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CULTURE

Parisiennes citoyennes : leurs luttes


oubliées sortent enfin de l'ombre
3 min • Kassiopée Toscas

PARISIENNES CITOYENNES !MUSÉE CARNAVALET23, rue de Sévigné, 75003 Paris.Du 28 septembre


2022 au 29 janvier 2023.

Le musée Carnavalet révèle au grand jour une histoire encore très


parcellaire : plus de deux siècles de combats, manifestations et
engagements pour les droits et l'émancipation des femmes françaises.
Les pièces du puzzle sont rassemblées pour la première fois, par le prisme
de la capitale.

PARISIENNES CITOYENNES !
Égalité salariale, féminisation de la langue, éducation des filles, droit des
femmes à disposer de leur corps… Les combats d'aujourd'hui étaient déjà
menés il y a bien longtemps. Dès le XVIIIe siècle. « Mais ils ont été passés sous
silence, car l'Histoire a principalement été écrite par les hommes, qui
considéraient ces événements comme mineurs », déplore Catherine Tambrun,
membre du commissariat scientifique du musée Carnavalet, spécialiste de
l'histoire de Paris et attachée de conservation au département Photographies
et Images numériques.
PARISIENNES CITOYENNES !MUSÉE CARNAVALET23, rue de Sévigné, 75003 Paris.Du 28 septembre
2022 au 29 janvier 2023.

LES COMBATS POUR L'ÉMANCIPATION


FÉMININE ÉTAIENT MENÉS DÈS LE XVIIIE
SIÈCLE
Après trois années de recherche dans les institutions les plus variées, mais
aussi dans des collections publiques, privées et associatives, les trois
commissaires de l'exposition - dont la professeure d'histoire contemporaine
spécialiste de l'histoire du féminisme Christine Bard - ont pu réunir les traces
éparpillées de ces luttes pour l'émancipation féminine, de la Révolution
française de 1789 à la loi sur la parité en politique de juin 2000. Certaines
n'avaient même pas encore vu le jour, à l'instar de photographies réalisées
pour l'exposition à partir de négatifs qui n'avaient jamais été tirés. « Beaucoup
de fonds n'avaient en fait jamais été traités, inventoriés et restaurés, et j'ai
l'impression que si certains ressortent aujourd'hui c'est grâce à l'arrivée de
femmes à la tête des institutions, continue l'historienne. Ce qui nous a
frappés, c'est la quantité astronomique de collectifs, mouvements, journaux,
et associations que ces femmes ont créés, et la quantité de luttes qu'elles ont
menées. Celles-ci ont hélas laissé bien peu de traces visuelles derrière elles,
surtout sur lespériodes anciennes, mais nous avons essayé d'en réunir le
maximum pour poser les premiers jalons d'une histoire matérielle et visuelle
de l'émancipation des femmes, que nous avons choisi d'ancrer dans le
territoire parisien, le musée Carnavalet étant entièrement consacré à l'histoire
de Paris. »
Savonnettes suffragistes

Titre
Si l'histoire des luttes pour les droits des femmes en France ne s'est pas
seulement jouée à Paris, ce parti pris rend ici possible l'exploit d'en faire une
synthèse chronothématique. « Car souvent, c'est à Paris que “ça” se passe,
note Catherine Tambrun. C'est un territoire national où siègent les principales
institutions politiques du pays,où la vie politique est intense et les disparités
socio-économiques profondes. Ainsi naissent des combats collectifs et avant-
gardistes que seule une capitale rend possibles. »
Boîte de nuit lesbienne « Le Monocle » photographiée par Brassaï à Paris en 1933.

