Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Librair;TA i
Reg.1Fa
$
ae
Le vocabulaire de
Maitre EcKhart
Gwendoline Jarczyk
Pierre-Jean Labarrière
Digitized by the Internet Archive
in 2022 with funding from
Kahle/Austin Foundation
https://archive.org/details/levocabulairedem0000jarc
Vocabulaire de...
Collection dirigée par Jean-Pierre Zarader
Le vocabulaire de
Maitre Eckhart
Gwendoline Jarczyk
Pierre-Jean Labarrière
Dans la même collection
ISBN 2-7298-0458-7
© Ellipses Edition Marketing S.A., 2001
32, rue Bargue 75740 Paris cedex 15
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L.122-5.2° et
3°a), d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du
copiste et non destinées à une utilisation collective », et d'autre part, que les analyses et les
courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou
reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants
droit ou ayants cause est illicite » (Art. L.122-4) il
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit constituerait une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle,
Nul ne contestera qu'aborder un auteur par l'étude de son vocabulaire
dessine une voie privilégiée vers l'intelligence de sa pensée. Pourtant,
l'attention ainsi focalisée sur les mots, qui sont comme des atomes de sens,
fait courir le risque d'un certain assèchement de l'imaginaire, tel qu'il se
trouve engagé dans un contexte culturel toujours fluide et une mise en
discours qui ne manque pas de modifier, parfois profondément, la
signification d'un terme isolé. Ce qu'il convient de souligner de façon
spéciale lorsqu'il s'agit d'un auteur tel que Maître Eckhart. Cela, pour deux
raisons au moins.
D'abord, si l'on s'efforce de rejoindre, par delà sept siècles, le temps où
ses textes furent produits, l'on se trouve affronté à une époque de grande
créativité où, dans chacun de nos pays d'Europe occidentale d'identité
encore fragile, la vie de l'esprit, sous toutes ses formes, est encore occupée
à creuser ses propres fondations : création des universités, érection des
cathédrales, production première d'une littérature dans les langues
« nationales » — Raymond Lulle en Espagne, Dante en Italie, Eckhart dans
les pays de langue allemande, pour ne point parler d'une pléiade de poètes,
d'historiens et de « romanciers » au royaume de France. Dans ce
bouillonnement culturel, les concepts de base ne sont pas toujours fixés de
façon aussi exacte qu'on voudrait l'exiger à distance.
Par ailleurs, Eckhart, dont la personnalité intellectuelle s'est construite
dans le monde des clercs — il était membre de l'ordre des dominicains,
formé à l'Université de Paris et au Studium de Cologne dans la lumière des
grands penseurs scolastiques que furent Thomas d'Aquin et Albert le
Grand —, a du forger lui-même, pour une large part, les instruments de
langage qui lui permirent de transgresser les limites de ces institutions
religieuses savantes pour se faire entendre dans l'espace plus large de la
culture de son temps. Certes, une part de son œuvre fut écrite en latin, et
elle recueille de façon directe l'écho de son enseignement dans les différents
postes universitaires qu'il occupa ; mais il eut aussi pour tâche de transcrire
les termes utilisés à « l'École » dans le parler dru, encore sommairement
équarri, de cette langue vernaculaire qu'est le mittelhochdeutsch, le
« moyen-haut-allemand » — une langue en état de gestation, une langue
3
que de concert avec d'autres l'on appelait vulgaire (c'est-à-dire pratiquée par
le grand nombre — du latin vulgus), par opposition justement à la langue
savante qui servait de support à l'enseignement universitaire.
Aussi, s'adressant, dans ses activités de prédicateur de plein vent, à des
auditoires qui n'avaient point part à la culture des élites pensantes, Eckhart
dut-il, non seulement transposer dans la langue commune les concepts qui
avaient cours à l'École, mais encore créer de toutes pièces bon nombre de
vocables, dont plusieurs — de l'ordre d'une centaine — ont enrichi la
langue de ce temps et sont venus jusqu'à nous, même si à ce jeu il ont connu
certains glissements de sens. C'est pourquoi la définition que requiert
chacun d'entre eux passe par un double dépaysement : remonter, par delà
les dérives des siècles, jusqu'au sens premier, tel qu'on le perçoit dans la
mise en œuvre du discours où ces termes se trouvent insérés, mais aussi
entendre les harmoniques qu'éveille en eux le souvenir des concepts latins
dont ils conservent l'écho!.
Ne pas figer ce qui n'a sens qu'à être compris dans ce mouvement de vie,
c'est la tâche que doit réaliser le philosophe lorsqu'il se risque en
l'occurrence à prendre le relais du linguiste. En ce qui concerne Maître
Eckhart, l'on trouve à la fois aide et difficulté supplémentaire dans le fait
que l'on a affaire avec lui à un véritable magicien du verbe, qui use avec un
égal bonheur de toutes les ressources — spéculatives, littéraires,
poétiques — de cette langue en état de naissance, et qui sait inscrire entre
les mots ce surcroît de sens qui leur confère une aura bien souvent rebelle à
la brachilogie obligée de simples définitions. C'est pourquoi, lorsqu'il
s'agira des termes les plus importants, force sera de nuancer le propos en
mettant en lumière les facettes contrastées qu'il est possible de deviner dans
la riche complexité d'un vocable ou d'un autre. Eckhart, à n'en pas douter,
s'inscrit lui-même dans la lignée de ces « dialecticiens » qui mettent en
cause le refus trop simple des contradictions du premier degré, pour toucher
par contraste la nécessité de penser, dans les mots les plus simples, l'unité
des contraires, mais aussi, de façon plus large, certaine articulation
fondamentale de l'un et du multiple.
On ne saurait dissocier chez lui le penseur et l'homme d'expérience. Il
fut indissolublement métaphysicien et mystique — et cette coloration
unique et double marque chacun des termes dont il fait usage. C'est dire
l. On s'en tiendra ici à l'œuvre allemande, dans le souvenir des correspondances qu'elle
entretient chez Maître Eckhart avec les concepts scolastiques qui marquèrent sa pensée à
l'origine.
4
qu'avec ce poète de la pensée, nous ne sortons pas d'un univers qui demeure
concret dans l'instant même où il se livre aux considérations les plus
subtiles et les plus hardies. Voilà qui fait l'intérêt de ce texte : il « vient à
nous, ainsi que nous l'écrivions ailleurs, dans la séduction d'une langue drue
saturée de couleurs, qui cultive l'anacoluthe sans mépriser longueurs et
digressions, magnifiquement épurée et procédant en même temps par
accumulations, pauvre en vocabulaire de base et croisant sans cesse les
mots les plus simples pour les parer de nuances neuves!.»
À l'expérience de cette transfiguration du verbe, un simple vocabulaire,
si nécessaire qu'il soit, ne saurait fournir qu'un sésame bien pauvre. Peut-
être vaudra-t-il comme une invite à se plonger dans un discours de si sobre
splendeur.
Certains termes, tout en étant déterminants dans la pensée de Maître
Eckhart, n'appellent pas plus qu'une simple définition, alors que d'autres
requièrent une analyse scientifique proprement dite, sans pour autant
donner lieu à une interprétation plus large au sein de l'œuvre dans son
ensemble. C'est pourquoi nous nous sommes décidés à des traitements
différenciés, en un, deux ou trois niveaux.
1.Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu. Sermons XXXI à EX traduits et présentés par
Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière. Albin Michel 1999, p. 18-19.
2. Les traductions que nous avons produites de ces textes — un volume contenant Les
Traités et le Poème, et quatre autres volumes (dont trois sont parus à ce jour) renfermant
les 115 Sermons allemands — comportent tous des Index des matières qui permettent de
retrouver aisément les passages dans lesquels ces termes se trouvent employés.
Abandon, abandonner, abandonner (s') (gelâzenheit, lâzen,
sich lâzen)
* Les termes apparentés au verbe simple /âzen revêtent une singulière
importance dans l'anthropologie spirituelle de Maître Eckhart. L'acte
qu'ils désignent est proche, quant au sens, de la /edicheit (déprise) et
surtout de l'abegescheidenheit (détachement), attitude-clef de cette
mystique.
*#* Cet acte consiste à laisser tomber ce qui ne ressortit pas à
l'essentialité ou au fond de la réalité — qu'il s'agisse de Dieu, du monde
ou de l'homme. C'est la condition pour que ce dernier rejoigne en vérité
la « justice », la « droiture » et la « noblesse » de son être originel.
*#* Le terme d'« abandon », pour être entendu dans ce sens décidément
ontologique, doit être lavé de toute démission paresseuse qui s'en
remettrait à un autre de la responsabilité à l'égard de soi-même. L'être
vraiment « abandonné » est bien plutôt celui qui s'est suffisamment
quitté lui-même, dans l'immédiateté de son désir, pour coïncider avec ce
qui le constitue dans la vérité de son propre fond.
Abîme (abgrunt)
Apparenté au concept de « fond » (grunt), le terme d'« abîme » désigne
ce qui, en Dieu aussi bien qu'en l'homme, échappe à toute saisie immé-
diate de la conscience. On pourrait dire qu'il s'agit d'une transcendance
intérieure constitutive de l'être même en sa réalité essentielle la plus
concrète.
Âme (séle)
* Plutôt que de qualifier une part de l'homme, selon la conception d'un
hylémorphisme aristotélicien! qui l'opposerait au corps, l'âme, selon
Eckhart, désigne le plus souvent le tout de l'homme sous la raison de son
intériorité.
** « Un vieux maître dit que l'âme est faite entre un et deux. Le un est
l'éternité qui en tout temps se maintient unique et d'une seule couleur. Le
1. Tel qu'il se trouve développé par la pensée scolastique : doctrine qui considère que les
êtres sont constitués à partir de deux principes distincts et complémentaires — la
« matière » et la «forme » (en grec hulè et morphè), la première étant principe
d'individuation.
deux, c'est le temps, qui se transforme et se multiplie!.» C'est pourquoi
l'âme est dite composée de « puissances supérieures » — intellect et
volonté — et de « puissances inférieures » qui sont, par la sensation et la
perception, au contact des choses corporelles. Distinction qui, une fois
encore, n'a pas valeur d'opposition excluante, mais tend à une unité
d'harmonie?.
L. Sermon 32, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu. Albin Michel 1999, p. 26.
2. Cf. « L'ordonnance de l'âme », in Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière,
Maître Eckhart ou l'empreinte du désert. Albin Michel 1995, pp. 164-173.
3. Sermon 70, in Maître Eckhart, Et ce néant était Dieu. Albin Michel 2000, p. 84-85.
4. Discours du discernement n° 14. « De la vraie confiance et de l'espérance », in Maître
Eckhart, Les Traités et le Poème. Albin Michel 1996, p. 78.
8
tout néant, bannis delà tout sens [...] Sombre tout mon être / dans le
néant de Dieu, sombre dans ce flux sans fond! ! »
Connaissance (verstantnisse)
Forme active de ce terme, identifié à ce compte à l'entendement.
« Connaissance recherche Dieu et le prend dans la racine, là où procède
le Fils et toute la déitéS. »
1. Poème, str. VII et VIII, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., pp. 197-
198.
2. De l'homme noble, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 170.
3.14.
4. Sermon 3, in Maître Eckhart, L'étincelle de l'âme, op. cit., p.51.
5. Sermon 59, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p.206.
Contemplation, (anesehen), contemplation intellectuelle (la)
(daz vernünftic aneschouwen), contempler (aneschouwen,
schouwen, sehen)
* Acte simple, qui est connaissance d'esprit à esprit, non point sans le
corps, mais sans que celui-ci intervienne de façon déterminante.
