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Deux siècles d'esclavage

au Québec

Marcel Trudel
avec la collaboration de Micheline D Allaire

CAHIERS DU QUÉBEC Q COLLECTION HISTOIRE


HMH ■ ■
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Kahle/Austin Foundation

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Collection Histoire
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Fernand Ouellet Marcel Trudel


Eléments d'histoire sociale du Dictionnaire des esclaves et de
B as-Canada leurs propriétaires au Canada
français
L’Hôtel-Dieu de Montréal
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La Noblesse de Nouvelle-France
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Familles et alliances
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et patriote canadien, 1779-1854. Jean-Marc Larrue
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Le Monument-National
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1893-1993
Le Clergé et le pouvoir politique
du Québec Evelyne Kolish
Nationalismes et conflits de
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droits. Le débat du droit privé au
Une idéologie québécoise de Louis-
Québec, 1760-1840
Joseph Papineau à Pierre Valli'eres
Lorraine Gadoury
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La Famille dans son intimité.
Montée et déclin d'unefamille
Echanges épistolaires au sein de
noble: les Ruette d’Auteuil
l’élite canadienne du XVIIIe siècle
(1617-1737)
Marcel Trudel
Marcel Trudel
Les Ecolières des Ursulines de
Catalogue des immigrants
Québec, 1639-1686
1632-1662
Amérindiennes et Canadiennes
Micheline D’Allaire
Marcel Trudel
Les Dots des religieuses au
Mythes et réalités dans l'histoire
Canada français, 1639-1800
du Québec
Michel Grenon et al.
Marcel Trudel
L’Image de la Révolution
La Nouvelle-France par les textes
française au Québec
Les cadres de vie
Deux siècles d'esclavage
au Québec
Cahiers du Québec
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Marcel Trudel
O.C., C.Q., D. ès L.
de l’Académie des lettres du Québec
professeur émérite de l’Université d’Ottawa

avec la collaboration de Micheline D’Allaire

Deux siècles d'esclavage


au Québec

suivi du :
Dictionnaire des esclaves
et de leurs propriétaires
au Canada français
sur CD-ROM

Thomas J. Bata Library


TRENT UNIVERSITY
PETÊftBOF

CAHIERS DU QUÉBEC jjjj COLLECTION HISTOIRE


IHMiH
Catalogage avant publication de la Bibliothèque nationale du Canada
Trudel, Marcel, 1917-
Deux siècles d’esclavage au Québec
Nouv. éd.
(Les cahiers du Québec; CQ_139. Collection Histoire)
Publ. antérieurement sous le titre: L’esclavage au Canada français. Québec:
Presses universitaires Laval, 1960.
Doit être acc. d’un disque optique d’ordinateur ayant pour titre : Dictionnaire
des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français.
Comprend des réf. bibliogr. et un index.
ISBN 2-89428-742-9
1. Esclavage- Québec (Province) - Histoire. 2. Esclavage - Canada - Histoire.
3. Esclavages indiens d’Amérique - Québec (Province) - Histoire. 4. Esclaves -
Québec (Province) - Biographies - Dictionnaires français. 5. Propriétaires d’esclaves
— Québec (Province) - Biographies - Dictionnaires français. I. Titre. IL Titre:
L’esclavage au Canada français. III. Titre: Dictionnaire des esclaves et de leurs
propriétaires au Canada français. IV. Collection: Cahiers du Québec; CQ_139. V.
Collection: Cahiers du Québec. Collection Histoire.
HT 1051 ,T7 2004 2004 306.3’62’09714 C2004-940421-0

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hquebec@noos.fr
ISBN : 2-89428-742-9
Dépôt légal : 2e trimestre 2004
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Bibliothèque nationale du Canada
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Table des matières

préface.

AVANT-PROPOS. il

INTRODUCTION. 13

Un nègre chez Guillaume Couillart. 13


Les Amérindiens seront-ils traités comme bois d’ébène ? 16
Les premiers Amérindiens esclaves. 21
L’arrivée des Amérindiens esclaves. 23

CHAPITRE PREMIER / ON VEUT DES NÈGRES. 31

Des nègres pour le Canada. 32


L’autorisation de Louis XIV. 34
Pas même un nouvel esclave noir chaque année. 37
Le bois d’ébène trop dispendieux pour les Canadiens ?. 40
Bégon plaide pour une cargaison de nègres. 43
Nouvelle autorisation d’une cargaison de nègres. 45

CHAPITRE II / LA LÉGALISATION DE L’ESCLAVAGE. 49

Les garanties des propriétaires d’avant 1709?. 49


L’intendant Raudot et la légalisation de l’esclavage en 1709 ... 52
Louis XV et l’esclavage amérindien. 55
L’Amérindien esclave, article d’exportation?. 60
Un Noir est esclave où qu’il se trouve. 65
La capitulation de 1760 et le maintien de l’esclavage. 66

CHAPITRE III / PRÈS DE 4200 ESCLAVES AU QUÉBEC. 69

Les difficultés d’un dénombrement. 69


Près de 2700 Amérindiens esclaves. 73
Des Panis en abondance. 76
Autres esclaves de la vallée du Mississippi. 78
Un contingent d’esclaves de l’Ouest. 79
Esclaves des Grands Lacs. 80
Des esclaves des nations du Nord. 83
L’éloignement du pays d’origine, une garantie. 84
Au moins 1443 Noirs. 84
Un peu moins de 4200 esclaves au Québec. 90
La répartition géographique des esclaves. 93
Deux siècles d’esclavage au Québec

CHAPITRE IV / LE MARCHÉ AUX ESCLAVES. IOI

Les esclaves comme biens meubles. ioi


Même un baptisé peut devenir un bien meuble. 103
Diverses occasions d’acquérir des esclaves. 105
Marché public et ventes à l’enchère. 107
Un marché peu actif. no
À la recherche d’une marchandise saine. ni
Une marchandise jeune. 113
Le noir plus dispendieux que le rouge. 114
On s’endette pour un esclave. 116
Parfois de mauvaises affaires. 117

CHAPITRE V / DES PROPRIÉTAIRES À TOUS LES ÉCHELONS


DE LA SOCIÉTÉ. 123

Des propriétaires francophones. 123


Hauts fonctionnaires du Régime français. 125
Hauts fonctionnaires du Régime anglais. 127
Les commerçants en tête des propriétaires. 128
Au sein des professions libérales. 130
Les gens d’Eglise et les esclaves. 134
Qui sont les « grands » propriétaires ?. 140

CHAPITRE VI / LES CONDITIONS DE VIE DES ESCLAVES. 143

Législation et protection de l’esclave au Canada. 143


Des esclaves traités en enfant adoptifs ?. 147
Lecture et écriture chez les esclaves. 149
L’apprentissage d’un métier. 132
La tenue vestimentaire. 137
Des esclaves à l’hôpital. 164
L’esclave meurt jeune. x66
Les rares esclaves de 70 ans et plus. 170
L’inhumation des esclaves. 172
L’attachement aux maîtres. 176

CHAPITRE VII / LES ESCLAVES ET LES SACREMENTS. 183

Le baptême tardif de certains esclaves. 183


80% des esclaves sont baptisés. 187
Le baptême : un événement social. 189
Des esclaves parmi les parrains et marraines. 194
Les prénoms les plus communs. xgô
Le sacrement de confirmation. ^7
La communion. xçç
Les autres sacrements. ,nn
Table des matières 9

CHAPITRE VIII / CRIMES ET CHÂTIMENTS. 203

Les insoumis. 204


Pour le vol, la potence.,. 207
Aux galères pour avoir violenté une fille. 212
Pendue pour avoir frappé ses maîtresses à coup de couteau ... 215
Deux homicides dus à des Panis. 217
L’incendie de Montréal. 219
Crimes des esclaves, actes isolés. 222

CHAPITRE IX / L’ESCLAVE A-T-IL DES DROITS D’HOMME LIBRE ?. . . 227

L’esclave comme témoin. 227


Une esclave se prétend libre.. 228
Une Noire se réclame de la capitulation... 236
La même justice pour les esclaves. 239
Des esclaves au nom de famille québécois. 242
Les conditions de la Uberté. 244
L’affranchi. 247

CHAPITRE X / DE LA DÉBAUCHE ET DU MARIAGE. 255

À propos de « baisons de débauche ». 255


Une majorité d’enfants illégitimes. 257
Des Québécois pour pères ?. 260
Le bâtard est esclave comme sa mère . .. 262
Le mariage des esclaves. 265
Au mariage, mêmes exigences. 268
Les enfants appartiennent au propriétaire de la mère. 270
Les mariages entre esclaves. 273

CHAPITRE XI / LES CANADIENS ONT-ILS DU SANG D’ESCLAVES ?. . . 279

« Que les Indiens et les Français ne fassent qu’un même sang». 279
Mariages entre Canadiens et Noirs ou Amérindiens. 284
Métis et mulâtres. 288
Du badinage sur un problème agaçant. 292

CHAPITRE XII / LES ESCLAVES DISPARAISSENT UN À UN. 295

Une propagande contre l’esclavage. 295


Un projet de loi contre l’esclavage. 299
Le Haut-Canada interdit l’importation d’esclaves. 302
Le juge en chef ne reconnaît pas l’esclavage. 304
Les propriétaires s’adressent à la Chambre d’assemblée. 308
La Chambre d’assemblée refuse encore de se prononcer. 313
L’esclavage disparaît avant l’abohtion officiebe. 316
IO Deux siècles d’esclavage au Québec

conclusion. 323

BIBLIOGRAPHIE . 347

ŒUVRES DE MARCEL TRUDEL. 363

ANNEXE
DICTIONNAIRE DES ESCLAVES
ET DE LEURS PROPRIÉTAIRES AU CANADA FRANÇAIS. 367
Introduction. 367
Additions et modifications au Dictionnaire des esclaves et de leurs
propriétaires au Canada français (sur CD-ROM). 369

INDEX. 383
Avant-propos

I l y a plus de quarante ans, je faisais paraître une Histoire


de l’esclavage au Canada français. Je promettais alors de
publier à sa suite un dictionnaire biographique de ces
esclaves amérindiens ou noirs que nous avions tenus en
servitude aux XVIIe et XVIIIe siècles : or le manuscrit de
900 pages disparut dans un incendie avec une partie de
la documentation. Reprenant beaucoup plus tard recher¬
ches et rédaction, je pouvais enfin en 1990 publier un
Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires, qui a déjà
connu deux éditions.
Cette année, mon éditeur a entrepris de mettre à la
disposition des lecteurs une édition revue et mise à jour
de mon Histoire de l’esclavage, sous le titre de Deux siècles
d’esclavage au Québec, en y attachant, sur un CD-ROM,
le Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires. Cette
édition correspond toujours à ce qu’on appelait « Canada
français», c’est-à-dire le Québec actuel augmenté de
territoires qui ont jadis dépendu des autorités québé¬
coises.
Pour respecter la chronologie de l’histoire, nous
devrons utiliser diverses appellations du territoire (et de
ses habitants) que les Québécois d’aujourd’hui voient,
grosso modo, comme étant le Québec. Mais nous devrons
12 Deux siècles d'esclavage au Québec

parler de Nouvelle-France ou d’Ancien régime pour


évoquer ce qui couvrait presque toute TAmérique du
Nord avant 1760. Traitant de la période 1760-1791, nous
parlerons de Régime anglais puisque la «province de
Québec » englobait encore une vaste étendue qui, d’abord
réduite en 1764 aux deux rives du Saint-Laurent, retrouve
bientôt en 1774 une superficie qui s’étend du Labrador au
confluent de l’Ohio et du Mississippi : peuplée surtout
de francophones et d’une minorité anglophone, les habi¬
tants en étaient dits «Canadiens». Lorsque nous traite¬
rons des années 1791-1840, nous devrons encore, en toute
logique, pour désigner les habitants, parler de « Canadiens
français» et non de «Québécois», cette dernière appel¬
lation n’étant que d’usage récent pour qualifier ceux qui
habitent la province de Québec. Toutefois, s’il nous arrive
de parler du Québec, avant 1867, le lecteur comprendra
que l’on se réfère globalement à un État actuel dont l’his¬
toire est faite de périodes diversement nommées et à un
territoire qui a subi plusieurs modifications.
En présentant ce livre, je tiens à signaler l’important
travail qu’y a apporté l’historienne Micheline DAllaire :
en raison de conditions particulières qui me sont surve¬
nues, cette édition n’aurait pu s’exécuter sans son essen¬
tielle participation.

Marcel Trudel
avril 2004
Introduction

M is à part son abolition officielle en 1834 dans


l’Empire britannique, l’esclavage prend fin au
Québec à un moment qu’il est impossible de préciser :
nous constatons simplement que vers les années 1810-
1820, nous ne pouvons plus guère identifier d’esclaves.
Quand cet esclavage avait-il commencé? Les premiers
esclaves sont tellement rares qu’on ne pourrait en situer
la pratique générale qu’à partir des années 1680. Il y eut
donc deux étapes : d’abord l’apparition de quelques indi¬
vidus en esclavage, puis la servitude qui devint une insti¬
tution régulière dans la société de la Nouvelle-France
et qui se perpétua jusque dans le premier quart du
XIXe siècle.

Un nègre chez Guillaume Couillart

Le premier esclave que nous puissions identifier en


Nouvelle-France est un négrillon amené ici par les Kirke
en 1629, lors de l’occupation anglaise du Saint-Laurent.
Il venait de Madagascar ou, selon une autre version, de
la Guinée ; mais peu importe ici le lieu d’origine, puisque
cela ne change rien à la servitude. Propriété de l’un des
trois frères Kirke, le négrillon est vendu pour la somme
14 Deux siècles d’esclavage au Québec

de 50 écus (150 livres : l’équivalent de 6 mois de salaire


d’un homme de métier) à Le Baillif, commis français
qui s’était donné aux Anglais. En juillet 1632, lorsque
ceux-ci mettent un terme à leur occupation, Le Baillif
fait cadeau du petit Noir à Guillaume Couillart.
Son nouveau maître le mit à l’école du jésuite Le
Jeune. Ce missionnaire écrit en 1632 : «Je suis devenu
régent en Canada, j’avais l’autre jour un petit Sauvage
d’un côté, et un petit Nègre1 ou Maure, de l’autre, auxquels
j’apprenais à connaître les lettres. Après tant d’années de
régence, me voilà enfin retourné à l’A, B, C, mais avec
un contentement et une satisfaction si grande, que je
n’eusse pas voulu changer mes deux écoliers pour le plus
bel auditoire de France.» Le Père Le Jeune inaugurait
ainsi l’enseignement des Jésuites dans la vallée du Saint-
Laurent, ayant pour premiers élèves un Amérindien et
un négrillon.
Le professeur ne manque pas de s’amuser de la
naïveté de son petit Noir :

Nous l’avions pris, écrit-il, pour l’instruire et le baptiser,


mais il n’entend pas encore bien la langue, voilà pour¬
quoi nous attendrons encore quelque temps. Quand
on lui parla du baptême il nous fit rire, sa maîtresse
[Guillemette Hébert, femme de Guillaume Couillart]
lui demandant s’il voulait être Chrétien, s’il voulait être
baptisé, et qu’il serait comme nous, il nous dit qu’oui :
mais il demanda si on ne l’écorcherait point en le bapti¬
sant, je crois qu’il avait belle peur : car il avait vu écor¬
cher ces pauvres Sauvages. Comme il vit qu’on se riait
de sa demande, il repartit en son patois comme il peut.
[...] Vous dites que par le baptême je serai comme vous,
je suis noir et vous êtes blancs, il faudra donc m’ôter
la peau pour devenir comme vous; là-dessus on se mit
encore plus à rire, et lui voyant bien qu’il s’était trompé,
se mit à rire avec les autres.
Introduction 15

Enfin, en 1633, et sans se faire écorcher, le négrillon


devint comme un Blanc par le baptême : on lui donna
le prénom d’Olivier, en l’honneur du commis général
Olivier Le Tardif; et c’est peut-être à partir de ce
moment que le Noir porte un nom de famille, Le Jeune,
à cause de son père spirituel, le jésuite Lejeune.
Le petit Noir ne paraît pas avoir poussé ses études
au-delà des rudiments du Catéchisme. Obligé en 1638
de faire une déposition par-devant justice, il se contente
de signer d’une croix, mais en cela il ne fait pas plus
mauvaise figure que son maître Guillaume Couillart qui,
en guise de signature, dessine un bonhomme couché sur
le dos. Une déposition par-devant justice ? C’est que le
Noir de Couillart, pour avoir fait des siennes, avait été
mis en état d’arrestation. En effet, prétendant en tenir le
renseignement de matelots venus de Tadoussac, il avait
affirmé que l’interprète Nicolas Marsolet venait de rece¬
voir une lettre du traître Le Baillif. Or, Marsolet qui avait
eu assez d’ennuis pour sa collaboration avec les Anglais,
ne tenait pas du tout à se compromettre davantage : il
intente une poursuite contre le Noir. On fait enquête, les
témoins assurent que personne n’a vu le navire de Le
Baillif. L’esclave est obligé d’avouer devant Guillaume
Couillart et Guillaume Hébert, qu’il a affirmé des
choses dont il n’avait nulle connaissance. Le tribunal
le condamne à demander pardon à Marsolet et, pour sa
peine, «à être vingt quatre heures à La chaîne». Voilà
notre premier Noir les fers aux pieds !
On ne fait plus mention de lui qu’une seule fois,
lorsqu’il est inhumé à Québec le 10 mai 1654 : le prêtre,
qui l’appelle Olivier Le Jeune, l’inscrit simplement
comme domestique de Guillaume Couillart, sans indi¬
quer d’âge; le Noir devait être dans la trentaine2.
Ainsi disparaissait le premier Noir qu’on eût vu
dans la vallée du Saint-Laurent. Nous ignorons en quelle
qualité exactement il vécut dans la famille de Couillart.
i6 Deux siècles d’esclavage au Québec

En vertu du principe en vigueur à cette époque, tout Noir


est esclave quelque part qu’il se trouve, à moins d’avoir
été formellement affranchi. Nous n’avons trouvé dans le
cas d’Olivier Le Jeune aucune preuve d’émancipation. Il
a pu quand même être affranchi sans que l’acte en ait été
conservé. Par ailleurs, la qualité de domestique qu’on lui
donne au décès, n’exclut pas nécessairement la servitude,
car nous rencontrerons de ces domestiques qui, en fait
et en droit, sont de vrais esclaves, et il faut se rappeler
qu’au XVIIe siècle on appelle domestiques ceux qui font
partie de la maison du maître. Nous inclinons cependant
à penser que l’ancien esclave des Kirke et de Le Baillif
n’était plus chez Couillart en état d’esclavage. Peut-être
sommes-nous en présence d’un simple cas d’adoption. Il
reste que pendant une vingtaine d’années, nos ancêtres
du Québec ont compté parmi leur toute petite popula¬
tion, ce jeune représentant d’une race esclave. Et on ne
peut s’imaginer la maisonnée de Couillart, de 1632 à 1654,
sans ce vivant souvenir de l’occupation anglaise.

Les Amérindiens seront-iis traités comme bois d’ébène?

Quand il meurt en 1654, le nègre Obvier Le Jeune


était, croyons-nous, le seul exemplaire de son espèce, et
il faudra attendre plus d’un quart de siècle avant de lui
trouver un successeur. En Amérique, cependant, il y avait
un autre gibier pour les marchands d’esclaves : l’Amérin-
dien. Christophe Colomb fut le premier à le proposer
à l’attention des Européens en 1493 : je pourrai, écrit-il
des Amérindiens d’Amérique aux monarques d’Espagne,
procurer « autant d’aloès et d’esclaves pour le service de
la marine, que Leurs Altesses en exigeront»; des esclaves,
écrit-il encore, j’en enverrai autant qu’on en désirera. Les
Européens pouvaient être tentés de traiter la population
indigène du Nouveau Monde comme ils traitaient celle
de l’Afrique depuis au moins 1444.
Introduction F

Tentation d’autant plus forte que les Amérindiens


d’Amérique étaient eux-mêmes esclavagistes. Parlant
des insulaires qu’il vient de rencontrer, Colomb écrit dès
le n octobre 1492 : «Je crus, et je crois encore qu’on vient
ici de la terre ferme pour les prendre et les réduire en
esclavage ». Lorsque les Français s’établissent en Acadie,
ils constatent eux aussi que pour leurs congénères
les indigènes sont articles de traite ou gibier d’escla¬
vage; quand Lescarbot s’apitoie sur les prisonniers que
l’on soumet depuis les temps les plus anciens à toutes
sortes de cruautés, il propose que l’on se contente «de
les rendre esclaves comme font nos Sauvages ou de leur
faire racheter leur liberté3 ». Lafitau nous décrit avec force
détails le traitement de ces prisonniers capturés par les
Amérindiens : si les captifs ne sont pas torturés jusqu’à
la mort, ils sont soumis à des conditions de vie telle¬
ment pénibles que la mort par la torture est quasi préfé¬
rable. C’était si bien la coutume chez les Amérindiens de
réduire les prisonniers en servitude que, selon Lahontan,
esclaves ou prisonniers, «ce sont termes synonymes»
chez eux4.
Même chez les Amérindiens domiciliés, c’est-à-dire
chez ceux qui vivent en villages dans la vallée du Saint-
Laurent, on gardait des Amérindiens en servitude. Parlant
de la mission iroquoise du Sault-Saint-Louis, le jésuite
Nau écrit : «La plupart des adultes que nous instrui¬
sons dans le village sont des esclaves pris en guerre5 ». Il
s’en trouve dans d’autres villages : Quicinsik, chef des
Algonquins du lac des Deux-Montagnes, possède un
esclave « sauvage » que l’on inhume à Montréal le 4 mai
1750, à l’âge de 35 ans environ; à Michillimackinac, la
vieille Amérindienne Angélique fait baptiser le 15 août
1762 son esclave «sauvage», Antoine, âgé d’environ
18 ans.
Peu à peu, l’habitude de garder pour soi des esclaves
amérindiens afin de les vendre aux Français s’établit, car
i8 Deux siècles d’esclavage au Québec

chacun y trouvait son profit. Un fait illustre bien cette


facilité de l’indigène à vendre son semblable. Un chasseur
amérindien, qui accompagne Bossu dans son voyage des
Illinois en 1752, avait la mauvaise habitude de s’enivrer;
pour le guérir, la femme du chasseur a recours aux bons
soins de Bossu. Celui-ci annonce donc qu’il a quantité
d’eau-de-vie, mais qu’il en est fort avare ; le chasseur alors
offre sa femme pour toute une lune : «Je lui remontra,
raconte Bossu, que les Chefs des guerriers blancs ne
venaient pas chez les hommes rouges pour jouir de leurs
femmes, mais qu’à l’égard de son fils, je l’accepterais
volontiers pour esclave s’il voulait me le vendre, que je lui
donnerais une barrique d’eau-de-vie ; nous conclûmes le
marché en présence de témoins, et il me livra son fils».
L’Amérindien s’enivre donc à son aise, puis, quand il eut
recouvré ses esprits, ses parents lui reprochent son action
dénaturée; il s’excuse en disant que Bossu serait assez
bon pour rendre le fils, «qu’il savait que le grand Chef
des Français et le père des hommes rouges n’avait point
d’enfants esclaves dans son empire. Je lui répliquai que
cela était vrai, mais que je l’avais adopté pour mon fils et
qu’en cette qualité j’allais l’emmener en France pour en
faire un chrétien, que toutes les pelleteries de sa Nation
ne suffiraient pas pour le racheter». On conseille alors à
l’Amérindien d’aller voir le missionnaire ; il fut convenu
que Bossu rendrait le fils à condition qu’il soit baptisé et
que le père fasse « abjuration de l’ivrognerie qui lui avait
été si funeste»; le père accepte, abjure et tient parole6.
Si encore en 1752, un Illinois est prêt à vendre son fils
comme esclave pour pouvoir s’enivrer, il fallait que ce fut
chez les Amérindiens un bien ancien réflexe que celui de
vendre leurs semblables.
Il faudrait d’ailleurs tout un livre pour raconter
la traite d’esclaves que les indigènes de l’Amérique du
Nord ont pratiquée avec les Blancs, Français et Anglais.
Ici même dans cet ouvrage, nous verrons une partie de
Introduction !9

cette traite avec les habitants de la Nouvelle-France et


du Régime anglais, mais il resterait à étudier la traite des
esclaves amérindiens du côté des colonies anglaises. Ce
que Colomb avait constaté chez les indigènes d’Amé¬
rique dès 1492 allait se poursuivre jusque vers la fin du
XVIIIe siècle. Comme ces Noirs d’Afrique qui servaient
d’intermédiaires auprès des négriers, les indigènes
d’Amérique sont grandement responsables de la mise en
servitude de leurs congénères.
Les Français, cependant, hésiteront un assez long
temps à faire la traite des Amérindiens ou à réduire des
prisonniers en servitude. Ce n’est aucunement pour des
fins d’esclavage que Jacques Cartier emmène en France
en 1534 les deux indigènes du Honguedo et, en 1536, le
chef Donnacona : dans le premier cas, c’est pour ensei¬
gner le français à des indigènes qui pourront ensuite lui
servir de guides et d’interprètes ; dans le second, Cartier
veut simplement éloigner de Stadaconé un chef qui peut
mettre en danger l’alliance franco-amérindienne. On a
pensé que les Français d’Acadie auraient dès 1607 réduit
ou voulu réduire des Amérindiens en servitude pour faire
fonctionner un moulin à farine : il s’agit là, croyons-nous,
d’une mauvaise interprétation d’un texte de Lescarbot7.
On ne saurait non plus parler d’esclavage à propos
des trois petites Amérindiennes (Foi, Espérance et
Charité) que des Montagnais ont données à Champlain
en 1628, à la suite de son désir, disaient-ils, «d’avoir de
nos filles pour mener en France, et les faire instruire en la
loi de Dieu et aux bonnes mœurs»; Champlain en «prit
un tel soin qu’il les fit instruire avec beaucoup de peine,
non seulement aux choses de la foi, mais aussi en des
petits exercices de filles, et en tapisserie qu’il leur traçait
lui-même », mais quand il voulut emmener en France en
1629 les deux Amérindiennes qu’il lui restait, les Kirke s’y
opposèrent8.
20 Deux siècles d’esclavage au Québec

Nous avons affaire au même genre d’adoption lorsque


Chomedey de Maisonneuve reçoit une petite fille d’une
mère amérindienne qui en fait don volontairement :
cette petite fille est baptisée à Montréal le 4 août 1658
à l’âge de 9 mois. Selon Dollier de Casson, les sœurs
de la Congrégation avaient, elles aussi, adopté des
Amérindiennes, dont la première serait peut-être la
petite de Chomedey de Maisonneuve :

Le 13 du mois d’août [1663] une petite sauvagesse


nommée Marie des Neiges et qui promettait beaucoup
est morte à la Congrégation chez la sœur Bourgeois,
laquelle l’avait élevée depuis l’âge de dix mois avec des
soins et des peines considérables dont elle a été payée
par la satisfaction que l’enfant lui donnait; à cause de
l’amitié qu’on portait à cette enfant, on a voulu ressus¬
citer son nom par une autre petite sauvagesse qu’on
a eue en ce lieu à laquelle on a donné le même nom
dans le baptême, cette deuxième étant aussi décédée,
on a pris une troisième petite sauvagesse vers laquelle
on s’est comporté de la même façon et à laquelle on a
donné le même nom [selon le registre des baptêmes de
Montréal],

Les Français ne réduisent pas encore des Amérin¬


diens en esclavage, et nous ne croyons pas que celui-ci
commence en 1668, quand deux esclaves s’échappent
de l’Iroquoisie pour trouver refuge auprès des Français.
Dollier de Casson et Gallinée, en route pour leur mission
de Kenté, venaient de partir de Lachine le 2 octobre 1668,
lorsque, dans une anse du lac Saint-François, ils rencon¬
trent «deux pauvres sauvagesses toutes décharnées qui
se retiraient aux habitations françaises pour se délivrer
de T esclavage où elles étaient depuis quelques années ; il
y avait quarante jours quelles étaient parties du village
Onnéiou où elles étaient esclaves et n’avaient vécu
Introduction 21

pendant tout ce temps-là que d’écureuils qu’un enfant


âgé de io à 12 ans tuait avec des flèches que lui avaient
faites ces pauvres femmes abandonnées ». Après maintes
difficultés, les sulpiciens obtiennent de leurs guides
iroquois que l’une de ces femmes ait le loisir de pour¬
suivre jusqu’à Montréal avec son petit garçon et que la
deuxième soit confiée à des Hurons qui allaient traiter à
Montréal. Enfin, les deux esclaves fugitives atteignirent
Montréal que Dollier de Casson qualifie d’ancien « asile
des malheureux fugitifs9 ».

Les premiers Amérindiens esclaves

Jusqu’ici on n’a fait qu’adopter des indigènes


et Ville-Marie a servi de refuge à des esclaves fugitifs,
mais à partir de 1671 un fait nouveau se produit : on
acquiert des Amérindiens esclaves. Certes, ces premiers
Amérindiens ne paraissent pas toujours, une fois acquis
par les Français, formellement considérés comme
esclaves. Ce qui compte ici, c’est que ces esclaves aient
été présentés à des Français et que des Français les aient
acceptés, au moins pour un temps, en qualité d’esclaves.
Ainsi, pour apaiser la colère du gouverneur Rémy
de Courcelle, les Iroquois lui amènent en 1671 deux
esclaves poutéoutamises ; le gouverneur accepte ces deux
esclaves et laisse tomber son courroux. Que fait-il de ces
deux esclaves, les premières Amérindiennes à entrer au
Québec à titre officiel d’esclaves ? Il les place chez les
sœurs de la Congrégation :

Ces deux filles, écrit Dollier de Casson, sont chez les


sœurs de la Congrégation où elles ont appris le langage
français et ont été élevées à l’Européenne, en sorte que
la grande qui a été baptisée, est en état de se marier
avec un Français, mais ce qui serait à souhaiter, ce serait
qu’on eût un peu moyen de la doter, afin qu’étant à son
22 Deux siècles d’esclavage au Québec

aise, cela donne exemple aux autres et les animât du


désir d’être élevées à la Française ; la plus petite des deux
filles dont nous parlons, étant enlevée quelque temps
après avoir été à la Congrégation par sa mère laquelle
l’avait donnée conjointement avec les Iroquois, une fille
de la Congrégation courant après pour la faire revenir,
cet enfant quitta sa mère qui la tenait à bras pour se jeter
dans les mains des filles de la Congrégation.

Pour assurer l’instruction de ces deux filles, on eut


recours à une somme de 1200 livres environ que des bien¬
faitrices de France avaient donnée10. Ces esclaves reçues
des Iroquois et acceptées par Rémy de Courcelle en
qualité d’esclaves, sont bientôt traitées comme personnes
libres ou à peu près : on les élève à la française ; l’une
est en état d’épouser un Français, et l’on souhaite que
d’autres Amérindiennes imitent cet exemple.
Les Amérindiens ont donc commencé à donner des
esclaves amérindiens aux Français. Après le gouverneur
Rémy de Courcelle, l’explorateur Louis Jolliet reçoit la
même faveur. Au cours de son expédition du Mississippi,
des indigènes lui donnent un petit esclave qu’il ramène
avec lui en 1674 mais, en vue de Montréal, le canot
chavire et Jolliet perd le petit esclave, deux hommes
et ses papiers. Il écrit à l’évêque Laval : «J’ai beaucoup
de regret d’un petit esclave de dix ans qui m’avait été
donné en présent. Il était doué d’un don naturel, plein
d’esprit, diligent et obéissant, il s’expliquait en français ;
commençait à lire et à écrire11». Buade de Frontenac
fait mention de ce petit esclave, en précisant toutefois
(ce que Jolliet ne dit pas) que cet Amérindien lui était
destiné. Le gouverneur écrit à Colbert : Jolliet «perdit
tous ses papiers et un petit Sauvage qu’il m’amenait de
ces pays-là, duquel j’ai eu un grand regret12». C’est, à
notre connaissance, le premier esclave qui soit venu de si
loin que le Mississippi; il allait en venir bien d’autres.
Introduction 23

En 1678, un explorateur retrouve la situation de


Jolliet : Daniel Greysolon Dulhut s’apprête à partir pour
son grand voyage du lac Supérieur lorsque, à Montréal,
des Amérindiens lui donnent trois esclaves13. Mais, dans
notre documentation, le premier Amérindien qui soit
précisément qualifié d’esclave, est cette fille anonyme
appartenant au même Buade de Frontenac et dite esclave,
que les Ursulines de Québec inscrivent à son entrée
comme pensionnaire le 23 juillet 1679, pour être instruite,
et qui sort du couvent le 7 octobre 168014. On ne sait ce
qu’elle devint.
Puis, pendant quelques années, la documentation
ne nous fournit plus rien de suffisamment précis. En
février 1681, on inhume à Lachine (registre d’état civil)
une Amérindienne des Loups, Marie, âgée de 28 ans :
venue d’une tribu associée aux Iroquois, elle était certai¬
nement prisonnière de guerre et sa présence à Lachine
nous amène à croire qu’elle était en servitude. En 1685,
chez Nicolas Juchereau de Saint-Denys, seigneur de
Beauport, décède l’Amérindienne Agnès, fille de Mathieu
Houlacous : elle a reçu le saint-viatique et est morte après
«avoir mené une vie louable»; Joseph Giffard et Nicolas
Juchereau de Saint-Denys assistent à l’inhumation
(registre d’état civil) : comme les Amérindiens domici¬
liés (Hurons, Algonquins, Abénaquis et autres) n’avaient
pas l’habitude de servir de domestiques chez les Français,
nous serions bien tenté de compter parmi les esclaves
cette Agnès en service au manoir de Beauport.

L’arrivée des Amérindiens esclaves

À partir de 1687, commence le défilé constant des


esclaves amérindiens. Défilé fort modeste dans ses
débuts, mais qui ne cessera qu’au début du XIXe siècle.
En 1687, voici deux Panis15, les premiers de leur groupe
dans la vallée du Saint-Laurent, Panis qui viennent
24
Deux siècles d'esclavage au Québec

du lointain bassin du Missouri : Pierre, âgé de io ans


environ, inhumé à Montréal le 15 octobre; Jacques, âgé
de 9 ans, inhumé aussi à Montréal le 19 décembre. En
1688, se présente un autre Panis, Louis, qui à Lachine
reçoit de l’évêque le sacrement de confirmation. En 1689,
un Panis anonyme (qui pourrait être celui qu’on vient
de confirmer), périt dans le massacre de Lachine avec
René Chartier à qui il sert d’esclave. Depuis combien de
temps ces esclaves étaient-ils parmi les Français? nous
l’ignorons. En tout cas, la date de leur apparition dans
les registres d’état civil est nécessairement postérieure
à leur apparition dans la société française ; et, pour sa
part, le Panis Louis devait être arrivé depuis un assez
long temps, car avant d’être confirmé, il a dû apprendre
suffisamment de français et de catéchisme pour recevoir
le sacrement16.
Chaque année, ou presque, de cette fin de siècle
nous présente des Amérindiens esclaves. Après ce
Panis esclave de René Chartier qui meurt dans le
massacre de Lachine, un Philippe, Amérindien d’un
nommé Lalemant, sort de l’Hôtel-Dieu de Québec
le 28 décembre 1689. En 1690, trois Amérindiens font
un séjour à ce même hôpital : un Panis qualifié aussi
d’Illinois et appartenant à l’officier Tonty, y meurt le
22 mai; un nommé Bernard, inscrit comme dépendant
de l’évêque Saint-Vallier, y séjourne en juillet et y revient
en août pour mourir le n septembre à seulement 8 ans ;
l’Illinois Pierre se fait soigner chez les Jésuites en août
et y séjournera encore de novembre 1691 à février 1692,
cette fois qualifié de domestique. Les Illinois sont venus
dans la vallée du Saint-Laurent par le chemin de l’es¬
clavage, mais nous ignorons si cet Illinois des Jésuites
vivait encore en servitude. La même année, en novembre,
un Amérindien anonyme, propriété de l’officier Paul
Lemoyne de Maricourt, se fait traiter à l’hôpital. En 1671,
le registre de l’Hôtel-Dieu mentionne le Panis Nicolas,
Introduction 25

âgé de 13 à 15 ans, propriété d’un Doyon : il y séjourne en


avril et en novembre ; ce Panis épousera une Canadienne
en 1710, adoptant Doyon comme nom de famille. Dans
le registre, nous trouvons aussi un Amérindien anonyme
de Pierre Moreau de Lataupine : malade en juillet, il
y meurt le mois suivant17. Le 24 mai 1692, on baptise
à Montréal un Amérindien de Jean Mailhiot, nommé
François et âgé de 8 ans environ : le rédacteur de l’acte de
baptême précise que cet Amérindien vient de 300 lieues
par-delà les Illinois. Il s’agit encore d’un enfant qu’on
a obtenu par l’intermédiaire de tribus esclavagistes. Sa
servitude achève tôt : il meurt dès juillet suivant. En
février 1695, l’Amérindien François qui appartient à un
Lamontagne et qui a 23 ans, séjourne à l’Hôtel-Dieu de
Québec. À ce même endroit, le 24 avril, meurt le Panis
Ignace. En novembre 1695, de la tribu des Loups, Jeanne
Wannanemim, prise près de Deerfield par les Iroquois du
Sault-Saint-Louis, est amenée à Montréal : prisonnière
des Amérindiens et par conséquent en servitude, elle est
baptisée le Ier mai 1698 à l’âge d’environ 50 ans. L’officier
Louis Dailleboust de Coulonge fait baptiser à Montréal,
le 9 juin 1696, une Panise qui lui appartient, Philippe-
Marie-Louise, âgée de 14 ou 15 ans. La même année, le
27 septembre, on baptise à Sainte-Anne-de-la-Pérade,
un petit Arkansas de cinq ans, Louis : le propriétaire
n’est pas désigné, mais ce petit Arkansas, originaire de
la vallée du Mississippi, est certainement esclave comme
ceux qu’on a importés d’aussi loin. En 1698, est baptisé
à Montréal un autre Arkansas, Jean, âgé de 10 ans, qui
appartient celui-là à Jacques Picard : il avait été amené
au pays l’année précédente par ce même Picard; en
décembre, Jean-Amador Godefroy de Saint-Paul voit
mourir son Panis, Jean-Baptiste, à Trois-Rivières. Enfin,
l’année 1699 nous fait connaître un troisième Arkansas,
Jean-Baptiste, âgé de neuf ans et qui appartient au trai¬
teur Pierre Trutaut : on baptise cet Arkansas à Montréal
26 Deux siècles d’esclavage au Québec

le 21 avril (il est inhumé au même endroit le 18 février


1709). Voici un autre Panis, Jacques, âgé de 36 ans qui
entre à l’Hôtel-Dieu de Québec le 22 mai et y meurt le
2 juin ; à cause de son âge, ce Panis devait être au Québec
depuis nombre d’années18.
Ce sont là des Amérindiens esclaves que nous
révèle la documentation, mais il y aurait aussi à connaître
ceux que les officiers des postes des pays d’en haut (les
Grands Lacs) pouvaient déjà posséder; à proximité du
marché, ces officiers ont dû, comme ceux du XVIIIe siècle,
s’approprier des esclaves dès le XVIIe, car il a toujours
été d’usage, avant toute cérémonie de traite, de faire un
échange de cadeaux entre Amérindiens cueilleurs et
commerçants français, et les cadeaux que reçoivent ces
derniers sont pour une part des esclaves. Au XVIIIe siècle,
le commerce porte peut-être déjà à la fois sur la fourrure
et sur les esclaves.
Pour cette période d’avant 1700, nos recherches
sur les postes des Grands Lacs ont donné peu de résul¬
tats, à part cet esclave chaouanon que l’on donne en
1699 à Juchereau, commandant de Michillimackinac, et
que celui-ci fait tout de suite fusiller. Pourquoi? Selon
Lahontan, un groupe d’Iroquois qui se rendaient en
ambassade auprès des Français avaient été capturés par
des Hurons, sous la conduite du fameux Le Rat qui
avait tout intérêt à faire échouer les tentatives de paix
amorcées par le gouverneur Denonville. Or, parmi ces
prisonniers se trouvait un esclave chaouanon : Le Rat en
fait présent à Juchereau, mais celui-ci, écrit Lahontan, à
peine en possession de son esclave, «il se donna le joli
divertissement de le faire fusiller»; ce que Le Rat atten¬
dait, et tout de suite il libéra un Iroquois pour qu’il aille
raconter aux siens la façon dont les Français respectaient
les ambassades19. Si Lahontan a dit vrai, ce Juchereau
avait une bien curieuse façon de profiter des cadeaux !
Introduction 27

Lahontan, pour sa part, aurait reçu des esclaves


amérindiens lors de son voyage du Mississippi, esclaves
donnés par un chef des Eokoros pour servir de guides
jusqu’aux pays d’où ils étaient originaires ; il aurait bien
voulu en amener quatre au Canada : «Je crus que je ne
pourrais retourner en Canada avec un plus précieux
butin. Je leur en fis donc la proposition; je m’engageai à
obtenir leur liberté du Grand Chef; je leur promis une
douce et honorable condition, et des avantages si consi¬
dérables que s’ils m’avaient pris au mot j’eusse été fort
embarrassé à leur tenir parole », mais l’amour de la patrie
l’emporta et les quatre esclaves préférèrent rentrer chez
eux20. Ils avaient bien fait, puisque Lahontan n’était pas
sûr de remplir ses promesses.
Si nous réunissons en un même tableau les esclaves
amérindiens qui, en cette fin du XVIIe siècle, vivent
parmi la population française, nous trouvons donc, sur
une période de 29 ans, 29 Amérindiens esclaves : 3 vien¬
nent de l’Arkansas, 10 sont qualifiés de Panis (les Panis
vivaient dans le Haut-Missouri), 1 a été tiré du pays
des Illinois, 2 sont originaires du sud du lac Michigan,
2 viennent du pays des Loups, au sud de l’Iroquoisie ;
quant aux autres, nous ignorons leur origine, mais ils ont
dû venir d’un pays lointain, car les Amérindiens de la
vallée du Saint-Laurent n’étaient pas réduits en escla¬
vage.
Nous ne connaissons l’âge que de 14 d’entre eux et,
de ceux-là 10 n’ont pas plus de 15 ans. Il y en a de très
jeunes, comme cet Amérindien de cinq ans qui vient
du pays des Arkansas. Dès maintenant, se dégage un
trait qui sera constant dans l’histoire de notre esclavage
amérindien : les esclaves sont tout jeunes; ce qu’on tire
des tribus lointaines, ce sont surtout des enfants.
Pour ces 29 premiers esclaves amérindiens, les
propriétaires ne sont pas toujours indiqués ou, s’ils le
sont, nous ne réussissons pas chaque fois à déterminer
28 Deux siècles d’esclavage au Québec

leur profession. En tout cas, deux gouverneurs acceptent


des esclaves amérindiens, exemple qui sera suivi par
d’autres gouverneurs. L’évêque Saint-Vallier a un petit
Amérindien et ne sera pas le seul évêque propriétaire
d’esclaves. L’Amérindien qui vient des Jésuites ne sera
pas non plus le seul esclave amérindien à appartenir à
une communauté religieuse. Les explorateurs Jolliet et
Greysolon-Dulhut auront des imitateurs, dont le plus
célèbre sera Gaultier de Lavérendrye. Les officiers Tonty,
Lemoyne de Maricourt et Dailleboust de Coulonge
sont en tête d’une liste qui s’allongera au cours du siècle
suivant ; il en est de même de celle des traiteurs. Autorités
coloniales, officiers militaires, explorateurs et traiteurs,
voilà ce que nous présente la liste du XVIIe siècle : c’est
en somme selon ces principaux groupes que se répar¬
tiront les propriétaires dans la grande époque de l’es¬
clavage, d’autant que ceux-ci sont en relations avec les
tribus amérindiennes.
Nous parlons d’esclaves : mis à part ceux qui sont
qualifiés d’esclaves ou dits appartenant à un propriétaire,
il n’est pas certain que les autres Amérindiens soient tous
esclaves au moment où ils apparaissent dans la docu¬
mentation, mais ils l’étaient à leur entrée au pays. Un tel
acquiert un esclave amérindien, mais cet Amérindien
tout en demeurant attaché à la personne de l’acquéreur,
peut fort bien ne plus être esclave. Il suffit pour les fins
de notre étude que cet Amérindien entre dans la popu¬
lation française à titre d’esclave pour le compter comme
tel. Par ailleurs, les documents ne sont pas toujours expli¬
cites et nous obligent parfois à procéder par déduction.
Par exemple, avant que l’intendant Raudot n’intervienne
en 1709 pour donner un caractère légal à l’esclavage, les
registres d’état civil semblent répugner à l’emploi du
mot esclave; dans la quinzaine d’actes civils de cette
période qui concernent les esclaves, nous ne trouvons
qu’une seule fois le mot esclave : à Lachine dans un acte
Introduction 29

du 28 octobre 1694, lorsqu’on procède à l’inhumation de


victimes de 1689, on qualifie d’esclave l’Amérindien panis
de René Chartier. C’est la première fois que les registres
d’état civil d’avant 1700 emploient le mot esclave; d’or¬
dinaire, on se contente d’écrire sauvage appartenant à ou
sauvage d’un tel.

► NOTES

1. Le mot «nègre», à lepoque de l’esclavage, signifie un esclave noir


employé aux travaux dans la colonie. Le nègre est alors considéré
comme une marchandise, comme un bien meuble. Avec le temps le
mot «nègre» a pris un sens péjoratif. Dans notre texte, nous utilise¬
rons le mot « Noir » au beu de « nègre », sauf dans les citations et dans
certains cas où des individus sont clairement identifiés comme des
objets mis en vente.
2. Relations des Jésuites, éd. Thwaites (à l’avenir RJ), V, 62, 196 ; doc.
20 août 1638, dans Archives du Séminaire de Québec (à l’avenir
ASQ), Documents Faribault, 17; acte d’inhumation, 10 mai 1654, reg.
de Notre-Dame-de-Québec.
3. Lettre dans RJ, II : 43.
4. Lafiteau, Mœurs des sauvages américains (éd. 1724), IV, 1-33 ; Lahontan,
Voyages, 1,148.
5. Au jésuite Bonin, 2 octobre 1735, dans le Rapport de l’archiviste de la
province de Québec (à l’avenir RAPQ) pour 1926-1927, 285.
6. Bossu, Nouveaux voyages aux Indes occidentales (éd. 1768), 1,136-140.
7. Voir là-dessus l’interprétation erronée de Benjamin Suite dans
Histoire des Canadiens-Français, I, 66 ; et ce que nous en disons dans
notre Histoire de la Nouvelle-France, II, 480.
8. Sagard, Histoire du Canada (éd. 1866), IV, 829s.; The Works of Samuel
de Champlain (éd. Champlain Society), V, 248 ; VI, 51s.
9. Dollier de Casson, Histoire du Montréal, 97.
10. Dollier de Casson, Ibid., 113s.
11. Jolliet à M8r de Laval, 10 octobre 1674, dans Delanglez, Louis Jolliet,
403 ; voir aussi 194.
12. Buade de Frontenac à Colbert, 14 novembre 1674, RAPQ, 1926-1927,
77-

13. Mémoire de Dulhut au ministre, dans Margry, Origines françaises des


pays d’outre-mer, VI, 21.
30 Deux siècles d'esclavage au Québec

14. Archives des Ursulines de Québec, Livre des entrées et sorties des filles
françaises et séminaristes, années 1679 et 1680.
15. «Panis» désigne proprement une tribu amérindienne de la région
du Missouri; mais à cause de leur grand nombre dans la popula¬
tion esclave, cette appellation est devenue un nom commun, « Panis »,
pour désigner un Amérindien en état de servitude. Tout Panis était,
pour ainsi dire, esclave par nature : tout Panis est esclave au moment
où nous le rencontrons ou l’a été au moment d’entrer au Québec.
16. Détails tirés des registres d’état civil.
17. Archives de l’Hôtel-Dieu de Québec (à l’avenir AHDQ), registres
des malades et registre mortuaire.
18. Détails tirés des registres d’état civil ainsi que des registres des
malades et du registre mortuaire de l’Hôtel-Dieu de Québec.
19. Lahontan, Voyages, I, 152, 170, 186, 295s. (lettres des 26 mai et
18 septembre 1688 et du 28 septembre 1689).
20. Ibid., I, 216, 225, 228,233,235, 248-250.
CHAPITRE PREMIER

On veut des nègres

A vant le tournant du siècle, le défilé des esclaves


amérindiens demeure donc fort maigre. Le nombre
des Noirs est plus négligeable encore. Après le Noir
Olivier Le Jeune, acquis par Guillaume Couillart en
1632 et décédé en 1654, il faut attendre l’année 1686 pour
rencontrer un autre Noir en Nouvelle-France : ce La
Liberté dont fait mention le recensement de l’Acadie.
Pourtant, l’esclavage noir est déjà florissant dans d’autres
colonies françaises. En 1640, Jean Aubert avait introduit
la canne à sucre dans les Antilles françaises et, la main-
d’œuvre indigène ou européenne ne pouvant suffire, il
avait fallu imiter les Espagnols qui, depuis 1611, tiraient
profit de l’esclavage des Africains. La Compagnie fran¬
çaise des Indes occidentales, créée en 1664, se chargea
d’approvisionner Aubert en bois d’ébène et, en 1673, la
Compagnie du Sénégal se spécialisa dans la traite des
Noirs, de sorte qu’en 1687 on peut déjà dénombrer 27000
esclaves noirs dans les Antilles françaises. Un édit de
Louis XIV en mars 1685, passé à l’histoire sous le nom
de Code noir, tente de « régler ce qui concerne l’état et
la qualité des Esclaves dans nosdites îles», sanctionnant
officiellement l’esclavage noir dans les Antilles fran¬
çaises1.
32 Deux siècles d’esclavage au Québec

Des nègres pour le Canada

La canne à sucre nécessita la présence de Noirs aux


Antilles ; la main-d’œuvre servira aussi d’argument pour
le Canada. Très rares, les ouvriers et les domestiques sont
tellement coûteux qu’ils ruinent tous ceux qui se lancent
dans une entreprise : le meilleur moyen de remédier à
cette situation serait d’introduire des esclaves noirs. C’est
ce que le gouverneur Brisay de Denonville et l’intendant
Bochart-Champigny écrivent au roi en 16882.
Le procureur général du Conseil souverain, passé
en France à l’automne de cette même année, fait valoir
la demande des autorités canadiennes : en avril 1689,
le roi prend connaissance d’un mémoire de ce procu¬
reur général, François-Madeleine Ruette d’Auteuil. Ce
mémoire contient diverses suggestions sur la justice, le
commerce et la guerre.
Le commerce préoccupe surtout Ruette d’Auteuil,
mais près de la moitié de ce qu’il écrit sur le commerce
est consacré aux esclaves noirs. Après avoir énuméré
quelques entreprises qui favoriseraient le développement
du commerce canadien, il ajoute :

Comme pour réussir dans ces sortes d’entreprises, il faut


avoir quelque avance et que les domestiques sont d’une
rareté et cherté extraordinaires, ils ruinent tous ceux qui
osent faire quelque entreprise.

Comment alors se procurer une main-d’œuvre peu


coûteuse ?

S’il plaisait au Roi, répond Ruette d’Auteuil, d’accorder


la permission d’avoir dans ledit pays des esclaves nègres
ou autres comme il lui a plu de l’agréer aux îles de
l’Amérique, ce serait le meilleur moyen pour réussir en
toute sorte de manufactures, joint aux grâces qu’il aurait
On veut des nègres 33

la bonté d’accorder à ceux qui se porteraient au bien et à


l’augmentation dudit pays.

Ruette d’Auteuil a prévu l’objection du climat :

Que si l’on objecte que les nègres n’y vivront plus à


cause du froid, l’expérience fait voir le contraire puis¬
qu’il y en a eu qui s’y sont parfaitement bien portés
pendant plusieurs années et que les Anglais en ont eu
grande quantité à la Nouvelle-Angleterre et qu’il y en a
un grand nombre en [Nouvelle-] Hollande.

Les colonies voisines (Nouvelle-Angleterre et New


York) méritaient d’être mises en exemple, puisque, pour
sa part, la Nouvelle-Angleterre comptait déjà en 1680
environ 200 Noirs, mais Ruette d’Auteuil néglige ou
évite de noter que le climat de la Nouvelle-Angleterre
est tout de même moins rigoureux que celui du Canada.
Pour fortifier sa démonstration, il précise qu’il y a eu au
Canada des Noirs «qui s’y sont parfaitement bien portés
pendant plusieurs années»; il ne donne aucun chiffre,
peut-être pour ne pas tomber dans le ridicule, à cause
du tout petit nombre de ces Noirs : Olivier Lejeune qui
meurt en 1654, après s’être bien porté depuis 1632 (du
moins, nous le souhaitons) ; La Liberté qui vit en Acadie,
et peut-être quelques autres. Il valait mieux pour Ruette
d’Auteuil ne pas établir sa plaidoirie sur des statistiques.
Il trouve d’ailleurs plus fort que les chiffres. Il
recourt au plus ingénieux des stratagèmes pour résoudre
au bénéfice de tout le monde le problème du climat. Afin
de tenir les Noirs au chaud, écrit-il, « leur vêtement sera
de peau de castor qui, par sa fourrure, les empêchera de
sentir les incommodités de l’hiver et qui ne coûtera que
peu, parce qu’en s’en servant ils l’engraisseront, ainsi ils
l’augmenteront de prix». Pour comprendre l’habileté du
stratagème, il faut se rappeler que l’on faisait commerce
Deux siècles d’esclavage au Québec
34

de deux sortes de fourrures de castor : le castor sec, c’est-


à-dire selon une expression de l’époque, «la peau du
castor telle quelle sort de dessus l’animal»; et le castor
gras, celui dont les Amérindiens portaient la fourrure
pour l’engraisser de leurs sueurs et de leurs huiles, ce
qui faisait tomber le long poil. Ainsi portée, la fourrure
n’était plus qu’un fin duvet fort recherché dans la confec¬
tion et valait d’ordinaire le double du castor sec.
Donc, non seulement les Noirs seraient bien
protégés du froid, mais encore, en se tenant bien au
chaud, ils donneraient à leurs vêtements une valeur
double ; une fois la fourrure bien engraissée, on habille
le Noir à neuf et recommence l’opération. Vêtir chaude¬
ment son esclave n’était plus une dépense, cela devenait
une source de revenus !

L’autorisation de Louis XIV

Est-ce cette idée de génie qui emporta l’adhésion


du roi? En tout cas, il se laissa convaincre. Le ier mai
1689, il écrit au gouverneur Brisay de Denonville et à
l’intendant Bochart-Champigny :

Le Procureur Général du Conseil Souverain de Québec


qui est passé en France a fait connaître à Sa Majesté
que les principaux habitants de Canada sont dans la
résolution d’y faire venir des nègres pour les employer
à la culture des terres et aux défrichements si Sa
Majesté veut leur en donner la permission, pour éviter
les grandes dépenses qu’ils sont obligés de faire en se
servant des ouvriers et des journaliers du pays dont la
cherté est excessive. Sur quoi Sa Majesté est bien aise
de leur dire qu’Elle consent que les habitants fassent
venir des nègres comme ils proposent, mais il faut qu’ils
leur fassent observer qu’il est à craindre que la différence
du climat de ces nègres à celui du Canada ne les fasse
On veut des nègres 35

mourir ; ce qu’il faut rappeler aux habitants afin qu’ils ne


s’engagent que peu à peu dans l’exécution de ce projet,
et qu’ils ne se constituent pas dans de grandes dépenses
qui pourraient leur devenir inutiles et faire un tort consi¬
dérable à leurs affaires et par conséquent à la Colonie3.

Par cette permission royale, les Canadiens peuvent


donc se procurer des Noirs, mais le roi conseille la
prudence : le climat pourrait être néfaste et les Canadiens
se seraient engagés en vain dans de grandes dépenses.
L’efficacité du stratagème de Ruette d’Auteuil était mise
en doute. Brisay de Denonville rappelé, le roi répète son
autorisation et ses conseils de prudence dans les instruc¬
tions qu’il remet au gouverneur Buade de Frontenac en
ce même mois de mai 1689 :

Sa Majesté veut qu’il examine avec soin la proposition


qui a été faite par quelques habitants de Canada qui
voudraient y faire venir des Noirs pour les employer à la
culture de leurs terres et aux défrichements ; sur quoi il
doit observer qu’en cas que lesdits habitants se résolvent
à faire cet établissement, il ne doit pas souffrir qu’ils
fassent d’abord une dépense considérable pour l’achat
de ces Noirs, de peur que venant à les perdre, ce qui peut
arriver par la différence du climat de ces Noirs à celui de
Canada, ils ne fassent des pertes très considérables ; mais
il peut leur en laisser acheter peu à peu, et en augmenter
l’achat à mesure qu’ils verront que cela réussira; si l’éta¬
blissement de ces Noirs pouvait réussir, il est certain que
la colonie en tirerait un grand avantage pour la culture
des terres et pour les défrichements4.

L’autorisation donnée avec les avis appropriés,


on n’attendait plus que les Noirs. Or nous sommes en
1689, année où la guerre oppose la France et l’Angle¬
terre depuis le 17 mai ; à la suite de la Ligue d’Augsbourg,
Deux siècles d'esclavage au Québec
36

les nations protestantes font front commun contre les


nations catholiques. Les métropoles sont en guerre :
donc les colonies aussi. Il faut attendre la fin de cette
guerre avant de songer à un trafic de Noirs entre Québec
et les comptoirs de la Guinée.
Si les négriers ne peuvent venir débiter leur bois
d’ébène, peut-on au moins, faute de patience, se procurer
des Noirs par d’autres voies? Pendant les huit ans que
dure cette guerre, nous ne voyons apparaître au pays
que quatre Noirs. Le 26 mai 1692, on en baptise 2 à
Montréal : Pierre-Célestin, 24 ans environ, qui appar¬
tient au marchand Jacques Leber (père de la célèbre
recluse) ; Louis, 26 ans environ, natif de Madagascar et
demeurant chez le marchand Louis Lecompte-Dupré5.
Le 10 avril 1694, à Montréal, l’évêque Saint-Vallier
baptise et confirme le Noir Jacques, âgé de 36 ans environ,
natif de la Guinée, qui demeure depuis 2 ans au service
du même marchand Jacques Leber : c’est un Noir pris
aux Anglais. En septembre 1696, le Noir François, âgé
de 32 ans et propriété du marchand Louis Lecompte-
Dupré, fait un séjour à l’Hôtel-Dieu de Québec. Ce sont
les quatre seuls Noirs qu’on voit apparaîre pendant cette
guerre de la Ligue d’Augsbourg : si l’on retient le détail
donné par les registres d’état civil, deux d’entre eux sont
au pays depuis au moins 1692 et l’un d’eux a été enlevé
aux Anglais ; faute de marché, on se rabat sur le butin de
guerre.
La guerre cesse en 1697 Par Ie traité de Ryswick :
après ces huit années de perdues, aura-t-on enfin le loisir
de profiter d’une autorisation royale qui date de 1689 ?
Le problème de l’importation des Noirs au Canada
ne reparaît qu’en 1701 dans le courrier royal; le roi
écrit au gouverneur Callières et à l’intendant Bochart-
Champigny : « Sa Majesté ne trouve aucun inconvénient
à accorder aux habitants de Canada la permission d’avoir
des Noirs, mais comme cela ne se peut exécuter qu’en
On veut des nègres 37

y faisant passer un navire qui en soit chargé, il faudrait


être assuré qu’ils les payeront pour l’y faire passer, et
il est nécessaire que lesdits sieurs de Callières et de
Champigny examinent les précautions qu’on pourrait
prendre pour cela6». En 1689, le roi avait donné l’auto¬
risation d’avoir des Noirs; en 1701, on n’en est qu’à la
deuxième étape : leur transport. Comme on ne veut pas
y perdre, on tient d’abord à s’assurer que les Canadiens
seront en mesure de payer une marchandise qui vient
de loin; les autorités de la Nouvelle-France doivent
examiner «les précautions qu’on pourrait prendre pour
cela». L’arrivée à Québec d’un navire chargé de nègres
n’est donc pas pour tout de suite. Or voici que la guerre
reprend en 1702 entre les puissances européennes, parce
qu’un petit-fils de Louis XIV vient d’accéder au trône
d’Espagne. Il faut encore attendre ; cette fois, la paix ne
sera signée que dans n ans.

