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Memoire de Recherche Pour Lobtention Du
Memoire de Recherche Pour Lobtention Du
Frédérique LETORT
Master 2 Mention Finance Comptabilité Contrôle,
Spécialité Comptabilité Contrôle Audit
Directrice de recherche :
Mme Dominique BESSIRE, Professeur en Sciences de Gestion
- REMERCIEMENTS -
La rédaction de ce mémoire n'aurait pas été possible sans le soutien et les conseils de Mme
Je souhaiterais aussi remercier Pascal Fabre, Professeur en Sciences de Gestion, qui m'a incité
à m'engager dans la voie de la recherche, et dont l'aide et les conseils se sont révélés précieux
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
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- TABLE DES MATIERES -
INTRODUCTION .................................................................................................................... 5
Management ........................................................................................................................ 16
organisations publiques................................................................................................ 20
efficace et efficiente............................................................................................................. 30
A. La transposition d'un outil de gestion du secteur privé au secteur public : des objectifs
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1. La comptabilité de gestion : un outil adapté au secteur marchand........................... 51
contraintes ............................................................................................................................. 69
2. Les trois rationalités des organisations publiques : des contraintes et des tensions
CONCLUSION ....................................................................................................................... 90
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 95
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- INTRODUCTION -
sujet que j'ai découvert assez récemment par l'intermédiaire de Pascal Fabre, Professeur en
Sciences de gestion. Il y a deux ans, j'ai eu l'opportunité grâce à lui de co-encadrer des
étudiants en Master 2 Management Public Local qui travaillaient sur ce thème dans le cadre
d'un mémoire collectif. Au terme de ce travail réalisé par les étudiants, j'ai constaté que ce
sujet appelait beaucoup de questions. Il m'est apparu que la comptabilité de gestion dans les
communes était quelque chose "qui n'allait pas de soi". En effet, une grande diversité de cas
de figure a émergé à la suite de l'étude qualitative1 menée par les étudiants. Les résultats
obtenus ont montré que les collectivités n'avaient pas de système uniforme de comptabilité de
gestion, et que les pratiques allaient du simple calcul de coûts directs jusqu'au système global
(sans oublier l'absence totale de comptabilité analytique dans certains cas !) ; par rapport à
l'état de l'art, ces constats allaient dans le sens des résultats avancés par Gibert en 19952.
utilisent-elles la comptabilité de gestion et pas d'autres ? Quelle peut être son utilité pour
1
11 collectivités territoriales interrogées : 7 communes et 4 communautés d'agglomération.
2
Gibert P (1995), La difficile émergence du contrôle de gestion territorial.
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Comptabilité (CNC) en donne la définition suivante : "La comptabilité de gestion est un mode
de traitement des données qui doit fournir, d'une manière générale, des éléments destinés à
"comptabilité analytique" défini en 1982 par le Plan Comptable Général (PCG) : " La
comptabilité analytique est un mode de traitement des données qui permet de reclasser par
destinations ou par fonctions les charges et les produits que la comptabilité générale a
enregistré par nature, ceci afin d’en faire l’analyse pour une période donnée". La similarité
des données. Cependant, l'objectif de la comptabilité de gestion s'avère plus large et plus
comptabilité analytique est centrée sur l'analyse des coûts. Néanmoins, certains auteurs
jugent la définition du CNC trop restrictive. Lebas (1992) estime que la prise de décision n'est
pas une finalité spécifique à la comptabilité de gestion, cette dernière a une vocation
stratégique. Elle s'inscrit en effet dans le continuum des comptabilités et doit permettre la
satisfaction des besoins perçus par les managers dans une perspective interne à l'entreprise.
comptable des entreprises françaises, en donne le premier une définition. Dès 1957, une
méthode est mise en relief, les sections homogènes. Qu'en est-il des communes ? La
commune est une collectivité territoriale de proximité instituée par le décret du 14 décembre
1789. Jusqu'à la loi du 5 avril 1884 qui reconnait son émancipation politique, juridique et
financière, la commune était soumise à la tutelle de l'Etat. La loi de 1884 pose le principe de
la compétence générale de la commune : "le conseil municipal règle, par ses délibérations, les
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précise les compétences de la commune, et définit des missions élargies en matière
L'intérêt de la recherche
mobilisé par les chercheurs. En élargissant le terrain d'étude aux collectivités territoriales, le
constat est quasiment identique. La littérature sur ce thème est assez récente (années 1980),
mais hormis quelques auteurs comme Meyssonnier, Gibert et Demeestere, celle-ci est peu
développée.
en autonomie, ont été amenées à utiliser les outils de gestion du secteur privé : comptabilité
analytique, tableaux de bord... Dans les années 1980, on constate un certain engouement pour
la comptabilité de gestion dans les communes, puis une certaine stagnation (Meyssonnier,
1993a), voire ensuite une régression de l'outil : "après une période de bouillonnement
relativement intense qui a vu les initiatives fleurir dans de nombreuses villes et départements,
(Beaulier & Salery, 2006, p. 70). Cette évolution interpelle, d’autant plus que pour l'instant la
Intérêts managériaux
Comme nous le verrons plus loin dans ce mémoire, depuis une trentaine d'années les
collectivités territoriales utilisent de plus en plus les outils de gestion du secteur privé. Face à
une contrainte financière croissante, les besoins des communes en instrumentation de gestion
sont réels, mais cette transposition peut-elle être "automatique" ? Les organisations publiques
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ont des finalités différentes de celles des entreprises, il importe donc de déterminer de quelle
façon les outils de gestion, et plus particulièrement la comptabilité de gestion, doivent être
utilisés afin que cette transposition ne soit pas un échec pour l'organisation.
Problématique
L'objectif de ce mémoire est de déterminer pourquoi les communes ont fait le choix
d'utiliser la comptabilité de gestion, outil de gestion transposé du secteur privé. De façon plus
précise, quels sont les éléments contextuels et historiques qui ont favorisé cette implantation ?
d'appropriation de l'outil de gestion à travers les objectifs des communes et les conditions
favorisant ou contraignant l'appropriation de l'outil. Le sujet aurait pu être traité sous un autre
angle : celui des modèles de diffusion des outils de gestion dans les organisations. J'ai préféré
ne pas aborder cet aspect car il existe plusieurs modèles de diffusion de l'innovation (comme
comptabilité de gestion dans les communes, je n'ai pas trouvé d'éléments empiriques
La méthodologie suivie
littérature approfondie sur le sujet de la comptabilité de gestion dans les communes. J'ai choisi
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de ne pas effectuer d'étude terrain sur ce thème mais plutôt de m'appuyer sur celles qui ont été
faites jusqu'ici par des chercheurs et traduites dans des thèses et des articles. Ce choix est
motivé par deux facteurs ; tout d'abord, ne pouvant pas, pour des contraintes professionnelles,
effectuer ce mémoire à plein temps, j'ai préféré consacrer le temps qui m'était imparti à faire
une revue de littérature qui est à la base de tout travail de recherche en Sciences de Gestion ;
ensuite, j'ai préféré conserver l'étude terrain pour la thèse sur laquelle ce mémoire devrait
logiquement déboucher.
Les études empiriques qui servent de base à ma réflexion sur ce sujet sont donc issues
Le premier ouvrage abordant le thème de la comptabilité de gestion dans les communes est le
livre de Jean Bouinot "La nouvelle gestion municipale - Comptabilité et management d'une
commune" en 1977, qui se base, entre autres, sur l'expérience "pilote" d'implantation d'une
public est celui de Burlaud & Gibert en 1984 "L’analyse des coûts dans les organisations
publiques : le jeu et l’enjeu". Les auteurs s’interrogent sur la possibilité et la nécessité de faire
des analyses de coûts dans les organisations publiques, sans développer le cas particulier des
l’analyse des coûts au secteur public, et sur le fait que les objectifs de l’analyse semblent
Cet article de Burlaud & Gibert (1984) marque le point de départ de cette revue de
littérature ; les études sur ce thème apparaissent ensuite peu nombreuses, les plus anciennes
datant du début des années 1990. La thèse de François Meyssonnier en 1993 sur le contrôle de
gestion communal apporte la première enquête de terrain à grande échelle sur ce thème
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(échantillon : 82 communes), suivie par la thèse d’Olivier Roussarie (1994) "Les outils de
contrôle de gestion utilisés dans les services publics urbains" avec une enquête terrain portant
sur 15 communes. Olivier Roussarie affirme que les services municipaux utilisent des
méthodes de calculs de coûts assez homogènes, en particulier dans les services fournissant des
activités payantes.
Ensuite, des auteurs comme Gibert et Demeestere feront de l’analyse des coûts publics
en 1995 "La difficile émergence du contrôle de gestion territorial". Dans cet article, il
constate un paradoxe : les consultants sont très sollicités pour développer le contrôle de
gestion dans les communes, mais les outils du contrôle de gestion sont finalement peu insérés.
C'est le cas de la comptabilité analytique, souvent mise en place de façon complexe mais dont
Demeestere poursuit ce développement dans son article "Que peut-on attendre d'une
comptabilité de gestion dans le secteur public ?" en 2000, en s'interrogeant sur le rôle des
experts et des dirigeants publics dans la mise en place d'une comptabilité de gestion. L’auteur
Plus récemment, apparaissent des articles de recherche focalisés sur l’étude d’une commune,
que ce soit par une recherche-intervention (Fabre & Bessire, 2008) ou par une étude
Fabre & Bessire (2008) s'interrogent sur la façon de construire un système de calculs
de coûts efficace et efficient pour une collectivité territoriale, tout en assurant sa pérennité. Ils
concluent sur la nécessité d'opérer des choix contingents intégrant les dimensions politiques,
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A ce stade, un constat s'impose : cela fait plusieurs années qu’il n’y a pas eu de
depuis 2009 une thèse sur la comptabilité de gestion communale dont l’intitulé est "Du
recours aux mises en œuvre de la comptabilité analytique dans les communes françaises :
retour sur un outil controversé", mais son étude empirique porte seulement sur trois études de
figurent également dans ce tableau les études, les enquêtes et les documents professionnels
ayant un caractère significatif sur ce sujet. Ce tableau ne se veut pas une synthèse exhaustive
récapitulatif des éléments trouvés sur ce sujet et qui ont donné du sens à cette réflexion.
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Tableau 1 - études et éléments empiriques mobilisés (par ordre chronologique)
Légende :
• En bleu, les thèses et articles de recherche
• En noir, les guides et documents à vocation professionnelle et pratique
• En rouge, les études, enquêtes et rapports d'organismes extérieurs
Sources Collectivités territoriales étudiées
Bouinot J. (1977), "La nouvelle gestion Ouvrage généraliste s'adressant aux communes,
municipale - Comptabilité et management d'une mais aussi à un public plus large car rédigé par un
commune", Ed. CUJAS. universitaire. Le chapitre sur le contrôle de gestion
et la comptabilité d'équipement s'appuie sur
l'expérience de la ville d'Orléans.
Carles J. & De Kerviler I. (1988), "La Guide pratique à destination des collectivités
comptabilité analytique appliquée aux services s'appuyant sur des exemples concrets de 13
communaux", La Documentation Française, communes ayant mis en œuvre une comptabilité
Collection Décentralisation. analytique.
Meyssonnier F. (1993), "Le contrôle de gestion Enquête réalisée auprès de 82 communes.
communal : bilan et perspectives", thèse de Analyse plus approfondie réalisée sur 12
doctorat. communes.
Meyssonnier F. (1993), "Quelques Enquête réalisée auprès de 82 communes
enseignements sur l’étude du contrôle de Analyse plus approfondie réalisée sur 12
gestion dans les collectivités territoriales", communes (enquête terrain utilisée pour la thèse
Revue Politiques et Management public, volume de l’auteur).
11, n°1.
Rey J.-P. (1994), "Implanter le contrôle de Guide pratique à destination des collectivités
gestion", Dossiers d'Experts, Ed. La lettre du territoriales : 8 pages expliquant l'intérêt et la
cadre territorial. façon de calculer des prix de revient.
Gibert P. (1995), "La difficile émergence du Exemples de collectivités territoriales ayant mis
contrôle de gestion territorial", Revue Politiques en place des outils de contrôle de gestion, dont la
et Management public, volume 13, n°3. comptabilité analytique.
