w

LR NOUVRI, UNRANISME

NIL BLE U

TTLLO

Sea FiG. 9. -KHaRToUM, au confluent du Nil Bleu et du Nil Blane

Plan de Khartoum en 1878, au temps de Gordon Pacha, gouverneur (d'après l'lntelligence Service). En 1883.
lorsque Khartoum tomba dans la main des Derviches. le Madhi fit d'Omdurman, située à quelques kilomètres
au nord-est, sa capitale et Khartoum fut évacuée; les bàtiments furent en grande partie démolis pour en récupérer
les matériaux. Aussi lors de la réoceupation anglaise, en 1898, la ville fut trouvée presque entièrement en ruine.

CHAPITRE 1I

DIVORCE ENTRE LA FORME ET L'ÈTRE

Une brève revue de l'art urbain - - expression de à une reconstitution quasi cellulaire et continue des
l'état social nous montrera comment on est cases en matériaux périssables (11).
arrivé à un divorce grandissant.
(11) « En Egypte, on reunarque un fourmillement de
En Egypte, en Chaldée, en Extrême-Orient, dans cases éparses, une multitude extraordinaire de cases
l'Inde, la ville semble n'être qu'un semis d'habita- abandonnées. Elles subsistent, délaissées, sans qu'on ait
tions fragiles, plus ou moins denses, plus ou moins pris la peine d'utiliser les matériaux, jusqu'à ce que le

groupées, que structurent seules quelques voies pro-
cessionnelles, rarement bordées d'habitations, mais
scandées, de place en place, d'éléments discontinus
pagodes, cobras, sphynx, pylônes, ete.
En Chaldée, par exemple, d'immenses enceintes
ne renferment parfois que des villages isolés, ayaFt
pris racine au pied des temples ou du palais. C'est
la traduetion même d'un état social où règnent le
despote et les dieux, dont les structures propres
tassement des débris les ait rendues informes et mécon-
naissables. Cette facilité de remplacement est un fait de
elimat qui n'a pas été saus intluence sociale aux premiers
temps de l'oceupation humaine dans ees econtrées allu-
viales. Le sol fournissait alors un moyen aussi facile
qu'économique de multiplier ces demeures sur place, de
s'y aménager des séjours temporaires suivant les saisons
et les erues du fleuve, de substituer une installation
saine à la place de celles contaminées par un trop long
séjour; autant de raisons qui ont dû contribuer à favo-
riser en ces lieux la formation de groupes si denses. »

visent à lr'éternité, tandis que toute liberté est laissée Vidal de la Blache, Prineipes de Géographie humaine.
 DIVORCE ENTHE LA FORME ET 1.'ÈTRE

NIL BLE U

ZNIZI09ROOEROZNOOZOOCR
N}OOO900OOSZ ONZOOO0
NZNOOgs 00 2NOD2NOO7 T
NZOCN EZO NZDON7
SNOO NOg
OONZOOOdTOOONZOONZE
OOh OD
VAONOOGJODZDON}

ID
..

FG. 10. Le Nouveau Khartoum, en 1910 (échelle: 1/20.000).

La cité s'allonge au bord du Nil Bleu sur une longueur de deux miles et sur une profondeur d'un mile environ.
Les limites communales suivent les anciennes fortifications.
Le tracé des diagonales, dues à Lord Kitchener, a pour but la surveillance militaire. Chaque étoile est le centre
d'un quartier d'environ 500 mètres de cóté. C'est un tracé de eolonisation impérialiste. On aconstruit des villages
soudanais, immédiatement en dehors, pour loger les indigènes qui restaient encore dans les ruines. Plus au sud,
un
II quartier
vaste a été édifné pour les natives
existe, enfin, Nord , mais Omdurman, au nord-est, reste la véritable ville indigène.
Nil Bleu pour les docks et l'armée.
un Khartoum sur l'autre rive
du
A noter que plusieurs diagonales n'ont pas été exéeu tées, mais les plantations font de la ville une oasis.

