alliés, le margrave de Juliers Guillaume V et éviter ainsi de voir
Renaud III se rapprocher de Jean III, le nouvel allié du roi de France. En se mariant avec Marie de
Brabant, Renaud délaisse le parti des Bronckhorsten, qui détenait, jusque-là, sous son influence la
cour de Gueldre, pour rejoindre le parti des Heeckeren 105. Édouard, le jeune frère de Renaud III, se
sentant lésé quant à sa part dans la succession paternelle, rejoint évidemment le parti des
Bronckhorsten, ouvrant la voie ainsi à une guerre civile et fraternelle. Le rapprochement de Renaud
III avec le Brabant est, dans ce conflit, un facteur déclencheur majeur. Le duc Jean III, puis
Wenceslas et Jeanne, soutiennent évidemment le duc Renaud tandis qu'Édouard est soutenu par le
Juliers et a pour lui l'appui moral de l'Angleterre. Ce conflit a également des répercussions en
Hollande, car les Bronckhorsten font là-bas collusion avec le parti des « Cabillauds ». Le régent de
Hollande, Aubert de Bavière, décide en 1359 de soutenir aussi Renaud III et les Heeckeren contre
Édouard et les Bronckhorsten. Le 15 mai 1361, Renaud III est vaincu et capturé par Édouard alors
qu'il assiégeait Tiel, puis enfermé pour presque tout le restant de ses jours 106. En 1363, Édouard
nettoie les derniers points de résistance Heeckeren, forçant Marie à se réfugier en Brabant. La
victoire d'Édouard assure à nouveau à l'Angleterre le soutient de la Gueldre en cas de guerre avec la
France107, mais aussi des rapports très tendus avec le Brabant jusqu'à sa mort, en 1371.

Wenceslas et Jeanne soutiendront toujours, bien entendu, Marie de Brabant. Wenceslas proteste
contre l'emprisonnement de Renaud et réclame le douaire de Marie qu'Édouard a confisqué. Sur ce

Michigan, 1929, p. 99-101.


103 JANSSEN, op.cit., p. 18-20.
104 Les Bronckhorsten et les Heeckeren étaient deux importantes familles du duché de Gueldre, la première originaire
du comté de Zutphen, la seconde de la région d'Overijssel.
105 JAHN, Geldern und Brabant, p. 117.
106 QUICKE, Les Pays-Bas..., p. 60-61 ; JANSSEN, op.cit., p. 21 ; JAHN, Die Schlacht..., p. 242.
107 La France et l'Angleterre viennent de conclure la paix à Brétigny.

20
conflit vient en plus se greffer la rivalité entre la Gueldre et le Brabant pour le cours inférieur de la
Meuse, qui s'érige en frontière entre ces deux territoires 108, entre Cuyk et Heusden. La ville de
Graves, sur la rive gauche de la Meuse, fut longtemps convoitée, à la fois par le duc de Gueldre et
par le duc de Brabant. Elle constituerait pour l'un, une tête de pont en Brabant, et pour l'autre, un
moyen de verrouiller une voie d'invasion éventuelle. En 1323, Jean III achèta Graves 109 à Otton de
Cuyk et le lui rétrocéda en fief. En 1356, Charles IV cède à Wenceslas ses droits sur la seigneurie de
Cuyk laquelle, de fief d'Empire, devient ainsi un fief brabançon 110. En 1361, la seigneurie de Ooien
est vendue par le seigneur de Boxtel à la duchesse de Gueldre, autrement dit à Marie de Brabant.
Par contre, le duc Wenceslas perd la seigneurie de Heusden qu'il cède au comte de Hainaut et de
Hollande, Guillaume de Bavière, le 29 mars 1357 111. A ce contentieux mosan vient s'ajouter celui
des trois bourgs de Millen, Gangelt et Waldfeucht, qui a déjà été évoqué plus haut, et qu'Édouard
voudrait désengager du duc de Brabant.

En 1366, la guerre éclate avec la Gueldre. Wenceslas envahit, en février, le Bommelerwaard 112 et
prend la ville de Zaltbommel, mais il doit peu après abandonner cette ville et se retirer à Bois-le-
Duc à cause d'une vigoureuse contre-attaque d'Édouard 113. Le 20 mai, Aubert de Bavière et
Wenceslas concluent une alliance offensive et défensive contre Édouard, promettant de se soutenir
mutuellement avec 300 glaives, tandis que le duc de Gueldre s'allie avec l'évêque de Liège, Jean
d'Arkel, un autre ennemi de Wenceslas à cause du comté de Looz. Entre les mois d'août et de
septembre 1366, les Gueldrois mènent des raids autour de la ville de Graves et dans la seigneurie de
Cuyk tandis que Jean van Mierlaar, qui mène une guerre privée avec la ville de Bois-le-Duc, ravage
plusieurs villages et fait de nombreux prisonniers autour de cette ville. Il faut attendre 1368 pour
voir Wenceslas organiser une nouvelle expédition de grande envergure dans le duché de Gueldre et
tenter de libérer Renaud III. Réunissant 1200 lances à Maastricht, il passe en Gueldre le 21
septembre et intimide assez Édouard pour que celui-ci négocie la paix dès le 28 septembre 114.
Édouard choisit Aubert de Bavière comme arbitre et intermédiaire 115. La paix est conclue le 19
108 QUICKE, op.cit., p. 108.
109 Graves était un alleu.
110 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 54-56.
111 Idem, p. 51 et 56-57.
112 Le Bommlerwaard, dont le chef-lieu est Zaltbommel, se situe entre la Waal et la Meuse. C'est l'une des deux régions
(avec le Tielerwaard) attribuée en douaire à Marie de Brabant par Renaud III. Analyse dans VERKOOREN Alphonse,
Inventaire des chartes et cartulaires des duchés de Brabant et de Limbourg et des Pays d'Outre-Meuse, Ière partie :
chartes originales et vidimées, vol. IV et V, Bruxelles, 1910-1923, n° 2898. Cité dans ce travail comme AGR, CB,
n° 2898.
113 QUICKE, op.cit., p. 108 ; BOFFA, op.cit., p. 15-16.
114 BOFFA, op.cit., p. 16-17.
115 Le 10 octobre, Édouard expose ses griefs à Wenceslas par l'entremise d'Aubert de Bavière : une créance de 17 160
royaux ; une rente annuelle de 600 royaux à charge de la ville de Maastricht impayée depuis 1343 ; l'exercice de la
haute justice à Meerwijk et à Empel par le duc de Brabant au détriment du duc de Gueldre ; les ravages des hommes

21
octobre 1368. Les prisonniers faits par le duc de Gueldre et par Jean van Mirlaer sont relâchés. En
contrepartie, le duc de Brabant recouvre ses droits sur le tonlieu de Megen mais la question du
douaire de Marie de Brabant n'est toujours pas résolue. Surtout, le duc Renaud III reste toujours le
prisonnier d'Édouard116. Peu après, le 11 novembre 1368, Édouard se fiance avec Catherine de
Bavière, une des filles d'Aubert. La paix entre le Brabant et la Gueldre a plus l'air d'une trêve et d'un
compromis que d'une véritable paix. La guerre a beaucoup coûté tant pour le duc de Gueldre que
pour le duc de Brabant. L'atmosphère entre le Brabant et la Gueldre est toujours, en fin de compte,
aussi électrique qu'auparavant et il ne faudra pas beaucoup pour qu'un nouveau casus belli surgisse
entre Wenceslas et Édouard. Cette occasion surviendra en 1371.

d'armes brabançons dans la ville de Zalt-Bommel ; les frais de guerre occasionnés par la guerre de Wenceslas contre
lui. AGR, CB, n° 2622.
116 QUICKE, op.cit., p. 108-109.

22
3) Wenceslas et la politique impériale et dynastique des Luxembourg à l'ouest de l'Empire.

La défaite de Baesweiler est bien plus qu'une simple bataille perdue, dans la mesure où, en plus
d'être un échec des ducs de Brabant dans la région du Rhin, cette bataille marque aussi une défaite à
la fois impériale et luxembourgeoise (au sens dynastique du terme). Le XIVe siècle, véritable siècle
des Luxembourg117, voit l'accession de ceux-ci à la dignité impériale et à la couronne de Bohême.
Cependant, depuis l'ascension de Louis de Bavière au trône impérial (1314-1347), l'Empire devient
le champs d'une lutte d'influence entre les Wittelsbach, ducs de Bavière et comtes palatins du Rhin,
d'une part, et les Luxembourg, comtes de Luxembourg et rois de Bohême, d'autre part. A peine élu
roi des Romains (26 juillet 1346), Charles IV voulut entreprendre la consolidation de la position des
Luxembourg et tenter de restaurer ce « monstre » qu'était l'Empire118. Une excellente opportunité se
présentait à Charles pour renforcer la position de la maison luxembourgeoise.

Après la mort de son père à Crécy, le 26 août 1346, Charles IV devient roi de Bohême et place son
jeune demi-frère Wenceslas119 à la tête du comté de Luxembourg mais sous sa propre tutelle et celle
de son oncle, l'archevêque Baudouin de Trêves, puisque Wenceslas n'est alors âgé que de neuf ans.
Celui-ci n'obtient son émancipation qu'à la fin de l'année 1353. Entretemps, il a épousé Jeanne, fille
aînée du duc de Brabant Jean III. Au moment où elle est promise à Wenceslas, en 1347, Jeanne n'est
pas l'héritière du Brabant. Elle ne l'est pas non plus, en 1351 ou 1352 120, lorsqu'elle épouse
Wenceslas. La mort de Godefroid, dernier des fils du duc de Brabant encore vivant, le 3 février
1352, change cependant la donne. Jeanne, la fille aînée, devient du coup l'héritière de Jean III,
événement qui confère au mariage de Jeanne et de Wenceslas une importance considérable, en
même temps qu'il apporte à Charles IV l'occasion rêvée d'augmenter l'influence et la puissance des
Luxembourg à l'ouest de l'Empire. L'union du Luxembourg avec le Brabant et le Limbourg qui
découle de ce mariage n'est donc pas l'oeuvre d'un plan préétabli 121, mais le fruit d'une opportunité
117De la Maison des Luxembourg sont issus entre 1308 et 1437 quatre rois des Romaines et empereurs : Henri VII
(1308-1313) , Charles IV (1346-1378), Wenceslas Ier (1378-1400) et Sigismond Ier (1411-1437), sans parler de Jean
l'Aveugle, roi de Bohême et de Pologne, éminente figure de la première moitié du XIVe siècle.
118 RAPP Francis, Le Saint Empire romain germanique, Paris, Jules Tallandier, 2000, p. 256.
119 Wenceslas (1337-1383) est le fils de Jean de Bohême et de sa seconde épouse, la française Béatrice de Bourbon,
tandis que Charles est issu du premier mariage de Jean avec Elizabeht de Bohême.
120 Le mariage entre Wenceslas et Jeanne a eu lieu entre le mois novembre 1351 et le mois d'avril 1352, sans plus de
précision quant à la date. Il est probable, selon André Uyttebrouck et Raymond Van Uytven, que le mariage fut
célébré avant le 3 février 1352 voire en 1351. VAN UYTVEN Raymond, « Wenceslas », in NBW, t.II, col. 935-940 et
UYTTEBROUCK, op.cit., p. 27.
121 UYTTEBROUCK André, « Phénomènes de centralisation dans les Pays-Bas avant Philippe le Bon », in RBPH, t. 69 (4),
1991, p. 876.

23
inattendue qui ouvre le début de ce que Quicke appelle la « politique lotharingienne » de Charles
IV122.

Le premier acte de Charles IV en ce sens est l'élévation du comté de Luxembourg en duché (13
mars 1354), par unification du comté de Luxembourg, du comté de Durbuy, du marquisat d'Arlon et
du comté de Laroche123. L'étape suivante nous ramène à la guerre de succession du Brabant en
1356-57 et à la convention de Maastricht. Lorsqu'en janvier 1356 Jeanne de Brabant succède à son
père, Wenceslas n'est pas à proprement parler reconnu par ses sujets comme duc de Brabant et de
Limbourg. En effet, Wenceslas reconnaît dans la Joyeuse Entrée n'être que le mambour et le tuteur
de son épouse Jeanne et n'hériter du Brabant et du Limbourg que si Jeanne meurt avant lui sans
enfants124. En février 1357, n'étant pas capable d'aider militairement son frère face à Louis de Male,
l'empereur rencontre Wenceslas et son épouse à Maastricht et signe, le 20 février, une convention
garantissant l'union Brabant-Limbourg-Luxembourg au profit de la maison de Luxembourg :
Wenceslas doit hériter des duchés de Brabant et de Limbourg si Jeanne meurt sans enfants et, dans
le cas inverse, les enfants éventuels de Wenceslas doivent hériter de ces possessions, même si
Jeanne se remarie. Dans le cas extrême où Wenceslas et Jeanne décéderaient tous deux sans enfants,
le Brabant et le Limbourg reviendraient au roi de Bohême, chef de la maison de Luxembourg. Par
cette convention, Charles IV espère retourner, au profit des Luxembourg, un conflit qui déstabilisait
déjà dans ses fondements-mêmes l'édifice luxembourgeois à l'ouest de l'Empire. Mais la convention
de Maastricht, qui n'est qu'une trêve entre Wenceslas et Jeanne d'une part, et l'évêque de Liège et le
comte de Namur d'autre part, n'est pas la paix, et celle-ci reste à négocier avec le comte de
Flandre125. C'est là que le bât blesse et qu'intervient un Wittelsbach, Guillaume III de Bavière, comte
de Hainaut, Hollande et Zélande126, qui compromet la convention de Maastricht en tournant à
l'avantage de Louis de Mâle et à son propre profit le dénouement final de la guerre. En effet, ce
représentant de la maison de Bavière a tout intérêt à contrer les Luxembourg, devenus trop puissants
dans les Pays-Bas, au goût du Wittelsbach. En quelques semaines, accomplissant ainsi son dernier
acte politique important avant de sombrer dans la folie, il élabore le traité de paix qui est finalement

122 QUICKE Fritz, « Un testament inédit de l'empereur Charles IV », in RBPH, t. 6 (1-2), 1927, p. 257.
123 SEIBT Ferdinand, Karl .IV, ein Kaiser in Europa : 1346 bis 1378, Münich, Süddeutscher Verlag, 1978, p. 231-232.
124 THOMAS Heinz, « Die Luxemburger und der Westen des Reiches zur Zeit Kaiser Karls IV. », in Jahrbuch für
westdeutsche Landesgeschichte, t.1, 1975, p. 81.
125 WURTH-PAQUET François-Xavier, « Table chronologique des chartes et diplômes relatifs à l'histoire de l'ancien pays
de Luxembourg. Règne de Wenceslas de Bohême, comte puis duc de Luxembourg. 1352-1383. », in Publications de
la section historique de l'institut grand-ducal de Luxembourg, t. 24, 1869, p. 48.
126 Guillaume III dit « l'Insensé », un des fils de l'empereur Louis IV de Bavière et de Marguerite d'Avesnes, neveu par
sa mère de Guillaume II d'Avesnes qui, mort sans enfants en 1345, succède à son oncle. Il sombrera dans la folie dès
1356 et 1357 et son frère Aubert ou Albert, duc de Bavière deviendra régent de Hainaut, Hollande et Zélande avant
de lui succéder comme comte.

24
ratifié à Ath le 4 juin 1357 par Louis de Male, Wenceslas et Jeanne. Le traité d'Ath, que l'empereur
ne reconnaît d'ailleurs pas, renforce économiquement le comté de Flandre et affaiblit le duché de
Brabant, ainsi qu'il a été vu plus haut. Wenceslas, défait par la guerre et par la diplomatie, se
retrouve ainsi affaibli à la fois dans les Pays-Bas et à l'intérieur même du duché de Brabant. La
guerre de succession du Brabant, qui constitue aussi une facette de la lutte entre Wittelsbach et
Luxembourg, se termine par une défaite diplomatique de ces derniers127.

Les années qui suivent sont mises à profit par Wenceslas pour contrer les effets du traité d'Ath et
développer son patrimoine territorial sur la Meuse et le Rhin, politique soutenue par Charles IV au
moins jusque la catastrophe de Baesweiler en 1371 128. C'est nominativement en tant que duc de
Luxembourg d'ailleurs, qu'il entreprend l'achat de Millen, Gangelt, Waldfeucht, Fauquemont et
Wassenberg129. Le 16 juin 1364, il achète à Arnoul de Rummen le comté de Chiny, qu'il intègre au
duché de Luxembourg130. La période qui s'étale de 1366 à 1371 porte à son plus haut niveau la
volonté de Charles IV d'affermir la construction luxembourgeoise à l'ouest de l'Empire, construction
qui s'érige principalement à l'encontre des intérêts de la maison de Bavière131.

A la fin du mois d'octobre 1366, Charles IV se trouve à Nuremberg avec Wenceslas et nomme son
demi-frère, le 27 octobre, vicaire impérial « en deçà des monts », autrement dit au nord des Alpes.
Avec ce titre, il l'autorise à s'emparer des principautés, comtés, seigneuries et autres biens à l'ouest
du Rhin dont la succession serait vacante132. Le même jour, comme s'il réitérait la convention de
Maastricht, Wenceslas confirme que, s'il venait à mourir sans postérité, le Brabant, le Limbourg et
le Luxembourg reviendraient à Charles ou aux héritiers de celui-ci 133. En même temps, l'empereur
engage à Wenceslas les villes de Kayserberg et de Kaiserlautern, ainsi que le château de
Wolfsberg134. Quatre mois plus tard, le 20 février 1367, Charles lui cède en plus l'avouerie d'Alsace.
Que signifie donc réellement l'investiture du vicariat impérial et de l'avouerie d''Alsace ?

127 THOMAS, op.cit., p. 82-83.


128 JANSSEN Wilhelm, « Karl IV. und die Lande an Niederrhein und Untermaas », in Blätter für deutsche
Landesgeschichte, t. 114, 1978, p. 220.
129 Ibidem ; UYTTEBROUCK, Le gouvernement..., p. 68. Wenceslas ne se doute pas, bien évidemment, qu'il mourra avant
Jeanne, qui conservera dès lors ces acquisitions territoriales au profit du Brabant-Limbourg.
130 WURTH-PAQUET, op.cit., p. 91. C'est là une manière pour Wenceslas de soutenir financièrement Arnoul de Rummen
dans sa lutte pour la sauvegarde de son héritage du comté de Looz face aux Liégeois, même s'il ne reste plus à
Arnoul que le château de Rummen à défendre.Wenceslas n'a pas en effet intérêt à voir son voisin liégeois se
renforcer. Voir QUICKE, Les Pays-Bas..., p. 126-131.
131 THOMAS, op.cit., p. 83.
132 Idem, p. 84 ; QUICKE, op.cit., p. 134.
133 WURTH-PAQUET, op.cit., p. 104.
134 Respectivement situés dans le Palatinat, en Haute-Alsace et en Bavière. QUICKE, op.cit., p. 135.

25
Le vicariat impérial est une institution qui permet de seconder l'empereur et de le représenter
simplement là où il n'est pas. L'Empire est grand et l'empereur ne peut être partout présent : il
nomme donc un vicaire impérial dans les régions de l'Empire dans lesquelles il reste longtemps
absent135. A l'époque de Charles IV, on trouve principalement un vicaire impérial pour l'ouest de
l'Empire, l'Italie et le royaume d'Arles, l'empereur étant souvent affairé au centre ou à l'est de
l'Empire136. De plus, ce qui est d'ailleurs logique, l'empereur nomme principalement à cette fonction
des hommes en qui il peut avoir confiance, souvent des parents. Dans le royaume de Germanie
proprement dit, les vicaires impériaux qui se sont succédés sont presque tous des parents de
l'empereur : Baudouin de Trêves était son grand-oncle, le comte palatin du Rhin Rodolphe II était
son beau-père, Ruprecht ou Robert Ier avait été son beau frère, et Wenceslas de Luxembourg était
son frère. Après celui-ci, en 1372, il qualifiera le vicaire suivant, l'archevêque de Cologne Frédéric
de Saarwerden, de consanguineus et investira enfin son propre fils Wenceslas de cette fonction 137.
Le pouvoir et l'étendue géographique de ces pouvoirs peut varier d'un vicaire à l'autre. Dans le cas
qui nous concerne, Charles IV investit Wenceslas vicaire impérial « en deçà des Monts »138 en
prévision de son voyage en Italie, voyage qu'il n'entreprendra qu'en 1368, ce qui n'empêche pas
Wenceslas de rester vicaire impérial jusqu'en 1372, après sa défaite à Baesweiler. En plus de la
région du bas Rhin, une série de villes, devant lui obéir, sont mentionnées comme étant dans le
champs d'action du vicariat impérial de Wenceslas : Cambrai, Aix-la-Chapelle, Friedberg, Wetzlar,
Francfort-sur-le-Main, Gelnhausen, Mayence, Speyer, Kaiserlautern, Wolfstein, Rothenburg,
Windsheim, Nuremberg, Weissenburg, Augsbourg, Esslingen, Rottweil, Reutlingen, Weil-der-Stadt,
Ulm, Bibrach, Memmingen, Leutkirch, Constance, Saint-Gall, Hagenau, Strasbourg, Colmar,
Schlettstadt139. L'étendue de l'autorité théorique de Wenceslas, en tant que vicaire de l'empereur,
forme donc pratiquement un arc de cercle depuis les Pays-Bas jusqu'en Suisse et en Alsace, en
passant par le Rhin et le sud de l'Allemagne.

Les vicaires impériaux, comme Wenceslas, ont d'ailleurs le droit de protéger et le droit de punir. Il
peuvent nommer des tuteurs pour les veuves et les orphelins, nommer les notaires, et légitimer les
naissances hors mariage. Il peuvent aussi, à place du roi, créer une Landfriede, dissoudre toute
association interdite, exiger la libération de prisonniers et, s'il le faut, utiliser la bannière impériale

135 HÜTTEBRÄUKER Lotte, « Die Vikare Karls IV. in Deutschland », in Festschrift Albert Brackmann dargebracht von
Freunden, Kollengen und Schülern, Weimar, Hermann Böhlaus nachf. G.M.B.H., 1931, p. 546.
136 Puisque Charles IV est aussi roi de Bohême.
137 SEIBT, op.cit., p. 312-313.
138 « ...unsern und des heiligen richs gemeinen vikarien in Deutschen landen und in allen andern landen und creizzen,
di disseit des Lampartischen gebirges gelegen sind. ». HÜTTEBRÄUKER, op.cit., p. 554.
139 Idem, p. 554-555.

26
pour venir en aide à tels sujets ou intervenir contre des gens dangereux 140. En 1371, Wenceslas part
d'ailleurs en campagne contre le Juliers en brandissant la bannière impériale. Le vicaire peut
également distribuer des bénéfices : Wenceslas attribue en fief des villages alsaciens au chevalier
Johann von Schachtolsheim, un bourg alsacien au maire d'Oppenheim et le comté de Arnsberg au
comte Jean de Nassau141. Il est fort probable que l'intervention de Wenceslas lors du siège et de la
prise du château d'un Raubritter notoire, au mois de décembre 1366, peu de temps après son
investiture comme vicaire impérial, soit liée à ses nouvelles prérogatives de vicaire 142. Parmi les
raisons qui animent Charles IV dans l'investiture de son frère au vicariat, il faut voir aussi une
compensation à son erreur de ne pas avoir inclus de prince lotharingien dans le collège des électeurs
de l'Empire et éviter ainsi que les Pays-Bas ne se désolidarisent de l'Empire143.

Le 20 février 1367, Charles IV renforce la position de Wenceslas en lui engageant l'avouerie


d'Alsace. Celle-ci correspond seulement, en réalité, à la région autour de Haguenau, mais constitue
l'ensemble le plus important octroyé par Charles dans l'ouest de l'Empire 144. Peut-être faut-il voir ici
la suite logique du rôle joué par Wenceslas en Lorraine et en Alsace, en 1363 et 1365, à la demande
de Charles IV, dans la lutte contre le brigandage et la sécurisation des routes publiques contre les
brigands et les grandes compagnies militaires itinérantes145.

Wenceslas exerce le vicariat impérial et conserve l'avouerie d'Alsace jusqu'à la bataille de


Baesweiler. Cette période, entre 1366 et 1371, marque aussi une reprise des tensions entre les
Luxembourg et les Wittelsbach, en particuliers avec le comte palatin du Rhin Robert Ier et le régent
de Hainaut, Hollande et Zélande, Aubert de Bavière. Les relations entre les deux familles se sont
pourtant détendues depuis 1349. Le traité de Eltville, le 26 mai 1349, avait mis fin au conflit qui
opposait les Wittelsbach au nouveau roi des Romains Charles IV. Le comte palatin du Rhin
Rodolphe II, chef de la lignée palatine des Wittelsbach qui, quatre mois plus tôt, assistait au
couronnement de l'anti-roi Günthers von Schwarzburg, se réconcilie avec Charles de Luxembourg
et lui donne même sa fille Anne en mariage146. De 1351 à sa mort en 1353, Rodolphe exerce la
140 Idem, p. 557 et 559.
141 Idem, p. 561.
142 BOFFA, op.cit., p. 18. Le château de Hemmersbach, assiégé depuis le mois de septembre par les bourgeois de
Cologne, est pris la veille de Noël et rasé. cf. DOMSTA, « Die Hemmersbacher Fehde von 1366 », in Kerpener
Heimatblätter, t. 40, Jahrgang XIV, Heft 3 (décembre 1976), p. 57-68.
143 QUICKE, op.cit., p. 134.
144 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 104.
145 WURTH-PAQUET, op.cit., p. 98 ; QUICKE, op.cit., p. 112 ; RAPP, op.cit., p. 264. Arnaud de Cervole, dit « l'Archiprêtre »
et ses mercenaires, en plein « chômage technique » depuis la paix de Brétigny conclue entre Français et Anglais, ont
commis de nombreux ravages notamment en Alsace, en 1365. RAPP Francis, « Les villes du saint Empire et le
problème militaire : l'exemple de Strasbourg », in Journal des savants, 1996 (n°2), p. 387.
146 SCHMID Alois, « Rudolf II », in NDB, vol. 22, p. 183.

27
fonction de vicaire impérial. Lors du voyage de Charles IV en Italie en 1354-55, le neveu et
successeur de Rodolphe II, Robert Ier, est nommé vicaire impérial pour l'Allemagne pendant
l'absence de Charles147. Par la Bulle d'Or de 1356, deux Wittelsbach sont de facto princes électeurs :
Robert Ier, comte palatin du Rhin et Louis le Romain, margrave de Brandebourg. Dès 1363, Charles
IV entrevoit la possibilité d'acquérir le Brandebourg et une deuxième voix d'Électeur pour les
Luxembourg, en se rapprochant du margrave de Brandebourg Louis le Romain et de son jeune frère
Otton le Paresseux, tous les deux en conflit avec leur frère Étienne, duc de Bavière. En mars 1363,
Louis le Romain et Otton passent un accord avec Charles IV pour accorder à celui-ci la succession à
la marche de Brandebourg s'ils venaient à mourir tous les deux sans enfants, cela dans le but évident
de priver le duc Étienne de son héritage brandebourgeois148. Après la mort de Louis le Romain en
1365, Charles IV exploite la situation avec intelligence. Il donne en mariage, à Otton, sa fille
Catherine, veuve de Rodolphe de Habsbourg, qui, en sept ans de mariage, n'a su donné aucun
enfants au duc d'Autriche. Le mariage, conclu le 6 février 1366, ne sera pas plus fertile avec Otton
qu'il ne l'avait été avec Rodolphe de Habsbourg, au grand profit de Charles IV, qui a dès lors de
sérieuses chances d'hériter de l'électorat de Brandebourg.

Robert Ier, qui ne voit déjà pas d'un très bon oeil le rapprochement, en 1363, de ses cousins Louis le
Romain et Otton avec Charles IV, ne cache plus du tout son hostilité envers la maison de
Luxembourg lorsque Otton épouse Catherine de Luxembourg et que Wenceslas est nommé vicaire
impérial et avoué d'Alsace. Ces dispositions sont vues par le comte palatin du Rhin comme des
atteintes aux intérêts des Wittelsbach dans l'Empire149. Si la manoeuvre de Charles IV réussit pour
ce qui est du Brandebourg, les Wittelsbach, qui ont deux voix sur sept dans le collège électoral
impérial tel que la Bulles d'Or le définit, en perdraient une au profit des Luxembourg, qui en
obtiendraient deux. De plus, le vicariat impérial de Wenceslas empiète sur la zone d'influence de
Robert Ier. Kaiserlautern et Wolfstein, ville et château impériaux qui étaient en possession des
comtes palatins du Rhins, sont engagés par l'empereur à Wenceslas. Robert Ier refuse d'ailleurs de
céder Kaiserlautern à son nouveau seigneur engagiste.

L'avouerie d'Alsace, accordée à Wenceslas le 20 février 1367, est la goutte qui fait déborder le
vase150. Le 23 avril 1367, l'opposition des Wittelsbach prend la forme d'une alliance conclue entre
Robert Ier et l'archevêque de Mayence Gerlach que rejoignent, au mois d'octobre, l'archevêque de
147 HÜTTEBRÄUKER, op.cit., p. 549-550.
148 SCHÜTZ Alois, « Ludwig der Römer », in NDB, vol.15, p. 385 ; ESCHER Felix, « Otto der Faule », in NDB, vol. 19, p.
677-678.
149 THOMAS, op.cit., p. 83.
150 Idem, p. 85.

28
Trêves, le comte palatin Robert II, neveu de Robert Ier, et plusieurs autres seigneurs hostiles à
Charles IV. Celui-ci, avant de partir pour Rome en 1368, parvient pourtant, on ne sait pas très bien
comment151, à « refroidir » la coalition anti-luxembourgeoise. Les archevêques de Trêves et de
Mayence craignaient peut-être de vexer le pape Urbain V, qui soutenait le Romzug impérial.
Toujours est-il qu'une Landfriede est créée le 2 février 1368, qui implique tant les princes électeurs
rebelles du Rhin que des villes impériales, dont Francfort et Kaiserslautern. Robert Ier cède même
cette dernière ville à son seigneur engagiste, Wenceslas. L'empereur parvient ainsi à sécuriser ses
arrières pendant son absence en 1368-1369. Mais pas suffisamment car, après son retour d'Italie,
Robert Ier trouve une occasion de menacer à nouveau Charles IV. Le roi de Hongrie Louis, qui s'est
déjà allié, le 14 février 1369, au roi de Pologne Casimir pour contrer l'expansion des Luxembourg
en Silésie et dans le Brandebourg, s'allie le 13 septembre 1369, avec Robert Ier et Aubert de
Bavière152, contre Charles IV153.

Aubert de Bavière est cependant le maillon faible de l'opposition des Wittelsbach aux Luxembourg
et Charles IV sait en profiter. Aubert fut le premier des six fils de l'empereur Louis IV à laisser de
côté les rivalités Luxembourg-Wittelsbach pour se rapprocher de Charles IV. Ce dernier l'aida à
obtenir la régence de son frère Guillaume, comte de Hainaut, Hollande et Zélande, devenu fou,
contre Louis le Romain, margrave de Brandebourg154. Toutefois, Aubert de Bavière oublie très vite
le soutien de l'empereur et se rapproche du comte de Flandre. Il promet par deux fois à Louis de
Male, en 1358 et 1368, de faire respecter le traité d'Ath et d'aider celui-ci à obtenir la succession du
Brabant et du Limbourg après la mort de la duchesse Jeanne, contre Wenceslas de Luxembourg 155.
En 1370, Charles IV parvient à nouveau à attirer Aubert dans son camp et scelle ce rapprochement
par le mariage de son fils, Wenceslas, avec une des filles du régent de Hainaut, Jeanne, le 29
septembre 1370156, et par les fiançailles de sa fille Anne avec un des fils d'Aubert, en avril 1371157.

Charles parvient ainsi à sécuriser à nouveau sa position dans l'Empire contre les Wittelsbach et celle
de son frère Wenceslas dans les Pays-Bas contre le comte de Flandre Louis de Male. Il réussit à
« détricoter » l'alliance que tisse Louis de Hongrie avec le duc Aubert. Il ne reste plus dès lors qu'à
neutraliser le comte palatin du Rhin Robert Ier, pour agir à l'est, et exiger la succession dans la

151 Selon Heinz Thomas, il s'agit là d'un des « ungelösten Rätseln in der Geschichte Karls. IV ». Ibidem.
152 Notre régent de Hainaut, Hollande et Zélande, également duc de Straubing.
153 THOMAS, op.cit., p. 89.
154 QUICKE, op.cit., p. 54-56.
155 Idem, p. 167 et 193.
156 Idem, p. 193-194.
157 THOMAS, op.cit., p. 89.

29
marche de Brandebourg contre Otton le Paresseux. Il lui suffit, pour cela, d'ordonner au comte
Eberhard de Würtemberg et à la ville de Strasbourg, en juin 1371, de déployer la bannière impériale
contre Robert Ier au cas où celui-ci agirait dans le dos de l'empereur, qui entamait alors sa
campagne contre Otton de Brandebourg158.

Mais la bataille de Baesweiler le 22 août 1371 et la défaite écrasante de son frère Wenceslas menace
aussitôt la position des Luxembourg dans l'Empire. La construction luxembourgeoise à l'ouest de
l'Empire, que Wenceslas avait bâti avec son frère depuis le haut Rhin jusqu'au Brabant, en passant
par le Luxembourg, l'Alsace et la Souabe, et qui faisait le pendant de celle construite à l'est par
Charles159, s'effondrait subitement, au grand profit des Wittelsbach ainsi que des princes et seigneurs
rhénans. Baesweiler fut une défaite luxembourgeoise, au sens dynastique du terme, et un coup de
plus porté au prestige impérial, deux échecs graves que Charles IV devra réparer dans la mesure du
possible.

158 Idem, p. 90.


159 RAPP, Le Saint Empire... , p. 269.

30
4) La Landfriede entre la Meuse et le Rhin et la Raubrittertum.

Maintenir la paix et assurer la sécurité est un problème aussi vieux que le pouvoir existe. Ce
problème est d'autant plus difficile dans un monde où plusieurs niveaux de pouvoir cohabitent et
parfois s'affrontent, tel le monde féodal. Le XIVe siècle a souvent la réputation d'un siècle plus
troublé que les autres, miné par les famines, les épidémies, les guerres et les querelles sociales.
Jusqu'à quel point cela est-il plus vrai au XIVe siècle que dans les siècles précédents, il n'en sera pas
débattu ici, mais toujours est-il que des famines, des épidémies, des troubles sociaux et des conflits
frappent bel et bien le XIVe siècle, générant insécurité et violence sur les routes, au point que les
villes et les seigneurs territoriaux ressentent ensemble le besoin de créer des « paix régionales » ou,
pour être puriste, des Landfrieden, coalitions de villes, de grands et petits seigneurs visant à assurer
la sécurité des communications territoriales, des biens et des personnes contre toute forme de
brigandage ou d'agression.

L'insécurité, dans la période qui nous concerne, peut prendre plusieurs aspects ou comporter
plusieurs sources. Il peut s'agir, parfois, d'une insécurité temporaire, liée à la présence de grandes
compagnies désoeuvrées et itinérantes, qui tentent de trouver, là où elles peuvent et là où elles sont
canalisées, le butin nécessaire à leur survie. Wenceslas doit à plusieurs reprises combattre ces
bandes de pillards, à la frontière luxembourgeoise, en Lorraine ou en Alsace notamment, en 1363 et
en 1365160. Mais la plupart du temps, c'est l'état de guerre et de tension entretenu par la petite
noblesse féodale, qui provoque une insécurité suffisamment endémique et sédentaire que pour
susciter une réaction durable de la part des grands seigneurs territoriaux et des villes importantes : la
Landfriede161 fut l'une de leurs réponses162.

C'est pour qualifier cette noblesse turbulente qu'est apparu au XIXe siècle, chez les historiens
allemands, le terme de Raubrittertum (« chevalerie pillarde »)163. La Raubrittertum a presque fini
par se confondre avec l'image d'Épinal d'un chevalier pauvre, détroussant les marchands et les
passants sur quelque route, ou s'enrichissant sur le dos de ces derniers par des tonlieux abusifs 164.

160 En 1363, Wenceslas et Henri de Boutersem, maréchal du Brabant, combattent aux côtés des ducs de Bar et de
Lorraine les grandes compagnies en Lorraine. cf. UYTTEBROUCK, op.cit., p. 229. En 1365, il combat la grande
compagnie de « l'Archiprêtre » pour la chasser d'Alsace. Voir Supra p. 19 note 126.
161 La version francisée du mot, telle qu'elle est employée par Fritz Quicke, est utilisée dans ce travail.
162 SCHMIDTCHEN Volker, Kriegswesen im späten Mittelalter : Technik, Taktik, Theorie, Weinheim, VCH-Acta
humanioria, 1990, p. 42.
163 ANDERMANN K., « Raubritter », in Lexicon des Mittelalters, v. 7, Münich, Lexma,, 1995, p. 475.
164 SCHMIDCHEN, op.cit., p. 42.

31
Mais cette image recouvre toutefois une réalité, que les sources, principalement urbaines, qualifient
de raptores, predones, latrones, spoliatores, räubern, ou raubheussern165. Au XIVe siècle, une crise
sociale et agraire frappe l'Europe, aggravée, à partir de 1350, par les épidémies de peste 166.
L'exploitation de la terre, la base même de la classe seigneuriale, s'en trouve ébranlée, ce qui
appauvrit une petite noblesse terrienne, forcée de s'endetter pour subvenir à ses besoins. Face à la
prospérité des villes et des marchands, face aux besoins d'un train de vie toujours plus difficile à
financer, la tentation est grande pour un petit seigneur de remplir ses coffres vides en établissant des
tonlieux voire, si besoin est, en spoliant ou en rançonnant des marchands ou des voyageurs de
passage sur leurs terres. Lorsqu'un seigneur est en conflit avec un autre ou avec une ville, on
observe très souvent cette dernière pratique perpétrée à l'encontre des bourgeois de la ville ennemie
ou des marchands sujets de l'adversaire. La Fehde ou « guerre privée », autant que les difficultés
socio-économiques, incitent ces seigneurs terriens au pillage des biens et des personnes, voire à la
destruction, si la vengeance s'impose.