Roussarie O. (1995), "La comptabilité Enquête réalisée auprès de 15 communes (de
analytique dans les services municipaux : des 20 000 à 50 000 habitants) et 45 services du 13
méthodes de calcul à adapter à la diversité des mai au 25 novembre 1992 (enquête terrain utilisée
activités de l'organisation", Actes du 16e pour la thèse de l’auteur : "Les outils de gestion
Congrès de l'AFC, Montpellier. utilisés dans les services publics urbains").
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Carlier B. & Ruprich-Robert C. (1996), "Le Guide pratique à destination des collectivités
contrôle de gestion", Dossiers d'Experts, Ed. La territoriales : 20 pages expliquant les différentes
lettre du cadre territorial. méthodes de calculs de coûts et détaillant la
méthode des "Tableaux Prestations Moyens".
Rapport du Comité directeur des autorités Bilan sur l'utilisation de la comptabilité analytique
locales et régionales (CDLR), Conseil de en France (p. 77-78).
l'Europe (1997), "L'utilisation des indicateurs de Etudes de cas sur la restauration scolaire en France
performance dans les services publics locaux", (p. 92-95), sur la gestion de la ville d'Issy-les-
Communes et régions d'Europe, n° 63. Moulineaux (p. 99).
Pariente P. (1998), "Intérêt des approches Enquête réalisée entre 1992 et 1993 (réactualisée
contingentes en contrôle de gestion : le cas des en 1995) auprès de 50 communes de taille
collectivités locales", Revue Politiques et moyenne.
Management public, volume 16, n°4.
Demeestère R. (2000), "Que peut-on attendre Exemples provenant de recherches ou de missions
d’une comptabilité de gestion dans le secteur d’expertise menées auprès d’entreprises publiques,
public", Revue Politiques et Management d’établissements publics, d’administrations
public, volume 18, n°4. centrales et de collectivités locales.
Axys Consultants (mai 2005), "La comptabilité Enquête d’opinion réalisée auprès de 70 directeurs
analytique au sein des Administrations". financiers et du contrôle de gestion dans les
Administrations (18% exercent dans des villes).
Demeestère R. (2007), "L’analyse des coûts : Etude d’organisations publiques ayant développé
public et privé", Revue Politiques et des modèles d’analyse de coûts, dont une
Management public, volume 25, n°3. municipalité.
Fabre P. & Bessire D. (2008), "Les apports Etude mono-site : recherche-intervention portant
d’une recherche-intervention en collectivité sur l’implantation d’une comptabilité de gestion
territoriale : l’exemple de l’implantation d’une dans une commune de 20 000 habitants.
comptabilité de gestion dans une ville de taille
moyenne", Actes du Congrès des IAE, Lille, 11-
12 sept. 2008.
Cour des Comptes (2009), "Rapport public Communes utilisant la comptabilité analytique
annuel : Les évolutions du pilotage et du explicitement mentionnées : Angers, Nantes.
contrôle de la gestion des collectivités locales"
Fabre P. (2010), "L’affectation des ressources Enquête auprès de 250 services opérationnels
aux associations partenaires : la nécessaire (Culture, Sport, Politique de la Ville) sur l’intérêt
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politisation des outils de gestion", Management de l’instrumentation de gestion (Comptabilité de
et avenir, 2010/10, n° 40, p. 254-274. gestion et indicateurs) pour l’affectation des
ressources aux associations partenaires.
Lamrani E. (2011), "Du contrôle de gestion à Recherche-intervention au sein de la direction de
l'évaluation des politiques publiques : Le cas de la culture d’une mairie de plus de 140 000
la direction de la culture dans une mairie", 3ème habitants portant sur le déploiement de la
Journée d’étude en contrôle de gestion de méthode ABC /ABM.
Nantes, « Le contrôle de gestion des activités de
service », Université de Nantes, 4 février 2011.
Bargain A. (2011), "Histoire d’un outil de Etude mono-site : étude historique sur
contrôle de gestion dans une collectivité locale : l’implantation de la comptabilité analytique à
le cas de la comptabilité analytique à la ville Angers.
d’Angers (1983-2005)", XVIe Journées
d’Histoire de la Comptabilité et du
Management, Nantes, 23-25 mars 2011.
Bargain A. (2012), "Retour sur un échec : le cas Etude mono-site : étude historique sur
de la comptabilité analytique à la commune de l’implantation de la comptabilité analytique à La
La Roche-sur-Yon (1988-1992)", Actes du 33e Roche-sur-Yon.
Congrès de l'AFC, Grenoble, 21-23 mai 2012.
Dans une première partie, nous verrons par quel mouvement historique et idéologique,
les organisations publiques ont été conduites à adopter les méthodes de management des
entreprises. Ensuite, dans une deuxième partie, nous étudierons les objectifs et les contraintes
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I. LES RAISONS DE L'INTERET PORTE A LA COMPTABILITE DE
CONTEXTE IDEOLOGIQUE
les communes, il est indispensable de replacer cette étude dans le processus historique
Laufer (2008) s’appuie sur le critère du droit administratif pour distinguer trois périodes :
étendu aux autres organisations : "l’action, l’art ou la manière de conduire une organisation,
(2008, p. 38), qui reprend la définition avancée par Chester Barnard, le management
correspond "à la forme de langage administratif qui s’est développé tout au long de l’histoire
des bureaucraties publiques et privées dans les Etats-Nations occidentaux". A partir de cela,
3
Arrêté du 29 novembre 1973 relatif à la terminologie économique et financière
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distingue le management des organisations privées de celui des organisations publiques. La
théorie de la publicitude (ou "publicness") de Bozeman (2007) tente d’apporter une réponse à
"publicitude dimensionnelle", les organisations sont contraintes par deux types différents
d’autorité : l’autorité politique et l’autorité économique. Selon Bozeman, presque toutes les
Néanmoins, Laufer (2008) estime que le management public est spécifique car il "correspond
aux méthodes utilisées pour légitimer les actions administratives face à l’opinion publique".
Plus récemment, et selon d’autres auteurs, le management public peut s’appréhender de deux
façons (Huron & Spindler, 1998), de façon restrictive comme le "management des services
publics", et de façon plus extensive comme le "management du pouvoir politique", qui permet
Par quel processus le management a-t-il peu à peu envahi la sphère publique ?
On peut considérer que ce processus a débuté avec la diffusion de la théorie des choix publics
dans les années 1960, s’est ensuite développé avec le courant du New Public Management et
la remise en cause des formes de gestion du secteur public, ainsi que le managérialisme.
La théorie des choix publics est un courant économique qui s’intéresse à l’action de la
puissance publique qui se substitue au marché car celui-ci est jugé défaillant ou moins
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performant. Le texte fondateur de ce courant est The calculus of consent publié en 1962 par
bien-être, car admettre que le marché est imparfait ne doit pas conduire nécessairement à
L’hypothèse fondamentale de cette théorie des choix publics est qu’il existe un pont important
entre le comportement des individus agissant sur le marché économique et de ceux agissant
sur le marché politique ; d’après Buchanan & Tullock (1962), les mêmes individus agissent
dans les deux situations. En effet, le fonctionnaire, le bureaucrate, l’homme politique sont des
agents économiques comme les autres cherchant à maximiser leur utilité (pouvoir,
revenus…). Parallèlement à cela, chaque consommateur de bien collectif veut faire peser le
coût de celui-ci sur les autres : c’est le problème du "cavalier libre" ("free rider"). Dès 1954,
Samuelson oppose les biens collectifs aux biens privés : les premiers étant des biens
indivisibles payés par tous car utiles à tous (comme la Défense par exemple).
L’école des choix publics a également développé l’idée que le système démocratique
ne produit pas de bonnes décisions pour la collectivité. Pour Buchanan & Tullock (1962), le
mode de décision idéal est l’unanimité mais celui-ci produit des coûts de transaction trop
importants pour pouvoir y parvenir. La règle majoritaire n’est pas conforme à l’intérêt public
car elle ne permet pas d’adopter les mesures les plus efficaces socialement. En effet, le
dépenses dont le coût social est supérieur aux gains réalisés et le phénomène des groupes
d'intérêt (ou groupes de pression) renforce cette tendance : le coût des mesures est dispersé
sur un grand nombre d’individus alors que le gain est concentré sur un petit nombre.
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Par exemple, dans une commune, l'électeur de base participe rarement directement à la vie
politique, mais il sera plus sensible à l'action d'un groupe plus "bruyant" comme une
La théorie des choix publics peut contribuer à expliquer certains choix des maires en faveur
de groupes catégoriels, qui ont pour conséquence l'augmentation croissante des dépenses
Les économistes de l’école des choix publics ont analysé la bureaucratie et ont dégagé les
hypothèses suivantes :
- Les objectifs des bureaucrates sont complexes et comprennent des objectifs collectifs
commodité, prestige...) ;
- Les fonctions sociales dans chaque organisation sont influencées par la structure et les
Le bureaucrate aura donc tendance à vouloir maximiser ses propres préférences, ce qui induit
un biais bureaucratique pour la collectivité : l’augmentation des budgets sans lien réel avec
les fonctions sociales assignées aux organisations publiques. En effet, le bureaucrate a une
meilleure connaissance des coûts de son service que l’administration centrale, et par
commodité (et résistance au changement), le bureaucrate aura tendance à déclarer que les
économies budgétaires sont irréalisables. Pour les économistes de l’école des choix publics,
les idées keynésiennes (principalement celles concernant la relance économique par les
déficits publics) ont été complètement adoptées par les organisations publiques, et ont fini par
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L’école des choix publics s’inscrit donc dans une optique libérale, critique de l’économie du
bien-être, et s’inquiète de la dérive possible des finances publiques. Tullock (1978) propose
des solutions inspirées du fonctionnement des marchés de la sphère marchande : priver les
Les points intéressants à retenir du "public choice" par rapport à notre thématique sont les
suivants :
une différence importante : le contexte institutionnel les fait agir avec de l’argent qui ne
L’école des choix publics s’est développée dans les années 1960 et 1970. Avec la crise
économique consécutive au Premier choc pétrolier de 1973, les idées du « public choice »
trouveront un écho grandissant dans ce qu’on appellera par la suite le « New Public
Management » (NPM).
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2. Le New Public Management : l'expression de la crise de
Les fondements
Le New Public Management (NPM)4 est un courant d’idées qui se développe dans les
années 1980 dans les pays anglo-saxons. Hood (1991, p. 3-4) définit le NPM comme
de réforme bureaucratique dans de nombreux pays membres de l'OCDE depuis les années
libéralisme dans les pays développés, comme par exemple aux Etats-Unis, avec les "années
financière dans la plupart des pays industrialisés et la nécessité d'un contrôle accru des
dépenses publiques. En effet, dans la plupart des pays de l'OCDE la crise a pour conséquence
une augmentation du chômage, d'où des dépenses sociales accrues, et une inflation
grandissante, qui impacte également les dépenses publiques (en France, la dette publique
mettra en avant le rôle réduit de l’Etat dans l’économie. D’autres pays, comme l’Australie et
générale, "le point commun de ces réformes est de chercher à introduire des marchés ou des
4
Appelé aussi Nouveau Management Public, ou Nouvelle Gestion Publique.
5
Source : INSEE.
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quasi-marchés au sein des institutions de l’Etat-Providence de manière à en renforcer
L’engouement des pays industrialisés pour le NPM semble résulter de quatre phénomènes
commercial…) ;
doctrine néolibérale de Friedrich von Hayek et de Milton Friedman, ainsi que celle de l’Ecole
modèle est typique de la gouvernance des organisations publiques dans lesquelles l’exercice
contrôle, sur le savoir. La bureaucratie wébérienne respecte les principes d’égalité formelle,
l’écrit). Weber avait identifié les limites du système bureaucratique comme le risque de
(1957), met en avant la rigidité de la bureaucratie et le risque de déplacement des buts dans
une organisation où les règles peuvent être appliquées pour elles-mêmes. Quant à Gouldner
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(1959), il met en évidence les risques liés à l’application stricte des règles, comme l’apathie et
base de règles écrites, clairement établies et connues (Merrien, 1999 ; Bezes, 2007). Ce
principe d’égalité de traitement des citoyens se retrouve dans toutes les formes d’Etat-
publiques est jugé négativement, alors que les valeurs et les modes de fonctionnement de
D’une façon générale, le libéralisme prône la non (ou moindre) intervention de l’Etat
dans l’économie, et considère que les mécanismes du marché peuvent s’appliquer au secteur
Les principes du NPM vont s’appuyer sur deux questions essentielles (Hood, 1995) :
• Dans quelle mesure le secteur public doit-il être distinct du secteur privé ? (quatre
• Jusqu’à quel point le pouvoir discrétionnaire des dirigeants doit-il être encadré par des
règles ?
