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L’évolution des cultures organisationnelles dans les

installations de la multinationale Alcan au Saguenay-Lac-


Saint-Jean de 1960 à 2007 : une analyse de premiers
entretiens
Pierre Deschênes, Patricia Maltais-Tremblay, Lise Plourde
Dans Cahiers d'histoire de l'aluminium 2014/1 (n° 52-53), pages 52 à 71
Éditions Institut pour l’histoire de l’aluminium
ISSN 0990-6908
DOI 10.3917/cha.052.0052
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Jean Clavel Jacques R. Gagnon

François Ameye Yvon d’Anjou


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Patrick Rich Gaston Ouellet

Guy Delisle Jean Minville


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L’évolution des cultures organisationnelles


dans les installations de la multinationale Alcan
au Saguenay-Lac-Saint-Jean de 1960 à 2007 :
une analyse de premiers entretiens
The development of organisational culture
in Alcan plants at Saguenay-Lac-Saint-Jean from
1960 to 2007: analysis and first interviews
Pierre Deschênes
Professeur titulaire en psychologie organisationnelle et coordonnateur québécois du projet
FRALUBEC, Université du Québec à Chicoutimi (1) / Professor of organisational psychology
and coordinator for Quebec of the FRALUBEC project, University of Quebec, Chicoutimi

Patricia Maltais-Tremblay
Doctorante en développement régional, Université du Québec à Chicoutimi / Doctoral
student in regional development, University of Quebec, Chicoutimi

Lise Plourde
Professeur agrégé en management, Université du Québec à Chicoutimi / Professor of
management, University of Quebec, Chicoutimi

Résumé
Dans le cadre d’une étude exploratoire sur l’évolution des cultures organisationnelles dans les installations
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de la multinationale Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean du démarrage d’une première usine en 1926 jusqu’à
leur acquisition par Rio Tinto en 2007 (2), cet article s’intéresse aux années 1960-2007. D’une part, cette
période est marquée par l’implantation progressive de «façons de faire Alcan» qui ont été développées
par des dirigeants patronaux et syndicaux, des professionnels et des travailleurs (3). Il s’agissait de faire face
aux défis balisant cinquante années de changements importants vécus par la multinationale Alcan dans
une région du Québec qui était le centre mondial de production et de transformation d’aluminium.
D’autre part, cette période, par la présence de témoins vivants, nous a permis de recueillir le récit oral
d’acteurs-clés dans l’innovation de ces «façons de faire Alcan», que nous identifions comme des cultures
organisationnelles (4). Une analyse et une interprétation des premiers entretiens nous conduisent à
formuler des hypothèses sur l’évolution d’une pluralité de cultures organisationnelles touchant cinq
domaines d’activités : la gestion des changements technologiques, les approches de formation des cadres
et des employés, la négociation patronale/syndicale des relations du travail, les interventions en santé et
sécurité au travail et les communications de l’image corporative d’Alcan.
Abstract
In relation to an exploratory study on the development of organisational cultures in the international company
Alcan’s factories at Saguenay-Lac-Saint-Jean from start-up of the first factory in 1926 to their acquisition by Rio
Tinto in 2007, this article focuses on the years 1960 to 2007. On one hand, this is a period marked by the
progressive implantation of “the Alcan way” developed together by company executives, union representatives,
professional experts and workers in response to the challenges encountered by Alcan in the Quebec region
which was its global centre for aluminium production and processing during a 50-year period of great change.
On the other hand, our recent collection of oral testimony concerning this period from still-living key players in
innovation of “the Alcan way” has allowed us to identify certain aspects related to organisational culture.
Analysis and interpretation of the initial interviews has led us to formulate hypotheses on developments in
organisational culture touching on five areas: the management of technological change, approaches to training
for managers and operatives, negotiations between management and unions on work relations, health and
safety regulation implementation and the communication of Alcan’s corporate image.

CHA - n°52-53 - décembre / december 2014


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Cahiers d’histoire de l’aluminium / 52-53

Tableau des dirigeants patronaux et professionnels rencontrés en entrevue en novembre et décembre 2012

Témoin Fonctions occupées Période traitée

François Ameye - Surintendant de centres de coulée et d’électrolyse dans des installations au Saguenay- 1965-2001
Lac-Saint-Jean et à Shawinigan et Directeur du Centre de coulée d’Arvida (1965 à 1979)
Date de l’entretien - Directeur du Centre de recherche et de développement Alcan (1979 à 1984)
01/12/2012 - Différents postes de direction au siège social d’Alcan à Montréal (1984 à 1989)
- Président de Duralcan à San Diego (1989 à 1995)
- Différents postes de direction au siège social Alcan à Montréal (1996 à 2001)
Jean Clavel - Membre du service des relations publiques (1945 à 1965) 1945-1965
Date de l’entretien
03/11/2012
Yvon D’Anjou - Surintendant de la planification et de la logistique à l'usine d'Arvida (1981 à 1984) 1981-2007
- Directeur adjoint à Montréal, département de Santé et Sécurité (1984 à 1986)
Date de l’entretien - Directeur de plusieurs usines (1986 à 1996)
09/11/2012 - Vice-président Québec (1996 à 2001)
- Président Sud du Québec et États-Unis (2001 à 2006)
- Vice-président du développement à l'échelle mondiale pour le Groupe Alcan Métal
Primaire (2006 à 2007)

Guy Delisle - Conseiller en formation et en développement (1975 à 1978) 1975-2007


- Surintendant du personnel dans différentes installations d’Alcan (1978 à 1990)
Date de l’entretien - Directeur, dotation et développement pour le Groupe Métal Primaire d’Alcan (1994 à 2000)
02/01/2013 - Directeur, Gestion de la Performance des cadres supérieurs pour Alcan-Rio Tinto
Alcan (2000 à 2008)
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Jean Minville - Membre du département du personnel et de la division entretien à Arvida (1957 à 1960) 1957-1994
- Membre du service du personnel à Beauharnois (1960 à 1963)
Date de l’entretien - Membre du service du recrutement des diplômés et des stagiaires à Montréal (1963 à 1965)
30/11/2012 - Directeur du personnel à Shawinigan (1965 à 1970)
- Directeur du personnel à Arvida (1970 à 1974)
- Directeur de la division chimie (Vaudreuil) (1979 à 1980)
- Vice-président personnel Société d’électrolyse et de chimie Alcan (SÉCAL) (1980-1985)
- Vice-président électrolyse-chimie (1985 à 1990)
- Vice-président Alcan Aluminium - environnement (1990 à 1994)
Gaston Ouellet - Différents postes liés à la direction du personnel (1967 à 1979) 1967-2007
- Différents postes de direction à Hong-Kong, en Malaisie et en France (1980 à 1983)
Date de l’entretien - Vice-président ressources humaines - SÉCAL et Alcan Inc. (1986 à 2005)
09/11/2012 - Vice-président d’Alcan Inc. et Président d’Alcan en France (2005 à 2007)

Jacques R. Gagnon - Vice-président des relations publiques SÉCAL (1979 à 1998) 1979-1998
Date de l’entretien
10/11/2012
Patrick Rich - Responsable de différents projets d’Alcan Aluminium Limitée en Guinée, France, 1959-1982
Grande Bretagne, Argentine, Espagne et Italie (1959 à 1978)
Date de l’entretien - Directeur général pour l’Amérique latine (1971 à 1975).
01/10/2012 - Vice président exécutif pour l’Europe, l’Amérique Latine, et l’Afrique d’Alcan Ltée (1976 à 1977)
- Vice-président directeur de région pour l’Amérique du Nord d’Alcan Ltée et président
d’Alcan Canada (1978 à 1982)
- Président de SÉCAL, (1978 à 1982)
Yvan Tellier -Consultant externe (1964 à 1978) 1964-1984
-Directeur des relations avec les cadres (1978 à 1986)
Date de l’entretien
30/11/2012