Aussi, lorsqu'un chevalier ou un seigneur relativement modeste entre en conflit contre une ville ou
un seigneur plus puissant que lui, il n'a souvent pas d'autres moyens, pour faire pression sur ceux-ci,
que celui du rapt et de la rançon, qui permet de s'enrichir ou, au moins, de faire pression sur
l'ennemi. La ville ou le seigneur visé n'a pas beaucoup de choix : la force ou le compromis. Dans le
premier cas, il faut alors être capable de financer et d'organiser une expédition militaire, qui consiste
souvent en un siège extrêmement coûteux 167, et amener le Raubritter à capituler et renoncer à ses
exigences. Dans le second cas, il faut négocier, ce qui peut parfois prendre des mois, voire des
années, jusqu'à l'aboutissement d'un compromis qui satisfasse les deux parties. Parfois, l'arbitrage
d'un tiers ou d'une instance supérieure (empereur, conseil de Landfriede, etc...) tranche le conflit. Si
l'arbitrage lèse l'une des deux parties, la Fehde peut reprendre de plus belle, avec tout ce qu'elle
comporte : rançonnage, pillage, spoliations, incendies, voire meurtres pour faire pression ou se
trouver des compensation. Tel est le climat dans lequel baigne la région sise entre la Meuse et le
Rhin.
165 ANDERMANN, op.cit., p. 475.
166 Un document émanant des établissements religieux de Cologne, daté de 1372, est à cet égard significatif. Il s'agit
d'une lettre à la Curie de Cologne, énumérant les causes de la situation économique catastrophique des chapitres,
couvents et monastères de Cologne. Parmi les causes, sont citées la peste ( pestilencie et mortalitatis acerbitas), qui
frappe durement les paysans ( quod agricultores hodie paucissimi sunt et rari propter quod agri plurimi inculti
remanent et deserti) ; les guerres (gwerrarum hic in partibus vigentium continue gravia dispendia) ; les impôts
insoutenables imposés par les domini temporales sur les biens ecclésiastiques et l'inflation monétaire (usualis
monete debilitas). LACOMBLET Theodore Joseph, Urkundenbuch für die Geschichte des Niederrheins, vol. III,
Düsseldorf, 1853, doc n° 732 et JANSSEN Wilhelm, « Die niederrheinischen Territorien in der zweiten Hälfte des 14.
Jahrhunderts » in Rheinische Vierteljahrsblätter, t. 44, 1980, p. 47-48.
167 La ville de Cologne dépense au moins 10 020 marks pour le siège du château de Hemmersbach, en septembre 1366.
ENNEN, Quellen..., doc n° 448.

32
Ainsi Renaud de Fauquemont, ruiné par sa guerre contre le comte de Juliers et par une rançon très
lourde à rembourser, dépouillait les marchands rhénans et brabançons qui transitaient par ses terres,
offrant au duc de Brabant Jean III le prétexte pour entrer en guerre contre lui, en 1318 168. La
destruction du château de Hemmersbach169, en 1366, par une action conjuguée du duc de Brabant,
du duc de Juliers et des villes d'Aix-la-Chapelle et de Cologne au nom de la Landfriede, a pour
origine une guerre privée entre les tuteurs du seigneur de Hemmersbach, Jean Scheiffert von
Merode, et un de leurs cousins soutenu par le duc de Juliers. Ce conflit troubla suffisamment la
sécurité de la route Aix-la-Chapelle-Cologne, sur laquelle se situe Hemmersbach, pour que les
bourgeois de Cologne et d'Aix-la-Chapelle décident, en recourant à la Landfriede, d'assiéger le
château, lequel fut finalement détruit par Wenceslas, en décembre 1366. Après le démantèlement de
Hemmersbach, Jean Scheiffart von Merode est condamné par la Landfriede pour « pillage, incendie
et dommages »170. Pendant le conflit qui oppose le duc de Juliers Guillaume II à la ville d'Aix-la-
Chapelle, plusieurs bourgeois d'Aix sont capturés à Lanklaar, le 21 octobre 1363, et emprisonnés
par le duc jusqu'à la trêve du 6 novembre 1364 avec la ville impériale. Celle-ci verse néanmoins
pour eux une rançon de 2 000 vieux écus à Guillaume II171.

Si une certaine Raubrittertum occupe une place importante à cette époque, c'est surtout parce qu'elle
oppose avant tout une classe féodale terrienne à une bourgeoisie et une classe marchande urbaine,
très sensible à la sécurité et à la paix et lassée d'être prise en otage par les conflits des seigneurs. Les
bourgeois, sans parler des paysans, paient bien trop souvent les frais de la Fehde, au détriment de
leur source de subsistance, qu'il s'agisse du commerce ou de l'artisanat qui en dépend. Mais au XIVe
siècle, les villes sont assez puissantes pour ne plus hésiter à se faire justice elle-mêmes. En 1347, les
« bonnes villes » liégeoises rasent le château de Renard d'Argenteau, qui a pillé Hermalle, Heure-le-
Romain, Aaz et Haccourt. En 1391, les Dinantais détruisent le château du seigneur de Bolland, qui a
capturé des marchands français venus commercer dans le pays de Liège172.

Aussi, un seigneur qui veut gouverner, qu'il soit clerc ou laïc, ne peut plus négliger la bourgeoisie.
En 1362, Jean d'Arkel, évêque d'Utrecht, obtient l'appui des villes de Zwolle, Kampen et Deventer,

168 CUVELIER, op.cit., p. 82.


169 EDMOND DE DYNTER , Chronica nobilissimorum ducum Lotharingiae et Brabantiae ac Regum Francorum, ed. par
P.F.X. DE RAM, Bruxelles, t. III, p. 58.
170 DOMSTA, op.cit., p. 65. Voir aussi ROTTHOFF-KRAUS Claudia, Die politische Rolle der Landfriedenseinungen zwischen
Maas und Rhein in der zweiten Hälfte des 14.Jahrhunderts, Aachen, Verlag des Aachenergeschichtsvereins, 1990, p.
173-185.
171 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 109.
172 LEJEUNE Jean, Liège et son pays,naissance d'une patrie (XIIIe-XIVe siècle), Liège, 1948, p. 120-121.

33
en détruisant le château de De Voorst, dont le seigneur s'ést rendu coupable d'actes de pillages dans
la région de Zwolle173. L'expédition en août 1367 de Jean d'Arkel, devenu évêque de Liège, que
Jean d'Outremeuse surnomme la chaude chevauchie174, est un acte de vengeance de l'évêque contre
des chevaliers du Juliers, qui ont perpétré des actes de pillage et de déprédation à Jalhay, dans le
pays de Franchimont. Oeil, pour oeil, dent pour dent : l'évêque de Liège réunit une troupe de
chevaliers, menée par Lambert d'Oupeye175, et n'hésite pas à pénétrer dans le Juliers, où il dévaste et
incendie les domaines des coupables, à Aldenhoven notamment 176. En 1388, des marchands de
Saint-Trond, Maastricht et Huy sont spoliés et capturés dans le Juliers par le chevalier et avoué de
Cologne Louis de Reifferscheid, qui réclamait des droicteurs à l'évêque Arnoul de Hornes. En
retour, ce dernier mène l'ost du pays de Liège à Heinsberg et obtient du duc de Juliers la libération
des marchands177. En Rhénanie, les sources sont également pleines de mentions de ces raptores,
praedones ou spoliatores. En 1371, par exemple, l'archevêque de Trêves Cunon, avec l'aide des
villes de Cologne et d'Aix-la-Chapelle, dévaste les domaines, les châteaux et les bourgs du comte de
Wied et des barons d'Isenburg, en représaille des spoliations que ces derniers avaient commises sur
les marchands et les habitants des villes du Rhin178.

Face à ce climat dominé par une mentalité toute imprégnée par la Fehde, le XIVe siècle apporte une
solution ou, du moins, une tentative de solution sous la forme d'une institution collective et
publique : la Landfriede. Les Landfrieden sont au XIVe siècle ce que les Paix de Dieu avaient été au
XIe siècle, hormis qu'elles sont plutôt l'émanation des villes et des princes laïcs et qu'elles sont
beaucoup moins spirituelles que les Paix de Dieu, émanations de l'Eglise. L'empereur Charles IV
encourage la création de Landfrieden dans chaque région de l'Empire, pour limiter autant que
possible les dégâts de la guerre privée et unir ensemble les villes et les princes contre ce fléau.
Charles IV, qui n'ose pas, dans la Bulles d'Or, interdire la Fehde, mais la définit pour mieux la
limiter, interdit également les ligues urbaines, car l'empereur craint de voir le fossé entre les villes,
d'une part, et les seigneurs et princes, d'autre part, se creuser toujours davantage. Outre l'union des
173 VAN WINTER Johanna Maria, « Das Bistum Utrecht zwischen Geldern un Holland », in TEKATH Karl-Heinz (dir.),
Gelre, Geldern, Gelderland : Geschichte und Kultur des Herzogtums Geldern, Geldern, Verlag des Historischen
Vereins für Geldern und Umgegend, 2001, p. 115.
174 JEAN D'OUTREMEUSE, Chronique abrégée, ed. par S.BALAU et E.FAIRON dans Chroniques liégeoises, t.II, Bruxelles,
Lamertin 1931, p. 194.
175 Le 27 juillet, juste avant cette chevauchée, Lambert d'Oupeye, chevalier expérimenté, est nommé définitivement
maréchal de l'évêché de Liège. PONCELET Édouard, « Les maréchaux de l'évêché de Liège », in Bulletin de l'institut
archéologique liégeois, n°32, 1902, p. 241 et 329.
176 RAOUL DE RIVO, Gesta pontificum Leodiensium ab anno tertio Engelberti a Marcka usque ad Joannem a Bavaria,
ed. par CHAPEAVILLE dans Gesta pontificum Leodiensium, t.III, Liège, 1616, p. 17 ; CORNELIUS DE ZANTFLIET,
Chronicon, ed. par A.MARTÈNE et U.DURAND, dans Veterum scriptorum et monumentorum historicorum,
dogmaticorum, moralium, amplissima collectio, t.V, Paris, 1729, col. 291.
177 LEJEUNE, op.cit.,p. 121 ; JEAN D'OUTREMEUSE, p. 222.
178 Chronicon Moguntinum, ed. par C. Hegel, in MGH, SS Rer. Germ., 20, Hannover, 1885, p. 26-27.

34
villes et des princes, la Landfriede a de plus l'avantage, par sa structure autonome et régionale,
d'apporter une solution locale à des problèmes locaux, raison supplémentaire pour l'empereur de la
favoriser. Par ailleurs, les dirigeants des Lanfrieden représentent le roi. Chaque membre d'une
Landfriede fournit aussi un contingent, destiné à punir tout violateur de la paix régionale ainsi
instituée179. Le mécanisme de la Landfriede possède à peu près les mêmes avantages et défauts
qu'une Société des Nations ou une Organisation des Nations Unies moderne: pratique quand il s'agit
de punir un violateur relativement modeste et isolé, quasiment impuissante face à un membre
important de la Landfriede qui viole la paix180. Elle peut aussi générer des froids diplomatiques,
voire des conflits, si un « petit » Raubritter poursuivi par la Landfriede à l'initiative d'un de ses
membres, est un un proche, un parent ou un vassal d'un autre membre de la Landfriede. C'est
justement ce qui se produisit en 1367 et 1371 entre le duc de Brabant et le duc de Juliers à cause, du
moins en partie, du seigneur de Heinsberg.

Durant la seconde moitié du XIIIe siècle, les princes rhénans et lotharingiens, en particuliers
l'archevêque de Cologne, concluent entre eux des alliances pour maintenir la paix dans les régions
sises entre la Meuse et le Rhin et sécuriser les routes pour les marchands et les voyageurs,
préfigurant les Landfrieden du siècle suivant181. Le 28 août 1279, l'archevêque de Cologne Siegfried
von Westerburg182 et Jean duc de Brabant créent une alliance avec le comte de Gueldre et le comte
de Clève pour maintenir la paix, sécuriser les territoires et les routes entre le Rhin, la Meuse et la
Dendre ainsi que protéger les marchands et voyageurs qui les empruntent 183, alliance que rejoindra
le comte de Hollande Florent V en septembre 1287 184. Mais le conflit pour la succession du
Limbourg rend très vite inefficace cette alliance, qui tombe à l'eau définitivement en même temps
que la défaite de Siegfried von Westerburg à Worringen, marquant ainsi la fin de l'hégémonie des
archevêques de Cologne à l'ouest du Rhin et de la prétention de ceux-ci à assurer paix et sécurité.

Par ailleurs, au XIIIe siècle et jusqu'en 1288, l'archevêque de Cologne est le principal compétiteur
179 RAPP, op.cit., p. 266-267.
180 QUICKE, op;cit., p. 170.
181 PICOT Sabine, Kurkolnische Territorialpolitik am Rhein unter Friedrich von Saarwerden : (1370-1414), Bonn,
Rohrscheid Verlag, 1977, p. 209
182 Qui agit, bien sûr, en tant que seigneur temporel.
183 « Quod quicumque hominum, cuiuscumque status aut dignitatis seu preminentie fuerit, clericos, ecclesiasticas
personas, milites, mercatores, peregrinos ac alios viatores necnon et alios quoscunque inter Renum et Denram et in
ipsis aquis sive in terris sive in aquis spoliarevit aut captiveverit seu iniuste ab eis aliquid extorserit, seu quicunque
monetam falsaverit vel in loco non debito vel signo alterius domini monetam cudi fecerit aut permiserit, in
cuiuscunque nostrum districtu aut in conterminis, finibus seu iurisdictionibus, cuiuscumque existant, tale facinus
fuerit perpetratum, ille primum contra predictos, si moniti non emendaverint, potenter et patenter consurget, aliis
minime expectatis ». Pax Rheni inferioris, 28 août 1279, in M.G.H., LL., Constitutiones, t. III, p. 605.
184 LACOMBLET, II, doc n° 728 ; ENNEN Leonard, Geschichte der Stadt Köln, tome II, Köln, 1865, p. 223-224 ; ROTTHOFF-
KRAUS, op.cit., p.107.

35
du duc de Brabant entre la Meuse et le Rhin. Le 16 octobre 1257, le duc de Brabant Henri III reçoit
l'autorisation du roi des Romains Alphonse de Castille, qu'il soutient contre Richard de
Cornouailles185 , de protéger et défendre tous les vassaux, les villes, les villages, les biens et les
droits relevant de l'Empire, entre le Rhin et la Meuse et entre les limites du diocèse de Trêves et la
mer186. La haute avouerie (Obervogtei) des ducs de Brabant sur Aix-la-Chapelle est attestée pour la
première fois à la date du 30 mai 1277. Par là, Jean Ier promet de protéger les bourgeois d'Aix-la-
Chapelle, protection que la ville accepte, mais qui fait par contre du duc de Brabant un rival
potentiel de l'avoué de la ville impériale, le duc de Juliers187.

Cependant, ces détentions de titres ou de droits entre le Rhin et la Meuse ne servent pas à grand
chose tant que rien n'est fait pour les concrétiser sur le terrain. La lutte de Jean Ier pour la
succession du Limbourg est probablement le plus grand des pas réalisé en ce sens par les ducs de
Brabant, tandis que l'établissement de Landfrieden au XIVe siècle est également un autre moyen
pour concrétiser leurs prétentions outre Meuse. Une fois la puissance des archevêques de Cologne
mise à bas à Worringen, le duc de Brabant et de Limbourg devient pour ainsi dire le seul prétendant
au maintient de la paix entre la Meuse et le Rhin, voire le seul capable de l'imposer. Des ducs de
Limbourg il hérite du droit de conduit (Geleitsrecht) entre Meuse et Rhin, attesté, comme
prérogative du duc de Brabant pour la première fois en 1310, lorsque ses fonctions de haut avoué
d'Aix-la-Chapelle sont confirmées188.

Il faut attendre 1351 pour voir s'édifier une Landfriede proprement dite entre la Meuse et le Rhin.
Les désordres causés par les nouvelles épidémies de peste ainsi que la capture de plusieurs
bourgeois d'Aix-la-Chapelle par des seigneurs de la région y ont probablement contribué189. Déjà en
1346, le duc de Brabant, le duc de Juliers, la ville d'Aix-la-Chapelle et plusieurs autres seigneurs se
coordonnent pour éradiquer une bande de pillards qui sévissaient dans la région d'Aix-la-
Chapelle190. La Landfriede de 1351 est conclue le 13 mai entre le duc de Brabant et de Limbourg
Jean III et son fils Godefroid, seigneur de Malines, l'archevêque de Cologne Guillaume de Gennep
et les ville d'Aix-la-Chapelle et de Cologne, pour une durée de 10 ans. Chacun des alliés promet de

185 Que soutient le principal ennemi du duc de Brabant, l'archevêque de Cologne.


186 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 107.
187 Idem, p. 106 ; HAAGEN Friedrich, Geschichte Aachens von seinen Anfängen bis zur neuesten Zeit, t. I, Aachen, 1873,
p. 198.
188 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 107.
189 HAAGEN, op.cit., p. 281.
190 Une bande menée par lesdits Golinus et Schinman. GLÄSER Florian, Schönau-Schönforst : eine Studie zur
Geschichte des rheinisch-maasländischen Adels im Spätmittelalter, Université de Trêves, thèse de doctorat non
publiée, 1999, p. 105 et 146-147.

36
lutter contre toute violation de la paix sur les routes, dans les pays compris entre Meuse et Rhin, et
de protéger les marchands, les pèlerins, les religieux, les voyageurs et les chevaliers allant et venant
dans les villes et régions relevant de la Landfriede. Le périmètre de celle-ci est, en gros, circonscrit
au sud par la ligne Andernach-Liège, à l'ouest par la Meuse entre Liège et Venlo, au nord par la
ligne Venlo-Xanten et à l'est par le Rhin, entre Xanten et Andernach 191. Chaque membre de la
Landfriede choisit trois jurés permanents qui siègent le premier jour de chaque mois dans quatre
lieux successifs : Cologne, Aix-la-Chapelle, Lechenich et Kerpen192, sinon dans un lieu situé entre
Cologne et Aix-la-Chapelle. En plus de ce collège de jurés qui reçoit les plaintes, chaque membre
fournit un contingent de cavaliers et de combattants à pied pour les opérations coercitives de la
Landfriede, avec un effectif minimal pour les petites opérations et maximal pour les opérations de
plus grande ampleur193. Cette force d'intervention est « activée » à la demande du collège des jurés,
lorsqu'il s'agit d'appliquer une sanction par la force à l'encontre d'un prévenu qui refuse de s'y
plier194.

Le ralliement temporaire du margrave195 de Juliers est un bon exemple d'instrumentalisation de la


Landfriede au profit d'intérêts personnels de l'un de ses membres. Le 28 avril 1354, le margrave de
Juliers, Guillaume V, et Thierry de Looz, seigneur de Heinsberg, s'engagent tous les deux dans la
Landfriede pour toute la durée du conflit de Gripekoven 196. Les chevaliers et frères Goswin et
Arnold von Zievel, en effet, possèdent en gage depuis 1348 Gripekoven, château puissamment
fortifié et doté de douves, que le margrave de Juliers convoite mais qui ne relève pas des
possessions territoriales des comtes de Juliers. Or, les deux frères von Zievel offrent à Guillaume V
des motifs pour les attaquer : ils commettent des agressions sur des marchands et des voyageurs
originaires du Brabant et du sud de l'Allemagne, suscitant contre eux une réaction des membres de
191 Plus précisément, le périmètre passe par Andernach, longe le Rhin et la Nette jusqu'au Laacher See, puis passe par
Nürburg, Münstereifel, Büttgenbach, Montfort, Cheratte, de là longe la Meuse jusque Echt, puis passe par Vlodrop,
Oedt, Vinnbrück, Frohnenbruch, Issum, Xanten, puis longe enfin le Rhin en amont jusque Andernach. ROTTHOFF-
KRAUS, op.cit., p. 34 et p. 448.
192 Qui est, faut-il le rappeler, une enclave brabançonne dans le duché de Juliers.
193 Le contingent atteint au total 750 hommes d'armes montés (rittere ind knechte ind gueder lude, wale gewapent ind
zu perde) et 250 combattants à pied (schütze) pour les grandes opérations et pour les petites opérations, un total de
145 cavaliers . Pour les grandes opérations, sièges ou chevauchées (besessen ind reysen), le duc de Brabant et
l'archevêque de Cologne fournissent chacun 250 cavaliers et 50 combattants à pied, la ville de Cologne 150
cavaliers et 50 combattants à pied et Aix-la-Chapelle 100 cavaliers et 100 combattants à pied. Pour les petites et
courtes opérations (deegelixen criegen), le duc de Brabant et l'archevêque de Cologne fournissent 50 cavaliers
chacun, la ville de Cologne 25 cavaliers et Aix-la-Chapelle 20 cavaliers. LACOMBLET, III, doc n°497. Ennen, op.cit.,
p. 342-343.
194 GLÄSER, op.cit., p. 115-116 ; HAAGEN, op.cit., p. 281-282 ; LACOMBLET III, doc n° 497.
195 Le comte de Juliers Guillaume V (1317-1361) devient margrave le le 21 août 1336 et duc (Guillaume Ier) le 21
décembre 1356.
196 Entre Rheindahlen et Beeck, dans la région de Brüggen. De nos jours, il ne reste plus aucune trace de ce château.
Les bois recouvrent aujourd'hui l'emplacement de ce qui fut le château de Gripevoken, complètement détruit en
1354.

37
la Landfriede. Le margrave de Juliers décide de rejoindre la Landfriede jusqu'à la prise de
Gripekoven, mettant à la dispositions de la Landfriede un contingent et des moyens assez
importants : 300 hommes d'armes197 et le financements de 1000 paysans armés de bêches et d'outils
pour les travaux de siège198. Guillaume V est toutefois considéré pendant toute la durée de ce contrat
comme un membre à part entière de la Landfriede, avec les mêmes obligations et droits que les
autres membres, et doit à cet effet accepter le démantèlement des fortifications de Gripekoven
décidée par la Landfriede. Ce château est finalement pris peu après le 30 mai 1354, après un siège
de plusieurs semaines. Arnold et Goswin von Zievel, avec leur acolyte Otto von Dreile, sont
condamnés par la Landfriede le 23 juin 1354, au dédommagement des marchands brabançons et
autres voyageurs, mais peuvent cependant conserver leurs biens meubles et ont même droit à une
escorte gratuite pour se retirer en toute sécurité de la forteresse 199. Celle-ci, totalement démolie
conformément à la décision de la Landfriede, est la véritable raison de l'intervention du margrave de
Juliers aux côtés de la Landfriede, bien plus que les exactions de deux frères von Zievel200.
Guillaume V obtient ainsi ce qu'il veut, en neutralisant un château fortifié échappant à son contrôle
bien que situé sur son territoire. Plus tard, son successeur et fils, le duc de Juliers Guillaume II,
s'irritera lui aussi de la politique d'expansion territoriale des ducs de Brabant au sein de son
territoire, et s'unira, tout comme il l'aurait fait en 1353-1354 contre les von Zievel 201, avec le
seigneur de Heinsberg. Mais cette fois, l'alliance sera conclue non pas contre un petit seigneur
féodal, mais contre un des plus puissants seigneurs des Pays-Bas : Wenceslas de Luxembourg.

Le 14 janvier 1358, Wenceslas, qui a succédé à Jean III, révise le traité de la Landfriede d'entre
Meuse et Rhin. Les alliés, toujours les mêmes, obtiennent cette fois de l'empereur Charles IV, frère
de Wenceslas, l'autorisation de mettre au ban de l'Empire les violateurs de la Landfriede202. Mais la
Landfriede, qui doit durer 10 ans, expire en 1361 et n'est pas renouvelée avant 1364. Dans cet
intervalle, un conflit, intéressant à signaler, éclate en 1362 entre Wenceslas et l'archevêque de
Cologne, Guillaume de Gennep, conflit qui aurait provoqué une intervention armée de Wenceslas
contre l'archevêque de Cologne si le duc de Juliers Guillaume II n'avait pas proposé sa médiation.
Les prétextes invoqués par Wenceslas, à savoir l'agression et la spoliations de sujets brabançons 203

197 « ...drinhundert mannen gewapent, rittern ind knechten ». ENNEN, Quellen zur Geschichte der Stadt Köln, t. IV,
Cologne, 1870, doc n° 357.
198 « ...dusent man mit schuppen ind mit spaden ze graven ind zoe zunen ind ander arbeit ze doene. » Ibidem
199 ENNEN, Quellen..., doc n° 361.
200 GLÄSER, op.cit., p. 125-128.
201 Par ailleurs, Arnold ou Arnoul von Zievel est attesté le 9 mai 1371 dans les chartes du Brabant comme détenteur
d'un fief-rente de 30 florins par ans qu'il tient de Wenceslas.
202 ANGERMEIER Heinz, Königtum und Landfriede im deutschen Spätmittelalter, Münich, 1966, p. 232-233 ; LACOMBLET,
III, doc n° 576.
203 Des marchands silésiens ont été également victimes du seigneur de Tomburg, marchands qui sont dédommagé par

38
par un sujet de l'archevêque de Cologne, Konrad von Tomburg, sont semblables à ceux que fera
Wenceslas au duc de Juliers en 1371. L'empereur Charles, s'oppose toutefois à une action militaire
de son frère contre l'archevêque Guillaume, car il serait contraire aux intérêts de la maison de
Luxembourg de se mettre à dos un prince électeur. Ainsi, un « Baesweiler » avant l'heure fut
probablement évité. L'affaire est réglée pacifiquement par l'entremise du duc de Juliers, le 10 juin
1362, lequel renforce par la même occasion ses bons rapports avec Wenceslas204. Ce rapprochement
permet d'envisager la création d'une nouvelle Landfriede intégrant, et cette fois pour de bon, le duc
de Juliers.

C'est Wenceslas qui prend, en 1364, l'initiative de renouveler la Landfriede. La pression de ses
sujets et marchands brabançons, qui commercent régulièrement avec l'Allemagne, en est l'une des
causes205. De plus, conjuguée avec sa politique territoriale outre Meuse et vers le Rhin, une
Landfriede peut se révéler très utile pour légitimer de manière indirecte ses interventions entre
Meuse et Rhin, y consolider ses acquisitions territoriales en luttant contre une petite noblesse
toujours fauteuse de trouble et hostile aux ingérences étrangères, et enfin devenir un levier à son
expansion, en lui fournissant des occasions ou des prétextes d'intervention. En bref, une Landfriede
alimente dans cette région l'expansion du Brabant, consolide ses acquis et légitime davantage son
droit de regard. Surtout, elle offre le moyen au duc de Brabant-Limbourg d'exercer concrètement
son droit de conduit et sa fonction de haut avoué sur la ville d'Aix-la-Chapelle 206, au sein d'une
institution reconnue par les villes et les principaux seigneurs territoriaux de la région et même par le
roi. C'est d'ailleurs avec Aix-la-Chapelle que Wenceslas conclut un traité bilatéral, le 11 avril 1364,
qui forme le noyau de la nouvelle Landfriede, dont on en a perdu le texte 207. Le 11 novembre 1364,
le duc de Juliers Guillaume II rallie la Landfriede208, suivi par la ville de Cologne, le 4 avril 1364 209,
et par le nouvel archevêque de Cologne Englebert de la Marck, le 7 mai 1365210.

la ville et l'archevêque de Cologne en mai 1362, sur demande Charles IV, à qui s'était plaint de l'affaire le duc de
Silésie Bolko.
204ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 99-101. Peu avant cette affaire, le duc de Juliers aide militairement Wenceslas en
octobre 1361 contre les patriciens de Louvain, aide pour laquelle Guillaume II est rétribué de 3600 moutons. QUICKE,
op.cit., p. 69.
205 QUICKE, op.cit., p. 136.
206 Charles IV prête beaucoup d'importance à Aix-la-Chapelle, la ville de Charlemagne et du couronnement des rois de
Germanie. En juillet 1349, pendant son séjour à Aix-la-Chapelle pour son couronnement, l'empereur confirme à la
ville ses privilèges et à Jean III la haute avouerie de la ville. Il désigne aussi le fils et successeur de ce dernier, Henri
de Limbourg, vicaire impérial au nord des Alpes en cas d'absence de l'empereur, fonction qu' Henri n'exercera
jamais, puisqu'il meurt la même année. HAAGEN, op.cit., p. 279-280.
207 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 104.
208 LACOMBLET, III, doc n° 657.
209 ENNEN, Quellen..., doc n° 435.
210 ENNEN, Quellen..., doc n° 437.

39
Mais c'est le traité du 11 novembre 1364 qui jette les bases du fonctionnement de la nouvelle
Landfriede. Comparée avec la celle de 1351, la Landfriede de 1364 possède une organisation
beaucoup plus stricte211, mais s'étale sur une durée plus courte (5 ans) ; elle a toujours pour objectif
de protéger quiconque emprunte les routes passant par les territoires délimités, en particuliers les
pèlerins, les marchands, les voyageurs et les chevaliers, qu'ils soient étrangers ou autochtones. Les
limites géographiques sont grosso modo les mêmes que celles de 1351, mais s'enfoncent cette fois-
ci un peu plus au nord, débordant sur le duché de Gueldre, ce qui déplaît au duc Édouard212. Comme
en 1351, chaque membre fournit un contingent d'hommes d'armes, à cheval et à pied, avec un
effectif maximal pour les grandes opérations et un effectif minimal pour les petites oprérations 213.
Chaque allié délègue désormais 6 jurés, dont 3 sont envoyés une fois par mois pour former le
collège de la Landfriede, qui reçoit les plaintes et a le pouvoir d'activer les contingents mis à sa
disposition quand cela s'avère nécessaire. Les alliés doivent garantir l'indépendance et la sécurité de
ces jurés contre toute tentative de pression ou d'agression 214, et permettre au collège de se réunir en
toute sécurité à Maastricht, Aix-la-Chapelle, Düren et Cologne, ou en tout autre lieu que le collège
aura désigné.

Toutefois, en dépit d'une bonne organisation interne et d'un fonctionnement efficace contre
l'insécurité, la Landfriede dépend toujours de la bonne entente de ses principaux membres, en
particuliers entre le duc de Brabant, le duc de Juliers et l'archevêque de Cologne. Si cette entente est
mauvaise, la Landfriede se trouve du coup menacée. En 1371, la Landfriede ne survivra pas au
conflit entre le duc de Juliers et le duc de Brabant et s'effondrera après la défaite et la capture de
Wenceslas. Aussi, le rôle prédominant que ce dernier tente d'occuper au sein de la Landfriede,
depuis 1364, est un facteur de déséquilibre, qui est sans doute la raison pour laquelle les rapports
entre Wenceslas et Guillaume II, pourtant bons depuis 1361, s'assombrissent de plus en plus dès
1365. Wenceslas est d'autant plus tenté d'agir ainsi qu'il est le frère de l'empereur. Le vicariat
impérial qu'il exerce à partir du mois d'octobre 1366 renforce encore cette prétention. Pourtant, le
seul cas où Wenceslas parvient réellement à récolter des bénéfices concrets de la Landfriede est le

211 ANGERMEIER, op.cit., p. 232.


212 Le périmètre a pour point de départ de Breisig, et passe par Münstereifel, Saint-Vith, Stavelot, Aywaille, puis longe
l'Amblève jusqu'à son confluent avec l'Ourthe, longe l'Ourthe jusqu'à son confluent avec la Meuse à Liège, longe la
Meuse en aval jusque Kessel, de là jusque Geldern, puis de là jusqu'au Rhin, qu'il remonte en amont vers Neuss puis
jusque Breisig. ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 112. LACOMBLET, III, doc n°657.
213 Le duc de Brabant, le duc de Juliers et l'archevêque de Cologne fournissent chacun 400 hommes d'armes à cheval
pour les grandes opérations et 40 pour les petites opérations. La ville de Cologne s'engage avec 120 hommes d'armes
montés et 120 fantassins pour les besessen in reysen et 30 hommes d'armes montés pour les deegelixen criegen
tandis qu'Aix-la-Chapelle s'engage respectivement avec 100 hommes d'armes montés et 100 fantassins dans le
premier cas et 20 fantassins dans l'autre cas.
214 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 109-124.

40
conflit qui survient entre lui et Waleran de Born, en 1365, pour la possession de Fauquemont. mais
là encore, avec l'appui de son frère Charles IV. Celui-ci ordonne que les jurés de la Landfriede
tranchent la question, ce qu'ils font en faveur de Wenceslas, le 19 juillet 1365. Ce jugement de la
Landfriede confirme définitivement les droits et la possession du comté de Fauquemont 215 à
Wenceslas, au détriment de Waleran de Born et du duc de Juliers. Waleran refuse de céder et campe
sur ses positions jusqu'à sa mort, en 1378, tandis que le duc de Juliers, qui lui aussi a des visées sur
Fauquemont, se sent lésé à la fois par l'empereur et par la Landfriede216. C'est peut-être alors que
Guillaume II réalisa que le duc Wenceslas, plutôt que d'être un allié, était surtout un danger
potentiel pour lui.

La construction d'un bloc luxembourgeois à l'ouest de l'Empire, du haut Rhin jusqu'à la mer en
passant par l'Alsace et le Luxembourg, que dessinent quasiment à partir du mois d'octobre 1366, à
Nuremberg, Charles IV et Wenceslas, renforcent encore plus cette conviction que Wenceslas est un
allié et un voisin dangereux. Un premier différend, assez obscur, survient déjà au sein de la
Landfriede en 1367, entre Guillaume II et Wenceslas, et se termine par un arrangement à l'amiable
le 15 novembre 1367 grâce l'intervention des villes de Cologne et d'Aix-la-Chapelle, qui craignent
de voir éclater un conflit menaçant leurs intérêts commerciaux et la paix régionale 217. L'archevêque
de Cologne quitte la Landfriede aux alentours de l'année 1368, probablement à cause de la mort
d'Englebert de la Marck et de son coadjuteur, qui administre dès lors l'Eglise de Cologne 218.
L'absence de l'archevêque de Cologne déséquilibre davantage la Landfriede et oppose plus que
jamais le duc de Juliers et le duc de Brabant. Le conflit de Wenceslas avec le seigneur de Heinsberg
Godefroid, à partir de 1368, grignote de plus en plus la paix entre ces deux princes. Cependant,
malgré toutes ces failles, les activités normales de la Landfriede se poursuivent et celle-ci est même
renouvelée pour cinq ans, le 1er septembre 1369, entre Wenceslas, Guillaume II, Cologne et Aix-la-
Chapelle219. Le renouvellement de la Landfriede est suivi le 5 décembre de la même année par le
ralliement de la chevalerie du Limbourg 220, ce qui constitue pour Wenceslas un succès personnel en
215 La seigneurie de Fauquemont a été érigée en comté par Charles IV le 25 décembre 1356, à l'époque où Guillaume
V de Juliers avait racheté les droits sur Fauquemont., LAURENT, QUICKE, op.cit., p. 169-172.
216 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 141-142. Guillaume II continue d'ailleurs toujours à s'intituler dans les actes
diplomatiques « greve zu Valkenburch ». cf. LACOMBLET, III, n° 692 et 693 (1369) ainsi que n° 713 (1371).
217 Idem, p. 223-224. QUICKE, op.cit., p. 179.
218 Cunon de Falkenstein, archevêque de Trêves est hostile à la maison de Luxembourg et il hors de question pour lui
de maintenir l'archevêché de Cologne au sein d'une Landfriede qu'il juge trop dominée par le frère de Charles IV. Il
est de surcroît en conflit avec le duc de Juliers à propos de Zülpich et avec la ville de Cologne, qui s'allie avec
Guillaume II en septembre 1369. ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 225. ANGERMEIER, op.cit., p. 232.
219
220 Les ducs Guillaume et Wenceslas s'étaient engagés, dès 1364, à rallier leurs villes et leurs vassaux à la Landfriede.
Plus de 60 seigneurs limbourgeois , presque tous chevaliers, rallient la Landfriede. FREIIN von COELS von der
BRÜGGHEN Luise, « Der beitritt der Ritterschaft des Herzogtums Limburg zum Landfrieden zwischen Maas und
Rhein in 1369 », in Zeitschrift des Aachener Geschichtsvereins, t. 62, 1949, p. 77-78 ; ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p.

41
même temps qu'un poids supplémentaire en sa faveur sur la balance déséquilibrée de la Landfriede.

Globalement, la Landfriede entre Meuse et Rhin de 1364 est un succès qui tend, sous l'effet des
dissensions de ses principaux membres, les princes plutôt que les villes, à se transformer en échec.
Le duc de Juliers, dans la première moitié des années 1360, se rapproche de Wenceslas, mais la
politique territoriale de celui-ci et son poids jugé trop lourd dans la Landfriede, principalement en
raison de sa politique luxembourgeoise et de ses liens fraternels avec l'empereur érodent, lentement
mais sûrement, les relations entre Wenceslas et le Juliers. Si les seigneurs limbourgeois rallient la
Landfriede en 1369, il n'en va pas de même dans le Juliers, où les petits seigneurs rhénans et
vassaux de Guillaume II sont moins enclins à vouloir faire respecter une paix qui est considérée
comme une intrusion des villes et d'un prince étranger, et qui menace, en outre, une source de
revenus occasionnelle par la rapine221. Dans les faits, Wenceslas ne joue aucun rôle institutionnel
prédominant dans la Landfriede, mais acquiert, de par un prestige familial (frère de Charles IV) et
impérial (vicaire impérial, droit de lever la bannière impériale) et de par sa position territoriale
importante (duc de Brabant, Limbourg et Luxembourg222) un poids que le duc de Juliers ne possède
pas. Une telle conjoncture génère dans la Landfriede, institution de paix censée assurer la paix, une
situation conflictuelle qui aboutit finalement au bord de la guerre. Il ne manque plus qu'un
déclencheur.

242-246.
221 QUICKE, op.cit., p. 179.
222 Sans parler de toutes les possessions et seigneuries outre Meuse : Fauquemont, Kerpen, Wassenberg, etc...

42
Partie II : La guerre contre le Juliers et la bataille de Baesweiler.

1) Les sources narratives et la bataille de Baesweiler.

La guerre contre le Juliers et la Gueldre, en 1371, n'est pas le conflit le plus connu qui soit.
Pourtant, ce qui frappe de prime abord lorsqu'on aborde cette guerre, c'est la quantité des sources
narratives qui parlent de la guerre de Wenceslas contre Guillaume de Juliers et sa défaite à
Baesweiler. Pour expliquer la résonance de cet évènement dans de nombreuses chroniques et
annales, il suffit de rappeler la situation politique et familiale de Wenceslas déjà exposée dans la
première partie de ce travail. Cette défaite doit en outre surprendre l'Europe de 1371. En une
journée, voire en quelques heures, un prince de haut rang se fait capturer avec toute son armée par
un ennemi qui est inférieur en nombre, tandis que le duc de Gueldre est mortellement blessé. La
géopolitique du bas Rhin, de l'Empire, des Pays-Bas et de la guerre de Cent Ans en seront
grandement affectées.