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- Développer les méthodes de management issues du secteur privé ;
- Introduire des méthodes de contrôle avec des responsables "visibles" et usant d’un
pouvoir discrétionnaire ;
- Mettre en place des normes de performance ainsi que des indicateurs pour la mesurer ;
Ces sept éléments introduisent des concepts de gestion issus du secteur privé : centres de
frontière entre secteur privé et secteur public ne doit plus être marquée, elle devient plus floue
et plus mouvante.
Différentes conceptions
Efficience Spécificité
Dérégulation service public
Marché "Hybridation"
Contrôle Méthodes public /
privé
financier
Conduite du
Décentralisation changement
Flexibilité Mouvement "local /
Réseaux central"
Contractualisation Leadership
"Accountability"
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Dans ce mouvement général de remise en cause du fonctionnement et des structures du
secteur public, le NPM prend des formes variées suivant les pays. Les changements les plus
extrêmes conduisent à de véritables logiques de marché, tandis que les formes les plus
modérées veulent maintenir les spécificités du secteur public (voir schéma 1 - Le "New
publiques ?). En France, les réformes mises en œuvre sont plus "soft" que dans les pays
anglo-saxons et l'accent sera mis sur la spécificité et les valeurs du service public (Bartoli,
2009).
rationalisation des choix budgétaires (RCB), inspirée de la "gestion budgétaire par objectifs"
dans le but de développer des outils de planification et d’évaluation, ainsi que la direction par
objectifs dans les administrations (Zampiccoli, 2009). Cette politique représente la première
(Chaty, 1998). Cette nouvelle orientation s'appuie sur le calcul économique (évaluation des
coûts et des avantages, prise en compte du temps, du risque et de l'incertitude dans le choix
d'un investissement). La RCB s'appuie sur trois axes : les études analytiques, les budgets de
l'entreprise privée (Champaux & Malo, 2011). Faute d'objectifs précis et de manque
d'expérimentation, la RCB n'aura pas le succès escompté, son utilisation sera limitée (la mise
en place d'outils de gestion sera très partielle). Puis, la RCB sera finalement définitivement
6
La RCB est lancée en 1968 par Michel Debré, Ministre des Finances.
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abandonnée en 1984. L'objectif principal de la RCB était d'améliorer les choix de dépenses
publiques en s'appuyant sur les trois axes précédemment cités, sans pour autant remettre
Néanmoins, c'est dans le cadre de la RCB que les premières expériences de comptabilité
analytique voient le jour dans les communes à la fin des années 1970 (Meyssonnier,
1993a). La première commune à mettre en œuvre une méthode de comptabilité analytique est
Orléans (voir encadré ci-dessous). L'approche se fait par les équipements ; dans les communes
(suivant le mouvement initié par Orléans) la mise en place d'une architecture globale a pour
but de planifier les investissements à long terme, de prévoir leur maintenance et leur
renouvellement et d'avoir une vision globale du patrimoine. La priorité était donc le budget
d'investissement, dans une logique s'inscrivant dans les principes fondant la RCB
(Meyssonnier, 1993a).
Les années 1980 voient d’importantes évolutions dans le secteur public français (voir
tableau 2 - les étapes marquantes de la gestion publique en France dans le cadre du NPM).
Tout d’abord, les lois de décentralisation (1982-1983), qui valident le principe de libre
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 25
pratiques gestionnaires et managériales pour assurer leurs nouvelles missions (urbanisme
notamment). De fait, les communes voient leur autonomie accrue, ce qui leur permet de
mettre en œuvre des pratiques de gestion innovantes. Ensuite, la circulaire "Rocard"7 marque
(Zampiccoli, 2009).
Tableau 2 - Les étapes marquantes de la gestion publique en France dans le cadre du NPM
7
Circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau du service public.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 26
Selon Meyssonnier (1993a), dans les années 1980 et en ce qui concerne la comptabilité
importe désormais de pouvoir connaître le coût des prestations, des services rendus par la
responsable) et non plus par nature de crédits (ou de dépenses). La LOLF préconise une
orientation vers la performance en promouvant une culture du résultat. L’accent est donc
mis sur les objectifs des programmes : un système d'indicateurs doit permettre d'en suivre
les réalisations et d'en apprécier les résultats (Champaux & Malo, 2011). Pour cela, l'Etat
modifie en profondeur son système comptable sur le modèle du secteur privé. Jusqu'ici l'Etat
était doté d’une comptabilité de caisse qui privilégiait le suivi des opérations budgétaires et
qui avait donc comme inconvénient de ne pouvoir tenir compte d’éléments prévisionnels
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 27
comme les dettes et les créances. De ce fait, pour permettre une meilleure connaissance des
d’engagement. En 2004, avec le "Recueil des normes comptables de l’Etat", ce dernier se dote
de normes comptables directement influencées par les normes IAS/IFRS8, IPSAS9 et le PCG,
une comptabilité destinée à analyser les coûts des actions engagées dans les programmes.
Il est à noter que la LOLF ne concerne pas la procédure budgétaire des collectivités
les actions doivent être justifiées vis à vis des usagers, des contribuables et des citoyens ;
changement de culture de l'administration initiée par la LOLF, mais cette fois-ci la procédure
organisations publiques, or le NPM est généralement présenté comme la solution à tous les
Dans les principes du NPM dégagés par Hood (1995), les notions d’efficience, de normes de
8
International Accounting Standards / International Financial Reporting Standards.
9
International Public Sector Accounting Standards.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 28
impliquent que l’on puisse définir les objectifs des organisations publiques de façon
satisfaisante, c'est-à-dire de façon chiffrée et quantitative afin de permettre le contrôle par les
aspects qualitatifs des services publics. La clarté des objectifs peut se discuter (selon Hofstede
(1981), les objectifs ont un caractère ambigu) et les indicateurs de performance diffusés
(comme les classements des lycées ou des hôpitaux par exemple) sont régulièrement
contestés… Il apparaît donc que la définition d’objectifs chiffrés ne va pas forcément de soi,
mesure de ces objectifs. Laufer & Burlaud (1980) y voient le principal obstacle au
d’efficacité, mais pour Laufer (2008), ce développement est davantage motivé par des raisons
d’efficacité symbolique, liées à la crise de la limite public / privé, que par des raisons
d’efficacité pratique.
D’autres auteurs, comme Merrien (1999), mettent en avant les effets pervers
inattendus du NPM, comme le fait pour les responsables de privilégier l’efficience de leur
organisation au détriment des besoins de la société. En effet, en déléguant leurs missions à des
coordonner leurs actions. La mise sous tension des organisations publiques a modifié leur
légitimité, celle-ci n'est plus représentée par des valeurs collectives, mais par l'efficience
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 29
(Champaux & Malo, 2011). D’une façon générale, peut-on vraiment dire que les mécanismes
Le NPM a fait évoluer les organisations publiques pour répondre à trois logiques
l'efficience (ou optimisation des moyens employés). Pour satisfaire à ces logiques d'action, les
gestion
secteur privé dans le secteur public. Le managérialisme s'inscrit dans ce mouvement, c'est
dit, il s’agit d’appliquer à toutes les organisations le modèle de gestion des entreprises privées,
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 30
Dans cette idéologie, les valeurs de l’entreprise sont considérées par la société comme
"supérieures" à celles des organisations publiques ; celles-ci sont donc poussées à adopter les
méthodes et les techniques du secteur privé, et en premier lieu les outils du contrôle de
gestion.
des trois facteurs environnementaux qui ont influencé le besoin d'outils de contrôle de gestion
privé en ce qui concerne le management. Or, est-ce vraiment le cas ? Marie-Laure Djelic
(2004) développe une thèse intéressante à ce propos. La diffusion des pratiques américaines
de management après la Deuxième Guerre Mondiale serait due à l’action de l’Etat français
dans un but de modernisation des institutions économiques. On peut considérer les Etats-Unis
comme le berceau du management ; ce sont dans les grandes entreprises américaines des
années 1920 que les méthodes et les outils du management se sont d’abord développés.
Après-guerre, le modèle américain a été reconnu par l’élite française comme celui à suivre. A
cette époque, l’Etat français évolue dans un contexte économique et social qui lui donne les
10
Les deux autres facteurs étant les réformes structurelles de modernisation de la gestion publique et les
restrictions budgétaires.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 31
provenant des Etats-Unis. L‘essaimage de ces techniques sera facilité par la mise en place des
missions de productivité dans les années 1950. Grâce au support financier du Plan Marshall,
plusieurs milliers de Français ont été envoyés aux Etats-Unis pour étudier les méthodes de
gestion des entreprises à travers les techniques et les méthodes utilisées pour rationaliser le
Il apparaît donc, selon Djelic (2004) et de façon paradoxale, que la diffusion des
techniques de management en France dans le secteur privé fut initialement impulsée par des
acteurs publics.
managériales dans les années 1950 peut s’analyser comme le résultat de pressions
pour influencer le secteur privé, elle y revient pour imprégner les organisations publiques
management sont considérées comme un modèle idéal. Selon Avare & Spomem (2008), la
notion de performance occupe une place centrale de même que la rationalité instrumentale et
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
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l'entreprise. De plus, dans un contexte budgétaire difficile, avec des déficits souvent
importants, les organisations publiques ont des besoins en outils de contrôle et de pilotage
La notion de performance peut traduire à la fois un succès, le résultat d’une action et l’action
(l’atteinte des objectifs) et l’efficience (minimiser les moyens employés pour obtenir les
résultats). En ce qui concerne les entreprises, les objectifs étant implicites (la rentabilité),
l’accent est donc mis sur les moyens à utiliser. Pour les organisations publiques, il s'agit de
limiter les déficits budgétaires (efficacité) tout en assurant des services publics répondant aux
besoins de la population (efficience), ce qui engendre une tension entre ces deux éléments.
d’adapter les moyens aux objectifs, de faire en sorte d’améliorer la rationalité de la prise de
décision, ce qui passe par l’adoption de dispositifs de gestion pour la plupart de nature
quantitative (comptabilité, finance). Depuis les années 1980, les réformes de la gestion
L'un de ces dispositifs est le contrôle de gestion11. En effet, dans le cadre du managérialisme
"la performance des organisations et des individus doit être mesurable et auditable" (Avare et
Sponem, 2008, p. 117). Cela implique que chaque individu est responsable et capable de
rendre des comptes ; la comptabilité joue donc un rôle important avec le principe
11
D'après Zampiccoli (2009), le concept "contrôle de gestion" est mis à l'agenda institutionnel avec la circulaire
du 23 février 1989 relative au renouveau des services publics ; le concept (ou le terme) est ensuite régulièrement
repris dans les textes ultérieurs.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 33
Le managérialisme dans les communes : le maire "manager"
Depuis les années 1970, les communes ont des contraintes budgétaires de plus en plus
fortes, et, sous l'influence des principes du NPM, elles ont développé peu à peu une culture
managériale, empruntée au secteur privé. Avec les lois de décentralisation (1982), le pouvoir
local est "réhabilité". Ainsi, les collectivités territoriales acquièrent plus d'autonomie et de
a été modifiée (Chaty, 1998), cette intervention obéissait auparavant à une logique sectorielle
(politique culturelle, sociale, associative...), désormais elle est plus globale et territoriale (le
citoyen est dans l'attente d'une réponse globale à ses besoins). Pour parvenir à cet objectif,
l'élu doit gérer et coordonner plusieurs partenaires privés (entreprises, associations) et publics
(services municipaux, administrations de l'Etat), autrement dit l'élu doit répondre aux attentes
respectives des différentes parties prenantes. "L'élu local, autant que le responsable d'un
La gouvernance managériale fait ainsi son entrée dans les communes, le maire est
d'utiliser les outils et les méthodes de management du secteur privé. "L’objectif principal
reste néanmoins d'introduire des effets incitatifs (par la rémunération des agents) et
compte)" (Champaux & Malo, 2011). Ainsi, le contrôle de gestion a été, dès ses origines,
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 34
La comptabilité de gestion peut être considérée comme partie intégrante du dispositif de
dans les organisations publiques ? Peut-on dire qu'il s'agit d'une activité durable et
socialement acceptée mise en place pour des raisons autres que la seule rationalité
économique ?
dans les entreprises ne résulte pas d'un objectif unique de calcul économique ; c'est le résultat
d'un consensus entre industriels, organismes patronaux et gouvernement dans le but socio-
économique de limiter la concurrence sur les prix dans les années 1930 et 1940, autrement dit
le choix effectué est le résultat d'un processus social. La pratique de la comptabilité de gestion
s'est ensuite largement diffusée dans les entreprises, jusqu'à être aujourd'hui une pratique
communes ?
