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LURBANISME PoUR L'HoMME 3

CHAPITRE VIII

L'URBANISME POUR L'HOMME

Savoir analyser parfaitement un étre urbain est ténuation des maux sociaux », en compagnie du
certes indispensable. Mais même si
l'enquêteur
arrive à une synthèse, une recréation parfaite et non paternalisme, des loisirs organisés, de l'alcoolisme
et des jeux de hasard!
une simple mosaique, il n'a fait que les
premiers Il nous faut désormais faire de l'urbanisme une
pas. L'urbaniste ne peut pas, en effet, se contenter
d'examiner le malade; il doit le soigner. II lui faut
science du réel, une science expérimentale et, pour
cela, fonder l'urbanisme sur l'homme (70). Nous
donc connaitre, en premier lieu, l'état normal des
avons vu comment il fallait connaitre l'homme
groupements humains. « La connaissance de l'état
local: l'habitant du groupement particulier traité,
pathologique ou anormal ne saurait être obtenue cet homme ocal baignant dans l'humanité de son
sansla connaissance de l'état normal, de mëme
que milieu et de son époque, avee ses modes et ses
l'actionthérapeutique sur l'organisme des agents couleurs propres. Mais il faut, avant tout, baser
anormaux ou médicaments ne saurait ètre comprise
l'urbanisme sur l'essence de lr'homme.
sci tifquement sans l'étude préalable de l'action
physiologique des agents normaux qui entretiennent Iorsqu'on veut construire l'urbanisme essentiel, on
les phénomènes de la vie » (67). se heurte de suite à une difficulté. L'homme de Gide
est différent de celui d'Aristote, l'homme de Des-
Jusqu'à présent on se contentait de faciliter aux cartes de celui de Thomas d'Aquin, l'homme de
villes leur expansion, sans distinguer s'il s'agissait Rousseau de celui de Pythagore, l'homme de Platon
de eroissance normale et saine, d'éléphantiasis ou de celui d'Aldous Huxley, etc. Or la nature de
de cancer... l'homme est foncièrement une, quelque inégaux, au
Lurbanisme ne cherchait pas à guérir « l'hystérie point de vue intellectuel ou psychologique que soient
industrielle» (suivant l'expression de Montherlant). leurs milieux, leurs époques, leurs localisations. Cela
ne signifie point que le degré de perfection de
mais à lui fournir de la morphine. L'Urbanisme
n'etait qu'un urbanisme de complicité, par rapport T'homme soit immuable, de même que le saint est
au mal qui ronge notre civilisation: le machinisme, plus parfait que le tueur, l'occidental sain est plus
parfait que le hottentot moyen, et l'homme contem-
avec toutes ses racines et ses corollaires. Nous avons porain devrait ètre plus parfait
pu écrire dans Problèmes d'Urbanisme: « Le mou- que le primitif
nême si l'on pense avec Lucie Cousturier
vement général qui a porté, dès le début du xx* siè-
de ce dernier avait e la fleur et le que l'âmne
cle, tous les pays vers les réalisations urbanistiques. goût des fruits
gui a fait voter des lois d'urbanisme, n'était pas qu'on cueille sur un arbre »...
une volonté de freinage, mais, tout au contraire S'il y a effectivement
preuve d'une inconscience inimaginable - une vo- gressif
un
perfectionnement
résultat de cycles de plus pro-
lonté d'accélération» (68). amplitude grande
en
ainsi que l'a magistralement montré
plus
Leconte du Noüy dans l'Avenir de
Cest pourquoi, dans le premier manifeste d'Eco- passe notre
l'Esprit, il dé-
« échelle d'observation» qui s'étend à
nomie et Humanisme (69), lurbanisme avait été
peine sur 10.000 ans. Ce perfectionnement, con-
Justement classé comme « technique artificielle d'at- forme à la loi générale d'évolution et
feste par une spiritualisation
qui se mani-
progressive, ne doit
(67) Claude Bernard. Introduction à la médecine erpé-
rimentale. (70) Non pas que quelqu'un ait jamais voulu fonder
l'urbanisme contre Phomme: Aifred Sauvy faisait
68) Et Unwin confirmait,
en 1937, que le Town
plan- spiri-
tuellement remarquer quil n'y avait que des fautes de
ng act de 1909 n'était, lui aussi, qu'un acte de compli-
cité. technique, pas de faute d'intention! Tous les gouverne-
ments ont pour
(69) Ne pas confondre le Groupe Economie et Huma- programme le bonheur de leurs adminis
trés. Oui, mais voilà! il y a plusieurs
sme a racines thomistes et l'Humanisme économique et la définition de
façons de procéder
G.E.P.H. du martiniste Jean Coutrot, et d'orientation l'homme de M. Le Corbusier «
module
interchangeable de 1 m. 75 de haut » ne nous satisfait
synarchique. point.
44 LE NOUVEL URBANISME