A cette époque, l'accord est parfait entre la forme
et l'étre, la forme permet toutes les adaptations que
nécessitent les générations successives.
La leçon précédente est précieuse pour des peu-
plements étalés sur de vastes surfaces. Avec de
petits groupes, sur un site restreint, nous allons
atteindre l'un des sommets de l'art urbain: celui
de la Cité grecque, où règne un ordre dû non à un
tracé régulier, mais à la localisation précise de
chaque organe là où il doit remplir sa fonction
propre. En outre, par la séparation des éléments
de beauté, par leur balancement, par leur présen-
tation non dans l'axe mais sur les angles, expri-
mant le pluralisme originel qui existait au sein de
la cité grecque, Athènes magnifie le synoecisme,
autrement dit la fédération de petits groupements
autonomes. Enfin, par son Acropole, elle tend à dé
passer cette communauté fédérale et prépare le
sommet suivant: celui de la communion médiévale.
Dans ce cas, la forme et son contenu sont insé-
parables; la traduction formelle de lesprit fédé-
ratif ne peut étre dépassée.
Il ne faut pas, bien entendu, chercher de corres-
pondance entre le gril que les Romains imposent
dans leur colonisation, et qui ne fait que traduire
les besoins d'un camp militaire, et l'agglomération
qui viendra parfois s'accrocher à cette structure.
Dans la Cité médiévale, accumulation de petites
touches de vie, ajoutées au fil des jours, sous l'effet
d'une pression interne et parfaitement adaptées à
leur nature, nous éprouvons cette fois un vif sen-
 LE NOUVEL TRBANISME
10
timent de biologie parfaite, d'harmonieuse corres- de la dictature des abstraits et de a suprmatie du
pondance entre la forme: somme
d'efforts conver- chiffre, en tant que mesure 13.
et la communauté urbaine
gentsvers une mème fin, La Cité ciassique. à l'inverse ie i C i médie-
elle-mêmne. vale unifiée dans la comT:Un1 3t C nne. est
I n'y a point là de composition voulue, mais essentiellement la cite d'une ite t:4. Ele z'est
une incorporation subtile d'éléments divers, forte- pas, à proprement parier. u tra s i e e t i on de la
ment unifiés par la puissante unité spirituelle qui cité m diévaie, mais une uxap C e t der.
soude la communauté. Pas de composition voulue. nière. Aussi peut-eile mettre un - ire aitornel sur
des espaces iitres. e 2 1 s a : es tra
cés des forets de cha qu ermet- .

tent de se rerdre 3 r e n t d'un

point à ua aatit eD aupant le
paralleiisme des 2as stieres. En
somne, ies diagonzie tTiineiiemenat
tracées dans es K.. t27Tes des
jardins Renaissance. snt devenues.
àa cette èpoqu?. its iignes naitresses
************
de la composition: derrière elles, le
quadrillage. par ui Se compl te
cette composition. s'esiompe. Tra-
cé d'espaces iibres e tacé de luxe,
le tracé elassique est expression,
sur le soB urbain. de a vie propre
à l'elite qui guide ia civilisation de
ce temps. à la umière du soleil
royal; ce sont des raies de lumière
tombant d'en haut. »