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L’é v o l u t i o n d e s c u l t u r e s o r g a n i s a t i o n n e l l e s

P our amorcer notre étude, nous sommes allés à la rencontre d’acteurs qui ont fait
carrière dans des services et installations de la multinationale Alcan et qui ont été
constamment à l’affût d’un «comment faire» pour assurer une amélioration continue
des domaines ciblés par notre étude. Nous les avons accompagnés dans leur recherche
de réponses à ces questions qu’ils se posaient et qui constituaient des interrogations
stimulantes de recherche. Comment faire pour implanter des changements
technologiques importants, telle la mise en place d’une nouvelle usine, en misant sur
la participation et la responsabilisation des personnels concernés par ces changements ?
Comment faire pour développer des relations du travail permettant au vieux couple
patronal et syndical d’apprendre à gérer d’une manière concertée leurs conflits ?
Comment faire pour éliminer les accidents de travail au moyen d’approches
rigoureuses pour préserver l’intégrité physique et psychologique des travailleurs ?
Comment faire pour former des cadres et des employés à développer leur talent et à
acquérir des compétences appropriées à leur domaine d’activité ? Comment faire pour
développer une image corporative favorisant un sentiment d’appartenance des
employés et d’une région du Québec à la multinationale Alcan ? Comment faire pour
répondre aux pressions constantes d’un bureau de direction pour produire et
transformer davantage d’aluminium de qualité à un moindre coût ?
Cet article présente d’abord le déroulement des premiers entretiens de dirigeants
patronaux et de professionnels, au nombre de neuf, ayant fait une carrière de 20, 30, 35
ans à la multinationale Alcan et ayant œuvré pendant une certaine période dans les
installations au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Puis, nous apportons des fondements à notre
postulat que les données subjectives recueillies dans le cadre d’une approche
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biographique possèdent une validité pour décrire d’une manière objective l’évolution
de la réalité organisationnelle vécue dans les usines. Ensuite, une analyse et une
interprétation des premiers entretiens nous aidera, en utilisant l’analogie d’un arbre et
de ses racines, à formuler des hypothèses affirmant que la croissance de l’arbre Alcan
au Saguenay-Lac-Saint-Jean, de sa mise en terre en 1926 jusqu’à son changement de
propriétaire en 2007, serait nourrie par une pluralité de cultures organisationnelles.

Le déroulement des entretiens


Ayant choisi de débuter notre étude en misant d’abord sur le récit oral de témoins
vivants, nous avons obtenu une certification éthique de notre université puisque notre
recherche impliquait des sujets humains (5). Les dirigeants patronaux et syndicaux, les
professionnels et les travailleurs que nous voulions rencontrer en entrevue ont été
sélectionnés sur la base de leur choix volontaire à coopérer à une expérience de
recherche permettant de mieux raconter leurs pratiques professionnelles (6). Chaque
entretien d’une durée approximative de deux heures a été capté en mode vidéo haute
définition. Un membre de l’équipe de recherche assistait également aux entrevues
pour recueillir des observations susceptibles d’enrichir l’entretien.
Pour que l’entretien procure aux personnes interviewées une opportunité de faire un
retour sur leur pratique professionnelle, nous leur avons suggéré, quelques jours avant
l’entrevue, de consigner par écrit leurs réflexions en revenant sur la période entre 1960
et 2007 où ils avaient exercé, en lien avec les installations d’Alcan au Saguenay-Lac-
Saint-Jean, des rôles qui ont eu un impact sur un ou plusieurs des cinq domaines
d’activités de notre étude. Par cet exercice, nous voulions amorcer une démarche

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réflexive sur leurs pratiques professionnelles. Pour faciliter la création d’un dialogue,
nous avons opté pour que les entretiens soient menés par l’auteur principal de cet
article qui est intervenu fréquemment de 1976 à 2007 dans les installations d’Alcan au
Saguenay-Lac-Saint-Jean (7)
Ce choix d’établir une proximité entre le chercheur principal, ayant connu de l’intérieur
la réalité organisationnelle des usines et certaines personnes interviewées, permettait
à ces derniers d’être reconnus par une autre personne qui, dans un rôle d’alter ego à la
fois complice et critique de leur propos, pouvait favoriser la communication et
l’approfondissement de leurs réflexions sur leurs pratiques. Nous sommes ici devant
un indispensable dialogue contribuant à la production de savoirs enracinés dans la
pratique et utiles pour cerner la présence de cultures organisationnelles qui aient un
sens pour les personnes interviewées (8).

En misant sur une approche dialogique privilégiant la proximité du chercheur principal


avec les personnes interviewées, nous risquions d’imprimer une direction favorable à
des intérêts réels ou inavoués du chercheur de donner une image positive aux «façons
de faire Alcan». C’est pourquoi, notre première analyse et interprétation des propos
recueillis sont communiquées sous forme d’hypothèses de recherche à explorer qu’il
faudra, selon des méthodes éprouvées de recherche, soumettre à une épreuve des faits
par l’apport, entre autres approches, de données d’archives.

La validité des données subjectives issues des récits


oraux de pratique professionnelle
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L’approche biographique pose le problème de la validité de données subjectives
recueillies par la méthode des entrevues. Dans sa recension de la littérature sur
l’approche biographique, Danielle Desmarais soutient que «c’est à travers le singulier
que se concrétise la part d’universel que porte chaque sujet-acteur d’une recherche,
telle qu’elle se vit et se manifeste dans la complexité de l’action» (9). Lorsque, dans son
récit oral, un dirigeant patronal ou un professionnel présente la singularité de ce qu’il
a fait, nous estimons que ce qu’il raconte rejoint inévitablement une part de l’universel
ou de la réalité organisationnelle qui s’est vécue réellement dans les usines d’Alcan au
Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Nous partageons également cette vision selon laquelle «le comportement humain et
organisationnel ne peut se comprendre et s’expliquer qu’en relation avec les
significations que les personnes donnent aux choses et à leurs actions» (10). Lorsqu’un
dirigeant ou un professionnel nous communique les significations personnelles
données aux activités réalisées en lien avec le fonctionnement des usines et que ces
actions rejoignent celles d’autres personnes interviewées, nous considérons être en
présence de données intersubjectives qui traduisent, le plus humblement, le plus
fidèlement et le plus complètement possible, un consensus sur cette réalité
organisationnelle véritable vécue dans ces usines (11).