Pour répondre à cette première question, il est nécessaire de mobiliser la théorie néo-
institutionnelle (TNI). L'article fondateur de cette théorie est celui de DiMaggio et Powell en
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 35
En prélude de cet article, DiMaggio & Powell (1983) se réfèrent à Weber (1971) qui
la rationalité. Les administrations publiques sont depuis longtemps considérées comme des
des problèmes modernes. Les bureaucraties, au sens de Max Weber (1971), se caractérisent
par un exercice du pouvoir légitime, par l'application de règles formelles, par un exercice du
contrôle fondé sur le savoir et par le principe d'égalité formelle. La bureaucratisation, d'après
concurrence entre les Etats et d'une demande de protection égale devant la loi. C'est, selon
l’auteur, un processus irréversible car cela permet de contrôler les individus de la façon la
organisations tendent à se ressembler, ce qui marque une rupture avec les questionnements
sur l'explication de la diversité des organisations (comme Hannan & Freeman, 1977). Di
Maggio & Powell (1983) avancent l'idée que les organisations sont, au début de leur cycle de
vie, diverses mais qu'ensuite elles tendent à s'homogénéiser au sein d'un même champ
néanmoins selon Huault (2009) la définition donnée par Jepperson (1991)12 peut être retenue :
12
Institutions, institutional effects and institutionalism, in Powell W., DiMaggio (Eds), The New Institutionalism
in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press, pp. 143-163.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 36
est identifié par DiMaggio & Powell (1983) en quatre phases : 1) l'augmentation des
domaine d'activité.
Dans ce contexte la diffusion des innovations est davantage motivée par la recherche
de légitimité que par la recherche de performance. Si l'on considère que les communes, en
est daté, et comme nous le verrons plus loin, l'efficacité de cet outil de gestion n'est pas
toujours avéré.
Pour DiMaggio & Powell (1983) le concept qui permet le mieux de décrire ce
DiMaggio & Powell (1983) distinguent trois mécanismes pouvant entraîner des
informelles exercées par les organisations du champ organisationnel dans le but de répondre à
des attentes culturelles de la société, mais aussi pour se conformer aux normes, règles, lois
édictés par la société ou par l'Etat. Meyer & Hannan (1979) constatent que les structures
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 37
organisationnelles reflètent peu à peu les règles dominantes édictées par l'Etat ou la société.
définies par l'Etat français en 2001 avec la LOLF13 n'ont pas été imposées aux
formelle la LOLF s'applique uniquement à l'Etat, mais de façon informelle, l'Etat incite
budgétaire et comptable M1414, l'Etat a obligé les communes à évoluer vers une
trouver des solutions nouvelles face à un problème dans un environnement incertain. Pour
Cyert & March (1963) le mimétisme est une solution à moindre coût face à un problème aux
causes ambigües ou aux solutions peu évidentes. Les organisations tendent à se modeler sur
d'autres organisations similaires de leur champ qui sont perçues comme plus légitimes. La
mise en œuvre d'une comptabilité de gestion dans une commune est-elle un moyen
domaine ? Les études empiriques (Meyssonnier, 1993a ou Bargain, 2011) montrent que
de ses aspects sont considérés comme source importante d'isomorphisme : les dispositifs
d'éducation formelle et la croissance des réseaux professionnels par lesquels les nouveaux
13
Loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, abrégée en LOLF.
14
Loi n°94-504 du 22 juin 1994.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 38
modèles se diffusent. De tels mécanismes créent ainsi des individus interchangeables
occupant des positions similaires dans les organisations, et qui réagissent de façon identique
dans les communes, on peut s'interroger sur le rôle joué par les professionnels de la
révélateur : c'est sur l'impulsion d'un contrôleur de gestion recruté dans le secteur privé
en 1983 que la décision est prise de mettre en place une comptabilité analytique
(Meyssonnier, 1993).
guides pratiques à destination des professionnels et des fonctionnaires territoriaux. C'est le cas
en 1988 avec le guide "La comptabilité analytique appliquée aux services communaux"
élaboré par deux experts-comptables et publié avec le soutien du Ministre de l'Intérieur chargé
des collectivités locales, et du Ministre délégué chargé du budget. Dans ce cas précis, on peut
l'ouvrage est préfacé par les ministres Alain Juppé et Yves Galland qui incitent fortement les
communes à s'emparer de l'outil "comptabilité analytique" : "Ce guide ne prétend pas donner
inopérantes, une adéquation aux besoins et aux contraintes des services concernés devant
résulter des décisions de chaque collectivité. C'est pourquoi le présent ouvrage n'a aucun
caractère normatif. En revanche, nous souhaitons qu'il constitue [...] un nouvel outil de
gestion adapté aux multiples et importantes responsabilités auxquelles ont à faire face les
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 39
A contrario et pour relativiser le rôle joué par les professionnels, Gibert & Thoenig
(1993, p. 15) considèrent que "la propagation des innovations est un enjeu fort marginal
comptabilité de gestion est une pratique institutionnalisée dans les communes ? La réponse
semble moins évidente à formuler car pour cela il faudrait démontrer que la comptabilité de
gestion est une activité durable et socialement acceptée dans les communes, or certains échecs
du néo-institutionnalisme. L'une des principales critiques (Hirsch & Lounsbury, 1997) est
Il paraît difficilement concevable d'ignorer que le jeu des acteurs peut influencer l'introduction
d'un outil de gestion et son utilisation dans l'organisation. C'est ce que nous évoquerons dans
les acteurs de l'organisation ont la capacité de transformer et d'adapter les outils de gestion à
leurs besoins.
publiques
Selon Gibert (2008, p. 18), "le mode de légitimation dominant pour les organisations
est la performance. Une organisation est légitime parce qu’elle est performante, c'est-à-dire
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 40
qu’elle atteint ses objectifs avec une consommation de moyens relativement restreinte. Le
management public est alors orienté vers la recherche, et plus encore l’affirmation, de la
les organisations publiques est de se doter d’outils de gestion des entreprises privées. En effet,
ces outils permettent de mettre en évidence les résultats et donc la performance des
organisations publiques ;
l'évaluation de la performance.
Ce sont donc ces quatre difficultés inhérentes au concept de performance que nous allons
maintenant expliquer.
La notion de performance
"résultats, actions accomplies par un cheval de course" (XIXe siècle)15 ; dans son sens
15
D'après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 41
entreprise. Initialement, le terme était employé uniquement dans le domaine sportif, il se
diffusa ensuite dans le domaine économique au XXe siècle. Néanmoins, comme le souligne
Bessire (1999), le terme "performance" en contrôle de gestion n'est pas toujours utilisé avec
son sens ne va pas de soi bien que le terme soit de plus en plus employé. Cependant, Bessire
(1999) relève des points de convergence dans l'utilisation du terme "performance" : ce terme
plusieurs niveaux ou dimensions quoique différents selon les auteurs (par exemple : social,
dans les administrations publiques. En France en 2001, la LOLF reprend cette notion de
recherche d'efficacité. Mais, comme le signale Steckel (2010), l'Etat a d'abord "testé" la
de gestion). En effet, la M1416 introduit une nomenclature fonctionnelle : " conçue comme
un instrument d’information destiné à faire apparaître, par activité, les dépenses et les
permet de dégager les coûts et les prix de revient de chaque service communal ou de chaque
16
D'après l' Instruction budgétaire et comptable M14.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 42
équipement, la nomenclature fonctionnelle permet uniquement de répartir, par secteur
d’activité et par grande masse, les crédits ouverts au budget d’une commune. "
La recherche de la performance pour les organisations publiques passe donc par une
mesures nouvelles (en bleu) marquant une convergence vers les règles comptables du secteur
privé.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 43
Le concept de "performance publique" est fréquemment utilisé et mobilisé par l'Etat,
mais il n'en existe pas de définition précise ; la littérature en donne donc plusieurs
Pour Chatelain-Ponroy & Cellier (2005, p. 7), la performance se traduit en général par
la réalisation des objectifs de l'organisation ; ainsi la LOLF précise que "les performances de
l'action publique doivent désormais être présentées en associant à chaque programme des
indicateurs permettant d'apprécier les résultats recherchés et ceux obtenus." Donc, pour
rejoindre les critères convergents de Bessire (1999), la performance se situe clairement ici
publiques qui "réalisent le plus souvent une mission en « distribuant » un produit qui ne peut
être défini que de façon abstraite, et pour lequel il est, par conséquent, extrêmement difficile
performance dans les organisations publiques s'exprime par le décalage entre la mesure de la
"production" ("output", par exemple produire des heures de cours) plus facilement
des jeunes) qui dépend du contexte socio-économique et qui est plus difficilement mesurable.
Pour Lorino (1999), la définition et le pilotage d'une organisation publique pose deux
problèmes : définir les besoins légitimes auxquelles elle doit répondre (source de valeur) et
déployer le couple "valeur-coût" dans l'organisation. Or, Lorino (1999, p.24) constate que les
publique en France étaient fondés sur des hypothèses de stabilité et de simplicité (degré élevé
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 44
de standardisation) du besoin social. Les mutations engagées aujourd'hui renvoient à un
constat : les deux catégories d'hypothèses (stabilité, standardisation) ne sont plus vérifiées.
Désormais, la demande sociale adressée au secteur public est, tout à la fois, fortement
pertinentes par rapport aux besoins) et inefficients (n'assurent pas une économie de
ressources satisfaisante)."
publique ? Là aussi, il ne semble pas y avoir de consensus à ce sujet. Carassus et al. (2011)
indicateurs non financiers pour les "outcomes" et des niveaux d'activité pour les
"outputs" ; l'efficience est mesurée par le ratio outputs / inputs et l'efficacité par les
outcomes ;
- le modèle de Hood (1995) : les sept principes du NPM définis par Hood (vus
- le modèle de Bouckaert & Politt (2004), qui s'appuie sur un système de pilotage
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 45
- le modèle de Demeestere (2005) qui reprend le modèle de performance du secteur
Les modèles partenariaux s'appuient sur l'approche des parties prenantes, autrement dit
Balanced Scorecard de Kaplan & Norton (1992). L'intérêt de ces approches est qu'elles
mettent en avant la mesure des "outcomes", autrement dit des impacts sur les usagers /
Pour Chapet (2007), l'approche par les parties prenantes a le mérite de clarifier différents
dans la conduite des projets, et de façon plus générale dans la conduite participative de
l'action publique. Néanmoins, Chapet (2007) note les limites de cette approche notamment
en ce qui concerne la prise de décision rendue plus difficile par la prise en compte des intérêts
multiples des parties prenantes : "L'approche par les parties prenantes a donc l'immense
publics » mais n'est pas en elle-même, d'un très grand secours pour arbitrer des solutions
inspirées par la LOLF ; celles-ci se traduisent tout d'abord par la définition d'objectifs de
performance, puis ensuite par la mise en œuvre d'indicateurs de performance. Les auteurs
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 46
s'appuient notamment sur les résultats d'une enquête17 de l'AFIGESE-CT18 en 2008. Cette
enquête révèle que "les outils mobilisés, permettant un pilotage rationnel de l'organisation,
publique (évoqués plus haut) et mettent en évidence par une étude empirique19 le caractère
l'analyse des résultats obtenus, Carassus et al. (2011) relèvent que trois critères de mesure de
la performance publique sont davantage mis en avant par les répondants : le niveau de
satisfaction des citoyens, le niveau de capital humain et le degré de réalisation des actions
engagées.
Il est intéressant de noter que ces critères ne sont pas de nature budgétaire et comptable,
Tout d'abord on peut dire que la notion de performance publique est encore en recherche de
performance publique a fait l'objet en premier lieu d'une délimitation restrictive (fondée sur
17
Enquête réalisée sur 360 collectivités territoriales françaises (dont 45% de villes).