Bientot. le decor pur apparait

avec
la place des Victoires et surtout la
place Vendôme veritables por-
tants de théâtres sans
et avec la floraison des
habitants
projets de
Places en l'honneur de Louis XV .
1. Le tracé se subordonne au décor
Noter la
I1.-MaRSEILLE. Schéma d'aménagement par J. Greber et non aux localisations, puis les tra-
souplesse des tracés, qui
cherchent à créer plusieurs centres
et à éviter la congestion vers le Vieux Port. cés s'allongeant trop, il faut aban-
donner le décor de bordure. l'entou-
pas de tracé en soi, mais simplement une mise en rage se réduit, n'est plus représenté
que par un « jaonnement discontinu> déléments
valeur des volumes, dans des raccourcis saisissants,
un esursum corda> de l'homme total.
décoratifs de plus en plus horizontaux; enfin, le
tracé tend à se ramener à une
simple expression
Nous atteignons à la fois l'un des sommets de schématique qui n'est perceptible qu'en plan.
l'art urbain: celui de l'architecture organique, et Nous y avons gagné une méthode
le sommet de l'élre urbain: celui de communion. des grandes villes caractérisée d'organisation
A la
Renaissance (12), l'intervention de
parl'ampleur des
conceptions, les vues d'ensemble, l'ouverture de
la ligne
droite, les schémas géométriques destinés à per l'espace, mais la forme va peu à peu se séparer de
mettre aux « bâtons à feu » de « battre tout droit», la vie urbaine. Fait
pour de vastes espaces libres,.
le goût du syst me commencent à raidir, puis à ou des décors
somptueux, l'art urbain ne classique
supprimer les formes organiques. La Réforme, en peut conserver son apoge urbaine que durant un
privant l'occidental du soutien des symboles, crée court moment et dans des
un art véritablement décharné. Toutefois, la
compositions limitées.
systé- Il va perdre sa chair. puis
matisation du radio-concentrique ne touche que jalon-
nement, pour n'être plus qu'un schéma commode
son rythme de
quelques villes forteresses et les quartiers neufs. et
On ne commet pas encore la faute des modernes
qui agrandiront les schémas des « ingénieulx ita- (13) Nous employons à dessein le
liens> à l'échelle des mot « chiffre », car
métropoles. Mais c'est le début les nombres » avaient pour les
pythagoriciens,
pour les Sages de lInde ou de comme
la Chine, en plus de
leur valeur mathé matique, valeur
(12) Cf. Notre article sur « l'Art urbain et l'Art mili- valeur ésotérique.
une symbolique et une

taire à la Renaissance » (Architecture

d'aujourd'hui,
septembre 1939) et Pierre sur Pierre, p. 171. (14) Vie urbaine. N* 34. Marcel Poëte. «La Leçon
classique ».
 DIVORGE ENTRE LA FORME ET L'ÈTRE

rationnel de distribution de terrain, un tracé de dans des voies qui ne lui étaient point destinées,
tech-
colonisation. En l'an IV, le «Plan des Artistes », va faire naitre son urbanisme propre, simple
dù principalement à Verniquet et Charles de Wailly, nique d'élargisement calibré, de grandes courbes,
de girations et de feuilles de trèsle. Cette fois l'art
sanctionne sa nouvelle application
tion violente 'une forme à un étre préeristant.
superposi- urbain se réduit à filer des bordures de trottoir et
Et c'est à cette époque que cet art, essentielle- si, en pleine campagne, certaine route, par ses re#l-

ment français, va se diffuser dans le

monde entier.

En France, il ne s'agit plus que de

combinaisons géométriques de plans;
volumes et plantations sont négligés,
puis oubliés. Avec Napoléon III et
Haussmann, aux gestes indissociables, **********
une méthode de découpage de grande
envergure entre en vigueur. Après
***
*********
leur intervention, il suffit de compa-
rer le plan de Paris à ceux des au
tres capitales pour y voir briller la
clarté française (15). Mais à quel
prix! Nous avons dit, ailleurs, suffi-
samment de bien de l'esprit urbaniste
de Napoléon III pour avouer qu'ici
c'est surtout « l'artilleur > et «l'admi-
nistrateur» qui ont agi. Nóus sommes
au début du phénomène d'urbanisa- "
tion. La capitale est en rapide crois-
sance, aussi ses blessures se réparent-
elles vite, tout au moins dans l'ordre
économique, car la spéculation immo
bilière souffle en poupe, mais, en ce
qui concerne les cadres humains, les FIG, 12. -

