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Allégation : « Une chèvre a mangé le Coran ».

Sommaire :

Introduction.

I/ Analyse de l’authenticité du texte :

a) Chaines de Transmissions.
b) Ibn Ishaq.
c) Avis des savants sur le texte.

II/ Contenu du texte :

a) Il s’agit de versets abrogés.


b) La question des 5 allaitements.
c) De l’absurdité de l’allégation.

Conclusion.

Introduction :
Il existe une allégation récurrente émise par certains néophytes afin
de « prouver » la non préservation du texte coranique. Cette
allégation se fonde sur un récit de ‘Aicha (‫رض هللا عنها‬
‫ ) ي‬qui est le suivant :
« Le verset de la lapidation et de l’allaitement d’un adulte dix fois a été révélé, et il était écrit
sur une feuille qui était maintenue sous un lit dans ma maison.
َّ َ ُ ‫َ َّ ى ه‬
Quand le Messager d’Allah (‫اّٰلل َعل ْي ِه َو َسلم‬ ‫ )صَل‬tomba malade, nous étions préoccupés par sa
situation et un de nos petit animaux entra et la mangea. » (Source : Ahmad dans al-
Certains
Musnad (43/343) et Ibn Majah dans as-Sunan (n ° 1944)).
déduisent de ce récit que des parties du Coran ont été perdues et
que par conséquent le texte sacré n’est pas préservé.
I/ Analyse de l’authenticité du texte :

a) Chaines de transmissions :

Tout d’abord, il incombe de vérifier la viabilité de ce texte au niveau


de son authenticité, et donc selon les critères de la science du hadith.
Il s’avère que la chaine de transmission de ce récit est la suivante : de
Abdul al-‘Ala de Muhammad Ibn Ishaq de ‘Abdullah Ibn Abi Bakr Ibn
Hazm d’Amrah bint Abdelrahman de ‘Aisha (ra). Cette chaine de
transmission est retrouvée dans d’autres recueils comme celui d’al-
Bazzar, d’ad-Daraqutni (numéro 4376), Tabarani, Abu Ya’la. Le récit
de l’animal est également apporté par le biais de la même la chaine
de transmission à l’exception du fait que à la place de ‘Abdul al-A’la
dans la chaine, nous avons Ibrahim Ibn Sa’d, un autre élève de
Muhammad Ibn Ishaq (on a : Ibrahim Ibn Sa’d de Muhammad Ibn
Ishaq de ‘Abdullah Ibn Abi Bakr Ibn Hazm de ‘Amrah bint
Abdelrahman de ‘Aisha (‫رض هللا عنها‬‫)) ي‬. Cette chaine de transmission se
trouve dans le Musnad de l’Imam Ahmad (43/143). Dans ce texte, il y
est dit qu’un animal aurait mangé des feuillets dans lesquels se
trouvaient les versets de l’allaitement de l’adulte et de la lapidation.
Donc Ibn Ishaq tire cette information de Abdullah Ibn Abi Bakr de
‘Amrah de ‘Aicha (‫رض هللا عنها‬
‫) ي‬. Sauf qu’une autre personne relate le
même texte sans l’épisode de l’animal qui mange les feuillets et
cette personne n’est autre que l’Imam Malik Ibn Anas, le grand Imam
de Médine, le fondateur de l’école malikite. La version de Malik est
relatée dans son Muwatta au hadith numéro 17 ou 1293 ou 1786
selon les éditions, au Livre de l’Allaitement au Chapitre III. Mais elle
est aussi relatée dans le Sahih Muslim au numéro 1452. (Par le
truchement de l’élève de Malik, Yahya Ibn Yahya et plus de 10 de ses
élèves). Notons en plus de cela, qu’outre le fait qu’il y’a déjà un
problème avec la version de Ibn Ishaq qui diverge de celle de Malik
en ce point, cette version diverge en fait en deux autres points, le fait
qu’il est question du verset de la lapidation et le fait qu’il est question
d’allaitement de l’adulte (dans la version de Ibn Ishaq) alors que dans
la version de Malik il n’est pas question de cela. Rien que cela suffit
car l’Imam Malik est bien plus fiable dans le hadith que Ibn Ishaq,
d’autant que ce dernier est assez critiqué par les savants du hadith
comme nous le verrons. Et cela en plus du fait que les deux versions
rapportées de Muhammad Ibn Ishaq se contredisent (celles
rapportées par Abdul al-A’la et Ibrahim Ibn Sa’d), en effet l’une
explicite que le Prophète (‫اّٰلل َع َل ْي ِه َو َس َّلم‬ ‫ ) َص َّ ى‬était déjà mort tandis que
ُ ‫َل ه‬

