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Roger D R O N *
Françoise BRIVOT
T e c h n i c i e n n e supérieure à l a section
Comportement physico-chimique d e s matériaux,
S e r v i c e Physico-chimie d e s matériaux
Thierry C H A U S S A D E N T
Chargé d e recherche, Adjoint a u chef d e l a section
Comportement physico-chimique d e s matériaux,
S e r v i c e P h y s i c o - c h i m i e d e s matériaux
Introduction
L a plupart des auteurs attribuent la dégradation connue
sous le nom de réaction alcali-silice à la formation tar-
dive, au sein de bétons réalisés avec des granuláis à ris-
que, de masses de c o m p o s é s hydratés, visibles au micro-
scope électronique à balayage et contenant du silicium,
du calcium et des alcalins dans des proportions mal défi-
nies [Dent Glasser et Kataoka, 1981] et [Davies et
Oberholster, 1988].
sentées au moyen d'une projection à deux de tenter de réaliser de façon séparée, in vitro, les princi-
dimensions du diagramme d e s potentiels chi- pales étapes supposées, en retranchant les réactifs qui
l
miques HKOH"^SIO " t c a o - L e s conditions de
formation de deux sortes de produits (préci-
n'interviennent qu'aux étapes suivantes ou en utilisant
pités et gels) sont examinées. Il est ainsi comme réactifs des produits censés s'être formés lors
montré q u e seule la limitation de la diffusion des étapes précédentes. O n démontre ainsi que les dites
des ions inhérente à la porosité du béton
peut entraîner d e s dégradations mécaniques étapes sont plausibles.
du béton résultant de la réaction alcali-silice.
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Le principe de Le Chatelier la composante cinétique qui, dans la pratique,
peut se révéler plus importante.
S'appuyant sur la vision nouvelle des équilibres
chimiques qu'avait apportée W i l l a r d Gibbs, le L a source la plus accessible du constituant C a O
savant français Henry Le Chatelier a considéré que est la portlandite, présente dans la pâte durcie
le ciment n ' é c h a p p e pas aux grandes lois de la sous forme de microcristaux dispersés de façon
chimie, telles qu'elles apparaissaient de façon assez uniforme. Mais son passage en solution est
achevée à la fin du siècle dernier. Il avait parfaite- problématique car la loi du produit de solubilité,
2 + - 2 s t c
ment assimilé les subtils concepts de phase et de [ C a ] . [ O H ] = C , s'applique à l'équilibre de
potentiel chimique et savait q u ' à la température dissolution. Dans le milieu très basique résultant
2 +
ordinaire les transferts de matière sont pratique- de l'accumulation des alcalins, les ions C a ont
ment inexistants à l'état solide. Il en tirait la conclu- un niveau de concentration e x t r ê m e m e n t bas. Ils
sion que la solution aqueuse qui remplit les pores de sont disponibles pour amorcer une réaction mais
la pâte de ciment est à la fois agent de dissolution ne permettent pas de l'entretenir, car la réserve
superficielle des phases anhydres, véhicule des de la solution est insignifiante. Toutefois, m ê m e
ions résultants et liqueur-mère des hydrates. partielle, leur consommation dans une réaction
quelconque suffit à rendre la solution sous-satu-
On ne devrait pas, à propos de cet aspect de l ' œ u v r e rée, ce qui entraîne un déplacement dynamique
de Le Chatelier, parler de théorie. Il s'agit simple- de l'équilibre de dissolution. Grâce à ce cou-
ment d'une attitude scientifique ou, dirons-nous,
plage, la solution peut prélever, au fur et à
d'un principe plus général que la théorie cristalloï-
mesure de ses besoins, l'hydroxyde de calcium
dale q u ' i l en a déduit. C'est sur cette unique idée
sur la réserve solide.
directrice que nous allons nous appuyer.
En l'absence de toute diffusion, les processus de
dissolution de la silice et de l'hydroxyde de cal-
Sources et réservoirs des réactifs cium seraient localisés au voisinage de l'inter-
face liquide-solide réactif. Seule la diffusion
Les alcalins proviennent principalement du peut assurer le transfert de matière au-delà, et
ciment lui-même. Initialement présents à l'état seulement sous forme dissoute, en l'occurrence
diffus dans les phases anhydres, ils se dissolvent ionique. Ce n'est en effet que par diffusion que
+ + _
à l'état de bases ( K O H " ) et ( N a O H ) lors de 2 + -
les ions C a et O H provenant de la dissolution
l'hydratation et, comme ils ne participent pas à de la portlandite, de m ê m e que les ions silicates
la formation des produits normaux d'hydratation résultant de l'attaque de la silice, peuvent s'éloi-
du ciment, ils s'accumulent dans la solution gner de l'interface. L a diffusion permet aussi, en
interstitielle j u s q u ' à une concentration de l'ordre sens inverse, l'apport des ions O H " nécessaires à
d'une mole par litre. cette attaque et le mouvement qui a m è n e ces
La quantité d'ions en solution est donc, en gros, ions à se rencontrer.
