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Voyages pittoresques et

romantiques dans l'ancienne


France / par MM. Ch. Nodier,
J. Taylor et Alph. de Cailleux

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Nodier, Charles (1780-1844). Auteur du texte. Voyages
pittoresques et romantiques dans l'ancienne France / par MM.
Ch. Nodier, J. Taylor et Alph. de Cailleux. 1820-1878.

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VOYAGES
PITTORESQUES ET ROMANTIQUES

DANS L'ANCIENNE ERANCE.

TOME TROISIÈME.
VOYAGES
PITTORESQUES ET ROMANTIQUES

DANS L'ANCIEN NE FRANCE

PAR LE B0N I. TAYLOR,


DEL'INSTITUT
MEMBRE

T R 0 1 S I È M E E T D E R NI E R Y VOLUME

A PARIS

DE L'IMPRIMERIE DE FIRM1N-DID0T ET C'h


IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE

LXXVIII
MDCCC
INTRODUCTION.

BORNÉE au nord et à l'ouest par la Manche, au sud-ouest


par la Bretagne, au sud par le Maine et le pays chartrain,
à l'est par l'Ile de France, au nord-est par la Picardie, la
province de NORMANDIE, qui possède quatre-vingts lieues de
côtes et renferme de vastes plateaux, a toujours été égale-
ment riche des produits de son sol et de l'industrie de ses
habitants. Aujourd'hui partagée en cinq départements : la
Seine-Inférieure, l'Eure, le Calvados, l'Orne et la Manche,
elle étoit autrefois divisée en haute et basse.
La haute NORMANDIE eomprenoit le Roumois (Rouen), le
pays de Caux (Caudebec), le pays de Bray (Neufchâtel), le
Vexin normand (Gisors), l'Évrecin (Evreux), divisé en plaine
de Neubourg et plaine de Saint-André ; le Lieuvin (Lisieux).
La basse NORMANDIE renfermoit : le pays d'Auge, la cam-
pagne de Caen ; le Bessin (Bayeux) ; le Cotentin (Coutances);
l'Avranchin (Avranehes); le Bocage (Vire); le pays d'Houlme
(Falaise); l'Hiémois (Exmes, Séez, Argentan), et la campagne
d'Alençon.
Gaule étoit
Avant la conquête romaine, cette partie de la
occupée par des tribus celtiques, appartenant pour la
plupart
la kimro-gaélique, et dépendant de la confédération
à race
armoricaine. Sur les confins de la Bretagne habitoient les
tard
Abrincates, dont la ville principale étoit Ingena, plus
Avranches ; dans la presqu'île du Cotentin, les Unelli, qui
avoient pour capitale Crociatonum,Carentan; au sud-ouest
les Es-
les Baïocasses, les Lexovii, les Aulerci-Eburovices,
peuples de Bayeux, de Lisieux, de Caen, d'Évreux, de
sues,
Vélocasses, habi-
Séez et d'Alençon. Au-delà de la Seine, les
du Vexin du Roumois, et les Calètes (les Cauchois),
tants et
de race kimrique pure, faisoient partie de la confédération
belge.
L'histoire particulière de ces peuplades est aussi peu connue
celle des autres tribus de la Gaule pendant la période
que
d'indépendance. On sait seulement que le pays des Baïocasses
fut longtemps un des principaux centres du druidisme, et
qu'on y voyoit, sur le mont Caunus, l'un des trois temples les
plus célèbres élevés par les Gaulois à leurs dieux. Des mo-
numents druidiques assez nombreux, mais bien moins re-
marquables que ceux de la Bretagne, sont, en NORMANDIE, les
seuls vestiges de l'ère celtique.
A l'époque de l'invasion romaine, César trouva dans cette
contrée une ligue connue sous le nom de ligue des Onze
cités, parmi lesquelles figuroit en première ligne Juliobona,
Lillebonne, capitale des Calètes, qui fournirent dix mille
hommes à l'armée que la Gaule Belgique essaya d'opposer aux
légions romaines. Ce fut Sabinus, lieutenant de César, qui
soumit, après une glorieuse résistance, les tribus dont nous
avons rappelé les noms. Sous Auguste, lorsque la Gaule fut
partagée en trois grandes provinces, le territoire de ces tribus
fit partie de la Lyonnoise, et plus tard, après la subdivision
de ces provinces, il forma la seconde Lyonnoise, dont Rouen
devint la métropole. En échange de la liberté, le pays avoit reçu
de ses conquérants une administration régulière, des lois uni-
formes, quelques monuments, parmi lesquels nous citerons
seulement l'amphithéâtre de Lillebonne, et de nombreuses
voies de communication. Plusieurs des villes de la province
obtinrent le droit de cités romaines.
Vers le milieu du IIIe siècle, saint Nicaise, à Rouen, saint
Exupère, à Bayeux, saint Taurin, à Évreux, jetèrent parmi les
peuples de la seconde Lyonnoise les premières semences de
la foi chrétienne, et bientôt des églises s'élevèrent dans les
villes de Rouen, de Séez et d'Argentan. Le plus ancien mo-
nument de l'histoire littéraire de NORMANDIE appartient à ses
annales religieuses. C'est un sermon par lequel saint Victrice,
évêque de Rouen vers la fin du IVe siècle, inaugura solen-
nellement l'église nouvelle qu'il avoit fait construire sous l'in-
vocation de saint Gervais dont elle possédoit les reliques. La
langue latine avoit déjà remplacé l'idiome gaulois, de même
plus d'un
que le droit romain avoit été substitué, depuis
siècle, aux coutumes locales.
Longtemps avant la conquête des Gaules par les Francs, la
seconde Lyonnoise recouvra son indépendance, se forma en
république et fut gouvernée par des magistrats élus. Soumise
à la domination des rois mérovingiens par Clovis, elle échut,
après la mort de ce prince, à Clotaire Ier, et fit partie du
royaume de Neustrie. Pendant deux cents ans, la Neustrie
est presque constamment le théâtre de ces luttes sanglantes
et de ces violences inouïes qui remplissent l'histoire de la
première race. Au commencement du VIIe siècle, le paganisme
avoit encore des racines dans ces contrées. Les habitants des
campagnes continuoient de fréquenter les vieux temples, et
invoquoient toujours les dieux de Rome. Saint Romain, chan-
celier de Clotaire II, devenu évêque de Rouen, fit détruire
dans son diocèse tous les monuments de la religion païenne;
cependant Audoenus (saint Ouen), son successeur, étoit encore
obligé de combattre les restes de l'idolâtrie. « Je vous con-
jure, s'écrie-t-il, de ne point pratiquer les coutumes des
«
« païens... N'observez
point les augures, les eternuements, le
« chant des oiseaux Que personne n'invoque le nom des
démons Neptune, Pluton, Diane, Minerve, ou les Génies ;
«
« qu'on n'aille pas aux
temples, aux pierres, aux arbres, aux
« fontaines, aux
carrefours, y allumer des cierges ou y ac-
complir des voeux. » Saint Ouen paraît avoir extirpé en
«
effet les derniers vestiges des superstitions païennes, et son
épiscopat (640-683) marque une période de progrès dans
l'histoire de NORMANDIE. Ce fut alors qu'on vit s'élever à Rouen
l'abbaye qui porte le nom de ce saint prélat, et de toutes
parts d'autres monastères non moins célébrés, notamment
ceux de Saint-Évroult, de Saint-Taurin d'Evreux, de Fonte-
nelle ou Saint-Wandrille, et de Jumiéges, centres d'études
fécondes qui répandirent avec les lumières de la foi le goût
des sciences et des lettres. Ces religieux des premiers âges ac-
quéroient en même temps d'autres titres à la reconnoissance
publique en défrichant les forêts et en améliorant la culture
des terres; les pieux asiles qu'ils habitoient pouvoient être
considérés comme de véritables colonies agricoles. On attribue
à saint Ansbert, successeur de saint Ouen, l'introduction de
la vigne en Neustrie. Vers la fin de la première race, ce
nom de Neustrie, qui avoit désigné d'abord toute la France
occidentale jusqu'à la Loire, commença à être restreint, dans
l'usage, à la province ecclésiastique de Rouen.
La prospérité naissante de ce beau pays disparut presque
entièrement sous les derniers rois mérovingiens. Au moment
où cette race affaiblie tomba du trône, la simonie, à la fa-
veur de la confusion qui régnoit dans l'Etat, se pratiquoit
impunément dans la Neustrie ; les derniers fils de Clovis
avoient donné les siéges épiscopaux et abbatiaux à des
prêtres indignes; Charles Martel les livra à des hommes de
guerre, qui troublèrent le calme des cloîtres et interrompi-
rent les progrès de la civilisation chrétienne. Charlemagne,
dont le génie sut affranchir le royaume de France de toutes
les tyrannies individuelles, et protéger partout l'ordre et la
morale, rendit à la célèbre école de l'abbaye de Fontenelle
l'éclat que saint Ouen lui avoit donné. Mais Charlemagne
passa ; la loi blesse de ses successeurs ramena le désordre des
moeurs privées et les dissensions publiques, et cet état de
choses dura jusqu'au moment où les ravages des Normands
vinrent mettre le comble à la misère des populations.
Avant de pénétrer plus loin dans l'austère domaine de
l'histoire, nous ne devons pas négliger les merveilleux récits
qui figurent en tête des vieilles chroniques de la NORMANDIE.
Selon ces chroniques, il existoit, au temps de Pépin le Bref,
vers l'an 750, un seigneur nommé Aubert, qui gouvernoit,
avec le titre de due, toute la province de Neustrie. Il étoit
père de ce Robert, qui fut surnommé le Diable « pour ses
grandes cruautez et les mauvaisetiez dont il fut plain.» D'après
l'écrivain qui raconte la fabuleuse vie de Robert, ce prince
mourut dans un pèlerinage qu'il avoit entrepris pour l'expia-
tion de ses fautes. Richard, son frère, lui succéda. S'il falloit
en croire le même chroniqueur, Richard auroit secondé Char-
lemagne dans sa guerre contre le due d'Aquitaine, et remporté
d'éclatantes victoires sur les barbares qui menaçoient Cons-
tantinople. Erne, fils d'un duc d'Orléans nommé Samson, et
neveu de Richard, hérita du duché de NORMANDIE, et plus tard
ambitionna la couronne de France ; mais il fut tué par le mar-
quis de Narbonne, à qui l'on donne le titre de connétable. La
NORMANDIEfut alors réunie par Louis le Débonnaire au domaine
de la couronne. Ici finit la légende.
L'histoire authentique du duché de NORMANDIEne commence
qu'à Boll ou Rollon (Hrolf), le célèbre chef des pirates scan-
dinaves, ces conquérants intrépides qui, échappés des forêts
de la Norvège, ont fait trembler pendant des siècles
tout l'Oc-
cident de l'Europe. Sectateurs d'Odin,
ces hommes du Nord
(Northmans) faisoient de la
guerre leur unique occupation,
et mettoient au rang des vertus de leurs héros
une impi-
toyable cruauté. Les fils de leurs innombrables princes s'inti-
'n'oient Ilots de la mer, et, pour mieux mériter
cette fière
appellation, «ils ne dormoient jamais sous le toit enfumé; ils
ne vidoient jamais la corne auprès du foyer». Livrés à la
merci des vents et des tempêtes, ces hommes, qui sembloient
nés pour le pillage et le danger, parcouraient les
mers en
dévastant les cotes ou les jetoit le hasard, et
ne rentroient
dans leur patrie, couverts de sang et chargés de dépouilles,
que pour se préparer a des expéditions nouvelles.
Au IXe siècle, Harald, l'un des petits princes qui
se parta-
geoient la Norvège, entreprit de soumettre toute la contrée,
et, après une lutte de dix années, il resta seul maître de la
Norvége entière. Son triomphe provoqua une nombreuse émi-
gration des habitants de ce pays; il voulut alors repeupler
son royaume a demi désert, et proscrivit le pillage dans ses
États. Cependant, Hroll Roll, Rollonj,
guerrier célèbre par
ses courses dans la Baltique, fils du Jarl de Moere, et, jusque-
là, ami dévoué de Harald, enleva du bétail sur la côte de
Wiken. Un tribunal convoqué par le souverain condamna
Hrolf a l'exil, et cette sentence devint l'origine du plus grand
événement de l'histoire de NORMANDIE.
Dès l'année 841, les hommes du Nord, remontant
pour la
première fois le cours de la Seine, sous la conduite d'Otger
(Ogier-le-Danois des romans du moyen âge), avoient brûlé es
de Saint-Wandrille et de Jumiéges et pillé Rouen ;
abbayes
plus tard d'autres bandes avoient occupe un
quatre
moment
ans
s'etoient retirées. Mais, après ces
cette ville, puis
rapides, vint la grande invasion de 895. Moins sem-
courses
fois à association de guerriers vagabonds
blable cette une
d'emigrants, cette expédition recon-
qu'à une grande colonie
chef étoit
noissoit la suprématie d'un chef unique, et ce
banni, qui, expulsé de la Norvége, avoit réuni une
Roll, le
s'etoit avance, en remontant la Seine,
flotte nombreuse, et
envahisseurs, l'arche-
jusqu'à Jumiéges. * A l'approche des
Wittes, voyant les murs de sa ville détruits
de Rouen,
« vêque dehors, alla Roll
n'attendant aucun secours du trouver
« et rendre la cité à condition
lui offrit de lui
« à son camp, et les siens acceptèrent,
épargnât les habitants. Roll et
« qu'il
prirent paisiblement possession de Rouen (1),» Ils occu-
« et la plus grande partie
pèrent également Évreux, Bayeux et
province, qui, dès lors, devint le centre de leurs
de la
Normands ne ces-
entreprises. Durant plusieurs années, les
s'élancer de leur nouvelle patrie sur le reste de
sèrent de
Coalisés avec d'autres bandes qui avoient paru
la France.
fond de la Bourgogne,
dans la Loire, ils pénétrèrent jusqu'au
du Berry. Les païens, dit un chroniqueur
de l'Auvergne et «
contemporain, se jettent, comme des loups nocturnes, sur
„ Christ ; les églises sont incendiées, les
bergeries du
" les égorgé, c'est un deuil
traînées captives, le peuple
s femmes
(,) Dudo,in Rollone.
« universel, et de lamentables clameurs
s'élèvent de toutes
« parts vers le roi Charles, qui laisse
périr le peuple chré-
« tien par son inertie (I). » Malgré deux
échecs subis par
Rollon devant Paris et devant Chartres, telle étoit la terreur
qu'inspiroient ces hommes du Nord, que Charles-le-Simple
se décida à traiter avec eux. La paix fut conclue à Saint-
Clair-sur-Epte en 911. A condition de recevoir le baptême et
de devenir vassal du roi de France, Rollon fut mis en posses-
sion régulière de toute la contrée située entre l'Océan, les
rivières d'Epte, d'Eure et d'Aure, les frontières du Maine et
de la Bretagne, c'est-à-dire de toute la Neustrie, qui fut de-
puis lors appelée Northmannie ou Normandie. On raconte
que, pendant la cérémonie où Rollon jura foi et hommage à
Charles-le-Simple, les évêques voulurent exiger de lui qu'il
s'agenouillât, suivant l'usage, devant le roi et lui baisât le
pied : " Non, de par Dieu, » dit-il ; et comme on insistoit, il
se baisse, saisit le pied de Charles, puis, le relevant vive-
ment comme s'il eût voulu le porter à sa bouche, jette le
roi à la renverse, aux grands éclats de rire de ses compa-
gnons. D'autres prétendent que Rollon ordonna à l'un de ses
gens de baiser pour lui le pied de Charles-le-Simple, et que
ce fut ce, soldat normand qui renversa le roi.
Bientôt après son investiture, Rollon reçut le baptême des
mains de l'archevêque de Rouen. Robert, duc de France,
lui servit de parrain et lui donna son nom; aussi, depuis
cette époque, le chef des Normands n'est-il plus appelé dans
(I) Guillaume de Jumièges.
l'histoire que Robert, duc de NORMANDIE. « Le nouveau duc,
« dit le chroniqueur Guillaume de
Jumièges, divisa sa terre
« au cordeau entre ses fidèles, la
repeupla de ses soldats,
« et garantit sûreté à toutes gens
qui voudraient s'y éta-
blir ; ... il releva les églises ruinées, répara les fortifica-
«
« tions des villes, subjugua les Bretons et sustenta toute sa
« seigneurie avec les denrées enlevées
de la Bretagne. Il assi-
gna au peuple des droits et des lois perpétuelles sanction-
«
chefs, et contraignit chacun de les
« nées par la volonté des
loi suivant laquelle tout homme
« observer. Il avoit établi une
« qui prêtoit assistance à un
voleur étoit pendu comme le
« voleur lui-même... Un
jour qu'après la chasse il prenoit son
" repas près d'une mare,
dans une forêt voisine de Rouen,
bracelets d'or aux branches d'un chêne;
« il suspendit ses
« les bracelets
demeurèrent là, trois années durant, sans que
toucher. Ce bois en a conservé le nom de
« personne osât y
Roumare,la mare de Roll (i).» Sous l'administration sage et
«
ferme de Rollon (912-931), la NORMANDIE devint la province
la plus riche et la plus florissante de la France, et, long-
temps après la mort de ce chef de pirates, son nom resta
célèbre comme celui du plus grand justicier de son siècle.
Guillaume Longue-Épée,son fils et son successeur ( 931-
943 ), vainquit près de Rouen, au Pré-de-la-Bataille, une
armée de vassaux rebelles commandée par Riulf, comte de
Cotentin, contribua à placer sur le trône de France Louis
d'Outre-Mer, et périt assassiné dans une conférence où l'avoit

(1) Guillaume de Jumièges, t. II, c. 18-20.


attiré par trahison Arnould, comte de Flandre. Richard Ier,
surnommé sans Peur, qoi succéda, en 943, à son père Guil-
laume, s'allia aux Danois pour guerroyer contre Louis d'Outre-
Mer et Lothaire, aida puissamment à faire élire roi de France
son beau-frère Hugues Capet, fonda l'abbaye de Fécamp, en-
couragea les lettres, et mourut après un long et glorieux règne
en l'année 996. La tradition populaire a entouré Richard sans
Peur d'une renommée merveilleuse, et en a fait le héros d'un
roman, dont nous avons déjà parlé dans notre description de
la haute NORMANDIE,et que nous retrouverons en rappelant les
souvenirs qu'il a laissés dans la partie de la province que nous
allons parcourir. Richard II, dit le Bon, son fils, se signala
par sa piété et sa munificence envers les églises; mais un des
actes de son règne semble donner un démenti au surnom
qui lui fut donné par ses contemporains. Une conspiration
formée contre son pouvoir ayant échoué, il chargea son oncle
Raoul, comte d'Ivry, de punir les conjurés : les principaux
périrent dans les supplices; quelques-uns furent plongés dans
du plomb fondu, d'autres brûlés à petit feu. Richard eut à
soutenir des guerres presque toujours suscitées par des que-
relles domestiques, et mourut après un règne agité, en 1026,
laissant le duché de NORMANDIE à Richard III, son fils aîné, et
le comté d'Hiesme à son second fils Robert. Richard étant
mort empoisonné, en 1027, après un règne d'une année, Ro-
bert devint possesseur de tout le duché. Appelé dans l'his-
toire Robert le Magnifique et dans la légende Robert le
Diable, le nouveau duc paroît avoir mérité ce double titre
vie. C'étoit un
par sa générosité et par les désordres de sa
vaillant homme de guerre, et dès le commencement de son
règne il réprima des révoltés populaires, et soumit les comtes
d'Évreux et d'Alençon. Il vint en aide à Henri, fils du roi Ro-
bert, que sa mère Constance repoussoit du trône; ce service
lui valut la donation de Gisors, de Chaumont, de Pontoise, et
il se trouva alors assez puissant pour tenter une expédition
Angleterre dans le but de rétablir sur le trône le fils du
en
roi saxon Ethelred II, qui, chassé par les Danois, étoit venu
chercher un asile et mourir en NORMANDIE. Robert équipa,
le rejeta sur
en 1033, une flotte à Fécamp, mais une tempête
les côtes de l'Armorique, et, au lieu de poursuivre le but de
obligea Alain,
son expédition, il la tourna contre ce pays, et
duc de Bretagne, à se déclarer son vassal. La même an-
née, malgré l'opposition de ses barons, il fit reconnoître son
fils naturel Guillaume, qu'il avoit eu de sa concubine Har-
lette, fille d'un pelletier de Falaise, puis il partit pour ac-
complir un pèlerinage à Jérusalem, et mourut au retour, à
Nicée, en 1035, empoisonné par des serviteurs qui vouloient
s'emparer de ses richesses.
L'autorité féodale avoit achevé de se constituer en NOR-
MANDIE sous les règnes
de Richard II et de Robert le Magni-
fique. Ce fut principalement pendant cette période que s'or-
ganisèrent les grands fiefs de la province, les comtés d'Évreux,
d'Eu, de Brionne, d'Aumale, de Bayeux, de Breteuil, d'Har-
court, d'Hiesme, de Mortain, de Bellesme, de Montgommery,
les seigneuries de Gournay, de Tancarville, etc.
A la même époque, vers le commencement du XIesiècle,
s'étoit accomplie une des plus merveilleuses expéditions de
ce temps chevaleresque. En l'année 1002, quarante pèlerins
normands, revenant de la terre sainte, s'arrêtent sur les
côtes de Naples, abordent à Salerne, et délivrent cette
ville assiégée par les Sarrasins. Ils retournent ensuite dans
leur pays emportant des oranges et autres fruits d'Italie, des
étoffes précieuses, des harnais dorés, et inspirent à leurs com-
patriotes le désir de connoître cette fertile et riche contrée.
L'amour des expéditions aventureuses se ranime chez ces
descendants des « rois de la mer. » Vers 1016, quelques guer-
riers partent et se mettent à la solde des partis qui divisoient
l'Italie méridionale. Ils passent successivement des Grecs aux
Lombards, se signalant en toute occasion par leur bravoure,
et obtiennent enfin du due de Naples la ville d'Aversa, où
ils fondent leur première colonie (1025). Presque chaque
année d'autres exilés volontaires venoient les rejoindre, et
bientôt les Normands affluèrent en Italie et en Sicile. La puis-
sance de ces aventuriers s'accrut surtout lorsqu'ils eurent à
leur tête les douze fils de Tancrède de Hauteville, dont les
plus renommés furent Guillaume, Drogo ou Dreux, Homfroi,
Roger, et Robert Guiscard. Alliés aux Grecs, ils délivrent
d'abord du joug des Sarrasins la Sicile entière; mais ils ex-
pulsent ensuite les Grecs de l'Italie, et s'emparent, malgré
le pape et l'empereur, de la Pouille, de la Galabre et de la
Sicile. Guillaume, fils de Tancrède, est élu comte de la Pouille,
et les Normands se partagent les terres de cette province.
A la mort de Guillaume, son frère, Robert Guiscard, occupe
la Pouille au détriment de son neveu, et la réunit, sous sa
domination, à la Calabre ; il va ensuite chercher en Orient,
avec son frère Roger, de nouveaux périls, et à son retour,
il reçoit du pape Grégoire VII l'investiture de ses conquêtes ;
la dynastie normande est alors établie dans le royaume des
Deux-Siciles, où elle régnera jusqu'à la fin du XIIe siècle.
Peu d' années après cette poétique expédition, si audacieu-
sement tentée, et si heureusement accomplie, le nom normand
devoit acquérir une gloire bien plus éclatante et plus du-
rable. Le plus grand événement de l'histoire de NORMANDIE
devoit se passer sous le règne mémorable du fils illégitime
de Robert le Diable.
Robert avoit confié au roi de France Henri Ier la tutelle de
Guillaume, et avoit chargé Alain III, duc de Bretagne, d'ad-
ministrer la NORMANDIE pendant la minorité du jeune duc.
Mais la mort de Robert le Diable étoit à peine connue que
les seigneurs normands déclarèrent Guillaume inhabile à ré-
gner à cause de sa jeunesse et de sa naissance. Les serviteurs
du prince enfant furent égorgés sous ses yeux. Roger de
Toeni, comte de Conches, porte-étendard de NORMANDIE, des-
cendu d'un oncle de Rollon, se mit à la tête des rebelles ;
sa défaite et sa mort n'arrêtèrent pas les conspirations, qui
se succédèrent pendant quinze ans contre l'autorité du jeune
duc. La plus redoutable de ces révoltes fut celle de Gui de
Bourgogne, comte de Brionne, qui, par sa mère, fille de Ri-
chard II, prétendoit à la couronne ducale de NORMANDIE, et
avoit rallié à sa cause de nombreux adhérents. Guillaume,
âgé alors d'environ vingt ans, étoit hors d'état de résister seul
à cette puissante ligue ; il alla trouver à Poissy le roi de
France, Henri Ier, et requit de lui l'assistance due par le sou-
verain à son vassal en péril. Les troupes du roi, s'étant jointes
aux Normands restés fidèles à leur prince, rencontrèrent au
Val-des-Dunes, près de Caen, l'armée de Gui de Bourgogne
et la taillèrent en pièces (1047). Guillaume le Bâtard repoussa
l'année suivante une invasion de Geoffroy Martel, comte
d'Anjou, et augmenta bientôt après sa puissance par une al-
liance avec Baudouin V, comte de Flandre, dont il épousa
la fille, Mathilde (1053). Mais la guerre ne tarda pas à se
rallumer en NORMANDIE. Le comte d'Arques, oncle du duc,
voulut lui disputer le duché et entraîna dans son parti le roi
de France lui-même, qui se plaignoit de l'ingratitude de
Guillaume. La défaite de l'avant-garde de l'armée royale de-
vant Arques ne fit qu'exciter le ressentiment de Henri Ier.
Ligué avec les ducs d'Aquitaine et de Bourgogne, les comtes
de Champagne et d'Anjou, le roi fit entrer deux armées en
NORMANDIE, l'une par le comté d'Évreux, l'autre par le pays de
Caux : la première fut battue par le comte d'Eu à Mortemer,
près d'Écouis, et Guillaume, après avoir vaincu l'armée du
roi au passage de la Dive, près de Varaville, força son suze-
rain à demander la paix (1059). Dès lors, la NORMANDIE, unie
sous une main vigoureuse, fut en paix avec ses voisins, mais
désolée à l'intérieur par des violences et des meurtres aux-
quels Guillaume ne resta pas toujours étranger. Son autorité
grandissoit chaque jour et tous les moyens lui étoient bons,
soit pour la rendre absolue, soit pour reculer les bornes de
ses États. L'histoire l'accuse de s'être assuré la possession
du Maine en faisant empoisonner son compétiteur Gaul-
tier, comte de Mantes, et il alloit envahir la Bretagne, lors-
qu'une entreprise plus digne de son ambition s'offrit à lui. Il
résolut de conquérir l'Angleterre. Ses prétentions se fon-
doient sur une promesse d'Édouard le Confesseur échap-
pée à la reconnoissance de ce roi pendant l'adversité, et sur
une renonciation arrachée par ruse à Harold, qui venoit de
succéder à Edouard ; mais le meilleur droit de Guillaume ce
fut son épée.
D'immenses difficultés sembloient devoir s'opposer à l'exé-
cution de ce hardi et vaste dessein; l'habileté du duc de Nor-
mandie, servie par la fortune, triompha de tous les obstacles.
A force de promesses et de flatteries il parvint à vaincre la
résistance de ses principaux vassaux, et une assemblée gé-
nérale des hommes de guerre, des prélats et de la bour-
geoisie lui accorda de l'argent, des vaisseaux et des soldats;
il obtint ensuite du pape Alexandre II la reconnoissance de
la légitimité de ses droits au trône d'Angleterre, et l'expédi-
tion, mise sous la protection de saint Pierre, réunissoit, au
mois d'août 1066, cinquante mille cavaliers et dix mille
hommes de pied. Ce fut un magnifique spectacle que celui
de la flotte normande à l'ancre dans le port de Saint-Valery-
sur-Somme. Là, neuf cent sept voiles attendoient un vent
favorable. Le calme duroit déjà depuis un mois. Les soixante
mille hommes que la flotte devoit transporter en Angleterre
commençoient à murmurer contre Guillaume. « Mais il y
« avoit là, disent les chroniques de NORMANDIE, un
saint homme,
« lequel voyant comme le duc se
complaignoit du vent con-
Valéry
« traire, lui dit : « Sire, requérez monseigneur saint
« de bon coeur, et il vous
subviendra au besoin. » A ce conseil,
« le duc fit apporter le corps de saint Valery
hors l'abbaye
« et l'exposa en la vue de toute son armée sur un drap
d'or,
« et commanda qu'un chacun avec lui fist prière et
offrande
« audit corps saint. Et tantost le corps fut couvert
d'argent,
« tant y eut
d'oblations faites par les princes et seigneurs qui
« là estoient. La nuit
prochaine le vent se tourna, et eurent
« temps à
souhait. » Le 28 septembre 1066 la bataille de
Hastings, où périssent le roi Harold et ses frères, ouvre les
portes de Londres à Guillaume, qui fait son entrée dans cette
ville le 22 octobre suivant. Les Saxons cependant étoient
vaincus, mais non pas soumis. Le conquérant eut à repousser
à la fois le roi d'Écosse et les Danois, en même temps qu'il
avoit à étouffer les révoltes du peuple conquis. Il réprima
soit par la force, soit par la ruse, toutes les résistances;
mais, tranquille du côté de ses ennemis, il vit bientôt son
repos troublé par son fils Robert Courte-Heuse, qui récla-
moit de lui sa promesse de lui donner l'investiture de la NOR-
MANDIE. « Je ne suis pas assez
fou, disoit Guillaume, pour
me déshabiller avant l'heure de me mettre au lit. » Robert,
excité, dit-on, par le roi de France, se révolta, fut battu et se
réfugia dans la forteresse de Gerberoy. On raconte que, dans
une sortie, Robert combattit contre son père et le blessa
sans le connoître. Effrayé d'avoir failli devenir parricide, il
réclama son pardon, et, n'ayant pu l'obtenir, il quitta la NOR-
MANDIE. On connoît la triste fin de Guillaume le Conquérant.
Irrité d'une plaisanterie du roi de France, il se vengea en
envahissant le territoire de son suzerain et en incendiant la
ville de Mantes. Il fit dans cette expédition une chute dange-
reuse et vint mourir au prieuré de Saint-Gervais, au faubourg
de Rouen, la même année, des suites de sa blessure (9 sep-
tembre 1087). Guillaume avoit désigné en mourant son second
fils, Guillaume le Roux, pour lui succéder au trône d'Angleterre;
il laissa la NORMANDIE à l'aîné, Robert Courte-Heuse; quant au
troisième, nommé Henri, il ne reçut que cinq mille livres d'ar-
gent, mais son père lui avoit prédit qu'un jour il réuniroit sous
son sceptre tous les domaines de ses frères.
Avec le règne de Guillaume le Conquérant se termine la
grande époque de l'histoire de NORMANDIE. Désormais ce ne
sera plus qu'une province vassale de l'Angleterre, sacrifiée par
ses ducs aux intérêts de ce royaume, jusqu'au moment où,
redevenue province de France, elle achèvera de perdre son
individualité.
Tout étoit prêt, à la mort de Guillaume, pour que la guerre
civile éclatât dans la NORMANDIE. Il y avoit d'abord une cause
imminente de dissensions, c'étoit l'inégalité du partage entre
les fils du conquérant; ensuite, plusieurs seigneurs qui pos-
sédoient à la fois des biens en Angleterre et en NORMANDIE,
dévoient désirer la réunion des deux pays sous la même
domination. Robert, le nouveau duc, vend à son frère Henri
la suzeraineté du Cotentin pour trois mille livres d'argent,
et avec cette somme il tente contre l'Angleterre une expédi-
tion qui n'a pas de succès. Guillaume le Roux débarque à
son tour en NORMANDIE; la trahison lui livre les places de
Gournay, de la Ferté, de Gaille-Fontaine, de Saint-Valery et
d'Aumale. Robert alloit être entièrement dépouillé, si son
frère Henri ne fût accouru à son secours. Guillaume le Roux
accorda la paix, mais il en dicta les conditions, et Robert
fut obligé de lui livrer les principales places de la NORMAN-
DIE. Les deux frères réconciliés marchèrent ensuite contre
Henri, l'assiégèrent au mont Saint-Michel et le forcèrent à
capituler et à renoncer à ses domaines. C'étoit le temps
où l'enthousiasme religieux entraînoit vers l'Orient tous les
peuples de l'Europe. Le duc Robert Courte-Heuse partit, en
1096, pour la première croisade; pendant qu'il guerroyoit en
terre sainte, et qu'il refusoit, disent quelques chroniqueurs
normands, la couronne de Jérusalem, le roi d'Angleterre vint
en NORMANDIE, éleva sur l'Epte la forteresse de Gisors (1097),
soumit le Maine qui s'étoit révolté (1098), et mourut, en
1100, à la chasse, sans postérité. Henri profita alors de l'ab-
sence de Robert pour s'emparer en même temps de la cou-
ronne d'Angleterre et du duché de NORMANDIE. A son retour
de Palestine le duc Robert essaya de reconquérir ses États,
mais, vaincu à Tinchebray le 27 septembre 1106, il fut fait
prisonnier par Henri, qui l'enferma dans la tour de Cardiff,
au pays de Galles, après lui avoir fait crever les yeux. Pendant
consolant de
trente ans Robert languit dans cette prison, se
quelques-unes nous ont été
sa misère par des poésies dont
conservées.
Henri 1er, dit Beau Clerc, avoit réalisé la prédiction de
son père Guillaume le Conquérant, en devenant a la fois roi
d'Angleterre et duc de NORMANDIE. Sa domination sur cette
dernière province (1106-1135) fut marquée par la répression
énergique de plusieurs tentatives de soulèvement, et surtout
redoutable,
par sa lutte victorieuse contre un compétiteur
le jeune Guillaume Clyton, fils de Robert Couite-Heuse, que
soutenoit le roi Louis-le-Gros. Les confédérés furent vaincus à
Brenneville ou plutôt Brennemulle,près des Andelys, où Henri
imposa la paix au roi de France (1120). Une grande infor-
tune vint frapper cette même année le duc de NORMANDIE:
le naufrage de la Blanche-Nef lui enleva ses deux fils et l'élite
de la noblesse normande. Il ne lui restoit qu une fille, Ma-
thilde, veuve de l'empereur Henri Y, et y
Plantagenet, comte d'Anjou. Il la déclara son héritière; mais
à peine fut-il mort (1135) que la guerre civile éclata en NOR-
MANDIE. D'un
côté, Mathilde et son second mari Geoffroy
Plantagenet, de l'autre, Étienne de Blois, comte de Boulogne,
petit-fils par sa mère de Guillaume-le-Conquérant, se dispu-
tèrent la succession de Henri Ier. L'Angleterre se soumit à
Étienne de Blois, mais la NORMANDIE demeura à Geoffroy Plan-
succéda à
tagenet. Henri II Plantagenet, fils de ce dernier,
père, en
1150,
comme duc de NORMANDIE, et en 1154,
son
roi d'Angleterre, à Étienne, mort sans enfants. Mal¬
comme
gré la discorde et la guerre qui désoloient alors le pays,
les règnes de Geoffroy et de Henri II sont remarquables à
plus d'un titre. Un développement considérable du commerce
et de l'industrie enrichit les cités, jusque-là toutes guerrières,
de la vieille Neustrie ; c'est aussi de ce temps que datent les
premières communes de la province, celles de la ville d'Eu et
de Rouen ; enfin le mariage de Henri II avec Éléonore de
Guienne, que Louis le Gros venoit de répudier, créa un
royaume comprenant toute la France occidentale depuis la
Somme jusqu'aux Pyrénées, et il se forma à la cour brillante
de Henri et d'Eléonore une école de poëtes normands, parmi
lesquels se distinguèrent surtout Robert Wace, Renoît de
Sainte-More et Geoffroy Gaimar, dont les chants ont célébré
les exploits des premiers ducs de NORMANDIE. La puissance
de cette grande monarchie anglo-normande fut ébranlée par
la lutte de Henri II avec le clergé, surtout par le meurtre
odieux de l'archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket, et
enfin par la révolte des fils de Henri, appuyés par le roi de
France Louis VII. A la mort de Henri II (1189), son fils
Richard Coeur de Lion lui succède. Nous n'avons pas à ra-
conter le règne si connu de ce souverain chevaleresque, un
des types les plus brillants des preux du moyen âge. Rap-
pelons seulement ce passage souvent cité du sire de Join-
ville : « Le roi Richard fit tant d'armes outre-mer, que quand
« les chevaus aus sarrasins avoient paour d'aucun
buisson,
« leur maistre leur disoit : Penses-tu que ce soit le roi Ri-
« chard? » On sait qu'en revenant de la terre sainte,
Richard
fut retenu en prison par le duc d'Autriche ; pendant sa captivité,
son frère Jean sans Terre, allié avec Philippe-Auguste, essaya de
s'emparer de la NORMANDIE : Évreux, Gisors, le Neufbourg, tom-
bèrent au pouvoir des François ; mais Rouen, défendu par le
comte d'Essex, résista à tous leurs efforts. A son retour, Richard
reprit les villes qui lui avoient été enlevées, remporta quelques
avantages sur l'armée de Philippe-Augusteen 1198, et périt l'an-
née suivante en assiégeant le château de Chalus en Limousin,
où nous le retrouverons en décrivant cette dernière province.
Jean sans Terre, frère et successeur indigne de Richard
Coeur de Lion, fut le dernier duc féodal de la NORMANDIE.
A l'avidité et à la perfidie il joignoit la cruauté. Arthur, duc
de Bretagne, son neveu, revendiquoit à main armée la cou-
ronne, comme fils de Geoffroy Plantagenet, frère aîné de
Jean sans Terre. Les deux compétiteurs se rencontrèrent à
Mirebeau en Poitou ; Arthur, vaincu, fut enfermé au château
de Rouen et étranglé, dit-on, de la propre main de son
oncle. Ce crime devoit avoir une influence immense sur les
destinées de la NORMANDIE. Jean, cité par le roi Philippe-
Auguste devant la cour des pairs, ayant refusé de compa-
roître, fut condamné à mort par contumace, et le jugement
des pairs prononça en même temps la confiscation de tous
les domaines qu'il tenoit en hommage du roi de France. Phi-
lippe, avec l'aide des Bretons, irrités de la mort de leur duc,
exécuta rapidement cette sentence de confiscation. Il s'empara
d'abord des villes d'Alençon et de Couches, des forteresses
d'Andelys et de Château-Gaillard. Jean, réfugié honteusement
à Caen, fut forcé de se retirer en Angleterre, et l'année sui-
vante toute la province se soumit au roi de France (1204).
La NORMANDIE conserva sous Philippe-Auguste ses privilèges
et ses franchises. L'Échiquier, cour d'appel des justices sei-
gneuriales et ecclésiastiques, resta le tribunal suprême des
Normands, et siégea tantôt à Rouen, tantôt à Caen ou à Fa-
laise. Le droit de commune fut confirmé aux principales villes.
En même temps le roi assimiloit à la France sa nouvelle
conquête, en achetant la plupart des grands fiefs : les vi-
comtes d'Évreux et de Meulan, les comtés d'Alencon et de
Mortain, les seigneuries d'Orbec, de Pont de l'Arche, de
Vernon et de Longueville; sage politique qui fut habilement
continuée par ses successeurs. C'est ainsi que le domaine de
la couronne fit l'acquisition en 1233 de la châtellenie de
Pontorson, en 1236 de la vicomté d'Avranches, en 1255 du
comté de Beaumont-Ie-Roger,et en 1281 des villes d'Harfleur,
de Montivilliers, d'Arqués et de Fécamp.
mousin, l'Agenois, et Henri III de son côté renonça solen-
nellement aux droits qu'il prétendoit avoir sur la NORMANDIE, le
Maine, l'Anjou et le Poitou. Saint Louis, qui visita plusieurs fois
la NORMANDIE, donna une organisation plus régulière aux com-
administration finan-
munes de cette province et soumit leur
cière à une chambre des comptes. C'est probablement sous son
règne que fut redigee 1ancienne coutume de NORMANDIE.
Sous Philippe le Bel, des impôts excessifs provoquèrent
à Rouen une révolte bientôt comprimée (1292). Le même
prince modifia la constitution de l'Échiquier, qui jusqu'alors
composoit des hauts barons et des prélats, et étoit a la fois
se
cour de justice et une assemblée politique; une ordon-
une
judiciaires,
ne lui laissa que des attributions
1302
nance de
fois l'année sous la
et décida qu'il se réuniroit à Rouen deux
présidence de commissaires royaux. Ce changement amoin-
drissoit la puissance féodale au profit de la royauté; mais le
de Philippe le Bel, Louis X le Hutin, cédant, sur
successeur
réclamations de la pro-
un autre point très-important, aux
vince, fut obligé d'accorder en 131 5 la charte aux
qui garantissoit les privilèges de la NORMANDIE, notamment
le droit pour tous les habitants de n'être jamais cités devant
juridiction étrangère à la contrée. Cette charte célèbre
une
fut successivement confirmée par les rois de France et resta
Louis XIV.
en vigueur jusqu'au temps de
Sous Philippe de Valois, la NORMANDIE fut donnée en apa-
au prince Jean, fils aîné du roi, qui vint à Rouen
nage
recevoir la couronne ducale en 1329. Vers le même temps
furent institués les États de NORMANDIE, composés des dé-
putés des trois ordres, et chargés de voter l'impôt et de dé-
libérer sur les intérêts de la province. Un des premiers actes
de ces États fit honneur à leur patriotisme. A l'occasion de
la guerre qui venoit d'éclater entre Philippe de Valois et
Edouard III, ils offrirent au roi de France quatre mille hom-
mes darmes et quarante mille fantassins, en demandant que
le duc Jean reçût le commandement de cette armée. Ici com-
mence une série de revers. Les nobles et les communes
s'etoient ligués pour porter la guerre en Angleterre; mais
ce fut Édouard III qui, débarqué en 1346 à la Hougue-Saint-
Waast, vint ravager la NORMANDIE, prit Carentan, Bayeux,
Saint-Lô, Caen, Falaise, Lisieux, Honfleur, brûla les faubourgs
de Rouen, et ne quitta cette province que pour entrer dans
le Ponthieu où il gagna la trop célèbre bataille de Crécy. A
ces dévastations s'ajoutèrent bientôt les ravages de la peste
noire, qui enleva à la NORMANDIE un tiers de ses habitants.
Sous le règne de Jean II, la NORMANDIE, principal théâtre
de la longue et sanglante querelle que ce prince soutint
contre Charles le Mauvais, comte d'Évreux et roi de Navarre,
fut en proie à la guerre civile et étrangère pendant quatorze
années (1350-1364). Du Guesclin mit fin à cette guerre
par
la victoire de Cocherel, remportée huit jours après l'avé-
nement de Charles V (16 mai 1364). Ce fut, comme le disoit
Du Guesclin lui-même, une belle étrenne
pour la nouvelle
royauté. Sous l'habile administration de Charles le Sage, la
NORMANDIE répara
ses désastres. Le commerce refleurit dans
ses villes, et l'abondance revint dans ses campagnes. Les
Dieppois et les Rouennois se réunirent pour des expéditions
maritimes et fondèrent des colonies sur les côtes d'Afrique.
Mais les bienfaits du règne de Charles Y ne survécurent pas
à ce prince. Il avoit aboli en mourant des impôts que ses
frères, tuteurs du jeune Charles YI, s'empressèrent de ré-
tablir. De nombreuses séditions éclatèrent alors, et Rouen
donna l'exemple de la résistance. Les bourgeois de cette
ville, excités par des harangues séditieuses, n'essayèrent rien
moins que de se séparer de la France et proclamèrent roi
un marchand drapier; mais ils furent facilement réduits à
la soumission, et achetèrent à prix d'argent la clémence
royale (1382). Malgré les désordres de ce temps, l'élan mari-
time des Normands se sont en oit encore; leur flotte battit celle
des Anglois à l'embouchure de la Seine (i 387), et Jean de
Béthencourt fit la conquête des îles Canaries en 1406. Pen-
dant la lutte des Bourguignons et des Armagnacs, les Anglois
mirent à profit les troubles de la France pour envahir de
nouveau la NORMANDIE. Débarqué à l'embouchure de la Tou-
que, en 1417? le r°i Henri V s'empara facilement des villes
de Caen, Bayeux, Coutances, Vire, Do 111 front, Évreux ; il ne
rencontra de résistance que sous les murs de Rouen. Pendant
six mois la capitale de la NORMANDIE arrêta l'armée des en-
vahisseurs, et elle ne se rendit qu'après avoir vu périr par
le fer ou par la famine trente mille de ses citoyens. Les
Rouennois capitulèrent au prix d'une rançon de 4000 écus
d'or. Le roi d'Angleterre exigea de plus qu'on lui livrât un
certain nombre des principaux défenseurs de la cité; quel-
ques-uns rachetèrent leur vie; Alain Blanchard, capitaine
de la milice bourgeoise, qui étoit pauvre, fut seul conduit
au supplice. «Je n'ai pas de biens, disoit-il, mais quand j'en
« aurois, je ne m'en servirais pas pour empêcher un prince
« anglois de se déshonorer. » La province, cédée à Henri Y
par le déplorable traité de Troyes (1420), resta sous le joug
étranger pendant trente ans. Cette triste période est marquée
surtout par la mort de Jeanne d'Arc, condamnée au feu
comme sorcière, et exécutée à Rouen, le 31 mai 1431, à la
honte éternelle de l'Angleterre. Ce fut dans les années 1449
et 1450 que Charles VII, aidé de Dunois et du connétable de
Richement, reconquit la NORMANDIE sur les Anglois. La vic-
toire de Formigny (18 avril 1450) assura définitivement cette
délivrance. Charles VII confirma la fondation de l'Université
de Caen et établit à Rouen une cour des aides pour régu-
lariser les impôts. Louis XI fit revivre un moment le titre de
duc de NORMANDIE en faveur de son frère Charles, duc de
Berry, mais il lui enleva bientôt après cette province, et fit
déclarer par les États de 1468 qu'elle ne pourrait plus ja-
mais être séparée des domaines de la couronne.
Depuis cette époque la NORMANDIE perdit graduellement
sa physionomie nationale, et s'effaça dans la grande unité
françoise. Mais une gloire qui lui est toute personnelle mérite
d'être mentionnée dans son histoire particulière.—Au com-
mencement du XVIesiècle, les marins normands s'associèrent
avec éclat au mouvement qu'imprimoit à la navigation la
découverte du Nouveau-Monde. Les Gonneville d'Honfleur,
les Cousin et les Ango de Dieppe, parcoururent les côtes de
l'Amérique et de l'Inde, exploitèrent les pêcheries du banc
de Terre-Neuve, et concoururent à l'établissement de nos
premières colonies. Le roi François Ier, qui accorda de
larges encouragements à ces expéditions maritimes, jeta, en
1517, les premiers fondements du Havre. Le même prince
transforma en Parlement l'Échiquier de Rouen, déjà érigé
par Louis XII en cour souveraine sédentaire. Cette époque,
signalée par le progrès du commerce et par une meilleure
organisation administrative et judiciaire, est une des plus
florissantes de l'histoire de NORMANDIE ; mais bientôt les guerres
religieuses vinrent arrêter la prospérité de cette belle con-
trée. Les relations de la province avec l'Angleterre y favo-
risèrent le protestantisme. En 1569, les huguenots livrèrent
le Havre aux Anglois, et s'emparèrent de Rouen, que le Parle-
ment quitta pour se retirer à Louviers. Vers la fin de la
même année François de Guise réussit à chasser de Rouen
les religionnaires, mais l'amiral de Coligny et Montgommery
n'en restèrent pas moins maîtres de la BASSE-NORMANDIE. Après
la paix d'Amboise, le Havre fut repris sur les Anglois, en
1564. Toutefois, la guerre civile continua, et tandis que le
Parlement condamnoit au bûcher un grand nombre d'héré-
tiques, les religionnaires, à Dieppe et dans d'autres villes,
massacroient les catholiques. A la mort de Henri III, les grandes
villes de la province, Caen excepté, restèrent attachées au
parti de la Ligue. Le 11 novembre 15690, Henri IV vint
investir Rouen, et écrivit aux échevins pour les exhorter à
rentrer dans le devoir; mais rien ne put faire changer leur
résolution, et, le 20 avril 1592, le roi fut obligé de lever le
siège de la place, après dix-huit mois d'efforts inutiles. La
résistance des Rouennois cessa après l'abjuration de Henri IV,
et ce prince fit son entrée dans la ville le 16 octobre 1596 ;
il y convoqua les États de NORMANDIE, et ce fut à cette
oc-
casion qu'il prononça devant l'assemblée ces paroles célèbres
qui achevèrent de lui gagner tous les coeurs : Messieurs,
«
« je vous ai fait réunir pour recevoir vos conseils, pour les
croire, pour les suivre; bref, pour me mettre en tutelle
« entre vos mains, envie qui ne prend guère aux rois, aux
« barbes grises, aux victorieux. » Sous le règne de ce bon et
grand roi la NORMANDIE se relève; la paix ouvre à son com-
merce des débouchés avec l'Espagne, l'Angleterre et la Hol-
lande; elle voit refleurir son industrie, et se multiplier ses
expéditions maritimes. Sous Louis XIII, l'union de cette pro-
vince avec la France se resserre de plus en plus, et la
révolte des Nu-Pieds, les émeutes de Rouen, occasionnées
par des aggravations d'impôts, sont bientôt étouffées. Les
troubles de la Fronde, au commencement du règne de
Louis XIV, eurent peu de retentissement dans la NORMANDIE,
qui, placée, quelques années plus tard, sous l'autorité des
intendants, dut à l'administration de ces magistrats l'ou-
verture de nombreuses voies de communication, le per-
fectionnement de sa marine et l'extension de son indus-
trie et de son commerce; mais la plupart des villes per¬
dirent leurs institutions municipales, qui lurent remplacées
par des mairies royales. En même temps disparurent
les
États de NORMANDIE, dont les dernières assemblées eurent
lieu en 1654 et 1666. La suppression des États ferme les
annales de cette province, qui n'est plus désormais que l'un
des plus vastes gouvernements du royaume, en attendant le
jour où la nouvelle division de la France effacera jusqu'à son
nom.
Nous ne pouvons terminer cette introduction historique
gloire si nombreux et si
sans rappeler qu'à ses titres de
brillants, la NORMANDIE joint encore celui d'avoir produit à
toutes les époques depuis le moyen âge des hommes illus-
tres dans toutes les parties du vaste domaine de l'intelli-
XIIe siècles, vit naître les pre-
gence. C'est elle qui, aux XIe et
miers trouvères : Taillefer, qui, à la bataille de Hastings,
marchoit en tête de l'armée de Guillaume, entonnant la
chanson guerrière de Roland; Robert Wace, auteur du Roman
de Rou et du Roman de Brut; Geoffroy Gaimar, chantre des
exploits des premiers ducs de NORMANDIE; Alexandre de
Rernay, Henri d'Andely; au xve siècle, Olivier Basselin, le
créateur du vau-de-vire, et Alain Chartier, « le bien disant
la fois poëte, historien et
en rime et en prose, » qui fut à
diplomate; un peu plus tard, Jean Marot, Bertaut, le pur et
austère Malherbe, et enfin, au commencement du grand
siècle, Pierre Corneille, l'immortel génie. A ce nom éclatant,
qui seul suffiroit à sa gloire littéraire, la NORMANDIE a su
donner un nombreux cortége. Après lui, elle peut citer en¬
core, pour la poésie, Brébeuf, Segrais, Benserade, Thomas
Corneille, Chaulieu, Malfîlàtre; pour la prose : Fontenelle,
Saint-Évremond, madame de la Fayette, Hamilton, Vertot,
Bernardin de Saint-Pierre ; pour l'érudition : Mézeray, les
PP. Daniel, Porée et Brumoy, Huet, le savant évêque d'Avran-
ches ; madame Dacier. Si de la littérature nous passons aux
beaux-arts, nous trouverons que la NORMANDIE n'a pas été
moins féconde; nous nous bornerons à rappeler qu'elle a
donné le jour à.Nicolas Poussin, et qu'elle a été aussi la
patrie de Jouvenet, de Restout et de Colombel. Cette province
présente donc à tous les points de vue de glorieuses annales,
et l'on peut dire qu'aucune autre n'a plus puissamment con-
tribué à la grandeur et à l'illustration de la France.
AFIemaitre Editeur,25Quaidel'Horlooe
A I lemaitre Editeur,23, Quai de 1 Eorloae.
Editeur,23
Lemai-lre de1Horloge
Quai
Lisieux.