Pas même un nouvel esclave noir chaque année

Dans l’intervalle, à la population noire (si l’on peut


appliquer le mot population à ces quatre Noirs que nous
venons d’énumérer), se joignent quelques individus, mais
à un rythme fort lent : un en 1700, deux en 1704, un en
1705, un en 1706, un en 1707, puis en voici un autre en

1708, un huitième en 1711 et un neuvième en 1713. Ce n’est

même pas un nouveau Noir tous les ans. Qui sont ces
additions ? En 1700, le Noir Philippe, natif de la Barbade
et racheté des Abénaquis qui l’avaient pris en guerre :
qualifié d’esclave, mais sans indication de propriétaire,
il est baptisé à la Pointe-Lévy le 18 janvier 1700 à l’âge
de 16 ans environ7. En 1704, nous rencontrons à l’Hôtel-
Dieu de Québec un Noir anonyme qui appartient à la
femme du trésorier de la Marine, Georges Regnard-
Duplessis8. Nous trouvons au même hôpital un Noir de
21 ans qui appartient au gouverneur général Vaudreuil :
Deux siècles d'esclavage au Québec
38

comme il s’appelle Joseph Hisme, nous croyons que c’est


un autre Noir enlevé aux Anglais. Ce même gouverneur
général fait soigner en 1705 au même endroit son esclave
noir Pierre, âgé de 31 ans ; ce dernier y réapparaîtra en
1706 et 1708. En 1706 et 1707, le Noir Louis, âgé d’environ
22 ans, propriété du même, fait un séjour à cet endroit. Le
défilé des esclaves noirs du gouverneur général Vaudreuil
n’est pas terminé : en 1707, il envoie son esclave Antoine
« Llesche » à l’Hôtel-Dieu de Québec ; ce serait encore
un Noir tiré des colonies anglaises. En 1709, voici Pierre,
Noir du négociant Pagé-Carcy qui vient à son tour au
même hôpital. En 1711, autre prisonnier de guerre, Titus
Jones9. Enfin, neuvième esclave noir de cette période,
Claude-Antoine, au service de Claude de Ramezay,
gouverneur de Montréal : on le baptise le 15 mars 1713.
Des neuf nouveaux Noirs, il y en a bien quatre arrivés ici
comme butin de guerre.
Il fallait donc, en attendant mieux, se contenter d’Amé¬
rindiens. Ils continuaient d’arriver au pays en qualité d’es¬
claves à un rythme assez lent d’abord, qui s’accélère à partir
de 1700, comme le démontre le tableau suivant :

Amérindiens Noirs Amérindiens Noirs


1689 2 1702 2
1690 4 I7°3 12
1691 2 1704 6 2
1692 1 3 I7°5 3 1

1693 2 1706 7 1
1694 1707 3 X
1695 1 1708 8
1696 2 1 1709 5 1
1697 1 1710 12
1698 1 1711 xo 1

1699 2 1712 20
1700 7 1 i7I3 26 1
1701 6
On veut des nègres 39

De 1689 à 1713, il ne vient donc en qualité d’esclaves


que 13 Noirs contre 145 Amérindiens. Ces derniers pren¬
nent ainsi une avance considérable qu’ils conserveront. Si
l’esclavage amérindien s’établit à un niveau relativement
élevé à partir de 1710, cela est dû pour une bonne part à
l’ordonnance que vient de rendre l’intendant Raudot en
1709, déclarant que les Panis et les Noirs appartiennent
en pleine propriété à ceux qui les ont achetés10. À cause
de la proximité du marché amérindien, cette ordonnance
était de nature à encourager ceux qui avaient besoin
d’esclaves, mais elle ne pouvait rien pour ceux qui préfé¬
raient les Noirs. Les amateurs de bois d’ébène devaient
patienter jusqu’à la fin de la guerre et, de plus, attendre
que les autorités métropolitaines aient pris les mesures
nécessaires pour l’envoi d’une cargaison à Québec.
La Louisiane, dont l’établissement ne datait que
de 1699, s’enrichissait beaucoup plus vite de Noirs : elle
avait l’avantage de se trouver plus près du marché des
Antilles, tout en profitant du marché amérindien. On
s’y servait d’esclaves amérindiens depuis les premières
années, mais il restait toujours possible à ces esclaves
de rejoindre leurs tribus, à proximité. C’est pourquoi, le
gouverneur Lemoyne de Bienville propose en 1706 et
en 1708 un échange avec les Antilles : on enverrait de la
Louisiane aux Antilles deux Panis contre un Noir; les
colons auraient ainsi moins de difficultés à garder leurs
esclaves11. Nous ignorons si ce troc de deux Amérindiens
contre un Noir a été mis en œuvre. Une chose est
certaine : en accordant à Crozat en 1712 le monopole du
commerce de la Louisiane, le roi permet d’aller chaque
année se procurer des Noirs sur la côte de la Guinée pour
les vendre ensuite aux colons12. Les esclavagistes louisia-
nais trouvaient de quoi se meubler, alors que les habi¬
tants du Canada attendaient depuis 1689 les Noirs qu’on
leur avait permis d’acheter.
40 Deux siècles d’esclavage au Québec

La guerre prend fin en 1713 par le traité d Utrecht.


On suppose que les Canadiens vont tout de suite obtenir
une cargaison de Noirs. Louis XIV avait accordé son
autorisation en 1689 et il l’avait renouvelée en 1701. De
son côté, l’intendant Raudot avait confirmé en 1709
l’existence légale de l’esclavage. Crozat pouvait donc aller
se procurer des esclaves en Afrique, mais la cargaison de
nègres ne vient toujours pas à Québec.

Le bois d’ébène trop dispendieux pour les Canadiens?

Les difficultés économiques en sont probablement


la cause. Les Canadiens, pourtant victorieux tout le long
de la guerre, ont perdu par le traité les comptoirs de la
Baie d’Hudson et subi une désastreuse liquidation de
l’argent de papier; ils sont peut-être moins en mesure
qu’en 1689 de se procurer la dispendieuse marchandise
d’Afrique.
Tout de même en 1716, l’intendant Bégon revient
à la charge. Pendant que le gouverneur Vaudreuil est
empêché par la maladie de rédiger le courrier à destina¬
tion du roi, Bégon fait valoir le besoin urgent d’esclaves
noirs. Reprenant les arguments de naguère, il écrit : «Le
peu d’habitants qu’il y a en Canada fait échouer toutes
les entreprises par la difficulté qu’il y a d’y trouver des
ouvriers et journaliers qui y sont à un prix excessif». Faire
venir des Noirs serait «procurer l’augmentation de cette
colonie et de son commerce». Pourquoi ne pas recourir
à cette ressource comme on l’a fait avec profit dans les
colonies anglaises? «Toute la Nouvelle-Angleterre ne
s’est établie en peu de temps que par ce concours. La
plupart des Anglais et Flamands du gouvernement de
Manhatte [Manhattan] contigu à celui de Montréal
ne travaillent point à la culture des terres, ce sont leurs
nègres qui font tous leurs travaux, et ce seul gouverne¬
ment fournit les farines nécessaires pour la subsistance
On veut des nègres 4i

des îles méridionales anglaises. Les mêmes travaux se


pourraient faire en Canada si on y avait des nègres. Il
y a aussi des mines de fer dont le Roi tirerait de grands
avantages si on avait des ouvriers pour les faire valoir».
Ainsi, avec des esclaves noirs, selon l’intendant
Bégon, tout se mettrait à prospérer comme dans les colo¬
nies anglaises, les terres seraient cultivées et l’on pourrait
exploiter des mines de fer. Or se pose le problème du
paiement :

On pourrait objecter, continue l’intendant, la difficulté


du paiement ; mais les lettres de change qui doivent être
tirées pour l’extinction de la monnaie de carte, la liberté
du commerce du castor, et les fonds que le Roi veut
bien faire pour les dépenses de la colonie, fourniront les
moyens de payer en bons effets le prix de ces nègres, et il
est certain que tous ceux qui seront en état d’en acheter
en prendront13.

Le gouverneur général Vaudreuil n’était pas de cet


avis. Comme l’indique une apostille à ce mémoire, il
« croit qu’il ne convient pas d’y en faire venir, parce que le
climat est trop froid et qu’il en coûterait trop aux habi¬
tants pour les habiller pendant l’hiver et croit qu’il serait
mieux d’y faire passer des faux sauniers» ou contre¬
bandiers du sel. Nous voilà donc revenus au problème
vestimentaire de 1689. Ruette d’Auteuil avait pourtant
fait valoir un stratagème ingénieux : vêtir les Noirs de
fourrures de castor qui, à l’usage doubleraient en valeur !
Vaudreuil l’ignorait-il ? ou son expérience personnelle
de propriétaire d’esclaves l’avait-elle rendu pessimiste?
Il pouvait en 1716 se rappeler ses deux Amérindiens et
ses quatre Noirs qui étaient passés par l’Hôtel-Dieu de
Québec ; on sait qu’à cette époque, si l’on entrait à l’hô¬
pital, c’est qu’on était à la dernière extrémité. Et nous
constatons que l’esclave noir du Régime français meurt
jeune : en moyenne, avant d’atteindre ses 20 ans.
42 Deux siècles d’esclavage au Québec

De la métropole on répond que cette proposi¬


tion « de faire passer des Nègres en Canada n’a pas paru
convenir pour le présent14». Le point de vue du prudent
Vaudreuil l’avait emporté, mais remarquons que le refus
porte ici sur l’envoi d’une cargaison de bois d’ébène et
non sur l’autorisation donnée aux Canadiens de posséder
des esclaves noirs. C’est pourquoi l’intendant Bégon
demande de nouveau en 1719 qu’on envoie des Noirs et
le régent de répondre en 1720 qu’il «veut savoir aupara¬
vant à quel prix les habitants pourront acheter les Nègres
pièces d’Inde15». Pièce d’Inde qualifie un esclave noir
entre 20 et 30 ans, bien fait, en santé et ayant toutes ses
dents pour reprendre la définition du Dictionnaire de
Trévoux.
Bégon envoie les précisions demandées, en adres¬
sant au régent une «soumission faite par les commu¬
nautés, principaux officiers et habitants de la Colonie
de payer les Nègres pièce d’Inde à raison de 600 [livres],
ou suivant la convention qui en sera faite à Québec de
gré à gré avec les Capitaines des navires négriers ». Cette
soumission, ajoute l’intendant, « n’a été signée que par
ceux à qui il a eu l’occasion de le proposer et il y a déjà
des souscriptions pour 101 Nègres et Négresses, c’est
ce qui lui fait croire que si la Compagnie des Indes
voulait envoyer à Québec en 1701 un vaisseau chargé
de 200 Nègres ou Négresses, le début en serait prompt
et qu’ils y seront vendus aussi avantageusement qu’à la
Martinique16 ».
La demande de l’intendant Bégon n’était donc
pas faite au hasard : il a pris la peine de faire signer un
bulletin de commande par des communautés religieuses
des officiers et des habitants. Dans cette opération, il a
recueilli des souscriptions pour une centaine de Noirs ;
c’est pourquoi il estime qu’une cargaison de 200 Noirs
se débiterait assez rapidement au Canada. Les souscrip¬
teurs sont prêts à payer 500 livres pièce ou selon ce qui
sera convenu avec les négriers.
On veut des nègres 43

Qui sont ces souscripteurs? Nous n’avons pas


retrouvé cette liste d’acheteurs. Nous devons donc nous
contenter de savoir qu’il y en a au moins une centaine
à vouloir se procurer des Noirs. Faute de mieux, nous
devons nous limiter aux achats faits par-devant notaire,
aux mentions dans les registres d’état civil ou en d’autres
documents : nous y retrouverons des communautés
religieuses, des membres du clergé, des officiers, des
marchands et même de simples habitants.

Bégon plaide pour une cargaison de nègres

Si donc on envoyait à Québec 200 Noirs, la vente


en serait rapide, selon l’intendant Bégon, et elle le
sera davantage, ajoute-t-il, «lorsque l’argent sera plus
commun à Québec et les habitants connaîtront l’utilité
d’avoir des Nègres sur leur terre». Et il juge opportun
de présenter aux autorités coloniales un mémoire sur la
nécessité de Noirs au Canada. On avait fait valoir en 1689
la rareté et la cherté des domestiques ; depuis ce temps, la
dialectique avait progressé, car Bégon va recourir à une
suite importante d’arguments : la culture du chanvre et
le progrès général de l’agriculture, l’aide aux vieillards, la
disette des domestiques, la défense en temps de guerre,
l’expérience des autres colonies.
Songeant peut-être à la canne à sucre qui introduisit
l’esclavage noir aux Antilles, l’intendant veut des Noirs
pour la culture du chanvre; c’est par là que débute le
plaidoyer. Il évoque ensuite un problème social que l’es¬
clavage noir pourrait aider à résoudre : celui des parents
qui deviennent invalides ou qui n’ont pas d’enfants.
« Les veuves et les vieillards qui n’ont point d’enfants en
état de travailler ne seraient plus obligés d’abandonner
leurs habitations ou de les donner à vil prix par l’impuis¬
sance où ils se trouvent de les faire valoir». Si l’on a des
esclaves noirs pour travailler sur les terres, les parents
44 Deux siècles d'esclavage au Québec

âgés ne sont plus obligés de se donner aux enfants dans


des conditions qui provoquent toutes sortes de drames :

Les pères et mères qui auraient beaucoup défriché et


bien établi leur habitation pourraient, lorsque par leur
grand âge ou infirmité ils seraient hors d’état de travailler,
rester maîtres de leurs biens et continuer à les faire valoir.
Par le moyen de leurs Nègres, ils ne seraient plus réduits
à dépendre de leurs enfants ni exposés à en recevoir de
mauvais traitements. Au contraire, leurs entants auraient
toujours pour eux le respect et la soumission qu’ils leur
doivent dans l’espérance de mériter qu’ils prissent soin
de les établir, au lieu qu’à présent parce qu’on ne trouve
point à affermer les terres, les pères et mères venus sur
l’âge sont obligés de se mettre à la merci de l’un de
leurs garçons et pour l’engager à les secourir dans leur
vieillesse de lui faire une donation de tous leurs biens à
la charge de les nourrir, loger et entretenir.

Or, fait remarquer l’intendant, ces donations ne sont


pas toujours fidèlement exécutées, d’où des procès ; ou, à
propos de l’héritage attendu, éclatent entre les enfants,
qui sont parfois io ou 12, des disputes sur les termes de
la donation.
En plus de dispenser les vieillards de se donner à
l’un ou l’autre de leurs enfants, la présence d’esclaves
noirs aura l’avantage de résoudre le problème des domes¬
tiques. Les officiers, les négociants et en général les habi¬
tants des villes pourraient prendre des terres et les faire
exploiter par ces Noirs. On pourrait encore apprendre
à ceux-ci les métiers essentiels, ce qui augmenterait le
nombre des ouvriers. En outre, les Noirs seraient fort
utiles pour la défense du pays : on n’aurait plus à compter
sur l’aide des Amérindiens, ce qui serait bien plus avan¬
tageux, car les Noirs obéiraient mieux, les Amérindiens
ne faisant qu’à leur tête et se retirant du combat dès qu’ils
On veut des nègres 45

se voient les plus faibles. Enfin, c’est grâce à l’arrivée de


Noirs que les colonies anglaises se sont mises à pros¬
pérer. Rappelant les autorisations qui ont été accordées
aux autres colonies françaises d’avoir des Noirs, l’inten¬
dant Bégon espère qu’on fera la même grâce en faveur
du CanadaV

Nouvelle autorisation d’une cargaison de nègres

Voilà la démonstration, plus élaborée que celle de


Ruette d’Auteuil en 1689, qui fut présentée au Conseil
de marine en janvier 1721. En marge du texte, le Conseil
a rédigé cette apostille favorable : « Envoyer copie de
cet avis et de la soumission à la Compagnie des Indes
en marquant que si elle prend le parti d’y envoyer cette
année une livraison de Nègres elle y trouvera le débit et
un profit considérable». Le projet Bégon d’une importa¬
tion de 101 Noirs franchit une étape décisive lorsque le
régent transmit son accord à la Compagnie des Indes.
Un nouveau retard se produit, que le Conseil de
marine fait savoir à Bégon : il est « survenu des chan¬
gements dans la régie de cette Compagnie à laquelle on
veut donner une nouvelle forme et à quoi on travaille
actuellement, elle ne pourra point faire cet envoi cette
année18», mais le Conseil veillera à faire respecter la
promesse.
Ce n’était, semble-t-il, que partie remise : on atten¬
drait le remaniement de la Compagnie, le Conseil de
marine l’engagerait de nouveau à envoyer un charge¬
ment de Noirs à Québec ; il ne restait qu’à patienter, la
commande de 1720 finirait par être livrée.
En fait, le chargement n’allait jamais venir. L’an¬
nonce de ce retard est la dernière mention du projet
Bégon. Nous ignorons ce qui a pu se passer. L’explication
résiderait dans la nouvelle conjoncture de la Compagnie
des Indes, titulaire du monopole de la traite des Noirs :
46 Deux siècles d'esclavage au Québec

elle est toujours obligée de se défendre contre les arma¬


teurs privés, sans guère profiter de son monopole; au
conseil de la Compagnie, on propose de s’en départir :
en 1724, on en limite le privilège au seul territoire du
Sénégal; grande victoire pour les armateurs privés, mais
déboire important pour la Compagnie. Le projet Bégon
semble s’être perdu dans ce grand chambardement.
Au Canada, on pouvait toujours compter sur l’ini¬
tiative privée, mais un armateur pouvait-il trouver profit
à transporter d’Afrique à Québec une ou deux centaines
de Noirs? Il y avait tant d’autres colonies moins éloi¬
gnées où l’on pouvait écouler une cargaison régulière de
500 ou 600 nègres.
Aucun navire négrier ne vint donc à Québec. Pour
s’en rendre compte, il suffit de parcourir les statistiques
qui, de 1714 à 1760, donnent le total des nouveaux esclaves
noirs qui arrivent chaque année :

1714 1730 4 1746 11


7

I7I5 3 i73i 3 r747 18

1716 1 1732 5 1748 16

1717 2 1733 4 1749 8

1718 2 T734 2 1750 12

17x9 -
1735 4 1751 7
1720 - 1736 3 1752 10

1721 2 I737 6 T753 6

1722 1 1738 7 1754 5


1723 1 1739 4 1755 16

1724 2 1740 5 1756 9


1725 -
I74i 5 r757 15

1726 2 1742 3 1758 9


1727 3 1743 15 1759 12

1728 3 1744 21 1760 6

1729 2 1745 11
On veut des nègres 47

Le nombre annuel des nouveaux Noirs est ridicu¬


lement faible, et encore avons-nous compté un certain
nombre de négrillons nés ici. Les Canadiens avaient
obtenu des autorisations officielles en 1689, en 1701 et en
1721, mais l’importation massive de Noirs à Québec n’a
pu se faire : il a donc fallu se contenter de rares indi¬
vidus.
48 Deux siècles d'esclavage au Québec

► NOTES

1 Édit du Roi Touchant la Police des Isles de l’Amérique Françoise, dans le


Code noir ou Recueil des Règlements (éd. 1767), 20SS. Nous étudierons
plus loin les diverses dispositions de ce Code noir.
2 Extraits de lettres des 10 août, 31 octobre et 6 novembre 1688, extraits
préparés pour le ministère, dans Documents Relating to the Colonial
History ofNew York. Paris Documents, IX, 398.
3 Mémoire à Denonville et à Champigny, Ier mai 1689, dans Archives
nationales du Québec (à l’avenir ANQ). Ordres du Roi, série B, vol. 15,
108s.
4 Instructions à Buade de Frontenac, 7 juin 1689, dans RAPQ, 1927-
1928,11.
5 Registre de Notre-Dame de Montréal, 24 mai 1692. Confirmé en
1693, le Noir Louis est, semble-t-il, en liberté en 1696, puisque le
13 août il s’engage de son plein gré à Jean Cailhaut dit Baron pour
travailler à la culture de la terre pendant trois ans avec salaire (greffe
Adhémar). Il s’appelle alors Louis Marié.
6 Lettre du 31 mai 1701, dans ANQ^ Ordres du roi, série B, vol. 22, II,
74s.
7 Pour plus de détails sur ce Noir, voir notre Dictionnaire des esclaves et
de leurs propriétaires.
8 AHDQj registre des malades, en 1704 et 1706 : on lui donne tantôt
19 ans, tantôt 23.
9 Noir de la Nouvelle-Angleterre qui figure dans la liste que Vaudreuil
remet à Dudley, dans Coleman, Captives Carried to Canada, I, 92.
10 Ordonnance du 13 avril 1709, dans Edits, ordonnances royaux, II,
271s. Nous parlerons plus longuement de cette ordonnance dans le
chapitre suivant.
11 Lemoyne de Bienville, 28 juillet 1706 et 12 octobre 1708, dans Rapport
sur les archives du Canada (à l’avenir RAC) pour 1905,1, 6,525.
12 Edits, Ordonnances royaux, 1,330.
13 Mémoire au ministre, 14 octobre 1716, dans Documents relatifs à la
Nouvelle-France, III, 21s.
14 Le roi à Vaudreuil et Bégon, 26 juin 1717, dans ANQ1 Ordres du Roi,
série B, vol. 39,701.
15 Le Conseil de marine à Bégon, ier juin 1720, dans APC, CIIA, 43,11.
16 Bégon au Conseil de marine, 26 octobre 1720, lettre résumée dans
Délibérations du Conseil de Marine, janvier et juin 1721, APC, C11A, 43,
us. et 41.
17 Mémoire de Bégon dans Délibérations du Conseil de Marine, 13 janvier
1721, APC, CilA, 43,11-19.
18 Le Conseil de marine à Bégon, 14 juin 1721, APC, B 44, II, 347s.
CHAPITRE II

La légalisation de l’esclavage

D es années 1670 jusque vers les années 1830, nous


constatons la présence d’esclaves au Québec. Avant
1709, nous en comptons 86 (n Noirs et 75 Amérindiens),
mais l’esclavage n’est pas encore formellement légalisé. À
Lachine, un registre d’état civil (donc dans un document
de l’Etat) applique le mot esclave à un Panis ; le registre
d’état civil fait de même pour un Noir à la Pointe-Lévy
en 1700. A l’église comme à l’hôpital, on inscrit Noirs
et Amérindiens plutôt comme appartenant à un tel.
L’esclavage n’est pas encore érigé en institution.

Les garanties des propriétaires d’avant 1 709?

Si un habitant du Canada possède un esclave, c’est


qu’il trouve ou croit trouver un fondement à son droit
de propriété. Or on est plutôt embarrassé avant 1709, si
l’on veut déterminer un fondement à ce droit. Louis XIV
avait bien publié en mars 1685 un Code noir qui réglait
dans les Iles, c’est-à-dire aux Antilles françaises, «ce qui
concerne l’état et la qualité des Esclaves », et ce Code noir
précisait en particulier que les esclaves étaient «biens
meubles » et qu’ils appartenaient dûment à leurs proprié¬
taires1, mais l’édit s’appliquait exclusivement aux Antilles,
5° Deux siècles d'esclavage au Québec

n’ayant jamais été promulgué au Canada ni même enre¬


gistré au Conseil souverain. Quand viendra le temps de
régler le cas des Noirs de la Louisiane, le roi de France
publiera un autre édit, quoique dans les mêmes termes,
pour la Louisiane seulement. Du Code noir des Antilles
ni de celui de la Louisiane, on ne peut rien déduire pour
le Canada.
Les propriétaires pouvaient-ils trouver un fonde¬
ment dans le traité conclu entre la France et l’Angle¬
terre en 1686? Ce traité qui touche les colonies d’Amé¬
rique, stipule en l’article 10 que les habitants d’une nation
ne pourront donner refuge aux esclaves qui appartien¬
nent aux habitants de l’autre nation2. Convenu en 1686,
cet article s’applique là où l’esclavage est formellement
reconnu : il ne l’était pas encore au Canada.
Toutefois, à partir de 1689, les propriétaires de Noirs
pouvaient dormir tranquilles : Louis XIV avait autorisé
les Canadiens à faire venir des Noirs pour le travail de la
terre et du défrichement. Permission royale qui pouvait
tenir lieu de garantie au sujet des Noirs, mais elle ne
valait pas pour les Amérindiens réduits en servitude :
or les esclaves que l’on possédait alors était surtout des
Amérindiens.
Dans son Catéchisme de 1702 et dans son Rituel de
1703, l’évêque Saint-Vallier parle des esclaves. A l’ar¬
ticle des empêchements qui rendent le mariage nul, le
Catéchisme demande quel est le second de ces empêche¬
ments et l’on répond : « C’est l’erreur de la condition :
épousant une personne esclave que l’on croirait libre, le
mariage serait nuP ». Voilà ce qu’apprend le Catéchisme
aux catholiques du diocèse de Québec, diocèse qui couvre
toute la Nouvelle-France (dont la Louisiane). Et dans le
Rituel de ce même diocèse, édité en France en 1703 encore
par l’évêque Saint-Vallier, nous trouvons un autre passage
sur l’esclavage ; énumérant les personnes qui ne peuvent
avoir accès à la prêtrise, l’évêque désigne en second lieu
La légalisation de l'esclavage 5i

«ceux qui sont nés hors le légitime mariage ou qui sont


esclaves4».
Nous avons tout de suite été tenté de conclure que
l’esclavage, noir ou amérindien, avait déjà en 1702 et 1703
une existence légale, mais dans ce Rituel, quelques pages
plus loin, un paragraphe embrouille tout à première vue ;
répétant un passage de son Catéchisme, Saint-Vallier écrit
que si une partie contractante du mariage croyait l’autre
libre alors qu’elle était esclave, il n’y a pas mariage, mais
il ajoute aussitôt : « il n’y a pas lieu à cet empêchement en
ce Royaume, où toutes les personnes sont libres».
La confusion devient grande. L’évêque veut-il nier
qu’il y ait des esclaves au Canada? Lorsqu’il a quitté
Québec en 1694 pour un séjour en France, il y avait au
Canada au moins 15 esclaves, dont 3 Noirs ; or la propriété
de ceux-ci était garantie par la permission venue de
Louis XIV en 1689; Saint-Vallier a lui-même baptisé
et confirmé en avril 1694 le Noir Jacques au service du
marchand Leber; mieux encore, un petit Amérindien de
8 ans, appelé Bernard, et qui meurt à l’Hôtel-Dieu de
Québec en juillet 1680, est inscrit comme «petit sauvage
de monseigneur l’évêque».
Toutefois, Saint-Vallier parle de Royaume. Il faut
faire attention ici que par royaume de France, on entend
dans les textes officiels de l’époque seulement la France
continentale, que nous appelons aujourd’hui l’Hexagone,
distinction qui est faite nettement dans l’édit d’octobre
1716. Dans cet «hexagone» donc, l’esclavage n’est pas
légal : si un esclave y trouve refuge, il devient libre. S’il
n’est que de passage (c’est le cas d’esclaves qui accom¬
pagnent leurs maîtres en séjour provisoire), il ne perd
cependant pas sa qualité d’esclave. L’apparente incohé¬
rence vient du fait que Saint-Vallier, en éditant son Rituel
en France, n’a pas pris garde qu’il s’adresse à des diocé¬
sains d’Amérique.
Deux siècles d’esclavage au Québec
52

L’intendant Raudot et la légalisation


de l’esclavage en 1 709

Situation rendue plus confuse encore, parce qu’à


l’intérieur même du Canada, il est des gens — que nous
n’avons pu identifier — qui soutiennent que l’escla¬
vage n’a pas droit de cité et qui encouragent les esclaves
à déserter. Comme le déclare l’intendant Raudot, les
maîtres « se trouvent frustrés des sommes considérables »
qu’ils ont versées pour acquérir des Amérindiens, «par
une idée de liberté que leur inspirent ceux qui ne les ont
pas achetés, ce qui fait qu’ils quittent quasi toujours leurs
maîtres, et ce, sous prétexte qu’en France il n’y a point
d’esclaves5 ».
L’intendant met fin à cette situation le 13 avril 1709.
Son ordonnance débute par une déclaration sur l’uti¬
lité des esclaves au Canada : «Ayant une connaissance
parfaite de l’avantage que cette colonie retirerait si on
pouvait y mettre, par des achats que les habitants en
feraient, des sauvages qu’on nomme Panis, dont la nation
est très éloignée de ce pays, et qu’on ne peut avoir que
par les sauvages qui les vont prendre et les trafiquent le
plus souvent avec les Anglais de la Caroline, et qui en
ont quelques fois vendu aux gens de ce pays». A ceux
qui prétendent «qu’en France il n’y a point d’esclaves»,
l’intendant répond : «Ce qui ne se trouve pas toujours
vrai, par rapport aux colonies qui en dépendent, puisque
dans les îles de ce continent tous les nègres que les habi¬
tants achètent sont toujours regardés comme tels». Or,
« comme toutes les colonies doivent être regardées sur le
même pied, et que les peuples de la nation Panis sont
aussi nécessaires aux habitants de ce pays pour la culture
des terres et autres ouvrages qu’on pourrait entreprendre,
comme les nègres le font aux îles et que même ces sortes
d’engagements sont très utiles à cette colonie », et vu qu’il
est nécessaire « d’en assurer la propriété à ceux qui en ont
La légalisation de l’esclavage 53

acheté et qui en achèteront à l’avenir», l’intendant fait la


déclaration suivante : «Nous, sous le bon plaisir de Sa
Majesté, ordonnons que tous les Panis et nègres qui ont
été achetés et qui le seront dans la suite appartiendront
en pleine propriété à ceux qui les ont achetés comme
étant leurs esclaves; faisons défense auxdits Panis et
nègres de quitter leurs maîtres, et à qui que ce soit de les
débaucher sous peine de cinquante livres d’amende ». On
devra lire cette ordonnance à Québec, aux Trois-Rivières
et à Montréal6. À Québec en particulier, elle le fut le
dimanche 21 avril 1709 devant l’église de la basse-ville,
après la messe de sept heures ; puis à la porte de l’église
de la haute-ville à l’issue de la grand-messe.
Nous avons là le premier texte officiel qui statue
sur l’esclavage au Canada. Désormais, les Noirs et les
Amérindiens qui auront été achetés seront esclaves, comme
la chose se pratique à l’égard des Noirs dans les Antilles
françaises : Noirs ou Amérindiens, ils appartiennent en
pleine propriété à ceux qui les ont acquis. Cette ordon¬
nance de Raudot demeurera le texte fondamental : l’in¬
tendant Hocquart se basera sur elle en 1730 ; et quand des
habitants de Montréal en 1799 présenteront une requête à
la Chambre d’assemblée à propos d’esclavage, leur premier
argument sera cette ordonnance de 1709?
Louis XIV avait décidé en 1689 que l’esclavage
noir pouvait exister au Canada, mais en 1709 c’était la
première fois qu’une ordonnance était rendue à ce sujet
dans cette colonie. À ce point de vue, elle ne revêt pas
un caractère spécial. Ce qu’elle a d’extraordinaire, c’est
que pour la première fois on confirme dans la servitude
toute une nation amérindienne, celle des Panis. Objet de
commerce entre les diverses tribus de l’Ouest américain
et les Anglais de la Caroline, puis entre les Amérindiens
et les Français, les Panis sont désormais marqués d’une
façon officielle et légale pour l’esclavage : leur nom
devient même un nom commun, panis, pour désigner un
54 Deux siècles d'esclavage au Québec

Amérindien esclave. C’est pourquoi il va devenir diffi¬


cile, tout le long de l’histoire de l’esclavage au Québec, de
savoir d’où vient exactement tel ou tel esclave, si l’origine
n’est pas autrement indiquée : un Joseph, panis, ou une
Marie, panise, n’ont pas nécessairement été tirés de la
nation des Panis.
La publication de cette ordonnance a pour effet
immédiat de mettre en pratique pour la première fois
la vente de Panis devant notaire. Deux mois après (le
15 juin), le notaire Adhémar dresse le contrat de vente
d’un Panis, le premier contrat connu : Madeleine Just,
femme du traiteur Pierre You d’Youville de Ladécouverte,
vend pour 120 livres son Panis Pascal, âgé d’environ
19 ans, au lieutenant Pierre-Thomas Tarieu de Lapérade,
époux de la célèbre Madeleine de Verchères8. Quatre
mois plus tard, autre vente par-devant le même notaire :
le 19 octobre, Jacques Nepveu qui demeure à Lachenaie,
vend pour 200 livres à son frère Jean-Baptiste, marchand
à Montréal, une Panise nommée Marie, d’environ 11 ans ;
la jeune Panise est présente à la transaction et donne son
consentement.
Alors que nous n’en trouvions aucun avant 1709,
les actes de vente par-devant notaire continuent de se
succéder, mais l’effet le plus impressionnant de l’ordon¬
nance de Raudot a été, semble-t-il, d’accélérer l’introduc¬
tion d’esclaves amérindiens, comme le montre le total des
nouveaux esclaves qui font leur apparition chaque année :

1700 7 1707 3
1701 6 1708 8

1702 2 I7°9 5
1703 12 1710 12

1704 6 1711 10

7°5 3 1712 20

1706 7 1713 26
La légalisation de l'esclavage 55

1714 34 1723 21

I7I5 32 1724 14

1716 25 1725 V

1717 20 1726 T3
1718 16 1727 12

1719 5i 1728 V

1720 34 1729 29

1721 30 1730 25

1722 21

Dès 1710, le total annuel des nouveaux esclaves


amérindiens atteint le nombre à deux chiffres : le marché
se fait relativement abondant.

Louis XV et l’esclavage amérindien

Lorsque l’intendant légalise l’esclavage amérindien,


il ne parle que de Panis mais, rappelons-le, il s’agit là d’un
terme qui est devenu un nom commun pour désigner un
Amérindien esclave. La légalisation vise bien d’autres
tribus ou nations, car sur le marché nous verrons bientôt
apparaître Patocas, Arkansas, Renards, Illinois, Sioux;
bref, toute tribu qui n’est pas officiellement en alliance
avec les Français. On n’y verra donc pas Algonquins,
Montagnais, Abénaquis, ni même Iroquois, puisque
ceux-ci, depuis la paix de 1701, se sont rangés du côté des
Français.Toutefois, il se présente, très rarement, une situa¬
tion équivoque : un Amérindien qualifié de Montagnais
que l’on traite en esclave ; il s’agit d’un esclave qui vivait
depuis un certain temps chez les Montagnais, d’où la
qualité de Montagnais qu’on lui attribue.
On fait donc une distinction entre Amérindiens
alliés et Amérindiens non alliés. Va-t-on distinguer entre
Amérindiens baptisés et Amérindiens encore païens ? Car
56 Deux siècles d’esclavage au Québec

il faut bien se rappeler que selon un article de la charte


de la Compagnie des Cent-Associés, un Amérindien
baptisé devenait « naturel français », c’est-à-dire citoyen
de plein droit. Le problème est soumis au tribunal civil
seulement en 1733, à l’occasion d’un procès entre le trai¬
teur Philippe You d’Youville de Ladécouverte et le capi¬
taine Daniel Migeon de Lagauchetière. Ladécouverte
devait 3500 livres à Lagauchetière; celui-ci fait saisir
par voie de justice le Patoca Pierre, âgé d’environ 26 ans,
appartenant à Ladécouverte et baptisé à Montréal
le 11 septembre 1723. En décembre 1732, le lieutenant
général civil et criminel de Montréal (ainsi appelait-on
le juge en chef) approuve cette saisie et ordonne que l’es¬
clave soit vendu au marché au profit de Lagauchetière :
le négociant Nolan de Lamarque l’achète pour 351 livres.
Ladécouverte en appelle au Conseil supérieur, en deman¬
dant qu’on déclare «nulle et injurieuse à la religion la
vente du sauvage en question faite contre les bonnes
mœurs, étant un Chrétien»; et Ladécouverte soutient
même que le Patoca jouira ainsi « de sa Liberté comme il
l’avait ci-devant» : ce que dément la décision du juge de
Montréal. En tout cas, Ladécouverte en appelle pour que
le juge soit mis en cause pour « avoir ordonné la vente
d’un Chrétien au marché où il a été vendu comme le sont
les animaux».
En tentant de faire annuler la saisie et d’intervenir
contre le juge, Ladécouverte jouait à l’adversaire scandalisé
de f esclavage : pourtant en 1709, sa mère avait vendu un
Panis baptisé et lui-même était propriétaire d’un Amérin¬
dien baptisé. Quoi qu’il en soit, par sa requête, il remettait
en discussion la légalité de l’esclavage amérindien.
Que fait le Conseil supérieur ? Il renvoie les parties
devant l’intendant Hocquart. Celui-ci vient en 1730 de
publier l’ordonnance de Raudot pour rappeler qu’elle
est toujours en vigueur : il s’appuie précisément sur
cette ordonnance, quand il rend sa décision9. Celle-ci
La légalisation de l’esclavage 57

confirme le jugement du tribunal : le Patoca, déclare-t-il,


a été légitimement vendu, Nolan de Lamarque en est le
propriétaire, mais Ladécouverte peut le lui racheter en
payant 351 livres, plus les frais de justice et ceux de la
maladie de l’Amérindien. Déjà fort endetté, Ladécouverte
préféra se désister. Nous constatons qu’à son inhumation
à Montréal, le 5 août 1747, cet esclave appartient toujours
à Nolan de Lamarque.
L’ordonnance de Raudot servait donc une fois de
plus de confirmation, mais comme elle restait toujours
soumise au bon plaisir du roi et que jusque-là Louis XV
ne l’avait ni approuvée ni condamnée, l’intendant
Hocquart profite de ce dernier procès pour amener le
roi à se prononcer. Il lui explique la dernière affaire dont
la justice canadienne a été saisie et il sollicite une loi
formelle sur l’esclavage des Amérindiens.
Le ministre répond de Versailles le 20 avril 1734 :
approbation de la sentence rendue dans le cas du Patoca,
mais le roi n’a pas jugé à propos « de faire aucun règlement
sur l’état de cette Nation et des autres avec lesquelles les
Français ne sont point en commerce ou sont en guerre,
mais [Sa Majesté] veut qu’on se conforme à l’usage qui
s’est toujours pratiqué à cet égard en Canada10».
Le courrier royal revient sur ce sujet l’année suivante,
1:735, avec plus de précision. Le roi, y lit-on, a expliqué
l’année dernière au gouverneur et à l’intendant la raison
pour laquelle « Sa Majesté n’a point approuvé la proposi¬
tion qu’ils avaient faite de prononcer par une loi formelle
sur l’état des Panis sauvages et des autres Nations avec
lesquelles les Français ne sont point en commerce ou sont
en guerre. Elle pense toujours de même à cet égard; mais
les juges de la colonie peuvent se conformer à l’usage où
l’on a été jusqu’à présent de regarder ces Sauvages comme
esclaves. Pour ce qui concerne la forme de les affranchir»,
l’intendant peut émettre une ordonnance qui oblige les
maîtres à passer par un notaire; le roi veut bien s’en
5« Deux siècles d’esclavage au Québec

rapporter à la prudence du gouverneur et de l’intendant.


Et il s’exprime dans les mêmes termes en 173611.
L’intendant demandait une loi sur les Amérindiens
réduits en servitude ; Louis XV ne juge pas utile de l’ac¬
corder, alors que les Noirs étaient officiellement esclaves
dans les colonies françaises. Comment expliquer cette
distinction car, malgré l’affirmation du courrier, le roi
n’en a pas donné d’explication.
Louis XV se fonde peut-être sur une raison de
politique étrangère. La Lrance avait intérêt à contracter
alliance avec le plus possible de nations amérindiennes à
l’intérieur du continent américain, afin d’étendre son aire
commerciale, mais aussi longtemps que des tribus sont
traitées comme bois d’ébène, toute alliance avec elles
demeure imposible. Or, plus on avançait vers l’ouest à
la recherche de la mer d’Asie, plus il fallait compter sur
l’alliance des tribus. En 1720 par exemple, la Compagnie
française des Indes se plaint des voyageurs qui vont faire
la traite sur les rivières Missouri et Arkansas et « tâchent
de semer la division entre les nations sauvages et de les
porter à se faire la guerre pour se procurer des esclaves
qu’ils achètent, ce qui non seulement est contraire aux
ordonnances du Roi, mais encore très préjudiciable au
bien du commerce de la Compagnie12 ». Le même préju¬
dice dont souffrira Gaultier de Lavérendrye : quand les
tribus de l’ouest se font la guerre pour se procurer des
esclaves au lieu de vivre en paix et de chasser les animaux
à fourrure, les opérations de la traite rapportent peu.
Comme l’écrit le jésuite Coquart, Lavérendrye «fera plus
d’esclaves que de paquets» de fourrures13. Il ne fallait pas
que la France complique le jeu des alliances en déclarant
esclaves des Amérindiens qui pouvaient devenir d’excel¬
lents fournisseurs.
Cependant, nous inclinons à croire que l’abstention
de Louis XV s’insère simplement dans la politique tradi¬
tionnelle de la France à l’égard de l’Amérindien. Alors
La légalisation de l'esclavage 59

que les autres nations d’Europe s’appliquaient à détruire


l’Amérindien ou du moins à le repousser le plus loin
possible des établissements, la France cherchait à l’assi¬
miler : elle a soutenu de ses gratifications les mission¬
naires qui travaillaient à convertir et à franciser. En 1627,
elle avait même reconnu que l’Amérindien baptisé deve¬
nait un citoyen français de plein droit; politique qu’ex¬
prime le ministre Colbert quand il veut que Français
et Amérindiens ne fassent «qu’un même peuple et un
même sang14». La France a été la seule nation d’Europe
à accorder aux Amérindiens ce traitement privilégié. On
comprend que Louis XV refuse de sanctionner par une
loi l’esclavage en question ; il accepte seulement que l’on
s’en tienne à l’usage établi. Les juges de la colonie, écrit
le roi, peuvent se conformer à l’usage où l’on a été jusqu’à
présent de regarder ces sauvages comme esclaves. Quel
était cet usage ? Celui établi par l’ordonnance de Raudot
en 1709, confirmé par Hocquart en 1730 et 1733. Il est donc
erroné de prétendre, comme l’a fait l’éditeur Hector de
Saint-Denys Garneau dans Y Histoire de François-Xavier
Garneau en 1928 (vol. II, p.92, n° 90), que Louis XV
aurait prohibé en 1736 l’esclavage des Panis.
Louis XV fait tout de même plus que tolérer cet
usage : il laisse à la prudence de l’intendant Hocquart
de décider si l’affranchissement notarié sera la condi¬
tion essentielle pour que les Amérindiens retrouvent leur
liberté. Il appartiendra à l’intendant, précise le roi dans le
même courrier, déjuger s’il vaut mieux exiger des maîtres
que l’affranchissement soit notarié plutôt que simple¬
ment verbal.
Or, dans ce choix laissé à l’intendant, il pouvait y
avoir conflit d’intérêts : Hocquart était lui-même proprié¬
taire de cinq esclaves amérindiens; et le gouverneur
Beauharnois avait eu parmi ses esclaves une bonne ving¬
taine d’Amérindiens. Hocquart opte pour la plus grande
exigence. Dans une ordonnance du Ier septembre 1736, il
6o Deux siècles d’esclavage au Québec

impose aux propriétaires qui accordent l’affranchisse¬


ment de le « faire par un acte passé par-devant notaires,
dont il sera gardé minute, et qui sera en outre enregistré
au greffe de la juridiction royale la plus prochaine » ; tout
affranchissement qui n’aura pas cette forme sera «de nul
effet15 ».

L’Amérindien esclave, article d’exportation?

Il restait dans cette législation un point à éclaircir : si


l’esclave amérindien appartenait légalement à son maître,
celui-ci, qui avait le droit de le vendre, pouvait-il l’envoyer
n’importe où ? Par exemple, aux Antilles ? Problème qui
se pose moins d’un an après la publication de la première
ordonnance sur l’esclavage.
Le négociant François-Marie Boüat avait vendu un
Panis à un sieur Mounier pour la somme de 300 livres,
en laissant entendre, paraît-il, à Mounier qu’il pour¬
rait ensuite transporter le Panis aux Antilles pour l’y
revendre. Mounier s’embarque donc pour les Antilles
avec son esclave, mais celui-ci, qui ne veut pas changer
de pays, disparaît sans qu’on puisse le retrouver. Mounier
s’adresse alors à l’intendant Raudot pour savoir s’il était
vraiment propriétaire et s’il était habilité à vendre aux
Antilles un Panis du Canada. Raudot répond le 23 mars
1710 : Mounier, propriétaire de son Panis, est autorisé à le
saisir partout où il le trouvera ; quant au droit de vendre ce
Panis aux Antilles, si Boüat l’a affirmé à Mounier, Boüat
devra reprendre son Panis et rembourser Mounier. Sur
quoi l’intendant se fonde-t-il? «Attendu que notre auto¬
rité pour ce qui regarde la police ne [s’étend] point au-
delà de cette colonie pour l’avantage de laquelle elle a été
rendue et que suivant même sa disposition, les Panis ne
peuvent être réputés esclaves que tant qu’ils y demeurent
et qu’ainsi il n’est pas permis de les transporter pour les
trafiquer ailleurs16».
La légalisation de l’esclavage 61

Comme l’ordonnance de 1709 ne s’applique qu’à la


Nouvelle-France, les Panis ne sont réputés esclaves qu’en
ce pays ; en sortant de la Nouvelle-France, ils sont libres ;
donc, contrairement à ce qu’on lui a dit, Mounier ne
peut exporter son Panis, et il est en droit de réclamer ses
300 livres.
Comme il s’agit toujours ici d’un esclavage fondé
non sur un édit du roi, mais sur l’usage pratiqué au
Canada, une certaine exportation aura tout de même
lieu, malgré cette sentence de Raudot. Lors d’un procès
de 1740, le chevalier Dormicourt affirme que plusieurs
propriétaires ont envoyé des Panis aux Antilles pour y
servir d’esclaves17. Qui sont-ils? Nous n’en retrouvons
qu’une information fragmentaire.
En 1730,1e Panis Charles en service militaire au fort
Niagara collabore à une mutinerie; on le condamne à la
déportation et l’expédie sans tarder comme esclave à la
Martinique18. En 1734, apprenant que les Renards, qui
venaient pourtant de déléguer une ambassade à Québec,
avaient attaqué les Français, Louis XV ordonne que les
deux chefs émissaires et la femme qui les accompagne
soient embarqués sur le premier bâtiment en partance
pour les Antilles et soient vendus là-bas au profit du roi ;
l’un des émissaires meurt avant le départ, la femme s’évade
et est reprise, et c’est ainsi qu’un Renard et une Renarde
furent transportés aux Antilles pour y vivre en esclaves19.
En 1747, un Panis, enlevé aux Anglais en même temps
que quatre Noirs, s’enfuit avec eux; on les rejoint. Pour
plus de sécurité, on les embarque pour la Martinique où
ils seront vendus au profit de leurs propriétaires20.
Cette politique de l’Etat de transporter aux Antilles
des Amérindiens esclaves, pouvait inciter les simples
propriétaires à faire de même, malgré la décision rendue
par Raudot en 1710. On connaît au moins le cas célèbre
de la Panise Marie-Marguerite Radisson dite Duplessis,
esclave du chevalier Marc-Antoine Huart Dormicourt.
62 Deux siècles d’esclavage au Québec

Mécontent de son esclave, Dormicourt conclut un


marché en 1740 avec un nommé Aubry pour l’expé¬
dier aux «îles de l’Amérique». De la prison où elle est
enfermée en attendant de s’embarquer, l’esclave obtient
un procès au cours duquel elle essaie de prouver qu’elle
n’est pas esclave. À aucun moment on ne mit en doute le
droit de Dormicourt de l’expédier aux Antilles ; pourtant,
tour à tour, la prévôté de Québec, le Conseil supérieur et
l’intendant Hocquart furent saisis de l’affaire ; la thèse de
l’esclave fut rejetée et la Panise partit pour les Antilles21.
Cette pratique d’expédier aux Antilles les esclaves
dont on n’était pas content fut tellement appréciée que
le gouverneur La Galissonnière et l’intendant Hocquart
proposèrent au roi de l’ériger en système. Les Amérindiens
qu’on avait pourtant soin d’acheter tout jeunes, ne se
francisaient pas toujours; dès qu’ils avaient grandi, bon
nombre regagnaient les pays de l’ouest pour redevenir
« sauvages ». Or ces fugitifs qui connaissaient bien les lieux
où ils avaient vécu en esclaves, pouvaient devenir dange¬
reux pour la colonie. En 1747, les autorités canadiennes
proposent donc au roi que désormais les propriétaires ne
puissent garder de ces Amérindiens au-delà de l’âge de
16 ou 17 ans : ils seraient alors vendus aux Antilles, d’où
évidemment ils ne pourraient pas s’échapper. C’était, en
somme, le plan que Lemoyne de Bienville avait proposé
en 1706 et 1708, avec cette différence qu’il comptait sur le
troc de deux Panis contre un Noir.
Sur le projet de 1747, la métropole répondit quelle
avait des objections : il fallait, en particulier, savoir
quel effet cette expatriation systématique aurait sur les
nations amérindiennes. En 1749, la métropole soumet ce
plan à l’attention du gouverneur La Jonquière et de l’in¬
tendant Bigot22. Puis, nous n’en entendons plus parler.
L’exportation d’esclaves amérindiens aux Antilles a peut-
être continué sans qu’il fût besoin d’une autorisation de
l’État.
La légalisation de l'esclavage 63

On exporte des Amérindiens esclaves aux Antilles


pour s’en débarrasser; fait-on de même en France?
Comme celle-ci était, en principe, une terre de liberté, on
pourrait de prime abord conclure que les propriétaires ne
pouvaient y envoyer ni amener leurs esclaves. La conclu¬
sion serait fausse, sauf pour une expatriation permanente.
En octobre 1716, le régent publie un édit qui permet aux
habitants des Antilles d’envoyer leurs esclaves en France
pour les confirmer dans la religion ou pour leur apprendre
un métier : ces esclaves « ne pourront prétendre avoir
acquis leur liberté, sous prétexte de leur arrivée dans le
Royaume, et seront tenus de retourner dans nos colonies
quand leurs maîtres le jugeront à propos » ; les esclaves ne
pourront se marier en France sans le consentement de
leurs propriétaires ; cependant, lorsque les habitants des
Antilles se seront établis en France et auront vendu leurs
habitations, ils devront dans l’année qui suit renvoyer
leurs esclaves aux Antilles. Il en sera de même pour les
officiers venus des Antilles en congé : ils devront renvoyer
leurs esclaves à l’expiration de leur congé. Dans l’un
et l’autre cas, les esclaves qui n’auront pas été renvoyés
deviendront libres. Par ailleurs, l’article 14 de cet édit de
1716 refuse désormais le droit d’asile à certains fugitifs :
si quelques esclaves noirs quittent nos colonies sans la
permission de leurs maîtres et se retirent en France, ils ne
pourront prétendre avoir acquis leur liberté ; il est permis
aux maîtres de ces esclaves de les réclamer partout où ils
se seront retirés et de les renvoyer dans les colonies23.
Or, affirmera un procureur du roi, se croyant auto¬
risés à se réfugier en France pour gagner leur liberté, et
profitant de la négligence des autorités à appliquer les
restrictions annoncées, survint «un déluge de Nègres»
qui cherchaient à se délivrer de leur servitude. Louis XV
dut renouveler son édit par une Déclaration de décembre
1733, en affichant des exigences plus sévères : les esclaves
venus en France avec leurs maîtres ne pourront y séjourner
64 Deux siècles d'esclavage au Québec

plus de trois ans et ils ne pourront s’y marier même avec


la permission de leurs maîtres24. Malgré cette nouvelle
intervention et parce qu’on négligeait toujours d’appli¬
quer la loi, il paraît que la France, surtout Paris, «est
devenue un marché public où l’on a vendu les hommes au
plus offrant et dernier enchérisseur; il n’est pas de bour¬
geois, ni d’ouvrier qui n’ait eu son Nègre esclave». Pour
tenter de mettre fin à ces abus, il fallut en 1762 imposer
à tous ceux qui avaient des esclaves noirs d’en faire une
déclaration précise et l’on défendit à quiconque d’acheter
ou d’en vendre25. La France n’était donc pas exactement
la terre classique de liberté...
Il était possible, par conséquent, à cause d’une cer¬
taine tolérance de l’esclavage en France, que des pro¬
priétaires canadiens y amènent leurs esclaves, même
amérindiens. Nous connaissons quelques exemples. La
veuve d’Augustin Legardeur de Courtemanche passe
en France en 1720 avec une esclave. L’avocat Claude Le
Beau, parlant d’un chef renard réduit en servitude qu’il
a vu à Québec en 1730 ou au début de 1731, écrit que le
gouverneur Beauharnois l’a envoyé pour servir son frère,
intendant à Rochefort. Le Panis Jacques, pour avoir fait
violence à une fille, est condamné aux galères en France.
Le Panis Constant, esclave de Paul-François Raimbault
de Simblin, est banni à perpétuité pour effraction noc¬
turne et mis à bord d’un vaisseau pour la France. Le gou¬
verneur général Vaudreuil-Cavagnial passe pour de bon
en France en 1760 avec son Noir, Canon, qui le servira
à la Bastille26. Tous ces Amérindiens ou Noirs sont-ils
toujours considérés comme esclaves, une fois traversé
l’Atlantique ? En tout cas, c’est en qualité d’esclaves qu’ils
s’embarquent pour la France.
La légalisation de l'esclavage 65

Un Noir est esclave où qu’il se trouve

Louis XIV avait en 1689 autorisé les habitants du


Canada à posséder des esclaves noirs ; l’intendant Raudot
en 1709 déclarait esclaves les Noirs qui avaient été achetés ;
le régent avait invité la Compagnie des Indes à envoyer
une cargaison de bois d’ébène à Québec. À ces disposi¬
tions adoptées par les autorités, d’autres étaient venues
s’ajouter. Ainsi, en décembre 1721, le roi publie un édit pour
empêcher les enfants mineurs, mais émancipés de tutelle,
de vendre les Noirs qui leur appartiennent. Enregistré au
Conseil supérieur de Québec le 5 octobre 1722, cet édit a
force de loi au Canada27. En octobre 1727, pour régler le
commerce étranger dans les colonies de l’Amérique, le
roi publie un autre édit : les Noirs trouvés sur les navires
qui font le commerce étranger seront confisqués au profit
de l’Etat; le 17 septembre 1728, le Conseil supérieur enre¬
gistre cet édit qui entre en vigueur au Canada. Le 19 juin
1748, le Conseil supérieur enregistre un autre édit, de 1745
celui-là : les Noirs qui s’enfuient des colonies ennemies
pour se réfugier dans les colonies françaises, et les effets
qu’ils y apportent, appartiennent au roi et les deniers
qui proviennent de leur vente sont aussi propriété du roi.
De ce dernier édit, il s’ensuit donc qu’un Noir qui pense
trouver la liberté en venant se réfugier dans une colonie
française fait erreur : cet édit enregistré au Conseil supé¬
rieur en 1748 met fin à l’espoir des Noirs des Anglais de
se libérer de la servitude en mettant le pied sur une terre
française.
Ce qui ne signifie pas qu’on refuse le droit d’asile;
il y a droit d’asile, mais le Noir demeure esclave ! Ce cas
se produit en 1732 quand un esclave noir s’enfuit de la
Nouvelle-Angleterre. Comme on est en temps de paix, les
Anglais viennent à Québec le réclamer, mais le gouver¬
neur Beauharnois refuse de le remettre. Qu’en fait-il? Il
ne le libère pas de la servitude; il fait don de ce Noir
66 Deux siècles d'esclavage au Québec

aux religieuses de l’Hôpital-GénéraP8. Le droit d’asile ne


fait que protéger contre l’extradition, car, comme l’écrit
le gouverneur La Jonquière, selon le principe reconnu
tant par les Anglais que par les Français, « tout nègre est
esclave quelque part qu’il se trouve29», à moins d’avoir
été affranchi.

La capitulation de 1 760 et le maintien de l’esclavage

Si l’on veut constater une fois de plus le caractère


légal de l’esclavage des Amérindiens et des Noirs, et du
même coup voir ce caractère légal se maintenir sous le
Régime anglais, on n’a qu’à se reporter au traité de capi¬
tulation signé à Montréal en septembre 1760. Le gouver¬
neur Vaudreuil-Cavagnial, qui a rédigé le texte des
demandes, consacre un article spécial à l’esclavage, l’ar¬
ticle 47 :

Les Nègres et panis de deux sexes, resteront en leur


qualité d’esclaves, en la possession des Français et
Canadiens à qui ils apartiennent. Il leur sera libre de les
garder à leur service dans la colonie ou de les vendre, et
ils pourront aussi continuer à les faire élever dans la reli¬
gion romaine30.

Le général Amherst répondit: «Accordé, excepté


ceux qui auront été faits prisonniers». Vaudreuil-Cavagnial
demande que les esclaves demeurent la propriété de leurs
maîtres et Amherst accède à cette demande : cela va de
soi, ils sont membres de deux nations esclavagistes.
Peu importe que la quantité de ces esclaves amérin¬
diens et noirs soit considérable ou pas, il fallait quand
même qu’ils fussent suffisamment nombreux pour que
l’on prît la peine de leur réserver un article spécial dans
ce traité de capitulation.
Et c’est ainsi que l’institution de l’esclavage,
reconnue et amplement protégée par la loi française, se
voit prolonger sous le Régime anglais par un autre acte
légal, celui de la capitulation de 1760.
La légalisation de l’esclavage 6y

► NOTES

1 Edit du Roi Touchant La Police des Isles de l’Amérique Françoise, mars


1685, dans Le Code noir ou Recueil des Règlemens (éd. 1767), 29s.
2 Texte dans Collection de documents relatifs à l’histoire de la Nouvelle-
France, 1,377.

3 Catéchisme du diocèse de Québec, (éd. 1702), 298.


4 Saint-VaUier, Rituel du diocèse de Québec, (éd. 1703), 326.
5 Ordonnance du 13 avril 1709, dans Edits, ordonnances royaux, II, 271s.
6 Ordonnance citée.
7 Texte dans Journaux de la Chambre d’Assemblée du Bas-Canada, 1799,
123.

8 Contrat dans le greffe Adhémar conservé aux Archives judiciaires


de Montréal. On ne donne ni le nom ni l’âge du Panis, mais nous
croyons qu’il s’agit de Pascal qui avait été baptisé à Montréal le
10 mai 1704, ayant pour maître ce You d Youville de Ladécouverte.
9 Ordonnance du 29 mai 1733, dans ANQ^ Ordonnances des intendants,
21, 77-82.
10 Le roi au gouverneur Beauharnois et à l’intendant Hocquart, 20 avril
1734, ANQi Ordres du roi, 1-2-3, série B, vol. 61, 69.
11 Le même aux mêmes, 11 avril 1735 et 15 mai 1736, Ibid., vol. 63, 64.
12 Document du 25 octobre 1720, dans Margry, Origines françaises des
pays d’outre-mer, VI, 316.
13 Cité par le gouverneur Beauharnois dans une lettre à Maurepas,
24 septembre Vjy2,Journals and Letters of Pierre Gaultier de La Véren-
drye and His Sons, 371.
14 Colbert à l’intendant Talon, 5 avril 1667, dans RAPQ, 1930-1931,72.
15 Ordonnance dans Edits, ordonnances royaux, II, 371.
16 Ordonnance du 23 mars 1710, dans ANQi Ordonnances des intendants,
vol. IV, 34r.-35r.
17 Sur ce procès, voir notre Dictionnaire des esclaves et de leurs proprié¬
taires, au chapitre de Québec, article «Marie-Marguerite, panise».
18 Severance, An Old Frontier of France, I, 288-290 ; Gosselin, L’Eglise
du Canada, II, 158s.
19 Le roi à Beauharnois et à Hocquart, 27 avril 1734; le même à Cham-
pigny et à d’Orgeville, 6 mai 1734; Beauharnois et Hocquart au roi,
21 décembre 1734, dans ANQ, Ordres du roi, série B, vol. 60,124, 279,
271 s.
20 Documents Relating to the Colonial History ofNew York, vol. X, 131,138.
21 Archives judiciaires du Québec, Collection de pièces judiciaires et nota¬
riales, dossier 1230. Nous étudions cette affaire plus en détail dans un
autre chapitre.
68 Deux siècles d’esclavage au Québec

22 Lettre du président du Conseil de marine, 4 mai 1749, dans RAC


pour 1905,1, 6,116. Cette lettre résume la demande présentée par La
Galissonnière en 1747.
23 Édit d’octobre 1716, articles 5,7,14,15 dans le Code noir cité, 169-181.