l’autre évoque le fait qu’il soit malade. Ainsi rien que le récit de
Muhammad Ibn Ishaq, existe en deux versions qui ont des
informations qui divergent. Mais en plus de cela, il existe en fait
d’autres chaines de transmissions, très exactement 2. La première est
la suivante : « Yahya Ibn Sa ‘id al-Ansari de ‘Amrah bint
‘Abdelrahman de ‘Aicha (‫رض هللا عنها‬ ‫» ) ي‬. De Yahya Ibn Sa’id al-Ansari
plusieurs de ses élèves rapportent de lui, et encore une fois la même
histoire est rapportée sans l’épisode de l’animal qui mange les
feuillets. Voici la version de Yahya Ibn Sa’id al-Ansari : « Il a été
établit dans le Coran que 10 allaitements définis sont nécessaires
(pour établir la relation de mahram), ensuite il a été également
révélé que 5 allaitements définis sont nécessaires ». Cette version est
rapportée dans le Sahih Muslim au numéro 1452.
En effet, la version avec l’animal qui mange les versets est rapportée
uniquement par Muhammad Ibn Ishaq. Ibn Ishaq aurait aussi une
autre source où il rapporte de ‘Abd ar-Rahmaan Ibn Qasim sans passé
par ‘Amrah, sauf que Hammad Ibn Salamah aussi rapporte de ‘Abd
ar-Rahmaan Ibn Qasim (sans la partie avec l’animal) et il est plus
fiable que Ibn Ishaq.
La version de Ibn Ishaq est considérée comme da’if (faible) par les
érudits musulmans. Son statut est celui d’« étrange » car un
rapporteur de confiance diffère de rapporteurs plus précis et plus
nombreux. Et le statut supérieur de Yahya Ibn Sa ‘id al-Ansari est
prouvé. En effet, Sufyan ath-Thawri dit à son sujet : « Yahya Ibn Sa ‘id
était, aux yeux de la population de Médine, d’un niveau supérieur
dans le hadith à celui d’al-Zuhri »(grande autorité dans le hadith). ‘Ali
al-Madini le considérait comme l’un des narrateurs les plus
authentiques et dont la confiance était très grande en ce qui
concerne le hadith. L’Imam Ahmad Ibn Hanbal dira à son sujet : « Il
est l’un des plus précis dans la narration ». Wuhayb déclara en
substance que tous les rapports de l’Imam Malik Ibn Anas et de
Yahya Ibn Sa ‘id pouvaient être acceptés sans réserve. Cela se trouve
dans Tahdhib at-Tahdhib (11/223). Ajoutons aussi le fait que celui qui
rapporte le plus de ‘Amrah est Yahya Ibn Sa’id al-Ansari donc il a le
plus de légitimité à ce niveau-là.
Chose encore plus tranchante, il existe une autre chaine de
transmission qui ne passe pas par ‘Abdullah Ibn Abi Bakr mais par al-
Qasim Ibn Muhammad et cette chaine ne contient pas l’histoire du
mouton ce qui rend le récit de Muhammad Ibn Ishaq définitivement
faible. L’autre chaine de transmission est rapportée par At-Tahawi
dans son Sharh Mushkil al-Athar, (aussi chez Tabarani et Ibn Majah)
elle est la suivante : Muhammad Ibn Khuzaymah de al-Hajjaj Ibn
Minhal de Hammad Ibn Salamah de ‘Abd-ar-rahmaan Ibn Qasim de
Qasim Ibn Muhammad de ‘Amrah de ‘Aisha (‫رض هللا عنها‬ ‫) ي‬. Qasim Ibn
Muhammad est d’ailleurs un neveu de ‘Aïcha (ra) et il a vécu avec elle
donc il est mieux placé que Ibn Ishaq. Soit dit en passant, ‘Amrah qui
rapporte le récit vivait à Médine tout comme l’Imam Malik, Yahya Ibn
Sa’id et Qasim Ibn Muhammad. Le hadith a donc été propagé à
Médine sauf Hammad Ibn Salamah qui l’a propagé en Irak à Bassora.
En somme, il y’a donc la version de Ibn Ishaq qu’il est la seule à
raconter ce passage et à coté il y’a trois chaines de transmissions qui
rapportent la meme histoire sans ce fameux épisode de l’animal qui
mange la feuille. Il apparait donc clair que cette version est faible,
d’autant que ceux qui ne rapportent pas ce passage sont plus
nombreux mais en plus ils sont plus fiables que Ibn Ishaq comme
nous allons le voir maintenant.

b) Ibn Ishaq :

