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LA NAISSANCEDES EMPIRESEUROPEENSxve-xv1eSIÈCLES

L'exploitation
du NouveauMonde
Laconquêteespagnolea détruit uneimmensepartiede la populationautochtoneen moinsd'unegénération,
un massacredont l'ampleur,corroboréepar lestémoignagesmultiplesarrivésen Europedu comportement
bien peuchrétiendesconquérants,a fini par provoquerun granddébatau sein desélitesde la société
espagnole,de l'Étatcommede l'Église.Avait-onle droit de considérerles Indienscommedesêtresinférieurs?
Aux considérationsthéologiquesse mêlaitbienévidemmentla défensed'intérêtsmatérielsconsidérables:
pourrait-onmettreen valeurlesrichessesde l'Amériquesansle travailforcé desIndiens?

L'HUMANITÉ
DES
INDIENS:
1
le savoir-faire pour construire villes, tem- L'esclavage. Ce compromis était en réa-
UNECONTROVERSE
THÉOLOGIQUE
ples et routes et ne pouvaient être rangés lité une solution commode qui permettait
ETPOLITIQUE parmi les animaux. Pouvait-on pour autant d'utiliser leur force de travail sans réserve,
.devreser sthgir llA .muimerP

Pour une société profondément impré- les admettre dans l'espèce humaine, issue avec des méthodes d'une extrême violence
gnée de culture biblique, comme l'était d'Adam et Ève? La réponse demeura long- comme pour des animaux de trait. La cou-
l'Espagne au sortir de sa guerre de re- temps hésitante: ils étaient des êtres inter- ronne d'Espagne accorda aux Espagnols le
conquête intérieure, l'apparition brusque médiaires, supérieurs aux animaux, mais droit de réduire les Indiens en esclavage
d'un Nouveau Monde peuplé d'êtres pas totalement humains. dès 1503, à une époque où cette pratique
jusqu'alors inconnus de tous les auteurs, était parfaitement admise.
chrétiens comme anciens, posa d'emblée Face aux mauvais traitements inouïs infli-
une grave question théologique: l'histoire
de l'humanité relatée dans l'Ancien Tes-
Uerbatim gés aux Indiens et à la mortalité effrayante
qui les frappait, des protestations affluè-
tament n'évoquait jamais l'existence de rent à la cour de Charles Quint; en 1511, le
«LesIndiens ont des
cette population; en ce siècle chrétien dominicain Antonio de Montesino (1475-
penchants pour les choses
par excellence, était-il possible de laisser basses et viles car ils sont au 1540) posa cette question: «Vous êtes
supposer que la Genèse ait omis un ra- nombre de ceux dont Platon a tous en état de péché mortel à cause de
meau de l'humanité? Une telle affirma- dit que la nature leur avait votre cruauté envers une race innocente
tion demeura impossible jusqu'au milieu infusé du métal; vouloir [ ... ]. Ces gens ne sont-ils pas hommes?
du XW siècle. À l'évidence, les Indiens changer leur nature N'ont-ils pas une âme, une raison?»
d'Amérique possédaient indubitablement semble être une erreur La conférence de Valladolid (1550-
des qualités propres à l'espèce humaine [... ].» 1551 ). Bartolomé de La Casas,de retour du
comme le langage, l'organisation étatique, Mexique et après un long périple aux Indes

DEL'OR,
DEL'OR
...
i I LES
ARRIVÉES
ENEUROPE
D'ARGENT
AMÉRICAIN
(1580-1700)
1 Ladécouverte desmines
duMexique etduPérou
Arrivées en Europe d'argent américain (en millions de pesos) bouleversa!ordre
sa~--~--'-~---'~--~--~-~--~--~-~--~--~-~~ monétaire mondial
Désormais,l'arrivée
1Officiellement jusqu'en 1660 des galions
àCadix
40
D'après les gazettes hollandaises
1et les documents annexes rythmaitl'économie
occidentaleetstructurait
30
lesrapportsdeforce
entre
lespuissances,aubénéfice
20 del'Espagne,puisdes
puissancesmanufacturières
10 dunord,Hollande
etAngleterresurtout.
0 L..IJU.U.l.1.11.1.1
1580 1590 1600 1610 1620 1630 1640 1650 1660 1670 1680 1690 1700

© ATLAS
DES
PHEmIÈAES
COLOnISATIOns
euqirémuN 3202 thgirypoC .noissimrep tuohtiw sesu rehto oN .ylno esu lanosrep roF .3202 ed orbmezed ed 51 no 041.410.970.031 yb rf.gbsarts-u.yxorpr-dcs.moc-muimerpeuqiremun-www//:sptth morf detnirP
1LATRAITE
NÉGRIÈRE
ATLANTIQUE
(1514-1866)
Nombre d'esclaves
Moyennes annuelles par période Guerre Guerre Révoltesdes esclaves Guerres Interdiction 100 000
© 49800
de Sept Ans
(1756-1763)
d'Amérique
(1778-1783)
et Révolution française
(1791-1801)
napoléonienne-;- -
(1808-1815)
de la traite
(après 1815)