belle
Dans la première partie de cet ouvrage, en visitant cette pro-
vince de Normandie, si riche en souvenirs historiques et en monuments
du moyen âge, nous nous sommes arrêtés à Évreux, et nous avons
donné les dessins de plusieurs édifices de cette ville intéressante. Tou-
tefois, le temps nous avoit manqué alors pour faire connoître dans son
ensemble et dans ses détails la cathédrale de cette ville. M. l'abbé
Bourassé, dans son remarquable livre sur les cathédrales de France, nous
reproché de n'avoir pas parlé avec assez d'étendue de Notre-Dame d'É-
a
vreux, tout en adressant à notre ouvrage des éloges dont nous sommes
profondément reconnoissants. Si nos travaux, qui, il Y a quarante-six
commencèrent à donner l'impulsion aux études d'archéologie
ans,
la critique et les
chrétienne, ont quelque mérite, c'est d'avoir provoqué
approbations des hommes distingués et savants qui se sont voués a
sérieuses études. Nous nous étions bornés, dans notre premier
ces
à mentionner la belle cathédrale d'Évreux, parce que nous
voyage, aujourd'hui de
nous réservions d'y revenir. Nous sommes en mesure
combler cette lacune, et nous compléterons par une étude archéolo-
gique accompagnée de nouveaux dessins, notre travail sur cette partie
de la haute Normandie. Pour décrire l'église épiscopale d'Évreux, nous
nous placerons dans le monument, le livre de M. Bourassé à la main,
et nous nous inspirerons de son excellent travail.
L'origine historique de la cathédrale d'Évreux remonte aux premiers
Éburovices. Ce fut
temps de l'établissement du Christianisme chez les
d'abord un simple oratoire élevé vers la fin du IVe siècle par saint Tau-
rin, l'apôtre de la contrée et le premier évêque du diocèse, puis un édi-
fice plus grand et plus orné, que les pirates du nord renversèrent en 892.
Reconstruite dans le Xe siècle, cette cathédrale fut de nouveau détruite
pendant le siège que Robert Ier, duc de Normandie, vint mettre devant
Évreux en 1028, et, à peine s'étoit-elle relevée de ses ruines, qu'elle fut
presque entièrement réduite en cendres lorsque les Anglois brûlèrent la
ville en 1119. Cette fois, le dommage fut promptementréparé; dès l'année
1130, la réédification du monument s'achevoit sous la direction de
l'évêque Audoin, et un contemporain nous apprend que c'étoit une des
plus splendides églises qu'il y eût alors en Normandie ; mais elle eut
grandement à souffrir dans les dernières années du même siècle; deux
fois le roi Philippe-Auguste livra la ville aux flammes,en 1194 et 1199.
Enfin, la cathédrale d'Évreux fut encore endommagée par de terribles
incendies, en 1356 et en 1379.
La partie la plus ancienne de l'édifice actuel est la grande nef,
qui est certainement antérieure à ces derniers désastres. Les piliers et
les arcades de cette nef sont d'un beau style roman. Des chapiteaux
largement sculptés, une ornementation sobre et austère, semblent
indiquer que ces constructions remontent à la fin du XIe ou au com-
mencement du XIIe siècle. Si l'on ne peut affirmer qu'elles soient anté-
rieures à l'incendie de 1119, il est au moins probable qu'elles sont un
reste de la belle église achevée vers 1130, par l'évêque Audouin.
Sur ces piliers romans s'appuient les galeries, les fenêtres et les
voûtes de la nef, oeuvre charmante du XIVe siècle. Le triforium, de
formes architecturales très-riches, est composé d'arcades en ogives
tréflées et de colonnettes à chapiteaux feuillagés. La corniche qui
supporte la balustrade découpée à jour a beaucoup d'élégance, et les
fenêtres, traversées par de nombreux meneaux, sont surmontées de
quatre-feuilles, de rosaces et de figures diverses délicatement sculptées.
Le choeur et l'abside offrent tous les caractères de l'architecture
ogivale flamboyante du xve siècle; on y retrouve ces moulures pris-
matiques, cette profusion de fleurs et de feuillages profondément dé-
coupés, ces compositions animées et fantastiques, et toute cette orne-
mentation vigoureuse et luxuriante qui n'est pas sans poésie, mais qui
de décadence de l'art
accuse un goût moins pur et un commencement
chrétien. Les chapelles absidales, dont la plus richement ornée est
celle de la sainte Vierge, appartiennent au XVIesiècle ainsi que leurs
beaux vitraux.
La lanterne ou dôme gothique qui s'élève au-dessus de l'entre-croi-
du roi Louis XI, sous l'épis-
sement du transsept a été bâtie aux frais
grande élégance et atteste
copat du cardinal la Ballue. Elle est d'une
l'heureuse transformation que le style ogival avoit fait subir à la coupole
latine. Nous retrouverons à Coutances une autre construction de ce
genre, plus remarquable encore.
L'extérieur de la cathédrale dÉvreux, comme l'a dit M. l'abbé Bou-
rassé, est en parfaite harmonie avec l'intérieur. La flèche qui se dresse
au-dessus des transsepts est pleine de force et de grâce et somptueuse-
dehors, de frontons
ment décorée. Les fenêtres sont surmontées, au
triangulaires embellis de crosses végétales, et les contre-forts eux-mêmes
richement sculptés. Des deux portes qui donnent entrée dans
sont
l'église, celle du nord délicats soit
est la seule qui par ses ornements
l'édifice. Celle qui s'ouvre au milieu
avec l'ensemble de
Nous en dirons
du frontispice principal est lourde et insignifiante.
caractère et sans intérêt.
autant de la façade, construction moderne sans
de Lieuvin et
En quittant cette ville, nous parcourrons le petit pays
parler dans nos
visiterons Lisieux, sa capitale, dont nous n'avons pu
à la haute
deux premiers volumes, quoique cette contrée appartînt
de Rouen.
Normandie comme étant comprise dans l'ancien bailliage
de
C'est une omission que nous devons réparer avant de nous occuper
décrire la basse Normandie.
de la
Située au fond d'une riante vallée que fertilisent, les eaux
Touque et du ruisseau d'Orbec, la ville de Lisieux remonte par son
la capitale
origine à l'époque celtique. Les Lexoviens, dont elle étoit
sous le nom de Noviomagus Lexoviorum, résistèrent longtemps aux
l'ère chrétienne,
armes de César et de ses lieutenants, et douze ans avant
elle figure parmi les soixante cités de la Gaule lyonnoise qui élevèrent
Barbares à la fin du IVe siècle,
une statue à Auguste. Détruite par les
la ville des Lexoviens fut rebâtie a peu de distance de son premier
emplacement, et devint, au VIe siècle, une des cités importantes du
le Débon-
royaume de Neustrie et le siege d un eveche. Sous Louis
naire, un savant prélat, Fréculfe, sorti de cette école palatine qu'avoit
fondée Charlemagne, gouverna le diocèse de Lisieux et composa une
histoire universelle, ouvrage le mieux conçu de tous ceux qui
nous restent du Ixe siècle, au jugement des doctes auteurs de
l'Histoire
littéraire delà France. Les Normands pillèrent Lisieux en 877, et, quel-
ques années plus tard, dévastèrent un célèbre monastère voisin, l'ab-
baye de Saint-Évroul. Lorsque la Normandie sortit de ses ruines sous le
gouvernement de Rollon, les évêques de Lisieux furent investis de l'au-
torité temporelle comme comtes de la ville et de son territoire. En
1135, un de ces prélats, Jean I, s'étant déclaré en faveur d'Étienne de
Blois, Geoffroy Plantagenet marcha sur Lisieux et en fit le siége. Des
archers bretons qui défendoient la ville y mirent le feu pour repousser
l'ennemi. L'évêque Jean releva les remparts de sa cité épiscopale, et après
l'avoir protégée contre la guerre qui sévissoit au dehors, il y construisit
plusieurs monuments et y fit fleurir les lettres. Un docteur célèbre de
ce temps, Jean de Salisbury, écrivoit, en 1150, que Lisieux étoit une ville
merveilleuse pour l'éloquence. Ces traditions littéraires ont été suivies
durant tout le moyen âge par la plupart des évêques de Lisieux, dont
les plus connus sont Guy de Harcourt, qui
fonda, en 1330, le collège de
du roi Charles V, et
Lisieux à Paris; Nicolas Oresme, conseiller intime
chronique
traducteur d"Aristote; Thomas Basin, auteur d'une importante
d'Amelgard. Ces pré-
latine, composée, vers 1475, sous le pseudonyme
xvIe siècle, dans Jean le Hennuyer,
lats eurent un digne successeur, au
pillage de Lisieux par les
qui fit preuve d'une grande fermeté lors du
1562 ;
au XVIIesiècle, le diocèse
fut gouverné avec une
protestants en
remarquable habileté par Guillaume du Vair et Cospéan. L'histoire
tout entière dans celle de l'administration de ses
de Lisieux est presque
spirituelle et la puissance tem-
évêques, qui réunissoient la puissance
particulière ne se rencontre
porelle. Aucun fait digne d'une mention
d'ailleurs dans ses annales.

L'ancienne cathédrale, dédiée à saint Pierre, et aujourd'hui simple

le monument le plus remarquable de Lisieux. Fondée vers


paroisse, est
plus ancien, endommagée
l'an 1022 sur l'emplacement d'un édifice
la foudre qui abattit la croix du transsept, cette église a
en 1077, par des reconstructions
subi à diverses époques des réparations et même
primitif. Sa forme est
partielles qui lui ont fait perdre son caractère
donne à l'ensemble
celle d'une croix latine, et l'élévation des voûtes
beaucoup d'élégance et de hardiesse.
Le portail principal et le petit portail du midi on, été restaurés avec

intelligence, en 1841 et 1842, par les soins du comité des monuments

historiques. Mais on n'a pu rendre à cette église ses riches sculptures en

bois, ses statues, ses tableaux, les tombes de ses évêques. Tout ce qui

avoit échappé aux dévastations des protestants lorsqu'ils s'emparèrent de

la ville en 1302, a été détruit par les soldats de l'armée révolution-

naire en 1793. Parmi les oeuvres d'art que la cathédrale de Lisieux a

perdues il faut citer surtout le tombeau de bronze de l'évêque d'Estou-

teville et ceux en marbre blanc des évêques P.erre Cauchon et le


Dans le mur de la nef, du côté gauche, est encastré un bas-relief
très-fruste où l'on distingue deux guerriers armés. Cette sculpture est
bien plus détériorée aujourd'hui que lorsqu'elle fut gravée par Wil-
lemin dans ses Monuments françois. Nous croyons avec M. Dawson
Turner, auteur d'un voyage en Normandie écrit en anglois, que ce
bas-relief est probablement de l'époque carlovingienne.
Des autres églises de Lisieux, il n'en reste plus que deux : celles de
Saint-Jacques et de Saint-Désir. L'église de Saint-Jacques, construite
en 1496, et consacrée en 1540, a peu d'importance, et nous n'y voyons
guère que le vitrail de la chapelle Saint-Maur qui puisse être signalé à
l'attention des archéologues. Saint-Désir, aujourd'hui paroisse, étoit,
avant la révolution, l'église du monastère de Notre-Dame du Pré,
appelé aussi l'Abbaye aux Dames. Cet édifice, rebâti en 1684 par l'ab-
besse Charlotte de Matignon, est régulier, mais il offre encore moins
d'intérêt archéologique que l'église Saint-Jacques.
Quatre tours et quelques pans de murs sont tout ce qui subsiste des
anciennes fortifications de Lisieux.
A une tres-petite distance de Lisieux, on découvrit,
vers l'année 1770,
en fouillant un champ labouré, quelques restes de l'antique Novioma
gus. Ces débris consistoient en substructions d'édifices gallo-romains,
en vestiges de rues et de places publiques, en fragments de marbres
précieux. D'autres fouilles exécutées en 1818, presque sur le même
point, a la ferme des Tourettes, ont mis à découvert des
pans de murs
qui pai aisscnt également avoir appartenu a la cité primitive des
Lexoviens. Ces antiquités ont été décrites
avec soin par M. L. Dubois
dans son Histoire de Lisieux (1845, 2 volumes in-8°).
Dans les environs immédiats de la ville, l'archéologue visitera
avec
intérêt quelques châteaux de l'époque féodale, notamment celui de
Saint-Germain de Livet, dont nous donnons le dessin, et celui de
la Houblonnière. Ce dernier a appartenu aux Templiers.
Le diocèse de Lisieux renfermoit autrefois d'importantes abbayes,
depuis longtemps disparues. La plus ancienne et la plus célèbre étoit
celle de Saint-Évroul, fondée en 567, et de laquelle sont sortis, durant
le moyen âge, tant de savants religieux, entre autres Orderic Vital,
un des historiens les plus remarquables du XIIe siècle. Il ne reste plus
rien des vastes cloîtres, ni de la belle église de ce monastère.
Dans cette contrée du Lieuvin, dont Lisieux étoit la capitale, nous
signalerons encore Bernai, ville ancienne qui doit son origine, ou du
moins ses accroissements, à une abbaye de bénédictins, fondée sur
son territoire, l'an 1001, par Judith de Bretagne, femme de Richard II,
duc de Normandie. L'église et les bâtiments de ce monastère subsis-
tent encore. L'ancienne demeure des abbés et les cloîtres, qui avoient
été reconstruits au XVIIe siècle, logent aujourd'hui la sous-préfecture,
la mairie et les tribunaux. Quant à l'église abbatiale, dont on a fait
une halle au blé, c'est un curieux édifice roman, dont quelques parties
appartiennent au monument primitif élevé dans la première moitié
du XIe siècle. La nef se compose de cinq arcades circulaires unies,
portées par des piliers rectangulaires, contre lesquels sont appliquées
des colonnes à chapiteaux ornés de feuillages. Les piliers n'ont qu'un
tailloir pour couronnement; les arcades sont décorées d'un tore ou
boudin. Le collatéral septentrional a été transformé en écurie; le
collatéral méridional offre des portes à voûtes, par lesquelles on com-
muniquoit autrefois avec le cloître. Les piliers de la croisée, différents
de ceux de la nef, sont également de l'époque romane. Au midi, le
transsept est terminé par une arcade, dont la décoration se fait re-
marquer par sa simplicité sévère et de bon goût.
À trois lieues de Bernai, sur les bords de la Risle, nous rencontrons
la petite ville de Brionne et les restes de sa vieille forteresse romane, tant
de fois assiégée. C'est près de Brionne, sur le Bec, ou ruisseau de Saint-
Martin, affluent de la Risle, que s'élevoit autrefois la célèbre abbaye du
Bec-Hellouin. Une tour de la fin du xve siècle, des souterrains, quelques
bâtiments délabrés, tels sont les seuls vestiges de ce monastère, qui a
été si longtemps la grande école, le foyer de lumière de la Normandie,
et que les leçons de Lanfranc et de saint Anselme avoient rendu illustre
devons
en Occident. Dans cette région si pleine de souvenirs, nous ne
pas omettre de citer le vieux château d'Harcourt, berceau
d'une des
plus anciennes et des plus puissantes familles féodales de la Nor-
mandie. La construction primitive de ce château date de l'an 1099,
mais il n'y reste rien de cette époque. Le bâtiment central qui a rem-
placé le donjon, est de la fin du XIVe siècle.
Le territoire lexovien ou pays de Lisieux comprenoit encore Pont-
Audemer, et, dans sa partie littorale, Honfleur et le bourg de Touques.
La ville de Pont-Audemer, située près de l'ancienne voie romaine
conduisant de Lillebonne à Lisieux, doit son nom à un pont que fit
jeter sur la Risle à une époque antérieure au Ixe siècle, un grand
propriétaire nommé Audomar. C'étoit, au siècle suivant, un fief impor-
tant que Rollon donna, selon la tradition, à un de ses compagnons
d'armes, Bernard le Danois. La famille des comtes de Meulan, héritière
de ce fief, se mêla énergiquement à toutes les guerres féodales. Wale-
ran, comte de Meulan, l'un des seigneurs les plus puissants de Pont-
Audemer, s'étant révolté contre Henri Ier, duc de Normandie, attira la
vengeance du prince sur cette ville. Pont-Audemer fut pris après un long
siège et son château livré aux flammes. Ce désastre fut promptement
réparé, et dès le milieu du xIIe siècle, Pont-Audemer étoit devenu une
ville assez importante dont les habitantsobtinrent le droit de commune
Normandie. Fief de Charles le
et le firent confirmer par les ducs de
Mauvais, comte d'Évreux, cette ville fut mêlée aux guerres désastreuses
du XIVesiècle. L'invasion angloise la soumit plus tard à de nouvelles
vicissitudes ; prise par le roi Henri Y en 1419, elle délivrée en 1449
par Dunois. Tombée au pouvoir des Huguenots en 1562, reconquise peu
après par le duc d'Aumale, elle essuya cinq autres siéges sous la Ligue,
et devint la proie des deux partis. Il est peu de villes en France qui
aient été aussi souvent assiégées, saccagées et brûlées. Les monuments
qu'elle a conservés, sans être d'une importance de premier ordre, ne
de
manquent pas d'intérêt. L'église de Saint-Germain, la plus ancienne
Pont-Audemer, appartient par sa fondation au XIe siècle. Construite en
forme de croix, elle étoit terminée au nord-est par trois absides semi-
circulaires, qui correspondoient à la nef et aux deux bas-côtés, mais elle
a éprouvé de nombreux
changements. A la place du clocher primitif,
dont la base seule a été conservée, on a élevé, au XIIIe siècle, la tour
carrée qui se voit aujourd'hui. La muraille droite, percée de deux fenê-
siècle. A l'extérieur, l'ancienneté
tres, qui remplace l'abside, est du XIVe
de l'édifice se reconnoît à la forme cintrée des petites fenêtres à colonnes
la corniche qui supporte le
et aux modillons ou corbeaux placés sous
Saint-Ouen, doit re-
toit. Une autre église de Pont-Audemer, celle de
aussi XIe siècle, à en juger par quelques portions du choeur,
monter au
Saint-Sépulcre,
qui ont tous les caractères de cette époque. L'église du
nef ; on
dont le portail est curieux, n'a conservé qu'une portion ne sa
reconnoît la transition du style roman au style ogival.
y
période
Les environs de Pont-Audemer sont riches en souvenirs de la
romaine, quoique aucun monument complet de cette époque n'y soit
de cette contrée,
resté debout. Dans un grand nombre de communes
Notre-
le sol est couvert de débris romains, particulièrement à Aiziers,
la Ronce près de Routot,
Dame des Préaux, Triqueville, Sainte-Croix,
romains existent au
Bosgouet, Rougemontier. Des vestiges de camps
hameau de Neubourg, à Saint-Denis de Bosguérard, à Condé-sur-Risle,

plusieurs endroits les traces bien ca-


à Campigny, et l'on retrouve en
ractérisées des deux voies antiques qui conduisoient de Juliobona (Lille-

du moyen âge sont


bonne) à Lisieux et à Brionne. Les édifices ruraux
moins nombreux dans ce canton que dans d'autres parties de la Nor¬
mandie ;
nous signalerons cependant, à une lieue de
Pont-Audemer,
l'intéressante église romane de Saint-Mards-sur-Risle.
Le diocèse de Lisieux, dont la circonscription représentoit exactement
l'ancien territoire desLexoviens, s'étendoit au nord jusqu à 1 embouchure
de la Seine et comprenoit la ville maritime de Honfleur. Située au
pied d'une verdoyante colline sur la rive gauche du fleuve, et dominée
par la pittoresque chapelle de Notre-Dame de Grâce, cette petite
ville a conservé en partie sa physionomie du moyen âge ; on y re-
marque deux églises anciennes qui méritent d'être visitées. Celle de
Sainte-Catherine offre un intérêt particulier, en ce qu'elle est entière-
ment construite en bois; malheureusement on a masqué par des revê-
tements de plâtre la plupart des moulures et des boiseries curieuses
qu'on y voyoit autrefois, et un péristyle grec, aussi en plâtre, défigure
la façade occidentale. On y peut toutefois remarquer encore un bel
autel placé à l'extrémité de la nef septentrionale, une précieuse ba-
lustrade de la fin du XVIe siècle qui surmonte la tribune de l'orgue,
les instruments
et, dans le bas-côté du sud, des figures d'anges portant
de la Passion. L'église de Saint-Léonard est surtout digne d'attention
dessiné. Le
par son élégant portail de style ogival, qui a été souvent
reste de l'édifice appartient à la première moitié du XVIIe siècle. Quant
à la chapelle de Notre-Dame de Grâce, qui s'élève au sommet de la
falaise à l'ouest d'Honfleur, sur le territoire d'Équemauville, elle est
moins remarquable par son architecture que par son admirable si-
tuation et la pieuse vénération dont elle est l'objet de la part des
marins. L'édifice date seulement de 1606 ; il a remplacé une première
chapelle qui fut détruite par un éboulement de la falaise en l'an-
née 1538.
La dernière localité intéressante du Lieuvin, vers les confins du pays
d'Auge, est le bourg de Touques, autrefois port de commerce très-
fréquenté, où abordoient ordinairement les ducs de Normandie quand
ils revenoient d'Angleterre. L'église de Saint-Pierre de Touques, qui n'est
plus consacrée au culte, a une belle nef du XIe siècle et une tour octo¬
gone à pans irréguliers, qui ne paroît guère moins ancienne. Saint-
Thomas, aujourd'hui paroisse, est un édifice dont les principales par-
ties sont du style ogival flamboyant. A l'intérieur de la nef, des co-
lonnes romanes garnissent les murs et sont espacées comme si elles
des
eussent dû porter des arceaux de voûte en pierre; il n'y a que
lambris en bois. La tour, carrée et tronquée, flanquée sur les angles
n'avoir pas été achevée. Les
par des contre-forts très-saillants, semble
petites fenêtres cintrées qu'on voit vers la base de cette tour sont du
du XIIIe M. de
que la partie supérieure paroît dater
xIIe siècle, tandis
.
deux églises
Caumont a donné une description et des dessins de ces
dans sa Statistique monumentale de l'arrondissement de Pont-VEvêque,
Bonneville, près de Touques, dont s'empa-
p. 252-255. Le château de
d'Angle-
rèrent Geoffroy Plantagenet, comte d'Anjou, en 1109, et le roi
terre Henri V, en offre encore une enceinte de murailles garnie
fossés
de tours et une porte en ogive d'un assez beau caractère. Ses
profonds, avec leur contrescarpe, sont à peu près intacts, et présentent
entouraient nos châteaux-
un exemple intéressant des retranchementsqui
forts du moyen âge.
Le pays d'Auge (Paqus Algioe), limitrophe du Lieuvin, sétendoit entre
la
la mer et les rivières de la Touque et de la Dive, et confinoit à
basse Normandie. Nous ne pouvons nous arrêter que peu d'instants
dans
d'aborder la description de cette
ses fertiles et opulentes vallées, avant
dernière partie de la province.
Pont-l'Évêque, principale ville de cette petite contrée, n'a pas une
qu'un évêque de
origine fort ancienne. Elle doit son nom à un pont
signaler d'autre monument
Lisieux fit jeter sur la Touque. On n'y peut
l'église paroissiale de Saint-Michel, édifice d'un style ogival assez
que
bien conservés.
élégant dont la nef est très-haute et les vitraux
l'abbaye de Troarn. C'est un édifice du XIVe siècle, remarquable sur-
tout par son riche portail, qui occupe le centre de la façade occidentale.
M. de Caumont a cité avec raison les ornements de ce portail comme
une très-belle oeuvre de sculpture. Nous signalerons encore dans le bourg
de Dives quelques maisons anciennes, ainsi qu'une curieuse halle en bois,
dont les travées sont antérieures au XVIe siècle.
En terminant ces indications complémentaires, n'oublions pas de
mentionner quelques autres monuments de la même contrée, et d'a-
bord l'église de Hottot-en-Auge, où nous avons remarqué une belle
statue tombale du xIIIe siècle, qui paroît être celle de Luce de Cou-
longes, femme d'un seigneur de Hottot, vivant en 1246. Elle représente
une femme couchée, couronnée de fleurs et les pieds posés sur un
dragon. Le peuple nomme cette statue sainte Luce, et prétend que,
jetée hors de l'église pendant la révolution, elle y rentra toute seule.
Bonneboscq, bourg bâti au fond d'un vallon, à trois lieues de Pont-
l'Évêque, a une église en partie romane, dont la nef est du xIIe siècle;
corniche sup-
ses murs, flanqués de contre-forts, sont surmontés d'une
portée par des modillons taillés en biseau. La voûte de cette nef, cons-
truite en bois, comme dans la plupart des églises du pays d'Auge, date
de 1492. A Auvillars, village très-voisin de Bonneboscq, le choeur de
l'église est tout entier du XIIe siècle. Le mur méridional de la nef, sans
contre-forts, montre l'appareil en feuilles de fougère. Il est percé d'une
porte à plein-cintre, dont l'archivolte, ornée de zigzags, repose sur
des colonnettes, et dont la voussure est garnie de têtes grimaçantes
d'animaux fantastiques. Entre le choeur et la nef on a élevé, au
fe-
XVIe siècle, une chapelle qui est éclairée au nord par une large
nêtre à plein-cintre, ornée de moulures prismatiques, et à l'orient par
aujourd'hui bou-
une fenêtre flamboyante partagée en deux baies,
chées. A l'extrémité de la nef, sont placés deux jolis autels, avec re-
table. couronnés de frontons en trapèze, et décorés de colonnes torses
le
autour desquelles s'enroulent des ceps de vigne. En repavant sanc-
tuaire, il y a quelques années, on a mis à découvert une belle pierre
tombale surmontée de la statue d'un prêtre vêtu d'une chasuble an-
tique, et la tète posée sur un coussin dont les glands sont tenus par
des anges. Cette statue, très-bien sculptée, et intacte, paroît être de la
fin du XIVe siècle.
Il subsiste des parties considérables de l'ancien prieuré de Saint-
Ymer, placé dans un site charmant, au fond d un \allon solitude aux.
pentes vertes et boisées, dont les eaux vont se perdre dans une petite
rivière, affluent de la Touque. Saint-Ymer étoit, dans l'origine, un
monastère fondé au xIe siècle, par Hugues, seigneur de Montfort-sur-
Risle, et donné en 1145, par le petit-fils du fondateur, aux moines de
l'abbaye du Bec, qui en firent un de leurs plus riches prieurés.
L'église actuelle offre des vestiges intéressants de sa première cons-
truction, à l'époque romane, mais elle a été presque entièrement rebâ-
lie au XIVesiècle. Les bâtiments claustraux ont été conserves et convertis
appelons l'attention de l'archéologue
en habitation particulière. Nous
à visiter également les
sur ces précieux débris, et nous l'engageons
églises de Beaumont-en-Auge et de Tourgéville, ainsi que les ruines
pittoresques du prieuré de Saint-Arnoult.
A.F.Lemaitre,editeur,23 Quaidel'Horloge.
A F Lemaitre éditeur
[textemanquant]
F. Lemaitre del.
A.

AJF.Lemaitre
éditeur,23.Quai
delHorloge
.
A.F.Lemartre éditeur,23.Quai de 1 Horloge.
Caen.
il entoura de murs cette ville agrandie, qui fut dès lors son séjour de
prédilection. « De cette première clôture, dit un historien du pays, il
ne reste que ce que nous appelons aujourd'hui les petites murailles,
et quelques débris le long de l'Odon, derrière la rue de la Boucherie. »
A l'époque de son différend avec Léon IX, au sujet de son mariage
avec Mathilde de Flandre, Guillaume s'engagea à doter la ville de Caen
de fondations religieuses pour obtenir la levée de l'interdit que le Pape
avoit jeté sur la province, et ce fut l'origine des célèbres abbayes de
Saint-Etienne et de la Sainte-Trinité, que nous décrirons plus loin.
Autour de ces deux monastères, il se forma deux nouveaux quartiers
la
que l'on appela l'un le Bourg-l'Abbé, l'autre le Bourg-l'Abbesse.Après
conquête de l'Angleterre, Guillaume ne négligea pas sa bonne ville de
Caen qu'il avoit en quelque sorte créée; il y fît construire, en 1072,
l'église de Saint-Gilles, et lorsqu'il se sentit près de mourir, il désigna
l'abbaye de Saint-Etienne pour le lieu de sa sépulture. Nous racontons
ailleurs les tristes et dramatiques incidents auxquels donnèrent lieu ses
funérailles. Les fils du Conquérant s'occupèrent de Caen avec autant de
sollicitude que leur père. En n04, Robert Courte-Heuse réunit le
quartier Saint-Jean à la ville, et fit exécuter, en détournant une branche
de l'Orne, le canal appelé encore de son nom le canal du duc Robert.
Henri Beauclerc exhaussa les murs de la cité et fit construire le donjon
du château (1123). Ce fut sous son règne que Raoul de Caen écrivit en
latin l'histoire de Tancrède, un des héros de la première croisade. Caen
obtint sous Jean sans Terre (1203) une charte de commune qui fut
confirmée par Philippe-Auguste. En 134b, Edouard III, roi d'Angleterre,
vint assiéger cette ville à la tête d'une formidable armée. Les habitants,
commandés par Raoul, comte d'Eu, connétable de France, et par Jean
de Melun, comte de Tancarville, opposèrent une résistance désespérée,
mais, défaits dans une sortie, ils ne purent empêcher l'ennemi de pé-
nétrer dans leurs murs; une lutte acharnée s'engagea dans les rues, et
les Anglois furent obligés de faire le siège de chaque maison avant de
se rendre maîtres de
la place. Édouard, furieux, livra la ville au pillage
pendant trois jours, et fît transporter un butin immense sur la flotte qui
stationnoit à l'embouchure de l'Orne. Après le départ des Anglois, le roi
Philippe de Valois prescrivit aux bourgeois de Caen de réparer les
murs
et d'augmenter les fortifications; c'est alors que furent élevées la plu-
part des tours de lenceinte. Sous le roi Jean, on mit en état de défense
le monastère de Saint-Étienne et celui de la Trinité. Mais
tous ces tra-
vaux ne purent empêcher la ville de succomber lors de l'invasion an-
gloise de 1417. Le roi Henri V s'en empara le 8 septembre après plusieurs
assauts meurtriers, et la dominationétrangère s'y maintint jusqu'en 1450.
A cette dernière époque, Dunois la reconquit
sur les Anglois, et Char-
les VII y fît son entrée le 6 juillet de la même année. Au siècle suivant
les dissensions religieuses y amenèrentles plus
graves désordres. En 1562
et 1563, les protestants soulevés, s'étant rendus maîtres de la ville, pil-
lèrent toutes les églises, et détruisirent les
ornements sacrés ainsi que
les précieuses oeuvres d'art qu'elles renfermoient. Ils
ne respectèrent pas
même les tombeaux de Guillaume le Conquérant et de Mathilde ;
ces
monuments furent profanés et brisés, et l'église abbatiale de Saint-
Étienne se trouva réduite à
un état si déplorable, que pendant plus
de soixante ans il fut impossible d'y célébrer le culte divin. Ledit de
pacification, qui suivit immédiatement, vint mettre
un terme à ces ca-
lamités, et Caen, depuis cette époque, resta étranger à la plupart des
troubles dont la France fut le théâtre. Si l'on
en excepte une tentative
de révolte produite par les démêlés du roi Louis XIII
avec sa mère
Marie de Médicis, et bientôt apaisée,
aucun événement important ne se
passa dans cette ville depuis la fin du XVIesiècle, jusqu'à la révolution
de 1789. Pendant cette période de
repos et de prospérité, la ville de
Caen, que les poëtes ont surnommée 1Athcncs d& la JYovmctndiô, s'ho-
nora par la culture des sciences et des lettres. On sait qu'elle a donné
le jour à Malherbe, à Segrais, à Boisrobert, le favori du cardinal de
Richelieu, et aux savants Samuel Bochart, Tanneguy Lefèvre Daniel
et
Huet, évêque d'Avranches.
Le plus beau et le plus vaste des monuments du
moyen âge que la
ville de Caen ait conservés est la célèbre église de l'abbaye de Saint-
Etienne, fondée, comme nous l'avons dit, par Guillaume le Conqué-
L illustre Lan-
rant, et ordinairement nommée 1 Abbaye aux Hommes.
franc, appelé par le fondateur à la direction de ce monastère, en
surveilla lui-même les constructions, depuis l'an io63 jusqu'au moment
dota
où il fut appelé au siège archiépiscopal de Cantorbéry (1070), et il
la nouvelle abbaye d'une école qui rivalisa bientôt avec celle du Bec.
Dans le nombre des élèves que cette école a produits, seulement au
premier siècle de son existence, on compte plusieurs archevêques et
évêques, et une foule d'hommes éminents de cette époque. Pendant
des principaux cen-
tout le moyen âge, Saint-Étienne de Caen fut un
de la Normandie. La ré-
tres d'étude et un des plus riches monastères
formation de Saint-Maur y fut introduite en 1063, et, sous cette nou-
velle règle, l'abbaye continua de fleurir jusqu'à sa suppression. Alors
théologie, de philosophie et
encore elle entretint des professeurs de
de littérature qui formèrent des éleves du mérité le plus distingue.
L'église de l'antique abbaye de Saint-Étienne est digne à tous égards
de l'importance de ce grand établissement religieux. L édifice, en foi me
de croix, offre, dans son ensemble, trois styles différents qui caracté-
risent évidemment trois époques.
La façade, les tours jusqu'à la corniche du toit, la nef et les transsepts
appartiennent à la première construction et datent du XIe siècle. Dans
l'origine, l'église avoit trois absides; l'une d'elles, la principale, qui étoit
placée à l'extrémité orientale, a disparu; on voit encore celles qui s'ou-
vroient à l'est de chacun des transsepts.
Le portail se distingue par la gravité plutôt que par l'élégance
du
style; de chaque côté s'élèvent de petites colonnes, et si l'on découvre
quelques moulures, elles sont dépourvues de toute espèce d enjolivement.
de cette
Les tours forment sans contredit la partie la plus intéressante
il
façade. Comme l'a remarqué avec raison M. de Caumont, y en a peu
du XIe siècle qui soient mieux traitées.
A l'intérieur, et surtout dans la nef, la grandeur
de l'ensemble, l'é¬
lévation des voûtes^ i heureuse disposition des lignes frappent
tout d'a-
bord les regards. Des piliers garnis de demi-colonnes soutiennent les
arcades qui séparent la nef des ailes. Ces demi-colonnes, s'élancant
jusqu'à la voûte, sont alternativement simples et triples. Les chapiteaux
des piliers consistent dans un feuillage de la plus grande simplicité,
et
les bases des colonnes sont taillées en chanfrein. Au-dessus des arcades
de la nef, et au niveau du triforium, de larges galeries règnent
sur toute
l'étendue des bas-côtés, à droite et à gauche. Les
rampes en pierre de
ces tribunes, découpées en quatre-feuilles, n'appartiennent pas à la
construction primitive ; il en est de même des voûtes ogivales des bas-
côtés, dont les arceaux prismatiques annoncent le xve siècle. La grande
chapelle accolée au collatéral du nord paroît de la même époque. Les
voûtes de la nef sont de style roman, mais il est possible qu'elles soient
un peu moins anciennes que les murs; suivant la remarque judicieuse
d'un archéologue anglois, M. Gally-Knight, il y a, dans les petites
co-
lonnes auxiliaires qui aident à les supporter, et dans la manière dont
elles sont adaptées, quelques indices qui viennent à l'appui de cette
conjecture.
Le choeur, auquel l'abbé de la Rue a assigné, à tort, la date du
XIVesiècle, est évidemment antérieur, et, selon toute probabilité, du
commencement du XIIIe. Tous les caractères architectoniques de cette
partie de l'église annoncent, en effet, les premiers temps du style ogival,
et nous partageons à cet égard l'opinion exprimée par MM. de Jolimont
et de Caumont. A l'intérieur, les archivoltes de plusieurs arcades sont
encore ornées de zigzags; les fenêtres sont toutes étroites et en forme
de lancettes; des arcades à plein cintre encadrent les lancettes gémi-
nées des galeries. La charmante décoration de la chapelle dans laquelle
se trouve la sacristie ne peut guère se reporter à une époque posté-
rieure. A l'extérieur de l'abside, les cintres entrelacés, sculptés sur les
murs des collatéraux, la nature des ornements, la simplicité des fenê-
tres, accusent également le style de transition.
Les pyramides octogones qui couronnent les deux tours de l'ouest
endommagée
paraissent être du XIVesiècle. Celle de la tour centrale,
rétablie dans son état actuel un peu après
par le siège de 1417, a été
cette dernière époque.
Le tombeau de Guillaume le Conquérant, le
principal et le plus
célèbre ornement de l'église abbatiale de
Saint-Étienne, s'élevoit au
milieu du choeur. Il étoit porté sur des pilastres de pierre et surmonté
de la statue couchée du Conquérant, autour de laquelle on lisoit une
inscription en vers latins composée par Thomas, archevêque d'York.
1562.
Ce précieux monument fut renversé et brisé par les protestants en
Un écrivain du temps, de Bras, auteur d'une Histoire de Caen citée par
M.
de Caumont, raconte tous les détails de cette violation, et décrit en
lequel avoit été renfermé le corps du duc
ces termes le cercueil dans
en
1087 :
« Et finalement quelques jours après, ils (les Huguenots) cas-
sèrent le locule de pierre où estoient les ossements du corps de ce
«
duc, sépulchre ; lequel locule estoit d une forte pierre
« roy sous son
de voideryl (granit de Vire) et soustenu sur trois pilastres de pierre
«
blanche. Et la cause de le casser fut que le dessous estoit vuide et
«
le dit (cercueil) rendoit quelque son. Ces violateurs le froissèrent
« que
à de dague, estimant qu'il y eust quelque trésor ou autre chose
« coup
précieuse; toutefois, ils n'y trouvèrent rien que les os de ce grand roy.
«
Ces ossements estoient couverts d'un cendal ou taffetas rouge, des-
« taint ;
et estoient. encore inhérentes à la teste les mâchoires et plu-
«
sieurs dents, et les autres ossements, tant des jambes et cuisses que
«
des bras, estoient fort longs. « A la suite des ravages commis par les
«
longtempsvide. Ce
protestants, la tombe de Guillaume le Conquérant resta
fut seulement en 1642, que le prieur Jean de Baillehache, qui avoit con-
l'église, ayant rassemblé
sacré une partie de sa vie à la restauration de
les ossements dispersés du fondateur, les replaça
dans un nouveau cer-
cueil et érigea au dessus une petite construction avec une inscription com-
siècle. En 1742, les
mémorative. Ce second tombeau subsista juste un
de Guillaume le Conquérant furent transférés dans le sanctuaire
restes
simple dalle de marbre blanc que l'on voit aujour-
et placés sous la
d'hui.
Le chevet de cette église a été élevé, au plus tard, dans les premières
années du xIIIe siècle. C'est une oeuvre fort remarquable, et qui inté-
resse surtout comme un exemple de la direction nouvelle que prenoit
l'art à cette époque. Il existe sur le mur, à quelques pouces de terre,
une inscription latine, en caractères du temps, qui fait connoître que ces
belles constructions sont dues à un architecte nommé Guillaume,
dont la sépulture avoit été placée dans cette partie de l'édifice. Cette
inscription, citée par M. Vaultier dans son Histoire de la ville de Caen,
est ainsi conçue :

VILLELMUS.JACET.HIC. PETRARUM. SUMMUS.IN ARTE.


ISTE . NOVUM . PERFECIT.OPUS. DET. PRdEMIA . CHRISTUS.PERENNIS .
AMEN ( I ).

Le bâtiment d'habitation de l'abbé et des religieux de Saint-Étienne


ayant sa façade à l'est, sur le jardin, est un ouvrage moderne, et ne date
que du commencement du XVIIIesiècle. Il a été construit sur les plans de
Guillaume de la Tremblaye, frère convers de l'ordre de Saint-Benoît.
L'enceinte de l'abbaye offre des constructions plus anciennes, et
d'un véritable intérêt. On remarque d'abord, sur le côté ouest de la
grande cour, ce qu'on appeloit le Grand Palais ou le Palais du Roi.
C'est le nom et l'emplacement de celui que dut y posséder Guillaume
le Conquérant, mais l'édifice n'est pas de cette époque. Il a servi de
résidence aux rois de France pendant leurs voyages et séjours à Caen.
D'après le caractère général de l'architecture, il ne semble pas possible
d'en faire remonter l'origine au delà du XIVesiècle. Ce palais étoit percé
de fenêtres ogivales à voussures ornées de tores portant sur des colon-
nettes. Les pièces du rez-de-chaussée sont voûtées, et l'escalier condui-
sant au premier étage se trouve dans un corps carré en saillie, qui rap-
pelle l'entrée de plusieurs châteaux fortifiés du moyen âge. Ce bâtiment

(I) « Ci gît Guillaume,habile dans l'art de bâtir. C'est lui qui a construit ce nouvelédifice. Que le Christ
lui accorde les récompenseséternelles. Amen. »
avoit été défiguré dans plusieurs de ses parties par le percement de
nouvelles fenêtres et par l'établissement de nouveaux planchers à l'in-
térieur, lorsque, au commencement de la Révolution, on le transforma
en magasin pour l'administration de la guerre. Mais on l'a réparé,
il y a quelques années, pour l'affecter à l'école normale primaire. La
façade, qui est d'un bon style ogival, a été restaurée avec beaucoup
de soin. On distingue à droite, en entrant dans l'ancienne cour de l'ab-
baye, une autre construction qui n'a point été restaurée, et qui se
lioit à la précédente; elle offre à peu près les mêmes caractères archi-
tectoniques et doit être du XIVesiècle. On y voit des fenêtres trilobées;
des tourelles surmontoient les escaliers.
Au fond de la cour, on remarquoit encore, il y a vingt ans, un
vieil hôtel appelé dans les anciens actes le logis neuf de l'évêque de
Castres, parce qu'il avoit été bâti en 1490, par Charles de Martigny,
évêque de Castres, qui étoit en même temps abbé de Saint-Etienne de
Caen. Ce curieux édifice, dont on trouve la description dans le Bulletin
monumental de M. de Caumont, a été démoli en 1845.
A l'est de la même cour, et dans la partie la plus voisine des cons-
tructions neuves, il existe des restes intéressants du grand bâtiment
qui renfermoit le magnifique appartement connu sous le nom de
Salle des Gardes.C'étoit, suivant la remarque de M. de Caumont, un des
plus beaux morceaux d'architecture civile de la Normandie. On l'a mal-
heureusement défiguré pour y établir les classes du collège. Ce bâtiment,
en forme de carré très-allongé, étoit divisé en deux étages. Aux angles
se trouvoient quatre tourillons servant d'escalier, et vers le milieu du
grand côté orienté à l'est, une tour carrée flanquée de contre-forts, cou-
ronnée par un toit fort élevé à quatre pans. De ce côté s'ouvroit
une des entrées principales, ainsi placée dans une pièce en saillie. Un
grand nombre de fenêtres élégantes éclairoient le rez-de-chaussée et le
premier étage. La grande salle du premier, appelée, on ne sait trop
pourquoi, la Salle des Gardes,servoit de magasin à blé lorsque Ducarel
la visita, en 1752 ; mais, en 1684, elle renfermoit la bibliothèque de
l'abbaye, comme on le voit par la légende d'un plan dressé à cette
époque pour le Monasticon gallicanum. Personne n'ayant pris la peine
de décrire cette belle salle avant les mutilations qu'elle a subies, on est
heureux de trouver dans le voyage de Ducarel les détails suivants :
« La longueur de la grande chambre des Gardes, dit-il, est de cent
« soixante pieds et sa largeur de quatre-vingt-dix. A chaque extrémité
« sont des rosaces garnies de vitraux peints, du travail le plus soigné.
« On voit du côté du nord deux cheminées bien conservées, ainsi qu'un
« banc de pierre à l'entour de la salle. Le plancher est pavé de bri-
« ques de six pouces carrés, vernissées, dont les huit rangées qui
« s'étendent de l'est à l'ouest sont chargées de divers écussons. L'intervalle
« entre chaque rang de ces briques ornées de rosaces et le milieu, re-
« présente une espèce de labyrinthe d'environ dix pieds de diamètre.
« Le reste du pavé est formé de divers carreaux offrant des échiquiers,
" En sortant de cette salle on entre dans une autre plus petite, nommée
« la chambre des Barons, de vingt-quatre pieds de large sur vingt-sept
« de long, pavée de la même espèce de briques, mais avec cette diffé-
« rence qu'au lieu d'armoiries, elles représentent des figures de cerfs et
« de chiens de chasse. Les murs de cette salle paraissent avoir été décorés
« de peintures. Sous ces salles il y en a d'autres dont les voûtes sont sup-
« portées par de belles colonnes, et qui servoient à coucher les personnes
« d'un rang inférieur (I). »
Il subsiste encore quelques pans de murs de l'enceinte fortifiée, dont
on avoit entouré l'abbaye de Saint-Étienne au XIVesiècle. Ces murs,
construits en pierre de taille de moyen appareil, bordent le chemin qui
longe l'Odon, entre le couvent du Bon-Sauveur et la place Fontette.
L'abbaye de Sainte-Trinité de Caen, ou Yabbaye aux Dames, n'a pas
une origine moins ancienne ni moins illustre que celle de Saint-Étienne.
Elle fut fondée par Math ilde de Flandre, femme de Guillaume le
Bâtard, duc de Normandie, au commencement de l'an 1066, c'est-à-

(1) Antiquités anglo-normandes, par Ducarel, trad. de l'anglois par A.-L. Lechaudé d'Anisy,
1823-1825, in-8°.
dire au moment où ce prince préparoit son expédition d'Angleterre, et
la dédicace de l'église fut célébrée le 18 juin de cette môme année, en
présence de Guillaume et de Mathilde. Ce monastère étoit destiné à
recevoir des religieuses de l'ordre de Saint-Benoît, choisies dans les pre-
mières familles du pays. Le duc Guillaume lui-même voulut y placer sa
fille Cécile, qui, plus tard, en devint abbesse ; et après la conquête de
l'Angleterre, il fit don à la nouvelle abbaye d'un grand nombre d'impor-
tantes seigneuries, situées dans ce pays. La pieuse reine Mathilde ne
qu'elle avoit fon-
se montra pas moins libérale envers la communauté
dée, et lorsqu'elle mourut (1083), elle lui laissa par testament sa cou-
d'orfè-
ronne, ses ornements royaux, ainsi que de précieux ouvrages
vrerie, et voulut y avoir sa sépulture. Robert Courte-Heuse, fils de
Guillaume le Conquérant et son successeur au duché de Normandie, en
témoignage d'affection pour sa soeur Cécile, alors abbesse de la Sainte-
Trinité, accrut encore les dotations de l'abbaye. A son retour de la
croisade, en l'année 1100, rapportant pour trophée l'étendard des Sar-
rasins, qu'il avoit enleve a la bataille d'Ascalon, il en fit hommage,
selon Robert Wace, à l'église de ce monastère, où il est resté longtemps
déposé. D'autres historiens assurent que cet étendard fut suspendu à la
voûte de l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem.
Des constructions primitives de cette grande abbaye, il ne reste plus
de conservation
que l'église, laquelle est heureusement dans un état
qui laisse peu de chose à regretter. L'édifice, en forme de croix latine,
l'église abbatiale de
est moins vaste, moins élevé, mais plus orné que
Saint-Étienne. La façade, dans les archivoltes de ses portes et de ses
fenêtres, offre plusieurs rangs de zigzags, et sa décoration variée, quoique
d'un style simple, contraste avec la sévérité un peu aride de la façade
de Saint-Étienne. A l'intérieur, des frettes crénelées se déroulent
nef ; les piliers sont moins massifs que dans
autour des arcades de la
d'autres monuments du même temps; les colonnes ont plus d'élé-
vation et de hardiesse; leurs chapiteaux sont ornés de feuillages d'un
bel effet, et de nombreuses bandes de quatre-feuilles décorent les
arcades du transsept. Au-dessus de la nef, une galerie légère tient la
place du triforium ; les petites colonnes de cette galerie portent des
chapiteaux couverts d'ornements bizarres et de figures, dont plusieurs
sont symboliques, entre autres deux chimères ailées.
On voit dans le choeur le tombeau de la reine Mathilde, renversé
par les huguenots en 1562, profané de nouveau en 1793, et rétabli
en 1819. Le monument actuel est très-simple. Ce qui en fait tout le
prix, c'est la table de marbre du sépulcre primitif, qui, ayant échappé
deux fois à la destruction, recouvre encore le nouveau cénotaphe. Elle
porte l'inscription suivante, en caractères du XIesiècle, disposée sur deux
lignes autour de cette table :

FGREGIE PULCHRI TEGIT il KG STRUCTURA.SEPULCHRI


MORIBUS INSIGNEM, GERMEN REGALE, MATHILDEM.
Dux FLANDRITA PATER IIUIC EXTITIT, ADALA MATER,
FRANCORUM GENTIS ROBERTI FILIA REGIS,
ET SOROR HENRICI, REGALI SEDE POTITI.
RÉGI MAGNIFICOWILLELMO JUNCTA MARITO,
PB.ESENTEM SEDEM REGENTER FEC1T ET F1H.M.
TAM MULTJSTERRIS QIJAM MULTIS REBUS HONESTIS
A SE DITATAM, SE PROCURANTEDILATAM,
H t-G CONSOLATRIXINOPUM, PIETATIS AMATBIX,
GAZIS DISPERSIS, PAUPER SIBI, DIVES EGENIS,
Sic INFINITÉ PETIIT CONSORTIAAFI F
IN PRIMA MENSIS, POST PRIMAM, LUCE NOVEMBRES(I).

