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NOTE D’INFORMATION
DES JOURNALISTES
Entre Terre et Mer,
deux communautés côtières
du département de l’Océan
sont sous pression
Les villages Nlende Dibè et Eboundja I sont des villages situés dans le département de
l’Océan, Région du Sud Cameroun. Leurs habitants dépendent principalement de la pêche
et de l’agriculture pour leur sécurité alimentaire et leurs revenus. Malheureusement, ces
communautés côtières expérimentent une pression croissante sur la terre et leurs ressources,
et font face à des menaces qui pèsent à la fois sur leur accès aux ressources halieutiques et
aux ressources terrestres.

MENACES LIÉES AUX INSTALLATIONS


01 PÉTROLIÈRES ET PORTUAIRES

La présence des plateformes pétrolières et du Port en eau profonde de Kribi contribue à rétrécir
les zones de pêches, obligeant les pêcheurs à aller plus loin en mer. Pour cela, il faudrait avoir
des moteurs hors-bords, or ces derniers ne sont pas à la portée de tous au regard de leur
coût élevé. Pour les pêcheurs qui en possèdent déjà, les coûts engendrés sont plus élevés par

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exemple à cause de l’augmentation de la quantité de carburant à utiliser pour aller plus loin
au large. La nécessité d’aller plus loin est encore plus accrue à cause de la pollution et des
mouvements des bateaux qui font fuir les poissons. Le rapport de Cadrage Environnemental
et Social du Complexe Portuaire de Kribi mentionnait déjà en 2010 un risque lié à la pollution.
En effet, les déversements accidentels (ou non) des bateaux et des activités portuaires,
potentiellement dus à des collisions/accidents entre navires, à des fuites accidentelles de
produits dangereux, tels que les produits hydrocarbures, chimiques, etc., se déverseraient
dans la mer et cela contribuerait à la diminution du stock et de biodiversité du poisson.
De plus, les communautés concernées estiment que le port en eau profonde occasionne le
changement de la marée à cause de la pose des digues et a contribué, dans la phase initiale
de ses travaux, à la destruction des mangroves où se reproduisent les poissons, occasionnant
ainsi la réduction de la disponibilité de la ressource halieutique.
Les petits pêcheurs rencontrés estiment de ce fait qu’ils subissent des impacts liés à ces
installations et que ceux-ci devraient être atténués par des compensations pour pouvoir
s’adapter à ces changements dans leur environnement. Malheureusement, le Code pétrolier
du 25 Avril 2019 ne prévoit rien à ce propos. Dans le même sens, les pêcheurs soulignent que
lors des consultations pour l’Etude d’Impact sur la mise en place du port, ils avaient formulé
quelques doléances. Cependant, les responsables du port ne les ont pas suffisamment pris
en compte. En outre, ils regrettent que les emplois dans ces plateformes profitent davantage
aux personnes venues d’ailleurs.
Au regard des impacts du port, le Plan d’Action de Réinstallation et d’Indemnisation (PAR)
du Comité de Pilotage du Port en eau profonde préconisait déjà en 2010 un programme
spécifique d’appui à la pêche artisanale. Celui-ci devait certes avoir un volet d’appui technique
et organisationnel, mais aussi un volet financier avec un volet subvention partielle et crédit
et micro finance pour l’achat de moteurs et de chambres froides. De plus, il devait agir sur
les autorités pour que les Lois maritimes au sujet de la pêche au large soient respectées
(MINEPAT, 2010). Malheureusement, les actions menées à l’instar des distributions de
fournitures scolaires ne sont pas suffisantes et efficaces.

MENACES DU CHANGEMENT
CLIMATIQUE SUR L’ACTIVITÉ
02 DE PÊCHE

D’un autre côté, tous les pêcheurs rencontrés perçoivent les changements climatiques et
ces derniers perturbent également l’activité de pêche. Ces changements se manifestent
par exemple par le raccourcissement ou le prolongement des saisons. Selon les pêcheurs,
il y a un glissement sur la disponibilité des différents types de poissons en fonction du
glissement des saisons. Ces changements sur les saisons ont un impact sur l’acquisition et la
rentabilisation du matériel de pêche, car comme ils expliquent : c’est en fonction des saisons
que les pêcheurs se procurent le matériel de pêche. Par exemple, si un pêcheur contracte un
crédit pour l’acquisition du matériel (filet de pêche spécifique à une saison) et que la saison
de pêche est bouleversée, il ne pourra pas utiliser ce filet pour le rentabiliser et il sera buté
pour le remboursement du prêt.