**# « Comment doit être l'homme qui doit contempler Dieu ? Il doit être
mort!.» Mort à tout intermédiaire, qui ferait nombre entre lui et son
objet ; c'est pourquoi « il faut que se trouve passée au crible dans la
lumière et dans la grâce l'âme qui doit contempler Dieu. [...] N'y aurait-il
pas d'intermédiaire en l'âme qu'elle verrait Dieu nûment2. »
10
nomisation. Il lui faut assumer cet état, de telle sorte qu'il rejoigne en lui
la part incréée et incréable qui l'apparente à la déité de Dieu, selon le
principe cher à Maître Eckhart que « Dieu ne peut donner peu de chose ;
ou bien il lui faut donner pleinement, ou bien ne rien donner du tout!.»
Ainsi le rapport au « Dieu des créatures » s'accomplit-il dans une relation
qui l'identifie au Fils unique, dans l'acte simple de son engendrement.
**% Une fois encore, l'homme est appelé à renoncer à l'unilatéralité qui le
ferait se regarder lui-même coupé de son origine, dans une sorte
d'autonomie ontologique d'inspiration dualiste, pour entrer dans le jeu
d'une réciprocité qui le fait lui-même « cause » de Dieu : « N'aurais-je
pas été, “Dieu” n'aurait pas été non plus. Que Dieu soit “Dieu”, j'en suis
une cause ; n'aurais-Je pas été, Dieu n'aurait pas été “Dieu”. » Mais
Eckhart ajoute aussitôt : « Savoir cela n'est pas nécessaire. »
Déité (gotheit)
* En première approche, on pourrait dire que la déité est ce par quoi Dieu
est Dieu, à partir de son propre fond — l'Un de la Trinité, la nature
simple, absolument originelle, qui préside à l'engendrement des
Personnes.
** Parfois identifiée au Père, considéré comme racine ou comme source,
elle désigne le plus souvent le sans-lieu d'un « au-delà » qui n'est pas de
l'ordre d'un ailleurs — et qui n'est donc pas à entendre comme un quart-
terme qui ferait nombre avec les trois autres. La déité est ce qui a pouvoir
de s'engendrer soi-même et d'engendrer toutes choses, Dieu au-delà de
Dieu. Le Sermon 3, surtout dans sa finale, énonce la doctrine selon
laquelle l'unité de l'homme et de Dieu met en équation, du côté de
l'homme, cette resserre intérieure, au-delà de ses puissances, que Eckhart
appelle poétiquement le « petit château », et, du côté de Dieu, par delà le
Dieu des créatures, par delà même la Trinité, ce qu'il faut entendre, jus-
tement, par le terme simple de déité — Dieu « en tant qu'il est simple-
ment Un, sans quelque mode ni propriété : là il n'est dans ce sens Père ni
Fils ni Esprit Saint et est pourtant un quelque chose qui n'est ni ceci ni
cela. »
1. Sermon 5a, in Maître Eckhart, L'étincelle de l'âme, op. cit., p.67. — Pour Dieu, donner
pleinement, c'est se donner lui-même : Dieu ne peut donner moins que Dieu.
2. Du détachement, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 160.
3. Sermon 2, in Maître Eckhart, L'étincelle de l'âme, op. cit., p. 50.
11
### D'un point de vue logique, cette nomination de l'Un n'est pas sans
signification : on peut déceler en elle l'amorce d'un terme proprement
médiateur, qui dit l'unité du multiple sans s'inscrire lui-même dans une
économie quantitative — pur acte, sans existence propre, par quoi ce qui
est vient à l'existence.
1. Poème, Strophe I, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 195.
12
Dépris, déprise (ledic, ledicheit), déprendre (ledic machen)
La déprise est très proche du dépouillement, tel qu'il vient d'être
explicité. En allemand moderne, ledig est un terme qui revêt bien des
acceptions : vide, vacant, libre, célibataire — tous concepts qui visent
l'absence d'attaches limitant la capacité de se déterminer par soi-même.
Desceller (entbloezen)
Dénuder quelque chose (bloez signifie proprement nu) pour la laisser
apparaître dans sa vérité. Eckhart emploie ce terme à propos de
l'Écriture, lorsqu'il en propose une lecture originale, une interprétation
qui entend aller au fond des choses sans se soucier des explications
habituelles.
14
rité. En définitive, il s'agit d'une attitude positive, que décrit avec
bonheur le linguiste Hoffmeister dans son Dictionnaire des concepts phi-
losophiques (1955): « Abgeschiedenheit, moyen-haut allemand
abegescheidenheit, terme forgé par Maître Eckhart pour le parfait
reposer-dans-soi, être-un-avec-soi-même de l'âme, dans le retrait à
l'égard de l'homme et du monde ». Un retrait qui n'est pas désertion des
choses, mais possession de soi dans la liberté à l'égard des choses.
Le détachement est si peu opposé à la possession, quand celle-ci se
trouve rectifiée dans son principe, que Eckhart peut intituler un important
développement du Discours du discernement, premier de ses traités :
« Du détachement et du posséder-Dieu » (von der abegescheidenheit und
von habenne gotes). « Ce véritable posséder-Dieu tient à l'esprit et à un
acte intellectuel intérieur de s'orienter et de tendre vers Dieu » — et non
pas dans l'impossible permanence d'une pensée continue, « car lorsque la
pensée passe, alors Dieu passe aussi. Plutôt : on doit avoir un Dieu dans
l'être. [...] Celui qui a Dieu dans l'être, celui-là saisit Dieu de manière
divine, et pour lui il brille en toutes choses ; car toutes choses lui ont le
goût de Dieu, et Dieu se façonne pour lui à partir de toutes choses!. »
Une telle liberté dans la possession, parce qu'elle clarifie le rapport de
l'homme à son principe, rectifie de semblable façon la relation de
l'homme et du monde.
*** Ce qui décide de l'excellence du détachement, en dernière analyse,
c'est qu'il ne qualifie pas seulement une vertu de l'homme, mais vise, à
niveau ontologique, la liberté de l'être lui-même vis-à-vis de toute
détermination particulière. Non par mésestime, mais au contraire par
plénitude de possession et de jouissance. C'est ainsi que Dieu est dit le
suprême et le seul détaché, pour la raison qu'il est tout et n'a point à se
mettre en peine de quelque chose qui s'ajouterait à ce qu'il est. « Que
Dieu soit Dieu, il le tient de son détachement immobile, et c'est du déta-
chement qu'il tient sa limpidité et sa simplicité et son immutabilité?. »
Dieu (got)
* Omniprésent dans les textes eckhaïrtiens, ce mot désigne parfois le
principe ultime qu'est la déité, mais plus souvent les déterminations que
ce principe se donne en s'engendrant sous la figure trinitaire.
1. Sermon 46, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p. 114.
2. Le livre de la consolation divine, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit.,
p. 143.
3. Sermon 11, in Maître Eckhart, L'étincelle de l'âme, op. cit., p. 123.
4. Id.
16
*## C'est alors et alors seulement que l'homme est situé en ce fond
ultime — le « Un dans lequel Dieu engendre son Fils unique!, » en pro-
duisant une différence qui est figure même de l'unité en sa richesse. Car
« amour a pour nature sienne de fluer et de jaillir à partir de deux en tant
que un. Un en tant que un ne donne pas amour, deux en tant que deux ne
donne pas amour ; deux en tant que un donne de nécessité amour naturel,
impérieux, ardent2. »
Discernement (underscheidung)
Acte de l'esprit qui permet d'opérer un choix entre deux différences du
premier degré. Ainsi le traité de Maître Eckhart intitulé Discours du dis-
cernement présente-t-il aux jeunes religieux en formation un certain
nombre d'arguments qui leur donneront de pouvoir s'orienter en toute
lucidité au sein de situations complexes : ainsi les numéros 13 et 15
portent-ils respectivement ces titres : « De deux sortes de repentir » et
« De deux sortes de certitude concernant la vie éternelle ».
l . Le livre de la consolation divine, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit.,
P . 143.
») MAAD ASS:
5 . De l'homme noble, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 164.
liberté — sur un plan de parité radicale, ne peut induire aucun amalgame
ou fusion réductrice : l'égalité présuppose en effet ce type de différence
qui est l'expression même de l'unité. Paradoxe qui ne se peut vivre qu'au
niveau originaire dans lequel sont engagées l'essence de l'homme — son
« petit château » intérieur — et la déité même de Dieu.
*#*# Ce point de recueillement, de nature ontologique, pose l'image
comme réalité identique à ce dont elle procède, et son expression n'est
autre que le détachement commun à Dieu et à l'homme. Car c'est le
« détachement immobile » qui « amène l'homme à la plus grande égalité
avec Dieu!. »
18
fié en pareil cas à l'Un de la déité : « Quel est notre nom et quel est le
nom de notre Père ? Notre nom est que nous devons être engendrés, et le
nom du Père est engendrer (gebern), car la déité rayonne hors de la lim-
pidité première, qui est une plénitude de toute limpidité!. » C'est pour-
quoi Maître Eckhart affirme en de nombreux passages que le nom le plus
propre que l'on puisse attribuer à Dieu est justement celui de naissance
ou d'engendrement?.
Entendement (verstandnisse)
* Le couple verstandnisse | vernunft (ou vernünfticheit) transcrit dans la
langue nouvelle qu'est le moyen-haut-allemand la relation qui existe,
dans le vocabulaire de la Scolastique, entre ratio et intellectus. En se
référant, pour le premier de ces termes, au vocabulaire fixé depuis Kant
(le Verstand, faculté des connaissances distinctes et finies, par opposition
à la Vernunft, appréhension cognitive qui relève de la pensée), force est
donc de l'entendre comme cet entendement dont le rôle consiste à déve-
lopper une argumentation au sein d'un discours. C'est en somme une
connaissance du chemin, procédant par analyses et soumise à croissance,
alors que l'intellect est davantage un vocable du terme, désignant à la fois
le lieu de l'union entre Dieu et l'homme et l'acte simple par lequel se
réalise cette unité.
** Aïnsi y a-t-il un rapport, sinon de hiérarchie, du moins de dépendance
entre entendement et intellect : « Entendement émane en premier lieu
d'intellect, et volonté procède par après des deux.» Laconique, Eckhart
ajoute aussitôt : « Là-dessus, rien de plus ! »
*#k* Cependant, comme en régime dialectique il existe une identité en
advenir entre le chemin, d'une part, et l'origine et le terme, d'autre part, le
contexte impose parfois de charger le vocable de verstandnisse de la plé-
nitude de sens portée ordinairement par la vernünfticheit. En particulier
quand le terme se trouve employé dans le contexte de l'engendrement
(temporel / non temporel, quantitatif / non quantitatif) des Personnes
dans l'Un de la déité.
19
Esprit (geist)
* Il n'y a pas trace, chez Eckhart, d'une anthropologie tripartite âme /
esprit | corps, telle que, en référence au schéma de saint Paul, elle est
parfois exploitée pour faire pièce au dualisme de la représentation com-
mune. En somme, l'esprit ne saurait être compris comme une part de
l'homme, mais comme un état de vérité intérieure que l'homme total, âme
et corps, est appelé à connaître.