Ainsi par effet de contraste (avec les autres rapporteurs) ,


Muhammad Ibn Ishaq a été critiqué par les savants du fait de
plusieurs erreurs qu’il a commis dans le hadith. Par exemple. Hanbal
Ibn Ishaq dit à son sujet : « J’ai entendu Abu ‘Abdullah dire : La
narration de Ibn Ishaq ne peut être utilisée comme preuve ».
‘Abdullah Ibn Ahmad a dit : « Il (ici Ahmad Ibn Hanbal) n’a pas utiliser
ses narrations comme preuves pour discuter de la Sunnah ». Abu
Ayyub Ibn Ishaq a dit : « Abu ‘Abdullah, si Ibn Ishaq est le seul
narrateur du hadith, allez-vous l’accepter ? Il a dit : Non, par Allah,
car je l’ai vu rassembler les mots de nombreux narrateurs dans un
seul hadith et ne pas séparer le récit d’une personne de celui d’une
autre ». Yahya Ibn Ma ‘in l’a classé da’if (faible) dans une narration
rapportée de lui. An-Nasa ’i a dit : « Il n’est pas qawiy (fort) ». Ad-
Daraqutni a déclaré : « Les principaux érudits ont divergé à son sujet,
et il n’est pas une autorité, sa narration peut plutôt être prise en
compte (avec d’autres) ». Ces avis sont rapportés dans le Tahdhib at-
Tahdhib (9/45) d’un grand spécialiste du hadith tel que Ibn Hajar al
‘Asqalani. Ibn Ishaq est considéré comme « bon » qui est le statut en
dessous de fiable et il fait du tadliss, c’est-à-dire qu’il camoufle ses
sources, il dit rapporter de telle chaine alors qu’il rapporte d’une
autre chaine qui est faible. Aussi dans les critiques qui existent à son
encontre, beaucoup disent qu’il est un menteur. Hammad Ibn
Salamah dit qu’il n’aurait pas rapporté de lui si ce n’était pas
nécessaire et l’Imam Malik dit que c’est un imposteur et un menteur
parmi les menteurs. Hicham Ibn ‘Urwa , al-A’mach, Yahya Ibn Sa’id al
Qatan et d’autres ont dit qu’il était menteur. Par conséquent, Ibn
Ishaq n’est pas suffisamment fiable et ne l’est certainement pas plus
que Malik Ibn Anas ou que Yayha Ibn Sa’id al-Ansari.

c) Avis des savants sur le texte :

En définitive le récit est donc faible comme le disent d’ailleurs les


savants. Ibn Qoutaybah ad-Daynuri dit : « Les versions du hadith
racontées pas Malik sont différentes de celles de Muhammad Ibn
Ishaq, et Malik est plus précis, selon les érudits du hadith, que
Muhammad Ibn Ishaq ».
(Source : Ta’wil Mukhtalif al-Hadith, page 443). Les commentateurs
du Musnad Ahmad ont dit : « Son isnad (chaine de transmission) est
da’if (faible) parce que le seul qui l’a raconté est Muhammad Ibn
Ishaq, et son texte contient quelque chose d’étrange ». (Source :
Mu’sasat ar-Risalah (43/434). Al-Alusi déclare qu’il s’agit d’une
fabrication et d’un mensonge des athées (Source : Ruh al-Ma’ani
11/140). Ibn Hazm précise aussi que ce verset est abrogé et que par
conséquent même si le récit du mouton est véridique, absolument
rien n’y change car la feuille n’avait plus aucune utilité. Et dans le cas
où cela faisait partie du Coran, cela aurait été bien évidemment
mémorisé. (Source : al-Muhalla, 12/177). Al-Baqillani dit en
substance quelque chose de similaire en stipulant que le Coran ne
tenait pas à une feuille sous le lit de ‘Aisha mais qu’il était
parfaitement mémorisé. (Source : Al-Intisar li-Qur’an 1/412-418). Ce
texte est rejeté également par le Sheikh Sarakhsi (source : al-Mabsut
Tome V, page 124) et il dit que cette parole est nulle par consensus
mais également par al-Qurtubi (Al Jami’ li Ahkam Il Qur’an,
Introduction de la sourate 33). Mais aussi par le Sheikh al-Arnaout qui
dit dans son commentaire de Ibn Majah que ce n’est pas
authentique. Certains contemporains stipulent que le récit est hasan
mais ce n’est pas le cas au vu de ce qu’en disent les spécialistes. Les
savants spécialistes du hadith ont donc déjà tranché sur
l’inauthenticité de ce texte, il ne peut donc être utilisé comme
argument contre la préservation du Coran.