(I) Voici la traduction que l'abbé De la Rue a faite de cette épitaphe : « Sous ce magnifiquetombeau
repose Mathilde, dont la vie prouva qu'elle étoit un illustre rejeton de nos rois. Elle eut pour père le duc
de Flandre, pour mère Adèle, fille du roi Robert et soeur du roi Henri. Son mari fut le noble roi
Guillaume. Elle fit bâtir ce temple, sa dernière demeure, et, après l'avoir enrichi par de grandes posses-
sions et lui avoir abondammentfourni toutes les choses nécessaires, elle en fit célébrer la dédicace. Elle
aima la piété, elle consola les pauvres, et, pauvre pour elle-même, elle ne se trouva riche que pour distri-
buer ses trésors aux indigents. C'est par cette conduite que le Ier novembre,après six heures du matin,
elle alla jouir de la vie éternelle. »
Il existoit autrefois dans l'église de Sainte-Trinité d'autres monu-
Cecile et deux autres
ments funèbres qui ont ete détruits. L abbesse
princesses de la famille de Guillaume le Conquérant y avoient leurs
tombeaux. L'emplacement n en a pas été reconnu.
Nous ne devons pas omettre de signaler la crypte placée sous le choeur,
et qui servoit probablement de sépulture aux abbesses. Ea voûte de
colonnes
cette vaste chapelle souterraine est soutenue par trente-six
cylindriques, dont seize seulement sont isolées ; celles du pourtour, en
partie engagées dans les murs, reposent sur un stylobate continu.
Au-dessus de l'église s'élèvent trois tours carrées, l'une au centre
de l'édifice, les deux autres à l'occident, de chacun des deux côtés du
portail. Ces tours sont du commencement du xIIIe siècle; mais les cou-
ronnements ornés de consoles et de balustrades qui terminent celles de
l'ouest ont été ajoutés dans les premières années du siècle dernier.
On a malheureusement détruit, de nos jours, l'ancienne porte de
l'abbaye, un vaste édifice d'architecture romane qu'on appeloit le Palais
de Mathilde, et ce qui restoit des fortifications construites en 1336, au-
modernes et ont été
tour du monastère. Les bâtiments d'habitation sont
transformés en hôpital.
L'église de Saint-Pierre, autrefois la première paroisse de Caen et le
lieu ordinaire des grandes solennités religieuses, est aujourdhui encore
de celte ville. Son architec-
un des monuments les plus intéressants
détruit pas l'unité
ture appartient a divers siècles, ce qui pourtant ne
de l'ensemble. Les parties les plus anciennes sont la tour, la nef et le
choeur, qui toutefois ne remontent pas au delà du XVIe siècle.
La tour de Saint-Pierre, chef-d'oeuvre de hardiesse et d'élégance, a
été construite en l'année 1308. Elle est surmontée
d'une pyramide
pieds au-dessus du sol,
octogone s'élevant à deux cent vingt-sept
de rosaces. Les belles
et percée de quarante-huit ouvertures en forme
proportions de cette pyramide, les huit clochetons à jour qui l'accom-
les arêtes de ses
pagnent, et les crochets qui garnissent extérieurement
huit faces, contribuent beaucoup au merveilleux effet de son aspect.
Le portail ou porche placé sous la tour avoit ete décoré de statues en
1608. Des réparations modernes 1ont complètement dénaturé.
Le portail occidental, ou grand portail, dont la façade s'ouvre sur la
place du Marché-Neuf, a été terminé en 1384 ; mais il a subi, de-
puis cette époque, diverses altérations. Les bords du fronton découpé
à jour qui le couronne, sont garnis de feuilles contournées dans le
style du xve siècle. Plusieurs traits de la vie de saint Pierre étoient
sculptés sur le tympan de la porte; ces ornements ont été presque en-
tièrement détruits en 1793. L'entrée latérale, au nord, du côté opposé
à la tour, est décorée d'élégantes moulures et couronnée d'un fronton
garni de dentelures trilobées. Les sculptures du tympan, représentant
des scènes du Jugement dernier, sont très-endommagées, et la porte a
été murée.
Le chevet, commencé en 1521 par un architecte de Caen, Hector So-
hier, passe avec raison pour un des plus beaux spécimens de l'art de
la renaissance en Normandie. On doit surtout admirer, dans cette par-
tie de l'église, la hardiesse des voûtes chargées de nervures et de pen-
dentifs, et la grâce, la variété, la multiplicité des décorations extei ieuies
de l'abside. Les arceaux du choeur, oeuvre du même architecte, sont
aussi très-remarquables par leur protonde saillie et leur élégance.
Le choeur lui-même et la nef, construits, comme nous l'avons dit,
au XIVesiècle, mais complètement
retouches au XVe,offrent, en géné-
ral, le caractère des derniers temps de l'époque ogivale : guirlandes de
feuilles frisées autour des fenêtres; contre-forts couronnés d'aiguilles hé-
rissées de crochets, nervures prismatiques des voûtes, colonnes
élancées,
à chapiteaux ornés de feuilles déchiquetées.
Les arcades de la nef reposent sur des piliers massifs. Les sculptures
piliers
grossières qui forment les chapiteaux des deux derniers de ces
singularité. Elles
du côté gauche, méritent d'être signalées pour leur
fabliaux du moyen
représentent divers sujets tirés des romans ou des
âge; on y distingue notamment le philosophe Aristote, portant sur son
dAndely, trou¬
dos sa maîtresse (épisode du Lai d Aristote, par Henri
vère normand); Tristan de Leonois, chevalier de la Table ronde, tra-
Chres-
versant la mer sur son épée (roman de Tristan de Léonois, par
tien de Troyes); Lancelot du Lac voyageant en charrette pour aller re-
trouver la reine Genèvre (roman de Lancelot du Lac).
L'ancienne église paroissiale de Saint-Etienne le Vieux, qui depuis
longtemps ne sert plus au culte, remonte par sa fondation à une épo-
que reculée, puisqu'elle existoit déjà au XIesiècle; le patronage en ap-
partenoit à l'abbaye de Sainte-Trinité , par échange fait entre la reine
Mathilde et Odon, évêque de Baveux ; mais l'édifice primitif a disparu.
L'église actuelle, qui offre une longue nef avec des bas-côtés garnis de
chapelles, et un transsept surmonté d'une tour assez hardie, est presque
tout entière du xve siècle, à l'exception de quelques chapiteaux du
choeur qu'on peut regarder comme plus anciens. Tout le côté occiden-
tal de la nef et le charmant portail de la façade appartiennent au style
ogival le plus fleuri. Les culs-de-lampe qui ornent les voûtes du sanc-
tuaire, et, à l'extérieur, les arcs-boutants et les contre-forts du chevet,
sont de la renaissance.
Sur l'un de ces contre-forts, près d'une porte donnant entrée à l'é-
glise par la rue de la Préfecture, est incrustée une statue équestre mu-
tilée et très-fruste, qui paroît n'avoir pas été faite pour la place qu'elle
occupe. À en juger par le costume du personnage représenté, cette sta-
tue semble être une oeuvre du xIIe siècle. Un vieil historien de Caen la
regardoit comme « l'image de Guillaume le Conquérant, faisant son
entrée dans la ville. » L'état de mutilation de cette sculpture ne permet
guère aujourd'hui d'en déterminer le sujet avec certitude.
L'ancienne église Saint-Sauveur, convertie en halle aux grains, est un
composé de constructions de diverses époques. La partie la plus an-
cienne est le dessous du clocher, où l'on distingue encore des colonnes
romanes et des ouvertures bouchées qui étoient à plein cintre. La tour,
autrefois surmontée d'une flèche en charpente qu'on a détruite, et
maintenant recouverte d'un toit à quatre pans, a peu de caractère; la
base de cette tour doit être des premières années du XIIIe siècle, à en
juger par la forme des ogives et les dents de scie de la corniche. L'in-
térieur de la nef annonce le xve siècle. Le choeur, dans le style de la
Renaissance, avoit des voûtes garnies de pendentifs et de diverses mou-
lures en relief qui ont été détachées lors des réparations faites à la halle
il y a quelques années; plusieurs de ces moulures ont été transportées
déposé
au musée de la Société des Antiquaires de Normandie. On a
aussi dans ce musée des fragments de l'ancien portail de Saint-Sauveur,
oeuvre charmante du XVesiècle, dont les voussures étoient couvertes
de guirlandes de feuillage découpées à jour. Le portail actuel a été
élevé peu de temps avant la Révolution.
L'église Notre-Dame de Froide rue est formée de deux édifices accolés
dans le sens de leur longueur, et dont la communication n'existe qu'au
hardiesse. Des
moyen d'une construction en arc, remarquable par sa
deux absides de cette église, l'une, construite vers la fin du xve siècle,
offre des fenêtres festonnées, chargées de ciselures exécutées avec beau-
Saint-Eustache, est un ou-
coup de délicatesse. L'autre abside, dite de
le maître-autel, un vi-
vrage de la Renaissance. On remarque, derrière
trail assez beau, représentant la sainte Vierge debout, tenant dans ses
bras Jésus enfant. " C'est, dit un historien de Caen, le seul monument
de cette espèce qui se soit conservé dans notre ville. » La tour, sur-
montée d'une flèche de pierre travaillée à jour, est d'un bel effet, quoi-
Saint-Pierre. L église
que moins élégante et moins élevée que celle de
de Notre-Dame de Froide rue a gardé son titre de paroisse ; mais elle a
reçu la dénomination de Saint-Sauveur, depuis que
l'ancienne église de
ce nom a cessé d'être consacrée au culte.
L'église de Saint-Nicolas, autrefois dépendante de l'abbaye de Saint-
Étienne, a été construite vers l'an 1083. C'est un des monuments
religieux les plus anciens et les plus précieux de la ville de Caen, parce
qu'on y trouve un type intéressant de l'architecture romane secon-
daire, presque sans mélange d'ornements étrangers et sans altérations
modernes. Sa forme est celle d'une croix latine. A l'extérieur, les
fenêtres demi-circulaires sont accompagnées de curieux modillons à
figures grimaçantes, et des arcatures supportées par des colonnes gar-
nissent la partie basse de l'abside. A l'intérieur, l'édifice est divisé, dans
son élévation, en deux ordres. Au premier ordre, on trouve de belles
arcades cintrées, à plusieurs retraits, reposant sur des colonnes engagées,
cantonnées en croix. Les chapiteaux des arcades qui séparent la nef
des ailes sont ornés seulement de deux larges feuilles recourbées en
volutes et séparées par une espèce de console. L'hémicycle de l'abside
présente une courbe gracieuse, et les cintres qui encadrent les fenêtres
du premier étage sont garnis de tores. Tous ces caractères indiquent
la seconde moitié du XIe siècle. Une rampe en pierre, à moulures pris-
matiques, court entre les colonnes qui soutiennent les cintres des fenêtres
du second ordre. Cette construction, évidemment postérieure au reste
de l'église, se rapporte à des réparations faites vers la fin du xve ou au
commencement du XVIesiècle. C'est aussi à cette époque qu'a été édi-
fiée, du moins en grande partie, la tour principale, accolée à la nef près
de la façade. Une autre tour peu élevée surmonte le transsept. L'église
de Saint-Nicolas, supprimée comme paroisse depuis la Révolution, a
servi longtemps d'écurie. Aujourd'hui, une fabrique de plomb de chasse
est établie dans la tour occidentale.
L'église de Saint-Jean, restée paroisse, existoit dès le milieu du XIe
siècle, puisqu'elle se trouve mentionnée dans la charte de fondation de
l'abbaye deTroarn en 1059. Rien ne subsiste plus de l'édifice primitif.
Gravement endommagée lors du siège de Caen par les Anglois en 1417,
cette église fut alors reconstruite presque entièrement, et l'on y travailla
pendant un siècle. Dans son état actuel, elle peut fournir un bon
exemple du style ogival de la dernière époque. « Ce style, dit M. de
Caumont, est écrit dans les compartiments contournés des fenêtres
garnies à l'extérieur de feuillages frisés que supportent des animaux
de différents genres, dans des postures forcées et bizarres; il est écrit
dans les colonnettes à fûts ovales, équarris du côté le plus apparent;
dans les chapiteaux de ces colonnes, couverts de feuilles déchiquetées;
dans la forme des balustrades, enfin dans les nervures prismatiques qui
décèlent de tous côtés, jusque dans les moindres détails, le ciseau des
artistes du xve ou du commencement du XVIesiècle. »
La petite église de Saint-Gilles, située dans le faubourg de ce nom,
près de l'abbaye de Sainte-Trinité, fut fondée, en exécution d'une charte
de Guillaume-Ie-Conquérant, datée de l'an 1082. Elle est intéressante
par son ancienneté, bien qu'elle paroisse n'avoir été construite que
cent ans environ après cette époque. On ne sauroit, en effet, partager
l'opinion de l'abbé de la Rue, qui considère cette église comme un
monument de la fin du XIesiècle. Les arcades à plein cintre de la nef,
portées sur des pilastres garnis de colonnettes groupées, et les arca-
tures qui les surmontent, annoncent par leur travail la seconde moitié
du XIIe siècle; il en est de même de la corniche ornée de dents de scie,
qu'on remarque sur les murs extérieurs de cette partie de l'édifice. Le
choeur, beaucoup moins ancien, appartient au style ogival ; il a été
construit, au XVesiècle, par un architecte de Caen, nommé Blaise
Leprestre. Le portail latéral, du côté du sud, offre de jolis détails; c'est
une oeuvre de la même époque que le choeur, ou peut-être du com-
mencement du XVIesiècle. Le quartier Saint-Gilles, à cause de sa posi-
tion riante et salubre, fut longtemps habité par les personnages les plus
distingués de la ville, et l'on y trouve encore d'anciens manoirs d'une
construction curieuse. C'est dans une de ces maisons, rue Basse-Saint-
Gilles, que naquit, en 1463, le poëte Jean Marot.
Nous signalerons comme un monument du XIesiècle, d'un assez grand
intérêt, quoique fort dégradé, l'église de Saint-Georges-du-Château, adossée
aux murs de la citadelle et maintenant convertie en magasin pour l'artil-
lerie de la place. On remarque aussi quelques restes de l'époque romane
dans l'ancienne église collégiale du Sépulcre,également abandonnée au-
jourd'hui à l'administration de la guerre. A la même période de l'art ap-
partient la tour méridionale de l'église Saint-Michel de Vaucelles, mais le
reste de l'édifice est moderne. Les églises deSaint-Ouen et de Saint-Julien,
dont les parties les plus anciennes paroissent être de la fin du xve siècle,
n'ont rien qui soit digne d'être recommandé à l'attention des archéologues.
Il ne reste plus que des vestiges de la chapelle de Sainte-Paix fondée
par Guillaume-le-Conquérant, et qui devoit son nom à la Paix ou trêve
de Dieu, publiée dans un concile tenu à Caen en 1061, l'année même
de sa fondation. Quelques bas-reliefs provenant de cette chapelle ont
été transportés au musée de la Société des Antiquaires. Parmi ces
fragments, on distingue une représentation du Christ, la tête ceinte du
nimbe croisé, tenant un livre de la main gauche et donnant la béné-
diction de la main droite.
Les communautés religieuses étoient fort nombreuses à Caen avant
1780; plusieurs d'entre elles avoient des églises remarquables, qui presque
toutes ont disparu. Parmi celles qui subsistent encore, nous ne voyons
guère à citer que l'église de l'ancien couvent des Cordeliers, occupé
aujourd'hui par les Bénédictines du Saint-Sacrement. Cette église avoit
été gravement endommagée pendant les guerres de religion (1562) et
l'on ne commença à la réédifier qu'en 1578. L'édifice, assez vaste,
appartient donc dans son ensemble à la seconde moitié du XVIesiècle;
toutefois, quelques parties paraissent plus anciennes, notamment les
hautes fenêtres en ogive qui éclairent les bas-côtés de la nef.
L'ancien Hôtel-Dieu, fondé par Guillaume-le-Conquérant, reconstruit
et agrandi au XIIe siècle par Henri II Plantagenet, étoit un monument
considérable et fort curieux qu'on a démoli en 1831. Il n'en reste plus
qu'une salle basse soutenue par des colonnettes avec voûte en arc de
cloître.
Les fortifications du Château, commencées par le duc Guillaume vers
la fin du XIe siècle, furent considérablement augmentées par son fils
Henri Ier. Le donjon, construit entièrement par ce dernier prince, offroit
une tour carrée de plus de quatre-vingts pieds de diamètre, flanquée
de contre-forts et entourée d'une ceinture de murailles également carrée,
aux angles de laquelle s'élevoient quatre tours rondes. Cette citadelle
redoutable, environnée de fossés profonds, fut démolie en 1793. D'im-
portantes reconstructions avoient été faites dans toutes les parties du
château sous Louis XII et sous François Ier. Sous Henri III, le seigneur
d'O, gouverneur de Caen et lieutenant du Roi en Basse-Normandie, y
fit aussi exécuter de grands travaux. On ne voit plus aucune trace du
palais que les ducs de Normandie possédoient dans l'enceinte de la
forteresse, et dont Raoul Tortaire, moine de l'abbaye de Fleury-sur-
Loire, qui le visita au XIIesiècle, nous a laissé une pompeuse description.
Mais les murs de l'enceinte elle-même n'ont pas été entièrement détruits.
La partie la plus intéressante de ces vieilles fortifications est la porte
dite de secours, autrefois précédée d'un pont défendu en avant par
des tours qui ont été abaissées.
Parmi les monuments intéressants d'architecture civile que la ville
de Caen renferme en assez grand nombre, nous citerons d'abord l'ancien
hôtel de ville, place Saint-Pierre, construit en 1538 par Nicolas le
Valois, seigneur d'Écoville, et désigné encore sous le nom d'hôtel ou
manoir d'Écoville. Il est formé de quatre corps de logis disposés autour
d'une cour carrée. Le premier, qui fait face à la place Saint-Pierre, est
décoré d'un ordre composite; la porte d'entrée à plein cintre étoit
autrefois surmontée d'une statue équestre de ronde bosse, représentant
le cavalier de l'Apocalypse, et qui a été détruite en 1793, ainsi que la
plus grande partie des ornements des croisées et de la corniche. Le
bâtiment placé au fond de la cour est divisé en trois pavillons. Celui
du milieu est surmonté d'un toit fort élevé et d'une fenêtre en lucarne,
richement décorée d'arcades, de colonnes et d'entablements. A droite
de ce pavillon se trouve l'entrée principale de l'hôtel, sous un péristyle
ouvert formé de deux arcades et conduisant à un escalier en spirale,
couronné à l'extérieur de deux lanternes à jour d'une grande élégance,
qui rappellent à quelques égards les charmants détails du château de
Chambord. Le troisième corps de logis, formant le côté droit de la
cour, est remarquable par la beauté des sculptures et des ornements
qui garnissent les trumeaux des fenêtres. La partie inférieure de ces
trumeaux offre des niches dans lesquelles sont placées deux statues
représentant David tenant la tête de Goliath, et Judith la tête d'Holo-
pherne. Dans la partie supérieure, des écussons armoriés sont soutenus
des nymphes et des génies, et accompagnés de trophées habilement
par
ajustés ; des
le tout est enrichi de lucarnes pyramidales terminées par
l'édifice sont décorés de médaillons et de têtes
vases; enfin les murs de
relief de personnages historiques ou fabuleux. Suivant la tradition,
en
confié la
c'est à des architectes florentins que Nicolas le Valois avoit
d'Écoville
construction de ce riche hôtel. De sa famille, le manoir
au
XVIIe siècle,
en la possession d'un homme érudit et zélé pour
passa,
le progrès des sciences, Moysant de Brieux, qui en fit un
lieu de réunion
fonda l'Académie de Caen. En
pour les savants et les littérateurs, et y le
1733, cette maison ayant été achetée des héritiers de Brieux par
corps municipal, devint l'hôtel de ville et conserva cette destination
jusqu'en 1793.
de la
Autour de la cour des anciennes halles, appelée aussi cour
d abord
Monnoie, se groupent plusieurs édifices dignes d'attention. Cest
l'hôtel Duval de Mondrainville, bâti au XVIe siècle par Étienne Duval,
qu'il
riche bourgeois de Caen, anobli sous Henri II pour les services
colonnes
avoit rendus à l'État. Trois grandes arcades, séparées par quatre
d'ordre composite, forment le rez-de-chaussée primitif de cet hôtel,
subdivisé à une époque postérieure par un plancher faisant entre-sol. La
façade se complète, au-dessus de ces trois arcades, par un attique percé
figurent
de petites fenêtres jumelles garnies de vitraux peints, où
Duval de Mondrainville. On monte
encore les armoiries de la famille
tourelle carrée
à cet attique par un escalier en vis, pratiqué dans une
dôme couronne
faisant retour d'équerre à la façade; une lanterme en
lucarne richement
cet escalier. Le milieu de l'édifice est terminé par une
ornée. Les dés du piédestal des colonnes présentent sur leur
face prin-
l'on distingue les
cipale des bas-reliefs, dégradés par le temps, mais où
de la façade opposée à
quatre cavaliers de l'Apocalypse. A l'extrémité
l'escalier, l'humidité ronge les débris d'un grand médaillon où lon
légende
entrevoit des nuées, une étoile, et des rayons entourés d'une
latines
devenue illisible. Sous la corniche se trouvent trois inscriptions
en lettres noires.
Dans la cour dite de la Monnoie est une autre maison de la Renais-
sance qui a aussi appartenu à Duval de Mondrainville et qu'on avoit
convertie, au XVIIesiècle, en hôtel des monnoies. Une jolie tourelle en
encorbellement occupe le centre de la façade. On y lit l'inscription sui-
vante qui se rencontre également sous la corniche de l'hôtel Duval :

ANT.
NE VITAM SILENTIO PRYETERE

Une arcade, servant d'entrée à une allée aboutissant rue Saint-Pierre,


porte deux cartouches blasonnés dont le premier offre les armoiries de
Duval de Mondrainville : D'argent à la tête de licorne de gueules, au
trois croisettes
chef de sinople chargé ded'or.
Le manoir de Nollent, dit la Maison des gendarmes, à l'extrémité du
faubourg Saint-Gilles, a été bâti, sous le règne de Louis XII, par Gérard
de Nollent, seigneur de Saint-Contest. Ce qui reste de cette habitation
de plaisance se compose de deux tours à plates-formes, jointes par un
mur crénelé et figurant ainsi un petit château fortifié. L'architecte, en
donnant à cet édifice un aspect guerrier, n'en a point exclu les orne-
ments. La tour orientée à l'ouest, près de la porte d'entrée, est surtout
intéressante ; sur la plate-forme sont deux statues en pierre représentant
des soldats ou hommes d'armes dans une attitude menaçante. L'un est
armé d'un arc et l'autre d'une arbalète, et ils paroissent vouloir défendre
l'entrée du logis, ce qui a fait donner au manoir le nom de « Maison
des Gendarmes ». Outre le chambranle, chargé d'arabesques et d'ar-
moiries, qui décore la fenêtre de la grande tour, on remarque sur la
muraille ou courtine crénelée, trente-trois médaillons offrant en relief
des têtes d'hommes et de femmes, et disposés de manière qu'une figure
d'homme fasse vis-a-vis a une figure de femme, ou bien qu'une tête
d'homme soit entre deux figures de femmes. Une seule figure de femme
n'a point d'homme en regard; elle porte pour légende :Pudicitia

vincit amorem, écrit en lettres inverses. Une autre légende singulière,


composée de ces mots C'estma Doriet amie, entoure un médaillon
:
de tète de femme incrusté dans la tour. Ce nom de semble
être un souvenir quelque peu pédantesque de la courtisane Dorica,
citée par Strabon.
L'hôtel de Than, rue Saint-Jean, offre aussi de précieux vestiges de
l'art françois du XVIe siècle, quoiqu'il n'ait pas l'importancedes édifices
que nous venons de citer. Les fenêtres-lucarnes de cette habitation sont
chargées de moulures ornées de pinacles, et produisent un bel effet,
surtout au midi, du côté de la rivière. La façade, devant laquelle se
trouve un petit portique moderne surmonté d'armoiries, est décorée de
médaillons sculptés.
Dans la même rue Saint-Jean, mais du côté opposé, à l'angle de la rue
des Quais, on remarque une curieuse maison de bois dont il ne reste
plus que le premier étage élevé sur un rez-de-chaussée en pierre. Cet
étage est composé d'une série de petits pilastres ornés d'arabesques et
de médaillons représentant des saints et reposant sur un soubassement
divisé en quatre compartiments par autant de piédestaux sur lesquels
sont sculptées en pied des figures de petites proportions, parmi les-
quelles on distingue les Vertus théologales. Les panneaux du milieu,
subdivisés aussi en forme de croix, sont ornés de rosaces et de rin-
ceaux. Ces édifices de bois décorés avec
luxe ne sont pas très-rares à
Caen. On en rencontre d'autres charmants spécimens dans deux mai-
finement sculp-
sons contiguës de la rue Saint-Pierre. Leurs poutres,
tées, sont couvertes d'ornements d'un travail délicat, et des figures de
saints, d'élégants médaillons se marient à leurs moulures. Sur les
pilastres de l'une de ces maisons, sont placées de jolies statues. Un type
plus ancien des constructions de ce genre est la maison des Quatrans,
1380, à Jean Qua-
rue de Geole. Cette habitation, qui appartenoit, en
façade à com-
trans, tabellion de Caen, présente sur la rue une longue
partiments réguliers, mais sans ornements; l'intérieur de la cour est
de forme octogonale,
assez remarquable, surtout par une tour en pierre
dont le sommet a des angles saillants en encorbellement.
Dans les campagnes de la Normandie, « cette terre des églises et
des châteaux », il n'y a point de canton plus riche en monuments de
ce genre que les environs de Caen.
Parmi les édifices religieux de cette contrée, il faut citer d'abord
l'abbaye d'Ardenne, Ardena, de l'ordre de Prémontré, fondée en 1121
par Aiulphe du Marché et sa femme Asceline. Les restes de son église,
aujourd'hui convertie en grange, sont encore importants. L'édifice, qui
se distingue par la légèreté et l'élégance, se compose d'une nef, avec
bas-côtés, sans transsept et sans tour, flanquée seulement aux quatre
angles de tourelles d'un effet pittoresque. La construction de cette
église, commencée dans le XIIIe siècle, a été poursuivie entre les années
1297 et 1324, sous l'abbé Jean le Blond, et achevée cent ans plus tard.
La façade, dont on admire avec raison la grande rose de style flamboyant,
est surtout digne d'attention. Des trois portes qui donnent entrée dans
l'église, celle du milieu, correspondant à la nef, est, selon l'usage, plus
grande et plus riche que les autres ; les colonnes qui en garnissent les
parois latérales, sont disposées sur deux rangs, les unes faisant saillie
sur d'autres plus petites qui supportent des arcatures appliquées à la
muraille. Entre les ogives des arcatures du second plan, on voit des
trèfles au milieu desquels sont figurées des têtes qui, par leur attitude,
semblent regarder ce qui se passe sous le portail de l'église. Les deux
petites entrées qui correspondent aux ailes sont plus simples, mais d'une
forme très-élégante. Trois colonnettes tapissent chaque paroi et sup-
portent les tores des voussoirs; le tympan est orné d'une rosace. A l'in-
térieur, l'élévation de la grande nef est divisée en deux ordres : des
arcades communiquent aux bas-côtés, et des fenêtres ogivales subdivi-
sées en deux baies sont placées au-dessus. Il n'y a pas de triforium entre
ces deux ordres, mais seulement une ornementation de quatre-feuilles.
Les arcades en ogive entre la nef et les bas-côtés sont portées sur des
colonnes cylindriques dont les bases reposent sur un socle en piédestal.
Quatre colonnettes cantonnées en croix s'appliquent sur ce fût prin-
cipal, mais trois d'entre elles s'arrêtent au chapiteau de la colonne
centrale; la colonnette de face s'élève seule jusqu'à l'épanouissement
des arceaux supérieurs. Une partie de la voûte, depuis longtemps
détruite, a été réparée en bois à une époque déjà ancienne; les
culs-de-lampe ou pendentifs qu'on observe de ce côté, sont aussi en
bois.
Les bâtiments de cette abbaye, où logea Charles VII, en 1450, avant
de faire son entrée solennelle dans la ville de Caen, ont été reconstruits
il y a deux siècles, et offrent peu d'intérêt. Ils forment aujourd'hui
deux corps de ferme.
Les églises d'Ifs, de Saint-Contest, de Maltot, d'Évrecy, d'Hérouville,
d'Allemagne, de Mouen, de Cheux, de Tilly-sur-Seulles, de Than ou
Thaon, d'Audrieu, de Rost, sont remarquables à divers titres. Celle de
Norrey, près de Bretteville-l'Orgueilleuse,est plus intéressante encore, et
tout à fait digne de l'attention des archéologues, comme on en pourra
juger par nos dessins. On s'étonne qu'un édifice aussi vaste et aussi
important ait été élevé dans une paroisse dont la population n'a jamais
dû être considérable. Cette église se compose d'une nef simple, d'un
transsept avec chapelles annexées et d'un choeur entouré de bas-côtés,
le long desquels s'ouvrent deux autres chapelles. L'ensemble du monu-
la fin du
ment, qui est surmonté d'une tour élégante, annonce
XIIIe siècle. Les caractères de cette époque se montrent
dans la forme
de ses voûtes ogivales et dans tous les détails de son architecture. Les
sculptures qui décorent les murailles des bas-côtés du choeur présentent
des têtes humaines, des rosaces et des feuillages délicatement fouillés,
des raisins ou becquetant
au milieu desquels sont des oiseaux mangeant
des fruits. Dans les travées qui répondent à la courbure de l'abside,
distingue deux figures
entre les fenêtres et au-dessus des arcatures, on
bas-relief représentant des musiciens dont L'un joue du violon et
en
l'autre sonne de la trompe ou de l'oliphant. Du côté du nord, un troi-
sième bas-relief reproduit les scènes du massacre des Innocents et de
l'adoration des Mages. Les chapiteaux des colonnes sont tous d'une
des
extrême élégance; dans quelques-uns, les volutes se terminent par
fleurs. Les plus riches décorent l'entrée de la chapelle du
nord-est
près des bas-côtés du choeur ; ils offrent des feuillages d'une singulière
exubérance et d'une délicatesse exquise.
Une voie romaine, qui porte le nom de Chemin haussé, traverse la
campagne en passant à l'est de l'église de Norrey, et il est facile d'en
suivre les traces dans plusieurs autres localités voisines. Mais c'est au
village de Vieux, l'ancienne capitale des et l'Aregenus de la
carte de Peutinger, à deux lieues au sud-ouest de Caen, qu'ont été re-
connus les restes les plus importants de la domination romaine dans
cette partie des Gaules. Dès le XVIesiècle on avoit découvert, au milieu
des ruines de Vieux, le célèbre piédestal de marbre auquel on a donné
le nom de marbre de Thorigny, parce qu'il avoit été transporté au châ-
teau de Thorigny par les ordres du maréchal de Matignon. Ce monu-
ment, aujourd'hui placé dans l'hôtel de ville de Saint-Lo, a depuis
longtemps attiré l'attention des savants. Nous ne reproduirons pas la
description qu'on en trouve dans divers recueils; nous rappellerons seu-
lement ici que ce piédestal supportoit autrefois une statue élevée, dans
le IIIe siècle de notre ère, au Pontife Titus Sennius Solemnis, originaire
de la cité des Viducasses, et que les trois faces du stylobate sont char-
gées d'inscriptions fort intéressantes pour l'étude de l'administration des
Gaules sous les Romains. Parmi les autres antiquités qu'ont mises à dé-
couvert les fouilles opérées à Vieux en divers temps, il faut citer encore
des bains publics, un aqueduc, un gymnase, et de nombreux débris de
sculptures gallo-romaines dont les plus remarquables ont été placées
dans le musée de Caen. La campagne voisine de Vieux, entre l'église
de Fierville et le vallon de la Guine, paroît avoir été couverte d'ha-
bitations. C'étoit probablement un des faubourgs de la ville antique.
Le bourg de Creully, dont les seigneurs ont joué un rôle important
dans l'histoire de Normandie depuis Guillaume le Conquérant, possède
un ancien château fort, modifié à diverses époques, mais qui présente
encore un précieux spécimen de l'architecture militaire du moyen âge.
Ses salles voûtées à plein cintre, son donjon, qui forme aujourd'hui le
corps principal du château, remontent à une époque reculée, probable¬
ment au XIIesiècle. Deux tours d'observation accompagnent le donjon
et dominent tout le massif des bâtiments : l'une est octogone et ter-
minée par une plate-forme, d'où l'on découvre un bel horizon; l'autre
est carrée et placée sur le rempart même; elle offre dans sa partie
supérieure un appartement en saillie, autrefois défendu par des mâchi-
coulis, et couvert aujourd'hui d'un toit d'ardoise formant une pyramide
à quatre pans.
Moins ancien que le château de Creully, celui de Fontaine-Henry,
qui en est voisin, est le plus beau peut-être de la basse Normandie. Sa
conservation est parfaite. La partie droite peut dater de la fin du
xve siècle ou des premières années du XVIe.Les fenêtres sont surmon-
tées d'arcades en forme d'accolades et ornées de panaches et de feuil-
lages frisés. Deux tours carrées rompent la monotonie des lignes hori-
zontales. L'une est surtout remarquable par ses moulures; l'autre paroît
plus ancienne que tout le reste, et dater de la fin du xve siècle. A
partir de la première tour, le style change complètement. Des
arabesques, des rinceaux de la plus grande finesse et semblables à ceux
qu'on rencontre sur les monuments les plus ornés du XVIe siècle,
couvrent les murs avec profusion; l'entablement prend des proportions
classiques ; en un mot, tout annonce l'époque de la Renaissance, et
cette partie du château doit être du temps de François Ier. On voit
d'ailleurs le millésime 1537 sur un arc des fenêtres de l'aile gauche.
Les combles extrêmement élevés de cette aile et sa cheminée colossale
dominent tout l'édifice. La grande cheminée n'est guère moins considé-
rable que celle de Chambord et prouve une fois de plus que, dans les châ-
teaux du XVIesiècle, ces accessoires sont de véritables monuments. Sur
tourelle à pans cou-
un des angles du pavillon se trouve une élégante
pés, ornée de moulures et de médaillons. Une tour plus élevée, au
long toit conique, garnit l'angle opposé du même pavillon. Au-dessus
d'une porte, dans l'escalier qui monte aux appartements, on voit une
figure de haut-relief représentant Judith en buste, tenant de la main
gauche la tête d'Holopherne, et la main droite appuyée sur son
épée. L'intérieur du château a été retouché et n'offre pas à beaucoup
près le même intérêt que l'extérieur. A l'entrée du parc se trouve
une jolie chapelle de. la fin du xIIIe siècle, qui sans doute étoit
autrefois comprise dans l'enceinte du château. Les murs de la nef de
cette chapelle sont ornés d'arcatures ogivales à colonnettes, et dans
chaque entre-colonnement est un siège creusé dans la pierre, espèce de
stalle qui ne se rencontre que fort rarement. Le sanctuaire est remar-
quable par ses trois élégantes lancettes percées dans le chevet et par
l'autel sur lequel est une niche portée sur des colonnettes, et destinée
sans doute à abriter une croix ou un tabernacle, disposition très-peu
commune dans nos églises du moyen âge.
Le château de Lasson, situé aussi aux environs de Creully, est,
après celui de Fontaine-Henry, le plus important qu'il y ait à signaler
dans cette contrée. C'est également un monument de la Renaissance.
Il se compose de deux corps de logis dont l'un fait saillie sur l'autre,
ce qui donne à l'ensemble plus d'effet et de mouvement; les mou-
lures qui décorent la façade sont riches et élégantes. Au-dessus du
second ordre d'architecture, un encorbellement très-prononcé porte
une frise ornée de cartouches et de médaillons; plus haut s'élève un
parapet formant attique et dissimulant une partie du toit. Les lucarnes
cintrées, les grandes cheminées qui dominent l'édifice, l'aiguille qui
surmonte le corps de logis le plus saillant, la tourelle octogone ren-
fermant l'escalier, sont d'un excellent effet. L'extrémité orientale a été
reconstruite; la partie nord n'offre pas d'intérêt. A l'intérieur du château
on montre une belle salle dont le plafond est orné de caissons peints
et dorés, qui peuvent remonter au temps de Louis XIV. On voit dans
la frise de la façade une inscription en grandes lettres à laquelle il est
difficile de trouver un sens ; elle est ainsi conçue : SPERO LACON BY
ASSESPERLEN.
C'est encore au style de la Renaissance qu'appartient le château de
Lion-sur-Mer, où l'on remarque surtout un charmant pavillon aux
toits pyramidaux, aux tourelles en encorbellement, et aux longues
cheminées. Les élégantes fenêtres de ce pavillon ont beaucoup d'ana-
logie avec celles du château de Fontaine-Henry.
Dans le même canton nous avons visité avec intérêt et nous recom-
mandons aux archéologues l'église de Bernières, celle de Luc, avec sa
tour garnie de créneaux, et celle de Langrune-sur-Mer, dont nous don-
nons deux dessins. Ce dernier édifice, en forme de croix, avec une
abside à pans et une belle tour centrale, est en grande partie du
XIIIesiècle, et digne d'attention par ses dimensions et son architecture.
La nef, accompagnée de bas-côtés, a des fenêtres étroites en forme
de lancettes et sans colonnettes. Les arcades qui séparent cette nef des
collatéraux, reposent sur de grosses colonnes cylindriques, simplement
ornées de tores; quelques-unes de ces arcades sont cintrées, les autres
à ogives peu prononcées. Celles de l'ouest paroissent les plus
anciennes. La tour, terminée par une élégante pyramide en pierre,
est ouverte à l'intérieur de l'église jusqu'au deuxième étage. Elle se
distingue à l'extérieur par ses hautes fenêtres garnies de fleurs cruci-
fères délicatement sculptées, et par les jolies moulures de vigne
et de feuillages qui règnent sous la corniche supérieure.
Douvres, une des sept baronnies qui formoient la mense épiscopale
des évêques de Bayeux, avoit autrefois un château considérable dont
on ne voit plus que quelques restes, et possède encore une église
romane dont la belle tour mérite d'être citée. C'est sur le territoire de
Douvres que se trouve la chapelle de Notre-Dame de la Délivrande, un
des lieux de pèlerinage les plus célèbres de la Normandie. Fondée,
dit-on, par saint Regnobert, dans le courant du vIIe siècle, cette
chapelle fut détruite au Ixe par les Normands païens. Reconstruite en
1050 par Baudouin, seigneur de Reviers, qui devint comte de
Devonshire, et richement dotée par les évêques de Bayeux, elle fut de
nouveau pillée par les protestants en 1562. La statue de la Vierge
qu'on y vénère échappa miraculeusement à ces ravages. Depuis les
temps les plus anciens on venoit la visiter de toutes les contrées voi-
sines et même de pays éloignés. L'histoire a conservé le souvenir d'un
pèlerinage que Louis XI fit à la Délivrande en 1473. L'architecture des
parties les plus anciennes de cette chapelle ne semble pas remonter
au-delà du XIIe siècle : telles sont particulièrement les arcatures que
l'on y voit à l'ouest et au nord. Le reste de l'édifice est plus moderne.
En nous dirigeant du bourg de Douvres vers Bayeux, nous avons
remarqué les églises de Coulons, de Ruqueville et de Martragny. Près
de cette dernière localité existoit autrefois le prieuré de Saint-Léger,
fondé au XIIe siècle par Raoul de Martragny, et dépendant de l'abbaye
de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Ce prieuré et son église ont été détruits
pendant la Révolution, mais le village de Saint-Léger mérite à un autre
point de vue d'être mentionné : sur son territoire, au sud de la route
de Caen à Bayeux, on a trouvé les vestiges d'une villa romaine, des
briques éparses et plusieurs médailles en grand bronze. Le peuple
donne à l'emplacement où ont été découverts ces débris le nom de
Ville de Barcaï, et veut y voir les restes d'une cité antique ; il est pro-
bable que c'étoit une simple habitation rurale.
Bayeux.

Sous le nom d " Augustodurus,la ville de


miers temps de la conquête romaine, la principale cité des,
Bayeux étoit, dans les pre-

peuple qui occupoit, avec les Viducasses, le riche et fertile pays appelé
depuis le Bessin. Son importance à cette époque est attestée par les
nombreux monuments gallo-romains dont on a trouvé les restes dans
son enceinte. Longtemps avant la chute de l'empire, probablementvers
la fin du IIIe siècle, des pirates saxons, venus de la Scandinavie,s'avan-
cèrent sur les côtes du Bessin et y exercèrent de cruels ravages. On leur
attribue la destruction de la cité des Viducasses, Aregenus, dont nous avons
signalé les ruines au village de Vieux. Le territoire de ce peuple fut
alors réuni à celui des Bajocasses, et il n'y eut plus qu'une capitale
pour tout le pays, Bayeux, qui est la civitas Bajocassium de la Notice
de l'empire. Les Saxons avoient trouve les rivages du Bessin accessibles
navires ; la contrée leur plut, et, soit après
en tous temps à leurs légers
ils établirent
une lutte contre les Romains, soit de leur consentement, y
des colonies, d'où lui vint la dénomination générale de littus saxo¬
nicum ; les colons eux-mêmes reçurent le nom de Saxons Bajocasses,
désignation qui, au moyen âge, se traduisit en langue romane par
cette appellation : les Saisnes ou Sesnes de Bayeux. Lorsque saint Exu-
père ou saint Spire introduisit le christianisme, au Ive siècle, parmi les
habitants du Bessin, et devint le premier évêque de Bayeux, la colonie
saxonne résista avec une sauvage énergie à ses prédications; l'idolâtrie
se maintint longtemps a la porte même de la cite épiscopale, sur
le
mont Phaunus, où s'élevoit, suivant la tradition, un temple druidique
que saint Vigor fit détruire, deux siècles plus tard, pour établir un mo-
nastère sur ses ruines. Les Sesnes de Bayeux fournirent leur contingent
à l'armée qui, sous les ordres d'Aétius, défit les Huns dans les champs
catalauniques (45i); trente-cinq ans plus tard ils se réunirent aux Francs
pour expulser les Romains de la Gaule, et, après la victoire de Tolbiac,
ils se soumirent à la domination de Clovis. Les rois de la première
race établirent à Bayeux un hôtel des monnoies, où l'on frappa des
pièces d'or portant l'inscription HBAIOCAS. Lorsque Charlemagne, vain-
queur des Saxons de la Germanie, répartit ses captifs entre plusieurs
contrées de France, il en envoya un grand nombre dans les campagnes
du pays Bessin. L'ancienne colonie saxonne se trouva ainsi fortifiée
par l'arrivée de nouvelles recrues germaniques; le canton qu'elle oc-
cupoit est désigné dans les capitulaires de Charles le Chauve sous le nom
cVOtlingua Saxonia, petite Saxe. Les Normands, après avoir ravagé le
Bessin en 844, sous la conduite de Biaern et de Hastings, poussèrent
leurs incursions, quatre ans plus tard, jusqu'au coeur du pays, saccagèrent
Bayeux et égorgèrent Walfrid, évêque du diocèse. En 899, ils renou-
velèrent leurs attaques, ayant cette fois à leur tête le célèbre Rollon,
qui vint mettre le siège devant Bayeux. Les habitants se défendirent
vaillamment et firent prisonnier Bothon, un des chefs de l'armée assié-
geante, puis, sur la proposition des Normands, ils se décidèrent à rendre
leur captif, et obtinrent à ce prix un an de trêve. Rollon s'éloigna,
mais, l'année expirée, il quitta les environs de Paris, descendit la Seine
jusqu'à la mer, revint devant Bayeux et s'empara de la place par sur¬
prise. Bérenger, comte du Bessin, qui la défendoit, fut tué avec un
grand nombre d'habitants, et sa fille, la belle Poppa, tomba au pouvoir
du vainqueur (900). La ville avoit été incendiée et presque entièrement
détruite pendant le siége. Rollon, devenu duc de Normandie, donna
Bayeux à Bothon, qui en releva les fortifications et reconstruisit la
plupart de ses églises. Sous les successeurs de Rollon, la capitale du
Bessin devint la seconde cité de la Normandie et le séjour préféré des
familles saxonnes, qui tenoient à conserver la langue de leurs ancêtres,
dont l'usage se perdoit peu à peu dans les autres parties du duché.
On lit en effet dans la chronique rimée de Benoît de Sainte-More
que le second duc de Normandie, Guillaume Longue-Epée, fils de
Rollon et de Poppa, ne voulant pas que son fils Richard sans Peur
fût élevé à Rouen, parce qu'on n'y parloit que le roman, confia
l'éducation de cet enfant au comte de Bayeux, près duquel le jeune
prince apprit à parler « danois. » Richard sans Peur, du vivant de
son père, reçut à Bayeux le serment de fidélité des grands du duché,
et, après la mort de Guillaume, il ne cessa pas d'affectionner le
séjour de cette ville où il fit construire vers l'an 960 un château,
avec une chapelle dédiée à saint Ouen et devenue plus tard paroisse.
Au temps des premiers ducs, l'enceinte fortifiée de la cité, flanquée de
douze grosses tours, ne renfermoit pas seulement le château, la ca-
thédrale et les principales églises; elle comprenoit en outre, dans sa
ligne de défense, une partie des faubourgs de Saint-Laurent, de
Saint-Patrice et de Saint-Jean. La ville étoit rapidement arrivée à sa
plus grande expansion, et le trop plein de sa population débordoit
déjà dans ses champs fertiles. Cet essor fut bientôt arrêté par un évé-
nement funeste. En l'année 1046, un vaste incendie éclata dans Bayeux,
dont presque toutes les maisons étoient construites en bois. La cathé-
drale, les églises, les monastères, tout fut consumé par les flammes.
En quelques années le zèle des habitants parvint à réparer une partie
de ce désastre, mais quelques-uns des quartiers de la cité ne furent
point rebâtis, et, suivant l'expression d'un historien, « les murs de
l'ancienne enceinte se resserrèrent autour de ce corps amaigri, comme
vêtement devenu trop ample. » L'évêque Hugues, cousin du duc
un
il consacra
Robert Ier, gouvernoit alors le diocèse de Bayeux ;
la cathédrale. Ce puis-
des sommes considérables à la reconstruction de
prélat, Regnauld, comte du Bessin, et Grimoult du Plessis, un
sant
à la
des seigneurs les plus influents du pays, prirent une part active
la
révolte des barons normands contre Guillaume le Bâtard. On sait que
allié le roi de
lutte se termina par la victoire de Guillaume et de son
de la
France Henri Ier, au Val des Dunes (1047). Une des conséquences
de
défaite des révoltés devoit être la suppression du titre de comte
Bessin : Regnauld, dépouillé de cette dignité,
fut remplacé par un simple
de Bayeux fut le célèbre
vicomte. Le successeur de Hugues à l'évêché
Odon de Conteville, frère utérin de Guillaume le Bâtard. Après avoir
fait construire à Port-en-Bessin et fourni à son frère plus de cent na-
à éta-
vires pour la conquête de l'Angleterre, Odon l'aida puissamment
blir sa domination dans ce pays, et en fut nommé gouverneur en
Hereford
l'absence de Guillaume, avec les titres de comte de Kent et de
mais ambitieux et remuant,
et de grand justicier. Esprit supérieur,
mêla à
l'évêque de Bayeux conçut l'idée de se faire élire pape et se
1 également
diverses intrigues pour arriver à ce but. L'histoire accuse
de s'être livré en Angleterre à d'iniques concussions qui
attirèrent sur
1082, il y
lui la colère de Guillaume. Arrêté et conduit à Rouen en
prisonnier jusqu'à la mort de son frère. Plus tard, il chercha vai-
resta
la de son neveu
nement à faire passer la couronne d'Angleterre sur tête
Robert Courte-Heuse, partit avec ce prince pour la Terre-Sainte et
chemin, à Palerme, en 1097. La ville de Bayeux doit à cet
mourut en
la restauration du monastère de Saint-Vigor et l'achèvement de
évêque
du XIesiècle rap-
la cathédrale; un autre monument précieux des arts
où sa
pelle le souvenir du même prélat : c'est la tapisserie de Bayeux,
Epis-
figure est plusieurs fois reproduite, avec cette seule désignation :
Odon avoit beaucoup fait pour sa ville épiscopale ; nous avons
copus.
témoignage curieux de la prospérité à laquelle elle étoit parvenue
un
de son temps, et particulièrement de la magnificence de la cathédrale
dont il avoit terminé la construction; c'est une épître latine de Raoul
Tortaire, moine de l'abbaye de Fleury-sur-Loire, contenant le récit d'un
voyage qu'il fit vers cette époque dans le Bessin : « Je pars, dit le pieux
voyageur, pour Bayeux, où se présentent à la vue des édifices pom-
peux et les tours élevées d'un temple admirable, qu'une pierre polie
décore à l'intérieur, tandis qu'au dehors il se distingue par ses statues.
Dans ce temple brillent des vases de divers métaux, les toiles les Plus
fines, l'écarlate et la pourpre la plus éclatante; là des cercles de fer sou-
tiennent une couronne d'argent fixée solidement à la voûte; l'or brille
sur toute sa surface, et un ouvrier habile l'a ceinte d'une suite de petites
tours élégantes. A peine dans la vaste étendue de sa double muraille la
basilique peut-elle contenir cet ornement, qui n'a pas son pareil en pe-
santeur (I). » Henri Ier, roi d'Angleterre, ayant débarqué en Normandie
l'an 1106, pour enlever ce duché à son frère Robert Courte-Heuse,
devenu odieux aux Normands, recruta beaucoup de Manceaux et
d'Angevins et fut reçu partout comme un libérateur. Les seules villes
de Bayeux et de Falaise restèrent fidèles au duc Robert. Roger d'Aul-
nay, qui commandoit pour lui à Bayeux, faisoit des excursionsjusqu'aux
portes de Caen ; il mit le feu à l'église de Secqueville où s'étoit ré-
fugié Robert Hamon, seigneur de Thorigny, partisan du roi Henri, le
fit prisonnier et l'emmena à Bayeux où le peuple vouloit le pendre
:
Mult sovent li escrioient :
La hart, la hart al traïtor
Ki a guerpi son dreit seignor (2).