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L’é v o l u t i o n d e s c u l t u r e s o r g a n i s a t i o n n e l l e s

Une première démarche d’analyse


et d’interprétation du contenu des entretiens
Les transcriptions écrites, les observations recueillies ainsi que le visionnement des
vidéos de chacune des entrevues nous ont apporté une description riche et détaillée
d’événements et de «façons de faire Alcan» tacites que ces acteurs ont contribué à
implanter lors de leur carrière à la multinationale Alcan. Selon une logique inductive
propre à notre démarche qualitative de recherche (12), l’analyse et l’interprétation du
contenu des entretiens ont consisté à tenter de dégager un sens à ces «façons de faire
Alcan» en induisant des hypothèses sur le travail de recherche à accomplir pour
comprendre et approfondir l’existence et l’évolution de cultures organisationnelles
caractérisant les installations d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean de 1960 à 2007.
Une recension récente de la littérature sur le concept de culture organisationnelle
souligne une prolifération de définitions différentes de cette notion, de façons
diversifiées d’en valider le construit scientifique et d’outils divers pour mesurer le
changement de culture organisationnelle avant et après une intervention (13). Devant
l’absence d’une définition claire et unifiée, nous avons retenu des caractéristiques que
des auteurs du courant du changement planifié et du développement organisationnel
(DO) attribuent à la culture organisationnelle et qui sont acceptées par la majorité des
chercheurs de ce courant de pensée.
Pour ces auteurs, la culture est quelque chose de dynamique qui se développe dans le
temps. Elle est basée sur des expériences pratiques des membres d’une organisation
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pour résoudre des problèmes d’adaptation aux menaces et opportunités de
l’environnement externe et pour faire face aux forces et faiblesses de l’environnement
interne de leur entreprise. Elle véhicule une manière de penser et d’être, des valeurs
dominantes, des normes et des croyances partagées à un degré plus ou moins grand par
les membres d’une organisation qui les incitent à se comporter et se mobiliser en
fonction de ces codes. Elle est maintenue par un processus de socialisation poursuivi par
les membres d’une organisation pour apprendre et intégrer les valeurs, les façons de
penser et de se comporter s’ils veulent être acceptés dans un service ou un département.
Elle est à une organisation ce que la personnalité est à un individu, quelque chose de
caché d’où provient le sens, la direction et la mobilisation pour agir (14).
En nous inspirant de ces caractéristiques appliquées aux «façons de faire Alcan»
et d’une analogie avec les racines d’un arbre (figure 1), nous formulons quatre
hypothèses sur la croissance des cultures organisationnelles dans les installations
d'Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Une première hypothèse porte sur l’existence
d’une racine maîtresse qui est la culture d’entreprise de la multinationale Alcan axée
sur la gestion continue du changement. Une deuxième hypothèse concerne la
présence de cultures organisationnelles qui se greffent à la racine mère. Ces cultures
sont issues de trois courants de pensée en gestion des personnes en milieu
organisationnel qui ont influencé les façons de faire dans les grandes entreprises nord-
américaines, dont la multinationale Alcan.
En ciblant les installations d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean lors de la période de
1960 à 2007, une troisième hypothèse induit de l’analyse et de l’interprétation des
premiers entretiens la présence et la croissance de cinq cultures organisationnelles en

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Figure 1 : Les cultures


organisationnelles chez Alcan
au Saguenay-Lac-Saint-Jean
de 1926 à 2007
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gestion participative des changements technologiques, en formation continue des


cadres et des employés, en négociation concertée des relations du travail, en gestion
de la santé et de la sécurité au travail et en relations publiques. Une quatrième
hypothèse s’intéresse à l'identité collective de chacune des installations d’Alcan au
Saguenay-Lac-Saint-Jean.

La culture d’entreprise de la gestion continue


de la multinationale Alcan
L’analyse et l’interprétation des premiers entretiens ainsi qu’une relecture des trois
tomes de Duncan C. Cambell sur la mission mondiale d’Alcan (15), nous conduisent à
formuler une première hypothèse sur l’existence d’une racine maîtresse d’une culture
d’entreprise de la multinationale Alcan axée sur la gestion continue du changement.
En évoquant la réorganisation que la multinationale doit mettre en oeuvre pour les
décennies 1970 et 1980, Nathanael Davis, chef de la direction du Groupe Alcan,
signalait que «les organisations ne peuvent jamais rester statiques dans une situation
dynamique. Cette réorganisation n’est pas la première qu’Alcan entreprend pour
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L’é v o l u t i o n d e s c u l t u r e s o r g a n i s a t i o n n e l l e s

s’adapter à l’évolution des besoins. Elle n’est pas non plus la dernière» (16). Cette vision
de la dynamique du changement des organisations venant de la haute direction laisse
entrevoir que le code génétique d’Alcan serait porteur d’un gène de la gestion
continue du changement de telle sorte que cette multinationale pour réussir sa
démarche d’internationalisation a été davantage en mesure de s’adapter aux besoins
de matières premières, aux opportunités du marché mondial de l’aluminium, aux
impératifs d'amélioration continue de ses performances opérationnelles de
production et de transformation d’aluminium, à la nécessité de moderniser ses usines,
aux exigences des lois des pays où la multinationale Alcan s’est implantée, bref aux
taux incroyables du changement lui-même.

Les cultures organisationnelles liées à trois courants de


pensée en gestion des personnes en milieu de travail
Une deuxième hypothèse se propose d’approfondir que sur cette culture d’entreprise
se greffent au XXe siècle trois cultures organisationnelles ayant marqué la gestion des
grandes entreprises en Amérique du Nord. Cette hypothèse nous conduira d’abord à
explorer que, lors de la période de 1926 à 1960, la culture d’une organisation
scientifique du travail (17) aurait marqué le travail des dirigeants patronaux et
syndicaux, des professionnels et des travailleurs œuvrant dans les installations d’Alcan
au Saguenay-Lac-Saint-Jean. La culture organisationnelle véhiculée par ce courant de
pensée se fonde essentiellement sur le concept de rationalité qui accorde une
importance à la spécialisation et à une catégorisation détaillées des tâches et des rôles.
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La culture de gestion qui en découle se traduit par une reconnaissance légitime de
l’exercice de l’autorité hiérarchique et par l’application stricte de règles et de
procédures axées sur l’utilisation des travailleurs comme prolongement de la chaîne de
production (18). Un travail de consultation des données matérielles sur cette période
permettra d’étudier l’existence de liens entre cette culture organisationnelle de nature
mécaniste prévalant dans les entreprises nord-américaines et celle vécue dans les
installations d’Alcan en Amérique du Nord.
Par la suite, nous aurons à approfondir l’influence, lors de la période de 1960 à 1990, du
courant du changement planifié et du développement organisationnel (DO) sur le
changement de cultures organisationnelles balisant l’évolution des installations de la
multinationale Alcan, non seulement au Saguenay-Lac-Saint-Jean, mais également en
Amérique du Nord. Dans son entrevue, Yvan Tellier signale que le modèle d’une
organisation scientifique du travail répondait de moins en moins au processus de
produire de l’aluminium. Il mentionne que le procédé de l’électrolyse commande une
part d’implication importante des employés qui ne fonctionnent pas comme des
robots prolongeant la machine comme l’illustre le film Les Temps Modernes de Charlie
Chaplin. Les contremaîtres généraux, les contremaîtres et les employés sont en
quelque sorte des alchimistes qui doivent réfléchir aux ingrédients pour appliquer la
bonne recette. De plus, pour réussir l’implantation de nouvelles usines au Saguenay-
Lac-Saint-Jean et la modernisation des installations existantes, il était important,
comme le soulignent Gaston Ouellet et Guy Delisle, de contourner l’obstacle d’une
spécialisation paralysante des tâches et de leur classification en catégories de plus en
plus cloisonnées créant une difficulté majeure à l’introduction d’une flexibilité et d’une
polyvalence des employés liées à une diminution majeure de la main-d’œuvre. Dans
cette perspective, Patrick Rich précise la nécessité de communiquer très clairement aux
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travailleurs, dès le début de la rénovation de l’ensemble des alumineries, que, lorsque


tout sera fini, il y aura sans doute une disparition de la moitié des jobs qu’il y avait avant.
Finalement, de 1990 à 2007, nous aurons à approfondir comment les nouveaux modes
de gestion de la production («lean management») fondés sur des approches
d’amélioration continue des performances organisationnelles ont laissé leur empreinte
sur le fonctionnement des usines d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Dans les grandes
entreprises nord-américaines, cette période est intimement liée à la consolidation d’un
dialogue social entre les gestionnaires et les employés. Ce dialogue mettant à
contribution la puissance de l’intelligence des employés, non seulement celle de leurs
bras, est indispensable à la réussite des stratégies de la «qualité totale», de «cercles de
qualité», d’une production «juste-à-temps» et de «zéro défaut», de développement
d’usines de «classe mondiale», du «lean production»… Ces approches visent une
amélioration continue du tandem indissociable des performances productives (la
quantité et la qualité de la production) et des performances humaines (la polyvalence
et la flexibilité des travailleurs, le soutien mutuel, le travail en équipe, le sentiment
d’appartenance à l’organisation…) (19).