S'ENCHAÎNER À UN LIEU SYMBOLIQUE,


BALANCER DES TRACTS EN AVION,
INTERVENIR DANS LES ÉGLISES OU LES
MAIRIES...
Titre
Une grande variété d'objets et d'œuvres sera exposée pour redonner leur juste
place à ces Parisiennes citoyennes ! : peintures, gravures, sculptures,
photographies, films, archives, manuscrits, pléthore de journaux et d'affiches
renvoyant à des marches, événements et activités militantes, et d'autres objets
militants ou insolites - comme de petites savonnettes suffragistes sur
lesquelles sont gravées des slogans (« la femme veut voter », « la femme paie
l'impôt »), ou encore le tronçon de chaîne avec laquelle la suffragiste Jane
Valbot s'est attachée au montant d'une tribune du Sénat, en 1932, pour
s'assurer que les sénateurs passent à la discussion sur le vote des femmes. Des
extraits sonores - car les luttes passent par les cris et les chants - feront vivre
ces combats aux visiteurs, et les dessins humoristiques de la dessinatrice Lisa
Mandel, ponctuant l'exposition, leur permettront « d'utiliser le rire comme une
conquête ».

Mains féministes d'Esther Ferrer.

Titre
« Il y aura des choses très connues - comme les photographies de Brassaï, Les
Causeuses de Camille Claudel ou encore le Manifeste des 343, la pétition de
1971 appelant à la légalisation de l'avortement en France -mêlées à des
combats de femmes très peu connus, voire anonymes. »

Hubertine Auclert, première suffragette française, se ré-approprie dès 1882 le terme de «


féminisme », jusqu'alors méprisé par les détracteurs de la cause, pour lui donner une valeur
positive et désigner la lutte pour améliorer la condition des femmes.

Aux côtés d'icônes féministes comme Gisèle Halimi et Simone Veil figureront
des citoyennes révolutionnaires, des pacifistes, des résistantes, des femmes
politiques, des syndicalistes, des intellectuelles et artistes engagées, des
travailleuses en grève, des collectifs de femmes immigrées… Ou encore
Hubertine Auclert, première suffragette française, qui lutta pour la
féminisation de la langue française, le droit à l'avortement, la réforme du Code
civil et des lois de protection pour les travailleuses, l'abandon des robes à
traîne… Parmi les premières féministes de France, elle fit aussi la grève de
l'impôt en 1880, déclarant alors : « Si je ne suis pas citoyenne, pourquoi je
payerais l'impôt ? »

EXPOSITION ICEBERG
Cette exposition met aussi l'accent sur les temps forts de l'émancipation des
femmes qui croisent toujours la « grande Histoire » : les Parisiennes en
révolution - de 1789 à la Commune - les suffragettes, puis le féminisme
d'entre-deux-guerres - avec le Paris des garçonnes ou encore les citoyennes
au temps du Front populaire - les résistantes, les scandaleuses de l'après-
guerre, les grandes contestations sociales de la seconde moitié du XXe siècle,
avec bien sûr Mai 68… Enfin sera évoqué « le temps des libérations » avec Le
Mouvement de libération des femmes (MLF) fondé en 1970, et une
effervescence qui a fédéré les luttes sociales : luttes pour les droits des
lesbiennes, des femmes de ménage, des femmes prostituées, des femmes
noires, des femmes immigrées… La grande diversité des combats - pour
l'instruction, la création artistique et culturelle, l'égalité des droits civils et
civiques, la liberté à disposer de son corps - se double d'une grande diversité
des modes de revendications. « Outre les collectifs et journaux, nous mettons
en avant des actions d'éclat : s'enchaîner à un lieu symbolique, balancer des
tracts en avion, convoquer la presse pour faire taire des personnalités
opposées aux droits des femmes, intervenir dans les églises ou les mairies au
moment des élections… C'est en fait une exposition iceberg, qui entend faire
deviner l'étendue de ces luttes, en en présentant une petite partie. »
Cette exposition rend enfin grâce à ce passé occulté, ici brillamment mis en
lumière, et à ses Parisiennes dont le combat reste encore et toujours
d'actualité, à Paris comme partout ailleurs dans le monde.

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