** Dans un dégradé plus fin, on pourrait dire néanmoins que l'esprit est
apparenté de façon plus étroite à l'âme au sein du composé que constitue
le sujet concret. Ainsi de ce passage qui, commentant la parabole du
grain de blé tombé en terre, veut rendre compte de la naissance de Dieu
sous la figure de l'homme. Eckhart interroge : « Qu'est-ce donc que ce
grain de blé qui là tombe en terre et qu'est-ce que la terre dans laquelle il
doit tomber ? » Il répond aussitôt : « Comme j'entends le montrer cette
fois, ce grain de blé est l'esprit que l'on appelle ou dénomme une âme
humaine, et la terre en laquelle il doit tomber, c'est l'humanité hautement
louable de Jésus-Christ ; car c'est là le champ le plus noble qui fut jamais
créé de terre ou préparé pour quelque fécondité! . »
Quant au sens intégrant du terme esprit, il ressort au mieux de cet autre
passage du même Sermon 49, qui évoque la façon dont le Père engendre
d'un même mouvement sa Parole éternelle et l'homme qui exprime, par
son être, la fécondité de cette Parole : « C'est dans cette Parole que le
Père dit mon esprit et ton esprit et l'esprit de chaque homme dans
l'égalité à cette même Parole2. »
##*# En dernier ressort, l'esprit désigne donc l'homme total dans la vérité
de son origine et de son accomplissement. D'où l'éventail de significa-
tions que revêt l'adjectif spirituel : doté de connotations excluantes
lorsqu'il est opposé à ce qui relève du régime de la chair (vleisch), il se
présente au contraire dans une fonction d'articulation incluante lorsqu'il
est mis en relation avec le corps (/ip) ; l'homme spirituel est alors celui
qui, par intériorité, droiture et noblesse, vit selon la vérité de son être
réconcilié. Comme le fer est attiré par l'aimant, ce qui est corporel est
entraîné vers le haut par la force de l'esprit qui fait sa percée jusqu'au lieu
où il « prend son origine ». « Il faut que cet esprit franchisse tout nombre
20
et fasse sa percée à travers toute multiplicité, et Dieu alors fait en lui sa
percée ; et tout ainsi qu'il fait sa percée en moi, je fais ma percée en lui
en retour. Dieu conduit cet esprit au désert et dans l'unité de lui-même, là
où il est un Un limpide et sourd en lui-même. Cet esprit n'a pas de pour-
quoi, et devrait-il avoir un pourquoi quelconque, il lui faudrait avoir
l'unité comme pourquoi. Cet esprit se tient en unité et liberté. »
21
car « assurément, il y faut zèle et amour et une bonne perception de
l'intériorité de l'homme et un savoir vigilant, vrai, réfléchi, effectif, sur
quoi l'esprit s'assure dans les choses et auprès des gens. Cela, l'homme ne
saurait l'apprendre par la fuite, en ce qu'il fuirait les choses et se tourne-
rait vers la solitude à partir de l'extériorité ; maïs il lui faut apprendre une
solitude intérieure où et près de qui il soit. Il lui faut apprendre à faire sa
percée dans les choses, à y saisir son Dieu et à pouvoir l'imprimer forte-
ment en soi d'une manière essentielle!. »
22
homme, alors elle pénètre simplement en Dieu sans intermédiaire. Mais
lorsqu'elle lorgne de quelque façon vers l'extérieur, elle est femme. »
** Cependant Eckhaïrt, en tel développement capital déjà évoqué (voir,
ci-dessus, les termes fécond, fécondité), s'écarte de cette lecture mar-
quée de misogynie pour reconnaître une positivité éminente à la
« femme », en tant que symbolisant la réponse de l'être humain au don de
Dieu : « Femme est le mot le plus noble que l'on peut attribuer à l'âme et
est bien plus noble que vierge. [...] Car la fécondité du don est la seule
gratitude pour le don, et l'esprit est une femme dans la gratitude qui
engendre en retour là où pour Dieu il engendre Jésus en retour dans le
cœur paternel!. »
Feu (viur)
* Le feu est celui des quatre éléments qui est porteur du sens le plus uni-
versel et le plus spirituel. « Ce qui est lieu d'autre chose, il faut que cela
soit au-dessus de lui, comme le ciel est un lieu de toutes choses et le feu
est lieu de l'air, et l'air est lieu de l'eau et de la terre, et l'eau n'est pas
complètement lieu de la terre et la terre n'est pas un lieu?. »
** La fréquence des références à ce terme vient de ce que le feu est sym-
bole à la fois de puissance, de subtilité et d'élévation — bref, qu'il sous-
tend le désir — ce qui le relie au thème fondamental de la naissance.
« Nos maîtres disent : le feu, si puissant qu'il soit, ne brûlerait jamais s'il
n'espérait une naissance. Si sec serait le bois que l'on y jetterait, s'il ne
pouvait recevoir sa ressemblance, il ne brûlerait jamais. Ce que désire le
feu, c'est qu'il naisse dans le bois et qu'il devienne tout entier un seul feu
et qu'il se maintienne et demeure. S'éteindrait-il et disparaîtrait-il, alors il
ne serait plus feu ; c'est pourquoi il désire se trouver maintenu’. »
23
— lorsqu'il agit « dans sa nature », c'est-à-dire selon son essence spiri-
tuelle, il a cette propriété merveilleuse de brûler sans consumer : « Là où
le feu est dans sa nature, là il n'endommage ni ne brûle. L'ardeur du feu
brûle ici-bas. Là où l'ardeur pourtant est dans la nature du feu, là elle ne
brûle pas et ne porte pas dommage!.
— enfin, il a tout à la fois une fonction purificatrice et une efficacité
d'union, comme on le voit dans la fameuse parabole de la bâche, qui sera
souvent reprise dans la tradition mystique : « Lorsque le feu s'enflamme
au plus près de la bûche, il est plus noir et plus grossier ; lorsque la
flamme s'élève plus haut à partir de la bûche, elle est d'autant plus
légère2. »
24
#*# « J'ai souvent parlé de ceci : de l'œuvre de Dieu et de la naissance,
lorsque le Père engendre son Fils unique, et de ce flux fleurit le Saint
Esprit, en sorte que l'Esprit flue des deux, et dans ce flux jaillit l'âme
comme un flux ; et l'image de la déité est imprimée dans l'âme, et dans ce
flux et dans le reflux des trois Personnes l'âme se trouve fluer en retour et
se trouve formée en retour dans sa première image sans image!. »
***# Pour sa part, l'expression simple de « flux sans fond » désigne rien
moins que « le néant de Dieu?. »
Foi (gloube)
Lorsque la vie de Dieu se déverse dans la volonté de l'homme, « cela
alors s'appelle un amour ; et lorsque cette grâce et ce goût se déversent
dans la puissance discursiveÿ, cela s'appelle alors une lumière de la foi ;
et lorsque cette même grâce et goût se déversent dans l'irascible, c'est-à-
dire la puissance ascendante, cela s'appelle alors une espérance ». Ainsi
les trois vertus dites ordinales — foi, espérance, amour — se distribuent-
elles dans les trois puissances supérieures de l'homme.
1. Sermon 50, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p. 141-142.
2. Poème, strophe VIII, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 198. —
Cf. aussi strophes I et II.
3. Celle qui met en œuvre une rede — raisonnement et discours.
4. Sermon 54a, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p. 168.
29
Forme (forme)
* Forme est souvent l'équivalent d'image, dans sa dimension d'extério-
rité. Il convient pour lors de s'en détacher, pour que « l'entendement, sans
forme ni image en lui-même, entende toutes choses sans se tourner vers
l'extérieur n1 transformation de soi-même!. »
** Ainsi les anges saisissent-ils « sans forme » et « sans intermédiaire? »
Que l'homme accède à cette capacité lui ouvre la voie vers l'intelligence
de «l'unique Un ». En effet, en conformité avec le vocabulaire
scolastique, forme désigne aussi la nature ou l'essence authentique d'une
réalité, le point ultime où elle se trouve engendrée purement dans son
identité avec soi.
*## À ce compte, l'homme ne sera vrai que formé ou conformé intérieu-
rement à Dieu lui-même, participant de sa forme divine au titre de ce que
Eckhart, créant un mot expressif, appelle leur einfürmicheit, leur « uni-
formité » : « C'est pourquoi, quand l'homme se conforme nûment à Dieu
par amour, alors 1l se trouve dépouillé de l'image et formé intérieurement
selon l'image et revêtu de l'image dans l'uni-formité divine, dans laquelle
il est Un avec Dieu. »
Grâce (gnade)
* Ce terme se trouve parfois employé au pluriel, moins d'ailleurs pour
signifier un bienfait limité et transitoire que pour rendre compte de la
transformation que l'homme connaît jusque dans l'immédiateté de son
agir lorsqu'il est mené par la vérité qui sourd en lui : alors, en effet, il se
trouve « revêtu de vertus et de grâces et conduit et mené délicieusement
vers l'origine avec toutes vertus et grâces{. »
**# Plus souvent, au singulier, la grâce doit être entendue, chez Eckhart,
dans une acception décidément ontologique : elle désigne ce qui consti-
tue le fond de l'être, dans sa dimension la plus essentielle. Dans cette
acception, elle désigne le gratuit, le sans pourquoi, « l'immérité. »
26
*** L'opposition, traditionnelle en théologie, entre nature et grâce ne
signifie pas, lorsqu'elle intervient chez Eckhart, que Dieu et l'homme res-
sortiraient à des économies mettant en jeu une différence de nature onto-
logique : certes, ce qui est de grâce concerne le rapport premier entre
l'homme et le « Dieu des créatures » — mais cette relation n'est là que
pour renvoyer à celle qui exprime l'identité plénière entre le Père et celui
qui, Fils unique devenu homme « par grâce! », est d'abord et fondamen-
talement « fils de Dieu par nature2. »
© e l'homme noble, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., pp. 163-164.
.
21
Humanité (menscheit)
* Forme simple et la plus générique de l'être-homme. Ainsi distingue-t-
on en Jésus-Christ son humanité et son être-Dieu.
#* Cependant, une fois encore, cette désignation ne s'inscrit pas dans
l'économie d'un rapport de type hiérarchique ; car l'humanité de l'homme
désigne en lui, en toute excellence, l'universalité de son être essentiel,
apparenté comme tel à l'éfre-Dieu.
*#* D'où un regard nouveau sur l'incarnation ou devenir-homme de
Dieu : « Notez-le ! La Parole éternelle ne prit pas sur soi cet homme-ci ni
cet homme-là, mais elle prit sur soi une nature humaine libre, indivise,
qui là était nue sans image ; car la forme simple de l'humanité est sans
image!.»
Image (bilde)
* Qu'il s'agisse de langage ou d'objectivité représentative, le terme
d'image, dans sa signification générique, désigne ce en quoi se trouve
exprimée une réalité de référence, sous la double raison d'une identité et
d'une différence. Son sens précis, en chaque occurrence, est donc déter-
miné par sa position sur une échelle de significations qui va du plus
distant au plus proche, du plus illusoire à ce qui est le plus fidèle au
« modèle » en cause. D'où cet éventail d'acceptions :
*#* À un premier niveau, l'image, qu'elle soit extérieure ou intérieure, se
présente comme un substitut qui polarise sur elle le regard et représente
une distraction par rapport à ce qu'elle devrait manifester. Il faut alors
« que l'homme se tienne enfermé intérieurement, que son esprit soit pré-
servé des images qui se trouvent à l'extérieur, qu'elles demeurent exté-
rieures, et que d'aucune manière abusive elles ne le rejoignent ni ne
l'accompagnent, et qu'aucune ne trouve place en lui ». De même, « en ce
qui concerne ses images intérieures — que ce soient des images ou une
élévation de l'esprit, ou des images de l'extérieur ou quoi que ce soit que
l'homme ait présent —, qu'il ne s'y abandonne ni ne se disperse ni ne les
extériorise dans la multiplicité?. »
Ce qui n'est pas à entendre comme une coupure, en tout état de cause
impossible, avec l'extériorité, sans laquelle il n'y aurait ni vie ni pensée :
1. Sermon 46, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., pp. 112-113.
2. Discours du discernement n° 21. « Du zèle », in Maître Eckhart, Les Traités et le
Poème, op. cit., p.95.