Le roi d'Angleterre, irrité de la conduite des Bayeusains, vint, à la


tête de ses Manceaux et de ses Angevins, mettre le siège devant la ville,
et là se passa un fait d'armes fort honorable pour la cité. Un cheva-
(1) Ex epistola Rodulphi Tortarii, Floriacensis monachi, ad Robertum.Annales Bénédictines, tome VI,
p. 384 ; — Archives normandes, tome I, 1824; — Essai historique sur Bayeux, par Pluquet, Caen, 1829,
in-8, p. i5o; — Bibliothèquede l'École des Chartes, in-8°, XVIeannée, 1854~1855, p. 489.
(2) « Ils lui crioient à tout moment : la potence, la potence au traître qui a abandonné son légitime sei-
gneur! » Wace, Roman de Rou, t. II, p. 392.
lier allemand d'une taille extraordinaire, nomme Brun, au service du
roi Henri, s'avança au pied des remparts et proposa un défi aux dé-
fenseurs de la place. Robert d'Argouges 1 accepta, et un combat singu-
lier eut lieu à Saint-Georges, sur l'emplacement ou l'on bâtit plus tard
un couvent de capucins. Robert, d'abord
frappe rudement par son
adversaire, chancela sur son cheval ; mais il reprit bientôt 1 offensive, et
du
tua Brun d'un coup de lance. Henri, impatient de venger la moit
chevalier allemand, poussa vigoureusement le siège et mit le feu à la
ville. L'incendie, favorisé par un vent impétueux, fit des ravages ef-
frayants ; le palais de l'éveche, bâti par Odon de Conteville, et dont on
admiroit les peintures merveilleuses « mira picta modo », fut la proie
des flammes, aussi bien que la cathédrale elle-même; heureusement,
de
avant cette destruction, on avoit eu le temps d'enlever du trésor
l'église épiscopale les objets les plus précieux, et c'est ainsi que fut
sauvée la magnifique tapisserie de la reine Mathilde :

Tote fu l'église destruite


Et la richesse fors conduite (I ).

Serlon de Paris, chanoine de Bayeux à cette époque, a composé un


médiocres,
poëme latin sur la prise de cette ville en 1106. Ses vers, fort
patriotisme
ont du moins le mérite de s'élever avec un énergique
contre les désastres ordonnés par le roi d'Angleterre.
Bayeux ouvrit volontairementses portes à Philippe-Augusteen 1204,
réunion à la France,
ce qui ne l'empêcha pas de perdre, après sa
s'étendoit sur tout le
presque toutes ses prérogatives. Sa vicomté, qui
Bessin, fut démembrée, et, lors de la création des baillis royaux,
la
celui qu'on établit dans le diocèse de Bayeux eut pour résidence
ville de Caen, dont la suprématie naissante commença à
supplanter
celle de la cité mère. Dès cette époque, l'histoire de Bayeux n'offre plus
l'An-
le même intérêt. Pendant les longues guerres entre la France et
ville de
gleterre, aux XIVe et xve siècles, c'est principalement contre la
3ç)'i.
(1) Wace, Roman de Rou, II,
Caen, « moult puissante et bien peuplée », que les généraux anglois, en
envahissant la basse Normandie, dirigeoient les efforts de leurs armes.
Cependant Edouard III ne dédaigna pas de brûler Bayeux en 1356, et
la capitale du Bessin fut assiégée de nouveau en 1417 par le duc de
Clarence, qui la soumit au roi Henri Y après une légère résistance. La
domination étrangère y dura trente-trois ans, et nous ne devons pas
oublier que c'est dans les plaines du Bessin, à trois lieues de la vieille
cité des ducs normands, que se livra la bataille de Formigny, où l'épée
du connétable de Richemont expulsa définitivement les Anglois de la
Normandie. Les troubles de la Réforme furent marqués à Bayeux par
des scènes d'une atrocité presque incroyable. La population s'y étoit
toujours fait remarquer par une fervente piété ; les cérémonies du
culte y étoient plus pompeuses peut-être que dans aucune autre ville
normande, et ses églises, ses monastères, ses chapelles, regorgeoient
d'offrandes et de richesses. Le 20 mai 1562, sous l'épiscopat de Charles
de Humières, les huguenots fondirent à l'improviste sur tous les éta-
blissements religieux de la ville. On brisa les images et les autels, on
pilla les trésors et les vases sacrés. Tous les hommes assez hardis pour
s'opposer à cette profanation étoient aussitôt massacrés. On en précipita
beaucoup du haut des murailles dans les fossés.
L'évêque ne dut son salut qu'à sa présence d'esprit. Il donna le
change à ses ennemis en faisant diriger ses équipages vers le château
épiscopal de Neuilly, tandis qu'en toute hâte il gagnoit la côte. En
même temps deux chefs protestants, sous les ordres de Coligny, les sei-
gneurs de Colombières et d'Aigneaux, faisoient le siège du château, qui
se rendit le 12 mai; ils entrèrent tambour battant dans la cathédrale,
dont ils jonchèrent le pavé de ruines, et où ils firent un butin immense,
sans oublier de brûler les archives de l'évêché. La malheureuse ville
avoit d'abord compté sur la protection du duc de Bouillon, gouverneur
de la province; le duc avoit fait transporter dans la citadelle la meil-
leure partie du trésor de Notre-Dame, et, entre autres objets d'art,
une statue de la sainte Vierge en pur argent, deux grandes licornes du
même métal, don de Guillaume le Conquérant, des reliquaires, des ca-
lices, des mitres du plus grand prix ; mais le gouverneur étoit secrète-
ment attaché au parti de la Réforme ; toutes ces richesses, fondues par
ses ordres, servirent à battre monnoie et à mettre sur
pied de nouvelles
troupes d'agresseurs. Le duc d'Étampes délivra un moment la ville et
huguenots ; mais, dès le commencement de l'année 1563,
en chassa les
de
un corps d'armée, commandé encore cette fois par le seigneur
Colombières, réussit à s'en rendre maître, grâce à la connivence d'une
partie de la garnison. Après avoir fait pendre Julio Ravilio Ruffo, ca-
pitaine de la place pour le roi Charles IX, les vainqueurs se livrèrent
à d'épouvantables excès contre les habitants qui avoient gardé leur foi
religieuse. Nous en empruntons le triste récit à un historien fort peu
suspect de partialité en faveur du catholicisme. « Parmi les ecclésiasti-
ques et les fidèles, dit M. Aristide Guilbert, beaucoup, après avoir été
outragés, battus et traînés une corde au cou à travers les rues, purent se
racheter à prix d'argent. Ceux-là furent les moins malheureux. Le plus
grand nombre périrent, avec des raffinements inouïs de cruauté, sous
les coups des soldats de Colombières. Tels devoient souffler dans des
mousquets dont la charge leur faisoit sauter le crâne; tels autres
étoient attachés à la queue des chevaux, qui, lancés au galop, les rom-
poient vifs dans tous leurs membres. Quelques-uns, enterrés jusqu'au
cou, ne dépassoient plus le sol que de leurs tètes, contre lesquelles on
s'amusoit à lancer des boulets. Il en étoit qu'on éventroit pour les rem-
plir d' avoine et les présenter, en guise d'auge, aux montures des ca-
valiers. C'étoit à qui couperoit les oreilles aux prêtres ou aux reli-
gieux : on portoit ces oreilles aux chapeaux en forme de trophée. Les
morts eurent aussi leur part d'outrages. Les soldats huguenots violè-
rent les tombeaux des évêques inhumés dans la cathédrale. Il en fut
de même de toutes les sépultures. On cribla les cadavres de balles; on
jeta leurs ossements aux chiens (I). »

(i) Histoire des villes de France, article Bayeux, par Aristide Guilbert, tome V, p. 692.
Ce règne de la terreur protestante dura quatorze mois. L'arrivée du
comte de Matignon à Bayeux, le 16 septembre 1563, fit passer la force
du côté des catholiques. Cependant les chefs de l'Église réformée
continuèrent à agiter le Bessin jusqu'à la pacification de 1567.
Le tocsin de la Saint-Barthélemy (1572) n'eut point d'écho à
Bayeux et n'y fit pas une seule victime. A la reprise des hosti-
lités, cette ville resta sous l'autorité de Charles IX ; elle se déclara
aussi pour Henri III lorsqu'il rompit avec les Guises. Le capitaine de
Viques, qui s'en empara pour le compte de la Ligue, ne put s'y main-
tenir, et, dès les premiers jours de l'année 1590, elle fut rendue à
Henri IV.
Toutes les institutions judiciaires de Bayeux relevoient du parlement
de Rouen et de la généralité de Caen, mais les démêlés de la royauté
avec la haute magistrature de la province firent transporter deux fois
à Bayeux le siège de la justice suprême du duché. Des commissaires
nommés par François Ier y tinrent les Grands Jours en 1540 et 1548,
et, sous Louis XV, après la suppression des parlements, le roi, à l'insti-
gation du chancelier Maupeou, y établit un conseil supérieur auquel
devoit, ressortir toute la basse Normandie. Ce conseil, installé le 2 oc-
tobre 1771, fut supprimé trois ans plus tard, lorsque Louis XVI, à son
avénement, rappela le parlement de Rouen.
La ville de Bayeux, dépouillée de son château ducal et de la plu-
part de ses églises, qui ont été détruites au temps des troubles révolu-
tionnaires, a du moins conservé sa belle cathédrale de Notre-Dame, un
des monuments religieux les plus importants et les plus remarquables
de la basse Normandie. Reconstruite à diverses époques, après les in-
cendies et les dévastations dont nous avons parlé, cette basilique porte
l'empreinte de toutes les transformations que l'art religieux a subies
durant le moyen âge. L'édifice, en forme de croix latine, a 306 pieds
de longueur totale, sur une largeur de 60 pieds; sa hauteur, de la base
à la voûte, est de 70 pieds. Le choeur et la nef sont flanqués de colla-
téraux de 18 pieds de largeur, autour desquels rayonnent des cha¬
pelles de 15 pieds de profondeur. Le transsept est long de III pieds,
large de 33 et haut de 75.
L'extérieur du monument est d'un aspect imposant et plein de gran-
deur. La façade principale, celle de l'ouest, a conservé ses deux tours
romanes, que couronnent deux élégantes flèches pyramidales du XIIe
siècle, hautes de 225 pieds. Les cinq portes de cette façade, avec leurs
frontons de couronnementet leurs voussures ornées de personnages, sont
du centre, primitivement divisée en
un placage du XIVesiècle. Celle
deux parties par un trumeau en pierre portant une magnifique statue
de la Vierge, a été détruite et refaite à une époque récente ; elle offre
aujourd'hui peu d'intérêt. Dans le tympan de la porte placée à droite
de la grande entrée, se distingue la Résurrection des morts et le Juge-
différentes scènes de la
ment dernier; du côté gauche, on a représenté
vie de Jésus-Christ.
actuel, au-
Le portail du transsept méridional qui fait face à l'évêché
trefois l'hôtel du Doyen, est orné d'une profusion de délicates et gra-
mutilés,
cieuses sculptures. Ses principaux bas-reliefs, malheureusement
rappelant l'histoire de saint Thomas de Cantorbéry; ses deux belles
de ferrures fleurdelisées ou bar-
portes, en bois de châtaignier, décorées
dées de clous, sont une oeuvre du XIVe siècle. A
l'autre extrémité, du
au-dessous
côté du nord, le transsept est percé d'une fenêtre rayonnante,
autrefois servoit
de laquelle s'ouvre une porte ogivale du xve siècle, qui
exclusivement à l'entrée de l'évêque. La tour centrale, dite de
l'Horloge,
l'effet ma-
qui s'élève au-dessus du transsept, contribue puissamment à
xIIe siècle, rebâtie au XIIIe, continuée
jestueux du monument. Fondée au
pendant les siècles suivants, cette tour offre, dans ses parties les plus
Elle
importantes, les caractères du style ogival de la dernière époque.
d'ordre dorique
avoit été surmontée, au siècle dernier, d'une lanterne
de ces constructions successives,
par l'architecte Moussard. Par suite
faites d'ailleurs en matériaux peu résistants, des écrasements si graves
sont manifestés dans les points d'appui, qu'il a fallu cintrer les
se
démolir les parties supé¬
quatre arcs-doubleaux, étayer les piliers et
rieures, qui sont aujourd'hui (1866) en voie de reconstruction. La forme
de la tour est octogonale. Sa base est assise sur une plate-forme car-
rée entourée d'une élégante galerie qui domine de 30 pieds la toi-
ture de l'édifice, et que surmontent douze clochetons ornés de figures
chimériques ou allégoriques. Aux angles de la plate-forme sont sculptés
des personnages de grandeur naturelle figurant des scènes de l'Ancien
et du Nouveau Testament : sainte Anne apprenant à lire à la sainte
Vierge; les rois David et Salomon ; la Vierge tenant l'enfant Jésus dans
ses bras ; Abraham ; le prophète Jérémie, etc. De cette galerie partent
deux beaux escaliers en spirale montant à deux plates-formes entourées
de balustrades et décorées, ainsi que les escaliers, de lions debout te-
nant des écussons aux armes de Normandie ; plus haut, au pourtour
du dôme, des anges aux ailes déployées soutiennent des écussons aux
armes de l'évêque Louis de Harcourt.
En entrant dans la nef par la porte principale, on est frappé d'abord
de la richesse des arcs cintrés du premier ordre et de l'opposition
qu'ils présentent avec les longues fenêtres ogivales qui les surmontent.
Ces arcades romanes aux moulures élégantes et variées sont les restes
de la cathédrale qui existoit au XIIe siècle; au dessus a été greffé, au
XIIIe siècle, le second ordre, qui s'élève jusqu'aux voûtes. Sous la cor-
niche inférieure des galeries, des quatre-feuilles réunis en chaîne en-
tourent la nef comme une guirlande légère incrustée dans la muraille.
Cette frise, qui produit un très-bon effet, ne se rencontre pas fré-
quemment dans les églises monumentales.
Le choeur de la cathédrale de Bayeux offre un des plus beaux types
de l'architecture du xIIIe siècle. L'ornementation en est aussi hardie
que gracieuse. Dans la galerie obscure ou triforium qui règne autour de
l'abside, les arcades sont disposées, au nombre de quatre, sous une plus
grande ogive qui les encadre, et supportées par de légères colonnettes
aux chapiteaux décorés de feuillages. Cet ensemble est d'une extrême
élégance. Aux voûtes du choeur on remarque de très-anciennes et très-
curieuses inscriptions murales peintes en couleur, reproduisant les noms
des vingt et xin premiers évêques de Bayeux ; on y voit aussi les por-
traits en buste de quelques-uns d'entre eux. Des cent quatre magnifiques
stalles qu'on admiroit, il y a peu d'années, dans cette partie de la ca-
thédrale, cinquante-deux ont été enlevées en 1858. Celles qui restent
1588 et 1589 par un menui-
sont fort belles; elles ont été sculptées en
sier de Caen nommé Jacques Lefebvre. A l'entrée du choeur, on voyoit
dernièrement encore un jubé massif soutenu par six colonnes de
marbre noir, et qui coupoit la perspective d'une manière fâcheuse: on
l'a judicieusement fait disparoître.
On compte, autour de la nef et du choeur, vingt et une chapelles,
Cette dernière chapelle,
sans y comprendre celle de la sainte Vierge.
originairement dédiée a la sainte Croix, paroit avoir été construite
après le corps du monument, et probablement sous l'épiscopat de
Philippe de Harcourt (1159). Elle est située à l'extrémité de l'abside
fenêtres ; la voûte s'appuie sur des piliers isolés
et éclairée par cinq
d'une grande délicatesse. Les autres chapelles sont du xIIIe et du XIVesiècle.
Dans quelques-unes d'entre elles, on a découvert, en 1845, de précieux
restes de peintures murales des xve et XVIe siècles,
cachées sous
des couches de badigeon. Ces peintures représentent : saint Panta-
léon, médecin, guérissant un enfant de la morsure d'un serpent; la
décapitation du même saint; saint Éloi, en habits pontificaux, et saint
Robert, en habits de moine; épisode de la vie de saint Blaise ; visite
de la sainte Vierge à sainte Élisabeth ; la Trinité; l'Annonciation; traits
principaux de la vie de saint Nicolas.
Sous le sanctuaire et sous une partie du choeur s'étend une crypte
fort intéressante, que M. de Caumont et la plupart des archéologues
s'accordent à considérer comme une oeuvre du XIe siècle. Les voûtes de
cette crypte sont soutenues par des colonnes monocylindriques à
cha-
piteaux grossièrement sculptés. Par un concours de circonstances assez
difficiles à expliquer, on avoit complètement perdu, pendant longtemps,
le souvenir de cette chapelle souterraine, et elle se trouvoit comme
enclavée dans des constructions du XIIIe siecle, sans qu'on eût même
laissé une ouverture pour y pénétrer. En 1412, lorsqu'on creusa le
tombeau de l'évêque Jean de Boissay, on fut très-surpris de la décou-
vrir. Une inscription en lettres gothiques, placée au-dessus de l'une
des entrées de la crypte, nous révèle cette particularité. Sur les mu-
railles on trouve encore des fragments de peintures du xve siècle; bien
que fort dégradées, ces peintures méritent qu'on veille à ce qu'elles ne
disparoissent pas entièrement. Les derniers évêques de Bayeux ont été
inhumés dans cette crypte.
La salle capitulaire, accolée à la tour du nord, avoit été construite
primitivement dans le style du xIIIe siècle, mais elle a subi des modi-
fications dans les deux siècles suivants. Cet édifice, appelé ordinairement
« le Chapitre, » est plein de détails gracieux; son ornementation à l'in-
térieur a dû être fort riche, à en juger par ce qui reste. Nous signalerons
surtout son curieux pavage émaillé, composé de huit bandes de largeur
inégale, séparées par des bordures de quatre-feuilles ou de fleurs de lis,
et au milieu duquel est figuré un labyrinthe ou chemin de Jérusalem,
dont M. G. de Villers a donné une intéressante description dans le
XIIe volume des Congrès archéologiques de France.
On conserve dans le trésor de la cathédrale plusieurs objets du plus
grand prix, entre autres : la célèbre chasuble de saint Regnobert, décrite
par M. Spencer Smith, et qui est renfermée dans un coffret arabe en
ivoire, avec ornements d'argent, une des merveilles de l'art des Sarra-
sins, remontant au moins au xe siècle de notre ère; l'armure complète
de l'homme d'armes qui accompagnoit autrefois l'évêque de Bayeux
dans quelques cérémonies; une grande armoire du xIIIe siècle servant
aujourd'hui de chartrier. Cette armoire, dont toutes les ferrures sont
intactes, est divisée en sept compartiments, fermés par autant de portes.
Les panneaux ont été peints, et les sujets qui y étoient représentés sont
cela de par-
encore distincts. Ces peintures, assez largement traitées, ont
ticulier que, suivant la remarque de M. de Caumont, elles ressemblent
beaucoup, pour le faire et le procédé des hachures destinées à marquer
les ombres, aux vitraux peints du même temps.
Après la cathédrale, le monument religieux le plus important de
Baveux est la chapelle du séminaire, élégant édifice de la première
moitié du XIIIe siècle, construit par l'évêque Robert des Ablèges poul-
ie service de l'Hôtel-Dieu, qu'il venoit de fonder (i2o6-i23i). Cette-
jolie chapelle offre les combinaisons heureuses usitées dans les plus
remarquables édifices de cette belle époque. Les murs latéraux sont di-
visés en six travées par les colonnes supportant les arceaux de la voûte.
L'élévation de chaque travée présente un mur surmonté d'une fenêtre
à deux lancettes séparées par une colonnette et réunies sous une arcade
ogivale : c'est en petit, et avec plus de simplicité, la disposition des
fenêtres géminées de la cathédrale. Le chevet, qui est droit, se trouve
divisé en deux petites absides pat* l'agencement des arceaux de la voûte
et par une saillie dont le sommet est orné de trois colonnes recevant
la nervule centrale. Nous regretterons avec M. de Caumont que le por-
tail de cette chapelle ait été supprimé, et qu'on ne puisse plus y péné-
trer que de l'intérieur même du séminaire, au moyen d'une galerie
couverte.
Les autres églises de la ville ont peu d'intérêt archéologique, à l'ex-
ception de celle de Saint-Patrice, dont la tour élégante porte la date de
1549. Cette tour se compose de sept étages; les quatre premiers, de
forme carrée, sont ornés de colonnes et de pilastres. Les trois étages
supérieurs sont ronds et surmontés d'un de ces petits dômes hémi-
sphériques ou lanternes dont le XVIesiècle nous a laissé tant d'exemples.
Entre les rues Saint-Nicolas et de la Juridiction, 011 voit quelques
débris de l'ancienne église Saint-Sauveur, qui appartenoit au style ogival.
La petite église de Saint-Laurent, sur le bord de la rivière d'Aure,
n'a aucun caractère, et doit dater du siècle dernier; mais elle mérite
d'être visitée, parce qu'elle est fondée sur les murs de thermes gallo-ro-
mains qui paraissent à la surface du sol.
Ces murailles ne sont pas, à beaucoup près, les seuls restes antiques
qui existent à Bayeux. En construisant la halle, il y a quelques années,
on a reconnu des fragments d'un aqueduc romain qui amenoit dans la
ville les eaux de plusieurs sources des environs, et, sur divers points,
des fouilles ont mis à découvert des fûts de colonnes, des frises char-
gées de sculptures, des chapiteaux, des statues mutilées et de nom-
breuses inscriptions. M. Lambert, conservateur de la bibliothèque pu-
blique, a recueilli les plus intéressants de ces objets d'antiquité, pour
en former un musée lapidaire qui est placé dans la cour de la biblio-
thèque. Parmi les monuments épigraphiques de ce musée, nous citerons
seulement cinq bornes ou colonnes milliaires avec des inscriptions
appartenant aux règnes de Claude, Marc-Aurèle, Septime-Sévère, Maxi-
min et Constantin le Grand, depuis l'année 46 de l'ère chrétienne
jusqu'à l'an 313.
C'est à la bibliothèque de la ville de Bayeux qu'est conservé, dans
une galerie construite spécialement pour cette destination en 1838, un des
plus précieux et des plus célèbres monuments des arts du moyen âge, la
tapisserie de la reine Mathilde, représentant la conquête de l'Angleterreen
1066, par Guillaume le Bâtard, duc de Normandie. Ce magnifique ou-
vrage, dont la réputation est européenne, et qu'on a souvent décrit,
n'a pas moins de 216 pieds de longueur, sur une hauteur d'un pied
et demi, et se compose de cinquante-huit scènes ou groupes de person-
nages disposés dans l'ordre suivant : Le roi Édouard ordonne à Harold
d'aller apprendre au duc Guillaume qu'il sera un jour roi d'Angleterre.
église; Harold met pied à
— Harold est en marche. — On voit une
terre pour prier. — Harold est en mer. — Il est poussé par les vents
sur les terres de Guy, comte de Ponthieu. — Harold s'avance sur le
rivage. — Guy se saisit d'Harold. — Guy conduit Harold à Beaurain
(ad Belrem) ; tous deux sont à cheval, l'oiseau au poing. — Pourpar-
ler entre Guy et Harold. — Guillaume, informé du message d'Édouard
le Confesseur, a envoyé des émissaires vers le comte de Ponthieu
pour le prier de relâcher Harold. — Guy ne s'étant pas rendu à
cette invitation, deux autres envoyés, deux cavaliers bardés de fer,
lui présentent la pointe de leur lance et le menacent au nom
du duc Guillaume. — Un messager vient trouver le roi Guillaume.
Guy amène Harold à Guillaume. La scène se passe à Eu. Guil-

laume a conduit Harold dans son palais. La scène est en deux tableaux :
dans le premier, l'escorte est à la porte du château de Rouen ; dans
le second, on voit une grande salle pleine de personnages : c'est l'au-
dience de cérémonie que Guillaume accorde à l'envoyé d'Édouard le
Confesseur. — Un lettré, un docteur, un clerc, présentent à Harold la
belle Edwige, fille de Guillaume le Conquérant, qui lui a été promise.
Conan, duc de Bretagne, ayant déclaré la guerre à Guillaume, celui-ci
— s'em-
invite Harold, son hôte, à prendre les armes avec lui ; ils vont
barquer pour le Mont-Saint-Michel. —Arrivés à la rivière du Couesnon,
les hommes et les chevaux s'enfoncent dans les sables mouvants par un
effet de la marée. Harold sauve les Normands du danger. — L'armée
de Guillaume marche sur Dol, les Bretons prennent la fuite. — Attaque
de Dinan. — Le duc de Bretagne offre en hommage au duc de Norman-
Ha-
die les clefs de la ville au bout d'une lance. — Guillaume arme
rold chevalier sur le champ de bataille même. — Guillaume se rend
à Bayeux. — A Bayeux, Harold prête serment de
fidélité à Guillaume,
successeur d'Édouard le Confesseur au trône d'Angleterre, selon
comme
à Guil-
le voeu du roi Edouard lui-même. — Harold fait ses adieux
laume; il passe la mer pour retourner en Angleterre. — Harold arrive
à la cour; Édouard écoute du haut de son trône
le récit de l'ambas-
paroles aux
sade en Normandie. — Mort d'Edouard; ses dernières
hommes de sa cour. — Des gens du palais ensevelissent son corps.
la
Harold prend la place de son beau-frère Edouard; on lui donne
royale. Couronnement d'IIarofil. — Le peuple lui rend
couronne — étoile
hommage et se réjouit. — Les mages du temps, à la vue d'une
Harold. —Harold prend la
toute particulière, présagent des malheurs à
Des amis de
lance et se barde de fer pour résister à Guillaume.
duc les
Guillaume font voile vers la Normandie pour apprendre au
Guillaume
événements qui se sont passés après la mort d'Édouard.
On
ordonne que l'on construise une flotte pour passer en Angleterre.
tire les vaisseaux à la mer. — On porte des armes aux navires. —
Guillaume a passé la mer et est arrivé à Pevensey. — Les chevaux
sortent des navires; on monte en selle. — Les cavaliers se dirigent vers
Hastings. — Un chevaucheur à la suite de Guillaume, nommé Wadard,
surveille la cuisine et les cuisiniers de l'armée. —Les viandes cuisent;
les serviteurs préparent le repas. — Guillaume et ses barons sont assis
à une table qui figure un sigma (2). — On tient conseil à Hastings ;
Guillaume est assis entre ses deux frères, Odon, évêque de Bayeux, et
Robert, comte de Mortain. — On creuse un fossé autour du camp fortifié.
— Un
chef s'approche de Guillaume et l'entretient à l'oreille des mou-
vements d'Harold. — On brûle une maison qui gênoit le développe-
ment de l'armée. — Guillaume marche à la rencontre d'Harold. — Sur
sa route, Guillaume interroge un chef de troupe, qui indique de
la
main l'endroit où l'ennemi va se montrer. — Ce même chef, laissé
libre par Guillaume, court prévenir Harold de l'approche de l'armée
normande. — Guillaume harangue les Normands ; la bataille s'engage.
Mort des frères du roi Harold, Lewine et Gyrd. — L'action continue

avec fureur. — Odon, évêque de Bayeux, frère de Guillaume, encourage
les combattants. — Le duc Guillaume, que l'on croyoit blessé, repa-
roît, lève son casque et rassure ses soldais. — L'armée d'Harold est
taillée en pièces. — Harold meurt les armes à la main. — Et ce jour-là,
14 octobre 1066, la victoire d'Hastings fut remportée par Guillaume,
désormais surnommé le Conquérant (1).
L'origine et la date de la tapisserie de Bayeux, incontestées pendant
plus de sept siècles, ont été discutées de nos jours, et quelques écri-
vains ont avancé que cet ingénieux ouvrage étoit probablement posté-
rieur au temps où vivoient Guillaume et Mathilde ; mais une étude
approfondie de cette précieuse broderie historique a fait reconnoître
qu'elle appartient bien réellement à la seconde moitié du XIe siècle,
d'après laquelle la tapisserie
et tout confirme aujourd'hui la tradition
représentant la conquête d'Angleterre fut exécutée par la reine Mathilde

(1) Des inscriptions latines accompagnentchacun de ces tableaux : elles aident a


fixer des points histo-
riques incertains et à suppléer les écrivains du temps.
et les dames de sa cour, sur les invitations de l'évêque Odon, et ex-
posée pour la première fois, autour de la nef de Notre-Dame de
Baveux, le 14 juillet 1077, jour de l'inauguration de cette cathédrale.
Il existe à Bayeux un certain nombre d'habitations anciennes et re-
marquables à divers titres, parmi lesquelles on peut citer de curieuses
maisons de bois des XIVe, XVe et XVIe siècles, dans les rues Saint-Malo,
du Bienvenu et des Cuisiniers ; des maisons de pierre richement ornées
et offrant tantôt les caractères de l'époque féodale, comme celle de la
rue Bourbeneur, tantôt les vastes proportions des grandes demeures sei-
gneuriales des XVIIe et XVIIIe siècles, comme l'hôtel de la Tour-du-Pin,
rue Saint-Nicolas, et l'hôtel de la Caillerie, à l'extrémité occidentale de
la longue rue qui traverse la ville de l'est à l'ouest. D'autres habitations
méritent d'être signalées à cause des souvenirs religieux ou historiques
qui s'y rattachent. Telle est la modeste habitation où une pieuse tra-
dition fait naître, vers la fin du Ve siècle, saint Marculfe, abbé de Nan-
teuil ; telle est encore, à l'angle de la rue Saint-André et de la rue du
Goulet, la maison où naquirent, dans le XVe siècle, Alain Chartier,
poëte, orateur, historien, et ses deux frères, Jean Chartier, historiographe
de Charles VII et Guillaume Chartier, évèque de Paris.
En sortant de Bayeux du côté de l'est, on rencontre l'église de Saint-
Exupère, dont la fondation primitive remonte à un temps très-reculé,
bien que l'édifice actuel soit moderne et sans intérêt architectonique.
C'est dans cette église que furent inhumés les premiers évêques du dio-
cèse. Leurs cercueils, retrouvés il y a quelques années, ont été placés,
pour être offerts à la vénération des fidèles, dans une chapelle souter-
raine, à colonnes cylindriques, construite à l'imitation des anciennes
cryptes.
Suivant une tradition ancienne, le coteau de Saint-Vigor, qui domine
la ville vers l'orient, s'appela jusqu'au vie siècle le mont Phaunus. Le
paganisme y avoit un temple qui fut longtemps célèbre. Saint Vigor,
évêque de Bayeux, voulant faire disparaître ce dernier vestige de l'ido-
lâtrie dans le Bessin, obtint du roi Childebert la possession de la colline,
renversa le temple païen et fonda sur son emplacement un monastère.
Détruite par les Normands, 1abbaye de Saint-Vigor fut rétablie
au
XIe siècle par Odon, évêque de Bayeux, et confiée à des moines du
Mont-Saint-Michel, sous la direction de Robert de Tombelaine. Quand
l'évêque Odon eut été emprisonné
par ordre de son frère Guillaume le
Conquérant, en 1084, les moines dispersèrent,
se et, vers la fin du même
siècle, le monastère de Saint-Vigor, devenu simple prieuré, fut donné
à l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon, qui le posséda jusqu'en
1702.
Ce prieuré avoit une église remarquable, déjà
en ruine au siècle der-
nier, et de vastes bâtiments claustraux, une salle capitulaire,
une belle
bibliothèque, des dépendances considérables,
comme on peut en juger
par la gravure qu'en ont donnée les Bénédictins dans leur Monasticon
gallicanum. Aujourd'hui, les ruines de la vieille basilique
ont tout à fait
disparu, ainsi que les cloîtres; il ne reste plus d'intéressant
que l'entrée
du prieuré, construction du xIIIe siècle, et une curieuse
grange de la
même époque. L'église paroissiale, bâtie sur l'emplacement de celle du
prieuré, est sans caractère. On y conserve un siège de marbre dans
lequel les évêques de Bayeux venoient s'asseoir avant de prendre
pos-
session de leur évêché. Selon l'opinion commune, ce siège remonte
au
moins au temps d'Odon, frère de Guillaume le Conquérant.
L'abbaye de Mondave, abbatia de Monte-Dei, située sur une éminence,
près du village de Juaye, à peu de distance de Bayeux, appartenoit à
l'ordre de Prémontré. Elle avoit été fondée vers 1213 par Jourdain
du Hommet, et, évêque de Lisieux ; aussi dépendoit-elle du diocèse de Li-
sieux, et non de celui de Bayeux, malgré sa proximité de cette dernière
ville. En 1220, Enguerrand du Hommet, frère du fondateur, confirma
les donations que celui-ci avoit faites au monastère ; en 1228, la com-
tesse de Salisbury choisit Mondaye pour lieu de sépulture. D'autres
personnages puissants enrichirent l'abbaye de leurs libéralités; mais le
plus illustre de ses bienfaiteurs fut saint Louis, qui, par une charte
donnée à Paris en 1247, assura aux religieux la jouissance paisible
des biens qu'ils possédoient dans ses fiefs et arrière-fiefs, à condition
qu'ils prieroient pour son salut et celui de la reine sa femme. Une
seconde charte de ce saint roi, datée de Pont-Audemer au mois de juillet
1269, met à la disposition des religieux le bois mort qu'ils pourront
recueillir dans la forêt royale du Vernay. L'église et les bâtiments
de l'abbaye de Mondaye furent reconstruits, au commencement du
XVIIIesiècle, sous la direction d Eustache Restout, piieui
du monastère,
et en même temps architecte, peintre et
sculpteur. L'église, d'un meil-
leur style que la plupart de celles de la même époque, est couronnée
d'un dôme qui produit un bel effet. Il y a dans la chapelle du transsept
nord un retable offrant le groupe de l'assomption de la Vierge ; ce mor-
La façade occi-
ceau, de grande proportion, mérite d'être mentionné.
dentale est ornée de deux ordres superposés : quatre colonnes ioniques
décorent le premier ordre et accompagnent l'entrée principale, quatre
colonnes corinthiennes décorent le second ordre et portent l'entable-
Caumont,
ment du fronton. Comme l'a remarqué avec raison M. de
Eustache Restout a eu le bon goût de conserver dans la disposition des
voûtes, dans les fenêtres allongées de la nef et du choeur, dans les pro-
portions générales, des combinaisons qui accusent le désir de faire pro-
fiter l'architecture moderne des formes de l'architecture si élégante des
l'église de Mondave
temps antérieurs. Le même artiste peignit pour
quelques-uns s'y voient
un assez grand nombre de tableaux, dont
l'époque de la sup-
encore. Les autres ont été transférés à Bayeux, à
pression des maisons religieuses. Quelques pierres tombales des xvIe et
XVIIe siècles,
qui se trouvoient dans l'ancienne église, ont été repla-
la
cées dans l'édifice actuel. Parmi les dalles tumulaires postérieures à
reconstruction, nous citerons seulement celle d'Eustache Restout, qui
quatre"v^n8t-
mourut à Mondaye le Ier novembre 1743? a ''a8e
huit ans.
Au nord de Bayeux, entre cette ville et la mer, et avant
d'arriver
visité avec intérêt
au bourg maritime de Port-en-Bessin, nous avons
les ruines de l'abbaye de Longues, monastère de l'ordre de saint Benoît,
fondé en 1168 par Hugues de Wac, avec le consentement et l'ap¬
probation de Henri II, roi d'Angleterre, duc de Normandie. Un grand
nombre de seigneurs anglois et normands avoient fait des donations
considérables à cette maison religieuse, qui étoit une des plus impor-
tantes du diocèse de Bayeux. Supprimée en 1790, et démolie, pour la
plus grande partie, l'abbaye de Longues n'offre plus que des débris;
mais ces débris méritent l'attention des archéologues. L'entrée, qui
borde un chemin allant de Bayeux à la mer, est une construction du
XIIIeou du commencement du XIVesiècle. Quand on pénètre dans la
cour par cette entrée, on a devant soi les restes de l'église, dont il
ne subsiste plus que le choeur et quelques fragments du transsept. Le
choeur appartient tout entier à la plus belle époque du style ogival.
Le clerestory se compose de deux lancettes accolées surmontées d'une
rose à six lobes, et comprises dans un encadrement en ogive. Une
rampe tréflée court à la base de ces lancettes; elle tient lieu de trifo-
rium, et, comme il n'y a pas de bas-côtés, un mur plein, de hauteur
médiocre, remplace les arcades qui existeroient au rez-de-chaussée dans
une église plus élevée et plus complète. Le choeur avoit été, dans
l'origine, pavé en briques émaillées. On voit dans le sanctuaire, du
côté de l'épître, la décoration d'une arcade tumulaire assez riche, dont
les détails sont très-délicats. L'aspect extérieur de ces ruines, particuliè-
rement du côté du midi, est de l'effet le plus pittoresque.
Le cloître et l'église de Longues renfermoient les tombes d'un grand
nombre de dignitaires et de bienfaiteurs de l'abbaye ; parmi ces der-
niers on peut citer surtout les seigneurs d'Argouges, dont la famille
étoit une des plus anciennes et des plus puissantes du Bessin. Le châ-
teau d'Argouges, dont on voit les restes à peu de distance de Lon-
gues, a souvent exercé le crayon des artistes. Défendu par des fossés
autrefois pleins d'eau, ce château présente d'abord une porte cintrée
dans le style du XVIesiècle, et, en face, un bâtiment assez considé-
rable flanqué de deux tourelles en saillie, terminées, l'une par un
toit pyramidal, l'autre par un corps quadrangulaire avec fronton et
toit à double égout ; les fenêtres ont encore leurs croisées de pierre.
Marigny, village situé à peu de distance des ruines de l'abbaye de
Longues, possède une église romane qu'on peut regarder comme une
des plus anciennes et des plus curieuses des environs de Bayeux. C'est
un édifice à chevet rectangulaire dont le choeur et la nef sont à plein
cintre. Un porche occidental et une tour centrale, peut-être du
XIVe siècle, une sacristie moderne accolée au choeur du côté de l'é-
vangile, sont des additions qui n'altèrent pas le plan de l'église ro-
mane. Le choeur se compose de deux travées éclairées
chacune par
deux fenêtres, l'une au nord l'autre au midi ; les fenêtres du chevet, au
nombre de trois, sont bouchées. Les arceaux des voûtes reposent sur
trois colonnes accouplées entre les deux travées et sur d'autres colonnes
de la
aux angles du parallélogramme. L'arcade qui sépare le choeur
nef a son archivolte garnie d'un triple zigzag. Du côté de l'épître on
voit une crédence du xIIIe siècle à deux arcatures ogivales. Une porte
latérale au sud est remarquable par le bas-relief qui occupe le tympan.
Ce bas-relief, qui a plusieurs fois occupé les savants, représente l'arbre
symbolique de l'Orient, le Hom, entre deux lions affrontés. On en a
tiré un argument pour démontrer que les dessins brodés sur les étoffes
orientales ont été quelquefois copiés par nos sculpteurs du XIIe siècle.
Dess.etlith par Emile Sagol.

A ï Lemaitre Editeur,23Quai de l'Horloge


tJttt et le &oca$t normand
corda aux habitants une charte de commune. La forte position de cette
place offroit de tels avantages qu'Édouard III, roi d'Angleterre, la
demanda pour la rançon du roi Jean ; mais, quoique le prince captif y
du traité, et Vire
eût consenti, le Dauphin régent refusa la ratification
136o. Lors
échappa aux Anglois quand la paix fut signée à Brétigny en
de la grande invasion de la Normandie par le roi d'Angleterre Henri
V,
de Vire avoient pour gouverneur Jean
en 1417, la ville et la forteresse
des hom-
de Gaule, écuyer, dit le Compagnon de Gaule, qui, à tête
la

d'armes et des milices qu'il commandoit, marcha vers Saint-Lô et


mes
l'ennemi jusqu'à Carentan. Il venoit de rentrer dans Vire, lors-
repoussa
ordres des ducs de Glocester et de Clarence
que l'armée angloise, sous les
de Salisbury, présenta devant cette ville et l'investit. Après
et du comte se
ré-
quelques jours d'une vive résistance, la garnison, sans munitions et
( 21 février
duite à un petit nombre de soldats, fut obligée de capituler
1418).
Le texte de cette capitulation assuroit à Jean de
Gaule la faveur
préféra rester fidèle au roi
du roi d'Angleterre s'il vouloit le servir. Il
« rebelle », l'exil et la confiscation de ses pro-
de France et subir, comme
l'exemple de plus de vingt
priétés du pays de Caux. Il suivoit en cela
malheureuse époque, s'éloi-
cinq mille familles normandes qui, à cette
angloise,
gnèrent volontairement de leur pays pour fuir la domination
e't dans
allèrent s'établir, les unes en Bretagne, les autres en Bourgogne et
Anglois se maintinrent
diverses provinces du centre de la France(I). Les
possession de Vire pendant trente-deux ans. La garnison qu'ils entre-
en
murs environs.
tenoient dans ses ne cessoit de faire des courses aux
de Varnoux,
En 1449, un de ses détachements rencontra, près de la croix
petite troupe françoise qui faisoit partie de la garnison de Gavray :
une
« Et Anglois
là fut fort combattu, dit Monstrelet, mais enfin furent les
desconfits, les uns morts, les autres prins, et peu s en
échappèrent.»
le roi
L'année suivante, Henri de Norbery, gouverneur de Vire pour
d'Angleterre, ayant joint à Valognes Thomas Kiriel avec quatre cents
(1) Texte de la capitulation de Vire, publié dans les Mémoires de la Société des antiquaires de Nor-

mandie, tome XV. - Histoire militaire des Bocains, par Richard Seguin, Vire,
1816, in-12, p. 294.
hommes de troupes qu'il avoit sous ses ordres, le suivit dans son mou-
vement d'invasion, et fut fait prisonnier avec lui à la bataille de For-
migny. Le connétable de Richemont se présenta bientôt devant la place
de Vire, et le fils de Norbery, qui en avoit pris le commandement, la
livra au connétable, en échange de la liberté de son père (avril 1450).
Le roi Charles VII donna à Richemont la charge de gouverneur de
cette ville. Le duc de Rretagne, François II, occupa la forteresse pendant
ses démêlés avec Louis XI, mais ses troupes l'évacuèrent au bout de
quelques mois (1468). Pendant les guerres de religion Vire fut deux fois
pillée et dévastée par Montgomery, chef du parti protestant (1562 et
1568). Ses habitants, ruinés par ces désastres, se trouvèrent alors réduits
à une si profonde misère, que Charles IX leur fit remise des tailles qu'ils
ne pouvoient payer. En 1574, les calvinistes s'emparèrent encore une
fois de Vire, mais ils en furent chassés au bout de quelque temps par
le duc d'Étampes. A la mort du duc de Guise, les Virois embrassèrent
le parti de la Ligue, et résistèrent à Henri IV, qui vint en personne
assiéger leur ville. Elle se soumit en 1590, et une longue paix y
ouvrit une ère nouvelle de prospérité qui ne fut interrompue que par
la sédition des Nu-pieds en 1689. Les mutins envahirent le lieu des
séances des officiers de l'élection, chassèrent les magistrats, massacrèrent
le président Sarcilly et brûlèrent sa maison. Tous ces désordres étoient
l'ouvrage des habitants des faubourgs; les bourgeois de la ville voulu-
rent s'opposer aux séditieux, il y eut collision, et quelques-uns de ces
derniers furent tués. Les faubourgs, pour se venger, investirent alors la
cité. De grands malheurs étoient inévitables, sans le comte de Matignon,
lieutenant général de Normandie, qui sut réconcilier les citoyens prêts
à s'égorger les uns les autres (I). En 1759, un incendie réduisit en
cendres une partie du faubourg de Vire. C'est le dernier événement
remarquable que les historiens de la localité aient enregistré dans ses
annales.

(1) Histoire du parlement de Normandie, par M. Floquet.