Les chroniques et les annales qui traitent de Baesweiler peuvent être réparties géographiquement et
chronologiquement. D'un point de chronologique, il y a d'abord les sources contemporaines ou
chronologiquement proches, suivies ensuite par les sources du XVe siècles. D'un point de vue
géographique, on trouve mention de Baesweiler dans des sources liégeoises, hennuyères,
brabançonnes, flamandes, rhénanes, gueldroises, françaises et dans une chronique anglaise,
autrement dit plus ou moins entre la Meuse et le Rhin et jusqu'en Angleterre 223. Elles ne sont pas,
bien entendu, toutes d'une égale qualité. Certaines sont plus fiables que d'autres et il faut prendre en
compte non seulement la distance chronologique, qui les sépare de la bataille de Baesweiler, mais
aussi les emprunts que l'une peut effectuer à l'autre. Le Gueldrois Willem van Berchen, qui écrit
vers 1470-1480, intègre quasiment en entier et mot pour mot dans sa chronique le passage de la
Kölner Weltchronik qui traite de la bataille de Baesweiler. D'une manière générale, il faut se méfier
de la multitude des sources narratives qui traitent de la chevauchée de Juliers et de la bataille de
Baesweiler. Il vaut mieux tenter de sélectionner les meilleures sources narratives pour décrypter cet
évènement, ce qui est plus fructueux que de se perdre dans les méandres d'un labyrinthe heuristique
cacophonique. Pour la bataille en elle-même, les chroniqueurs contemporains ou proches dans le

223 On peut trouver une liste brève mais non exhaustive de ces chroniques dans QUICKE, op.cit., p. 185.

43
temps de Baesweiler seront mis à contribution en priorité, même si certains chroniqueurs plus
éloignés sont susceptibles d'apporter quelques éléments utiles. Froissart est évidemment
indispensable et c'est lui qui, bien souvent, se retrouve aux premières loges pour décrire la
chevauchée de Juliers dans les travaux qui traitent de Baesweiler224. Toutefois, il présente des
défauts qu'il faut compenser par des éléments issus d'autres chroniques, telle la Chronographia
regum Francorum, trop souvent négligée. Celle-ci sera considérée, ici, comme une source
contemporaine ou proche de Baesweiler, car elle a été compilée entre 1415 et 1429 par un moine de
la célèbre abbaye de Saint-Denis sur base de documents antérieurs.

a) Froissart

Jean Froissart (1337-1404) est le plus connu des chroniqueurs du XIVe siècle mais il pose pour la
bataille de Baesweiler le problème de critique historique suivant : il connait personnellement
Wenceslas ainsi que d'autres protagonistes « brabançons » de la bataille tels que Robert de Namur
ou Gérard d'Obies. C'est un avantage dans la mesure où il a sûrement entendu de la bouche même
de ces protagonistes les récits de la guerre contre le Juliers et de la bataille de Baesweiler. C'est un
désavantage car on est en droit de se demander dans quelle mesure Froissart ne redore pas le rôle
joué par Wenceslas et son armée lorsqu'on sait que Wenceslas et Jeanne de Brabant accueillent,
soutiennent et protègent le chroniqueur hennuyer depuis 1369 et que c'est Robert de Namur qui lui
commande le premier livre de ses célèbres chroniques, rédigé entre 1369 et 1373. Il n'en reste pas
moins que Froissart nous livre un des récits les plus détaillé des causes de la guerre contre le duc de
Juliers et le duc de Gueldre et constitue donc un récit irremplaçable même si le chroniqueur occupe
pour la critique historique une posture ambiguë225. Il ne faut jamais non plus perdre de vue que
Froissart est un chroniqueur et non un historien. Son objectif est de présenter un tableau de la
chevalerie et de la noblesse ainsi que d'en narrer les faits d'armes. Il est donc pour cela l'un des
grands témoins de la mentalité chevaleresque et aristocratique du XIVe siècle avec Geoffroy de
Charny226.

La guerre de Juliers, en 1371, est aussi la guerre contre la Gueldre et c'est la raison pour laquelle
Froissart aborde Baesweiler. Le récit de cette bataille se situe au troisième livre de ses chroniques,

224 ENNEN Leonard, Geschichte der Stadt Köln, vol. 2, Cologne, 1865, p. 648-655. ; OIDTMANN Heinrich, Die Schlacht
bei Baesweiler, Geilenkirchen, 1905 ; ZIMMERMAN Karl, « Die Schlacht bei Baesweiler am 22. August 1371 », in
Rheinische Vierteljahrsblätter, t. 11, 1941, p. 270-277 ; JAHN Ralf G., « Die Schlacht bei Baesweiler 1371 », in
Geldrische Heimatkalender, 1997, p. 234-255.
225 FROISSART, XIII, p. 1-28.
226 MUHLBERGER Steven, Deeds of Arms, Highland Village (USA), The Chivalry Bookshelf, 2005, p. 6-8.

44
qu'il rédige entre 1388 et 1390227, et dans lequel il traite, notamment, de la campagne de Charles VI
contre le duc de Gueldre Guillaume, le fils de Guillaume II, duc de Juliers. Le récit de Froissart de
la bataille de Baesweiler, de 17 à 19 ans postérieur à celle-ci, fait donc partie d'un récit introductif
plus large qui permet de comprendre les événements de l'année 1388. Froissart doit expliquer le
conflit entre Brabançons et Gueldrois pour expliquer l'intervention de Charles VI en Gueldre, en
1388, et il ne peut l'expliquer s'il n'évoque pas Baesweiler avec la mort du duc de Gueldre Édouard
et l'accession au duché de Gueldre du fils de Guillaume II de Juliers, convenue lors de la paix d'Aix-
la-Chapelle qui met fin à la guerre de Juliers en juin 1372. Pour Froissart, la guerre de Juliers, en
1371, est finalement un sous-chapitre de la Guerre de Cent Ans et les ducs de Gueldre et de Juliers
sont avant tout des alliés de l'Angleterre.

Froissart montre peu d'intérêts à la tactique, à la stratégie et aux intrigues diplomatiques 228 et cela se
confirme avec la bataille de Baesweiler. Il dépeint dans celle-ci de nombreux détails très utiles mais
qui sont le fruit de récits oraux qu'il a dû récolter de la bouche même de personnages ayant participé
à la chevauchée : Wenceslas lui-même, mais aussi Robert de Namur et Gérard d'Obies, le prévôt de
Binche et un des quatre écuyers de Wenceslas à Baesweiler 229. C'est ce qui fait à la fois sa force et
sa faiblesse. À lire Froissart, on a l'impression d'assister à la chevauchée de Juliers et à la bataille de
Baesweiler depuis un point de vue subjectif, comme si on était sur place. On possède ainsi
beaucoup de détails sur le déroulement des opérations du côté brabançon, mais quasiment rien du
côté allemand. On se situe avec Froissart dans la posture mentale d'un combattant de l'armée de
Wenceslas, qui ne saurait presque rien des intentions et des mouvements du camp adverse. C'est
pourquoi Froissart est indispensable mais ne suffit pas.

b) La Chronographia regum Francorum

La Chronographia regum Francorum230 pourrait être considérée comme une source française du
XVe siècle parce qu'elle est compilée à Saint-Denis entre 1415 et 1422. Cependant, elle utilise pour

227 MOLINIER Auguste, Les sources de l'histoire de France : des origines aux guerres d'Italie, t. IV, Paris, Picard et fils,
1904, p. 12. Il se trouve au 13e tome de l'édition de Froissart par Kervyn de Lettenhove. JEAN FROISSART, Oeuvres de
Froissart, ed. par KERVYN DE LETTENHOVE, tome XIII, réimpression de l'édition de 1867-1877, Osnabrück, Biblio
Verlag, 1967, pages 1-28.
228 BOFFA Sergio, « Froissart », in The Oxford Encyclopedia of Medieval Warfare and Military Technology, New York,
Oxford University Press, 2010, p. 140.
229 « ...Pour ce jour il avoit auprès de luy jusques à quatre escuiers de grant voulenté et bien tailliés de servir ung
hault prince et à estre près de luy, car ils avoient veu de grans fais d'armes plusieurs et se estoient retrouvés en
plusieurs besoignes arrestées. Ce furent Jehan de Walton, Bauduin de Beaufort, Gérard du Biés et Roland de
Coulogne ». FROISSART, XIII, p. 22.
230 Chronographia regum Francorum, ed. par H. MORANVILLÉ, 3 volumes, Paris, 1891-1897.

45
sa compilation des documents antérieurs qui sont peut-être contemporains de la bataille de
Baesweiler et qui ne sont peut-être pas non plus français. C'est pourquoi elle sera considérée dans ce
travail comme une source contemporaine au même titre que Froissart ou Raoul de Rivo. Cette
source est aussi connue comme la Chronique latine anonyme de Berne, éditée de manière
fragmentaire par Kervyn de Lettenhove231, avant que Moranvillé n'en fasse une édition complète
pour la Société de l'Histoire de France dans les années 1890. La Chronographia est une histoire des
rois de France, abrégée jusqu'en 1270 et détaillée de 1270 à 1405 232. Elle est compilée par un moine
de l'abbaye de Saint-Denis entre 1415 et 1422. Il utilise, pour ce faire, plusieurs sources en français,
telles la Chronique normande et l'Ancienne chronique de Flandre233, que le moine retranscrit de
manière résumée et abrégée dans sa chronique234. Il utilise également des textes conservés dans
l'abbaye de Saint-Denis, difficilement identifiables dans la Chronographia. Le moine de Saint-
Denis puise aussi certainement dans son expérience personnelle, au moins pour ce qui concerne le
règne de Charles VI. Il n'est pas exclu que ce soit également le cas pour une partie du règne de
Charles V.

La Chronographia est considérée, par Léon Mirot, comme l'une de ses meilleures sources dans son
travail sur les insurrections urbaines sous Charles VI 235. Il trouve dans la Chronographia des détails
qu'il ne trouve pas ailleurs et qui sont corroborés par les sources diplomatiques 236. Elle constitue
aussi pour la bataille de Courtrai (1302) l'une des meilleures sources, décrivant la bataille de
manière fort exacte237. C'est le cas également pour la bataille de Crécy (1346), où elle donne pour
les arbalétriers génois, au service du roi de France, le chiffre plus vraisemblable de 2000 hommes
au lieu des 15 000 de Froissart ou des 6000 de Villani 238. En ce qui concerne Baesweiler, elle est la
seule à parler du franchissement de la Wurm, l'affluent de la Roer qui sépare le Limbourg du Juliers,
et situe l'emplacement de Baesweiler, qu'elle ne cite pourtant pas, à 4 lieues de la Wurm, soit 9 km,
ce qui est en effet une distance exacte.

231 Chronique anonyme conservée dans la bibliothèque de la ville de Berne, ed. par KERVYN DE LETTENHOVE, in Istore et
croniques de Flandre, tome II, Bruxelles, 1880, p. 439-533.
232 MOLINIER Auguste, Les sources de l'histoire de France : des origines aux guerres d'Italie, tome IV : Les Valois,
1328-1461, Paris, Picard et fils, 1904, p. 25.
233 La récit de la bataille Baesweiler n'est pas issue de ces deux chroniques. La provenance est donc toujours inconnue.
234 PIRENNE Henri, « L'Ancienne chronique de Flandre et la Chronographia regum Francorum », in Bulletins de la
Commission royale d'Histoire, 5e série, t. VIII, 1898, p. 199-208 ; LUCAS Henry S., « The sources and litterature on
Jacob van Artevelde », in Speculum, vol. 8 (n° 2), avril 1933, p. 125-130.
235 MIROT Léon, Les insurrections urbaines au début du règne de Charles VI (1380-1383) : leurs causes, leurs
conséquences, Paris, Albert Fontemoing, 1905.
236 Idem, p. IX-X.
237 FUNCK-BRENTANO Frantz, Mémoire sur la bataille de Courtrai et les chroniqueurs qui en ont traité pour servir à
l'histoire de Philippe le Bel, Paris, Imprimerie Nationale, 1891, p. 64-65.
238 Chronographia regum Francorum, II, p. 231.

46
Cependant, la Chronographia peut comporter des erreurs, qui sont dues, probablement, à la
compilation du moine de Saint-Denis, qui résume et abrège ses sources, pour les intégrer à sa
compilation et commet, ce faisant, des erreurs de distractions, de lecture ou d'interprétation . Ainsi
la date fournie pour la bataille de Baesweiler est située dans la Chronographia le jour de
l'Assomption, soit le vendredi 15 août, alors qu'elle a lieu une semaine plus tard, le vendredi 22
août. On trouve aussi des erreurs quant aux effectifs présents. On sent, dans la Chronographia, un
récit abrégé, qui devait sûrement se baser sur un compte rendu plus fourni et plus détaillé de la
bataille de Baesweiler, et qui se trouve en même temps altéré par le résumé et la traduction latine
que le moine de Saint-Denis en fait.

c) Sources liégeoises

La bataille de Baesweiler fait aussi l'objet d'un récit ou d'une notice chez les chroniqueurs liégeois
du XIVe et du XVe siècle. Parmi ceux qui sont contemporains de Baesweiler, on trouve bien
entendu Jean d'Outremeuse, Raoul de Rivo et Mathias de Lewis. Chronologiquement, l'auteur
anonyme de la Chronique liégeoise de 1402 les suit, suivi par Jean de Stavelot dans la première
moitié du XVe siècle et enfin Zantfliet au milieu de ce siècle 239. Mathias de Lewis, Raoul de Rivo et
Jean d'Outremeuse fournissent un récit condensé de la bataille de Baesweiler et de la chevauchée de
Juliers. Jean d'Outremeuse et Mathias de Lewis ne citent pas les causes du conflit tandis que Raoul
de Rivo en parle. Mathias de Lewis est le seul par contre à fournir une explication de la défaite de
Wenceslas en citant son manque de vigilance et sa trop grande confiance en Robert de Namur et
Lambert d'Oupeye. Les premiers souvenirs personnels de l'auteur de la Chronique liégeoise de 1402
remontent à 1374 et ne sera donc pas ici considéré comme un contemporain, bien qu'il ne soit pas
très éloigné de l'époque Baesweiler. Il s'aide probablement, pour son récit, d'une source inconnue
dans laquelle Raoul de Rivo et Jean de Stavelot puisent également 240 et s'inspire visiblement de
Mathias de Lewis pour la bataille de Baesweiler.

Jean de Stavelot n'apporte pas grand chose par rapport aux précédents. Zantfliet est plus prolixe
mais il est difficile de déterminer d'où proviennent les détails et les anecdotes sur la bataille de

239 JEAN D'OUTREMEUSE, Chronique abrégée, ed. par S. BALAU et E. FAIRON, in Chroniques liégeoises, t. II, Bruxelles,
1931, p. 194-195 ; RAOUL DE RIVO, Gesta pontificum Leodiensum ab anno tertio Engleberti de Marca usque Joannem
a Bavaria, ed. par CHAPEAVILLE, in Gesta pontificum Leodiensium, t. III, Liège, 1616, p. 18 ; MATHIAS DE LEWIS,
Chronicon Leodiense, ed. par S. BORMANS , Liège, Grandmont-Donders, 1865, p. 124-125 ; Chronique liégeoise de
1402, ed. par E.BACHA, Bruxelles, Kiessling, 1900, p. 356-358 ; JEAN DE STAVELOT, Chronique latine, ed. par S. BALAU
et E. FAIRON, Bruxelles, 1913, p. 70-72 ; CORNELIUS DE ZANTFLIET, Chronicon, ed. par A.MARTÈNE ET U.DURAND, in
Amplissima collectio, t.V, col. 296-299.
240 BALAU Sylvain, Les sources de l'histoire de Liège au Moyen Age, Bruxelles, Lamertin, 1903, p. 537-538.

47
Baesweiler et la captivité du duc à Niedeggen qui n'apparaissent pas chez ses prédécesseurs
liégeois. L'origine de ce ces ajouts pourrait être simplement Jean d'Outremeuse 241, mais dans une
oeuvre plus détaillée et plus fournie que la Chronique abrégée. Zantfliet mentionne, en effet, la
capture du duc de Juliers par Guillaume de Hamal. Or, la seule autre mention de Guillaume de
Hamal que l'on trouve ailleurs est justement dans la Chronique abrégée, dans laquelle Jean
d'Outremeuse affirme que Guillaume de Hamal a été tué à Baesweiler.

d) Sources brabançonnes

Les sources narratives brabançonnes apparaissent tardivement, en ce qui nous concerne, et sont
toutes postérieurs à 1400. Il faut citer principalement Hennen van Merchtenen, le continuateur
anonyme des livres VI et VII des Brabantsche Yeesten de Jean van Boendale et le célèbre Edmond
de Dynter. La Cornicke van Brabant de Hennen van Merchtenen242, rimée et achevée en 1414243,
n'évoque que très brièvement la bataille de Baesweiler. Celle-ci sert d'ailleurs surtout de prétexte à
une louange de Wenceslas244. Le récit rimé du continuateur anonyme des Brabantsche Yeesten est au
contraire beaucoup plus fourni245. Il y traite de la bataille de Baesweiler dans le livre VI, qu'il
termine en décembre 1432246. Malheureusement, la quantité des vers ne rachète pas la pauvreté du
récit. La bataille de Baesweiler y est certes narrée avec poésie mais aussi avec fantaisie et n'est pas
de grand secours pour une approche réaliste du combat. Le récit présente le combat selon les plus
pures traditions chevaleresques et est cadencé par de nombreux topoï littéraires : le lieu de la
bataille est fixé à l'avance, le duc de Gueldre est tué dès le début mais sa mort est tenue secrète, le
duc de Juliers est capturé par Jean van Diedegem puis libéré sur parole 247. Le Chronicon ducum
Brabantiae d'Edmond de Dynter248 complète surtout le récit des Brabantsche Yeesten en se
focalisant sur les causes de la bataille de Baesweiler que le continuateur anonyme de Jean van
Boendale néglige quasiment. Edmond de Dynter écrit en latin et retranscrit des diplômes et des
chartes concernant la libération de Wenceslas par son frère Charles IV, chose très utile. On trouve
également une description de la bataille de Baesweiler dans une chronique des ducs de Brabant d'un
moine d'Afflighem, Walter Bosch, à la fin du XVe siècle. Celui-ci retranscrit juste le passage rimé

241 Idem, p. 613-615.


242 HENNEN VAN MERCHTENEN, Cornicke van Brabant, ed. par G.GEZELLE, Gand, 1896, p. 136-137.
243 NÉLIS H., « Hennen van Merchtenen, auteur de la Cornicke van Brabant », in RBPH, t.7 ( fas. 3), 1928, p. 1035.
244 VAN OETEREN, op.cit., p. 23.
245 De Brabantsche Yeesten of rymkroniek van Braband, ed. par J.F.WILLEMS et J.H.BORMANS, t. 2, Bruxelles, 1845, p.
196-224.
246 NÉLIS H., « La chronique d'Edmond de Dynter et la continuation des Brabantsche Yeesten », in BCRH, t.76, 1907, p.
573-574.
247 BOFFA, op.cit., p. 65.
248 EDMOND DE DYNTER, Chronicon ducum Brabantiae, ed. par P.F.X. DE RAM, t.III, Bruxelles, 1857, p. 60-82.

48
des Brabantsche Yeesten en prose249.

e) Sources rhénanes

Parmi les chroniques rhénanes, citons la plus importante pour Baesweiler : la Limburger Chronik250.
Son auteur, Tilemann Elhen von Wolfhagen, était clerc dans la ville de Limburg-an-der-Lahn et sa
chronique couvre la période de 1347 à 1402251. Ehlen von Wolfhagen fait preuve d'une grande
honnêteté et se contente de rapporter ce qu'il a vu ou ce qu'il a entendu sans en rajouter outre-
mesure. Il tire vraisemblablement son récit sur la bataille de Baesweiler de seigneurs et de
combattants de sa région ayant pris part eux-mêmes à ce combat comme il le sous-entend lui-
même252.

La Kölner Weltchronik, qui s'arrête en 1376, a été rédigée probablement peu après la mort de
l'empereur Charles IV et au moins avant le décès de l'archevêque de Cologne Frédéric de
Saarwerden (1414). Elle présente un récit de la guerre de Juliers et de ses causes, bref mais sérieux.
Les chiffres qu'elle donne pour les pertes de la bataille de Baesweiler sont probablement les plus
fiables253.

La Cronica van der hilliger Stat van Coellen de Johann Koelhoff254, imprimée en 1499, est le travail
qu'utilisent Zimmermann et Jahn255, conjointement avec Froissart, dans leurs articles respectifs sur
Baesweiler. Toutefois ce n'est pas la meilleure source qui soit pour approcher cet évènement. Cette
chronique reprend pratiquement en entier la Gelderse Kroniek du Gueldrois Willem van Berchen,
en tout cas pour Baesweiler. Le jésuite Werner Titianus ne procède pas autrement avec les Annales

249 Anonymi sed veteris et fidi chronicon ducum Brabantiae ab ipsis gentis initiis usque ad ann. 1485, ed. par
A.MATTHAEUS, Leiden, 1707, p. 97-100. BAYOT A., CAUCHIE A., « Les chroniques brabançonnes », in BCRH, t. 10,
1900, p. XXXVII-XCIII.
250 TILEMANN ELHEN VON WOLFHAGEN, Die Limburger Chronik, ed. par A.WYSS, in MGH, Scriptora qui vernacula lingua
usi sunt, t. 4, Hannover, 1883, p. 60.
251 GOEBEL Julius, « Poetry in the Limburger Chronik », in the American Journal of Philology, t. 8 (2), 1887, p. 162-
163.
252 « Unde waren uf des siten vil unser landesherren uf der Lane, mit namen grebe Johann von Nassauwe herre zu
Dillenberg, grebe Rupracht von Nassauwe, grebe Eberhart von Catzenelnbogen, der grebe von Wede unde jungher
Frederich herre zu Ronkeln unde ander herren, der ich nit gennenen kan, unde huben an den strit gar
vigentlichen. » Ibidem.
253 Die Kölner Weltchronik, ed. par R.SPRANDEL, in MGH, SS rer. Germ. N.S., t. 15, München, 1991, p. 112-114.
254 JOHANN KOELHOFF, Cronica van der hilliger Stat van Coellen, ed. par CARDAUNS in Chroniken der niederrheinische
Städte, t. 14, Leipzig, Verlag von Hirzel, 1877, p. 702-705.
255 ZIMMERMAN Karl, « Die Schlacht bei Baesweiler am 22, August 1371 », in Rheinische Vierteljahrsblätter, t. 11,
1941, p. 270-277 ; JAHN Ralf G., « Die Schlacht bei Baesweiler 1371 », Geldrischer Heimatkalender, 1997, p. 234-
255. Jahn résume en fait l'article de Zimmerman pour l'intégrer dans un contexte plus vaste de la Gueldre, avant et
après l'époque de Baesweiler.

49
Novesienses256 qu'il termine à la fin du XVIe siècle : il recopie pratiquement, lui aussi, la Gelderse
Kroniek.

f) Source gueldroise

Il faut aussi signaler le gueldrois Willem van Berchen, qui écrit vers 1460-1480. Le début et la fin
du récit de la bataille de Baesweiler, que l'on trouve dans la Gelderse Kroniek, sont copiés mot pour
mot sur la Kölner Weltchronik257. Il insère entre ces deux passages retranscrits un récit plus original
et mettant en valeur le rôle des Gueldrois lors de la bataille qui est probablement de lui. Son récit
sera copié au moins par Johann Koelhoff et Werner Titianus au XVe et XVIe siècle.

g) Sources flamandes et françaises

Parmi les sources françaises, la Chronique des 4 premiers Valois présente le récit le plus long mais
le plus fantaisiste et le moins sérieux de la bataille de Baesweiler. Les faits tels qu'il les présente
sont complètement déformés pour ne pas dire romancés. L'auteur est un clerc normand du XIVe
siècle qui doit avoir obtenu des informations détaillées de la bataille, qu'il déforme peut-être lui-
même ou qu'il a mal comprises. Il est le seul, par exemple, en dehors de la Limburger Chronik à
citer un « comte de Nazo », bien qu'il y eut, à Baesweiler, deux comtes de Nassau. Son récit est
parsemé de détails similaires, mais tellement enchâssés dans une tournure déformée et
invraisemblable, qu'il est hautement risqué de vouloir y démêler le vrai du faux 258. On trouve
également un compte rendu de la bataille de Baesweiler dans les célèbres Grandes Chroniques de
France259 ainsi que chez Jean de Noyal260. Parmi les sources flamandes, on trouvera un récit avec
diverses variantes dans la Chronique de Flandre abrégée du XIVe siècle261.

Enfin, il existe une foule d'autres sources narratives qui mentionnent la bataille de Baesweiler et la
guerre de Juliers et qui se contentent simplement de citer la capture du duc Wenceslas et la mort du
duc de Gueldre. On peut ainsi trouver mention de Baesweiler dans les annales de Saint-Jacques de

256 WERNERUS TITIANUS, Annales Noveienses, ed. par MARTÈNE et DURAND, in Amplissima collectio, t. IV, col. 589-591.
257 WILLEM VAN BERCHEN, De Gelderse Kroniek, ed. par A.J.DE MOOY, Arnhem, 1950, p. 16-18.
258 Chronique des quatre premiers Valois (1327-1393),ed. par S. LUCE, Paris, 1862, p. 215-220.
259 Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, ed. par R. DELACHENAL, Paris, 1916, p. 158-159.
260 JEAN DE NOYAL, Fragments inédits, publiés et édités par A. MOLINIER, in Bulletin de la Société de l'Histoire de
France, 1883, n° 2, p. 267.
261 Fragments de la Chronique de Flandre abrégée, ed. par KERVYN DE LETTENHOVE, in Istores et croniques de Flandres,
t. II, Bruxelles, 1880, p. 117.

50
Liège, de Floreffe, de Fosses et de Mousson 262, ainsi que dans la chronique de Mayence, la
chronique universelle du moine Albert, la chronique de Levold von Northof ou encore dans une
chronique anglaise, l'Anonimalle Chronicle263.

262 Annales sancti Jacobi Leodiensis, ed. G.H. PERTZ, in MGH, SS, t. 16, Hannover, 1859, p. 645 ; Annales
Floreffienses, ed. par G.H. PERTZ, in MGH, SS, t. 16, Hannover, 1859, p. 629-630 ; Annales Fossenses, ed. par G.H.
PERTZ, in MGH, SS, t. 4, Hannover, 1841, p. 35 ; Annales Mosogamenses, ed. par G.H. PERTZ, in MGH, SS, t. 3,
Hannover, 1839, p. 166. Les annales de Fosses ajoutent juste après la capture de Wenceslas un détail qui a du
décevoir les amateurs de vin en 1371 : « Et hoc anno fuit parum vini, adeo ut maxima pars hominum biberet multas
cerevisias et medones ».
263 Chronicon Moguntinum, ed. par C. HEGEL, in MGH, SS rer. Germ., t. 20, Hannover, 1885, p. 29 ; Die Weltchronik
des Mönchs Albert 1273/77- 1454/56, ed. par R. SPRANDEL, in SS rer. Germ. N.S., t. 17, München,1994, p. 302 ; Die
Chronik der Grafen von der Mark von Levold von Northof, ed. par F. ZSCHAECK, in MGH, SS rer. Germ. N.S., t. 6,
Berlin, 1929, p. 302 ; Anonimalle Chronicle 1333 to 1381, ed. V.H. GALBRAITH, Manchester, The University Press,
1927, p. 73.

51
2) La guerre contre Godefroid de Heinsberg et la guerre de Juliers.

Avant que Wenceslas ne soit en guerre contre le duc de Juliers, il était déjà en guerre contre
Godefroid III de Heinsberg, vassal et beau-frère de Guillaume II 264, guerre qui se déroule dans le
cadre de la Landfriede, avec l'aide militaire de Cologne. La pomme de discorde entre Wenceslas et
Godefroid n'est autre que la terre de Wassenberg. Cette terre, située sur la frontière sud du duché de
Gueldre, appartient aux ducs de Brabant-Limbourg depuis 1288 et c'est Jean II qui l'engage en 1310
au voisin de Wassenberg, le seigneur de Heinsberg Godefroid II 265. Wassenberg est un bourg,
protégé par des fossés et un château qui domine la vallée de Roer et la plaine environnante, d'où il
est aisé de contrôler les villages voisins, qui dépendent de Wassenberg, ainsi qu'un important
tonlieu. Les successeurs de Godefroid II augmentèrent leur droit de seigneur engagiste pareillement
sous Jean III mais ils commettent de nombreux excès, en levant des tailles et des aides illégales
ainsi qu'en exerçant abusivement leur droit de coupe du bois dans les forêts domaniales 266. En 1356,
Wenceslas et Jeanne s'engagent par l'article 4 de la Joyeuse Entrée à réunir de nouveau la terre de
Wassenberg au Brabant267, ce que Wenceslas parvient à réaliser en 1368, sans frais certes, mais pas
sans peine et sans dangers.

Godefroid III de Heinsberg baigne à cette époque dans de graves difficultés politiques et
financières. En 1361, lorsque son oncle et comte de Looz Thierry de Heinsberg décède, il espère lui
succéder dans ce comté mais, dès le 5 avril 1361, l'Église de Liège annexe ce territoire et l'occupe
par la force au mois de mai suivant. Incapable de contrer cette annexion, Godefroid III revend ses
droits sur le comté de Looz et le comté de Chiny, le 15 janvier 1362, à son neveu Arnould de
Rummen, pour 80 000 moutons268. Afin de faire face à sa détresse financière, il vend le 6 janvier
1363 les paroisses de Honrath, Astenrath Sieglar, Rheydt et Oberkassel à son beau-frère Guillaume
Ier, comte de Berg et de Ravensberg269 et lui engage aussi la seigneurie de Blankenberg pour 60 000
moutons le 16 septembre270. Au duc de Guelre Édouard, il engage les seigneuries de Millen,
Gangelt, et Waldfeucht, toujours la même année. 271. Le seigneur de Heinsberg, en moins de trois

264 Godefroid a épousé en 1357 Philippa de Juliers, une des filles du duc de Juliers Guillaume Ier.
265 BOFFA, op.cit., p. 18.
266 LAURENT, QUICKE, op.cit., p. 175.
267 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 67.
268 QUICKE, op.cit., p. 105-106 et 127-128.
269 Ou plutôt son « beau-neveu », car celui-ci est le fils du frère aîné du duc de Juliers Guillaume II, Gehrard de Juliers,
décédé en 1360.
270 LACOMBLET, III, doc n° 642.
271 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 253 ; LACOMBLET, III, doc n° 634.

52
ans, perd une masse importante de possessions et donc de revenus, ce qui le rend, financièrement et
politiquement, plus que jamais vulnérable.

Cette situation est peut-être à l'origine des accusations de spoliations de marchands lancées contre
Heinsberg272 par Wenceslas, qui incitèrent ce dernier à faire appel à la Landfriede, probablement dès
1367. L'intervention de Wenceslas dans cette affaire n'est évidemment pas dénuée d'intérêts,
puisqu'il vise à récupérer la terre de Wassenberg. Or Godefroid, qui a déjà perdu deux comtés et de
nombreuses possessions, ne peut se résigner à perdre une possession supplémentaire. S'il perdait
Wassenberg, il perdrait non seulement des revenus fonciers et un tonlieu importants, mais
Heinsberg se retrouverait aussi enserré entre des possessions de Wenceslas : la zone Millen-
Gangelt-Waldfeucht273 à l'ouest, Wassenberg à l'est. Quoi qu'il en soit, la tension monte en 1367 et
on signale des deux côtés des opérations militaires274. Il est très probable que le différend entre
Wenceslas et Guillaume de Juliers, en 1367, soit à mettre en rapport avec l'action de Wenceslas
contre Heinsberg, dont le seigneur est son vassal, son parent et son allié. Toucher à Heinsberg
revient à toucher indirectement au Juliers. Guillaume, qui a vu Wenceslas, en 1365, s'emparer du
comté de Fauquemont grâce à une commission d'arbitrage de la Landfriede, supporte de moins en
moins les menées du duc de Brabant-Limbourg dans sa zone d'influence, que ce soit par
l'intermédiaire de la Landfriede ou au nom de ses attributions impériales. Seule une intervention de
la Landfriede, à l'initiative des villes d'Aix-la-Chapelle et de Cologne, empêcheront le conflit de
dégénérer en guerre ouverte et permettront, le 15 avril 1367, de trouver un compromis. Le duc de
Juliers n'a pas alors suffisamment d'alliés pour entrer en guerre contre Wenceslas et celui-ci par
ailleurs, préfère résoudre pacifiquement le différend, en raisons de l'existence de ses autres
« fronts », à la fois dans le Brabant et dans l'Empire 275. Une commission d'arbitrage de la
Landfriede doit trancher le conflit qui oppose Godefroid de Heinsberg à Wenceslas à propos de
Wassenberg.

En 1365, la commission d'arbitrage de la Landfriede instituée pour trancher le conflit pour


Fauquemont s'est montrée favorable à Wenceslas, au détriment de Walerand de Born et de
Guillaume de Juliers. En 1368, la commission d'arbitrage au sujet de Wassenberg se montre

272 Idem, p. 254.


273 Wenceslas est devenu entretemps seigneur engagiste de ces trois châteaux.
274 BOFFA, op.cit., p. 18. Le 10 mai 1368, Jean de Cuyk reçoit de Wenceslas et Jeanne 2000 moutons d'or en
compensation de ses services devant Wassenberg. AGR, CB, 2570 ; Le 19 octobre 1368, Ludger van Deutz perçoit
80 moutons en compensation de ses frais de captivité alors qu'il était au service de Wenceslas lors de la guerre
contre le seigneur de Heinsberg. AGR, CB, 2623.
275 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 223. Wenceslas est en froid avec la principauté de Liège à cause de l'annexion du comté
de Looz et est en guerre contre le duc de Gueldre entre 1366 et 1368.

53
également favorable à Wenceslas, cette fois au détriment de Godefroid de Heinsberg et, par
conséquent, indirectement, au détriment de Guillaume de Juliers. Présidée par Robert de Namur, la
commission d'arbitrage restitue sans frais, le 24 décembre 1368, la terre et le château de Wassenberg
à Wenceslas, estimant que Godefroid a outrepassé ses droits et que les déprédations de celui-ci ont
dépassé largement le montant de l'engagère276.

Cette décision ne plaît pas évidemment à Godefroid de Heinsberg, et le conflit renaît à nouveau
entre lui et Wenceslas. On ignore ce qui s'est réellement passé en 1369 et 1370, mais durant l'été
1370, Godefroid introduisit une plainte auprès des jurés de la Landfriede, accusant Wenceslas
d'avoir inciter des hommes277 à mener un raid sur les terres de Heinsberg 278. C'est d'ailleurs à partir
mois d'août que le pays de Fauquemont est mis financièrement à contribution pour les dépenses de
guerre279. A la Toussaint 1370, Godefroid de Heinsberg se rend à Bruxelles pour négocier avec
Wenceslas280, apparemment sans succès, puisqu'à la fin de l'automne, le duc de Brabant introduit à
son tour une plainte auprès des jurés de la Landfriede. Le duc accuse Godefroid de violation de la
Landfriede en territoire brabançon281, de meurtre, de pillage, d'incendie et de faux monnayage. Il lui
est également imputé de ne pas avoir empêché le chevalier Johann von Stein de spolier et de
capturer des marchands, d'avoir revendu le le comté de Looz, fief ducal 282, sans le consentement de
Wenceslas et de ne pas avoir versé à celui-ci des compensations pour la destruction du château de
Wassenberg par ses ancêtres. Contrairement à la plainte de Godefroid, la plainte de Wenceslas fait
beaucoup d'effets, car le collège des jurés de la Landfriede, réuni le 13 décembre 1370 à Aix-la-
Chapelle, décide d'organiser contre Heinsberg, chose exceptionnelle, une opération militaire
hivernale. Une réunion des jurés tenue à Maastricht le 29 décembre et présidée par Wenceslas, doit
régler les derniers détails militaires : les alliés sont tenus de tenir leur contingent opérationnels à
partir du 7 janvier 1371. Parmi les quatre alliés de la Landfriede, seule la participation de Wenceslas
et de Cologne283 au siège de Heinsberg sont attestées. Quant au duc de Juliers, il ne participe

276 BOFFA, op.cit., p. 19.


277 Plus exactement le fils de Thierry de Wildenrath, que Rotthof-Kraus identifie par Wilhelm vanme Stege.
278 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 258.
279 AGR, CB, n° 2894-2897.
280 « In parliamento contra ducem pro diversis negotiis de terra de Wassenberge et supra gwerram inter ducem et
ipsum », AGR, CC, 2357, f. 87. VAN OETEREN Vincent, Recrutement et composition d'une armée brabançonne au
XIVe siècle. Le cas de Baesweiler (1371), ULB, mémoire non publié, 1987, p. 38.
281 Il doit s'agir ici de Wassenberg.
282 Wenceslas exagère : le comté de Looz est un fief liégois et non brabançon.
283 La ville de Cologne débourse pour son intervention contre Heinsberg 6290 marks jusqu'en mars 1371. ROTTHOFF-
KRAUS, op.cit., p. 259. Les chartes du Brabant n° 2895 et 2896, analysées par Verkooren, mentionnent, parmi les
frais de guerre supportés par les bans de Klimmen et Meerssen dans la seigneurie de Fauquemont, des frais de
provisions en avoine et en viande qui furent probablement destinés aux opérations d'hiver entre janvier et mars, à
une époque où les chevaux ont besoin d'avoine étant donné l'hiver. En 1371, le banc de Klimmen débourse 59 florins
pour livraison de viandes et huit muids d'avoine. Le banc de Meerssen dépense 37 florins pour achat de viande et

54
évidemment pas à l'opération. Les négociations reprennent dans le courant du mois de février. Le 8
mars 1371, Godefroid de Heinsberg se montre disposé à se réconcilier avec Wenceslas 284 et à se
soumettre à un arbitrage avant la date du 20 avril285. Les jurés de la Landfriede, réunis à Aix-la-
Chapelle, délivrent avant cette même date un jugement qui ne nous est pas parvenu. Il devait être
probablement favorable à Wenceslas, puisque Godefroid refusa de s'y soumettre et que la guerre
reprend de plus belle286.

De nouvelles taxes de guerre sont levées dans les pays d'Outre-Meuse, notamment à Fauquemont et
à Rolduc. A Fauquemont, les bancs de Brunssem, Oirsbeek, Geleen, Meerssen, Klimmen, Heerlen
et Geul sont mis à contribution pour le charriage des provisions et des armures pour une expédition
du duc à Friesheim287 et une autre à Brachelen288. A partir du 2 ou 3 juillet 1371, une chevauchée de
200 lances, menée conjointement par le drossard de Brabant et celui de Fauquemont, dévaste les
terres de Heinsberg deux semaines durant289. La ville de Cologne participe à cette chevauchée et
fournit une aide militaire de 50 lances290 et un important contingent d'archers 291, ce qui laisse à
penser que la chevauchée se déroule encore dans le cadre de la Landfriede. Cologne fait d'ailleurs
au moins un prisonnier durant cette période292. Le coût élevé des opérations militaires pour
Wenceslas est peut-être une des raisons pour lesquelles Wenceslas engage, le 11 juillet, la terre et le
château de Wassenberg à Jean van Mirlaer, en attendant le remboursement de sa dette de 4 000

sept muids d'avoine.