28
« Un homme voudrait-il se retirer en soi-même avec toutes ses puis-
sances, intérieures et extérieures, et se tiendrait-il là de telle sorte qu'il
n'y ait en lui nulle image ni contrainte, et se tiendrait-il ainsi sans aucune
œuvre, intérieure ou extérieure : on doit certes alors se demander si
quelque chose serait encore capable d'être attirant pour lui-même!»
Celui qui agit comme il convient doit donc se commettre avec cette exté-
riorité, « Car aucune œuvre ne peut se trouver opérée que dans l'image
qui lui est propre. [...] Mais l'extériorité des images n'est pas extérieure
pour les hommes exercés : car toutes choses, pour les hommes intérieurs,
sont une manière divine intérieure2. »
Dans cette mesure et selon une plus grande co-respondance avec son
modèle, l'image, le reflet de soi par exemple que l'on obtient dans un mi-
roir, « ne provient pas du miroir, elle ne provient pas non plus d'elle-
même, plutôt cette image provient tout à fait de ce dont elle tient son être
et sa nature ». Ce dédoublement d'apparence n'a sens en effet que référé à
l'identité plénière de l'image et de l'être : « Lorsque le miroir est ôté de
devant moi, je ne me reflète pas plus longtemps dans le miroir, car je suis
cette image mêmes. »
Ainsi l'image grandit-elle en consistance ontologique, jusqu'à pouvoir,
dans sa différence même, être reconnue comme identique — de nature
ou d'essence — à son modèle : « Lorsqu'une branche saillit d'un arbre,
elle porte aussi bien le nom que l'être de cet arbre. Ce qui sort est la
même chose que ce qui demeure à l'intérieur, et ce qui demeure à l'inté-
rieur est la même chose que ce qui sort. Ainsi la branche est-elle une
expression de soi-même. [$] Je dis de même de l'image de l'âme. Ce qui
sort au dehors, c'est ce qui demeure à l'intérieur, et ce qui demeure à
l'intérieur est ce qui sort au dehors. Cette image est le Fils du Père, et
cette image je le suis moi-même, et cette image est la Sagesse. »
En définitive, le paradigme de toute image est à chercher en effet dans le
mouvement par lequel — Dieu naissant, dans la trinité de ses Personnes,
de l'abîme de la déité — le Père se dit dans celui qui est son /mage par-
faite. C'est à cette identité entre les termes d'Image, de Fils et de
naissance ou engendrement (geburt) que l'homme a part lorsqu'il se
trouve accompli dans sa vérité : « Tout ce qui, de l'âme, se tourne vers le
bas reçoit de cela même vers quoi il se tourne un voile, un couvre-chef ;
Ca) 0 AICÉr
DC ATOS
3. Sermon 16a, in Maître Eckhart, L'étincelle de l'âme, op. cit., pp. 160-161.
4.14", p.161:
29
mais ce qui, de l'âme, se porte vers le haut est nûment image de Dieu,
naissance de Dieu, sans voile et nu dans l'âme nue. À propos de l'homme
noble, [...] le roi David dit dans le psautier : même si tombent sur
l'homme nombre de vanités, de souffrances et d'afflictions, il demeure
néanmoins dans l'image de Dieu et l'image en lui!.. »
*#* La vérité de l'homme tient donc dans un acte unique à double face,
négative et positive : il lui faut « se dépouiller de l'image » des créatures
(sich entbilden) pour « revêtir l'Image » qu'est le Christ (äberbilden). Il y
a concomitance entre ces deux versants de son agir qui le font passer de
l'image-illusionà l'image-vérité : la perfection de l'homme est en effet
qu'il « se tienne au plus égal de l'image qu'il était en Dieu quand entre lui
et Dieu il n'y avait pas de différence, avant que Dieu n'ait créé les
créatures2. » « Et c'est pourquoi, quand l'homme se conforme nûment à
Dieu par amour, alors il se trouve dépouillé de l'image et formé
intérieurement selon l'image et revêtu de l'image dans l'uni-formité
divine, dans laquelle il est Un avec Dieu?. » Ainsi l'âme se trouve-t-elle
« fluer en retour » et « formée en retour dans sa première image sans
image », — ce qui ne l'arrache pas à elle-même, mais révèle au contraire
ce qu'elle est d'origine, dans la réalité de son être : car « lorsqu'un maître
fait une image à partir d'un bois ou d'une pierre, il n'introduit pas l'image
dans le bois, il rogne plutôt les copeaux qui tenaient cachée et recouverte
l'image ; il n'ajoute rien au bois, mais il lui retranche et creuse en surface
et enlève la rouille, et resplendit alors ce qui se trouvait caché dessouss. »
Incréé (ungeschaffen)
* Employé de façon absolue, l'incréé désigne l'être même de Dieu, par
opposition à celui de la créature : « La course [cf. Paul, 1 Co 9,24] n'est
rien d'autre qu'un retrait de toutes les créatures et de se réunir en
l'incréés. »
*# Cette réalité ultime n'est pas distante de l'homme : elle définit en lui le
lieu où Dieu, justement, peut s'engendrer selon la radicalité de son être. Il
faut en effet qu'il y ait en l'homme « quelque chose de plus intérieur et de
plus élevé et d'incréé, sans mesure et sans mode, où le Père céleste puisse
l. De l'homme noble, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 168.
2] . Du détachement, id., p.177.
3. Sermon 40, in Maître Eckhart, L'étincelle de l'âme, op. cit., p. 76.
4. Sermon 50, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p. 142.
5h De l'homme noble, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 168.
6. Du détachement, id., p. 189.
30
totalement s'imprimer et s'épancher et s'attester : ce sont le Fils et le Saint
Esprit!. »
#*#*% Ajnsi y a-t-il une part en l'homme que Eckhart ne craint pas de dire
« incréée et incréable » — dans la mesure où l'idée de l'homme, en Dieu,
est Dieu : « Dans la premier attouchement, quand Dieu a touché l'âme et
la touche en tant qu'incréée et incréable, là l'âme est aussi noble, après
l'attouchement de Dieu, que l'est Dieu lui-même. » Des propos qui lui
furent reprochés lors du procès de Cologne ; à quoi il répliqua n'avoir
jamais affirmé que le tout de l'homme soit tel ; ailleurs, en effet, ayant
affirmé qu'« il est quelque chose dans l'âme qui est si apparenté à Dieu
que c'est Un et non uni », il ajoute : « L'homme serait-il tout entier ainsi
qu'il serait pleinement incréé et incréable* » ; en réalité, Maître Eckhart
articule deux niveaux d'analyse : l'homme est à la fois identique à Dieu
par nature ou essence, et différent de lui en tant que créature.
31
articulait ainsi ratio et intellectus — la première de ces facultés
procédant par argumentation (analyse et confrontation des raisons),
tandis que la seconde conclut ce mouvement par une adhésion réfléchie à
ce qui s'est manifesté de la sorte. Eckhart a repris ce schème dans la
dualité de termes verstandnisse | vernünfticheit — ce qui contraint à
traduire le second, non pas par « raison », comme on serait tenté de le
faire en modernité postkantienne, mais bien par «intellect », en
comprenant sous ce mot ce qui constitue le sommet de l'esprit humain et
le lieu prochain de son union avec la vérité de l'objet et avec Dieu même.
** Replacé dans le cadre d'une anthropologie plus large, l'intellect est à
comprendre comme l'une des deux « puissances supérieures » qui
structurent l'esprit humain, — la seconde étant constituée par la volonté.
« Comprendre » et « agir » sont les deux manifestations suprêmes de cet
esprit (Eckhart évoque parfois une troisième faculté supérieure,
l'irascibilis, puissance « ascentionnelle » qui porte les deux autres vers
leur accomplissement).
Le débat portant sur la précellence de l'une ou l'autre de ces puissances
que sont l'intellect et la volonté est un {opos révélateur des orientations
de pensée à cette époque. L'harmonie recherchée entre elles au siècle
précédent — on parlait à leur propos des « deux yeux de l'âme » — avait
volé en éclats avec l'opposition sans merci entre les tenants des deux
ordres nouveaux, fondés l'un et l'autre au début du XIIIe siècle — les
franciscains tenant pour une suprématie de l'amour, tandis que les
dominicains exaltaient les valeurs de l'intelligence. Lorsqu'il se trouve
pris dans les remous de cette querelle, Eckhart épouse sans tergiverser la
thèse de ses frères dominicains ; c'est pourquoi il affirme tant de fois la
prééminence de l'intellect sur la volonté — ce qui légitime le fait que l'on
voie en lui le tenant d'une mystique « spéculative ». Mais lorsqu'il se
libère de ce débat, il met ces deux puissances sur un même niveau (par
exemple dans le Sermon 2, typique de ce point de vue) ; de telle sorte
cependant que leur égale dignité se trouve posée sous l'égide de
l'intellect. La formule la plus intégrante qu'il ait fournie de pareille
équation est peut-être celle que l'on trouve dans le Sermon 70 (citée ci-
dessus sous l'entrée amour).
Une question débattue porte sur le « lieu » en lequel, dans l'homme,
s'opère l'union originelle et ultime avec Dieu. Est-ce dans l'intellect, ou
bien dans un « quelque chose » qui serait au-delà de l'intellect lui-
même ? Tous les textes de Eckhart ne concordent pas sur cette question.
Peut-être faut-il avancer que cette union trouve place dans. l'intellect
comme au-delà de l'intellect lui-même. Car, en définitive, « L'âme n'a
rien où Dieu puisse lui parler que l'intellect. Certaines puissances sont de
si peu de prix qu'il ne peut parler en elles. Il parle certes, mais elles ne
l'entendent pas. Volonté ne perçoit pas en tant qu'elle est volonté,
d'aucune manière. « Homme » ne vise aucune puissance autre qu'intel-
lect. Volonté est ordonnée seulement à quelque chose d'extérieur!. » La
suite de ce texte précise encore : « Toutes les puissances qui appar-
tiennent à l'âme ne vieillissent pas. [...] Les maîtres disent : ce qui est
Jeune, c'est ce qui est proche de son commencement. Intellect, en lui l'on
est pleinement jeune : plus on opère dans cette puissance, plus on est
proche de sa naissance. [...] Le premier jaillissement de l'âme est
intellect, ensuite volonté, ensuite toutes les autres puissances. »
Eckhart poursuit cependant en parlant d'une « lumière simple de l'âme »
qui semble se tenir au-dessus des « puissances » elles-mêmes. Et encore
« au-dessus de cette lumière est la grâce » ; or « celle-ci ne vient jamais
dans intellect n1 dans volonté. » Mais le propos s'infléchit aussitôt pour
dire ce qui est peut-être la formule dernière : « Grâce doit-elle venir dans
intellect, 1l faut alors qu'intellect et volonté en viennent au-dessus de soi-
même ». Revient alors l'énoncé de la hiérachie intellect / volonté, pour
conclure enfin : « Il est je ne sais quoi de très secret qui est au-dessus de
tout cela, c'est le chef de l'âme. C'est là qu'advient l'union proprement
dite entre Dieu et l'âme ».
*** Ce dépassement de l'intellect au sein de l'intellect lui-même est ce
que Maître Eckhart, dans le Sermon 2, appelle le petit château de l'âme,
principe d'unité au-delà des puissances, seul apte à s'unir à la déité, elle-
même unité dernière au-delà des Personnes divines.