Les cultures organisationnelles liées aux cinq


domaines d’activités de notre étude
Dans le giron des courants de l’approche du changement planifié et du DO et de la
gestion de la qualité de la production, l’analyse et l’interprétation des premiers récits
oraux nous conduisent à formuler une troisième hypothèse sur l’émergence, le
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développement et la stabilisation dans les installations d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-
Jean de 1960 à 2007 de «façons de faire Alcan» ou de cultures organisationnelles en
matière de changements technologiques, de relations du travail, de santé et sécurité
au travail, de formation des cadres et des employés ainsi que de communication de
l’image corporative d’Alcan.

Un choc culturel
Comme nous l’avons évoqué, la culture organisationnelle véhiculée par le courant
d’une organisation scientifique du travail limitait le développement de certaines
grandes entreprises qui exigeaient une plus grande participation et responsabilisation
des travailleurs pour leur type de production plus complexe que le modèle de la chaîne
de montage de l’industrie de l’automobile. Pour effectuer ce changement majeur à
l’époque, la multinationale Alcan en Amérique du Nord, à l’instar d’autres grandes
entreprises (Exxon, IBM, Union Carbide, Standard Oil…), a déployé pour son personnel
de gestion une stratégie éducative révolutionnaire, le Training-Group ou T-Group.
Cette innovation éducative, issue d'une recherche-action menée en 1947 à Béthel dans
le Maine par Kurt Lewin du Massachusetts Institute of Technology (MIT), été
développée par l’Institut du National Training Laboratories (NTL). Sous la
coordination d’Alexandre Winn du NTL, des consultants en développement
organisationnel ont réalisé le mandat d’appliquer cette stratégie du T-Group à
l’ensemble des administrateurs et hauts dirigeants du bureau de direction de la
multinationale Alcan en Amérique du Nord ainsi qu’aux directeurs d’usines, aux
surintendants, aux ingénieurs, aux contremaîtres généraux et aux contremaîtres de

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L’é v o l u t i o n d e s c u l t u r e s o r g a n i s a t i o n n e l l e s
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Construction de l’usine AP60 d’Arvida, 2011 - Coll. Rio Tinto Alcan - Droits réservés

tous les services et de toutes les installations d’Alcan, dont celles du Saguenay-Lac-
Saint-Jean. Nous retenons que les principales caractéristiques du T-Group (20) étaient
d’éloigner du «continent» ou de leur lieu naturel de travail des groupes hétérogènes
variant habituellement de 10 à 15 personnes. Ces groupes se retrouvaient pendant une
période variant de 5 à 10 jours dans un «ilot culturel» (à titre d’exemple pour Alcan
au Québec, ces ilots étaient des lieux d’hébergement, l’Ermitage à Magog, Cascades à
Shawinigan, La Sapinière à Val-David…) pour apprendre en avant-midi à développer, à
partir des «processus socio-émotifs» vécus «ici et maintenant» entre les personnes,
des relations humaines plus authentiques. L’après-midi était consacré à des ateliers sur
le leadership démocratique, le processus de prise décision, la conduite de réunion.
Selon le témoignage d’Yvan Tellier, confirmé par les autres dirigeants patronaux et
professionnels des premiers entretiens, cette stratégie a été, de 1964 et 1972, une
intervention éducative importante de changement planifié qui a porté sur

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Cahiers d’histoire de l’aluminium / 52-53

l’apprentissage de deux processus de base, au coeur des stratégies de DO (21), pour


gérer différemment les personnes en milieu de travail. D’une part, les gestionnaires, à
tous les niveaux de l’organisation, ont appris les ingrédients d’un processus d’une
gestion démocratique des personnes en intégrant des valeurs et des attitudes
humanistes d’authenticité, d’écoute empathique, de respect mutuel et en développant
des compétences relationnelles améliorant leurs rapports interpersonnels. D’autre
part, considérant que l’établissement d’un climat de coopération favorise une
meilleure circulation de l’information nécessaire à résoudre un problème, ils ont
également appris à maîtriser l’utilisation de processus de résolution de problèmes
naturels qui confrontent le déroulement des opérations des services et des usines.
Il nous faudra examiner si, comme nous l’induisons de l’analyse et de l’interprétation des
récits oraux, la stratégie du T-Group a déclenché une phase de « décristallisation » (22)
créant de la motivation chez les dirigeants à réaliser des changements importants dans
les installations d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Est-ce que cette motivation a servi
de propulseur à la phase de « changement » des années 1970 et 1980 ? Est-ce que cette
motivation a poussé les dirigeants patronaux et syndicaux, les professionnels et les
travailleurs à développer de nouvelles «façons de faire Alcan» ou de nouvelles cultures
organisationnelles pour répondre de manière plus efficace aux changements à effectuer,
à la gestion de l’évolution technologique, à la négociation des relations du travail, aux
problèmes de santé et sécurité au travail, à la formation des cadres et des employés et
à la communication auprès des publics interne et externe aux installations d’Alcan au
Saguenay-Lac-Saint-Jean ?
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Une culture participative des employés
aux changements technologiques
Un premier changement qu’il faudra approfondir porte sur la participation et la
responsabilisation des équipes de direction et des travailleurs pour réussir les
changements technologiques liés à l’expansion et à la modernisation des installations
d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean (23). Lors de son passage à l’usine Shawinigan à la
fin des années 1960, Jean Minville relate qu’avec d’autres dirigeants d’Alcan, il a passé
trois mois à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) pour apprendre les
fondements d’une approche socio-technique. Il souligne qu’ils ont appris comment
impliquer davantage les employés dans la réalisation de changements techniques
visant à l’amélioration des opérations de production et de transformation d’aluminium
qu’ils connaissaient bien. Ils ont assimilé que la réussite de ces changements dépendait
en grande partie de la participation des employés à la prise de décision pour qu’ils
deviennent responsables de la mise en place des innovations technologiques.
L’analyse et l’interprétation des premiers entretiens laissent entrevoir que
l’apprentissage des fondements de l’approche socio-technique a commencé à être
transféré lors du démarrage des nouvelles usines Saguenay (rouleaux de tôle en
aluminium) et Lapointe (rouleaux de fil-machine) au début des années 1970. Selon les
propos recueillis, ces usines auraient été des précurseurs dans l’implantation d’une
culture organisationnelle participative des changements technologiques en laissant
une plus grande place à la participation et à la responsabilisation des employés dans le
déroulement des opérations. Les entrevues révèlent que cette culture participative
aurait été grandement raffinée lors du démarrage des usines de Grande Baie
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L’é v o l u t i o n d e s c u l t u r e s o r g a n i s a t i o n n e l l e s

(inaugurée en septembre 1981) et Laterrière (mise en opération en 1989). Il sera


intéressant d’approfondir en quoi, lors de la période de 1960 à 2007, les nouvelles
usines construites au Saguenay-Lac-Saint-Jean ainsi que les changements
technologiques importants apportés aux installations existantes ont constitué un
modèle illustrant la «façon de faire Alcan» ou sa culture participative en matière de
changement technologique.