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FAIBLE CONSULTATION DES PÊCHEURS
03 DANS LA PRISE DE DÉCISION

Tous les pêcheurs rencontrés estiment qu’il n’existe pas véritablement une plateforme de
discussion où ils sont consultés pour les décisions qui concernent leur secteur d’activité.
Les rencontres avec les autorités se limitent à la sensibilisation sur le paiement des taxes et
redevances et sur l’interdiction de l’accès aux espaces réservés aux plateformes pétrolières.
Pourtant, les directives volontaires (SSF) de la FAO (2015) visant à assurer la durabilité
de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la
pauvreté encouragent les États à assurer une participation active, libre, efficace, utile et
en connaissance de cause des communautés d’artisans pêcheurs, y compris des peuples
autochtones, à l’ensemble du processus de décision concernant les ressources halieutiques
et les zones où la pêche artisanale est pratiquée, ainsi que les espaces terrestres adjacents,
tout en prenant en considération les déséquilibres du rapport de forces existant entre les
différentes parties considérées. Ces mêmes directives invitent à assurer la participation
équitable des femmes, en mettant au point des mesures spéciales pour atteindre cet objectif.
Au niveau local (dans les villages et arrondissements du département de l’Océan), il faudrait
tout de même relever que les pêcheurs font face à un problème de structuration, car il y a
très peu d’associations de pêcheurs constituées et fonctionnelles.
Face à cette faiblesse, il est difficile pour les artisans pêcheurs et les travailleurs du secteur de
la pêche de se faire entendre, de défendre leurs droits fondamentaux et leurs droits d’accès
aux ressources dont dépend leur subsistance.

MENACES SUR L’ACCÈS AUX


04 RESSOURCES FONCIÈRES

Les droits fonciers dans les zones côtières ou sur le front de mer sont essentiels pour garantir
et faciliter l’accès aux pêches, pour des activités accessoires (dont la transformation et la
commercialisation des produits de la pêche) et pour le logement et d’autres conditions
contribuant à la subsistance des populations tel que l’agriculture (FAO, 2015).
Les communautés de Nlende Dibè et Eboundja I font face à des difficultés d’accès aux ressources
foncières, car leurs villages sont dans l’emprise de la zone déclarée d’utilité publique (DUP)
pour le Port en eau profonde de Kribi et dont les villages seront dans la nouvelle ville qui sera
constituée autour du port. À noter que le Gouvernement a mis en place une DUP de 26.000
ha allant du Sud de Lolabé 3 aux chutes de la Lobé (CPSCPEPK, 2010). Malgré ses nombreuses
composantes, la surface au sol d’un tel projet, en dehors des voies d’accès, ne devrait pas
occuper autant de terres. Cette acquisition pourrait donc constituer une porte ouverte à la
spéculation et à l’utilisation des terres au détriment de la population locale.
Les communautés susmentionnées révèlent qu’elles n’ont pas reçu des indemnisations parce
que la grande majorité ne possédait pas de titres fonciers. Effectivement, au regard du contexte
camerounais, très peu de personnes possèdent des titres fonciers en zone rurale parce qu’il y
a une juxtaposition des systèmes fonciers formel et informel. Les membres des communautés