24 Ibid., 436.
25 Documents des 31 mars et 5 avril 1762, Ibid., 427-444.
26 Lettre du président du Conseil de marine, 19 mars 1721, dans BRH,
41,1935,128 ; Charlevoix, Histoire (édition de 1744), 1,26-28 ; Aventures
du Sr LeBeau (édition de 1738), 172s.; Histoire de la paroisse de Cham-
plain, II, 120s.; ANQx Registre du Conseil supérieur, 4,169-170; docu¬
ment de 1762, dans RAC pour 1911, 867.
27 Déclaration du roi, 15 déc. 1721, ASQ^ Polygraphie, IV : 82 ; Edits, ordon¬
nances royaux, 1: 438-441.
28 Registre de Notre-Dame de Québec ; Suite, « L’esclavage au Canada »,
dans la Revue canadienne, 61,1911,324.
29 La Jonquière au ministre, 16 juillet 1750, dans BRH, 2,1896,73.
30 Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada, iyyç-iyçi, I,
19-
CHAPITRE III

Près de 4200 esclaves au Québec

L orsque Gaultier de Lavérendrye en 1744 veut faire


valoir auprès du ministre Maurepas ses longs travaux,
il invoque trois avantages principaux que la colonie en
a tiré : «le grand nombre de gens à qui mon entreprise
fait gagner la vie, les esclaves que cela procure au pays
et toutes les pelleteries dont les Anglais profitaient ci-
devant1». Pour que Lavérendrye fasse de l’esclavage le
second de ses trois arguments, même avant celui des
fourrures, il faut qu’il soit une institution parfaitement
légale et bien acceptée par les autorités comme par
les habitants; il faut aussi que le nombre des esclaves
soit suffisamment considérable pour impressionner le
ministre. C’est ce nombre que nous avons tenté d’établir.

Les difficultés d’un dénombrement

Pour ce faire, nous avons d’abord parcouru depuis


leurs débuts jusqu’au XIXe siècle, les registres d’état civil,
catholiques et protestants. Comme on avait générale¬
ment l’habitude de faire baptiser son esclave et de l’in¬
humer en terre sainte (devoirs imposés par l’Eglise), nous
étions sûr d’atteindre de cette façon une bonne partie
de la population. De fait, ces registres nous ont fourni
7° Deux siècles d’esclavage au Québec

la plus grande part de notre documentation : sur les


quelque 4200 esclaves que nous avons trouvés, plus de
3 000 nous sont connus par les registres d’état civil. Dans
la consultation de cette source, nous n’avons pas oublié
les registres des malades et des morts tenus dans l’Hôtel-
Dieu de Québec (ceux de l’Hôtel-Dieu de Montréal,
pour l’époque étudiée, ont disparu) et dans les hôpitaux
généraux.
Les rôles de recensement, quand du moins on avait
soin d’énumérer les esclaves, nous ont aidé, en particu¬
lier celui de Québec en 1744, comme aussi les très rares
listes de confirmands et de communiants que le hasard
nous a transmises. Nous avons cherché dans les greffes
des notaires les actes de vente et d’affranchissement
d’esclaves, ainsi que les testaments et les inventaires après
décès susceptibles de faire mention d’esclaves. Et quoi
encore? La correspondance officielle des autorités colo¬
niales, les lettres privées (extrêmement rares), les récits
de voyages, les cahiers de comptes ; enfin les gazettes qui
apparaissent dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
Bref, en exploitant à fond toute source d’information sur
la colonie depuis ses débuts jusqu’à l’abolition officielle
de l’esclavage au XIXe siècle, nous espérons donner une
vue à peu près représentative de l’esclavage au Québec.
Le plus difficile était d’identifier les esclaves. Il
fallait des éléments essentiels : nom de l’esclave, âge,
origine, qualité, nom du propriétaire. Si, par exemple, les
registres nous signalent un Jacques, Panis, 19 ans, esclave
du sieur A et baptisé en 1740, nous saurons que c’est le
même Jacques, Panis, 21 ans, esclave du même sieur A,
qu’on inhume en 1742. Si les registres d’état civil, qui sont
notre plus abondante source d’information, avaient eu
tous le même souci d’identification complète, celui qu’on
a d’ordinaire pour les familles non esclaves, ce dénom¬
brement n’eût été qu’affaire de patience.
Près de 4200 esclaves au Québec 71

Or les éléments habituels d’identification n’étaient


que fort peu souvent réunis. Les registres d’état civil n’ont
pas toujours le souci de nommer l’esclave, le prêtre se
contentant d’écrire qu’il a baptisé ou inhumé un « nègre »
ou un « Panis » : nous avons dû ainsi inscrire dans notre
Dictionnaire près de 1000 esclaves demeurés anonymes.
Le Panis Pierre qu’on inhume en 1750 est-il ce Panis
anonyme qu’on a baptisé en 1749? Pour répondre avec
exactitude, il faudrait comparer les âges et les proprié¬
taires, mais comment faire si l’âge (qui n’est d’ailleurs
qu’approximatif) ou le propriétaire n’est donné que
dans un cas ? On peut tout aussi bien se trouver en face
d’un seul et même esclave qu’en face de deux esclaves
distincts.
Et puis, chez les esclaves qui ont un prénom, il peut
survenir un autre embarras : quel nom porte habituelle¬
ment tel esclave, le prénom de son baptême ou un autre
prénom plus courant ? En 1731, on inscrit à l’Hôtel-Dieu
de Québec un Louison qui appartient au gouverneur
Beauharnois, mais l’année suivante ce petit Amérindien
est baptisé sous le nom de Charles-Louis : rien ne l’em¬
pêche de reparaître dans un autre document sous le nom
de Charles.
Autre embarras : chez un même propriétaire, il peut
y avoir des esclaves homonymes, nous en avons rencontré :
le gouverneur Beauharnois en 1729 a deux Charlotte, l’une
est qualifiée de Renarde, l’autre tantôt de Renarde, tantôt
de Panise, et la religieuse de l’Hôtel-Dieu de Québec
se contente d’écrire dans le registre mortuaire : « la plus
grande Charlotte». Le voyageur Jacques Cardinal donne
son prénom à l’Outagami esclave qu’il fait baptiser en 1718,
et l’un et l’autre à leur inhumation sont appelés Jacques
Cardinal. Ou encore c’est ce Renard Gilles-Hyacinthe
qui appartient à l’intendant Gilles Hocquart, mais dans
les textes on le présente tantôt sous le prénom de Gilles,
tantôt sous celui de Hyacinthe : or l’intendant Hocquart
72 Deux siècles d’esclavage au Québec

avait un autre esclave Panis qui s’appelait Gilles, mais


cette fois nous sommes en mesure de distinguer ces deux
Gilles, parce que dans chaque cas l’âge nous est donné et
la marge est assez importante.
D’une façon très générale, quelle imprécision en fait
d’âge ! Comment d’ailleurs apprécier l’âge d’un Noir ou
d’un Amérindien qui n’est pas né au pays et ne possède
aucun papier d’identité? Le prêtre qui baptise ne peut
que juger à l’œil et écrire, par exemple : «12 ans environ»,
mais il arrive que l’âge est ainsi apprécié à l’œil par des
personnes différentes en des occasions différentes, et le
résultat est déroutant : tel Panis à son baptême est censé
avoir 8 ans; il entre à l’Hôtel-Dieu de Québec le mois
suivant : il a alors 10 ans ; il meurt peu après : une autre reli¬
gieuse lui donne 7 ans ; l’indication d’un même prénom et
d’un même propriétaire peut dans ces cas servir de point
de repère, mais que faire si aucun correctif n’est possible ?
Chaque fois que nous rencontrons un Panis ou un Noir,
nous pouvons nous attendre à ce qu’il soit rattaché à un
propriétaire. D’abord, parce que cela peut permettre de
savoir si ce Panis ou ce Noir est encore en servitude; ou
parce qu’on n’a plus jugé important (par exemple, lors
d’une inhumation) d’inscrire le nom du propriétaire. Et
quand ce propriétaire est indiqué, nous aurions souhaité
qu’on donnât à la fois le nom et le prénom, ainsi que
la profession. C’était exiger beaucoup ! La profession est
laissée de côté la plupart du temps, et nous devons la
trouver par d’autres sources. Sur environ 1500 proprié¬
taires, nous en avons quelque 1100 dont le nom est accom¬
pagné d’un prénom, quoiqu’ici il faille prendre garde à la
transmission d’un même prénom de père en fils, comme
chez les Gadois-Mogé. L’embarras peut être grand lors¬
qu’on n’a que le nom de famille.
Pour les fins d’identification, l’origine de tel ou tel
esclave n’est pas toujours une ressource décisive. Car, pour
un même Amérindien, ce détail donné par telle personne
Près de 4200 esclaves au Québec 73

ne correspond pas toujours à celui que donne une autre


personne. Il arrive qu’un esclave soit présenté une fois
comme Renard, une autre comme Panis; d’ailleurs, ce
mot panis qui sert très souvent à désigner l’origine, peut
se rapporter à n’importe quel esclave, ce qui augmente la
confusion. Nous avons rencontré un peu le même genre
de difficultés chez les Noirs : tel individu n’étant pas
inscrit comme Noir, quand on sait bien par ailleurs qu’il
est Noir.
Si tous les esclaves ou anciens esclaves étaient dési¬
gnés comme tels dans les sources documentaires, cela
nous aurait procuré un plus fort sentiment de sécu¬
rité, mais sur un total de près de 4200 esclaves, nous
ne trouvons que 456 Amérindiens et 228 Noirs qualifiés
d’esclaves ou faisant l’objet d’une transaction commer¬
ciale. Au Québec, quand il s’agit d’esclavage, le mot se
rencontre moins souvent que la chose ; le prêtre qui tient
le registre d’état civil répugne à écrire le mot esclave ou
ne s’en préoccupe pas : nous avons plusieurs fois constaté
que tel Amérindien ou tel Noir que l’on baptise sans être
présenté comme esclave, a été acquis par achat. Dans la
plupart des cas, on se contente de noter dans les registres
que tel Amérindien ou tel Noir appartient à tel proprié¬
taire.

Près de 2700 Amérindiens esclaves

Notre Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires


contient pour les seuls Amérindiens près de 2700 indi¬
vidus, mais il en est une bonne centaine d’autres que nous
n’avons pas retenus. Il y a d’abord de ces Amérindiens
sans qualification précise que nous rencontrons dans des
paroisses où l’esclavage est florissant : ils devaient être
eux aussi esclaves, mais en attendant plus ample infor¬
mation, nous ne les avons pas comptés dans la popula¬
tion esclave. Nous avons aussi inscrit, sans les compter,
74 Deux siècles d’esclavage au Québec

24 Sauteux (gens du Sault à l’entrée du lac Supérieur),


1 ambassadeur sioux, 6 Montagnais, 2 Miamis, 5 Renards
(gardés en otage), 1 Esquimau, 1 mitive et 1 Papinachois;
nous n’avions aucune preuve de leur servitude, mais
nous les avons inscrits, parce que des individus de ces
nations se sont trouvés déjà en servitude. Nous avons dû
aussi, tout en retenant leurs noms, omettre de compter
une quinzaine d’Amérindiens qui sont de Détroit et de
Michillimackinac après 1796 : on sait qu’à la fin de 1796,
ces deux lieux ont de fait cessé de faire partie du terri¬
toire canadien pour devenir américains ; les Amérindiens
trop jeunes pour y avoir connu l’esclavage sous le régime
canadien, ne pouvaient servir aux fins de notre travail.
Voilà pourquoi nous n’avons retenu dans nos statistiques
de l’esclavage que 2 683 Amérindiens.
Comment avons-nous procédé pour les grouper
dans la population esclave? En comptant d’abord les
Amérindiens qui sont esclaves d’une façon évidente, c’est-
à-dire ceux que les textes qualifient d’esclaves : il y en
a ainsi 456, dont 251 Panis. Puis, les Amérindiens qu’on
nous présente comme appartenant à un tel, après avoir
vérifié dans un certain nombre de cas que cette appar¬
tenance équivalait à propriété : nous avons ainsi ajouté à
notre dénombrement 1431 Amérindiens dont ion Panis.
D’autres Amérindiens, au nombre de 106, apparaissent
comme domestiques ou serviteurs, parce que ce sont des
Panis (tout Panis est entré au pays en qualité d’esclave)
ou parce que tirés de nations très éloignées. Notre
dénombrement comprend encore 129 Amérindiens qui,
selon nos sources d’information, demeurent chez tel ou
tel Canadien : 89 Panis et 40 Amérindiens divers qui, en
raison, de leur origine très lointaine ou de la famille dans
laquelle ils vivent, sont inscrits comme esclaves. Aussi
27 Amérindiens adoptés : comme nous avons là 23 Panis
et 4 Amérindiens venus de très loin, nous les comptons
parmi ceux qui sont entrés au pays en qualité d’esclaves.
Près de 4 200 esclaves au Québec 75

Enfin, nous ajoutons 269 Panis que les textes nous pré¬
sentent sans mention particulière, et 54 Amérindiens qui,
très probablement, sont ou ont été en servitude parce que
ce sont des Renards, des Patocas ou autre gibier à escla¬
vage.
Dans ce total de 2683 Amérindiens, nous comptons
339 enfants (dont 265 de Panis) qui ont subi la même
condition que leurs parents : suivant l’usage établi, les
enfants d’une mère esclave sont esclaves comme la mère,
quelle que soit la condition du père.

En résumé :
Amérindiens présentés comme esclaves 465 17,30 %
Amérindiens appartenant à un tel 1440 53>7° %
Amérindiens serviteurs ou domestiques, mais
106 4,00 %
très probablement esclaves

Amérindiens demeurant chez un tel, mais


129 4,80 %
probablement esclaves

Amérindiens adoptés ou élevés chez un tel,


27 1,00 %
connaissant ou ayant connu la servitude

Amérindiens sans mention particulière, mais


qui connaissent ou ont connu la servitude 516 19,20 %
(Panis, Renards, Patocas ou autres)

Si maintenant nous ne retenons d’une façon rigou¬


reuse que ceux qui ont été esclaves d’une façon certaine,
le tableau devient le suivant :

Amérindiens qui ont été esclaves à un


2424 9°,3%
moment donné (dont tout Panis)

Amérindiens qui ont été très probablement


259 9,7%
esclaves

Notre certitude porte donc sur les 90,3 % des


Amérindiens que nous avons retenus. Il serait étonnant
que les 9,7 % autres n’aient pas connu la servitude : ils
ont été tirés de nations très éloignées ou vivent dans des
familles esclavagistes.
Deux siècles d’esclavage au Québec
76

Des Panis en abondance

Il n’est pas facile de savoir d’où viennent exac¬


tement ces 2 683 esclaves amérindiens : on n’indique
pas toujours la tribu précise d’où ils ont été tirés. Ainsi,
l’Amérindien Augustin qu’on présente au baptême à
l’âge de cinq ans en 1746 à Sainte-Anne-de-la-Pérade,
est dit de l’Ouest2; l’Amérindienne Charles-Josephe
qui appartient à Guillaume Cartier à Saint-François-du-
Lac, est baptisée à cet endroit en 1720 à l’âge de trois
ans : le prêtre note qu’elle a été amenée des Outaouais;
détail qui ne nous éclaire pas davantage, puisque les
Outaouais, alliés des Français, n’étaient pas esclaves :
elle a dû être prise par les Outaouais quelque part vers
l’ouest. L’imprécision des documents ne nous permet
pas de faire un tableau rigoureux de l’origine des esclaves
amérindiens ; au total, plus de 16 % ont une origine qui
nous demeure inconnue.
D’ailleurs, l’usage du mot panis produit une totale
confusion. La nation des Panis étant une grande four-
nisseuse d’esclaves, on a pris l’habitude de coiffer un
Amérindien esclave du nom de panis, avec son féminin
panise, mais on trouve parfois panisse au féminin
comme au masculin. Que sont exactement les Panis?
Bougainville, dans un mémoire de 1757, résume bien la
description qu’on en pourrait donner ; à propos du poste
appelé mer de l’Ouest au-delà des Grands Lacs, il écrit :
«Un des commerces de ce poste est en Panis; c’est une
nation sauvage que l’on estime au nombre de 12000
hommes; les autres nations lui font la guerre et nous
vendent leurs esclaves»3. Ailleurs, encore à propos d’un
poste de commerce au-delà des Grands Lacs qui traite
en moyenne chaque année 40 à 60 esclaves « rouges » ou
panis, il précise : « nation située sur le Missouri, et qui
joue, dans l’Amérique, le rôle des nègres en Europe»,
mais il se trompe quand il affirme que c’est la «seule
Près de 4200 esclaves au Québec 77

nation sauvage que nous croyons pouvoir traiter de


même », et qu’il n’y a « que dans ce poste que l’on fasse
ce commerce » ; à moins qu’il ait voulu parler exclusive¬
ment de l’année 1757. On pratiquait ce commerce dans
plusieurs autres nations et plusieurs autres endroits. En
tout cas, selon le mot de Bougainville, les Panis étaient
les Noirs d’Amérique, rouges au lieu d’être noirs.
Il faut toutefois prendre garde à une équivoque, car
il y a eu au Québec dès le XVIIe siècle une famille tout
à fait d’origine française qui portait le nom de Panis et
il vint plus tard une famille de Janis, écrit parfois Janisse,
famille qui a possédé des Panis, de sorte que nous rele¬
vons l’expression un Panisse de Janisse.
Les Panis vivaient dans la partie supérieure des
rivières Missouri et Kansas, à peu près dans la région
aujourd’hui occupée par l’Etat du Nebraska4. Ils appa¬
raissent dans la cartographie et dans les récits de voya¬
geurs français dès la seconde moitié du XVIIe siècle et leur
appellation est variée : Pana, Panis Ricaras, Pammaha,
Panis Oasa, Panis noirs, Panis blancs. Parlant de la rivière
des Arkansas, Charlevoix écrit : « Cette rivière vient, dit-
on, du pays de certains Sauvages qu’on appelle Panis
noirs et je crois que ce sont les mêmes qui sont plus
connus sous le nom de Panis Ricaras. J’ai avec moi un
esclave de cette nation5 ». Parfois, la précision est poussée
plus loin, comme lors de ce baptême à Verchères en 1735 :
panis des panis blancs. Il arrive que le prêtre qui tient le
registre hésite : il écrit « panis ou sioux » ou encore « panis
assiniboine».
Les Panis, qu’ils soient vraiment de la nation des
Panis ou qu’on applique aux Amérindiens le nom géné¬
rique de panis, apparaissent dans la documentation à
partir de 1687, d’abord en petit nombre, puis ils devien¬
nent beaucoup plus nombreux pour se maintenir chaque
année à un chiffre assez élevé, la vingtaine ou la trentaine,
et même un sommet de 52 en 1761 ; leur nombre annuel
Deux siècles d’esclavage au Québec
78

décroît rapidement dans les années 1780, puis on n’en


trouve plus qu’un seul en 1802 : le dernier.
Les Panis sont les seuls Amérindiens à apparaître
dans la documentation chaque année avec une continuité
étonnante : il y a vraiment un marché panis comme il y a
un marché bois d’ébène.

Autres esclaves de la vallée du Mississippi

Outre les Panis qui viennent du haut Missouri, on


rencontre parmi les Amérindiens esclaves des représen¬
tants de diverses tribus de la vallée du Mississippi.
Dans la même région du haut Missouri, à 50 lieues au-
dessus du village des Kansés, selon Bougainville, vivaient
les Aiouois (ou Aiouès, Aiyoués) que les Anglais nomme¬
ront Iowas. Nous en rencontrons deux dans nos listes,
dont l’un âgé de 12 ans a été pris directement dans son
village, l’autre, à n ans, qui avait été chez les Amérindiens
de la Ouabache avant de passer aux Français.
Les Missouris habitaient la région de la rivière du
même nom, surtout dans sa partie inférieure. Au moins
deux de ces Amérindiens, baptisés à Québec, dont une
Missourise, ont été esclaves au Québec.
Dans cette même région, mais en descendant vers
la rivière Kansas, s’étend le pays des Cansés ou Kancés,
dont on baptise deux esclaves à Montréal et à Saint-
François-du-Lac.
Plus au sud, sur la rivière Arkansas, il nous est venu
cinq jeunes Arkansas baptisés à Lachine, à Montréal, à
Sainte-Anne-de-la-Pérade et à Québec.
Très loin, à l’intérieur des terres, derrière les Arkansas
et les Cansés, se trouvaient les Patocas ou Padoucas, iden¬
tifiés aujourd’hui aux Comanches : nous en avons eu 52
en esclavage ; comme ils étaient voisins des Panis, on les
a souvent confondus avec eux.
Tout au sud de la Louisiane, à l’embouchure du
Mississippi, on connaît la tribu des Ouachas : nous n’en
Près de 4200 esclaves au Québec 79

rencontrons qu’un seul en servitude, une Ouachesse


baptisée à Québec.
Passant à la rive gauche du Mississippi, en allant
du sud vers le nord, voici la tribu des Natchez, célèbre
par les pages de Chateaubriand : deux furent esclaves,
baptisés à Québec et à Détroit. Plus haut, les Tchactas
ou Têtes-plates, dont six sont inscrits dans nos listes.
Au nord, les Chicachas, contre qui il fallut mener deux
campagnes militaires en 1736 et 1738 : 18 Chicachas sont
comptés dans la population esclave, l’arrivée de 16 d’entre
eux correspondant à ces années de guerre.
Sur la rivière Ohio, le pays des Chaouanons, appelés
aujourd’hui Shawnees, n’aurait fourni qu’une seule
esclave : elle donne naissance à Détroit en 1798 à une
fille de son maître Jacques-François Lacelle. En remon¬
tant toujours la rive gauche du Mississippi, nous arrivons
chez les Cahokias, dont un seul baptisé à Détroit compte
parmi nos esclaves. Dans leur voisinage, les Tamarois,
dont un seul, à huit ans, est esclave. Enfin, nous termi¬
nons cet inventaire du Mississippi par les Illinois : sept
apparaissent dans notre Dictionnaire; nous avons précé¬
demment raconté l’histoire de cet Illinois qui a vendu son
fils comme esclave afin de pouvoir s’enivrer du produit de
la vente.
Plus de 1700 esclaves amérindiens nous sont venus
de la vallée du Mississippi.

Un contingent d’esclaves de l’Ouest

L’Ouest, c’est-à-dire tout le pays au-delà du lac


Supérieur (ce qu’on appelle à cette époque poste de la
mer de l’Ouest), en fournit aussi un certain nombre. Ce
sont surtout des Sioux à qui font la guerre les Cristinaux
(les Cris d’aujourd’hui) et les Assiniboines, alliés des
Français. En 1696, apparaît un premier Sioux à Montréal,
mais à titre d’ambassadeur et inhumé le 3 février : nous
8o Deux siècles d'esclavage au Québec

ne le comptons pas comme esclave. Les Sioux esclaves


commencent à arriver en 1712, d’abord très rares ; à partir
de 1733, il en vient quelques-uns chaque année, ce qui
correspond à la pénétration de Gaultier de Lavérendrye
dans l’Ouest. Comme les Assiniboines et les Cristinaux
se laissaient parfois distraire de la chasse aux fourrures
pour courir après ces Sioux, le commerce de Gaultier de
Lavérendrye en souffrait selon le jésuite Coquart en 1742,
et il note, après une victoire importante sur les Sioux :
«Le nombre des esclaves était si grand que suivant le
rapport et l’expression des Sauvages, ils occupaient dans
leur marche [rL] un terrain de quatre arpents6 ».
Il a dû venir nombre de ces Sioux au Québec, puisque
Gaultier de Lavérendrye insistant sur l’importance de
ses travaux mentionne «les esclaves que cela procure au
pays». Nous n’en avons retrouvé que 60; les autres ont
peut-être été confondus parmi ceux qui portent le nom
générique de panis ; d’ailleurs, les esclaves de Gaultier de
Lavérendrye sont qualifiés de Panis, ce devait être des
Sioux.
Parmi les esclaves qui viennent de l’Ouest, nous
inscrivons 14 Brochets (on a fait le féminin Brochette) : ils
sont dits venant d’une nation «vers la mer de l’Ouest».
Quant aux alliés de l’explorateur (Cristinaux et
Assiniboines), ils auraient eu quelques-uns des leurs
réduits en servitude. Notre liste comprend trois Assini¬
boines et cinq Cristinaux. Il se peut qu’ils fussent ainsi
appelés tout simplement parce que achetés des Assini¬
boines et des Cristinaux.

Esclaves des Grands Lacs

Poursuivant notre inventaire géographique, nous


groupons ici les Amérindiens esclaves qui sont origi¬
naires de nations des Grands Lacs.
Près de 4 200 esclaves au Québec 81

D’abord, les Sauteux, ainsi appelés parce qu’ils habi¬


tent la région du Sault-Sainte-Marie. Ils sont depuis
longtemps en relations avec les Français qui prennent
parfois chez eux des maîtresses ou des épouses. Le cas
le plus célèbre est celui d’Hamelin : Charles et son fils
Louis qui épousent des Sauteuses et en ont des enfants.
Malgré ces relations, nous inscrivons sept Sauteux dans
notre population esclave, à moins que ce soient encore
des Amérindiens achetés des Sauteux.
Sur la rive occidentale du lac Michigan, entre ce
lac et le Mississippi, vivent les Renards appelés aussi
Outagamis. Ils faisaient depuis des années la guerre aux
Français et à leurs alliés. Pour se les attacher, Lamothe-
Cadillac les invite à venir s’établir près de Détroit; une
quarantaine de familles acceptent l’invitation mais, en
1712, les Flurons et les Outaouais qui ne peuvent plus
supporter l’arrogance de ces Renards, les attaquent; les
Renards s’échappent, on les taille en pièces, les femmes
et les enfants sont pour la plupart réduits en esclavage et
vendus aux Français.
La guerre reprit entre Renards et Français. Il fallut
en 1716 lancer contre eux une expédition militaire. Défaits,
ils doivent fournir des otages ; ils reprennent quand même
le combat, puis envoient de nouveau des ambassadeurs,
mais le roi ordonne qu’ils soient arrêtés et expédiés aux
Antilles pour y être vendus comme esclaves. Et c’est ainsi
qu’à partir surtout de 1712, les Renards entrent au Québec
en servitude : dans les années 1712-1719, nous en comp¬
tons 64; puis, de 1730 à 1734, 31 autres; au total, 134 dont
9 sont nés ici même de parents esclaves.
Les Folles-Avoines, Amérindiens de la région de
la baie des Puants (aujourd’hui Green Bay), n’ont que
six représentants dans notre population esclave. Les
Mascoutins vivaient dans cette même région, à l’ouest
du lac Michigan, entre les Renards et les Illinois : nous
n’en rencontrons que trois en servitude. Au sud du lac
82 Deux siècles d'esclavage au Québec

Michigan, demeuraient les Poutéoutamis ou Poux : nous


en identifions six parmi nos esclaves.
Les Outaouais, alliés traditionnels des Français,
auraient eu deux des leurs en servitude.
Au sud du lac Ontario, vivaient des Amérindiens qui
pendant un long siècle ont été pour les Français une sorte
de fléau de Dieu; si des Amérindiens ennemis étaient
susceptibles de réduction en esclavage, c’étaient bien les
Iroquois dits les Cinq-Nations, dont la plus agressive, celle
des Agniers. Comme l’esclavage amérindien ne s’établit
au Canada qu’au milieu du XVIIe siècle, c’est seulement
à cette époque que l’on songe à appliquer aux Iroquois
une forme d’esclavage. En 1687, le gouverneur Brisay de
Denonville expédie en France des Iroquois prisonniers
et l’on en fait des rameurs de galères. Louis XIV trouve
l’importation profitable et il encourage ce gouverneur à
en capturer le plus grand nombre possible : «vigoureux
et accoutumés à la peine», ils peuvent servir utilement
sur les galères. Puis on estime d’une meilleure politique
de leur rendre la liberté : on les renvoie au Canada, où
le gouverneur Buade de Frontenac les reçoit même à
sa table, avant de les faire reconduire en Iroquoisie. On
espère que ces bons traitements leur feront oublier ce que
« leur esclavage avait eu de fâcheux7 ». En 1701, se conclut
la «grande paix», à l’heure où l’esclavage amérindien
commence à prendre de l’ampleur; il ne pouvait plus y
avoir chez les Français d’esclavage iroquois.
Plus bas que l’Iroquoisie, vers la rivière Ohio, sont les
Loups, alliés aux Iroquois : trois sont en servitude dans
les tout débuts de l’esclavage amérindien. Avec les Loups
on confond d’ordinaire les Mahingans, qui vivent au sud
de l’Iroquoisie. Alliés aux Iroquois, on les appelle aussi
Mahicans, Mahigans, Maraingans, Moraingans ; on les
qualifie d’Amérindiens anglais ou du parti anglais : nous
en avons cinq au pays, de 1748 à 1760, donc pendant les
dernières luttes anglo-françaises.
Près de 4 200 esclaves au Québec 83

Des esclaves des nations du Nord

La documentation nous présente des esclaves appelés


tantôt Gens des terres, tantôt Têtes de boule, tantôt
Montagnais. Bougainville écrit que Gens des terres est
un surnom qu’on donne aux Têtes de Boule. L’ingénieur
Franquet dit des Montagnais, «errants, sans demeure
fixe » entre le fleuve et la baie d’Hudson, qu’ils reçoivent
communément l’appellation de Gens des terres8. Nous
comprenons que par là on désigne les Amérindiens de
l’arrière-pays et qu’à ce groupe on rattache Papinachois
et Naskapis.
Deux Amérindiens présentés comme Gens des
terres sont en servitude. Deux Têtes de Boule sont quali¬
fiés de Panis, donc selon l’ordonnance de 1709, ils sont
esclaves, même si les Têtes de Boule du haut Saint-
Maurice descendaient faire la traite aux Trois-Rivières.
Un seul Papinachois et un seul Naskapi sont inscrits
comme esclaves.
Quant aux Montagnais, nous en retenons 25 en servi¬
tude, mais comment savoir s’il s’agit de ces Montagnais
que Franquet assimile vaguement à ces nations du Nord
ou de ceux qui sont alliés aux Français depuis les débuts
de la colonie et qui, par conséquent, ne pourraient être
esclaves ?
Enfin, nous avons compté 12 Esquimaux parmi notre
population esclave. Les Français ont longtemps essayé,
mais en vain, d’établir des relations d’amitié avec la nation
esquimaude. Le mémoire de 1757 que nous avons cité, la
présente comme la « plus intraitable et la plus cruelle » de
l’Amérique du Nord; selon l’ingénieur Franquet en 1752,
on ne peut humaniser ces Esquimaux qui sont traîtres et
anthropophages9. Esclaves qu’on n’a pas pu garder long¬
temps : 7 de ces 12 Esquimaux meurent à l’âge moyen de
17,6 ans.
84 Deux siècles d’esclavage au Québec

L’éloignement du pays d’origine, une garantie

Notre inventaire des Amérindiens esclaves établit la


répartition suivante selon l’origine géographique :

Vallée du Mississippi 1782 66,90 %

Pays de l’Ouest (au-delà du lac Supérieur) 83 3,10 %


Région des Grands Lacs 167 , %
6 30

Nations du Nord 43 1,60 %

OO
OO
d’origine inconnue 22,10 %

CO
Des 588 Amérindiens esclaves dont l’origine géogra¬
phique nous est inconnue, 28 sont des mitifs (aujourd’hui
métis), issus d’Amérindiens esclaves et de Canadiens;
nous les comptons parmi les esclaves, puisque les enfants
d’une mère esclave sont esclaves comme la mère, quelle
que soit, nous l’avons dit, la condition du père. Pour se
dire libres, les enfants doivent avoir été affranchis.
Il appert que dans l’ensemble, ces Amérindiens
esclaves viennent de très loin. Plus des trois quarts sont
de la région des Grands Lacs et de pays au-delà du lac
Supérieur et du Mississippi. On avait avantage à acheter
ces esclaves le plus loin possible du territoire habité par
les Français pour qu’ils aient le moins de chances de rega¬
gner le pays d’origine.

Au moins 1443 Noirs

L’inventaire des esclaves noirs n’a pas été plus facile


que celui des Amérindiens. Il fallait d’abord se garder de
prendre pour un esclave noir un membre de la famille
Nègre ou Noir, de même que des Canadiens peuvent
aussi porter le nom de famille Sauvage : à l’Hôtel-Dieu
de Québec en 1752, on inscrit un calviniste nommé Joseph
Nègre dit Latreille, originaire du diocèse de Riez; on
connaît aussi un Jean-Baptiste Nègre dit St-Jean, comme
Près de 4200 esclaves au Québec 85

on connaît la famille Noir dit Rolland. Piège d’ailleurs


facile à éviter.
L’identification précise pose les mêmes problèmes
que chez les Amérindiens : nombre de Noirs sont inscrits
dans les registres d’état civil d’une façon anonyme, on
évalue l’âge à l’œil de sorte qu’un même Noir est rajeuni
ou vieilli selon les différentes personnes qui le voient et les
documents ne donnent pas toujours le nom du proprié¬
taire, qui pourrait servir de repère.
Dans notre Dictionnaire des esclaves et de leurs pro¬
priétaires, nous avons inscrit 1443 Noirs. L’abolition for¬
melle de l’esclavage date de 1834 mais, de fait, l’appari¬
tion de Noirs avec la qualité d’esclave ou de appartenant
à ou de son équivalent cesse dans les premières années
du XIXe siècle. Après 1800, nous ne trouvons plus que
sept Noirs esclaves ou anciens esclaves : deux en 1802, un
en 1806, quatre qui apparaissent à partir de 1822 (un en
1822, deux en 1825, un en 1831) : ces quatre derniers ne
sont peut-être plus esclaves; en tout cas, ce sont d’an¬
ciens esclaves.
Comme pour les Amérindiens, les 1443 Noirs
inscrits ne sont pas tous qualifiés d’esclaves (324 appar¬
tiennent à cette catégorie). Ils sont dits esclaves ou ils ont
été l’objet d’une transaction commerciale, ou nous cons¬
tatons leur affranchissement. D’autres appartiennent à
un maître, ce qui est une preuve d’esclavage : nous en
comptons 575. D’autres encore sont présentés comme
serviteurs ou domestiques : au nombre de 59, ils ont
probablement été esclaves. Enfin, 27 qui «demeurent»
chez un Canadien ont aussi été ou sont probablement
esclaves. Il y en a en outre 12 qui sont dits libres et qui
ont dû, comme tout Noir, passer d’abord par la servitude.
Enfin, ceux sur qui on ne donne aucune précision, 446,
que nous inscrivons dans notre Dictionnaire, tout Noir à
cette époque étant ou ayant été esclave. Soit :
86 Deux siècles d’esclavage au Québec

Noirs dits esclaves 324

Noirs présentés comme appartenant à un tel 575

Noirs dits serviteurs ou domestiques 59

Noirs dits demeurant chez un tel 27

Noirs dits libres 12

sans aucune précision 446

L’apparition des 1443 Noirs dans notre documen¬


tation (outre le Noir de Couillart de 1632 à 1654) s’éche¬
lonne d’une façon assez régulière de 1686 à 1831.

1632-1654 1 1761-1770 65
1686 1 1771-1780 195

1691-1700 5 1781-1790 337

1701-1710 6 1791-1800 254

1711-1720 16 1801-1810 3

1721-1730 20 1811-1820 -

1731-1740 43 1821-1830 3

1741-1750 121 1831-1834 1

1751-1760 95 de date inconnue 2 77

Le nombre augmente de façon importante à partir


de 1783, qui marque l’entrée des loyalistes au Québec avec
leurs esclaves, en particulier ceux qui s’établissent dans
la région du Missisquoi; ce qui correspond aussi à peu
près à la fin de l’approvisionnement amérindien. Puis, la
liste s’effiloche à compter de 1800, le marché d’esclaves
devient de moins en moins actif; des juges refusent de
condamner les esclaves qui prennent la fuite. L’activité
esclavagiste cesse avec l’abolition officielle de 1834. Il
viendra encore beaucoup de Noirs après 1834, mais
surtout pour échapper à leurs maîtres des États-Unis : ils
traversent clandestinement la frontière (ce qu’on a appelé
XUndergroundRailway pour vivre en liberté).
Près de 4200 esclaves au Québec 87

Comme le Noir ne vient pas en cargaison, ainsi


qu’on l’avait demandé, on se le procure dans les colonies
anglaises par la guerre ou la contrebande. Le marchand
Jacques Leber a à son service depuis 1692 un Noir pris aux
Anglais. En 1700, on baptise à la Pointe-Lévy un Noir
anglais que les Abénaquis avaient capturé et vendu à un
Canadien. Autre Noir prisonnier dont fait mention un
document de 1700 : Titus Jones, originaire de la Nouvelle-
Angleterre. En 1718, l’officier Pierre You d’Youville de
Ladécouverte va traiter des fourrures à Albany et revient
avec un Noir. En 1731, le procureur du roi, Louis Poulin
de Courval, fait baptiser un Noir qu’il a acheté et qui
a été élevé dans le New York. Le Noir Charles-Joseph
s’enfuit de la Nouvelle-Angleterre et se réfugie chez le
gouverneur Beauharnois en 1732 : celui-ci en fait don à
l’Hôpital-Général de Québec10.
La guerre en 1745 donne l’occasion aux Canadiens
d’acquérir quelques Noirs. En novembre, on fait une
centaine de prisonniers au lac Champlain, «hommes,
femmes, enfants et nègres qui ont été en partie dispersés
aux Sauvages, qui s’en sont emparés, et les autres mis
dans les prisons à Québec11 ».
Parmi ces Noirs, les parents d’une enfant d’un an,
Etiennette : ils deviennent la propriété de l’officier Luc
Saint-Luc et le marchand Joseph-Jacques Gamelin
achète le bébé pour la somme de 500 livres. Dans ce lot
de prisonniers, une Noire enceinte qu’acquiert l’officier
Michel Maray de Lachauvignerie : le 26 décembre, elle
donne naissance à un négrillon que l’on baptise le surlen¬
demain. Dans l’attaque d’un fort, une Noire voit périr
son mari : elle est faite prisonnière au profit de l’offi¬
cier Daniel-Hyacinthe Liénard de Beaujeu; elle arrive
enceinte et met son enfant au monde le 2 mai suivant.
Une autre Noire, Diane, est capturée par les Amérindiens
avec sa fillette : l’une et l’autre vont faire partie des biens
meubles du marchand Pierre Guy.
88 Deux siècles d’esclavage au Québec

La guerre navale donne lieu aussi à des prises :


passant de Francerance à Québec, un capitaine de vais¬
seau enlève aux Anglais le Noir Jeannot, mais dès son
arrivée ce Noir entre à l’Hôpital-Général pour y mourir.
La guerre se poursuit et la documentation continue
de mentionner des Noirs issus des colonies anglaises. En
novembre 1747, quatre Noirs pris aux Anglais s’enfuient;
on les rattrappe, on les embarque pour la Martinique où ils
seront vendus12. Le nègre Thomas qui séjourne à l’Hôtel-
Dieu de Québec en ce même automne 1747, est un autre
prisonnier. En juillet suivant, Niverville de Montizambert
ramène à Montréal un Noir. La guerre prend fin au pays,
mais il reste encore des Noirs capturés13.
En temps de paix comme en temps de guerre, les
Amérindiens font des incursions chez les Anglais et
ramènent des prisonniers. Parmi eux, le Noir Samuel
Frement que les Anglais réclament, mais que le gouver¬
neur Beauharnois autorise Lacorne Saint-Luc à garder.
Dès la reprise des hostilités, on rencontre de nouveaux
Noirs qui viennent des colonies anglaises. Dans l’armée
française qui marche contre le fort Chouaguen en 1756,
un Noir qui avait été pris aux Anglais passe à l’ennemi.
À la prise du fort William-Henry, on tue ou capture des
Noirs14.
Il a pu ainsi, sous le Régime français, venir plusieurs
Noirs des colonies anglaises, mais les documents ne nous
donnent l’origine des Noirs que d’une façon occasion¬
nelle. C’était, en tout cas, le marché le plus proche et
parfois le moins coûteux, puisqu’il suffisait, en temps de
guerre, de s’emparer du bois d’ébène.
Il y avait aussi le marché de la Louisiane, cette autre
colonie française qui faisait partie de la Nouvelle-France
et avec laquelle on était en liaison par le pays des Illinois
et par mer. Les esclaves y étaient abondants et pouvaient
grossir la population noire du Canada.Toutefois, dans les
rares indications de l’origine, nous ne trouvons que cette
Près de 4200 esclaves au Québec 89

Marie-Françoise qui épouse en 1759 le Noir Joseph dit


Neptune, esclave du gouverneur Vaudreuil-Cavagnial ;
ses père et mère sont de la Nouvelle-Orléans. Il serait
étonnant quelle fut la seule à venir de la Louisiane.
On va en chercher plus loin encore que la Louisiane :
les marchands canadiens qui font le commerce des
Antilles, reviennent parfois avec des Noirs. Le marchand
Renaud fait baptiser à Québec en 1724 le Noir Pierre-
Louis qui arrive de la Martinique avec son maître; le
bourgeois François Aubert de Lachesnaie achète à Saint-
Domingue la Noire Marie-Louise, et la place à l’Hôtel-
Dieu de Québec en juillet 1728, peu après son arrivée.
D’autres Noirs viennent des Antilles, sans cepen¬
dant qu’on sache si leurs propriétaires sont allés eux-
mêmes les chercher. L’intendant Hocquart a une Noire
des Antilles; et l’Etat fait acheter aux Antilles en 1742
la Noire Angélique-Denise qu’on destine comme épouse
au bourreau noir de Québec15.
Il existe une source d’approvisionnement encore
plus éloignée : la côte de Guinée. S’est-on rendu jusque-
là pour se procurer des Noirs? Nous connaissons au
moins un propriétaire qui soit dans ce cas : le négociant
Joseph Fleury Deschambault de Lagorgendière achète
en Guinée même le Noir Joseph-Marie, qui séjourne
à l’Hôtel-Dieu de Québec en février 1728, alors âgé de
sept ans. Lorsque d’autres Noirs sont présentés comme
venant de la Guinée, s’ensuit-il qu’eux aussi ont été
achetés là-bas directement par des Canadiens ? Il est fort
possible que le navigateur Michel Salaberry, le marchand
Pierre Lestage, le navigateur François Lemaître-Jugon,
le négociant Joseph Dufy-Charest aient acquis leurs
esclaves d’un comptoir d’Afrique16.
Deux siècles d'esclavage au Québec

Graphique I
Répartition raciale des 4185 esclaves

3 000 h

Un peu moins de 4200 esclaves au Québec

Si nous réunissons tout ce que nous avons trouvé


d’esclaves amérindiens et noirs depuis la deuxième moitié
du XVIIe siècle jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1834,

nous obtenons un total de 4185 esclaves. Nous les répar-


tissons en trois groupes :

Amérindiens 2683

Noirs 1443
Amérindiens ou Noirs (non précisé par la documentation) 59

Le nombre des nouveaux esclaves qui apparaissent


dans la documentation ne prend une certaine impor¬
tance qu’après 1709, année de l’ordonnance de Raudot
qui légalise l’esclavage. Il atteint les 400 et les 500 dans
les 20 dernières années du Régime français, en raison de
l’importance de la traite des fourrures, opération qui faci¬
lite l’acquisition d’esclaves amérindiens. Le nombre de
ceux-ci chute ensuite rapidement (dû à la décadence de
Près de 4200 esclaves au Québec 9i

la traite), alors que celui des Noirs prend une soudaine


importance (dépassant de beaucoup les 600), grâce aux
loyalistes états-uniens qui arrivent avec leurs esclaves
noirs. Puis, après 1800, bien avant l’abolition officielle de
l’esclavage au Canada, même s’il arrive au Québec beau¬
coup de Noirs, les documents ne nous signalent presque
plus d’esclaves : l’esclavage disparaît déjà peu à peu, les
juges ne voulant plus châtier les esclaves qui désertent.
Dans ce grand total de 4185 esclaves,les Amérindiens,
au nombre de 2683, forment les 65,1 % des 4124 esclaves
de race connue, autant dire les deux tiers, alors que les
1443 Noirs en représentent un peu plus du tiers, soit
34,9 %.
Nous sommes convaincu que nos ancêtres des
XVIIe et XVIIIe siècles ont eu plus d’esclaves que ces 4185

recensés dans notre Dictionnaire. Car, dès le début du


XVIIIe siècle, les propriétaires se plaignaient de la diffi¬
culté à garder leurs esclaves amérindiens ; de plus, comme
on constate très souvent que les esclaves amérindiens
sont baptisés sur le tard, soit parce que leur éducation
religieuse prend du temps ou parce qu’ils ne se pressent
pas de recevoir ce sacrement, il s’ensuit que bien de ces
esclaves meurent avant d’être baptisés et, par conséquent,
n’apparaissent pas dans les registres d’état civil. Si l’on ne
trouve pas leur acte d’achat, on ne les voit nulle part : y
en a-t-il cent, deux cents, trois cents ou davantage de ces
« sans papiers » qu’on ne peut compter ?
Population de près de 4200 : ajoutons-y tous ceux
que la documentation ne nous a pas transmis : nous nous
trouvons tout de même devant un nombre ridiculement
faible, si nous le comparons aux autres pays esclava¬
gistes. Qu’est-ce que 4200 esclaves répartis sur 2 siècles,
comparé au New York qui en 20 ans importe plus de
2000 Noirs ? Dans la seule année 1749, on compte dans ce
New York 10500 Noirs ; le Maryland en a 8 000 en 1710 ;
la Caroline du Sud, 12 000 en 1721 ; la Louisiane, 5 000 en
92 Deux siècles d'esclavage au Québec

Graphique II
Répartition urbaine des 2537 esclaves

1800 >
60,/ %
1 600 ►

1400 >
M
I 200 s>
%
I 000 *• V - „'X.;

800 t>

600 > ■ [ _

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400 > 111
1 ••
200 ►

O ►

1
1
1
1

1
1
1
1
1
-J
1

Montréal Québec Trois-Rivières

Graphique III
Esclaves urbains et esclaves ruraux
(sur 4 185 esclaves)
3 000 t-

60,6 %
2 500

2 OOO K

39> 4 %
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Urbains Ruraux
Près de 4 200 esclaves au Québec 93

1746 ; aux Antilles, 250 000 vers 1744. Nous avons été de
modestes esclavagistes. C’est peut-être pour cette raison
que nous en avons si peu parlé...

La répartition géographique des esclaves

Quand les Canadiens réclament des esclaves noirs,


ils font surtout valoir le besoin de cultiver les terres : il
importe donc d’observer comment la population esclave
se répartit géographiquement et de savoir si les esclaves
vivent à la campagne ou à la ville.
Nous allons dresser la liste des lieux où se trouvent
ces esclaves mais, de ces derniers, seuls ceux dont on
sait qu’ils sont Amérindiens ou Noirs. Nous ferons l’in¬
ventaire des régions en nous basant sur ce qu’on appe¬
lait gouvernement sous le Régime français, parce qu’il
se trouve que ces gouvernements (Québec, les Trois-
Rivières et Montréal) correspondent en gros aux régions
du temps de l’esclavage.
À ce Québec, nous rattacherons certains terri¬
toires qui relevaient de l’administration québécoise au
moment où nous y comptons des esclaves : l’Acadie (Cap
Sable et Louisbourg) ; le lac Champlain jusqu’en 1763 ;
la région ontarienne sous le Régime français et de 1774
à 1791; Détroit, Michillimackinac et le fort Duquesne
font officiellement partie du Québec jusqu’en 1783 et, de
fait, jusqu’en 1796; enfin, sur le Mississippi, à Kaskaskias,
la mission Sainte-Famille dépendait du Séminaire de
Québec et celle des Jésuites relevait de leur communauté
de Québec.
94 Deux siècles d’esclavage au Québec

Amérindiens Noirs Total

I- L’Acadie

Cap Sable 1 1

Louisbourg 1 1

II- Le Québec

i. région de Québec

rive gauche :

Tadoussac

Ile d’Orléans

Saint-François i X 2

Saint-Jean 1 1

Saint-Laurent 2 2

Saint-Pierre 3 3
Sainte-Famille 1 1

Château- Richer i 1

Beauport 7 4 11

Charlesbourg 2 2

Lorette 2 2

L’Ancienne-Lorette i 1

Québec, ville 400 570 970

Sainte-Foy 1 1 2

Neuville 3 1 4
Les Ecureuils 2 2
Cap-Santé 2 2
Deschambault 1 1

Grondines 15 15
rive droite :

Lotbinière 1 1
Pointe-Lévy 3 7 10
Saint-François-de-Beauce 6 1 7
Beaumont 4 4
Saint-Vallier 1 1
Près de 4200 esclaves au Québec 95

Amérindiens Noirs Total

Saint-Thomas-de-
4 4
Montmagny

Cap-Saint-Ignace 5 1 6

Saint-Jean-Port-Joly 1 1 2

Sainte-Anne-de-la-
2 2
Pocatière

Kamouraska 2 2

N ew- Richmond 1 1

2. région des Trois-Rivières

rive gauche :

Sainte-Anne-de-la-Pérade 38 2 40

Batiscan 15 1 16

Sainte-Geneviève-de-
1 1
Batiscan

Champlain 6 6

Cap-de-la-Madeleine 1 1

Les Trois-Rivières 35 7 42

Yamachiche 2 2

Rivière-du-Loup-en-Haut
2 2
(Louiseville)

rive droite :

Saint-Pierre-les-Becquets 1 1

Saint-François-du-Lac 3 1 4
3. région de Montréal

rive gauche :

Berthier-en-Haut 8 9 T
Saint-Cuthbert 1 1

Ile-Dupas 1 1

Lanoraie 1 1

Lavaltrie 5 5
Saint-Sulpice 2 2

LAssomption 8 3 11
96 Deux siècles d'esclavage au Québec

Amérindiens Noirs Total

Repentigny 1 1

Lachenaie 5 7 12

Terrebonne 7 3 10

Oka 1 1

Saint-François-de-Sales
8 8
(Rivière des Prairies)

Saint-Vincent-de-Paul 2 2

S ault- au- Récollet 6 1 7


Pointe-aux-Trembles 6 1 7
Saint-Laurent 4 1 5
Longue-Pointe 7 5 12

Montréal 1525
M
O
O

518
Lachine 90 3i 121

Pointe-Claire 18 2 20

Sainte-Anne-du-Bout-de-
18 3 21
l’île

Ile-Perrot 2 2

Vaudreuil 5 7 12

Rigaud 8 8

Les Cèdres (Soulanges) D 4 21


rive droite :

Sorel 9 9 18
Verchères 10 1 11
Varennes 4i 3 44
Boucherville 47 15 62
Longueuil V X 18
Laprairie 66 2 68
Saint-Constant 1 1
Saint-Philippe-de-Laprairie 3 3
4. région du Richelieu

Saint-Antoine-sur-
1 5 6
Richelieu
Près de 4 200 esclaves au Québec 97

Amérindiens Noirs Total

Saint-Mathias 1 1
Chambly 9 3 12
5. région du lac Champlain

Saint-Armand (Philipsburg) D 13
Fort Saint-Frédéric 5 3 8
6. région des Grands Lacs

Fort Frontenac 2 2
York-Toronto 8 8
Détroit 523 127 650

Michillimackinac 135 25 160

Fort Saint-Joseph des


Miamis
15 15

Fort Duquesne 1 1
7. région du Mississippi

Kaskaskias (Sainte-Famille) 12 12 24

Nos 4087 esclaves, Amérindiens et Noirs se répar¬


tissent donc géographiquement comme suit :

Acadie 2

Canada (du Régime français) 3264

région du lac Champlain 21

région des Grands Lacs 874

région du Mississippi 24

Dans cet inventaire, l’abondance des esclaves, surtout


amérindiens, dans la région des Grands Lacs, n’étonne
pas puisque nous avons là des centres de peuplement
(Détroit et Michillimackinac) en plein territoire amérin¬
dien. La région où l’esclavage est le plus important est
celle du Canada du Régime français, c’est-à-dire les rives
gauche et droite du fleuve Saint-Laurent.
Hommes et femmes se partagent à peu près égale¬
ment : 1973 hommes (47,8%), 2151 femmes (52,2%).
98 Deux siècles d'esclavage au Québec

Toutefois, si l’on mesure séparément chacun des deux


groupes, le tableau ne paraît plus aussi homogène. Chez
les Amérindiens, les femmes sont bien plus nombreuses
que les hommes (1543, soit 57,5 % de femmes), alors
que chez les Noirs les femmes sont seulement 608, soit
42,2 % : On serait tenté d’y voir ce que plusieurs voya¬
geurs ont noté à propos du penchant que les Canadiens
auraient eu pour les « sauvagesses ». Mais il semble bien
que le hasard du recrutement expliquerait plutôt cette
supériorité numérique des femmes amérindiennes.
Sur les rives du Saint-Laurent, les 3 264 esclaves se
retrouvent en très grande majorité dans 2 régions : celle
de Montréal vient en tête avec 2077 esclaves (63,6 %), à
cause du recrutement amérindien par la traite des four¬
rures, la principale activité des Montréalais. La région
de Québec suit avec 1063 individus (32,6 %), importante
surtout par le nombre de ses Noirs. Quant à la région des
Trois-Rivières, géographiquement petite et peu peuplée,
elle n’a qu’une faible industrie, celle du fer; sa population
esclave compte seulement 115 individus (3,5 % des 3264).
Les autorités de la Nouvelle-France ont surtout
réclamé des esclaves pour la culture des terres. Le roi
a donné son accord, mais il n’est pas venu de navire
négrier; les habitants se sont débrouillés pour se procurer
des esclaves. Or, nous ne trouvons pas les esclaves là où
on les attendrait : ils sont en ville. À Québec, capitale
de la colonie, ils se chiffrent à 970 (400 Amérindiens et
570 Noirs) ; à Montréal, ils sont plus nombreux encore :
1525 esclaves (1007 Amérindiens et 518 Noirs). Soit 2495
esclaves qui vivraient en ville, donc plus des trois quarts.
L’esclavage est chez nous un phénomène urbain.
Près de 4200 esclaves au Québec
99

► NOTES

1 Journals and Letters of Pierre Gaultier de La Vérendrye and His Sons (éd.
Burpee), 451s.
2 Ibid., 451s.

3 A. moins d’indication contraire, les détails d’identification person¬


nelle sont tirés de registres d’état civil des lieux concernés.
4 RAPQ, 1923-1924,51,66.

5 Sur les Panis, voir J.R. Swanton, Tbe Indian Tribes of North America,
289s.

6 Lettre de Charlevoix datée des Akansas, décembre 1721, dans son


«Journal», vol. VI de son Histoire, 163.

7 Lettre résumée dans la lettre du gouverneur Beauharnois à Maurepas,


dans journals and Letters of Pierre Gaultier de La Vérendrye and His
Sons, 381.

8 Louis XIV à Denonville, 8 mars 1688 ; le ministre à l’intendant des


galères, 1688 ; lettre de Monseignat, 1689, dans Documents relatifs à
l’histoire de la Nouvelle-France, I, 418,426, 485.
9 Mémoire de 1757 cité, 52 ; Franquet, Voyages et mémoires sur le Canada,
23s.
10 Franquet, op. cit., 181.
11 Registre d’état civil; Coleman, Captives Carried to Canada, I, 92;
Revue canadienne, 61,1911,324.
12 Documents relatifs à l’histoire de la Nouvelle-France, III, 219.
13 Documents Relating to the Colonial History of the State ofNew York, X,
131,138.
14 Ibid., X, 172, 213 ; Documents relatifs à l’histoire de la Nouvelle-France,
III, 488 ; AHDQj. registre des malades ; registre de Notre-Dame de
Québec.
15 Documents Relating to the Colonial History of the State of New York, X,
172 ; Coleman, op. cit., II, 294-296 ; AHDQ^registre des malades, 1750-
1751; registre d’état civil de Notre-Dame de Québec, 1750.
16 Registre de Notre-Dame de Québec, 1722,1729 ; AHDQi registre des
malades, 1731,1737,1745 ; archives du Séminaire de Montréal, acte de
Panet, 1761.
*
CHAPITRE IV

Le marché aux esclaves

L e 15 juin 1709, Madeleine Just, épouse de Pierre You


d’Youville de Ladécouverte, vend un Panis à Pierre-
Thomas Tarieu de Lapérade, époux de Madeleine Jarret
de Verchères ; le 19 octobre suivant, Jacques Nepveu vend
à son frère la Panise Marie. En septembre 1796, le prêtre
Louis Payet, curé de Saint-Antoine-sur-Richelieu, vend à
Thomas Lée une Noire, Rose; et Jean-Baptiste Routhier
vend son mulâtre à Louis-Charles Loucher1. Nous avons
là au Québec, d’une part, les deux premières ventes d’es¬
claves en 1709 et, d’autre part, les deux dernières en 1796.
Les premières comme les dernières sont faites par des
francophones à des francophones.

Les esclaves comme biens meubles

Par son ordonnance du 13 avril 1709, l’intendant


Raudot avait déclaré légaux l’achat et la vente d’esclaves :
«Tous les Panis et nègres qui ont été achetés et qui le
seront dans la suite appartiendront en pleine propriété à
ceux qui les ont achetés, comme étant leurs esclaves ». Le
Code noir, dans son édition de 1685, comme dans l’édition
faite spécialement en 1724 pour la Louisiane (autre partie
de la Nouvelle-Lrance), assimilait les esclaves aux biens
102 Deux siècles d'esclavage au Québec

meubles2. Bien que le Code noir n ait pas été promulgué


sur les rives du Saint-Laurent, les esclaves seront ici
comme ailleurs des biens meubles, et les Canadiens en
disposeront comme tels.
Biens meubles, c’est-à-dire que les esclaves sont
possédés de la même façon que les animaux. Lorsque
le notaire Raimbault fait l’inventaire des biens de feu
François-Madeleine You d’Youville, époux de celle qu’on
appellera Mère d’Youville, il écrit tout simplement à la
suite3 :

Un Panis de nation âgé d’environ dix à onze ans estimé


cent cinquante livres, ci 150 L. Une vache à son second
veau, sous poil rouge, estimé trente livres, ci 30 L.

La seule différence entre l’esclave et la vache, c’est


que le Panis vaut cinq fois la vache.
Sous le Régime anglais, on procède de la même façon
mercantile. L’imprimeur William Brown annonce en 1783
une Noire de 18 ans; et il ajoute dans la même annonce :
«On disposera également d’une belle jument baie»4. Un
anglophone de Québec met en vente un Noir de 13 ans,
une Noire de 26 ans et un cheval avec la carriole et le
harnais5. Mis en vente en même temps que des animaux,
l’esclave peut aussi être échangé contre un animal. Ce qui
se produit lorsque John Turner, marchand de Montréal,
conclut une affaire avec un habitant de Boston : le Noir
Josiah Cutan, 22 ans environ, est échangé contre un cheval
gris et un montant de 31 livres 10 chelins6.
Biens meubles, les esclaves peuvent tenir lieu de
garantie dans le cas de dettes. En 1784, une dame Elizabeth
Chautler, épouse du maître de langues Alexander Bissett,
est créancière des Paterson qui tiennent auberge à Sorel;
la dette des Paterson est de 40 livres, cours de Québec
(160$ du XVIIIe siècle). Pour se libérer, les Paterson céde¬
ront aux Bissett une Noire de 12 ans, mais si les Paterson
Le marché aux esclaves 103

remboursent le montant qu’ils doivent, ils rentreront en


possession de leur esclave7.
Un cas semblable se produit en 1797. L’ex-lieutenant
George Westphal emprunte de Richard Dillon, proprié¬
taire du Montreal Hôtel, la somme de 20 livres, cours de
Québec; il s’engage à remettre cette somme dans les 18
prochains mois, plus un intérêt de 6 %. En garantie,
Westphal cède la mulâtresse Sedy, qui devra servir Dillon
en qualité de domestique jusqu’au parfait paiement;
toutefois, pour les services qu’elle rendra à Dillon, on
déduira de la dette, chaque mois, 15 chelins (2 $) ; si
Westphal ne rembourse pas son dû dans le temps convenu,
la mulâtresse deviendra la propriété de Dillon, ce qui
éteindra la dette (greffe Lukin, 22 nov. 1797).