Une culture de négociation


concertée des relations du travail
Les entretiens ont abordé abondamment la période de crise qui a secoué les relations
du travail dans les installations d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean dans les années
1970. Ils font état des grèves de 1976 et de 1979 (24) aux installations du Complexe de
Jonquière qui ont été des moments difficiles et inquiétants pour l’avenir des relations
du travail et, par conséquent, pour assurer une paix sociale indispensable au maintien
d’une stabilité des opérations de production d’aluminium.
Ces grèves ont servi de motivation au bureau de direction du Groupe Alcan pour
sortir de cette situation de crise lors de négociations patronales-syndicales. Peu après
son entrée en fonction, en février 1980, à titre de président de la Société d’électrolyse
et de chimie Alcan (SECAL), Patrick Rich décide de prendre en main le dossier des
relations du travail. Jean Minville relate que ce dernier le mandate pour entamer les
premières démarches avec le nouveau président de la Fédération des syndicats du
secteur aluminium (FSSA), Lévis Desgagnés, élu en août 1980. Ce mandat consistait à
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trouver un moyen d’établir une stabilité des opérations tout en amorçant une
démarche visant à créer un climat de coopération avec les syndicats lors de futures
négociations des relations du travail. Il constate que la partie syndicale était aussi
consciente que la partie patronale d’avoir atteint une limite dans la stratégie
d’affrontement. Dans ce contexte, Patrick Rich, avec l’appui de David M. Culver,
nommé chef de la direction du Groupe Alcan en juillet 1979, allait entamer des
discussions avec le président Lévis Desgagnés. Ces rencontres se sont traduites par une
reconnaissance que chacune des deux parties avait sa part de responsabilité dans les
grèves de 1976 et 1979. Elles ont été l’occasion de rouvrir des conventions collectives.
Cette réouverture a été un signe tangible d’un passage d’une négociation fondée sur
l’affrontement vers le début d’une approche de négociation plus concertée.
L’arrivée de Carroll L’Italien, nommé en 1983 comme négociateur principal d’Alcan au
Québec, a été déterminante dans les actions de changement du climat des relations
du travail. Les entretiens parlent de son rôle majeur dans l’implantation d’une
approche de «négociation raisonnée» qui va s’avérer un changement majeur dans la
façon de négocier (25). En effet, pour sortir de la crise des années 1970, les parties
patronale et syndicale ont choisi d’apprendre et de tenter d’appliquer à la négociation
de conventions collectives et d’enjeux de relations du travail les ingrédients de cette
nouvelle approche. Celle-ci mise sur l'établissement d'une relation de coopération
indispensable à mettre en place un processus de résolution d’enjeux, de problèmes, de
différends en vue de trouver des solutions leur procurant un bénéfice mutuel
(«gagnant/gagnant») (26).
Lors de la période de 1983 à 2007, si l’on fait exception de la brève grève de 1995,
l’utilisation de cette approche de négociation concertée a été marquée par l’absence
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Cahiers d’histoire de l’aluminium / 52-53

de conflit majeur, grève ou lock-out, dans les installations d’Alcan au Saguenay-Lac-


Saint-Jean. Cette approche semble être intégrée, non seulement aux relations du
travail, mais également aux rapports entre dirigeants patronaux et syndicaux dans
leurs efforts de stabilisation des opérations. En effet, Yvon D’Anjou souligne le travail
qu’il a réalisé en coopération avec Carroll L’Italien, alors président de la Société
d’électrolyse et de chimie Alcan (SECAL), pour aboutir après 18 mois de négociation à
une entente de stabilité opérationnelle signée en février 1998 (27). Les éléments
principaux de cette entente sont de tout mettre en œuvre afin de ne pas arrêter les
opérations et d’assurer un approvisionnement fiable en aluminium aux clients pour les
18 prochaines années (1998-2016). Il faudra approfondir si, de 1980 à 2007, il y eu une
«apparence» de culture de négociation concertée ou une véritable concertation
patronale-syndicale.
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64 Vue aérienne de l’usine Grande-Baie


Coll. Rio Tinto Alcan - Droits réservés
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L’é v o l u t i o n d e s c u l t u r e s o r g a n i s a t i o n n e l l e s

Une culture d’une gestion paritaire et rigoureuse


de la santé et sécurité au travail
Dans son entrevue, Patrick Rich souligne qu’au début de son mandat de président à la
Société d’électrolyse et de chimie Alcan (SECAL), il a été appelé à négocier avec le
Gouvernement du Québec des modalités d’application dans les installations d’Alcan
de la nouvelle loi 17 sur la Santé Sécurité du Travail (1979). Cette loi introduisait les
notions de prévention et d’élimination des dangers à la source ainsi que la gestion
paritaire de la santé et sécurité au travail attribuée aux employeurs et aux employés.
De plus, il signale qu’il est confronté, au début des années 1980, à cinq décès dans les
installations d’Alcan à Arvida. Il relate que devant les personnes qui mentionnaient
qu’il voulait faire peur avec cette statistique, il répliquait en disant : «Non ! Chaque
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Cahiers d’histoire de l’aluminium / 52-53

mort est un drame humain pour la famille». Il faudra examiner le rôle de mobilisateur
que Patrick Rich a eu, au début des années 1980, dans l’humanisation de l’approche de
la santé et sécurité au travail.
En entrevue, Yvon D’Anjou mentionne que sa carrière chez Alcan a été marquée par
une préoccupation constante à développer des «façons de faire» rigoureuses misant
sur le respect de l’intégrité physique et psychologique des travailleurs et sur le
leadership des gestionnaires. Étant donné la place centrale accordée à la santé et
sécurité au travail lors de la période de 1980 à 2007, il sera important d’approfondir ce
développement d’une culture d’une gestion paritaire et rigoureuse de la santé et
sécurité au travail dans les installations d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Une culture de formation continue