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locales ont plutôt tendance à recourir au régime coutumier et aux mécanismes communautaires
pour l’accès aux terres et la gestion des litiges fonciers. Les terres sont considérées comme
un héritage ancestral et constituent un bien communautaire sous la gestion d’un chef de
la communauté ou de son représentant. Ainsi, la terre « appartient » aux membres de la
communauté et à leurs affiliés vivant en dehors de la communauté. Ils y ont le droit d’usage
et de jouissance. Ils se considèrent, à cet effet, comme propriétaires coutumiers (Wily, 2011).
Il faudrait noter que les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes
fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité
alimentaire nationale (VGGT), adoptées par la FAO en 2012, reconnaissent généralement
comme légitimes à la fois les droits fonciers légaux et coutumiers, formels et informels. De
plus, ils encouragent les États à reconnaitre, documenter et respecter tous les droits fonciers
légitimes dans la législation nationale, les politiques et la pratique (FAO, 2016).
Faute de la reconnaissance de cette légitimité au Cameroun, les communautés côtières
concernées dans ce cas, comme d’autres communautés ayant subi des procédures
d’expropriation, ne sont pas indemnisées pour la perte des terres, mais uniquement pour
les mises en valeur. En outre, les communautés de Nlende Dibè et Eboundja I ne peuvent
bénéficier d’aucune relocalisation, car ce sont leurs villages qui abriteront la nouvelle ville.
Ces communautés côtières disent ne pas avoir la possibilité de mener leurs activités agricoles
de manière adéquate et ne peuvent non plus vendre leurs terres. Elles mentionnent que leurs
cultures sont souvent détruites sans compensation pour la récupération de la latérite par les
entreprises en charge des travaux du port. Lorsqu’elles se plaignent auprès des autorités,
celles-ci n’agissent pas en leur faveur, car ces communautés auraient été prévenues à l’avance
qu’en cas de dommage, elles ne recevraient aucune indemnisation.

RECOMMANDATIONS
Face à ce qui précède, les principales recommandations pour faire face à ces difficultés sont
les suivantes :
• Appuyer les pêcheurs affectés en matériel de pêche (Pirogue, Moteurs hors-bords,
etc.) afin de pouvoir accéder aux nouvelles zones de pêches ;
• Mettre en place de Dispositifs de Concentration de Poissons (DCP)1 pour compenser
les pertes de pêche dans les zones affectées par le port et les plateformes pétrolières ;
• Procéder à une compensation foncière pour l’agriculture en faveur des communautés
des villages devant abriter la nouvelle ville ;
• Appliquer quelques principes du contenu local en matière d’emploi pour les villages
impactés par l’exploration et l’exploitation pétrolière off-shore et on-shore;
• Instituer une redistribution des redevances pétrolières en faveur des communautés
côtières en guise de compensation des impacts qu’elles subissent ;
• Assurer le respect du Plan de Gestion Environnementale et Sociale (PGES) du port en
eau profonde.
Une recommandation plus globale consiste en la refonte du cadre normatif dans le secteur de la
pêche, tout en s’assurant de la cohérence avec d’autres secteurs. Ce cadre devrait entre autres :
• Promouvoir la participation des communautés de pêcheurs artisans aux processus
pertinents de prise de décision et de définition des politiques en matière de pêche, en
s’assurant de la participation effective et équitable des femmes ;

1 Cette mesure consiste en l’enrichissement de nutriments de certains endroits (correctement sélectionnés). Ces endroits forment de de nouvelles zones
de nutrition pour les poissons et autre faune marine.

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• Veiller à ce que les artisans pêcheurs et leurs communautés bénéficient de la sécurité
de droits fonciers équitables et appropriés sur les ressources halieutiques (marines
et continentales) et sur les zones de pêche artisanale et les terres adjacentes, une
attention particulière devant être portée aux droits fonciers des femmes.
D’autres recommandations visant d’autres secteurs peuvent aussi être formulées :
• Élaborer et utiliser une approche de l’aménagement du territoire qui tient dûment
compte des intérêts de la pêche artisanale et de son rôle dans la gestion intégrée des
zones côtières ;
• Assurer une cohérence entre les différentes politiques (développement économique,
sécurité alimentaire et nutritionnelle, protection de l’environnement et adaptation
au changement climatique, pêche) pour un développement global et intégré des
communautés côtières et d’autres communautés rurales.