étre sensible que pour des observations portant sur notion innée et un fait
des millions d'années, Pratiquement, et dans le cadre d'expérience, que tout
de notre civilisation occidentale, on peut parler binaire engendre l'idée
d'homme stable. Comment se fait-il donc que d'opposition, de dualité,
T'homme de Gide soit inférieur à celui d'Aristote ? d'où une scission pos-
Et que nous assistions à une véritable rétrogradation sible, au contraire, toui
que la crise mondiale actuelle confirme même aux ternaire évoque l'idée
aveugles, volontaires ou non ? d'équilibre, de force
Nous en tenant à notre civilisation occidentale indéformable, de syn-
car le même cycle se retrouve dans d'autres civili- thèse, d'unité indestruc-
sations - on rencontre un homme identique à tible. Ceci est fort im-
portant, la pente de
lui-même d'Aristote à Thomas
d'Aquin, surnommé
l'Aristote chrétien. Malgré certaines différences mé- l'esprit humain le con-
F16. 45.- PLYmoUTH. Crois-
taphysiques, entre le précepteur d'Alexandre et le duisant à dissocier des sance et centralisation. En
Docteur Angélique, séparés par seize siècles et éléments complémen- 1939, la centralisation est
situés sur les deux versants de l'Ere, l'Homme y excessive et l'expansion
reste essentiellement Un. chaotique continue avec l'ac
eroissement des moyens de
Alors que, pour Platon, il y avait une irréductible transport.
scission entre l'esprit et la vie, d'où naissait un Population: 280.000 hab.
dualisme provenant d'une conception trop « angé-
lique de l'ètre humain- pour Aristote espritdanset
taires pour en prendre
vie sont deux termes intimement conjoints
l'unité dynamique de l'Homme réel. Cette concep- possession. Les grandes
religions ne s'y sont pas
tion uniciste de lhomme est, bien entendu, celle
du Thomisme, lequel domine tout le problème, en trompées en présentant
montrant que les formes supérieures contiennent l'Unité Divine comme
virtuellement les formes inférieures (71). Etendant un Ternaire: une Tri-
l'hypothèse de Bohr, dont nous aurons à repar. unité (73).
ler (72), nous dirions aujourd'hui que, dans l'homme, La moindre réflexion
l'aspect physico-chimique, l'aspect biologique et montre que le mot:
l'aspect psychologique ne sont que des aspects diffé- FIG. 44. -1914 La ville at- corps, dans le cas de
teint 207.500 hab. Par suite
rents d'une seule et méme réalité, l'être humain. l'homme, sous-entend
des possibilités de trafic mé
corps vivant et non
Toutefois la présen- canique les trois aggloméra-
l'homme tions originales n'en forment corps brut, ce qui re-
tation de
Corps et Esprit, reste plus qu'une, et de nouvelles vient à présenter l'unite
une présentation binai- communautés rurales se humaine se manifestant
re. Or - sans vouloir constituent. suivant les trois plans
systématiser-c'est une du ternaire : Matière,
Vie, Esprit- a ma-
(71) Par exemple, parmi tière sans adjectif étant d'ordre physico-chimi
les corps vivants, une âme que (74).
végétative préside a ux
fonctions des végétaux, Aussi peut-on penser que cette présentation bi-
naire d'une unité est, pour beaucoup, dans sa dégra-
une áme sensitive à celles
des animaux et une âme dation par divisions successives.