6 273
cxi
0-
113%)
0-
4 573
phase maximale Ill%) Esclaves
de la traite légale embarqués
~

phase antérieure période

à la généralisation de la traite illégale
,ç-- 1111--1-----;60000
de la plantation
sucrière

787-
3 283 J 111------<50 000

124 1
%) 1514-16801681-1820
1821-1866

Total (de 1514 à 1866)

9 405 271 esclaves embarqués,
dont 8 185 192 débarqués 30000
1
et 1 220 079 décédés pendant
la traversée (13 %) 1,
20000
de 1514à 1578
8 441 esclavesemborqu
dont2 005 décédés124
10000
1
.devreser sthgir llA .muimerP

1580 1590 1600 1610 1620 1630 1640 1650 1660 1670 1680 1690 1700 1710 1720 1730 1740 1750 1760 1770 1780 1790 1800 1810 1820 1830 1840 1850 1860

occidentales, reprit ces discours dénon- clavage, le «génocide» radical fut évité,
ciateurs, les amplifia, s'érigea en défenseur du moins sur le continent car il était déjà
intransigeant des Indiens et, par là même, consommé dans les Grandes Antilles. Res-
en virulent accusateur des conquistadors tait à résoudre une question: quelle force
et du pouvoir colonial espagnol. Faceà de de travail serait susceptible de mettre en
telles accusations, la couronne espagnole valeur l'immense empire espagnol?
se devait de trancher la question capitale
de l'humanité ou non des Indiens. Charles
•••
Quint convoqua une conférence théolo-
REPEU~LER
L'AMÉRIQUE:
1
gique à Valladolid, qui se réunit en août-
septembre 1550 puis en avril-mai suivants. ENGAGES
BLANCS
Un jury de quinze membres devait prendre OUESCLAVES
NOIRS?
la décision finale, qui serait dès lors incon- La postérité, au moins jusqu'à la fin du
testable. LasCasasse fit l'avocat de l'huma- XVIII• siècle, attribua à La Casas un dou-
nité des Indiens et Juan Gines de Sepulva- ble rôle: avoir sauvé les Indiens d'une
da (1490-1573) celui des conquistadors qui extermination totale, mais par là même
affirmaient que ces Indiens étaient inter- avoir voué les Africains à l'esclavage. Si
médiaires entre les hommes et les bêtes. aujourd'hui nous savons que Las Casasn'a
Au terme des deux sessionsde cette confé- pas lancé le mot d'ordre de remplacer les
rence, en mai 1551, Las Casasimposa son Indiens par des Noirs importés d'Afrique, il
point de vue: il était admis solennellement n'en est pas moins certain que les colons
que les «Indiens avaient une âme» et par menacés d'une pénurie de main-d'œuvre
conséquent appartenaient pleinement à ont alors accéléré «l'engrenage négrier».
la descendance de Noé. Ce verdict marqua Soulignons toutefois que l'importation
un tournant dans l'histoire de la colonisa- d'esclaves africains n'a pas attendu l'is-
tion du Nouveau Monde: y voir une sorte sue de la controverse de Valladolid pour
de prélude à la Déclaration des droits de commencer. En effet, le premier bateau
l'homme serait un anachronisme, mais connu acheminant des captifs africains à
c'était affirmer avec force l'unité de l'es- Hispaniola date de 1503, en provenance
pèce humaine, sous toutes ses formes. Ex- d'Espagne où la pratique de l'esclavage
terminer les Indiens, et même de les faire africain était courante, tout comme au
travailler comme des animaux devenait Portugal. Ainsi, dès les premières années
impossible. Le servage se substitua à l'es- de la conquête, le besoin d'un repeuple-
ment se fit sentir: cette nécessité fut une
donnée constante de toute cette première
période coloniale, jusqu'au XIX• siècle. Les
Antilles, dépeuplées radicalement, furent
la première destination de cette déporta-
tion de main-d'œuvre d'un continent vers
un autre; puis ce fut l'immense Amérique
du Sud et centrale, Brésil et Nouvelle-Gre-
nade principalement; enfin, l'Amérique du
Nord eut à son tour besoin massivement
de main-d'œuvre servile.
La longue histoire de la traite négrière tran-
satlantique s'inscrit de façon abrupte sur le
graphique ci-dessus: commencée à la fin
de la première décennie de la découverte,
elle prit son envol dès le dernier tiers du
XVII' siècle,pour atteindre des sommets en-
tre 1740 et 1830,son rythme étant toujours
saccadé, en fonction de la conjoncture
européenne, les grandes guerres (notam-
ment franco-anglaises au XVIII•siècle) mar-
quant de brusques effondrements.
Ainsi, la conquête puis la mise en valeur
des colonies du Nouveau Monde entraî-
nèrent-elles un double phénomène dé-
mographique aux effets de longue durée:
d'une part, l'effondrement de la popula-
tion autochtone des Amériques, passée
d'environ 100 millions en 1492 à moins de
5 millions à la fin du XVIII• siècle, et, d'autre
part, la déportation de plus de 12 millions
d'esclavesafricains, dont plus de 4 millions
pour le seul Brésil.•

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DES PflEmIÊfl[S
COLOnISflTIOns fl)