proportionnelle au degré d'avancement de la
Il est donc possible de trouver au sein de la solu-
réaction d'hydratation, mais leur concentration
tion, dans certaines conditions et sous des formes
croît un peu plus vite, en raison de la consomma-
variées, en certains endroits et à certains
tion partielle de l'eau. Comme les valeurs maxi-
moments, outre l'eau qui est omniprésente, les
males correspondantes sont atteintes dans les
ingrédients nécessaires à la formation de com-
m ê m e s délais, on peut dire, grosso modo, que la
posés incluant de la chaux, de la silice, des alca-
condition première de l'alcali-réaction n'est rem-
lins et de l'eau si deux actes fondamentaux ont
plie que lorsque l'hydratation touche à sa fin. L a
lieu in vivo :
réserve d'alcalins se trouve alors, en totalité,
sous forme dissoute. ® passage en solution sous forme d'anions de la
silice réactive par attaque hydroxylique,
La silice réactive à laquelle on s'intéresse par ® réaction de ces anions avec le cation C a , 2 +
définition est celle des granulats. Toutes les couplée à la dissolution de la portlandite.
variétés de silice sont pratiquement insolubles
dans l'eau pure. Toutefois, en raison du caractère
acide de S i 0 , certaines peuvent se dissoudre sous
2
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Les bases bibliographiques et les résultats bruts de du temps (Dron et Brivot. 1993a), est approxi-
cette recherche ont été publiés dans plusieurs arti- mativement proportionnelle à la concentration de
cles de Dronct Brivot(1992, 1993a, 1993b, 1996) la soude (ordre cinétique voisin de 1). Elle est
et Dron (1994), auxquels on pourra utilement se divisée par 2,8 quand on passe de 67 à 57 °C, ce
reporter. Dans cet article de synthèse, nous nous qui correspond d ' a p r è s la loi d'Arrhénius à une
proposons d'expliciter la démarche, d'en résumer -1
énergie d'activation de 96 k J . m o l . On en déduit
les enseignements essentiels, d'en développer que l'essai A S T M standard, pratiqué à 80 °C, est
l'interprétation et d'en tirer les conséquences. accéléré d'un facteur d'environ 400 par rapport à
ce qu'il serait à 25 °C.
1
(0,5 ou 1 m o l . F ) .
La figure 1 résume le résultat de ces calculs. Elle
1
La vitesse de dissolution, mesurée à l'inflexion montre que la forme S devient exclusive (charge
de la courbe représentant l'évolution de la anionique moyenne par atome de silicium ten-
concentration de la silice solubilisée en fonction dant vers -1) quand le p H tend vers 1 1,2.
Fig. 1 -
Réactions acido-
basiques impliquant
les espèces silicates
en solution.
s 1 O H ; s 2 0 r T s 3
10
Ajout de SiOp
+
Ajout de OH~ Ajout de H
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1
A u maximum de S le p H est descendu à la étudié la répartition des entités Q" sur des solu-
valeur théorique de 11,2 de sorte que. pour des tions de diverses concentrations en silice, d'une
raisons cinétiques autant que thermodynamiques, part, et de divers rapports R = [SiO,] / [ M O j ,
m 2
du millimètre et serait environ dix fois plus à apparaître. E n négligeant la contribution des Q , 3
3
petite pour un béton dosé à 1 250 kg.m d'un on peut en déduire la longueur moyenne des
granulat réactif présentant une surface spécifique
2 1
polymères linéaires.
de 0,5 m . k g ' . L'ordre de grandeur trouvé pour
la réactivité du silex autoriserait l'approche de la Les m o n o m è r e s sont prépondérants tant que la
1
saturation dans des temps à l'échelle de l'année, concentration S i 0 ne dépasse pas 0,4 mol.r .
2
taux à l'échelle des arrangements atomiques. révélées par les Q , ne deviennent appréciables
q u ' à l'approche du niveau limite de concentra-
Les différences de réactivité entre les diverses tion à 1 mol.r .