Lorsqu'on arrive à Vire par la route de Caen, on pénètre dans la ville
la porte du beffroi, dont une partie date de l'an 1480, et qui est
par protège ville. »
surmontée d'une Vierge avec cette inscription : «
de 90 pieds, le beffroi
Au-dessus de cette porte s'élève, à une hauteur
XVe siècle, de forme
la Tour de Vhorloge. C'est une construction du
ou dans
octogonale, flanquée de deux tours plus basses, en partie engagées
munies de
des constructions sans intérêt. Autrefois, trois autres portes
dans la cité. D'é-
herses et de ponts-levis donnoient également accès
des tours à machicoulis
paisses murailles défendues aux angles par
formoient,
derrière de larges et profonds fossés, une enceinte
d'environ
de ces vieux murs.
350 toises. Il reste encore quelques vestiges curieux
conservé est l'église
Le monument le plus important que Vire ait
du XIIe
paroissiale de Notre-Dame. Elle fut bâtie, au commencement
Ier, roi d'Angleterre et duc de Norman-
siècle, sous le règne de Henri
de Chester, la donna
die. Ce prince, conjointement avec Richard, comte
moines de l'abbaye de Troarn, mais elle devint paroisse en 1272,
aux on la reconstruisit l'agrandit con-
époque à laquelle ou du moins on
L'é-
sidérablement. Cette année 1272 est aussi la date de sa dédicace.
l'on ne
difice appartient dans son ensemble à cette reconstruction, et
les deux chapiteaux romans
peut guère y signaler de plus ancien que
remarquables, celles dans les-
placés sous l'orgue. Les parties les plus
la seconde
quelles on reconnoît tous les caractères de l'architecture de
du
XIIIe siècle,
sont la nef et ses bas-côtés et le transsept méridio-
moitié
de la nef, le
nal avec son portail. Les chapelles attenantes aux bas-côtés
XVesiècle. On peut
choeur tout entier et l'abside sont probablement du
du choeur et
signaler à l'intérieur de cette église les peintures murales
l'abside ; l'autel de la chapelle Saint-Pierre et ses deux belles statues en
dans la cha-
bois, oeuvre de la renaissance; un autel de la même époque
paroissant datet du
pelle neuve; un autre dans la chapelle de la Vierge,
massif triangulaire, sappuie en
xve siècle, et dont la table, portée sur un
deux colonnes; une niche en granit au-dessus de la seconde
avant sur
de la Petite-Pois-
arcade du choeur; une porte élégante appelée porte
sonnerie; enfin la balustrade en bois sculpté qui entoure les fonts bap-
tismaux.
L'église Saint-Thomas, qui n'étoit, avant la révolution, qu'une an-
nexe de Notre-Dame, passoit pour la plus ancienne de la ville. Elle
appartient, en effet, au style roman, à l'exception du choeur, qui est
de l'époque ogivale. Cette église contenoit quelques fragments de boi-
series de la Renaissance, avec lesquels on a reconstruit une chaire.
Dans la nef, on voit encore quelques pierres tombales chargées d'ins-
criptions, mais elles sont assez modernes; la plus ancienne ne remonte
pas au-delà de l'année 1699. L'église Sainte-Anne est d'une époque ré-
cente, sauf quelques traces du XVIeou du XVIIesiècle. Elle n'a aucun
intérêt archéologique.
Une promenade occupe aujourd'hui l'emplacement de l'ancien châ-
teau de Vire, dont il ne subsiste plus que quelques ruines pittoresques.
Reconstruit au XIIe siècle par le duc-roi Henri Ier, ce château étoit si-
tué, comme ceux de Falaise et de Domfront, sur une presqu'île ro-
cheuse, et inaccessible de tous côtés, excepté de celui qui regarde la
ville; mais un fossé profond et d'épaisses murailles, fortifiées par des
tours, en défendoient l'approche. Deux de ces tours, qui flanquoient
la porte d'entrée, avoient plus de 60 pieds de hauteur. A l'intérieur du
château se trouvoit une chapelle dédiée à saint Biaise. Sur la pointe
du rocher s'élevoit le donjon, divisé en quatre étages. Il fut démantelé
en 1630, lorsque Richelieu donna l'ordre de-détruire les fortifications
de Vire.
A peu de distance de la ville s'ouvrent les deux jolies vallées con-
nues sous le nom de Vaux-de-Vire. Traversées par la Vire et la Vi-
rène, elles s'étendent l'une du nord au midi, l'autre de l'est à l'ouest,
et offrent de toutes parts les aspects les plus gracieux et les plus va-
riés. Au pied d'une colline, qui encadre le paysage, on montre encore
la maison où naquit, vers la fin du XIVesiècle, Olivier Basselin, le poëte
populaire de ces vallées. On dit que ses chansons bachiques, les rondes
joyeuses qu'il composoit ont reçu, du lieu même où il les chantoit,
le nom de Va/ux-de-Vire, et on assure que c'est ce nom, un peu altéré,
qui a servi plus tard a désigner nos couplets de table, nos chansons,
enfin nos vaudevilles. Cette tradition et cette étymologie peuvent fort
bien être acceptées ; mais les poésies publiées par Jean le Houx, au
XVIIesiècle, sous le nom d'Olivier Basselin, sont évidemment trop mo-
dernes et d'une forme trop littéraire pour qu'on puisse les lui attribuer,
et il est peu probable que nous ayons le véritable texte des chansons
du poëte virois.
Les environs de Vire sont plus remarquables par la beauté du pay-
le nombre et
sage, la fraîcheur des bois, la diversité des sites, que par
l'importance des monuments du moyen âge qu'on y rencontre. Nous
devons toutefois en signaler plusieurs qui ne sont pas sans intérêt. La
petite ville de Condé-sur-Noireau, quoique livrée à une active indus-
trie, n'a pas perdu sa physionomie ancienne; elle conserve précieuse-
ment les débris de son donjon du XIIe siècle, les belles verrières de son
église de Saint-Martin, et quelques maisons de bois d'une construction
curieuse. Le bourg de Vassy, ancienne baronnie, et le village de Saint-
Germain du Crioult, possèdent des églises du XIIIe siècle qui méritent
d'être visitées. Le Désert, prieuré dépendant de l'abbaye de Troarn, avoit
n'est pas con-
une origine fort ancienne, mais dont la date certaine
nue. On sait seulement qu'il reconnoissoit pour
fondateur Ranulfe de
Presles, chevalier, et pour un de ses premiers bienfaiteurs Henri Ier,
roi d'Angleterre, qui, par une charte de l'an 1108, lui donna les dîmes
du revenu du château de Vire. Il ne reste absolument rien de ce
prieuré.
Un autre monastère plus important, de la même contrée, a laissé
quelques traces. C'est l'abbaye d'Aunay, de l'ordre de Cîteaux, fondée
vers
1131
par Jourdain de Say, et enrichie de donations considéra-
bles par Richard du Hommet, connétable de Normandie sous le roi
Henri Ier. Son église, consacrée à la sainte Vierge, avoit été dédiée solen-
nellement par les évêques de Bayeux et de Coutances, le 29 avril 1190.
Parmi les bienfaiteurs de ce monastère, on compte des papes, des rois
deFrance et d'Angleterre, des comtes de Chester et
un grand nombre
de barons normands, principalement les seigneurs de Saint-Remi, de
Villiers, d'Aunay et de Sémilly. L'abbaye d'Aunay, qui
a donné nais-
sance à celle de Thorigny, avoit adopté « l'étroite observance en 1635 ;
»
avant la révolution elle possédoit dix-huit patronages et plus de trente-
trois mille livres de revenus. Son église, assez remarquable
encore
malgré les modifications qu'elle a subies, conservé, de
a ses construc-
tions primitives, la moitié de la nef (XIIe siècle), quelques parties des
transsepts et l'un des bas-côtés du choeur.
Le bourg du Plessis-Grimoult, situé à l'extrémité d'une
vaste lande
élevée de onze cents pieds au-dessus du niveau de la
mer, et d'où l'on
découvre l'embouchure de la Seine, le Havre et les falaises qui l'avoi-
sinent, doit son nom à l'un des plus puissants barons normands du
XIe siècle. Grimoult, seigneur du Plessis, étoit un des principaux chefs
de la conjuration qui tenta de détrôner Guillaume le Bâtard,
et le
combattit au Val des Dunes en 1047. Après la perte de cette bataille
décisive, il essaya de rallier quelques-uns des conjurés, mais il fut
fait prisonnier et conduit à Rouen. Plus tard
on le trouva étranglé
dans son cachot. Après sa mort, baronnie du Plessis fut confisquée,
sa
avec tous ses autres biens, et donnée, en 1074, à la cathédrale de
Bayeux. Vers 1130, Richard de Douvres, évêque de
ce diocèse, fonda
au Plessis-Grimoult un prieuré de l'ordre de Saint-Augustin, auquel
les rois d'Angleterre Henri Ier et Henri II firent d'importantes dona-
tions. Ce dernier prince obtint, en 1180, du pape Alexandre III,
une
bulle en faveur de ce monastère et des églises d'Ivrande, de Fresnes
et de Montsegré, qui en dépendoient. Depuis la réunion de la Nor-
mandie à la couronne de France, le prieur du Plessis-Grimoult étoit à
la nomination du roi. Quand on arrive sur la montagne du Plessis,
du côté d'Aunay, on aperçoit les ruines de l'église du prieuré, au nord
du bourg, à l'extrémité de la bruyère. Cette église, placée sous l'in-
vocation de Saint-Etienne, et consacrée en 1131, étoit considérable.
Ses intéressants débris ne remontent pas tout entiers, il est vrai, à
Cette époque
reculée ; mais on y remarque des voûtes romanes qui
pourvoient bien appartenir a la première construction. Les restes de l'ab-
side et des transsepts, ainsi que les chapiteaux des colonnettes mutilees,
annoncent le XIIIe siècle. La tour, un peu moins ancienne, qu'on voit
à l'ouest, devoit être d'un bel effet avant qu'on eut substitue a sa flèche
détruite la plate-forme qui la surmonte. La salle capitulaire et la porte
d'entrée du couvent, du côté de la route, sont de style ogival et assez
bien conservées.
des pans
Au sud du prieuré, près des maisons du bourg, se trouvent
de murs épais, des voûtes à moitié écroulées, restes informes du châ-
Plessis, et qui est demeuré
teau construit par Grimoult, seigneur du
inhabité depuis sa mort. Quoiqu'il soit dans un état de dégradation
fort avancé, il mérite d'être étudié comme un type curieux et assez
du XIe siècle.
rare des forteresses élevées dans la première moitié
falaise.

La ville de Falaise, placée dans un des sites les plus accidentés de


la Normandie, doit évidemment son nom aux rochers escarpés qui
soutenoient sa forteresse. Elle s'élève sur une espèce de promontoire,
entre deux éminences, semblable, comme on l'a dit poétiquement, « à
un vaisseau amarré entre des montagnes et des bois ». Son origine n'est
pas des plus anciennes, puisque ce n'est qu'au xe siècle qu'on rencontre
pour la première fois son nom dans l'histoire. C'étoit alors une bour-
gade du pays d'Houlme, Holmetia subdivision du comté d'Hié-
,
mois. Vers l'an 969, le duc Richard la ceignit de murailles flanquées
de tours, et construisit le château, qui devint une importante place
d'armes. L'un de ses fils, Robert le Magnifique, ou le Diable, fit de Fa-
laise sa résidence habituelle; il s'y éprit d'amour pour la belle Arlette,
fille d'un pelletier, et de leur union illégitime, dont le chroniqueur
Benoît de Sainte-More nous a laissé un naïf et gracieux récit, naquit
dans cette ville, en 1027, Guillaume le Râtard, le conquérant de l'An-
gleterre et le fondateur de la puissance anglo-normande. Ce fut en
parcourant les sites sauvages qui entouroient son berceau que Guillaume
apprit à braver les dangers et acquit ce caractère audacieux et entre-
prenant qui le rendit l'homme le plus extraordinaire de son siècle. Le
Conquérant favorisa toujours la ville où il étoit né et qu'il aimoit.
Dans un des faubourgs de la cité connu sous le nom de Guibray, exis-
toit dès-lors un marché forain très-fréquenté; il en augmenta l'impor-
tance en y réunissant une autre foire célèbre qui se tenoit à Mont-
martin, aux environs de Coutances, et celle de Guibray acquit, à partir
de cette époque, une immense renommée. Guillaume agrandit l'en-
ceinte de Falaise et en fortifia le château ; il distribua dans la ville des
eaux abondantes ; il donna aux habitants la chapelle ducale qu'il avoit
fait bâtir sur la place du Vieux-Château ; il fonda ou reconstruisit plu-
sieurs églises, et imprima au commerce et à l'industrie locale une nou-
velle activité.
Cette prospérité se continua sous le règne de Henri Ier; mais, à la
mort de ce prince, Falaise s'étant déclarée pour Étienne de Blois contre
les prétentions de Mathilde, femme de Geoffroy d'Anjou, eut à soute-
nir plusieurs siéges. La lutte se termina par la capitulation de la ville.
Avec les clefs de leur château, les notables de la cité offrirent au mari
de Mathilde les voeux du peuple, et cette soumission commença la
fortune des Plantagenets (x i/p>).
Sous la domination de Henri II, fils de Geoffroy, et sous celle de
ses successeurs, le donjon de Falaise fut plus d'une fois transformé en
prison d'État. Henri y fît enfermer, en 1174, Guillaume, roi d'Écosse,
révolté et vaincu; il ne lui rendit la liberté, l'année suivante, qu'après
avoir exigé de lui plusieurs otages, et le serment comme son homme-
lige. Le comte de Chester, que Louis le Jeune, roi de France, avoit
envoyé en Angleterre avec des troupes, fut, à la même époque, em-
prisonné dans la forteresse de Falaise, à la suite de sa défaite. Enfin
Henri Il y retint aussi captif Hugues de Saint-Hilaire et dix des princi-
paux seigneurs du parti de son fils Henri, lorsque la révolte du jeune
prince eut été comprimée. Vers le même temps il fit élever sous les
murs de la ville, pour y recevoir les pèlerins qui revenoient malades
de l'Orient, une léproserie dont l'emplacement se montre encore à Gui-
bray, ainsi qu'une partie de la chapelle annexée à cette fondation. Ri-
chard Coeur-de-Lion, troisième fils de Henri II et d'Éléonore de Guyenne,
devenu roi d'Angleterre et duc de Normandie, assigna Falaise pour
apanage à Bérengère de Navarre, qu'il épousa à Messine peu de jours
avant son départ pour la Palestine. Jean sans Terre, qui recueillit la
couronne de Richard, vint plus souvent à Falaise qu'aucun de ses pré-
décesseurs, On sait qu'il y tint quelque temps prisonnier le jeune Ar-
thur, duc de Bretagne, après la défaite de ses partisans au combat de
Mirebeau (1202). C'est là qu'un émissaire du roi parut devant le prince
captif, en lui annonçant qu'il avoit reçu l'ordre de lui crever les yeux
et de le mutiler. Le pauvre enfant, exaspéré et indigné, voulut s'élan-
cer sur le misérable; le commandantde la forteresse, Robert du Rourg,
s'interposa entre la victime et le bourreau, et Jean sans Terre se ren-
dit lui-même à Falaise pour essayer d'une autre voie. Avec une hypo-
crite douceur, il voulut imposer des conditions ruineuses à son neveu.
Arthur ne se laissa pas prendre aux paroles du roi, et sa résistance fut
son arrêt de mort. Transporté de Falaise au château de Rouen, il n'en
sortit que pour périr assassiné de la main de son oncle.
Une charte de Jean sans Terre, du 5 février 1203, concéda aux ha-
bitants de Falaise le droit de commune; mais cette concession n'étoit
(pie provisoire, le roi d'Angleterre ayant stipulé qu'il pourroit la ré-
voquer à son gré. Le même prince accorda en outre, aux marchands
falaisiens, la faculté d'exercer librement leur commerce dans tous ses
États, à la seule exception de Londres.
Lorsque Philippe-Auguste envahit la Normandie pour venger sur
Jean sans Terre le meurtre du duc de Bretagne, Falaise fut une des
premières villes qu'il attaqua. Le siége de cette place est ainsi raconté
par un témoin oculaire, Guillaume le Breton, dans sa Philippida, : « II
« y avoit une cité entourée
de toutes parts de roches escarpées, et que
de l'aspérité de son site. Cette ville étoit
« l'on nommoit Falaise, à cause
« située au milieu
de la Normandie. Ses tours et ses remparts étoient
« tellement élevés
qu'il sembloit impossible de rien lancer jusqu'à leur
hauteur. Le roi l'environna de tous côtés de ses innombrables éten-
«
« dards, et pendant sept
jours il prépara les machines propres à ren-
« verser les
murailles et à se rendre maître de la place. Mais les habi-
tants, et particulièrement Lupicaire, que le roi anglois avoit chargé
«
« de la défense de
la place, aimèrent mieux rendre la forteresse intacte,
« en conservant
leurs biens et les libertés de la ville, que de tenter les
chances de la guerre, qui ne pouvoient que leur devenir funestes. »
«
Ainsi Falaise ouvrit volontairement ses portes (1204). Le roi
Philippe,
les murs mêmes de la cité,
par une charte datée de son camp, sous
accorda aux Falaisiens la confirmation de leurs privilèges, et y ajouta
fut déclarée permanente et irré-
une clause importante : la commune
vocable, de temporaire qu'elle avoit été jusqu'alors. Une autre charte
fixa quelques années plus tard les bases de l'organisation
municipale de
Falaise, en même temps que celle des villes de Rouen et de Pont-Au-
demer. La commune de Falaise élisoit directement cent pairs ou no-
tables, qui ensuite nommoient les trois candidats parmi lesquels le roi
choisissoit le maire. Les pairs, chaque année, désignoient vingt-quatre
d'entre eux pour administrer la ville ou rendre la justice. Douze rece-
voient le titre d'échevins, douze celui de conseillers. Les élus se réu-
nissoient en conseil, au moins deux fois par semaine, pour discuter ou
expédier les affaires d'intérêt public. Les franchises commerciales que
les habitants de Falaise avoient obtenues de Jean sanslerre
lurent éga-
lement confirmées et étendues par le roi de France. Philippe-Auguste
les exempta de tous droits de passage, de péage et de coutume
dans
Mantes, que des pri-
tout le royaume, à la seule réserve de la ville de
exceptionnelles. C'est
vilèges particuliers plaçoient dans des conditions
achevée l'église
du temps de Philippe-Auguste et par son ordre que fut
par le duc Guillaume. Pendant le même règne,
de Guibray, commencée
l'échiquier de Normandie, encore ambulatoire à cette époque, se tint
quatre fois à Falaise, en ,207, .2.3, .2.4 e. .2.8, Vers la tin du
XIVesiècle, les fonctions de maire cessèrent d'être électives pour se con-
fondre avec celles du vicomte, nommé par le roi. La vicomté étant
com-
prise dans le ressort du grand bailliage de Caen, le bailli se faisoit
représenter à Falaise par un lieutenant particulier. En 1417, Henri V,
roi d'Angleterre, vint en personne mettre le siége devant cette ville.
Les assiégés, commandés par le maréchal de la Fayette et Olivier de
Mauny, lui opposèrent, pendant quarante-sept jours, une vive résistance,
mais ils durent enfin capituler. Le monarque anglois fit tous ses efforts
pour aider les habitants à réparer les désastres de la guerre. Par son
ordre, les murs de la place furent restaurés, les fontaines publiques
rétablies, les églises réparées. Le célèbre Jean Talbot, nommé par ce
prince gouverneur de la ville, fit restaurer complètement le château
y ajouta la haute tour, un des chefs-d'oeuvre de l'architecture mili-
taire du moyen âge. Vers la fin de la domination angloise, Talbot fut,
comme on sait, un des six otages que le duc de Sommerset donna à
Charles VII en vertu de la capitulation de Rouen (1449). Il étoit encore
prisonnier du roi de France, quand Pothon de Xaintrailles attaqua Fa-
laise avec des forces considérables, le 5 juillet 1450. Le roi lui-même,
accompagné du roi de Sicile, des ducs de Calabre et d'Alençon, des
comtes de Dunois, du Maine, de Nevers, et suivi d'un brillant cortége,
rejoignit bientôt l'armée assiégeante. Après de longs et inutiles efforts
de résistance, la garnison angloise promit, le 11 juillet, d'ouvrir les
portes de la ville, à la condition que Talbot, son gouverneur, alors pri-
sonnier au château de Dreux, seroit rendu à la liberté. La proposition
fut acceptée, et Xaintrailles succéda au général anglois dans le gou-
vernement de la place. Rentrée alors, pour n'en plus sortir, sous la do-
mination des rois de France, Falaise se donna entièrement au com-
merce et à l'industrie, dont Louis XI, François Ier, François II et
Charles IX favorisèrent par toute sorte de privilèges et d'immunités les
développements croissants. Les guerres de religion ne tardèrent pas
à interrompre cette prospérité progressive. En 1562, Falaise tomba au
pouvoir des protestants. Les catholiques la reconquirent au bout de
quelques mois. L'amiral de Coligny la prit en 1563. Le comte de Mont-
s'en empara par surprise cinq ans après et y commit toute
gommery
d'excès ; 1574, Jacques de Matignon, officier dt Charles IX,
sorte en
de Normandie
la remit entre les mains du roi. En 1589, les ligueurs
entreprirent de faire de cette ville un des centres de leurs opérations.
Dans les premiers jours de 1590, Henri IV se présenta en personne
devant Falaise pour réduire ce foyer de rébellion. Le com de Brissac,
les portes.
qui y commandoit pour la Ligue, refusa de lui en ouvrir
Alors commencèrent les opérations d'un siége en règle,
dont les histo-
batteries avoient
riens locaux racontent ainsi les particularités. « Des
château fort. Elles
été dressées sur les hauteurs les plus rapprochées du
en foudroyèrent l'angle avancé,
qui, à l'ouest, se projette vers la prai-
les assiégeants, conduits
rie. Une large brèche s'ouvrit dans le mur, et
l'assaut. D'abord ils ne rencontrèrent
par Henri IV, se précipitèrent à
s'étant retiré avec la garnison dans
aucun obstacle, le comte de Brissac
le donjon; mais, quand le roi arriva à la tête de ses
soldats devant
la porte du château qui communiquoit avec la ville, en trouva
il l'en-
les royaux
trée barrée par une troupe de bourgeois; ceux-ci reçurent
combat sanglant s'engagea sur ce
avec une intrépide résolution, et un
point. Il y avoit un jeune marchand, nommé La Chesnaye, dans
les
Falaisiens ; à côté de lui se tenoit sa maîtresse, appelée Char-
rangs des
lotte Herpin. Tous deux firent des efforts inouïs de courage. Le roi,
ému de tant de valeur, donna des ordres pour qu'on
épargnât la vie
Char-
de ces amants; mais un coup de mousquet abattit La Chesnaye, et
mêlée. Elle y
lotte Herpin se jeta à corps perdu au plus fort de la
Éperon-
fut tuée. Une autre femme, connue sous Se nom de la Grande
grêle de
nière, se distingua aussi dans cet assaut. Elle avoit lance une
le roi. « Je
pierres sur les assiégeants. On la mena prisonnière devant
dit-il ; demander? »
te fais grâce, lui as-tu quelque autre chose à me

« Je
demande, répondit-elle, que la rue du Camp-Ferme soit exempte
du pillage et qu'il me soit permis de la barricader. » Henri y consentit.
ville fut saccagée,
Les troupes royales ayant forcé la porte, toute la
excepté la rue de la Grande Éperonnière. Le Béarnais entra donc en
vainqueur dans Falaise. La garnison du donjon demanda à capituler;
mais le roi exigea qu'elle se rendît à discrétion. Brissac vint demander
son pardon au roi, qui le lui accorda; la plupart des soldats qu'il com-
mandoit eurent aussi la vie sauve (I ).
A partir de la soumission de Falaise à Henri IV, l'histoire de cette
ville n'a plus de faits spéciaux à signaler : elle se confond avec l'his-
toire générale de la France.
L'église de la Trinité, le monument religieux le plus important de
Falaise, appartient presque tout entière au style ogival. Sa façade
principale, qui s'ouvre sur la place de l'Hôtel-de-Ville, offre un joli
porche du XVIesiècle, transformé en chapelle, et un beau portail de la
renaissance. Les figures qui décorent les parois latérales sont d'une
grande finesse d'exécution, mais fort dégradées. On remarque particu-
lièrement, à l'extérieur de l'édifice, les ornements nombreux et variés
du chevet, les pinacles qui surmontent les contre-forts, les fenêtres,
ornées dans leur contour de fleurs et de crochets, et la belle balustrade
en pierre qui règne autour de l'église.
Le transsept est la portion la plus ancienne du monument. A ses
étroites fenêtres en ogive garnies de bourrelets, à la forme des galeries
intérieures et aux modillons placés sous la corniche, on reconnoît le
XIIIe siècle. Ces constructions ont été épargnées lorsque l'église fut en
partie détruite, pendant le siége de Falaise par les Anglois, en 1418.
La nef et le choeur sont du xve siècle, ainsi que les collatéraux,
comme l'indiquent les inscriptions qui se lisent sur les murailles au
dedans et au-dehors. Ils furent reconstruits pendant l'occupation angloise,
de 1434 à 1450. La nef offre de chaque côté d'énormes piliers à
nervures, formant des arcades au-dessus desquelles règne une balustrade
et de grandes fenêtres ogivales, les unes à meneaux flamboyants, les

Histoire de Normandie, tomeV. — Lange


(1)Masseville, vin, Rechercheshistoriques sur Falaise. —
Guilbert,Histoire des villes de France,
Fréd.Galeron,Histoire et description de Falaise. — Aristide
tomeV.
de
autres à compartiments. Les colonnes de la nef sont surmontées
jolis chapiteaux couverts, soit de feuilles de vigne, d'acanthe, ou de
choux frisés, soit de scènes et de personnages de la Bible. Le choeur est
de même style que la nef, mais plus élevé; ses colonnes sont cylin-
driques et sans chapiteaux ornés; ses voûtes, très-élancées, sont déco-
rées de pendentifs et d'écussons. On voit dans la nef, dans le choeur et
dans les chapelles qui rayonnent autour des bas côtés, un grand nombre
de pierres tombales, avec des inscriptions et des dates devenues illi-
sibles pour la plupart. Aucune de ces tombes ne paroît remonter à
placée à l'entrée
une époque reculée. Sous l'une des plus anciennes,
de la nef, « repose le corps d'honorable homme Jehan le Verrier,
seigneur de Crevecoeur, du Repas et de Conde-sut-Noiteau, lieutenant
du bailly de Caen, en la vicomté de Falaise, lequel décéda le XIe jour
de mars l'an mil vc XXXITI (i533). » La tour et le clocher de cette
église sont modernes et sans intérêt.
L'église de Saint-Gervais, commencée au XIe siècle, consacrée en 1134,
en présence de Henri Ier, duc de
Normandie, est construite en forme
de croix et surmontée d'une tour romane carrée, de quatre arcatures
grand toit percé de lucarnes au som-
sur chaque face, que surmonte un
l'effet de cette cu-
met. Ce toit est une addition postérieure qui nuit à
rieuse tour, dont la corniche existe encore intacte avec quelques-uns des
encorbellements primitifs. Le portail, élevé sur un perron de plusieurs
marches, est précédé d'une grille monumentale et d'un porche présen-
tant une grande ouverture ogivale et couronné par un fronton triangu-
laire garni de crochets. Au-dessus des deux portes sont placées des
niches avec dais; plus haut règnent des voussures, dont une est garnie
de statuettes. Nous devons signaler, à l'extérieur : les crochets et les
fleurs qui encadrent le pourtour des fenêtres; la galerie qui règne à la
hauteur du toit, des gargouilles, des salamandres, et une foule d'orne-
d'un côte par de
ments variés. L'édifice est malheureusement masqué
tristes masures adossées au choeur, et de l'autre par les halles.
A l'intérieur, l'église de Saint-Gervais comprend une nef et un choeur,
longs ensemble de cent vingt pieds, un transsept, et des chapelles qui
se prolongent parallèlement le long des bas côtés, et font le tour du
choeur. Le côté droit de la nef se compose de six arcades du style roman
secondaire. Le côté gauche et les collatéraux de la nef datent du XIIIeou
du xve siècle, tandis que le choeur offre tous les caractères du style ogival
de la fin du xve et du commencement du XVIesiècle. Sa voûte a été
refaite en bois. Le long des murs et des piliers se voient des niches
garnies de statues et surmontées d'un dais orné de ciselures et terminé
par un pinacle. Quelques fenêtres des bas côtés, celles du sud no-
tamment, sont décorées de vitraux du xve ou du XVIesiècle, reprodui-
sant des traits de la vie de Jésus-Christ. La chapelle des fonts est re-
marquable dans ses sculptures élégantes; les clefs de voûte offrent de
longs pendentifs ornés d'écussons ou de figures d'anges. Les deux grands
tableaux placés derrière le choeur, à droite et à gauche de la chapelle de la
Vierge, réprésentent, l'un, le Baptême de Jésus, l'autre, le Crucifiement;
ils proviennent de l'ancienne abbaye de Saint-Jean, et sont l'oeuvre
d'un religieux de ce monastère, nommé Raitour. Les pierres tumu-
laires sont assez nombreuses dans les chapelles; quelques-unes des ins-
criptions qui les recouvrent remontent au xve siècle; mais la plupart
sont du XVIe et du XVIIe.
La petite église de Saint-Laurent, située dans le faubourg, sur un
rocher, et précédée d'un porche de bois d'assez mauvais goût, est peut-
être la plus ancienne de Falaise. C'étoit d'abord une simple chapelle
comme on en construisoit au commencement du XIe siècle. Plus tard
on y ajouta un choeur et, à gauche du choeur, des constructions des-
tinées à l'agrandir; de là la forme mesquine et irrégulière de cet
édifice, curieux toutefois, comme spécimen de l'architecture romane
des églises secondaires. Les murs de la nef, qui étoit la chapelle pri-
mitive, sont construits en petites pierres plates, calcaires, disposées en
arêtes de poisson. Des contre-forts peu saillants soutiennent l'étroite
façade et les murs latéraux; ils sont formés de pierres de taille d'é-
chantillon, d'un volume peu considérable ; ceux des côtés ont dans
leur épaisseur de petites fenêtres dont la hauteur n'excède pas vingt-
cinq pouces sur six de largeur. Les fenêtres plus grandes de la nef et
du portail ont été pratiquées à une époque plus récente, probablement
xIIIe siècle. La hauteur totale de l'église jusqu'au toit n'est que de
au
quinze pieds au plus. Le portail, masqué aujourd'hui par le porche,
est très-simple ; il se compose de deux petites colonnes sans ornements,
soutenant un cintre plein, légèrement cannelé. Deux têtes difformes sont
placées au-dessous des impostes. Saint-Laurent n'a ni tour ni clocher.
Le mur de la façade a été exhaussé et prolongé au-dessus de la pointe
du toit, de manière à offrir dans son épaisseur deux petites fenêtres
gothiques propres à soutenir des clochettes.
Le faubourg de Guibray, que son importante foire a rendu célèbre
dans toute la France, est séparé de la ville par un court intervalle
qui est presque la campagne, et où l'on remarque le beau château
de la Fresnaye. Ce faubourg n'a d'intéressant pour l'archéologue que
le
son église, dont une grande partie est romane. Commencée sous
règne de Guillaume le Conquérant et continuée sous ses successeurs,
cette église fut consacrée seulement en 1208, sous Philippe-Auguste. Le
choeur et les chapelles supérieures appartiennent à la construction pri-
mitive. On y reconnoît, sur de plus petites dimensions, le style des
architectes et des sculpteurs qui élevèrent et ornèrent la belle basili-
que de Saint-Etienne et de la Sainte-Trinitéde Caen. La forme de l'abside
principale, en harmonie avec celle des deux chapelles latérales; les
étroites fenêtres à plusieurs rangs de cintres pleins; les assises régu-
lières de pierres; les colonnes simples, basses, massives; la corniche
avec ses grossiers corbeaux, le marquetage en damier : tout annonce au
dehors le goût normand sans aucun mélange. Dans l'intérieur, on re-
trouve tous ces étranges détails enfantés par l'imagination fantastique
des sculpteurs ornemanistes de cette époque. On voit aux chapiteaux
des êtres hideux, luttant contre des oiseaux bizarres, des espèces de
Chimères ou des dragons enlacés, et, sous les arcades des voûtes, des ani-
maux à la tête monstrueuse et au corps grêle, ou des figures grimaçantes.
On a malheureusement défiguré toutes les parois du choeur par
un
revêtement moderne qui n'est en harmonie avec aucune autre partie
de l'édifice. Le maître-autel est décoré d'un groupe en plâtre, repré-
sentant l'Assomption de la Vierge.
La nef est soutenue par douze piliers flanqués chacun de huit co-
lonnes qui supportent les arcades. Celles-ci sont légèrement brisées, et
accusent la forme qui commença à prévaloir vers la fin du XIIe siècle.
Les petites fenêtres supérieures au-dessous de la voûte ont surtout ce
caractère de transition; leur cintre est presque encore entier, et de gros
bourrelets s'étendent à l'entour pour tout ornement. A l'extérieur, la
corniche est soutenue par des modilions simples et sans sculptures; des
contre-forts épais s'avancent à quatre ou cinq pieds de saillie en dehors
des moulures.
La façade, tournée vers l'occident, est décorée d'un beau portail
roman à double cintre plein, et dont l'archivolte, ornée de palmes, de
zigzags, de losanges, repose sur des chapiteaux fort curieux. Le porche
en pierre, placé devant le portail, est aussi de style roman. La tour,
qui s'élève entre la nef et le choeur, est de forme carrée, et se termine
par quatre frontons triangulaires d'un effet désagréable.
La chapelle de Saint-Marc, construite vers 1180, a un portail roman
avec un rang de petites têtes et de lézards sculptés sur l'archivolte.
Une seconde porte et une étroite fenêtre du même genre sont percées
dans la muraille de l'ouest. Derrière l'autel on remarque une fenêtre
plus grande, de forme ogivale, partagée par des meneaux. Tout ce
travail est de l'époque de transition. A la voûte de ce petit édifice, des
sculptures en bois, du XVIIe siècle, représentent des feuilles de chêne
et de châtaignier, des écussons armoriés et la reproduction de quel-
ques-unes des tours de la ville. Ces sculptures sont exécutées avec soin
et très-bien conservées.
L'église des Cordeliers, élevée par ordre de saint Louis et consacrée
en i25o,par l'archevêque de Rouen, est en grande partie détruite ;
on n'en voit plus que le bas de la nef et le portail, qui est de style
ogival, presque sans ornement. La voûte de l'édifice etoit en bois, et
la nef n'avoit ni collatéraux, ni chapelles de bas côtés.
Le château de Falaise, dont l'entrée principale s'ouvre en regard de
la ville, dans la direction du sud, est un des plus importants monu-
Il
ments de l'architecture militaire de la Normandie au moyen âge.
deux portes flanquées
en reste l'enceinte entière avec douze tours, et
chacune de deux autres tours. Des bâtiments primitifs situés dans l'en-
ceinte, il ne subsiste plus qu'une intéressante petite chapelle du XIIe siè-
cle, un donjon carré avec ses dépendances et une haute tour circulaire,
la tour Talbot, bâtie par les Anglois.
Le donjon, construit au bord de la falaise, en regard des rochers
de Noron, offre une masse quadrangulaire de soixante pieds de largeur
en tous sens. Les deux façades du nord et
du sud sont soutenues dans
près de
toute leur hauteur par cinq énormes contre-forts. Les murs ont
douze pieds d'épaisseur dans la partie la plus élevée, et quelque chose
de plus dans les fondements. Trois fenêtres s'ouvrent à l'étage supérieur
du côté du nord, et deux seulement vers le midi. La décoration de ces
fenêtres est curieuse. Dans un grand cintre plein, de près de quarante
pieds d'étendue, d'une base à l'autre, s'offrent, à hauteur d'appui, deux
petites ouvertures de six pieds, cintrées et séparées l'une de l'autre par
barbare. On y remar-
une colonne dont le chapiteau est d'un travail
figures informes, no-
que des enlacements en forme de nattes et des
tamment un homme à tète monstrueuse étendu sur le côté, et tenant
dans chacune de ses mains une corde qui s'attache au cou de deux
animaux paraissant être des porcs, et dont les queues se réunissent
plus gros-
et s'enlacent par derrière. Ce bizarre sujet, d'une exécution
sière encore que le reste, s'étend sur les quatre faces du chapiteau. On
occidental pré-
entre dans le donjon par une vaste salle, dont le mur
appelée salle
sente les traces d'une immense cheminée. Une autre pièce,
Talbot, sans doute parce que ce capitaine anglois l'avoit fait décorer au
les
xve siècle, étoit ornée de peintures à fresque, dont on voyoit encore
traces il y a quelques années. Au même étage,
dans un angle saillant
disposé à dessein, se trouve une petite chapelle
sous l'invocation de
Saint-Prix ; elle est voûtée et l'autel placé au levant. A l'angle opposé,
on remarque une chambre où naquit, selon quelques historiens, Guil-
laume le Conquérant. On s'étonne de l'extrême petitesse de cette
chambre, au fond de laquelle est pratiquée une étroite alcôve parais-
sant creusée dans le mur même.
On communique du donjon à la tour Talbot par un passage étroit
qui s'ouvre dans une énorme muraille de quinze pieds d'épaisseur.
Cette belle tour, de cent vingt pieds d'élévation, comprenoit autrefois
cinq étages. Elle n'en a plus que quatre aujourd'hui, le quatrième et
le cinquième se trouvant réunis par l'écroulement de la voûte qui
les séparoit. A l'entrée, on distingue parfaitement les rainures de la
herse. Le premier étage renferme les oubliettes, qu'on a le projet de
déblayer. Le troisième étage n'a plus de voûte; au milieu se voit un
trou correspondant avec les oubliettes. Le quatrième étage servoit de
chambre aux gouverneurs; on y remarque une cheminée et des fenê-
tres carrées à travers lesquelles se déroule un immense panorama. L'es-
calier, qui compte cent trente marches, aboutit à une plate-forme d'où
l'on découvre une vue plus étendue encore. A chacun des étages de
la tour, le plancher, soutenu par une voûte en pierre, offroit à son cen-
tre une ouverture qui servoit à descendre les fardeaux d'un étage à
l'autre, et à transmettre plus promptement les ordres. Des escaliers
tournants, pratiqués dans la muraille, menoient également aux divers
points de l'édifice, depuis le haut jusqu'en bas. Un puits, ménagé
dans toute la hauteur de la muraille, fournissoit de l'eau aux diffé-
rents étages de la tour, au moyen de larges ouvertures, parfaitement
conservées. Ce puits est aujourd'hui comblé. La tour Talbot, ajoutée
aux anciennes constructions du château pendant l'occupation angloise
(1418-1450), a été réparée en 1828. Les autres parties de la forteresse
ne présentent pas le même degré d'intérêt que le donjon et la grande
tour. Toutefois, on y remarque encore la Tour de la Reine, dans laquelle
se voit la brèche qui livra passage à Henri IV, et la porte d'entrée,
flanquée de deux tours. Le château de Falaise, classé parmi les monu-
ments historiques, est en ce moment l'objet de travaux importants qui
ont pour but de le restaurer complètement.
Les remparts de la ville et ce qui reste de son enceinte fortifiée mé-
ritent aussi d'être visités. La porte Ogise ou des Cordeliers, qui s'élève
au-delà de la chaussée allant de Falaise à Caen, a été construite au
XIIIe siècle, sous le règne de saint Louis. Elle est double, et se compose
d'un cintre ogival extérieur, de vingt et un pieds de haut, et d'un se-
cond cintre, également ogival, moins large et moins élevé que le pre-
mier. Entre ces deux ouvertures, un mur de traverse s'étend du som-
met de l'ogive principale jusqu'à la seconde. La herse descendoit dans
une rainure de quelques pouces pratiquée entre les deux centres. La
porte de ville étoit en dedans, soutenue par des gonds que l'on voit
encore aux deux côtés de la muraille.
Les tours de défense, placées aux différentes portes et sur d'autres
points des remparts, étoient au nombre de plus de quarante. Leur
construction se ressembloit partout. Elles étoient rondes, à deux ou
trois étages, et bâties en petites pierres de schiste ou en moellons cou-
chés à plat, offrant seulement de distance en distance des assises de
pierres de taille pour soutenir la maçonnerie. On logeoit les soldats
aux divers étages, et des trous ménagés dans chaque mur leur appor-
toient le jour, et leur offroient les moyens de diriger leurs armes contre
l'ennemi. La forme ronde et étroite d'un grand nombre de ces trous
ou meurtrières fait voir qu'on les ouvrit à une époque postérieure à
l'invention des armes à feu. On y introduisoit des arquebuses et des
mousquets d'un gros calibre. Ces tours devoient être en partie couvertes
par une maçonnerie en voûte d'une très-forte épaisseur. Sur les points
escarpés, elles étoient seulement surmontées par un mur de neuf à
douze pieds d'élévation, au-dessus de la terrasse. Elles avoient en géné-
ral quinze à vingt pieds de diamètre, et étoient placées à vingt-cinq,
trente et même soixante pieds de distance les unes des autres, selon les
nécessités de la défense. Les moins endommagées sont celles des remparts
du nord, au-dessus du moulin Hélie, et surtout celles des portes Philippe-
Jean, Ogise et Lecomte. Cette dernière présente des ouvertures romanes,
bouchées et recouvertes en partie d'un manteau de verdure. La tour du
sud, près de l'étang, est également remarquable et assez bien conservée.
Au centre de la ville, entre la Grande-Rue et la rue du Campferme,
s'élève une petite tour de six pieds de diamètre et de cinquante pieds
de hauteur, à laquelle on a récemment donné le
nom de Tour de
David. Elle est d'une forme élégante et d'une grande légèreté. L'esca-
lier remplit à lui seul tout l'intérieur de l'édifice, et monte en spirale
jusqu'à son sommet. Un pavillon carré, construit au pied de la tour,
renferme une jolie chambre surmontée d'une plate-forme. Ce pavillon
est chargé en dehors de nombreuses sculptures d'un travail délicat;
tous ces ornements sont de l'époque de la Renaissance, et doivent dater
du même temps que le portail de l'église de la Sainte-Trinité. La tour
de David, édifice de luxe bien évidemment, passe pour avoir été bâtie par
un gouverneur de Falaise, ou par une des familles opulentes de la ville.
Il existe à Falaise une maison qui, selon la tradition, auroit ap-
partenu au conquérant de l'Angleterre, ou à sa mère Arlette. Cette
maison, aujourd'hui occupée par un cabaretier, est construite en petites
pierres de taille à assises régulières; mais rien n'indique à l'archéo-
logue qu'elle remonte à une époque aussi reculée.
D'autres habitations anciennes se font remarquer sur divers points de
la ville. La « Grande-Maison », près de la porte Philippe-Jean, est chargée
sur les frontons, les pignons et les corniches, d'une multitude de guir-
landes de feuillages, d'écussons et d'ornements variés qui appartiennent
au xve siècle. D'autres demeures, du même temps, mais moins ornées, se
voient dans les rues de Lisieux, de la Fosse-Couverte, des Hérissons et
ailleurs. Les vieilles maisons de bois ne sont pas rares dans la Grande-Rue
et dans la rue des Cordeliers ; mais la plus ancienne peut-être est celle
de la rue de la Pelleterie : elle doit dater de l'an 1400, ou à peu près.
Entre Falaise et le faubourg de Guibray, s'élevoit autrefois l'abbaye
de Saint-Jean, de l'ordre de Prémontré, monastère qui avoit été d'abord
un hôpital, fondé en 1127 sous l'invocation de Saint-Michel par un
bourgeois de Falaise nommé Godefroy ou Geoffroy, fils de Rou, du
consentement de Henri Ier, roi d'Angleterre, duc de Normandie. L'église
de cette abbaye est détruite depuis longtemps. Il ne subsiste plus que
quelques bâtiments claustraux du commencement du XVIIIesiècle,
transformés en maisons bourgeoises. L'emplacement des jardins est
devenu une des plus jolies promenades de la ville.
A moins d'une lieue de Falaise, vers le sud-est, et près du village
de la Hoguette, se voient les ruines d'un autre important monastère
de cette contrée, l'abbaye de Saint-André-en-Gouffern, fondée en 1227
par Guillaume l'ai vas, comte d'Alençon et de Ponthieu, fils de
Robert de Bellesme, et qui fut longtemps célèbre par l'étendue de ses
domaines et par les privilèges dont elle jouissoit. Elle étoit située dans un
endroit sauvage, au milieu des landes, des bruyères et des bois. Le
mieux conservé de ses débris est la salle capitulaire, longue de soixante
pieds sur vingt pieds de largeur. La porte d'entrée est à plein cintre;
des colonnes romanes à chapiteaux très-simples supportent des voûtes
de pierres garnies de bourrelets en croix. Cette construction doit dater
de l'époque même de la fondation du monastère, c'est-à-dire de la
première moitié du XIIe siècle. Derrière la salle du chapitre se trouvent
des restes de caveaux ou celliers souterrains. Les cloîtres ont entière-
ment disparu. Quant à l'église, qui avoit été commencée vers 1240,
sous l'abbé Renaud, et dédiée, en 1247, sous l'abbé Jean de Ballou,
par Godefroy, évêque de Séez, elle passoit pour un des plus beaux
monuments religieux du pays; on n'en voit plus guère que les fonde-
ments. La maison abbatiale, peu ancienne, a échappé à la destruction;
elle sert aujourd'hui de ferme.
Les deux monastères que nous venons de citer appartenoient au
diocèse de Séez, ainsi que celui de Vignats, prieuré de religieuses de
l'ordre de S. Benoît, situé à une lieue de Falaise, et dont il ne reste plus
que le souvenir.
L'importante abbaye de Barbery, de l'ordre de Cîteaux, fondée en
1176, par Robert Marmion, dépendoit du diocèse de Bayeux. Elle eut
d'illustres bienfaiteurs, entre autres, Henri II, roi d'Angleterre, les pa-
pes Alexandre III et Boniface VIII, les plus riches seigneurs de Normandie,
et surtout les descendants du fondateur, cette puissante famille des
Marmion que Walter-Scott a célébrée et qui a occupé si longtemps
l'un des premiers rangs dans la noblesse angloise d'origine normande.
La belle église abbatiale de Barbery, consacrée en 1246, a disparu,
ainsi que les bâtiments conventuels. La seule construction restée debout
est la maison de l'abbé, qui ressemble à un petit château moderne.
« Il y a peu d'années, disent les auteurs de la Statistique de l'arrondis-
ment de Falaise, les cercueils des principaux religieux, depuis la fon-
dation jusqu'au dernier siècle, se retrouvèrent sous des dalles non
loin de cette maison, au milieu des ruines du chapitre et de la grande
église; ils furent ouverts, et les restes qu'ils contenoient, jetés au vent.
Quelques-uns de ces cercueils de pierre servent maintenant aux usages
de la ferme, de la basse-cour, à la porte des étables (1). » Parmi ces
tombes si indignement profanées, se trouvoit celle du dernier des-
cendant mâle des Marmion, Guillaume, ive du nom, mort abbé de
Barbery en 1339.
Cette vaillante race s'éteignit ainsi près des lieux mêmes où elle avoit
eu son berceau. Non loin du monastère de Barbery, à Fontenay-le-
Marmion, on peut voir encore l'emplacement de la forteresse d'où les
premiers barons de ce nom partirent, les uns pour accompagne
Guillaume le Bâtard à la conquête de l'Angleterre, les autres pour sui-
vre son fils Robert au siége de Jérusalem. Cette forteresse, qui a été
souvent citée par Wace dans son roman de Rou, offroit au centre un
donjon placé sur une éminence et lié à une enceinte arrondie, dont
le contour est reconnoissable du côté de l'est. Les bâtiments qui rem-
placent de ce côté les constructions primitives sont en grande partie de
la fin du xve siècle. On voit, à l'intérieur, des portes et une cheminée
très-remarquables par la finesse des sculptures qui les couvrent; mais
d'autres parties de ces bâtiments sont beaucoup plus anciennes. Vers le
nord-est se trouvent des fenêtres à plein cintre et une porte romane
ornée de zigzags, par laquelle on pouvoit entrer dans la place au moyen
d'un pont jeté sur le fossé.
Au nord-ouest du village de Fontenay-le-Marmion, se voient les restes
considérables d'un tumulus en pierres sèches, renfermant de nombreux
caveaux funéraires qui ont été fouillés il y a quelques années. Les osse-
ments étoient enfouis dans des couches d'argile. Plusieurs de ces tom-
beaux contenoient, en outre, des vases et des haches en pierre verte.
Au territoire de Saint-André de Fontenay, dans un site pittoresque,
sur la rive droite de l'Orne, on remarque les débris de l'abbaye de
Fontenay, de l'ordre de Saint-Benoît, fondée au XIe siècle, par ce Raoul
Tesson, premier du nom, dont la famille possédoit, assurent les chro-
niqueurs, le tiers du sol de la Normandie, et qui, à la tête des barons
révoltés, combattit le duc Guillaume au Val-des-Dunes. Il ne reste
plus de ce monastère qu'une maison assez moderne et quelques bâti-
ments sans caractère architectural disposés autour d'une cour, à l'ex-
trémité d'un parc. L'église, qui datoit du xIIIe siècle et qui renfermoit
des tombeaux curieux, a été complètement démolie.
Le château féodal du Thuit, que fit bâtir ce même Raoul Tesson
dans la forêt de Cinglais, et que possédèrent après lui ses descendants,
puis les sires de Mathefelon et de Tournebu ; Olivier de Clisson, Ber-
trand Du Guesclin, l'illustre connétable, les fils de Dunois et les ducs
d'Alençon, étoit le chef-lieu d'une des premières baron nies de la Nor-
mandie. De ce manoir, habité durant de longs siècles par tant de per-
sonnages célèbres, il ne subsiste maintenant que quelques pans de
murs perdus au milieu des bois. C'est sur le territoire de Boulon que
se rencontrent ces ruines. Lorsque l'on quitte ce bourg pour entrer
dans la forêt de Cinglais, on aperçoit, au-dessus des taillis, de hautes
murailles à demi écroulées, sur lesquelles se dessinent des arcatures à
plein cintre, et si l'on pénètre entre les buissons épais, on reconnoît
l'enceinte des larges fossés, les restes des remparts couverts de lierre, la
et
chaussée ferrée qui conduisoit jusqu'au centre de la forteresse. Près des
décombres du château du Thuit on distingue,
au milieu des bâtiments
délabrés d une ancienne ferme, les vestiges d'une chapelle du XVIesiècle.
Bretteville-sur-Laize, Fresnay-le-Puceux, ont conservé d'intéressantes
églises de style ogival. Ce dernier bourg possède
en outre un beau
château bâti par Pierre d'Iiarcourt en 1580. Mutrécy, village près
duquel ont été découverts des débris de constructions romaines,
a une
église du XIe siècle, remarquable spécimen de la maçonnerie dite
« en
arête de poisson », opus spicatum. Le mur septentrional offre une belle
porte ornée d'étoiles, de tores et de chapiteaux historiés. D'autres églises
voisines, notamment celles de Saint-Laurent de Condel et de Moutiers-en-
Cinglais, ne sont ni moins anciennes ni moins curieuses. Dans l'église
de Rouvres (XIIIe et XIVesiècles) nous devons signaler une porte décorée
d'archivoltes richement sculptées, appuyées de chaque côté sur trois co-
lonnes en claire-voie, et la flèche de la tour, dont les fenêtres et les arcatures
présentent des détails d'une exécution admirable. A Clinchamps, village
dont la belle tour romane attire de loin les regards, on a découvert,
près de l'église, les vestiges d'une villa romaine. Les murs ont été
reconnus à trois pieds de profondeur; ils étoient composés d'un blocage à
bain de chaux et de ciment, revêtu de pierres en petit appareil, séparées
par de grands cordons de briques. Les pavés de presque toutes les chambres
étoient encore en place, et dans la plupart de ces chambres on a trouvé
des placages recouverts de peinture.
Le bourg d'Harcourt-Thury, agréablement situé sur les rives de
l'Orne, est remarquable par un magnifique château, l'un des plus beaux
et des plus célèbres de la Normandie. Ce bourg, dont le nom primitif
est Thury, ne doit pas être confondu avec Harcourt, près de Benay,y,
berceau de la maison d Harcourt. Thury, simple baronnie sous les
ducs normands, ensuite marquisat, appartint pendant plusieurs siè-
cles à cette illustre famille, mais il ne s'appelle Harcourt que depuis
l'an 1700, époque à laquelle Louis XIV l'érigea en duché-pairie, sous
ce dernier nom, en faveur de Henri d'Harcourt, maréchal de France,
fils de François d'Harcourt, marquis de Beuvron et de Thury. Le bourg
étoit autrefois défendu par une forteresse qui soutint, en 1370, un
siége de six mois, et dont il ne reste pas de trace. Le château actuel
date en grande partie du XVIIe siècle; le dôme, les deux ailes qui
l'accompagnent et la façade du sud sont de cette époque. Les cons-
tructions qui dominent la vallée de l'Orne ont été ajoutées, au commen-
cement du XVIIIesiècle, par le maréchal Henri d'Harcourt. Cette somp-
tueuse demeure doit aussi une partie de ses embellissements à Anne-
Pierre, quatrième duc d'Harcourt, gouverneur de Normandie et maréchal
de France, mort en 1783. L'intérieur du château est orné d'une galerie
de portraits parmi lesquels on remarque ceux de mesdames de la
Vallière, de Montespan et de Maintenon. L'église d'Harcourt-Thury est
de style ogival ; sa façade principale, flanquée de deux bas côtés, présente
une assez belle porte décorée de colonnettes, deux fenêtres en forme
de lancettes et une rose à plusieurs lobes. Une tour carrée s'élève entre
le choeur et la nef. Les murs latéraux offrent quelques traces de style
roman, notamment des voûtes à plein cintre reposant sur des chapi-
teaux très-curieux. On peut signaler aussi, dans le bas côté méridional,
une arcade du XVIe siècle, finement sculptée.
Près d'Harcourt-Thury, à Villers-Canivet, sur les bords d'un vaste
étang, on remarque les restes d'un monastère de femmes fondé en 1127,
par un seigneur puissant nommé Roger de Monbray ou de Moubray,
pour des religieuses de l'ordre de Cîteaux qui furent placées sous la
dépendance de l'abbaye de Savigny. Le monastère de Sainte-Marie de
Villers-Canivet, longtemps simple prieuré, ne prit le titre d'abbaye
qu'en 1681, lorsque le roi Louis XIV nomma madame de Souvré ré à la
direction de cette communauté. Ses deux dernières abbesses furent
mesdames de Senneville et de Murat. La maison jouissoit de revenus
considérables, et son église, son cloître, étoient vantés pour l'élégance
de leur construction. Il ne reste aujourdhui que quelques débris du
cloître, des galeries voûtées, les murs du parc, et des bâtiments de ferme.
Figures
Gaildrau.
par

&Gie57
rdeSeine
kipletneraer Paris.
A.F.Lemaitre
éditeui" del'Horloge.
23Quai
Figurespar Ch.Vernier

Imp.Lemercier
etC_57r.deSeinePans.
2tfençon, illorttuinc, Occ;, Argentan,
Domfront.