1. Sermon 43, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p.94.
2 QU
connaître, et elle ne se repose jamais qu'elle ne touche nûment ce qu'elle
connaît. Et c'est ainsi qu'elle précède la volonté et lui annonce ce qu'elle
[= la volonté] aime!. »
Intermédiaire (mittel)
* C'est une affirmation constante chez Eckhart que l'union plénière entre
l'homme et Dieu doive se faire « sans intermédiaire ». Plus : « Quel qu'il
soit, tout intermédiaire est étranger à Dieu » — et cela jusque dans
l'intelligence de sa réalité trinitaire : « La nature divine est une, et chaque
Personne est une aussi, et est le même Un qu'est la nature. »
** Pour autant, il ne s'agit pas en cela d'un monisme du premier degré,
puisque le propre de l'unité véritable est de porter en soi ses propres
différences. Ce qui est rejeté, ce n'est certes pas la réalité d'une
« médiation » — bien que le mot lui-même (Vermittlung) ne fasse pas
encore partie de son vocabulaire — mais l'idée d'un tiers-terme qui ferait
nombre avec les extrêmes, et les séparerait plus qu'il ne les unirait.
34
**% Le terme de mittel doit donc être compris au sens d'un « obstacle »
qui empêcherait justement que ne se réalise une unité de Dieu et de
l'homme. On peut cependant déceler en lui parfois comme l'amorce d'une
fluidité qui le rapproche d'une vraie médiation. « Un maître dit: N'y
aurait-il pas d'intermédiaire que l'on verrait une fourmi dans le ciel. Or
un autre maître dit : N'y aurait-il pas d'intermédiaire que l'on ne verrait
rien. Tous deux sont dans la vérité! .» Pourquoi ? Parce que l'air qui, en
les affinant, porte jusqu'à l'œil les éléments matériels que produit la
perception des objets, est indispensable à la vision, en même temps que
sa densité, si subtile qu'elle soit, forme écran en quelque mesure. C'est
pourquoi le jugement tombe de façon drastique : « N'y aurait-il pas
d'intermédiaire dans l'âme qu'elle verrait Dieu nûment ».
1. Sermon 45, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p.108.
2. Poème, strophe III, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 196.
3. Sermon 35, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p. 42.
4. Sermon 45, id., p. 110.
5. Sermon 19, in Maître Eckhart, L'étincelle de l'âme, op. cit., p. 183.
35
Juste (gereht, recht, reht), justice (gerehticheit)
* Une des notions de base de l'anthropologie et de l'ontologie
eckhartiennes. Ce qui est juste — on traduit aussi bien : ce qui est
droit — est ce qui est « dans l'ordre », « comme il faut », ce qui demeure
fidèle à la relation d'origine. C'est aussi, à ce compte, ce qui détermine la
vérité du terme, sous le mode d'un accomplissement qui est toujours une
« percée en retour ». Est juste, à ce compte, ce qui est inférieur, nouveau,
céleste, jeune, ami, noblel. Tous vocables de même niveau, de même
plénitude.
** À l'ultime, le mot désigne pratiquement Dieu lui-même. « Te
tiendrais-tu seulement façonné et engendré dans la justice, pour vrai 1l
n'est chose qui puisse te faire souffrir, pas plus que la justice Dieu
même?. »
*#* L'homme ne gagne cette justice que par le détachement plénier à
l'égard de toute vicissitude personnelle. « Je dis : quand à l'homme bon et
juste advient un préjudice de l'extérieur, et qu'il demeure d'humeur égale
et immobile dans la paix de son cœur, alors est vrai ce que j'ai dit, que le
juste rien ne le trouble de ce qui lui advient. S'il se trouve toutefois qu'il
est troublé par le préjudice extérieur, pour de vrai il est alors équitable et
juste que Dieu ait disposé que ce préjudice soit advenu à l'homme qui
voulait et s'imaginait être juste alors pourtant que de si petites choses
pouvaient le troubler*. »
. Cf. De l'homme noble, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 164.
2. Le livre de la consolation divine, id., p. 119.
3 14 DAL2UR
4. Discours du discernement n° 3. « Des gens qui ne se sont pas laissés, et qui sont pleins
de volonté propre », in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p.55. — Les
citations à venir sont tirées de cette même page.
36
repaître. Ce que Eckhart exprime sous mode d'une conséquence : « Il doit
en premier lieu se laisser soi-même, ainsi a-t-il laissé toutes choses. »
*## Cet acte ne saurait être entendu dans une économie quantitative
— laisser ceci et encore cela, en accumulant, si l'on peut dire, les
retranchements — mais comme un geste intérieur de portée universelle
qui tient plus à la qualité du regard qu'à l'importance des choses
abandonnées. « Qui laisse sa volonté et soi-même, celui-là a laissé toutes
choses aussi vraiment que si elles eussent été sa franche propriété et qu'il
les eût possédées en toute puissance. Car, ce que tu ne veux pas désirer,
tu l'as complètement remis et laissé pour Dieu!.» Ce qui autorise cette
conclusion laconique : « Regarde-toi toi-même, et, où que tu te trouves,
laisse-toi ; c'est ce qu'il y a de mieux. »
37
Limpide, limpidité (lâter, lûterlich, lûterkeit)
* S'appliquant à Dieu, le terme de limpidité, de concert souvent avec
celui de nudité, désigne l'ultime de la déité, au-delà même des Personnes.
Ainsi Eckhart évoque-t-il « la limpidité de la nature divine », ajoutant
aussitôt : « Quelle clarté se trouve en la nature divine, cela est
inexprimable!. »
#* À cette réalité, l'homme a part par droit de filiation : il possède en
effet « la même chose que ce que le Fils a dans le jaillissement premier,
et dans le même fond et dans la même limpidité et dans le goût où il a
intérieurement sa propre béatitude et là où il possède intérieurement son
propre être2. » Et encore : « Dans cette limpidité où le Père a créé l'âme,
tout aussi limpides devenons-nous dans la Sagesse qui est le Fils$. »
Cette limpidité, l'homme se doit donc de l'exprimer en toute sa vie, par le
jeu de purifications qui le ramènent à son origine ; car « l'âme ne peut
devenir limpide qu'elle ne se trouve ramenée à sa limpidité première,
telle que Dieu l'a créée, tout comme à partir du cuivre on ne peut faire de
l'or, en le soumettant au feu deux ou trois fois, qu'on ne le ramène à sa
nature première. »
#**# Dans une formule ramassée qui rassemble sa doctrine mystique et
métaphysique, Eckhart peut alors évoquer l'attitude la plus intégrante à
laquelle doit tendre l'homme : le « limpide détachement » — ou encore, à
la façon d'un superlatif d'excellence, la « limpidité détachées ».
. Sermon 53, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p. 162.
Sermon 5da, id., p. 171.
. Sermon 54b, id., p. 174.
. Sermon 57, id., p. 190.
. Du détachement, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit. p. 187 sq.
(passim).
38
** Une place spéciale doit être reconnue, en raison de leur fécondité dans
la tradition postérieure, aux expressions de lumière matutinale et de
lumière vespérale, la première consistant dans la connaissance des
créatures en Dieu, et la seconde dans la connaissance (nécessairement
partielle) des créatures telles qu'en elles-mêmes, sans référence à leur
principe. Ainsi de ce texte, entre beaucoup d'autres : « L'ange, s'il se
tournait vers les créatures pour les connaître, il ferait nuit. Saint Augustin
dit : Lorsque les anges connaissent les créatures sans Dieu, c'est une
lumière vespérale (âbentlieht) ; mais lorsqu'ils connaissent les créatures
en Dieu, c'est une lumière matutinale (morgenlieht)!.»
*#* De quoi est encore distincte la connaissance directe de Dieu — car
ce même texte ajoute : « Qu'ils connaissent Dieu tel que seul il est en lui-
même être, c'est le midi lumineux. »
39
C'est là pour l'homme l'expérience de l'éternité — ou du maintenant de
Dieu — à même le temps : « Dieu crée le monde et toutes choses dans un
maintenant présent ; et le temps qui s'est écoulé il y a mille ans, il est
maintenant aussi présent à Dieu et aussi proche que le temps qui est
maintenant! . »
Multiplicité (menige)
* Loin d'être une marque de déchéance ou de moins-être, la multiplicité,
telle que l'homme en connaît, est l'expression, dans la lumière de
l'origine, de la richesse du principe.
** On peut dire qu'elle traduit dans le temps la plénitude que revêt l'unité
dans l'éternel. C'est pourquoi «tout ce que l'on reçoit ici-bas
extérieurement en multiplicité, tout cela est intérieur et un2. » C'est ainsi
que « les trois Personnes en Dieu sont sans nombre, mais elles forment
une multiplicité ».
*#*# Cependant, la perfection de ce schème logique se trouve aisément
mise en échec au niveau phénoménal, en sorte qu'il revient à l'homme
engagé dans le temps de renoncer à toute forme de multiplicité qui
signifierait séparation et distance ; car « entre l'homme et Dieu, non
seulement il n'est pas de différence, mais là il n'est pas non plus de
multiplicité ; là n'est rien que un. »
40
Pareille naissance de l'homme en Dieu et comme Dieu est à entendre
aussi bien comme une naissance de Dieu en l'homme. Car « Dieu naît en
tout temps engendré en l'homme. Comment naît-il en tout temps en
l'homme ? Notez-le ! Lorsque l'homme dénude et découvre l'image
divine que Dieu a créée en lui par nature, alors l'image de Dieu en lui
devient manifeste. Car c'est par la naissance que se fait connaître la
manifestation de Dieu [...] Et c'est ainsi qu'est à saisir en tout temps la
naissance de Dieu, selon que le Père découvre l'image en nudité et brille
en ellel. »
« Naissance » est donc le terme qui qualifie le plus exactement l'être
même de Dieu. Dieu est naissance. Plus précisément, le Père est
naissance, tandis que le Fils est égalité, et que l'Esprit est amour. Car
« l'égalité, on la donne au Fils dans la déité, ardeur et amour au Saint
Esprit » ; mais « égalité en toutes choses, de façon plus particulière et en
tout premier lieu dans la nature divine, est naissance du Un, et égalité du
Un, dans le Un et avec le Un, est un commencement et origine de
l'amour épanoui, ardent?. »
*** Le terme, en définitive, désigne le devenir commun de Dieu et de
l'homme dans la vérité de l'origine : « L'âme qui se tient dans un
maintenant présent, là le Père engendre son Fils unique, et dans cette
même naissance l'âme se trouve engendrée à nouveau en Dieu. C'est là
une seule naissance, aussi souvent elle se trouve engendrée à nouveau en
Dieu, aussi souvent le Père engendre son Fils unique dans elles. »
41
qu'une lecture immédiate pourrait entendre de façon quasi dualiste.
Pourtant, il ne s'agit en aucune manière de dévaluer les choses en leur
immédiateté, mais d'exprimer que n'est rien, en toute rigueur de terme, ce
qui par hypothèse absurde s'ajouterait à Dieu, puisqu'aussi bien il n'est
nulle autre origine possible de ce qui est que Dieu lui-même. En effet,
« ôterait-on à toutes les créatures du monde entier l'être que donne Dieu,
elles demeureraient néant nu, sans attrait, sans valeur et haïssables!. » Un
tel « néant » doit être néantisé sans merci.