18
Association Finance-Gestion-Evaluation des Collectivités Territoriales.
19
Questionnaire administré sur 350 collectivités territoriales françaises de plus de 50 000 habitants en 2009 (147
réponses exploitées).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 47
les indicateurs comptables et budgétaires, transposés du secteur privé), qui s'élargit ensuite
Ces éléments apportent un éclairage supplémentaire à notre étude : par rapport aux
entreprises, les critères purement comptables et financiers (comme par exemple les
Pour conclure sur l'intérêt porté à la comptabilité de gestion dans les communes, il semble
donc que trois facteurs environnementaux aient joué un rôle majeur dans le développement
Selon Chatelain-Ponroy (2008), ces facteurs environnementaux sont (voir schéma 2 - les
- Les réformes structurelles de modernisation de la gestion publique engagées par les pouvoirs
publics ;
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 48
Schéma 2 - Les facteurs environnementaux générant une demande d'outils de contrôle de
gestion - Source : Chatelain-Ponroy, 2008.
Managérialisme
Restrictions
budgétaires
Après avoir mis en évidence et étudié les facteurs externes générant une demande de
contrôle, il s'agit maintenant d'analyser comment ce besoin de contrôle est traduit, en nous
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 49
II. DE L'ADOPTION A L'APPROPRIATION DE LA COMPTABILITE DE
TERRAIN
du NPM et sous l'idéologie du managérialisme, ont incité les communes à adopter la culture
une portée instrumentale vis à vis de l'environnement. Qu'en est-il de sa portée en interne ?
Selon Chatelain-Ponroy (2010, p. 83), "les outils du contrôle de gestion doivent d'abord faire
(dimension visible, "externe" de l'iceberg) avant de pouvoir pénétrer dans les organisations et
l'iceberg)."
En ce qui concerne la comptabilité de gestion adoptée par les communes, quelle est
son incidence sur l'organisation ? Quels sont les effets attendus ? Cet outil de gestion génère-
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 50
A. La transposition d’un outil de gestion du secteur privé au
spécifique
les entreprises, sa transposition au secteur non marchand pose des problèmes d'adaptation. Il
Les communes, en tant qu'organisations publiques, sont depuis longtemps familiarisées avec
comptes en 1807 (Burlaud, 2009), mais ce n'est que plus récemment qu'elles utilisent les
l’entreprise afin de comprendre son origine (Dupuy, 2009). La comptabilité de gestion est
n’est pas complètement fixée puisque les auteurs et praticiens parlent aussi de "comptabilité
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 51
La Révolution industrielle marque l’apparition des calculs de coûts dans les entreprises
(Nikitin, 1992)20. En France, au début du XXe siècle, les calculs de coûts se diffusent dans les
entreprises car ils contribuent à déterminer le calcul du prix de vente. Le développement des
appelée Cégos) est créée, elle a pour objectif de faire connaître les méthodes d’Organisation
Scientifique du Travail. La détermination des prix de revient devient rapidement une question
centrale pour la Cégos, un comité est mis en place sur ce thème. Il est important de déterminer
une méthode de calcul uniforme des prix de revient afin de limiter la concurrence sur les
présente une méthode de calcul des coûts, qui sera plus tard reprise sous le nom de "méthode
des sections homogènes" dans le premier Plan Comptable Général de 1947, puis dans celui de
1957.
Cette méthode s'impose progressivement en France dans les entreprises, dans l'enseignement
et dans les cabinets d'experts-comptables. Le PCG propose en 1982 une nouvelle version de la
méthode des sections homogènes, sous l'appellation "méthode des centres d'analyse".
Dans les entreprises, les objectifs assignés à la comptabilité de gestion ont évolué au
fil du temps (voir tableau 4 - les quatre étapes historiques dans l’extension des domaines de
la comptabilité de gestion d’après la FMAC). De simple activité technique (avant 1950), elle
est devenue partie intégrante des processus de gestion de l’entreprise autrement dit une
pratique institutionnalisée.
20
L’auteur suppose que la concurrence entre firmes est également un facteur expliquant le développement du
calcul des coûts.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
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Tableau 4 - les quatre étapes historiques dans l’extension des domaines de la comptabilité de
gestion d’après la FMAC (Financial and Management Accounting Committee) - Source : adapté
de Horngren et al. (2009)
Période Domaine
Avant 1950 Détermination des coûts et contrôle financier par les techniques budgétaires et
la comptabilité analytique
1965 Planification et contrôle de gestion par l’utilisation des notions de centres de
responsabilité et d’analyse des décisions
1985 Réduction du gaspillage des ressources utilisées par les entreprises
A partir de 1995 Création de valeur par l’emploi efficace des ressources, par la prise en compte
des critères de détermination de la valeur par le client et par l’innovation
Le contrôle de gestion n'appelle pas de définition simple et suivant les auteurs il peut
dont la traduction en "contrôle de gestion" suscite encore des débats et des interrogations
(Bouquin, 2011).
Une des définitions les plus communément admises est celle d'Anthony (1965, p. 17) : "le
contrôle de gestion est le processus par lequel les managers obtiennent l'assurance que les
ressources sont obtenues et utilisées de manière efficace et efficiente pour réaliser les
objectifs de l'organisation."
Pour Burlaud & Simon (2006), le contrôle de gestion est un système de régulation des
organisation ; le contrôle de gestion est finalisé (il est au service d’une stratégie) et s’appuie
sur un ensemble de techniques qui ont en commun de concourir à un contrôle à distance des
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 53
comportements, sur la base d’indicateurs quantifiés. D’après Hofstede (1981), le contrôle
de gestion (dans sa forme héritée du taylorisme) s’avère bien adapté au contrôle des
comportements quand quatre conditions sont réunies : caractère non ambigu des objectifs,
possibilité de mesurer les résultats, possibilité de prévoir les effets des actions correctives et
étant rarement réunies, le contrôle de gestion doit cohabiter avec d'autres formes de contrôle
(Burlaud, 2009) comme par exemple : le contrôle par la hiérarchie, l'audit, le contrôle par le
(planification à partir des objectifs, mise en œuvre, suivi des réalisations et actions
A l'origine du processus se trouvent les objectifs de l'organisation, sans eux il ne peut y avoir
ambiguïté peut générer des difficultés dans la mise en œuvre du contrôle de gestion. Ensuite,
Beaulier & Salery (2006) délimitent la place du contrôle de gestion dans les
proche de celui de Demeestere (2005) évoqué dans les approches économiques des modèles
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 54
Schéma 3 - Le cycle de la gestion publique - Source : Beaulier et Salery (2006)
fonctionnelle (ou toute autre logique d'acteur) et respectant un certain nombre de règles de
Les outils classiques du contrôle de gestion sont les calculs de coûts, les budgets, les tableaux
hiérarchie ; ceux-ci peuvent se faire soit a priori (coût préétabli) soit a posteriori (coût
constaté ou coût réel), sur différents objets de coûts (fonction, activité..), avec différentes
méthodes qui ont évolué au fil du temps. Parmi ces méthodes, nous pouvons citer : sections
homogènes, centres d’analyse, méthode ABC pour les coûts complets ; coût variable, coût
spécifique, coût marginal pour les coûts partiels (voir schéma 4 - Les trois caractéristiques
d'un coût).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 55
Schéma 4 - Les trois caractéristiques d'un coût - Source : PCG 1982.
"La comptabilité analytique est un mode de traitement de données dont les objectifs essentiels
- expliquer les résultats en calculant les coûts des produits (biens et services) pour les
D'autre part :
- en constater la réalisation et expliquer les écarts qui en résultent (contrôle des coûts et des
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 56
D'une manière générale, elle doit fournir tous les éléments de nature à éclairer les prises de
décision. "
financières (le PCG 1999 spécifie les règles d'évaluation des actifs : par exemple au
l'entreprise (expliquer les résultats, connaître les coûts des différentes fonctions) ;
compte
Dès 1988, les communes sont sensibilisées à la mise en place d'une comptabilité
analytique par la diffusion d'un guide professionnel21 élaboré par deux experts-comptables,
21
"La comptabilité analytique appliquée aux services communaux", La Documentation Française, 1988.
22
Châtillon, Chartres, Issy-les-Moulineaux, La Roche-sur-Yon, Montbéliard, Nancy, Rezé, Orléans, Saint-Ouen-
L'Aumône, Sucy-en-Brie, Turennes, Troyes, Tourcoing.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 57
Ce guide, préfacé par deux ministres23, figure parmi les recommandations d'un groupe de
Dans la démarche à suivre, Carles & De Kerviler (1988) indiquent des précautions à prendre :
concertation étroite avec le personnel, concilier une conception globale et une mise en place
est uniforme. En effet, la méthode des coûts complets par les centres d'analyse (PCG
1982), autrement dit un système global au niveau d'un service (ou d'une division) de la
Dans un premier temps, le système global est le seul préconisé, ce qui signifie que l'on
"plaque" un système appliqué aux entreprises sur les collectivités. Petit à petit cette approche
est progressivement remise en cause. Pour Sandretto (1985), "nombreux sont les managers
incapables de reconnaître la relation qui doit exister entre la comptabilité des coûts et son
Baranger (1995) met en évidence les éléments contingents des organisations qui
déterminent les méthodes de calcul et d'analyse des coûts, en partant du constat que toute
organisation évolue dans un environnement spécifique, et a des besoins qui lui sont propres.
23
Y. Galland, ministre délégué chargé des collectivités territoriales et A. Juppé, ministre délégué chargé du
budget.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 58
méthodes de management sont autant de facteurs qui ont fait émerger les méthodes de calcul
de coûts (voir tableau 5 - L'évolution des méthodes de calculs de coûts et leur origine).
Tableau 5 - L'évolution des méthodes de calculs de coûts et leur origine - Source : librement
inspiré de Baranger, 1995.
Légende : EU : Etats-Unis, F : France, J : Japon
Repères Méthodes de calculs Méthodes de calculs Autres approches en
chronologiques et de coûts complets de coûts partiels matière de coûts
historiques
Début du 20e siècle : - "Full costing" (EU)
mouvements pour des - Coûts standards (EU)
méthodes de calcul de
coûts uniformes dans Coût variable ou
l'industrie.
"direct costing" (EU)
Influence de
l'Organisation
Scientifique du Travail Sections homogènes
(F) - PCG 1957
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 59
Baranger (1995, p. 1) constate une grande diversité des méthodes de calculs de coûts face à
une grande diversité de situations auxquelles les organisations sont confrontées : "Il apparaît
dès le départ que les méthodes n'ont d'intérêt qu'en fonction des situations et des problèmes
de management auxquels elles sont confrontées, c'est-à-dire de leur pertinence pour celui qui
cherche une solution et décide." Sandretto (1985) affirme également que le choix d'un
Baranger (1995) pose le principe que le choix de la méthode de calculs des coûts est
Les organisations à but non lucratif (OBNL) comprennent les communes, mais aussi les
associations. Les OBNL représentent une grande diversité de situations et Baranger (1995)
propose, comme meilleure solution, une organisation par "marchés" (en fonction de l'objet de
En 2006, Fabre & Bessire affinent cette catégorisation (voir tableau 6 - Influence du
secteur d'activité sur le système d'analyse des coûts) en créant une typologie, et mettent en
évidence pour les OBNL la diversité importante des prestations fournies. Celles-ci
proviennent, notamment en ce qui concerne les communes, des multiples activités exercées.