MARsEILLE. Comparer ce schéma avec le précédent. Ici, plan

communautés locales qu'ils formaient rigide, oublieux de la topographie et surtout exaltation du plan en
à lintérieur de la ville, les désastres éventail créant une congestion impossible à résorber vers le Vieux
sont irrémédiables. Il n'y a pas là Port. Type de plan « Prix de Rome ». Belle image, transposant
un

vraiment une chirurgie respectant les schéma qui convient pour une petite ville forteresse à l'échelle d'une
l'urbanisme.
organes, mais de grands coups de sa- capitale régionale. C'est de l'affche, ce n'est pas de
bre impérialistes.
Bientot, c'est l'Egout qui est roi.
Enterré, il échappe à la vue. Avec lui, l'art urbain, blais,ses tranchées,
ses
profils, peut ajouter
un
de son côté, échappe de plus en plus aux artistes élément heureux au site, en ville, par contre, nous
de-
pour devenir un art mineur de canalisations sou-
voyons confondre les tracés d'alignement (qui
vront être générateurs des volumes) avec ceux des
terraines.
bordures de trottoirs! Par une heureuse réaction, on
de 1914, la reconstructioon
Après la guerre propose, sans avoir guère pu l'appliquer, la sépa-
quasi sans contrôle des
régions dévastées ne
ration de la voie et des volumes.
rencontre qu'une opinion et des hommes de l'Art
non préparés. On transformecertes villes et villages en De plus en plus abstraite, de plus en plus schéma-
banlieues désespérées. Il y a accord entre le tique dans son expression, la ville n'apparait plus
désordre des esprits et des c e u r s et le désordre de que comme un simple assemblage de tuyauteries,
T'Art urbain. mais, sous-jacent à ce désordre-qu'es de circulations distributrices d'automobiles, de
saie en vain de maintenir le capitalisme historique chiffres» grouillants et pressés.
un nouvel ordre aurait pu chercher son expres- Lors des premières études en vue de la recons-
sion formelle. truction présente des villes sinistrées, les tendances
Pendant vingt ans, l'urbanisme balbutiant essaie techniques s'affrontent. Les géomètres retrouvent
de se définir, mais ne s'élève guère au-dessus des leur place à la base, celle des graphiques exacts;
de géomètres. Par un jeu normal de balance, restent face à face les architectes constructeurs, les
fracés
il a fait surgir la réaction de Le Corbusier: l'exa gardiens des Monuments Historiques et les ingé-
nieurs des Ponts et Chaussées.
gération en hauteur.
Si le chemin de fer avait sectionné les villes par Ce premier rodage, obligatoire, fut fructueux, mais
Ses lourdes barrières, l'automobile, s'introduisant ne conduisit pas toutefois à sortir de l'urbanisme
formel. Chacun l'emportait à tour de rôle et le seul

(15) Cf. Problèmes d'urbanisme, fig. 6, 7, 8, 9. arbitrage possibe, celui du géographe-sociologue,

12 LE NOUVEL, URBANISME
n'était pas évoqué; d'une part, en effet, il n'existe
pas de programme général d'aménagement du terri-
toire, et, d'autre part, on ignora volontairement les
méthodes révélant le visage de chair et d'âme de
chaque être urbain. On accoucha de compromis et
non de synthèses.
Le Nouvel Urbanisme doit fournir cet arbitrage et
déterminer, en conséquence, les nouvelles formes
souples qui permettront le passage du monde actuel
au monde futur et l'adaptation de la vie sociale à
ce dernier. L'Extrême-Orient et l'Art Classique nous
offriront leur leçon distribution rationnelle
l'espace, avec stabilité de certaines structures de
et
liberté biologique pour le développement de
tat. La Grèce nous rappellera la soumission lhabi-
au site,
le juste rapport indispensable entre les éléments e
chaque groupe social fédéré dans la cité. Enba
nous tenterons d'approcher de la communauté a
diévale, en traifant biologiquement chaque grenpe
social de formation naturelle qui entre dans la
co
position de la ville, et spirituellement chaque nité
composante,

SALON
DES
URBANISTES

somme, vous ne coBserve ron da l'oncien vlage ?

S. i'al garde les vieus points cardinax.

FIG. 13. L a table rase!

ou La postérité de Descartes.