1
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termes suivants sur les points d'accord qui nous de variables linéaires par construction. L a disposi-
paraissaient essentiels : tion relative des domaines de phases et la pente des
droites qui les séparent généralement ont beaucoup
« L'existence de deux champs dans l'espace
plus d'importance que leur position exacte. Les
x = [ K ] , y = [SiO,] à l'équilibre quand une quan-
tables thermodynamiques ne comportent, dans le
tité fixe d'hydroxyde de calcium a été ajoutée à meilleur des cas, que les données relatives aux
des solutions de K O H et S i 0 en proportions 2
c o m p o s é s dont les coefficients stœchiométriques
variables. Le champ inférieur correspond aux sont fixes et entiers, ce qui est presque l'exception
précipités avec la liqueur mère. Le champ supé- en chimie des ciments. Pour les autres, les seules
rieur correspond aux gels macroscopiquement données dont on dispose sont celles de l'analyse
h o m o g è n e s et imprégnés par un sérum. Les pré- chimique des phases solides et des solutions. On
cipités sont caractérisés par diffraction des sait les traduire au moyen des formules classiques
rayons X comme semblables au C - S - H ( l ) et les en produits de solubilité et plus généralement en
gels sont des systèmes amorphes présentant seu- produits ioniques dont le logarithme est une gran-
lement une bande large centrée à 0,305 uni. deur affine du potentiel chimique. L a prise en
compte des coefficients d'activité ne change rien à
11 existe une relation définie entre la composition
la configuration générale et peu de choses à la
de chaque solide lavé et la composition de la
position des frontières. On peut sans dommage en
liqueur mère ou du sérum qui lui correspondent ».
faire l'économie et ne viser que l'essentiel qui. pour
Nous signalions dans la m ê m e discussion la plus notre problème, est relatif à la variance.
importante de nos observations :
Le système K 0 - C a O - S i 0 - H 0 comporte quatre
2 2 2
B U L L E T I N D E S L A B O R A T O I R E S D E S P O N T S E T C H A U S S É E S - 214 - M A R S - A V R I L 1998 - R E F . 4 1 7 5 - P P 6 1 - 6 8 65
mentales résultant de notre expérimentation et À l'instant « zéro » de la réaction alcali-silice,
liées au caractère strictement continu des équili- que nous prenons vers la fin de l'hydratation du
bres acide-base et de polymérisation : ciment, la liqueur interstitielle est à peu près la
a) les lignes monovariantes (frontières de m ê m e partout. Elle contient environ 1 m o l . L ' de
domaines de phases) et les points invariants + +
( K O H 7 N a O L L ) et est saturée en C a ( O H ) , ce 2
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L'étape limitante est la diffusion solution du complexe, tant qu'une phase solide
ne se forme pas, est libre de s'évader au-dessus
Le processus décrit précédemment est restreint
de la surface (plane ou courbe) que lui assi-
au voisinage immédiat de l'interface solu-
gnera in fine le retour à l'équilibre. Le niveau
tion-granulat réactif et se poursuit j u s q u ' à épui-
de p peut monter j u s q u ' à celui de la por-
( a ( )
sement de la portlandite immédiatement accessi- tlandite. L a rupture de cet équilibre métastable
ble. Le point figuratif se déplace en direction du intervient sous forme d'une coagulation, d'au-
+ - 1
point B en suivant la ligne [ K ] = 1 m o l . l . Une tant plus anarchique que l'écart est plus grand
dissymétrie radicale s'est établie dans le béton : entre le système actuel, à très haut potentiel
>- au contact du granulat on trouve une solution chaux, et le système stable biphasé (squelette +
-
saturée en silice à 1 m o l . l ' représentée par le sérum, ou gel au sens de la chimie des colloï-
point B ; les ions silicate qui la forment sont en des) en lequel il se transforme. L'énergie libre
majeure partie des polymères ; rendue disponible par cette rupture brutale peut
>- dans tout le reste de la pâte, où la portlandite causer des dégâts mécaniques irréversibles,
est intacte, la solution est représentée par le d'autant plus qu'ils surviennent dans un secteur
point A . fragilisé par les vides résultant de la dissolu-
tion de la portlandite. O n comprend que le
C'est à l'interface qui sépare les deux solide qui se forme dans ces conditions et à
domaines antagonistes qu'intervient la réaction partir de polyanions très disparates et partielle-
2 +
destructive de complexation de l'ion C a par ment ramifies soit totalement amorphe. Ce gel
les polyanions silicate qui le prélèvent à la sur- a d'ailleurs des caractéristiques susceptibles de
face des cristaux de portlandite, la rongeant provoquer une attraction d'eau pure par un
inexorablement. Le point représentatif de la p h é n o m è n e d'osmose.
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ABSTRACT
R. DRON - F. BRIVOT - T. C H A U S S A D E N T
potentials n K O H - (X s i o - n C a 0 - T h e conditions for the formation of the two types of products (precipitates a n d gels) are
e x a m i n e d . It h a s thus b e e n demonstrated that merely limiting the diffusion of ions which is a natural c o n s e q u e n c e of
the porosity of concrete c a n lead to m e c h a n i c a l d a m a g e in concrete a s a result of the alkali-silica reaction.
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