284 A cette date, le duc est à Aix-la-Chapelle. « Item domino ducis ... equitando Aquis actione domini de Heynsberch
propter gwerram inter ipsos. » AGR, CC, 2357, f. 97 ; VAN OETEREN, op.cit., p. 38.
285 La présence de troupes de la Landfriede est encore attestée à la fin mars 1371. ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 259.
« Clippinch misso ad exercitum pacis » KNIPPING, Kölner Stadtrechnungen..., p. 39, semaine du 19 au 26 mars. Le
salaire de 166 marcs 8 sous payé à Jean de Efferen suggère que les opérations devant Heinsberg ont duré en tout
quatre mois ou presque : « dno Johannis de Efferen pro salario suo, qui equitavit ad usus pacis terre de 4
mensibus » Idem, p. 47, semaine du 25 juin au 2 juillet. Deux autres personnages reçoivent en même temps un
restor pour leur perte en chevaux, 60 marcs pour « dno Henrico de Palacio de equo perdito » et 105 marcs pour :
« Gisoni de Elmpte de 2 equis dampnatis ». Ibidem.
286 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 259-260.
287 Dans le duché de Juliers, à mi-chemin entre Düren et Bonn.
288 A 15 km au sud-est de Heinsberg, à mi-chemin de Juliers. Les chartes mentionnent des frais de charriage d'engins
de guerre et d'armures pour Brachelen et pour Friesheim.AGR, CB, n° 2872-2873, n° 2894-2897 et n° 2901.
289 « Item reddita pro una reysa facienda supra illos de Heynsberghe circa octavam Johannis Baptiste LXXI per
senescalcum Brabantie cum LXXX hastis et per senescalcum de Valkenborch cum CXX hastis super stipendium ad
impendium ne illi de Heynsberch intraducant blada sua... » AGR, CC, 2357, f. 107 et VAN OETEREN, op.cit., p. 38.
290 8 mars 4 sous « pro cambio in necessitate, quando dnus Gotscalcus Birkelin cum sociis suis equitavit in adiutorum
ducis Brabancie », KNIPPING, Kölner Stadtrechnungen..., p. 49, semaine du 2 au 9 juillet. 4500 marcs pour « dno
Gotscalco Birkelin ad usu stipendiariorum 50 lancearum contra Heimsberg » et 300 marcs pour « eidem dno
Gotscalco pro se et vexillis ». Idem, p. 50-51, semaine du 9 au 16 juillet.
291 5 marcs et 7 sous pour « mag. Gerardo sagittario pro se et sociis suis, pro panno lineo et aliis necessariis tempore
Heinsbergensi ». Idem, p. 50, semaine du 9 au 16 juillet. 910 marcs pour « Boistorp et sociis suis sagittariis una
cum fistulatoribus destinatis in adiutorium ducis Brabancie contra Heimsberg per redditarium de Liskirchen » et
100 marcs « ad usus carrucariorum Gobelino Tolner, ducentibus sagittarios ». Idem, p. 53, semaine du 6 au 13 août.
292 1 marc 3 sous « pro expensis factis per illos, qui custodiverunt captivum captum hodie ». Idem, p. 51, semaine du 9
au 16 juillet.

55
moutons au plus tard dans quatre ans 293, ce qui est peut-être, pour Wenceslas, un moyen d'atténuer
ses dépenses de guerres en répercutant la défense de Wassenberg au chevalier van Mirlaer. Il s'agit-
là aussi d'une habile décision. Souvenons-nous que Jean van Mirlaer avait rejoint la camp d'Édouard
lors de la première guerre de Gueldre en 1366-1368, profitant de cette guerre pour satisfaire sa
vengeance contre la ville de Bois-le-Duc. Des sympathisant de Godefroid de Heinsberg ou du duc
de Juliers réfléchiraient donc avant de s'attaquer à une terre engagée à un (ex-) allié d'Édouard de
Gueldre.

Peut-on affirmer que la guerre de Wenceslas et de la Landfriede contre Heinsberg est la cause
directe de la guerre contre le Juliers ? On constate une dégradation progressive entre Wenceslas et
Guillaume II depuis 1365, à partir de la querelle pour Fauquemont. Wenceslas est en guerre avec
Godefroid de Heinsberg quasiment depuis 1367 à cause de la terre de Wassenberg, ce qui tend
encore plus les relations entre Wenceslas et Guillaume II, beau-frère et suzerain de Godefroid.
Wenceslas et Guillaume s'entendent encore suffisamment en 1369 pour prolonger la Landfriede de
cinq ans, mais, sans l'archevêque de Cologne, cette alliance pour la paix risque de se muer en source
de conflit entre eux et transformer l'espace situé entre Meuse et Rhin en arène de combat pour ces
deux princes. Le duc de Juliers n'a pas à se mêler du conflit au sujet de Wassenberg, qui est une
terre brabançonne, car Wenceslas est dans son bon droit lorsqu'il décide de dégager Wassenberg.
Mais à partir du moment où Wenceslas, même au nom et avec l'aide de la Landfriede, entre en
guerre en novembre 1370 contre Godefroid et assiège Heinsberg, forçant celui-ci à négocier et à
accepter presque de force un jugement de la Landfriede lui étant défavorable, cette action doit
forcément être perçue au moins négativement par Guillaume II. On ne constate d'ailleurs pas de
participation du Juliers dans cette opération, encore moins en juillet 1371 lorsque les hommes
d'armes brabançons et les forces de Cologne viennent ravager la terre de Heinsberg. Il est fort
tentant de placer la rupture définitive entre Wenceslas et Guillaume à partir du siège contre
Heinsberg, entre janvier et avril 1371, pas avant. Toutefois, aucune source narrative n'invoque le
conflit contre Heinsberg comme déclencheur de la guerre de Juliers. La raison, quand elle est citée,
en est l'agression de sujets ou de marchands brabançons dans le duché de Juliers et la protection des
coupables par Guillaume II ainsi que le refus de ce dernier de punir les fautifs ou fournir lui-même
réparation294. Froissart évoque aussi les agressions de marchands mais de manière globale, sans
spécifier leur identité brabançonne295, et attribue l'entrée en guerre de Wenceslas à sa fonction de
293 AGR, CB, n° 2856-2858.
294 DE RIVO, p. 18 ;
295 « Or advint que aucunes roberies furent faittes sur les chemins de Linfars, et estoient ceulx qui avoient fait ceste
violence, passés parmy la terre de Jullers. Si me fut que le duc de Jullers leur avoit presté chevauls et chasteauls »
FROISSART, XIII, p. 19.

56
leader de la Landfriede296 et à l'insulte qui lui est faite, bien que Wenceslas n'ait jamais joué un tel
rôle dans cette institution297.

Selon Van Oeteren, la guerre de Heinsberg sert de détonateur à la guerre entre Wenceslas et
Guillaume II. Les Raubrittern responsables des agressions des marchands dans le duché de Juliers
ne seraient autres que Godefroid de Heinsberg lui-même et ses hommes d'armes. C'est d'ailleurs une
pratique fort courante à cette époque de se rétribuer sur des marchands sujets de son ennemi en les
spoliant ou en les rançonnant. Le lien de parenté et de vassalité de Guillaume avec Godefroid
expliquerait alors le refus du duc de Juliers de faire pression sur lui 298. Que Wenceslas soit vicaire
impérial, frère de l'empereur ou un (ex-)allié de la Landfriede, le duc de Juliers n'en a cure et
Wenceslas va trop loin. Dans la guerre contre Heinsberg, deux raids sont menés : un contre
Brachelen, à 15 km de Juliers, et un autre contre Friesheim, entre Düren et Bonn 299. Brachelen fait
bien partie du territoire de la seigneurie de Heinsberg, mais il est plus difficile d'expliquer une
intervention armée contre Freisheim, de l'autre côté du duché de Juliers et sur le territoire de
Cologne. La seule façon de l'expliquer serait d'admettre que les avoués de Friesheim soient liés de
près ou de loin au seigneur de Heinsberg. Bien que les avoués de Friesheim tiennent leur avouerie
en fief du chapitre de Cologne, ils tiennent leur domus en fief des comtes de Juliers depuis 1320300
et sont donc par conséquents vassaux de Guillaume II de Juliers. Ces deux raids font d'ailleurs
partie intégrante de la chevauchée du mois de juillet super illos de Heinsberg301. La ville de Cologne
envoie en effet un messager à Brachelen entre le 9 et le 16 juillet 302. Les 200 lances brabançonnes
auraient alors effectué un arc de cercle, comprenant Heinsberg, Brachelen et Friesheim, en passant
296 « Les plaintes grandes et grosses en vindrent au duc Wincellant de Brabant et de Luxembourg, qui pour le temps se
tenoit en sa ville de Brouxelles, comme la Langue-Fride dont il estoit le souverain regard et gardyen, estoit rompue
et violée et par tels gens, et que ceulx qui ce mal, violence et roberie faisoient, retournoient en la duchié de Julliers.
Le duc de Brabant qui pour ce tems estoit jeune et trèschevallereus et puissant de lignage, de terres et de mises,
prist en grant despit ces offenses et en courrous et desplaisir les plaintes du peuple, et dist que il y pourverroit de
remède. Ou cas que il estoit chargié de tenir, sauver et garder la Lange-Fride, il ne vouloit pas que par sa
négligence il feust reprins, ne approchié de blasme... » Ibidem.
297 Ce que démontre bien ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 269-271. Le vicariat impérial, sa parenté avec l'empereur et
l'abandon manifeste de la Landfriede par le duc de Juliers en 1371, qui a probablement donné l'impression que
Wenceslas était du coup le leader de la Landfriede, sont peut-être à l'origine de cette assertion de Froissart.
298 VAN OETEREN, op.cit., p. 39-40.
299 AGR, CB, n° 2872-2873, n° 2894-2897 et n° 2901. Friesheim se situe dans le duché de Cologne, au sud de Erfstatd
à moins de 40 km au sud-est de Juliers et à 30 km au sud-ouest de Cologne. Les avoués de Friesheim tiennent leur
avouerie en fief du chapitre de Cologne.
300 Henri von der Höven, avoué de Friesheim, vend le 21 mars 1320 sa domus situé à Friesheim pour 250 marcs au
comte Gérard de Juliers, qui à son tour le lui rétrocède en bénéfice. LACOMBLET, III, doc n° 177.
301 Boffa associe lui aussi Brachelen et Friesheim en les associant à la chevauchée du mois de juillet. Mais ce n'est
pour lui qu'une possibilité, n'ayant pas consulté les comptes de la ville de Cologne. BOFFA, op.cit., p. 19. Par contre,
il plus difficile d'admettre une attaque brabançonne sur Voerendaal (ibidem) qui s situe dans le pays de Fauquemont,
précisément entre Heerlen et Klimmen. Il faudrait plutôt expliquer la perte du cheval de Anselme de Raborath
devant Voerendaal au service du duc par un accident ou par une opération défensive contre une incursion du
seigneur de Heinsberg. Restor d'Anselme de Raborath, AGR, CB, n° 2870.
302« Malart misso Brakele » KNIPPING, Kölner Stadtrechnungen..., p. 50, semaine du 9 au 16 juillet.

57
derrière et à l'est de Juliers, auraient ensuite opéré quelque part leur jonction avec les 50 lances et
les archers envoyés par Cologne, puis seraient revenus vers le Limbourg par Düren et Aix-la-
Chapelle. Cette chevauchée aurait pu bénéficier de Bedburg, Kerpen et Lommersum, qui se
trouvent entre Juliers et Cologne, comme point d'appui logistique ou refuge, ces trois châteaux étant
possessions des ducs de Brabant et proches de cet itinéraire. Ayant pour objectif de ravager les
terres du seigneur de Heinsberg, elle ferait en même temps l'effet d'une démonstration de force et
d'une mise en garde à l'encontre de Guillaume II et serait considérée par celui-ci comme une
provocation. Elle constituerait, en même temps, une reconnaissance du pays en cas de guerre avec
le Juliers et pourrait apporter à Wenceslas des renseignements utiles, voire décisifs, sur l'opportunité
d'entrer en guerre ou non. Par ailleurs, si l'objectif de cette chevauchée est de faire pression sur
Godefroid en ravageant ses terres pour l'amener à capituler et reconnaître la sentence de la
Landfriede, comment le faire efficacement si celui-ci peut à tout moment bénéficier de renforts et
de vivres de la part de son allié et voisin Guillaume II ? La solution du conflit passerait donc par
une confrontation avec le Juliers. Cette hypothèse est séduisante et vraisemblable.

Que Friesheim et Brachelen constituent ou non des points de passage d'une seule et même
chevauchée au moins de juillet ou bien des opérations distinctes, il y a bien eu des opérations
militaires dans ces deux lieux, avec toutes les conséquences que cela peut ou non avoir sur les
relations entre Wenceslas et Guillaume II. La ville de Cologne s'inquiète, semble-t-il, de la
dégradation des relations entre les deux ducs, puisqu'elle envoie, au moment de cette chevauchée et
dans le même temps, un messager vers Wenceslas et vers Juliers 303. Les bancs de Brunssem,
Oirsbeek, Heerlen, Klimmen, Meerssen, Geleen et Geul, dans le pays de Fauquemont, dont le
drossard, Renaud Thoreel de Berneau, dirige justement la chevauchée du mois de juillet, sont taxés
pour les raids de Brachelen et de Friesheim ainsi que pour le salaire des hommes qui se chargèrent
du transport d'engins de guerre, d'armures et de provisions de bouches304.

Toutefois (et c'est là la position de Boffa 305), il vaut mieux, en somme, rester prudent et garder le fil
des sources narratives qui placent la cause de la guerre de Juliers, quand elles l'évoquent, dans
l'agression des marchands par des chevaliers allemands sur les routes traversant le duché de Juliers,

303 « eidem (Malart) misso Juliacum et ad exercitum Brabantinum » Idem, p. 50, semaine du 2 au 9 juillet.
304 14 florins pour Brunssem, 8 pour Oirsbeek, 30 pour Heerlen, 91 pour Klimmen, 62 pour Meerssen, 30 pour Geleen
et 32 pour Geul. Ces dépenses couvrent également les frais de charriage de l'expédition de Baesweiler.
AGR, CB, n° 2872-2873, n° 2894-2897 et n° 2901, chartes datées respectivement de septembre 1371 (Brunssem et
Oirsbeek), des 6, 11, 12, 13 janvier et du 1er février 1372. Les pertes en chevaux et en chariots cités par la charte n°
2901 sont probablement liées à la bataille de Baesweiler.
305 BOFFA, op.cit., p. 20.

58
en insistant parfois sur l'atteinte à l'honneur et l'insulte infligées à Wenceslas. Selon Raoul de Rivo,
Wenceslas affirmait que des marchands brabançons étaient dépouillés, pour son plus grand mépris,
sur les terres du Juliers et il n'en fallut pas plus pour que la guerre éclate avec le duc Guilllaume 306.
La Kölner Weltchronik rapporte que le duc de Juliers maintenait mal la paix sur ses terres (male
fovens pacem in terra sua) et dissimulait, parmi ses sujets, des chevaliers et des nobles voisins qui
s'en prennaient, in stratis regiis et viis publicis, à des marchands, des pèlerins et des sujets du duc de
Brabant. Celui-ci entra alors en guerre pour ses venger de l'injure et de l'insolence faite à la chose
publique (rei publice), par le duc de Juliers et les siens 307. En allant dans le sens de la Kölner
Weltchronik, l'avoué de Friesheim, vassal du duc de Juliers, pourrait très bien avoir dissimulé des
hommes du sire de Heinsberg dans sa domus. Brachelen et Friesheim constitueraient alors le
chaînon qui manquait à Van Oeteren 308 et à Boffa pour affirmer avec certitude que la guerre contre
Heinsberg est le déclencheur de la guerre contre le Juliers. Froissart se trompe lorsqu'il affirme que
Wenceslas est le souverain regard et gardyen de la Langue-Fride et qu'il estoit chargié de tenir,
sauver et garder la Langue-Fride309. Wenceslas n'est certainement pas le maître de la Landfriede. Il
est, dans cette institution, un allié au même titre que le duc de Juliers. Néanmoins, il est néanmoins
vicaire impérial et c'est en tant que tel qu'il entre en guerre contre Guillaume. L'absence du duc de
Juliers dans les activités de la Landfriede, dès le mois de novembre 1370, est parlante et pourrait
s'expliquer par un abandon de celle-ci par Guillaume, qui perçoit la guerre contre Heinsberg comme
une tentative de la part de Wenceslas d'instrumentaliser la Landfriede pour ses propres intérêts. En
ce sens, la guerre de Heinsberg est un déclencheur de la guerre contre le duc de Juliers. Van Oeteren
avait donc raison de le supposer. Dans tous les cas, que la guerre contre Heinsberg en soit la cause,
ou non, si Guillaume quitte l'alliance de la Landfriede, il n'est plus tenu de faire respecter la
Landriede sur ses terres et par ses sujets. La voie est dès lors ouverte aux spoliations et aux
agressions impunies sur tout voyageur empruntant les routes publiques traversant le duché de
Juliers.

C'est là précisément que se trouve une des causes directes de la guerre. Wenceslas est vicaire
impérial et il devient de facto le seul prince membre de la Landfriede. Les deux derniers membres

306 « Inter Wenceslaum Brabantiae Ducem, & Guilhelmum Iuliacensem Marchionem exarsit belli incendium, quod ille
diceret suos Brabantinos negotiatores in agris Iuliae magno sui contemptu fuisse spoliatos. » DE RIVO, p. 18.
Matthias de Lewis et Jean d'Outremeuse n'évoquent guère la cause du conflit. L'auteur anonyme de la Chronique
liégeoise de 1402 parle en ces termes : « Wencelinus... volens vindicare quemdam despectum quem sibi fecerat dux
Juliacensis ». Mais il écrit plus tard que De Rivo. Chronique liégeoise de 1402, p. 356 et BALAU Sylvain, Les
sources de l'histoire liégeoise au Moyen Age, Bruxelles, 1903, p. 533-537.
307 Die Kölner Weltchronik 1273/88-1376, éd. par Rolf Sprandel, in M.G.H., SS rer. Germ. N.S, 15, München, 1991, p.
112-113.
308 VAN OETEREN, op.cit., p. 38-40 ; BOFFA, op.cit., p. 19.
309 Voir supra p.38 et note 234. FROISSART, XIII, p. 19.

59
de celle-ci sont des villes : Aix-la-Chapelle et Cologne, entre lesquelles s'étend un duché de Juliers
qui vide de son sens une Landfriede entre la Meuse et le Rhin s'il n'en fait plus partie. C'est une
véritable baffe pour Wenceslas et en même temps un magnifique moyen pour Guillaume II de
mettre la pression sur lui, mettant par là-même un vicaire impérial au pied du mur. Wenceslas ne
peut pas ne pas réagir sans se ridiculiser et perdre sa crédibilité politique, non seulement face au duc
de Juliers mais aussi face à toute l'Europe, attentive aux succès et aux échecs d'un duc de Brabant
pour les uns, d'un Luxembourg pour les autres. Dans la géopolitique de la guerre de Cent Ans et
dans une période de reprise de la guerre avec la France, le roi d'Angleterre est attentif aux
mouvements, fortunes et revers du duc de Brabant et de Luxembourg, oncle et allié de Charles V.
Les Wittelsbach s'inquiètent des succès et se réjouissent des malheurs des Luxembourg. Le duc de
Gueldre attend la meilleure occasion pour régler ses comptes avec Wenceslas. Quant au comte de
Flandre, Louis de Male, qui porte toujours le titre de duc de Brabant depuis 1356, chaque faux pas
et revers de Wenceslas est pour lui une chance en plus d'arriver à ses fins : obtenir la succession du
duché pour sa fille Marguerite de Male. Ce n'est pas un hasard si la bataille de Baesweiler aura un
grand retentissement dans les chroniques et les annales.

A un niveau plus régional, Wenceslas risque de perdre encore plus sa crédibilité, déjà fortement
attaquée en 1356, devant les villes du Brabant, avec lesquelles il a des rapports difficiles. De plus, la
politique territoriale de Wenceslas entre Maastricht et Cologne est étayée par la Landfriede. Celle-ci
renforce celle-là, celle-là consolide celle-ci. Wenceslas ne peut pas agir sérieusement entre le
Limbourg et le Rhin sans l'appui des bourgeois de Cologne et des bourgeois d'Aix-la-Chapelle, la
ville du couronnement si chère à son frère et dont il est le haut avoué. En fait, depuis un siècle, déjà
avant Worringen, les intérêts des ducs de Brabant entre la Meuse et le Rhin rejoignent les intérêts
des bourgeois de Cologne et d'Aix-la-Chapelle. S'il veut toujours avoir droit au chapitre, Wenceslas
doit s'efforcer de faire vivre la Landfriede et de se faire passer pour un défenseur de la paix et de
l'ordre.

Parmi les lettres de plaintes destinées aux jurés de la Landfriede, conservées dans les archives de la
ville d'Aix-la-Chapelle, seule une lettre concerne l'agression d'un marchand brabançon dans le
duché de Juliers mais elle est non datée. Le plaignant est un sujet brabançon, Reinhart van Weyms,
qui accuse un certain Godart von Flechtheim et un certain Wilhelm, fils de Werner von Vlatten 310,
de l'avoir tous deux dépouillé d'un butin de plus de 1000 florins dans le duché de Juliers 311. Il est
310 Werner von Flatten était l'un des six jurés désignés par le duc de Juliers pour la Landfriede, en novembre 1364.
ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 113.
311 Stadtarchiv Aachen, RA Z (Landfriedensbund) 97, citée par ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 271, note 31.

60
tentant de faire le lien entre cet évènement et le déclencheur direct de la guerre mentionné par les
sources narratives. Cette agression d'un sujet brabançon, dans le Juliers, est-elle celle qui détermine
Wenceslas à demander à Guillaume de Juliers de se conformer aux procédures de la Landfriede ?
Impossible à dire. Quoi qu'il en soit, il doit y avoir un lien entre cette affaire et le règlement d'un
litige entre Wenceslas, d'une part, et Johann von Vlatten et Schinman von Mozenboerne, d'autre
part, à qui le duc paie 601 florins, le 11 décembre 1370, conformément à une sentence des jurés de
la Landfriede réunis à Aix-la-Chapelle312. Johann von Vlatten et Schinman von Mozenborne,
hommes d'armes du Juliers, libèrent en échange de cette somme des sujets brabançons retenus
prisonniers par eux pour des raisons inconnues. En juin 1370, des représentants de la ville Louvain
se plaignent auprès de Wenceslas de la capture de bourgeois de leur ville dans le duché de Juliers 313.
Van Oeteren pense que se sont eux qui sont libérés par Johann von Vlatten et Schinman von
Mozenboerne, en décembre 1370, et que la condamnation du duc montrerait que celui-ci leur était
débiteur d'une dette314. Il faut ajouter à cela que Wenceslas n'a pas intérêt non plus à contrarier les
activités de la Landfriede et doit montrer patte blanche s'il veut obtenir gain de cause contre
Heinsberg et obtenir un engagement militaire de la part de ses alliés.

Quoi qu'il en soit, ces faits prouvent que des sujets brabançons sont victimes d'agressions, de
spoliations et de kidnapping de la part de nobles du Juliers, bien qu'il ne soit pas possible de
déterminer si Guillaume soutient les agresseurs comme Wenceslas semble l'en accuser. Mais lorsque
Guillaume II décide de faire le sourd aux requêtes de Wenceslas à propos de tels faits et refuse
d'agir conformément à ses obligations de la Landfriede, l'état de guerre entre le duc de Juliers et de
Brabant peut être admis. Vicaire impérial, Wenceslas se sent offensé et ne peut laisser plus
longtemps en péril la sécurité des routes publiques tout en voulant probablement sauver la
Landfriede. De son côté, Guillaume se sent, lui aussi, offensé et atteint par la politique territoriale
de Wenceslas. Après Fauquemont qui lui passe sous le nez au profit de Wenceslas en 1365,
Heinsberg est maintenant menacé et Wenceslas empiète même sur son propre territoire pour aller
attaquer Friesheim. Wenceslas utilise la Landfriede comme levier à sa politique territoriale dans
cette région. Il serait donc logique, pour Guillaume de Juliers, de déstabiliser la Landfriede pour
mettre à mal, du même coup, les ambitions de Wenceslas.

Du côté brabançon, la première trace d'un état de guerre avec le Juliers date du 25 juillet 1371315. Du
312 AGR, CB, n° 2805.
313 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 780.
314 VAN OETEREN, op.cit., p. 36. Johan von Vlatten combattera aux côtés de Guillaume de Juliers à Baesweiler et sera
fait prisonnier par Jean, sire de Pietersheim. Idem, p. 84.
315 Idem, p. 37. AGR, CB, n° 2866 bis.

61
côté allemand, certains documents de la ville de Cologne permettent de supposer que Wenceslas et
Guillaume sont déjà en conflit au mois de juin 1371, mais il faut prendre avec prudence la datation
des documents proposée par Ennen. Une lettre de la ville de Cologne à l'empereur Charles IV, datée
par Ennen au 10 ou 11 juin 1371 316, confirme à l'empereur le respect d'un ordre impérial 317, délivré à
la ville, ordonnant aux bourgeois de Cologne de ne pas ravitailler ni assister le duc de Juliers 318. La
lettre fait aussi état de bourgeois de Cologne agressés par le duc de Juliers en réaction à
l'interdiction impériale faite à Cologne. Même si la date de cette lettre n'est pas exactement correcte,
elle permet au moins de confirmer un soutien diplomatique de Charles IV à son frère Wenceslas
avant la campagne du mois d'août 1371 et même la chevauchée de juillet. On pourrait objecter et
avancer que la lettre, non millésimée, daterait non du 11 juin 1371 mais du 11 juin 1372.
Cependant, le cas de Henken von Horne laisse penser que l'interdiction impériale est antérieure à la
bataille de Baesweiler. Ce bourgeois de Cologne participera au combat de Baesweiler aux côtés du
duc de Juliers et rentrera chargé de butin chez lui à Cologne. Il sera dénoncé puis condamné à mort,
mais il sera finalement gracié sur le chemin de l'exécution 319. Cologne cherchera donc à faire un
exemple pour tout contrevenant à l'interdiction impériale juste après la bataille de Baesweiler et ce,
dans la crainte d'une réaction très probable de Charles IV pour libérer son frère. Par ailleurs,
Cologne envoie également une lettre au duc de Juliers, le 11 juin 1371 320, qui fait état des meures
répressives que le duc de Juliers mène à l'encontre des bourgeois de Cologne, car la ville ne respecte
pas l'alliance militaire qu'elle avait signée, en 1369, avec le duc de Juliers, alliance qui ne concernait
pourtant que leur conflit commun contre Cunon de Trêves au sujet de Zülpich 321. Cela prouve que
l'interdiction impériale d'assister matériellement et militairement Guillaume de Juliers est déjà
effective le 11 juin. De plus, une mesure défensive, prise par Cologne pour la protection des routes
en dehors de la ville, pourrait s'expliquer autant par l'insécurité causée par la guerre contre
Heinsberg que par celle causée par le duc de Juliers qui, vexé par l'attitude de Cologne, s'en prend à
ses bourgeois322. Cologne maintient cette mesure au moins pour tout le mois de juin.

316 ENNEN, Quellen..., n° 519.


317 La lettre de l'empereur n'a pas été conservée.
318 « Ure keyserlige brief hain wir untfangen na der wirdichgeit ind eren, as sich dat billichen heischt, sprechende van
verbieden ind uphalden vitalien ind provisantien dem hertzoigen van Guylge uysser unser stat zu geschien... »
Ibidem.
319 ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 273 note 43.
320 ENNEN, Quellen..., n° 522. Selon ROTTHOFF-KRAUS, la date du 19 juin proposée par Ennen est erronée. La lettre, non
millésimée, mentionne juste le jour : Datum feria quarta post sacramenti. Un messager est d'ailleurs envoyé au duc
de Juliers durant cette période. « Wernero misso ad ducem Juliacensem » KNIPPING, Kölner Stadtrechnungen..., p. 45,
semaine du 4 au 11 juin.
321 Alliance de Guillaume de Juliers et de la ville de Cologne contre Cunon de Trêves du 27 septembre 1369 et accord
d'entraide militaire du 18 octobre 1369. LACOMBLET, III, doc n° 692 et n° 693.
322 La ville dépense 96 marcs pour « dno Henrico Hardevust pro sociis suis equitantibus in campis ad defendendum
vias extra civitatem ex iussu dominorum pro 36 maldris avene in subsidium pabuli eorum ». KNIPPING, Kölner
Stadtrechnungen..., p. 44 , semaine du 21 au 28 mai. 50 marcs « dno Henrico Hardevust et socio suo pro 20 maldris

62
Enfin, deux autres lettres de Cologne permettent de se figurer un peu mieux la situation avant la
bataille. La première est une lettre de Cologne au duc de Juliers 323 qui lui a demandé un soutien
militaire contre le duc de Brabant. Cologne rejette la demande et justifie son refus d'aider
Guillaume à cause de ses obligations vis-à-vis de ses alliés dans la Landfriede. La seconde est une
lettre de Cologne, postérieure à la bataille de Baesweiler, destinée à la duchesse Jeanne de
Brabant324. Le conseil de Cologne tente de justifier à la duchesse la raison pour laquelle des
bourgeois de de la ville ont combattu Wenceslas à Baesweiler. Selon la lettre, Cologne aurait
rappelé ses ressortissants partis combattre aux côtés de Guillaume de Juliers dès le moment où elle a
appris que Wenceslas faisait campagne contre lui avec la bannière impériale. Seuls 5 ou 6 bourgeois
n'auraient pas reçus les lettres de la ville et auraient rejoint le duc de Juliers325.

Si cette dernière lettre est postérieure au 20 novembre 1371, à une époque où Wenceslas est le
prisonnier de Guillaume et où Jeanne cherche des alliés pour libérer son époux, il s'agit là sûrement
d'une tentative de Cologne de minimiser la participation des bourgeois de Cologne aux côtés de
Guillaume, craignant à juste titre une réaction de Charles IV pour libérer son frère. Cette lettre
indique aussi que Wenceslas n'a pas réussi à rallier la Landfriede à ses côtés et que c'est en tant que
vicaire impérial qu'il fait campagne contre le Juliers. Même si Cologne envoie un contingent
militaire aider Wenceslas contre Heinsberg entre janvier et mars puis en juillet 1371, elle ne peut
empêcher certains de ses bourgeois, probablement des patriciens vassaux du duc de Juliers, de
répondre à l'appel de Guillaume. La ville rhénane mène donc une politique de neutralité ambiguë,
tentant de satisfaire l'empereur tout en vexant le moins possible le duc de Juliers326.

Dans l'ensemble, l'interdiction impériale à la ville de Cologne indique qu'au mois de juin 1371 la

avene ex iussu dominorum », Idem, p. 47, semaine du 18 au 25 juin.


323 ENNEN, Quellen..., n° 524. La date du 26 juin 1371 proposée par Ennen est incertaine et il n'est pas imposible que la
lettre soit postérieure à la bataille de Baesweiler.
324 ENNEN, Quellen..., n° 525. Ennen date ce document au mois de juin 1371. La mention de prisonniers brabançons sur
le champs de bataille (« in dem stryvelde ind da gevangen haven etzliche van uren ritteren... ») prouve cependant
que la lettre est postérieure à Baesweiler. Rotthoff-Kraus montre que le document doit être postérieur au 20
novembre 1371. VAN OETEREN, op.cit., p. 49 et ROTTHOFF-KRAUS, op;cit., p. 272 note 38.
325 « ...asbalde wir vernoymen, dat de durluchtige vurste der hertzoch uyr lieve geselle mit des rychs banyer in dem
velde was, wie wail wir ouch dem hertzoigen van Guylge van verbuntz weigen, dat tusschen yem ind uns was,
schuldich wairen zu helpen, ind he uns ernstlichen umb die helpe zu doin in synen brieven vermaint hadde na
formen des verbuntz, so schreven wir doch zer stunt unse erstliche brief an die vurschreven gesellen unser stat, yn
zu gebieden, dat sy zer stunt wederumb reden under eynre harder pynen, wilche gesellen gehoirsam zy syn, an die
unse brieve quamen, wederumb keirden ind by den hertzoigen van Guylghe nyet en bleven, des he groisse ungunst
zu unswert hait, uyssgescheiden 5 of 6, an die unse brieve nyet en quamen, die da bleven sunder eyngen vravel ind
geynen van den uren in unse stat bracht noch geschat havent, dat uns doch sunderlingen leit was. » Ibidem.
326 VAN OETEREN, op.cit., p. 50 ; ROTTHOFF-KRAUS, op.cit., p. 269-272.

63
rupture entre Guillaume et Wenceslas est déjà consommée. Celle-ci a dû se produire en mai voire au
mois d'avril, si la lettre de Cologne à l'empereur date bien du 10 ou 11 juin 1371, puisqu'il faut
prendre en compte le temps qu'il a fallu à Wenceslas pour solliciter l'appui de son frère et celui qu'il
a fallu à Charles IV pour émettre à la ville son ordonnance. Cela concorderait alors avec la
chronologie de la Landfriede et du conflit contre Godefroid de Heinsberg. En effet, celuici refuse de
respecter la sentence que les jurés de la Landfriede ont émis avant le 20 avril puis la guerre reprend
entre le duc de Brabant et le seigneur de Heinsberg. Si le duc de Juliers est en guerre contre
Wenceslas en juin 1371 et que le duc de Juliers commence déjà à réunir ses forces, il est probable
alors que la chevauchée du drossard de Fauquemont contre Heinsberg vise aussi le Juliers et
constitue une opération d'intimidation et de fixation pour permettre de tenter de convaincre
Guillaume et Godefroid de négocier ou bien, le cas échéant, d'obtenir le temps nécessaire pour
Wenceslas de réunir ses propres forces. En ce sens, Van Oeteren a raison : le conflit contre
Heinsberg amorce très probablement la guerre contre le Juliers. Mais cela ne suffit pas car la guerre
contre Heinsberg, même dans le cadre de la Landfriede, ne permet pas de légitimer une action
d'envergure contre Guillaume. C'est le duc de Juliers qui lui fournit le prétexte en abandonnant la
Landfriede avec les conséquences déjà expliquées plus haut. Si on ne peut pas juger des intentions
de Guillaume derrière cet acte, il est difficile de croire que ce geste ne soit pas réfléchi, puisqu'il
oppose aux requêtes de Wenceslas une fin de non recevoir qui constitue, en soi, un défi et une
déclaration de guerre. Les sources diplomatiques sont trop maigres et ne permettent pas d'en savoir
davantage quant aux raisons directes de la guerre qui éclate ni à quel moment exact cela se produit.
D'après les sources brabançonnes, la première mesure de guerre explicite vis-à-vis du Juliers
apparaît au mois de juillet. Le 25 juillet, Wenceslas ordonne au receveur de Limbourg Tilman de
Rolduc de faire tout ce qui est nécessaire pour fournir au drossard de Rolduc, Thomas van Holset,
des provisions de bouches, des munitions et tout ce qui est nécessaire aux hommes d'armes sous ses
ordres327. Or, la seigneurie de Rolduc se situe justement sur la Worm, la rivière qui sépare le
Limbourg du Juliers, et sur la route qui mène directement à Juliers et qu'empruntera trois semaine
plus tard l'armée de Wenceslas. Il est difficile d'expliquer cette mesure autrement que par la menace
d'un raid du duc de Juliers sur la seigneurie de Rolduc.

Mais il reste difficile de dater l'ambassade brabançonne à Guillaume de Juliers dont parle Froissart.
Selon le chroniqueur, Wenceslas envoie le seigneur de Bornival, le seigneur de Vireton,
l'archidiacre du Hainaut Jean t'Serclaes et le receveur général du Brabant Godefroid de la Tour
devant le duc de Juliers pour parlementer lui à propos des roberies, faites sur ses terres à l'encontre

327 AGR, CB, n° 2866 bis.

64
de marchands, et lui demander de respecter la Landfriede, ce à quoi le duc de Juliers s'excuse
foiblement328. On pourrait d'abord situer cette ambassade quelque part avant l'interdiction faite par
Charles IV à la ville de Cologne, le 10 ou 11 juin, d'approvisionner le duc de Juliers. Après le refus
de Guillaume de résoudre le conflit pacifiquement et l'interdiction impériale à Cologne de soutenir
Guillaume, la tension monte avec les opérations contre « ceux de Heinsberg » du mois de juillet
1371, qui visent aussi à intimider le duc de Juliers et à prouver à Guillaume que Wenceslas ne
plaisante pas en ce qui concerne le respect de la Landfriede.

Placer l'ambassade après la chevauchée de juillet contre Heinsberg serait également envisageable.
Elle se situerait alors entre le 16 et le 25 juillet après la chevauchée et avant la mise sur pied de
guerre de la seigneurie de Rolduc. Il s'agirait là, alors, d'une dernière tentative de Wenceslas de
résoudre le conflit de manière diplomatique. Le refus de Guillaume décide donc Wenceslas de
poursuivre la guerre jusqu'à son terme en intervenant directement contre Guillaume de Juliers. Il
met alors sur pied de guerre la terre de Rolduc pour se prémunir d'éventuelles attaques du Juliers,
prévoyant en même temps l'expédition dans le Juliers, qui doit passer justement par la seigneurie de
Rolduc, où il fait envoyer munitions et provisions de bouches.

Enfin, il est aussi possible que Wenceslas, encore plus prévoyant, mette d'abord Rolduc sur le pied
de guerre et envoie ensuite ses délégués au duc de Juliers, ce qui placerait l'ambassade de Froissart
après le 25 juillet et avant le 6 août. C'est à cette dernière date, en effet, que se tient ce qui semble
être un conseil de guerre329. Une charte confirme, aux côtés de Wenceslas et de ses conseillers à
Bruxelles, la présence de tous les officiers de justice et les responsables militaires des pays d'Outre-
Meuse : le drossard de Limbourg Henri de Gronsveld, le drossard de Rolduc Thomas van Holset, le
drossard de Dalhem Eustache van den Bongard et le drossard de Fauquemont Renaud Thoreel de
Berneau330. La plupart des conseillers et des officiers, présents à Bruxelles ce jour-là, commanderont
d'ailleurs une rotte à Baesweiler. Le receveur général de Brabant, Godefroid de la Tour, est aussi
328 « ...il envoia devers le duc de Jullers notables hommes tels que le sire de Vireton , le sire de Borgneval, messire
Jehan Scecqlar l'archediacre de Haynnau, Gieuffroy de la Tour, grant rentier de Brabant, et autres, en luy
remonstrant bellement, doulcement, et sagement que ceste offense feust amendée et qu'elle touchoit trop grandement
au blasme et préjudice du duc de Brabant, qui estoit gardyen et souverain ragard de la Langue-Fride. Le duc de
Julliers se excusa foiblement car, à ce qu'il monstroit, il amoit autant la guerre que la paix, et tant que le conseil du
duc de Brabant qui de parfont sens estoit, ne s'en contempta pas bien, et prindrent congié au duc de Julliers. Il leur
donna et s'en retournèrent en Brabant : si recordèrent ce qu'ils avoient trouvé. » FROISSART, XIII, p. 19-20.
329 VAN OETEREN, op.cit., p. 41.
330 Il s'agit de la charte du Brabant n° 2867 qui permet de confirmer la présence de ces personnages aux côtés de
Wenceslas et de Jeanne à Bruxelles. La charte est une banale reconnaissance de dettes du duc et de la duchesse.
Parmi les témoins qui scellent la charte on trouve, outre les personnages cités plus hauts, Renaud, seigneur de
Schoonvorst ; Jean, seigneur de Bouchout ; Jean, seigneur de Wittem; Nicolas Hoen, écoutète de Maastricht ;
Regnier van Berg ; Godefroid de la Tout, receveur de Brabant ; Godefroid van den Wijngaerde ; Godefroid de
Montjoie ; Gilles Otte, receveur du tonlieu à Maastricht ; Corneille Preut, receveur de Dalhem. AGR, CB, n° 2867.