Même un baptisé peut devenir un bien meuble

Si l’esclave est baptisé, peut-on continuer de le traiter


comme un bien meuble, sur le même pied qu’un animal?
Comment concilier avec la mise en vente la promotion
à la citoyenneté que le baptême, selon la charte de 1627,
assurait d’une façon automatique ?
Le problème surgit devant le tribunal de Montréal
en 1733. Philippe You dYouville de Ladécouverte s’était
fait saisir un Patoca qui ensuite avait été vendu; or cet
esclave était baptisé. Invoquant ce baptême, Youville de
Ladécouverte demande au Conseil supérieur d’annuler
la vente et de condamner le juge qui avait l’ordonnée.
Le Conseil refile le problème à l’intendant et celui-ci
confirme la décision du tribunal. Informé de l’affaire, le
roi refuse de se prononcer sur l’esclavage amérindien et
répond que l’on doit se conformer à l’usage établi. On
pouvait donc vendre un Amérindien baptisé8.
Ce problème reparaît dans un procès de 1740. La
Panise Marie-Marguerite, que le chevalier Dormicourt
s’apprête à embarquer pour les Antilles, utilise tous les
104 Deux siècles d'esclavage au Québec

arguments possibles devant le tribunal pour échapper


à l’exil; dans un mémoire rédigé par un praticien, elle
invoque sa qualité de baptisée pour recouvrer sa liberté.
Cet argument et les autres furent inutiles, elle perdit son
procès9.
L’issue de cette affaire de 1740 et le jugement rendu
en 1733 par l’intendant Hocquart démontrent qu’il est
permis de vendre un esclave même s’il est baptisé. En
fait, nous avons trouvé au moins cinq esclaves amérin¬
diens qui étaient dans ce cas.
Le problème ne se posait pas pour les Noirs : ils ne
pouvaient se réclamer de l’article 17 de la charte de la
Compagnie des Cent-Associés. On a donc vendu des
Noirs baptisés sans que leur baptême soulève un inci¬
dent.
Si l’esclave change de maître par vente ou autre¬
ment, on a soin d’ordinaire de s’assurer que la religion
n’en souffre pas. Les missionnaires de Détroit ont cons¬
tamment ce souci d’assurer la continuité religieuse de
l’esclave; par exemple, lorsque le récollet Bonaventure
Léonard baptise à Détroit en 1739 deux tout jeunes Noirs
de Louis Campeau, il écrit dans le registre que celui-ci
«a promis les élever et les instruire comme ses enfants
propres et s’il était obligé de les vendre, de ne les vendre
qu’à des catholiques romains, sans quoi je ne les aurais
pas baptisés»10. Remarquons l’ultimatum du mission¬
naire : «sans quoi»... Quand Cuillerier fait baptiser en
octobre 1736 au même lieu l’enfant qu’a eu son esclave, il
s’engage à ne le remettre qu’entre des mains de chrétiens
ou de la mère, afin qu’il soit élevé dans la religion catho¬
lique. Même engagement à Détroit par Pierre Chesne-
Labutte et Pierre Saint-Cosme en 1737 pour le baptême
d’un esclave nouveau-né; Guillaume Dagneau-Douville
de Lamothe y fait la même promesse en 1752.
Ou bien c’est au moment de la vente d’un esclave
catholique que le nouveau propriétaire, s’il est protestant,
Le marché aux esclaves 105

prend un engagement solennel : Louis-François de


Lacorne vend une Amérindienne catholique au marchand
protestant Connolly qui promet de ne pas la contraindre
dans sa religion ; et il tient promesse puisque l’enfant de
cette esclave reçoit le baptême catholique à Michillimac-
kinac en mai 1763.

Diverses occasions d’acquérir des esclaves

L’arrivage d’esclaves étant d’ordinaire lent et dispersé,


on peut déjà supposer que les acheteurs potentiels ont de
la difficulté à s’approvisionner en esclaves amérindiens
ou en bois d’ébène. Il faut attendre les occasions.
Les plus chanceux ont un esclave en cadeau. Vers
1754, Saint-Ours Deschaillons reçoit, des Amérindiens,
une Panise pour compenser un de ses gens mort par acci¬
dent ; une esclave qui vient d’enfanter donne le nouveau-
né à un Leduc-Persil11.
L’acquisition par héritage est une autre solution
profitable. L’exemple le plus intéressant est celui de
Charles Lemoyne de Longueuil, premier baron, qui
laisse en mourant une famille de sept esclaves noirs : un
fils du baron reçoit le père et la mère avec trois enfants ;
l’autre fils aura les deux autres enfants mais, pour équili¬
brer l’héritage, il se fera donner par son frère un Panis et
une Panise.
À défaut d’héritage, on achète. Des achats se font
parfois dans des circonstances particulières. Ainsi, deux
propriétaires d’esclaves s’associent en 1769 à Détroit pour
acheter un tout jeune Panis qui est gravement malade
et que son maître ne s’occupe ni de soigner ni de faire
baptiser; ils le font baptiser et il meurt trois jours après12.
Un autre propriétaire, John Askin, rachète un jeune
esclave d’un Charles Paterson, de Montréal, aux mêmes
fins de charité : cet esclave qui avait bien souffert chez
io6 Deux siècles d'esclavage au Québec

les Outaouais, appartenait à ce Paterson ; Askin s’offre à


l’acquérir en donnant une Amérindienne en échange13.
Autre achat exceptionnel : celui de cette Siouse
que l’acquéreur ne veut acheter que pour l’épouser. Ce
n’est pas le dernier chapitre d’un roman d’amour : on
veut simplement mettre fin à un scandale. Cette Siouse,
Marie-Marguerite-Caroline, esclave de Claude Landry
dit Saint-André, a eu cinq enfants naturels de Firmin
Landry dit Chariot ; pour mettre un terme à ce concubi¬
nage, selon le curé de Détroit, le propriétaire de la Siouse
convient de la vendre à Landry dit Chariot à la condi¬
tion expresse qu’il la marie, ce qui est fait le 17 juillet 1771
(Registre de Sainte-Anne-du-Détroit).
Nous avons mieux encore : avec le Noir Louis-
Antoine, nous nous trouvons en pleine histoire d’amour !
Libéré de servitude depuis le tout jeune âge, ce Noir
devient amoureux de la Noire Marie-Catherine Baraca,
âgée de 18 ans, esclave du marchand Dominique Gaudet.
Celui-ci n’est pas opposé au mariage, mais il ne veut pas
perdre son esclave en la laissant se marier; il est prêt à
approuver ce mariage, à condition que le futur époux
devienne son esclave. Qu’à cela ne tienne, déclare l’amou¬
reux : il se vend à Gaudet par-devant notaire ; on spécifie
que le maître disposera de Louis-Antoine comme il l’en¬
tendra, et de la femme ainsi que des enfants à venir. Et la
semaine suivante, Louis-Antoine épousa sa bien-aimée.
Il ne recouvrera sa liberté qu’en 1769 au décès de Gaudet
(greffe Panet). Son esclavage volontaire, sous le coup de
l’amour, aura duré huit ans.
La Noire Marie Bulkley se met, elle aussi, volon¬
tairement en esclavage, mais c’est pour se libérer d’une
dette « considérable » : le 28 novembre 1785, elle s’en¬
gage à servir Elias Hall « en qualité d’esclave le temps et
espace de trente années », et Hall pourra la vendre si cela
fait l’affaire. Il la vendit; Marie Bulkley connut 4 autres
propriétaires, toujours dans l’intervalle des 30 ans ; quand
Le marché aux esclaves 107

elle passa à son dernier maître en 1797, il lui restait 18 ans


de servitude selon son contrat, mais comme on parlait
un peu partout d’abolir l’esclavage, son nouveau maître
lui fit signer un nouveau contrat d’engagement de 30
ans, en qualité cette fois de servante (greffes Barthélemy
Faribault et Maurice-Louis de Glandons).
Esclaves acquis par don, par héritage ou par servi¬
tude volontaire, tout cela ne pouvait combler la demande.
Ceux qui désirent se procurer un esclave sont bien obligés
de se conformer à la routine normale du commerce. Voir,
par exemple, si quelque propriétaire ne cherche pas à
vendre un de ses esclaves. Ainsi, le négociant John Askin
veut se procurer deux jeunes Panises, puis, dans le même
temps, il se déclare prêt à disposer d’une mulâtresse14.
L’imprimeur de la Gazette de Québec, William Brown, se
désespère en 1766 parce qu’il manque de main-d’œuvre,
et on lui fait savoir qu’il n’y a pas d’autre solution que
d’acheter des esclaves; il se décide enfin d’acquérir un
jeune Noir par l’entremise d’un ami qui le lui enverra par
bateau de Philadelphie, en ayant soin d’assurer d’abord la
marchandise15.

Marché public et ventes à l’enchère

Pouvait-on chez nous recourir à un marché public


d’esclaves, comme il s’en trouvait dans les colonies
anglaises et aux Antilles? Et s’il y en avait un, était-il
ouvert en permanence ou seulement de façon occa¬
sionnelle? La documentation dont nous disposons ne
répond pas de manière satisfaisante à notre enquête.
Lorsque You d’Youville de Ladécouverte en 1733 feint de
se scandaliser devant le tribunal qu’on ait osé mettre aux
enchères un Amérindien baptisé, il fait allusion à la vente
qu’on en aurait faite dans un marché public comme pour
les animaux. Veut-il parler d’un marché réel d’esclaves
établi à Montréal ou est-ce là simple figure de style pour
io8 Deux siècles d’esclavage au Québec

frapper l’imagination du juge? Benjamin Suite a affirmé


d’une façon catégorique : «Nous n’avons jamais vendu
ni nègre ni Panis aux enchères publiques16 ». Mais Suite
fait erreur.
Des mises à l’enchère ? Il y a certainement eu des
ventes sur la place publique et avec enchère. Nous ne
connaissons qu’un cas sous le Régime français : ce Patoca
que le marchand Charles Nolan de Lamarque va acheter
en 1733 sur la place du marché, Patoca qui avait été saisi
contre You d’Youville de Ladécouverte. Il y en a quelques-
uns sous le Régime anglais. En 1778, à Québec, le capi¬
taine Thomas Venture fait « crier et adjuger par encan » sa
mulâtresse Isabella et c’est le boucher Hipps qui met la
plus haute enchère1?.
La Gazette de Québec annonce pour le 5 octobre
1782 la vente d’un jeune Noir par des encanteurs dans
leur «Chambre de Vente Publique», rue Notre-Dame
à Québec. Lorsque John Brooks, de Québec, offre une
Noire qu’on peut voir à sa maison, il ajoute : si elle n’est pas
vendue avant le 20 mai, il l’exposera en vente publique18.
En 1785, se produisent deux ventes d’esclaves en marché
public : par William Ward, du Vermont, vente d’un Noir,
d’une Noire et d’un négrillon, à William Campbell, de
Montréal; le mois suivant, ce Campbell revend les trois
esclaves au docteur Charles Blake (greffe J.-G Beck).
En 1791, le commissaire-priseur offre à l’encan un jeune
Noir19.
Et ces ventes en public et aux enchères font l’objet
d’une constante publicité dans les gazettes. De 1767,
année de la première annonce d’esclave, jusqu’en 1798,
année ultime de la publicité en ce domaine, il a paru au
moins 137 annonces pour 30 esclaves différents ; sur ces
30 esclaves, une seule Amérindienne, la Panise que les
négociants Melvin Wills et Burns offrent en vente en
juillet 1782 dans la Gazette de Québec.
Le marché aux esclaves 109

On annonce, par exemple, un jeune Noir qui est


entraîné au service domestique, qui sait raser et coiffer.
Vous préférez une Noire? en voici une qui a appar¬
tenu au gouverneur Murray et elle est devenue (quelle
déchéance !) l’esclave du tavernier Prenties : elle est
bonne domestique, sait traire les vaches et fait le beurre à
perfection. Une autre annonce offre en même temps une
Noire de 18 ans et «une belle jument» : adressez-vous à
l’imprimeur du journal.
L’esclave qu’on annonce le plus longtemps, est ce
Noir de l’imprimeur William Brown, l’indocile Joe que le
maître a dû bien des fois punir, qu’il a fait fouetter par le
bourreau, qui a volé, qui s’est évadé; bref, le Noir le plus
intraitable. De 1779 à 1784, Brown a essayé de s’en débar¬
rasser par la vente, mais sans succès : il appartient encore
à Brown en 178920.
À Québec comme à Montréal, on a donc mis des
esclaves en vente publique, pour les céder au plus haut
et dernier enchérisseur. On ne voit d’ailleurs pas pour¬
quoi chez nous, où l’esclavage était légal, on n’aurait pas,
comme ailleurs, mis des esclaves à l’enchère.
Nous connaissons sur le marché aux esclaves un
témoignage de tradition orale. Dans ses Mémoires, le
missionnaire oblat Damase Dandurand écrit : «Je suis en
mesure d’affirmer que, dans ma toute première enfance, il
y avait à Montréal un marché aux esclaves en règle». Sa
toute première enfance (il est né en 1819) nous renvoie au
premier quart du XIXe siècle, donc avant l’abolition de
l’esclavage dans l’Empire britannique; et il raconte que
venu à Montréal avec sa mère, ils seraient tous deux passés
devant ce marché et un vieux Noir malade aurait supplié
madame Dandurand de l’acheter21. Dans ces Mémoires
écrits très longtemps après les faits (le Père Dandurand
est décédé centenaire), le long dialogue qu’on rapporte
entre sa mère et le Noir n’est probablement pas authen¬
tique, mais le point principal du souvenir, ce marché avec
iio Deux siècles d'esclavage au Québec

cet esclave à vendre, paraît bien réel. Il serait d’ailleurs


étonnant que, dans un petit pays qui a possédé plus de
4200 esclaves, il n’y ait pas eu un marché à Montréal, cette
ville commerçante qui réunissait à elle seule pas loin de la
moitié de tous les esclaves du Québec.

Un marché peu actif

Malgré la publicité qu’on ne semble pas ménager et


malgré le besoin de main-d’œuvre, le marché ne paraît
pas très actif. Les cas d’héritage mis à part, il est assez
rare qu’un même esclave change de propriétaire et il est
encore plus rare qu’un même esclave passe plusieurs fois
de suite d’un maître à un autre. Trois Noirs de William
Ward sont vendus à William Campbell en avril 1785 et
revendus dès le mois suivant au docteur Charles Blake.
Quelques esclaves connaissent quatre propriétaires d’af¬
filée : c’est le cas de la mulâtresse Isabella qui aura, entre
autres maîtres, le lieutenant gouverneur Cramahé. Trois
esclaves ont connu cinq propriétaires successifs : la Noire
Marie Bulkley, la Noire Cynda (cinq propriétaires en
seulement deux ans), la Noire Rose qui appartint un an
au curé de Saint-Antoine-sur-Richelieu. Deux esclaves
auraient connu six propriétaires : le Panis Jacques, sous
le Régime français, et le Noir Josiah Cutan (six proprié¬
taires en six ans) et qui finit sa carrière à la potence.
De notre inventaire, nous avons surtout gardé
l’impression que l’esclave reste d’ordinaire attaché à un
même maître, ce qui peut donner à l’esclavage un carac¬
tère moins commercial et plus humain.
La vente en lot est exceptionnelle et le lot chaque
fois est maigre. Le 25 septembre 1743, le négociant
Charles Réaume, de l’île Jésus, vend au bourgeois Louis
Cureux dit Saint-Germain, de Québec, un groupe de
cinq esclaves, comprenant deux Noirs et trois Noires,
pour un prix global de 3000 livres22. En 1785, William
Le marché aux esclaves ni

Campbell achète et revend tout de suite trois Noirs (dont


un négrillon de six mois) pour la somme de 425 dollars23.
En 1787, au nom du «Département des Sauvages»,
Jacques Lafrenière achète quatre Noirs qui serviront
d’esclaves à des Amérindiens24.
En somme, les ventes ne sont pas fréquentes : 120
ventes parmi lesquelles seulement 41 Amérindiens, qui
sont pourtant les plus nombreux. Il faut supposer qu’un
certain nombre de ventes de gré à gré nous ont échappé.

À la recherche d’une marchandise saine

Si r on se rappelle que les Canadiens ont poussé très


loin la pratique du maquignonnage, s’efforçant d’échapper
à l’astuce de l’adversaire ou manœuvrant pour le jouer, on
peut être sûr que ce même esprit a opéré quand deux
individus avaient à discuter la vente d’un esclave.
Quoi qu’il en soit, aux négriers de toute nation, les
conseils ne manquaient pas :

[Ne pas accepter] des sujets qui n’atteignent pas quatre


pieds et demi, selon le sexe. Il est bon, dit Van Alstein,
de n’avoir pour chirurgiens que des gens vigilants. Ils
doivent examiner les yeux, la bouche, les parties nobles,
faire marcher, courir, tousser violemment en tenant la
main sur l’aine pour déceler les hernies. Point de vieux
à peau ridée, testicules pendantes et ratatinées, dit une
instruction anonyme vers 1769. Point de grands nègres
efflanqués, poitrine étroite, yeux égarés, air imbécile, qui
annoncent l’épilepsie. [De même pour les femmes], ni
tétons cabrés [faux seins], ni mamelles flasques; promp¬
titude de traits et propreté25.

A-t-on, dans notre société, poussé l’examen de


l’esclave du haut en bas avec autant de soin que le recom¬
mandent les spécialistes du « nègre » ? Puisque chez nous
112 Deux siècles d’esclavage au Québec

on achète l’esclave comme on achète un bel animal, nous


ne voyons pas pourquoi ils auraient ici procédé avec
moins de méticulosité qu’ailleurs.
Ce serait en ce domaine grande sottise que d’acheter
chat en poche. On examine d’abord la marchandise.
Quand Joseph Chavigny de Lachevrotière de Latesserie
achète en 1737 de Jacques-Hugues Péan de Livaudière
une Renarde de 13 à 14 ans, il la «reconnaît pour être
saine, et n’être point estropiée en aucune façon, l’ayant
fait visiter». Le marchand James Finlay vend en 1779
au Juif Aaron Hart une Noire en assurant dans l’acte
de vente qu’elle est «sound and free of ail Sickness and
disorders whatsoever». Même déclaration par le vendeur
James Bloodgood, lorsqu’il cède une Noire à Aaron Hart
en 178626. La plupart du temps, on a soin d’affirmer que
l’esclave a déjà eu la vérole ou la picote, ce qui dans l’avenir
équivaut à l’immunité.
Les contrats de vente, le signalement de fugitifs ou
d’autres documents de ce genre nous procurent certains
détails physiques sur les Noirs. En général, ils sont
grands : le mulâtre Jean-Louis vendu en 1796 mesure
5 pieds 10 pouces; le Noir de Pinguet de Vaucour a de
5 pieds et demi à 6 pieds.
Voici d’autres détails. Le Noir de Jean Orillat, âgé
de 22 ans, « est bien fait, a l’air très doux, le visage un peu
allongé, ayant une petite couture au col du côté gauche,
joignant la mâchoire, ce qui est la suite d’une glande qui
n’est pas encore guérie ». Andrew, mulâtre de Crofton, a
23 ans, d’une taille moyenne, la bouche extraordinaire¬
ment grande, les lèvres grosses, les doigts croches, est fort
vif et alerte. Bruce, Noir de Christie, 35 ans, est «grand
et bien fait», a «le nez élevé et le teint tout à fait noir», il
hésite un peu en parlant. Ismaël, Noir de Turner, 36 ans, a
« quelque chose de remarquablement triste dans la figure
et une peau entre le noir et le basané ; ses cheveux sont
courts, épais et frisés, son visage fort picoté, il a perdu
Le marché aux esclaves «3

quelques-unes de ses dents supérieures de devant, ainsi


que le premier joint de son quatrième doigt de la main
gauche, et il a en outre au milieu de la jambe droite une
cicatrice toute fraîche, d’un coup de pied de cheval, reçu
et guéri depuis peu » ; il a le ton de voix particulier à la
Nouvelle-Angleterre qui est son lieu de naissance. Voilà
bien un Noir d’une pauvre valeur commerciale : mais il
n’est pas à vendre, c’est un déserteur que son maître veut
récupérer^.

Une marchandise jeune

Selon les négriers, un « nègre » bon et marchandable


(ce qu’on appelle aussi une pièce d’Inde), ne doit pas
avoir plus de 30 ans ; cet âge est d’ailleurs un maximum
que l’on évite d’atteindre, car passé cet âge le Noir perd
rapidement de sa valeur. Il faut donc acheter l’esclave le
plus jeune possible.
Sur les 25 Noirs dont on fournit l’âge au moment de
la vente, 12 n’ont pas 20 ans, 10 ont moins de 30 ans ; il y en
a tout de même 3 qui ont 30 ans et plus : ce n’étaient pas
là de bons marchés ; d’ailleurs, ce Sullivan qui achète un
Noir de 33 ans sera, comme nous le verrons, bien attrapé.
Quoi qu’il en soit, la moyenne d’âge de ces 25 Noirs est
de seulement 18,8 ans.
Chez les Amérindiens, l’âge est aussi un facteur
essentiel, parce qu’on tient à ce que l’esclave serve le plus
longtemps possible. Il y a une raison plus urgente encore :
comme la forêt natale n’est pas tellement loin, il faut
prendre l’Amérindien le plus jeune possible pour qu’il se
fasse tout à fait à la civilisation française et que, devenu
adulte, il ne soit pas tenté de regagner les bois. Sur son
âge, ce sont les registres d’état civil qui peuvent davan¬
tage que les actes de vente nous éclairer. Nous savons
que la moyenne d’âge de l’esclave amérindien à son décès
(âge évidemment jugé à l’œil) est de 17,7 ans : ce qui nous
114 Deux siècles d’esclavage au Québec

amène à conclure qu’en général, cet esclave est acquis


au cours de son adolescence ou surtout de son enfance.
Compte tenu seulement des actes de vente, l’âge varie
de 5 à 25 ans et nous obtenons un âge moyen de 14,1 ans
seulement; cette moyenne d’âge correspond à ce que l’on
sait par ailleurs de l’extrême jeunesse de l’esclave amérin¬
dien.

Le noir plus dispendieux que le rouge

L’intendant Bégon écrivait au Régent en 1720 que


les communautés et les habitants du Canada étaient prêts
à payer les Noirs 600 livres chacun, mais il avait soin
d’ajouter : « ou suivant la convention qui en sera faite
à Québec de gré à gré» avec les capitaines des navires
négriers. L’intendant faisait bien de ne pas s’en tenir à
600 livres et de parler de convention de gré à gré, parce
que ce prix n’était pas très alléchant pour un négrier : à
cette époque, le Noir coûte déjà beaucoup plus cher au
fournisseur. On le constate par les prix qu’un négociant
de La Rochelle propose aux habitants de la Louisiane
en 1737, prix en principe acceptés : les négrillons de 10 à
15 ans, 650 livres ; les Noires de 16 à 30 ans, 750 livres ; les
Noirs du même âge, 850 livres. Aux Antilles, beaucoup
moins éloignées que le Canada de la source d’approvi¬
sionnement, les prix moyens auraient été les suivants : en
1728,800 livres ; en 1750,1160 livres ; en 1776,1825 livres. Il
faut évidemment tenir compte de certaines conditions :
l’âge, l’apparence physique, l’état de santé, les aptitudes, la
provenance peuvent faire monter ou baisser l’évaluation.
Nous possédons, des années 1737 à 1797, une liste de
44 prix : ils varient de 200 à 2400 livres. Un Noir qui ne
coûte que 200 livres doit être une bien pauvre marchan¬
dise, puisque celui de bonne qualité peut aller jusqu’au-
delà de 2000 livres. En 1768, à Québec, on a payé le prix
moyen de 2 400 livres pour chacun de deux Noirs de 17 et
Le marché aux esclaves ii5

21 ans. Sur les 44 exemples recueillis, 16 Noirs valent 600


livres ou moins, 11 ont été vendus de 700 à 1000 livres
chacun, 17 ont coûté plus de 1000 livres. Nous pouvons
conclure en nous basant sur ces seuls exemples (c’est
d’ailleurs toute l’information que nous avons), qu’un Noir
coûte en moyenne 900 livres : c’est déjà 300 livres de plus
que l’estimé proposé par l’intendant Bégon.
Et l’Amérindien, lui, combien coûtait-il? Nous ne
disposons que de 18 exemples, qui ne sont pas absolument
probants car, pour l’Amérindien comme pour le Noir, il
faut tenir compte de détails qui rendent la marchandise
plus ou moins chère. Quand même, comme nos exem¬
ples s’échelonnent de 1709 à 1792, nous pouvons en tirer
une approximation.
L’esclave amérindien peut ne valoir que 120 livres
et nous ne voyons pas qu’il en ait valu plus de 750 :
5 Amérindiens ont été vendus moins de 300 livres,
10 ont coûté de 300 à 600 livres. En aucun cas le prix
maximum de l’Amérindien n’atteint le prix moyen du
Noir. L’Amérindien moyen ne coûte que 400 livres, le
nègre moyen 900. Ou, si l’on veut, un Noir vaut deux
Amérindiens. Comme on est à la porte de l’abondant
marché «sauvage», mais très loin des sources du bois
d’ébène, il était évident que le Noir serait plus dispen¬
dieux que l’Amérindien.
Ce prix, qu’il s’agisse du Noir ou de l’Amérindien,
comprend d’ordinaire l’habillement, car on ne vend
pas l’esclave nu. La Panise Catiche est vendue en 1753
«avec ses hardes et le linge en l’état que le tout est»; la
mulâtresse Isabella est vendue au lieutenant gouverneur
Cramahé en 1778 « avec les hardes et linges à son usage,
que mon dit sieur acquéreur reconnaît avoir reçus en sa
maison » ; quand la veuve du bourgeois Philibert en 1748
vend son Noir à l’explorateur Gaultier de Lavérendrye,
elle promet de le livrer « avec seulement les hardes qu’il
se trouvera avoir lors de la livraison et trois chemises28».
n6 Deux siècles d'esclavage au Québec

Bref, l’esclave se rend chez son nouveau maître avec ce


qu’il a sur le dos ou un petit baluchon sous le bras.

On s’endette pour un esclave

L’esclave est une bête de luxe : il est normal que


les gens cossus en fassent l’achat. Le prêtre Louis Payet,
curé de Saint-Antoine-sur-Richelieu, achète en janvier
1787 du bourgeois Samuel Mix un Noir de 10 ans pour
23 livres, cours de Québec, c’est-à-dire 552 livres fran¬
çaises, il paie tout de suite en or et en espèces (greffe
LeGuay). Mais on n’a pas toujours la somme à portée
de la main. Il arrive que la transaction ne soit que du
troc : Joseph Chavigny de Lachevrotière de Latesserie
achète du négociant Jean-Baptiste Auger une Panise de
22 ans qui vaut 400 livres, il s’engage à expédier de la
Martinique cette même valeur en poivre et en café; en
1732, le marchand Pierre Guy achète de Louis Chappeau
un Patoca de 10 à 12 ans qui coûte 200 livres : le paie¬
ment se fait en castors et en pelleteries diverses ; en 1790,
Pierre-Charles Boucher de Labruère acquiert un Noir de
8 ans et demi en échange de 90 minots de blé. Ou bien
l’on paie à la fois en espèces et en nature comme lorsque
le même Latesserie achète un Patoca de 10 ans au prix
de 350 livres : il donne 250 livres en monnaie de carte et
2 barriques de mélasse29.
Si l’on ne possède ni l’argent ni la marchandise de
troc et qu’on tienne à acheter un esclave, on s’endette.
Ce que fait le 15 juin 1709 l’officier et seigneur Pierre-
Thomas Tarieu de Lapérade, époux de Madeleine Jarret
de Verchères, quand il achète un Panis de 14 ans au prix
de 120 livres, pour qui il engage d’avance ses appointe¬
ments de juin et de juillet. Pour acheter un Noir au coût
de 1192 livres, le 4 mai 1757, le marchand-orfèvre Ignace-
François Delzenne n’a dans ses coffres que 600 livres : il
s’engage à payer le reste dans 15 jours ; il hypothèque donc
Le marché aux esclaves u7

ses biens et ce n’est que deux mois après qu’il s’acquitte


de cette dette. En 1797, le tavernier Thomas John Sullivan
achète un Noir de 33 ans qui lui coûte 36 livres, cours de
Québec, c’est-à-dire 864 livres françaises : hypothéquant
ses biens, il compte payer ce Noir à raison de 72 livres
françaises par mois30. Un an pour payer un «nègre», et
encore est-ce un « nègre » de 33 ans !

Parfois de mauvaises affaires

Comme tout marché, celui des esclaves a ses périls. Le


droit de propriété qu’on prétend exercer n’est pas toujours
clair, d’où les disputes. Une dispute de ce genre survient
entre le médecin Timothée Sylvain et la veuve d’Youville,
née Marie-Marguerite Dufrost de Lajemmerais, plus
tard dite Mère d’Youville. Sylvain se prétend propriétaire
du Panis que détient la veuve d’Youville et il l’accuse en
Cour de lui avoir enlevé cet esclave pendant la nuit. Un
nommé Falson a chez lui en 1762 une Panise qu’il aurait,
selon lui, achetée d’un chirurgien de vaisseau; le négo¬
ciant juif Eléazar Lévy soutient en Cour qu’il en est le
propriétaire pour l’avoir achetée d’un Joseph Lorrain. La
Cour donne raison à Lévy31.
Il faut dans ces marchés se défier du vendeur qui
veut se débarrasser d’une mauvaise marchandise tout en
rêvant d’un prix élevé. Jean-Baptiste Barthe confie la
vente de son Panis à son beau-frère le négociant John
Askin. Celui-ci, qui s’y connaît en affaires, donne la note
zéro au Panis « trop fou pour faire un matelot ou même
quelque chose de bon », mais Askin le vend quand même
pour la somme de 750 livres ; or, parmi les exemples de
prix que nous avons recueillis pour la vente d’un esclave
amérindien, ce prix de 750 livres est le plus haut jamais
payé pour un Amérindien. L’acheteur s’est fait bien
attraper.
118 Deux siècles d’esclavage au Québec

L’acheteur va parfois au-devant du péril et prend


un esclave qui a disparu. En mai 1724, Jean Gaultier-
Landreville, de l’île Sainte-Thérèse, vend un Panis au
seigneur Louis-Hector Piot de Langloiserie ; or le Panis
est invisible depuis six mois. L’acheteur prend sur lui de
retrouver l’Amérindien et même s’il n’y parvient pas, le
vendeur en sera quitte. Marché hasardeux! C’est que
Piot de Langloiserie compte par ce moyen récupérer les
200 livres que lui doit Gaultier-Landreville. Selon cet
arrangement, que Piot de Langloiserie retrouve ou pas
ce Panis, la dette sera éteinte32. Heureux débiteur que
celui-là !
Le marchand Louis Dunière prend le même risque
en 1751. Il achète du boucher Jacques Damien un Noir
au prix de 500 livres qu’il paie comptant. Or, ce Noir,
sachant qu’il allait être vendu, a disparu la veille de la
vente et on ne l’a plus revu. L’acheteur conclut quand
même que le marché tient, puisqu’il l’avait fait « sur ses
risques, périls et fortune»33.
Mary Jacobs en 1785 achète des époux Fisher 2
Noires pour la somme de 50 livres, cours de Québec,
c’est-à-dire 1200 livres françaises, qu’elle paie comptant;
puis, elle attend ses 2 « négresses ». La livraison traîne en
longueur. Mary Jacobs pense la hâter par une somma¬
tion : les Fisher sont toujours sourds. Enfin, trois ans
plus tard, elle loge une plainte auprès du tribunal, en
réclamant ses esclaves noires ou une somme compensa¬
toire de 2400 livres. Les Fisher ne se donnent même pas
la peine de comparaître en Cour. Ils sont condamnés à
rendre les esclaves ou les 1200 livres versées. L’acheteuse
ne reçut aucune compensation pour tout ce temps d’at¬
tente34.
Mauvais marché aussi lorsqu’un Mogé de Montréal
achète au prix de 500 livres un Amérindien que les
Iroquois du Sault-Saint-Louis étaient allés chercher dans
les colonies anglaises. Mais voici que les Anglais viennent
Le marché aux esclaves 119

réclamer leur Amérindien. Mogé est prêt à le rendre,


à condition qu’on lui rembourse ses 500 livres; ce que
refusent les Anglais qui le considèrent comme un simple
prisonnier de guerre. Pour ne pas retarder l’échange des
prisonniers, le gouverneur La Jonquière ordonne à Mogé
de rendre l’Amérindien avec pour seule consolation la
promesse de demander à la Cour un dédommagement35.
La surprise n’est pas moins forte quand le Noir
qu’on vient d’acheter se prétend libre. En août 1797, le
tavernier Thomas John Sullivan achète un Noir au coût
de 864 livres et convient avec cet esclave d’une émanci¬
pation qui prendra effet dans 5 ans. L’affaire conclue par
Sullivan n’était pas brillante : acheter à crédit au prix de
864 livres un esclave de 33 ans, et cela en 1797 alors qu’on
faisait campagne pour abolir l’esclavage. Sullivan comp¬
tait du moins avoir ce Noir à son service pendant cinq
ans ; or celui-ci, peu de temps après, se prétend libre et
s’enfuit. Désespoir de Sullivan qui devait encore plus de
720 livres sur ce Noir. Et voici qu’en mars 1798, les époux
Turner interviennent pour réclamer l’esclave en compen¬
sation de ce que leur devait Sullivan. Celui-ci se défend
en accusant les Turner de lui avoir vendu un Noir libre.
Le juge William Osgoode, qui ne reconnaît pas l’escla¬
vage, déclare que les Turner n’ont pas réussi à prouver
leurs droits sur l’esclave et qu’ils devront rembourser
ce que Sullivan leur a déjà versé. Et le Noir, lui, paraît
s’en tirer en homme libre. Autre cause de procès : quel¬
qu’un vend un esclave qui ne lui appartient pas. Vers
1754, les Amérindiens tuent accidentellement un nommé
Petit dit Rossignol, dans la région de la rivière Saint-
Joseph, au sud du lac Michigan. Pour consoler sa mère,
les Amérindiens décident de « couvrir » le mort par une
Panise et par quelques branches de porcelaine (un équiva¬
lent amérindien de la monnaie). Suivant l’usage établi, la
mère devait profiter de cette Panise, mais le commandant
du poste, Pierre-Roch Saint-Ours Deschaillons décide
120 Deux siècles d'esclavage au Québec

que la Panise lui appartient, puis il la vend 500 livres et


garde l’argent. Le tribunal de Montréal est saisi de cette
affaire à la fin de 1763 par la famille Petit dit Rossignol :
le juge condamne Saint-Ours Deschaillons à restituer les
500 livres à la famille36.
Le marché aux esclaves 121

► NOTES

1 Registre de Notre-Dame de Québec, 1738,1757; AHDQi registre des


malades, 1741,1745.
2 Greffe Adhémar, 15 juin et 19 octobre 1709 ; LeMoine, Picturesque
Quebec, 505s ; greffe Lukin, 13 septembre 1796.
3 Ordonnance de Raudot dans Edits, ordonnances royaux, II, 271s.;
article 44 de l’édition de 1685 et article 40 de l’édition 1724, dans Le
Code Noir ou Recueil des Règlements (éd. de 1767), 49 et 304s.
4 Inventaire d’avril 1731, dans Ferland-Angers, Mère dYouville, 286s.
5 Gazette de Québec, 6,13, 20 et 27 novembre, 4 décembre 1783.
6 Ibid., 12 et 19 mai 1785.
7 The JohnAskin Papers, I, 284s.
8 Greffe Faribault, 18 novembre 1784.
9 Edits, ordonnances royaux, 1,10 ; ANQ^ Ordonnances des intendants, 21,
77-82; Ordres du roi, 1-2-3, série B, 61, 69.
10 ANQ, Collection de pièces judiciaires et notariales, dossier 1230.
11 Registre de Sainte-Anne-du-Détroit, avril 1739.
12 ANQi Chambre des Milices de Montréal, 1760-1764, IV, 35s.; registre
cité, octobre 1759.
13 Déclaration du curé dans les registres d’état civil de Sainte-Anne-du-
Détroit, 15 octobre 1769.
14 Lettre d’Askin à Patterson, 17 juin 1778, dans The John Askin Papers, I,

135-
15 Ibid., lettre de 1778,1, 98,105-107.
16 Lettres de et à William Dunlap, 1766 et 1768, ANC, Collection
Neilson.
17 Dans BRH, 3 (1897), 6.
18 RAPQ, 1921-1922,120.
19 Gazette de Québec, 3 octobre 1782 et 14 mai 1784.
20 Quebec Herald, 14 et 25 avril.
21 Sur les interminables escapades de cet esclave, voir notre Diction¬
naire des esclaves, à l’article «Joe ».
22 Témoignage que m’a transmis Émilien Lamirande, dans une lettre
de Rock Forest, 17 juin 1993. Veuve d’un notaire et remariée à un
notaire, la mère du P. Dandurand avait d’abord vécu à Laprairie, puis
à Saint-Jean-sur-Richelieu.
23 Acte de vente dans RAPQ, 1921-1922,113.
24 Voir notre Dictionnaire des esclaves, article «Toby, nègre ».
25 F.-J. Audet, Les Députés de Montréal ij<)2-i86j, 136.
26 Ducasse, Les Négriers ou le trafic des esclaves, 106.
122 Deux siècles d’esclavage au Québec

27 Actes de vente dans RAPQ, 1821-1922, ms. et aux Archives du Sémi¬


naire des Trois-Rivières.
28 Voir, dans notre Dictionnaire des esclaves, aux articles «Nègre», 1775;
« Andrew, mulâtre »; « Bruce, nègre »; « Ismaël, nègre ».
29 Actes de vente dans RAPQ, 1921-1922,115,118,120s.
30 Actes de vente dans RAPQ, 1921-1922, 112, 116s.; dans RAC, 1905,1,
lxix; dans B RH, 24,19x8,345.
31 Greffe Adhémar, 15 juin 1799; RAPQ, 1921-1922, 119s.; greffes Fari-
bault (29 mars 1787) et J.A. Gray (25 août 1797).
32 Ferland-Angers, Mère d’Youville, 203. Nous ignorons l’issue de ce
procès. ANRegistre de la Cour militaire, IV, n8v.
33 Lettre de John Askin, 1778, dans The John Askin Papers, 1,117; greffe
David, 16 mai 1724.
34 Acte dans RAPQ, 1921-1922,117.

35 Viger-LaFontaine, « De l’esclavage en Canada », dans les Mémoires de


la Société historique de Montréal, I, 43.
36 Documents Relating to the Colonial History of the State of New York, X,
213.
CHAPITRE V

Des propriétaires à tous


les échelons de la société

D ûment esclaves en vertu de la loi, Amérindiens et


Noirs sont achetés ou vendus tantôt par simple tran¬
saction, tantôt au marché public où triomphe le dernier
et plus haut enchérisseur. Il importe de savoir si l’escla¬
vage n’est pratiqué que par les membres les plus impo¬
sants de la société et d’établir si des groupes d’individus
(par exemple, le clergé) refusent par principe d’asservir
d’autres êtres humains.

Des propriétaires francophones

Les Amérindiens et les Noirs qui ont vécu en escla¬


vage au Québec ne sont pas tous esclaves au moment
où nous notons leur présence: un certain nombre sont
devenus libres quelque temps après être entrés au pays
comme esclaves, et les documents ne nous disent pas
toujours à qui ils avaient appartenu. Même pour ceux
qui sont esclaves au moment de leur apparition dans
les documents, le nom du propriétaire ne nous est pas
chaque fois indiqué.
124 Deux siècles d'esclavage au Québec

Il devient ainsi quasi impossible de faire une étude


exhaustive de ceux qui ont possédé des esclaves. En ce
domaine comme dans le dénombrement de la popu¬
lation en servitude, nous devons nous contenter d’une
approximation, quitte à serrer au plus près les renseigne¬
ments que nous tenons. Sur les quelque 4200 esclaves
de notre Dictionnaire, nous en trouvons près de 3200
qui ont un propriétaire nommément désigné (76,2 %).
L’identification n’a pas toujours été facile: de ces proprié¬
taires, il en est seulement 1117 que les documents nous
présentent avec nom et prénom. Enfin, précisons que par
propriétaire, nous n’entendons pas seulement un indi¬
vidu: l’Etat aussi compte pour un propriétaire, et telle
communauté religieuse ou telle association de marchands
peuvent compter l’une ou l’autre pour un propriétaire.
Toutefois, pour l’instant, laissant de côté les proprié¬
taires collectifs (nous y reviendrons), nous ne prenons en
compte que les individus.
Notre histoire de l’esclavage pouvant commodé¬
ment suivre la division traditionnelle en Régime français
et Régime anglais et comme on est porté à croire, sous
l’influence de l’historien Garneau, que l’esclavage au
Québec est surtout une institution anglaise, il est impor¬
tant de savoir si ces propriétaires sont d’origine française
ou d’origine anglaise. Avant 1760, ils sont nécessairement
tous ou presque d’origine française; la conquête intro¬
duit dans le tableau un certain nombre d’origine anglaise.
Sur 1535 propriétaires individuels, 1312 sont d’origine
française (85,5 %) ; 223 sont d’origine anglaise (seulement
i4,5 %)•
Dans cette période d’esclavage, de 1632 à 1834, les
propriétaires d’origine française demeurent dans notre
société les grands propriétaires d’esclaves : nous en comp¬
tons 2858, soit 86,8 % des esclaves de propriétaires connus,
et surtout, c’est à ces esclavagistes d’origine française
qu’appartiennent les 79,1 % des esclaves amérindiens. Il
Des propriétaires à tous les échelons de la société 125

faut toutefois reconnaître que lorsque les Anglais s’éta¬


blissent au Québec, ils n’ont plus, au contraire des fran¬
cophones avant 1760, la possibilité d’acquérir facilement
des esclaves amérindiens, en raison du déclin rapide de la
traite des fourrures.
Nos ancêtres du Québec ont donc eu sous leur servi¬
tude la presque totalité des esclaves amérindiens. Autre
surprise : les propriétaires francophones ont eu aussi
comme esclaves beaucoup plus de Noirs que les anglo¬
phones, 596 Noirs contre 301.

Graphique IV
Répartition des i 574 propriétaires identifiés

1 600 >

Hauts fonctionnaires du Régime français

Posséder des esclaves dans notre société de jadis n’a


pas été, comme la richesse ou les honneurs, le lot d’un
petit nombre. Nous n’avons identifié au Québec qu’en-
viron 4200 esclaves, mais comme on possède très peu
d’esclaves à la fois, on est d’autant plus nombreux à se
126 Deux siècles d'esclavage au Québec

partager la population en servitude. Nous avons retenu


dans nos statistiques 1574 propriétaires. L’un des phéno¬
mènes les plus intéressants de cette histoire de l’esclavage,
est le très large éventail des noms de famille dans notre
catalogue : 965 noms de famille. Les anglophones n’y
sont représentés que par 197 noms. Ceux qu’il amuserait
ou scandaliserait de savoir si leur famille a été proprié¬
taire d’esclaves, n’ont qu’à se reporter à notre Dictionnaire
(nouvelle édition en préparation).
Cette liste ne peut telle quelle servir à apprécier
l’importance relative de ces familles dans l’esclava¬
gisme. Certaines possèdent plus d’esclaves que d’autres ;
par contre, un même nom peut s’appliquer à plusieurs
familles distinctes, qui ont des esclaves : c’est le cas, entre
autres, de Bourassa, Campeau, Côté, Cardinal, Hubert-
Lacroix, Leduc, chacune représentant plusieurs familles
à esclaves.
Quel rang ces propriétaires tiennent-ils dans la
société ? De quoi vivent-ils pour s’offrir le luxe d’avoir des
esclaves? La documentation ne nous donne pas toujours
la profession ou l’occupation : des 1574 propriétaires, il en
est 690 (43,8 %) pour qui ce renseignement fait défaut.
L’esclavage, institution formellement reconnue, est
d’abord le fait des plus hautes autorités du pays, profanes
et religieuses. Sous le Régime français, pour ne retenir
un moment que les autorités profanes, au moins quatre
gouverneurs généraux ont participé à l’esclavagisme.
Buade de Frontenac inscrit, au couvent des Ursulines
de Québec, une Amérindienne qualifiée d’esclave en
1679, et il paraît être le destinataire d’un petit esclave que
Louis Jolliet ramène du Mississippi en 1674 et qui se noie
avant d’arriver. Rémy de Courcelle reçoit des Iroquois, en
1671, deux esclaves poutéoutamises. Rigaud de Vaudreuil,
gouverneur de 1703 à 1725, possédait n esclaves, dont
4 Noirs. Le marquis La Boische de Beauharnois, gouver¬
neur de 1726 à 1746, en avait 27; Vaudreuil-Cavagnial, fils
Des propriétaires à tous les échelons de la société 127

du premier Vaudreuil, gouverneur de 1755 à 1760,16, tous


Noirs à l’exception de 3 Amérindiens, dont la Panise
Marie-Louise qui lui venait de son père.
Deux intendants au moins, Gilles Hocquart et
François Bigot, ont des esclaves. Bigot n’en a que trois,
mais Hocquart qui fut chez nous intendant pendant le
plus long temps, en a eu six.
Outre ces gouverneurs généraux et ces intendants,
nous comptons des gouverneurs particuliers aux Trois-
Rivières et à Montréal au nombre des propriétaires
d’esclaves : Charles Lemoyne de Longueuil et ses fils
Charles et Paul-Joseph Lemoyne de Longueuil, Jean
Bouillet de Lachassaigne, Boisberthelot de Beaucoup
Vaudreuil-Cavagnial et son frère François-Pierre Rigaud
de Vaudreuil, Claude de Ramezay. Mentionnons encore
deux lieutenants de roi (adjoints d’un gouverneur particu¬
lier) : François Galliffet et Louis Laporte de Louvigny.
Le Conseil supérieur, la plus haute Cour de justice de
la Nouvelle-France, est représenté dans les propriétaires
d’esclaves par 16 membres qui ont en tout 43 esclaves.
En ce domaine, comptons six juges et quatre procureurs
du roi. Encore des hauts fonctionnaires : un commis¬
saire-ordonnateur (substitut d’intendant à Montréal),
un trésorier de la Marine, un directeur de la Compagnie
des Indes, un aide-munitionnaire, un capitaine de port,
trois garde-magasins. Parmi ceux qui président ainsi à la
haute administration de la Nouvelle-France, nous avons
un total de 47 propriétaires qui possèdent à eux tous
260 esclaves.

Hauts fonctionnaires du Régime anglais

Les hauts administrateurs du Régime anglais ont


aussi des esclaves. Le gouverneur général James Murray
possédait au moins une Noire qu’il cède au tavernier Miles
Prenties en 1766 ; c’est, semble-t-il, le seul gouverneur du
128 Deux siècles d'esclavage au Québec

Régime anglais qui aurait participé à l’esclavage. Le lieu¬


tenant gouverneur Hector-Théophilus Cramahé achète
une mulâtresse de 15 ans en novembre 1668 et la revend
dès avril suivant. Un autre lieutenant gouverneur, celui
de Détroit (du temps où Détroit relevait de Québec) et
époux de Marie-Julie Réaume, avait quelques esclaves.
Dans les Conseils exécutif et législatif, 23 de leurs
membres étaient propriétaires d’esclaves, et de ces
23 membres, 10 étaient des francophones, mais à eux 10,
ils possédaient plus d’esclaves que les anglophones ; ce qui
correspond à ce que l’on savait déjà : après la conquête,
les Canadiens français possèdent plus d’esclaves que les
Anglais.
D’autres hauts fonctionnaires participent à l’escla¬
vage : 8 juges (dont 2 francophones) et un solliciteur
général; ils ont ensemble 17 esclaves.
Si nous passons en revue la Chambre d’assem¬
blée, nous y trouvons 17 députés, dont 10 francophones,
propriétaires d’esclaves; à eux tous, ces 17 ont 42 esclaves.
Et si nous nous en tenons à 1792, année de la vaine tenta¬
tive parlementaire pour abolir l’esclavage (nous en repar¬
lerons), nous avons là, sur 51 députés, 13 propriétaires.
Ajoutons enfin à ce nombre le receveur des Douanes,
Thomas Ainslie, à qui appartiennent trois Noirs.

Les commerçants en tête des propriétaires

Pour se procurer un Noir, il faut disposer, en


moyenne, de 900 livres; avec 400 livres, on peut acheter
un Amérindien ; si l’on fait la traite dans les pays d’en haut,
on peut l’obtenir à de meilleures conditions. En tout cas,
parce qu’ils avaient l’argent, qu’ils étaient en commerce
avec les Amérindiens ou qu’ils entretenaient des rela¬
tions (même clandestines) avec les colonies anglaises, les
gens du milieu des affaires étaient les mieux placés pour
se procurer des esclaves.
Des propriétaires à tous les échelons de la société 129

Et ce sont eux qui en ont le plus. Nous avons iden¬


tifié 316 propriétaires qui sont qualifiés de marchands, de
négociants, d entrepreneurs ou de bourgeois. Ils représen¬
tent ce que la colonie du Régime français et du Régime
anglais avait de plus imposant dans la classe du commerce.
Ce sont, entre autres, le marchand-bourgeois Pierre Guy,
qui possède 8 esclaves ; le marchand Dominique Gaudet,
qui en a 17; les Chaboillez, les Courault dit Lacoste,
les Cuillerier, Decouagne, Douaire de Bondy, Gamelin,
Hubert-Lacroix, Lestage, Lecompte-Dupré, Trottier-
Désaulniers, pour ne nommer que ceux qui ont eu
plusieurs esclaves. Bref, 314 marchands, négociants, bour¬
geois s’approprièrent 832 esclaves.
A ce groupe, rattachons 36 propriétaires qualifiés
simplement de traiteurs, comme ces Blot, Campeau,
Gouin, Trutaut, You d’Youville, et surtout le plus impor¬
tant esclavagiste de ces traiteurs,Jacques-Lrançois Lacelle,
à qui nous connaissons 16 esclaves.
Il arrive que la documentation précise la branche
des affaires que pratiquent les propriétaires. C’est ainsi
que nous pouvons, en particulier, reconnaître 9 bouchers,
dont le célèbre Joseph-Michel Cadet; n taverniers,
aubergistes ou cabaretiers; le marchand-orfèvre Ignace-
Lrançois Delzenne; des voyageurs qui ne sont pas de
simples canotiers, mais des entrepreneurs de la traite.
Quoi qu’il en soit, voici comment nous pouvons subdi¬
viser ce groupe des 419 hommes d’affaires qui possèdent
des esclaves :
Propriétaires Esclaves

marchands, négociants, bourgeois 3T4 832

traiteurs de la fourrure 35 112

amidonniers, armuriers 5 8

bouchers 9 13

boulangers 6 n

hôteliers, taverniers, cabaretiers n 18


130 Deux siècles d’esclavage au Québec

Propriétaires Esclaves

orfèvre 1 1

« voyageurs » 38 73

TOTAL 419 1068

Chez les commerçants, on trouve donc 419 proprié¬


taires d’esclaves, soit 51,2% des propriétaires à profession
connue. A eux tous, ils possèdent le quart (1068 indi¬
vidus) de tous les esclaves. Comme ces membres de la
classe marchande sont composés de francophones et
d’anglophones, nous nous sommes demandé qui, sous
le Régime anglais, avaient le plus d’importance comme
propriétaires d’esclaves : sur 157 commerçants de cette
période, nous comptons 87 francophones qui possèdent
234 esclaves, alors que 70 commerçants anglophones n’en
ont que 168. En d’autres termes, 55,4% des commerçants
d’après 1760 sont des francophones et ils possèdent 58,2%
des esclaves.

Au sein des professions libérales

Si les commerçants forment ici le groupe le plus


imposant en nombre, certaines autres professions figurent
quand même avec quelque poids.
D’abord les militaires, qui en importance viennent
tout de suite après les commerçants, car eux aussi jouent
un rôle capital dans la traite des fourrures : ils comman¬
dent les postes et forts et ce sont là en même temps des
comptoirs à fourrures. En excluant gouverneurs et lieu¬
tenants de roi qui sont aussi des officiers militaires et
dont nous avons déjà parlé, nous inscrivons ici 164 offi¬
ciers militaires, les 20 % des propriétaires à profession
connue; ils ont en tout 431 esclaves. Parmi ces mili¬
taires, le général de Lévis possède un Noir en 1759. Les
Bissot de Vincennes (père et fils) ont huit esclaves. En
Des propriétaires à tous les échelons de la société

ont aussi les Céloron de Blainville, les Chaussegros de


Léry, les Coulon de Villiers (dont le célèbre Coulon
de Jumonville), les diverses familles de Dailleboust
(Argenteuil, Cuisy, Cerry, Périgny, Manthet), Denys de
Laronde, les Duplessis-Fabert, Fleurimont de Noyelle
(père et fils), les Hertel (de Beaubassin, de Lafresnière,
de Rouville), Jarret de Verchères, Joncaire de Chabert,
Juchereau-Duchesnay, Leber de Senneville,les Legardeur
(de Repentigny, de Courtemanche, de Saint-Pierre, de
Croisille, de Montesson, de Beauvais), les Marin (de
Laperrière, de Lamalgue), Péan de Livaudière, Pécaudy
de Contrecœur, Picoté de Belestre.
Chez les militaires, trois autres noms prennent
une singulière importance : Lavérendrye, Lacorne et
Lapérade.
On se souvient que l’explorateur Pierre Gaultier
de Lavérendrye comptait comme l’un des trois grands
avantages de ses travaux «les esclaves que cela procure
au pays», mais il semble n’en avoir possédé que trois. Ses
fils en avaient au moins six et l’on voit par exemple le
chevalier Louis-Joseph de Lavérendrye donner en 1749
à la mission jésuite de Michillimackinac un Amérindien
d’environ six ans.
Les 5 frères Lacorne ont en tout 44 esclaves : Antoine
Lacorne de Lacolombière ne disposait que d’une Noire et
François-Josué Lacorne-Dubreuil que de 4 Amérindiens,
mais Louis Lacorne dit l’aîné avait 8 esclaves, comme
aussi le chevalier Louis-François Lacorne ; Luc Lacorne
Saint-Luc en avait 24.
Les Tarieu de Lapérade rivalisent avec les plus riches
propriétaires. Pierre-Thomas Tarieu de Lanaudière de
Lapérade, époux de Madeleine de Verchères, a 13 esclaves,
tous amérindiens ; et la tradition esclavagiste ne s’arrête
pas là : le fils aura 4 esclaves ; le petit-fils, 4 aussi.
À côté de ces officiers de renom, il en est de fort
obscurs qui figurent sur la liste des propriétaires, comme
132 Deux siècles d’esclavage au Québec

ce sergent Sansquartier qui a une Amérindienne d en¬


viron 14 ans. L’esclavage profite à tous les grades de
l’armée.
Vingt-deux médecins ou chirurgiens (dont seule¬
ment 5 Anglophones) recourent à la servitude pour
augmenter leurs biens meubles ; ils possèdent 46 esclaves.
Le chirurgien Ferdinand Feltz fait ici grande figure : il
possède à lui seul 10 esclaves.
Des notaires pratiquent aussi l’esclavage. Nous en
connaissons 20, tous francophones. Le plus important est
un Jean-Baptiste Campeau (sept esclaves), de la célèbre
famille des traiteurs de la fourrure. Il faut toutefois prendre
garde à ceux des notaires qui exercent deux professions en
même temps et éviter qu’ils reparaissent dans le tableau :
les notaires François-Pierre Cherrier et Robert Navarre
sont aussi dans le négoce, Marien Tailhandier est notaire
et chirurgien, Pierre Mézière et Simon Sanguinet sont
notaires et avocats. Tel quel, le tableau nous présente
20 notaires qui ont en tout 38 esclaves.
Les autres professions sont maigrement représen¬
tées. Deux arpenteurs seulement : Claude Gouin et Paul-
François Lemaître-Lamorille, mais le premier a n esclaves
et l’autre, 5. Un maître sculpteur, Dominique Jourdain-
Labrosse, est assez aisé pour se procurer une Panise, et
quand elle accouche d’un fils, voilà notre artiste avec
deux esclaves. Un « maître de langues » à Sorel, Alexander
Bissett, achète en 1784 une Noire de 12 ans, au prix de
960 livres, mais c’est seulement une façon de récupérer
une somme qu’il avait prêtée, et si le débiteur rembourse
la somme, le professeur rendra l’esclave. Cinq interprètes
ont chacun un esclave.
Des esclaves appartiennent à des imprimeurs. Les
premiers imprimeurs en exercice au Québec, William
Brown et Thomas Gilmore qui impriment la Gazette de
Québec, ont des Noirs, au moins à partir de 1767. Leur
association se dénoue en 1773 et Brown demeure proprié-
Des propriétaires à tous les échelons de la société 133

taire des Noirs qui travaillent à l’imprimerie : le nègre Joe


en est le plus connu pour ses fuites et ses mauvais coups.
Lorsque John Neilson succède à Brown dans la publica¬
tion, il a à son service une Noire et un mulâtre. Du temps
de sa Gazette de Montréal, Fleury Mesplet a au moins un
esclave noir. Sa Gazette passe à Edward Edwards, chez qui
nous trouvons deux Noires et un mulâtre. Enfin, William
Moore qui imprime le Quebec Herald, a un Noir.
Trois entrepreneurs ont chacun deux esclaves. Dans
une autre profession, celle de navigateur, 25 patrons ont
ensemble un total de 31 esclaves. Parmi ces navigateurs
(on n’y compte aucun anglophone), nous rencontrons
10 capitaines de navire, dont Michel Salaberry, l’ancêtre
de nos Salaberry.
Enfin, des gens de métiers recourent aussi à l’escla¬
vage. Le maître charpentier Nicolas Morand possède six
Panises; le charpentier Charles Payan a une Noire en
1792. Neuf forgerons ont ensemble 25 esclaves (surtout
des Noirs) : le plus important de ces forgerons est Louis
Cureux dit Saint-Germain qui, à Québec, en 1743 achète
d’un même coup 5 esclaves noirs (2 hommes et 3 femmes).
Quatre maçons profitent des services de cinq esclaves.
Un menuisier, un sellier (anglophone) et un taillandier
ont chacun un esclave. Trois tanneurs font travailler six
esclaves. Huit tailleurs, dont 2 anglophones, possèdent
10 esclaves.
Pour ces propriétaires d’esclaves, qu’ils soient gens
de métiers, hommes d’affaires, de profession libérale ou
hauts fonctionnaires, il existe un dénominateur commun
à nombre d’entre eux : la qualité de seigneurs ; 146 sont
titulaires d’une seigneurie et possèdent un total de
467 esclaves :
Nombre Esclaves

seigneurs francophones 136 442

seigneurs anglophones 10 25
134 Deux siècles d’esclavage au Québec

En admettant qu’il existait, dans ce qui est le Québec


actuel, environ 300 seigneuries et sans tenir un compte
rigoureux du fait que quelques-uns des propriétaires d’es¬
claves se succèdent au titre d’une même seigneurie, on peut
affirmer que la moitié des seigneurs ont des esclaves. Les
Lemoyne de Longueuil, Tarieu de Lapérade et Rigaud
de Vaudreuil, en possèdent toujours plusieurs à la fois;
d’autres en ont constamment un ou deux : par exemple,
les Aubert de Lachesnaie, les Boucher de Niverville,
les Juchereau-Duchesnay, les Rimbault de Simblin, les
Ramezay ou les Trottier-Desruisseaux. Il faut, par consé¬
quent, s’imaginer dans bien des manoirs seigneuriaux la
présence tantôt d’un esclave (si l’on est chez un seigneur
au train de vie modeste), tantôt de plusieurs si l’on se
trouve à Longueuil ou à Sainte-Anne-de-la-Pérade.

