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Rouge à lèvres à 550€: comment le lipstick est

devenu un objet de luxe

DÉCRYPTAGE. Le prix du rouge à lèvres des grandes marques est en


train de s’envoler. Hier biens de consommation jetable, ces écrins
précieux et rechargeables prônent désormais un luxe durable...

Comptez 550 euros pour ce Rouge Premier étiqueté «maquillage haute couture»
par Dior , fusionnant, comme pour la mode, savoir-faire et artisanat. Soit une
formule soin à l’hibiscus rouge du Burkina Faso, des couleurs éclairées de
microparticules d’or 24 carats et un tube en porcelaine réalisé par Bernardaud,
sérigraphié du motif toile de Jouy emblématique de la maison, ici dans sa version
gris Dior.

Bien plus qu’un simple emballage, c’est lui qui ferait donc toute la différence: «La
céramique est un matériau extrêmement difficile à travailler si bien que c’est la
première fois que l’on réalise un tube de rouge à lèvres, insiste Charles
Bernardaud, directeur des opérations de la manufacture de porcelaine. Il nous a
fallu près de cinq ans pour le mettre au point, quinze étapes et une cinquantaine
d’artisans. Car entre la réalisation et le résultat définitif, la succession de cuissons à
des températures très élevées peut déformer et rétracter la pâte. Pour que les
éléments “s’emboîtent” les uns aux autres, tout se joue au dixième de millimètre.»
Les tubes joailliers des garçonnes
À la fois fonctionnel et précieux, ce petit objet d’art suit les nouvelles contraintes
écologiques de l’industrie cosmétique: forcément rechargeable, il est pensé pour
durer longtemps. «La plupart des marques proposent aujourd’hui des rouges à
lèvres rechargeables mais personne n’a envie de les recharger car ils restent des
objets de consommation courants, en plastique et un peu gadget. Ils jouent sur un
luxe volatile sans grande valeur ajoutée», remarque Nicolas Gerlier, fondateur de
La Bouche Rouge. En 2017, il est l’un des premiers à proposer des «objets de
beauté» aux écrins sans plastique, gainés de cuir développés en France et
commercialisés 104 € (sachant que la gravure d’initiales coûte 9 € et la recharge,
39 €). «À l’époque, tout le monde avait oublié que l’on pouvait rendre précieux un
tube de rouge. C’est une manière de repenser la consommation avec de beaux
objets qui deviennent non seulement le reflet d’une personnalité mais aussi d’un
engagement. Des objets si raffinés l’on ne peut pas les jeter.»
L’esthétique évoque bien entendu ces étuis-bijoux popularisés par les garçonnes
dans les années 1930 lorsque, les femmes osant fumer et retoucher leur
maquillage en public, exhibaient fume-cigarettes en diamants et minaudières
pavées de pierres précieuses. En or ou en argent, les tubes de rouges à lèvres
tous rechargeables eux aussi, étaient signés Cartier, Van Cleef & Arpels,
Chaumet… Plus tard et jusqu’à l’avènement du plastique dans les années 1960,
les parfumeurs et les couturiers proposeront tous des collections dans des étuis
ultra-sophistiqués qu’il s’agisse de Coty ou d’Houbigant, de Jean Patou ou de
Lucien Lelong.
Christian Dior lancera lui-même, en 1953, une collection de six teintes à glisser
dans un tube doré et argenté. Si le rouge à lèvres cristallise à nouveau un luxe
cosmétique, c’est parce qu’il n’est pas qu’un simple maquillage de salle de bains
comme le mascara ou le fond de teint mais aussi un objet de sac presque
ostentatoire , continue Nicolas Gerlier.

Et les marques de soigner les fourreaux de ces accessoires devenus pour


beaucoup de consommatrices un premier accès au monde du luxe. Voir le Rouge
Hermès dessiné par Pierre Hardy (Rouge Hermès en édition limitée, 73 €) ou le
Rouge G de Guerlain imaginé par le joaillier Lorenz Bäumer (75 €).

«Aujourd’hui, l’extérieur compte tout autant que l’intérieur et la formule, confirme la


maquilleuse Gucci Westman, fondatrice de Westman Atelier qui a choisi de
présenter ses rouges sous la forme d’une palette chic plutôt qu’en raisin (Lip Suede
de Westman Atelier, 91 €). Je voulais que mes packagings soient aussi luxueux
que les ingrédients que j’avais choisis et je les ai conçus comme de véritables
bijoux que mes clientes aimeraient sortir de leur sac à main, regarder, toucher et
surtout garder. C’est aussi ça le vrai luxe.»

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