La ville d'Alençon, placée dans un site charmant au confluent de


la Sarthe et de la Briante, dépendoit sans doute, sous la domination
romaine, du territoire des Aulerces Cénomans. On croit que saint Li-
boire, évêque du Mans au IVe siècle, lui donna sa première église;
mais le plus ancien document qui en fasse une mention précise date
seulement de l'an 717. Ce n'étoit alors qu'une petite bourgade du pays
d'Exmes ( Oximensispagus), un des plus vastes comtés du royaume de
Neustrie. Elle n'acquit d'importance qu'au xe siècle, lorsqu'elle devint
une des clefs de la province dont Charles le Simple fut obligé de con-
sentir l'abandon aux Normands. Richard Ier, duc de Normandie, encore
enfant, étoit captif à la cour de Louis d'Outremer, qui, disoit-on, avoit
résolu de le faire mettre à mort. Yves de Creil ou de Bellesme, maître
des arbalétriers de France, ayant informé de ce dessein Osmond de
Centeville, gouverneur du jeune prince, l'aida à cacher Richard dans
un faisceau d'herbes, et à le ramener heureusement en Normandie (942).
Reconnoissant de ce service, Richard, quelques années après, concéda
les territoires d'Alençon, d'Argentan, de Séez et une partie du Passais à
Yves de Creil qui, déjà possesseur du pays de Bellesme, du Corbonnais
et du Sonnois, devint le plus puissant seigneur de la Normandie. Yves
construisit deux citadelles, l'une à Alençon, l'autre à Domfront, pour
mettre cette partie de la frontière du duché à l'abri des attaques des
Angevins et des Manceaux. Guillaume Ier de Bellesine, fils d'Yves,
lui succéda en 997 ; il reçut le surnom de Talvas, parce qu'il fut l'in-
venteur d'un bouclier qui s'appeloit ainsi, et ce surnom devint héré-
ditaire dans sa famille. Ayant pris parti pour Richard III dans la lutte
de celui-ci contre son frère Robert, qui finit par l'emporter et se faire
reconnoître duc de Normandie, Guillaume Talvas refusa de rendre
foi et hommage au vainqueur. Robert fut bientôt aux portes d'Alençon
avec une armée considérable, et serra Guillaume de si près qu'il le
força de sortir de la ville en chemise, « une selle sur le cou, » et de
venir lui demander grâce en se prosternant devant lui. Le duc, désarmé
par son humble soumission, lui laissa la possession d'Alençon (1029).
Obtenue à ce prix, la paix ne pouvoit être durable. Talvas ne survécut
pas à la douleur que lui causa la défaite de ses fils, qui avoient en-
trepris de le venger. Parmi ses successeurs, il en est un que ses crimes
ont rendu fameux, c'est Guillaume Talvas, ou de Bellesme, deuxième
du nom, qui fit étrangler sa femme en plein jour, devant tout le peuple
d'Alençon, dans la rue, au moment où elle alloit à la messe. Une légende
populaire assure que toutes les nuits, l'infortunée, vêtue de blanc et
poussant des cris de douleur, traverse les airs au-dessus de la ville et
lamente son destin. L'histoire accuse aussi ce comte d'Alençon d'avoir
fait crever les yeux et couper le nez et les oreilles à un de ses vassaux,
Guillaume Giroye, dont il vouloit tirer vengeance, parce que ce seigneur
avoit pris parti contre lui dans une guerre injuste qu'il faisoit à Geolfroy
de Mayenne. Après la mort de Guillaume II, le comté d'Alençon échut
à sa fille Mabile, mariée à Roger de Montgomery, un des plus illustres
compagnons de Guillaume le Conquérant. Digne fille de Talvas, Mabile
avoit hérité de toutes ses haines et n'étoit pas moins implacable que
lui. Il faut lire dans Orderic Vital comment elle empoisonna les fils de
Guillaume Giroye, revenus en Normandie après de longs voyages dans
la Terre-Sainte, l'Italie et la Sicile. Elle avoit bâti un château fort au
milieu des montagnes qui séparent le comté d'Alençon de la province
du Maine. Posée sur la cime d'un rocher, cette forteresse s'appela la
Roche-Mabile, du nom de sa fondatrice, qui se plaisoit dans ce lieu
sauvage. C'est là, dit-on, que, nouvelle Circé, comme l'appellent quelques
chroniqueurs, elle préparoit ses philtres et ses breuvages homicides.
La mort de la comtesse d'Alençon fut tragique. A la suite d'une guerre
avec le comte de Mortagne, son cousin, elle étoit allée chez un de ses
fils au château de Bures-sur-Dive ; pendant qu'elle dormoit, un inconnu
s'introduisit dans sa chambre et lui trancha la tête (1082). Roger de
Montgomery, occupé alors des affaires de Guillaume le Conquérant en
Angleterre, remit l'héritage de sa femme Mabile à Robert, son fils aîné,
qui continua la tradition de cruauté de sa famille maternelle. Voici le
portrait que nous en a laissé l'historien Orderic Vital. « Il aimoit mieux
faire couper les bras et les jambes de ceux qui tomboient entre ses
mains que d'en obtenir des rançons considérables. Homme ou femme,
il les perforoit jusqu'à la bouche. Un jour qu'il tenoit la tête d'un de
ses filleuls cachée, comme par plaisanterie, sous le pan de son habit,
il lui arracha les yeux de ses propres mains. Il n'y avoit pas de festin
qui lui fût plus agréable qu'un horrible carnage. Il se plaisoit surtout
à tourmenter les moines et les religieuses...; il n'étoit rien qu'il ne sa-
crifiât à son avarice ou à sa lubricité. En revanche, c'étoit un des
hommes de guerre les plus capables et le plus habile ingénieur de son
temps. Il fit construire un grand nombre de châteaux et augmenta
ceux que sa mère Mabile lui avoit laissés. Il en avoit trente-quatre en
Normandie et dans le Maine, tous plus formidables les uns que les
autres. Personne au monde ne parloit mieux que lui, mais son élo-
quence sembloit celle du démon, tant elle étoit perfide et railleuse. »
Le dernier représentant mâle de cette terrible race des Bellesme fut
Robert III, comte d'Alençon, qui accompagna Philippe-Auguste et Ri¬
chard Coeur-de-Lion en Palestine. A son retour, il se déclara contre
Jean-sans-Terre, meurtrier d'Arthur de Bretagne, et se soumit un des
premiers au roi de France, lorsque celui-ci eut confisqué la Norman-
die (1204). Quelques années plus tard, en 1220, Alix, sa fille, épouse
de Robert Mallet, vendit au roi Philippe-Auguste Alençon et ses dé-
pendances. En 1268, saint Louis donna ce comté en apanage à Pierre,
les seigneurs d'Alençon
son cinquième fils. A partir de ce moment, tous
appartiennent à la maison de France. C'est en faveur d'un de ces
princes, Jean Ier, que le comté d'Alençon fut érigé en duché-pairie (i4i4)-
Parmi ses successeurs, l'un des plus célèbres a été Jean II, qui, après
avoir vaillamment combattu contre les Anglois aux côtés de Jeanne
d'Arc, finit par traiter avec eux et conspirer contre Charles VII pour
les honneurs dont il se croyoit
se venger de n'avoir pas obtenu tous
digne. Condamné à mort en 1458, puis gracié, il conspira une seconde
fois et mourut captif en 1476. Son fils René, emprisonné aussi par
ordre de Louis XI, ne recouvra ses biens et les titres de son père que
de Lorraine, princesse
sous Charles VIII, en 1487. Il épousa Marguerite
pieuse et bienfaisante, dont la vie fut celle d'une sainte. Formés l'un
leur duché
et l'autre à l'école de l'adversité, ils quittèrent peu
d'Alençon, s'y occupant à cicatriser les plaies de la guerre et à fonder
d'utiles établissements. René mourut en 1493. Marguerite survécut à
Notre-Dame d'Alençon, un magni-
son époux et lui éleva, dans l'église
fique tombeau, qui a été détruit en 1793. Charles IV, leur fils, mort
d'Angoulême, soeur de
en 1525, avoit eu pour femme Marguerite
François Ier, laquelle, après la mort de son premier mari, épousa en
secondes noces Henri d'Albret, roi de Navarre. Cette princesse, si célèbre
les plus belles années
par son esprit et son goût pour les lettres, passa
de sa vie à Alençon, où elle s'étoit formé une cour toujours remplie
de savants, de littérateurs et de poëtes. Elle se plaisoit surtout au châ-
la compagnie d'Aimée de la
teau de Lonray, près de cette ville, dans
Fayette, dame de Silly, à qui elle avoit confié lié l'éducation de sa fille,
Jeanne d'Albret, née de son second mariage avec le roi de Navarre, et qui
devoit être la femme d'Antoine de Bourbon et la mère de Henri IV.
Après la mort de Marguerite d'Angoulême, Catherine de Médicis se fit
donner le duché d'Alençon pour compléter son douaire, et elle s'en
dessaisit en 1566, en faveur de François, le cinquième de ses fils.
Alençon eut beaucoup à souffrir des guerres religieuses; les protes-
tants, nombreux et puissants dans cette ville, y pillèrent les églises et
y massacrèrent les prêtres. Dans les jours qui suivirent la Saint-
Barthélémy, ils redoutèrent de terribles représailles, mais le maréchal
de Matignon sut les protéger contre la fureur populaire. A la mort
de Henri III, Mayenne s'empara d'Alençon ; les habitants, qui n'a-
voient aucune sympathie pour la ligue, ne demandèrent qu'à ouvrir
leurs portes au Béarnais. Henri IV entra dans la ville au mois de
décembre 1589, après un siége de quelques jours.
Le monument le plus intéressant d'Alençon est l'église de Notre-
Dame, qui appartient à la dernière époque du style ogival, et ne
remonte pas au-delà du XVIesiècle. Le choeur et le clocher, rebâtis,
après un incendie causé par le feu du ciel en 1744, sur les dessins
de Perronnet, sont du plus mauvais goût; la nef et le portail méritent
l'attention de l'archéologue et de l'artiste.
La nef a près de cent pieds de longueur sur trente de largeur et
soixante de hauteur. La voûte, d'une extrême légèreté, offre une grande
complication d'arceaux prismatiques croisés en tous sens. Sous la voûte
on remarque, au milieu d'ornements sculptés avec délicatesse, en forme
de filet, une foule d'animaux fantastiques. Cinq arcades ogivales, de
chaque côté, soutiennent de petites galeries fort étroites, composées
chacune de six arcades qui s'appuient sur une balustrade garnie de
quatre-feuilles à pointes aiguës. Au-dessus s'ouvrent de grandes et
belles fenêtres du style flamboyant, qui ont conservé leurs vitraux
du XVIesiècle. Ces vitraux, dont quelques-uns portent la date de 1511,
sont d'un dessin très-pur, d'un admirable éclat de couleurs, et, pour
la plupart, d'une conservation parfaite. L'arbre de Jessé occupe le
milieu du vitrail de l'orgue ; ses rameaux portent, en guise de fleurs,
des rois assis sur leurs trônes, couronne en tête et le sceptre en main.
Jessé tient à la main le compas avec lequel Dieu mesure le temps et
l'homme l'espace. La Nativité de la Vierge et quelques sujets relatifs à
des confréries d'ouvriers achèvent de remplir ce vitrail. On voit sur
une autre verrière, dont l'entretien étoit à la charge de la confrérie des
tanneurs, saint Crépin et saint Crépinien dans
leur échoppe, ornée d'une
petite statuette de l'amour ; des tanneurs autour d'une cuve, un bour-
relier façonnant une selle. Le premier vitrail à droite de l'arbre de
Jessé reproduit la Jérusalem céleste, la Présentation de la Vierge et
quelques autres scènes empruntées aux livres saints; dans le troisième,
les genoux de sa mère ; le
on voit figurer le Christ mort soutenu sur
quatrième est la Salutation angélique. Le cinquième, qui a été fort
endommagé lors de l'incendie de 1744, représente la mort de la sainte
Vierge. Les cinq fenêtres à gauche ont pour sujets : la Création, Adam
et Ève, le sacrifice d'Abraham, le passage
de la mer Rouge, Moïse éle-
produit un
vant le serpent d'airain. L'ensemble de ces belles verrières
effet vraiment merveilleux.
La chaire, tout en pierre, porte la date de 1536. On y monte par un
petit escalier ménagé dans l'intérieur d'un pilier. Si l'on en croit une
tradition touchante, cette chaire fut l'ouvrage d'un condamné qui obtint
sa grâce pour prix de son
travail. Des masques et des guirlandes, de
petits pilastres dans le goût de la Renaissance, les figures en
relief
des quatre évangélistes, entourées de sentences sacrées, décorent ses
différentes faces.
Le portail, construit, comme tout l'édifice, au xvIe siècle, mais achevé
seulement en 1617, offre trois grandes entrées en ogive que couron-
hardie, entière-
nent trois frontons triangulaires d'une construction
beaucoup
ment couverts d'ornements flamboyants. Celle du milieu est
plus large que les deux autres. Deux tourelles octogonales ou cloche-
crochets, s'élèvent au-
tons, d'inégale grandeur, hérissées d'aiguilles à
dessus des massifs de la nef; leur structure délicate et légère s'harmonise
parfaitement avec les aiguilles des contre-forts et les balustrades des
combles. Des pyramides élégantes, placées à l'angle de jonction de
l'entrée principale et des deux autres, servent de repoussoir aux ar-
cades de la façade qu'elles isolent du pignon, et permettent à la lumière
de se jouer au travers de leurs riches dentelles. Les vides laissés entre
ces pyramides et ces frontons sont garnis d'arcades à jour et de balus-
trades aux formes bizarrement contournées. L'arcade du milieu offre
en outre six grandes statues d'une assez bonne exécution, disposées sur
deux lignes et représentant la Transfiguration. L'une des figures, celle
de saint Jean, tourne le dos à la rue : une tradition populaire veut que,
lors du pillage de l'église par les huguenots, en 1562, la statue se soit
retournée subitement, au moment où ils portoient sur elle une main
sacrilége. Les arcades inférieures correspondent à celles que nous venons
de décrire et servent de vestibule à la nef. Des sculptures d'une grande
délicatesse en décorent les voussures et les parois latérales.
Alençon possède trois autres églises, bien moins importantes que celle de
Notre-Dame.Saint-Léonard, dont l'architecture est de la fin du xvIe siècle,
n'a de remarquable que des fragments d'un beau vitrail, à la première
fenêtre de gauche en entrant, et un joli autel en chêne sculpté. L'église
de Monsort, qui remontoit par sa fondation à une époque très-recu-
lée, a été reconstruite, il y a quelques années, dans le style néo-grec.
L'ancienne église des Jésuites a été divisée en deux étages. La partie
supérieure renferme, dans une belle salle ornée d'armoires et de boi-
series, provenant de la Chartreuse du Val-Dieu, la bibliothèque publi-
que de la ville. Nous devons signaler comme le principal ornement
de cette salle, des bas-reliefs en bois qui se trouvoient autrefois dans
le couvent des Capucins d'AIençon; ils représentent les quatre Évangé-
listes; la beauté des figures et la largeur d'exécution des draperies ont
fait attribuer ces bas-reliefs à l'un des maîtres de la sculpture fran-
çoise, à Germain Pilon ou à Jean Goujon.
L'ancien château d'Alençon fut démoli par ordre de Henri IV, mais
on avoit alors laissé subsister le donjon, bâti vers la fin du XIIe siècle.
C'étoit une énorme tour carrée qui, plus tard, fut élevée d'un étage et
couronnée de tourelles rondes aux angles. De larges fossés l'entouroient,
et d'étroites ouvertures, ménagées dans l'épaisseur des murs à une grande
hauteur au-dessus du sol, donnoient accès dans l'intérieur. D'autres
constructions de défense ou d'habitation se groupoient à l'entour. Ce
donjon a été détruit sous le règne de Louis XVI, avec les divers bâti-
ments qui en dépendoient. Il n'en reste aujourd'hui que deux tours
jumelles qui formoient jadis le pavillon d'entrée. Elles ont soixante-six
pieds d'élévation sur près de quarante pieds de diamètre. Ces tours
crénelées, construites en granit mêlé de briques, sont d'un aspect très-
pittoresque.
A deux lieues d'Alençon, vers le Sud-Ouest, aux bords de la Sarthe
et sur les confins du Maine, le bourg de Saint-Céneri-le-Gérén'a rien
conservé de son redoutable château fort qui résista aux armes de
Guillaume le Conquérant, mais il lui reste une jolie église romane à
absides rondes et à tour carrée, bâtie sur le roc vif dans la plus char-
mante situation. Près de Saint-Céneri et sur le territoire d'Héloup, un
menhir, nommé la Pierre-Longue, gît sur le sol à peu de distance d'une
autre pierre renversée; plus loin, vers le Nord, au village de Colom-
biers, les restes d'un aqueduc et d'autres débris de constructions ro-
maines, méritent d'être visités. Près de là, et à l'extrémité occidentale
de la belle forêt d'Écouves, s'étendent, sur un roc escarpé, les ruines
du château de la Roche-Mabile; plus au Nord, à la Lande-de-Goult, on
remarque les vestiges d'un camp romain adossé à des masses de rocher
qui s'élèvent à 150 pieds de hauteur.
Le château de Carrouges, à cinq lieues d'Alençon vers le Nord-Ouest,
est un des plus vastes et des plus considérables de la Normandie. L'as-
pect général en est triste; il se compose d'une masse énorme de bâti-
ments disposés en carré, percés d'ouvertures de toutes formes et de
toutes grandeurs, surmontés de toits pointus qui se découpent les uns
régularité ; peu
sur les autres en triangles bizarres. Ni élégance, ni
de détails d'architecture, mais une diversité curieuse et originale, un
aspect imposant et sévère. Chaque siècle, du XVIeau XVIIIe,y a fourni son
contingent de changements, d'additions. Le pavillond'entrée, complè-
tement isolé du château, et flanqué aux angles de quatre tourelles aux
toits aigus, offre, avec ses fenêtres à frontons élancés et ses briques
de couleur à compartiments, un aspect élégant et rappelle dans toute
sa grâce le style du xve siècle. Le château proprement dit se développe
sur quatre façades, dont la principale se trouve à l'Ouest ; de ce côté,
à droite de la porte d'entrée, est un corps de logis fortifié ; à gauche se
montre le donjon, tour carrée et crénelée de 45 pieds d'élévation, à
laquelle s'appuie la façade septentrionale, terminée à l'autre bout par une
tourelle. Les façades de l'Est et du Sud sont modernes et régulières. La
plupart des appartements intérieurs ont été gâtés par des murs de re-
fend; très-peu ont gardé leurs décorations anciennes. La chambre
qu'occupa Louis XI au mois d'août 1473, n'a plus de remarquable
que sa vaste cheminée et ses boiseries dorées. Une autre chambre, au
second étage, est décorée de lambris sculptés et tendue de tapisseries.
On remarque à côté un petit oratoire, avec son plafond à caissons,
ses dorures, ses peintures, son pavé en carreaux de faïence. Quelques
armures, notamment celle de Jean Le Veneur, tué en 1415 à la bataille
d'Azincourt, de précieux manuscrits, une galerie de portraits de famille
des plus intéressantes, sont conservés dans le château. On y montre
encore une ancienne et curieuse chasuble en soie, à fond vert et croix
rouge, semée de fleurs de lis d'argent. Les couronnes royales de France
et d'Angleterre, accompagnées de la lettre K, la devise et mon
droit répétée, autorisent à penser que cette chasuble fut donnée aux
seigneurs de Carrouges, par une reine d'Angleterre de la maison de
France, probablement Catherine, fille de Charles VI, mariée à Henri V,
en exécution du déplorable traité de 1420.
Sur le territoire de Carrouges se voit, indépendamment du château,
une chapelle ogivale du XVIesiècle où l'on doit signaler des fragments
de fresques dont les sujets sont empruntés à l'Ancien et au Nouveau
Testament.
Le bourg d'Essey ou Essai, occupe l'emplacement de l'ancienne ca¬
pi taie des Essui, qui eut une certaine importance sous la
domination ro-
murailles
maine et fut, dit-on, détruite par les Saxons. Essey, jadis ceint de
du
et protégé par un château fort, souvent assiégé durant les guerres
fortifications quelques pans de
moyen âge, a conservé de ses anciennes
les ruines d'un monastère
murs appuyés de terrasses, et montre aussi
fondé par les comtes d'Alençon pour les jeunes filles nobles. La chapelle
du château existe encore; c'est un édifice du xve siècle. L'église paroissiale,
composée de deux églises contiguës, dont l'une forme le choeur et l'autre
la nef, présente un portail roman surmonté d'une tour garnie de pi-
nacles à choux frisés et d'épis en plomb. A l'intérieur, plusieurs fe-
nêtres sont garnies de vitraux, malheureusement fort dégradés.
Bellesme ou Bellême, dont les redoutables seigneurs ont joué un si
grand rôle dans l'histoire de Normandie pendant l'ère féodale, a laissé
détruire entièrement sa vieille forteresse, mais elle a gardé une des
ogivale
anciennes portes de son enceinte, composée d'une longue voûte
qui paroît
et flanquée de deux tours rondes. C'est une construction
appartenir au xve siècle. L'église paroissiale, très-peu remarquable
d'ailleurs, renferme une crypte souterraine dans laquelle on distingue
des traces de peintures à fresque. A une demi-lieue environ de la ville,
autrefois un des plus importants
sur la lisière de la forêt, existoit
monastères du Perche, l'abbaye de Saint-Martin du vieux Bellême,
fondée en 1050. Il ne reste plus que quelques débris de ses cloîtres et
de son église. Dans la forêt de Bellême, nous signalerons à l'archéolo-
des dolmens de Lockmaria-
gue une pierre druidique portant, comme un
ker, le nom de Table des marchands, et deux inscriptions latines, en
beaux caractères, gravées sur des pierres entourant la fontaine de la
Herse, qui jaillit au milieu des bois, à peu de distance du village de
Saint-Martin.
La ville de Mortagne, ancienne capitale du Perche, bâtie au sommet
défendue par deux châteaux
et sur le versant d'un coteau assez élevé, et
forts, étoit au moyen âge une place importante qui fut plusieurs fois
prise et ruinée. Délivrée du joug des Anglois, elle eut beaucoup à souf¬
frir des guerres de religion ; pendant la Ligue, elle fut pillée et rançonnée
vingt-deux fois dans l'espace de trois ans et demi. De ses anciennes
églises, nombreuses autrefois, Mortagne n'a conservé
que celle de Notre-
Dame et la chapelle de l'Hospice. Bâtie, ou plutôt reconstruite de 1494
à 1535, l'église paroissiale de Notre-Dame est surmontée d'une tour
massive commencée en 1542 et achevée un siècle plus tard. La porte
latérale du nord, dont le couronnement été abattu à la Révolution,
a
se fait remarquer par la grâce et la richesse de son architecture.
L'intérieur offre une grande variété d'ornementation. Des
rosaces ou
culs-de-lampes, des festons, des feuillages, des figures d'anges décorent
partout les voûtes. Les fenêtres des chapelles de droite sont garnies de
vitraux peints, représentant, entre autres sujets, l'histoire de l'Enfant
prodigue; ces vitraux, malheureusement endommagés, sont du meil-
leur temps de la Renaissance. De riches boiseries entourent le choeur;
comme celles de la bibliothèque d'Alençon, elles proviennent de l'an-
cienne abbaye du Val-Dieu. Les orgues portent la date de 1624.
Dans la chapelle de l'hôpital, dont les fenêtres ogivales sont garnies
de vitraux armoriés, nous signalerons la tombe du président de Catinat,
père du maréchal.
Il ne reste rien de l'église paroissiale de Saint-Jean, ni de celle de
Saint-Malo, bâtie, suivant la tradition, avec les débris d'un ancien tem-
ple d'idoles, ni de l'église de Sainte-Croix. Elles ont été détruites
pen-
dant la Révolution, ainsi que les couvents de Toussaints et de Saint-Éloi.
Des deux châteaux forts qui protégeoient autrefois la ville de Mor-
tagne, le plus ancien, celui qu'habitèrent les premiers comtes du Perche,
a depuis longtemps disparu. L'autre, bâti en 1411, étoit un enclos for-
tifié, flanqué de six grosses tours et défendu par des ponts-levis et
des fossés aux trois portes. Une seule de ces portes subsiste encore sous
le nom de portail Saint-Denis. C'est une longue voûte, en ogive aiguë,
surmontée d'une construction à fenêtres étroites, décorée de guirlandes
et de figures bizarres.
Les environs de Mortagne sont plus riches en sites pittoresques et en
frappa
souvenirs historiques qu'en monuments anciens. Corbon, où l'on
États du pays
monnoie sous la première race, et où s'assembloient les
insignifiante ; mais, près de là, il
de Corbonois, n'a plus qu'une église
faut visiter les restes du château de la Vove, avec sa grosse tour du
XIIe siècle, et, non loin du village de Feings, les ruines
de l'antique
chartreuse du Val-Dieu, fondée en 1170, par Rotrou II, comte du
Perche. Il ne subsiste plus de ce monastère que le portail d'entrée,
rebâti au milieu du siècle dernier, une chapelle convertie en grange et
quelques débris de murs entourés de grands bois. Signalons encore
le portail roman de l'église de Razoches-sur-Hoêne, le cimetière méro-
vingien de Saint-Germain-de-Martigni et le cimetière romain qui occupe,
à Sainte-Céronne, sur le mont Romigni, un plateau de plusieuis ar-
pents d'étendue.
A une lieue du village de Soligny, dans un site sauvage, au centre
d'un vallon entouré de collines couvertes de bruyère, s'élevoit autrefois
l'an 1140, par Rotrou III,
une abbaye de l'ordre de Cîteaux, fondée vers
du Perche, et qui est devenue si célèbre sous le nom de mo-
comte
1666,
nastère de la Trappe. C'est là que l'abbé de Rancé introduisit, en
réforme, qui imposoit aux religieux le travail des mains, l'observa-
sa
c'est là
tion rigoureuse du silence et les pratiques les plus austères;
pécheur pénitent, ce zélé réformateur, expira couché sur la
que ce
cendre, le 27 octobre 1700. A l'époque de la suppression des couvents,
les trappistes se dispersèrent; mais, leur congrégation ayant été
rétablie en
1815, ils sont revenus occuper ce qui restoit de leur principal monastère
actuels de la Trappe, vastes et
et en ont relevé les ruines. Les bâtiments
bien appropriés à leur destination, n'offrent aucun intérêt architectural.
de la
La ville de Verneuil, placée aux frontières du Perche du côté
Normandie, n'étoit au commencement du XIIe qu'un simple hameau,
place
qui sous le règne de Henri Ier, roi d'Angleterre, devint une
forte importante. Détruite par le feu du ciel en 1134, rebâtie peu d'an-
nées après, cette ville prit une part active à la
lutte qui éclata entre
le roi Étienne et Geoffroi d'Anjou, et, plus tard, à celle de Philippe-
Auguste contre Richard Coeur-de-Lion. Vers l'an 1355, elle fut cédée
par Philippe VI, de Valois, au comte d'Alençon et, dès-lors, elle fit
toujours partie de ce comté. Pendant la domination angloise, elle fut
plusieurs fois prise et saccagée, notamment en 1449.En 1773, Ver-
neuil fît partie de l'apanage du comte de Provence, depuis Louis XVIII.
Le château de Verneuil, les remparts et les portes de la ville ont
été complètement démolis. Le donjon seul, connu sous le nom de
Tour Grise, existe encore. Il est de forme circulaire et terminé par un
rang de créneaux; sa hauteur est de près de 90 pieds. L'église de la
Madeleine remonte en partie au temps de la fondation de la ville
(vers 1120). Dans la nef, de grosses colonnes cylindriques supportent
des ogives de la première époque; le choeur semble être un peu moins
ancien. Près de la façade occidentale s'élève la tour dont nous don-
nons le dessin. Construite de 1506 à 1530, cette tour,
haute de
80 pieds, appartient aux dernières années du style ogival, comme on
le voit par les riches sculptures et les ornements variés dont elle est
revêtue. Dans l'église de Notre-Dame, le choeur et la flèche sont du
XIIe siècle, le transsept et les bas-côtés, du XVe.Le portail n'est pas
aussi ancien. La ville de Verneuil renferme quelques maisons d'une
construction curieuse; celle dont avons reproduit la façade est un joli
édifice de la Renaissance.
Nous signalerons, entre Verneuil et Laigle, le bourg de Tourouvre,
placé sur une élévation qui domine la forêt du Perche ; son église a
des vitraux peints d'une date ancienne, et une curieuse statue de saint
Gilles; citons encore le château de Bellegarde, et surtout l'église romane
d'Autheuil, remarquable à l'intérieur par les modillons à têtes grima-
çantes qui entourent le choeur et la nef, à l'intérieur par des chapi-
XIIe siècle a sculpté des
teaux où la fantaisie des artistes du XIe et du
animaux sans noms et une profusion d'ornements bizarres.
La ville de Laigle, située dans la vallée de la Rille, à l'entrée d'une
belle forêt, doit son origine à un château construit dans les premières
années du XIe siècle par Fulbert de Beine. En faisant bâtir cette forte¬
resse, Fulbert, selon la
légende, trouva un nid d'aiglons dans un
chêne; il considéra sa découverte comme un heureux présage, et le
fort, ensuite à la ville qui se
nom de Laigle resta d'abord au château
forma murs. L'image d'un aigle colossal, aux ailes
étendues, se
sous ses
voit encore au sommet de la grande tour de l'église principale. L'un
des seigneurs de Laigle accompagna Guillaume le Bâtard dans son ex-
pédition contre l'Angleterre. Il fut tué à Hastings, mais Guillaume
fut un intré-
augmenta le domaine de ses fils, dont l'un, Richard Ier,
pide guerrier. La seigneurie ou baronnie de Laigle resta entre les
mains des descendants de Fulbert jusqu'en 1235. Elle échut alors, par
les femmes, à la maison d'Avaugour, qui l'occupa jusqu'en 1284, puis
ducs de Bretagne. Philippe VI, roi de France, la confisqua
aux
Charles, comte d'Alençon. Après la
en 1345 et la donna à son frère
la jouissance.
mort de celui-ci, Marie d'Espagne, sa veuve, en conserva
C'est à cette époque que fut assassiné, à Laigle, Charles de la
Cerda,
d'Évreux et roi
connétable de France, par Charles le Mauvais, comte
de Navarre, qui s'étoit caché avec quelques seigneurs dans une grange
mal
du hameau de Frévent, et qui profita de la nuit pour égorger le
heureux connétable tranquillement endormi dans une hôtellerie voi-
sine. La baronnie de Laigle fut ensuite possédée successivement par
des
les familles de Penthièvre, de Châtillon, de Brosse, d'Aunay et
1563,
Acres. La ville, saccagée et brûlée par les protestants, le 18 mars
échappa aux sanglantes représailles de la Saint-Barthélémy, grâce à
Matignon, gouverneur d'Alençon.
L'église Saint-Martin, la plus importante de Laigle, date de plusieurs
de riches
époques. La tour du clocher, de forme carrée, flanquée
contre-forts que couronnent des pinacles sculptés, percée d ouvertures
élégantes, garnie de culs-de-lampe, de dais, de statues d'un
bon travail,
octogonale à l'un des angles, est du com-
avec une charmante tourelle
l'horloge remontent
mencement du XVIesiècle. L'abside et la tour de
XIIe. La façade qui donne sur la place, et qui offre des contre-forts
au
des niches sculptés avec délicatesse, est une construction de la
et
Renaissance. A l'intérieur, on remarque d'élégantes clefs de voûte et de
précieux vitraux, parmi lesquels il faut citer surtout ceux qui repré-
sentent saint Nicolas, la prédication de saint Jean dans le désert, la
Descente de Croix, le Crucifiement, le Sacrifice d'Abraham, la légende
de saint Hubert.
L'église Saint-Jean, bâtie au XIIe siècle, remaniée à la fin du XVe, est
surmontée d'un clocher orné de statues et de sculptures remarquables.
On y distingue particulièrement la figure d'un chanoine qui présente
une frappante analogie avec d'autres statues placées à la tour de
Saint-Martin de Laigle et à celle de Verneuil. L'église Saint-Barthé-
lemy, située dans un des faubourgs de Laigle, date de 1115. Elle est
du style roman le plus simple, sauf le portail, qui est moins ancien
et appartient au style de transition.
De l'ancien château de Laigle qui fut détruit par les Anglois, il ne
reste plus que quelques vestiges près du pont de la Barre. Le château
actuel, bâti en briques, de 1690 à 1730, sur les dessins de Jules
Mansard, n'est pas un édifice sans mérite ; il se fait remarquer de loin
par ses trois rangs de terrasses qui descendent jusqu'à la Rille.
Plusieurs églises rurales des environs de Laigle sont dignes d'atten-
tion, notamment celles de Saint-Sulpice-sur-Rille,de Saint-Symphorien
des Bruyères et la chapelle du cimetière de Longny.
La ville de Séez, dont le nom se prononce comme s'il s'écrivoit
Sais, est une des plus anciennes de la Normandie. Son origine n'a pu
jusqu'ici être éclaircie par les recherches des érudits, mais il est cer-
tain qu'elle étoit, dès le Ve siècle, le siège d'un évêché dont saint Lain
ou Latuin, mort en 440,fut le premier prélat. Parmi ses successeurs,
les chroniqueurs nomment saint Sigibold ou Sigebaud, saint Landri et
Létharède, qui vivoit en 536. Fortifiée au IXe siècle, la ville fut prise
et brûlée par les Normands, et les pierres de ses remparts servirent à
l'évêque Azon pour rebâtir la cathédrale (986). En 1050, Roger de
Montgommery, qui déjà avoit fondé, au diocèse de Bayeux, l'abbaye
de Troarn, rétablit, à Séez, celle de Saint-Martin. Vers 1106, Séez
fut enlevée au comte d'Alençon par le roi d'Angleterre, mais Robert
de Bellême en reprit possession l'année suivante. Accusé bientôt après
de s'être emparé des revenus du roi, notamment à Exmes et à
Argentan, il perdit sans retour ses domaines (1112). Son fils, Guil-
laume III, tenta en vain de les recouvrer par les armes. En 1117,
Henri Ier donna la ville et le comté de Séez à son neveu Thibault,
comte de Blois, qui en fit aussitôt l'abandon à son frère Étienne,
comte de Mortain. Deux années après, ce comté changea encore de
maître : Henri Ier le retira à Étienne pour le rendre à Guillaume III
de Bellême, dit Talvas, qui le garda jusqu'en n34- Alors le roi
d'Angleterre déclara de nouveau la guerre au comte d'Alençon et
se saisit du comté de Séez, dont Guillaume de Bellême ne reprit pos-
session qu'après la mort de ce prince (1135). « La ville de Séez, dit
un historien du pays, se composoit en ce temps-là de deux parties
bien distinctes. C'étoit d'abord l'ancienne ville, ou
ensuite le Bourg-Neuf ou Bourg-le-Comte, quartier formé peu à peu
dans l'enceinte du château que Guillaume Talvas avoit bâti vers
le midi, de l'autre côté de la rivière d'Orne, et où se trouvoit la pa-
roisse de Saint-Pierre, qu'on appela pour cette raison Saint-Pierre-
du-Château (1). » Vers l'an 1174, Henri au Court-Mantel mit le siége
devant Séez, mais il fut repoussé par les bourgeois. En 1189, Richard
Coeur-de-Lion vint à Séez s'humilier devant les archevêques de Rouen
et de Cantorbéry, et se faire absoudre de la mort de son père, Henri II,
à laquelle il avoit contribué par sa rébellion. Au commencement du
xIIIe siècle, cette ville se rendit à Philippe-Auguste, et sa soumission
lui assura une longue paix, pendant laquelle furent construits, en
1208, l'hôpital général, et en 1225, le couvent des Cordeliers, fondé par
le roi Louis VIII. De nouveau troublée au XVIe siècle par la révolte de
Charles le Mauvais et de son frère Philippe de Navarre, contre le roi
Jean, au xve siècle par les luttes qui marquèrent l'époque de la do-

(I) M. Ed. de Manne. Hist. des villes de France, V, 609.


mination angloise, la ville de Séez eut plus encore à souffrir au
XVIe, pendant les guerres de religion. Elle fut prise d'abord en 1563,

par Matignon, qui pilla la cathédrale et l'abbaye de Saint-Martin, et


en 1568, par Montgommery, dont les troupes y commirent les plus
graves désordres. Ces excès des religionnaires poussèrent plus tard les
habitants dans le parti de la Ligue, ce qui ne les empêcha pas de se
rendre spontanément à Henri IV, lorsque ce prince se présenta devant
leurs murs en 1590.
La cathédrale de Séez, dédiée à Notre-Dame, est un des plus remar-
quables monuments religieux de la Normandie. Cet édifice, qui a suc-
cédé à trois basiliques antérieures, fondées en 410, 986 et 1053, ap-
partient pour la plus grande partie au xIIIe siècle. Le fronton du portail
principal, de forme triangulaire et orné de deux rangs d'arcades superpo-
sées, s'élève entre deux flèches découpées à jour, hautes de deux cent
vingt pieds ; ce double étage d'arcades constitue une disposition sin-
gulière, en dehors des règles communes, et d'une originalité à la fois
riche et sévère. Deux petits portails accompagnent le portail principal :
celui de droite est orné de feuilles de vigne du travail le plus pur;
celui de gauche est une reconstruction du xve siècle. Les contre-forts
sont simples et garnis de clochetons et d'aiguilles. Autour du toit
règne une galerie, dont la balustrade se compose d'un seul rang de
quatre feuilles.
A l'intérieur, la cathédrale de Séez a l'aspect grave et imposant qui
caractérise la belle époque de l'art à laquelle elle appartient. La nef,
bâtie au commencement du xIIIe siècle, paroît avoir été remaniée dans
tard. Le choeur,
sa partie supérieure, cinquante ou soixante ans plus
élevé vers 1230, et presque entièrement détruit par un incendie, dut
être, vers 1260, rebâti de fond en comble, sauf la chapelle de la
Vierge, que l'on jugea pouvoir être conservée. Les travées intérieures
du sanctuaire sont d'une légèreté qui, comme l'a remarqué M. Viollet-
le-Duc, dépasse tout ce qui a été tenté en ce genre. Les bas-côtés se
prolongent autour du choeur et y forment cinq chapelles; celle du milieu
est la chapelle de la Vierge, dont nous venons de parler. Ces cha-
pelles sont éclairées chacune par trois longues fenêtres garnies de
vitraux qui paraissent être du XIVe siècle. Les grandes verrières de cou-
leur qui éclairent les transsepts sont moins anciennes. On remarque
dans le choeur quatre bas-reliefs d'une grande finesse d'exécution, re-
présentant des scènes de la vie de la Vierge. L'un des contre-retables
de l'autel est orné d'un autre bas-relief également fort beau, dont le
sujet est l'invention des reliques de saint Gervais et saint Protais.
Dans le cloître des chanoines, qui s'élevoit au nord de la cathédrale,
on distingue quelques vestiges de constructions anciennes, notamment
des murs en arête de poisson.
Les deux autres églises de Séez, Saint-Pierre et Notre-Dame
de la Place, ont peu d'intérêt pour l'archéologie : la première est
toute moderne; la seconde n'offre de curieux qu'une galerie de petits
bas-reliefs en bois d'un travail délicat. Quelques pans de murs sont
tout ce qui reste de l'église de l'antique abbaye de Saint-Martin, fon-
dée par saint Evroult au VIe siècle, et rétablie, comme nous l'avons
dit, par Roger de Montgommery en l'année 1050. Le grand séminaire
occupe les bâtiments conventuels de ce monastère.
A peu de distance de Séez, près du bourg de Mortrée, se voit le
curieux château d'O, qui, après avoir appartenu à la famille de ce
nom, appartint successivement à celles de la Guesle, Séguier, de Luynes et
Montaigu. Il faut visiter dans le même canton l'église d'Almenèches,
les châteaux de Sacy et de Cléray, les vieux manoirs de Médavy, du
Plessis et des Pantouillères.
La ville d'Argentan, située au milieu de vastes prairies et traversée
par l'Orne, existoit probablement sous la domination romaine et même
dès l'époque celtique, comme l'a fait conjecturer avec vraisemblance
l'existence de tombelles gauloises et de médailles romaines découvertes
sur son territoire. Saint Lain ou Latuin, premier évêque de Séez, passe
pour y avoir prêché l'évangile en 430, mais aucun document certain
n'en fait mention avant le xe siècle. Turstin Gotz, fils d'Anfroy le
Danois, en étoit gouverneur en 995 Au commencement du siècle sui-
vant, elle dépendoit du comté d'Exmes. Henri Ier, roi de France, s'en
empara en 1035, puis la rendit au duc Guillaume le Bâtard. Robert
Courte-Heuse en releva les fortifications et fit reconstruire le château
en 1089. Philippe Ier, appelé au secours de Robert, en guerre avec son
frère Guillaume le Roux, prit la ville en 1094 et la livra au pillage
après avoir massacré la garnison. Au XIIe siècle, le roi d'Angleterre la
fortifia de nouveau. Le château et le donjon, commencés en 1132,
furent achevés en 1134- Le domaine d'Argentan fit partie du douaire
d'Éléonore d'Aquitaine, veuve du roi d'Angleterre Henri II, et cette
princesse y établit sa principale résidence. Richard Coeur-de-Lion,
dans le cours de sa vie aventureuse, séjourna plusieurs fois à Argentan,
et Jean sans Terre y tint des cours plénières en 1199 et 1200 ; mais,
de toute la
peu de temps après, Philippe-Auguste s'en empara comme
Normandie, et la donna à Henri Clément, maréchal de France, dont
les enfants la possédèrent pendant quelque temps. En 1295, Philippe
le Bel disposa de cette seigneurie en faveur de Mathieu de Montmo-
rency, à la charge d'une paire d'éperons pour toute redevance. Elle passa
ensuite, de la maison de Montmorency, dans celle de Châtillon, qui la
vendit en 1372 à Pierre, comte d'Alençon, et elle fut définitivement
réunie à la couronne en 1525.
Le monument le plus remarquable d'Argentan est l'église paroissiale
de Saint-Germain, bâtie sur une hauteur. Commencé dans les pre-
mières années du xve siècle (1410), l'édifice ne fut achevé qu'au XVIIe;
aussi présente-t-il un mélange disparate de styles différents. Le portail
septentrional est orné de sculptures nombreuses, finement exécutées.
Une tour ogivale, haute de cent soixante pieds, surmonte le choeur. La
galerie à jour de la nef mérite d'être signalée. Les latéraux offrent de
belles arcades d'une grande élévation.
L'église Saint-Martin, entourée de maisons qui en gênent l'aspect,
date en partie de la fin du xve siècle. Les choux frisés sur les corniches,
les clochetons, les pinacles chargés de crochets, de dentelures, de
de son archi-
petits personnages, forment le caractère le plus saillant
les plus dignes d'attention, à l'intérieur
tecture. Parmi les objets d'art
de
de cette église, nous citerons de curieuses statues en bois et surtout
belles verrières, dont la plus importante, représentant la mort de saint
Martin, n'a pas moins de trente personnages.
Il ne reste rien des anciennes fortifications d'Argentan. Le château,
où siège aujourd'hui le tribunal, est un grand bâtiment ayant trois pa-
villons sur le devant avec fenêtres à nervures. Les fossés ont été
transformés en promenades. Vers le centre de la ville on voit une
conique presque
tour qui a conservé ses mâchicoulis et son toit
intacts.
Le bourg d'Exmes, qui fut autrefois le chef-lieu d'un pagus impor-
âge, a une
tant, puis une ville fortifiée souvent assiégée au moyen
église romane digne d'attention. Nous devons mentionner encore celles
de l'antique
de Briouze, d'Écouché, de la Ferté-Fresnel, les ruines
Histoire ecclé-
monastère de Saint-Évroult, où Frédéric Vital écrivit son
de Crèvecoeur,
siastique de Normandie, les châteaux de la Forêt-Auvray,
du Repas, d'Aubry, et le manoir de Chambois, dont le
donjon est le
Normandie.
mieux conservé de tous ceux de cette partie de la
de plusieurs cotes,
A l'extrémité d'un banc de rochers coupés à pic
à deux cent vingt pieds au-dessus de la petite rivière de Varenne, qui
et
plus pit-
lui sert en quelque sorte de fossé, s'élève, dans la situation la
la ville de Domfront, ancienne capitale du pays d'Houlme.
toresque,
Au VIe siècle, l'emplacement qu'occupe cette cité n'étoit encore qu'une
profonde solitude au milieu de la forêt de Passais. L'ermite saint Front
s'y établit vers 540 et y bâtit une chapelle. Ses prédications ne
de la
tardèrent pas à convertir au christianisme les populations voisines
du
forêt, et peu à peu des habitations se groupèrent autour de l'oratoire
lui devoit
pieux cénobite. Après la mort de saint Front, le bourg qui
origine dans l'oubli jusqu au xi siècle. En 1011,
son et son nom resta
Guillaume Ier de Bellême, seigneur d'Alençon, y fit construire un châ-
lesquels il étoit conti¬
teau pour arrêter les courses des Manceaux avec
nuellement en guerre. Domfront fut dès lors une place fortifiée dont
l'histoire, toute militaire, ne consiste que dans le récit des siéges
nombreux qu'elle eut à soutenir. Le plus célèbre est celui de 1574.
Montgommery, le chef des Huguenots en Basse Normandie, poursuivi par
des troupes catholiques supérieures en nombre, s'étoit réfugié à Domfront.
La ville fut aussitôt assiégée par Matignon, qui se trouvoit à la tête d'une
armée de plus de huit mille hommes. Montgommery, qui n'avoit que
deux cents hommes pour défendre la place, soutint avec intrépidité une
lutte acharnée qui dura cinq heures, et, quoique blessé, refusa de se ren-
dre; mais Matignon, désirant éviter un nouvel assaut, poursuivit les né-
gociations; il en chargea le seigneur de Vassé, parent et ami de Mont-
gommery, lequel, « usant de la foi du temps », comme dit l'Estoile, le
détermina, après plusieurs jours de pourparlers, à capituler, lui pro-
mettant, ainsi qu'à ses gens, la vie sauve. Montgommery, se fiant sur
sa parole, quitta le château le 27 mai, et se rendit au camp
de
Matignon, qui le fit conduire à Paris, où, un mois plus tard, il eut
la tête tranchée.
Le château de Domfront a été démantelé en 1598. Il n'en reste
plus qu'un pan de mur couvert de lierre, posé sur la crête principale
de la roche. Sur le versant opposé se pressent les maisons de la ville
resserrées entre les murs de sa vieille enceinte garnie encore de qua-
torze tours à demi ruinées. Quelques-unes de ces tours ont conservé
leurs créneaux et leur couronnement, notamment celle de Godras,
qui est la plus élevée. L'église de Saint-Julien, dans l'intérieur de la
ville, est moderne et sans intérêt. Celle de Notre-Dame-sur-l'Eau, ainsi
nommée à cause de sa situation sur le bord de la Yarenne, au-dessous
des ruines du château, fut bâtie au XIe siècle, par Guillaume de
Bellême, le fondateur de la forteresse de Domfront. La plus grande
partie de l'édifice a été renversée, il y a. peu d'années, pour l'ouverture
d'une route; il n'en reste plus aujourd'hui que le choeur et les trans-
dont
septs. On remarque dans le choeur plusieurs tombeaux anciens
le plus important est celui d'un guerrier couché sur le dos, les mains
jointes sur la poitrine, la tête appuyée sur un coussin et les pieds
siècle, qui
reposant sur un lion accroupi. C'est un monument du xve
de Guillaume de Bellême.
passe à tort pour recouvrir les restes
Une tour carrée, placée au centre de la croix, entre la nef et le choeur,
chaque
ne se compose plus aujourd'hui que d'un étage percé sur
face de deux croisées divisées en deux baies par une colonnette.
La nef, plus élevée que les latéraux, a été tronquée; elle se réduit
aujourd'hui à deux travées.
de
Les environs de Domfront, pays accidente, couvert de bruyères,
genêts, coupé de haies et de fossés plantés d'arbres, offrent au voyageur
des sites agrestes et à l'archéologue quelques monuments intéressants
de pouvoir décrire, et parmi lesquels on doit
que nous regrettons ne
de la Ferté-Macé,
citer surtout les restes de l'abbaye de Lonlay, l'église
Challerie, de la
les fonts baptismaux de Couterne, les manoirs de la
de la Lande-
Saucerie, de la Guyardière, et les ruines du vieux château
Editeur,
.Lemaitre
A..F 23. del'Horloge
Quai .
Dess.
etlithparEmile
Sagot.

