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Questions de géographie de la population | Pierre George
CHAPITRE VIII
Le peuplement dans
les pays d’économie
agricole dominante
p. 201-216
Texte intégral
1 La répartition spatiale de la population est un fait
d’économie en ce sens qu’un pays d’économie agricole
dominante est caractérisé par un peuplement rural
diffus, qui se prête mal aux fortes concentrations de
plus d’une centaine de milliers d’individus. Au
contraire, le développement d’une économie
industrielle a pour double conséquence le foisonnement
de réseaux urbains de production dans les régions
industrialisées et la création de villes-marchés d’un type
nouveau dans les pays non industrialisés, où l’on va
chercher des matières premières et où l’on vend des
produits industriels. Les villes-marchés sont en forte
majorité des villes-ports formant autour des régions
sous-développées des guirlandes périphériques.
2 Mais c’est aussi un fait de civilisation dans la mesure où
des formes d’économie comparables engendrent des
types distincts d’implantation et de répartition de la
population. Il peut y avoir, dans certains cas, solidarité
intime d’une structure économique et d’un mode
d’implantation de la population, que l’on retrouve
toujours associé à cette structure économique. Le
nomadisme engendre l’habitat urbain en ce sens qu’une
population mobile a besoin de s’accrocher à un petit
nombre de points fixes pour y effectuer ses échanges
avec tout ce qui est extérieur au monde nomade. Il ne
donne évidemment pas lieu à un habitat rural
permanent. Pas de stade de transition entre la tente et la
ville, siège de l’autorité, du commerce, de l’artisanat,
élément indispensable dans la vie du nomade, mais
aussi objet de permanente convoitise et de fréquente
destruction. Le plus généralement, une société agricole
possède sa propre forme de répartition de la population,
qui peut être un pullulement de villages s’identifiant
avec une unité patriarcale ou un réseau de centres de
peuplement rassemblant par des synœcismes la
population d’unités sociales différentes, créant les
conditions d’une vie civique et posant le problème de la
différenciation des gros villages et des villes, ou encore
un éparpillement d’exploitations individuelles.
Citadins et ruraux
6 Les structures sociales et politiques interviennent
fortement aussi. Selon que la structure foncière, selon
que le pouvoir politique sont plus ou moins
démocratiques, le peuplement est plus ou moins diffus
et plus ou moins homogène. Une structure
aristocratique engendre l’opposition entre une masse
paysanne vivant dans des villages de serfs domaniaux,
d’ouvriers agricoles ou surtout de petits locataires « à la
part », et des villes où vivent les propriétaires,
nourrissant par leurs dépenses des effectifs élevés de
« clients », de serviteurs, de fonctionnaires et de
militaires, dans la mesure où le pouvoir s’identifie avec
la possession de la terre, de commerçants et d’artisans.
La séparation fonctionnelle est alors radicale. Le paysan
ne garde par-devers lui que trop peu de disponibilités,
en dehors de ce qui est nécessaire pour assurer sa vie
matérielle, pour pouvoir entretenir par ses dépenses
une collectivité, même mince, d’artisans ou de
marchands. Le village se compose presque
exclusivement de paysans ; 10 % au plus de la
population exercent d’autres activités. Au contraire, la
ville, qui vit des prélèvements réalisés sur le revenu
agricole, rassemble toutes les activités non
agricoles — ce qui n’exclut d’ailleurs pas la présence de
faubourgs agricoles, qui peuvent être des lieux de
résidence de paysans travaillant le terroir, ou des lieux
d’accumulation de ruraux déracinés qui vivent d’une
économie mixte très misérable de squatters ruraux de
friches et de terrains vagues, et de parasites urbains. À
d’importantes nuances régionales près, ce tableau
général est celui du peuplement de l’Asie tropicale et de
la Chine jusqu’au milieu du siècle. Malgré l’importance
des prélèvements de richesse sur le revenu agricole, les
villes ne groupent qu’une fraction très faible de la
population et sont généralement petites. Le
foisonnement de la vie en plein air, l’étalement
d’habitations sans étage et à cour exagèrent
l’impression de pullulement humain et d’importance
urbaine. Et, surtout, l’image des villes d’Asie est presque
toujours une image déjà modifiée par les relations de
type colonial ou semi-colonial qui ont accéléré la
construction urbaine.
7 Si l’on veut trouver un facteur commun à des économies
sous-développées dont la population se répartit
spatialement différemment selon les structures sociales
et les conjonctures historiques, c’est dans l’examen des
pourcentages de population agricole plutôt que dans
ceux de population rurale qu’il faudra le chercher.
Notes
1. Désormais Hwange.