Au cours du déséquilibre croissant de la eivil-
FIG. 43. - 1870: Les troiss sation, nous verrons graduellement séparer le corps
10yaux prospèrent et s'ac- de l'esprit, puis supprimer cet esprit et, dans ee
eroissent. corps vivant, tenter même de supprimer la vie
intellective à celles de
l'homme. Mais l'unité du (73) « Deux choses ne sont liées entre elles
que par u
vivant exige qu'il soit in- troisième terme qui tienne à la fois de l'un et e
formé par une åme sensi- T'autre. » Platon, Timée.
tive, capable d'associer (74)
à la fois les fonctions
« Si l'on définit l'homme compose.
comme un
matière et de conscience, on émet une
végétatives et sensitives, proposition vi
de sens, a r les relations de la matière corporelle el de
1homme n'aura égale- la conseienee n'ont
nent qu'une âme intellec- pas, jusqu'à présent, été amene
dans le champ de
FG. 42. - 1800: Au départ, tve, principe, à la fois, l'expérience. Mais on peut donner
trois noyaux urbains: Ply- de vie végétative, sensi- homme une détnition opérationnelle en le considérant
comme un tout indivisible, manifestant des activit
mouth, Stonehouse et Devon- tive et intellective.
ort.
physico-chimiques, physiologiques et psychologiques.
(72) Cf. I.ivre 1V, p. 189. Carrel, I.'homme, cet inconnu,
L'URBANISME POUR L'HOMME 45
Le pur matérialisme est maintenant révolu. L'irré- La crise actuelle, aux multiples aspects, ne s'expli.
ductibilité de la vie à la matière en soi est un fait
incontestable (75). Reste, non pas la suppression de que que par « une infidélilé essenticlle de l'homme
à sa nalure d'homme faile pour subsisler en une
Esprit, mais sa diminulion par le rationalisme ou
seule et même substance » comme l'a remarquable
son exaltation par l'anglisme, tous deux conduisant ment démontré Marcel de Corte (76).
à une perte de contact avec le réel. Par une double
Cette infidélité a dissocié, puis reformé les deux
divergence, notre civilisation, qui a développé cer- aspects de l'esprit: intelligence et volonté, qui, chez
tains sens supérieurs, de même que la sexualité,
n'épouse plus les réalités organiques, elle ne se un homme hautement civilisé, déclare Carrel, sont
développe plus que sous l'angle de l'idéologie, de
une seule el mème fonction. On ne comprendrait
rien, en effet, au machinisme et au traitement åà
l'abstraction. appliquer à la civilisation urbaine, sans exposer
sommairement le processus de cette véritable dégra-
(75) La critique du matérialisme mécanique est même dation pathologique.
vigoureusement menée par Marcel Prénant dans Biolo-
gie et Marcisme et tous les auteurs marxistes depuis
20 ans. (76) Incarnation de lHomnme. (Médicis.)

nfron

SALTAS LYMTO

PLYST

sANO

oNE L

Décentralisation. La population est


FIG. 46.- PLYMoUTH, décentralisation est entre-
180,000 hab. La
pérvue pour des communautés amé-
prise d'une façonle ordonnée dans stable. La
nagées suivant principe d'une population
de satellites r e m -
est aérée et une série
masse centrale
place l'extension désordonnóe.

Abererombie et J. Paton
Projet d'aménagenment par P.
Watson.
éehelle double de ceur des
(Ce dernier plan est à une
figures 42 à 45.)

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