À.F.Lemâitre
Editeur, del'HoTÎOge.
Quai
Coutances et le Cotentin.

Bâtie sur un mamelon de granit qui lui donne les aspects les plus
variés, la ville de Coutances a une origine fort ancienne. On peut douter
que son emplacement réponde exactement à celui de Cosedia, une des
principales villes des Unelli avant l'occupation romaine; mais il est
certain qu'après la conquête de César les vainqueurs y établirent un
poste militaire. Vers l'an
296 de l'ère chrétienne, 1empereur Constance
Chlore fortifia cette position et jeta les fondements de la ville, à laquelle
il donna son nom (Constantia, d'où est dérivé Coutances). Bientôt après,
cette ville devint le chef-lieu du pagus Constantinus ou pays de Cotentin,
Les Nor-
et le siège d'un évêché suffragant de l'archevêché de Rouen.
mands s'en emparèrent en 866 et la ruinèrent si complètement en 888,
qu'il fallut transférer le siége épiscopal à Saint-Lô, où il resta établi
jusqu'au XIe siècle. La noblesse du Cotentin prit une part considerable
de
à la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Batard. L évêque
Coutances lui-même, Geoffroi de Montbray ou de Moubray, y joua un
rôle actif, assista au couronnement de Guillaume à Westminster et
30
obtint pour sa part deux cent quatre-vingts fiefs ou domaines dans la
Grande-Bretagne. En 1117, pendant les luttes qui éclatèrent entre les
prétendants à la succession de Guillaume le Conquérant, Coutances fut
prise d'assaut par Foulques le jeune, comte d'Anjou, reprise quelque
temps après par Henri Ier, roi d'Angleterre, puis reconquise par Geoffroi
Plantagenet, fils de Foulques. Après avoir été vainement assiégée en 1356
par Godefroi d'Harcourt, cette ville passa, en 1417, sous la domination
angloise, qui s'y maintint jusqu'en i449- ^es protestants s'en emparèrent
quatre fois de 1561 à 1566. Ils y commirent toutes sortes d'excès,
assassinèrent des prêtres, violèrent les tombeaux de la cathédrale, brû-
lèrent l'église des Dominicains, celle de Saint-Nicolas, démolirent l'aqueduc
et firent subir toutes sortes d'humiliations à l'évêque Arthur de Cossé,
qu'ils déguisèrent d'une manière ridicule et conduisirent à Saint-Lô,
monté sur un âne, la tête tournée vers la queue de sa monture. Au
XVIIe siècle, l'insurrection des Nu-Pieds, causée par la gabelle, amena
dans Coutances le maréchal de Gassion et le chancelier Séguier, exé-
cuteurs des ordres impitoyables de Richelieu. Les révoltés avoient mis
à mort, avec des circonstances atroces, un receveur de la taille. Un des
plus coupables parmi les meurtriers fut rompu vif, quatre furent pendus
et les autres condamnés aux galères.
Il ne reste que des ruines des vieux remparts de Coutances. Le
monument le plus ancien de la ville, l'Aqueduc, qui, dès le temps des
Romains, amenoit dans la cité les eaux de la fontaine de l'Écoulanderie,
et qui avoit été détruit par les Normands, puis reconstruit en partie
au xIIIe siècle, endommagé de nouveau, comme nous l'avons dit, par
les protestants, et réparé en 1595, se composoit primitivement de seize
arches, dont onze n'existent plus. Les piliers qui ont été conservés sont
de forme quadrangulaire et mesurent près de dix-huit pieds de hauteur ;
leurs contre-forts sont épais de six pieds. La maçonnerie est en pierres
brutes unies par un ciment. Les ruines de cet aqueduc sont de l'effet
le plus pittoresque.
Mais ce qui, à Coutances, mérite surtout l'attention et l'intérêt de
l'archéologue, c'est sa remarquable cathédrale de Notre-Dame, qui, bâtie
dans la partie la plus haute de la ville, domine tout le pays environnant
et sert de point de reconnoissance aux navigateurs. Cette belle église
offre dans ses principales parties tous les caractères du style ogival
primitif en usage à la fin du XIIe siècle ou au commencement du XIIIe,
et en est certainement un des types les plus purs et les plus harmonieux.
L édifice a la forme d'une croix latine et se compose d'une vaste nef
garnie de bas-côtés, d'un transsept et d'un choeur. Sa longueur totale
est de deux cent quatre-vingt-cinq pieds, et sa largeur de cent deux
pieds. Trois entrées principales y donnent accès : le grand portail occi-
dental et deux portes latérales, l'une au nord, l'autre au sud, surmontées
de deux tours quadrangulaires à la base, mais terminées par une pyra-
mide de forme octogonale. Leurs toits de pierre présentent des ornements
superposés comme des écailles de poisson, et leurs clochetons se terminent
par des pyramides à quatre pans d'une admirable légèreté. Au-dessus
de la croisée se dresse une énorme tour octogone, nommée le Plomb,
flanquée de tourelles sur les quatre faces diagonales. Cette tour hardie
et majestueuse est du plus bel effet. Sur le tympan de la porte latérale
du midi on voit sculptée l'image de Jésus-Christ entouré des symboles
des quatre évangélistes ; le tympan de la porte du nord nous montre la
Vierge assise sur un trône entre deux anges prosternés. Une galerie règne
autour du choeur, de la nef et des deux étages de la tour. Le long du
grand comble de la nef on remarque des arcatures divisées en deux
ogives; chaque ogive est elle-même subdivisée en deux autres plus petites.
Dans le choeur et dans la nef, de belles colonnes s'élancent d'un seul jet
au haut des murs, où elles reçoivent les arceaux des voûtes; des fleurons
décorent le point où se croisent les arceaux. Les treize arcades ogivales
qui, autour du choeur, forment un collatéral secondaire, reposent sur des
colonnes monocylindriques.Le choeur, comparativementplus long que la
nef, présente un rang de quinze arcades également ogivales. Il occupe la
partie centrale du transsept, disposition que l'on observe surtout dans les
églises du XIIIe siècle. La grande chapelle absidale n'a été construite qu'en
1384, et les six chapelles parallèles à chaque collatéral de la nef portent
aussi le caractère du XIVesiècle et des traces évidentes d'adjonction.
A l'intérieur nous signalerons surtout quelques beaux vitraux des
XIVe,XVeet XVIesiècles, dont deux, près de la chapelle de la Vierge,
retracent les faits de la vie de saint Lô et de celle de saint Marcouf ; un
tombeau monumental en pierre, orné d'un bas-relieffigurant un évêque ;
une fresque assez bien conservée représentant un personnage nimbé,
assis sur un trône entre deux anges à genoux; saint Michel terrassant le
démon, et un ange offrant un écusson à la Vierge.
L'église de Saint-Pierre, ruinée pendant les guerres du moyen âge
et réédifiée au xve siècle par l'évêque Geoffroi, appartient presque entiè-
rement au style ogival de la troisième époque, bien qu'on puisse y
distinguer facilement des additions d'une date plus récente. Au-dessus
de la porte occidentale s'élève une tour élégante qui porte la date de
1550. Le transsept est couronné d'un dôme octogone où l'on monte
par un bel escalier en spirale. Ce dôme est éclairé par deux rangs de
fenêtres dont les vitres sont décorées d'écussons. Tout l'extérieur de l'édifice
se distingue par l'abondance et la richesse des
détails. L'intérieur, au
contraire, est d'une grande simplicité. La nef présente cinq arcades
supportées par des colonnes sans chapiteaux ni sculptures, et une galerie
avec balustrade, qui se prolonge autour du choeur et de la chapelle
méridionale du transsept. Dans le choeur, les voussoirs des arcades sont
à nervures prismatiques ou anguleuses; on y voit une grille en fonte
d'une belle exécution et deux rangs de stalles du XVIIe siècle. La chaire,
Luzerne ; les vitraux,
assez richement décorée, provient de l'abbaye de la
siècle.
en grand nombre, et généralement bien conservés, sont du XVIe
A l'exception de quelques reconstructions partielles, l'église Saint-
Nicolas est du XIVesiècle, et se compose d'un choeur, d'une nef principale,
de bas-côtés rayonnantautour du choeur et de deux chapelles qui forment
à chapiteaux
une nef transversale. Le choeur est circulaire; ses colonnes,
délicatement sculptés, supportent treize arcades ogivales dont cinq, les
plus voisines de l'autel, sont surélevées et un peu rétrécies. Dans la nef
à droite, on remarque une ancienne statue de la Vierge, couronnée,
et portant l'enfant Jésus dans ses bras. C'est une oeuvre du XIVeou du
xve siècle, qui n'est pas sans mérite.
La chapelle de la Roquette, qu'on aperçoit au-dessus du vallon en
descendant les boulevards du sud-ouest, a été bâtie à la fin du XVIesiècle,
à la place d'un calvaire où se rendoient de nombreux pèlerins depuis
les temps les plus reculés. L'hospice, fondé par l'évêque Hugues de Mor-
ville, en 1209, a été reconstruit et agrandi; il renferme aujourd'hui dans
son enceinte ce qui reste de l'ancien couvent des Augustins. L'église de
ce couvent n'existe plus, mais on en a conservé la tour, qui est d'un bel
effet. Le monastère des Dominicains, fondé au xIIIe siècle, a disparu sans
laisser d'autre trace que des débris dépourvus de caractère architectural.
Après la cathédrale de Coutances, le plus remarquable édifice reli-
gieux de cette partie de la Normandie est l'église de l'abbaye de Lessay,
de l'ordre de Saint-Benoît,fondée vers 1040 par Turstin Haldup, vicomte
de Cotentin, et Anna ou Emma, sa femme. Cette église, bien conservée,
qui sert maintenant de paroisse au bourg de Lessay, peut être considérée
comme un excellent modèle de l'architecture romane. Elle a deux
bas-côtés se prolongeantparallèlement au choeur et s'arrêtant à la cour-
bure de l'abside. De chaque côté de la nef règnent sept arcades cintrées
dont les piliers sont ornés de chapiteaux à figures grimaçantes. La voûte,
d'une grande hardiesse, est couronnée d'une tour en dôme, curieuse
par ses ornements. L'intérieur, vaste et d'une simplicité sévère, est du
style le plus pur et d'un aspect vraiment imposant. Les six stalles placées
à l'entrée du choeur proviennent de l'abbaye de Blanchelande; deux
sont ornées de châsses ogivales dans lesquelles se voient de petites statues
en bois représentant des évêques, des abbés et des moines.
A la Haye-du-Puits, bourg situé près de l'ancienne voie romaine de
Coutances à Cherbourg, se dressent, sur un tertre élevé, quelques débris
d'un château fort qui appartenoit, au milieu du XIesiècle, à ce vicomte
de Coutances, Turstin Haldup, que nous venons de citer comme
fondateur de l'abbaye de Lessay. La Haye-du-Puits fut le siége
d'une baronnie célèbre dont la juridiction s'étendoit à plus de vingt
paroisses, seigneurs avoient la sixième place à l'Échiquier de
et ses
Normandie parmi les barons du Cotentin. L'église paroissiale de ce lieu
datoit de la même époque que le château, c'est-à-dire du XIe siècle;
elle a été reconstruite dans ces dernières années, mais on a replacé
dans le nouvel édifice un tombeau du XVIesiècle qui se trouvoit dans
l'ancienne église. C'est un beau monument garni de colonnettes et d'un
dais ornementé dans le goût de la Renaissance. L'église de Saint-Sauveur-
Lendelin, bâtie au xIIIe siècle et dotée par la reine Blanche, a été récem-
primitif. Celle de
ment l'objet d'agrandissements conformes au style
Périers, moins ancienne, mais plus vaste et plus remarquable, appartient
de beaux vitraux,
aux XIVe,XVeet XVIesiècles. Les fenêtres sont ornées
cardinal du Perron.
et l'on voit dans le choeur l'écusson armorié du
Sur la lisière de la forêt de Mont-Castre, à une lieue de la Haye-du-
Puits, le voyageur visitera avec intérêt le village de Lithaire, dont l'église
de
romane renferme des fonts baptismaux très-anciens et une statue
saint Jean, également ancienne et d'un beau travail. Près de Lithaire
se trouvent la chapelle et
les cloîtres de l'ancien prieuré de Brocquebeuf,
où nous avons remarqué des portes cintrées, des fenêtres à meneaux,
et, dans une salle qui étoit
autrefois la chambre du prieur, une belle
cheminée de pierre richement ornée.
C'est à peu de distance de Lithaire et du prieuré de Brocquebeuf
connétable de Normandie, sénéchal
que Richard de la Haye-du-Puits,
de Henri II, roi d'Angleterre, et sa femme, Mathilde de Vernon, dame de
Varenguebec, avoient fondé, vers le milieu du XIIesiècle, la grande abbaye
de Blanchelande, où ils furent inhumés. La belle église de ce monastère
renfermoit de précieux objets d'art qui ont été dispersés ; nous avons
cité quelques-uns de ceux qui se trouvent aujourd'hui dans les localités
voisines. A Neufmesnil, l'église paroissiale possède une fort belle pierre
tombale sculptée qui provient également de l'abbaye de Blanchelande.
A Bolleville, bourg dont le nom rappelle celui d'un des compagnons
de Guillaume le Bâtard à la conquête d'Angleterre, il n'y a plus aucune
trace du prieuré ni de la léproserie qu'y avoient fait construire les
barons de la Haye-du-Puits. Le village d'Agneaux montre encore quelques
ruines intéressantes de son couvent de moines augustins, et Saint-Gilles
a conservé son église, qui est une ancienne collégiale fondée par
Louis XI. Le voyageur peut aller saluer, à Hauteville-le-Guichard, le
berceau de Tancrède de Hauteville et de ses enfants, qui, au XIe siècle,
conquirent les royaumes de Naples et de Sicile. En parcourant les bords
de la mer aux environs de Coutances, il doit aussi s'arrêter devant les
débris assez considérables du château fort de Regnéville, dont l'origine
remonte à l'alliance de Charles le Mauvais avec l'Angleterre. Le donjon,
de cent pieds de hauteur, subsiste presque entier; ses murs épais se
dressent encore au milieu des remparts écroulés de la forteresse. Le
château historique de Gavray, un des plus forts de la Normandie au
XIVesiècle, ceux d'Aubigny, de Meurdrac, de Montaigu, de Montchaton,
de Saint-Denis-le-Gast, ne sont plus que des souvenirs; mais le château
et l'abbaye de Hambie méritent toute l'attention de l'archéologue.
Le bourg de Hambie ou Hambye, situé à peu de distance de Gavray
et de Saint-Denis-le-Gast, et à cinq lieues de Coutances, a deux anciens
châteaux forts dont le principal, celui qui porte le nom de Hambie, a
toujours été possédé par des seigneurs très-puissants. 11 appartenoft, en
1066, à l'un des compagnons de Guillaume le Conquérant. La baronnie
de Hambie, donnée au comte de Suffolk par Henri V, roi d'Angleterre,
fut rendue à ses anciens possesseurs ou à leur famille en 1450. Le
donjon étoit un des plus grands, des plus beaux et des mieux placés
de la Normandie. De tous côtés ses ruines sont très-pittoresques. Haut
de cent pieds et de forme quadrangulaire, il étoit, il y a peu d'années
encore, flanqué de tourelles dont la plus considérable soutenoit l'escalier
sous le premier palier. Une plate-forme spacieuse couronnoit le sommet,
avec guérites en saillie aux angles; mais ces curieuses ruines sont au-
jourd'hui fort dégradées. A une demi-lieue du château, au pied d'un
coteau couvert de bois, dans une vallée formée par la petite rivière de
Sienne, on trouve les ruines de l'abbaye de Hambie, fondée en 1145
de lierre, sont
par Guillaume Pesnel. Ses vénérables débris, couverts
encore du plus bel effet; malheureusement ils sont attaqués sans cesse
disparu.
par le marteau des démolisseurs, et bientôt, sans doute, ils auront
Imp.
Lemercier
'er.de
etC67 Paris
Seine
A .F. Lemaitre Editeur, 23. Quai de i Horloge.
Lith.parEug.Cicéri.

Imp lemeraei,5y.rue de Seine Paris.


A F Lemaitrç Editeur,23...Quaide l'Horloge
.
J&ûnt-Co, Cnrcntan, Un loques,
Cljcrbourfl, (Ôrcuuitllc.

Un château situé sur la rive droite de la Vire et connu sous le nom


de Briovera, appartenoit, au VIesiècle, à Laudus ou Lô, cinquième évêque
de Coutances, qui en fit don à son église, et lorsque, après sa mort (565),
ce prélat eut été mis au nombre des saints, le château de Briovère et
le bourg, qui déjà se formoit sous ses murs, reçurent le nom de Saint-Lô.
Charlemagne y fit construire une forteresse quand il visita les côtes
septentrionales de la France et voulut défendre les embouchures des
rivières contre les incursions des Normands. Ceux-ci s'emparèrent néan-
moins de Saint-Lô en 889 et y mirent tout à feu et à sang. Pendant deux
siècles après ce désastre, l'histoire ne parle plus de celte ville. Son
château est cité parmi ceux que Henri, comte du Cotentin, fils de
Guillaume le Conquérant, fit fortifier en 1090. Geoffroi Plantagenet,
comte d'Anjou, l'enleva, en 1141, aux partisans d'Étienne de Blois, et
en 1203, il tomba au pouvoir de Philippe-Auguste. La ville, réunie à
la France, grandit et prospéra par l'industrie du tissage qui y fut alors
introduite. Vers le milieu du XIVe siècle, Édouard III, roi d'Angleterre,
prit et pilla Saint-Lô. « Nul homme vivant, dit Froissart, ne peut penser
ne croire le grant avoir qui fut là gaigné, et la grant foison de draps
que les Anglois y trouvèrent. » Les guerres religieuses du XVIe siècle
eurent à Saint-Lô des effets non moins déplorables que dans les autres
villes de Normandie. Les Calvinistes s'en rendirent maîtres en 1502,
et, après l'avoir livrée au pillage, brûlèrent les églises ainsi que les
maisons des catholiques les plus influents. Plusieurs fois prise et reprise
par les deux partis, elle ne fut définitivement occupée par les catho-
liques qu'en 1574, après un siége meurtrier de six semaines. Le maré-
chal de Matignon, peu d'années après, acheta de l'évêque de Coutances
la baronnie de Saint-Lô, qui avoit toujours appartenu à l'évêché, et
fit augmenter les fortifications de la ville.
L'église abbatiale de Sainte-Croix étoit naguère l'édifice le plus intéres-
sant de la ville de Saint-Lô, non qu'elle remontât, comme on le croyoit
généralement, jusqu'au temps de la fondation de l'abbaye, c'est-à-dire
jusqu'au règne de Charlemagne, mais elle appartenoit à l'architecture du
XIe siècle, et pouvoit être considérée comme un type complet du style
de cette époque. A l'intérieur, les chapiteaux bizarres qui décoroient
les colonnes du choeur fixoient surtout l'attention, ainsi que de curieux
bas-reliefs représentant les scènes de la vie de saint Éloi et de la
légende de saint Hubert. Parmi les sculptures de l'extérieur du monu-
ment, on signaloit comme la plus singulière un animal sans tête que
deux hommes vigoureux tenoient enchaînés. Cette église a été rebâtie
en 1860, dans le style roman, sur un plan bizarrement irrégulier. Les
bâtiments conventuels du monastère de Sainte-Croix, affectés aujour-
d'hui au dépôt d'étalons de Saint-Lô, ont conservé deux belles fenêtres
ogivales du XIVe siècle surmontées d'une tourelle, et plusieurs salles
voûtées d'une construction très-ancienne.
L'église de Notre-Dame est un vaste édifice de style ogival, qui,
bien qu'inférieur aux cathédrales de Bayeux et de Coutances, produit
un effet imposant. Sa longueur est de deux cent vingt-deux pieds et
sa largeur moyenne de cent vingt. La hauteur
des voûtes est de cin¬
quante-quatre pieds. Le portail, irrégulier dans sa partie inférieure, est
décoré avec beaucoup de richesse, et ne manque ni d'élégance ni de
grandeur. Il est surmonté de deux hautes flèches percées à jour. L'inté-
rieur se compose d'une nef, de deux bas-côtés et de chapelles; on y voit
des débris de verrières du plus vif éclat, et à gauche, près de l'orgue, la
Vierge du Pilier, statue ancienne, objet d'une grande vénération.
Cette église présente, à l'extérieur, une particularité remarquable
dont on ne trouve guère d'exemples, en France, que dans la Bretagne,
et que nous avons retrouvée en Espagne : c'est une chaire de pierre
sculptée, adossée aux murs, et qui paroît être de la fin du xve siècle.
On ne s'accorde pas sur l'usage de ces chaires: les uns pensent qu'elles
servoient seulement pour instruire les fidèles qui n'avoient pu trouver
place dans l'église; d'autres qu'elles suppléoient aux chaires intérieures
lorsque l'interdit venoit à frapper l'église ou le peuple ; d'autres enfin
croient, avec plus de vraisemblance peut-être, qu'elles servoient à
publier les actes de la juridiction épiscopale toutes les fois qu'ils n'in-
téressoient que le temporel.
Nous signalerons encore, à Saint-Lô, quelques maisons anciennes,
d'une construction curieuse, une tour près de I'Hôtel-de-VilIe, et dans la
partie occidentale, du côté de la rivière de Vire, des restes de fortifica-
tions
A quelques lieues de Saint-Lô vers l'est, le bourg de Cérisy-la-Forêt,
situé dans un vallon, sur la lisière de la forêt du même nom, possé-
doit une abbaye fondée, vers 560, par saint Vigor, évêque de Bayeux,
détruite par les Normands, et rétablie en 1032 par le duc Robert.
L'église, reconstruite alors sur un plan plus vaste, fut consacrée solen-
nellement, en présence de Guillaume le Conquérant, au commence-
ment de son règne. Ce beau monument, qui existe encore en grande
partie, est un type très-intéressant d'architecture romane. Plus d'un
modeste village de cette contrée a été le berceau d'une illustre famille,
mais à Percy on chercheroit en vain les vestiges ou même l'emplace-
ment du château qui fut le premier domaine héréditaire des ducs de
Northumberland. Les vieux manoirs de Montbray, de la Roche-Tesson,
du Hommet, n'ont pas laissé plus de traces.
La ville de Carentan, située au milieu de vastes prairies maréca-
geuses arrosées par la Vire et la Taute canalisées, a joué un rôle militaire
pendant tout le moyen âge. Son château fort existoit dès le XIesiècle,
et la ville elle-même, pendant la minorité de saint Louis, fut entourée
d'une enceinte de fossés et de murailles due à la prévoyance de la régente
Blanche de Castille. Le roi d'Angleterre Edouard III livra cette petite
cité aux flammes en 1346, quelques jours avant la bataille de Crécy.
Montgommery s'en empara à l'époque des guerres religieuses, et en fit
relever, en 1574, les fortifications, qui ont été définitivement rasées il y
a seulement quelques années. Le
château fort, dont le donjon a été dé-
moli en 1800, a conservé plusieurs parties importantes et intéressera l'ar-
chéologue curieux d'étudier l'architecture militaire du XIIe au xvIe siècle.
L'église de Carentan, reconstruite en 1466 par Guillaume de Cerisay,
appartient presque entièrement au style ogival de la troisième époque.
Elle est remarquable par sa nef, par son choeur entouré de piliers,
les riches ornements de l'intérieur et les inscriptions gravées ou peintes
tourelles, de clochetons à
sur les murs. La tour, flanquée d elegantes
jour, et ornée d'une balustrade délicatement sculptée, est terminée par
effet.
une belle flèche pyramidale du plus gracieux
En sortant de Carentan pour se diriger au nord, vers Valognes, on
rencontre un édifice religieux digne d'être signalé : c'est la petite église
du village de Chef-du-Pont, qui date des XIe et XIIe siècles. Le tympan
de l'ancienne porte méridionale du choeur est décoré d'un bas-relief
curieux représentant un personnage à longue chevelure étreignant un
lion. Ce sujet, qui a souvent occupé les archéologues, a été traité
fréquemment par les sculpteurs du moyen âge, et en général dans
les ornements des chapiteaux. On en trouve un exemple à l'église
de Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Nous croyons qu'il représente un
martyr chrétien luttant dans l'arène. Le personnage qui se trouve sur
ce chapiteau a le costume
d'un bestiaire. Il est armé comme les esclaves
ou les martyrs chrétiens qui devoient combattre dans le cirque. Plus
loin, à Sainte-Mère-Église, nous avons remarqué les colonnes et les arcs
en fer à cheval qui soutiennent le clocher.
Montebourg s'élève sur le penchant d'une éminence au sommet de
laquelle est une enceinte retranchée qui a été regardée comme un camp
romain par quelques archéologues, notamment par M. de Gerville. De
ce point culminant on jouit d'une vue magnifique sur le havre de
Lestre, sur la côte de Quinéville et sur les petites îles de Saint-
Marcouf. Le monastère fondé à Montebourg par Richard, sire de Reviers,
vers la fin du XIe siècle (1090), est détruit, ainsi que son église abba-
tiale consacrée en 1152, et qui passoit pour la plus vaste et la plus
belle du Cotentin. Une autre église plus petite, que les moines de
l'abbaye avoient fait bâtir, au XVIesiècle, pour servir de paroisse aux
habitants du lieu, subsiste encore, mais elle n'a de remarquable que
son clocher pyramidal en pierre.
Près de Montebourg, au village du Ham, il existoit un autre mo-
nastère bien plus ancien que celui dont nous venons de parler, puis-
qu'il remontoit aux temps mérovingiens. Pillé et incendié au Ixe siècle
par Hasting, suivant le témoignage de Robert Wace (I), il fut relevé plus
tard par Algarre, évêque de Coutances, qui en fît un prieuré de Béné-
dictins. Vers le milieu du XVIIe siècle, on découvrit sous l'autel de ce
prieuré une pierre portant une inscription datée de la neuvième année
du règne de Thierry, et indiquant la fondation de la première abbaye
du Ham, ainsi que sa dédicace par saint Fromond, mort évêque de
Coutances en 692. Cette inscription commémorative, aujourd'hui placée
dans une des salles de la bibliothèque de Valognes, est un des plus
anciens monuments épigraphiques chrétiens de la Normandie, et peut-
être le seul qui soit authentiquement mérovingien.

(I ) A Li Ham avoit riche abéie,


E bien assise e bien garnie :
Hastings li terres essilla,
L'avoir einprist, poiz l'aluma.
(Roman
deRou.)
La ville de Valognes, assise au milieu d'une des contrées les plus
riches et les plus variées de la presqu'île du Cotentin, a une origine
fort ancienne. Selon quelques auteurs, elle oceuperoit l'emplacement
de Crociatonum, indiquée par Ptolémée comme la capitale des Unelli
ou Veneli. Suivant une autre opinion plus probable et qui a prévalu,
elle auroit succédé à l'antique Alaunadont quelques ruines intéres-
santes se voient encore au village d'Alleaume, sorte de faubourg de la
ville actuelle, et celle-ci auroit reçu son nom de sa situation dans la vallée
d'Alaune, Vallis Alaunoe, Valaunoe. On place au IIIe siècle la destruction
d'Alaune et les commencements de la nouvelle cité. Ce qui est certain,
c'est que le château de Valognes existoit avant le Xe siècle. Guillaume le
Bâtard y résida souvent; c'est là qu'au milieu de la nuit il fut averti par
du Cotentin, qui
son fou de la conspiration des seigneurs du Bessin et
vouloient se saisir de sa personne et le mettre à mort; il n'eut que le temps
de monter à cheval et de s'enfuir à Falaise (1047). Depuis cette époque
jusqu'au XIVe siècle les chroniqueurs normands ne signalent aucun
événement digne de mémoire dans l'histoire de Valognes. En 1340,
Edouard III pilla et brûla celte ville, qui fut cédée, quelques années
après, par un traité, à Charles le Mauvais, roi de Navarre. En 1364,
du Guesclin la prit et la rendit au roi de France. Les Anglois la
possédèrent de 1418 à 1450. Les protestants l'occupèrent en 1574 et
enfin, pendant les guerres de la
y commirent de déplorables excès;
Fronde le maréchal de Matignon s'empara, après treize jours de tranchée
ouverte, du château de Valognes, qui, quarante ans plus tard, fut dé-
moli par ordre de Louis XIV.
Le seul monument qu'on puisse citer à Valognes est son église, dédiée
à saint Malo, et qui appartient dans son ensemble à la fin du xve siècle.
Elle offre, à l'extérieur, un dôme central d'une construction postérieure
au reste de l'édifice, mais d'un effet général assez bon, quoique les
détails en soient d'un mauvais style; une tour carrée latérale est flan-
quée de contre-forts et terminée par une pyramide. A l'intérieur nous
ne voyons guère à signaler, comme ornements, que
les belles boiseries
sculptées du choeur. On peut remarquer toutefois l'étendue et la régu-
larité de la nef, ainsi que la largeur peu ordinaire du transsept. La
chapelle de Saint-Jean, plus ancienne
que le reste de l'église, a été
bâtie en 1362.
Les ruines d'Alauna, qu'on rencontre, comme
nous l'avons dit, au
faubourg d Alleaume, contigu à la ville de Valognes,
ont depuis long-
temps attire l attention des savants. Les fouilles qu'y ht faire, en 1695,
Foucault, intendant de la généralité de Caen, mirent à découvert de
vastes thermes dont il reste encore de belles murailles construites en
petit appareil avec chaînes de brique ; les eaux y étoient amenées par
un aqueduc souterrain près duquel on trouva les vestiges d'un amphi-
théâtre de cinq galeries pouvant contenir au moins six mille spectateurs.
On a reconnu depuis d'autres témoignages de l'importance de cité
cette
antique, notamment d'anciens murs d'enceinte, les fondations d'un
temple à la Victoire, des médailles d'or, d'argent et de bronze du haut
empire, et une quantité considérable de briques et de poteries romaines (I).
Aux environs de Valognes, les édihces religieux de style
roman sont
plus nombreux que dans aucune autre contrée de la Normandie. Les
villages d'Urville, de Saint-Vaast, de Carquebut, de Lestre, de Quinéville,
de Saint-Marcouf, d'Orglandes, de Martinvast, et surtout celui de Barne-
ville, nous en offrent de précieux modèles. Nous
avons visité également
avec intérêt des églises ogivales dignes d'attention, notamment à Teur-
teville-Bocage, à Rauville-Ia-Place, à Quettehou, à Colomby, à Breuville.
Les vieux châteaux ne sont pas rares non plus dans cette terre si riche
en monuments et en souvenirs des siècles passés. Brix, suivant la
tradition, est le berceau des Bruce, qui donnèrent à l'Ecosse l'illustre
Robert Bruce ; on voit encore quelques restes de sa forteresse, démolie
en 1250, et dont les matériaux servirent en partie à la construction de
l'église du bourg. Mais le château le plus remarquable de cette contrée
celui de Briquebec, petite ville située à six lieues de Valognes vers
est
le sud-ouest. Quoiqu'il soit en partie démoli, ses restes occupent encore
espace considérable et produisent un effet imposant. Son enceinte,
un do-
de forme circulaire, et jadis défendue par huit tours, est encore
minée par un donjon de plus de quatre-vingts pieds de hauteur,
communiquant par un rempart élevé à une tour carrée où est placée
l'horloge et sous laquelle se trouve la porte d'entrée. On distingue dans
des vestiges de construction qui peuvent
une des cours du château
les parties conservées
remonter au XIesiècle. Nous devons signaler aussi
XIIe siècle, très-curieuses et très-dignes dêtre
d'une grande salle du
siècles.
étudiées, mais l'ensemble de l'édifice appartient aux XVIe et xve
L'église de Briquebec, bâtie en 1040, est intéressante par son caractère
nettement accusé. Les grosses colonnes de la nef, leurs chapiteaux
roman
les entre-colonnements
variés à l'infini, les arches basses qui garnissent
méritent d'être observés par l'archéologue.
Barfleur, qui fut au moyen âge un port de mer très-fréquenté,
de
plusieurs fois choisi par les Anglois pour débarquer sur la côte
place forte, est
France, et que Froissard cite comme une importante
aujourd'hui bien déchu. Il ne reste rien de ses fortifications, démolies
Henri IV par ordre de Matignon, gouverneur de Normandie. Son
sous
le seul
église, dont quelques parties sont du style de transition, est
édifice ancien que nous y ayons remarqué.
Cherbourg, aujourd'hui le premier port militaire de France, a eu
Barfleur. Cette ville floris-
des destinées bien différentes de celles de
moderne, ne sauroit nous arrêter
sante, populeuse, d'un aspect tout
longtemps parce qu'elle n'a conservé presque aucun de ces vieux
monuments que nous nous attachons à décrire. Cherbourg étoit cepen-
principales
dant, dès le temps de Guillaume le Conquérant, une des
Normandie ; un de ses comtes prit part à la bataille d'Has-
cités de la
1066 ; mais
tings en son antique château, son église de Notre-Dame-
du-Voeu, élevée, en 1045, par l'impératrice Mathilde, et l'abbaye que
le même
la même princesse avoit fondée près de cette église et sous
nom, en 1050, ont complètement disparu. Nous ne pouvons signaler
dans cette ville que l'église paroissiale de la Sainte-Trinité, bâtie
vers
l'an 1450 et dont les bas-côtés sont soutenus
par des contre-forts en
arcs-boutants, que terminent de riches ornements dans le style du
XVesiècle. Nous avons remarque a l'intérieur les pendentifs très-variés
qui ornent les voûtes de la nef, du choeur et des chapelles, et
une
chaire sculptée d'un beau travail.
Le château de Tourlaville, très-voisin de Cherbourg, été construit
a
vers 1550 sur l'emplacement d' un autre château, dont il ne reste
quune tour aujourdhui en ruines. L édifice du XVIe siècle, parfaite-
ment conservé, offre encore les tourelles et les douves des châteaux
forts du moyen âge, mais au lieu de parapets crénelés, de mâchicoulis
et de meurtrières, on y voit des toits élégants, des corniches habilement
moulées, et des fenêtres spacieuses; à l'intérieur, les salles voûtées des
demeures féodales y sont remplacées par des salons dorés, décorés de
plafonds à compartiments et de panneaux peints et sculptés dans le
style et le goût de la Renaissance. Ancien patrimoine des seigneurs de
la famille de Ravalet, Tourlaville a été le théâtre de nombreux crimes
commis par quelques-uns de ses possesseurs. « Assassinat, fratricide,
incendie, sacrilége, rapt, inceste, aucun genre d'énormités, dit un his-
torien du pays, ne manque à sa dramatique histoire. » Julien et Mar-
guerite de Ravalet, le frère et la soeur, convaincus d'inceste et condamnés
à mort par le Châtelet, furent décapités à Paris, sur la place de Grève,
en 1603. Le château de Nacqueville, récemment restauré, est de la
même époque que celui de Tourlaville ; on peut le considérer aussi
comme un type élégant et complet des manoirs du XVIe siècle. Dans
le cimetière de Querqueville, nous avons visité avec intérêt une chapelle
que plusieurs archéologues regardent, probablement à tort, comme un
ancien temple approprié au culte chrétien. Ce qu'il y a de certain,
c'est que diverses parties des constructions bizarres de ce petit édifice
paraissent antérieures au Xe siècle.
De Cherbourg, si l'on se dirige vers le midi en suivant la côte occi¬
à Granville, qui est bâtie
dentale de la presqu'île du Cotentin, on arrive
rocher abrupt et pittoresque, rongé par les flots de la mer et
sur un
dénudé par la violence des vents. Un petit château fort et une chapelle
un chef normand sur ce rocher, en l'année 950, ont été
élevés par
de
l'origine de la cité actuelle. Charles VII fit achever les fortifications
Granville, et, pour en accroître la population, accorda d'importantes
fortifications,
immunités aux étrangers qui viendroient l'habiter. Ces
démolies par ordre de Louis XIV, furent relevées en 1720 et augmentées
1744. Elles entourent encore la ville haute, habitée par la bourgeoisie.
en
Granville n'a guère d'histoire et ne nous offre qu'un seul monument
le plus élevé du
ancien, l'église de Notre-Dame, construite sur le point
conservé
promontoire de Lihou et dominant le port et la mer. Elle a
siècle
quelques parties de style roman, mais tout le reste est du XVe
des additions du commencement du XVIIe.On peut citer, à l'inté-
avec
le buffet d'orgues
rieur, les deux colonnes monolithes qui soutiennent
le sol de la nef.
et les pierres tombales qui recouvrent
de la mer, le bourg
A moins d'une lieue au sud de Granville, en face
église
de Saint-Pair, la localité sainte du pays, nous attire par sa curieuse
les lointains souvenirs qu'elle rappelle. Dans les premiers siècles
et par
d arbres, etoit
du christianisme, toute cette côte, aujourd'hui dépouillée
appellent la forêt de Scicy.
couverte de grands bois que les légendaires
du VIe siècle, deux
Dans cette forêt vinrent s'établir, au commencement
Scubilion, qui,
dévots ermites, saint Pair ou Paterne (Paternus) et saint
bientôt suivis par d'autres pieux anachorètes, y formèrent une sorte
effacée. Les
de Thébaïde dont la mémoire ne s'est pas entièrement
tombes de ces personnages vénérés se voient au milieu du
choeur de
les plus
l'église de Saint-Pair, monument remarquable dont les parties
de l'ancien
importantes sont du XIesiècle. Il ne reste que peu de vestiges
château fort de ce nom, qui fut longtemps possédé par des seigneurs
puissants. C'est là aussi que naquit le trouvère Guillaume de Saint-Pair,
auteur du roman du Mont Saint-Michel.
Sur le flanc et le sommet d'un coteau au pied duquel coule le Thar,
s'élève le bourg de la Haye-Pesnel, qui a été le berceau d'une famille
illustre dès le XIe siècle et dont un des représentants les plus connus,
Foulques Pesnel ou Painel, après avoir pris part à la révolte des barons
sous la régence de la reine Blanche, répara sa faute en combattant et
en mourant à la croisade aux côtés de saint Louis. Son château, qui
reçut le nom de Château-Ganne (Château-Félon) en mémoire de sa
défection, est depuis longtemps en ruines, et n'a jamais été reconstruit.
L'église de la Haye-Pesnel n'offre rien d'ancien, à l'exception de la tour.
On conserve dans le trésor de cette église un calice que la tradition
fait remonter à saint Louis.
Près de la Haye-Pesnel, dans une charmante vallée boisée qu'arrose
le Thar, se voient les remarquables restes de l'abbaye de la Luzerne,
de l'ordre de Prémontré, fondée dans la première moitié du XIIe siècle.
Son cloître ne présente plus que des décombres, mais son église abba-
tiale est encore assez complète. Le style général de l'édifice est roman;
dans la nef comme dans la façade occidentale règne exclusivement le
plein-cintre ; les sculptures du portail surtout sont d'une élégance sobre
et pleine de noblesse; mais la partie la plus ornée est la tour, un peu
moins ancienne que le reste du monument. Elle est de l'époque de
transition, et ses longues lancettes ogivales rappellent le dôme de la
cathédrale de Coutances, dont nous avons parlé, et le clocher de l'église
de Mortain, que nous décrirons dans le chapitre suivant.
UWtaiit, vlonuul)fÇ', le Mont-
Saint-Michel.