Les gens d’Église et les esclaves

Peut-être pour faire oublier à l’Église quelques


coups de griffe qu’il lui avait donnés, l’historien Garneau
lui adressait ce compliment flatteur : « On doit dire à
l’honneur du gouvernement et du clergé canadien, qu’ils
ont toujours été opposés à l’introduction des noirs en
Canada». Nous ne voyons pas à quelle occasion le clergé
se serait opposé à l’introduction de Noirs au Canada.
Des membres du clergé se sont peut-être opposés à l’es¬
clavage : par exemple, en 1740, à l’occasion du procès
survenu au sujet de sa Panise, le chevalier Dormicourt
se déclare «surpris de voir des prêtres et des moines
armer sourdement contre lui sans en avoir été prévenu
pour lui suborner son esclave et de voir des gens d’Église
sacrifier sans preuve la réputation d’un honnête pour
ménager une gueuse et une coquine » ; mais ces prêtres
et ces moines interviennent-ils en faveur d’une Panise
parce qu’on la traite en esclave ou seulement pour déli¬
vrer une Amérindienne qui se prétend fille d’un officier
Des propriétaires à tous les échelons de la société 135

canadien ? Et même si ces membres du clergé « armaient


sourdement» contre Dormicourt, parce qu’ils seraient
opposés à l’esclavage, cela ne changerait rien au fait que
des évêques, des prêtres et des communautés religieuses
ont possédé des esclaves. Dans cette société où l’escla¬
vage est sanctionné par la loi, pratiqué par les personnes
les plus en vue et généralement accepté comme un fait
social, on ne voit pas pourquoi les gens d’Eglise, qui ont
les mêmes droits à la propriété privée que les autres, ne
se seraient pas conformés aux mœurs de leur époque.
Quatre évêques ont donné l’exemple. L’évêque Saint-
Vallier fait soigner à l’Hôtel-Dieu de Québec en 1690
un petit Amérindien nommé Bernard, qui lui appar¬
tient. L’évêque Dosquet arrive à Québec en 1734 avec un
Noir à son service. L’évêque Pontbriand est propriétaire
du Panis Joseph qui séjourne à l’Hôtel-Dieu de Québec
en avril 1754. L’évêque Plessis se fait accompagner d’un
esclave noir au cours de son voyage en Europe en 1819-
1820.
Deux sulpiciens figurent dans notre catalogue de
propriétaires : Lrançois Picquet qui passe en Lrance
en 1753 avec son Noir Charles; Pierre-Paul-Lrançois
Delagarde inhume à Montréal le 28 septembre 1760 son
Panis de n ans, Anselme.
Quatre autres prêtres séculiers apparaissent aussi
dans ce catalogue. Gaspard Dunière, curé de Saint-
Augustin, a un Noir, Daniel-Télémaque, qui se fait
soigner à l’Hôtel-Dieu de Québec en 1751. Henri-Nicolas
Catin, curé de Saint-Cuthbert fait baptiser à Montréal le
28 juillet 1779, son Noir de 17 ans, Pierre-Antoine. Pierre
Lréchette, curé de Détroit (qui relevait encore du Québec),
baptise sa Panise Marianne, le 13 juin 1794. Mais le prêtre
le plus célèbre du point de vue de l’esclavage est ce Louis
Payet, d’abord curé de Détroit, puis de Saint-Antoine-
sur-Richelieu, qui a eu 5 esclaves en tout : 1 Amérindien
de 12 ans, 2 Noirs (10 ans et 31 ans), 2 Noires : l’une de
i3 6
Deux siècles d’esclavage au Québec

20 ans, qu’il avait à Détroit; l’autre, de 31 ans, qu’il avait


achetée, devenu curé de Saint-Antoine-sur-Richelieu, et
qu’il revend en septembre 1796.
Voilà donc un curé qui, à partir au moins de 1785,
semble avoir toujours eu un ou deux esclaves dans son
presbytère. Il perd son Noir François, alors qu’il a tempo¬
rairement à son service un Noir de 10 ans, Jean-Baptiste-
Pompée ; dès janvier 1787, il en fait l’achat; le 13 septembre
1:789, grand baptême à Saint-Antoine : le curé Payet
baptise ses deux esclaves, le Noir Jean-Baptiste-Pompée
et l’Amérindien Antoine dit César. En mars 1785, il achète
la Noire Rose, 31 ans, à une époque où la propagande
contre l’esclavage rendait plutôt risquée cette acquisi¬
tion; mais en septembre 1796, sur recommandation de
l’évêque qui ne trouvait pas convenable la présence d’une
esclave au presbytère, Payet la revend par procuration. Le
curé Payet se situe ainsi dans les toutes dernières tran¬
sactions d’esclaves au Québec. L’historien Garneau, son
contemporain, était vraiment mal informé.
Le Séminaire de Québec, communauté de prêtres
séculiers, fait comme les autres prêtres séculiers : il a des
esclaves. Non pas à Québec, à ce qu’il semble, mais dans
sa lointaine mission Sainte-Famille, à Kaskaskias sur le
Mississippi. Il possède à cet endroit 31 esclaves, «noirs
et rouges». On le sait par un contrat de vente de 1763.
C’est qu’en novembre, à la suite de la cession du Canada
à l’Angleterre, le prêtre Forget du Verger, membre du
Séminaire et grand vicaire de l’évêque de Québec, décide
de rentrer en France et vend en novembre une douzaine
d’esclaves noirs pour la somme de 20 000 livres, il donne
2 esclaves au récollet Luc Collet et affranchit le reste1.
Les Jésuites ont aussi agi comme les prêtres séculiers.
À leur mission de Michillimackinac, ils détiennent quatre
esclaves, dont un Noir; un des Amérindiens leur avait été
donné par le chevalier de Lavérendrye. A la Pointe-de-
Montréal (en face de Détroit), ils ont une Panise esclave
Des propriétaires à tous les échelons de la société
*37

(ainsi qualifiée dans les registres d’état civil). Au Sault-


Saint-Louis leur appartient le Panis Alexis qu’on inhume
à Montréal en 1723. Les missionnaires de Saint-François-
du-Lac, Joseph Aubery et Marin-Louis Lefranc, se font
servir par la Siouse Françoise (les Sioux étaient réduits
en esclavage); selon Franquet, elle est «assez jolie, elle a
un son de voix doux et séduisant». Chez les Jésuites de
Québec, on retrouve un Patoca baptisé en 1730 et récem¬
ment affranchi; un de leurs Panis et deux Illinois font
un séjour à l’Hôtel-Dieu : ces trois derniers sont quali¬
fiés de domestiques, mais nous croyons qu’à cause de leur
origine éloignée, ils étaient ou avaient été esclaves. Enfin,
dans leur lointaine mission du Mississippi, dans la région
de Kaskaskias (où le Séminaire de Québec avait aussi
une mission), les Jésuites ont 34 esclaves noirs2.
Nous devons même inscrire un récollet dans notre
liste de propriétaires. Au missionnaire de Détroit, le
récollet Bonaventure Léonard, appartiennent trois Amé¬
rindiens : un Patoca, une Renarde et son fils. Comme les
Récollets ne pouvaient en principe posséder ni indivi¬
duellement ni collectivement, ces esclaves viennent pro¬
bablement de dons faits au «trésor» de l’Eglise.
Les Frères de la Charité qui se dévouaient à
Louisbourg, étaient propriétaires du Noir Baptiste qu’ils
perdent dans des circonstances que nous ignorons, mais
que le commissaire-ordonnateur de l’île Royale leur fait
rendre ; le président du Conseil de la marine se donne la
peine de lui en adresser une approbation3.
Et chez les communautés de femmes? L’Hôpital -
Général de Québec possède un Noir, déserteur des
colonies anglaises et qui lui a été donné par le gouver¬
neur général; on le baptise en 1733. De la ménagerie
de l’Hôtel-Dieu de Québec vient un Panis qui s’y fait
soigner en 1739. L’Hôtel-Dieu de Montréal semble bien
être propriétaire de trois Amérindiennes et d’une Noire
(registres d’état civil de 1720, 1733,1737, 1798). Les sœurs
i38 Deux siècles d’esclavage au Québec

de la Congrégation de Notre-Dame ont une Renarde,


Tonton, qui meurt à l’Hôtel-Dieu de Québec en avril
1733 > e^es ont aussi un Noir baptisé à Montréal en 1771 et
inhumé deux ans plus tard.
De toutes les communautés de femmes, c’est à
l’Hôpital-Général de Montréal que se rattachent le plus
d’esclaves. En 1763, une Jarret de Verchères, veuve d’un
Raimbault de Simblin, lui fait présent d’un Panis adoles¬
cent. L’année suivante, le négociant André Grasset de
Saint-Sauveur, sur son départ pour la France, donne une
Panise de 11 ans; elle sera baptisée en 1772. La même
institution possède un Sioux que l’on baptise en 1774 à
Châteauguay.
Lorsque Mère d’Youville, supérieure de cette mai¬
son, accepte de la veuve Simblin et du sieur Grasset de
Saint-Sauveur des dons d’esclaves, ce ne sont pas là ses
premières relations avec l’esclavage. Mère d’Youville a
eu des esclaves qui lui appartenaient personnellement.
Quand un notaire en 1731 fait l’inventaire des biens du
défunt mari, François-Madeleine You d’Youville, il ins¬
crit un Panis, qui devient la propriété de la veuve. Mère
dYouville a d’autres esclaves : une Siouse baptisée en
1739 et inhumée en 1742; à Lachine en 1766, on ondoie
une Panise de Mère d’Youville. La fondatrice des sœurs
Grises pratique l’esclavage comme on le fait dans la
société et comme le font d’autres gens d’Eglise.
Nous n’avons pas trouvé d’esclaves chez les Ursulines
de Québec. Cette communauté s’est-elle mise à part par
principe ou par indifférence ? Il faudrait voir si elle figure
dans la «soumission» présentée au régent en 1720 par
l’intendant Bégon, «soumission» que nous n’avons pu
retrouver. Qu’elle n’ait pas d’esclaves par principe, nous
ne le croyons pas, quand nous regardons ce qui se passe
en Louisiane. Là-bas, c’est le même diocèse de Québec,
donc la même discipline ecclésiastique. Les Ursulines de
Des propriétaires à tous les échelons de la société T39

la Nouvelle-Orléans se procurent avant 1746 un troupeau


de « 24 têtes de nègres » au coût de 30 000 livres4.
Notre inventaire chez les gens de l’Église corres¬
pond au tableau suivant :

Esclaves Esclaves

Hôpital-Général
4 évêques 4 1
de Québec
Hôtel-Dieu de
Jésuites 46 1
Québec
Hôtel-Dieu de
Récollets 4 4
Montréal
Séminaire de Congrégation de
31 2
Québec Notre-Dame
Séminaire de Hôpital-Général
2 3
Montréal de Montréal
4 prêtres séculiers 8 Mère d’Youville 3 ou 4

Frères de la Charité 1

Les gens d’Eglise ont donc possédé une bonne centaine


d’esclaves, ce qui est relativement peu, mais ce qui
compte ici n’est pas tant le nombre d’esclaves qu’ils ont
eus que le fait d’en avoir eu.
Enfin, il est aussi un propriétaire collectif dont il
faut faire mention : l’Etat. Il reçoit, par exemple, des
Amérindiens, quelques esclaves en présents au cours des
palabres qui précèdent les opérations de la traite des four¬
rures ; et il a besoin d’esclaves pour accomplir des beso¬
gnes ignominieuses, comme d’un exécuteur de la haute
justice, ainsi qu’on appelle le bourreau. Diverses circons¬
tances font donc que le roi, c’est-à-dire l’Etat, se trouve
propriétaire d’esclaves.
Nous lui en avons compté 28 : 3 Noirs et 25 Amérin¬
diens. Les 3 Noirs sont de Québec : Mathieu Léveillé y
sert de bourreau à par tir d’au moins 1734 et jusqu’à sa mort
en 1743 ; Angéline-Denise est une Noire de 24 ans que les
140 Deux siècles d'esclavage au Québec

autorités ont fait venir des Antilles pour servir d épousé


au bourreau; quant au Noir Étienne, il est en 1752 affecté
au chantier naval. Des 25 Amérindiens, 2 Renards sont
expédiés à la Martinique en 1734 pour y être vendus ; les
autres (12 Panis, 8 Panises et 3 d’origine inconnue), d’un
âge qui varie de 5 à 40 ans, servent à Montréal.
Les gens d’affaires viennent en tête avec plus du
quart des esclaves, suivis d’assez loin par ceux qui sont
dans l’administration publique et, loin derrière eux, les
officiers militaires. Le reste de la société possède peu
d’esclaves, seulement les 7,9 %.
Ces données n’ont rien d’absolu, puisque les pro¬
priétaires de 600 esclaves nous sont inconnus; et sur
1574 propriétaires, il n’en est que 819 dont on connaisse la
profession. Parmi les 755 propriétaires dont la profession
nous échappe, y aurait-il de ces petits habitants que nous
n’avons pas encore aperçus ?

Qui sont les « grands » propriétaires ?

La population esclave étant peu nombreuse, com¬


parée à ce que l’on rencontre dans les colonies anglaises
et aux Antilles, et se trouvant répartie entre plus de 1574
propriétaires, il s’ensuit que les «grands» possesseurs
sont rares, même si ce qu’on appelle ici grands ferait bien
petite figure dans les autres pays esclavagistes.
La liste des propriétaires que l’on peut qualifier au
Québec de « grands » propriétaires parce qu’ils possèdent
au moins 10 esclaves ne contient que 30 noms :

Esclaves

Askin, John, négociant 23

Beauharnois, Charles, gouverneur 27

Beuffait, Louis, marchand 10

Boisberthelot de Beaucour, Josué, gouverneur 11


Des propriétaires à tous les échelons de la société 141

Esclaves
Cabassié, Joseph, bourgeois H
Campbell, John, officier V
Campeau, Louis, traiteur ir
Campeau, Simon 10

Chesne-Labutte, Pierre, commerçant L


Cicotte, Zacharie, bourgeois 16

Duperron-Bâby, Jacques, marchand 18

Feltz, Ferdinand, chirurgien 10

Fleurimont de Noyé lie, Nicolas-Joseph, officier 12

Fleury Deschambault de Lagorgendière,


15
Joseph, négociant

Gaudet, Dominique, marchand i7

Gouin, Claude, arpenteur 11

Grant, Alexander, officier 10

Jésuites 46

Lacelle, Jacques- François, traiteur 16

Lacorne Saint-Luc, Luc, officier 24

Lemoyne de Longueuil, Charles, gouverneur 10

Lemoyne de Longueuil, Paul-Joseph, gouverneur 23

Meloche, Jean-Baptiste 10

Péan de Livaudière, Michel-Jean-Hugues, officier 10

Pelletier, Jacques 11

Poulin de Francheville, François, marchand 10

Rigaud de Vaudreuil, Philippe, gouverneur 11

Rigaud de Vaudreuil-Cavagnial, Pierre, gouverneur 16

Séminaire de Québec 3i

Tarieu de Lanaudière, Pierre-Thomas, officier 13

La liste ne contient que 30 des quelque 1574 proprié¬


taires, et encore n’en compte-t-elle que 2 qui aient un
peu plus de 30 esclaves. Auprès des esclavagistes de nos
voisins du Sud, ceux du Québec font bien triste figure...
Ce qui prouve bien qu’ici l’esclavage n’est pas un
impératif économique, mais plutôt une manie somp¬
tuaire ; ceux de la haute société s’y livrent pour conserver
leur prestige, mais cette manie est de tous les niveaux de
la société. Au second rang des propriétaires importants
et surpassant les nobles, viennent des «petites gens» : les
Campeau, engagés dans la traite des fourrures.

► NOTES

1 ANQj Chambre des Milices de Montréal\ 1760-1764, IV, 35V, 39V-40.


2 Contrat de vente du 5 novembre 1763, dans ASQ* Missions, 25, 40.
3 Frégault, Le Grand Marquis, 130.
4 Lettre du 9 mai 1750, dans RAC, 1905,1, 6,136.
CHAPITRE VI

Les conditions de vie des esclaves

uand les propriétaires font l’acquisition d’un


esclave par-devant notaire ou qu’ils le présentent
au baptême, ils s’engagent d’ordinaire à le traiter humai¬
nement : est-ce de leur part une promesse de respecter
des dispositions déjà prises en haut lieu pour protéger
l’esclave, ou ne serait-ce pas plutôt un simple enga¬
gement volontaire de traiter l’esclave comme un être
humain ? En d’autres termes, fallait-il se conformer à un
code qui aurait fixé avec précision les devoirs respectifs
des propriétaires et de leurs esclaves? Ceux-ci ont-ils
été traités de façon humaine? Jouissaient-ils de certains
droits ?

Législation et protection de l’esclave au Canada

En mars 1685, pour donner suite aux demandes des


autorités coloniales, Louis XIV avait publié un édit pour
régler aux Antilles « ce qui concerne l’état et la qualité des
esclaves » ; cet édit de 60 articles est connu sous le nom
de Code noir. Que prescrit ce Code noir1 ?
Les esclaves sont des biens meubles, on peut les saisir
comme choses mobiliaires, mais on ne peut vendre sépa¬
rément le mari, la femme et les enfants impubères ; ces
144 Deux siècles d’esclavage au Québec

esclaves ne peuvent « rien avoir qui ne soit à leur maître »


et tout ce qu’ils gagnent par industrie ou par libéra¬
lité appartient à leur maître : ils sont « gens incapables
de disposer et contracter de leur chef»; de même ils ne
peuvent exercer aucune fonction publique, leurs déposi¬
tions devant un tribunal ne serviront que de mémoires
«sans que l’on en puisse tirer aucune présomption ni
conjecture».
Tous les esclaves, rappelle encore ce Code, seront
baptisés et instruits dans la religion catholique; ils ne
pourront publiquement exercer aucune religion et l’on
sévira contre les maîtres qui permettront à leurs esclaves
de participer à un culte non catholique; les esclaves
devront observer le repos dominical et aucun marché de
« nègres » ne pourra être tenu le dimanche. Tout esclave
baptisé devra être inhumé en terre sainte ; quant à celui
qui mourra sans avoir reçu le baptême, on l’enterrera
«la nuit dans quelque champ voisin du lieu» où il sera
décédé.
Le concubinage avec les «négresses», poursuit le
Code, est interdit aux Blancs : si un homme libre a des
enfants par suite de ce concubinage, il sera condamné
à 2000 livres de sucre d’amende; de plus, le maître qui
aura souffert de ce concubinage sera aussi condamné
à la même amende; et si c’est le maître lui-même qui
pratique ce concubinage, la Noire et les enfants seront
confisqués au profit de l’Hôpital-Général sans jamais
pouvoir être affranchis, à moins que le maître (s’il est céli¬
bataire) épouse sa concubine esclave; en ce cas, l’esclave
est affranchie par le fait même du mariage et les enfants
sont rendus libres et légitimes. Le Code noir autorise
les esclaves à contracter mariage, mais selon certaines
conditions : pour l’esclave, le consentement du père et
de la mère n’est pas requis, mais il faut absolument le
consentement du maître; par ailleurs, le maître n’a pas
le droit de marier les esclaves contre leur gré ; les enfants
Les conditions de vie des esclaves 145

qui naîtront de mariage entre esclaves, seront esclaves


et appartiendront au propriétaire de la mère esclave ; si
l’un des parents n’est pas esclave, les enfants suivront la
condition de leur mère ; si la mère esclave est mariée à un
homme libre, les enfants sont esclaves comme la mère ; si
le père esclave est marié à une mère de condition libre, les
enfants aussi sont libres.
Le Code noir prévoit le minimum de nourriture et
de vêtement qu’un maître doit fournir à ses esclaves, en
défendant toutefois à ces esclaves l’usage de l’eau-de-vie.
Si un maître n’assure pas l’essentiel à un esclave, celui-ci
peut se plaindre au procureur du roi qui poursuivra qui
de droit. De plus, lorsque les esclaves deviennent infirmes
par vieillesse, maladie ou autrement, les maîtres doivent
en prendre soin ; sinon, on les mettra à l’Hôpital-Général
aux frais de leurs maîtres.
Les maîtres pourront affranchir leurs esclaves;
ces affranchis n’auront pas besoin de lettres de natura¬
lité pour jouir des avantages des sujets naturels, «encore
qu’ils soient nés dans les pays étrangers»; et ces affran¬
chis auront les mêmes droits, privilèges et immunités
dont jouissent les personnes libres.
Le Code noir traite aussi de la répression de l’es¬
clave : il prévoit diverses peines pour l’esclave qui porte
une arme défensive ou un « gros bâton », qui participe à
un attroupement; si un esclave frappe avec effusion de
sang son maître, sa maîtresse ou leurs enfants, il subira
la peine de mort; pour des voies de fait sur personnes
libres, l’esclave sera soumis à des peines sévères ou même
à la peine de mort; peine de mort aussi dans le cas de
certains vols. Le fugitif aura les oreilles coupées et on
lui marquera une fleur de lis sur l’épaule ; s’il récidive, on
lui coupe le jarret; pour une troisième fuite, la peine de
mort. Quand les maîtres voudront punir leurs esclaves, ils
pourront les faire enchaîner et les faire battre de verges,
146 Deux siècles d’esclavage au Québec

mais sans les torturer ni leur faire subir une mutilation de


membre ; et les officiers de justice pourront poursuivre les
maîtres qui auront tué un esclave sous leur puissance.
Nous avons là les dispositions du Code noir. La
France a été le premier pays à prévoir ainsi avec préci¬
sion les relations entre maîtres et esclaves. Il y a dans
ce Code noir une part d’humanité : l’esclave est assuré
d’un minimum d’entretien, il doit recevoir une éducation
catholique, on n’a pas le droit de l’abandonner quand il se
fait vieux, on ne peut vendre séparément le père, la mère
et les jeunes enfants ; du fait d’un mariage avec un Blanc,
l’esclave devient libre; en général, l’affranchi jouit des
mêmes droits que le sujet naturel et sans avoir besoin de
lettre de naturalité. On considère donc l’esclave comme
un être humain et cet esclave peut éventuellement s’in¬
tégrer dans la société des Blancs avec les mêmes droits
et privilèges. Cependant, on n’oublie pas que l’esclave
est dangereux, et le Code noir qui a été conçu pour une
bonne part afin de protéger le Blanc, autorise des mesures
rigoureuses contre l’esclave qui pille, se révolte ou s’en¬
fuit.
Ce Code noir de 1685, comme on peut en conclure de
son préambule, ne valait que pour les Antilles. Lorsqu’il
fallut en 1724 régler la condition des Noirs en Louisiane,
le roi de France publia un autre édit, un autre Code noir2.
Certes, sur les 54 articles dont il se compose, 31 sont
une réédition pure et simple de 1685 (quoique dans un
ordre différent) ; pour le reste, il s’agit de modifications
mineures, sauf sur l’article du mariage : il est défendu aux
Blancs des deux sexes «de contracter mariage avec les
Noirs, à peine de punition et d’amende arbitraire» et les
curés n’ont pas le droit de bénir ces mariages. Le Code
noir de la Louisiane, à part la défense absolue du mariage
entre Blancs et Noirs, n’apporte donc pas grand-chose de
nouveau, mais il sert au moins à démontrer qu’un Code
Les conditions de vie des esclaves
H7

noir publié dans une colonie ne vaut pas nécessairement


pour une autre.
Dans notre société, en tout cas, on ne jugea pas
nécessaire, à cause du petit nombre des esclaves, d’avoir
un Code noir ou plutôt un Code rouge (car les esclaves
amérindiens étaient plus nombreux que les noirs) ; on
ne prit même pas la peine de rééditer le Code noir des
Antilles ou celui de la Louisiane. Nulle part, dans les édits
et ordonnances royaux rédigés pour le Canada, ni dans les
insinuations du Conseil supérieur ni dans l’ordonnance
de Raudot (qui légalise l’achat et la possession d’esclaves
panis et noirs), nous ne pouvons trouver de règlement
sur la manière de traiter l’esclave. Nous n’avons donc pas
à nous demander si le propriétaire, quand il accorde tel
privilège à son esclave ou lui impose telle condition, se
conforme à une loi du Canada : il n’y en a aucune. Il
est toutefois intéressant de remarquer que les proprié¬
taires d’esclaves, sans y être soumis, se sont à peu près
conformés aux dispositions du Code noir, que ce soit
celui des Antilles ou celui de la Louisiane.

Des esclaves traités en enfant adoptifs?

Sans avoir mené une enquête telle que la nôtre,


Benjamin Suite écrit : «Les esclaves étaient simplement
des domestiques formant partie de la famille de leur
maître3 ». Suite aurait dû nuancer son affirmation, mais il
n’en demeure pas moins qu’elle donne à peu près le climat
de notre esclavage. Plusieurs Panis ou autres Amérindiens
que la loi ou la coutume transformait en gibier de servi¬
tude, sont présentés comme enfants adoptifs. La Panise
Charlotte, inhumée le 13 avril 1777 à Terrebonne à l’âge
de cinq ans environ, appartient par adoption à Hyacinthe
Janis; à son baptême, le 29 septembre 1716, le Renard
Michel-Louis, âgé de six ans, est inscrit comme ayant
été adopté par Lanoullier; le Renard Jean-Baptiste a
148 Deux siècles d'esclavage au Québec

été adopté par Jacques Hubert-Lacroix, selon l’acte de


baptême, le 26 novembre 1715; il en est de même du
Missouri Joseph-Nicolas, âgé de neuf ans, sur qui on
déclare au baptême, le 18 juillet 1731, qu’il a été adopté
ci-devant par feu Joseph Legris; le Panis Pierre, âgé de
six ans, est un enfant adopté par Pierre Garault dit St-
Onge lorsqu’il est baptisé le 7 octobre 1713. Parfois, les
registres d’état civil disent simplement fils adoptif : c’est le
cas du Panis Claude, fils adoptif de Pierre Beigné en 1742 ;
de la Panise Elisabeth, fille adoptive de Louis Leroux dit
Lachaussée en 1713 ; du Panis Jean-Baptiste, fils adoptif
de Jean Cardinal en 1722; de la Panise Marie-Françoise,
fille adoptive de Jean-François Chorel Dorvilliers en
1713. Il arrive dans la suite que ces Amérindiens soient
présentés comme propriété de ces mêmes maîtres, mais
il suffit que ces esclaves soient qualifiés un jour de fils
adoptifs pour que l’esclavage ait à nos yeux un tout autre
air qu’aux Antilles.
Traité ou non en enfant adoptif, l’esclave reçoit en
général de son maître des soins particuliers. Ainsi, l’es¬
clave nouveau-né est parfois mis en nourrice : est-ce
chez le maître une réaction de paternelle humanité ou
souci du cheptel? Peut-être les deux. Lorsque la Panise
anonyme de Pierre Raimbault met au monde en 1723 un
fils Joseph, le maître met l’enfant en nourrice chez un
paroissien de la Rivière-des-Prairies, Nicolas Benoist,
époux de Catherine Thibault : c’est là que meurt l’en¬
fant, âgé de six semaines, et qu’on l’inhume le ier juin
1723. Lorsque la Renarde Marie, qui appartient à la veuve
de Georges Regnard-Duplessis, donne naissance en
décembre 1727 à une fille illégitime qu’elle a eue de Le
Verrier fils, l’enfant est envoyé à l’Ancienne-Lorette où
les Québécois plaçaient souvent leurs enfants en nour¬
rice : la fille illégitime, Marie-Françoise, est inhumée à
cet endroit le 25 janvier 1728. Marie-Anne-Victoire, Noire
du gouverneur général Vaudreuil-Cavagnial, est mère en
Les conditions de vie des esclaves 149

novembre 1757 d’un fils qu’on baptise à Montréal le jour


de sa naissance et que le gouverneur met immédiatement
en nourrice chez la veuve Janot-Lachapelle à la Pointe¬
aux-Trembles, mais l’enfant est inhumé à cet endroit le
Ier décembre suivant, à l’âge de six jours. Nous connais¬
sons encore Marie-Charlotte, fille légitime de Jacques
et Marie, Noirs qui appartiennent à Luc Lacorne Saint-
Luc : née le 23 janvier 1759 et baptisée le surlendemain à
Montréal, elle est tout de suite mise en nourrice chez la
veuve Lapistole, à Longueuil, mais l’enfant y meurt en
août, âgée de huit mois. Les cas de mise en nourrice ne
sont pas nombreux, mais il semble bien que les enfants
d’esclaves aient en somme reçu les mêmes soins que les
enfants du propriétaire.

Lecture et écriture chez les esclaves

Lejeune esclave grandit avec les autres enfants, mais


prend-on soin de lui procurer au moins une instruction
élémentaire? A part l’instruction religieuse, dont nous
parlerons ailleurs, qu’est-ce qu’on apprend à l’esclave ? Il
faudrait d’abord savoir exactement dans quelle mesure
les enfants des familles moyennes recevaient une instruc¬
tion élémentaire : faute de travaux spécialisés, nous en
sommes toujours réduit à des conjectures. Les Canadiens
du Régime français ou d’après la conquête étaient-ils
analphabètes parce qu’ils signaient très souvent d’une
croix? Ou signaient-ils d’une croix sous prétexte, ainsi
que certains auteurs l’ont affirmé, qu’ils craignaient tout
simplement d’apposer une signature ? En attendant qu’on
nous éclaire mieux sur l’analphabétisme de nos ancêtres,
nous sommes donc forcé d’étudier d’une façon exclusive
le problème de l’instruction des esclaves.
Ils sont généralement illettrés. Plusieurs fois, des
esclaves ou des affranchis ont été invités à signer aux
registres d’état civil ou ailleurs et presque toujours ils
Deux siècles d’esclavage au Québec
iS°

déclarent ne savoir signer. Le Panis Nicolas Bourdon


contracte divers engagements au cours des années 1719-
1:735 ; comme les autres engagés, il se rend chez le notaire
avec l’employeur, et chaque fois il avoue qu’il ne sait pas
signer. Même aveu de la part du Panis André Duchesne
lorsqu’il contracte mariage avec la Canadienne Marie-
Anne Grenier, le 2 octobre 1719 à Québec, mais sa femme
non plus ne sait pas signer. Nous trouvons même une
manifestation collective d’analphabétisme : à l’église
presbytérienne de Montréal, le Ier avril 1819, le Noir John
Airs épouse la Noire Catherine Alter; le ministre écrit à
la fin de l’acte de mariage : « A number ofBlacksprésent but
could not write ».
Il en est tout de même qui se risque à poser une
croix. En 1638, le Noir de Couillart fait une déposition
en justice : il trace une croix au bas du document, pour¬
tant il était à l’école du jésuite Le Jeune; mais le maître
Guillaume Couillart n’est pas plus savant que son Noir,
puisque sa signature n’est qu’un dessin représentant un
bonhomme couché sur le dos. Le 8 juin 1797,1e marchand
et député John Young s’engage à émanciper son esclave
Rubin à certaines conditions : le Noir appose sa marque
au bas du document; le 25 août de la même année, le
Noir Manuel, âgé de 33 ans, appose aussi sa marque sur
un document de même nature.
C’est déjà quelque chose que de pouvoir collec¬
tionner des croix d’esclaves, mais il est plus intéressant
de relever des signatures. Nous n’en avons trouvé qu’une
seule, chez les esclaves amérindiens : le Renard Michel-
Louis, qualifié de Panis et appelé Michel Ouysconsin ou
tout juste Michel, avait appartenu pendant un certain
nombre d’années à un Lanoullier. En 1733, probablement
devenu libre, il s’engage au marchand Ignace Gamelin qui
l’assure d’un salaire de 300 livres ; au bas du contrat d’en¬
gagement, le Renard signe Michelconsein. Cas unique
chez les Amérindiens.
Les conditions de vie des esclaves 151

Chez les Noirs, bien moins nombreux pourtant


que les Amérindiens, nous trouvons huit signatures. Le
29 novembre 1749, le Noir Pierre-Dominique Labeur,
esclave de la veuve Jacquin dit Philibert (ce même
Philibert qui avait tenu l’auberge du Chien d’Or), épouse
la Canadienne Marie Talon (déjà enceinte) : il signe
Dominique Labeur alors que sa blanche épouse déclare
qu’ebe ne sait pas signer. En 1807, le Noir Joseph Lafricain
s’engage à Montréal pour la Compagnie de Michillimac-
kinac; sur une formule imprimée, on lit que l’engagé a
déclaré ne savoir signer et qu’il a fait sa marque ; or cette
formule très commode (vu l’ignorance habituelle des
engagés) ne s’applique pas dans le cas de notre esclave : il
signe clairement Joseph la friquain4. L’esclave Marie-
Louise, hUe du Noir d’Antoine Juchereau-Duchesnay et
d’une Canadienne, assiste au mariage de sa sœur à
Beauport le 29 février 1808 et ebe signe Marie-Louise
Wdliams; marraine de sa nièce Marie-Emilie Pompe, le
21 juin 1809 à Québec, elle signe Marie-Louise Williams.
A l’inhumation de son bis James, le n septembre 1811, et
au baptême de sa bbe Sarah Ann, le 26 juillet 1812 (deux
cérémonies de l’église presbytérienne), le Noir Joseph
Pierson signe chaque fois son nom. Lorsque la Noire
Nancy Bradshaw épouse le Noir William Feeler, le
23 octobre 1819, ebe signe son nom. Le Noir Richard
Rogers signe aussi au baptême presbytérien de sa hUe
Annie, le 13 août 1820. De ces huit signatures d’esclaves,
une seule l’est d’un esclave du Régime français ; les autres
sont postérieures à 1800, mais il s’agit toujours d’esclaves
ou d’affranchis.
Signer son nom ne prouve pas nécessairement qu’on
a de l’instruction : certains esclaves ont-ils dépassé le
niveau de la signature? En juillet 1779, le marchand John
Turner, père, annonce que son Noir Ismaël, âgé de 35 ans
environ, a pris la fuite ; selon le signalement publié dans
la Gazette de Québec, cet esclave lit passablement bien
I52 Deux siècles d’esclavage au Québec

l’anglais. Dollier de Casson nous parle de cette esclave


poutéoutamise qui, élevée grâce à une dot chez les sœurs
de la Congrégation, a appris le français et est en état de
se marier : son instruction a dû être à peu près celle des
autres jeunes filles de la Congrégation. Un ancien esclave
aurait passé par le Collège de Montréal : Charles Mouet
de Langlade, fils de Charles Mouet de Langlade, était né
avant 1754 d’une Amérindienne esclave et, par conséquent,
selon la coutume de l’époque, il avait été esclave comme
sa mère ; mais il eut la chance d’être reconnu par le père
qui prit soin de l’élever et l’aurait envoyé au Collège de
Montréal5. Ce sont là des cas tout à fait exceptionnels.

L’apprentissage d’un métier

Les Amérindiens et les Noirs ont-ils, du moins dans


le temps de leur esclavage, une qualification particulière
pour tel ou tel emploi? Chez les Amérindiens, l’orien¬
tation technique semble faire complètement défaut : ils
ont un rôle plus ou moins vague de domestiques. Des
Amérindiens du gouverneur Beauharnois sont qualifiés
de laquais lorsqu’ils passent par l’Hôtel-Dieu de Québec :
en 1733, le Renard François, âgé de n ans, le Renard
Louis, âgé de 10 ans, les deux Esquimaux Charles Coli
et Charles-Hilarion; en 1736, le Patoca Joseph. Le titre
qu’on leur donne ne correspond peut-être pas exacte¬
ment à leurs tâches, mais en tout cas le métier de laquais
pouvait offrir une certaine sécurité parce que les laquais
étaient rares. Pendant son esclavage, une Amérindienne
sert de servante ailleurs que chez son maître : la Panise
Catherine, qui appartient à l’épouse de Louis Maray de
Lachauvignerie, s’engage comme servante chez le chirur¬
gien Benoist6; les Lachauvignerie n’ayant sans doute pas
besoin d’une Panise à rien faire chez eux, l’avaient mise
en service à l’extérieur. Ou bien c’est ce Panis Chariot, de
Détroit, qui semble devenu bedeau de la paroisse. À une
Les conditions de vie des esclaves x53

époque où peu d’esclaves servent de témoins à l’église, il


assiste à 43 inhumations, la plupart étant des inhuma¬
tions d’enfants.
Certains Amérindiens esclaves ont été tisserands.
On sait que dame Legardeur de Repentigny, née Agathe
Saint-Père, dirigeait à Montréal une petite manufacture;
en 1705, les autorités canadiennes écrivent que «le public
retire un avantage de la manufacture de madame de
Repentigny qui fait avec des écorces d’arbres de grosses
couvertes, de grosse toile de fil d’ortie et une espèce de
gros droguet avec la laine des moutons de ce pays, ce qui
est d’un grand secours pour les pauvres habitants qui ne
sont point en état d’acheter des marchandises de France
étant trop chères»; la dame de Repentigny avait «fait
beaucoup de dépenses pour acheter des sauvages des
Anglais qui savaient ce métier» et «pris des Canadiens
chez elle pour les y former7 ». Pour mettre sa manufacture
en marche, elle s’était donc procuré chez les Anglais des
ouvriers qui faisaient le métier de tisserands. Nous igno¬
rons les noms des précieux esclaves à qui l’on doit la très
éphémère manufacture de Montréal.
Il est surtout intéressant de constater que plusieurs
esclaves amérindiens se sont engagés, avec la permission
de leurs maîtres, comme canotiers et voyageurs dans les
pays d’en haut ; il fallait que les maîtres fussent bien sûrs
de ne pas les perdre dans la grande sauvagerie ! En voici
huit qui figurent parmi les engagés de la traite :

Le Panis François, demeurant à Laprairie et apparte¬


nant à dame Réaume, s’engage le 23 août 1719 à Joseph
Guillet pour faire le voyage des pays d’en haut; on lui
promet un salaire de 250 livres en castors, mais sur ce
salaire l’employeur verse 123 livres 7 sols 6 deniers à la
maîtresse du Panis.
154 Deux siècles d’esclavage au Québec

Le Panis Jacques, qui appartient à Jacques Leber de


Senneville, s’engage le 28 mai 1725 à Pierre Forestier
pour faire le voyage des pays d’en haut; on lui donnera
100 livres pesant de peaux de chevreuil, la moitié de la
chasse qu’il fera et la moitié des travaux qu’il fera pour
d’autres.

Le Panis François, âgé de 31 ans et appartenant à la veuve


Poulin, s’engage le 27 mai 1735, au marchand-voyageur
Jean-Baptiste Legras pour une durée de trois ans; on lui
promet un salaire de 800 livres ; le contrat précise que le
Panis a au préalable obtenu l’agrément de sa maîtresse.

Le Panis Jean-Baptiste, qui appartient à Jean-Baptiste


Godefroy de Vieux-Pont, s’engage le 7 juin 1735 à Louis
Gastineau et à Louis Hamelin pour aller au poste de la
rivière St-Joseph (lac Michigan); il recevra 300 livres :
le maître a donné son autorisation et c’est lui d’ailleurs
qui signe le contrat d’engagement.

Le Panis Pierre, âgé d’environ 20 ans et appartenant à


Pierre Rivon de Budemont, s’engage le 19 mai 1740 à
Louis Damour de Clignancour pour faire le voyage de
Michillimackinac ; le Panis recevra 250 livres dont la
moitié sera payée au maître ; c’est ce dernier qui signe au
contrat d’engagement.

L’Amérindien Charles, esclave d’Antoine Ménard qui


habite Chambly, s’engage le 3 avril 1742 à Dagneau,
Dequindre et Cie pour faire le voyage de Michillimac¬
kinac; le salaire, payable au retour, sera de 180 livres;
c’est le maître qui agit au nom de l’esclave; mais le
30 avril, d’un commun accord, on annule l’engagement.

Le Brochet Louis, âgé de 25 ans environ et appartenant


au négociant François Jolliet, de Lavaltrie, s’engage le
29 avril 1765, sous le nom de Louison et qualité de panis,
à François et Amable Auger pour Michillimackinac ; il
Les conditions de vie des esclaves 155

servira de guide et son salaire sera de 800 livres; c’est


encore le maître qui agit au nom de l’esclave.

Le Panis Louis-Joseph, âgé de 22 à 23 ans et appartenant


à Farly, de l’île Dupas, s’engage le 8 juin 1766 à André
Lemaire dit St-Germain et Cie, du Lac-des-Deux-
Montagnes ; il fera le voyage de Michillimackinac à titre
de «gouvernail de canot» pour la somme de 450 livres;
c’est le maître qui agit au nom de l’esclave8.

Dans ces huit engagements d’esclaves amérindiens,


engagements qui s’échelonnent de 1719 à 1766, nous
remarquons à cinq reprises que c’est le maître qui signe le
contrat d’engagement au nom de l’esclave et que, dans deux
autres cas, le notaire prend soin de noter que l’esclave a
l’autorisation de son maître pour s’engager. Pour les Panis
François et Pierre, la moitié du salaire va au propriétaire :
selon le Code noir publié pour les Antilles, tout ce que
l’esclave gagnait appartenait au maître, mais ici le maître
se contente de la moitié. Deux de ces Amérindiens ont
une fonction spéciale : le Brochet Louis qui appartient
au négociant François Jolliet, est engagé comme guide;
le Panis Louis-Joseph, esclave de Farly, sera gouvernail
de canot9.
Alors que chez les Amérindiens on ne trouve que
des domestiques ou des canotiers, les esclaves noirs prati¬
quent des métiers bien divers, dont voici quelques exem¬
ples :

Perruquier, coiffeur

Mulâtre de 22 ans qu’on annonce dans la Gazette de


Montréal en février et mars 1793 ; nègre de 18 ou 19 ans
que l’encanteur Jones offre en vente dans le Quebec
Herald d’avril 1791.
156 Deux siècles d’esclavage au Québec

Cuisinier

Mulâtre de 16 ans annoncé dans la Gazette de Montréal


en mai 1793: mulâtresse de Samuel Morin, âgée de
28 ans, mise en vente dans la Gazette de Québec de février
1778 ; nègre de 22 ou 23 ans, mis en vente dans le
même journal en août 1769 ; nègre de 28 ans, mis en
vente par l’imprimeur Mesplet, dans la Gazette de
Montréal, en avril 1789 ; négresse de 25 ans, mise en
vente par McMurray, dans la Gazette de Montréal
de mars et avril 1793.

«Presseur» d’imprimerie

Le nègre Joe, esclave de l’imprimeur William Brown, à


partir de 1774.

Tonnelier

Le nègre Pierre-Dominique Lafleur, esclave de l’auber¬


giste Jacquin dit Philibert, en 1749.

Matelot

Le nègre Louis Lepage, esclave de Jean-Baptiste Vallée,


engagée comme matelot en 1744.

Soldat

5 nègres de la Nouvelle-Angleterre, encore esclaves,


servent dans l’armée anglaise et sont faits prisonniers en
1757 : Cœsar, Cœsar Nero, Eaton, Jock Linn, Lindse.

Bourreau

Le nègre Mathieu Léveihé sert de bourreau en Nouvelle-


France de 1734 à 1743 : il appartient au roi.

Les Noirs ont souvent plusieurs aptitudes à la fois,


et les propriétaires qui annoncent une vente ne manquent
pas de faire valoir tous les talents de leurs esclaves : la
mulâtresse de Samuel Morin s’entend à la cuisine, elle
Les conditions de vie des esclaves x57

sait tenir maison en ordre, travailler à l’aiguille et prendre


soin des enfants ; la Noire qu’annonce l’imprimeur Moore
en 1790 est «propre à presque toutes sortes d’ouvrage,
bonne cuisinière et femme de chambre; sait traire les
vaches et faire le beurre». Tous ces Noirs — hommes et
femmes — semblent exceller dans la cuisine, à en croire
les petites annonces des gazettes. La mulâtresse Rosalie,
qui appartint d’abord aux Duperron-Bâby puis à Charles-
Eusèbe Casgrain, était, paraît-il, un cordon-bleu : « Rose
n’en cédait pas à sa mère dans l’art culinaire», écrit R-B.
Casgrain. « Elle excellait dans les pâtisseries et confiseries.
On parle encore de ses cochons de lait cuits au four et de
ses bécassines rôties à la tournelle10». On serait tenté de
crier : vive l’esclavage !
Comme les Amérindiens, les Noirs en servitude
s’engagent parfois avec la permission ou sur l’initiative
de leurs maîtres. Le Noir Valentin, qui appartient à la
veuve de Pierre Lestage, s’engage à Monière le 29 mars
1754 pour faire le voyage des Illinois. Le 27 décembre
1744, le bourgeois Jean-Baptiste Vallée engage son Noir
Louis Lepage en qualité de matelot pour servir François
de Chalet, inspecteur général de la Compagnie des Indes,
qui exploite les postes de Cataracoui et de Niagara; le
salaire sera de 25 livres par mois, mais ce salaire sera
versé au propriétaire du Noir; l’esclave, lui, recevra outre
sa nourriture un pot d’eau-de-vie par mois et du tabac11.
C’était peut-être pour lui plus intéressant que de toucher
de l’argent.

La tenue vestimentaire

Nous avons voulu savoir comment ces esclaves


étaient habillés. Le Code noir des Antilles obligeait le
propriétaire à fournir chaque année à son esclave deux
habits de toile ou quatre aulnes de toile. Il est évident
qu’au Canada il fallait davantage, sans aller cependant
Deux siècles d'esclavage au Québec
158

jusqu’à vêtir le Noir d’une fourrure de castor comme le


proposait Ruette d’Auteuil. Nous ne disposons encore ici
que de bribes d’information.
Sur les Amérindiens, celle-ci est extrêmement
pauvre. Lors d’un procès de 1727, la Panise Catherine,
qui appartient à Maray de Lachauvignerie, poursuit le
chirurgien Joseph Benoist chez qui elle était en service;
la Panise se plaint que ses hardes aient été confisquées
par le chirurgien. Que comprennent ces hardes «dont
elle n’en a point d’autres pour changer» et dont on la
prive depuis trois semaines ?

un tablier de coton
trois chemises de chanvre
huit coiffes (5 grosses et 3 de mousseline)
un mantelet
une paire de gants
trois écheveaux de fil
une vieille paire de bas
une paire de souliers sauvages
un jupon de flanelle
un bonnet piqué

À part ce qu’elle porte, voilà tout le trousseau de la


Panise, et il fait la matière d’un procès. La Cour donna
raison à la plaignante et le chirurgien fut contraint de
lâcher les jupes de la Panise12...
Le signalement de Panis en fuite nous permet
d’ajouter quelques détails à l’inventaire. Quand la Panise
Françoise, âgée de 35 ans environ, propriété de la veuve
Thomas-Ignace Trottier-Dufy-Desaulniers et «d’une
taille ordinaire, d’une corpulence passable», prend la
fuite le 14 juin 1778, elle est simplement habillée d’une
indienne rayée. Lorsque le Panis Jacob, âgé d’environ
20 ans, s’évade de chez Daniell et Dalton le 14 juillet
1783, la Gazette de Québec annonce qu’il portait, lors de
sa fuite, « un capot de couverte bleue, un chapeau blanc
Les conditions de vie des esclaves 159

avec des plumets, une chemise à manchettes, des souliers


anglais et boucles argentées, et un paquet de linge avec
un habit grisâtre de drap fin lié dans un mouchoir». Voilà
un esclave bien vêtu : avec ses souliers anglais et boucles
argentées, sa chemise à manchettes, son habit de drap fin
et son chapeau blanc avec plumets, le Panis Jacob devait
avoir belle apparence.
Sur la tenue vestimentaire des Noirs, l’informa¬
tion est plus abondante. Nous avons, par exemple, les
livres de comptes de l’imprimeur William Brown qui
nous permettent de suivre les diverses dépenses que fait
l’imprimeur pour habiller son Noir Joe, à part ce qu’il
débourse pour le faire fouetter.
La liste des frais pour habiller le Noir Joe, liste
que l’on peut établir à partir de ces livres, nous amène à
conclure que ce Joe a coûté cher à chausser; il faut souvent
renouveler les mocassins : trois fois en 1779, trois en 1785 ;
en février 1787, l’imprimeur lui donne cinq chelins pour
des chaussures13, mais il faut recommencer en avril, puis
autres achats de chaussures en juin et septembre ! C’est à
croire que Joe en faisait commerce.
Quand les Noirs désertent, les gazettes publient des
détails intéressants sur le vêtement. Voici, concernant les
Noirs :

Noir de Jean Orillat, de Montréal, âgé de 22 ans environ :


lors de sa fuite du 20 août 1775, il porte un habit court,
de couleur grise, fait de droguet d’Angleterre.

Noir de Lévy Solomons, de Montréal, âgé de 13 ans


environ : il déserte le 24 avril 1788, portant une bougrine
[pardessus], de grandes culottes bleues et un chapeau
rond.

Caleb, Noir de Mathew et John MacNider, âgé de 26 à


27 ans : il s’enfuit le dimanche 13 avril 1788, portant une
«redingote bleu foncé, un habit et une veste gris, des
i6o Deux siècles d’esclavage au Québec

culottes bleu foncé, bas blancs et un chapeau rond ».

Charles, Noir de Pierre-Guillaume Guérout, âgé de


20 ans environ : il s’enfuit le 31 juillet 1783, portant «une
bougrine grise, et des grandes culottes de toile ».

Cuff, Noir d’Elisabeth McNeill, de Québec, âgé de


38 ans environ : il s’enfuit le 28 ou 29 mai 1785» portant
«une chemise blanche, une veste grise, les manches de
vieux bas, une redingote bleue, chapeau rond avec bande
et boucle, mitasses [jambières] vertes, boucles noires à
ses souliers ».

Drummond, Noir de John McCord, de Québec, en fuite


depuis le matin du 25 juin 1765, vêtu d’un habit de drap
de couleur sombre et de culottes en cuir.

Fortune, Noir de McMurray, âgé de 25 ans environ : il


s’enfuit de l’île Carleton le 18 juillet 1780, portant une
grosse chemise et de grandes culottes de grosse toile.

Ismaël, Noir de John Turner, de Montréal, âgé de 35 ans


environ : en juillet 1779, il s’enfuit, portant un «chapeau
peinturé blanc, une verreuse [vareuse] et de grandes
culottes de toile d’Osnabourg, une chemise de toile à
carreaux et des souliers sauvages». Autre fuite le 7 mars
1784 : il porte alors « un chapeau rond relevé derrière,
avec un ruban bleu en bourdaloue [entourant la forme
d’un chapeau], une veste rouge de peluche, une paire de
mitasses et culottes bleues de Berg-op-zoom ; une paire
de souliers et des boucles de métal». Nouvelle esca¬
pade en 1788 : il porte un chapeau rond, un gilet bleu de
matelot, une veste blanche, une grande culotte bleue et
point de souliers.

Jack, Noir de Finlay et Gregory, de Montréal : il s’enfuit


dans la nuit du samedi, 10 mai 1778, portant un habit
rouge, parementé de vert, une paire de culottes, une
veste de buffle et un vieux capot de couverte.
Les conditions de vie des esclaves 161

Jack, Noir de William Grant, de Québec, âgé de 30 ans


environ : il s’enfuit en 1792, portant une bougrine de
drap bleu épais doublé de flanelle blanche, un gilet de
même couleur, de grandes culottes ou braies de grosse
étoffe brune.

Jacob, mulâtre de Miles Prenties, de Québec, âgé de


18 ans environ : il s’enfuit le vendredi soir, 10 juillet 1778,
portant un habit court de futaine brun clair, une veste et
des culottes de drap blanc, un chapeau rond.

Joe, Noir de William Brown, de Québec : il s’enfuit


le 22 novembre 1777, portant un casque vert, un vieil
habit de drap fin bleu céleste, une vieille veste de ratine
grise, des culottes de cuir, des mitasses vinées et des
souliers sauvages. Autre fuite le 25 janvier 1778 : il porte
un casque vert, un habit bleu, une veste et des culottes
«pareilles», une paire de bas de laine grise et des souliers
sauvages. Nouvelle fuite, le 22 décembre de la même
année : il porte un vieux casque vert, un habit de ratine
grise-brune et une veste à bavaloise [pont de culotte, de
pantalon] de même étoffe avec des boutons jaunes, une
paire de culottes de velours noir de Manchester, des bas
de laine grise et une paire de souliers à hausses (dans
l’annonce anglaise, on lit ici «Indian Mocassins»). Le
voilà encore parti le 16 septembre 1779, portant un « habit
de ratine grise-brune, déchiré sous le bras, et une veste à
bavaloise de même étoffe avec des boutons jaunes, une
paire de culottes de cuir, de vieux bas de fil, et une paire
de souliers sauvages». Il s’évade de prison le 18 février
1786, portant «une redingote bleue, une bougrine rouge,
un gilet blanc, et un chapeau rond». Encore une fuite
en août 1789 : il portait «un capot rouge, une paire de
grandes culottes de coton rayé ».

Lowcanes, Noir de William Gill, de Québec, âgé de


25 ans : le 18 novembre 1775, il déserte, portant un habit
IÔ2 Deux siècles d’esclavage au Québec

court de couleur blanche, avec un capuchon rouge, la


veste et la culotte.

Nemo, Noir de Hugh Ritchie, de Québec, âgé de 18 ans


environ : il s’enfuit le 24 octobre 1779, portant «un gilet
à bavaloise de flanelle rayée, de vieux bas de laine, et une
paire de souliers anglais ».

Nero, Noir de John Mittleberger, de Montréal, âgé de


14 ans : le 27 juin 1781, il s’enfuit prenant avec lui «un
habit court bleu, doublé de serge rouge, un habit court
gris, un ditto [un habit] de couverte verte, une bougrine
verte croisée, un ditto et une paire de grandes culottes
de coutil, une paire de culottes et une veste de futaine»;
le Noir s’était bien pourvu en sortant de chez le tailleur
Mittleberger.

Pompey, Noir des marchands Johnson et Purss : le


12 août 1771, « quand il a décampé » il portait un gilet et
des culottes brunes.

Richard, Noir du marchand Rosseter Hoyle, âgé de 25


ou 27 ans : il s’évade en 1790, portant une bougrine d’un
brun noir et de grandes culottes.

Robin, Noir de James Fraser : le 12 août 1798, il s’enfuit,


portant «une chemise et des grandes culottes de grosse
étoffe, une veste de couleur pâle, un chapeau de laine et
de vieux souliers ».

Thompson, John, Noir en service à bord du navire le


Susannah : il s’enfuit le 27 septembre 1779, portant une
veste brune avec une bougrine de flanelle et des culottes
noires tricotées, sans bas.

Welden, Elber, mulâtre, apprenti cordonnier, âgé de


19 ans environ : il s’enfuit le 7 octobre 1792, portant
une redingote brune, un habit de coutil, des guêtres,
une paire de bottes et un chapeau neuf (en anglais : « a
Les conditions de vie des esclaves 163

brown surtout coat, a jean coat and leggings, a pair of boots


and new course bat»),

À propos des Noires :

Noire d’Isaac Werden, de Québec, âgée de 24 ans


environ : elle s’évade le 22 août 1766, portant une robe
noire et un « red callimancopetticoat».

Bett, Noire de Johnson et Purss, âgée d’environ 18 ans :


lors de sa fuite, le 5 mars 1787, cette Noire de médiocre
stature porte un mantelet et une jupe de jersey bleu, une
câline [bonnet, coiffe] d’indienne brune et un «châle»
des Indes autour du cou.

Cash, Noire de Hugh Ritchie, de Québec, âgée de 26 ans


environ : le 24 octobre 1779, elle s’enfuit avec le Noir
Nemo, emportant beaucoup de linge et d’effets qui ne
sont pas à elle, ainsi qu’un fort gros paquet de ses hardes
« qui peuvent consister en une mante de satin noir, des
coeffes [coiffes], bonnets, manchettes, rubans, six sept
jupes, un vieux corps».

Isabella, mulâtresse de George Hipps, de Québec, âgée


de 15 ans environ : elle s’enfuit le 18 août 1778, portant «a
striped wollenjacket and petticoat», sans bas ni souliers; le
29 octobre suivant, nouvelle désertion, elle portait alors
une robe et un jupon d’indienne (en anglais : « callico
gown and petticoat»), une «coeffe» à la mode et un
mouchoir de soie noire.

Lydia, Noire de James Fraser, de Montréal : le 12 août


1798, elle s’enfuit, habillée « d’une courte robe rayée de
bleu et blanc, d’un jupon de droguet bleu et d’un bonnet
de soie noire : elle est grosse et bien prise ».
164 Deux siècles d'esclavage au Québec

Avec ces bribes, il est difficile de reconstituer le


costume de l’esclave ; sans doute il n’avait pas de costume
uniforme. Il ne semble pas qu’ils aient porté de livrée,
sauf peut-être ce Panis Jacob, esclave de Daniell et
Dalton, qui a chapeau blanc avec plumets, habits de drap
fin, chemise à manchettes, souliers anglais avec boucles
d’argent; ou encore ce Jack, Noir du négociant William
Grant, vêtu d’une bougrine de drap bleu épais doublé de
flanelle blanche, d’un gilet de même couleur et de culottes
en grosse étoffe brune; et sauf aussi le Noir de Prenties
mis en vente par les imprimeurs de la Gazette de Québec :
dans l’annonce de mars et avril 1769, on prend soin de
faire savoir qu’il a bonne apparence dans sa livrée.
En général, la tenue semble plutôt disparate, même
si nous remarquons que le chapeau rond, la grosse étoffe
et les souliers anglais sont assez à la mode chez les
esclaves noirs. Le mulâtre Andrew, esclave du tavernier
James Crofton et qui déserte en mai 1767, se distingue
des autres par la réputation qu’il a, selon la Gazette, de se
mettre proprement. Il en est, par contre, qui sont négligés
dans leur tenue, par insouciance ou faute de mieux : le
Noir du marchand John Turner porte un chapeau «pein¬
turé» blanc et des souliers sauvages; Robin, Noir de
James Fraser, déserte avec de vieux souliers; dans sa fuite
de 1778, la mulâtresse Isabella qui appartient au boucher
Hipps, n’a ni bas ni souliers. Ce sont pourtant des esclaves
de bourgeois.

Des esclaves à l’hôpital

Le Code noir des Antilles (comme celui de la


Louisiane) avait prévu que les esclaves malades ou usés,
si on ne les gardait pas à la maison, seraient entretenus à
l’hôpital aux frais de leurs maîtres. Ce Code noir n’ayant
pas été mis en vigueur au Canada, il faut se demander si
les Canadiens qui ne pouvaient plus garder leurs esclaves
Les conditions de vie des esclaves 165

ont eu le souci de leur assurer au moins l’hospitalisation.


Comme l’Hôpital-Général de Montréal et, à Québec,
1 Hôpital-Général et l’Hôtel-Dieu ont conservé leurs
registres de malades et leurs registres mortuaires, nous
avons pu suivre au complet le séjour des esclaves dans
ces hôpitaux. Malheureusement, les registres de l’Hôtel-
Dieu de Montréal n’ont pas été conservés : on connaît
le passage des 80 esclaves à cet hôpital uniquement par
le registre des sépultures de Notre-Dame-de-Montréal
lorsque le prêtre précise que tel esclave est mort à l’hô¬
pital.
En tout cas, nous avons constaté chez les esclaves
une haute fréquence d’hospitalisation. De 1690 à 1800,
donc, en un siècle, 525 esclaves ont été hospitalisés à
Québec, à Montréal et même à Détroit (mais ici nous
n’en avons qu’un seul) :

301 esclaves, dont


Hôtel-Dieu de Québec
204 Amérindiens

121 esclaves, dont


Hôpital-Général de Montréal
101 Amérindiens

80 esclaves, dont
Hôtel-Dieu de Montréal
64 Amérindiens

19 esclaves, dont
Hôpital-Général de Québec
10 Amérindiens

Hôpital de Détroit 1 Amérindien

L’Hôtel-Dieu de Québec dépasse, et de très loin,


les autres hôpitaux, mais sa position aurait probable¬
ment été différente si on avait retrouvé les registres de
l’Hôtel-Dieu de Montréal. Pour celui de Québec, l’ins¬
cription des esclaves commence en 1690 avec deux
Amérindiens. Sur les 301 esclaves de l’Hôtel-Dieu de
Québec, 207 seulement n’y font qu’un seul séjour, mais
51 y entrent par 2 fois, 19 y séjournent par 3 fois ; d’autres
y viennent plus souvent encore : l’Esquimau Coli et le
Noir Thomas-Louis y viennent chacun 8 fois ; le Renard
i66 Deux siècles d’esclavage au Québec

Gilles-Hyacinthe qui appartient à l’intendant Hocquart,


fait io séjours à l’Hôtel-Dieu et, malgré ces visites répé¬
tées, il ne paraît pas y avoir laissé sa peau.
Selon nos statistiques, l’Hôpital-Général de Montréal
vient en second lieu, mais il importe de noter que le
séjour qu’y font les esclaves est beaucoup plus long qu à
l’Hôtel-Dieu de Québec d’où l’on sort aussitôt guéri;
l’Hôpital-Général de Montréal, en effet, est un refuge,
un asile pour les mauvais jours : les esclaves usés ou
privés de foyer entrent là attendre la mort. C’est le plus
souvent la famille qu’ils ont servie qui les place à cet
endroit : la Renarde Catherine, par exemple, qui appar¬
tient au marchand Guillet, entre à l’Hôpital-Général le
25 octobre 1754 aux frais de la famille Guillet (ce que nous
avons constaté par les livres de comptes); elle y meurt
le 7 octobre 1768 à l’âge de 60 ans. L’Hôpital-Général
ouvre aussi ses portes à des esclaves délaissés : c’est le
cas, entre autres, de la pauvre Noire Catherine, femme
du Noir Antoine Lamour, qui meurt là en août 1811, âgée
de 70 ans.