des cadres et des employés
L’implantation d’une approche socio-technique, le développement d’une culture de
concertation patronale/syndicale, une recherche constante de pratiques rigoureuses
préservant l’intégrité physique et psychologique des travailleurs seraient, selon notre
analyse et notre interprétation des entretiens, les résultats d’une démarche de
formation continue des cadres et des employés à des valeurs, des attitudes et des
compétences en gestion de ces processus complexes de changements. Francois
Ameye souligne qu’Arvida était une école de formation où les jeunes embauchés dans
des départements techniques étaient mutés sur le terrain des usines pour apprendre
les opérations liées à la production ou à la coulée d’aluminium. Tout au long de leur
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carrière dans différents postes de direction chez Alcan, Gaston Ouellet et Guy Delisle
ont contribué d’une façon significative au développement du plein potentiel des
cadres. Ils mentionnent les efforts pour repérer de jeunes cadres possédant un
potentiel intéressant de talents de même que pour élaborer ou trouver des
programmes de formation à des compétences de gestion visant à bonifier ces talents,
les accompagner et évaluer le transfert de leurs apprentissages dans leur travail de
gestion en usine. Avec la mise en place de plans de succession et de groupes ressources
évaluant le potentiel de cadres, ils ajoutent que les gestionnaires et les conseillers en
formation avaient structuré une démarche d’aide à la formation beaucoup plus
efficace que dans d’autres usines d’Alcan à travers le monde.
Les entrevues révèlent également une mobilité des cadres qui restaient environ deux
à trois ans dans un poste pour ensuite changer d’attribution à une autre fonction.
Cette façon de placer les directeurs d'usine, les surintendants, les professionnels en
ingénierie, en ressources humaines à l’affût des opportunités d’apprendre en se
déplaçant d’une usine au Saguenay-Lac-Saint-Jean vers des usines au Québec (ex.
Shawinigan) et au Canada (ex. Kitimat), en Angleterre, en Australie, au Japon et autres
pays assure un avantage concurrentiel majeur pour le développement de la
multinationale Alcan. Patrick Rich souligne cette inter-influence entre l’apprentissage
de ce qui est fait dans les installations locales d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean pour
alimenter les installations à l’international et le fait d’apporter les apprentissages acquis
à l’international pour nourrir les usines locales. Gaston Ouellet parle de son passage à
l’Institut de Management International (IMI) (28) pour suivre une formation sur
l’évolution de l’économie mondiale, sur la géopolitique, sur le développement des
grandes multinationales… pour apprendre à penser mondialement et mieux agir
localement à l’intérieur de la multinationale Alcan.
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L’é v o l u t i o n d e s c u l t u r e s o r g a n i s a t i o n n e l l e s

La formation des cadres et des employés est un domaine très vaste que nous venons à
peine d’effleurer. Il faudra explorer les programmes structurés de formation des
contremaîtres ou superviseurs, élaborés lors de la période des années 1970 à 2007. Il sera
également important d’approfondir le travail des conseillers en formation de chacune des
usines dans la mise en place, à titre d’exemple, de profils, de bilans et de programmes de
formation à des compétences correspondant aux méthodes appropriées de travail que
les travailleurs devaient acquérir pour accomplir leur travail avec sécurité.

Une culture des relations publiques


Jean Clavel, à qui nous rendons un hommage posthume puisqu’il est décédé à l’âge de
96 ans, trois mois après notre entretien de novembre 2012, nous a narré les stratégies
développées par le service des relations publiques lors de son passage de 1945 à 1965
chez Alcan pour démontrer que l’aluminium pouvait servir à des fins autres que
militaires, pour découvrir de nouveaux marchés mondiaux pour l’aluminium et pour
entretenir de bonnes relations avec les cadres des usines et la population. Par exemple,
il raconte que la compagnie a organisé une importante exposition à travers le Canada
pour montrer un éventail d’objets d’usage domestique pouvant être fabriqués en
aluminium, commercialisés et vendus au grand public. Il relate des visites des
installations d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean par des dirigeants et des industriels de
divers pays qui visaient à assurer la pénétration de nouveaux marchés à l'aluminium. Il
mentionne également qu’il fallait poursuivre les efforts d’intégration dans la
communauté du Saguenay-Lac-Saint-Jean, du Québec et du Canada afin de faire
connaître Alcan comme un bon citoyen corporatif. Finalement, il souligne les actions
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menées pour entretenir de très bonnes relations avec les cadres des installations du
Saguenay-Lac-Saint-Jean. De cette entrevue se dégage un souci de la multinationale
Alcan de développer, dans l’après-guerre 1939-1945, une image corporative lui
assurant une visibilité tant au public de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, du
Québec, du Canada, de l’international qu’au public interne des cadres et des employés.
Dans son entrevue, Jacques R. Gagnon, vice-président des relations publiques de la
Société d’électrolyse et de chimie Alcan (SECAL) de 1979 à 1998, nous a signalé qu’il
s’est inscrit dans la continuité du travail remarquable d'Aimé Gagné. En effet, ce dernier
a construit sur plus de trois décennies les assises des relations publiques de la
multinationale Alcan à Shawinigan, au Saguenay-Lac-Saint-Jean et au Québec et a joué,
dans les années 1970, un rôle majeur dans la francisation de la multinationale Alcan au
Québec. D'une façon plus spécifique, Jacques R. Gagnon a travaillé à la consolidation
de stratégies de communication de l’image corporative d’Alcan auprès des employés
et d’un public externe aux usines. Parmi les actions qu’il a initiées, il nous communique
qu’au début des années 1980, des enquêtes ont démontré que la multinationale Alcan
était méconnue au Québec et connue, pas toujours pour les bonnes raisons, au
Saguenay-Lac-Saint-Jean suite aux grèves de 1976 et 1979. L’image d'Alcan étant
davantage diffusée dans les médias de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean et du
Québec de même que dans la commandite d’événements artistiques et sportifs
majeurs (29), il mentionne qu’il souhaitait que ce phénomène médiatique crée un
début de sentiment d’appartenance à une multinationale au centre du
développement socio-économique du Québec.
Il relate que la période de 1978 à 1982 a été aussi une occasion de développer des liens
entre la multinationale Alcan et le Gouvernement du Québec, suite à l’élection du Parti
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Cahiers d’histoire de l’aluminium / 52-53

Québécois en novembre 1976. En effet, il souligne que David Culver et Patrick Rich n’ont
pas considéré ce parti ayant un projet de faire la souveraineté du Québec face au
Canada comme une menace, mais comme une opportunité de consolider un
partenariat d’affaires avec le Gouvernement du Québec. Il ajoute que ces dirigeants du
bureau de direction d’Alcan ont misé sur la transparence dans l'échange d'information
devant conduire à des ententes diverses dont celle conclue en 1984 sur la
reconduction des baux d'Alcan sur les eaux de la rivière Péribonka (30). Toutefois, il
précise que cette démarche de transparence commençait d’abord avec les cadres et les
employés qui étaient les premiers informés, avant tout autre public.
Pour la suite de notre étude, il faudra chercher si les «façons de faire Alcan» en matière
de relations publiques ont été seulement une façon de contrôler l’information pour
préserver l’image de bon citoyen de la multinationale ou ont été également une
occasion de créer un sentiment d’appartenance des employés en développant leur
fierté d’être membres d’Alcan et du public d’une région et du Québec d’avoir une
compagnie participant au développement socio-économique du Québec.

Les cultures organisationnelles des usines


Nous ne devrons pas oublier de parcourir une quatrième hypothèse concernant les
cultures organisationnelles de chacune des usines d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Ces usines sont des entreprises humaines singulières possédant leur propre identité ou
personnalité qui s’adaptent ou changent sous l’influence des changements des autres
niveaux de cultures organisationnelles de la multinationale dont elles font partie.
À titre d’exemple, l’entrevue de Jean Minville qui a donné, au milieu des années 1970,
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le nom de Vaudreuil à l’usine sans nom de produits chimiques et de transformation
de la bauxite illustrerait que le fait d’attribuer un nom à cette installation a contribué
à léguer une identité à cette usine. Il faudra explorer le lien qui pourrait exister entre le
fait d’avoir un nom et le développement d’une culture de survie caractérisant l’usine
Vaudreuil des années 1970 jusqu’à ce jour sous Rio Tinto Alcan. En effet, il se dégage
des réflexions recueillies lors des premières entrevues que cette culture a permis à cette
usine d’intégrer des valeurs, des attitudes et des comportements propices à une
mobilisation, une responsabilisation et une capacité d’innovation des dirigeants, pour
ne nommer que Jean Laganière et Guy Authier, et des travailleurs qui ont su
constamment trouver des approches pour produire à des coûts concurrentiels de
l’alumine de grande qualité et, ainsi, rebondir devant les menaces de fermeture.