65
présent le 6 août. Celui-ci serait donc parti de Bruxelles aux alentours du 25 juillet et serait rentré à
Bruxelles le 6 août où « ils recordèrent ce qu'ils avoient trouvé ». C'est probablement devant ce
« conseil de guerre » que Wenceslas, devant le fait accompli, décide selon Froissart de mener
campagne contre le duc de Juliers331. Mais la mesure défensive du 25 juillet et la présence de la
plupart des responsables militaires à Bruxelles le 6 août montre que Wenceslas se préparait déjà à la
guerre.

Pour conclure, il est difficile, tout compte fait, de déterminer à partir de quand on passe d'une
situation de conflit à une situation de guerre puis, de là, à partir de quand on passe d'un état de
guerre, qui ne dit pas encore son nom, à une guerre ouverte et officielle. Plusieurs éléments
indiquent que le conflit de Wenceslas contre Godefroid de Heinsberg est un des éléments
déclencheurs de la guerre. D'un côté, la guerre du duc de Brabant contre le seigneur de Heinsberg
peut constituer un prétexte pour Guillaume de ne plus tenir ses engagements dans la Landfriede et,
de l'autre, les agressions contre des marchands sur les terres de Juliers, brabançons ou non,
constituent un prétexte pour le vicaire impérial d'intervenir contre Guillaume. Les exigences de
Wenceslas peuvent paraître aux yeux du duc de Juliers comme un empiètement de sa propre
souveraineté chez lui, ce qui constitue à son tour pour Guillaume un casus belli. Dès le 6 août 1371,
l'engrenage est définitivement en marche, mû en partie par l'honneur cher à la mentalité de ce temps
et ne s'arrêtera qu'à Baesweiler...

331 « Quant le duc de Brabant entendi ce, si demanda quel chose en estoit bonne à faire. On répondi « Sire, vous le
savéz bien. Dittes-le de vous meismes » -« Je le veul, dist le duc, car mon intention est que pas ne me veul endormir
en ce blasme, ne que l'on dye que par lasceté ou faulte de courage, je seuffre sus ma sauvegarde robeurs, ne à faire
nulles pilleries, ne roberies. Et je monstreray et vueil monstrer et de fait à mon cousin de Julliers et à ses aidans que
la besoigne me touche. ». FROISSART, XIII, p. 20.

66
3) La chevauchée de Juliers et le combat de Baesweiler.

Réunion et concentration des forces (6 août-20 août) :

Après avoir pris acte du mépris du duc de Juliers envers sa délégation, Wenceslas « mist clers en
euvre et envoia devers ceulx desquels il pensa à estre servy et aidié. Les ungs prioit, les autres
mandoit, et envoya deffyer souffissamment le duc de Julliers et tous ceulx qui de son aliance
estoient »332. Le 6 août 1371, le duc et la duchesse de Brabant sont encore à Bruxelles, en
compagnie des principaux responsables militaires des Pays d'Outremeuse 333. Wenceslas quitte
Bruxelles peu après le 6 août, probablement en compagnie des drossards de Limbourg, de Rolduc,
de Fauquemont et de Dalhem, pour se rendre à Rolduc, puisque la ville de Louvain lui envoie un
messager là-bas aux alentours du 12 août334. Aucune source n'indique avec quels effectifs Wenceslas
quitte Bruxelles. Peut-être est-il accompagné de Jean de Wittem, Jean de Gronsveld, Jean de
Bouchout et Renaud de Schoonvorst, qui commanderont chacun une rotte à Baesweiler 335. Selon
Froissart, Wenceslas quitte Bruxelles « en grant arroy », passe par Louvain et s'arrête à Maastricht
(Treth-sur-Meuse) où il « trouva plus de mille lances de ses gens qui l'attendoient, et toujours luy
croissoient gens et venoient de tous côtés, de Flandres, de France, de Haynnau, de Namur, de
Loheraine, de Barrois, et d'autres pays. »336.

Arrivé à Maastricht, Wenceslas se rend ensuite à Rolduc vers le 12 août. Aucune source ne nous
indique pourquoi il se rend là-bas. Son but est peut-être de se rendre compte, par lui-même, des
préparatifs de guerre effectués là-bas depuis le 25 juillet 337 et de récolter des renseignements frais
sur les forces du duc de Juliers, sur les possibilités de franchissement de la Wurm 338 et sur la route
exacte à suivre ensuite. Il est impossible aussi de dire quels étaient les renseignements dont ils
disposaient à cette date quant aux effectifs du duc de Juliers qu'il va peut-être affronter. Ce qui est
sûr, c'est qu'il ne doit pas encore être certain, vers le 12 août, que le duc de Gueldre va rejoindre le

332 FROISSART, XIII, p. 20.


333 AGR, CB, n° 2867.
334 « tot shertogenrode aan minen here van Brabant », AVL, 4995, f. 22 ; VAN OETEREN, op.cit., p. 41.
335 Présents aussi à Bruxelles, le 6 août 1371. AGR, CB, n° 2867.
336 FROISSART, XIII, p. 21.
337AGR, CB, n° 2866 bis.
338 Wurm en Allemagne, Worm au Pays-Bas. Cette rivière sépare à peu près le duché de Limbourg du duché de Juliers.
Il est possible de franchir cette rivière à Rolduc ou à Rimburg, un peu plus au nord. Ces deux points de passages se
trouvent tous les deux à 9 km environ de Baesweiler.

67
duc de Juliers. En effet, il quitte Rolduc et se trouve à Bréda, le 15 août, pour y rencontrer Édouard
de Gueldre et Aubert de Bavière339. Aubert de Bavière, régent de Hainaut, Hollande et Zélande a
plutôt intérêt à ce qu'une guerre n'éclate pas entre le Brabant et la Gueldre. Un tel conflit aurait des
répercussions négatives sur la Hollande et menacerait le commerce des marchands hollandais sur le
cours inférieur de la Meuse. A la fin du mois de juin 1371, des négociations eurent déjà lieu à
Heusden entre les représentants du duc de Brabant, d'une part, et le duc de Gueldre et le régent de
Bavière, d'autre part, afin de négocier un traité d'amitié qui n'a pas, semble-t-il, abouti 340. On ne sait
pas ce qui s'est dit le jour de l'Assomption à Bréda, entre Wenceslas et Édouard, sous l'arbitrage
d'Aubert, mais si le but était de convaincre le duc de Gueldre de ne pas rejoindre le duc de Juliers
dans la guerre contre le Brabant, c'est un échec. Les griefs sont trop nombreux entre le Brabant et la
Gueldre pour qu'Édouard ne saisisse pas une occasion d'en découdre une bonne fois pour toute avec
le Brabant. Il se trouvera une semaine plus tard à Baesweiler aux côté de Guillaume de Juliers.

Pour Wenceslas, il s'agit de la première fausse note de la guerre : il va devoir affronter à la fois la
Guledre et le Juliers. On ne sait pas si Wenceslas avait prévu dans ses plans une telle éventualité et
il est difficile de dire si oui ou non il a été surpris de voir les Gueldrois assister les hommes d'armes
de Guillaume II à Baesweiler. Le duc de Brabant espère peut-être encore, à ce moment-là, battre
séparément le duc de Juliers avant d'affronter le duc de Gueldre. S'il parvient à obtenir une victoire
rapide contre le Juliers, il a toute les chances de convaincre Édouard de négocier une paix honorable
ou bien de battre celui-ci. C'est peut-être pour cette raison que, selon certains chroniqueurs,
Wenceslas quitte Maastricht, le mercredi 20 août, sans attendre ni les renforts du seigneur de
Grancey, composés de 400 lances341, ni tous les archers prêtés par les villes de Bruxelles et Louvain.
Si telle est l'intention de Wenceslas, cela se retournera finalement contre lui car se sont les rumeurs
de l'arrivée imminente de ces renforts qui pousseront le duc de Juliers, déjà numériquement
inférieur aux Brabançons, à tenter sa chance et à attaquer Wenceslas plutôt que d'attendre et voir
celui-ci augmenter davantage ses effectifs342. Ironie du sort, c'est l'initiative stratégique de
339 « Item pro custibus et expensis ducis ducisse factis inter Bruxellam et Breda circa Assumptionis Marie LXXI° ad
unam dietam contra ducem Albertum » AGR, CC, 2358, f.65 ; « XIIIm in oxst dum ducissam equitavit Breda contra
ducem Ghelrie », AGR, CC, f. 106.
340 « Item circa post festum beati Johannis Baptistae pro expensis domini de Bautershem, domini Henrici de Bastonia
et Nicolas Specht eundo et redeundo ad diaetam in Huesden contra ducem Gelriae et ducem Albertum pro amicitia
tractanda, expensis in Huesden factis solutis per receptorem de Buscho. Consumpserunt in via VI mut. » DE RAM,
« Particularités concernant le règne des ducs de Brabant Jeanne et Wenceslas », in BCRH, 2e série, tome 1, 1851, p.
242.
341 Le sire de Grantsy qui venait de Bourgogne, arrivera trop tard pour combattre à Baesweiler. Froissart, XIII, p. 21.
Le seigneur de Grancey était le second époux de Béatrice de Bourbon , la mère de Wenceslas. VAN OETEREN, op.cit.,
p. 47.
342 « Dux enim Julioci, audito quod multe communie bonarum villarum de Brabancia et mille lancee hominum
armorum venture essent in crastinum, die Assumptionis beate Marie, ad prefatum ducem Wencelaum, nolens
expectare adventum eorum... » Chronographia regum Francorum, II, p. 345. La date du jour de l'Assomption est

68
Wenceslas, qu'elle soit causée ou non par la crainte d'une jonction des forces du duc de Gueldre
avec le duc de Juliers, qui poussera Guillaume II à saisir l'initiative tactique, ce qui surprendra
Wenceslas et causera sa perte. On peut aussi affirmer que Wenceslas quitte Maastricht le 20 août
pour la simple raison qu'il juge ses effectifs suffisamment nombreux (2500 lances) pour mener une
chevauchée contre le duc de Juliers.

Le 16 août, la conférence de Bréda prend fin. Six jours seulement la séparent du jour de la bataille
de Baesweiler, le 22 août. Cela laisse supposer que les 600 lances d'Édouard, ou du moins une
partie d'entre elles, sont déjà prêtes lorsqu'il quitte Bréda, le 16 août, pour rejoindre le duc de
Juliers. De son côté, Wenceslas quitte Bréda le samedi 16 août pour se diriger vers Maastricht, point
de rendez-vous de son armée en cours de constitution. Wenceslas et Jeanne font une halte à
Turnhout, où ils passent la nuit du 16 au 17 août, puis se séparent chacun de leur côté le
lendemain343. Ils ne se reverront que 10 mois plus tard, au mois de juin 1372, à Aix-la-Chapelle.
Wenceslas passe ensuite la nuit du 17 au 18 août à Halen 344 escorté par des hommes d'armes. Il
arrive probablement à Maastricht, le 18 ou le 19 août, où des hommes d'armes provenant de
Bruxelles le rejoignent345. La duchesse Jeanne rentre, de son côté, à Bruxelles et fait un don aux
béguines de Louvain pour que des prières soient dites en faveur de son mari et de son armée contre
le duc de Juliers346. Dans la même ville, une procession de des prélats et des ordres religieux a
égalament lieu pour la guerre347.

Maastricht est le lieu où les forces de Wenceslas se réunissent et d'où il peut aisément se projeter sur
Juliers en empruntant la route Maastricht-Cologne. Selon Froissart, « ses gens ... venoient de tous
costés, de Flandres, de France, de Haynnau, de Namur, de Loheraine, de Barrois et d'autres pays et
évidemment une erreur de la part du religieux anonyme de Saint-Denis qui compile cette chronique. Il est
impossible de dire si cette erreur subsistait déjà dans le document original qu'il a traduit en latin, ou si c'est une
erreur due au compilateur lui-même. Il parle également de 1000 lancee hominum armorum alors que Froissart parle
de 400 lances. Serait-ce là une méprise du compilateur de Saint-Denis qui s'emmêlerait les pinceaux à propos de la
lance, composée d'un hommes d'armes et de son écuyer durant la seconde moitié du XIVe siècle ? Cela pourrait
expliquer, au moins, cette confusion puisqu'en terme d'individus, 400 lances font au moins 900 hommes et 900
chevaux.
343 « Item de expensis ducis et ducisse apud Breda vigilia Assumptionis et in die et sabbato sequ. » ; « Item de custibus
eorundem apud Turnhout in reditu de Breda sabbato post Assumptionis Marie de sero... » AVL, 6486, f. 65 ; VAN
OETEREN, op.cit., p. 42.
344 « Item Reynaldo de Zenna dicto tempore ad emendum diversa providentia ... ad libandum ducem cum suis militibus
et armigeris apud Halen, dominica post Assumptionis Marie LXXI° in reysa contra Juliacenses » AVL, 6486, f. 66 ;
VAN OETEREN, ibidem.
345 « venienti Bruxelle cum quibusdam militibus de Sonthormen equitandis ad ducem contra Juliacenses » AGR, CC,
2358, f. 65 ; VAN OETEREN, op.cit., p. 43.
346 « Item apud Lovanium... ad dandum beghinabus ibidem pro Deo et pro orationibus faciendis pro domino ducis et
sua societate contra Juliacenses ». AGR, CC, 2358, f
347 « Dits die processie wine die men gaf den prelaten ende den ordenen doe men processie dede vore dorloge XVIII in
oexst » AVL, 4995, f. 24 v. ; VAN OETEREN, op.cit., p. 43 ; BOFFA, op.cit., p. 21.

69
tant que il ot deux mille et cinq cens lances de très-bonnes gens... »348. Le rhénan Tilemann Elhen
von Wolfhagen parle, quant à lui, de 2400 lances, ce qui concorde quasiment avec Froissart349. La
Chronographia regum Francorum attribue à Wenceslas 2900 lances au total, mais cet écart est peut-
être dû à une erreur de copie de la part du compilateur anonyme de cette chronique 350. Un des traits
qui frappe les contemporains et les chroniqueurs est le nombre d'hommes d'armes non brabançons
qui composent l'armée de Wenceslas, dont certains ne sont pas des moindres. Les chroniqueur
citent, parmi les plus importants, Robert et Louis de Namur, accompagnés de leur neveu, Guillaume
de Namur, fils et héritier du comte de Namur Guillaume Ier 351 . Robert de Namur, « valentem
militem...qui tunc erat multum famosus in armis »352, compte à cette époque parmi les plus fameux
hommes de guerre. Il est au service du roi d'Angleterre Édouard III depuis 1347, en échange d'un
fief-rente annuel de 1200 florins, et au service de Wenceslas depuis 1362. Il sert celui-ci notamment
lors de la guerre entre le Brabant et la Gueldre, en 1368, comme maréchal du Brabant 353. Robert de
Namur apporte, bien entendu, à Wenceslas des combattants namurois, tandis que son frère Louis de
Namur, seigneur de Peteghem et de Bailleul, amène des hommes d'armes flamands.

Lambert d'Oupeye, maréchal de l'évêque de Liège, est envoyé, selon Jean d'Outremeuse, par
l'évêque pour « conduire les Hesbignons »354. Quatre ans plus tôt, Jean d'Arkel avait déjà mené,
avec Lambert d'Oupeye, une chevauchée en Juliers pour se venger d'actes de pillage commis, dans
le pays de Franchimont, par des chevaliers originaires d'Aldenhoven. Le fait que Jean d'Arkel
envoie Lambert d'Oupeye aider le duc de Brabant dans sa chevauchée contre le duc de Juliers, est
donc vraisemblable puisque les sujets de celui-ci troublent la sécurité des frontières orientales de la
principauté. De plus, Lambert d'Oupeye connait bien le terrain et a déjà servi le duc de Brabant 355.
En plus de Lambert d'Oupeye, les sources mentionnent les Liégeois Guillaume de Hamal 356 et le
348 FROISSART, XIII, p. 21.
349 « ...hatte der vurgenante herzoge von Brabant me dan vir unde zwenzig hondert gleven, ritter unde knechte,gar
gude lude... » Die Limburger Chronik..., p. 60.
350 « Dux Brabancie... commisitque pro antegardia Robertum de Namurcio, fratrem comitis Namurcii, cum nungentis
pugnatoribus, et pro retrogardia Guidonem de Luxemburgo, comitem Ligniaci et Sancti Pauli cum quigentis
hominibus armorum, ac retinuit secum quasi bis mille et quingentos homines armorum. ». Chronographia regum
Francorum, II, p. 344.
351 Guillaume II sera comte de Namur de 1391 à 1418. JEAN D'OUTREMEUSE, p. 194-195 ; DE RIVO, p. 18 ;
Chronographia regum Francorum, II, p. 345 ; FROISSART, XIII, p. 23. Robert de Namur est seigneur de Beaufort-sur-
Meuse et de Renaix (en Flandre) tandis que Louis de Namur est seigneur de Bailleul et de Peteghem, tous les deux
situés en Flandre. DE RAADT Jean-Théodore, La bataille de Baesweiler (22 août 1371) : liste des combattants du duc
Wenceslas suivie de quelques documents inédits pouvant servir à l'histoire de cette journée, Bruxelles, Vromant &
Cie, 1904, p. 38-44.
352 Chronique liégeoise de 1402, p. 356-357.
353 VAN OETEREN, op.cit., p. 231 ; AGR, CB, n° 2604-2617.
354 JEAN D'OUTREMEUSE, p. 195. Ce que reprend la Chronique liégeoise de 1402, p. 357 : « Lambertus de Upey cum
Hasbaniensibus ».
355 Le 9 juillet 1371, Wenceslas dédommage Lambert d'Oupeye pour perte de chevaux. AGR, CB, n° 2855.
356 JEAN D'OUTREMEUSE, p. 195. Guillaume de Hamal n'est pas cité par de Raadt et Van Oeteren ne l'évoque guère.

70
seigneur de Seraing357. Guy, comte de Ligny et de Saint-Pol, avec son fils Waleran agé de 16 ans 358,
commandera en Juliers une bataille, soit celle de l'avant-garde, soit celle de l'arrière-garde 359. Guy
de Saint-Pol, vassal de Wenceslas comme seigneur de Ligny et lointain parent des comtes de
Luxembourg, est aussi un vassal du roi de France en tant que comte de Saint-Pol dans le Pas-de-
Calais. Il a longtemps combattu les Anglais aux côtés des Français360. Les sources citent aussi Ulric
de Fénetrange361 et Pierre de Bar362, qui apportent des Lorrains, des Alsaciens et des Barrois.

Des archers « prêtés » par Louvain363 participent également à la chevauchée. Il semble que Louvain
a été hésitante à consentir à ce « prêt » puisque, le 14 août, un délégué est encore envoyé à
Bruxelles pour négocier avec la ville de Louvain l'envoi d'un contingent d'archers pour
Wenceslas364. La ville de Bruxelles envoie aussi des archers365. Des archers ou des arbalétriers seront
bien présents le 22 août à Baesweiler, puisque le duc de Gueldre Édouard sera mortellement blessé
au visage par un trait. Cependant, Wenceslas quitte Maastricht le 20 août sans les attendre tous. Une
partie des archers envoyés par Louvain et Bruxelles partent trop tard pour rejoindre à temps le duc,
c'est ce qu'affirme toutefois Zantfliet presque un siècle après Baesweiler 366. Lorsque la
Chronographia regum Francorum évoque les multae communiae bonarum villarum arrivant en
retard, il s'agit sûrement des archers envoyés par Louvain et Bruxelles 367. Les comptes de la ville de
Louvain mentionnent 57 archers partis et revenus en moins de six jours et qui, selon Van Oeteren,
auraient eu tout juste le temps de faire un aller retour entre Louvain et Rolduc 368. Il faut aussi

Jacques de Hemricourt confirme bien que Guillaume de Hamal, fils de Jean de Hamal, est mort à Baesweiler :
« messires Wilhelmes, qui tres beaz et tres gratieuz chevalier et morit sans hoirs alle batailhe à Bossewylre ».
JACQUES DE HEMRICOURT, Le miroir des nobles de Hesbaye, ed. par C. de Bormans, Bruxelles, 1910,
p. 327.
357 DE RIVO, p. 18. Il s'agit de Thierry, seigneur de Seraing et de Warfusée. DE RAADT, op.cit., p. 56-57.
358 FROISSART, XIII, p. 21.
359 Selon Froissart, Guy de Saint-Pol commande l'avant-garde, selon la Chronographia regum Francorum, il
commande l'arrière-garde. FROISSART, XIII, p. 23 ; Chronographia regum Francorum, II, p. 344.
360 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 729 ; VAN OETEREN, op.cit., p. 233.
361 Chronographia regum Francorum, II, p. 345. Conseiller de Wenceslas, il sert celui-ci au moins depuis la guerre de
succession du Brabant. Les combattants d'Ulrich ne sont pas seulement originaire de Lorraine (Thionville,
Fénétrange) mais aussi d'Alsace (Andlau, Hagenau, Strasbourg etc...). VAN OETEREN, op.cit. p. 232 ; DE RAADT,
op.cit., p. 19.
362 Ibidem ; DE RIVO, p. 18. Cousin du duc de Bar Robert.
363 « Dits die cost vanden scutters op die reyse te Guylke die die stat den hertoge geleent heeft van gracien » AVL,
4995, f. 23. VAN OETEREN, op.cit., p. 45.
364 « Item Jan de Vos te Bruesele geseint ane die stat omme te besiene ochte men here die scutters lenen soude ... XIIII
in oexst » AVL, 4995, f. 22 v. ; VAN OETEREN, op.cit., p. 47.
365 « Item Roes Watermale geseint te Bruesele omme te weten wat die stat van Bruesele haren scutters geven zoude »
AVL, 4995, f. 24 v. ; VAN OETEREN, op.cit., p. 47.
366 « Wenceslaus dux...cum nondum venissent sagittarii & arcubalistarii, quos expectare debebat... » ZANTFLIET, col.
296. Selon ce même chroniqueur, c'est un archer brabançon qui tire le trait fatal au duc Édouard avec le
consentement de Wenceslas, ce qui semble fantaisiste mais, encore une fois, Zantfliet écrit au milieu du XVe siècle.
367 Chronographia regum Francorum, II, p. 345.
368 « Item van LVII scutters die totter reysen uuter voeren metten conincstavels elc III lb.p. sdaegs, waren ute VI
dage... » AVL, 4995, f. 24 ; VAN OETEREN, op.cit., p. 47.

71
préciser que ces archers sont octroyés « par grâce », et non par droit, puisque le duché de Brabant
n'est pas en guerre contre le duc de Juliers, du moins pas avant l'annonce de la capture de Wenceslas
aux Etats du Brabant et les sollicitations de la duchesse Jeanne à ceux-ci pour libérer son mari 369.
Enfin, les comptes de la ville de Cologne mentionnent aussi, pour les mois de juillet et août, des
dépenses pour des archers envoyés aider Wenceslas, ce que Ennen et Kelleter ont pris, à tort, pour
une participation de Cologne à la guerre du duc de Brabant contre Guillaume de Juliers 370. Il s'agit
bien d'archers envoyés aider Wenceslas, mais contre Godefroid de Heinsberg, dans le cadre de la
Landfriede, non contre Guillaume de Juliers371.

Sur le plan matériel, les comptes de la recette générale du Brabant, dépouillés par Van Oeteren 372,
offrent quelques détails sur les préparatifs matériels du duc pour la chevauchée de Juliers. Des
achats de nourriture (dont 600 saucisses), de gants, de chaussures et de draps, sont effectués par les
membres de la maison ducale et expédiés probablement à Maastricht puisque Wenceslas est souvent
sur les routes entre le 6 et le 20 août. Vers le 10 août, du tissu est acheté et sert à fabriquer des
étendards373. Des réparations sont effectuées sur l'armure du duc374 et on lui fabrique de nouvelles
pièces pour les mains (cyrothecarum ferreis), les cuisses (cussieris) et les pieds (pollanen). L'armée
réunie étant principalement composée de cavaliers avec plusieurs milliers de chevaux (au moins
2000 dans le cas présent), il n'est pas étonnant dès lors de trouver des mentions de maréchaux-
ferrants, parmi les combattants de Wenceslas. Les sceaux de Pierre Druart, marscalc van Marbaix,
Jean Sollenberg et Jean de Thynes, représentent des marteaux, des fers à cheval et des harnais 375.
Leur rôle consiste autant à faire office de vétérinaire que de ferrer ou de harnacher les chevaux 376.
On trouve aussi un ingénieur, Peter van Aken die blimeister377. Enfin, les bancs du comté de
Fauquemont, déjà taxés pour la guerre contre Godefroid de Heinsberg, sont aussi mis à contribution
pour la chevauchée de Juliers. Les sommes perçues par le drossard de Fauquemont, en 1371, dans
les bancs de Klimmen, Meerssen, Geleen et Geul, couvrent notamment : les frais de charriage
d'engins de guerre et de provisions de bouches, les salaires payés aux hommes chargés du transport

369 « Item Jan die Vosgeseint te Triche met brieven van geloven aen minen here omme den brief te besegelen vanden
scutters dat men minen here die scutters leende van gracien ende van ghenen rechte XIX in oexst » AVL, 4995,
f. 24 ; BOFFA, op.cit., p. 136.
370 ENNEN, Geschichte..., p. 653-654 et KELLETER F.J., Die Landfriendensbünde zwischen Maas und Rhein im 14.
Jahrhundert, Paderborn, 1888, p. 59.
371 KNIPPING, Kölner Stadtrechnungen., p. 49-55.
372 VAN OETEREN, op.cit., p. 43-44 ; AGR, CC, 2358, f. 65-66.
373 « de XVIII peciis vexillarum sive pinselis operatis et factis pro duce circa Laurencii LXXI° pro dicta reysa
Juiacenses » AGR, CC, 2358, f. 65.
374 « de diversis opere factis ad harnaghium ducis » AGR, CC, 2358, f. 66.
375 AGR, CB, n° 3545, n° 4354, n° 4410 ; DE RAADT, op.cit., p. 26, 21 et 10.
376 BOFFA, op.cit., p. 164.
377 AGR, CB, n° 3192 ; BOFFA, ibidem.

72
de « Maastricht à Rolduc et au champs de bataille au pays de Juliers » ainsi que le dédommagement
pour les pertes de chevaux et de chariots survenues lors de cette chevauchée378.

On possède, par contre, peu d'informations sur les effectifs et les alliés du duc de Juliers de par les
sources narratives. Les chroniqueurs, contemporains ou proches de la bataille de Baesweiler, citent
tous évidemment le duc de Gueldre, avec 600 lances selon la Limburger Chronik379, sans lequel la
victoire sur Wenceslas n'aurait pu être remportée, mais ne sont pas très prolixes quant aux autres
alliés ou vassaux du duc de Juliers. Celui-ci peut aligner au moins 400 hommes d'armes, soit le
contingent qu'il s'engage à fournir pour la Landfriede en 1364 dans le cadre des grandes
opérations380. Les parents de celui-ci sont bien entendu présents à ses côtés et il n'est pas inutile de
rappeler qu'Édouard et Guillaume sont des beaux-frères. Un autre beau-frère de Guillaume est
Godefroid de Heinsberg, qui n'a probablement pas manqué de rejoindre les rangs du duc de
Juliers381. Il était capable d'aligner, en 1361, jusqu'à 200 bewaffneten Rittern und Knechten et
Wenceslas n'aligne, d'ailleurs, pas moins de 200 lances pour combattre « ceux de Heinsberg » en
juillet 1371382. Godefroid doit sûrement aligner moins de 200 hommes d'armes, en 1371, si l'on tient
compte qu'il n'est plus comte de Looz ni de Chiny, qu'il a engagé de nombreuses possessions et qu'il
a probablement subi des pertes dans sa guerre contre Wenceslas. Raoul de Rivo est le seul
chroniqueur contemporain à citer le neveu du duc de Juliers avec « d'autres chevaliers allemands
importants »383, c'est-à-dire Guillaume II, comte de Berg et de Ravensberg 384, que Godefroid appelle
son « beau-frère » et à qui il avait engagé plusieurs possessions, dont sa seigeurie de Blankenberg.

Tilemann Elhen von Wolfhagen, l'auteur de la Limburger Chronik, cite quelques seigneurs
originaires ou proches de la vallée de la Lahn 385 qu'il a probablement connu et qui sont allés
combattre Wenceslas : Jean, comte de Nassau-Dillenburg, Rupprecht, comte de Nassau-
Sonnenberg, Gérard, comte de Katzenelnbogen, le comte de Wied ainsi que le « jeune » Frédéric,

378 AGR, CB, n° 2895-2897 et n° 2901. Les sommes perçues en 1371 concernent à la fois la guerre contre Heinsberg et
la chevauchée de Juliers. Klimmen débourse 91 florins, Meerssen 62 florins, Geleen 30 florins et Geul 32 florins.
379 Limburger Chronik, p. 60.
380 « ... vyrhondert ritter ind knecht zu perde wail gewapent... » LACOMBLET, III, doc n° 657.
381 Aucune source ne cite Godefroid de Heinsberg, mais il est difficle de croire qu'il ne fut pas présent aux côtés de
Guillaume à Baesweiler. Zimmerman le cite sans également citer de sources. ZIMMERMAN Karl, « Die Schlacht bei
Baesweiler am 22. August 1371 », in Rheinische Viertelsahrsblätter, 11 (1941), p. 272.
382 GAIER, « Les effectifs militaires dans la principauté de Liège et le comté de Looz du XIIe au XVe siècle », in Armes
et combats dans l'univers médiéval, t.2, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2004, p. 70 ; LACOMBLET, III, p. 329 note 2.
383 « Comes de Monte, & alii primarii Alemanniae milites ». De Rivo, p. 18. La Chronique liégeoise de 1402 et
Zantfliet citent aussi le comte de Berg, puisq'ils reprennent en partie Raoul de Rivo.
384 Il est aussi le gendre d'un Wittelsbach, le comte palatin du Rhin Robert II le Jeune. R EDDLICH Otto, « Wilhelm I.,
Herzog von Berg », in ADB,, vol. 42, 1897, p. 723-727.
385 Affluent à l'est du Rhin qui rejoint celui-ci au sud de Coblence.

73
seigneur de Runkel386. Des chevaliers originaires du Rhin moyen sont attesté : le 14 novembre 1371,
les chevaliers Heinrich von Helfenstein, Johann Brenner, Johann von Rupach, Wilhelm von
Helfenstein, Hilger von Langenau ainsi que l'écuyer Friedrich Brenner reçoivent, du duc de Juliers,
1200 florins pour dommages de guerre à Baesweiler387. Le continuateur de Levold von Northof, qui
expédie la bataille de Baesweiler en trois phrases, nomme pourtant deux chevaliers de Guillaume ou
d'Édouard : Stephan von Zuilen388 et le westphalien Heinrich von Gemmen 389. La Chronographia
regum Francorum, qui traduit en latin un chronique disparue en langue vulgaire, cite les seigneurs
de « Vianen, d'Erk, de Lescler et filius suus, comes de Vianen, dominus Guillelmus de Rod et plures
alii nobiles »390. Il est certain, également, que des bourgeois de Cologne ont combattus aux côtés du
duc de Juliers. La ville, qui se défendra à Jeanne de Brabant d'avoir respecté l'interdiction impériale
qui lui fut faite de ne pas soutenir les efforts de guerre de Guillaume, avouera elle-même que 5 ou 6
bourgeois ont combattu pour le duc de Juliers.

Froissart ne dit rien sur la composition des armées des ducs de Juliers et de Gueldre. Il se contente
de dire que « ces deux seigneurs faisoient leur mandement moult secrètement et bien avant en
Allemaigne ; et pour tant que Allemans sont convoitteus et désirent fort à gaignier, et grant temps
avoit que ils ne s'estoient trouvés en place où ils peussent avoir nulle bonne aventure de pillage,
vindrent-ils plus habondamment, quant ils sceurent de vérité que ils avoient à faire contre le duc de
Brabant »391. La Kölner Weltchronik confirme le récit de Froissart à propos de l'attrait que
représentait l'armée de Wenceslas comme source éventuelle de butins pour les chevaliers
allemands392.

Le duc de Juliers réunit ainsi sa parentèle, ses vassaux et des combattants venus de part et d'autre du
Rhin entre la Westphalie et la Hesse, attirés en partie par l'appât d'un butin potentiel. C'est d'ailleurs,
pour beaucoup d'entre eux, leur métier que d'aller guerroyer au service de leur suzerain ou de leurs
parents. La parenté existant entre les différents lignages le long du Rhin ainsi que les liens féodaux,
combinés à l'appât du gain par la rançon et le butin, sont des facteurs importants favorisant de
386 « Unde waren uf des siten vil unser landesherren uf der Lane, mit namen grebe Johan von Nassauwe herre zu
Dillenberg, grebe Rupracht von Nassauwe, grebe Eberhart von Catzenelnbogen, der grebe von Wede unde
jungherFrederich herre zu Ronkeln unde ander herren, der ich nit genennen kan, unde huben an den strit gar
vigentlichen ». Die Limburger Chronik, p. 60.
387 Landesarchiv Nordrhein-Westfalen, Jülich-Berg, Urkund n° 303 ; ZIMMERMAN, op.cit., p. 272.
388 Peut-être un chevalier d'Édouard, car Zuilen se situe près d'Utrecht.
389 La seigneurie et le château de Gemmen se situent en Wetphalie.
390 Chronographia regum Francorum, II, p.
391 FROISSART, XIII, p. 20-21.
392 « convolantibus quoque ad eundem ducem Iuliacensem subito de vicinis partibus Reni undique tam ultra quam
citra positis multis militaribus viris, non tam ipsi duci in auxilium quam ad predam exercitus Brabantini apparatu et
diviciis opulenti. » Kölner Weltchronik, p. 113.

74
mobilisation relativement rapide. Il ne fait nul doute que le duc de Juliers sait exploiter ses liens
vassaliques et lignagers. Au temps des évêques de Liège Adolphe et Englebert de la Marck, on
retrouve souvent les princes, chevaliers et seigneurs rhénans à leurs côtés. C'est à eux qu'ils font
appel quand ils sont en butte aux bonnes villes et aux nobles du pays de Liège. Ce n'est pas un
hasard si on retrouve les comte de Gueldre, de Juliers et de Katzenelnbogen avec Englebert de la
Marck à la bataille de Vottem en 1346 393. Les liens vassaliques et matrimoniaux existant entre la
maison de Juliers et les comtes palatins du Rhin ont dû aussi jouer. Guillaume de Berg, neveu du
duc de Juliers, a épousé la fille du comte palatin du Rhin Robert II de Wittelsbach et il n'est pas
impossible que les comtes palatins du Rhin aient soutenu, indirectement, le duc de Juliers contre
Wenceslas qui a, pour eux, le malheur d'être un Luxembourg et le frère de Charles IV. Selon la
Limburger Chronik, le duc de Juliers réunit 1000 glaives auxquels se joignent les 600 glaives du
duc de Gueldre394. S'il n'est pas certain que le glaive allemand soit l'équivalent de la lance des
Brabançons395, Guillaume de Juliers souffre néanmoins d'une infériorité numérique par rapport à
l'armée de Wenceslas. Le chiffre avancé par Elhen von Wolfhagen semble réaliste. A lui seul, le duc
de Juliers peut rassembler à peu près la moitié des 1000 lances. En ajoutant les 100 ou 200 hommes
d'armes du seigneur de Heinsberg, on obtient environ 600 ou 700 lances. Il est crédible de penser
que les contingents du comte de Berg, du comte de Katzenelnbogen, des deux comtes de Nassau, du
seigneur de Runkel et de ces autres seigneurs que Elhen von Wolfhagen « ne peut nommer »,
comblent les 300 ou 400 lances restantes. La Chronographia regum Francorum dénombre quant à
elle 3500 combattants (pugnatoribus) en tout pour le duc de Juliers396, mais cette divergence
pourrait être due à une erreur de transcription, de traduction voire d'interprétation de la part du
moine de Saint-Denis397. Il faut enfin ajouter et rappeler que si la lettre de Cologne à l'empereur,
quant à l'interdiction d'approvisionner le duc de Juliers, date bien du 10 juin ou 11 juin 1371, le duc
de Juliers est déjà en train de « mobiliser » au mois de mai.

393 GAIER, Art..., p. 290.


394 « ...der herzoge von Gulich me dan mit dusent gleven, greben, herren, rittern unde knechten. ...Unde in dem
anhebende so koment der herzoge von Gellerlant me dan mit ses hondert gleven, ritter unde knechte zu hilfe den
Guilichern unde streden mit den Brabandern... » Die Limburger Chronik, p. 60.
395 Dans le Brabant de la seconde moitié du XIVe siècle, la lance ou le glaive comprend deux chevaux, avec un homme
d'arme et un valet. BOFFA, op.cit., p. 196-197.
396 « Ex alia parte dux Julioci et soriorus suus Edowardus, dux Gelrie ...et plures alii nobiles fere cum tribus milibus et
quigentis pugnatoribus ». Chronographia regum Francorum, II, p. 345.
397 Il y a trois hypothèse. Primo, le compilateur de Saint-Denis copie fidèlement ce qu'il voit et l'auteur du récit
original se trompe. Secundo, le moine de Saint-Denis commet une erreur de copie et écrit 3500 au lieu de 1500
combattants. Le récit original concorderait dès lors avec la Limburger Chronik. Tercio, l'auteur original distinguait le
simple combattant de la lance et passait d'une notion à l'autre, ce que rend mal la traduction latine du compilateur
qui s'emmêle avec ces notions. Les 3500 pugnatores équivaudraient alors à plus ou moins 1600 lances, concordant à
nouveaux avec la Limburger Chronik.