L’esclave meurt jeune

Quand les Canadiens avaient demandé des Noirs


le roi avait donné son consentement, mais en observant
« qu’il est à craindre que la différence de climat pour ces
nègres à celui du Canada ne les fasse mourir» et qu’ainsi
on ait entrepris inutilement de grandes dépenses14. Ces
craintes se sont justifiées. Le trait le plus étonnant de
notre esclavage, c’est que l’esclave, qu’il soit noir ou
rouge, meurt jeune : pour 38,8 % des 4087 esclaves dont
nous connaissons l’âge au décès, nous calculons que cet
âge moyen au décès est de seulement 19,3 ans ! Mais si
nous considérons séparément les deux groupes d’esclaves,
nous avons la surprise de constater que le Noir vit tout
de même beaucoup plus longtemps que l’Amérindien :
Les conditions de vie des esclaves 167

il meurt à l’âge moyen de 25,2 ans, alors que l’Amérin-


dien n’a en moyenne que 17,7 ans à sa mort. Il semble¬
rait donc que le Noir fût mieux préparé à vivre parmi les
Blancs du Canada que l’Amérindien. Nous parlons ici
de 25,2 et de 17,7 ans comme si nous avions travaillé avec
grande précision : en réalité, sauf dans le cas des enfants
nés au pays, l’âge indiqué dans les registres d’inhuma¬
tion n’est toujours que jugé à l’œil, ce qui peut être de
nature à modifier la moyenne ; de plus, nous ne connais¬
sons l’âge que de 1239 Amérindiens sur 2 683 (46,2 %) et
de 348 Noirs sur 1443 (24,1%). Avec ces éléments qu’il
nous est impossible de compléter, nous fixons à 19,3 ans
l’âge moyen de l’esclave à sa mort : nous croyons que c’est
là une légitime approximation.
Comme les Amérindiens apparaissent en nombre
plus tôt que les Noirs, nous pouvons dès les années 1680
noter quelques décès, puis à partir de 1700 nous sommes
en mesure d’établir des moyennes décennales parce que
les décès sont devenus assez nombreux. Pour les Noirs,
nous devons attendre les années 1730 avant de pouvoir
calculer une moyenne d’âge au décès ; par contre, alors que
cette moyenne ne peut être calculée chez les Amérindiens
après 1800, celle des Noirs se prolonge jusqu’en 1820. Au
Québec, les Amérindiens sont les premiers à former la
population esclave, mais les Noirs sont les derniers à
disparaître.
La moyenne d’âge au décès des Amérindiens qui
était alors de 15,16,17 ans, s’élève tout à coup au cours de
la période 1791-1800, et celle des nègres atteint un chiffre
très élevé de 46,9 ans au cours de la décennie 1811-1820 :
cette élévation est due aux rares esclaves dont l’existence
s’est prolongée d’une façon exceptionnelle et qui dispa¬
raissent à cette époque.
Chez les Amérindiens, le nombre de décès s’élève
au-dessus de la centaine à partir de 1731 et s’y main¬
tient jusqu’en 1790 : on croirait à première vue que les
i68 Deux siècles d’esclavage au Québec

Amérindiens arrivés les premiers ont atteint la limite


naturelle de la vie. Il n’en est rien, puisque l’âge moyen
jusqu’en 1760 n’atteint même pas 17 ans.
Or, les moyennes décennales ne montrent pas exac¬
tement ce qui s’est passé, car elles donnent plutôt l’im¬
pression d’une certaine constance dans le rythme des
décès, alors que le total a fort varié d’une année à l’autre.
En fait, des sommets élevés correspondent à certaines
épidémies. Le sommet le plus élevé est celui de 1733 : en
cette année, il meurt 61 esclaves (dont 58 Amérindiens) ;
année exceptionnelle en mortalité pour les esclaves, si on
la compare aux années voisines.
L’année 1733 est célèbre par son épidémie de picote
qui a couvert tout le pays, y compris Détroit, et qui a duré
cinq mois à Montréal ; il en est mort 58 Amérindiens, à
l’âge moyen de 16,8 ans seulement. D’autres vagues d’épi¬
démies surviennent, qui emportent bien des Canadiens
et un grand nombre d’Amérindiens esclaves. A l’automne
3:755, lors d’une épidémie de picote (appelée aussi petite
vérole), il meurt 56 Amérindiens, à l’âge moyen de
15,8 ans. En 1757, les bateaux introduisent dans le pays des
fièvres qui se répandent ensuite partout, sans compter
que la petite vérole éclate de nouveau à Québec : il meurt
51 Amérindiens esclaves qui n’ont en moyenne que
12,1 ans. Les années 1759,1760 et 1761 marquent aussi des
sommets dans le nombre des décès : encore à cause des
fièvres, de la picote, des privations ou peut-être à cause
de tout cela ensemble. Si, pour ces mêmes années, nous
comparons le nombre de décès des Amérindiens avec celui
des Noirs (même en se rappelant que les Noirs sont 3 fois
moins nombreux que les Amérindiens), nous sommes
surpris de constater la faible mortalité des Noirs : en 1733,
58 Amérindiens et 2 Noirs; en 1755, 56 Amérindiens et
6 Noirs; en 1757, 51 Amérindiens et 4 Noirs; et ainsi de
suite. Il devient évident que les Amérindiens en présence
d’une épidémie sont beaucoup moins résistants que les
Les conditions de vie des esclaves 169

Noirs. C’est d’ailleurs une constatation généralement


faite par ceux qui ont observé les Amérindiens : ils sont
sans défense contre la maladie la plus bénigne de l’Euro¬
péen.
L’expérience démontrait que le Noir valait mieux que
l’Améridien, puisqu’il résistait plus facilement aux mala¬
dies courantes. En effet, le sommet le plus élevé chez les
Noirs est l’année 1776 avec seulement 10 décès. Toutefois,
il y a chez les Noirs une mortalité qui est très élevée, la
mortalité infantile. Alors que sur 336 enfants d’Amérin-
diens esclaves, il y en a 84 qui meurent dans l’année de leur
naissance (ce qui représente déjà une proportion élevée
de 25 %) nous avons compté que sur 238 enfants de Noirs,
93 meurent avant d’atteindre l’âge d’un an, soit 39,1 %.
Nous concédons que cette proportion établie seulement
sur 100 n’est guère valable du point de vue scientifique,
puisque ces calculs doivent plutôt porter sur un échan¬
tillon de 1000, mais nous n’avons pu procéder autrement
à cause de la quantité restreinte de la population esclave.
Qu’il meure 93 enfants sur 238 dans l’année même de
la naissance, c’est là, croyons-nous, un phénomène très
grave pour la population noire. Est-il dû au climat, ainsi
que le redoutait Louis XIV? Néglige-t-on de donner les
soins essentiels aux négrillons ? Il ne faut pas oublier que,
même chez les Blancs, la mortalité infantile présente un
taux élevé : au XVIIIe siècle, sur 1000 enfants nés vivants,
les Canadiens en voient mourir le quart dans l’année de
la naissance15. Les esclaves amérindiens ne paraissent
pas souffrir de la mortalité infantile plus gravement que
les Canadiens, mais chez les Noirs elle est un véritable
désastre.
Il arrive aussi des accidents qui viennent inter¬
rompre d’une façon anormale la durée de la vie. Le Panis
Jean-Baptiste Bourdon dit Content se noie à Saint-
Augustin le 10 juillet 1753 à l’âge de 12 ans : on l’inhume
le lendemain ; la Noire Lrançoise-Charlotte, fille de cette
170 Deux siècles d’esclavage au Québec

Sylvie qui est esclave du seigneur Jean-Baptiste Boucher


de Niverville, périt à l’âge de 17 ans, « s’étant malheureu¬
sement noyée dans le rapide » : on l’inhume à Chambly
le 21 juillet 1776. Le négociant Robert Lester perd aussi
par noyade son esclave noir, Jean, qui n’a que 18 ans et
qu’on inhume à Québec le 20 mai 1783. À Lachine, en
juin 1792, le Panis André-Gabriel, enfant de 4 ans qui
appartient à MacLeod, se noie lui aussi : il est enseveli
15 jours plus tard, à Montréal, le 9 juillet 1792. Le Noir
Cœsar Brown, matelot à bord du Sapho, meurt noyé
le 2 septembre 1804, et reçoit la sépulture anglicane le
7 du même mois à Québec. Le Noir Jean-Baptiste, Hbre
depuis plusieurs années et âgé de 70 ans, meurt dans un
incendie : le 13 décembre 1791, au Moulin qui est hors
la porte des Récollets à Montréal, le feu éclate, proba¬
blement allumé par la pipe du vieux nègre ; en moins de
« cinq quarts d’heure », le moulin est consumé et le Noir y
périt; une partie de son corps fut retrouvée et l’inhuma¬
tion eut lieu le lendemain à Montréal16.

Les rares esclaves de 70 ans et plus

D’après la moyenne que nous avons calculée, l’es¬


clave n’a pas tout à fait 20 ans à son décès ; par consé¬
quent, les esclaves qui atteignent l’âge mûr se font plutôt
rares. Sur 1239 Amérindiens dont l’âge au décès nous est
connu, il n’y en a que 68 qui meurent entre 40 et 50 ans ;
et sur 348 Noirs, nous en comptons 42; ce sont surtout
des hommes, alors que chez les Amérindiens ce sont
surtout des femmes1?. Plus rares encore les esclaves qui
meurent entre 60 et 70 ans : 37 seulement, c’est-à-dire
21 Amérindiens (dont 1 seul homme) et 16 Noirs (dont
6 femmes).
Les septuagénaires ne sont qu’au nombre de 25;
nous comptons 16 Noirs (dont seulement 4 femmes)
et 9 Amérindiennes : désormais, on ne parle plus que
Les conditions de vie des esclaves I7I

d’Amérindiennes, car aucun Amérindien mâle n’a vu ses


70 ans. Il y a presque autant d’octogénaires : 23, c’est-à-
dire 8 Amérindiennes et 15 Noirs.
Parmi ces 23 octogénaires, il y en a 3 qui ne sont
pas loin de leurs 90 ans : la Noire, Marie-Rose, 86 ans ; la
Panise Marie-Louise, 87 ans ; et la Noire, Marie-Élisabeth,
88 ans. Deux Noirs atteignent l’âge de 90 ans : Ciçonai
inhumé le 3 octobre 1820 à Détroit et Jenny, inhumée le
6 octobre 1832 à Détroit.
Chacun des deux groupes d’esclaves, noirs ou rouges,
est donc représenté chez les centenaires : la Panise Marie-
Joseph meurt à l’âge de 100 ans; mais la Noire Mary
Young l’emporte en longévité en ne mourant qu’à l’âge
de 106 ans ; née sous le règne de Louis XIV, elle ne dispa¬
raît qu’à la fin du règne de Napoléon ier.
Chez les Amérindiens, les hommes n’atteignent
jamais un âge avancé : on n’y trouve aucun septuagénaire ;
les femmes, par contre, vivent beaucoup plus longtemps.
Chez les Noirs, il y a plus d’hommes que de femmes
à devenir septuagénaires, mais ensuite, il y a presque
3 fois plus de femmes que d’hommes à franchir le cap
des 80 ans. Mais ce qu’il est encore plus important de
noter, c’est le grand nombre de Noirs, comparé à celui
des Amérindiens, qui vivent 40 ans et plus : parmi les
1239 Amérindiens dont nous connaissons l’âge au décès,
107 seulement atteignent 40 ans ou les dépassent, soit une
petite proportion de 8,6 %, alors que sur 348 nègres, on
en compte 92, c’est-à-dire 26,4 %. Les Noirs vivent donc
beaucoup plus vieux que les Amérindiens et si leur taux
de mortalité infantile n’avait pas été si élevé, l’âge moyen
de l’esclave à son décès eût été bien supérieur. Parce que
l’Amérindien vit peu d’années une fois qu’il est en servi¬
tude parmi les Français, et parce que les nouveau-nés des
noirs sont très fragiles, il reste que l’esclave moyen ne voit
pas ses 20 ans.
172 Deux siècles d'esclavage au Québec

L’inhumation des esclaves

La sépulture de ces esclaves se faisait-elle d une façon


plus précipitée que celle des personnes libres ? Même si
l’esclave comptait dans le cheptel du propriétaire, avait-
on soin de l’inhumer comme un être humain ?
Il est arrivé quelquefois que l’inhumation de l’esclave ait
lieu le jour même de son décès : c’est le cas de l’Amérin-
dien Jean-Baptiste qui appartient à Noël Pelletier, baptisé
et inhumé le 17 octobre 1755 à Neuville ; mentionnons aussi
cette Panise anonyme, âgée d’environ 13 ans, propriété
de François Campeau : elle meurt le 10 novembre 1757
vers 5 heures du matin et on l’inhume le même jour à
Montréal; ou cette Amérindienne anonyme, âgée de
20 ans et esclave de Pierre Chesne-Labutte, qui meurt le
9 février 1759 et qu’on met en terre le jour même à Détroit.
Pour juger de ces inhumations précipitées, il faudrait en
connaître les circonstances : pour celui qui meurt d’une
maladie contagieuse, on procède rapidement.
La plupart du temps, l’inhumation des esclaves a lieu
le lendemain du décès. A ne lire que l’acte d’inhumation,
on pourrait avoir l’impression que le propriétaire veut se
débarrasser du cadavre le plus tôt possible. Or il faut se
rappeler que sous le Régime français et même encore au
XIXe siècle, l’usage est d’inhumer un défunt, quelle que
soit sa condition, dès le lendemain du décès : l’embau¬
mement est affaire dispendieuse dont il faut générale¬
ment se passer. Le défunt n’est pas longtemps «sur les
planches ».
Nous connaissons, cependant, 4 esclaves qui n’ont
été inhumés que le surlendemain du décès : la Panise
anonyme d’Etienne Robert de Lamorandière meurt
à 10 ans le 21 octobre 1742 et elle est inhumée le 23 à
Montréal ; Colombine, Panise de 50 ans, ancienne
esclave de Philippe-Antoine d’Hauterive, meurt à
1 Hôpital-Général de Montréal le 3 mars 1769 : on ne la
Les conditions de vie des esclaves 173

met en terre que le 5 mars ; la Renarde Catherine, âgée de


60 ans et ancienne esclave du marchand Guillet, décède
au même endroit le 7 octobre 1768 : on l’enterre le 9 ; le
Noir Pompée, âgé de 40 ans et mort le 24 janvier 1776 en
protégeant son maître, le médecin Antony, n’est inhumé
que le surlendemain à Détroit. Ce sont là des cas d’ex¬
ception, et rendus possibles par le temps de l’année où ils
se produisent.
L’acte d’inhumation de l’esclave ne diffère pas, dans
la forme, de celui de la personne libre : c’est la même
formule rituelle toute simple et toute dépouillée, signée
d’un seul nom, celui du prêtre. Alors que pour le baptême
ou le mariage, on occupe, selon son rang social, un espace
plus ou moins étendu dans le cahier des registres, et qu’on
essaie de réunir au pied de l’acte le plus grand nombre
possible de signatures, il n’est rien de tel dans l’acte
d’inhumation : noble ou roturier, gouverneur général
ou simple esclave, on figure dans le registre des sépul¬
tures avec la même commune simplicité : « Là se perdent
ces noms de maîtres de la terre», écrivait Malherbe. Il
faut quand même noter qu’en général l’esclave traîne
sa qualité d’esclave jusque dans l’acte d’inhumation :
heureusement pour nous, d’ailleurs, puisque cela nous a
permis d’ajouter bien des noms à notre inventaire. Il faut
aussi noter que le prêtre ne prend pas toujours la peine de
nommer l’esclave qu’il inhume : nous avons ainsi relevé
450 inhumations anonymes, 365 chez les Amérindiens et
40 chez les Noirs.
L’inhumation doit se faire en présence de témoins.
L’esclave défunt a parfois pour témoins ses congénères,
ce qui est plutôt inattendu, l’esclave étant mineur aux
yeux de la loi. Le Panis Chariot, qui servait peut-être
de bedeau, agit comme témoin dans 43 inhumations à
Détroit, de 1742 à 1752. Ce sont les Noirs surtout qui ont
pour témoins des Noirs : c’est chez eux un usage quasi
établi et on pourrait ici dresser une longue énumération
Deux siècles d’esclavage au Québec
m

d’exemples; certains Noirs se font pour ainsi dire une


spécialité d’apparaître à l’inhumation de Noirs : Paul
Cramer Polydore, Robert Jackson, Francis Smith et sa
femme Dorothy Hutchins sont de presque toutes les
funérailles...
Nous y rencontrons parfois le propriétaire. Le Noir
Jean, âgé de 18 ans, meurt à bord de la Sirène le 3 novembre
1724 : l’inhumation a lieu le lendemain à Saint-François
de l’île d’Orléans, en présence du propriétaire, Joseph
Damour de Freneuse, et de son frère, Mathieu Damour
de l’île-Ronde. La Panise Madeleine-Louise, âgée de
7 ans, a pour témoin son propriétaire, Clément Laplante-
Lérigé, le 30 avril 1730 à Laprairie. La Panise Hyacinthe,
qui appartient à Louis Jarret de Verchères, est inhumée
à Verchères le ier mars 1754, à l’âge d’environ 15 ans : son
propriétaire signe l’acte d’inhumation. La Noire Françoise-
Charlotte, esclave du seigneur Jean-Baptiste Boucher de
Niverville, meurt à l’âge de 27 ans : à l’inhumation faite à
Chambly le 31 juillet 1776, son maître agit comme témoin.
Quand la Noire anonyme de Jean-Baptiste Magdelaine
est inhumée à Lachine le 5 janvier 1786, le maître est là en
compagnie de ses enfants. Les cas ne sont pas fréquents,
et ils se trouvent tous chez les Canadiens français. C’est
en vain que nous avons cherché des exemples dans la
société anglaise : les Anglais n’assistent pas à l’inhuma¬
tion de leurs esclaves.
Nous avons peu de détails sur la cérémonie même
de l’inhumation : elle ne devait pas, dans son rite, différer
de toute autre inhumation. En octobre 1736, le récollet
Daniel, missionnaire à Détroit, inhumant une jeune
Noire anonyme, prend la peine d’ajouter dans l’acte :
«Je l’ai enterrée comme j’enterre les chrétiens selon le
rite du diocèse ». Le rite a dû être le même pour tout le
monde, mais s’est-il trouvé des cérémonies plus amples
que d’autres ?
Les conditions de vie des esclaves I75

A ce proposées actes d’inhumation sont évidemment


avares de détails. L’un d’eux révèle que les funérailles de la
Renarde Madeleine, le 14 décembre 1755 aux Écureuils, se
sont faites en présence d’un «grand concours de peuple».
Un autre est bien plus généreux dans sa description : le
jésuite Pierre Laure porte au Miscellaneorum Liber une
longue note en latin pour décrire l’inhumation de cette
Montagnaise Marie-Louise qui avait été en servitude
chez Fleury Deschambault de Lagorgendière et qu’on
enterre à l’Hôtel-Dieu de Québec le 25 novembre 1732 :
« Cum Monialium Solatio defuncta est et a me Petro Laure
in cœmeterio, companis Sonantibus, Sequentibus puellulis et
magnifice Sepulta fuit». Voici donc une esclave à qui on
fait une magnifique inhumation : morte à l’âge de 12 ans
après avoir reçu les soins des religieuses, elle est conduite
à son dernier repos au son des cloches et un défilé d’en¬
fants compose son cortège. Nous ne connaissons pas
d’autres exemples, mais cela suffit à nous convaincre, une
fois de plus, du caractère tout humain de notre esclavage.
Que coûtaient des funérailles d’esclaves? Nous
l’ignorons tout à fait, n’ayant pas eu la chance de trouver
un seul état de compte. Les registres d’état civil ont
cependant laissé deux mentions de droits de sépulture :
pour sa petite Noire Marie-Angélique, âgée de seule¬
ment 15 jours et inhumée le 31 août 1759 à Montréal,
Nicolas Lefebvre doit payer 5 livres; la sépulture d’un
adulte coûtait plus cher : le 15 juillet 1740, le commis¬
saire-ordonnateur Michel (qui représente l’intendant à
Montréal) débourse 10 livres pour les droits de sépulture
de son Noir François, âgé de 22 ans.
Le Code noir des Antilles, comme celui de la
Louisiane, ordonnait aux propriétaires «de faire mettre
en Terre sainte dans les cimetières destinés à cet effet,
leurs esclaves baptisés». Chez nous, il n’existait pas de
contraintes pour inhumer les esclaves catholiques : les
propriétaires ont agi tout naturellement comme doivent
176 Deux siècles d'esclavage au Québec

agir les catholiques. À Montréal, les esclaves sont d’or¬


dinaire inhumés dans le cimetière des Pauvres, hors de
la ville; et à Québec, il arrive souvent que les esclaves
prennent aussi le chemin du cimetière des Pauvres. Cela
ne prouve pas nécessairement que les propriétaires n’ont
aucune considération pour les restes funèbres de leurs
esclaves : que de bourgeois riches et de hauts fonction¬
naires ont eux-mêmes demandé par humilité d’être
inhumés dans ces cimetières des Pauvres ! Au moins une
esclave a reçu un honneur vraiment hors de l’ordinaire :
lorsque l’Amérindienne Marie-Athanase, esclave du
négociant Charles Hamelin, meurt à Michillimackinac
en janvier 1748, elle est inhumée près de sa défunte
maîtresse, dans l’église même, comme si l’esclave faisait
vraiment partie de la famille.

L’attachement aux maîtres

Tous les esclaves, évidemment, ne jouissent pas des


privilèges exceptionnels que nous avons pu mentionner
et tous ne se sentent pas membres de la famille de leur
propriétaire. Il a pu arriver, dans une mesure qu’il nous
est impossible de définir, que l’esclave soit traité dure¬
ment, comme ce Panis Jacques qui, selon sa déclaration
de 1734, s’est enfui parce que son maître, l’officier Tarieu
de Lanaudière de Lapérade, avait l’habitude de le battre :
l’époux de Madeleine de Verchères était-il d’humeur à
battre ses esclaves ou le Panis Jacques méritait-il d’être
battu? Nous l’ignorons. Bien des esclaves désertent sous
le Régime anglais : nous ignorons s’ils désertent à la suite
de mauvais traitements ou parce qu’ils veulent organiser
leur vie comme ils l’entendent. Le problème est fort
complexe. Prenons, par exemple, le Noir Joe qui appar¬
tient à William Brown, éditeur de la Gazette de Québec :
plusieurs fois, Brown est obligé de faire mettre son Noir
en prison et de le faire fouetter par le bourreau, parce que
Les conditions de vie des esclaves l77

l’esclave a déserté ou parce qu’il a volé ; pourtant, si l’on


en juge par les comptes très minutieux de Brown, voici un
esclave qui n’avait pas à se plaindre : le maître le nourrit
bien, il l’habille et le rhabille avec une patience déconcer¬
tante ; à chaque jour de l’An, il lui donne des étrennes en
argent; à partir de 1788, il lui donne chaque semaine de
l’argent de poche18.
D’autres esclaves se sont tout de même attachés
sincèrement à leur maître, sans que l’on puisse par les
quelques exemples qui nous sont connus, en conclure à
une loi générale sur les relations entre propriétaires et
esclaves. Nous parlions tantôt de ce Pompée, Noir du
médecin Antony, qui meurt en 1776 d’un coup de couteau
reçu en défendant son maître contre un Sauteux : cet
esclave courageux donne là un exemple de dévouement.
Une esclave siouse sauve aussi la vie de son maître en juin
1736 : des Sioux surprennent le canot du jésuite Aulneau
et mettent au poteau, pour l’y brûler, le conducteur
Bourassa, mais son esclave siouse intervient avec succès
en faveur de Bourassa19.
Les esclaves noires qui ont à s’occuper des enfants
du maître se prennent parfois d’affection pour ces enfants
comme s’ils étaient à elles. Dans ses souvenirs de famille,
l’abbé Henri-Raymond Casgrain rappelle l’histoire de
cette mulâtresse Thérèse qui vivait chez les Duperron-
Bâby de Toronto :

Notre mère rit encore de tout cœur, en rappelant un


incident comique dont elle fut la cause à son arrivée à
Toronto. Comme elle entrait dans l’avenue qui condui¬
sait à la demeure de l’honorable Bâby, une Noire
accourut, affolée, au-devant d’elle, en gambadant et s’ex¬
clamant comme une forcenée. La peur s’empara d’abord
de notre mère qui crut quelle avait affaire à une folle;
mais M. Bâby et ses fils la rassurèrent en riant aux éclats.
C’était la vieille esclave de son père qu’il avait eue en
i78 Deux siècles d’esclavage au Québec

héritage de sa mère, qui manifestait sa joie de voir la fille


de son maître, en exécutant une danse « nègre », accom¬
pagnée d’un chant africain.

À son tour, le frère de l’abbé Casgrain évoque avec


plaisir le souvenir d’une autre esclave des Bâby, la mulâ¬
tresse Rose Lontin, dite Rosalie : « La bonne Rose m’a
bien souvent bercé dans ses bras et m’affectionnait singu¬
lièrement. Chose extraordinaire, elle ne m’avait pas revu
depuis mon enfance, quand j’allai, en 1851, devenu homme
fait, frapper à sa porte à Amherstburg. En ouvrant, elle
me reconnut et me sauta au cou en m’embrassant et
manifestant sa surprise et sa joie.» Et il termine sur un
petit tableau qui nous paraît donner d’une façon authen¬
tique l’atmosphère des relations entre maîtres et esclaves :
«Avec une naïveté d’enfant de sa race, [Rose] ne se gênait
pas de venir écouter la conversation de ses maîtres et
venait s’accroupir sur ses talons, dans la porte de la salle
à dîner, et jouissait de leur présence, et du plaisir de les
entendre causer20.»
Aubert de Gaspé a fait revivre dans Les Anciens
Canadiens une scène authentique de son histoire fami¬
liale :

[Arché, faisant le tour du manoir] voulut voir ensuite


les domestiques : il trouva la mulâtresse Lisette, occupée
dans la cuisine des apprêts du dîner : elle lui sauta au
cou comme elle faisait jadis, quand il venait au manoir
pendant les vacances de collège avec Jules qu’elle avait
élevé ; et les sanglots lui coupèrent la voix. Cette mulâ¬
tresse, que le capitaine [Ignace-Philippe Aubert de
Gaspé] avait achetée à l’âge de quatre ans, était malgré
ses défauts, très attachée à toute la famille. Elle ne crai¬
gnait un peu que le maître ; quant à la maîtresse, sur le
principe quelle était plus ancienne quelle dans la maison,
elle ne lui obéissait qu’en temps et lieux. Blanche et son
Les conditions de vie des esclaves T79

frère étaient les seuls qui, par la douceur, lui faisaient


faire ce qu’ils voulaient : et quoique Jules la fît endia-
bler très souvent, elle ne faisait que rire de ses espiègle¬
ries; toujours prête, en outre, à cacher ses fredaines et à
prendre sa défense quand ses parents le grondaient. [Et
cette Lisette pouvait, de plus, être] aussi affectée des
malheurs de ses maîtres, que si elle eût été leur propre
fille21.

Une autre esclave, la Renarde Geneviève qui appar¬


tenait au seigneur Couillart de Lespinay, illustre cette
même atmosphère familiale de l’esclavage. Entrée chez
les Couillart vers l’âge de 12 ans, raconte Aubert de Gaspé,
«elle se prit d’une affection tendre et maternelle pour
l’enfant doux et aimable qu’on lui donna à amuser [le fils
du seigneur Couillart], et qu’elle appela son fils, aussitôt
qu’elle put jaboter la langue française»; à la nage, elle
s’amusait à le promener sur son dos : « Pauvre Grosse !
Elle nous disait souvent, dans son patois, en regardant
la belle nappe d’eau qu’offre à la marée basse le bassin
de Saint-Thomas : Ben souvent passé mon fils bassin sur
mon dos, va! mais pas capable passer lui à présent; moi
trop vieille, lui trop grand ! Et elle montrait le seigneur
Couillart dont la taille était de six pieds.» Un jour que la
dame Couillart apprit que son mari était retenu à Québec
par une indisposition, la Renarde se mit à s’écrier : « Mon
fils va mourir ! mon fils va mourir ! » Et Aubert de Gaspé
ajoute : « Les pressentiments de la bonne Sauvagesse ne
l’avaient pas trompée : elle mourut de chagrin et d’in¬
quiétude à Saint-Thomas, en répétant sans cesse : Mon
fils va mourir! Environ trois jours avant que l’excellent
monsieur Couillart s’éteignit dans mes bras. Nous eûmes
soin de lui cacher la mort de l’excellente fille, à laquelle
il était très attaché. [...] Ils laissèrent la terre pour se
rencontrer au ciel22. »
i8o Deux siècles d’esclavage au Québec

Faisons la part de la littérature et de la vérité, car en


fait la Renarde est morte non pas trois jours mais deux
mois et demi avant Couillart; il reste néanmoins que
l’écrivain Aubert de Gaspé a vécu tout près de l’époque
de l’esclavage et qu’il peut témoigner sur l’affection réci¬
proque des maîtres et des esclaves.
Les conditions de vie des esclaves 181

► NOTES

1 Lettre à l’évêque Pontbriand, dans RAPQ, 1935-1936, 279.


2 Edit du Roi Touchant la Police des Is/es de l'Amérique Françoise Du mois
de Mars 1685, dans Le Code noir ou Recueil des Règlements, (éd. de 1767),
29-56.
3 Le Code noir ou Edit du Roi, 1724, dans Le Code noir ou Recueil des
Règlements, (éd. de 1767), 281-315.
4 Dans BRH, 3,1897, 6.
5 Contrat d’engagement, 13 février 1807, greffe Louis Chaboillez.
6 Gazette de Québec, 29 juillet 1779, p.3; Dollier de Casson, Histoire
du Montréal, 113s.; Mémoires de la Société généalogique canadienne-
française, III, 225.

7 APQj. Pièces judiciaires et notariales, 782.


8 Vaudreuil et Beauharnois au ministre, 19 octobre 1705, dans RAPQ,
i938-39>83-
9 Greffes des notaires Adhémar, Lepallieur, Porlier, Danré de Blanzy
et Simonet.
10 II y avait le devant de canot, le milieu de canot, le gouvernail de
canot.
11 P-B. Casgrain, Mémorial des familles Casgrain, Baby et Perrault du
Canada, 95.
12 Contrat d’engagement, dans RAPQ, 1931-1932,273.
13 APQ^ Pièces judiciaires et notariales, 782.
14 La livre anglaise (cours de Québec) est composée de 20 chelins et
4 dollars de l’époque.
15 Le roi à Denonville et à Champigny, Ier mai 1689, dans APQ, Ordres
du Roi, série B, vol. 15,1688-1690,108s.
16 Henripin, La Population canadienne au début du dix-huitième siècle,
106.
17 Registre de Notre-Dame-de-Montréal, 14 décembre 1791; Gazette de
Montréal (éditée par Mesplet), supplément du 15 décembre 1791, p.i.
18 De 40 à 49 ans: 46 Amérindiens (8 hommes et 38 femmes);
25 Noirs (13 hommes et 12 femmes). De 50 à 59 ans : 22 Amérindiens
(6 hommes et 16 femmes) ; 17 Noirs (13 hommes et 4 femmes).
19 Voir l’article, «Joe, nègre de Brown», dans notre Dictionnaire des
esclaves.
20 Lettre du gouverneur Beauharnois, 14 octobre 1736, dans Journals and
Letters of Pierre Gaultier de La Vérendrye and His Sons (éd. Burpee),
211s.
21 P.-B. Casgrain, « Madame C.-E. Casgrain », dans Mémoires de famille,
196s.; P.-B. Casgrain, Mémorial des familles Casgrain, Bâby et Perrault
du Canada, 95.
22 Aubert de Gaspé, Les Anciens Canadiens, 292s.; 407, note e.
t
CHAPITRE VII

Les esclaves et les sacrements

A ucune loi explicite de l’État ni aucun règlement


ecclésiastique n’obligeait les propriétaires cana¬
diens à élever leurs esclaves dans la religion catholique1.
Certes, dans cette colonie où le catholicisme était, sous
le Régime français, la religion d’État et qui, en prin¬
cipe, ne pouvait être habitée que par des catholiques, il
est certain que les propriétaires eurent comme premier
souci de faire baptiser leurs esclaves et de leur assurer
l’éducation chrétienne. Nous avons voulu savoir si les
faits correspondent à cette théorie.

Le baptême tardif de certains esclaves

En réalité, l’habitude de faire baptiser son esclave


dès qu’on l’acquiert, n’est pas aussi générale que nous
pourrions d’abord le croire. Ainsi, trois esclaves sont
mis en vente par des propriétaires catholiques sans avoir
encore reçu le baptême. Le 14 septembre 1737, Jacques-
Hugues Péan de Livaudière vend à Joseph Chavigny de
Lachevrotière de Latesserie la Renarde Thérèse qui a 13
ou 14 ans : l’acte de vente précise que cette Renarde n’est
pas baptisée ; et nous ignorons si l’acheteur s’est ensuite
empressé de lui faire donner le baptême. Le ier octobre
184 Deux siècles d’esclavage au Québec

de la même année, Augustin Bailly de Messein vend


son Patoca de 10 ans à ce même Latesserie : c’est encore
un esclave païen et nous ignorons depuis combien de
temps Bailly de Messein l’avait en sa possession; dès le
20 octobre suivant, Latesserie le fait baptiser. La Panise
Fanchon, âgée de 10 à n ans, appartenait depuis on ne
sait quand à Jacques-François Daguille, marchand
de Montréal : elle n’est pas encore baptisée lorsque, le
4 novembre 1751, Daguille la vend à Mathieu-Théodore
de Vitré.
Il arrivait donc à certains propriétaires de différer
le baptême de leurs esclaves ou peut-être de ne pas
s’en préoccuper du tout. Ce semble être une pratique
assez courante que d’attendre un, deux ou trois ans. Au
cours de l’été 1749, le chevalier de Lavérendrye donne
un esclave amérindien d’environ six ans à la mission de
Michillimackinac : le jésuite ne baptise cet esclave que
le 6 avril 1750. La Panise Barbe-Charlotte appartient au
gouverneur Beauharnois depuis au moins l’automne de
1727 : on ne la baptise à l’Hôtel-Dieu de Québec que le
17 janvier 1729; ce même gouverneur est propriétaire du
Pacota Charles-Louis depuis au moins janvier 1730 : il
ne le fait baptiser que le 17 avril 1732. Quand Gabriel-
Nicolas Lefebvre, de Sainte-Geneviève-de-Batiscan, fait
baptiser sa Patocase, âgée de sept à huit ans, le prêtre
note qu’elle demeure chez ce Lefebvre depuis deux ans.
L’Amérindienne Thérèse, esclave de René Boucher de
Labruère, met au monde en mars 1763 un enfant qu’elle a
eu d’un officier anglais : or elle n’est baptisée qu’en avril
1765, et encore est-elle mourante. Le curé Payet, de Saint-
Antoine-sur-Richelieu, achète le n avril 1787 un Noir
d’une dizaine d’années, Jean-Baptiste-Pompée : il attend
au 13 septembre 1789 pour le baptiser sous condition.
Parfois on diffère davantage le baptême. Depuis au moins
avril 1745, Jacques Lafontaine de Belcour est proprié¬
taire de l’Amérindienne Catherine, âgée de 10 ans : elle
Les esclaves et les sacrements 185

n’est baptisée que le 21 juillet 1748 ; l’Esquimau Charles-


Hilarion, âgé d’environ 13 ans, vivait depuis 3 ans chez
le gouverneur Beauharnois, lorsqu’il fut enfin baptisé
le 17 avril 1732 ; la Panise Suzanne-Madeleine entre au
pays en 1701 : son maître, un Blondeau, la fait baptiser
seulement le 22 mars 1704, à l’âge de 17 ou 18 ans. La
Noire Marie-Louise, amenée de Saint-Domingue en
juillet 1728 par François Aubert de Lachesnaie, ne sera
baptisée que quatre ans plus tard, et c’est la veuve de ce
Lachesnaie qui s’occupe de lui faire administrer le sacre¬
ment le 13 août 1732. Certains textes, sans donner plus de
précisions, font mention d’un retard de plusieurs années;
c’est le cas de la Patocase Thérèse qui appartient à l’offi¬
cier Paul Marin de Lamalgue ; elle est enfin baptisée le
4 mai 1735, à l’âge d’environ 20 ans ; lorsque, le 17 juillet
1749, à Michillimackinac, on baptise le Panis Antoine,
15 ans et esclave d’Urbain Tessier dit Lavigne, on note
que cet esclave malade désirait le baptême depuis long¬
temps.
L’âge de l’esclave à son baptême nous amène à cons¬
tater des retards bien plus étonnants encore. En effet,
comme on acquiert le Noir avant la trentaine et l’Amé-
rindien beaucoup plus tôt (dans la vingtaine ou, très
souvent, quand il est tout jeune enfant), on peut tout de
suite conclure qu’un esclave baptisé à 40, 50 ou 60 ans a
subi un très long retard dans son éducation chrétienne.
L’Amérindienne Jeanne-Lrançoise Cordulle, esclave de
Louis Gastineau-Duplessis, a 40 ans lorsqu’on la baptise
à Sainte-Anne-de-la-Pérade, le 9 janvier 1741. James
McGill, dont la femme est catholique, fait baptiser le
27 janvier 1806 à l’église catholique de Montréal son Noir
Jacques qui est âgé de 40 ans. Charles Chaboillez ne fait
baptiser qu’à 45 ans sa Panise Madeleine, le 7 juin 1756 à
Michillimackinac : il l’avait en sa possession depuis au
moins 10 ans. Le juge Jean-Baptiste Angers fait baptiser
à 45 ans sa Patocase Catherine, le 2 juillet 1742 par le
i86 Deux siècles d'esclavage au Québec

curé de Saint-François-de-Sales. La Panise Françoise,


esclave de Jacques Pelletier, a 50 ans quand on la baptise à
Détroit le 9 décembre 1785. Le chevalier Louis-François
Lacorne ne s’est pas soucié de faire baptiser sa Panise
Marie-Louise; après la mort du chevalier, elle se retire
chez Jacques Varin dit Lapistole, et c’est alors seulement,
à l’âge de 50 ans, qu’on la baptise à Montréal le 12 juin
1772. La Panise Marie demeurait depuis sa jeunesse
chez Philippe Vinet-Préville : ce n’est que le jour de sa
mort, à l’âge de 55 ans, le 29 avril 1775, qu’on la baptise à
la Longue-Pointe et qu’on la fait communier. Clément
Laplante-Lérigé baptise à Laprairie le 15 janvier 1739
son Amérindienne qui est à l’article de la mort : elle a
60 ans !
Le Noir Thomas, esclave de Desmoulins, a 60 ans
quand on l’ondoie sur son lit de mort à l’Hôpital-Général
de Montréal en mars 1776. À l’église presbytérienne de
Montréal, le 7 octobre 1815, on baptise une Noire de 70 ans,
Margaret Cuff Morocco. Nous trouvons chez les catho¬
liques un retard aussi surprenant : le Noir Etienne-Paul,
présenté comme Noir des sœurs de la Congrégation, a
70 ans lorsqu’on le baptise à Montréal, le 2 septembre 1771.
Le record est détenu par le Noir Jean-Baptiste, esclave de
William Park et de sa femme catholique Thérèse Gouin :
ce Noir a 80 ans lorsqu’il est baptisé sur son lit de mort
le 20 mars 1808.
Pour mesurer la fréquence de ces retards, on pour¬
rait recourir au nombre des esclaves que l’on baptise
à l’article de la mort : nous en avons compté 198 dans
les registres catholiques, ce qui représente, sur les 1636
esclaves dont l’année du baptême nous est connu, une
proportion de 12,1 %. Cet indice à lui seul ne suffit pas,
mais il nous permet de constater que bien des proprié¬
taires catholiques ne font pas baptiser leurs esclaves dès
qu’ils en prennent possession.
Les esclaves et les sacrements 187

Et pourquoi? Pourquoi, par exemple, la Panise


Marianne qui appartenait certainement depuis plusieurs
années au curé Pierre Fréchette, de Détroit, n’est-elle
baptisée qu’à l’âge de 40 ans, le 13 juin 1794? Pourquoi
le Noir des sœurs de la Congrégation n’est-il baptisé
qu’à 70 ans ? Pourquoi une Panise de Mère d’Youville,
supérieure de l’Hôpital-Général de Montréal, n’est-elle
baptisée que pendant une maladie dangereuse, à l’âge de
24 ans, le 23 octobre 1766 ? On ne peut tout de même pas
parler de l'indifférence de ces maîtres à l’égard de l’édu¬
cation chrétienne de leurs Amérindiennes et Noirs !
C’est que, sans doute, pour les maîtres en général
(prêtres, religieux ou laïques), il pouvait se présenter
divers obstacles dans leurs efforts de christianisation. Il y
avait d’abord l’obstacle de la langue : si un esclave vient
des lointaines régions du Missouri (c’est de là surtout
que viennent les Amérindiens), il faut qu’il apprenne le
français avant d’étudier les rudiments du catéchisme;
il peut y avoir aussi l’opposition entêtée de l’esclave ou
tout simplement son inaptitude à comprendre et retenir
quoi que ce soit. La Renarde Marie-Geneviève qu’un
Abénaquis a vendue vers 1746 à Jean-Baptiste Couillart
de Lespinay, n’est baptisée qu’en 1761 ; Philippe Aubert
de Gaspé, qui en raconte l’histoire, attribue ce retard à un
manque d’intelligence : «La Grosse (je ne lui ai jamais
connu d’autre nom) avait en effet l’esprit très borné, sans
être pourtant idiote. Elle ne s’exprimait qu’avec difficulté,
et à l’aide d’un patois de son invention2.»

80% des esclaves sont baptisés

Peu importe, en définitive, les mois ou les années


écoulés entre l’acquisition de l’esclave et son baptême, ce
qui compte c’est qu’il soit baptisé. Or l’usage général est
de le faire baptiser : nous sommes en mesure d’affirmer
que c’est le cas de plus de 80 % des esclaves. L’année
i88 Deux siècles d’esclavage au Québec

du baptême n’est pas toujours connue : nous ne l’avons


retrouvée que pour 1620 esclaves (dont 71 protestants);
pour les autres, nous avons recouru à des preuves indi¬
rectes mais certaines : la confirmation ou la communion
qu’ils reçoivent, le mariage à l’église et l’inhumation en
terre sainte présupposent nécessairement un baptême
solennel ou privé.
Que les catholiques fassent baptiser leurs esclaves,
cela va de soi, mais nous trouvons même des huguenots
qui font administrer à leurs esclaves le baptême catho¬
lique : le négociant huguenot François Havy fait baptiser
à l’église catholique de Québec le 20 mai 1741 son esclave
noir, Joseph-François, âgé d’environ 12 ans ; ce même
huguenot et son associé de même religion, Jean Lefebvre,
font baptiser aussi à Québec le 8 mars 1744 leur Noir
François-Joseph, âgé d’environ 27 ans. Est-ce faute de
ministre huguenot? Ou bien veut-on faciliter le trans¬
port de ces Noirs aux Antilles où, en vertu du Code noir
tout « nègre » esclave devait être catholique ?
Nous retrouvons à peu près cette situation sous
le Régime anglais : des propriétaires protestants font
donner le baptême catholique à leurs esclaves. Il s’agit de
propriétaires protestants qui ont épousé une Canadienne
catholique. On sait que, dans le cas de mariages mixtes,
les garçons sont élevés dans la foi protestante, en raison
des lois anglaises sur l’héritage, et les filles reçoivent une
éducation catholique. Pour les esclaves, le problème d’hé¬
ritage ne se posant pas, les propriétaires protestants leur
ont généralement laissé pratiquer la religion de l’épouse.
Nous disons généralement parce que sur 34 propriétaires
protestants, époux d’une Canadienne catholique, un seul
fait exception : le marchand Acklom Rickaby Bondfield,
qui a épousé en 1762 Marie-Madeleine-Françoise Martel
de Brouague, fait baptiser ses esclaves à l’église angli¬
cane.
Les esclaves et les sacrements 189

Sous le Régime français, il n’y a pas d’esclaves pro¬


testants; sous le Régime anglais, l’esclave suit la religion
du maître, sauf si ce maître a épousé une Canadienne
catholique. Dans l’ensemble, parce que ce sont surtout
les Canadiens français qui possèdent des esclaves, au
moins les deux tiers de la population esclave sont catho¬
liques (2748 sur 4185).
Les baptêmes d’Amérindiens commencent dès 1681
et cessent en 1799 (sauf pour un cas en 1802 et un autre
en 1809) ; nous ne connaissons que quatre Amérindiens
esclaves qui aient été baptisés à l’église protestante : le
premier en 1770, le second en 1774 et les deux autres en
1779. Tous les autres sont catholiques. Quant aux Noirs,
ils n’apparaissent d’une façon continue qu’à partir de 1713,
mais leur présence se manifeste jusqu’en 1826.

Le baptême : un événement social

Si pour un très grand nombre d’esclaves la céré¬


monie du baptême a été sommaire au point qu’on ne
s’est pas toujours occupé de trouver un prénom, pour
d’autres elle a représenté un événement d’importance
réunissant autour du baptisé ce que la société comptait
de plus influent. En 1727, le 15 août, c’est M&r de Saint-
Vallier lui-même qui baptise le Noir Thomas-Louis, âgé
de 23 ans, propriété de François-Etienne Cugnet, agent
général de la Compagnie d’Occident : à ce baptême
solennel, l’intendant Dupuy agit comme parrain. En
1745, autre baptême d’esclave par l’évêque : le 27 août à
Québec, MSr de Pontbriand baptise le Natchez Victor,
âgé de 33 ans ; Jean-Victor Varin de Lamarre, membre du
Conseil supérieur, est parrain en compagnie de l’épouse
de Charles Tarieu de Lanaudière. Autre réunion sociale
d’importance : à Québec, le 24 mai 1738, on baptise le
Renard Gilles-Hyacinthe, âgé de 22 ans, propriété de
l’intendant Gilles Hocquart. C’est l’intendant lui-même
190 Deux siècles d’esclavage au Québec

qui sert de parrain ; la marraine est la femme du lieute¬


nant de roi Saint-Ours Deschaillons, et le prêtre écrit en
marge du registre : « Grosse cloche » ! Le parrain faisait
grandement les choses.
L’importance de la cérémonie (et il en est de même
pour la signature d’un contrat de mariage) peut se juger
par le nombre des signatures qu’on réunit au pied de l’acte.
Il y a de ces concours de signatures même au baptême des
esclaves. Louise-Claire, Amérindienne d’Anticosti âgée
de trois ans et demi, et propriété du négociant Joseph
Fleury Deschambault de Lagorgendière, est baptisée à
Québec le 9 août 1735; son parrain est Pierre-François
Rigaud de Vaudreuil, gendre du maître : sept personnes
signent l’acte de baptême. Le Noir François-Denis, dont
le propriétaire n’est pas indiqué, recueille, lui aussi, sept
signatures lorsqu’on le baptise à Québec le 31 mars 1739.
Il y a mieux. La Renarde Madeleine-Gilles, qui
appartient à l’intendant Gilles Hocquart, recueille 10 si¬
gnatures à son baptême, le 2 juin 1732, alors que l’inten¬
dant sert de parrain. À une autre époque, en 1806, le Noir
Henry-Victor, qui est au service de Charles de Salaberry,
voit 10 personnes signer l’acte de baptême, cérémo¬
nie encore rehaussée par le choix du parrain : Louis de
Salaberry, surintendant des «Sauvages» et membre du
parlement. Mais le Noir Pierre, qui appartient au bour¬
geois Jean Liquart, recueille n signatures.
C’est le Noir Pierre-Louis-Scipion qui détient le
record : baptisé à l’âge de 10 ans, à Québec, le 11 août
1717, cet esclave réunit 13 personnes qui signent l’acte de
baptême ; il a pour parrain Louis Lesselin, officier de la
marine ; la marraine est Geneviève Martin de Lino, fille
d’un membre du Conseil supérieur; nous reconnais¬
sons Louis de Laporte de Louvigny, lieutenant de roi
à Québec, accompagné de sa femme Marie ; Catherine
Nolan, épouse du conseiller Martin de Lino, est là avec sa
fille Marie-Anne. Nous ignorons malheureusement à qui
appartient ce très important Pierre-Louis-Scipion.
Les esclaves et les sacrements 191

Le baptême de l’esclave (cet article de luxe) devient


donc en certains cas l’occasion d’une brillante réunion
sociale. On comprend qu’alors le choix du parrain soit
une affaire d’importance. On trouve parfois des gouver¬
neurs. Gouverneur de la Nouvelle-France, Beauharnois
sert de parrain à son Esquimau Charles-Hilarion, le
17 avril T732, à Québec; gouverneur des Trois-Rivières,
Pierre-François Rigaud de Vaudreuil est parrain de
l’Amérindienne Marie-Claire, âgée de 14 à 15 ans, qui
appartient à l’officier Hubert Coutrot. Deux intendants
agissent comme parrains : Claude-Thomas Dupuy, au
baptême du Noir Thomas-Louis qui appartient à l’agent
général de la Compagnie d’Occident; Gilles Hocquart,
au baptême de sa Renarde Madeleine-Gilles en 1732 et à
celui de son Renard Gilles-Hyacinthe en 1738.
Faute de gouverneur ou d’intendant, on invite
ce qu’il y a de plus élevé dans le milieu. Au fort Saint-
Frédéric, le commandant Lemoyne de Longueuil est
parrain du Panis Joseph-Gaspard, le 9 août 1739, esclave
du négociant Charles Nolan de Lamarque. Le comman¬
dant de Michillimackinac, Charles-Joseph Fleurimont
de Noyelle, remplit le même rôle, le ier septembre 1747,
auprès d’une Amérindienne esclave. Antoine Lamothe-
Cadillac, commandant de Détroit, est parrain d’un esclave
cahokia, Antoine-Augustin, le 25 août 1711. Le comman¬
dant du poste de Sonioto, Pierre-Antoine Hertel de
Rouville, était de passage à Détroit, le 21 septembre 1760
lorsqu’on baptise la Chicachase Marie-Louise, esclave
d’Antoine Cuillerier : on l’invite à servir de parrain.
D’autres hauts fonctionnaires sont appelés au
parrainage : au baptême de la Panise Marie-Victoire,
âgée de 14 ans et propriété du lieutenant général civil et
criminel François Daine, en 1743, c’est Jean-Victor Varin
de Lamarre, membre du Conseil supérieur et il reparaît
au baptême du Natchez Victor en 1745. Il n’est pas le
seul membre du Conseil supérieur à recevoir le même
IÇ2 Deux siècles d’esclavage au Québec

honneur : François Cugnet, au baptême du Patoca Jean-


Baptiste Barbaron en 1730; Guillaume Estèbe, parrain
de la Naskapise Françoise-Marie-Jeanne qui appartient
à Jacques-Michel Legardeur de Montesson; François
Foucault, parrain du Noir Daniel-Théophile, fils d’une
Noire de Daniel de Beaujeu.
Signalons encore quelques noms importants.
L’ingénieur Gaspard Chaussegros de Léry tient lieu de
parrain auprès de l’Amérindienne Marguerite-Charlotte,
esclave du sergent Sansquartier. L’Amérindienne Louise-
Marguerite, qui appartient au gouverneur Claude de
Ramezay, trouve un parrain le 20 avril 1715 en la personne
de Louis-Philippe de Rigaud de Vaudreuil. Le gouver¬
neur général Beauharnois fait baptiser son Brochet
Charles le 28 janvier 1747 : il invite l’explorateur Pierre
Gaultier de Lavérendrye à servir de parrain. Madeleine de
Verchères est marraine, le 2 juin 1743, de l’Amérindienne
Madeleine-Marie-Anne qui est son esclave. Saluons
encore notre célèbre épistolière, Marie-Elisabeth Bégon
qui agit comme marraine le 8 octobre 1719 lorsque son
père, le garde-magasin Etienne Robert de Lamorandière,
fait baptiser son Amérindienne Marie-Elisabeth. Il
faudrait encore mentionner les Lemoyne de Longueuil,
les Ramezay et tant d’autres de la haute société qui pren¬
nent le titre de parrain auprès des esclaves.
Des membres du clergé prennent aussi ce titre. A
Sainte-Anne-de-la-Pérade, le curé Gervais Lefebvre est
parrain en 1728 de l’Amérindienne Marie-Joseph
Cordulle, âgée de six à sept ans, qui appartient à Louis
Gastineau-Duplessis. Le jésuite Jean-Baptiste de
Lamorinie est parrain, à Michillimackinac en 1742, du
Panis Jean-Baptiste-François, esclave de Louis-Jean-
Baptiste Céloron de Blainville. Le curé de Beauport,
Louis Chardon, agit comme parrain en 1747 auprès de
l’Assiniboine Louis-Antoine qui appartient à Antoine
Juchereau-Duchesnay. A Varennes, le curé Maisonbasse
Les esclaves et les sacrements 193

est parrain en 1750 du Noir Joseph-Grégoire, âgé d’envi¬


ron 20 ans, qui appartient à Jacques Gadois-Mogé. À
Neuville en 1755, le curé Louis-Eustache Chartier de
Lotbinière tient lieu de parrain à la Siouse Marie-Josette,
propriété de la veuve François Angers. Le 7 juin 1783,
Augustin-David Hubert, curé de Québec, est parrain du
Noir Jean-Baptiste, âgé d’environ 21 ans, esclave du négo¬
ciant catholique Robert Lester et, une seconde fois, le
4 septembre 1786, d’un Noir Henry Hubert, âgé de 28 ans
environ, qui appartient au navigateur François Meurs;
Charles Faucher, curé de Saint-Jean-Port-Joly, l’est de
l’Amérindien Joseph en août 1787; Joseph Gagnon, curé
de la Pointe-du-Lac, se rend à Berthier-en-Haut pour
servir de parrain à la Noire Marie-Joseph-Elisabeth en
1793 ; à Soulanges, le curé Laurent Archambault est par¬
rain lors du baptême de la Noire Catherine en 1802, et un
autre curé Archambault à Vaudreuil, en 1820, lorsqu’une
Noire de 53 ans reçoit le baptême.
A Châteauguay en 1774, un Sioux de 21 ans qui
appartient à l’Hôpital-Général de Montréal a comme
parrain Henri-François Gravé, prêtre du Séminaire de
Québec, et comme marraine sœur Thérèse Pépin, supé¬
rieure des sœurs Grises; et c’est pourquoi, le Sioux va
désormais s’appeler Henri-Thérèse.
Si le propriétaire de l’esclave ne confie pas à quelque
personnage important ou à quelque ami l’honneur du
parrainage, c’est lui-même ou quelqu’un de sa famille
qui s’en charge. Que de fois, dans les actes de baptême
où le nom du propriétaire est indiqué, nous rencontrons
comme parrain ou marraine soit le propriétaire, soit
sa femme, soit quelque autre membre de sa famille. Si
le rédacteur de l’acte de baptême avait eu soin chaque
fois de faire mention du propriétaire de l’esclave et si
par ailleurs l’identification du parrain avait été plus
facile, nous aurions pu établir avec plus de précision la
fréquence de l’apparition des propriétaires au baptême
194 Deux siècles d'esclavage au Québec

de leurs esclaves. Voici, en tout cas, les chiffres que nous


avons réunis :
le maître ou la maîtresse sert de parrain ou
164 baptêmes
marraine
le maître et la maîtresse servent de parrain et de
27 baptêmes
marraine
un membre de la famille du propriétaire sert de
67 baptêmes
parrain ou de marraine
Total 258 baptêmes

Pour un propriétaire, servir de parrain à son esclave,


c’est là un usage catholique et français ; alors qu’à l’occa¬
sion des 258 baptêmes catholiques, c’est le propriétaire ou
un membre de sa famille qui joue le rôle de parrain, nous
ne trouvons qu’un seul protestant, le marchand Acklom
Rickby Bondfield, de Sillery : en 1770, c’est son fils qui
est parrain de la Panise que l’on baptise à une cérémonie
anglicane ; en 1774, lui-même sert de parrain à un enfant
de cette Panise, en compagnie de son épouse. Dans la
société anglaise, les Bondfield ont été les seuls à accorder
cet honneur à leurs esclaves : nous croyons que c’est sous
l’influence de l’épouse, une Canadienne française.

Des esclaves parmi les parrains et marraines

Une autre pratique contribue à donner à notre escla¬


vage un air d’humanité qu’il n’a pas dans d’autres colonies :
des Panis et des Noirs sont parrains et marraines dans une
église catholique comme dans une église protestante.
Le cas est cependant très rare sous le Régime
français, sans doute parce que le propriétaire ou un ami se
réserve alors cet honneur : il ne se produit que deux fois.
Le 30 août 1748 à Montréal, on baptise la Noire Marie-
Charlotte, fille de Noirs qui appartiennent au marchand
Pierre-Jean-Baptiste Hervieux : le parrain est le Noir
Joseph et la marraine, la Noire Charlotte. Le 17 octobre
Les esclaves et les sacrements 195

ï749, à Sainte-Anne-du-Bout-de-l’île,voici un Panis Jean-


Baptiste, qui sert de parrain à Jean-Baptiste Lalonde, fils
légitime de Louis Lalonde et de Marie-Louise Picard;
ce Panis est en compagnie de Marie-Élisabeth Duclos, et
il donne son prénom à son filleul. Cas extraordinaire que
ce Panis qui sert de parrain à un Blanc libre : nous avons
lieu de croire que ce Panis jouissait alors de sa pleine
liberté.
C’est sous le régime anglais surtout que les esclaves
servent de parrains et marraines auprès de leurs congé¬
nères. La présence des Amérindiens est cependant
encore très rare. Nous venons de mentionner pour 1749
ce Panis Jean-Baptiste : or il faut, pour rencontrer un
autre Amérindien, attendre 1788, lorsque le 29 mai, à
Détroit, le Panis Charles qui appartient à Girardin et la
Panise Geneviève, esclave de Duperron-Bâby, tiennent
sur les fonts baptismaux la fille d’une Panise de Caldwell ;
le troisième et dernier cas se produit en 1794 encore à
Détroit : le 9 mars, le Panis Charles sert de parrain au
Noir Pierre, fils de l’esclave de «Malome».
Par contre, chez les Noirs du Régime anglais, le
parrainage est tout simplement une habitude. Nous avons
compté 46 cérémonies de baptême au cours desquelles
des Noirs ou des Amérindiens agissent comme parrains.
Nous ignorons cependant s’ils sont tous esclaves au
moment de leur parrainage. Ces 46 baptêmes se répar¬
tissent comme suit :
baptêmes avec parrains noirs 43
baptêmes avec parrains amérindiens 3

Ou, selon le tableau suivant :


parrainage noir 1
Régime français
parrainage amérindien X

parrainage noir 42
Régime anglais
parrainage amérindien 2
ig6 Deux siècles d’esclavage au Québec

Sur ces 46 cérémonies de baptême, 6 seulement ont


lieu à l’église catholique. On voit donc que si le parrai¬
nage noir ou amérindien est une rare exception sous le
Régime français, il est toujours aussi une rare exception
chez les catholiques : sans doute, parce que chez ceux-ci,
ce sont les maîtres ou les amis du maître qui se réservent
cette fonction. En tout cas, le parrainage noir se présente
comme une habitude propre au Régime anglais.