De plus, l'absence de normes, c'est-à-dire de marché pour la prestation produite, rend difficile
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 60
Tableau 6 - Influence du secteur d'activité sur le système d'analyse des coûts (exemples de
secteurs hors industrie) - Source : Fabre et Bessire (2006)
Services centrés sur Services centrés sur Entreprises de Organisations à but
l'exploitation d'un l'exploitation d'un distribution non lucratif
savoir-faire équipement (organismes d'Etat)
Prestation unique et Différents produits ou Revente en l'état de Prestations rendues de
homogène (unitaire et services proposés biens nature très variable
standard autour d'une prestation (idem service)
de base
Secteurs ou services Secteurs ou services Secteurs ou services Secteurs ou services
concernés : concernés : concernés : concernés :
- Formation - Hôtellerie - Détaillants - Mairies
- Réparation / entretien - Transport - Grossistes - Universités
- Ingénierie et conseil - Téléphonie - Hôpitaux
- Restauration - Parc d'attractions
Importance de la main Importance des charges Importance des achats Importance des charges
d'œuvre directe fixes : amortissement et des frais de stockage fixes : amortissement
(process proche de la et main d'œuvre et/ou main d'œuvre
production unitaire ou Prix des prestations
standard selon les cas) non significatif
Préoccupation Préoccupation Préoccupation Préoccupation
essentielle : le contrôle essentielle : le seuil de essentielle : la essentielle : le coût par
des coûts main d'œuvre rentabilité maximisation de la usager
marge sur coût direct
Types de coûts Types de coûts Types de coûts Types de coûts
Coûts standards Seuil de rentabilité Calcul des marges sur Détermination de coûts
horaires par catégorie Coût et marge des coût direct : par standards (servant de
de personnel produits et services produit, par client pseudo chiffre
Suivi de la main annexes grossiste), par rayon d'affaires)
d'œuvre directe (détaillant) Détermination de coûts
Prise en compte dans directs par prestation et
les coûts du coût du d'un coût direct par
crédit client et du coût utilisateur
de possession du stock
Les entreprises ont pour vocation de produire et de vendre des biens et / ou des
services marchands à des clients identifiés. Pour les communes, et pour les organisations
publiques en général, les choses sont beaucoup plus complexes, les communes gèrent de
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 61
nombreux effets redistributifs : il existe une multitude de services et celui qui consomme
n'est pas toujours celui qui paie (Burlaud & Simon, 2003). Face à une multitude de services
Pour calculer un coût, il faut pouvoir définir l'objet de coût auquel il se rapporte : un bien,
un service, une fonction, une activité, etc. Un coût n'a de sens que par rapport à un périmètre
public est souvent sous-estimé : coûts variables / fixes, explicites / cachés, réversibles /
Les communes ont plusieurs possibilités pour fabriquer ces biens et ces services : en
régie (gestion directe), par des associations, par des sociétés d'économie mixte ou par des
En situation de gestion directe et en ce qui concerne la nature des services fournis, les
• Fabriquer des biens et des services marchands pour des bénéficiaires identifiés (par
• Fabriquer des biens et des services non marchands pour des bénéficiaires identifiés
• Fabriquer des biens et des services non marchands pour des bénéficiaires non
24
Burlaud et Simon (2003) citent l'exemple d'une Direction départementale de l'équipement où plus de "500
produits" sont dénombrés.
25
D'après les notes de P. Fabre à la Journée d'étude de l'Institut de management public , exposé de P. Gibert :
"Tous les coûts sont permis mais peu sont utiles."
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 62
Dans ces trois cas, la détermination des coûts sera différente : on peut concevoir qu'il est plus
facile de calculer le coût d'un service pour un bénéficiaire identifié que lorsqu'il ne l'est pas.
Burlaud & Gibert (1984) mettent en avant une autre particularité de la comptabilité de gestion
dans les organisations publiques : le caractère souvent abstrait du service produit. Ils
prennent comme exemples les cas de l'hôpital et de l'enseignement : "Pour un hôpital, c'est
l'amélioration de l'état de santé du malade entre sa date d'entrée et sa date de sortie ; pour un
heure de cours, etc. Mais, ce faisant, on ne calcule que le coût d'un « moyen de production »
publiques : la réalisation, ou "output", est la production d'un service (heures de cours par
exemple) et l'effet attendu de cette production, ou "outcome", est l'impact souhaité (élévation
Réalisations Impacts
Fonction de Fonction de
Inputs ou ou
production 1 outputs production 2 outcomes
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 63
Pour Beaulier & Salery (2006, p. 76), "certaines activités et leurs résultats sont extrêmement
difficiles à mesurer et donc se prêtent plus difficilement aux techniques développées par le
contrôle de gestion." Les auteurs prennent comme exemple le suivi et la mesure des actions
culturelles d'une commune. La mise en place d'un contrôle de gestion dans ce domaine
appelle plusieurs questions : comment mesurer une action culturelle ? Quels indicateurs
choisir ? Comment mesurer les résultats, surtout s'ils sont difficiles à définir et s'ils
On voit bien à travers ce dernier exemple quelle est la complexité des productions des
organisations publiques. Il apparaît que Beaulier & Salery (2006) confondent réalisations et
impacts ce qui illustre bien la difficulté qu'a le contrôle de gestion à appréhender ce type
d'objets de coûts.
clairement identifiées pour les entreprises : décomposition du résultat, fixation des prix (ou
Au regard des premières analyses sur cette question, l'objectif assigné à la comptabilité
prestations rendues par différents organismes (normalisation) et de mise en évidence des coûts
anormaux (sanction). Laufer & Burlaud (1980) sont néanmoins conscients des limites de
l'outil dans le contexte des organisations publiques des années 1980 : l'insuffisante
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 64
décentralisation des responsabilités26, la difficulté à définir les produits et les services
fabriqués, les problèmes posés par le traitement des charges et les insuffisances de la
comptabilité27.
Les objectifs assignés à la comptabilité de gestion ont, par la suite, fait l'objet
Pour Burlaud & Simon (2003), les objectifs techniques habituellement présents dans les
entreprises semblent peu pertinents pour les organisations publiques. En effet, l'utilité de la
"caractère relativement insaisissable de la fonction de production n°2, celle qui fait passer
des réalisations à l'impact" (Burlaud & Simon, 2003, p. 346), les impacts (outcomes) sont
services semble être un objectif plus réaliste, quand il s'agit de biens divisibles et non
collectifs. Mais elle se heurte au problème que la tarification des services publics n'est pas
uniquement basée sur leurs coûts, mais souvent en priorité sur des considérations fiscales (par
contrôle des coûts, qui repose sur l'établissement de standards. Pour Burlaud & Simon (2003,
p. 347), "ce qui frappe dans l'Administration, c'est précisément l'absence quasi générale de
standards de coûts". Cette absence s'explique par la difficulté à définir les objets de coûts et
26
L'ouvrage de Laufer et Burlaud est antérieur aux lois de décentralisation de 1982.
27
Par exemple, à cette époque, la comptabilité publique ne calcule pas les amortissements nécessaires à la
comptabilité analytique.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 65
par leur caractère abstrait (comme expliqué précédemment), et si l'objet de coût n'est pas
défini, il devient encore plus difficile de lui attribuer une consommation normale de
ressources.
mettant en place une comptabilité analytique dans les années 1980 (Bargain, 2011, p. 7) :
objectifs et des buts fixés par la direction générale : une comparaison des coûts à la fois dans
le temps, d'un service ou d'un équipement à l'autre, à des standards, à des objectifs ainsi
qu'aux prix pratiqués à l'extérieur (que ce soit à l'échelle d'une entreprise ou d'une autre
ville)."
Les objectifs de la comptabilité de gestion dans les communes sont donc davantage socio-
organisationnels que techniques (Burlaud & Simon, 2003, p. 349), car la comptabilité de
Demeestere (2000) reprend l'hypothèse avancée par d'autres auteurs (comme Berry,
Covaleski et al., Ansari et Euske, Lapsley) par laquelle la comptabilité de gestion sert à
Cette idée rejoint le point de vue de De Vaujany (2006) sur la valeur des outils de gestion
dans les organisations. L'auteur met en évidence trois types de valeur des outils de gestion :
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 66
comptabilité de gestion sert à légitimer les activités ou le sérieux de la gestion elle a pour
objectif d'avoir une valeur-caution. Pour de Vaujany (2006, p. 121), cette perspective
"l'appropriation de l'outil de gestion est ici pensée en terme d'adoption et de légitimité sociale
induite au sein du champ institutionnel. Que l'outil soit peu voire pas du tout utilisé est
Gibert (2008) s'inscrit également dans cette perspective en affirmant que les organisations
publiques cherchent à se légitimer par leur management, et plus précisément par la recherche
dépasse le simple compte-rendu de la régularité financière des dépenses), n'est rien d'autre
que le rappel des contraintes de la revendication à être légitime." (Gibert, 2008, p. 18). Pour
l'atteinte des objectifs avec une consommation de moyens restreinte, résulte de la mise
tarification, mais aussi dans un but de sensibilisation des utilisateurs au coût de leurs
demandes. Dans ce contexte, les outils de gestion (comme la comptabilité de gestion) peuvent
2010).
Burchell et al. (1980) ont défini quatre rôles pour la comptabilité en fonction de la
connaissance par les organisations des relations de cause à effet et de l'ambiguïté des objectifs
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 67
• "l'answer machine" où la comptabilité est utilisée de façon mécanique pour
compréhension de l'organisation ;
rejoint le concept "d'ammunition machine" où, dans le contexte des communes, les objectifs
sont souvent ambigus, les décisions fortement politiques dans le but de satisfaire, de façon
Fabre (2010) montre que la comptabilité analytique peut être utilisée comme un instrument
de négociation avec les associations ; de la même façon, la comptabilité analytique peut aider
à négocier des financements avec des partenaires extérieurs comme la Caisse d'Allocations
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 68
La comptabilité de gestion peut servir d'instrument de valorisation des efforts fournis
(Fabre, 2010), avec cet objectif on retrouve également le rôle "d'ammunition machine"
(Burchell et al., 1980). La valorisation des services rendus est parfois nécessaire vis-à-vis de
la population afin de mettre en avant les efforts fournis par la collectivité (Fabre & Bessire,
2008). C'est ce que remarque également Bargain (2011, p. 9) au regard des partenaires : "la
valorisation des prestations internes via la comptabilité de gestion permet d'afficher aux
Nous avons donc vu que l'implantation d'une comptabilité de gestion dans une
allons maintenant voir comment la comptabilité de gestion peut trouver sa place dans
l'organisation.
commune, mais qu'en est-il par la suite ? Nous avons mis en évidence le rôle éminemment
négociation et de valorisation), mais ensuite, une fois son adoption décidée par les élus, qu'en
est-il de la vie de l'outil dans l'organisation ? L'outil devient-il pérenne, ou son utilisation est-
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 69
Il convient donc, à ce stade, de mettre en évidence les facteurs pouvant expliquer la
il convient donc d'enrichir cette approche par les notions d'adaptation et d'appropriation.
Pour Chatelain-Ponroy (2010, p. 95), il est nécessaire de prendre en compte les multiples
dimensions de l'outil et d'être "[...] à la recherche du sens que les acteurs donnent aux
gestion (ou de calcul de coûts) dans une commune ? Nous pouvons distinguer deux types de
y a les aspects contingents liés à la notion d'adaptation, autrement dit la prise en compte
des particularités des communes dans la mise en place de l'outil. Mais, il convient aussi de se
pencher sur le rôle des acteurs concernés par l'implantation de l'outil de gestion, pour De
Vaujany (2006), l'appropriation de l'outil doit s'appréhender avec le point de vue des
fondateurs de Burns et Stalker, de Lawrence et Lorsch et de Woodward dans les années 1960.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 70
L'élément central des théories de la contingence est l'environnement, et l'adaptation de la
1999).
"Ces constats peuvent être synthétisés en montrant qu'il s'agit d'adapter le contrôle à des
- la taille,
- le fait que la fonction de production ne soit pas déterminée par la technique, mais
qu'elle soit tout autant déterminée par des variables financières ou sociales (Pariente, 1999,
p. 83).
d'autant plus s'ils s'adressent à des organisations complexes relevant du secteur non-
marchand. Chatelain-Ponroy (2008, p. 51) formule le postulat suivant : "Pour instrumenter les
bureaucraties professionnelles non lucratives sans remettre en cause leur nature propre, les
outils traditionnels du contrôle de gestion doivent être adaptés aux spécificités de ces
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 71
Chatelain-Ponroy (2008) rejoint ainsi le modèle proposé par Hofstede sur l'adaptation des
l'activité sont-ils ambigus ? Les résultats sont-ils mesurables ? Les effets des interventions du
L'activité est-elle répétitive ?), un mode de contrôle (parmi six possibles) peut être déterminé.
Les six mode de contrôle définis par Hofstede (1981) sont le contrôle routinier, le contrôle par
experts, le contrôle par essai et par erreur, le contrôle intuitif, le contrôle par jugement et le
contrôle politique. A partir de ses recherches sur les systèmes de contrôle de gestion muséaux,
Chatelain-Ponroy (2008) démontre que les systèmes choisis dans ce contexte dépendent de
variables contingentes.