75
Aussi, si on sait très bien que Wenceslas réunit ses forces à Maastricht, on reste dans la conjecture
quant au lieu de réunion des forces du duc de Juliers. On ne sait pas non plus à quel moment exact
le duc de Gueldre rejoint Guillaume de Juliers. Il y a de fortes chances que le lieu de rassemblement
des forces de celui-ci soit simplement la ville de Juliers elle-même. C'est d'ailleurs la route de
Juliers qu'emprunte Wenceslas pour aller affronter Guillaume. Les comptes de la ville de Cologne
pour les semaines du 13 au 20 et du 20 au 27 août font subitement état de dépenses pour un nuncio
ad exercitum, qui doit certainement être l'armée de Guillaume, mais ne précisent jamais le lieu de
cet exercitum398. Celui-ci est d'ailleurs sûrement mobile durant les deux jours précédant la bataille,
dès le moment où Wenceslas envahit le duché de Juliers. Froissart rapporte d'ailleurs que les
ennemis du duc de brabant « chevauchoient » au fur et à mesure que le duc de Brabant s'avançait
vers Juliers399.

De Maastricht à Baesweiler (20-22 août).

Ici, on est presque livré exclusivement à la merci des sources narratives. Froissart et l'auteur
anonyme de la Chronographia regum Francorum sont les chroniqueurs qui décrivent avec le plus
de précision les deux premiers jours de la chevauchée. Le mercredi 20 août 1371, environ 2500
lances, accompagnées du charroi pour le transport de provisions et d'engins de guerre 400, se mettent
en branle et quittent Maastricht pour se diriger sur Rolduc. Selon Froissart, c'est le manque de
renseignements sur l'ennemi qui incite Wenceslas à chevaucher dès le 20 août vers le Juliers. Le
soir du 20 août, l'armée du duc, ou une partie de celle-ci, campe déjà en terre ennemie 401,
probablement non loin de Rolduc et de la Worm, la rivière qui sépare le Limbourg du Juliers. Les
comptes de Cologne mentionnent des messagers envoyés à Rolduc402.

L'armée de Wenceslas parcourt donc une étape de 30 km, entre Maastricht et Rolduc, et franchit la
Wurm à Rimburg, un peu plus au nord que Rolduc. Le trajet est facilité par la route empruntée.
Celle-ci n'est autre que la route Maastricht-Cologne, qui existait déjà sous l'Empire romain et qui
reliait Tongres à Cologne en passant par Iuliacum (Juliers), castrum de l'armée romaine. Elle s'étale

398 KNIPPING, Kölner Stadtrechnungen...., p. 54-55.


399 FROISSART, XIII, p. 21.
400 AGR, CB, n° 2895-2897 et n° 2901.
401 « Le duc de Brabant estant à Tret-sur-Meuse, il estoit trop petites nouvelles de ses ennemis. Lors voult le duc
chevauchier, et se party de Tret le mercredi. Si se vint logier sur la terre des ennemis, et là se tint tout ce soir et la
nuit et le jeudi tant que il en ouy autres nouvelles certaines, et luy fut dit par ses coureurs qui avoient couru sur le
pays, que ses ennemis chevauchoient . » FROISSART, XIII, p. 21.
402 Cologne dépense 1 marc pour un « nuncio misso ad Rodeducis » et 1 marc pour « Malart misso ad eundem loco ».
KNIPPING, Kölner Stadrechnungen..., semaine du 14 au 20 août 1371, p. 54.

76
de Maastricht à Juliers en passant par Fauquemont et Heerlen puis franchit la Wurm par le pont de
Rimburg, à 6 km au nord de Rolduc 403. Au Moyen Age, un hôpital destiné aux voyageurs existait à
Rimburg404. La Chronographia est la seule chronique qui évoque le passage de la Wurm : « Dictus
itaque dux Brabancie cum magno exercitu exiens de terra sua de Lemburgo, tansivit quemdam
parvum fluvium nomine Ourma, qui dividit terras Lemburgi et Julioci, ut terram Julioci vastaret et
ducem Guillelmum si posset reperire »405.

La journée du jeudi 21 août, Wenceslas se déplace avec son armée jusqu'aux environs du village de
Baesweiler qu'il atteint le soir même, à mi-chemin entre Juliers et Rimburg 406. Il suit toujours
probablement la même route Maastricht-Cologne vers Juliers, qui rejoint près d'Aldenhoven la route
Aix-Juliers407. Après avoir parcouru grosso modo 9 km, il campe la nuit du 21 au 22 dans les
alentours du village de Baesweiler. Ni Froissart ni la Chronographia regum Francorum ne citent le
nom de Baesweiler mais la Chronographia parle d'un « castra inter Aquisgranum et Juliocum, ubi
sunt quatuor leuce, super prenominatum fluvium (Wurm) »408. Si la lieue de la Chronographia
équivaut à environ 2250 mètres409, cette chronique se révèle d'une rare précision en ce qui concerne
les données géographiques. Baesweiler se situe bien en effet à environ 9 km de Rimburg.

La journée du 21 est celle de l'incertitude. Wenceslas ne sait toujours pas où se situe l'armée du duc
Guillaume. Il envoie des éclaireurs (coureurs) qui parcourent la région pour trouver ses ennemis
mais les seul renseignement qu'ils parviennent à récolter est qu'ils chevauchent 410 . Il s'agit là peut-
être des éclaireurs ennemis, tentant de récolter des renseignements sur les déplacements de
Wenceslas. Des escarmouches ont peut-être lieu durant la journée entre les éclaireurs et l'ennemi.
Ces coureurs sont les yeux et les oreilles d'une armées et ont plusieurs missions : ouvrir la voie,
récolter un maximum de renseignements sur les ennemis ainsi qu'empêcher ceux-ci de faire de
même, récolter des renseignements utiles sur le pays et sur le terrain et enfin transmettre tous ces
renseignements. De ceux-ci dépendent les décisions qui sont prises par les responsables d'une armée
en marche. L'une d'entre elles, prise par Wenceslas, constatant que le duc de Juliers chevauche mais
403 KRANTZHOFF Maria, « Aachen als Mittelpunkt bedeutender Straßenzüge zwischen Rhein, Maas und Mosel im
Mittelalter und Neuzeit », in Zeitschrift des Aachener Geschichtsvereins, t.51, 1929, p. 16.
404 ZIMMERMAN, op.cit., p. 274.
405 Chronographia regum Francorum, II, p. 344.
406 Baesweiler se situe à 9 km de Rimburg ou de Rolduc et à 15 km de Juliers.
407 ZIMMERMAN, op.cit., p. 274.
408 Chronographia regum Francorum, II, p. 344.
409 « leuca » in NIERMEYER J.F., Mediae Latinitatis Lexicon Minus, Leiden, E.J.Brill, 1976, p. 597-598.
410 « et là se tint tout ce soir et la nuit et le jeudi tant que il en ouy autres nouvelles certaines, et luy fut dit par ses
coureurs qui avoient couru sur le pays que ses ennemis chevauchoient. ...Ces gens d'armes s'entre-approchièrent et
se logièrent ce jeudi assés près l'un de l'autre et, à ce qu'il apparut, les Alemans sçavoient trop mieulx le convenant
des Brabanchons que on ne savoit le leur ». FROISSART, XIII, p. 21-22.

77
refuse le combat, est tout bonnement de dévaster et de piller les terres et les biens de son ennemi.
Cette pratique est d'autant plus courante au moyen âge que les batailles rangées sont rares, tant et si
bien qu'elle finit par devenir l'un des objectifs principaux de toute chevauchée, plus important même
que la défaite des forces adverses sur le champs de bataille. Cette pratique porte un nom, le
dampnum et a son verbe : damnificare411. L'objectif de la chevauchée du drossard de Fauquemont
contre « ceux de Heinsberg », un mois plus tôt, était on ne peut plus clair : détruire les cultures de
blé de « ceux de Heinsberg » afin qu'ils ne puissent les récolter412. On pourraitt aussi dire de
Wenceslas, ce jeudi-là, qu'il « damnificat » la terre du duc de Juliers, mais dans le but, ici, de le
dénicher et le faire sortir de son terrier, soit pour qu'il se rende et négocie la paix, ce qui est fort peu
probable, soit pour l'inciter à combattre. C'est ce qu'affirment unanimement la Chronographia413 et
Ehlen von Wolfhagen414. Froissart dit simplement que Wenceslas ordonne de bouter le feu tout en
chevauchant plus avant en direction de Juliers, sans toutefois préciser que cette damnificatio a pour
objectif de débusquer le duc de Juliers415.

La Chronographia et Froissart suggèrent, également, un ordre de marche lorsque Wenceslas


progresse dans le duché de Juliers. Selon la Chronographia, le duc de Brabant répartit son armée en
trois corps : l'avant-garde commandée par Robert de Namur, l'arrière-garde commandée par Guy de
Saint-Pol et le reste commandé par lui-même 416. Froissart est moins clair et mentionne l'avant-garde
sans citer d'arrière-garde. Il semble même se contredire : il attribue d'abord l'avant-garde à Guy de
Saint-Pol et à son fils puis l'attribue un peu plus loin à Robert de Namur 417. Serait-ce là une
distraction de la part du chroniqueur hennuyer ? Si Froissart est sincère et que son récit est exact, on
peut supposer que Guy de Saint-Pol se trouve à l'avant garde le jeudi et que Robert de Namur prend
ensuite les devants le vendredi matin en se trouvant, à son tour, à l'avant-garde. Il peut aussi être
sincère mais se tromper : Guy de Saint-Pol commande en fait l'arrière-garde comme le suggère la
Chronographia. On peut enfin disculper le chroniqueur et éluder la question autrement : l'armée de

411 HEWITT H.J., The organization of war under Edward III, New York, Manchester University Press, 1966, p. 100-
101 ; GAIER, op.cit., p. 211-217.
412 « ne illi de Heynsberch intraducant blada sua » AGR, CC, 2357, f. 107.
413 « ut terram Julioci vastaret et ducem Guillelmum si posset reperire ». Chronographia regum Francorum, II, p. 344.
414 « unde suchten den herzogen von Gulch daheime in sime lande zu schedigen, zu herschende unde ober zu riden ».
Limburger Chronik, p. 60.
415 « Adont se delosga-t-il et chevaucha plus avant, et commanda à bouter les feus en la terre de Julliers, et se loga ce
jeudi de haulte heure » FROISSART, XIII, p. 21.
416 « commisitque pro antegardia Robertum de Namurcio, fratrem comitis Namurcii, cum nungentis pugnatoribus, et
pro retrogardia Guidonem de Luxemburgo, comitem Ligniaci et Sancti Pauli cum quingentis hominibus armorum,
ac retinuit secum quasi bis mille et quingentos homines armorum. » Chronographia regum Francorum, II, p. 344.
417 Le jeudi : « Et faisoit l'avant-garde le conte Guy de Ligny, conte de Saint-Pol, et messire Walleran son fils, lequel
pour ce temps estoit moult jeune, car il ne avoit que sèze ans, et fut là fait chevalliers. » Le vendredi matin : « Nous
ne povons veoir autour de nous, ne avoir la cognoissance de l'avant-garde que maine vostre mareschal messire
Robert de Namur ». FROISSART, XIII, p. 21-23.

78
Wenceslas ne progresse pas en ordre de marche linéaire mais parallèle, en double file ou en triple
file. On aurait alors les flancs de Robert de Namur et de Guy de Saint-Pol protégeant le gros de
l'armée au centre avec le charroi commandé par Wenceslas, ou bien Robert de Namur évoluant
parallèlement au reste de l'armée, d'une part, et Wenceslas et Guy de Saint-Pol, d'autre part, ce
dernier ouvrant la marche au duc de Brabant. Cette dernière solution expliquerait, peut-être,
pourquoi les sources narratives qui décrivent Baesweiler, depuis Froissart jusqu'aux chroniqueurs
du XVe siècle, s'embrouillent au sujet du dispositif de marche de Wenceslas. On trouvera un peu
plus loin un élément de réponse à propos de l'absence de Robert de Namur durant le combat.

On peut affirmer cependant, sans trop d'incertitude, que la chevauchée de Juliers, entre le 20 août et
le 22 août, n'est pas une promenade de tout repos. On décèle dans les chroniques les moins
fantaisistes une certaine procédure, certes classique et sans originalité, mais une procédure quand
même. Le duc Wenceslas ne s'est pas aventuré en Juliers sans préparation, ce dont témoignent les
chariots, transportant provisions et matériels de guerre, qui accompagnent Wenceslas dans sa
chevauchée. Lorsqu'il pénètre en terre ennemie, il progresse lentement et prudemment, envoyant
des coureurs en reconnaissance tout en « damnifiant », incendiant et pillant ce qu'il peut encore
piller. Le soir du jeudi 21 août il atteint ou il dépasse le village de Baesweiler, à moins de 15 km de
Juliers, et c'est l'occasion, alors, d'adouber quelques écuyers avant un possible combat imminent.
Waleran, le fils de 16 ans de Guy de Saint-Pol, est adoubé chevalier le jeudi 418, la veille de la
bataille. Si les coureurs de Wenceslas ne peuvent déterminer où se situe exactement le duc de
Juliers, celui-ci connait bien mieux le terrain que Wenceslas et saura très bien où trouver le duc de
Brabant le lendemain : « ...les Alemans sçavoient trop mieulx le convenant des Brabanchons que on
ne savoit le leur ; car quant ce vint le vendredi au matin que le duc de Brabant ot oye sa messe et
que tous estoient sur les champs et ne se cuidoient mie si trèstost combatre, veés-cy venir le duc de
Julliers et messire Édouard tous bien montés en une grosse bataille »419.

La bataille de Baesweiler et la défaite de Wenceslas (vendredi 22 août).

Il est difficile de s'aventurer dans la reconstitution de la bataille de Baesweiler sans tomber dans le
piège de la dramatisation et de la rationalisation a posteriori420. Les chroniqueurs les plus crédibles
sont d'ailleurs eux-mêmes prudents. Lorsque Froissart a fini d'énumérer les détails de la pagaille qui

418 FROISSART XIII, p. 21-22.


419 Idem, p. 22.
420 CONTAMINE Philippe, La guerre au Moyen Age, Paris, PUF, 1980, 6ème édition (2003), p. 380.

79
régnait dans le camp brabançon au moment de l'attaque ennemie, il expédie l'affaire en deux
phrases421. Elhen von Volfhagen se contente de relever le courage du duc de Gueldre venu aider le
duc de Juliers pour aussitôt dénombrer les pertes du combat 422. Mais il est difficile, cependant, de se
résigner au silence et de ne pas tenter de proposer des schémas vraisemblables, fondés sur les
éléments des sources les plus crédibles, à défaut d'avoir un récit exhaustif et totalement vrai du
combat, idéal rarement atteint en histoire.

Une constante revient dans de nombreuses chroniques : l'absence des Namurois et des Liégeois au
moment du combat. Mathias de Lewis dénonce déjà le manque de prudence de Wenceslas et la trop
grande confiance qu'il a placée dans les « Namurois, les Hesbignons et les Liégeois »423. La
Chronique liégeoise de 1402 ajoute un peu plus tard que Robert de Namur et Lambert d'Oupeye se
sont rendus sans combattre, aussitôt après avoir appris la défaite et la capture de Wenceslas,
accusant par là-même les Namurois et les Hesbignons de s'être couverts de honte 424. Elle précise,
par ailleurs, que Robert de Namur avec son frère Louis et Lambert d'Oupeye formaient une aile
séparée (aciem seorsum)425. La Chronographia, qui indique pourtant que Robert de Namur
commandait l'avant-garde, ne l'évoque guère lorsqu'elle évoque le combat, comme si Robert de
Namur était tout à coup absent426. Quant à Froissart, il se tait sur l'absence de Robert de Namur, sans
doute pour ne pas salir la mémoire d'un ami et d'un protecteur. Il semblerait même qu'il essaye de le
défendre en révélant un détail important mais contradictoire : Robert de Namur mène l'avant-
garde427 alors qu'il précise, juste avant, que c'est Guy de Saint-Pol qui mène l'avant-garde. En fait,
Froissart ne se contredit pas mais il commet l'erreur d'employer un même mot pour deux choses
différentes. La terminologie militaire est encore, en somme, archaïque au XIVe siècle. Il semble, en
effet, que le comte de Saint-Pol et ses 500 hommes d'armes forment bel et bien l'avant-garde du
421 FROISSART, XIII, p. 23.
422 « Unde in dem anhebende so koment der herzoge von Gellerlant me dan mit ses hondert gleven, ritter unde
knechte, zu hilfe den Guilichern unde streden mit den Brabandern, unde behilden die Gulicher mit großen eren unde
mit werdecheit den strit unde fingen den herzogen von Brabant me dan mit dusent rittern unde knechten, unde
bleben doit me dan echte hondert ritter unde knechte » Die Limburger Chronik, p. 60.
423 « Dux vero Brabantie, minus caute agens, et in militaribus Leodiensibus, in Hasbaniensibus et in Namurcensibus
secum adductis nimis confidens, in necessitate sibi non assistentibus, multos nobiles perdidit... ». MATHIAS DE LEWIS,
p. 124.
424 « Dominus Robertus de Namurco qui tunc erat multum famosus in armis et frater ejus dominus Ludovicus ac
dominus Lambertus de Upey cum Hasbaniensibus habebant aciem ; quasi dedignantes alios, audientes quod dux
perdiderat exercitum suum et jam captivus ducebatur Juliacum, reddiderunt se captivos sine bello. Unde postea
habuerunt maximum dedecus et dampnum, et precipue Robertus et Lambertus predicti. » CHRONIQUE LIÉGEOISE DE
1402, p. 357.Ce discours sera repris des décennies plus tard par Zantfliet (ZANTFLIET, col. 296-297).
425 Ibidem.
426« ...dux quoque Julioci et duc Guelrie diviserunt se in duas acies. Dux vero Julioci venit contra ducem Brabancie, et
dux Guelrie conra comitem Sancti Pauli, ac in bello devicerunt eos. » Chronographia regum Francorum, II, p. 345.
427 « ...Sire, commandés que la place soit délivrée des chevauls, car ils nous empeschent trop grandement. Nous ne
povons veoir autour de nous, ne avoir la cognoissance de l'avant-garde que maine vostre mareschal, messire Robert
de Namur ». FROISSART, XIII, p. 22-23.

80
corps de Wenceslas, ce qu'on nommerait aujourd'hui une avant-garde tactique. Les Namurois et les
Hesbignons, dirigés par Robert de Namur et Lambert d'Oupeye et formant un corps ou une aile
séparée (aciem seorsum428) de 900 hommes d'armes429, se projettent en avant du corps principal avec
l'objectif de mener une reconnaissance, ce que Froissart nomme aussi une « avant-garde », mais que
l'on qualifierait aujourd'hui d'opérationnelle.

La Chronique des quatre premiers Valois commet d'ailleurs une confusion similaire à Froissart430.
Même si elle présente un des récits les plus fantaisiste et romancé de la bataille, cette dernière
chronique doit contenir pourtant quelques résidus de vérité. Parmi ceux-ci, il y a bien sûr l'absence
de Robert de Namur à Baesweiler. Elle l'explique par l'avancée de Robert de Namur vers la ville de
Juliers, près de laquelle il aurait battu le maréchal de Juliers, moment après lequel les ducs de
Gueldre et de Juliers auraient alors fait irruption sur l'armée de Wenceslas et de Guy de Saint-Pol 431.
Il est difficile de démêler le vrai du faux tant l'auteur de cette chronique mélange des détails
vraisemblables, attestés dans d'autres chroniques, avec des détails totalement farfelus 432. Que Robert
de Namur ait battu ou non un maréchal de Juliers n'a finalement pas beaucoup d'importance. Mais il
est vraisemblable que les Namurois et les Hesbignons mènent ce jour-là une reconnaissance vers la
ville de Juliers pour trouver l'ennemi que Wenceslas cherchait déjà à attirer le jour avant. Il est
possible aussi qu'il ait effectivement combattu, contrairement à ce qu'affirment les chroniqueurs
liégeois. Comment expliquer autrement les combattants tués qui sont recensés dans les rottes de
Robert et Louis de Namur 433? Une reconnaissance menée par Robert de Namur et Lambert
d'Oupeye serait également vraisemblable à cause des connaissance que ce derniers a acquis sur la
région de Baesweiler et d'Aldenhoven. Rappelons qu'en août 1367, Lambert d'Oupeye mèna la
chaude chevauchiée avec Jean d'Arkel, en Juliers, où il incendia Aldenhoven et s'illustra en battant
des chevaliers du Juliers par une fuite simulée et un volte-face 434. Il faut aussi songer que si Robert

428 Chronique liégeoise de 1402, p. 357.


429 Ce chiffre est suspecté d'être une erreur du compilateur de la Chronographia. Il faudrait plutôt lire 500 et non 900
hommes d'armes si on veut se conformer à l'effectif total des Brabançons fourni par Froissart et Elhen von
Wolfhagen. Chronographia regum Francorum, II, p. 344.
430 « Et oult le dit comte de Saint-Pol et Robert de Namur o les barons de France la première bataille. » Chronique
des quatre premiers Valois, p. 219.
431 « Le duc de Julliers et le duc de Guelres, le comte de Nazo, le sire de Vitefaille, le sire des Rusces, le seneschal de
Coulloigne, frère de l'archevesque, o moult grant gent yssirent de Julliers à trois batailles. Dont le mareschal de
Julliers o sa bataille ala devant. Monseigneur Robert de Namur o son frère et une partie de Françoiz alerent contre.
Et là oult dure et fiere bataille. Et à force d'armes furent les Allemans desconfiz et le mareschal prins. » Idem, p.
217.
432 Un exemple : « Car le dit comte de Saint Pol n'avait pas sept cents combattants, et le duc de Guelres en avoit plus
de huit mille. » Idem, p. 319. Que Guy de Saint-Pol ait moins de 700 combattants est vraisemblable, mais que le duc
de Gueldre en ait eu plus de 8000 est fantaisiste.
433 DE RAADT, p. 38-44. Il n'est mentionné aucun tué par contre dans la lise des combattants de la rotte de Lambert
d'Oupeye, censé se trouver avec Robert de Namur.
434 JEAN D'OUTREMEUSE, , p. 194 ; ZANTFLIET, col. 291 ; GAIER, Art..., p. 188.

81
de Namur et Lambert d'Oupeye forment un corps séparé de celui de Wenceslas et Guy de Saint-Pol,
c'était déjà probablement le cas le jour avant, car les ducs de Juliers et de Gueldre attaquent
Wenceslas le matin du 22 août. La Chronographia le sous-entend néanmoins435. Mais globalement,
deux faits sont certains. Primo, les Namurois et les Hesbignons ne sont pas présents auprès de
Wenceslas au moment où il a justement besoin d'eux, c'est-à-dire lorsque les ducs de Juliers et de
Gueldre fondent sur lui. Cela indique que Wenceslas est surpris et ne s'attend pas, à ce moment-là,
à ce que les ducs Guillaume et Édouard l'attaquent. Secundo, ils se rendent au duc de Juliers lorsque
celui-ci a capturé le duc de Brabant, ce qui leur sera reproché et difficilement pardonné d'après les
chroniqueurs liégeois436.

Que se passe-t-il à Baesweiler ce matin du 22 août du côté de Wenceslas et de Guy de Saint-Pol ?


Wenceslas ne s'attend pas du tout à ce que Guillaume et Édouard l'attaquent. Selon Froissart, au
moment où Guillaume et Édouard arrivent tous montés en une « grosse bataille »437, Wenceslas
entend une messe. Guillaume de Juliers lui-même ne s'attendait peut-être pas à attaquer Wenceslas
aussi vite, en supposant qu'attaquer le duc de Brabant ait fait partie de ses intentions. Selon la
Chronographia, il décide d'attaquer quand il apprend, le jour avant la bataille, que de « nombreux
communiers » et « 1000 lances d'hommes d'armes » vont rejoindre Wenceslas le lendemain438. Il
s'agit là sûrement des archers, que Bruxelles et Louvain ont envoyés assez tardivement à leur duc et
qui n'arrivent pas à temps 439, ainsi que des 400 lances du sire de Grancey dont parle Froissart, que
Wenceslas n'a pas attendus lorsqu'il a quitté Maastricht et qui arriveront également trop tard 440.
Plutôt que de rester dans l'expectative et voir ses chances de perdre cette guerre augmenter en même
temps que les effectifs de Wenceslas, Guillaume de Juliers et Édouard décident de risquer le tout
pour le tout et d'attaquer sans attendre le lendemain. Ce jour-là, l'absence de Robert de Namur, avec
une fraction non négligeable de l'armée de Wenceslas (au moins 500 hommes d'armes), sera pour
eux une aubaine. Froissart décrit ainsi la pagaille qui règne dans le camp du duc de Brabant au
moment où les duc de Juliers et de Gueldre attaquent le vendredi matin : « Autour du duc sur les
champs estoient ces Brouxellois, montés les aucuns aux chevauls et leurs varlets par derrière euls,
qui portoient gros flacons et bouteilles de bon vin troussées à leur selles, et aussi pain et frommage

435 Chronographia regum Francorum, II, p. 344.Voir note 356.


436 MATHIAS DE LEWIS, p. 124 ; Chronique liégeoise de 1402, p. 357 ; ZANTFLIET, col. 296-297.
437 FROISSART, XIII, p. 22.
438 « Dux enim Julioci quod multe communie bonarum villarum de Brabancia et mille lancee hominum armorum
venture essent in crastinum, scilicet die Assumptionis beate Marie, ad prefatum ducem Wencelaum, nolens expectare
adventum eorum, unacum ducem duce Guelrie et ceteris descendit de montibus in vallem dicte riparie de Ourma. ».
Chronographia regum Francorum, II, p. 345. L'auteur ou le compilateur se trompe visiblement quant à la date. La
bataille n'a pas lieu le jour de l'Assomption (vendredi 15 août), mais une semaine plus tard, le vendredi 22 août.
439 Voir supra.
440 FROISSART, XIII, p. 21.

82
et pastés de saulmon, de truittes et d'anguille tout enveloupés de belles petites touailles, et
occupoient là de tous lés ces gens tant que nul sens on ne s'i sçavoit comment aidier. Adont dit
Gérard du Biés441 au duc : « Sire, commandés que la place soit délivre des chevauls, car ils nous
empeschent trop grandement. Nous ne povons veoir autour de nous, ne avoir la cognoissance de
l'avant-garde que maine vostre mareschal messire Robert de Namur ».- « Je le vueil » dist le duc, et
le commanda. Adont prist Gérard son glaive entre ses mains. Pareillement firent ses compaignons,
et lors commencièrent à frapper sur ces bacinets et sur ces chevauls à tous costés, et tantost la
place en fut délivrée et se retraioient sus elle, car nuls ne veoit voulentiers son coursier ou son
cheval navrer, ne blecier »442.

Froissart conclut aussitôt la bataille, de manière brève, par la déconfiture violente de l'avant-garde
du comte de Saint-Pol, qui reçoit sur lui tout le choc de l'attaque 443. Le propre récit de Froissart sur
la bataille est finalement assez court et assez simple. Le chroniqueur hennuyer explique la défaite
du duc de Brabant par l'attaque subite des ducs de Juliers et de Gueldre et le désordre causé par
celle-ci dans le camp de Wenceslas, ce qui est vraisemblable. Il exagère cependant, peut-être, en
attribuant la faute de la pagaille aux seuls bourgeois de Bruxelles, Froissart étant connu pour son
mépris de la ville et de la bourgeoisie. Si Froissart n'accuse pas le duc de la défaite, c'est pourtant
bien le manque de vigilance de Wenceslas qui le mène à sa perte, si bien que l'armée de Wenceslas
se présente, le matin du 22 août, tel un fruit mûr à cueillir pour Guillaume de Juliers. Seule
l' « avant-garde » du comte de Saint-Pol est apparemment sur pied de guerre ce matin-là et c'est elle
qui subit tout l'impact de l'attaque, ce qui est fatal à Guy de Saint-Pol en même temps qu'à toute
l'armée. Si les rottes de Guillaume de Juliers et d'Édouard ont chargé depuis l'est, ce matin-là, il est
possibles qu'elles aient eu l'avatange du soleil dans leur dos, renforçant encore plus la confusion des
Brabançons. La bataille de Guy de Saint-Pol écrasée, il ne reste plus que l'armée commandée par
Wenceslas, surprise par une attaque aussi prompte et empêtrée dans un désordre indescriptible.
Froissart ne dit ensuite plus rien, comme si tout était fini dès lors que Guy de Saint-Pol et ses
hommes furent déconfits et on ignore comment, exactement, Wenceslas s'est retrouvé prisonnier de

441 Froissart a connu personnellement Gérard d'Obies, prévôt de Binches, de qui il tient peut-être, entre autres, ce récit.
KERVYN DE LETTENHOVE, Oeuvres de Froissart, tome I (Introduction), réimpression de l'édition de 1867-77,
Osnabrück, Biblio Verlag, 1967, p. 246-263.
442 FROISSART, XIII , p. 22-23.
443 « Pour venir à fin de icelle besoigne, le duc de Julliers et son beau-frère messire Edouard de Guelres et leurs
routes s'en vindrent sur euls, tout brocquant et trouvèrent le conte de Saint-Pol et son fils qui faisoient l'avant-garde,
et se boutèrent entre euls de grant voulenté tant que ils les rompirent, et tantost les eurent desconfis. Et là en y ot en
grant nombre de mors, de prins et de blechiés, et fut la bataille qui ot le plus à faire, et là fut mors le conte Guy de
Saint-Pol, et messire Walleran son fils prins. Ceste journée, ainsi que les fortunes tournent, fut trop felle et trop dure
pour le duc de Brabant et pour ceulx qui aveuc luy furent ; car petit s'en sauvèrent de gens d'honneur, qui ne
fuissent ou mors ou prins. » Ibidem.

83
Guillaume de Juliers. Il ne dit pas si le duc de Brabant a été capturé en venant assister Guy de Saint-
Pol ou bien s'il s'est rendu de son propre chef en voulant éviter un bain de sang inutile. Il se contente
simplement de dire que « le duc Wincelant fut là prins ». Le silence de Froissart à ce sujet pourrait
être un indice en faveur d'une capitulation. Mathias de Lewis n'hésite cependant pas à clamer la
responsabilité de Wenceslas dans sa défaite et condense très bien en une phrase les raisons de celle-
ci : « Dux vero Brabancie, minus caute agens, et in militaribus Leodiensibus, in Hasbaniensibus, et
in Namurcensibus secum adductis nimis confidens, multos nobiles perdidit et ipse personaliter cum
tota sua militia capitur, et captus, multo tempore detinetur 444». Peut-être ne faut-il pas chercher plus
loin les raisons de cette défaite. Le récit de la bataille de Baesweiler, selon Froissart, est somme
toute très simple et constitue l'un des meilleurs témoignages à cause la proximité de son auteur avec
certains protagonistes. Cependant, il comporte des défauts qu'il faut compenser par les autres
chroniqueurs dans la mesure du possible. Il n'explique pas où se trouve Robert de Namur au
moment du combat et minimise les responsabilités de Wenceslas. Au contraire, il semble faire
porter toute la faute du désastre sur les patriciens de Bruxelles.

La Chronographia présente une version un peu différente de la bataille. Elle est la seule chronique
qui évoque explicitement la raison de l'attaque du duc de Juliers et présente des détails
géographiques précis qu'elle est la seule à fournir et que seul quelqu'un qui aurait visité, en
personne, le Limbourg et le Juliers pourrait connaitre. Cependant, ces détails semblent altérés par
une mauvaise compréhension ou une mauvaise traduction, soit par l'auteur original, soit par le
compilateur de Saint-Denis au début du XVe siècle, ce qui implique de les interpréter avec une
certaine prudence. Elle décrit l'approche des ducs de Juliers et de Gueldre et le combat comme suit :
« Dux enim Julioci, (...), unacum duce Guelrie et ceteris descendit de montibus in vallem dicte
riparie de Ourma. Dux eciam Brabancie et qui cum eo erant se ordinaverunt ad recipiendum eos in
prelium ; dux quoque Julioci et dux Guelrie diviserunt se in duas acies. Dux vero Julioci venit
contra ducem Brabancie, et dux Guelrie contra comitem Sancti Pauli, ac in bello devicerunt
eos »445. La Chronographia rejoint Froissart lorsqu'elle dit que le duc de Juliers arrive « avec le duc
de Gueldre et les autres comme un (unacum) »446. Ensuite, son récit diverge du chroniqueur
hennuyer. Elle évoque alors un mouvement bizarre : les ducs de Juliers et de Gueldre « descendent
des monts vers la vallée de la rivière dite Wurm ». En effet, le territoire du Juliers, qui s'étend entre
la Roer et son affluent, la Wurm, est une plaine presque sans reliefs. Il faut néanmoins comprendre

444 MATHIAS DE LEWIS, p. 124.


445 Chronographia regum Francorum, II, p. 345.
446 « vées-cy venir le duc de Julliers et messire Edouard tous bien montés en une grosse bataille ». FROISSART, XIII, p
22.

84
que Guillaume de Juliers et Édouard se dirigent vers la Wurm, et qu'ils se retrouvent derrière
l'armée de Wenceslas, à l'ouest ou nord-ouest de celui-ci. Le duc de Brabant est ici, à l'inverse de
chez Froissart, en ordre de combat, prêt à recevoir l'ennemi. C'est après ce moment, selon la
chronique, que le duc de Juliers et de Gueldre se séparent en deux batailles, Guillaume chargeant
contre le corps de Wenceslas et Édouard chargeant contre le corps du comte de Saint-Pol. Il faut
donc en déduire, en s'appuyant sur Froissart et la Limburger Chronik447, que Guillaume attaque,
avec ses 1000 lances, les 1500 hommes d'armes de Wenceslas et qu'Édouard attaque, avec 600 ses
lances, les 500 hommes d'armes du comte de Saint-Pol. La Chronographia conclut ensuite le
combat : les ducs de Gueldre et de Juliers défont Wenceslas et Guy de Saint-Pol.

La compilation du religieux de Saint-Denis nous fournit une cause tactique à la défaite de


Wenceslas. Celui-ci s'est retrouvé avec les ducs de Juliers et de Gueldre dans son dos ou sur ses
flancs alors qu'il ne s'y attendait pas. Cela expliquerait pourquoi Robert de Namur et Lambert
d'Oupeye, partis en avant-garde vers l'est, ne sont pas présents auprès de Wenceslas au moment de
l'attaque et qu'ils ne reviennent pas : tout simplement parce qu'ils n'ont pas trouvé l'armée de
Guillaume, qu'ils croyaient tout naturellement à l'est de Baesweiler, près de Juliers. Le
contournement de l'armée de Wenceslas pourrait s'expliquer, simplement, parce que le duc de
Juliers n'avait pas encore fait sa jonction avec le duc de Gueldre les jours précédents. Il a peut-être
chevauché vers le nord-ouest à la rencontre des 600 lances du duc Édouard le jour ou le soir
précédant la bataille, ce qui expliquerait pourquoi, selon Froissart, les ennemis chevauchoient le
jeudi et qu'ils refusaient d'affronter Wenceslas. Le duc de Gueldre peut arriver de Gueldre vers
Juliers par le nord-ouest, autrement dit par Roermond-Heinsberg, ou bien par le nord via Erkelenz.
Il est difficile de dire à quelle hauteur, exactement, Édouard et Guillaume auraient ainsi opéré leur
jonction. Le point de jonction pourrait se trouver à hauteur de Linnich-Geilenkirchen, à 10 km au
nord de la route Rimburg-Baesweiler, soit une distance raisonnable 448. Il est impossible d'affirmer,
avec certitude, si le contournement de l'armée de Wenceslas faisait partie ou non d'un plan préétabli.
Quoi qu'il en soit, il est certain que si Guillaume et Édouard se situent quelque part au nord de
Baesweiler, entre Geilenkirchen et Linnich, au soir du 21, il est plus facile pour eux d'atteindre
l'armée de Wenceslas en longeant de près ou de loin le cours de la Wurm, en remontant vers le sud
et la route Rimburg-Baesweiler, route qu'emprunte le duc de Brabant. Revenir vers Juliers aurait
été, en effet, un non-sens et une perte de temps. Ainsi seraient-ils tombés sur l'armée de Wenceslas
447 La Limburger Chronik attribue à Édouard 600 lances et à Guillaume 1000 lances. Pour Wenceslas, elle attribue
2400 lances ou 2500 selon Froissart. Selon la Chronographia, il faut attribuer au corps de Guy de Saint-Pol 500
hommes d'armes et à Wenceslas 1500 hommes d'armes.
448 Une troupe de cavaliers peut, à une allure pressée, parcourir 25 km en une journée. Il faudrait donc moins d'une
demi-journée à Guillaume de Juliers pour atteindre l'armée de Wenceslas. GAIER, « Art... », p. 120.

85
par le nord ou par le nord-ouest, et non par l'est, en évitant la fameuse « avant-garde » de Robert de
Namur.

Il pourrait enfin y avoir une autre possibilité, quant au fameux mouvement des Allemands « de
montibus in vallem dicte riparie de Ourma ». Les « montagnes » désigneraient, en fait, le massif
forestier de l'Eiffel et la forêt de Hürtgen, qui occupent toute une partie du duché de Juliers et
commencent à s'élever à environ 15 km au sud de la plaine de Baesweiler, à hauteur d'Eschweiler.
Cette hypothèse est aussi tentante et même vraisemblable, mais il faut admettre alors que le duc de
Juliers opère sa jonction avec Édouard de Gueldre plus tôt que le jeudi 21 août et qu'il chevauche
ensuite avec lui vers l'Eiffel. Ce mouvement serait tout à fait logique : le massif de l'Eiffel est une
excellente position de repli stratégique face à une invasion. Il culmine en moyenne entre 200 et 400
mètres et s'élève lentement à partir de la ligne Eschweiler-Düren. C'est dans l'Eiffel que se situent
les meilleurs forteresses du duché de Juliers, dont le château de Niedeggen, où Guillaume enfermera
Wenceslas. Le massif forestier est le cauchemar de tout envahisseur. Les routes y sont étroites et
difficilement praticables pour le charroi et la logistique. L'exemple le plus récent et le plus
démonstratif est le choix de l'armée américaine de percer la ligne Siegfried par le massif de l'Eiffel
et la forêt de Hürtgen, en septembre 1944. Ce fut sans doute la pire décision de l'armée américaine
en Europe durant la seconde guerre mondiale : elle se solda par quatre mois d'enlisements, qui
imputèrent aux Américains 32 000 pertes, tant le terrain y est facilement défendable, même contre
une armée moderne et mécanisée449. Guillaume de Juliers ne se serait pas replié tout de suite dans
cet asile stratégique. La fuite sans combats n'est pas le propre de la mentalité chevaleresque et il ne
peut pas laisser Wenceslas ravager la plaine de Juliers sans défense. Il campe, cependant, aux
portes et au pied de l'Eiffel, autrement dit à Eschweiler. C'est là qu'il se trouve, d'ailleurs, quelques
jours après la bataille de Baesweiler450. Il n' y a que 13 km entre Eschweiler et Baesweiler, ce qui est
une distance raisonnable qui peut se franchir, pour des cavaliers, en une demi-journée 451. Si
Guillaume attaque par le sud, c'est-à-dire depuis les hauteurs d'Eschweiler, le mouvement « des
montagnes vers la vallée de la rivière dite Wurm » pourrait trouver son explication. L'hypothèse,
basée sur la Chronographia, d'une attaque effectuée sur les arrières de Wenceslas, que ce soit par le
sud ou par le nord, pourrait alors expliquer la phrase de Froissart qu'il n'explique pas lui-même :
« ...et, à ce qu'il apparut, les Alemans sçavoient mieux le convenant452 des Brabanchons que on ne

449 MACDONALD, Charles B., The Siegfried Line Campaign, USA, Center of military history, 1984, p. 593.
450 « Malart nuncio misso Eschwilre ad ducem Juliacensem » KNIPPING, « Kölner Stadtrechnungen..., », p. 55, semaine
du 27 août au 3 septembre.
451 GAIER Claude, « Art... », p. 120.
452 « convenant : Manière d'être, situation dans laquelle on se trouve. » Dictionnaire de moyen-français (1330-1500),
analyse et traitement informatique de la langue française, université de Nantes, http://www.atilf.fr/.