Les prénoms les plus communs

Les 4185 esclaves de notre catalogue ne portent


pas tous un prénom : 930 (dont 680 Amérindiens),
une proportion de 22,2 %, sont demeurés parfaitement
anonymes; ils ont été baptisés sans recevoir de prénom,
peut-être parce qu’ils étaient à l’article de la mort ou peut-
être parce que le prêtre ne s’est pas préoccupé d’inscrire
un nom dans le registre. On se contente alors d’écrire :
nous, prêtre soussigné, avons baptisé le Panis d’un tel. Et
cela se produit plus souvent encore à la cérémonie d’in¬
humation. L’esclavage a ses habitudes.
Nous trouvons chez les esclaves les prénoms les plus
divers, simples ou composés; ce sont généralement les
prénoms que l’on porte chez les personnes libres. Très
souvent, le parrain ou la marraine imposent leurs prénoms ;
ou (ce qui se produit chez 239 esclaves) le prénom est
celui du maître ; et si, par surcroît, l’esclave prend le nom
de famille de son propriétaire, on est en présence de
deux homonymes qu’il faut éviter de confondre : Jacques
Cardinal père fait baptiser en 1712 un Outagami esclave
qui s’appellera par la suite Jacques Cardinal.
Le prénom le plus en vogue est Marie, puis viennent
Joseph, Jean-Baptiste et Pierre. Parmi les prénoms fort
en usage, mentionnons encore Marie-Anne, Marguerite,
Charles, Jacques, Louis, Catherine. Il en est de même
tout simplement dans les registres d’état civil.
Les esclaves et les sacrements i9y

Il y a cependant des exceptions. Un peu partout


dans le monde de l’esclavage, il s’était établi une tradition
de prénoms tirés de l’Antiquité : elle se perpétue, mais
seulement dans un tout petit nombre de cas, chez nos
esclaves. Nous rencontrons 13 César, 8 Pompée, 3 Néron,
2 Scipion et 1 seul Caton ; les divinités païennes sont plus
rares encore : 5 Phœbé, 1 Neptune et 1 Jupiter.
Parfois l’esclave ne porte qu’un surnom, dont l’ori¬
gine n’est pas toujours claire : il y a ce Noir Canon qui
appartient au gouverneur Vaudreuil-Cavagnial ; ce Noir
Damoiseau, esclave de Charles Héry ; le Panis de Ramezay,
surnommé La Diligence (parce qu’il est rapide ou parce
qu’il est paresseux?); le Panis de Lusignan, surnommé
Religionnaire ; le Noir de Boutin, qui a pour tout nom
Boncœur. Le mulâtre de Dumoulin en 1795 s’appelle
Prince ; l’Amérindien de Lacorne porte un surnom
enchanteur Rossignol. Chez Jean-Baptiste Gourdon
dit Lâchasse, nous rencontrons un « Dontguichaut »
dans lequel nous sommes bien tenté de voir un Don
Quichotte: pourquoi pas? Le Panis de Sanschagrin
répond au nom de Sarasto, peut-être parce qu’il aurait
été capturé à cet endroit. Un Noir de 1807 a décidé tout
simplement de prendre le nom de Montréal. Le Noir de
Vergor, en 1749, nous éblouit de son surnom, Versailles.
Il ne manquait plus, ma foi, que Louis XIV et nous
l’avons trouvé : le ier janvier 1773, à Saint-Vallier, le curé
accorde les honneurs de l’inhumation à un Noir nommé
Louis Quatorze ; âgé de 72 ans, cet esclave était donc né
au temps du Roi-Soleil, et il a voulu (ou bien on lui a
imposé cette corvée) en prolonger les rayons.

Le sacrement de confirmation

On impose la foi à l’esclave par le baptême, mais


a-t-on soin de la fortifier par le sacrement de confir¬
mation qui marque la seconde étape de l’éducation
198 Deux siècles d’esclavage au Québec

religieuse? Pour répondre de façon satisfaisante à cette


question, il faudrait avoir retrouvé un grand nombre de
listes de confirmés ; or ces listes n’ont été conservées qu’en
de rares endroits : Québec, Montréal, Laprairie, Lachine,
pour ne mentionner que les listes les plus intéressantes.
À cause de cette documentation fragmentaire, nous
n’avons trouvé que 48 esclaves, dont 16 Noirs, qui aient
reçu le sacrement de confirmation. Lestage fait confirmer
deux Panises le même jour; Joseph Cureux dit Saint-
Germain y va de trois Noirs dans la même cérémonie.
Le 28 février 1767 marque à Montréal un défilé impo¬
sant de confirmands (il n’y avait pas eu d’évêque de 1760
à 1766) et, dans ce défilé nous comptons neuf Panises et
un Panis.
Nous remarquons que les trois Noirs de Cureux dit
Saint-Germain sont confirmés immédiatement après leur
baptême, mais la plupart du temps il y a un écart plus ou
moins considérable entre les deux sacrements. La Panise
Marie, qui appartient à Pierre Dumay de Laprairie, avait
été baptisée en 1723 à l’âge de 14 ans : elle n’est confirmée
que 8 ans plus tard; le Noir Joseph-François, esclave de
l’huguenot François Havy, n’est confirmé lui aussi que
8 ans après son baptême, qu’il avait reçu à l’âge de 12 ans.
Le notaire Cherrier fait baptiser en 1755 sa Panise de 15 ans ;
il ne la fait pas confirmer tout de suite et l’évêque meurt
en 1760, de sorte que la Panise doit attendre jusqu’en 1767,
lorsque le nouvel évêque Briand fait sa première visite
épiscopale à Montréal ; la Panise de Péladeau, Marguerite
Lafleur, qui fait sa première communion en 1760, doit
attendre 1767 pour la même raison.
Les renseignements que nous fournissent les listes
de confirmation sont maigres, mais ils suffisent tout de
même à établir que les esclaves ont accès au sacrement de
confirmation; et si quelques listes rejettent les esclaves
à la fin de l’énumération, les autres les intercalent sans
Les esclaves et les sacrements 199

distinction parmi les noms des personnes libres : on pra¬


tique l’intégration.

La communion

Les listes de première communion ne nous rensei¬


gnent pas d’une façon tellement plus abondante, mais en
réunissant ces listes à divers autres indices, nous sommes
en mesure d’affirmer que, dans le domaine de la commu¬
nion, l’esclave est sur le même pied que la personne libre. Si
l’esclave ne communie pas, on s’inquiète. Lorsque le curé
de Québec fait sa visite paroissiale en 1792, il signale au
24 de la rue du Sault-au-Matelot une Noire qui demeure
chez le charpentier Charles Payan, mariée à un protes¬
tant, et le curé écrit en marge : « Elle se dit catholique
et n’a pourtant jamais communié, ni probablement été
à confesse». En mai 1730, à l’inhumation du Noir Pierre,
âgé de 17 ans, domestique d’un Gervais, le missionnaire
de la Pointe-aux Trembles (près de Montréal) se soucie
de noter que ce Noir n’avait pas encore fait sa première
communion.
Nous avons repéré 20 individus, esclaves ou anciens
esclaves, qui ont fait leur première communion : 16 Amé¬
rindiens et 4 Noirs. Si l’on se rappelle qu’un baptisé doit
accomplir son devoir pascal dès qu’il a l’âge de raison,
on peut supposer que sur 2971 esclaves baptisés il doit
y avoir beaucoup plus que ces 20 individus à faire leur
première communion. Notre information est tout à fait
fragmentaire : très peu de listes de première communion
ont été conservées, et nous n’avons pas retrouvé les pré¬
cieux registres où certains curés inscrivaient les noms de
ceux qui remplirent leur devoir pascal.
Dans cette énumération des 20 esclaves qui font leur
première communion, l’âge avancé de certains surprend :
31 ans, 42 ans, 50 ans et même 55 ans.
200 Deux siècles d’esclavage au Québec

Il est vrai que sous le Régime français et encore


longtemps après, la première communion se fait tard;
selon le Grand Catéchisme de M&r de Saint-Vallier, on
doit communier «à l’âge dans lequel on peut faire un
juste discernement du Corps du Seigneur qui est environ
l’âge de douze ans ». On ne peut donc s’attendre de voir
des esclaves, pas plus que des personnes libres, commu¬
nier avant l’âge de 12 ans. Il faut, de plus, tenir compte
de l’âge qu’a l’esclave quand il arrive au pays, mais nous
savons que l’esclave arrive en général très jeune et que,
de toute façon, on n’achète pas un esclave qui dépasse
30 ans. Ainsi donc, lorsqu’un esclave fait sa première
communion passé l’âge de 30 ans, c’est un esclave dont
on a négligé l’éducation religieuse, à moins tout simple¬
ment qu’on ne soit pas parvenu à l’éduquer. Ce serait
peut-être le cas de cette Panise Marie qui demeure
depuis sa jeunesse chez les Vinet-Préville de la Longue-
Pointe et qui ne communie qu’à l’âge de 55 ans ; et aussi
le cas du Noir Jacques-César, esclave d’Ignace Gamelin :
on le baptise en 1730 à l’âge de 19 ans, mais il ne fait sa
première communion que 26 ans plus tard.

Les autres sacrements

Nous tenons fort peu de renseignements sur la


pénitence ou sur l’extrême-onction : ils nous viennent
seulement des actes d’inhumation, lorsque le prêtre
s’est donné la peine d’écrire autre chose qu’une simple
mention de sépulture. Le Panis Daniel-Clément, au
service du marchand Antoine Pascaud, tombe gravement
malade à l’âge d’environ 12 ans : selon l’acte d’inhuma¬
tion rédigé le 13 août 1704 à Montréal, il a le temps, avant
de mourir, de recevoir les sacrements de « baptême, péni¬
tence et extrême-onction». Le Noir Philippe qui meurt
dans la maison d’Antoine Canac, reçoit les derniers
sacrements, comme l’atteste l’acte d’inhumation du 5 mai
Les esclaves et les sacrements 201

1715, à Sainte-Famille de l île d’Orléans. La Panise Marie-


Victoire, domestique de François Daine, reçoit elle aussi
les derniers sacrements avant de mourir, en octobre 1748,
à l’âge d’environ 19 ans.
Mais les circonstances ne permettent pas toujours
à l’esclave moribond de jouir de ces ultimes privilèges.
Le Panis de René Duchesne, âgé de 12 à 13 ans, tombe
malade à la Pointe-aux-Trembles en avril 1718; comme
ce Panis n’est pas en état de recevoir les derniers sacre¬
ments, le curé se contente de lui faire «produire» des
actes de foi, d’espérance et de charité. La vieille Renarde
du seigneur Couillard de Lespinay meurt soudainement
en octobre 1808, sans recevoir l’extrême-onction, mais le
curé de Saint-Thomas note que peu de jours auparavant
elle avait été à confesse. Mort aussi soudaine que celle
du Chicacha Jean-Baptiste-Christophe, qui appartient
probablement au seigneur Jean-Baptiste Dusault, des
Ecureuils : le Chicacha devient dangereusement malade,
on le baptise sous condition le 20 avril 1743 dans la maison
seigneuriale, puis un mieux se produit, mais soudain, le
11 mai suivant, le Chicacha trépasse « sans qu’on s’en soit
aperçu»; le lendemain, dans l’acte d’inhumation, le curé
précise que le Chicacha n’a pas reçu les derniers sacre¬
ments «parce qu’étant bien revenu de la maladie qu’il
avait eue il est mort subitement».
Et le sacrement de l’ordre? Un esclave pouvait-il
aspirer à devenir prêtre s’il possédait l’instruction néces¬
saire? Parmi ces 4185 esclaves venus s’ajouter à notre
population, le clergé a-t-il compté des recrues ? Si l’on
s’en tient au Rituel de Saint-Vallier, les esclaves sont
exclus du sacrement de l’ordre. Enumérant les empê¬
chements canoniques qui ferment l’accès à la prêtrise,
l’évêque mentionne parmi ceux qui ne peuvent devenir
prêtres : « Ceux qui sont nés hors le légitime mariage, ou
qui sont esclaves ». Si un esclave était exclu de la prêtrise,
un affranchi Tétait-il ? Le Rituel ne répond pas à cette
202 Deux siècles d’esclavage au Québec

question. En tout cas, nous ne connaissons aucun esclave


qui soit devenu prêtre ou qui ait tenté de le devenir.
Puisque des esclaves ont laissé une descendance, il
faut aussi se demander si l’un ou l’autre de leurs fils ou
petits-fils a eu accès au sacrement de l’ordre. En admet¬
tant que tout prisonnier capturé par les Amérindiens
devient esclave (ce qui était d’ailleurs l’usage), nous pour¬
rions présenter comme fils d’esclave le prêtre Amable-
Simon Raizenne : en effet, un Rising avait été pris par les
Amérindiens à Deerfield et amené à la mission du Lac-
des-Deux-Montagnes où il s’était épris d’une prisonnière,
anglaise elle aussi ; il l’épouse et se francise en Raizenne :
son fils aîné est ordonné prêtre en 1744. Ici, il ne s’agit
cependant que d’un esclavage fortuit et temporaire et
le cas de ce prêtre Raizenne, fils d’un prisonnier des
Amérindiens, n’offre pas autant d’intérêt que si ce prêtre
était le fils d’un esclave authentique.
Enfin, il est un autre sacrement auquel les esclaves ont
pu participer, le sacrement de mariage : mariage contracté
entre esclaves amérindiens ou même entre Blancs et
Amérindiens et entre Blancs et Noirs; problèmes que
nous réservons, à cause de leur importance, à un chapitre
ultérieur.

► NOTES

1 Aubert de Gaspé, Divers, 46-52.


2 En vertu du Code noir édicté pour les Antilles en 1685 et en vertu de
celui qui a été préparé pour la Louisiane en 1724, seuls les catholiques
pouvaient être propriétaires d’esclaves et ces esclaves devaient être
élevés dans la religion catholique : mais ni l’un ni l’autre de ces deux
Codes n’a été promulgué au Canada.
CHAPITRE VIII

Crimes et châtiments

C es Noirs et ces Amérindiens qui se sont trouvés


bien malgré eux dans une société dont les normes
leur étaient étrangères, se sont-ils comportés de façon à
s’attirer des sanctions? Le châtiment des esclaves a-t-il
été plus rigoureux que celui des personnes libres? La
présence même des esclaves a-t-elle été une menace
pour la société ?
Dans les colonies à fort pourcentage d’esclaves, on
avait pris des mesures sévères pour protéger les maîtres.
En vertu du Code noir, il est défendu aux esclaves, sous
peine du fouet, de porter armes offensives ni gros bâton ;
ils n’ont pas le droit de s’attrouper sous peine aussi du
fouet et, en cas de récidive, sous peine de mort; si un
esclave s’enfuit et qu’on le reprend, on lui coupe les
oreilles et on lui applique une fleur de lis sur l’épaule;
pour une deuxième fuite, on lui coupe le jarret et on le
marque sur l’autre épaule ; une troisième fuite entraîne la
peine de mort. Si un esclave frappe son maître au visage
ou s’il le frappe avec contusion de sang, il est mis à mort;
s’il vole, il pourra subir des peines afflictives et même la
mort; les maîtres pourront faire enchaîner leurs esclaves
et les faire battre de verges ou de cordes, mais il ne leur
appartient pas de donner la torture ni de faire aucune
204 Deux siècles d'esclavage au Québec

mutilation de membre, la mutilation et la peine de mort


relevant de la justice royale.
Ces mesures répressives, si légèrement teintées d’hu¬
manité, protégeaient la petite population des Antillais
contre l’immense troupeau des esclaves. Dans notre
société, où le Code noir n’a pas été promulgué, comment
a-t-on contenu les esclaves dans les limites de leurs
devoirs et comment les a-t-on châtiés ?

Les insoumis

Dans le dossier criminel des esclaves, on rencontre


parfois des délits bénins que lajustice se contente d’ignorer
ou qu’elle punit légèrement. En 1712, un Panis se trouve
impliqué dans une affaire de contrebande. Propriété
du traiteur François Lamoureux dit Saint-Germain, le
Panis Joseph accompagnait son maître lorsque ce dernier,
associé à Pierre et Nicolas Sarrazin, transporta des
marchandises en haut de l’île de Montréal, dans le but de
faire une traite interdite. Arrêté avec les autres, le Panis
subit l’interrogatoire ; cependant, il ne figure pas dans la
sentence qui condamne Saint-Germain et les Sarrazin,
et pas davantage dans le jugement rendu en appel par le
Conseil supérieur1. On a peut-être considéré que le Panis,
n’étant pas maître de sa liberté, n’avait aucune responsa¬
bilité ; nulle part on ne voit qu’il ait subi quelque peine.
Châtiment pas tellement lourd que celui du Noir
de Guillaume Couillart, alors que la faute commise, une
calomnie, pouvait tout de même provoquer de lourdes
conséquences. Lors de la première occupation anglaise
de Québec, de 1629 à 1632, Nicolas Marsolet s’était mis
au service des Kirke; or voici qu’en 1638, à une époque
où Marsolet avait tout intérêt à faire preuve de parfaite
fidélité, le Noir Olivier prétend que Marsolet a reçu un
message d’un traître, nommé Le Baillif, celui-là même
qui avait fait don du Noir à Guillaume Couillart. On fait
Crimes et châtiments 2°5

une enquête sommaire et, devant Guillaume Couillart et


Guillaume Hébert, le Noir avoue qu’il a tenu des propos
dont il n’avait nulle connaissance; on le condamne à
demander pardon et «à être quatre heures à la chaîne»,
c’est-à-dire les fers aux pieds2.
Insoumis mais jusqu’au point de soulever une sédi¬
tion, le Panis Charles est déporté aux Antilles en 1730.
En service au fort Niagara, il pousse une partie de la
garnison à se révolter, soit pour se venger des dures puni¬
tions imposées par Nicolas-Blaise Bergères de Rigauville,
soit à cause de la nourriture; les mutins projettent de
se débarrasser du commandant et la révolte doit éclater
le 26 juillet. Averti à temps, Rigauville envoie un
exprès à Montréal demander du secours; le gouverneur
Beauharnois dépêche un détachement; les rebelles sont
arrêtés, envoyés à Montréal et mis aux fers, y compris
le Panis. Passés en cour martiale, le Panis est condamné
à la déportation et les autres à la potence; ces derniers
réussissent à s’évader par la complicité des frères récol¬
lets; quant au Panis, on le met à bord du Saint-Antoine
et on l’envoie à la Martinique pour y servir d’esclave3. Il
est à remarquer que dans ce cas de sédition, on se montre
moins rigoureux pour l’esclave que pour les soldats : pour
quelles circonstances atténuantes? Nous l’ignorons.
William Brown, imprimeur de la Gazette de Québec,
eut toutes sortes de difficultés avec son Noir Joe sans
pouvoir en venir à bout. En août 1774 (la première
mention que nous trouvions de cet esclave), l’impri¬
meur le met en prison : le Noir avait, semble-t-il, volé
à son maître 4 livres 15 chelins 3 pence 3/4, ce qui est
une somme élevée (la livre anglaise, cours de Québec
valait alors 4 dollars de l’époque et elle se composait de
20 chelins, le chelin comprenant 12 pence) ; de plus, le
maître est obligé de payer 2 chelins 6 pence pour le faire
enfermer et la pension en prison coûte 2 livres 10 pence.
206 Deux siècles d'esclavage au Québec

Donc, en plus de se faire voler, le maître doit payer les


frais du châtiment.
Le Noir revenu à la maison, William Brown lui
montre le métier de presseur d’imprimerie mais, en
avril 1777, l’esclave déserte et il faut débourser 17 chelins
9 pence pour le retrouver. Nouvelle désertion en
novembre de la même année : Brown donne à un nommé
Davis 2 chelins 9 pence pour les frais de recherche, au
geôlier Couture 2 livres 5 chelins pour mettre le Noir en
prison ; et la pension coûte au maître 13 chelins 4 pence.
Le 25 janvier 1778, le Noir Joe fuit de nouveau et Brown
y va de 10 chelins pour récompenser ceux qui attrappent
le fugitif. Le 22 décembre de la même année, le Noir
déserte une fois de plus : Brown le fait mettre en prison
et fouetter par le bourreau, ce qui coûte 1 livre 8 chelins
10 pence. Le 30 avril, Joe vole 1 livre 3 chelins 4 pence et
s’enfuit : Brown donne 5 chelins pour ramener le Noir à
la maison. Le 16 septembre 1779, Joe déserte encore : on
le retrouve à bord du navire Empress Russia et il en coûte
1 livre 13 chelins 4 pence à l’imprimeur. Le 13 octobre 1781,
le Noir entre en prison pour y demeurer jusqu’au 8 mai
1782 : Brown paie 2 livres 10 chelins, et essaie en vain
de le vendre à quelqu’un qui serait en partance pour les
Antilles. Nouvelle fuite de Joe à la fin de 1785, ce qui coûte
encore à Brown 10 chelins pour rejoindre le fuyard; on le
met en prison, mais le 18 février 1786, au petit matin, il
prend la clé des champs en compagnie du criminel John
Peters : le shérif promet d’abord 5 livres pour chacun
des fugitifs, puis la récompense tombe à 2 livres ; Brown
s’amène et promet 3 guinées (environ 4 livres anglaises)
à qui mettra la main sur son «presseur d’imprimerie»;
réclamé jusqu’en juin 1786, Joe finit par revenir au bercail
et même à se bien conduire puisqu’au jour de l’An 1788 ;
Brown lui donne en étrennes 6 chelins 5 pence.
Cela ne pouvait durer. Le 12 février 1788, le Noir
obtient frauduleusement une carafe d’eau-de-vie, ce qui
Crimes et châtiments 20 7

coûte 2 chelins au propriétaire ; le 20 mars, Brown paie


4 chelins pour faire scier du bois à cause de la négligence
de son Noir; enfin, Joe acquiert de meilleures habitudes
et, à partir de mai 1788, son maître lui donne de l’argent
de poche chaque semaine. Mais Joe, devenu la propriété
de Samuel Neilson, déserte une fois de plus, en août 1789,
et nous le perdons de vue pour toujours.
Voilà un Noir qui aura causé bien des misères à
son maître. Nous avons calculé que, de 1774 à 1789, il a
coûté à son maître 19 livres 3 chelins n pence 1/2, pour
vols, fuites, frais de prison et médecine de bourreau; et
si l’on se rappelle qu’à cette époque un «nègre» vaut
40 ou 50 livres, on est à même de constater que l’insou¬
mission de Joe devenait dispendieuse. Pour ne pas tout
perdre, Brown courait après son Noir et s’appliquait à le
redresser par la douceur ou par le fouet. Si ce Noir avait
été soumis au Code noir, son maître aurait pu lui faire
couper le jarret dès la seconde fuite, et le faire pendre
après la troisième. (Sur les difficultés de Brown avec son
Noir, voir l’article «Joe, nègre de Brown» dans notre
Dictionnaire des esclaves.)
Le seigneur Chartier de Lotbinière, contemporain
de Brown, s’en tira à moindres frais de la mauvaise
conduite de son nègre Michel-Henri : il le mit tout
simplement à la porte4.

Pour le vol, la potence

La justice criminelle des XVIL et XVIIIe siècles est


très rigoureuse pour les voleurs : peu importe la valeur
des articles en cause, il suffit qu’un vol ait été commis
ou même tenté la nuit pour qu’il mérite la mort ; comme
les rues ne sont pas éclairées et qu’il n’y a pas de guet
nocturne, la sécurité des habitants est fragile : c’est pour¬
quoi on essaie de mettre un frein au maraudage de nuit
en distribuant généreusement la peine de mort.
208 Deux siècles d'esclavage au Québec

Une nuit de janvier 1757, le Panis Constant, esclave


de l’officier Paul-François Raimbault de Simblin, se met
en maraude. Il franchit la clôture de pieux qui ferme la
cour de la maison de la veuve Saint-Pierre ; à l’aide d’une
échelle qui était appuyée contre le toit, il brise la croisée
d’une chambre du grenier et pénètre à l’intérieur. La
veuve, qui se trouvait là-haut, est prise de panique et se
casse « le bras en descendant dudit grenier, par sa chute
du haut en bas des degrés». On arrête l’intrus. Traduit
devant le tribunal de Montréal, le Panis est condamné
à deux heures de pilori sur la place publique, un jour de
marché, et on le bannit à perpétuité de la juridiction de
Montréal.
Voilà une sentence bien douce, alors que le crime du
Panis Constant méritait la peine de mort. Par exemple,
en 1758, François Rodrigue est découvert caché dans une
maison privée, « à mauvaise intention » : on le condamne
à la potence et le Conseil supérieur confirme la sentence.
Pourquoi si peu de sévérité à l’égard du Panis? C’est
justement ce qui scandalise le procureur du roi, et il en
appelle au Conseil supérieur; ce dernier, le 26 mars, se
montre plus sévère : le coupable est banni de la colonie
à perpétuité et il restera en prison «Jusqu’au départ du
premier vaisseau de ce port qui partira pour France5 ». Au
lieu d’envoyer le Panis Constant à la potence, comme le
méritait sa faute, il est simplement banni de la colonie :
alors qu’aux Antilles on punit les esclaves beaucoup plus
durement que les personnes libres, il arrive qu’ici, pour
une même faute, l’esclave est traité avec plus de ména¬
gement.
En 1796, à une époque où l’on est encore pendu pour
vol d’un mouton, la Panise Charlotte se voit imposer une
sentence relativement douce (nous disons bien relative¬
ment) : pour avoir volé la valeur de 17 chelins 6 pence,
soit un peu moins de 4 dollars de i960, on la condamne
Crimes et châtiments 209

à être marquée d’un fer rouge dans la main et à demeurer


en prison cinq mois et demi6.
Il arrive que, pour avoir volé, l’esclave soit d’abord
condamné à mort, puis grâcié. Le cas le plus surpre¬
nant est celui de cette Noire Ann Wiley qui, en compa¬
gnie de Jean Coutencineau, un Blanc, vole une bourse
de 6 guinées (une trentaine de dollars de i960) : le
25 mars 1775, Philippe Dejean, juge de paix à Détroit,
les condamne tous deux à la potence. Or il n’y a pas
de bourreau : que faire? Dejean recourt à un truc très
simple : il offre la vie sauve à la Noire à condition qu’elle
procède à l’exécution de son blanc complice ; elle accepte
avec plaisir, pend le Blanc et s’en va. Pour la première
fois, croyons-nous, justice avait été faite par un bourreau
féminin. La population de Détroit fut fort indignée de
ce spectacle d’un Canadien pendu par une « négresse », et
le juge Dejean, menacé de poursuite, s’empressa d’aller
se réfugier chez les Illinois.
Le Noir Alexander Webb put s’en tirer à aussi bon
compte. On l’arrête en 1785 pour vol avec effraction : il y
a avec lui quatre autres voleurs ; on les condamne tous à
la potence. Le soir du 15 juin, à Québec, on mène donc les
cinq condamnés au gibet des Hauteurs d’Abraham, mais
voici qu’à la minute ultime, au moment de leur passer
la corde au cou, le Noir et deux confrères reçoivent leur
pardon7. La même aventure arrive au mulâtre Thomas
dit Tom : au printemps de 1795, pour avoir volé dans une
maison la somme de 40 chelins (environ 8 dollars de
i960), il est condamné à mourir sur la potence, mais le
gouverneur Dorchester lui accorde le pardon8.
N’allons pas croire, cependant, que les esclaves
coupables d’avoir volé étaient chaque fois sauvés de la
corde. En 1735, le Noir Jean-Baptiste-Thomas, qui appar¬
tient à Louise Lecompte-Dupré (veuve du marchand
Jean-Antoine Magnan-Lespérance), est arrêté pour vols
domestiques en même temps qu’un nommé François
210 Deux siècles d'esclavage au Québec

Darles, celui-ci étant coupable de recel. Le 22 juillet, l’un


et l’autre sont condamnés à la pendaison. Or la sentence
du tribunal de Montréal portait que la potence serait
dressée devant la maison même de la veuve Magnan-
Lespérance, propriétaire du Noir. La veuve ne fut pas
trop enchantée à l’idée de voir une pendaison à sa porte
et elle en appela au Conseil supérieur. On recommence
le procès : le Noir Jean-Baptiste-Thomas et son complice
Darles sont soumis à la question ordinaire et extraordi¬
naire par la torture, et le Conseil confirme la sentence
de Montréal, en apportant une modification importante,
aux yeux du moins de la veuve Magnan-Lespérance : la
potence sera dressée sur la place du Marché9.
Pendue aussi pour vol, la Montagnaise Marianne.
En service chez l’officier Alexandre Dagneau-Douville
à Montréal, elle est surprise à voler la nuit chez son
maître : le tribunal la condamne, le 20 septembre
1756, à être pendue devant la maison de ce Dagneau-
Douville. Le spectacle ne pouvait être plus intéressant
pour Dagneau-Douville que pour la veuve Magnan-
Lespérance, mais cette fois c’est la condamnée qui en
appelle au Conseil supérieur en faisant valoir qu’elle est
enceinte. On conduit donc la Montagnaise à Québec ; le
Conseil étudie l’affaire et confirme la sentence ; toutefois,
on devra d’abord s’assurer si la Montagnaise est enceinte
ou non : le chirurgien-major de l’Hôtel-Dieu de Québec,
accompagné d’une sage-femme, procède à l’examen et
conclut que la grossesse alléguée n’est qu’une feinte. Et
le 20 novembre 1756, à trois heures de l’après-midi, la
Montagnaise meurt au gibet de Québec10.
Le Noir Josiah Cutan, qui appartient en commun au
marchand John Askin et au traiteur Arthur McCormick,
pénètre par effraction dans la maison de Joseph Campeau,
à Détroit, au cours de la nuit du 28 octobre 1791, et s’em¬
pare de divers articles. On l’arrête immédiatement et on le
conduit en prison pour y attendre le procès. En mai 1792,
Crimes et châtiments 211

pendant que l’esclave est toujours prisonnier John Askin


achète la part de McCormick et devient à ses risques le
propriétaire unique du Noir. Le 6 septembre 1792, celui-
ci comparaît en Cour et plaide non coupable; le lende¬
main, on fait entendre les témoins, le procureur prononce
son réquisitoire et le jury déclare le Noir coupable. Le
10 septembre, le juge le condamne à la potence pour vol
nocturne avec effraction et le semonce vertement : « This
Crime is so much more atrocious and alarming to society, as it
is committed by night, when the world is at repose, and that
it cannot be guarded against without the same précautions
which are used against the wild beasts of the for est, who like
you, go prowling about by night for their prey. A member
so hurtful to the peace of society, no good Laws will permit
to continue in it11.» Le Noir fut donc pendu : c’était la
première exécution légale depuis la formation politique
du Haut-Canada; l’histoire de la potence dans le Haut-
Canada s’ouvre sur un esclave noir.
A ce catalogue macabre ajoutons une pendaison de
1827 : le pittoresque de la cérémonie en vaut la peine; et
d’ailleurs il s’agit toujours d’un Noir, peut-être encore en
servitude. En compagnie de deux frères Monarque, de
William Ross et de Benjamin Johnson (ce dernier, âgé
de seulement 18 ans), le Noir Robert Ellis qui est protes¬
tant a commis un vol avec effraction au presbytère de la
Pointe-Lévy : ils sont tous condamnés à la potence, mais
les frères Monarque ont eu le loisir de s’évader. Donc, le
samedi 21 avril 1827, à la potence qu’on a érigée devant
la prison de Québec, on amène le Noir Ellis et ses deux
complices Ross et Johnson. Selon la coutume alors
en usage, Ross s’adresse à la foule et lui parle durant
10 ou 15 minutes ; le Ellis y va lui aussi de son discours
funèbre, tout comme le jeune Johnson; malheureuse¬
ment, la presse ne nous a pas conservé le testament spiri¬
tuel du Noir : nous savons seulement qu’il a soutenu
212 Deux siècles d'esclavage au Québec

son innocence jusqu’au bout et qu’il a subi son sort avec


indifférence12.
Plus heureux le voleur, quand le maître se charge
de la justice, ainsi que ce fut le cas du Noir Joe : quand
il commet un vol, son propriétaire, William Brown, le
met en prison et le fait fouetter à ses propres frais ; si Joe
avait été remis à la justice, il serait probablement monté
à la potence. Plus heureux encore, évidemment, le voleur
qui trouvait son salut dans la fuite. Ce qui arriva au Noir
Bruce, esclave du lieutenant-colonel et seigneur Gabriel
Christie : âgé de 35 ans environ, «grand et bien fait», il
est soupçonné d’avoir, la nuit du 4 au 5 septembre 1777,
volé des liqueurs, du savon, du sucre et autres choses dans
la cave de John Jones à Montréal; il disparaît et il ne
semble pas avoir été rejoint. Ce vol nocturne ne pouvait
être expié que par la pendaison. En 1794, Isaac, Noir
d’Azariah Pretchard (de Richmond, en Gaspésie), s’est
aussi enfui après divers vols ; on promet une récompense
de 20 piastres à qui le fera arrêter : c’est un Noir de près
de 6 pieds, qui parle l’anglais, le français et le micmac13.
Le haut prix auquel sa tête est mise nous permet de
supposer que s’il est fait prisonnier, il n’aura qu’une desti¬
nation : la potence.

Aux galères pour avoir violenté une fille

Le Panis Jacques, âgé d’environ 40 ans, se com¬


promet en 1734 dans une affaire criminelle. Ce Panis
avait, dès son enfance, connu des propriétaires suc¬
cessifs. Sous prétexte qu’il a été battu par Lapérade, le
Panis Jacques prend la fuite : il erre dans les pays d’en
haut, se rend à Michillimackinac, et même jusqu’aux
Illinois ; on le retrouve plus tard en Acadie où il épouse
une Micmacque; devenu veuf, il se marie à une autre
Amérindienne d’Acadie dont il a cinq enfants : sa famille
se disperse bientôt puisque deux de ses enfants vivent
Crimes et châtiments 213

au Lac-des-Deux-Montagnes, alors que les trois autres


demeurent en Acadie.
C’est ce Panis qui erre du côté de Champlain, à la
fin de juin 1734. Le jour de la Saint-Jean-Baptiste, alors
que tout le monde est à la grand-messe, la fille de René
Durand, appelée Marie-Joseph, est demeurée à la maison
comme gardienne : au cours de la matinée, elle monte
vers le bois chercher une vache ; on entend crier la fille et
elle disparaît. Dès que les gens reviennent de la messe, on
organise une battue, persuadé d’abord que Marie-Joseph
Durand a été dévorée par un ours. Son oncle Jean court
vers l’endroit d’où l’on a entendu crier Marie-Joseph, il
découvre une piste qu’il suit sur une distance d’une lieue,
et finalement, qu’aperçoit-il? le Panis Jacques «qui s’ac¬
commodait sa ceinture, et Marie-Joseph à une jambée à
côté de lui n’ayant sur elle que sa chemise et son mantelet
tout ouvert » ; elle portait des égratignures à la gorge et à
l’estomac : de toute évidence, il y avait eu enlèvement et
au moins tentative de viol. On s’empare du Panis ; pour
se tirer d’affaire, il raconte qu’il fait partie d’un groupe de
Micmacs qui sont venus, au service des Anglais, faire des
prisonniers, et il se dit prêt à dénoncer la retraite de ceux
qui l’accompagnent. Les habitants refusent de le croire,
ils le conduisent aux Trois-Rivières où commence son
procès le 7 juillet suivant.
Au cours des interrogatoires, le Panis se défend
d’avoir fait violence à la fille pour en jouir : il voulait, dit-
il, simplement l’amener en Acadie pour en faire sa femme,
mais il a dû la prendre à la gorge pour l’empêcher de crier.
Mais puisque tu es déjà marié en Acadie, lui fait remar¬
quer le juge, tu voulais avoir deux femmes ? Et le Panis
s’excuse en répondant que c’est le démon qui l’a poussé à
cette mauvaise action.
Or ce démon importunait fort le Panis Jacques, car
on soupçonnait le Panis d’avoir tenté semblable enlè¬
vement du côté de Berthier-en-Haut. Interrogé sur
214 Deux siècles d'esclavage au Québec

cette autre affaire, le Panis reconnaît qu’il a rencontré à


Berthier-en-Haut la fille d’un nommé Pichion [ ?] que
sa mère envoyait chercher du blé d’Inde dans une île :
comme j’étais à faire la pêche, raconte le Panis, cette
fille me demanda de la passer dans l’île et de l’attendre
pour la traverser de nouveau ; c’est ce que j’ai fait, mais au
retour, quand je lui ai demandé de sortir du canot pour
retourner chez elle, elle a refusé; apprenant que je me
préparais à partir pour l’Acadie, elle décida de me suivre ;
nous sommes passés à Batiscan où elle avait des parents,
mais elle a refusé de débarquer; parvenu à l’Ile-aux-Oies
(en bas de Québec), je l’envoie chercher du pain chez
M. de Fonville, mais ce dernier la retient et il écrit au
père de venir la chercher. «As-tu joui de cette fille ? », lui
demande le juge ; et le Panis répond : « Oui, mais c’est la
fille qui m’en a sollicité.»
Nous ignorons si le juge ajouta foi à toute cette
histoire d’une fille qui décide tout à coup de suivre un
Panis jusqu’en Acadie, au lieu d’aller chercher le blé
d’Inde que demandait sa mère... en tout cas, l’aventure
survenue à la jeune Durand de Champlain n’était pas de
nature à confirmer les explications du Panis. Le 14 juillet,
le procureur du roi déclare que le Panis est convaincu de
rapt et il requiert que le coupable soit pendu sur la place
publique des Trois-Rivières. Comme la sentence du juge
des Trois-Rivières n’a pas été retrouvée, il est impossible
de dire à quoi le Panis a été condamné par le tribunal de
première instance. Or, le 2 août suivant, le Panis compa¬
raît en appel devant le Conseil supérieur de Québec;
malheureusement, la sentence rendue par ce Conseil ne
figure pas au dossier du procès. Selon l’auteur anonyme
d’une monographie, le Panis Jacques fut déporté pour
servir sur les galères du roi : c’était la peine ordinaire pour
cette sorte de crime14.
Crimes et châtiments 215

Pendue pour avoir frappé ses maîtresses


à coup de couteau

En août 1759 aux Trois-Rivières, la Panise Marie


rate un suicide : cette tentative de suicide sera portée à
son dossier car, sous le Régime français, le suicide raté ou
réussi est passible de châtiment : le corps de la personne
qui s’est «homicidée elle-même » est traîné la face contre
terre par la ville, pendu la tête en bas, exposé pendant
24 heures et jeté ensuite à l’eau. Chez les esclaves, nous ne
connaissons que deux tentatives de suicide. En novembre
1713, la Renarde Madelon qui appartient au gouverneur
Beauharnois, veut mettre fin à ses jours, torturée par le
mal du pays ou par quelque autre peine. Elle se pendit
dans l’écurie du château, mais on la « trouva qui s’étran¬
glait, on l’amena [à l’Hôtel-Dieu] où elle fut soulagée » :
entrée à l’hôpital le 21 novembre, elle en sort rétablie le
3 décembre suivant ; nous ignorons si le gouverneur sévit
contre son esclave. Le deuxième cas est celui de la Panise
Marie, mais comme sa tentative de suicide se situe après
une attaque à main armée contre ses maîtresses, ce n’est
pas tant le suicide raté qui retient l’attention du tribunal,
que le crime extrêmement grave chez un esclave : celui
de frapper des personnes revêtues de l’autorité !
Cette Panise Marie, qualifiée aussi de Cristinaude,
appartenait au chevalier Joseph Boucher de Niverville,
époux de Marie-Josephte Chastelain. Comme le ménage
Niverville vivait sous le même toit que les beaux-parents
(François Chastelain et Marguerite Cardin), la Panise
Marie était en même temps servante des Chastelain. À
la suite de «quelques maltraitements et gronderies», la
Panise avait conçu de la haine pour ses deux maîtresses,
madame Chastelain âgé de 51 ans et madame de
Niverville âgée de seulement 22 ans. Or, le 20 août 1759,
vers une heure et demie de l’après-midi, le drame éclate.
Comme madame Chastelain ordonnait quelque besogne
2IÔ Deux siècles d’esclavage au Québec

à la Panise, celle-ci refusa tout net et « de colère elle prit


un couteau dont elle frappa ladite dame sans avoir envie
de la tuer» : madame Chastelain reçut un coup au haut
de la poitrine et un autre à l’épaule gauche. Madame
Niverville intervient aussitôt et la Panise la frappe à
l’épaule droite et lui fait une égratignure à l’épaule gauche.
Le sang coule, les deux femmes crient au meurtre, les
voisins s’amènent. Pendant qu’on s’occupe de mettre les
blessés au lit, la Panise monte au grenier et là, dans un
cabinet dont elle a soin de fermer la porte, elle se pend
à une perche. L’officier Nicolas-Joseph Fleurimont de
Noyé lie survient avec quatre soldats : il monte au grenier
et aperçoit la pendue; on coupe tout de suite la corde,
le chirurgien Charles Alavoine arrive à son tour, il fait
porter la Panise sur un lit et, constatant des signes de vie
par le pouls et par l’écume qu’elle rend par la bouche, il
pratique une bonne saignée. Une demi-heure plus tard, la
Panise reprend connaissance, cependant que mesdames
Chastelain et Niverville se remettent de leurs blessures
qui n’étaient que superficielles. Un point important, en
tout cas, était assuré : la Panise échappait à la mort pour
qu’on lui fasse expier son crime.
On instruit l’affaire le jour même, en présence du
praticien Jean Leproust qui fait fonction de juge, parce
que le lieutenant général civil et criminel est absent. Ce
jour-là et les suivants, de nombreux témoins viennent
défiler devant le tribunal ; on les confronte avec l’accusée ;
celle-ci subit plusieurs interrogatoires, en recourant au
truchement de l’armurier Joseph Chevalier, qui traduit
à mesure les questions et les réponses. Selon l’Amérin-
dienne, qui ignore son âge et prétend être née dans un
village cristinau, les coups avaient été donnés seulement
pour faire peur et non pour tuer; elle ne pensait pas
mériter de punition en maltraitant ses maîtresses et, si
elle a voulu se faire mourir, c’était sans cause de regret ni
de crainte. Quoi qu’il en soit, le crime était évident.
Crimes et châtiments 217

Le 11 septembre, le juge suppléant déclare que


1 Amérindienne est convaincue « d’avoir donné des coups
de couteaux mentionnés en la procédure et ensuite s’être
pendue»; en conséquence, elle sera «battue et fustigée
nue de verges par l’exécuteur de la haute justice dans les
carrefours et lieux accoutumés de cette ville » ; à l’un des
carrefours, elle sera « flétrie d’un fer chaud marqué d’une
fleur de lis sur l’épaule droite», puis elle sera bannie à
perpétuité de la juridiction des Trois-Rivières, après une
amende de 3 livres.
Fustigation, marque au fer chaud, bannissement :
cette sentence parut trop douce après le grand crime dont
l’esclave s’était rendue coupable. On savait peut-être que,
en vertu du Code noir des Antilles comme en vertu de
celui de la Louisiane, l’esclave qui frappait avec contusion
de sang son maître, sa maîtresse ou leurs enfants devait
être condamné à mort; ou bien on estimait simplement
qu’une révolte aussi grave ne pouvait s’expier que par la
pendaison. Toujours est-il que le procureur du roi en
appela de la sentence du juge Proust ; le Conseil supérieur,
réuni à Montréal, se montra sans pitié : le 29 décembre
1759, il décide que l’esclave expie son crime sur la potence
et que son corps, exposé pendant deux heures, soit ensuite
jeté à la voirie15. Mesdames Chastelain et Niverville
pouvaient poursuivre leur convalescence en toute quié¬
tude : les droits de l’autorité étaient sauvegardés.

Deux homicides dus à des Panis

Deux homicides volontaires et délibérés ont été


accomplis par des Panis. Le premier est une véritable
boucherie : il est de 1710. La première mention qui soit
faite du Panis Nicolas est celle de 1709, lorsqu’il se fait
à Québec un branle-bas général à la suite d’une rumeur
de la venue prochaine des Anglais : le Panis Nicolas en
profite pour participer à une série de vols; en 1710, on
2l8 Deux siècles d’esclavage au Québec

le soupçonne d’avoir volé des martres au sieur Brousse.


C’est en cette même année qu’il commet son assassinat.
Le bourreau Jacques Élie et sa femme, Marie-
Joseph Maréchal, étaient sans cesse l’objet de quolibets
de la part de la population et, en particulier, de la part
des enfants de Québec. Lassés de ce traitement, le bour¬
reau et la bourrelle songent à émigrer, et le Panis Nicolas
leur offre de les conduire, par les bois, jusqu’en Nouvelle-
Angleterre. Il s’assure un salaire de 50 livres et un habit.
Il vole un canot et l’on s’embarque : le Panis Nicolas, le
bourreau Jacques Élie, sa femme qui est enceinte, un
enfant de 5 ans et un autre qui n’a que 14 mois. Le Panis
les mène jusqu’à la rivière Duchesne, dans la seigneurie
Desch aillons; et là, dans la nuit du 22 au 23 mai 1710,
pour se dispenser du reste de la route, le Panis tue à
coups de hache le bourreau Élie et jette le corps à la
rivière; il tue aussi l’aîné des enfants, mais ne réussit qu’à
blesser dangereusement la femme enceinte et le petit de
14 mois. La femme parvient à s’échapper avec ce dernier
et se traîne jusqu’aux habitations, pendant que le Panis
disparaît. Alors que la femme Élie, unique témoin de
la tragédie, se fait traiter à l’Hôtel-Dieu de Québec, on
instruit in absentia le procès du criminel. Après enquête,
on le condamne à être rompu vif. Comme il est absent, on
décrète que le châtiment « sera exécuté par effigie en un
tableau qui sera attaché au poteau de la place publique de
la basse ville» : le 21 novembre 1710, le bourreau dessina
donc sur une toile le Panis Nicolas en train de se faire
casser les membres à coups de barre de fer; châtiment
sans douleur mais tout aussi infamant. Et il ne paraît pas
que le Panis soit retombé entre les mains de la justice16.
L’autre meurtre date de 1762. Clapham, marchand
venu du fort Pitt à Détroit, en profite pour faire
l’acquisition d’un Panis et d’une Panise. Il repart avec
eux en canot, s’arrête dans les environs de Presqu’Isle,
sur la rive sud du lac Erié; comme il reçoit la visite
Crimes et châtiments 219

d’Amérindiens, il sert du rhum à tout le monde : les deux


esclaves profitent de la fête pour assassiner leur nouveau
maître : ils lui coupent la tête, pillent les bagages, brûlent
les papiers et vont se réfugier en pays amérindien. Le Panis
et la Panise sont cependant livrés par les Amérindiens au
colonel Donald Campbell qui commande à Détroit. Les
Amérindiens s’offrent à brûler eux-mêmes les criminels.
L’affaire fut soumise d’abord par Campbell au colonel
Henry Bouquet, puis par ce dernier à William Johnson,
surintendant des Amérindiens ; finalement, le ier octobre
1762, le commandant en chef Jeffery Amherst décida qu’il
valait mieux que justice soit faite par la garnison anglaise
plutôt que par les Amérindiens eux-mêmes; le major
Gladwin, de Détroit, reçut l’ordre de faire comparaître
les deux accusés devant une cour martiale. Le Panis eut
toutefois le temps d’échapper à la justice et s’enfuit dans
le pays des Illinois. La Panise eut moins de veine : elle
demeura sous bonne garde, fut condamnée et pendue1?.

L’incendie de Montréal

Le crime le plus spectaculaire qu’un esclave ait


accompli dans notre histoire, est celui de la Noire Angé¬
lique (appelée aussi Marie-Joseph-Angélique). Esclave
d’un marchand de Montréal, François Poulin de Fran-
cheville, elle a environ 21 ans lorsqu’on la baptise le 28 juin
1730 : elle est alors enceinte des œuvres de César, esclave
noir d’Ignace Gamelin; en janvier 1731, elle donne nais¬
sance à Eustache ; mais elle ne s’en tient pas à si peu : en
mai 1732, elle met au monde des jumeaux et déclare que
c’est encore du fait de César. Puis, la Noire Angélique
semble délaisser ce premier amant pour tomber dans les
bras d’un Blanc, Claude Thibault.
Or un nuage vient assombrir ce roman d’amour :
la Noire acquiert en 1734 la conviction que sa maîtresse,
Thérèse Decouagne devenue veuve de Francheville, se
220 Deux siècles d'esclavage au Québec

prépare à la vendre. La Noire alors se dispose à fuir vers la


Nouvelle-Angleterre en compagnie de son amant. Pour
mieux ménager sa fuite, ou pour se venger, dans la soirée
du io ou 12 avril 1734, elle met le feu à la maison de la
maîtresse, rue Saint-Paul, et s’enfuit. La maison devient
bientôt un brasier. Les voisins, constatant que les flammes
menacent leurs demeures, se hâtent de transporter
leurs meubles et effets chez les religieuses de l’Hôtel-
Dieu; mais les flammes continuent de progresser d’une
maison à une autre; elles se communiquent à l’Hôtel-
Dieu, brûlant le couvent et l’église, sans que les reli¬
gieuses puissent sauver grand-chose (c’était le troisième
incendie général de l’Hôtel-Dieu). Et le feu de continuer
à s’étendre par la ville : quand il s’arrêta, il avait consumé
46 maisons. Pendant cette conflagration, la Noire avait eu
tout le loisir de fuir avec son bien-aimé.
Mais la justice a le bras long et, moins heureuse que
son amant, la Noire Angélique tomba en cours de route
entre les mains des officiers de la maréchaussée. Mise
en prison et jugée par le tribunal de Montréal, au milieu
d’une ville encore fumante, la Noire reçut sa sentence le
4 juin :

Faire amende honorable nue en chemise, la corde au


cou, tenant en ses mains une torche ardente du poids
de deux livres au-devant de la principale porte et entrée
de l’église paroissiale de la ville de Montréal, où elle sera
menée et conduite par l’exécuteur de la haute justice
dans un tombereau servant à enlever les immondices,
ayant écriteau devant et derrière avec le mot incendiaire
et là nu-tête et à genoux déclarer que méchamment elle
a mis le feu et causé ledit incendie dont elle se repent et
en demande pardon à Dieu, au roi et à la justice, ce fait
avoir le poing coupé sur un poteau qui sera planté au-
devant de ladite église, après quoi sera menée par ledit
exécuteur dans le tombereau à la place publique pour
Crimes et châtiments 221

y être attachée à un poteau avec une chaîne de fer et


brûlée vive, son corps réduit en cendres et icelle jetée au
vent.

Voilà une sentence qui dans l’esprit des sinistrés


pouvait prétendre couvrir l’ampleur du crime : prome¬
nade dans un tombereau à immondices, amende hono¬
rable devant l’église paroissiale, avoir le poing coupé, être
brûlée vive et tout cela précédé d’une bonne torture par
la question ordinaire et extraordinaire pour tirer, de la
Noire, l’aveu le plus circonstancié.
Angélique en appela au Conseil supérieur : on lui fit
donc faire le voyage à Québec. Par sa décision du 12 juin,
le Conseil maintint la condamnation à mort, mais en
modifiant d’importants détails du châtiment : comme le
spécifiait la première sentence, la Noire serait conduite
dans un tombereau à vidanges jusqu’à la porte de l’église
paroissiale pour y faire amende honorable, mais elle
n’aurait pas le poing coupé; ensuite, menée à la place
publique, on la pendrait d’abord et ce n’est qu’après la
mort qu’on la brûlerait. Le Conseil supérieur tenait donc
compte de la responsabilité partielle de la Noire dans ce
sinistre de Montréal. Et on la ramena à Montréal pour
qu’elle subisse sa peine sur les lieux de son crime et en
présence de la population indignée.
Le 21 juin, dans la prison de Montréal, la Noire fut
d’abord soumise à la torture : elle avoua son crime, mais
seulement après quatre tentatives du tortionnaire, et elle
persista courageusement à ne dénoncer aucun complice.
Dans l’après-midi, à trois heures, le greffier se présente à la
prison et fait lecture de la sentence ; le sulpicien Navetier
entend la condamnée en confession, puis Angélique est
remise au bourreau : c’est probablement le Noir Mathieu
Léveillé. À bord du tombereau à vidanges, la Noire se
rend à l’église paroissiale pour l’amende honorable; la
cérémonie rituelle accomplie, le tombereau reprend sa
222 Deux siècles d’esclavage au Québec

marche mais, pour atteindre la place publique, on a soin


de faire un long détour par les lieux de l’incendie afin
que la coupable se rende bien compte de l’ampleur de
son crime. Enfin, parvenue au terme de la promenade
funèbre, l’esclave Angélique est pendue ; on brûle ensuite
le cadavre et on en jette les cendres au vent18.
Entre temps, on s’était mis à la recherche de l’amant,
Claude Thibault. Le 19 avril 1734, neuf jours après la confla¬
gration, l’intendant Hocquart publiait une ordonnace
pour obliger les capitaines de milice à arrêter ce Thibault
qu’on soupçonnait d’avoir, avec la Noire Angélique,
allumé l’incendie de Montréal. Mais Thibault avait eu
neuf jours pour échapper aux capitaines de milice et il
demeura introuvable. Deux ans plus tard, en avril 1736,
le roi approuva l’intendant « de ne pas faire supporter de
nouveaux frais au domaine » par la recherche du présumé
complice; on devait considérer «que la Négresse qui a
causé l’incendie de Montréal n’avoir qu’avoué son crime
sans révélation d’aucun complice. Que les soupçons
qu’on avait eus contre le nommé Thibault ne roulaient
que sur sa fuite et sur quelque liaison de débauche avec
cette Négresse, et que par les recherches qu’on a faites
depuis on n’a pu rien découvrir contre lui19 ».

Crimes des esclaves, actes isolés

L’incendie de Montréal, allumé par une esclave


noire, n’a absolument rien d’une révolte générale contre
la société; c’est un crime individuel tramé contre une
seule personne, la veuve Francheville, pour favoriser une
intrigue amoureuse. Il n’y a pas eu au Canada de révolte
massive des esclaves comme la chose s’est produite dans
d’autres colonies, par exemple, dans la Nouvelle-Orléans
en 1731, où il s’était tramé un complot pour préparer un
soulèvement. Les Noirs de la Nouvelle-Orléans devaient
se soulever à l’occasion d’une grand-messe paroissiale,
Crimes et châtiments 223

brûler les maisons et s’enfuir; le complot fut éventé par


une Noire : parmi les coupables, une femme fut pendue
et quatre hommes rompus vifs20. Certes, dans une
requête présentée à la Chambre d’assemblée en 1799 par
Joseph Papineau pour assurer les droits des propriétaires
sur leurs esclaves, il est dit qu’à la suite de la libération
d’une Noire l’année précédente, «les Nègres dans la cité
et district de Montréal menacèrent d’une révolte géné¬
rale21». En fait, il ne s’agit pas d’une menace de révolte,
mais d’une menace de désertion générale : la Noire dont il
est question était poursuivie par son maître pour avoir fui,
mais le juge, qui était opposé à l’esclavage, s’était refusé à
condamner une personne qui était pousuivie tout juste à
titre d’esclave fugitif. Les autres esclaves, paraît-il, forts
de cette décision du juge, auraient eu l’intention d’imiter
la Noire dans sa fuite. À aucun moment de notre histoire,
il n’est fait mention d’une insurrection armée (ni même
de projet) de la population esclave. Les crimes sont des
actes isolés dirigés contre des individus.
Sur les 4185 esclaves que notre société compterait
en 2 siècles, il ne se serait donc trouvé que 18 criminels.
Il s’agit pourtant d’esclaves qu’on a tirés de leur milieu
pour les réduire en servitude dans une société qui n’est
pas la leur, et d’esclaves qui n’ont reçu tout juste que les
rudiments de l’instruction chrétienne. On s’attendrait
normalement de leur part à une résistance brutale aux
lois ordinaires de la société dans laquelle, bien malgré eux,
ils ont été transplantés. Or sur près de 4200 esclaves, à
peine une vingtaine se classent parmi les criminels.
Nous remarquons, de plus, que les châtiments sont
ici généralement moins rigoureux qu’aux Antilles, et l’on
va même jusqu’à punir moins sévèrement des esclaves
que des personnes libres : on a, par exemple, déporté des
esclaves pour des fautes qui ont conduit des Canadiens
à la potence. Et lorsqu’on applique la rigueur de la loi,
l’esclave reçoit le même traitement qu’une personne libre :
224 Deux siècles d’esclavage au Québec

il comparaît devant le même juge, il peut en appeler au


Conseil supérieur et le châtiment lui est imposé dans les
mêmes conditions qu’à tout criminel. Evidemment, cela
vient en partie du fait que les esclaves, peu nombreux, ne
constituent pas une menace particulière pour la société.
En tout cas, cette égalité de l’esclave et de l’homme libre
devant la loi et, en même temps, cette grande rareté de
criminels démontrent, une fois de plus, l’intégration
normale de l’esclave dans notre société.
Crimes et châtiments 225

► NOTES

1 Aubert de Gaspé, Divers, 11.


2 APQj Collection de pièces judiciaires et notariales, 502 ; Plumitif du
Conseil Supérieur, du 20 septembre 1714 au 9 mars 1716.
3 Document du 20 août 1638, ASC^Documents Faribault, 17.
4 Severance, An Old Frontier of France, I, 288-290; Gosselin, L'Église
du Canada, II, 158s.

5 Inventaire de 1800, dans RAPQ, 195-513,390.


6 Inventaire des jugements et délibérations du Conseil Supérieur, 1716 à
1760, II, 211.
7 Gazette de Montréal (éditée par Roy), 14 mars 1796, p. 2.
8 Gazette de Québec, supplément n°io34, p. 2, nouvelle du 16 juin.
9 Ibid., 26 mars 1795, p. 3; 7 mai, p. 2.
10 APQ^Registre criminel, IV, 28V.-32V.

11 Inventaire des jugements et délibérations du Conseil Supérieur, II, 202s.


12 Pièces du procès dans Riddell, Michigan Under British Rule, 347-355,
456s ; voir aussi The John Askin Papers, 1,410s.
13 Gazette de Québec, 23 avril 1827, p. 2.
14 Ibid., supplément du 22 mai 1794, p. 1; supplément du 29 mai, p. 2;
5 juin p. 4.
15 APQi Procédures judiciaires. Matières criminelles, 1730-1751, IV, 213-
2i6v., 22iv.-223r., 229P 233,238r., 241.
16 APQj Procédures judiciaires. Matières criminelles, 1752-1759, VT, 337-
397V.

17 APQj Collection de pièces judiciaires et notariales, dossier 447; Procé¬


dures judiciaires. Matières criminelles, 1706-1730, III, 191s., 238-251.
18 W.R. Riddell, Michigan Under British Rule, 29-31.
19 APQj Registre criminel, IV, 24-26 ; Procédures judiciaires. Matières
criminelles, IV, feuille 237.
20 Inventaire des ordonnances de l'intendant, II, 161; lettre à Beauharnois
et à Hocquart, 19 avril 1735, dans APQ^ Ordres du Roi, 3-4, série B,
v. 64 (1736), 542. En 1981, Paul Fehmiu Brown a publié un récit de
cette affaire, sous le titre Ces Canadiens oubliés, tome 1 (chez Aqua-
rius); et Micheline Bail en a fait le sujet d’un roman historique,
L’Esclave, paru en 1999 chez Libre Expression.
21 Charlevoix, Histoire, IV, 294s.
'
CHAPITRE IX

L’esclave a-t-il
des droits d’homme libre?