II/Contenu du texte :

Dans la première partie, nous avons démontré que ce texte n’est pas
valable selon la méthodologie historico-critique qu’est la science du
hadith, ainsi de facto les propositions axiomatiques de l’ennemi
néophyte sont fausses. Néanmoins, dans cette seconde partie nous
allons supposer que le récit de Ibn Ishaq est vrai afin de démontrer
que meme dans ce cas-là, l’Islam reste intouchable et qu’en outre ce
texte ne prouve pas la non préservation du Coran.

a) La question de l’abrogation :

D’un part il convient de dire que l’abrogation est un précepte


islamique et coranique Aussi, nous disons qu’il s’agit d’un verset
(celui concernant l’allaitement) abrogé de récitation (mansur ut-
tilawa), c’est la raison pour laquelle il ne figure pas dans le texte
coranique final. Précisons également que l’abrogation est un concept
coranique comme cela est vérifiable aux versets 6 et 7 de la sourate
87 et 106 de la sourate 2. De plus, une narration de Anas Ibn Malik
(‫رض هللا عنه‬ ‫ ) ي‬vient confirmer cela : « Nous l’avions récité en tant que
texte coranique jusqu’à ce que cela ait été élevé » (source : Sahih al-
Bukhari numéro 3862 et Sahih Muslim numéro 677). Notons que
‘Aicha (‫رض هللا عنها‬ ‫ ) ي‬dit elle-même que le verset des 10 allaitements de
l’adulte a été abrogé (source : Sunan Abu Dawud numéro 2062, Sahih
Muslim numéro 1452, et voir également al-Itqan à la page 773).
Concernant le verset de la lapidation, il est également prouvé qu’il
s’agit d’un verset abrogé (de récitation) au vu des paroles de Ubayy
Ibn Ka’b (‫رض هللا عنه‬ ‫ ) ي‬et de ‘Umar Ibn al-Khattab (‫رض هللا عنه‬
‫ ) ي‬sur la
question. (Source : Musnad Ahmed numéro 21 596 et 21 206).
D’ailleurs concernant le verset de la lapidation, c’est le Prophète ( ‫َص َّ ىَل‬
َّ َ ُ‫ه‬
‫اّٰلل َعل ْي ِه َو َسلم‬ ) en personne qui interdit ‘Umar (‫رض هللا عنه‬
‫ ) ي‬de l’écrire
(Source : Sunan al-Kubra Bayhaqi 8/211, Sunan al-Kubra Nasa’i
7148).

b) La question des 5 allaitements :

De surcroit, concernant les 5 allaitements, l’Imam Suyuti donne une


explication très intéressante. Quand ‘Aicha (ra) dit que cela faisait
toujours parti de ce qui pouvait être récité dans le Coran, cela signifie
que c’était bien abrogé autant dans la Loi que dans la récitation mais
que l’information de l’abrogation n’était pas encore connue de tous
les musulmans ce qui explique pourquoi certains récitaient encore ce
verset. Et cela n’est nullement étonnant vu la grandeur du territoire
musulman à ce moment-là et le nombre de musulmans. Et la preuve
que le récit est bien abrogé (de récitation) c’est que toujours dans
l’Itqan ‘ulum al-Qur’an de Suyuti aux alentours des pages 773, nous
est rapporté une parole du grand compagnon du Prophète ( ‫اّٰلل َع َل ْي ِه‬ ‫َص َّ ى‬
ُ ‫َل ه‬
َّ
‫) َو َسلم‬, Abu Mussa al-Ash’ari qui dit à ce propos : « Cela descendu puis
fut supprimé/abrogé », et al-Makki semble confirmer cela. C’est donc
de toute évidence, un texte qui fut abrogé mais certaines personnes
n’en ont pas encore eu connaissance d’où le propos de ‘Aicha (ra).

c) De l’absurdité de l’allégation :

Enfin dans l’ultime but de tourner en dérision cette pauvre


« attaque », nous allons examiner l’allégation en elle-même. Cette
dernière explicite que le Coran n’est pas préservé car une feuille
aurait été mangée par un animal. Mais qu’est ce qui prouve que
c’était l’unique document qui contenait ces versets ? Aussi n’est-il
pas purement superficiel de penser que le Coran ne tenait qu’à une
feuille sous un lit alors que nous savons que ce dernier était
mémorisé par des milliers de musulmans ? Il est ironique de
constater que les faux sachants se servent de nos sources afin de
critiquer le dogme islamique alors que dans ces mêmes sources, il y’a
tout le matériel pour mettre à bas leur pauvre « argumentation ».

Conclusion :

Ainsi, nous avons réfuté méthodiquement cette attaque. D’une part,


nous avons exposé l’inauthenticité de ce texte en montrant l’analyse
des différentes chaines de transmissions, puis nous avons veillé à
illustrer nos arguments par l’avis des savants musulmans ainsi que de
leurs critiques sur Muhammad Ibn Ishaq. Ensuite, dans un second
temps, nous avons montré que même en supposant que le récit est
vrai, il ne nous poserait aucun problème, car ce récit concerne des
versets abrogés. En outre, nous avons terminé par l’explication de
l’inanité de cette allégation, en disant notamment que le fait qu’une
feuille contenant des versets coraniques soit mangée ne prouve
nullement la non préservation du texte coranique.

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