86
savoit le leur »453. Si tel est le cas, Wenceslas ne peut en effet qu'être surpris.

Lorsque Guillaume de Juliers et Édouard de Gueldre arrivent, Wenceslas et Guy de Saint-Pol sont
véritablement surpris. Le choc et le combat qui s'ensuivent sont violents. La charge des rottes ou
conrois du duc de Gueldre est fatale à la bataille du comte de Saint-Pol. Celui-ci est d'ailleurs
mortellement blessé. On raconte qu'un combattant de Guillaume, détroussant les cadavres toujours
gisant sur le champs de Baesweiler après la bataille, aurait achevé Guy de Saint-Pol et s'en serait
vanté auprès du duc de Juliers. Celui-ci l'aurait fait pendre pour avoir tué un homme aussi
« noble »454. Selon la Chronographia, le duc de Juliers attaque la bataille de Wenceslas pendant
qu'Édouard attaque le comte de Saint-Pol. Lorsque le duc de Gueldre attaque, il détient une
supériorité numérique locale sur le comte de Saint-Pol, et « là en y ot un grant nombre de mors, de
prins et de blechiés, et fut la bataille qui ot le plus à faire »455. Quand le duc de Juliers charge
Wenceslas, il se retrouve avec 1000 lances contre 1500, avec, par conséquent, une infériorité
numérique locale. Certaines chroniques tardives évoquent les difficultés du duc de Juliers contre les
Brabançons de Wenceslas456. Il aurait même été capturé momentanément puis relâché mais le fait
est peu probable457. Un évènement pareil, de nature à redorer le blason de Wenceslas, aurait été
probablement mentionné par Froissart s'il avait vraiment eu lieu. Cependant, il est réaliste de penser
que le duc de Juliers ait eu provisoirement des difficultés et que la victoire du duc de Gueldre sur le
comte de Saint-Pol ait redressé la situation458.

Ainsi prennent fin, en quelques heures, les ambitions d'un prince. Le combat est violent et les pertes
énormes. Le duc de Gueldre est mortellement blessé par un trait et décède trois jours plus tard. Il
sera inhumé dans la nécropole de ses ancêtres à l'abbaye de Grafenthal 459. Guy de Saint-Pol est, lui
aussi, mortellement blessé et Guillaume de Hamal occis 460. Le duc de Brabant est capturé avec toute

453 FROISSART, XIII, p. 22.


454 Selon Willem van Berchen, le combattant en question a été exécuté à Cologne. Selon la Chronique des quatre
premiers Valois, dont l'auteur est contemporain de Baesweiler, il a été pendu sur ordre de Guillaume de Juliers.
WILLEM VAN BERCHEN, De gelderse kroniek, p. 19-20.; Chronique des quatre premiers Valois, p. 218 ; Chronique
latine de Jean de Stavelot, p. 72.
455 FROISSART, XIII, p. 23.
456 WILLEM VAN BERCHEN, De Gelderse Kroniek, p. 17 ; Annales Novesienses, col. 590 ;
457 Par le liégeois Guillaume de Hamal selon ZANTFLIET, col. 296 ; Brabantsche Yeesten, p. 206.
458 « Et cum loco certaminis tunc actu initi appropinquaret vexillis suis fulgidis et tubis horrisonis preuntibus magno
clamore et fragore cum suis : « Gelre ! Gelre! » vociferando, exercitui Juliacensi in desolacionibus et tristiciis
constituto ex inopinato lateraliter se coniuxit. Qui, ex adventu ipsius Eduardi viribus resumptis, cum eodem
Eduardo ac Wilhelmo eorum duce contra ducem Brabancie Wenzelaum et suos, ex dicti Gelrensis exercitus
adventum territos et animis destitutos, bellum cruentissimum priori horribilius ad invicem innovarunt. » WILLEM
VAN BERCHEN, De Gelderse Kroniek, p. 17.
459 « Ceciditque in eodem conflictu Eduardus dux Gelrie supradictus et in monasterio Valliscomitis apud patrem suum
Reynaldum ducem tumulatur ». Die Kölner Weltchronik, p. 113.
460 JEAN D'OUTREMEUSE, p. 195.

87
son armée. Robert de Namur et Lambert d'Oupeye rendent également les armes. Froissart ne dit pas
combien de combattants sont morts ce jour-là. Selon la plupart des chroniques, entre 700 et 1000
hommes auraient péri dans la bataille. Il y aurait eu 700 tués des deux côtés, ainsi que 2000 hommes
capturés selon la Kölner Weltchronik461 et 800 tués selon la Limburger Chronik. D'autres sources
mentionnent 1000 voire 1300 tués462 , mais le chiffre fourni par la Kölner Weltchronik est le plus
fiable. Les 2000 combattants capturés, qu'elle mentionne, collent avec les 2000 quittances, environs,
des combattants dédommagés par Wenceslas pour leurs dommages et pertes subis à Baesweiler 463.
Pour Wenceslas et de nombreux nobles de son armée, tels Waleran de Saint-Pol, Robert et Louis de
Namur et leur neveu Guillaume, une captivité de plusieurs mois commence. Wenceslas est enfermé
dans le « nid d'aigle » des ducs de Juliers, au château de Niedeggen 464. Il ne sera libéré que 10 mois
plus tard, au mois de juin 1372, grâce aux tractations de Jeanne de Brabant et à l'intervention de son
frère, l'empereur Charles IV.

461 Ibidem. Willem van Berchen, qui copie pratiquement mot pour mot la Kölner Weltchronik au début de son récit,
reprend exactement les mêmes chiffres. WILLEM VAN BERCHEN, De Gelderse Kroniek, p. 18-20. Les Annales
Novesienses reprennent à leur tour ces chiffres, mais ajoutent que 400 Brabançons se trouvaient parmi les 700 tués.
Annales Novesienses, col. 590.
462 Chronographia regum Francorum, II, p. 345 ; Annales sancti Jacobi Leodiensis, ed. par G.H.Pertz, in M.G.H., SS,
t. 16, p. 645 ; Chronicon Moguntinum, ed. par C. Hegel, in M.G.H., SS. rer. Germ. (20), p. 29.
463 VAN OETEREN, op.cit., p. 85.
464 Ce château domine de haut la vallée de la Roer, à 30 km en amont de Juliers, à l'entrée du massif forestier
Hürtgenwald.

88
Partie III : Libération de Wenceslas et conséquences de la bataille de Baesweiler

1) Captivité de Wenceslas (août 1371-juin 1372).

Activités de Jeanne de Brabant pour libérer Wenceslas

Jeanne de Brabant est résolue, coûte que coûte, à libérer Wenceslas et à laver l'affront fait par le duc
de Juliers contre le Brabant. En l'espace de 10 mois, elle se tourne, tour à tour, partout où elle peut
trouver le soutien et l'appui nécessaire. Elle requiert, successivement, l'aide des États et des villes du
Brabant, de l'évêque de Liège, du roi de France, des comtes de Clèves et de la Marck, d'Aubert de
Bavière, et finalement, celle de son beau-frère l'empereur. De celui-ci, elle se méfie avec raison,
étant donné la divergence pouvant exister entre les intérêts des ducs de Brabant au sein-même de la
Lotharingie et, à un niveau plus élevé, ceux de Charles IV, qui pense avant tout à la position des
Luxembourg et à la stabilité de l'Empire, quoi qu'il puisse en coûter à Wenceslas et à Jeanne. Lors
de la guerre de succession du Brabant, en 1357, l'aide fraternelle avait d'ailleurs été insuffisante
pour ne pas dire décevante.

Tout au long de cette période, Jeanne garde un contact régulier avec Wenceslas, enfermé au château
de Niedeggen. Bien entendu, la prison de Wenceslas est digne de celle d'un prince. Il dispose
d'ailleurs de toute une équipe, à savoir deux chevaliers et deux écuyers avec leurs quatre valets, d'un
valet de chambre, d'un cuisinier et d'un messager 465. Si l'on en croit Zantfliet, la duchesse envoie
même des colis à Wenceslas : celui-ci refuse de porter une tunique envoyée par Jeanne sous prétexte
que le duc de Juliers l'aurait d'abord essayée466.

Jeanne de Brabant reçoit, dès le lendemain de la bataille, la nouvelle de la défaite et de la capture de


Wenceslas. Le régent de Hainaut Aubert de Bavière, qui est le beau-père d'Édouard de Gueldre,
envoie des émissaires à Bruxelles pour s'enquérir de la défaite 467. Tous les efforts de Jeanne seront
dévoués dès à présent à la libération de son mari et à la quête d'alliés capable de l'aider et de lui
apporter l'aide militaire nécessaire. D'un caractère assez pieux468, elle fait dire tous les jours des
465 Ces personnages recevront au total une rétribution de 369 moutons pour leurs services auprès du duc pendant sa
captivité. UYTTEBROUCK, op.cit., p. 474, note 22.
466 ZANTFLIET, col. 297.
467 QUICKE, op.cit., p. 186.
468 Bien que Jeanne de Brabant soit une grande joueuse, au point de faire venir la nuit ses officiers pour lui prêter de

89
prières pour la libération de Wenceslas469. Le premier acte politique de Jeanne est d'informer le
Brabant de la défaite et de la capture de Wenceslas avec presque toute son armée. Le 24 août, elle
annonce la nouvelle devant les délégués des villes brabançonnes réunis à Bruxelles. Elle convoque
à nouveau les villes le 27 août et les trois États le 3 septembre470. Le but de ces réunions n'est autre
que de demander aux villes puis à tout le pays (tghemeyn lant) une aide militaire et un soutien
financier afin de poursuivre la guerre contre le Juliers471. Selon Quicke, la réponse des villes et des
trois États est décevante car Jeanne convoque de nouveau les trois États, le 20 septembre, dans le
même but472. Au cours des quatre mois suivants, les villes et les États se réunissent sans toujours
apporter le soutien que Jeanne escomptait obtenir. Pourtant, les villes sollicitent, au mois de
décembre et de leur propre initiative, l'aide du comte de Flandre et des villes flamandes. Mais la
réunion entre Louis de Male et les représentants des villes brabançonnes, à Gand le 7 décembre,
n'aboutit pas473.

Les villes, qui avaient déjà hésiter à fournir un soutien militaire à Wenceslas pour sa chevauchée,
hésitent à soutenir un prince qu'elles ne considèrent pas comme leur duc. Après tout, la chevauchée
en Juliers ne concernait que Wenceslas. Le pays n'est, en aucun cas, impliqué dans cette guerre ni
même, officiellement, mis au courant avant l'annonce de la défaite de Wencesals, faite par Jeanne
aux villes du Brabant474. C'est alors, seulement, que le duché de Brabant entre, lui aussi, en guerre
contre le duc de Juliers, un peu contre son gré. Après Baesweiler, Jeanne fait réquisitionner les biens
des sujets du duc de Juliers résidant dans le Brabant 475 et fait confisquer les sommes que les
bourgeois de Bruxelles doivent et remboursent à des sujets du Juliers 476, mesure que les villes du
Brabant redoutent étant donné les répercussions sur la sécurité de leur commerce entre Rhin et
Meuse. Quoiqu'il en soit, au fur et à mesure que les États du Brabant tergiversent, le temps passe et
Jeanne n'a d'autre choix que de se tourner vers des appuis extérieurs au Brabant.

Elle se tourne dès la fin du mois de septembre et le début du mois d'octobre vers le comte de Clèves
Adolphe et le comte de la Marck Englebert. Le 8 octobre, ils lui promettent une aide de 500

quoi rembourser ses dettes de jeu, Jeanne est une personne habitée par un fort sentiment religieux. UYTTEBROUCK,
op.cit., p. 32-33.
469 QUICKE, op.cit., p. 186-187.
470 QUICKE, op.cit., p. 187.
471 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 781 (annexe V : activités des représentants du clergé, de la noblesse et des villes).
472 QUICKE, op.cit., p. 187.
473 BOFFA, op.cit., p. 116 ; QUICKE, op.cit., p. 188.
474 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 71, note 159. BOFFA, op.cit., p. 117.
475 BOFFA, op.cit , p. 88.
476 Idem., p. 108-109 ; VERKOOREN Alphonse, Inventaire des chartes et cartulaires des duchés de Brabant et de
Limbourg et des Pays d'Outre-Meuse, 2ème partie : Cartulaires, vol.2, Bruxelles, 1962, p. 179.

90
glaives477 pour la libération de Wenceslas. Jeanne promet aux deux comtes, en retour, une paie de
100 doubles moutons par jour et une paie de 1 double mouton par jour et pour 2 glaives et s'engage
à leur fournir les sommes nécessaires un mois à l'avance. En outre, si Adolphe et Englebert
parviennent à capturer le duc de Juliers, ils recevront la somme de 100 000 vieux écus en
récompense478. La duchesse demande aussi de l'aide à l'évêque de Liège Jean d'Arkel mais sans
que l'on sache exactement quand479. Selon Jean d'Outremeuse, Jeanne aurait offert à l'évêque de
Liège 16 000 vieux écus pour une aide militaire afin de délivrer Wenceslas si nécessaire 480. Mathias
de Lewis, qui ne précise pas le montant d'une telle somme, ajoute que Wenceslas, après sa
libération, se montre reconnaissant envers Jean d'Arkel d'avoir promis son assistance 481. C'est peut-
être l'une des raisons pour lesquelles le duc de Brabant proposera son rôle de médiateur entre Jean
d'Arkel et les villes liégeoises lorsque celles-ci se révolteront en 1372-1373.

En Gueldre, la situation change très vite après la mort d'Édouard. Dans un premier temps, Renaud
III est rétabli dans sa dignité de duc mais son gouvernement reste encadré par un conseil en raison
de la situation politique délicate de la Gueldre et de ses problèmes de santé. Le duc Renaud décède
cependant très vite, le 3 décembre 1371, quatre mois après son frère. Édouard et Renaud n'ayant
produit aucun héritier, il ne reste plus que leurs deux soeurs, Marie et Mechtilde, pour hériter de la
Gueldre. Marie de Gueldre est l'épouse du duc de Juliers Guillaume II, dont elle a un fils de huit
ans. Mechtilde est dans une situation plus fragile car elle est déjà veuve de Jean, comte de Clèves 482,
dont elle n'a pas eu d'enfants 483. Son seul soutien possible ne provient que du comte de Clèves
Adolphe et de l'évêque d'Utrecht Arnoul de Hornes 484. Des deux prétendantes à la succession,
Jeanne de Brabant soutient, bien entendu, Mechtilde. Jeanne n'a d'ailleurs pas le choix. C'est pour
elle un devoir de le faire sous peine de voir la Gueldre tomber entre les mains de la maison de
Juliers. Jeanne n'attend pas la commission d'arbitrage des villes de Gueldre devant statuer sur l'issue

477 « vijf hondert glayen toe, goide lude van wapenen ». Acte des comtes de Clèves et de la Marck publié dans le
Codex diplomaticus, ed. par WILLEMS , in Brabantsche Yeesten, t. II, Bruxelles, 1843, doc n° CXI, p. 621-622.
478 Ibidem ; BOFFA, op.cit., p. 220.
479 QUICKE, op.cit., p. 189. Quicke laisse à penser que Jeanne demande, après la bataille et avant le traité avec les
comtes de Clèves et de la Marck, le soutien militaire de Jean d'Arkel. Pourtant, les deux chroniqueurs (Jean
d'Outremeuse et Mathias de Lewis) sur lesquels il se base associent tous les deux l'aide de l'évêque avec l'expédition
de Charles IV pour libérer son frère.
480 « Et anchois que l'empereur Charle de Bohême venist à Ayese, madame Jehene espeuze Wincelin duc de Brabant,
frère à l'empereur desurdit, donna à l'évesque de Liège XVIm escus pour avoir l'ost, si besongne en estoit, pour
aidier son mari Wincelin hors de la prison de Jullé. » JEAN D'OUTREMEUSE, p. 195-196.
481 « Pro cujus etiam liberatione vi armorum ipse episcopus cum Leodiensibus in hoc assistere promittentibus
disposuerat laborare, si aliter liberatus non fuisset. Cujus quidem beneficii per episcopum et Leodienses sic duci
impensi, ipse dux memor esse deberet in eternum, similia recompensando eisdem. » MATHIAS DE LEWIS, p. 125.
482 Le comte de Clèves Jean est décédé en 1368.
483 JANSSEN, Die Geschichte Gelderns..., p. 21.
484 QUICKE, op.cit., p. 190.

91
de la succession pour le 22 février 1372. Elle anticipe et conclut, à Bois-le-Duc, peu après le 6
janvier485, une alliance de cinq ans avec Mechtilde de Gueldre contre Guillaume de Juliers,
reconnaissant ipso facto celle-ci comme l'héritière du duché de Gueldre. Jeanne et Mechtilde se
promettent un soutien mutuel de 500 glaives et s'engagent à ouvrir leurs château pour leurs
troupes486. La position fragile de Mechtilde lui impose aussi de se trouver un nouveau mari, ce que
Jeanne réalise en la personne du comte Jean de Blois, parent par sa mère de feu Guillaume III,
comte de Hainaut et de Hollande. Celui-ci a des possessions en Hollande et en Zélande et peut
apporter à Mechtilde le soutien de ses amis et alliés zélandais, hollandais, et hennuyers. Mais les
villes487 et la noblesse de Gueldre488 sont, en majeure partie, favorables à Marie, l'épouse de
Guillaume de Juliers489. A partir du moment où Mechtilde doit concentrer tous ses efforts pour
reconquérir son duché, elle n'est pas vraiment à même de fournir un quelconque soutien sérieux à
Jeanne dans sa guerre contre le Juliers. C'est même surtout l'inverse qui risque de se produire,
Jeanne aidant Mechtilde à recueillir son héritage. Le seul avantage que Mechtilde peut apporter à
Jeanne, dans l'immédiat, est d'accaparer une partie des efforts de Guillaume II de Juliers dans la
conquête de la Gueldre pour son épouse et pour son fils Guillaume. Même si le soutien de
Mechtilde de Gueldre n'est, de fait, qu'à moitié neutralisée aux yeux de Jeanne, Guillaume de Juliers
est encore loin de l'être à ce stade. La guerre que Jeanne espère déchaîner sur le duché de Juliers
pour libérer Wenceslas et réparer la défaite de Baesweiler est décidément encore loin.

Intervention impériale

Toujours sans moyens réels pour parvenir à ses fins et sans aucun appui militaire ou financier de la
part des villes du Brabant, Jeanne décide, à la fin du mois de janvier, d'entamer des négociations
avec le duc de Juliers et de se tourner vers l'empereur. La duchesse de Brabant avait d'abord sollicité
le soutien du roi de France, neveu de Wenceslas par sa mère, Bonne de Luxembourg. Mais Charles
V ne peut fournir aucune aide militaire à cause de la guerre contre l'Angleterre. Il envoie tout de
même son chancelier, Jean de Dormans, évêque de Beauvais et cardinal quatre Saints Couronnés,
appuyer les tractations diplomatiques de Jeanne avec le duc de Juliers490. Selon Froissart, c'est

485 « Item equitavit Nicolaus Specht de Bruxella apud Buscum ducis ad unam diaetam conceptam inter dominam
ducissam et comitissam Clevensem de una amicitia et confoederatione facienda, et invenit ibi dominum de Lecka et
senescallum Brabantiae, et solvit expensas ibi factas scultetus de Busco, et fuit diaeta ista post festum Epiphaniae,
et ivit Nicolaus cum punctis ibi concordatis versus Aquis apud dominam ducissam, et expendit de Bruxella usque
Buscum et de Busco usque Aquis in via iii mutones. » DE RAM, op.cit., p. 243.
486 QUICKE, op.cit., p. 190 ; L'alliance est scellée le 28 janvier 1372.LACOMBLET, III, doc n° 735.
487 Dont Nimègues, la ville la plus importante en Gueldre.
488 Principalement le parti des Bronckhorsten.
489 QUICKE, op.cit., p. 190-191.
490 C'est ce que laisse sous-entendre un diplôme impérial du 11 avril. Charles IV approuve les démarches déjà faites

92
Charles V qui incite Jeanne à solliciter l'empereur491. Il semble que les négociations, avec le duc de
Juliers, soient déjà en cours au moment de la conférence de Bois-le-Duc avec Mechtilde de Gueldre
car Jeanne envoie, depuis Bois-le-Duc, un moine dominicain négocier la rançon de Wenceslas 492.
Pendant la conférence de Bois-le-Duc et après le rapport du frère prêcheur 493, Jeanne se rend,
d'ailleurs, à Aix-la-Chapelle494 d'où elle négocie avec le duc de Juliers 495. Avant le 28 janvier496, elle
quitte, ensuite, Aix-la-Chapelle pour aller dans le Luxembourg où elle doit rencontrer des
émissaires de Charles IV à Bastogne. On ne sait rien de ce qui s'est dit lors des négociations avec le
duc de Juliers, au mois de janvier, et lors de celles du début du mois de février, avec les envoyés de
l'empereur. La conférence avec ces derniers dure au moins jusqu'au 18 février 497. Par contre, il est
vraisemblable de penser que Jeanne persuade l'empereur d'intervenir pour libérer son frère.
Toutefois, s'il y aura une intervention personnelle de Charles IV, ce ne sera pas avant la fin du
printemps ou pendant l'été.

En habile diplomate, l'empereur préfère, en outre, tenter une solution diplomatique au conflit.
L'empereur ne peut pas, de toute manière, être partout 498. La solution diplomatique de Charles IV
n'est pas, comme le craignait Jeanne, en totale adéquation avec les intérêts du Brabant. Il propose à
Guillaume de Juliers de donner la main de Catherine de Bavière, la fille d'Aubert qui est déjà veuve
d'Édouard de Gueldres, à son fils et successeur, le futur Guillaume III de Juliers, réalisant ainsi le
cauchemar de Jeanne et le rêve de Guillaume, à savoir l'union dynastique de la Gueldre et du
Juliers. La contrepartie est, bien entendu, la libération sans condition et sans rançon de Wenceslas.

par le cardinal pour libérer Wenceslas et le sollicite à son tour pour négocier avec Guillaume de Juliers. VERKOOREN,
op.cit., p. 178. Pour le texte en entier, voir DE DYNTER, p. 63-65.
491 « Quant la duchesse de Brabant sceut et vyt que son seigneur et mary avoit esté desconfy, comme dit est, elle le
pourchassa, et ot son conseil du roy Charles de France VIe, lequel roy pour ce tems estoit nepveu du duc de
Brabant, et tous ses frères, car ils avoient esté enffans de sa suer. Et luy fut signiffié du roy qu'elle se traist devers le
roy d'Allemaigne et empereur de Romme, frère au duc de Brabant, et pour lequel le duc son mary avoit son
dommaige reçeu ». FROISSART, XIII, p. 24.
492 « Item lectori fratrum Praedicatorum de Busco, quem domina ducissa miserat hinc inde pro redemptione
captivitatis domini ducis... » DE RAM, op.cit., p. 243.
493 Le moine ne revient d'ailleurs pas seul vers la duchesse. « Item praefato lectori, qui rediit apud dominam ducissam
adducens secum quemdam bonum virum, mercatorem credo, qui dixit dominae ducissae multa negotiae de
redemptione domini ducis ». Ibidem.
494 Son secrétaire, Nicolas Specht, chevauche de Bruxelles à la diète de Bois-le-Duc pour rejoindre ensuite Jeanne à
Aix-la-Chapelle. Voir note 480.
495 « Item recedente domina ducissa de Aquis ante festum Purificationis, tractato non finito cum duce Juliacensi,
versus Luxembourch, ut exspectaret nuntios Imperatoris, remisit dictum Nicolaus Specht versus Buscum-ducis, ut
amicitia et confoederatio adimpleretur sicut factum fuit. Consumpsit dictum Nicolaus expensis in Buscofactis non
computatis, quas solvit scultetus, sed de expensis in via de Aquis apud Buscum, et de Busco usque Bastoniam, in
quo fuit decem dies... » DE RAM, op.cit., p. 243-244.
496 Ibidem. Le traité avec Mechtilde est scellé à Bois-le-Duc le 28 janvier, ce qui se fait visiblement en l'absence de
Jeanne mais en la présence de son clerc de chancellerie, Nicolas Specht, qu'elle mandate là-bas. Celui-ci clôt et
scelle le traité en son nom. Jeanne se trouve le 28 janvier à Aix-la-Chapelle ou sur la route de Bastogne.
497 QUICKE, op.cit., p. 192, note 56.
498 Au début du mois de février, Charles IV est à Breslau, en Pologne. REG. IMP., VIII, Karl IV, n° 5018-5020.

93
La proposition est remise, dans le courant du mois d'avril, au duc de Juliers par le cardinal Jean de
Dormans qui tentait déjà de négocier la libération de Wenceslas pour Jeanne et au nom du roi de
France499. Si le duc de Juliers accepte, cette solution profiterait aussi à Aubert de Bavière qui verrait
sa position renforcée en Lotharingie. Charles IV monnaye donc la libération de son frère par le
renforcement d'un Wittelsbach et de la maison de Juliers dans la Lotharingie et sur le Rhin, au
détriment même des intérêts de son frère et des ducs de Brabant-Limbourg. On ne fait pas
d'omelette sans casser d'oeufs mais c'est une omelette chèrement payée pour Wenceslas et Jeanne.
Cette proposition va, par ailleurs, explicitement à l'encontre des efforts de celle-ci pour la
succession de la Gueldre en faveur de Mechtilde. On ignore si Jeanne a validé les efforts de Charles
IV, dans ce sens, à la conférence de Bastogne ou si elle fut jamais au courant de ce que l'empereur
escomptait proposer à Guillaume de Juliers.

L'attitude de l'empereur peut, cependant, s'expliquer par la politique de rapprochement avec Aubert
de Bavière depuis 1370. L'empereur voyait, en lui, le maillon faible de la chaîne des Wittelsbach
dans l'Empire et croyait pouvoir s'en servir pour affaiblir ceux-ci et pour renforcer la position des
Luxembourg à l'ouest de l'Empire. En 1370, Aubert donne sa fille, Jeanne de Bavière, en mariage au
fils de l'empereur, Wenceslas de Bohême, pendant que Charles lui confirme et lui assure ses droits à
l'héritage de Hainaut, Hollande et Zélande. De son côté, Aubert prend soin, depuis plusieurs années,
de la bonne entente entre la Gueldre et la Hollande, raison pour laquelle il avait finalement
abandonné le camp de Renaud III pour rejoindre le parti d'Édouard, à qui il donna la main de sa fille
Catherine de Bavière500. Édouard mort, Aubert reste fidèle à sa politique et suit la direction du vent.
Il choisit le camp le plus fort et émet la volonté de marier Catherine au futur Guillaume III, ce qui
renforcerait la stabilité de la région Hollande-Gueldre en même temps que sa position en
Lotharingie. Charles IV voit dans Aubert de Bavière la clé qui lui permettrait, non seulement de
libérer son frère, mais aussi de sortir d'une impasse politique en évitant la guerre. Il serait difficile à
Guillaume de Juliers de refuser sans attirer sur lui les foudres impériales. S'il déçoit la politique de
Wenceslas et de Jeanne menée vers le Rhin depuis 14 ans, Charles IV a, au moins, le mérite de jeter
les bases d'un nouvel équilibre régional, limitant ainsi la catastrophe de Baesweiler. Mais avant que
cela ne se réalise, il faut encore que Guillaume de Juliers accepte.

On ignore tout des tractations diplomatiques entre l'empereur et le duc de Juliers après la mission du
cardinal Jean de Dormans. On peut toutefois dire que l'empereur quitte Prague après le 4 avril pour
499 Le diplôme qui charge le cardinal de mener cette mission date du 4 avril. L'empereur est alors à Prague. VERKOOREN,
op.cit., p. 178 ; DE DYNTER, p. 63-65.
500 QUICKE, op.cit., p. 193-196.

94
se diriger vers le Rhin. Il est à Loket 501 le 25 avril, à Würzburg le 13 mai 502 et à Francfort le 19
mai503. A partir du 24 mai, il se trouve jusqu'au 8 juin à Mayence 504 où la duchesse Jeanne505 et les
électeurs d'Empire viennent à sa rencontre506. L'entrevue de Mayence constitue un tournant dans
l'attitude de Charles IV. L'empereur adopte à Mayence, soudainement, une attitude négative envers
Guillaume de Juliers. Il faut voir l'origine de ce changement dans le refus de Guillaume de Juliers à
accepter les conditions de l'empereur et les plaidoiries de Jeanne en faveur de son époux et du
Brabant. Froissart rapporte que la duchesse de Brabant est revenue de Mayence rassurée après avoir
fait « complainte sagement et bellement » devant l'empereur507.

Elle a, en effet, de bonnes raisons de se croire réconfortée. Depuis Mayence, Charles IV prend
plusieurs mesures et prépare une campagne contre Guillaume de Juliers. Le 27 mai, Charles remet
en cause la succession de la Gueldre à l'épouse de Guillaume en reconnaissant le droit d'aînesse de
Mechtilde de Guleldre508. Le 31 mai, il annule toutes les conventions et rançons des prisonniers de
Baesweiler obtenues par Guillaume et ses complices509. Il envoie, le même jour, Renaud de
Schoonvorst et Jean de Saffenberg solliciter l'aide des villes de Liège, Huy, Tongres, Dinant et
Saint-Trond pour la délivrance de son frère Wenceslas 510. Le 30 mai, il nomme l'archevêque de
Cologne, Frédéric de Saarwerden, vicaire impérial entre le Rhin et les frontières occidentales de
l'Empire511. Enfin, Charles IV promet à Jeanne de Brabant aide et assistance pour obtenir la
libération de son mari512.

501 Ou Elbogen, en allemand, à 120 km à l'ouest de Prague. REG. IMP., VIII, Karl IV : Nachträge, n° 7344.
502 Idem, n° 7346.
503 REG. IMP., VIII, Karl IV, n° 5042.
504 Idem, n° 5043 ; Karl IV : Nachträge, n° 7350.
505 Jeanne se trouve à Aix-la-Chapelle le 6 mai, d'où elle se dirige ensuite vers Mayence en passant par Luxembourg.
« Item domina ducissa eunte, post Ascensionem Domini, apud Aquis et ulterius apud Luccembourg et Maguntiam
versus Imperatorem... » DE RAM, op.cit., p. 244. Le dimanche de Pâques tombe cette année-là le 28 mars et le jeudi
de l'Ascension le 6 mai.
506 « Deinde circa festum pentecostes imperator Karolus fuit Maguncie et electores imperii. Tunc suscepit
archiepiscopus Coloniensis ducatum Westvalie tanquam feudum ab imperatore, presentibus multis principibus
dominis terrarum et comitibus. » Chronicon Moguntinum, p. 30.
507 « La dame le fist et vint tout droit à Mayence à Convelence sur le Rin, et là trouva l'empereur. Adont elle fist sa
complainte bellement et sagement. L'empereur moult voulentiers y entendi, car tenu y estoit de entendre par
plusieurs : l'une pour tant que le duc estoit son frère, et l'autre que l'empereur l'avoit institué souffissament à estre
son vicaire et regard souverain de la Langue-Fride. Si reconforta la dame et luy dist que à l'esté qui retournoit, il y
remédieroit tellement qu'elle s'en appercevroit. La dame retourna en Brabant toute resconfortée.» FROISSART, XIII, p.
24. Froissart se trompe, l'entrevue à lieu à Mayence et non à Coblence.
508 QUICKE, op.cit., p. 197 ; REG. IMP., VIII, Karl IV, n° 5048.
509 VERKOOREN, op.cit., p. 179 ; REG. IMP., VIII, Karl IV, n° 5047. La date du 26 mai fournie par Huber est erronée.
510 VERKOOREN, op.cit., p. 179 ; DE DYNTER, p. 62-63.
511 Les régions longeant la rive droite du Rhin sont également incluses : Westphalie, Hesse, Souabe...L'acte mentionne
parmi les prérogatives de l'archevêque de Cologne la protection des Juifs. REG. IMP., VIII, Karl IV, n° 5051;
HÜTTEBRÄUKER, op.cit., p. 555.
512 VERKOOREN, op.cit., p. 180.

95
L'empereur prend, également, des mesures militaires pour préparer l'expédition contre le duc de
Juliers. Aucune source ne cite de chiffres quant aux effectifs réunis par Charles IV. Il convoque les
milices de la ville de Strasbourg, à qui il donne rendez-vous le dimanche 27 juin à Sinzig 513, sur la
route de Cologne514. Selon Froissart, il somme plusieurs ducs et comtes, le duc Aubert de Bavière
entre autres, de se présenter à Aix-la-Chapelle pour le 8 juin 515. Il a, en outre, près de lui les forces
de plusieurs princes-électeurs, parmi lesquels les archevêques de Cologne, de Trêves, et de
Mayence ainsi que le compte palatin du Rhin Robert II516. Le 8 juin, Charles IV quitte Mayence
pour se diriger vers Aix-la-Chapelle.

513 Sur le Rhin, à 55 km au sud de Cologne.


514 REG. IMP., VIII, Karl IV, n° 5055.
515 « L'empereur monseigneur Charles de Boesme ne dormy pas sur ceste besoigne. mais se resveilla tellement que
vous diray, car tantost l'iver passé, il approcha Coulongne la cité et fist pourvéances si grandes et si grosses comme
se il voulsist aler conquérir ung roiaulme ou ung grant pays de deffense, et rescripsy par devers les ducs et les
contes qui de luy tenoient, que le VIIIe jour du mois de juing tous fuissent devers luy à Ays-la-Chapelle sur la paine
de perdre leurs terres, se en désobéissance estoient trouvés, et par espécial il manda moult estroitement le duc
Aubert pour ce temps bail de Haynnau, que il venist, lequel ala à Ais à cinquante chevaulx en sa compagnie ».
FROISSART, XIII, p. 25.
516 Idem, n° 5056-5076.

96
2) La libération de Wenceslas et la paix d'Aix-la-Chapelle (juin 1372).

Charles IV descend le Rhin et arrive à Aix-la-Chapelle, vers la mi-juin, en passant par la ville de
Luxembourg. La ville impériale fourmille de princes et de hauts dignitaires escortés par leurs
hommes d'armes. Les trois archevêques électeurs, l'évêque de Liège Jean d'Arkel, l'évêque d'Utrecht
Arnoul de Hornes, les évêques de Spire, de Münster, de Cambrai, de Toul et de Metz sont présents.
Le duc Aubert de Bavière et son frère, l'électeur de Brandebourg Otton de Bavière, Albert, neveu du
duc de Saxe Rodlophe II, et le comte palatin du Rhin Robert de Bavière, se trouvent au rendez-
vous517. L'empereur est accompagné de son fils, Wenceslas de Bohême 518et de son épouse519. Jeanne
de Brabant est bien entendu là, accompagnée par Jean de Blois, l'époux de Mechtilde de Gueldre. 520.
Il a la ferme intention d'envahir le Juliers et de le dévaster jusqu'à ce que son duc capitule et libère
Wenceslas521. Même si Guillaume de Juliers a toutes les raisons de s'inquiéter, il peut escompter,
néanmoins, sur le soutien éventuel de quelques-uns, tels Aubert de Bavière et l'archevêque de
Cologne Frédéric de Saarwerden522. Selon Froissart, les trois archevêques électeurs ainsi que Jean
d'Arkel, Aubert de Bavière et Otton de Brandebourg, plaident devant Charles IV pour une dernière
tentative diplomatique avant de fouler la terre de « ung si vailant chevallier », ce que l'empereur
leur accorde. Aubert de Bavière a plus intérêt à sauvegarder le duché de Juliers plutôt que de le
détruire, lui qui veut faire épouser Catherine de Bavière à son fils. Il est, d'ailleurs, envoyé avec
Jean d'Arkel auprès du duc de Juliers afin de convaincre celui-ci de venir quémander le pardon de
l'empereur. Le lendemain, 20 juin, Guillaume de Juliers se présente à genoux devant Charles IV
accompagné Wenceslas, libéré523.

Les décisions qui sont prises par Charles IV, à partir de ce jour, pourraient, à bon droit, faire passer
sa démonstration de force pour une farce, tant elles apparaissent comme une trahison vis-à-vis de
Jeanne de Brabant et de son frère au profit de Guillaume de Juliers et Aubert de Bavière. Sans aller
si loin, Guillaume de Juliers ne s'attendait pas à un tel déploiement de force de la part de Charles IV
et ce sont Aubert et Otton de Bavière, approuvés par l'assemblée des princes et des prélats, qui

517 JEAN D'OUTREMEUSE., p. 196. Les corrections de l'éditeur sont prises ici en compte. Quicke se base également sur Jean
d'Outremeuse mais sans tenir compte de ces corrections. QUIICKE, op.cit., p. 198.
518 FROISSART, XIII, p. 25.
519 « domine imperatrice presentata fuerunt 2 anfore, 2 ciphi et 2 mixtilia deaurata, habentes in pondere 27 m.
argenti, et 3verdunc, qualibet marca pro 30.pagamenti : 832 m.6s. » KNIPPING, Kölner Stadtrechnungen..., p. 90,
semaine du 7 au 14 juillet.
520 QUICKE, op.cit., p. 199 et 202.
521 FROISSART, XIII, p. 25.
522 QUICKE, op.cit., p. 198.
523 Ibidem ; DE DYNTER, p. 66.

97
persuadent l'empereur de pardonner au duc de Juliers524. Dans l'entourage de l'empereur, c'est
finalement Aubert de Bavière qui gagne l'influence de l'empereur au détriment de Jeanne. Le parti
de la médiation l'emporte sur le parti de la vengeance.