BIBLIOGRAPHIE
• CPSCPEPK (2010), Cadrage environnemental et social du Complexe Portuaire de Kribi,
Etudes environnementales préalables ;
• FAO (2015), Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale
dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté ;
• FAO (2016), La gouvernance responsable des régimes fonciers et le droit, Un guide
à l’usage des juristes et autres fournisseurs de services juridiques, Guide technique
pour la gouvernance des régimes fonciers No 5 ;
• MINEPAT (2010), Plan d’Action de Réinstallation et d’indemnisation (PAR), Construction
du Port en Eau Profonde de Kribi, rapport définitif ;
• Wily L. (2011), A qui appartient cette terre ? Le statut de la propriété foncière
coutumière au Cameroun, CED, FERN, Rainforest Foundation UK.

SUGGESTIONS D’ANGLE DE REPORTAGE


• Adaptation sociale et économique des communautés côtières déplacées par le port
dans leur nouvel environnement
• Impact du changement climatique sur l’accès aux ressources naturelles par les
communautés rurales
• Contenu local dans le secteur pétrolier.

Co-financé par / Co-funded by

Sécuriser les droits fonciers au Cameroun

La présente note a été réalisée par le RELUFA dans le cadre du projet LandCam avec le soutien financier de l’Union
européenne. Son contenu relève de la seule responsabilité de ses auteurs et ne peut en aucun cas être perçu comme
reflétant le point de vue de l’Union européenne, de l’IIED ou du CED.

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Le projet
LandCam : sécuriser les droits liés aux terres et aux ressources et améliorer la gouvernance au Cameroun

Le projet LandCam vise à mettre sur pied des approches innovantes pour faciliter un dialogue inclusif
au niveau national, sur la base des enseignements tirés des expériences passées, afin d’améliorer la
gouvernance foncière.
LandCam promeut l’apprentissage, tout au long de la réforme en cours, de la législation foncière du
Cameroun, et contribuera à renforcer les capacités des acteurs aux niveaux local, régional et national.
LandCam travaille avec les principales parties prenantes à travers le Cameroun pour améliorer les droits
coutumiers et formels à la terre et aux ressources naturelles en pilotant les innovations en matière de
gouvernance foncière au niveau local et en contribuant à des réformes viables de la politique pertinente.
De nouveaux espaces sont créés pour un dialogue et une analyse plus éclairés, plus efficaces et plus
inclusifs, avec la participation des parties prenantes. LandCam surveillera les changements sur le terrain,
suit les réformes juridiques et partage les leçons tirées à l’échelle nationale et internationale.

Qui sommes-nous ?
L’IIED, le CED et le RELUFA sont les organisations chargées de la mise en œuvre du projet LandCam, en
collaboration avec un ensemble de partenaires au Cameroun et à l’international.

Institut International pour l’Environnement et le Développement (IIED)


L’IIED promeut le développement durable en reliant les priorités locales aux défis
mondiaux. L’institut soutient certaines des populations les plus vulnérables du monde
pour mieux faire entendre leur voix dans la prise de décision.

Centre pour l’Environnement et le Développement (CED)


Le CED est une organisation indépendante œuvrant pour la promotion de la justice
environnementale et la protection des droits, des intérêts, de la culture et des
aspirations des communautés locales et autochtones en Afrique centrale. Membre actif
de plusieurs réseaux, le CED a réussi, au fil des ans, à mobiliser des alliés pour influencer
positivement des cadres légaux, surveiller les activités d’exploitation des ressources
naturelles, renforcer durablement les capacités de dizaines de communautés locales, et
produire une importante documentation scientifique et de plaidoyer.

Réseau de Lutte contre la Faim (RELUFA)


Le RELUFA est une plateforme d’acteurs de la société civile et des communautés de base
créée en 2001, qui a pour objet de combattre les problèmes systémiques générateurs
de pauvreté, de faim, et les injustices sociales, économiques et environnementales
au Cameroun. Le travail du RELUFA repose sur trois programmes : l’équité dans les
industries extractives, la justice foncière et des ressources associées, et la justice
alimentaire et commerciale.

En collaboration avec :

Email: info@landcam.org Twitter: @landcam3 Facebook: @landcam3


Téléchargez plus de publications sur : www.landcam.org

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