Le pays de Mortain est peut-être la contrée la plus accidentée, la


plus pittoresque de toute la Normandie. Il ressemble à la Bretagne par
ses landes stériles, ses bruyères, ses forêts de chênes et
de châtaigniers,
et, dans quelques cantons, il rappelle la Suisse par ses montagnes, ses
vallées profondes, ses rochers et ses torrents. C'est dans un de ses sites
les plus agrestes et les plus charmants que s'élève, aux flancs d'une
roche escarpée au pied de laquelle coule la Cance, la petite ville de
Mortain, dont le nom n'est cité dans l'histoire que depuis le commen-
cement du XIesiècle. Après la bataille des Dunes, Guillaume le Bâtard
confisqua le comté de Mortain et en investit Robert, son frère utérin,
qui plus tard porta, à la bataille d'Hastings, la bannière de Saint-Michel.
Pendant la lutte engagée entre Étienne de Boulogne et Geoffroi Plan-
tagenet, au sujet de la succession d'Henri I, la ville de Mortain fut plu-
sieurs fois prise et reprise avant d'appartenir définitivement à Mathilde,
femme de Geoffroi (1152). Le roi Philippe de Valois érigea, l'an 1335,
le comté de Mortain en pairie pour Philippe, comte d'Évreux. Fran¬
çois Ier, en 15ac), l'échangea avec Louis de Bourbon, comte de Mont-
pensier, dont la famille en resta propriétairejusqu'à la mort de Henri Ier,
prince de Condé. Sous le règne de Louis XIV le comté de Mortain fut
l'apanage de Louise d'Orléans, duchesse de Montpensier, et il appartint
à la famille d Orléans jusqu'à l'époque de la Révolution.
L'église de Mortain, ancienne collégiale, bâtie sur une élévation qui
domine la principale rue de la ville, appartient, dans son ensemble,
au XIIIe siècle. Ce n'est donc pas, comme l'ont pensé quelques auteurs,
l'édifice fondé en 1082 par le comte Robert, frère de Guillaume le
Conquérant. Il ne reste de cette collégiale primitive qu'une porte laté-
rale, celle du sud, qui est à plein cintre et dont l'archivolte est décorée
de zigzags, de losanges et de dents de scie. Ainsi que l'a remarqué
M. de Caumont, on s'aperçoit facilement que cette porte et le pan de
mur qui l'encadre ne se lient point avec les autres constructions. L'église
actuelle est oblongue et terminée circulairement à l'est ; elle n'a point
de transsept. Les bas-côtés font le tour du choeur et donnent accès à une
seule chapelle, derrière le sanctuaire. Les piliers engagés dans les murs
latéraux du pourtour supportent les arceaux des voûtes ogivales et sont
ornés de colonnes groupées qui offrent des bases attiques très-pures et
des chapiteaux à volutes dans le meilleur goût du XIIIe siècle. Les vingt-
quatre stalles en chêne du choeur sont remarquables par la variété et
la bizarrerie des groupes sculptés qui les décorent.
A l'ouest de la ville, un rocher taillé à pic et couvert de plantes grim-
pantes porte encore quelques ruines, aujourd'hui peu distinctes, du
vieux château de Mortain. Quatre tours en défendoient autrefois l'en-
ceinte, sans compter le donjon, construit au centre. Ces fortifications
ont été détruites de nos jours pour élever les bâtiments de la sous-pré-
fecture.
L'abbaye Blanche, couvent de femmes fondé en 1105, dans le vallon
de la Cance, par Guillaume, fils de Robert, comte de Mortain, a conservé
son église, dont le choeur et les transsepts présentent un beau type de
l'architecture du XIIe siècle. Les chapiteaux des colonnes sont simples
et élégamment profilés; les bases surtout sont décorées avec une pu-
reté et une délicatesse admirables. Cette église, à laquelle on a fait ré-
cemment des additions considérables, renferme une ancienne pierre
tombale remarquable, des boiseries d'une grande richesse de sculpture
et de belles stalles, malheureusement mutilées pour la plupart. Il y
avoit un cloître appuyé à l'église au sud. Il en reste un côté formant
des
une charmante galerie d'arcades romanes en granit, supportées par
colonnes dont le fût est d'un seul morceau, avec une base attique, et
des bourrelets aux angles. Une salle située à l'extrémité de l'église
montre le même style et les mômes chapiteaux. Le petit séminaire
diocésain occupe une partie des bâtiments de l'abbaye Blanche.
A Saint-Hilaire du Harcouet, on peut visiter avec intérêt une petite
chapelle romane, qui s'enfonce dans un pli de terrain; mais, à peu de
distance de ce bourg, au milieu des bois, l'attention de l'archéologue
bien informes
est surtout attirée par les ruines, malheureusement
aujourd'hui, de la grande et riche abbaye de Savigny, de laquelle
dépendoient plus de quarante monastères de l'ordre de Cîteaux. Sa
magnifique église, commencée en 1173 et consacrée en 1220, n'a laissé
considérables
que quelques pans de murs. Ses bâtiments claustraux,
s'écrouler. On ne
encore il y a peu d'années, achèvent maintenant de
de
peut que savoir gré à M. de Caumont d'avoir acheté, pour la sauver
la destruction, la belle porte romane à deux baies qui communiquoit
du cloître à l'immense salle servant de réfectoire. Cette salle étoit sou-
n'est restée debout;
tenue par cent vingt-quatre colonnes dont pas une
plusieurs chapiteaux qui en proviennent ont été conservés par les soins
de M. de Caumont et déposés à l'hôtel de ville de Mortain.
En se dirigeant de Saint-Hilaire vers Avranches, on rencontre Ducey,
dont l'église renferme un précieux bas-relief du moyen âge représen-
tant la Passion, en six scènes ou compartiments. Le château de Ducey,
bâti en 1624 par Gabriel II de Montgommery, est un des plus beaux
de cette contrée. Signalons encore, à Marcilly, une curieuse église
romane ainsi qu'un charmant manoir de la Renaissance, et près de
Poil¬
ley quelques débris de l'abbaye augustine de Montmorel, dont la fon-
dation remontoit au XIIe siècle.
La ville d'Avranches est placée entre la vallée de la Sée, au nord, et
la vallée de la Sélune, au sud, à l'extrémité d'un promontoire d'où l'on
admire un des plus beaux paysages de la Normandie. Déjà importante
dans les premiers siècles de notre ère, elle est désignée
sous le nom de
Legedia Abrincatuorum dans la Table Théodosienne; Ptolémée l'appelle
Ingena.Son sol, fouillé à diverses époques, a révélé quelques vestiges
gaulois et des débris romains beaucoup plus nombreux. Avranches eut
des évêques dès le ve siècle, mais on ne connoît leurs
noms que depuis
l'an 511 ; parmi les plus célèbres on peut citer saint Aubert qui,
vers
l'année 705, jeta les fondements du grand monastère du Mont Saint-
Michel. Selon Eginhard, Charlemagne fit élever
ou restaurer le château
d'Avranches; le même empereur et
son fils Louis le Débonnaire en-
voyèrent dans l'Avranchin des missi pour y surveiller l'admi-
nistration de la justice. En 933, Guillaume Longue-Épée, devenu maître
de ce pays, l'incorpora à son duché de Normandie. Les vicomtes
d'Avranches, issus d'un frère de Hrolf ou Rollon, occupent plus d'une
page glorieuse dans l'histoire de la période anglo-normande. Le plus
connu est Hugues le Loup, comte de Chester, un des compagnons de
Guillaume le Conquérant. C'est à Avranches, devant la porte de la
cathédrale, que le roi d'Angleterre Henri II vint, le 22 mai 1172, se
faire absoudre du meurtre de Thomas Becket, archevêque de Cantor-
héry. Saint Louis fit réparer, en 1236, les fortifications de cette ville,
qui opposa une résistance invincible au roi Jean, lorsque ce prince
envahit la Normandie en 1354- Des Anglois s'en emparèrent en 1418,
et s'y maintinrent jusqu'en 1460. Pendant la guerre du Bien-Public, elle
se soumit volontairement au duc de Bourbon, mais elle fut rendue à
Louis XI par le traité d'Ancenis (1468). Très-attachés à la religion catho-
lique, les habitants, excités par leur évêque François Péricard, qui lui-
même avoit pris les armes, soutinrent énergiquement le parti de la
Ligue, et ne se rendirent aux troupes de Henri IV qu'après un siége
meurtrier, en 1591. La guerre des Nu-Pieds, ou paysans armés contre
la gabelle, éclata à Avranches et aux environs le 16 juillet 1639. Les
scènes sanglantes de cette révolte et sa répression rigoureuse par le maré-
chal de Gassion sont les derniers événements importants dont cette
ville ait été le théâtre.
La cathédrale d'Avranches, qui occupoit le sommet de la colline et
dominoit toute la ville, avoit été bâtie dans les dernières années du
XIe siècle et consacrée en 1122. C'étoit un vaste et magnifique édifice
où le roman pur se mêloit au style de transition. Cette belle basilique
s'écroula subitement en 1790. Les deux tours occidentales, surmontées
de flèches élégantes, étoient seules restées debout après cette catastrophe :
elles ont été démolies en 1810, et aujourd'hui l'emplacement du plus
remarquable monument d'Avranches est complètement vide. Une seule
pierre en a été conservée, celle sur laquelle s'étoit placé le roi Henri II
pour recevoir l'absolution des légats du Saint-Siége après le meurtre de
Thomas Becket. Il y a quelques années, une inscription commémora-
tive a été gravée sur cette pierre.
L'église de Saint-Saturnin, chapelle suburbaine dans l'origine, et
depuis longtemps paroisse, a été successivement agrandie. Le portail,
d'un beau style ogival du xIIIe siècle, est ce qu'on y voit de plus an-
cien. Un bas-relief en granit, naïvement sculpté au XVIeou au xve siècle,
représente, en deux scènes distinctes, le massacre des Innocents et la
fuite en Égypte. On voit dans la première Hérode assis sur son trône,
la couronne en tête, en costume du moyen âge, et les bourreaux égor-
geant des enfants ; la seconde scène a pour sujet le départ de la sainte
famille. Le bas côté sud de la nef, construit vers 1460, est à deux tra-
vées divisées en vives arêtes par des arcs prismatiques qui se perdent
dans les piliers. Le reste de l'église appartient aux XVIIe et XVIIIesiècles,
et nous a paru sans grande valeur au point de vue de l'art. Le choeur date
de l'année 1716. L'église de Notre-Dame des Champs, placée sur le
point culminant de la montagne d'Avranches, en regard du jardin
des Plantes et en vue de la baie du Mont Saint-Michel, avoit été
fondée à une époque reculée, mais l'édifice, tel
que nous l'avons vu
il y a quelques années, n'offroit plus rien de
sa construction primi-
tive, à 1exception cl une fenêtre romane, presque cachée sous la côtière,
du côté du nord. Le transsept septentrional, un peu moins ancien, étoit
peut-être la partie la plus intéressante du monument par la richesse
de 1 ornementation; tout le reste nous a
paru moderne. Cette église
se reconstruit actuellement dans le style du xIIIe siècle.
Sur la place ou s'élève l'eglise de Notre-Dame des Champs,
se trouve
l'entrée du Jardin des Plantes, ancien jardin du couvent des Capucins,
vraiment admirable par sa situation. Dans la partie inférieure de cette
belle promenade, on remarque le portail roman de la chapelle de Bouillé,
recueilli au milieu des ruines de cette chapelle,
sur le bord de la grève,
et transporté là par les soins de la Société archéologique d'Avranches.
Le musée de cette ville est installé dans l'ancien palais des évêques,
oeuvre élégante de l'époque ogivale, où l'on doit visiter un joli vestibule
du xve siècle, et un bel escalier de granit.
C'est à deux lieues d'Avranches, dans la baie de Cancale,
et sur les
confins de la Bretagne, que s'élève, au sommet d'un rocher taillé à pic,
une des merveilles de la France du moyen âge, le célèbre monastère
du mont Saint-Michel « au péril de la mer (in periculo maris),
» comme
l'appellent les anciennes chroniques. En présence de ce rocher solitaire
et des constructions gigantesques qui le couvrent, l'imagination est vive-
ment frappée par la beauté du site et l'intérêt des souvenirs.
Suivant la tradition, le mont Saint-Michel auroit été, avant la
con-
quête romaine, un des principaux centres du culte druidique. Il est
probable que c'étoit un lieu de sépulture consacré par la vénération
populaire, ainsi que l'indique le nom primitif du rocher: mons Tumba.
Les monnoies et les poteries romaines trouvées récemment en ce lieu
attestent le séjour qu'y firent les conquérantsde la Gaule. Dans ces temps
reculés, le rocher étoit situé au milieu d'une forêt marécageuse; il fut
séparé du continent, en l'année 709, par un envahissement de la mer
qui couvrit les bois dont il étoit entouré. C'est précisément à la même
époque que remonte la fondation de l'abbaye. Les chroniques du mo-
nastère racontent que, sous le règne de Childéric II (695-711), saint
Aubert, évêque d'Avranches, avoit été plusieurs fois averti par une
vision céleste que l'archange saint Michel vouloit être vénéré sur le
mont Tumba, comme il l'étoit déjà en Italie, sur le mont Gargan.
Lorsque, pour obéir à cet ordre divin, le pieux prélat conduisit sur
le rocher une colonie de clercs, une empreinte merveilleuse indiqua
le lieu où l'abbaye devoit s'élever; des signes miraculeux en détermi-
nèrent l'enceinte, et, à la voix de saint Aubert, une source jaillit pour
fournir aux travailleurs l'eau qui leur manquoit. L'église achevée, de
mystérieux messagers apportèrent dans le nouveau sanctuaire le glaive
et le bouclier de saint Michel, que le prince de la milice céleste avoit
laissés en Irlande comme témoignage de sa victoire sur un serpent mons-
trueux. Le mont Tumba, appelé dès lors le mont Saint-Michel, devint
un lieu de pèlerinage célèbre que les rois de France visitèrent et enri-
chirent de leurs dons. Les religieux avoient été chassés de leur monas-
tère par les pirates Scandinaves ; Rollon devenu chrétien les y rétablit
et leur octroya de grands biens (925). Son exemple fut suivi par ses
premiers successeurs; Richard Ier surtout se montra le zélé protecteur
de l'abbave. Les religieux du Mont avoient laissé se relâcher parmi eux
les liens de la discipline, et négligeoient le service de Dieu ; le duc
Robert les remplaça par des moines de l'ordre de Saint-Benoît, pour
lesquels il obtint du pape Jean XIII et du roi de France, Lothaire,
d'importants privilèges (966). Quelques années plus tard, en 991, un in-
cendie ayant dévoré une partie des bâtiments du monastère, le même
prince le fit reconstruire avec plus de magnificence. Les rois d'Angleterre
et les ducs de Bretagne contribuèrent également à la splendeur de cette
abbaye qui tenoit le premier rang parmi les sanctuaires les plus véné-
rés de la Normandie. En 1066, les moines du mont Saint-Michel équi-
pèrent six navires pour la conquête de l'Angleterre ; aussi ne furent-ils
pas oubliés par Guillaume le Eâtard dans le partage des dépouilles. Au
XIIe siècle, ce monastère dut son principal éclat à l'abbé Robert de
Thorigny, plus connu sous le nom de Robert du Mont, auteur d'une
chronique estimée qui forme la continuation de celle de Sigebert. Cet
abbé composa ou transcrivit lui-même pour la bibliothèque du mont
Saint-Michel plus de cent quarante ouvrages, et donna dans cette sainte
maison une impulsion nouvelle à l'étude des sciences et des lettres. De
son temps un des religieux de la communauté, Guillaume de Saint-
Pair, composa, sous le titre de Roman du mont histoire
, une
en vers de l'abbaye, écrite surtout pour l'édification des pèlerins qui
y venoient en foule. C'est sous l'administration de Robert de Thorigny
que Henri II, roi d'Angleterre, visita le mont Saint-Michel en 1157, et
Louis VII, roi de France, en 1160. Le même abbé enrichit l'église du
monastère de reliquaires ornés de pierreries et fit rebâtir une partie
des murailles et des tours qu'un incendie avoit détruites. Mais moins
de vingt années après la mort de Robert, sous l'abbé Jourdan, son suc-
cesseur, un nouveau désastre fit disparaître ces nouvelles constructions.
En 1203, pendant la guerre de Philippe-Auguste contre Jean Sans-
Terre, Guy de Thouars, allié du roi de France, saccagea le bourg du
mont Saint-Michel, passa les habitants au fil de l'épée et mit le feu aux
moissons. Il ne put entrer dans l'abbaye, mais la flamme gagna les
édifices et les consuma en grande partie. Philippe-Auguste envoya aux
moines l'argent nécessaire pour réparer les ravages du feu et établit
un fort sur le rocher de Tombelaine, dont nous allons parler, afin de
protéger le monastère. L'abbé Jourdan rebâtit d'abord le dortoir, le ré-
fectoire et les cellules; puis, en 1226, l'abbé Raoul de Villedieu fit élever
le cloître actuel, merveille de grâce et de légèreté. En 1254, saint Louis,
de retour de la croisade, visita le monastère, et déposa sur l'autel une
somme considérable destinée à augmenter les fortifications de la place.
Philippe le Bel, en 1311, et Charles VI, dans le commencement de
son règne, vinrent aussi en pèlerinage au mont Saint-Michel. En 1423,
les Anglois, qui depuis trois ans occupoient la Normandie, menacèrent
cette forteresse, seul point de toute la province où flottoit encore la ban-
nière de France ; ils réussirent à s'emparer de Tombelaine où ils mirent
la plus grande fortune de la basse Normandie. Cependant le péril crois-
soit de jour en jour. En i4^7'flu'nze ra'"e Anglois, conduits par le sire
de Scales, campoient sur les grèves du mont Saint-Michel tandis qu'une
flottille armée de canons cernoit le rocher et foudroyoit le bourg et l'ab-
baye. Retranché dans la forteresse avec une petite garnison composée
de
d Estouteville repoussa
cent dix-neuf gentilshommes des environs, Louis
bravement cette formidable attaque. Chaque fois que les Anglois don-
de
noient l'assaut, ils étoient écrasés par les assiégés avec des quartiers
fini par se résoudre
pierres et obligés de se retirer en désordre. Ils avoient
de Beaufort,
à prendre la place par famine; mais un Malouin, seigneur
le
rassemblant des hommes et quelques navires dans les ports de Saint-
Malo et de Cancale, poursuivit et dispersa la flottille
angloise. L ennemi
dans les
fut alors obligé de lever le siége, laissant deux mille morts
artillerie. Deux
remparts ou sur les grèves et abandonnant toute son
appelésles dontl'un gardeencoresondontl'un gardeencoresonboulet
Michelettes,
énormes
canons,
de cette glorieuse
de pierre, ont été conservés comme un monument
défenseurs de la place
victoire. Les noms des cent dix-neuf intrépides
VII envoya Dunois
furent inscrits dans le choeur de l'église. Charles
quelques his-
complimenter les vainqueurs, et conçut dès lors, suivant
le nom du saint
toriens, la pensée de fonder un ordre militaire sous
l'abbaye ; mais ce fut Louis XI qui
archange, patron et protecteur de
14^9' ' or('re (^e
réalisa ce projet de son père en instituant, le 1er août
Saint-Michel à la révérence de monseigneur l'archange, premier cheva-
«
lier, qui pour la querelle de Dieu victorieusement batailla contre
«
« l'ancien ennemi de l'humain lignage, et qui son lieu et oratoire a tou-
« jours fièrement gardé sans estre pris. » La même année, le roi se ren-
dit en personne à l'abbaye pour tenir le premier chapitre de l'ordre, et
cette cérémonie se renouvela plusieurs fois sous ses successeurs, dans la
vaste salle qu'on désigne encore aujourd'hui sous le nom de salle des Che-
valiers. Pendant les guerres religieuses du XVIe siècle, les protestants,
conduits par le capitaine du Touchet, tentèrent en vain de s'emparer du
mont Saint-Michel (1577); quelques années plus tard, en 1589, Louis
de Montgommery, seigneur de Lorge, autre chef du parti huguenot, sur-
prit la ville et en resta maître quatre jours. Mais le gouverneur, Louis de
Vicques, qui étoit absent, rentrant dans la place par une voie inconnue
aux ennemis, « donna à ceux-ci une telle épouvante, qu'ils furent con-
traints de déloger sur l'heure et sans résistance, ce qui fut tenu pour
miraculeux (I). » Les traditions de piété et de science qui s'étoient
longtemps conservées dans le monastère du mont Saint-Michel furent
peu à peu mises en oubli sous l'administration des abbés commenda-
taires. Une réforme étant devenue indispensable, le cardinal de Bérulle
remplaça, en 1615, les anciens religieux par des Bénédictinsde la con-
grégation de Saint-Maur, qui en restèrent possesseurs jusqu'à la Révolu-
tion. Sous l'ancienne monarchie, la forteresse du mont Saint-Michel ser-
vit, à diverses époques, de lieu de détention pour les prisonniers d'État.
De nos jours la même destination lui avoit été donnée, et de plus la pri-
son d'État avoit tout envahi, château et monastère. Cet état de choses a
heureusement cessé, et l'on ne peut qu'applaudir à la mesure qui vient de
mettre ce précieux monument à la disposition de l'autorité ecclésiastique.
Le mont Saint-Michel réunit tous les caractères qui saisissent le plus
vivement l'imagination. Le rocher circulaire que couronne l'antique
abbaye n'a pas moins de neuf mille pieds de circonférence à sa base.
Environné de tous côtés par les vastes solitudes de la mer ou celles de la
grève, il offre trois grands points de vue : à l'ouest, ce sont d'énormes

(1) Histoire manuscritedu mont Saint-Michel, par Dom Huynes, religieux de l'abbaye.
blocs de granit d'un aspect sauvage et pittoresque; au nord, se dévelop-
pent au-dessus des aspérités du roc, mêlées à quelques bouquets d'ar-
bustes, les hautes et belles murailles de la Merveille, appuyées sur leurs
nombreux contre-forts; au sud, la petite ville du mont Saint-Michel se
présente au regard entourée de ses sombres murs, et plus haut la puis-
sante et splendide architecture du monastère brave depuis des siècles
les vents du nord et les ouragans qui viennent constamment l'assaillir.
Avant de nous engager dans l'unique rue de la ville et de pé-
nétrer dans l'abbaye, nous avons voulu faire le tour des rem-
parts. Cette enceinte militaire, construite presque entièrement par
l'abbé Robert Jolivet, au commencement du xve siècle, monte ou
descend, se projette ou s'enfonce, suivant les mouvements de la mon-
de
tagne. Elle est formée de hautes et épaisses murailles flanquées
tours et de bastions, et couronnées de créneaux et de mâchicoulis. La
plupart des tours sont percées de meurtrières; celle qu'on rencontre
d'abord à l'ouest est la tour Gabrielle ; viennent ensuite la tour du
Roi, près de laquelle s'ouvre la principale porte de la ville, et la tour
de l'Arcade ou de l'Escadre, caractérisée par un toit conique; puis la
tour de la Liberté, la tour Basse, la Demi-Lune ou tour de la Reine, la
fer scellés
tour Boucle qui, dit-on, doit son nom à des anneaux de
dans ses murs, servant à amarrer les barques, et plus loin la tour
Claudine et la tour du nord, ou tour Marilland. Celle-ci, évidemment
antérieure aux constructions de Robert Jolivet, semble appartenir au
xIIIe siècle; elle est circulaire, élancée, évasée à la base, et garnie de
balistaires rondes. C'est probablement un reste des fortifications dont
l'abbé Jourdain entoura, de ce côté, le pied du rocher vers l'année
laquelle le roc inaccessible interrompt
1210. La tour Claudine, après
l'enceinte extérieure, communique avec la Merveille, gigantesque mu-
raille de deux cent trente pieds de longueur, de plus de cent de
hauteur absolue et de deux cents d'élévation au-dessus de la grève,
flanquée de vingt contre-forts, percée de baies variées, et fleurie à son
sommet d'une ligne d'arcades élégantes. Cette muraille,
d'une hardiesse
extraordinaire et d'un effet prodigieux, fut construite, de 1117 à 1121,
par l'abbé Roger II. A l'angle oriental de la Merveille, se dresse la gra-
cieuse tourelle dite des Corbins ou du Réfectoire. A la base d'une autre
tour, jaillit la fontaine de Saint-Aubert ; puis, au tournant de la mon-
tagne, est posée, au bord de la grève, la chapelle du même saint, oratoire
rustique, plusieurs fois reconstruit et sans valeur architecturale, mais
remarquable par sa position pittoresque. Plus loin s'étend la plate-forme
de Beauregard ou du Saut-Gautier, posee sur trois arcades
en ogive. Les
bâtimentssuivants sont d abord l'ancienne abbatiale ou maison de l'abbé,
appeléeaussile GrandExil,puisla Bailliverie,et puisla Bailliverie,et enfinla Perrine.Ce
dernier édifice, de forme carrée, bordé d'une élégante arcature à huit
lancettes, est dû à l'abbé Pierre le Roy, qui le fit élever en 1393.
On entre dans la ville par la porte dite de la Bavolle, au-delà de
laquelle s'ouvre la cour du Lion, ainsi nommée parce que, dans le
mur, à droite, est encastré un lion sculpté, dont la griffe repose sur
l'écusson abbatial.; dans une seconde cour se trouvent les Michelettes,
pièces de canon enlevées aux Anglois pendant le siége de 1427 ; une
autre cour, appelée le Boulevard, conduit à la porte de la ville, encore
garnie de sa herse de fer et de sa couronne de mâchicoulis, et flanquée
de deux tours, la tour du Guet et la tour du Roi.
Au-delà de cette porte commence la rue tortueuse de la ville, qui
gravit en serpentant le flanc de la montagne et aboutit à l'abbaye par un
escalier divisé en plusieurs rampes. Vers le milieu de cette rue, aux
vieilles maisons de couleur sombre, on aperçoit à gauche le cimetière
et la petite église paroissiale du Mont, où nous ne pouvons rien signaler
de remarquable, à l'exception d'une dalle tumulaire très-ancienne et d'un
beau dessin. Plus haut, quelques débris au fond d'un jardin sont tout
ce qui reste du grand « logis » que Duguesclin fit construire, en 1366,
pour sa femme Tiphaine Raguenel, surnommée la Fée, « dame bien ver-
sée, disent les chroniqueurs, en philosophie et en astronomie judiciaire. »
Rien de plus imposant que l'entrée de l'Abbaye-Château qui cou-
ronne le sommet du mont Saint-Michel. Un escalier pratiqué entre
deux tours monte à une porte bardée de fer, s'ouvrant dans le ves-
tibule ou poste des Gardes ; là, une autre porte placée à droite con-
duit à cette partie des bâtiments si justement appelée la Merveille,
comme la muraille elle-même sur laquelle elle s'appuie. Les bâtiments
de la Merveille se divisent en trois zones de constructions superposées.
A l'étage inférieur sont de vastes cryptes du XIe siècle que l'on a nom-
mées les Montgommeries, depuis une attaque infructueuse du fameux
chef calviniste Montgommery. Ces cryptes, qui servoient autrefois d'écu-
ries, sont partagées en plusieurs travées et soutenues par d'énormes pi-
liers trapus, les uns ronds, les autres carrés. Au-dessus des Montgom-
meries s'étend la magnifique salle des Chevaliers, la plus spacieuse
peut-être et l'une des plus belles qui se puissent voir au monde. C'est
XIIe siècle. Divi-
un type parfait du style à la fois élégant et sévère du
sée en quatre nefs par trois rangs de colonnes, dont les chapiteaux sont
ornés de feuilles de vigne, d'acanthe et de chêne, elle se développe dans
une longueur de quatre-vingt-cinq pieds. L'ogive y est à sa naissance,
de deux immenses chemi-
car cette pièce date de 1120, à l'exception ses
nées et de ses fenêtres à meneaux prismatiques qui appartiennent aux
xve et XVIesiècles. C'est dans cette salle que Louis XI institua l'ordre
de Saint-Michel; c'est là que les chevaliers tenoient chaque année, la
veille de la fête de l'archange, leur chapitre ou assemblée solennelle,
fourrés
portant des capuchons cramoisis, de longs manteaux de damas
d'hermine et le collier d'or orné de coquilles. L'appartement qui suit est
l'ancien Réfectoire des moines, bâti, comme la salle des Chevaliers, au
commencement du XIIe siècle, et offrant le même caractère d'architec-
nefs, sont à base octogone
ture. Les colonnes, qui le partagent en deux
et ornées de chapiteaux très-variés dont les
tailloirs supportent des ner-
les murs
vures qui retombent, par trois, sur de triples colonnettes ornant

mières. Au-dessus de la salle des chevaliers se trouve le,


latéraux. La troisième zone de la Merveille se superpose aux deux pre-

l'abbé Raoul de Villedieu, et qui est regardé comme


achevé,
en 1228, par
religieux au moyen âge.
une des oeuvres les plus admirables de l'art
C'est une sorte de cour aérienne, à plus de trois cents pieds au-dessus
du niveau des grèves, enfermée dans une quadruple galerie, appuyée
vers l'intérieur sur des colonnes simples et sévères, et vers le préau sur
une double ligne de cent vingt colonnes sveltes et gracieuses, alternées
de telle sorte qu'une ogive en encadre deux. Entre les arceaux sont des
rosaces, des bas-reliefs, des inscriptions d'une très-grande variété. Au-
dessus des soixante-dix arcades qui entourent le cloître, règne une frise
élégante de cent quarante roses fouillées avec une exquise délicatesse.
L'église abbatiale, de plain-pied avec le cloître, produit aussi l'effet
le plus imposant, bien qu'elle ne puissse être comparée à nos célèbres
cathédrales, ni par la grandeur, ni par l'unité, ni par la richesse sculp-
turale. La nef romane, qui remonte à l'an 1020, n'a plus que quatre
travées, de dix qu'elle comptoit autrefois. Les collatéraux, fort étroits,
ont la forme d'un fer à cheval. Les chapiteaux des colonnes dans cette
partie de l'édifice ont généralement pour motif des feuilles et des
fleurs, quelquefois des volutes et des étoiles. Les transsepts, bâtis par
l'abbé Ranulphe I en 1060, sont éclairés par de belles fenêtres qu'enca-
drent d'élégantes colonnettes. Le choeur, construit tout entier en granit,
à une époque beaucoup moins ancienne, est entouré d'arcades ogi-
vales au-dessus desquelles s'ouvre un rang de fenêtres carrées, à me-
neaux trifoliés, surmontées elles-mêmes d'une belle frise dans le style
de la Renaissance et d'un second rang de fenêtres ogivales. La voûte
porte les armes de l'abbaye et celles des abbés constructeurs de l'église.
C'est dans le transsept nord que se voyoient autrefois les noms et les
armoiries des cent dix-neuf chevaliers normands et bretons qui défen-
dirent victorieusement la place du mont Saint-Michel contre les Anglois
en 1427. Une porte du XVIesiècle met l'église en communication avec
la crypte ou le souterrain des Gros Piliers, creusé dans la roche et
où l'on remarque dix-neuf colonnes énormes, sans chapiteaux, qui
soutiennent l'abside de la basilique supérieure. Autour de la crypte
règnent cinq chapelles, dont la plus grande, dédiée à « Notre-Dame
sous terre », possédoit jadis une statue de la sainte Vierge, objet d'une
grande vénération. Un long escalier conduit du souterrain des Gros Pi-
liers au « Plomb du Chevet » où l'on se trouve au milieu d'une forêt
de clochetons et de pinacles inachevés ou découronnés par un incen-
die en 1594. En montant encore, on arrive à deux saillies appelées
le petit et le grand « Tour des Fous ». Là s'élève une tour carrée du
XVIIe siècle qui fait bien regretter la flèche aiguë, fleurie, taillée à jour,
que terminoit autrefois la statue dorée de l'archange saint Michel.
A trois quarts de lieue au nord du mont Saint-Michel se dresse, au
milieu des sables, l'ilot granitique de Tombelaine. Si l'on en croit le
trouvère Wace, auteur du roman de Brut, le nom de ce rocher vient
de la tombe d'une jeune princesse nommée Hélène, nièce de Hoël,
roi de la petite Bretagne, « laquelle fut ravie à ses parents par Dinabuc,
géant espagnol, et transportée sur ce rocher où son persécuteur la tour-
menta tellement qu'elle en mourut. Sa nourrice, qui l'avoit accom-
pagnée, la fit inhumer, et veilla sur son tombeau : plus tard le roi
Arthur vengea la mémoire d'Hélène en tuant le géant Dinabuc ». Sui-
vant une autre tradition, le rocher de Tombelaine avoit été consacré
autrefois à Belenus, dieu du soleil, et auroit pris le nom de cette di-
vinité. Tout cela est du brillant domaine de l'imagination. Tombe-
laine, Tumbellana, est très-probablement le diminutif de Tumba, et ce
forme tumulaire, ou plutôt
nom aura été donné à l'ilot à cause de sa
1137, Ber-
parce qu'il servoit de sépulture à l'époque druidique. En
nard, douzième abbé du mont Saint-Michel, fonda à Tombelaine un
prieuré avec quelques cellules pour les religieux, et, vers l'an 1195,
Philippe-Auguste y fit construire un fort. Les Anglois s'en emparèrent
en 1356 et en 1418, et n'en
furent chassés définitivement qu'en 1450.
Sous Louis XIV, Tombelaine avoit un gouverneur particulier qui fut,
pendant plusieurs années, le célèbre Fouquet. Après la disgrâce du
surintendant, le roi fit démolir la forteresse, dont il ne reste plus que
quelques débris. Les vestiges de l'ancien prieuré ont entièrement disparu.
Le mont Saint-Michel indique les frontières entre les deux belles pro-
vinces de Normandie et de Bretagne, et les annales des Celtes prétendent
que ce gigantesque rocher appartenoit autrefois à la Bretagne avant que
la mer, envahissant les côtes depuis Granville jusqu'au cap Fréhel, ne
couvrît de ses sables la forêt de Scissy. Le génie créateur de ces peuples,
premiers habitants connus de notre vieille France, a imaginé de mer-
veilleuses légendes qui font partie du rituel de notre religion littéraire, et
que des chroniqueurs bretons et normands ont admirablement racontées.
Nous voudrions reproduire ces légendes, si nous n'étions obligés de
quitter cette terre féconde en poétiques souvenirs et d'abréger nos récits.
Il y a un demi-siècle que nous avons commencé avec Charles Nodier
cette encyclopédie des monuments en ruine de la France. Nous ter-
minons la province de Normandie en citant le nom de Paul Féval, le
ravissant conteur des légendes des Bretons, dont le talent littéraire et
l'amour pour les gloires du pays sont en conformité parfaite avec la
pensée qui a créé les Voyages pittoresques dans l'ancienne , avec
les idées du rêveur passionné de ces ruines et de cette histoire mer-
veilleuse du moyen âge. Amis du commencement et de la fin de ma
vie, recevez ici l'expression de mon inaltérable attachement!
TABLE
POURLE CLASSEMENT
DANSCE IIP ET DERNIER
VOLUME
DE LA NORMANDIE

DUTEXTE,
DESLITHOGRAPHIES
ETDESGRAVURES

AVIS AU RELIEUR

Cette table indique l'ordre dans lequel doivent être placés le texte, les lithographies et les
gravures.
N. B. — Ce classement est le contraire de celui existant dans les deux premiers volumes les
;
estampes précèdent le texte.
PREMIÈRE FEUILLE !

VOYAGES PITTORESQUES DANS L'ANCIENNE FRANCE.

AU TROISIÈME FOLIO DE LA MEME FEUILLE, LE TITRE :

VOYAGES PITTORESQUES DANS L'ANCIENNE FRANGE

PAR LE BON I. TAYLOR

Au dessous, gravé, le sceau de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, et celui de Guillaume le Conquérant,
roi d'Angleterre.

Hoc Normanorum Willelmum noscepatronumsigno. —Hoc Anglis regem signo fatearis eundem. 1069.

QUATRIÈME FOLIO, EN GOTHIQUE :

ANCIENNE NORMANDIE

INTRODUCTION.— Les feuilles A jusqu'à II. — Vignette. cathédrale de Lisieux, E. Sagot, Gaildrau. — Cathédrale de Li-
Fragments de monuments divers, F. Duban, Poitevin. sieux ; vue générale, E. Sagot, Ch. Vernier. —Vue intérieure
de la cathédrale de Lisieux, E. Sagot, Bachelier. — Vue inté-
LITHOGRAPHIESET GRAVURES.— Les planches représen- rieure de l'abside de la cathédrale de Lisieux, E. Sagot, Ch. Ver-
tant : Vue générale de la cathédrale d'Évreux, A.-F. Lemaître, nier. — Porte latérale; portail de la cathédrale de Lisieux,
E. Cicéri. — Abside de la cathédrale d'Évreux, E. Cicéri.— E. Sagot. — Ancien évêché de Lisieux, E. Sagot, Clément.

Cathédraled'Évreux ; porte du transept nord, Bachelier,Ch. Ver- Château de Saint-Germainde Livet (manoir digned'être visité),
nier. — Cathédrale d'Évreux; vue intérieure du transept, E. Sagot,Gaildrau.—Châteaud'Harcourt, E. Sagot, E. Cicéri.

E. Sagot, Bachelier. —Église cathédrale d'Évreux ; portes de Église à Neubourg, E. Sagot. —Égliseà Saint-Pierre
sur Dives,
la sacristie, E. Sagot, Ch. Vernier. — Cathédrale d'Évreux; E. Sagot, Ch. Vernier. — Château de Chamboy (Chambray),
chapiteauxde la nef, E. Sagot. — La flèche de l'églisede Conches, E. Sagot, E. Cicéri. — Château de Beaumesnil, E. Sagot, Ba-
E. Sagot, E. Cicéri. —Église Sainte-Foix, à Conches, E. Sagot, chelier. — 1, Château de Beaumesnil. — 1, Fenêtres d'ailes
Bachelier ( la ville et les deux églises de Conches méritent l'at- côté de l'entrée : 2, 3, Cheminées, E. Sagot, Clément.

tention de l'archéologue). — Église Saint-Pierre Saint-Paul, 2, Château de Beaumesnil; pavillon côté du parc, E. Sagot,
taine-Henri, près Caen, E. Sagot, Ch. Vernier. Château de
Clément. — 3, Château de Beaumesnil ; pavillon central côté
du parc, E. Sagot, Clément. — A, Château de Beaumesnil ; pa- Lasson, E. Sagot, Ch. Vernier. — Château de Lion-sur-Mer,
villon d'ailes, E. Sagot, Clément. — Restes du prieuré de Beau- E. Sagot, Gaildrau. — Église à Bernières-sur-Mer, E. Sagot,
mont-le-Roger,E. Sagot, E. Cicéri. — La Tour de l'église de Bachelier. — Église de Bernières-sur-Mer;porche et fonts bap-
Rugles, E. Sagot, E. Cicéri (clocher remarquable du XVIesiècle). tismaux, E. Sagot, Ch. Vernier. — Église de Langrune-sur-Mer,
E. Sagot, Gaildrau. — Église de Langrune-sur-Mer,près Caen ;
LISIEUX. — Texte, folio de 1 à 14 ; pages de 1 à 14. — le transept, E. Sagot, Gaildrau.
Vignette. Le château du Mesnil-Guillaume, près Lisieux,
CAEN. — Texte, folio de 15 à 44 ; pages de 15 à 44. —
E. Sagot, Bachelier. — Manoir de la Renaissance.Dans les en-
virons de ce château, on trouveun grand nombre de tombeaux Vignette.Sculptureextérieureà Saint-Étienne-le-Vieux, à Caen,
A.-F. Lemaître.
et des statues de moines qui couvraient ces tombeaux.
PLANCHES.— Église Saint-Étienne, Abbaye-aux-Hommes, PLANCHES. — Cathédrale de Bayeux, E. Sagot, Ch. Ver-
à Caen, Séchan, E. Cicéri. — Vue extérieure de l'abside de nier, _ Cathédrale de Bayeux; vue extérieure du transept,
l'église Saint-Étienne,à Caen, A.-F. Lemaître,E. Cicéri. — Vue E. Sagot, Bachelier.— Église cathédrale de Bayeux; le sanc-
extérieure du transept de l'église Saint-Étienne,à Caen, Cam- tuaire et bas-côtés, E. Sagot, Gaildrau. — Salle capitulaire de
bon, E. Cicéri. — Eglise Saint-Étienne, à Caen ; la nef et le la cathédrale de Bayeux, E. Sagot. — Chartrier de la cathé-
choeur, Séchan,Fichot. — Sacristie de l'église
Saint-Étienne, drale de Bayeux, E. Sagot.—Crypte de la cathédralede Bayeux,
à Caen, Séchan, Fichot. — Église Saint-Étienne, â Caen; la E. Sagot, Ch. Vernier. — Chapiteaux et bases de la crypte de
galerie du premier étage, Séchan, Fichot. — Travées de la la cathédrale de Bayeux, E. Sagot. — Plan de la cathédralede
nef de l'église Saint-Étienne, à Caen, A.-F. Lemaître,Clément. Bayeux, Chapuy, A.-F. Lemaître, Tavernier. — Tapisseriede
Travées du choeur de l'église Saint-Étienne, à Caen, Bayeux, P. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, Tavernier.
Saint-Étienne,
A.-F. Lemaître, Clément. — Plan de 1 église BAYEUX. Texte, folio de 45 à 66 ; pages de 45 à 66.

Abbaye-aux-Hommes,à Caen, A.-F. Lemaître, Tavernier.—
Eglise Saint-Pierre, à Caen, Séchan, E. Cicéri. \ue exté- PLANCHES.— Église Notre-Dame,à Vire, E. Sagot, Gail-
rieure de l'apside de l'eglise Saint-Pierre, à Caen, E. Cicé . —

drau. — Vue intérieure de l'église de Vire, E. Sagot, Ch. Ver-


Vue intérieure du choeur de l'église Saint-Pierre, à Caen, Ba- nier.
chelier. — Église Saint-Pierre, à Caen, chapelle de la Vierge,
VIRE ET LE BOCAGE NORMAND. — Texte, folio de 67
Séchan,Fichot. —Pendentifsd'une chapelleabsidalede l'église
à 74 ; pages de 67 à 74.
Saint-Pierre,à Caen, Cambon, Clément. — Abbaye-aux-Dames,
Église de l'Abbaye-aux-Dames,
à Caen, Sagot, Ch. Vernier. — PLANCHES.— Le château de Falaise, P. 1, E. Sagot, E. Ci-
à Caen ; la nef et le choeur, Léger Larbouillat. — Église de
céri. — Le château de Falaise, P. 2, E. Sagot, E. Cicéri.
l'Abbaye-aux-Dames, à Caen ; vue intérieure du transept, Sagot, ChâteaudeFalaise,P.3,E.Sagot,E. Cicéri.—ÉglisedelaSainte-
Ch. Vernier. — Chapiteauxet bases de l'Abbaye-aux-Dames,
à
Église Saint-Étienne-le- Trinité, à Falaise, Sagot, Gaildrau. — Détail du porche de l'é-
Caen, Séchan, Léger Larbouillat. — glise de la Trinité, à Falaise, A.-F. Lemaître, Dujardin, Gar-
Vieux, à Caen, Séchan, E. Cicéri. —Le vieux Saint-Sauveur,à nier.
Caen, Cambon, E. Cicéri.— Église Saint-Sauveur, à Caen,
Séchan,
E. Cicéri. — Vue intérieure de l'église Saint-Sauveur, à Caen, FALAISE. — Texte, folio de 75 à 94 ; pages de 75 à 94.
Cambon, E. Cicéri. — Porche de l'église Saint-Gilles, à Caen,
Bachelier. Vue intérieure de l'église Saint- PLANCHES. — Porche de l'église Notre-Dame, à Alençon,
A -F. Lemaître, —
Gilles, à Caen, E. Sagot, Ch. Vernier. — Manoir d'Escoville, à Séchan, E. Cicéri. — Château de Carrouges, E. Sagot, Gail-
— Le
Caen, P. 1, Séchan. — Manoir d'Escoville, à Caen, P. 2, Séchan. —
drau. donjon de Carrouges,E. Sagot, Gaildrau. Église
Manoir d'Escoville, à Caen, P. 3, Séchan.— Manoir
d'Escoville, Notre-Dame-de-Mortagne,E. Sagot, Ch. Vernier. Place de
à Caen, P. 4, Séchan. — Manoir d'Escoville, à Caen, P. 5, Sé- Verneuil, E. Sagot, E. Cicéri. — Tour de l'église de la Made-
chan.
— Base, chapiteauxet détail du manoir d'Escoville, à leine, à Verneuil, Séchan, E. Cicéri.—Maison à Verneuil, Sé-
Caen, P. 6, Séchan, Léger Larbouillat.— Croisée et
croisillon chan, E. Cicéri. — Église Saint-Martin, à l'Aigle, Séchan,
à Caen, P. 7, Séchan, Lé- E. Cicéri. — Cathédrale de Séez, E. Sagot. —
Cathédrale de
d'une fenêtre du manoir d'Escoville,
d'Escoville, à Caen, P. 8, Séez; petite porte de droite, E. Sagot, Ch. Vernier. Aue in-
du manoir
ger Larbouillat. — Cour halle, à Caen, Séchan, Cicéri. térieure de l'église à Séez, E. Sagot, Gaildrau. Le château
Séchan, Clément.— Cour de la
Cicéri. — Fa- d'O, E. Sagot. — Vue extérieure du château d'O, E. Sagot,
Maisons rue Saint-Pierre, à Caen, Séchan, E. Sagot, Ch. Vernier.
Mondrainville, a ncien Hôtel de la Monnaie, à Gaildrau. — Cour du château d'O, E.
çade de l'hôtel
l'ancien Hôtel des Monnaies, Ancien château, actuellement Palais de Justice, à Argentan,
Caen Séchan, Clément. — Cour de
à Caen Séchan, E. Cicéri. —
Détail de la façade de l ancien E. Sagot, Ch. Vernier. — Vue intérieure de l'abside de Saint-
Hôtel des Monnaies, à Caen, P. 1, Séchan,
Léger Larbouillat. Germain d'Argentan, E. Sagot, Bachelier.
Détail de l'ancien Hôtel des Monnaies, à Caen, P. 2, Sé-

ALENÇON, MOllTAGNE, SÉEZ, ARGENTAN, DOMFRONT.


Mon-
Léger Larbouillat.— Détail de l'ancien Hôtel des de 95 à 116 ; pages de 95 à 116. — Vignette.
ehan
naies, Caen, Séchan, E.
Caen
à Cicéri. Manoir de Nollent, près
dit la Tour des Gens d'armes, E. Sagot, Bachelier. —
- — Texte, folio
Église Saint-Germaind'Argentan, E. Sagot.

PLANCHES.— Église Notre-Dame, cathédrale de Coutances,


E. Sagot, Ch. Vernier. — Église cathédrale de Coutances ; le
plomb, E. Sagot, Gaildrau. — Cathédrale de Coutances ; le
sanctuaire, E. Sagot, Ch. Vernier. — Cathédrale de Cou-
tances; bas-côté du sanctuaire, E. Sagot, Ch. Vernier. Vue
intérieure du dôme de la cathédrale de Coutances, E. Sagot.
de la cathédrale de Coutances, E. Sagot. —
— Sacristie
Église Saint-Pierreà Coutances, E. Sagot, Gaildrau. — Aque-
duc du moyen âge, à Coutances, E. Ciceri. —Châteaude Saint-
Sauveur-le-Vicomte,E. Sagot, Ch. Vernier.
COUTANCES ET LE COTENT1N. — Texte, folio de 117 à 124 ;
pages 117 à 124.
PLANCHES. — Église Notre-Dameà Saint-Lô, E. Cicéri. valiers, au Mont Saint-Michel,Séchan, E. Cicéri. — Chapiteaux
Église Notre-Dame à Saint-Lô, E. Sagot, Gaildrau. —
— Vue et bases de la Salle des chevaliers et du Grand-Prieuré, au
intérieure de l'église Notre-Dame à Saint-Lô, E. Sagot. Mont Saint-Michel, E. Sagot. — Le vestibule des voûtes, au

Anciennes maisons, dites du Poids royal, à Saint-Lô, E. Sagot, Mont Saint-Michel,Séchan, E. Cicéri. — La crypte, au Mont
Gaildrau. — Vue générale de l'église de Carentan, E. Sagot, Saint-Michel, Séchan, E. Cicéri.
Bachelier.— Vue extérieure de l'église de Carentan, E. Sagot. — Abbaye du Mont Saint-
Michel ; coupe de la Merveille, Sauvestre et Gautier, Clément.
— Vue intérieure de l'église de Carentan, E. Sagot. — Église — Mont Saint-Michel ; coupe sur le cloître, Sauvestre et
Sainte-Marie-du-Mont,près Carentan, E. Sagot, Ch. Vernier. Gautier, Clément. — Mont Saint-Michel; piscine de la cha-
— Chaire dans l'église Sainte-Marie-du-Mont, E. Sagot, pelle du réfectoire, Gautier et Sauvestre, Bachelier. — Mont
Ch. Vernier. Église Saint-Malo de Valognes, E. Sagot, Saint-Michel ; le dortoir, 3e étage. — Grande rue, au Mont

Ch. Vernier. — Portail de l'église Saint-Malo de Valognes, Saint-Michel,P. 1, Séchan, E. Cicéri. — Grande rue, au Mont
E. Sagot. — Château de Briquebec, E. Sagot, E. Cicéri. Saint-Michel, P. 2, Séchan, E. Cicéri. — Façade dite de la

Granville, E. Sagot, Ch. Vernier. Vue intérieure de l'église Merveille, au Mont Saint-Michel, Sauvestreet Gautier,Clément.

Saint-Évroult à Mortain, E. Sagot, Ch. Vernier.
— Le Mont — Mont Saint-Michel ; plan du réfectoire et de la Salle des cheva-
Saint-Michel,Séchan, E. Cicéri. — Mont Saint-Michel ; vue liers, Gautier et Sauvestre, Dujardin, Garnier. — Abbaye du
d'ensembleprise des remparts, Gautieret Sauvestre, Bachelier. Mont Saint-Michel, plan du 1er étage, Gautier et Sauvestre,
— La Merveille, au Mont Saint-Michel;vue prise sur les rem- Dujardin, Garnier. — Mont Saint-Michel; plan du dortoir des
parts , Séchan, E. Cicéri. — Mont Saint-Michel;vue générale moines et du cloître, Gautier et Sauvestre, Dujardin, Garnier.
de l'entrée du château, E. Sagot, E. Cicéri. — Mont Saint-
— Plan du Mont Saint-Michel, E. Lebel, E. Sagot. — Le Mont
Michel ; le dortoir et la tour aux corbins, E. Sagot, Ch. Vernier. Saint-Michel ; plan de la ville et du château, E. Lebel. E. Sagot.
— La porte du château, au Mont Saint-Michel,P. 1, Séchan,
E. Cicéri. — Porte de la Herse, au Mont Saint-Michel,P. 2, SAINT-LO, CARENTAN,VALOGNES, CHERBOURG, GRAN-
Séchan, E. Cicéri. — Porte au Mont Saint-Michel,P. 3, Sé- VILLE. — Texte, folio de 125 à 135 ; pages 125 à 135. — Vi-
chan, E. Cicéri. — Porte du boulevard, au Mont Saint-Michel, gnette. Église de Pontorson, E. Sagot.
P. 4, Séchan, E. Cicéri. — Le Cloître, au Mont Saint-Michel,
Séchan, E. Cicéri. — Mont Saint-Michel; transept de l'église MORTAIN, AVRANCHES, LE MONT SAINT-MICHEL. —
abbatiale, E. Sagot, Bachelier. — Nef et bas-côtés de l'église, Texte, folio 136 à 151 ; pages 136 à 151. — Vignette. Vire,
au Mont Saint-Michel, E. Sagot, Bachelier.— La Salle des che- porte de la Ville, E. Sagot.

Plusieurs lithographies et gravures sont désignées : « NORMANDIE, IIe PARTIE » Ces planches devraientporter
l'indication suivante : NORMANDIE, IIIe PARTIE. »

Il y a soixante ans, en 1818, j'eus seul l'idée de publier les Voyages pittoresques dans l'ancienne
France : je proposais au charmant et éminent écrivain Charles Nodier de collaborer à l'exécution de
mon projet. Plus tard, Charles Nodier attesta ce que je rappelle maintenant.
Onze missions dans l'intérêt des beaux-arts, pendant le cours de ces soixante ans, ont quelquefois
retardé la publication de cet ouvrage : mes voyages en Égypte pour obtenir les deux obélisques de
Louqsor, à Thèbes, et l'aiguille de Cléopâtre, à Alexandrie, ainsi bue le prouve cette Ordonnance
royale :
« Le sieur baron Taylor sera envoyé comme commissaire auprès du Pacha d'Égypte pour négo-
cier la cession des obélisques de Thèbes et faire transporter en France l'obélisque d'Alexandrie.
« Signé : CHARLES. »

Dix autres missions ont été accomplies par moi, dont les produits ont rempli les musées du
Louvre, la galerie espagnole, la collection Standish. J'y ajouterai mes missions à Athènes, à Rome,
en Sicile, à Constantinople,à Balbek, dans l'Asie-Mineure, dans l'Archipel grec, en Angleterre et en
Allemagne.
La plus grande partie de ma vie a été consacrée à mon pays, pendant plus d'un demi-siècle, avec
un dévouement sans borne, et enfin j'ai créé une fortune d'un capital inaliénable de douze millions
de francs. Ces douze millions appartiennent aux artistes.
B0N I. TAYLOR.
26 novembre 1878.

Fin du IIIe et dernier volume de la Province de Normandie :

VOYAGES PITTORESQUES ET ROMANTIQUES DANS L'ANCIENNE FRANCE.

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