Le 21 juin, Charles réconcilie Guillaume et Wenceslas. Tous les prisonniers, encore aux mains de
Guillaume, doivent être relâchés sans condition et la rançon de Wenceslas est annulée 525. Le 22 juin,
il reconnaît la succession de Gueldre et de Zutphen à Guillaume, le fils de Marie de Gueldre, et lui
commet deux jours plus tard son père Guillaume II de Juliers comme régent le temps de sa
minorité526. En même temps, Charles promet de fournir, avant Noël, les dispenses papales
nécessaires pour le mariage du jeune Guillaume avec Catherine de Bavière527. Le 24 juin, Wenceslas
et Guillaume concluent un traité d'alliance et de soutien mutuel. Guillaume s'engage au nom du
Juliers et de la Gueldre à secourir et protéger le Brabant en cas de nécessité, tandis que Wenceslas
promet, au nom du Luxembourg, d'apporter aide et appui au Juliers 528. Wenceslas payera en plus à
Guillaume de Juliers 50 000 petits écus529, ce qui est là une manière habile et discrète de la part de
Charles de rendre illusoire l'annulation de la rançon du duc de Brabant, décidée le 21 juin. Le même
jour, Aubert de Bavière renie sa promesse de 1368 d'aider le comte de Flandre, Louis de Male, à
obtenir les possessions de Jeanne au cas où Wenceslas décéderait. Il s'engage, en effet, à aider
Charles à obtenir le Limbourg et les pays d'Outre-Meuse pour son fils Wenceslas de Bohême au cas
où Wenceslas de Luxembourg mourrait sans enfants, ce qui est en 1372 une quasi-certitude 530.
Guillaume de Juliers promet aussi, le 26 mai, de restituer avant le 1er octobre tout l'argent ayant été
pris sur les prisonniers et annule les engagements de rançons pris par ceux-ci. Il gardera toutefois
les rançons déjà payées531. La dernière mesure de l'empereur, à Aix-la-Chapelle, est de renvoyer les
milices de Strasbourg qui viennent d'arriver et de remercier Strasbourg pour sa disponibilité 532. Le
« congrès » d'Aix-la-Chapelle prend ainsi fin, couronnant la défaite militaire de Wenceslas par une
défaite diplomatique.

524 C'est ce qu'affirme Froissart. FROISSART, XIII, p. 26-27.


525 LACOMBLET, III, doc n° 722 ; DE DYNTER, p. 66-68.
526 LACOMBLET, III, doc n° 723 et 724.
527 REG. IMP., VIII, Karl IV, n° 5087.
528 LACOMBLET, III, doc n° 725.
529 REG.IMP., VIII, Karl IV, n° 5088.
530 Idem, n° 5091.
531 DE DYNTER, p. 70-71.
532 REG.IMP., VIII, Karl IV, n° 5093.

98
3) Conséquences de Baesweiler et de la paix d'Aix-la-Chapelle pour Wenceslas et les
Luxembourg.

Le duché de Brabant est, évidemment, le grand perdant de la guerre de Juliers et de la paix d'Aix-la-
Chapelle qui affectent négativement sa situation extérieure comme intérieure. Au début du mois de
juillet, Wenceslas trouve à son retour une situation critique et un climat tendu car c'est le pays qui va
devoir payer la facture des déboires d'un prince qu'il ne considère même pas comme son duc, mais
tout juste comme le mambour de leur duchesse Jeanne. Mathias de Lewis répercute sans doute
certaines opinions ambiantes lorsqu'il accuse Wenceslas d'avoir mené son peuple non comme un
berger mais comme un loup533. Les États du Brabant profitent aussi de la situation critique de Jeanne
et de Wenceslas pour regagner et renforcer une position qu'ils avaient perdue depuis 1357. En
février 1372, pendant l'absence du prince, les villes s'engagent à maintenir la charte wallonne et la
charte de Cortenberg et remettent sur pied le conseil de Cortenberg, dès le mois d'avril, ce qui ne
plait pas à Wenceslas534. Quant aux États, il ne leur plait absolument pas d'avoir à payer les pots
cassés pour une guerre qui était celle du prince et non la leur. Cependant, Wenceslas doit
rembourser les pertes et dommages de guerre subis par ses combattants ainsi que débourser à
Guillaume de Juliers 50 000 petits écus. Il doit donc, dès son retour à Bruxelles, en juillet,
convaincre les États de lever une aide extraordinaire, ce qui est pour eux une pilule difficile à avaler
et qui ne peut se faire qu'en échange d'une contrepartie. Celle-ci est évidemment plus de pouvoir
pour les villes et moins de pouvoir pour les ducs. Le 12 août, les villes exigent de Wenceslas qu'il
confirme la charte wallonne et la charte de Cortenberg. Le 16 septembre, les villes et la noblesse
acceptent de lever une aide extraordinaire. Le lendemain, Wenceslas renouvelle et renforce la charte
wallonne et la charte de Cortenberg535. Les États réussissent ainsi à exploiter la défaite et
l'affaiblissement de leurs ducs pour obtenir une victoire politique.

Le conflit renaît, cependant, à propos du montant de l'aide extraordinaire, de la part des villes et de
la noblesse dans le financement de celle-ci, et de la participation possible du clergé 536. Ce conflit
s'étale jusqu'en 1374 et dégénère presque en guerre civile. Wenceslas perd le contrôle de Louvain et
de Bruxelles. Il tente, en avril 1373, de renforcer le pouvoir des lignages patriciens à la tête de la

533 « ...ipse tamen dux, non proprietarius sed usufructarius, non etiam ut pastor, sed ut lupus rapax, pro redemptione
nobilium cum ipso in dicto conflictu captorum, talliavit patriam de Brabantia ad novena centena millia mutonum,
quos a clero et populo violenter extorsit. » MATHIAS DE LEWIS, p. 125.
534 QUICKE, op.cit., p. 208.
535 UYTTEBORUCK, op.cit., p. 784-785 ; QUICKE, op.cit., p. 209-210.
536 QUICKE, op.cit., p. 211.

99
ville, ce qui provoque le refus de Louvain de participer à l'aide extraordinaire 537. En octobre ,
Bruxelles refuse de fournir au duc les impôts qui lui sont dus 538. Wenceslas quitte alors Bruxelles et
se réfugie au château de Genappe, d'où il mobilise des hommes d'armes dans le Limbourg et le
Luxembourg. Le 9 avril 1374, il assiège la ville de Nivelles. A la demande des villes, l'évêque de
Liège Jean d'Arkel intervient et se pose en médiateur lors des négociations à Braine-l'Alleud, entre
celles-ci et Wenceslas539. Le 30 avril, les parties se mettent d'accord et les villes s'engagent à lever
une aide extraordinaire de 940 000 moutons, à payer dans les trois années qui suivent. Cette somme
ne couvre pas toute les dettes de guerre de Wenceslas. On sait, par le travail de Dubois, que la dette
de Wenceslas due à ses combattants, pour les dommages de guerre causés par la défaite de
Baesweiler s'élevait au moins à 1 200 000 moutons au minimum 540. C'est une somme énorme
comparée à la recette ordinaire annuelle du Brabant qui varie entre 50 000 et 75 000 moutons.

Les conséquences financières de la bataille de Baesweiler ont, elles-mêmes, un impact négatif sur la
politique extérieure de Wenceslas jusqu'à la mort de celui-ci en 1383. Le duc de Brabant, de
Limbourg et de Luxembourg est non seulement décrédibilisé par sa défaite, mais aussi neutralisé sur
l'échiquier international. Wenceslas n'a, désormais, plus les moyens de mener une quelconque
politique sérieuse à l'étranger et devient un allié de faible poids pour le roi de France dans le conflit
franco-anglais. Les dettes de Wenceslas vont même jusqu'à mettre en péril sa sécurité personnelle et
celle de ses sujets à l'étranger. Les combattants étrangers au Brabant, qui ont combattu pour lui à
Baesweiler, n'ont pas toujours la patience d'attendre et sont vite tentés de se rembourser eux-mêmes
en rançonnant ou en pillant les sujets brabançons de passage sur leurs terres. C'est déjà le cas, en
1372, lorsque Louvain demande à Jeanne d'intervenir auprès de l'évêque de Liège afin que celui-ci
empêche, au moins pendant quatre ans, les agressions sur des sujets brabançons 541. En avril 1373,
les villes brabançonnes demandent aux villes liégeoises et au comte de Flandre de faire en sorte que
leurs chevaliers et écuyers, ayant pris part à la chevauchée de Juliers, n'arraisonnent pas les
Brabançons pour se dédommager542.

537 Idem,
538 BOFFA, op.cit., p. 25.
539 Ibidem.
540 UYTTEBROUCK, op.cit., p. 72. Uyttebrouck cite ici Dubois, dont le mémoire sur la liste des combattants de la bataille
de Baesweiler a malheureusement disparu. Le secrétariat du département d'histoire et la bibliothèque de l'ULB n'ont
pas réussi à m'aider à mettre la main dessus., pas plus qu'Alexis Wilkin ni Sergio Boffa. DUBOIS A., La bataille de
Baesweiler (22 août 1371) : Les combattants du duc Wenceslas, mémoire de licence en Histoire, inédit, ULB, 1964-
1965.
541 QUICKE, op.cit., p. 244.
542 Idem, p. 787 ; BOFFA, op.cit., p. 114.

100
Au niveau international, la paix d'Aix-la-Chapelle de juin 1372 est un véritable camouflet à Jeanne
et Wenceslas de la part de Charles IV et constitue une seconde humiliation du Brabant. L'empereur
renie les promesses faites à Jeanne, à Mayence, pour n'écouter en fin de compte que les conseils
d'Aubert de Bavière. La succession de la Gueldre revenant à la maison de Juliers, la sécurité du
Brabant sur sa frontière nord n'est plus assurée et se trouve désormais compromise pour des
décennies. L'empereur espère aussi obtenir, à terme, pour son fils le duché de Limbourg et les Pays
d'Outre-Meuse grâce à l'aide d'Aubert de Bavière. C'était sans compter sur le double-jeu du régent
de Hainaut entre Louis de Male et Charles IV, véritable marché au plus-offrant, et à l'indivisibilité
du Brabant et du Limbourg stipulé dans la Joyeuse Entrée de 1356543.

Pour les Luxembourg et du point de vue de Charles IV, la guerre de Juliers, en 1371, n'est qu'une
facette d'un conflit plus vaste entre la maison de Luxembourg et ses opposants. Charles IV mène
une campagne militaire sans succès contre Otton de Bavière, en juillet 1371. La résistance de celui-
ci, aidé par son frère Étienne de Bavière, par l'archevêque de Salzbourg et par le roi de Hongrie et
de Pologne, force l'empereur à négocier une trêve avec eux, le 16 octobre 1371, à Pirna 544. La
défaite et la capture de son frère, à l'ouest, l'y a peut-être incité mais il n'y aucune preuve permettant
de l'affirmer. L'année 1371 est donc un double échec pour les Luxembourg. L'attitude de Charles IV,
en 1372, montre aussi qu'il n'a plus vraiment confiance en Wenceslas. Il lui enlève le vicariat
impérial pour le transmettre à l'archevêque de Cologne et gratifie Guillaume de Juliers et Aubert de
Bavière au détriment du Brabant et de son frère. Si Charles IV ne peut plus faire confiance à son
frère, c'est qu'il ne peut, tout simplement, pas faire autrement. Lui rendre le vicariat impérial et
réparer sa défaite en victoire aurait aliéné à son tour la crédibilité de Charles IV dans l'Empire face
aux Wittelsbach. C'est en tant qu'empereur et non en tant que Luxembourg qu'il réconcilie
Wenceslas avec Guillaume et qu'il créée un nouvel équilibre régional en Lotharingie, car les
Luxembourg ne sont pas en position de force. Ils ont perdu : malheur aux vaincus ! Il s'agit avant
tout pour Charles de limiter les dégâts, le plus vite possible, et de trouver les meilleurs pierres pour
fonder cet équilibre en composant avec le vainqueur de Baesweiler. C'est peut-être, là aussi, une
manière indirecte de ne pas s'aliéner les Wittelsbach, qu'il s'agisse de son « allié » Aubert, du comte
palatin Robert ou bien d'Otton, avec qui il vient de conclure une trêve. Tous les trois sont, d'ailleurs,
présents à Aix-la-Chapelle en juin 1372. Si Charles IV est le maitre de la « maison Empire », ce
n'est pas lui qui déicide à Aix-la-Chapelle de l'emplacement des meubles après le double échec
« Baesweiler-Brandebourg ». Baesweiler met fin à une construction luxembourgeoise à l'ouest de

543 QUICKE, op.cit., p. 202-204.


544 THOMAS, op.cit., p. 90.

101
l'Empire, en cours depuis 1366, et fondée sur son frère Wenceslas. Elle met également un frein aux
visées de Charles IV à l'est de l'Empire. Charles abandonne son frère, dans le mesure où il ne peut
pas le relever d'une telle défaite, et se contente d'assurer ses arrières en confiant à ses anciens
ennemis la protection du Brabant et du Luxembourg. Cette défaite prépare, en partie, la voie des
Bourguignons à l'ouest et celle des Habsbourg à l'est545.

545 Ibidem, p. 90, 94-96.

102
CONCLUSION

La guerre de Juliers et la catastrophe militaire de Baesweiler sont, pour le duché de Brabant, l'un
des signes du déclin de la prééminence brabançonne dans l'espace lotharingien. Si la défaite de
Scheut et l'invasion flamande du Brabant, en 1356, avait durement touché les ducs de Brabant, les
évènements de 1371 et 1372 leurs porte un coup dont ils ne se relèveront que difficilement. La
capture et la rançon de Wenceslas, ainsi que la grave situation économique qui en résulte pour le
duc et ses sujets, peuvent faire penser à la situation de la France entre 1356 et 1360. Mais la
comparaison s'arrête là. Wenceslas n'est pas Jean II et le duché de Brabant-Limbourg n'est pas la
France. Jeanne est, de surcroît, stérile et Wenceslas n'a pas eu son « Charles V ». Le manque
d'héritier renforce les convoitises de certains sur sa succession. Le comte de Flandre rêve d'obtenir,
pour son épouse et ses propres successeurs, le duché de Brabant, tandis que l'empereur Charles IV
voudrait que son fils, Wenceslas de Bohême, hérite du Luxembourg, du Limbourg et des Pays
d'Outre-Meuse. Le Brabant-Limbourg se retrouve ainsi dans la même position qu'un steak jeté entre
deux chiens voraces. Jeanne s'efforcera, sa vie durant et conformément à la Joyeuse Entrée, de
maintenir l'unité du Brabant avec le Limbourg et les Pays d'Outre-Meuse.

Quant à Wenceslas, il n'est plus qu'un pion dans le jeu de Charles IV. A-t-il d'ailleurs jamais été
autre chose ? En 1352, lorsqu'il épousa Jeanne, il pouvait encore espérer unir le Brabant, le
Limbourg et le Luxembourg pour fonder un héritage, similaire à celui que Charles IV et son père
avaient bâti à l'est, en Bohême, et créer une lignée luxembourgeoise, parallèle à celle de Charles IV.
Mais ces rêves s'évanouirent au fur et à mesure que la stérilité de Jeanne de Brabant devenait une
certitude partagée. Le doute était déjà permis en 1357, à l'époque de la convention de Maastricht et
du traité d'Ath. En 1366, bien que la succession à l'héritage de Wenceslas et de Jeanne soit toujours
une inconnue dans l'équation, Charles IV décide d'utiliser son frère pour accroître l'influence
luxembourgeoise dans l'ouest de l'Empire, le long du Rhin jusqu'en Lotharingie, ce qui permet à
Charles de mieux se concentrer ailleurs. En outre, il est presque certain que toute les possessions
que Wenceslas acquiert, tomberont par succession entre ses mains ou dans celle de son fils. La
confiance qu'il place en son frère doit donc produire des intérêts. Il attribue ainsi le vicariat impérial
et l'avouerie d'Alsace à Wenceslas, ce qui fait grincer des dents les comtes palatins du Rhin, Robert
Ier et Robert II de Wittelsbach. De son côté, Wenceslas utilise à son tour la Landfriede comme
piédestal de son expansion territoriale vers le Rhin, ce qui vexe, en premier lieu, le duc de Juliers.
La défaite humiliante et la capture de Wenceslas est l'occasion pour tous les ennemis de Charles et

103
de son frère d'anéantir la stratégie des Luxembourgeois. Les Wittelsbach Aubert, Otton et Robert Ier
sont, évidemment, aux premières loges de la tragicomédie d'Aix-la-Chapelle. Charles IV ne peut
rien faire d'autre que de canaliser, autant que possible, les effets de cette défaite à son avantage. Tant
pis pour les intérêts brabançons et ceux de Wenceslas.

D'un point de vue militaire et opérationnel, la guerre de Juliers se traduit par une chevauchée qui a
mal tourné. Elle est précédée d'une petite chevauchée, au mois de juillet 1371, qui vise Godefroid
de Heinsberg en dévastant les terres de celui-ci et qui sert probablement à préparer le terrain pour
d'éventuelles opérations contre le duc de Juliers. Cette damnificatio est, en fait, une pratique de
guerre courante, que l'on retrouve au moins depuis la guerre du Péloponnèse, dans l'Antiquité,
jusqu'aux bombardements stratégiques modernes. Elle a pour fonction de faire capituler ou de faire
réagir l'ennemi tout en l'affaiblissant. Wenceslas procède de la même manière, en août 1371,
lorsqu'il envahit le Juliers : il dévaste et incendie les terres et les biens pour attirer le duc de Juliers,
ce qui, s'il faut en croire la Chronographia regum Francorum, n'a pas fonctionné puisque ce sont les
rumeurs de l'arrivée de renforts ennemis qui l'incitent à réagir. Quoi qu'il en soit, Guillaume de
Juliers bénéficie d'un effet de surprise indéniable qui lui vaut la victoire.

D'une point de vue tactique, il faut souligner le caractère « classique » des combats à Baesweiler. La
bataille aurait pu sans problèmes se dérouler deux siècles auparavant. Elle se situe toutefois dans la
dernière phase du règne de la cavalerie lourde, que le laboratoire de la Guerre de Cent Ans et les
changements sociaux et technologiques menacent. Le vétéran d'une rotte de Wenceslas ou de
Guillaume à Baesweiler pourrait difficilement fustiger la cavalerie lourde, d'abord parce qu'il est,
comme la plupart des combattants ce jour-là, un chevalier et un écuyer ; ensuite, parce que la charge
fut fatale et meurtrière et qu'il n'y a, par conséquent, aucune raison de remettre en cause un système
qui fonctionne, inhérent à une classe sociale et militaire qui est la sienne. Mais ce qui est moins
« classique », c'est le déroulement tactique de la bataille. L'attaque du duc de Juliers est une
surprise, dans la mesure où il attaque Wenceslas au moment où celui-ci ne s'attendait pas à ce que
son adversaire prenne les devants. La surprise du moment se double même, peut-être, de la surprise
de la direction de l'attaque : il y a de bonnes raisons de croire que les duc de Gueldre et de Juliers
ont attaqué Wenceslas sur les flancs ou les arrières de celui-ci. Cette double surprise a largement
compensé l'infériorité numérique des « Allemands » face aux « Brabançons ». Baesweiler est, pour
les défenseurs de la cavalerie lourde au XIVe siècle, un argument en leur faveur, pourvu qu'ils ne
négligent pas la tactique, l'élément indispensable à ne pas négliger sans périls.

104
BIBLIOGRAPHIE

Abréviations

ADB : Allgemeine Deutsche Biographie.


AGR : Archives générales du Royaumes de Belgique (Bruxelles).
AVL : Archives de la ville de Louvain.
BCRH : Bulletins de la Commission Royale d'Histoire.
BNB : Biographie Nationale de Belgique.
CC : Chambre des Comptes.
MGH : Monumenta Germaniae Historica.
NDB : Neue Deutsche Biographie
RBPH : Revue Belge de Philologie et d'Histoire.

Sources

Sources inédites

Comptes de la recette générale du Brabant, cités par VAN OETEREN et BOFFA. Référés comme AGR, CC,
n° xxxx.

Fonds d'archives de la ville Louvain cités par VAN OETEREN, BOFFA, et QUICKE. Référés comme AVL, n°
xxxx.

Sources éditées

a) diplomatiques et non narratives.

BÖHMER J.F., HUBER A., Regesta Imperii, t. VIII : Die Regesten des Kaiserreichs unter Karl IV. 1346-
1378, Innsbrück, 1877.

105
Constitutiones 1273-1298, éd. par J. SCHWALM, in MGH, LL, Const., t. 3, Hannover, 1904-06.

DE RAM P.F.X., « Particularités concernant le règne des ducs de Brabant Jeanne et Wenceslas », in
BCHR, 2e série, t. I, 1850, p. 231-281.

ENNEN Leonard, ECKERTZ Gottfried, Quellen zur Geschichte der Stadt Köln, vol. IV , Köln, Dumont-
Schauberg, 1870.

KNIPPING Richard, Die Kölner Stadtrechnungen des Mittelalters mit einer Darstellung der
Finanzverwaltung, t. 2 : Die Ausgaben, Bonn, Herm. Behrendt, 1898.

LACOMBLET Theodore Joseph, Urkundenbuch für die Geschichte des Niederrheins, vol. II et III,
Düsseldorf, 1840-1858.

VERKOOREN Alphonse, Inventaires des chartes et cartulaires des duchés de Brabant et de Limbourg
et des Pays d'Outre-Meuse, Ière partie : chartes originales et vidimées, vol. IV et V, Bruxelles,
1910-1923. Analyse des chartes citée comme : AGR, CB, n° x.

VERKOOREN Alphonse, Inventaires des chartes et cartulaires des duchés de Brabant et de Limbourg
et des Pays d'Outre-Meuse, IIe partie : cartulaires, vol. 2, Bruxelles, 1962.

b) narratives

Annales sancti Jacobi Leodiensis, éd. par G.H. PERTZ, in MGH, SS, t. 16, Hannover, 1859, p. 632-
683.

Annales Floreffienses, éd. par G.H. PERTZ, in MGH, SS, t. 16, Hannover, 1859, p. 618-631.

Annales Fossenses, éd. par G.H. PERTZ, in MGH, SS, t. 4, Hannover, 1841, p. 30-35.

Annales Mosogamenses, éd. par G.H. PERTZ, in MGH, SS, t. 3, Hannover, 1839, p. 160-166.

Anonimalle Chronicle 1333 to 1381, éd. par V.H. GALBRAITH, Manchester, The University Press,

106
1927.

Anonymi sed veteris et fidi chronicon ducum Brabantiae ab ipsis gentis initiis usque ad ann. 1485,
éd. par A. MATTHAEUS, Leiden, 1707.

Chronicon Moguntinum, éd. par C.HEGEL, in MGH, SS Rer. Germ., t. 20, Hannover, 1885.

Chronique anonyme conservée dans la bibliothèque de la ville de Berne, éd. par J.B. KERVYN DE

LETTENHOVE, in Istores et croniques de Flandre, t. II, Bruxelles, 1880, p. 439-533.

Chronique des quatre premiers Valois (1327-1393), éd. par S. LUCE, Paris, 1862.

Chronique liégeoise de 1402, éd. par E. BACHA, Bruxelles, Kiessling, 1900.

Chronique des règnes de Jean II et Charles V, éd. par R. DELACHENAL, Paris, 1916.

Chronographia regum Francorum, éd. par H. MORANVILLÉ, 3 vol., Paris, 1891-1897.

De Brabantsche Yeesten of Rymkroniek van Braband, éd. par J.F. WILLEMS et J.H. BORMANS, t. 2,
Bruxelles, 1845.

EDMOND DE DYNTER, Chronica nobilissimorum ducum Lotharingiae et Brabantiae ac regum


Francorum, éd. par P.F.X. DE RAM, vol. III, Bruxelles, 1857.

Fragments de la Chronique de Flandre abrége, éd. par J.H. KERVYN DE LETTENHOVE, in Istores et
croniques de Flandre, t. II, Bruxelles, 1880.

JACQUES DE HEMRICOURT, Le miroir des nobles de Hesbaye, éd. par C. DE BORMANS, in Oeuvres de
Jacques Hemricourt, 3 vol., Bruxelles, 1910-1931.

JEAN DE STAVELOT, Chronique latine, éd. par S. BALAU et E. FAIRON, in Chroniques liégeoises, t.I,
Bruxelles, Lamertin, 1913, p. 67-143.

JEAN FROISSART, Oeuvres de Froissart : chroniques, éd. par J.B. KERVYN DE LETTENHOVE, vol. I et XIII,

107
Bruxelles, 1867-1877, réimpression par Biblio Verlag, Osnabrück, 1967.

JEAN DE NOYAL, Fragments inédits, publiés et édités par A. MOLINIER, in Bulletins de la Société de
l'Histoire de France, 1883, n° 2, p. 246-275.

JEAN D'OUTREMEUSE, Chronique abrégée, éd. par S. BALAU et E. FAIRON, in Chroniques liégeoises, t.
II, Bruxelles, Lamertin, 1931, p. 114-236.

JOHANN KOELHOFF, Cronica van der hiliger Stat van Coellen, éd. par CARDAUNS, in Chroniken der
niederrheinische Städte, t. 14, Leipzig, Verlag von Hirzel, 1877, p. 641-918.

Die Kölner Weltchronik, éd. par R. SPRANDEL, in MGH, SS rer. Germ. N.S., t. 15, Münich, 1991.

Die Chronik der Grafen von der Mark von Levold von Northof, éd. par F. ZSCHAECK, in MGH, SS rer.
Germ. N.S., t. 6, Berlin, 1929.

MATHIAS DE LEWIS, Chronicon Leodiense, éd. par S. BORMANS, Liège, Grandmont-Donders, 1865.

RAOUL DE RIVO, Gesta pontificum Leodiensium ab anno tertio Engleberti de Marca usque Joannem a
Bavaria, éd. par CHAPEAVILLE, in Gesta pontificum Leodiensium, t. III, p. 1-57.

WERNERUS TITIANUS, Annales Novesienses, éd. par A. MARTÈNE et U. DURAND, in Amplisima Collectio,
t. IV, col. 521-740.

WILLEM VAN BERCHEN, De Gelderse Kroniek, éd. par A. J. DE MOOY, Arnhem, 1950.

HENNEN VAN MERCHTENEN, Cornicke van Brabant, éd. par G. GEZELLE, Gand, 1896.

TILEMANN ELHEN VON WOLFHAGEN, Die Limburger Chronik, éd. par A. WYSS, in MGH, Scriptura qui
vernacula lingua usi sunt, t. 4, Hannover, 1883.

Die Weltchronik des Mönchs Albert 1273/77-1454/56, éd. par R. SPRANDEL, in MGH, SS rer. Germ.
N.S., t. 17, Münich, 1994.

108
CORNELIUS DE ZANTFLIET, Chronicon, éd. par A. MARTÈNE et U. DURAND, in Amplissima collectio, t. V,
col. 67-504.

Travaux

ANGERMEIER Heinz, Königtum und Landfriede im deutschen Spätmittelalter, Münich, 1966.

ANDERMANN K., « Raubritter », in Lexicon des Mittelalters, vol. 7, Münich, Lexma, 1995, p. 474-
475.

BALAU Sylvain, Les sources de l'histoire de Liège au Moyen Age, Bruxelles, Lamertin, 1903.

BAYOT A., CAUCHIE A., « Les chroniques brabançonnes », in BCRH, t. 10, 1900, p. XXXVII-XCIII.

BOFFA Sergio, Warfare in medieval Brabant :1356-1406, Woodbridge, Boydell Press, 2004.

BOFFA Sergio, « Froissart », in The Oxford Encyclopedia of Medieval Warfare and Military
Technology, New York, Oxford University Press, 2010, p. 139-140.

CONTAMINE Philippe, La guerre au Moyen Age, Paris, PUF, 1980, 6e édition (2003).

CUVELIER Joseph, « Renaud de Fauquemont », in BNB, vol. XIX, Bruxelles, 1906, p. 78-87.

DE RAADT Jean-Théodore, La bataille de Baesweiler (22 août 1371) : liste des combattants du duc
Wenceslas suivie de quelques documents inédits pouvant servir à l'histoire de cette journée,
Bruxelles, Vromant & Cie, 1904.

DOMSTA H.J., « Die Hemmersbacher Fehde », in Kerpener Heimatblätter, t. 40, Jahrgang XIV, Heft
3, décembre 1976, p. 57-68.

DUBOIS A., La bataille de Baesweiler (22 août 1371) : les combattants du duc Wenceslas, mémoire
de licence en Histoire, inédit, ULB, 1964-1965 (Disparu!).

ENNEN Leonard, Geschichte der Stadt Köln, 5 vol., Köln, 1863-1880.

109
ESCHER Felix, « Otto der Faule », in NDB, vol. 19, p. 677-678.

FREIIN VON COELS VON DER BRÜGGHEN Luise, « Der Beitritt der Ritterschaft des Herzogtums Limburg
zum Landfrieden zwischen Maas und Rhein », in Zeitschrift des Aachener Geschichtsvereins, t. 62,
1949, p. 77-82.

FUNCK-BRENTANO Frantz, Mémoire sur la bataille de Courtrai et les chroniqueurs qui en ont traité
pour servir à l'histoire de Philippe le Bel, Paris, Imprimerie Nationale, 1891.

GAIER Claude, Art et organisation militaires dans la principauté de Liège et le comté de Looz au
Moyen Age, Bruxelles, Palais des Académies, 1968.

GAIER Claude, « Les effectifs militaires dans la principauté de Liège et le comté de Looz du XIIe au
XVe siècle », in Armes et combats dans l'univers mediéval, t. 2, Bruxelles, De Boeck & Larcier,
2004, p. 51-113.

GANSHOF François-Louis, Brabant, Rheinland, und Reich im 12., 13., und 14. Jahrhundert, Bonn,
Peter Hanstein, 1938.

GLÄSER Florian, Schönau-Schönforst : eine Studie zur Geschichte des rheinisch-maasländischen


Adels im Spätmittelalter, Université de Trêves, thèse de doctorat non publiée, 1999.

GOEBBEL Julius, « Poetry in the Limburger Chronik », in « American Journal of Philology, t. 8 (2),
1887, p. 158-178.

HAAGEN Friedrich, Geschichte Aachens von seinen Anfängen bis zur neuesten Zeit, 2 vol., 1873-
1874.

HEWITT H.J., The organization of war under Edward III, New York, Manchester University Press,
1966.

HÜTTEBRÄUKER Lotte, « Die Vikare Karls IV. in Deutschland », in Festschrift Albert Brackmann
dargebracht von Freuden, Kollegen und Schülern, Weimar, Hermann Böhlaus nachf. G.M.B.H.,

110
1931, p. 546-568.

JAHN Ralf G., « Die Schlacht bei Baesweiler 1371 », in Geldrischer Heimatkalender, 1997, p. 234-
255.

JAHN Ralf G., « Geldern und Brabant », in TEKATH K.H., STINNER J. (dir.), Gelre, Geldern,
Gelderland: Geschichte und Kultur des Herzogtums Geldern, Geldern, Verlag des historischen
Vereins für Geldern und Umgegend, 2001, p. 117-122.

JANSSEN Wilhelm, « Karl IV. und die Lande an Niederrhein und Untermaas », in Blätter für deutsche
Landesgeschichte, t. 114, 1978, p. 203-241.

JANSSEN Wilhelm, « Die niederrheinischen Territorien in der zweiten Hälfte des 14. Jahrhunderts »,
in Rheinische Vierteljahrsblätter, t. 44, 1980, p. 47-67.

JANSSEN Wilhelm, « Die Geschichte Gelderns bis zum Traktat von Venlo (1543) : Ein Überblick », in
TEKATH K.H., STINNER J. (dir.), Gelre, Geldern, Gelderland: Geschichte und Kultur des Herzogtums
Geldern, Geldern, Verlag des historischen Vereins für Geldern und Umgegend, 2001, p. 13-28.

KELLETER F.J., Die Landfriendensbünde zwischen Maas und Rhein im 14. Jahrhundert, Paderborn,
1888.

KRANTZHOFF Maria, « Aachen als Mittelpunkt bedeutender Straßenzüge zwischen Rhein, Maas und
Mosel im Mittelalter und Neuzeit », in Zeitschrift des Aachener Geschichtsvereins, t. 51, 1929, p. 1-
63.

LAURENT H., QUICKE F., Les origines de l'état bourguignon. L'accession de la maison de Bourgogne
aux duchés de Brabant et de Limbourg : 1383-1407, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1939.

LEJEUNE Jean, Liège et son pays : naissance d'une patrie (XIIIe-XIVe siècles), Liège, Faculté de
Philosophie et Lettres de l'Université de Liège, 1948.

Lexicon des Mittelalters, 9 vol., Münich-Zürich, Lexma, 1980-1999.

111
LUCAS Henry Stephen, The Low Countries and the Hundred Years' War : 1326-1347, Ann Arbor,
University of Michigan, 1929.

LUCAS Henry Stephen, « The sources and litterature on Jacob van Artevelde », in Speculum, vol. 8
(n° 2), avril 1933, p. 125-149.

MACDONALD Charles B, The Siegfried Line Campaign, USA, Center of military history, 1984.

MIROT Léon, Les insurrections urbaines au début du règne de Charles VI (1380-1383) : leurs
causes, leurs conséquences, Paris, Albert Fontemoing, 1905.

MOLINIER Auguste, Les sources de l'histoire de France : des origines aux guerres d'Italie, 5 tomes,
Paris, Alphonse Picard, 1901-1904.

MUHLBERGER Steven, Deeds of Arms, Highland Village (USA), The Chivalry Bookshelf, 2005.

NÉLIS H., « Hennen van Merchtenen, auteur de la Cornicke van Brabant », in RBPH, t. 7 (3), 1928,
p. 1035-1039.

NÉLIS H., « La chronique d'Edmond de Dynter et la continuation des Brabantsche Yeesten », in


BCRH, t. 76, 1907, p. 568-596.

NIERMEYER J.F., Mediae Latinitatis Lexicon Minus, Leiden, E.J. Brill, 1976.

OIDTMANN Heinrich, Die Schlacht bei Baesweiler, Geilenkirchen, 1905.

PICOT Sabine, Kurkölnische Territorialpolitik am Rhein unter Friedrich von Saarwerden : (1370-
1414), Bonn, Rohrscheid Verlag, 1977.

PIRENNE Henri, Histoire de Belgique, tomes I-II, Bruxelles, Maurice Lamertin, 1922-1929.

PIRENNE Henri, « L'Ancienne chronique de Flandre et la Chronographia regum Francorum », in


BCRH, 5e série, t. VIII, 1898, p. 199-208.

112
QUICKE Fritz, Les Pays-Bas à la veille de la période bourguignonne (1356-1384) : contribution à
l'histoire politique et diplomatique de l'Europe occidentale de la seconde moitié du XIVe siècle,
Bruxelles, Editions universitaires, 1947.

QUICKE Fritz, « Un testament inédit de l'empereur Charles IV », in RBPH, t. 6 (1-2), 1927, p. 256-
277.

QUICKE Fritz, « Documents concernant la politique des ducs de Brabant et de Bourgogne dans le
duché de Limbourg et les terres d'Outre-Meuse pendant la seconde moitié du XIVe siècle (1364-
1396) », in BCRH, t. 93, 1929,

RAHLENBECK Charles, Histoire de la ville et du comté de Dalhem, Fauquemont et Rolduc, Bruxelles,


Labroue & Cie, 1852.

RAPP Francis, Le Saint Empire romain germanique, Paris, Jules Tallandier, 2000.

RAPP Francis, « Les villes du Saint Empire et le problème militaire : l'exemple de Strasbourg », in
Journal des Savants, 1996 (n° 2), p. 377-417.

REDDLICH Otto, « Wilhelm I., Herzog von Berg », in ADB, vol. 42, 1987, p. 723-727.

ROTTHOFF-KRAUS Claudia, Die politische Rolle der Landfriedenseinungen zwischen Maas und Reich
in der zweiten Hälfte des 14. Jahrhunderts, Aachen, Verlag des Aachener Geschichtsvereins, 1990.

SCHMID Alois, « Rudolf II. », in NDB, vol. 22, p. 183.

SCHMIDTCHEN Volker, Kriegswesen im späten Mittelalter. Technik, Taktik, Theorie, Weinheim, VCH-
Acta humanioria, 1990.

SCHÜTZ Alois, « Ludwig der Römer », in NDB, vol. 15, p. 385.

SEIBT Ferdinand, Karl IV., ein Kaiser in Europa:1346 bis 1378, München, Süddeutscher Verlag,
1978.

113
STEIN R., « Le Lion brabançon assoupi (1356-1430) », in Histoire du Brabant : du duché à nos
jours, Zwolle, Waanders, 2004, p. 157-162.

THOMAS Heinz, « Die Luxemburger und der Westen des Reiches zur Zeit Kaiser Karls IV. », in
Jahrbuch für westdeutsche Landesgeschichte, t. 1, 1975, p. 59-96.

UYTTEBROUCK André, Le gouvernement du duché de Brabant au bas moyen âge (1355-1430), 2. vol.,
Bruxelles, Editions de l'université de Bruxelles, 1975.

UYTTEBROUCK André, « Phénomènes de centralisation dans les Pays-Bas avant Philippe le Bon », in
RBPH, t. 69 (4), 1991, p. 872-904.

VAN OETEREN Vincent, Recrutement et composition d'une armée brabançonne au XIVe siècle. Le cas
de Baesweiler (1371), mémoire de licence en Histoire, inédit, ULB, année académique 1986-87.

VAN UYTVEN Raymond, « Noble Brabant, résiste! », in Histoire du Brabant : du duché à nos jours,
Zwolle, Waanders, 2004, p. 103-113.

VAN WINTER Johanna Maria, « Das Bistum Utrecht zwischen Geldern und Holland », in TEKATH
K.H., STINNER J. (dir.), Gelre, Geldern, Gelderland: Geschichte und Kultur des Herzogtums
Geldern, Geldern, Verlag des historischen Vereins für Geldern und Umgegend, 2001, p. 113-116.
VAN UYTVEN Raymond, « Wenceslas », in NBW, vol. II, col. 935-940.

WURTH-PAQUET François-Xavier, « Table chronologique des chartes et diplômes relatifs à l'histoire de


l'ancien pays de Luxembourg. Règne de Wenceslas de Bohême, comte puis duc de Luxembourg.
1352-1383. », in Publications de la section historique de l'institut grand-ducal de Luxembourg,
t.24, 1869.

ZIMMERMANN Karl, « Die Schlacht bei Baesweiler am 22. August 1371 », in Rheinische
Vierteljahrsblätter, t. 11, 1941, p. 270-277.

114
Cartes

Le duché de Brabant au XIVe siècle, in BOFFA Sergio, Warfare in medieval Brabant :1356-1406,
Woodbridge, Boydell Press, 2004, p. XIX.

115
La chevauchée de Juliers en 1371, in BOFFA Sergio, Warfare in medieval Brabant :1356-1406,
Woodbridge, Boydell Press, 2004, p. 21.

116
Luxembourg, Wittelsbach et Habsbourg dans le Saint Empire, XIVe siècle.

117
118
119
120
121
122
123

Vous aimerez peut-être aussi