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Invariants de similitude (Décomposition de Frobenius)

Référence : Gourdon Algèbre, Annexe B, section 2

Soit E un K-espace vectoriel de dimension finie et f ∈ L(E). Alors il existe une suite F1 , . . . , Fr
de sous-espaces de E tous stables par f tels que :
1. E = F1 ⊕ · · · ⊕ Fr
2. Pour tout i, f |Fi est cyclique
3. Si on note Pi le polynôme minimal de f |Fi , on a pour tout i, Pi+1 |Pi .
La suite des polynômes P1 , . . . , Pr ne dépend que de f , et non des sous-espaces choisis. On les
appelle les invariants de similitude de f .
On commence par poser quelques notations et un lemme.
Notation 1. Pour tous x ∈ E et f ∈ L(E), on note :
— Ex = {P (f )(x) | P ∈ K[X]} (sous-espace de E)
— Px le générateur unitaire de l’idéal {P ∈ K[X] | P (f )(x) = 0}
— Πf le polynôme minimal de f
On remarque immédiatement que pour tout x, on a Px |Πf .
Lemme 2. (Preuve à la fin) Pour tous f ∈ L(E), il existe x ∈ E tel que Px = Πf .
Revenons à la preuve du théorème initial :
Démonstration. — Pour prouver l’existence de cette décomposition, on pose k = deg(Πf ) et on se
donne x ∈ E tel que Πf = Px . On peut alors vérifier que le sous-espace Ex de E est stable par
f , et qu’il est de dimension k ; la famille des (ei )i∈[[1;k]] où, pour tout i, ei = f i−1 (x), en est alors
une base.

Alors on note F = Ex , et on complète cette base en une base B = (e1 , . . . , en ) de E. On note


B ∗ = (e∗1 , . . . , e∗n ) la base duale associée, et on note Γ = {e∗k ◦ f i | i ∈ N} (sous-espace de E ∗ ), et
G = Γ◦ son orthogonal au sens de la dualité. G est alors l’ensemble des vecteurs y ∈ E tels que
pour tout i ∈ N, la k-ième composante de f i (y) dans la base B est nulle. On vérifie facilement
que G est stable par F .

Montrons que E = F ⊕ G :
— Soit y ∈ F ∩ G et supposons y 6= 0. Alors y s’écrit y = a1 e1 + · · · + ap ep avec ap 6= 0 et p ≤ k.
Et d’autre part, pour tout i ∈ N, la k-ième composante de f i (y) est nulle. En particulier, pour
i = k − p, on a f k−p (y) = a1 ek−p+1 + · · · + ap ek , et on devrait alors avoir ap = 0 ; on a donc
une contradiction. Alors y = 0. Donc F ∩ G = {0}.
— Notons que comme G = Γ◦ , alors G = Vect(Γ)◦ . On va alors montrer que dim(Vect(Γ)) = k,
et par le jeu des dimensions et de l’orthogonalité, on aura dim(F ) + dim(G) = k + (n − k) =
n = dim(E). Considérons l’application linéaire suivante :

{Q(f ) | Q ∈ K[X]} → Vect(Γ)
ϕ:
Q(f ) 7→ e∗k ◦ Q(f )

Par définition de Vect(Γ), ϕ est surjective. De plus, on peut vérifier qu’elle est injective : si
e∗k ◦Q(f ) = 0, alors si on suppose que Q(f ) 6= 0, on peut écrire Q(f ) = a1 idE +· · ·+ap f p−1 (avec
ap 6= 0 et p ≤ k = deg(Πf )). Alors 0 = (e∗k Q(f ))(f k−p (x)) = e∗k (a1 f k−p (x)+· · ·+ap f k−1 (x)) =

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e∗k (a1 ek−p+1 + · · · + ap ek ) = ap , ce qui est absurde.
Finalement, ϕ est un isomorphisme. Comme {Q(f ) | Q ∈ K[X]} a pour dimension deg(Πf ) = k,
alors dim(Vect(Γ)) = k et on a notre résultat.

On a donc deux sous-espaces F et G stables par F et de somme directe E. On pose P1 = Πf |E =


Px = Πf , et P2 = Πf |G . Alors on a directement P2 | P1 . De plus, f est bien cyclique sur F par
construction de la base B. Il suffit d’appliquer récursivement cette méthode à G et f |G et on a la
décomposition voulue (du fait que la dimension de l’espace considéré décroît strictement).

— Pour prouver l’unicité, supposons, supposons qu’il existe deux familles de sous-espaces F1 , . . . , Fr
et G1 , . . . , Gs tous stables par f et vérifiant les conditions demandées. Pour tous i et j, on pose Pi =
Πf |Fi et Qj = Πf |Gj . Supposons que les familles (P1 , . . . , Pr ) et (Q1 , . . . , Qs ) soient différentes,
et on note j le premier indice tel que Pj 6= Qj (un tel indice existe toujours même si r 6= s, car
Pr Ps
deg(Pi ) = n = deg(Qj )).
i=1 j=1

Comme E et les Fi sont stables par f et que, pour k ≥ j, on a Pj (f )(Ek ) = 0 (ceci vient des
relations de divisions entre polynômes), déduit de E = F1 ⊕ · · · ⊕ Fr que Pj (f )(E) = Pj (f )(F1 ) ⊕
· · · ⊕ Pj (f )(Fj−1 ). De plus, par stabilité des Gj et de E par F , on déduit de E = G1 ⊕ · · · ⊕ Gs
que Pj (f )(E) = Pj (f )(G1 ) ⊕ · · · ⊕ Pj (f )(Gs ).