En premier lieu, la recherche-intervention de Fabre & Bessire (2008) dans une ville de
20 000 habitants montre l'importance de la prise en compte des éléments contextuels. Les
auteurs ont choisi une méthode adaptée, facile à utiliser, prenant en compte les spécificités du
contexte et ayant des coûts de fonctionnement acceptables. L'opération a atteint ses objectifs
puisque "l'outil s'est révélé pleinement opérationnel et les calculs qui en sont issus servent
développées, il faut le souligner, dans un contexte favorable" (Fabre & Bessire, 2008, p. 14).
sur-Yon (Bargain, 2012) illustre, a contrario, ce qui peut se passer lorsque les éléments
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 72
contingents sont ignorés. En 1989, la mairie de la Roche-sur-Yon sollicite un cabinet de
conseil pour mettre en place une comptabilité analytique dans le but de connaître le coût des
prestations et les coûts globaux par centre de responsabilité, par service et par direction. Le
cabinet de conseil instaure un système global techniquement ambitieux : "la longue procédure
de traitement anime un réseau analytique complexe. [..] rien que pour l'édition des états de
gestion cinq jours sont nécessaire" (Bargain, 2012, p. 14). Au final, le projet est un échec car
la ville met fin à sa collaboration avec le cabinet de conseil en 1992, ne renouvelle pas le
contrat du contrôleur de gestion et abandonne le projet. Une des raisons28 pouvant expliquer
cet échec est la complexité technique du système, et surtout le fait que le choix du dispositif
s'est porté sur celui mis en place dans le groupe Lafarge quelques années auparavant (un
des membres missionnés par le cabinet de conseil avait travaillé dans ce groupe). Peut-on
véritablement "plaquer" le système de comptabilité de gestion d'une entreprise privée sur celui
d'une collectivité locale ? Quel lien existe-t-il entre un cimentier et une commune ?
L'expérience montre ici que le choix d'ignorer les particularités de l'organisation est un
outils de gestion dans les organisations publiques (Dreveton & Rocher, 2010). Les éléments
fondateurs de cette théorie ont été posées par Michel Callon et Bruno Latour dans les années
1980.
28
Une autre raison avancée par l'auteur est la méconnaissance des principes de la comptabilité analytique par les
responsables de centres de responsabilité, et de façon générale par les porteurs du projet.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 73
L'objectif de la théorie de la traduction (ou théorie de l'acteur-réseau) selon Dreveton &
Rocher (2010, p. 85) est "de mettre en lumière le processus d'implication des acteurs autour
Par rapport à notre sujet, cette théorie peut expliquer en quoi le rôle des élus et des
comptabilité de gestion car "l’acceptation d’un outil de gestion est lié à la constitution d’un
réseau d’acteurs qui "portent" l’outil, le diffusent, tout en le façonnant et le transformant, afin
de "traduire" leurs intérêts dans cet outil" (Dreveton & Rocher, 2010, p. 84).
Le comportement des acteurs dans ce contexte semble important car dans certains cas
gestion. Par exemple, Bargain (2012, p. 13) met en avant la "résistance technique des
p. 111) pointe le "manque d'appropriation de l'instrument par les acteurs censés l'utiliser."
Enfin, Gibert (1995) remarque quant à lui que la résistance au changement est souvent sous-
estimée dans la mise en œuvre du contrôle de gestion territorial, et que la présence d'un
contrôleur de gestion dans la commune n'est pas la garantie du succès si celui-ci n'est pas
Comment les acteurs vont-ils parvenir à s'impliquer autour de l'outil de gestion (ou
innovation) ? L' innovation est ici considérée comme le résultat d'un processus où l'outil de
Callon & Latour (1981, p. 279) définissent la traduction comme "l’ensemble des négociations,
des intrigues, des actes de persuasion, des calculs, des violences grâce à quoi un acteur ou
une force se permet ou se fait attribuer l’autorité de parler ou d’agir au nom d’un autre
acteur ou d’une autre force." Callon (1986) détaille le processus de traduction et identifie
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 74
quatre étapes : la problématisation, l’intéressement, l’enrôlement, et enfin la mobilisation des
problématisation ;
- La mobilisation des alliés est la dernière phase ; le projet est "porté" par quelques
acteurs intéressés et enrôlés, mais le comportement des acteurs représentés pose question :
comment vont-ils réagir face au développement de l'innovation ? Callon & Latour (1981)
considèrent qu'ils sont totalement acteurs du projet en l'intégrant (ou pas) à leur
pour lesquels le consensus est difficile à obtenir. Gibert (1995) soulève le problème de la
Dreveton (2008) prend l'exemple de la mise en place d'un outil de contrôle de gestion
à l'ADEME29 pour montrer le rôle central des représentations sociales des acteurs. Cet outil de
gestion, un outil de calculs des coûts, est destiné aux collectivités locales et concerne donc de
multiples organisations et leurs acteurs. Pour ne pas entraver la construction de l'outil (suivi
29
Agence De l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (organisation publique).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 75
analytique des coûts du service déchets), Dreveton (2008) insiste sur la nécessaire
confrontation des représentations des acteurs afin d'obtenir un consensus. Selon l'auteur,
"l'interaction entre l'outil de contrôle de gestion et les représentations des acteurs est un
facteur de succès des processus d'instrumentation" (Dreveton, 2008, p. 125). Dans les
organisations publiques, Dreveton (2008, p. 149) identifie deux vecteurs importants : "d’une
part, le processus de construction doit autoriser la participation des acteurs concernés par le
projet en créant des lieux d’échanges à forme variable. D’autre part, il est nécessaire de
joindre au projet des acteurs extérieurs afin de réaliser des « traductions » nécessaires à
Dans le processus de traduction, les acteurs doivent adapter, intégrer et modifier l'outil selon
naturelle par laquelle les aliments pénètrent dans l'organisme" ; dans notre contexte, on
pourrait considérer que l'outil de gestion doit être "digéré" par l'organisation ! Actuellement,
ou comme "l'action de s'approprier une chose, d'en faire sa propriété". Selon De Vaujany
(2006), de ces deux sens du terme "appropriation" découlent deux points de vue, tout d'abord
celui des concepteurs de l'outil de gestion (qui l'adaptent à un usage) et celui des utilisateurs
(qui par l'usage de l'outil vont se l'approprier). Pour De Vaujany (2006), l'appropriation des
30
D'après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 76
Tableau 8 - Trois regards sur l'appropriation - Source : De Vaujany (2006)
Cette complexité nécessite l'activation de trois regards (ou perspectives) : " le processus
communes semble s'intégrer dans une perspective sociopolitique. En effet, nous avons vu que
2007, Fabre, 2010). Il s'agit également d'un outil de rhétorique (ou de négociation) selon
Bargain (2010) et bien sûr d'un outil d'influence dans la mesure où l'outil sert les objectifs des
politiques.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
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Selon la théorie de la "conception à l’usage" (De Vaujany, 2006, p. 118), "c’est au fil des
prend finalement corps." L'outil est donc internalisé par l'organisation et la conception de
Selon la théorie de la "mise en acte", il y a interaction des acteurs et des outils, l'appropriation
est un vaste processus interactif engageant des prescriptions réciproques, autrement dit après
la conception l'outil est approprié par des acteurs qui à leur tour vont le modeler à leur usage.
rôle des acteurs dans l'implantation d'un nouvel outil de gestion dans une organisation.
à se demander s'il existe une configuration organisationnelle idéale pour les communes. Il
semble difficile d'apporter une réponse compte tenu du peu d'études réalisées, et surtout de
l'importance des facteurs contingents dans la mise en œuvre d'une comptabilité de gestion.
De façon plus précise, par rapport à notre sujet d'étude, est-il possible de classer les
communes ?
Peut-on dégager des configurations typiques comme celles de Miles et Snow par exemple ?
Miles et Snow (1978) proposent, à partir de l'analyse des pratiques, des configurations
• Les "défendeurs" qui veillent à maintenir leur domaine d'excellence par la maîtrise des
coûts et la qualité ;
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• Les "analystes" qui se présentent comme une forme hybride des deux précédentes
configurations ;
De façon intuitive et par rapport aux choix faits en matière de contrôle, on peut supposer
Cette typologie est réalisée à partir de l'analyse de 12 communes, ce qui semble un nombre
Tableau 9 - Typologie des communes en fonction des choix effectués en matière de contrôle de
gestion - Source : d'après Meyssonnier (1993)
Modèle Modèle Modèle Modèle Modèle
rationaliste managérial axé comportemental planificateur "thatchérien"
visant l'efficience sur l'efficacité fondé sur les
des services relations
humaines et la
communication
Contrôle de Contrôle de Participation et Pilotage de Privatisation des
gestion axé sur la gestion structuré implication des gestion à partir services
comptabilité par les tableaux employés des choix Recours aux
analytique de bord essentielle budgétaires et de mécanismes du
Peu de mesure et la planification marché
d'évaluation des des décisions
performances
Ville-type : Ville-type : Ville-type : Ville-type : Ville-type :
Angers Blagnac ou Conflans-Sainte- Metz Nîmes
Saint-Denis Honorine
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Cette typologie est un peu ancienne, et comme le souligne Meyssonnier (1993b, p. 140) : "il
ne faut pas oublier que ceci représente la situation à un moment donné (fin 1991) et que les
choses évoluent rapidement dans les communes en fonction des changements d'hommes ou
des événements".
Il serait intéressant de vérifier si ces cinq modèles se vérifient encore pour les villes citées (ou
comptabilité de gestion. La ville d'Angers semble toujours ancrée dans ce modèle (Bargain,
2011), mais la véritable question est alors de savoir si d'autres communes ont également suivi
cette voie.
(Chatelain-Ponroy, 2010 ; Beaulier & Salery, 2006) met en avant les obstacles rencontrés
En ce qui concerne la comptabilité de gestion dans les communes, nous avons vu que cet outil
de gestion semblait de moins en moins se diffuser (Beaulier & Salery, 2006). Quels peuvent
Les obstacles et les contraintes peuvent être classés en trois catégories, fonction des trois
types de rationalité des organisations publiques. Selon Cellier & Chatelain-Ponroy (2005),
contrairement aux entreprises du secteur privé qui s'inscrivent dans une logique
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rationalité : politique, professionnelle (ou opérationnelle) et économique (voir tableau
10). La mise en place du contrôle de gestion, et de ses outils, se heurte à la coexistence de ces
Tableau 10 - Les trois grands types de rationalité des organisations publiques - Source : adapté
de Cellier & Chatelain-Ponroy (2005)
Rationalité Politique Economique Professionnelle
Définition Exprimée par les Nécessité de réguler, Portée par les acteurs
missions de services de contrôler les opérationnels,
publics. dépenses publiques. prestataires de services.
Volonté des élus de
satisfaire leurs
administrés.
Objectif Efficacité Efficience Qualité
Selon Chatelain-Ponroy (2010), ces trois rationalités révèlent des antagonismes : tensions
Les obstacles à la diffusion du contrôle de gestion (et donc de la comptabilité de gestion) dans
les communes résultent de ces trois rationalités, qui elles-mêmes découlent des spécificités du
secteur public.
Les élus jouent un rôle important dans l'implantation d'un nouvel outil de gestion : la
mise à l'agenda dépend de leur volonté. Lors d'une recherche-intervention dans une ville de
20 000 habitants, Fabre & Bessire (2008, p. 3) soulignent que le projet de mise en place d'une
comptabilité de gestion est initié et porté par "l'ambition d'une équipe municipale".
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Un des obstacles souligné par Gibert (1995) est la difficulté à définir ce que l'on veut mettre
sous contrôle : quelle est la finalité du système de contrôle de gestion ? Quels sont les
objectifs ?
gestion est le fait que celui-ci repose sur la seule volonté des responsables. Les collectivités
territoriales (donc les communes) étant soumises au principe de "libre administration", rien
comptabilité de gestion.
Pour que le contrôle de gestion se déploie, il est donc nécessaire qu'il y ait une véritable
volonté "exprimée" des élus ou une "stratégie politique" (Beaulier & Salery, 2006). Cette
"stratégie politique" en faveur du contrôle de gestion nécessite que l'action publique soit
déclinée en objectifs / moyens / résultats. Pour Beaulier & Salery (2006), cette déclinaison,
qui ne pose pas de problèmes dans le secteur privé, entraîne des réticences dans le secteur
public.