À l'autre extrémité des choses, le néant, sous sa forme redoublée, est
expression de l'être en son universalité — identité à soi comme autre de
soi. À ce titre, il qualifie éminemment le mode sans mode qui est celui de
l'existence de Dieu. Le Sermon 71, lieu paradigmatique de cette vérité,
est tout entier porté par cette reconnaissance : « “Paul se releva de terre
et, les yeux ouverts, il ne vit rien.” Je ne saurais voir ce qui est Un. Il ne
vit rien, c'était Dieu. Dieu est un néant et Dieu est un quelque chose. Ce
qui est quelque chose, cela est aussi néant. Ce qu'est Dieu, il l'est
pleinement. »
En dernier ressort — et c'est en cela que la pensée de Maître Eckhart se
montre authentiquement « dialectique » — on ne saurait tenir ces
acceptions extrêmes comme simplement contraires et exclusives l'une de
l'autre, car c'est dans la mesure où l'homme confesse sans ambages le
néant de ce qui n'est pas Dieu qu'il se trouve uni en vérité au néant de
Dieu. Les « amis de Dieu », lisons-nous, « doivent se découvrir et
s'estimer pur néant en tous les grands dons de Dieu ; car plus nu et plus
dépris l'esprit tombe en Dieu et se trouve soutenu par lui, plus
profondément l'homme se trouve établi en Dieu et devient réceptif à tous
les dons les plus précieux de Dieu?.» À ce compte, l'homme doit
dépasser la simple opposition entre l'être et le néant, dans la mesure où
elle ressortit encore à une visée d'entendement : « Ton être même / faut
que néant devienne, / tout être, tout néant, bannis delà tout sens4. »
##% On ne saurait donc s'étonner que Eckhart identifie ce néant radical
avec l'attitude de liberté plénière que recouvre chez l'homme l'exercice
du « détachement » véritable. En vérité, « le détachement est si proche
1. Le livre de la consolation divine, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit.,
P. 152,
2, Sermon 71, in Maître Eckhart, Et ce néant était Dieu, op. cit., p.95.
3. Le livre de la consolation divine, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème. op. cit.,
p. 89.
4. Poème, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., pp. 197-198.
42
du néant qu'entre le détachement parfait et le néant rien ne saurait être ».
Et encore : « Le détachement est à ce point proche du néant qu'aucune
chose n'est si ténue qu'elle puisse se loger dans le détachement si ce n'est
Dieu seul!. »
43
Nuit (naht)
* La nuit est d'abord, banalement, l'absence de lumière. Elle enveloppe
donc de son voile tout ce qui n'est pas posé dans la clarté de Dieu.
** En effet, « tout ce que nous cherchons dans les créatures, tout cela est
nuit. C'est cela que je pense : tout ce que nous cherchons en quelque
créature que ce soit, tout cela est ombre et est nuit. Même la lumière de
l'ange le plus élevé, si sublime soit-elle, ne touche pourtant l'âme en rien.
Tout ce qui n'est pas la prime lumière, tout cela est obscurité et est
nuit!.»
Pour autant, la nuit ne désigne aucunement une puissance négative qui
serait de même poids ontologique que la lumière. Par certains côtés, elle
est une modalité secrète de sa présence. Car « 1l n'est point de nuit qui
n'ait une lumière, mais elle est recouverte. Le soleil brille dans la nuit,
mais 1l est recouvert. Il brille durant le jour et recouvre toutes autres lu-
mières. Ainsi fait la lumière divine : elle recouvre les autres lumières2. »
*#* La vie de l'esprit tient alors dans la capacité acquise de percevoir la
lumière de Dieu dans la nuit du monde.
1. Sermon 71, in Maître Eckhart, Et ce néant était Dieu, op. cit., pp. 93-94.
DRAP
44
gens de bien, qui sont bons en vérité, se trouvent fréquemment entravés
dans leurs œuvres bonnes!. »
La distinction essentielle vient de l'articulation entre œuvre extérieure et
œuvre intérieure. Le Discours du discernement lui consacre son dernier
chapitre, le plus étendu, sous le titre « Des œuvres intérieures et
extérieures. » D'emblée est posé le principe d'une pleine réflexivité entre
ces deux dimensions : « L'on doit apprendre à œuvrer de telle sorte que
l'on projette l'intériorité dans l'opérativité et que l'on introduise
l'opérativité dans l'intériorité, et que l'on s'accoutume ainsi à œuvrer
librement. » Qu'il s'agisse de lire, de prier, « ou — si cela convient —
d'œuvre extérieure », « on doit tourner le regard vers cette œuvre
intérieure et opérer à partir de là ». Primauté logique, par conséquent,
mais sans que jamais la simple intention puisse se manifester comme
efficace : « Si [...] l'œuvre extérieure va à détruire l'œuvre intérieure, que
l'on suive l'intérieure. Mais si toutes deux pouvaient être en une, ce serait
le mieux, en sorte que l'on ait un coopérer avec Dieu. »
*** En définitive, il y a donc implication mutuelle de ces deux
dimensions de l'agir, mais de telle sorte que « l'œuvre intérieure a sa
bonté en elle-même », tandis que « l'œuvre extérieure prend sa bonté
divine par l'intermédiaire de l'œuvre intérieure ». En somme, « l'œuvre
extérieure ne peut jamais être si petite si l'intérieure est grande, et
l'extérieure ne peut jamais être si bonne si l'intérieure est petite ou n'a pas
de valeur. » C'est ainsi que l'œuvre intérieure « a de tout temps inclus en
elle toute grandeur, toute largeur et toute longueur. »
Pauvreté (armuot)
* Thème central de la spiritualité eckhartienne, auquel est consacré en
particulier le fameux Sermon 52°, qui traite de la « pauvreté intérieure,
celle qu'il faut entendre dans la parole de Notre Seigneur quand il dit :
“Bienheureux sont les pauvres en esprit”. »
ie Discours du discernement n° 19. « Pourquoi Dieu permet souvent que des gens de
bien, qui sont bons en vérité, se trouvent fréquemment entravés dans leurs œuvres
bonnes », in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p.88.
2. Discours du discernement n° 23. « Des œuvres intérieures et extérieures », id., pp. 103-
1122
3. Id., p. 104.
4. Le livre de la consolation divine, id., p. 142.
5. Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p. 152.
45
**# Cette pauvreté tient dans trois notes : ne rien vouloir, ne rien savoir,
ne rien avoir. Ce qui s'entend, non d'un refus du monde, mais d'une
déprise essentielle dans ces actes fondamentaux de l'existence qui
concernent la réalité de l'être et doivent être vécus en liberté plénière.
S'annonce ainsi pour l'homme la nécessité d'un « retour » à son état
originel, lorsqu'il était égal à Dieu dans la pensée de Dieu — « aussi
dépris à la fois de sa volonté propre et de la volonté de Dieu qu'il l'était
lorsqu'il n'était pas ». « Nous disons donc que l'homme doit être si
pauvre qu'il ne soit et qu'il n'ait aucun lieu où Dieu puisse opérer. Là où
l'homme garde un lieu, là il garde une différence. C'est pourquoi je prie
Dieu qu'il me déprenne de Dieu, car mon être essentiel est au-dessus de
Dieu dans la mesure où nous prenons Dieu comme origine des
créatures. »
***% En définitive, la pauvreté et le détachement sont synonymes dans la
pensée de Maître Eckhart.
Pensée (gedanke)
* Comme entité psychologique occupant l'espace de la conscience, la
pensée risque de surcharger la réalité et d'être un obstacle à la saisie du
vrai : « Qui veut penser bonté ou sagesse ou puissance, celui-là recouvre
l'être et l'obscurcit de cette pensée. Une seule adjonction de pensée
recouvre l'être!. »
** Eckhart oppose à la fugacité de ce phénomène la permanence d'un
rapport de nature ontologique. « Le véritable posséder-Dieu tient à
l'esprit et à un acte intellectuel intérieur de s'orienter et de tendre vers
Dieu, [...]. L'homme ne doit pas avoir un Dieu pensé ni s'en satisfaire.
car lorsque la pensée passe, alors Dieu passe aussi. Plutôt : on doit avoir
un Dieu dans l'être, qui est loin au-dessus des pensées de l'homme et de
toutes créatures. Ce Dieu ne passe pas, si l'homme ne s'en détourne pas
volontairement? »
Cela n'ôte rien à l'estime que Eckhart, maître de la mystique spéculative,
porte à l'acte de penser, compris selon sa portée la plus universelle. Ainsi
présente-t-1l l'ordonnance des différents modes de la connaissance : « Un
maître dit que [...] toutes les puissances de l'âme bondissent et que
s'élèvent les sens extérieurs par lesquels nous voyons et entendons, et les
1. Sermon 31, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p.23.
2. Discours du discernement n° 6. « Du détachement et du posséder-Dieu », in Maître
Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., p. 60.
46
sens intérieurs que nous nommons pensées [...]. Je puis tout aussi
aisément penser à ce qui est au-delà des mers qu'ici même auprès de moi.
Au-delà des pensées il y a l'intellect, en tant qu'il est encore en recherche
[...]. Par delà l'intellect qui là est en recherche, il est un autre intellect
qui là ne cherche pas, qui là se tient dans son être simple limpide, qui là
est saisi dans cette lumière [...]. Les sens s'élancent dans les pensées :
combien élevées et combien insondables elles sont, personne ne le sait
que Dieu et l'âme!. »
*%# Si grande est la dignité de la pensée humaine qu'elle échappe à toute
appréhension possible qui la soustrairait au pouvoir de l'homme : « Les
anges ne savent rien des pensées aussi longtemps qu'elles ne viennent au
dehors et que les pensées ne s'élancent ensuite dans l'intellect en tant qu'il
est l'intellect qui est en recherche, et que l'intellect qui là est en recherche
s'élance dans l'intellect qui là n'est pas en recherche, qui là est une
lumière limpide en lui-même. »
1. Sermon 71, in Maître Eckhart, E t ce néant était Dieu, op. cit., pp. 91-92.
Del;
47
ciel, et de cette révolution du ciel tout ce qui est dans le monde verdoie et
se couvre de feuilles. » Or, cette première étape de la percée en retour en
prépare une autre, bien plus essentielle, grâce à laquelle l'esprit « s'élance
plus avant vers le sommet et vers l'origine, là où l'esprit prend son
origine. [...] Il faut que cet esprit franchisse tout nombre et fasse sa
percée à travers toute multiplicité, et Dieu alors fait en lui sa percée ; et
tout ainsi qu'il fait sa percée en moi, je fais ma percée en lui en retour!. »
*#* Ce mouvement est tout autre chose qu'une désertion de la réalité. En
effet, « cela, l'homme ne saurait l'apprendre par la fuite, en ce qu'il fuirait
les choses et se tournerait vers la solitude à partir de l'extériorité ; mais il
lui faut apprendre une solitude intérieure, où et près de qui il soit. Il lui
faut apprendre à faire sa percée dans les choses, à y saisir son Dieu et à
pouvoir l'imprimer fortement en soi d'une manière essentielle2. »
Puissance (kraft)
* Au plus large de sa signification, le terme de « puissance », sous ses
équivalents de gewalt, maht, mügenheit, désigne, comme il en va en
toute langue, le pouvoir ou la capacité d'un être ou d'une chose de
produire telle ou telle action. Ainsi de la « puissance divine » (gôrliche
mügenheit).
** De façon plus précise, la puissance (die kraft), en héritage de la
tradition aristotélico-thomiste, désigne la faculté par quoi l'esprit humain
1. Sermon 29, in Maître Eckhart, L'étincelle de l'âme, op. cit., pp. 255-256.
2. Discours du discernement n° 6. « Du détachement et du posséder-Dieu », in Maître
Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit., pp. 61-62.
3. Sermon 35, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p.43.
4. Sermon 50, id., p. 143.
48
se rapporte au monde selon les différentes modalités du comprendre ou
de l'agir. « Puissance discursive » (redelîche kraft), « puissance
intellective » (vernünftige kraft), « puissance naturelle » (natiurlîche
kraft), « puissance ascendante » (âfkriegende kraff).
L'« ordonnance de l'âmel » articule de la sorte les « puissances
inférieures » (niderste krefte) — qui, par la sensation et la perception,
mettent l'esprit au contact du cosmos et des réalités matérielles — et les
puissances supérieures (oberste krefte), intellect et volonté, auxquelles
Eckahrt adjoint parfois une troisième faculté, par exemple lorsqu'il dit
que « des plus hautes puissances de l'âme, il en est trois : la première est
connaissance, la seconde irascibilis, c'est-à-dire une puissance
ascendante ; la troisième est la volonté2. »
Il est à noter que la mémoire qui, dans la tradition augustinienne, figure
comme tierce puissance à côté de l'intelligence et de la volonté, n'est pas
évoquée par Eckhart au sein de ce schéma ternaire. L'irascibilis,
d'ailleurs, est moins une troisième puissance faisant nombre avec les
deux autres que le dynamisme structurel qui les rapporte l'une à l'autre et
scelle leur unité.