Conclusion
L’analyse et l’interprétation du contenu des premiers récits oraux de dirigeants
patronaux et de professionnels ont conduit à formuler quatre hypothèses de
recherche sur l’émergence, le développement et la consolidation de cultures
organisationnelles ayant marqué le fonctionnement de services et installations de la
multinationale Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean lors de la période de 1960 à 2007. Il
s’agit d’une ébauche intéressante, mais encore imparfaite du travail que nous avons
réalisé à la suite de ces entrevues auxquelles s’ajoutent vingt autres récits oraux de
dirigeants patronaux, syndicaux et de professionnels. Nous sommes au début d’un
vaste chantier de travail qu’il faudra accomplir lors des prochaines années pour
parvenir à écrire une histoire plus complète et, surtout, étoffée par un travail d'analyse
et d'interprétation plus approfondi de nos récits autobiographiques et par une
recherche dans des données d'archives.
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L’é v o l u t i o n d e s c u l t u r e s o r g a n i s a t i o n n e l l e s

Pour continuer cet ambitieux chantier de travail, nous avons créé des conditions qui
devraient permettre de pérenniser les travaux entrepris dans le cadre de ce projet
FRALUBEC. Une première condition a été de consolider nos liens de partenariat avec le
Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium (CQRDA) (31). Le
CQRDA, étant un des partenaires de l'Institut pour l'histoire de l'aluminium à vocation
internationale de France (IHA-Europe), nous a aidé pour implanter en novembre 2013
un Institut pour l'histoire de l'aluminium en Amérique du Nord (IHA-ADN).
Une convention de partenariat établie entre les deux instituts est une deuxième
condition qui aidera à assurer une continuité à nos travaux de recherche. Dans l’esprit
de cette convention, l’IHA-ADN a mis en place un comité scientifique qui poursuit cinq
volets de recherche portant sur le développement socio-économique des régions lié à
la présence des alumineries d'Alcoa, de Pechiney, de Reynolds, d'Alouette et autres, sur
les cultures organisationnelles de ces alumineries, sur les innovations technologiques de
production et de transformation de l'aluminium, sur l'utilisation de l'énergie hydro-
électrique ainsi que sur les liens entre la qualité de l'environnement et la présence de ces
alumineries.
Une troisième condition est de renforcer le partenariat avec des universités québécoises
afin de donner des assises favorisant l’implication de professeurs-chercheurs et de
doctorants ainsi que des liens avec des Fondations liées à l'industrie de l'aluminium et
avec des organismes gouvernementaux subventionnaires de la recherche.
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Notes
1. Les chercheurs de cette étude exploratoire ont une expertise en gestion des personnes en milieu
organisationnel. Ils l’abordent en y apportant des cadres de référence et un vocabulaire en management et en
développement organisationnel (DO) propres aux courants de pensée en gestion qui ont influencé les
entreprises nord-américaines. Ils sont conscients que les expressions et les modèles de management qu’ils
utilisent peuvent créer des difficultés de compréhension à un lecteur peu familier avec l’univers culturel des
grandes entreprises nord-américaines. C’est pourquoi, ils ont davantage détaillé ces notes de référence.
2. Les installations de la multinationale Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean dont il est question dans cet article
sont très variées et couvrent une étendue très vaste. À titre d’exemple, nous retrouvons des installations
portuaires (Port-Alfred) et un réseau ferroviaire (Roberval-Saguenay) pour le transport des matières premières
et des lingots d’aluminium, un vaste réseau de barrages hydroélectriques, des usines de traitement de la
bauxite et autres procédés chimiques (Vaudreuil), de production d’anodes, (Grande Baie et Alma), d’électrolyse
et de coulée (Arvida, Grande Baie, Laterrière, Alma), de fabrication de longs rouleaux de fil-machine (Lapointe)
et de rouleaux de tôle en aluminium (Saguenay), de traitement de l’écume d’aluminium (Guillaume-Trembay),
du procédé duralcan (Dubuc), de traitement de la brasque ainsi qu’un centre de la recherche et de
développement (CRDA).
Le site [http://www.riotintoalcan.com/documents/Reports_August2011_RioTintoAlcanFactSheet_FR.pdf]
donne un aperçu intéressant de l’étendue des opérations d’Alcan et de Rio Tinto Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
3. Les dirigeants patronaux rencontrés en entrevue ont eu une carrière qui les ont amenés à assumer
plusieurs rôles à différents niveaux de gestion tant au niveau local qu’international. Les professionnels sont
des consultants internes ou externes à Alcan. Les consultants internes remplissent principalement une
fonction de conseil en relations du travail, en santé et sécurité au travail, en formation, en communication dans
les usines. Les dirigeants syndicaux ont mené leur action syndicale en occupant plusieurs postes de direction
à l’intérieur du Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida (SNEAA) qui a fait partie de sa
naissance en 1937 jusqu’à 2007 de plusieurs fédérations dont la Fédération des syndicats du secteur
aluminium (FSSA). Dans notre étude, les travailleurs représentent les cadres de premier niveau (ex.
contremaître, superviseur) et les employés aux opérations et à l’entretien.
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Cahiers d’histoire de l’aluminium / 52-53