Tout d'abord, la formalisation des objectifs peut s'avérer problématique car "bien
souvent on peut constater des décalages plus ou moins importants entre le programme de
l'exécutif tel qu'il a été affiché au moment de l'élection et les objectifs réellement poursuivis
par ces mêmes élus, confrontés au principe de réalité dès qu'ils se retrouvent en charge"
(Beaulier & Salery, 2006, p. 74). Comme le souligne Gibert (1995), les objectifs flous sont
En l'absence de formalisation des objectifs, le contrôle de gestion perd de son intérêt (on
mesure quoi par rapport à quoi ?). La formulation claire et précise des objectifs entraînant
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donc des risques politiques, ceux-ci demeurent donc souvent flous et ambigus avec les
conséquences que cela entraîne en termes de modes de contrôle. Comme nous l'avons vu avec
Hofstede (1981), l'ambiguïté des objectifs et la délicate mesure des résultats obtenus
expliquent la difficulté à mettre en place des processus de contrôle de type cybernétique, d'où
l'exercice de contrôles de type politique (voir schéma 6 - Arbre de choix des modes de
contrôle d'Hofstede).
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Schéma 6 - Arbre de choix des modes de contrôle d'Hofstede (1981) - Source : Chiapello (1996)
Activité
O O
Peut-on trouver N
Les outputs
des mesures Contrôle par
sont-ils d'approximation Processus non
mesurables ? jugement
? cybernétiques
N
O O
O O
Contrôle par essais
et erreurs
N Processus
L'activité cybernétiques
Contrôle par expert
est-elle
répétitive ? O
Contrôle routinier
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Les autres éléments de la déclinaison de l'action publique sont les moyens et les résultats. Là
aussi, les politiques n'ont pas forcément intérêt à afficher une grande transparence dans la
quantification et la répartition des moyens, ainsi que dans l'affichage des résultats (Beaulier &
Salery, 2006).
Selon Fabre (2010), les outils de gestion ont pour objectif d'aider les communes à la
négociation avec les partenaires (attribution de subventions aux associations par exemple) et
de valoriser les efforts fournis vis-à-vis de ces mêmes partenaires. On retrouve donc ici le
concept "d'ammunition machine" de Burchell et al. (1980). Les outils de gestion fournissent
ainsi des informations, en matière de coûts par exemple, qui "vont être utilisées de façon
sélective, afin de défendre les intérêts d'une des parties prenantes" (Fabre, 2010, p. 266).
L'utilisation des informations de gestion peut constituer un danger potentiel pour le politique,
les élus doivent décider de sa diffusion ou non. En effet, si ces informations deviennent
transparentes, elles peuvent desservir les intérêts des politiques en révélant des disparités
L'élu n'a donc pas forcément intérêt à favoriser le développement d'outils de gestion qui
objectif, n'est pas toujours souhaitable pour les politiques car "l'objectivation d'un écart quasi-
automatique entre ces deux données peut générer une insatisfaction dans la population,
fournir une arme à une opposition politique, décourager les services en charge de la mise en
œuvre, et aboutir à un résultat plus négatif encore que l'absence de mesure" (Beaulier &
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Les contraintes économiques
cohérent avec l'objectif de régulation, voire de réduction, des dépenses publiques. Néanmoins,
un des écueils fréquents est le coût d'obtention des coûts. Les communes ont parfois la
commune ?
Gibert (1995, p. 216) estime que ce rapport est défavorable en cas de non utilisation des
résultats produits : "La complexité - inévitable - d'une comptabilité analytique ne devrait être
dérangeante que dans les cas de figure où l'on utilise peu ses résultats. C'est le rapport
utilité / coût du système d'information mis en place qui est, le cas échéant, critiquable, non le
coût lui-même, nécessairement élevé, qui constitue la contrepartie d'une certaine fiabilité de
l'information."
Certaines communes sont tombées dans ce piège. C'est le cas d'Orléans qui a mis en place un
système lourd en fonctionnement et en maintenance pour lesquels les résultats obtenus ont été
très peu utilisés, le système a donc finalement été abandonné (Meyssonnier, 1993a).
complets peut être très utile aux communes mais son coût est assez important et nous ne
sommes pas persuadés qu'il faille conseiller aux communes de développer un contrôle de
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Les contraintes opérationnelles
service (Cellier & Chatelain-Ponroy, 2005), ce qui amène les questions suivantes : comment
est rattaché hiérarchiquement le contrôle de gestion ? Comment est-il perçu par les agents
territoriaux ?
Dans les entreprises, il est d'usage de rattacher la fonction contrôle de gestion à la direction.
Dans les communes, ce n'est pas aussi simple et plusieurs solutions sont possibles pour
financier ;
• Placer le contrôle de gestion "à part" en créant une direction dédiée sous la
création du contrôle de gestion sont quelquefois inférieurs aux inconvénients générés par les
effets adjacents de son installation et l'arbitrage sur le positionnement qui traduit de forts
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Beaulier & Salery (2006) soulignent également la difficulté des collectivités territoriales à
gestion ayant plutôt tendance à aller dans le secteur privé ; c'est donc un obstacle
fréquemment rencontré (Chatelain-Ponroy, 2010). Pour Gibert (1995), elle est fréquemment
Selon Fabre & Bessire (2008), il peut y avoir une forte résistance des agents
territoriaux par rapport au contrôle de leur activité rendu nécessaire par la mise en place
d'une comptabilité de gestion. Ce contrôle s'avère nécessaire pour suivre les consommations
de ressources (feuilles de travail dans les services techniques par exemple). Face à la
résistance des agents, les responsables et les élus hésitent à mettre en place les instruments de
suivi nécessaires par crainte de conflit social : "dès lors on arrive à une contradiction
insoluble : connaître les coûts sans savoir ce que font les gens" (Gibert, 200731).
Le terme "contrôle de gestion" est aussi parfois mal perçu par les agents territoriaux :
fonction malgré les nombreuses tentatives pédagogiques pour expliciter la différence avec les
31
D'après les notes de P. Fabre à la Journée d'étude de l'Institut de management public , exposé de P. Gibert :
"Tous les coûts sont permis mais peu sont utiles."
32
Le terme "contrôle de gestion" est la traduction de l'américain "management control", or "control" devrait en
fait se traduire par "maîtrise" et non "contrôle."
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Pour Demeestere (2007), la conduite du changement induit certains risques avec les
acteurs de l'organisation :
soit parce que le système est "imposé", ou bien parce que celui-ci ne correspond
• Les objectifs de la réforme ne sont pas partagés, soit parce que les buts
n'apparaissent pas nécessaires, soit parce que celle-ci est perçue comme un
danger ;
Pour Demeestere (2007, p. 111), ces risques renvoient à des questions de conduite du
changement, non spécifiques au secteur public, mais "ces démarches d’analyse des coûts
sont plus nouvelles dans le secteur public que dans le secteur privé et nécessitent donc des
gestion provenant du secteur privé, n'est pas sans difficultés, car les communes ont des
productions plus difficiles à modéliser que celles des organisations marchandes. Les finalités
entre ces deux types d'organisation, privées et publiques, sont également différentes.
Ces éléments divergents impliquent donc de prendre en compte les aspects contingents des
communes, le rôle des acteurs et les contraintes liées aux rationalités politiques, économiques
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- CONCLUSION -
cheminement chaotique. Les années 1980 voient un emballement des communes pour cet
outil, ensuite le mouvement s'essouffle, voire régresse dans les années 1990 (Beaulier &
Salery, 2006).
Gibert (1995) analyse ce mouvement comme une volonté initiale d'afficher le changement en
faveur de nouveaux outils de gestion, même s'il n'est pas réellement vécu. Ainsi, la
comptabilité de gestion fait l'objet d'une certaine ambivalence dans les communes, "elle parait
quand elle leur parait représenter le type même d'"usine à gaz" dont il faut éviter de se doter.
analytique ou que l'on voit ceux qui s'en sont dotés sans grand profit faire plus qu'hésiter à
Nous avons vu, dans la première partie de ce mémoire, que les pressions
démarche est déterministe car "en matière de développement de dispositifs de contrôle, les
Quelles sont alors les réponses apportées par les organisations publiques, et plus précisément
Dans un souci de légitimité (Gibert, 2008), les communes vont se doter des outils de
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premier temps, les communes vont transposer les systèmes globaux de coûts complets, type
"usine à gaz" (Gibert, 1995). Or ce type de réponse ne tient pas compte des facteurs de
contingence propres aux communes. Certains échecs, comme ceux d'Orléans (Meyssonnier,
systèmes globaux de comptabilité de gestion face aux besoins diversifiés des communes. Le
système en coûts complets ne semble pas avoir sa pertinence dans ce contexte, à quelques
résistante au changement. Peut-on considérer qu'il en est de même dans les communes ?
la comptabilité de gestion soit toujours en cours dans les communes, car les pratiques sont
est achevée.
comptabilité de gestion n'est pas encore un outil de gestion adopté de façon générale et
durable, mais il semble que la phase de transposition "aveugle", avec sa vision purement
instrumentale, ait été dépassée. Après les nombreux échecs des systèmes globaux en coûts
complets ou "usines à gaz" (Gibert, 1995 ; Bargain, 2012), les communes entrent dans une
phase de mise en place de comptabilité de gestion (ou de système de coûts) plus simple ou
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Le schéma 7 (La comptabilité de gestion dans les communes : quelle évolution ?) synthétise
Courant du
New Public Management Managérialisme
« Public Choice »
Bouinot -
La nouvelle Thèse
1977 Thèse 2009 Bargain
gestion 1993 Meyssonnier
municipale
Phase d’appropriation ?
Phase d’institutionnalisation
contrôle de gestion dans les organisations publiques a une partie visible "externe" qui
témoigne de l'adoption des outils de gestion, dans un objectif de légitimité, et une partie
changement organisationnel.
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Est-on passé dans les communes d'une phase d'institutionnalisation de la comptabilité
de gestion à une phase d'appropriation ? Il semblerait que non, car d'une part, la phase
d'institutionnalisation n'est pas terminée, et d'autre part, les communes sont soumises aux
tensions existant entre leurs trois rationalités, politique, économique et opérationnelle. Selon
nous suggère une grande incertitude quant à la fonction et aux rôles que doit y remplir le
littérature récente apporte peu de réponses. Hormis Bargain (2011, 2012), focalisé sur les cas
réponse globale à cette question. Il manque une étude à grande échelle sur le contrôle de
gestion communal, telle que l'a fait Meyssonnier (1993a), pour déterminer le degré de
comptabilité de gestion dans les communes, mais aussi de faire émerger une (ou des)
question(s) de recherche en vue d'une future thèse. A ce stade, je peux dégager les questions
suivantes :
• Que représente la comptabilité de gestion pour les communes ? Quels sens donnent les
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Dans l'optique d'une future thèse, il faudrait tout d'abord compléter cette revue de
pratiques dans le domaine de la comptabilité de gestion. Par ailleurs, il sera pertinent d'étudier
• Première phase : mise en œuvre d'une stratégie de recherche qualitative par la méthode
de l'étude de cas (sur des communes jugées représentatives) ; recueil de données par
• Deuxième phase : mise en œuvre de méthodes quantitatives pour essayer d'obtenir une
étant de déterminer l'échantillon des communes à interroger et, dans chaque cas, de
m'aura permis de mettre en relief les principales pistes à poser à l'agenda du chercheur.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
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La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs
F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 100
- RESUME -
L'objet de ce mémoire est d'effectuer une revue de littérature approfondie sur la diffusion et
mémoire est de déterminer quels sont les facteurs, environnementaux et internes, favorisant
communes.
Depuis une trentaine d'années, le management et ses outils imprègnent peu à peu la sphère
organisations publiques, ont dû adopter des démarches de performance et emprunter les outils
en évidence les pressions environnementales qui ont contribué à son adoption par les
secteur public, se révèle être un processus délicat et contraignant, en raison des finalités
spécifiques des communes et des particularités des services produits par celles-ci. Par
conséquent, le rôle des acteurs dans l'implantation de ce nouvel outil de gestion est essentiel,
comme nous l’indiquent les théories de la traduction et de l'appropriation. Mais il s’avère que
la diffusion de la comptabilité de gestion dans les communes est fréquemment contrariée par