**#*# Le temps de Maître Eckhart bruit de joutes oratoires mettant aux
prises les dominicains, fermes partisans d'une suprématie de l'intellect
sur la volonté, et les franciscains qui faisaient l'option inverse. Dans ces
querelles dont il se fait l'écho, Eckhart tranche sans hésitation en faveur
de la première de ces options — ce pour quoi il apparaît comme le tenant
d'une mystique spéculative. Mais sa position personnelle est plus
nuancée et s'exprime en définitive dans cette sorte d'aphorisme :
« Accomplissement de la béatitude réside en ces deux : en connaissance
et en amour’. »
49
*#* Dans certains cas fort rares où le terme est employé dans le contexte
de l'unité essentielle de l'homme et de Dieu, et plus encore de l'unité de
Dieu avec lui-même, glichnisse doit être rendu simplement par le
concept d'« égalité ».
Sagesse (wisheit)
* Eckhart établit un parallélisme de fait entre la seconde Personne de la
Trinité, traditionnellement appelée Sagesse, et l'attitude ou vertu qui, en
l'homme, est fruit de connaissance et engendre la joie.
*# « Qu'est-ce que ordonnance divine ? », interroge-t-il ; à quoi il
répond : « De la puissance divine jaillit la sagesse, et d'elles deux jaillit
l'amour, c'est-à-dire le brasier ; car sagesse et vérité, et puissance et
l'amour, le brasier sont dans l'orbite de l'être, c'est un être suréminent,
limpide, sans naturel.» A cette trinité — puissance du Père, sagesse et
vérité du Fils, amour en brasier de l'Esprit — répond l'ordonnance de
l'âme sous forme de connaissance, de sagesse et de joie : « Personne ne
peut de par Dieu jouir de connaissance, sagesse et joie qu'il ne soit un
homme de bien2. »
1. Sermon 31, in Maître Eckhart, Dieu au-delà de Dieu, op. cit., p. 23.
2. Sermon 34, id., p. 35.
3. Sermon 36 a, p. 47.
50
Soir (abent)
* Pour Maître Eckhart, le soir est le moment de la journée où la chaleur
s'intensifie par accumulation. C'est ainsi, ajoute-t-il, qu'« il y a un soir
dans l'âme qui aime Dieu. C'est repos limpide pour qui est pénétré et
échauffé en amour divin ».
** Dans le « jour du temps », en effet, « disparaissent matin et midi, et
s'ensuit le soir » ; or, « il n'en est pas ainsi dans le jour de l'âme : cela
demeure un ». « Dans ce jour, matin, midi et soir tous ensemble
demeurent un et rien n'en disparaît. » En effet, « la lumière naturelle de
l'âme, c'est le matin. Lorsque l'âme fait sa percée vers le plus haut et vers
le plus limpide dans la lumière et accède ainsi à la lumière de l'ange,
dans cette lumière c'est mi-matin ; et alors l'âme, avec la lumière de
l'ange, pénètre vers le haut dans la lumière divine, c'est le midi ; et l'âme
demeure dans la lumière de Dieu, et, dans un silence de limpide repos,
c'est le soir ; c'est alors qu'il fait le plus chaud dans l'amour divin!. »
Sortir (uzgân)
* Pris selon sa vérité dernière, le verbe sortir, de concert avec d'autres
— partir, fluer — est à entendre comme le premier acte d'un geste qui,
s'achevant dans un faire retour, engage le mouvement total d'une
identification réflexive entre l'intérieur et l'extérieur.
** On ne saurait pour autant méconnaître son ambiguïté première. Il peut
en effet signifier rien moins que l'acte par lequel un être se perd en
échappant à son propre centre ; ainsi des « gens qui cherchent quiétude
dans les choses extérieures » : « plus loin ils sortent, moins ils trouvent
ce qu'ils cherchent2. »
Reste que, de façon positive, sortir de son moi propre est une condition
pour se rendre disponible à la rencontre de l'autre et de Dieu lui-même :
car « celui qui doit le recevoir pleinement, 1l lui faut pleinement s'être
donné soi-même et être sorti de soi-même. »
*k* Finalement, la riche positivité de ce mouvement trouve son
paradigme dans l'acte par lequel Dieu, au-delà de toute nécessité comme
s1
de toute liberté du premier degré, vient à s'exprimer lui-même selon sa
nature dans un sortir qui est identiquement un demeurer en soi-même.
I . Le livre de la consolation divine, in Maître Eckhart, Les Traités et le Poème, op. cit..
MIO!
. Du détachement, id., p. 192.
. Le livre de la consolation divine, id., p. 141.
&
DT
© . Du détachement, id., p. 192.
32
peut-être nécessaire vers le détachement, ne se trouve célébrée qu'à ce
ütre et s'efface devant l'atteinte de ce but.
### On comprend dès lors que Eckhart ait consacré un traité entier — Le
livre de la consolation divine — à proposer toutes les raisons
philosophiques, théologiques et spirituelles qui permettent de vivre dans
la plus grande sérénité possible ces temps d'épreuve et de purification.
Temps (Zft)
* De façon traditionnelle, le temps est compris par Eckhart sous la figure
de moments juxtaposés qui manquent à être rassemblés dans l'unité d'un
sens.
#* À ce compte, la vie de l'esprit implique une prise de distance à l'égard
de ce procès placé sous le signe de la succession, voire de la dispersion ;
d'où l'injonction qu'énonce le Poème : « Laisse lieu, laisse temps / et
l'image également ! / Prends sans chemin / le sentier étroit : ainsi
viendras-tu à l'empreinte du désert!. »
Mais le temps, compris à partir de son origine, se rassemble dans l'unité
d'un jour, et plus encore dans celle d'un maintenant présent (voir ce
mot) ; en cette lumière, « les jours qui se sont écoulés depuis six ou sept
jours et les jours qui ont été il y a six mille ans sont aussi proches du jour
d'aujourd'hui que le jour qui fut hier?. »
Trinité (drivalticheit)
* En Dieu, la trinité des Personnes est l'expression de la richesse de l'Un
de la déité.
**# « J'ai prêché une fois en latin, et c'était le jour de la Trinité, je dis
alors : La différence provient de l'unité, le différence dans la Trinité.
L'unité est la différence, et la différence est l'unité. Plus la différence est
grande, plus grande est l'unité, car la différence est sans différence. Y
aurait-il à mille personnes, il n'y aurait pourtant rien d'autre qu'unité*. »
*## Cette formulation authentiquement dialectique, qui identifie l'un et le
multiple, est à la base de la révolution logique introduite par Eckhart
dans la gestion du discours. L'expression déborde en effet l'usage
théologique qui en est fait ici pour définir la relation une et duelle qui
unLD
régit les rapports entre Dieu et l'homme, mais aussi l'unité et la diversité
qui sont le mode d'existence du cosmos.
54
Uni-formité (einfürmicheit)
Il faut entendre ce terme, forgé par Maître Eckhart, dans son exacte
consonance étymologique : il qualifie une totale unité de forme (c'est-à-
dire d'essence ou de nature) entre deux êtres ou deux réalités. Ainsi de la
relation entre Dieu et l'homme : « Aucun homme ne saurait se rendre
réceptif à l'influx divin que par uni-formité avec Dieu [...]. Or l'uni-
formité vient de ce que l'homme se soumet à Dieu ; et autant l'homme se
soumet aux créatures, d'autant moins il est une seule forme avec Dieu. Or
le cœur limpide détaché se tient dépris de toutes créatures. C'est pourquoi
il est pleinement soumis à Dieu, et c'est pourquoi il se tient dans la
suprême uni-formité avec Dieu et est aussi le plus réceptif à l'influx
divin!.»
Vérité (wârheit)
* De concert avec les termes de justice, de droiture, de pureté, de
noblesse, la vérité qualifie l'état d'une réalité achevée de par sa cohérence
avec son origine.
** Elle trouve son fondement en Dieu, dont elle est, en son emploi
absolu, un véritable synonyme. Ainsi Eckhart, après avoir affirmé qu'il
ne se peut que Dieu ne se donne à qui « sort de ce qui est sien et se défait
de ce qui est sien », ajoute : « Dieu ne le ferait-il point, dans la vérité qui
est Dieu, Dieu ne serait pas juste ni ne serait Dieu, ce qui est son être
naturel?. »
*** Cette signification ultime doit être décelée sous les expressions
innombrables qui permettent à Maître Eckhart d'engager son autorité et
sa certitude intime à propos de telle ou telle affirmation : « Vraiment »,
« Pour vrai», « Pour de vrai». Ainsi, en un redoublement qui
accompagne une affirmation particulièrement hardie : « En bonne vérité
et aussi vrai que Dieu vit? !... »
Vêtement (kleit)
* À Ja fois ornement et voile qui dérobe la réalité, le vêtement demeure,
dans sa richesse intrinsèque, une image ambiguë chez Maître Eckhart. Il
39
peut, en toute positivité, viser un mode de présentation qui tamise l'éclat
de l'insoutenable, ainsi qu'il est dit à propos de l'eucharistie : « Quelque
chose de très saint, on ne le laisse pas volontiers toucher n1 voir nu. C'est
pourquoi il s'est revêtu du vêtement de la figure du pain!. »
** De façon négative, le vêtement peut aussi cacher la vérité de l'être en
désignant un mode d'existence inadéquat dont il faudra se dépouiller un
jour : « Priez notre aimable Seigneur que nous haïssions notre âme sous
son vêtement, en tant qu'elle est notre âme, afin que nous la gardions
pour la vie éternelle2. »
L'emploi le plus fréquent, le plus savoureux aussi, concerne Dieu lui-
même, que l'homme aspire à toucher dans ce que Eckhart appelle la
« nudité » de son être ; c'est sur ce désir qu'il assoit la prééminence de
l'intellect sur la volonté : « Amour prend Dieu sous un pelage, sous un
vêtement. Cela, l'intellect ne le fait pasi. » Et encore : « Volonté prend
Dieu sous le vêtement de la bonté. Intellect prend Dieu nu, tel qu'il est
dévêtu de bonté et d'être. Bonté est un vêtement sous lequel Dieu est
caché, et volonté prend Dieu sous le vêtement de la bonté. Bonté, ne
serait-elle pas en Dieu, ma volonté ne voudrait pas de lui. [...] Je ne suis
pas bienheureux de ce que Dieu est bon. [...] Je suis seulement
bienheureux de ce que Dieu est doué d'intellect et que je connais cela4. »
#*#k# C'est pourquoi « l'homme qui doit demeurer en lui » doit l'aborder
« dans son vestiaire », avant qu'il ne soit revêtu de quelque attribut ; ainsi
ne saisira-t-il pas Dieu « selon qu'il est bon ou juste » : «il doit le
prendre dans sa substance limpide, nue, là où il se saisit nûment soi-
même. Car bonté et justice sont un vêtement de Dieu, car il l'enveloppe.