4. Une définition du mot façon du Petit Robert traduit bien le sens que nous donnons à ce mot : manière
d’être ou d’agir particulière, manière de faire, de procéder. Dans notre étude, l’expression «façons de faire
Alcan» signifie bien qu’elles ne sont pas des cumuls d’actions isolées mais qu’elles forment des manières
organisées et dynamiques de penser, d’agir et d’être des personnes d’une organisation qui constituent des
cultures organisationnelles, lesquelles évoluent et changent dans le temps.
5. Le comité d'éthique de la recherche de l’Université du Québec à Chicoutimi étudie les projets de recherche
touchant les sujets humains et accorde une certification éthique comportant l’obligation de faire signer une
déclaration de consentement aux personnes interviewées ainsi qu’une déclaration d’honneur pour les
chercheurs ayant accès au contenu des entrevues.
6. Nous signalons que le déroulement des premiers entretiens, au nombre de neuf, avec des dirigeants
patronaux et des professionnels a été identique à celui des 20 autres entrevues auprès de dirigeants
patronaux et syndicaux, de professionnels et de travailleurs qui se sont déroulées en 2013 et en 2014. Pour
leur support depuis l’annonce de l’acceptation du projet FRALUBEC par les organismes subventionnaires,
nous sommes reconnaissants envers le groupe informel du Cercle de La Rapière, composé de dirigeants
patronaux à la retraite d’Alcan qui se réunissent régulièrement pour échanger sur différents sujets en portant
une attention particulière aux projets visant à préserver le patrimoine industriel de la multinationale Alcan.
Nous soulignons également la collaboration des dirigeants syndicaux du Syndicat National des Employés de
l’Aluminium d’Arvida (SNEAA) pour leur aide lors de la réalisation d’un exercice similaire auprès d’anciens
dirigeants syndicaux et de travailleurs.
7. Le chercheur et auteur principal de cette étude et de cet article a, dans un rôle de professeur-consultant en
psychologie organisationnelle, réalisé plusieurs interventions en développement organisationnel (DO) auprès
d’équipes de direction, de superviseurs, de conseillers en formation et santé-sécurité au travail et
négociateurs patronaux et syndicaux dans la plupart des installations d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Sur
une période de 30 ans (1976 à 2007), il a eu l’opportunité d’observer et de participer à cette recherche active
de «façons de faire Alcan» développées par des dirigeants patronaux et syndicaux.
8. Ce paragraphe est inspiré de la page 372 de Danielle Desmarais, « L’approche biographique », dans Benoît
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Gauthier (Dir.), Recherche sociale : De la problématique à la collecte de données (5e édition), Québec, Les
Presses de l’Université du Québec, 2009, chap. 3, p. 361-390.
9. Citation de Danielle Desmarais dans Benoît Gauthier, op. cit., p. 369.
10. Citation extraite de la page 62 de Martine Hlady Rispal, La méthode de cas. Application à la recherche en
gestion, Bruxelles, Éditions De Boeck Université, 2002.
11. En psychologie perceptuelle, la recherche d’objectivité est présentée comme le résultat d’une
intersubjectivité. Cette recherche devient une approximation de plus en plus adéquate de la réalité grâce à la
multiplicité des perceptions qui se recoupent. Extrait de la page 36 de Yves Saint-Arnaud, La personne
humaine, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 1975.
12. Jacques Chevrier, « La spécification de la problématique », dans Benoît Gauthier, op. cit.,chap. 3, p. 53-88.
13. Traduction libre de la page 6 du chapitre 1 du volume 1, Elizabeth Kummerow et Neil Kirby, Organisational
Culture, Concept, Context, and Measurement, Singapore, World Scientific Publishing Co, 2014.
14. Ces caractéristiques sont une synthèse adaptée de Elizabeth Kummerow et Neil Kirbyl, op. cit.
15. Duncan. C. Campbell, Mission mondiale, histoire d'Alcan, (Volume I). (Trad.Geneviève Heuet-Fauteux),
Éditions Ontario Publishing Company Limited, 1985. Les Volumes II et III sont des publications privées, 1990.
16. Citation extraite de la page 746 de Duncan. C. Campbell., op.cit., 1990.
17. Frederic W. Taylor, La direction scientifique des entreprises, Verviers, Éditions Gérard & Co. (Marabout),
1967.
18. Adapté de Shimon L. Dolan, Éric Gosselin, Jules Carrière, Gérard Lamoureux, Psychologie du travail et
comportement organisationnel, Montréal, Gaëtan Morin Éditeur, 2002 (2e édition).
19. Des études de Lapointe, Lévesque et Murray (2000, 2001) sur les effets des changements technologiques
dans des entreprises québécoises valident que dans les organisations à configuration participative où le
«dialogue social» a été développé par une concertation direction/employés, il y a une amélioration continue et

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L’é v o l u t i o n d e s c u l t u r e s o r g a n i s a t i o n n e l l e s

en tandem des performances humaines (ex. le sentiment d’appartenance, la flexibilité dans les tâches,
l’entraide…) et productives (ex. la qualité et la quantité de la production…). Paul-André Lapointe, Christian
Levesque, Grégor Murray, Les innovations en milieu de travail dans l'industrie des équipements de transport
terrestre au Québec, Montréal, ministère du Travail, 2000.
20. A. Fortin, « La formation en laboratoire: une approche pédagogique », dans Roger Tessier et Yvan Tellier
(sous la dir.), Changement planifié et développement des organisations, Québec, Les Presses de l'Université
du Québec, 1992, Tome 2, Chap. 7, p. 135-157.
21. Roger Tessier, « Vers une écologie de l'intervention psychosociologique », dans Roger Tessier et Yvan Tellier
(sous la dir.), Changement planifié et développement des organisations, Québec, Les Presses de l'Université
du Québec, 1991, Tome 6, Chap. 12, p. 369-433.
22. Yvan Tellier - dans Roger Tessier et Yvan Tellier, (sous la dir..),op. cit. (pages 30-31, vol. 8, 1992) -mentionne
que le modèle de changement du DO s’appuie sur le processus de changement en trois phases présenté par
Kurt Lewin et explicité par Edgar H. Schein. La première phase de «décristallisation» crée de la motivation par
rapport au changement. La deuxième phase du «changement» est le développement de nouvelles «façons de
faire» fondées sur de nouvelles données qui confrontent l’organisation. La phase de la «recristallisation» est
celle de la stabilisation et de l’intégration des changements.
23. L’expansion réfère à l’implantation de nouvelles installations ; Grande Baie (1980) est une usine d’expansion.
La modernisation porte, à titre d’exemple, sur des usines de remplacement des cuves Söderberg ; Laterrière
est une usine de modernisation.
24. Nous aurons à étudier en profondeur le contexte qui a donné lieu aux deux grèves de 1976 et 1979. Pour
l’instant, nous retenons que la grève-lock-out de 1976 a duré du début juin au milieu du mois de novembre et
a touché les alumineries d’Arvida, d’Isle-Maligne et de Beauharnois. La grève de 1979 a touché les mêmes
alumineries et a duré du début juin à la fin août.
25. L’approche de la «négociation raisonnée» a été développée à l’École de droit de l’Université Harvard dans
le cadre du «Harvard Negotiation Project». La référence de base de cette approche est : R. Fisher., W. Ury et
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B. Patton, Comment réussir une négociation, Paris, Éditions du Seuil, 1994.
26. Au Québec le concept de «négociation raisonnée» a reçu différentes dénominations, «négociation basée
sur les intérêts», «négociation de résolution de problèmes». Nous préférons l’appellation de «négociation
concertée» qui traduit mieux les deux ingrédients de la relation de coopération et du processus de résolution
d’enjeux, de problèmes de relations du travail. Ces ingrédients de la négociation concertée sont développés
dans le chapitre 6, pages 143-170, de l’ouvrage collectif de Pierre Deschênes et coll., La négociation en
relations du travail : nouvelles approches, Québec: Presses de l’Université du Québec, 2000 (réédition corrigée
de 1998). Troisième réédition en 2006.
27. Pierre Deschênes, « L'entente cadre sur la stabilité opérationnelle d'Alcan: analyse de cas », Revue Effectif,
vol.1, no. 2, 6-12, 1998.
28. L’Institut de Management International (IMI) est le nom qu’a pris le Centre d’Études Industrielles (CEI)
implanté en 1946 par Alcan en Suisse.
29. Dans les médias écrits et électroniques, le logo Alcan et l’impact de cette multinationale au Québec sont
devenus très présents au début des années 1980. Nous retenons la diffusion d'une publicité à la télévision où
les employés racontent leur travail dans les installations d’Alcan, la commandite d’événements culturels à
rayonnement international tel le festival international de Jazz de Montréal, l’implication d’Alcan dans les
subventions aux fondations d’hôpitaux et au développement de chaires de recherche universitaire et la
participation à la création d'organismes d'aide au démarrage d'entreprises au Saguenay-Lac-Jean-Jean, tel le
Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium (CQRDA).
30. Une version du déroulement de ce lien entre un gouvernement du Parti Québécois et la multinationale
Alcan est racontée dans le nouveau volume de David M. Culver, with Alan Freeman, Expect Miracles.
Recollections of a Lucky Life, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2014.
31. Le CQRDA est un partenaire important qui apporte une contribution financière inestimable à notre équipe
de chercheurs. Il met à notre disposition les services de France Tremblay qui consacre plusieurs heures de
travail professionnel par semaine à notre projet ainsi que ceux de Mireille Clusiau qui a réalisé les captations
vidéo de nos entretiens. Il paie également la location de cinq bureaux pour les membres de notre équipe.

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