Pour tout i ∈ [[1; j − 1]], par définition de j, f |Fi et f |Gi ont le même polynôme minimal, et
sont cycliques respectivement sur Fi et Gi ; alors il existe une base Bi de Fi et une base Bi0 de
Gi dans lesquelles les matrices respectivement de f |Fi et f |Gi coïncident (il suffit de prendre les
matrices compagnons associées aux polynôme minimaux Pi et Qi , qui sont égaux). Alors pour
tout i ∈ [[1; j − 1]], on a dim(Pj (f )(Fi )) = dim(Pj (f )(Gi )) ; alors on a 0 = dim(Pj (f )(Gj )) = · · · =
dim(Pj (f )(Gs )). La première égalité donne que Qj | Pj . Et par symétrie de leurs rôles, on montre
de même que Pj |Qj . Comme ces polynômes sont unitaires tous les deux, ils sont égaux, ce qui est
absurde.

Finalement, on a bien r = s et l’unicité de la famille de polynômes.

Prouvons maintenant le lemme :


Démonstration. Soit f ∈ L(E).
— On peut d’abord montrer que si x et y vérifient Ex ∩ Ey = {0}, alors Px+y = ppcm(Px , Py ). En
effet :
On a Px+y (f )(x + y) = 0, donc Px+y (f )(x) = −Px+y (f )(y). Or, ces éléments sont dans Ex ∩ Ey
d’après cette égalité. Donc ils sont nuls. Alors on a Px | Px+y et Py | Px+y . Donc ppcm(Px , Py ) | Px+y .
Or, ppcm(Px , Py )(f )(x) = ppcm(Px , Py )(f )(y) = 0 (car ce polynôme est divisible par Px et Py ),
donc ppcm(Px , Py )(f )(x + y) = 0. Alors Px+y | ppcm(Px , Py ). Finalement, on a l’égalité. Par ré-
currence, on peut aussi montrer que ce résultat est vrai pour p vecteurs tels que les sous-espaces
Exi soient en somme directe.
— Si x et y sont tels que Px et Py sont premiers entre eux, alors on peut montrer que Ex+y = Ex ⊕Ey .
En effet :
On montre d’abord que Ex ∩ Ey = {0}. Si on se donne un z ∈ Ex ∩ Ey , alors il existe P et Q
tels que z = P (f )(x) = Q(f )(y). Alors 0 = P (f ) ◦ Px (f )(x) = Px (f ) ◦ P (f )(x) = Px (f )(z) =
(Px Q)(f )(y) = 0. Alors Py |Px Q, et d’après le théorème de Gauss, on obtient que Py |Q. Donc
z = Q(f )(y) = 0.
De plus, Px+y = Px Py d’après ce qui précède, donc dim(Ex+y ) = deg(Px+y ) = deg(Px ) +
deg(Py ) = dim(Ex ) + dim(Ey ). Donc on obtient Ex+y = Ex ⊕ Ey . Par récurrence, cela se gé-
néralise à p vecteurs tels que les Pxi sont 2 à 2 premiers entre eux.
— Si M est un facteur irréductible de Πf de multiplicité α, alors il existe x ∈ Ker(M α (f )) tel que
Px = M α . En effet :
Le polynôme Πf s’écrit alors Πf = M α N où N est premier avec M , donc avec M α . Alors d’après le

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lemme des noyaux, E = Ker(M α (f ))+Ker(N (f )). Alors pour tout x ∈ Ker(M α (f )), on a Px | M α ,
et comme M est irréductible, cela signifie pour chacun de ces x l’existence d’un entier βx ≤ α tel
que Px = M βx . On se ramène alors à montrer qu’il existe x ∈ Ker(M α (f )) tel que βx = α. Si
on procède par l’absurde, alors on suppose que pour tout x ∈ Ker(M α (f )), on a βx < α. Ainsi,
pour tout x ∈ Ker(M α (f )), on a Px | M α−1 . Donc Ker(M α (f )) = Ker(M α−1 (f )). Donc E =
Ker(M α−1 (f )) + Ker(N (f )) ; alors toujours d’après le lemme des noyaux, E = Ker(M α−1 N (f ),
donc M α−1 N (f ) = 0, ce qui contredit la minimalité de Πf . D’où le résultat.
— Il suffit maintenant d’appliquer ce qui précède : on se donne la décomposition en facteurs irré-
l
α (f )
Miαi . Alors pour chaque facteur Mi , on trouve un xi ∈ Ker(Mi i ) tel
Q
ductibles de Pf =
i=1
que Pxi = Miαi . On pose x = x1 + · · · + xl . D’après ce qui précède, Ex = Ex1 ⊕ · · · ⊕ Exl , donc
l l
Miαi = Πf .
Q Q
Px = Pxi =
i=1 i=1

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