C'est pourquoi, enlevez de Dieu tout ce qui l'enveloppe, et saisissez-le nu
dans son vestiaire, là où il est à découvert et nu en lui-même. Ainsi
demeurez-vous en lui. »
Virginité (juncvrôuwelicheit)
* Ce terme, chez Eckhart, se rapporte moins à un état physique qu'à une
qualité d'ordre spirituel ; il est pratiquement l'équivalent du mot
détachement. Dans le Sermon n° 2, tout entier consacré aux figures de
56
Marthe et de Marie, on peut lire : « Il faut de nécessité qu'ait été une
vierge l'être humain par qui Jésus fut reçu. » Et il ajoute : « Vierge veut
dire rien moins qu'un être humain qui est dépris de toutes images
étrangères, aussi dépris qu'il l'était alors qu'il n'était pas!. »
** À ce compte, la virginité, non seulement n'entraîne aucune stérilité,
mais libère au contraire la pleine fécondité de l'être : « Que l'être humain
soit vierge, voilà qui ne lui ôte rien de rien de toutes les œuvres qu'il a
jamais faites ; il se tient là virginal et libre sans aucune entrave en regard
de la vérité suprême, comme Jésus est dépris et libre, et en lui-même
virginal. De ce que disent les maîtres, que seules les choses égales sont
capables d'union, il suit qu'il faut que soit intact, vierge, l'être humain qui
doit accueillir Jésus virginal2. »
Croisant alors les symboles avec une belle audace, Eckhart affirme qu'en
sa vérité l'être humain doit être à la fois vierge et femme. Car « si l'être
humain était vierge pour toujours, aucun fruit ne proviendrait de lui.
Doit-il devenir fécond, il lui faut de nécessité être une femme. Femme
est le mot le plus noble que l'on peut attribuer à l'âme et est bien plus
noble que vierge ». Et il poursuit : « Que l'être humain reçoive Dieu en
lui, c'est bien, et dans cette réceptivité il est intact. Mais que Dieu
devienne fécond en lui, c'est mieux ; car la fécondité du don est la seule
gratitude pour le don, et l'esprit est une femme dans la gratitude qui
engendre en retour là où pour Dieu il engendre Jésus en retour dans le
cœur paternel?. »
*** Ajnsi l'être humain — femme ou homme — est-il appelé à dépasser
l'idée d'une virginité qui ne s'accompagnerait pas d'une fécondité
multipliée : car, ajoute Eckhart, « bien des dons de prix sont reçus dans
la virginité sans être engendrés en retour dans la fécondité de la femme
avec louange de gratitude en Dieu. Ces dons se gâtent et vont tous au
néant, en sorte que l'être humain n'en devient jamais plus heureux n1
meilleur [...]. C'est pourquoi j'ai dit : “Jésus monta à un petit château fort
et fut reçu par une vierge qui était une femme”. Voilà qui doit être de
nécessité, ainsi que je vous l'ai exposé. »
on
Volonté (wille)
* La volonté est l'une des deux « puissances supérieures » de l'âme
— volonté et intellect (voir ce mot), à quoi Eckhart adjoint parfois un
troisième terme, l'irascibilis ou puissance ascendante. Au même titre que
l'intellect, la volonté est dite « incorporelle ; elle flue hors de l'esprit et
demeure dans l'esprit et est en toute manière spirituelle!. » Mais alors
que dans l'intellect « Dieu toujours verdoie et fleurit dans toute la félicité
et dans toute la gloire qu'il est en lui-même? », dans la volonté « Dieu
sans relâche arde et brûle avec toute sa richesse avec toute sa douceur et
avec toutes ses délices. »
** Pour autant, la volonté ne relève pas d'une affectivité censée déborder
les capacités d'une intelligence (voir ce mot) que l'on dirait limitées ; la
mystique spéculative de Maître Eckhart l'induit à trancher nettement en
faveur d'un primat de l'intellect lorsqu'il doit prendre position dans les
querelles de l'heure qui portaient sur la hiérarchie à établir entre ces deux
puissances ou facultés — même si, de façon plus équilibrée que
beaucoup, il tient en définitive la nécessité de leur reconnaître une égale
portée.
Une analyse plus précise distingue deux niveaux au sein même de la
volonté. Contrairement à l'intelligence, dont l'œuvre est « simple »,
« volonté a deux opérations : désir et amour ». « Aussi longtemps on
désire des choses, on ne les possède pas, lorsqu'on les possède, alors on
les aime ; alors disparaît le désir ». Cette gradation vaut accomplissement
de la volonté dans son ordre propre — toujours sous l'égide de
l'intelligence, à qui il revient d'« annoncer » à la volonté « ce qu'elle [= la
volonté] aime. »
Cet exercice libre d'une volonté désirante a pour condition la
renonciation à toute volonté propre. C'est pourquoi Eckhart peut inscrire
le non-vouloir — de concert avec le non-savoir et le non-avoir — au
crédit de la pauvreté spirituelle dont il sut si bien exprimer les exigences.
*k* Une telle négation déborde l'interprétation qu'en font ceux qui font
devoir à l'homme de renoncer à toute volonté pour « accomplir la très
chère volonté de Dieu ». En réalité, « l'homme doit-il avoir la véritable
pauvreté, il doit se tenir aussi dépris de sa volonté créée qu'il le faisait
58
quand il n'était pas. Car je vous le dis de par la vérité éternelle : aussi
longtemps que vous avez volonté d'accomplir la volonté de Dieu et avez
le désir de l'éternité de Dieu, aussi longtemps vous n'êtes pas pauvres :
car celui-là est un homme pauvre qui ne veut rien et ne désire rien!. »
59
Bibliographie
Pour un panorama d'ensemble de la pensée à cette époque
+ DE LIBERA Alain, La philosophie médiévale, PUF, Paris, 1992.
+ DE LIBERA Alain, Penser au Moyen-Age, Le Seuil, Paris, 1991.
60
+ « Sept Sermons », traduits et commentés par Reiner SCHÜRMANN, in Maître
Eckhart ou la joie errante, Éd. Planète, Paris, 1972.
+ Sermon 77, traduction et présentation de Alain DE LIBERA, in Philosophes
médiévaux des XIIIe et XIVE siècles, 10/18, 1986, pp. 269-279.
61
Liste des termes
Abandon, abandonner. abandonner (992.2. 20000 7
ADIIMÉ ;srereniererepeanie
star tete ET ERIC ESece nelene en RCE CAES 7
AE à eee
A 7
AIMOU 2 ns rrcrnene rene nt ner to rente ee ee 8
ANCANTUIE AMC ADAR SN En E re e e 8
Comparison. ae ent =
CORRASSANCR A re eee 9
Contemplation, contemplation intellectuelle (la),
COMÉMPICT. Lee ee ee te D 10
COIDS, CODE ere ment 10
CHÉAÉNACIÉAUTE ICI AUOT) 10
DSTS Sn 11
Demeurer, demeurer à l'extérieur, demeurer-avec,
demeurer à l'intérieur, demeurer intérieurement 12
Dépouillé, dépouiliér, dépomlér (Sens 12
Déprs déprise, JÉDONER SR Re 15
DESERT ORNE Ce 13
DÉSOIT M en ne A IE 13
| |MAR PR UD ES SE A VI ea CU RE 13
Détachement GÉRAChONTSE RE 14
PUERTO
PU Ne PEDAT En 15
Dibiérence: ÉCOLE RRR ds 16
DÉCO MENL SARSRRRR
R RRR RA je
Droit Ier Coma AT Ro Re 17
Éval EC () ÉD ER ee 17
Enfantement, enfanter. Engendrement, engendrer... 18
MONTE Ro tete nn ee TS 19
HS DPI et re acte es Et I 20
Étincelle, petite étincelle nn 21
EME EMEOITE Se 21
62
RS en la Mure 25
LEE Re Re RE Re 24
Flux, fluer, fluer à l'extérieur, fluer (intérieurement)
CHCLOURTLLURTE LUXE 24
AT ÈS PRE EC ET RE RS PR 25
FOR OUEN nd de te 25
TRS ARR UE D Te RE 26
PNUD 26
PONS ne er TL CAR. 27
NOR
NT CE A OR EE RTE 28
ME SR 28
RE ET 30
RES LEONE NCA RE SR NE 31
Intel rt nte leo (loué di) men. 3\]
Intelligence. Voir connaissance, entendement, intellect … 33
IN TÉMENTALOLÉ LOÉRRR 34
LEA LELC Re 34
Jaillir, jaillir à l'intérieur, jaillir au dehors, jaillissement .. 35
DUSTE SOI EC el eine aus 36
AIS SCAN AISS RGO) 36
Re ES Tee DT uit 37
MP IUE MDI id diese 38
Pumicredumiere de lAMeR e 38
Maintenant (le), maintenant présent (le)... 39
DAMAIDUCIE RTS PAR Ce 40
NAS CE RE A Miles nantes Rae 40
NÉANPITIEN TORONTO nn see duree 41
NODICMMODIESS CRleds cnrs 43
JR LAC 0 1e OR RO SR ER 43
IN CE MARS ARR RE TT TS DNS ET TT 44
CUVE CDS AO, OPÉTAUMAÉ a cruise +4
RERAS rera ELA 45
ÉÉ L dathas donudeen es dis nee ee ten RE 46
63
Pércée (aire Sd Re 47
Présence, présent. Voir:maintenant.............. 48
PUISSANCE 2 sr ee ler ce Een 48
RESSEMDIANCE RAR Re 49
Rien = Vo fées RS ARR RER E 50
SU RE ne 50
SAVOIE sons RS SA ANR ES SRPRERR 50
SOIT rare est Au ee SA
RSLA4 RO RD 31
SOULITANCE SOULÉTIT. en M ne rente ee re 52
DNS OR TR en S 33
MD LEUR OT de 53
Un (6) RÉ must nas TR en LR LE ARE 54
URI OEmMNIS Ernie mnt Ne Re 55
VOTRE rem nianee n e RUE OA PP 55
N'étement Re NRERNRNNs. Rr 35
NAT Serre ssl eeudtesssaor conne ANSE 56
MOlONtÉ sautant anale etai tam t ent oui EU 58
LA
ar,
(4 Aubin Imprimeur Achevé d'imprimer en janvier 2001
k N° d'impression L 61246
À( LIGUGE, POITIERS Dépôt légal février 2001 / Imprimé en France
La collection « Le vocabulaire de … » présente les principaux termes dans lesquels s'exprime
chaque philosophe, selon un ‘ordre alphabétique, en partant du principe qu'un philosophe n'est
intelligible que dans sa langue, dans son vocabulaire propre ou dans le vocabulaire commun qu'il
s'approprie.
L'approche de chaque notion comporte trois niveaux qui sont signalés dans le texte par des
astérisques (*) : la définition de base, accessible à un étudiant débutant : l'approche scientifique,
s'adressant à l'étudiant confirmé, et ce jusqu'à l'Agrégation ; et enfin, une approche plus libre,
permettant une interprétation plus large, comme par exemple la résonance de la notion au sein
du système.
Chacun des volumes de la collection ‘ŸLe vocabulaire de. » devrait constituer une voie d'accès
privilégiée à la lecture et à l'intelligence d'un système philosophique.
Un Vocabulaire de Maître Eckhart requiert, comme pour tout autre penseur, que
soient précisées les nuances dont hérite tel terme d'être employé dans des
contextes discursifs différents dont il reçoit éclairage en retour. Par ailleurs, et
dans ce cas précis, il importe de tirer au clair les correspondances que notre
auteur a dû créer entre le latin dont il usait en Université, en tant que
professeur, et la nouvelle langue en train de naître, le « moyen-haut-allemand »
(mittelhochdeutsch}, dont il usait dans ses prédications et à laquelle il a
imprimé sa marque de façon décisive. C’est à son crédit, en effet, qu'il faut
mettre la création de nombreux termes qui, avec les inévitables glissements de
sens, sont encore présents dans l'allemand moderne.
a
ne W
HS
4e
pHILOSOPH P
AA11D gLITAS
LULU182729"804589 “oser
ISBN 2-7298-04 3 E