L eur servitude mise à part, les esclaves du Canada


français sont soumis à des conditions de vie qui ne
diffèrent pas tellement de celles de leurs maîtres et ils
participent aux sacrements de l’Eglise de la même façon
que les personnes libres. Mais ces esclaves, qui semblent
posséder au Canada français un état privilégié, jouissent-
ils devant la loi de certaines prérogatives des hommes
libres? Peuvent-ils même accéder à l’affranchissement?

L’esclave comme témoin

Le Code noir de 1685 (il en est de même de celui


de 1724) ne reconnaissait à l’esclave aucune capacité juri¬
dique : il est mineur devant la loi et il ne peut aucune¬
ment agir que par son maître. Ces dispositions du Code
noir n’ont pas été appliquées en toute rigueur chez nous.
Plusieurs fois nous voyons des esclaves agir à titre de
témoins, sur le même pied d’égalité que les personnes
libres. Nous en trouvons à la cérémonie du baptême, qui
tiennent lieu de parrains : plus haut, au chapitre des sacre¬
ments, nous avons compté 46 cérémonies de baptême
228 Deux siècles d’esclavage au Québec

au cours desquelles les parrains sont des Noirs ou des


Amérindiens ; et le nombre eût été beaucoup plus élevé si
les Canadiens, pour leur part, ne s étaient fait un honneur
de servir de parrains à leurs esclaves. Quoi qu’il en soit, le
nombre des esclaves qui sont ainsi parrains est assez élevé
pour que nous puissions conclure qu’en ce domaine il n’y
a guère de différence entre l’esclave et l’homme libre.
Les esclaves servent encore de témoins au mariage
de leurs congénères : en 1750, au mariage de Joseph-
Hippolyte dit l’Espiègle, esclave noir de Leber de
Senneville, deux Noirs sont mentionnés comme témoins ;
sous le Régime français, c’est là un cas d’exception, parce
qu’au mariage comme au baptême, les propriétaires ont
l’habitude d’être les témoins. Sous le Régime anglais,
l’usage veut que les esclaves soient les témoins d’un
mariage d’esclaves. Il faut en dire autant de l’inhuma¬
tion.
Ce sont là, à vrai dire, de très minces détails : agir
comme témoins au mariage ou à l’inhumation n’a abso¬
lument pas l’importance du témoignage qu’un esclave
rendrait dans une cause civile ou criminelle, mais n’em¬
pêche que le nom du témoin d’une cérémonie religieuse
est inscrit dans le registre d’état civil et qu’il contribue à
donner au baptême, au mariage ou à l’inhumation son
caractère légal.

Une esclave se prétend libre

Certains procès que soulèvent des esclaves permet¬


tront de mieux voir à quel point ces gens en servitude
peuvent exercer des prérogatives d’hommes libres. Le
premier procès survient à l’automne de 1740 lorsque le
lieutenant Marc-Antoine Huart, chevalier Dormicourt,
conclut un marché avec Aubry, en partance pour les
Antilles, pour qu’il prenne à son bord et revende là-bas la
Panise Marie-Marguerite.
L’esclave a-t-il des droits d'homme libre ? 229

Réduite toute jeune en esclavage, la Panise Marie-


Marguerite avait connu plusieurs propriétaires. D’abord
donnée en 1726 à René, voyageur de Laprairie, associé
de François-Antoine Duplessis-Fabert à la Baie des
Puants (lac Michigan), il l’envoya en cadeau à l’épouse
de ce Duplessis-Fabert qui demeurait à Montréal chez
le marchand Etienne Volant de Radisson; baptisée
le 8 juillet 1730 à l’âge d’environ 12 ans, on la présente
alors comme propriété de ce même Duplessis-Fabert;
l’année suivante, sous le nom de Marguerite Duplessis,
elle reçoit le sacrement de confirmation. Le propriétaire
meurt en 1733, mais la Panise continue de demeurer chez
Volant de Radisson; celui-ci décède à son tour en 1735;
c’est alors que la Panise doit quitter la maison où elle
demeurait depuis une dizaine d’années, et le frère de
feu Duplessis-Fabert la vend au négociant Jean-Louis
Fornel. En septembre 1740, elle entreprend, paraît-il, des
démarches pour devenir propriété d’un Bailly de Messein
et, de la part de ce Bailly, elle offre à Fornel le même prix
qu’il l’avait payée; Fornel refuse et la Panise devient la
propriété non pas du maître qu’elle avait souhaité, mais
du chevalier Dormicourt.
Celui-ci eut tôt fait de regretter son emplette.
Assez dépourvue côté physique, (elle n’avait qu’un œil),
privée d’une demeure stable depuis la mort de Volant
de Radisson, la Panise Marie-Marguerite aurait donné,
selon le témoignage de Dormicourt, dans le vice, le liber¬
tinage et le vol. Il décide donc de la faire vendre aux
Antilles : Aubry se charge de l’affaire et, en attendant que
le bateau soit prêt à appareiller, le chevalier Dormicourt
met la Panise en prison.
De sa geôle, elle trouve moyen d’intéresser certaines
gens à son sort. Ce sont, suivant Dormicourt, « des prêtres
et des moines». Un praticien se présente pour défendre
l’esclave car, sous le Régime français, les avocats ne
230 Deux siècles d’esclavage au Québec

pouvant exercer leur profession, on ne peut recourir qu’à


des gens de loi, plus ou moins improvisés qu’on appelle
praticiens. Avait-il été retenu par des gens d’Eglise ou
s’était-il présenté de lui-même, nous l’ignorons.
En tout cas, il ne semble pas être la fine fleur du
palais : de ce Jacques Nouette qui va se charger de
défendre la Panise, on ne sait rien sauf qu’il fut prati¬
cien ; le chevalier Dormicourt affirme même au cours du
procès que ce praticien est sans feu ni lieu : ce qui équi¬
vaut à un état d’ignominie. Voilà le praticien qui prend en
main la cause de la Panise et va sortir tous les arguments
pour qu’elle ne soit pas exilée.
Le Ier octobre 1740 (à moins que ce soit quelques
jours plus tôt), la Panise que l’on garde dans «une étroite
prison», soumet à l’intendant Hocquart une requête. Se
présentant comme fille naturelle de feu François-Antoine
Duplessis-Fabert, elle remontre que Dormicourt « s’étant
imaginé [qu’elle] était son esclave, la retient sans raison
dans les fers. Il est cependant certain, continue la requête,
que quoique la supliante n’ait l’avantage d’être le fruit
d’un mariage légitime, elle n’est pas née d’une esclave,
et que par conséquent elle est née libre». C’était là son
premier argument.
Elle en apporte un second. On lui conteste, pour¬
suit le mémoire, son état de liberté « dans le temps même
qu’étant sur les terres et l’obéissance de Sa Majesté, qui
sont un pays de liberté pour tous ceux qui, comme la
suppliante, font profession de la religion catholique
apostolique et romaine, son esclave cesserait par la raison
qu’elle serait par là devenue sujette du roi». Si le prati¬
cien Nouette est sans feu ni lieu, il n’est pas sans ingé¬
niosité : si j’étais esclave, fait-il dire à la Panise, mon
esclavage cesserait du fait qu’étant en terre française je
suis baptisée. Toutefois, le praticien abuse des textes :
les terres du roi de France sont un refuge contre l’escla¬
vage, d’accord, mais un édit de 1716 avait tout de même
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ? 231

marqué d’une façon bien nette la distinction entre la


France continentale et ses colonies, et ce même édit avait
encore précisé que tout esclave qui arrive en France n’ac¬
quiert pas nécessairement sa liberté ; on avait cependant
raison de rappeler que depuis 1627 le baptême catholique
suffisait pour naturaliser l’Amérindien et lui assurer les
privilèges du «naturel français», mais il ne fallait pas
oublier que l’ordonnance de Raudot en 1709 avait léga¬
lisé l’esclavage. Le praticien posait donc deux problèmes
sérieux : cette Panise se déclarait fille naturelle d’un offi¬
cier; elle soutenait que même si elle était née esclave, son
baptême et sa vie en terre française l’avaient libérée de la
servitude.
L’intendant Hocquart prend connaissance de cette
requête et renvoie l’affaire devant le tribunal de première
instance, la prévôté de Québec. Le lieutenant général civil
et criminel somme alors Dormicourt de comparaître : le
défendeur se présente le 4 octobre. Que va-t-il répondre
aux prétentions de la Panise ?

[Il se dit] surpris de voir des prêtres et des moines armer


sourdement contre lui sans en avoir été prévenu pour lui
suborner son esclave et de voir les gens d’Eglise sacrifier
sans preuve la réputation d’un honnête [feu Duplessis-
Fabert] pour ménager une gueuse et une coquine qui
devrait être chassée honteusement d’un pays pour ne lui
pas donner lieu de pervertir par son libertinage bien du
monde et pour empêcher le scandale, [ce qui est cause]
qu’on a mieux aimé la vendre pour les Iles que de la
laisser à la justice à cause de ses vols domestiques.

Après ce réquisitoire contre les ecclésiastiques et


contre sa Panise, Dormicourt en vient à la prétendue
filiation naturelle : « On a inventé qu’elle était fille de
feu monsieur Duplessis. C’est une calomnie, je demande
rétractation. C’est calomnier un honnête homme sans
232 Deux siècles d’esclavage au Québec

preuve, il est même impossible d’en donner pour procurer


cette filiation.» Dormicourt raconte alors comment cette
Panise est arrivée à Montréal en qualité d’esclave, pour
devenir finalement esclave de Fornel et de lui-même.
Mais elle porte un nom de famille! Dormicourt
prévient l’objection: «Ladite esclave a toujours porté
le nom Marguerite Radisson, par ce que ledit sieur
Radisson l’avait fait baptiser. Et quand bien même elle
aurait porté le nom de Duplessis, cela ne prouve rien.
Il est ordinaire en ce pays de voir les esclaves porter le
nom de leur maître quoi qu’il n’y ait ni paternité ni filia¬
tion entre eux, c’est un usage reçu.» Le nom de famille,
conclut donc Dormicourt, ne prouve rien. S’il y a filia¬
tion, elle ne peut, dit-il, se prouver que par l’aveu du père
ou par l’extrait de baptême; or l’esclave a été baptisée
à Montréal «comme originaire de la nation de Panis
sans faire mention du père ni de la mère » ; les Panis sont
reconnus esclaves parmi nous et plusieurs messieurs en
ont envoyé aux Antilles pour y servir d’esclaves. Bien
plus, continue Dormicourt, quand bien même un père
français reconnaîtrait une esclave pour sa fille, cela ne
changerait pas l’état de servitude : «Un enfant qui sort
d’une mère esclave et qui a un père français est reconnu
esclave telle est la loi qu’on suit en Amérique : la même
loi doit subsister en ce pays, pour les sauvages esclaves, il
n’y a que le roi qui puisse prononcer à ce sujet pour en
faire différence.»
Dormicourt termine par un argument ad hominem :
la Panise Marguerite a toujours reconnu son état
d’esclavage, et encore le mois dernier, elle a voulu se faire
acheter par le sieur Bailly de Montréal, en offrant de la
part de ce dernier à Fornel la somme quelle avait coûté :
« Sans la charité mal entendue de quelques gens d’Église,
elle n’aurait jamais pensé à sa liberté.» Et quelle est cette
protégée des gens d’Eglise? «Cest un mauvais sujet
capable de causer bien du désordre et du scandale par son
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ? 233

libertinage, il a mieux aimé la vendre que de la dénoncer


à la justice à cause de ses vols ; c’est une gueuse et une
libertine, une voleuse, une ivrognesse qui joint à cela bien
d’autres défauts, voilà le sujet qui excite la charité des
gens d’Eglise.» Bref, Dormicourt demande qu’il lui soit
permis de faire embarquer tout de suite sa Panise pour
les Antilles.
Comme il importait de savoir en quelle qualité
elle avait été baptisée, le tribunal ordonne à Nouette
de présenter dans les 15 jours l’extrait de baptême de
cette Panise. Ce délai de 15 jours était au désavantage
de Dormicourt : il compromettait tout à fait le départ
pour les Antilles, car en cette saison tardive les bateaux
ne pouvaient plus attendre. C’est pourquoi, le 6 octobre,
Dormicourt fait sommer Nouette de «fournir et bailler
caution [...] pour dommages, dépens [frais judiciaires],
frais de procédure, intérêt civil pour plus longue déten¬
tion».
A la Panise revenait donc le fardeau de la preuve :
à elle de prouver sa filiation naturelle, et la Cour avait
chargé le praticien Nouette de fournir cette preuve en
produisant l’extrait de baptême. Or la Panise, sur les
conseils du praticien ou des gens d’Eglise, préféra ne
pas attendre l’extrait de baptême. Elle savait peut-être
que cette pièce déposerait contre elle ; en effet, l’acte de
baptême se lit comme suit : « Ce huitième jour de juillet de
l’an mil sept cent trente a été baptisée Marie Marguerite
Panise appartenant à monsieur Duplessis Capitaine
âgée d’environ 12 ans ». Il valait mieux que cette attesta¬
tion de servitude n’apparaisse pas en Cour. Le 8 octobre,
elle s’adresse donc de nouveau à l’intendant Hocquart et
demande la permission d’en appeler au Conseil supérieur,
« attendu que la cause requiert célérité », et elle demande
que Dormicourt soit condamné à payer 3 000 livres de
dommages et intérêts : elle n’y allait pas de main morte.
L’intendant lui permit d’aller en appel.
234
Deux siècles d’esclavage au Québec

Le Conseil supérieur se réunit en séance extraordi¬


naire le 17 octobre. Jusque-là, la Panise portait le fardeau
de la preuve; Nouette va soutenir qu’au contraire le
fardeau de la preuve revient à Dormicourt : «Une fille
qui se prétend libre et qu’on soutient esclave, sans titres
sans possession qui prouve son esclavage, est-elle tenue
de prouver un état d’esclavage quelle conteste? C’est
l’affirmative ridicule de cette proposition qu’adopte la
sentence dont est appel.» En somme, soutient Nouette,
c’est à Dormicourt de prouver quelle est son esclave.
Ce dernier répond que Nouette n’est pas habilité
à servir de procureur à une esclave, puisqu’une esclave,
étant morte civilement, ne peut ni ester en justice ni
contracter validement sans le consentement de son
maître ; seul le procureur du roi peut prendre fait et cause
pour elle ; quant au praticien, il n’a ni feu ni lieu et il ne
peut se porter garant des frais et dommages. Après ces
nouveaux arguments ad hominem, Dormicourt rejette la
proposition de recourir à l’extrait de baptême, pour deux
raisons : l’extrait baptistaire qu’on exige ne peut être un
moyen suffisant, les père et mère des Amérindiens n’étant
pas mentionnés, les baptisés étant présentés seulement
«comme sauvages, panis ou autres appartenant à un tel»,
bref l’extrait baptistaire ne peut prouver que le baptême.
Deuxièmement : la preuve que l’on demande prendra
trop de temps, car je suis sur le point de faire embarquer
la Panise pour les Antilles et, si elle manque le départ,
sa nourriture et sa pension jusqu’à l’automne prochain
me seraient trop onéreuses. Je consentirais plutôt à sa
mise en liberté, affirme Dormicourt, à condition qu’on
me rembourse le prix d’achat, la pension de la prison et
les frais de justice; et il ajoute méchamment : «Puisqu’il
se trouve tant de personnes charitables qui s’intéressent
pour la conservation d’un mauvais sujet atteint de liberti¬
nage, d’ivrognerie et de vol domestique, cette proposition
L'esclave a-t-il des droits d’homme libre ? 235

doit exciter leur zèle inconsidéré et leurs prétendues


charités.»
Le Conseil supérieur décide, ce même jour, de
renvoyer les parties devant l’intendant, et celui-ci confie
à son subdélégué, Estèbe, d’entendre une dernière fois
Dormicourt et Nouette. Dormicourt fait comparaître
deux témoins, René Bourassa et Nicolas Sarrazin : l’un
et l’autre déclarent qu’étant à la Baie des Puants en 1726,
ils ont reçu d’un « sauvage » une Panise qui n’avait qu’un
œil, qu’ils ont envoyé cette Panise en présent à l’épouse
de Duplessis-Fabert, qu’ils ont toujours vu cette Panise
chez feu Radisson où demeurait la dame Plessis, et qu’elle
s’appelait Marguerite. L’affaire de la Panise redevenait
moins brillante.
La Panise a recours de nouveau à l’intendant pour
obtenir un autre délai (et peut-être manquer le bateau) ;
elle fait valoir que ses témoins n’ont pas voulu compa¬
raître sans y être contraints et qu’elle a des faits essentiels
à apporter. Quels sont ces faits? Elle est née, soutient-
elle, de feu Duplessis et d’une femme libre; le jésuite
Saint-Pé sait qu’il est né à Duplessis une enfant de
condition libre, élevée en la maison de Radisson : cette
enfant, c’est elle-même; chez Radisson, elle était libre,
mais à la mort de Duplessis-Fabert, le frère de ce dernier
l’a vendue comme esclave à Fornel. Elle demande donc
que l’on fasse comparaître ce frère de Duplessis-Fabert,
qui est commandant du fort Saint-Frédéric : en atten¬
dant, Nouette s’engage à payer 7 livres 10 sols par mois
pour la nourriture et l’entretien de la Panise en prison.
F’intendant accorde ce nouveau délai et, le lendemain
18 octobre, à la requête de la Panise, l’huissier somme trois
personnes de venir témoigner : Joseph Denys de Laronde,
le jésuite Saint-Pé et Louise de Ramezay, Montréalaise
alors de passage à Québec.
L’enquête menace de se prolonger au moment où
la navigation touche à sa fin et, s’il faut aller chercher
23 6 Deux siècles d’esclavage au Québec

Duplessis-Fabert au fort Saint-Frédéric (sur le lac


Champlain) pour le faire témoigner à Québec, des
semaines vont y passer. Nouvelle requête de Dormicourt
à l’intendant : l’enquête réclamée par la Panise, déclare-
t-il, n’a pas eu lieu parce que les témoins annoncés
par Nouette ne se sont pas présentés ; d’ailleurs, ajoute-
t-il, ce projet de faire venir Duplessis-Fabert du lac
Champlain n’est qu’un «faux-fuyant frivole vu que ledit
sieur Duplessis ne déposera point contre lui-même»;
tout cela n’est que pour faire traîner l’affaire et empê¬
cher « de faire embarquer ladite esclave pour l’Amérique
sur les vaisseaux qui sont prêts à faire voile ». Dormicourt
demande donc qu’on lui laisse immédiatement embar¬
quer son esclave.
Nouette essaie de parer à la nouvelle menace en récla¬
mant un autre délai de 24 heures. L’intendant Hocquart
décide de mettre fin à ce jeu de délais. Le 20 octobre,
il signe une ordonnance qui déclare que Marguerite
Radisson dite Duplessis est dûment esclave du chevalier
Dormicourt; se basant sur les témoignages de Bourassa
et de Sarrazin ainsi que sur le fait que la Panise, malgré
sa requête du 17 octobre, n’a fait entendre aucun témoin,
l’intendant rejette l’appel, confirme l’état d’esclavage de
la Panise et la condamne aux dépens1.
Dans le cas de cette esclave, la justice a suivi son
cours normal. C’est la seule esclave du Régime français à
avoir ainsi mis en branle tout l’appareil judiciaire, depuis
le tribunal de première instance jusqu’à l’intendant en
passant par le Conseil supérieur.

Une Noire se réclame de la capitulation

Nous ne connaissons aussi qu’une seule esclave qui


ait revendiqué sa liberté sous le Régime militaire : la Noire
Etiennette, esclave de Geneviève Gamelin, de Montréal;
L’esclave a-t-il des droits d'homme libre ? 2 37

elle soutiendra que, par la conquête du Canada, elle est


devenue libre.
Son histoire remonte à la prise de Sarastau en 1745.
Elle n’avait alors qu’un an environ, lorsque Canadiens et
Amérindiens firent assaut contre le bourg et capturèrent
une partie de la population. Parmi les prisonniers, il y
avait un Noir et une Noire, père et mère de la négrillonne
Etiennette (appelée aussi Eskenne) ; on dut se mettre en
marche pour le Canada, le père emportant sa fillette sur
son dos. À Montréal, distribution des prisonniers : le
père et la mère deviennent la propriété de Luc Lacorne
Saint-Luc; quant à la fillette, elle appartient à l’Abéna-
quis Pierre-Nicolas qui la vend aussitôt, pour la somme
de 500 livres, à Joseph-Jacques Gamelin, marchand-
bourgeois; le 7 mars 1746, on baptise la petite Noire et
elle continue de vivre dans la famille Gamelin.
Survient en septembre 1760, la capitulation de
Montréal; neuf mois plus tard, en juin 1761, la Noire
réclame sa mise en liberté afin de retourner dans les
colonies anglaises d’où elle était sortie toute jeune enfant.
Comment expliquer cette nostalgie soudaine, alors que
Montréal était devenue en fait la patrie de la Noire et
qu’elle n’avait pas connu d’autre milieu familial que celui
des Gamelin? Etiennette voulait-elle se libérer d’une
autorité qu’elle ne pouvait plus supporter? Agée d’en¬
viron 17 ans, elle s’était peut-être éprise d’un soldat, Noir
ou Anglais, au cours de l’occupation de Montréal par
l’armée du New York. En tout cas, sa maîtresse, Geneviève
Gamelin, ne veut pas la laisser partir.
Le 6 juin 1761, la Noire Etiennette se présente donc
devant la Chambre des milices de Montréal et demande
l’autorisation de retourner en Nouvelle-Angleterre : elle
est native de ce pays, soutient-elle, et en vertu de la capi¬
tulation de 1760 elle doit être considérée comme sujet
britannique et libre.
Deux siècles d'esclavage au Québec
23 8

Si la Noire en appelle au traité même de capitulation,


elle ne peut y trouver qu’un seul article sur l’esclavage,
l’article 47 : « Les nègres et panis des deux sexes, avait
demandé Vaudreuil, resteront en leur qualité d’esclaves,
en possession des Français et Canadiens à qui ils appar¬
tiennent : il leur sera libre de les garder à leur service dans
la colonie, ou de les vendre, et ils pourront aussi conti¬
nuer à les faire élever dans la religion romaine». À cette
demande, Amherst avait répondu : «Accordé, exceptés
ceux qui auront été faits prisonniers2.» La réponse est
équivoque : ou bien les habitants du Canada ne peuvent
réclamer leurs esclaves qui auront été faits prisonniers par
les Anglais, ou bien les esclaves précédemment enlevés
aux Anglais ne seront plus esclaves des Canadiens. La
Noire Etiennette songeait peut-être à exploiter cette
deuxième interprétation : j’ai été enlevée naguère aux
Anglais, donc je ne suis plus esclave des Canadiens.
Nous croyons plutôt qu’Etiennette s’inspire d’ordon¬
nances récentes publiées par les gouverneurs militaires.
En effet, les autorités avaient entrepris une enquête pour
libérer les Anglais que les Canadiens avaient capturés
ou adoptés. Le 13 mai 1761, le gouverneur Gage publie
à Montréal l’ordonnance suivante : « Comme plusieurs
enfants anglais et autres pris pendant la guerre sont
actuellement parmi les habitants tant de la ville que de la
campagne, nonobstant les ordres longtemps réitérés à ce
sujet. Il est ordonné par ces présentes à toutes personnes
de quelque rang que ce soit d’amener tous les Anglais,
enfants, femmes ou hommes prisonniers ou déserteurs
qui se trouveront chez eux»; une amende de 100 écus
(plus de 600 livres françaises) et 6 mois d’emprisonne¬
ment menaçaient les Canadiens qui ne se conforme¬
raient pas à ces ordres3. Aux Trois-Rivières, ayant appris
que des enfants et des domestiques n’avaient pas encore
été déclarés, le gouverneur Burton lance une nouvelle
sommation le 31 mai 1761, enjoignant à toutes personnes
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ? 239

de déclarer dans la quinzaine «le nom, l’âge et le sexe


des enfants et domestiques anglais qui demeurent avec
eux, soit qu’ils les aient reçus en présent, ou qu’ils les
aient achetés des sauvages4». Or c’est le 6 juin suivant
qu’Etiennette se présente devant le tribunal militaire
pour obtenir d’être renvoyée en Nouvelle-Angleterre.
Sa maîtresse, Geneviève Gamelin, comparaît à son
tour pour faire valoir son droit sur l’esclave : elle raconte
aux officiers de milice dans quelles circonstances la
famille Gamelin est devenue propriétaire de la Noire en
décembre 1745, au prix de 500 livres, et elle assure que
depuis ce temps l’esclave a été élevée et entretenue chez
les Gamelin sans jamais être réclamée par qui que ce
soit. Saint-Luc Lacorne qui avait acheté en 1745 le père
et la mère de cette Noire, confirme devant le tribunal le
témoignage de Geneviève Gamelin. Les parties enten¬
dues, la Chambre des milices dresse un procès-verbal de
l’affaire et envoie le dossier au gouverneur de Montréal5.
Malheureusement, les archives ne nous font pas connaître
dans quel sens le gouverneur Gage s’est prononcé, et nous
devons laisser tomber l’affaire au moment où elle fran¬
chit l’étape la plus intéressante.

La même justice pour les esclaves

Si les esclaves d’ici avaient été soumis au Code noir,


ils auraient perdu de précieux avantages au point de vue
de la justice. Dans le code des Antilles et dans celui de la
Louisiane, on peut lire : «Ne pourront aussi les esclaves
être partie, ni en jugement, ni en matière civile, tant en
demandant que défendant, ni être partie civile en matière
criminelle, et de poursuivre en matière criminelle la répa¬
ration des outrages et excès qui auront été commis contre
les esclaves » ; certes, le code de 1685 accorde aux esclaves
la même justice criminelle qu’aux personnes libres ; mais
l’édition de 1724 (préparée pour la Louisiane) supprime
240 Deux siècles d'esclavage au Québec

la nécessité de faire confirmer par le Conseil supérieur la


peine afflictive du fouet, de la fleur de lis et des oreilles
coupées quand cette peine a été imposée par un tribunal
de première instance6. En somme, le Code noir, dernière
édition, laissait à la merci d’une Cour inférieure l’esclave
qui s’était rendu passible d’une peine afflictive; elle lui
enlevait tout droit en matière civile de s’amener en Cour
à titre de demandeur ou à titre de défendeur.
Au Québec, où le Code noir n’a pas été en vigueur,
les esclaves ont joui d’un meilleur traitement en Cour.
L’esclave pouvait être demandeur dans une cause civile.
En décembre 1727, la Panise Catherine qui appartient à
l’épouse de Louis Maray de Lachauvignerie inscrit en
Cour une poursuite contre le chirurgien Benoist chez
qui elle sert de domestique : le chirurgien retenait indû¬
ment les hardes de la Panise pour une dette contractée
par la dame de Lachauvignerie ; la Panise le fait d’abord
sommer par huissier, puis se présente devant le tribunal
de Montréal : celui-ci donne gain de cause à l’esclave.
En novembre 1761, la Noire Louise comparaît devant la
Chambre des milices de Montréal afin de faire condamner
la veuve Loranger à lui payer 396 livres en tabac ; comme
la veuve répond qu’il lui est dû par le mari de la Noire un
montant de 60 livres, déduction faite du tabac, pour avoir
« blanchi et raccommodé » ce mari quand il était esclave
d’un sieur Martel, la Chambre des milices renvoie dos
à dos la demanderesse et la défenderesse. La Noire ne
se tient pas pour battue, elle porte sa cause en appel et
gagne, le tribunal d’appel étant d’avis que l’entretien d’un
esclave doit être porté au compte du maître et non à celui
de l’esclave.
Dans ce domaine de la justice civile, l’exemple le plus
intéressant est certainement celui de ce procès intenté en
1740 par la Panise Marie-Marguerite à son maître, et que
nous avons plus haut raconté. Nous avons vu les complica¬
tions de ce procès : requêtes de la Panise, contre-requêtes
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ? 241

du propriétaire, délais répétés que demande la Panise et


qu’elle obtient. On dirait vraiment qu’il s’agit d’une cause
ordinaire entre deux personnes libres ; soumise au Code
noir, l’esclave aurait été immobilisée dès les premières
démarches.
Au criminel, on ne fait pas non plus de distinction
entre esclaves et personnes libres; c’est exactement la
même justice pour tous, sans que les esclaves du Québec
aient à souffrir des restrictions posées ailleurs par le Code
noir. Quand un Panis et une Panise de Détroit assassinent
en 1762 celui qui vient de les acheter, les Amérindiens les
réclament pour les châtier à leur façon, mais puisque les
coupables font partie de la société, les autorités préfèrent
leur assurer un procès régulier. Il faut encore noter que
l’esclave, tout comme une personne libre, jouit du privi¬
lège de l’habeas corpus, droit de comparaître devant son
juge : c’était l’usage chez les maîtres qui voulaient châtier
un esclave de le mettre en prison à leurs frais pour l’y
laisser réfléchir aussi longtemps qu’ils le jugeaient à
propos; or, à partir des années 1790 ces esclaves sont
amenés devant le juge. Ce juge est William Osgoode :
adversaire déclaré de l’esclavage, il remet en liberté tout
Noir qui n’est poursuivi qu’à titre d’esclave.
Droit d'habeas corpus pour l’esclave et, lorsqu’il subit
son procès au criminel, droit d’être jugé par-devant jury :
lorsqu’on fait le procès du Noir Cutan à Détroit en 1792,
un jury détermine si l’accusé est coupable ou non. Droit
d’appel aussi à une Cour supérieure : en 1734, le Panis
Jacques jugé pour viol en appelle au Conseil supérieur.
La même année, la Noire Angélique que l’on condamne
à Montréal à être brûlée vive pour avoir allumé l’incendie
de la ville, porte sa cause au Conseil supérieur : on la
conduit donc à Québec, elle y obtient d’être étranglée
avant d’être brûlée. En 1756, la Montagnaise Marianne
qu’un tribunal de Montréal condamne à la potence, en
appelle au Conseil supérieur : une fois à Québec, elle
242 Deux siècles d'esclavage au Québec

plaide grossesse ; le Conseil supérieur surseoit à 1 exécu


tion de la sentence pour faire vérifier par un chirurgien le
nouvel argument de la condamnée. Enfin, si 1 esclave n est
pas grâcié (car des esclaves condamnés à mort ont reçu
leur pardon au pied de l’échafaud), le châtiment qu on
lui impose ne diffère en rien de celui qu’on inflige, pour
le même crime, à une personne libre. Quand un esclave
paraît devant son juge, il est un homme tout comme les
autres.

Des esclaves au nom de famille québécois

Que l’esclave baptisé porte un prénom chrétien n’est


que normal, mais qu’il porte un nom de famille (d’or¬
dinaire celui du maître), nous voyons là pour l’esclave
une sorte de promotion qui extérieurement le met sur le
même pied que les personnes libres. Au cours du procès
de la Panise Marie-Marguerite en 1740, le chevalier
Dormicourt affirme : « Il est ordinaire en ce pays de voir
les esclaves porter le nom de leur maître quoi qu’il n’y ait
ni paternité ni filiation entre eux, c’est un usage reçu.»
Usage pratiqué par les esclaves en général, moins souvent
cependant chez les Amérindiens que chez les Noirs.
Laissant ici de côté les noms de famille qui sont
tirés ou semblent tirés du vocabulaire amérindien, ou qui
ne sont peut-être que des surnoms, nous retenons ceux
que les esclaves amérindiens ont empruntés aux familles
québécoises :
Alavoine Bourdon Courchaîne Doyon
Auger Campeau De Berey Duchesne
Belhumneur Cardinal Decouagne Dufresne
Blondeau Chauvin Defond Dufy
Boileau Christie Desautels Dulude
Bourdeau Content dit Desforges Dumay
Bourdon
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ? 243

Duplessis Hervieux Lépine Radisson

Fily Lafleur Lespérance Raimbault

Foster Laframboise Lestage Rapin


Francheville Laprise Léveillé Riberville

Gagné Laronde Longueuil Saint-Luc

Gamelin Larose Magnan Saint-Sauveur

Giasson Laviolette Maillot Sanssouci

Guillory Leduc Marin Viger

Hamelin Lefrançois Monplaisir Youville

Hay Legardeur Porlier

Des 63 noms de famille, il y en a au moins 30 que les


esclaves amérindiens empruntent à leur maîtres : nous en
sommes sûr, parce que l’esclave porte le nom de famille
de son maître au moment où il demeure chez ce dernier;
quant aux autres noms de famille, ils devraient s’expli¬
quer par une ancienne servitude qu’il nous a été impos¬
sible de constater.
Nous sommes étonné du petit nombre d’esclaves
amérindiens qui portent un nom de famille cana¬
dien : les enfants mis à part, nous n’avons compté
que 158 Amérindiens à en être décorés, soit sur
2683 Amérindiens une très faible proportion de 5,9 %.
On a l’impression que les Amérindiens, intégrés dans
la société canadienne, ne se soucient pas du nom de
famille.
La situation est bien différente chez les Noirs. Sur
1443, il en est 469 qui ont pris un nom de famille, soit
32,5 %, presque le tiers. Esclave ou affranchi, le Noir
semble avoir conscience, plus que l’Amérindien, de l’im¬
portance d’un patronyme. Des noms de famille adoptés
par les Noirs, 14 seulement sont français : Beaumenil,
Céré, Couture, Hubert, Lamour, Lejeune, Lenègre,
Lepage, Léveillé, Marié, Paul, Saint-François, Saint-
Julien, Rosier (pour Desrosiers) ; le Noir Hubert a pris
244
Deux siècles d’esclavage au Québec

le nom de son parrain, le curé Hubert; le Noir Lejeune,


celui du jésuite qui l’a instruit; les Noirs Lepage et Rosier
ont certainement pris le nom de famille de leur maître.
L’abondance des noms anglophones vient de ce que les
Noirs sont surtout tirés des colonies anglaises et demeu¬
rent, en grande majorité, la propriété des Anglais.

Les conditions de la liberté

En tout cas, le rêve ordinaire de l’esclave est d’ob¬


tenir la liberté : il veut être libre pour contracter mariage
avec la personne qu’il aime, comme c’est le cas du Noir
Jacques-César, ou tout simplement parce que la liberté
est chère à l’être humain. Ainsi l’on voit le Noir Joseph
Beaumenil, intéressé à sortir de la servitude, faire des
recherches sur sa propre condition. En 1768, à l’âge de
21 ans, il avait été vendu par Joseph Cureux dit Saint-
Germain à Michel Fortier : en 1785, 9 ans après la mort
de ce dernier acquéreur, le Noir Beaumenil présente au
juge Pierre Panet une requête selon laquelle il désire
«pour bonne raison, être instruit des conventions faites
entre lesdits sieurs Saint-Germain et Fortier relatives
à lui-même»; il demande copie de l’acte de vente, «vu
qu’il est partie dans icelui, et le plus intéressé dans ce qui
y est contenu». Curiosité légitime, le juge Pierre Panet
autorise le notaire Antoine Panet à délivrer une expédi¬
tion de l’acte, moyennant « honoraires raisonnables » ; le
notaire fit l’expédition et, sans doute à cause de la grande
pauvreté du Noir, accomplit sa besogne gratis pro Deo.
Heureusement qu’il n’en avait rien coûté, car le Noir ne
put constater qu’une chose : il avait été vendu en compa¬
gnie d’un autre Noir pour la somme globale de 200 livres,
cours de Québec ; l’acte de vente ne laissait prévoir aucun
terme à la servitude?.
Ce terme, dans les conditions normales, ne peut
être posé que par un acte légal : l’affranchissement. Sous
Lesclave a-t-il des droits d'homme libre ? 245

le Régime français, l’État exige que l’acte soit fait par-


devant notaire, une simple déclaration verbale ne suffi¬
sant pas. Autorisé par le roi, l’intendant Hocquart publie
en 1736 une ordonnance sur la façon d’affranchir les
esclaves : informé, écrit-il, que « plusieurs particuliers de
cette colonie avaient affranchi leurs esclaves, sans autre
formalité que celle de leur donner la liberté verbalement »,
et jugeant nécessaire « de fixer d’une manière invariable
l’état des esclaves qui pourront être affranchis par la
suite », il fait savoir « qu’à l’avenir tous les particuliers de
ce pays, de quelque qualité et condition qu’ils soient, qui
voudront affranchir leurs esclaves, seront tenus de [le]
faire par un acte passé devant notaires, dont il sera gardé
minute, et qui sera en outre enregistré au greffe de la juri¬
diction royale la plus prochaine » : tout affranchissement
qui n’aura pas été fait dans cette forme sera nul8. La loi
est claire : un esclave ne peut sortir de servitude que par
un acte d’affranchissement convenu devant notaire.
À en juger par les greffes des notaires, l’affranchis¬
sement aurait été rare sous le Régime français; pour¬
tant, ici et là, il est fait mention d’affranchis ou de Panis
libres : ils étaient peut-être de ceux que les maîtres
d’avant 1763 avaient libérés de la servitude par une décla¬
ration verbale ; d’autres l’ont été par le testament de leurs
maîtres : cette forme pouvait satisfaire à l’ordonnance
de 1736. Sous le Régime anglais, l’affranchissement est
fréquent et l’est de plus en plus vers la fin du XVIIIe siècle ;
comme sous le Régime français, c’est un acte formel
passé par-devant notaire ou une déclaration écrite que
l’on joint à la permission donnée à un esclave pour se
marier; autre possibilité : le maître annonce dans son
testament qu’à sa mort les esclaves obtiendront la liberté.
Par exemple, quand le Noir Louis-Antoine se remet en
servitude en 1761 pour épouser la Noire de Dominique
Gaudet, il est entendu que leur esclavage prendra fin à la
mort du maître : elle survient en 1769. En 1774, le Sioux
246 Deux siècles d'esclavage au Québec

Jacques, esclave de l’arpenteur Claude Gouin, de Détroit,


épouse la Chicachase Marie-Louise, esclave du bourgeois
Antoine Cuillerier : l’esclavage durera jusqu’au décès de
Claude Gouin et de sa femme. En 1797, la veuve du voya¬
geur Antoine Janis fait son testament et elle entend qu’à
sa mort la liberté soit donnée à son Amérindienne Marie-
Antoine-de-Pade.
L’affranchissement promis dépend parfois d’autres
conditions. Le 3 septembre 1796, le marchand John
Shuter achète à crédit le Noir Jack et, le même jour, par-
devant notaire, Shuter s’engage à l’émanciper dans six ans
et demi à condition que l’esclave fasse preuve de bonne
conduite : Jack donne satisfaction et obtint sa liberté le
2 novembre 18039. Le tavernier Thomas John Sullivan, de
Montréal, achète aussi à crédit le Noir Manuel, le 25 août
1797, et tout de suite il s’engage à l’émanciper dans cinq
ans, moyennant bonne conduite; le Noir accepte, mais
moins fidèle et moins patient que Jack, il s’enfuit le
Ier mars suivant10. Acheté en 1797, le Noir Rubin reçoit
de son maître, le marchand John Young, l’assurance que
s’il se conduit bien il sera libéré au bout de sept ans11. Il
faut ajouter ici que ces trois cas se situent à la fin de notre
période esclavagiste : la légalité de la servitude mise en
doute, on s’efforce par une promesse d’émancipation de
retenir pour un temps précis les services de son homme.
Dans un cas au moins, l’émancipation est accordée à
condition que l’esclave disparaisse à tout jamais. Le 12 mai
1794, par-devant le notaire Racicot, le seigneur François
Boucher de Laperrière et son épouse Marie-Charles
Pécaudy de Contrecœur affranchissent leur Noir Jacques,
âgé d’environ 21 ans, en posant une exigence rigoureuse :
«qu’il montera et résidera dans les postes les plus hauts
des pays d’en haut » ; s’il revient, il retombera en servitude,
les époux Boucher de Laperrière pourront en disposer et
le vendre comme bon leur semblera12. Il est évident que
les Laperrière craignent leur Noir qui connaît par trop
L’esclave a-t-il des droits d'homme libre ? 247

les aires de la maison : il faut que l’esclave s’en aille le plus


loin possible dans les pays d’en haut, sans jamais revenir.
C’est ce même sentiment de crainte qui est exprimé
quand on propose, pour le Régime français, de déporter
les Panis aux Antilles à mesure qu’ils deviennent adultes.
Enfin, en accordant l’émancipation, certains maîtres
ajoutent quelques dons pour marquer leur contentement.
En 1750, la veuve Josué Boisberthelot de Beaucour fait
son testament et promet liberté à son esclave, la Panise
Gabrielle dite Arthémise ; elle lui assure en même temps,
écrit-elle, «mes bas, souliers, mes deux petits mante-
lets»; peu de choses pour l’avenir de l’affranchie, mais
les Boisberthelot de Beaucour étaient tombés dans la
misère; et encore, la Panise devra-t-elle attendre neuf
ans (la veuve ne mourant qu’en 1759) pour porter les bas,
les souliers et les deux mantelets de sa maîtresse ! En 1796,
lorsqu’il s’engage à émanciper son Noir Jack, le marchand
John Shuter lui promet des vêtements neufs : un habit,
une veste, un pantalon, un chapeau, des souliers et des
bas ; le Noir aurait au moins cela pour faire bonne figure
parmi les personnes libres. À son Amérindienne Marie-
Antoine-de-Pade, en 1797, la veuve Antoine Janis promet
de donner en mourant, le lit et la couverture dont l’Amé¬
rindienne se sert, ainsi que son lit et sa couverture à elle,
plus « six paires de draps de lit des meilleurs qui se trou¬
veront à son décès, toutes les hardes à usage de ladite»
donatrice, «y compris des essuie-mains et serviettes, un
christ de cuivre, un miroir, un coffre vide et armoire telle
qu’elle est » : un trousseau complet avec des meubles !

L’affranchi

Le seigneur Antoinejuchereau-Duchesnay,dans son


testament de 1802, préfère ne pas affranchir ses esclaves :
«Je veux et entends que mon nègre, François Williams ne
soit pas vendu ; mais que comme une entière liberté lui
248 Deux siècles d'esclavage au Québec

serait plus désavantageuse qu’avantageuse eu égard à son


âge, je veux qu’il n’ait que celle de se choisir un maître
parmi mes cinq enfants légataires dans ce présent testa¬
ment, et que celui qu’il choisira pour maître soit tenu
d’en avoir bien soin tant en maladie qu’en santé. Je donne
aussi la même liberté à sa femme Mondina dit Olivier de
Saint-Thomas-de-Montmagny et à ses deux filles pour
le temps qu’elles sont tenues de faire chez moi ou de
m’appartenir13.» Aussi longtemps qu’il est attaché à un
maître, l’esclave jouit de la sécurité ; il la perd en devenant
libre. C’est pourquoi le seigneur Juchereau-Duchesnay
juge plus avantageux que son Noir demeure en servitude.
Excellente idée que d’affranchir les esclaves, mais encore
faut-il qu’en obtenant la liberté (toujours si douce, paraît-
il, au cœur de l’homme) ces esclaves ne deviennent pas
un problème social.
L’affranchi pouvait réussir dans sa vie nouvelle s’il
avait appris un métier. Or quand nous nous sommes
demandé si Y Amérindien et le Noir exerçaient un métier
au cours de leur esclavage, nous avons constaté que le Noir
pratique les métiers les plus divers, tandis que f Amérin¬
dien n’est que domestique ou canotier. Quand nous les
considérons dans leur vie de liberté, nous remarquons la
même supériorité du Noir sur l’Amérindien.
Ce dernier devenu libre n’exerce généralement
qu’un seul et même métier, celui de canotier. Métier qu’il
connaît naturellement : l’affranchi s’engage donc surtout
pour les pays d’en haut. Voici à titre d’exemples, des cas
que les documents nous révèlent :

Bourdon, Joseph, Panis :


Le 2 avril 1719, engagé pour aller dans les pays d’en haut
moyennant un salaire de 120 livres de castor ; le 29 avril
1726, engagé pour les pays d’en haut à un salaire de
160 livres (argent de France) ; le 11 juin 1728, engagé pour
le voyage de Michillimackinac au salaire de 171 livres
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ? 249

payables en castors et peaux de chevreuil ; le 20 avril,


engagé pour les pays d’en haut au salaire de 160 livres
payables en pelleteries; le 2 juillet 1732, engagé pour le
voyage aller et retour des Illinois au salaire de 200 livres
payables en pelleteries, plus la chasse qu’il pourra
descendre sans frais dans les canots; le 18 mai 1735,
engagé pour le voyage de Michillimackinac au salaire de
150 livres en pelleteries.

Jean, Panis :
Le 13 mai 1718, engagé pour le voyage de Michillimackinac
(cet engagement a dû ensuite être annulé) ; le 16 août
1718, engagé pour aller à Détroit au salaire de 75 livres de
castors (le retour n’est pas payé).

Jean-Baptiste, Panis :
Le 25 septembre 1710, engagé au commandant du fort
de Détroit pour 150 livres ; le 21 août 1712, engagé pour
aller au Détroit au salaire de 200 livres ; le 24 mai 1726,
engagé pour les pays d’en haut et pour les Illinois au
salaire de 210 livres payables en pelleteries ; le 21 août 1727,
engagé pour les pays d’en haut au salaire de 250 livres ; le
25 mai 1732, engagé pour le voyage de Michillimackinac
au salaire de 120 livres en pelleteries, outre une peau de
chevreuil (cet engagement a dû ensuite être annulé) ; le
12 juillet 1732, engagé pour aller au Détroit au salaire de
60 livres (le retour n’est pas payé).

Nous trouvons 18 Amérindiens affranchis qui


deviennent voyageurs : vers les postes des pays d’en haut,
ils conduisent des canots chargés de marchandises de
traite et les ramènent chargés de fourrures. Nous consi¬
dérons ces 18 Amérindiens comme affranchis soit parce
que leur liberté est indiquée dans le contrat d’engagement,
soit parce qu’ils gardent leur salaire pour eux-mêmes.
Nous en connaissons deux autres qui prennent du service
250 Deux siècles d’esclavage au Québec

au pays même : le Panis Pierre, quand il meurt en 1703,


est présenté comme «engagé» à la ferme Saint-Joseph
qui appartient à l’Hôtel-Dieu de Montréal; le Panis
Joseph Riberville est, en 1708 et jusqu’à sa mort en 1720, à
l’emploi du capitaine Guillaume de Lorimier, à Lachine.
La Chicachase Marie-Louise a été servante à Québec
chez Porlier-Bénac avant de se marier à Détroit en 1774,
et lorsqu’on l’inhume à Québec en 1810 à l’âge d’environ
70 ans, elle est encore qualifiée de servante. Nous n’avons
rencontré que deux Panis qui se soient faits soldats : le
Panis Jacques qui séjourne à l’Hôtel-Dieu de Québec en
avril 1712, et le Panis Charles qui fomente une sédition au
fort Niagara en 1730. Saluons une Panise, Marguerite, qui
paraît être dans le commerce, puisqu’elle fournit des effets
et prête de l’argent à un nommé Jolibois : elle le poursuit
en Cour pour une somme de 53 livres et la Chambre des
milices de Montréal, en 1761, oblige Jolibois à rembourser
son dû au rythme de 12 livres par mois.
Chez les Noirs affranchis,beaucoup moins nombreux
pourtant que les Amérindiens, le tableau est beau¬
coup plus varié. Quelques-uns sont soldats : Benjamin
Butcher en 1775 (mais il s’agit ici d’un soldat de l’armée
américaine d’occupation). Joseph Hunter fait partie de
l’armée française en 1756, Jacques Paul du régiment du
brigadier Janson en 1783, John Williams des Voltigeurs
canadiens avant 1816. D’autres travaillent à bord des
bateaux : Cœsar Brown, Peter Carter, John Dickson,
John Griffiths, Nicholas Jones, le mulâtre Joseph, John
Linds, Joseph Mclntyre, Edouard Parkinson, Richard
Thompson; John Ross est commis sur le brick Gace of
Berbuce alors à Québec; Margaret Sinclair fait la cuisine
à bord du Québec en 1803. Robert Boston, Cato Giles,
Jacques Robertson et Henry Thompson sont fermiers.
William Lee exerce en 1816 un métier à la mode : flotteur
de bois. James Black est tapissier en 1787, mais en 1817 on
le qualifie d’ébéniste. James Payne est menuisier en 1802;
L’esclave a-t-il des droits d'homme libre ? 251

George Crâne est sellier en 1810 ; le mulâtre Eber Welden


apprenti cordonnier en 1792; John Curtain est peintre
en 1818 et nous le retrouvons débardeur en 1825. Nicolas
Jackson est dans la coiffure en 1820. François-Dominique
dit Mentor, ancien esclave de Nafrechoux, est qualifié
d’orfèvre en 1773. Jean-Barthélémy fabrique des tonneaux
en 1795. Un Noir, Jacques-César, fait fonction de bedeau
à Saint-Philippe-de-Laprairie vers 1784. La musique a
retenu James Richard : il égaie le Royal Newfoundland
of Fencible Infantry en 1809. Un Noir a un métier fort
peu admiré : George est bourreau à Québec en 1805 et
c’est probablement ce pauvre homme que la populace de
1806 maltraite un jour de marché.
Des Noirs libres se sont engagés pour un temps plus
ou moins long : Louis Marié, qui demeurait en 1692 chez
le marchand Louis Lecompte-Dupré, s’alloue volon¬
tairement en 1696, par-devant notaire, à Jean Cailhaut
dit Baron, de Laprairie, pour travailler à la culture de la
terre; le contrat est de 3 ans et le Noir recevra chaque
année 360 livres en salaire. La Noire Charety s’engage
pour 10 ans comme servante chez John Mclntyre, auber¬
giste de Soulanges : elle aura nourriture et entretien, plus
5 chelins par an ; le salaire n’est pas élevé, mais le gîte est
assuré pour 10 ans. Quand le Noir Charles meurt en 1807,
Joseph Lafricain s’engage pour 2 ans à titre de menuisier
au salaire de 1200 livres (ancien cours) ; pour se rendre à
Michillimackinac où il doit travailler, il sera « milieu de
canot» : le voyage sera donc de tout repos.
D’autres Noirs libres (nous en comptons 41) sont
simplement qualifiés de journaliers, sans qu’on sache la
nature précise de leur occupation; ils travaillent au jour
le jour, selon les besoins de main-d’œuvre.
Pour comparer d’une façon valable la manière dont
les Amérindiens et les Noirs assurent leur existence en
liberté, il faudrait une liste beaucoup plus longue des
252 Deux siècles d'esclavage au Québec

esclaves affranchis : notre documentation ne nous la


fournit pas.
Tout de même, sur les 102 affranchis dont nous
connaissons les moyens de subsistance, 78 sont des Noirs
et 24 seulement sont des Amérindiens. Pourtant, la popu¬
lation des esclaves amérindiens était le double de celle
des Noirs : peut-être a-t-on affranchi moins d’Amérin-
diens que de Noirs? Peut-être les Amérindiens ont-ils
déserté en plus grand nombre que les Noirs? Peut-être
encore la différence vient-elle de ce que plus de Noirs
atteignent l’âge adulte? On peut proposer une explica¬
tion-clé qui vaut presque toujours lorsqu’on parle des
Amérindiens : les Noirs aspirent à vivre comme les Blancs,
les Amérindiens ne paraissent pas s’en soucier.
Le fait est que certains affranchis posèrent un
problème à la société, mais les lacunes de la documen¬
tation nous empêche de le mesurer. Nous n’apercevons
ce problème que par bribes : la Panise Marie que l’on
inhume à 22 ans, en 1732, errait sans demeure fixe; le
Panis Jacques se promène d’un bout à l’autre du pays
et finit par se faire arrêter en 1734 sur une accusation de
viol; le Panis Nicolas vole des haches, puis un canot et
massacre en 1710 ceux qu’il devait conduire en Nouvelle-
Angleterre; en 1800, une vieille Noire est qualifiée de
mendiante : pauvre, mais libre ; à moins qu’on écrive :
libre, mais pauvre...
Si la société qui a tenu en esclavage des êtres
humains ne paraît guère s’intéresser à leur sort quand
elle leur rend la liberté, elle s’est au moins préoccupée
de sa propre sécurité; en effet, quand les propriétaires
de Montréal demandent à la Chambre d’assemblée en
1800 de régler la condition des esclaves, ils déclarent :
nous sommes «tous très convaincus que cette classe
d’homme, actuellement lâchée sur le public, et qui mène
une vie oisive et abandonnée pourrait être tentée de
commettre des crimes, qu’il est du devoir de tout bon
L’esclave a-t-il des droits d'homme libre ? 253

citoyen de s’efforcer de prévenir14». La société profita de


l’esclavage, mais à la fin il pouvait constituer une menace
pour la société.

► NOTES

1 Journal de la Chambre d’Assemblée, 1799,123-129.


2 Dossier 1230 de la Collection de piècesjudiciaires et notariales, conservée
aux Archives judiciaires de Québec.
3 Article 47 de la capitulation de 1760, dans Documents constitutionnels,
I7S9_I79I> I> i9-
4 Ordonnance du gouverneur Gage, 13 mai 1761, dans RAC, 1918, app. B,
45s.
5 Ordonnance du gouverneur Burton et lettre aux capitaines de milice,
31 mai 1761, ibid., 103s.
6 APQ, Chambre des Milices de Montréal, 1760-1764,77.
7 Articles 31 et 32 de ledit de 1685 et articles 25,26 et 33 de ledit de 1724,
dans le Code noir ou Recueil des Règlements (éd. 1767), 44s., 298s., 301.
8 Vente du 27 octobre 1768 (avec la requête de 1785), dans le greffe de
Jean-Claude Panet. Dans la requête, le Noir est appelé Joseph Bomi-
nique et Joseph Dominique.
9 Edits, ordonnances royaux, II, 371.
10 Greffe J. G. Beek.
11 Greffe J. A. Gray.
12 Pièces reproduites dans RAPQ, 1921-1922,122s.
13 Greffe Racicot.
14 Testament cité dans Audet et Fabre-Surveyer, Les Députés au premier
Parlement du Bas-Canada, 168.
*
CHAPITRE X

De la débauche et du mariage

’esclave amérindien ou noir est contraint de vivre


J_/dans une société dont les normes ne sont pas néces¬
sairement les siennes. Nous avons vu qu’il s’adapte assez
bien à ces normes pour qu’on n’ait pu trouver qu’une
mince proportion d’individus coupables de crimes. Se
conformer aux exigences de la justice criminelle est en
quelque sorte une contrainte plus ou moins forte selon
la rigueur de cette justice. Autre chose toutefois que le
comportement moral ou immoral de l’esclave : il n’est
pas toujours conditionné par la justice criminelle. Il reste
donc à tenter d’apprécier ce comportement de l’esclave.

À propos de « liaisons de débauche »

L’introduction d’Amérindiennes dans la société


québécoise posa constamment le problème délicat de
leurs relations avec leurs maîtres et leurs compatriotes.
C’est un fait maintes fois vérifié dans notre histoire colo¬
niale que le Canadien a éprouvé une grande passion pour
les « sauvagesses », alors que l’Amérindien n’était pas
attiré par les Canadiennes. Le jésuite Charlevoix résume
très bien ce problème lorsque, parlant des Amérindiens, il
écrit : «Il est sans exemple qu’aucun d’eux ait jamais pris
256 Deux siècles d’esclavage au Québec

la moindre liberté avec les Françaises,lors même quelles


ont été leurs prisonnières. Ils n’en sont pas même tentés,
et il serait à souhaiter que les Français eussent le même
dégoût des Sauvagesses1.» La pratique de l’esclavage ne
pouvait que favoriser ce penchant naturel du Canadien ;
ce dernier trouvait chez lui ou autour de lui des femmes
dont l’achat avait été conditionné par la recherche des
meilleurs avantages.
Il va se commettre bien des folies. En 1726, à Sainte-
Anne-de-la-Pérade, Pierre Chauvet dit Lagerne, âgé de
40 ans et veuf de Marie-Madeleine Gaudin, procède à
l’enlèvement d’une Amérindienne dont il s’est épris : il
s’amène la nuit chez le seigneur Tarieu de Lanaudière de
Lapérade, et il en repart avec la Renarde ou Panise Marie-
Madeleine, âgée d’environ 29 ans ; le 17 juillet, l’inten¬
dant Dupuy publie une ordonnance pour enjoindre aux
officiers de milice de retirer cette esclave « des mains du
nommé Lagerne», mais les choses se sont arrangées à
la satisfaction des amoureux : le 7 novembre suivant, ils
s’épousent à Beauport après une dispense des trois bans.
Après avoir eu du voyageur Champagne un enfant naturel
en 1753, la Siouse Marie-Marguerite-Caroline, qui est
esclave de Claude Landry dit Saint-André, devient la
maîtresse de Firmin Landry dit Chariot, et elle lui donne
cinq enfants naturels ; à l’été de 1771, elle est de nouveau
enceinte; pour faire cesser le scandale, le propriétaire
convient de vendre l’esclave à Landry dit Chariot à la
condition expresse qu’il la prenne pour épouse : ce qu’il
fait sagement le 17 juillet 1771.
Les Noires pouvaient aussi séduire les Canadiens.
Lorsque Claude Thibault en 1734 s’enfuit de Montréal
avec la Noire Angélique, il s’imagine qu’il va enfin filer
le parfait amour, mais l’incendie que la Noire allume
chez la veuve Francheville pour détourner l’attention se
communique aux autres maisons de la ville, et Thibault se
trouve ainsi compromis dans un crime spectaculaire ; on
De la débauche et du mariage 257

convient de laisser tomber contre lui toute poursuite, sous


prétexte que les soupçons « ne roulaient que sur sa fuite et
sur quelque liaison de débauche avec cette Négresse».
Un article de la Gazette de Québec, œuvre d’un
Montréalais, nous décrit assez malicieusement les rela¬
tions bicolores qui se nouent dans la société de Montréal :
« Il subsiste entre les deux sexes la plus grande harmonie
et la meilleure intelligence. Les Noires et les Blancs en se
mêlant ensemble dans des assemblées nocturnes forment
une compagnie générale, où nos jeunes gens se défont
de la restreinte gênante de la cérémonie, et se délassent
des travaux du jour par des plaisirs innocents. Un jeune
lieutenant salua l’autre jour (suivant les règles de la poli¬
tesse) la Noire avec laquelle il avait dansé : «Comment
vous trouvez-vous E... ce matin de la fatigue de la nuit
dernière?2» À Québec, on peut aussi dans la même
compagnie se délasser «des travaux du jour par des plai¬
sirs » dont l’innocence n’est pas moins douteuse : dans le
rapport de sa visite paroissiale de 1798, le curé de Québec
a marqué d’un astérisque infamant la maison du Noir
Joseph Beaumenil à l’Anse-des-Mères, cette maison loge
des « meretrices » [latin signifiant prostituées]3.
Notre but n’est pas de nous amuser à la chronique
scandaleuse de l’esclavage ; ce qui nous intéresse, c’est le
problème des relations des esclaves avec les maîtres ou
celui des relations des esclaves entre eux. Il serait vain de
tenter en ce domaine une sorte de rapport Kinsey, notre
documentation étant bien fragmentaire ; nous ne dispo¬
sons que d’un indice important : la naissance des enfants
naturels.

Une majorité d’enfants illégitimes

Sur 1205 femmes esclaves de 14 ans et plus, nous en


comptons 213 qui donnent naissance à un ou plusieurs
258 Deux siècles d’esclavage au Québec

enfants illégitimes, c’est-à-dire une proportion de 17,7 %.


Chez 921 mères amérindiennes, 158 sont mères illégitimes,
une proportion de 17,2 %. Chez les Noires, la proportion
est plus élevée : 19,4 %, soit 55 mères sur 284.
Il y a des esclaves qui arrivent au pays déjà enceintes
de quelques mois. Comme le voyage est très long des
pays d’en haut et davantage des régions du Mississippi,
ces esclaves ont bien des occasions et amplement le
temps de se débaucher avec les Français qui les amènent.
C’est le cas d’une Panise que Michel Bisaillon ramène
des Missouris en 1717 : le 19 septembre, à Laprairie, elle
donne naissance à une fille de père incertain et le prêtre
qui baptise l’enfant précise que la mère a été amenée
récemment de son pays. L’Amérindienne de l’officier
Clément Laplante-Lérigé accouche le 22 octobre 1741, à
Laprairie, d’un fils dont le père est inconnu : le registre
d’état civil nous apprend qu’elle est descendue des pays
d’en haut au cours de la même année. La maison où vit
l’esclave n’a rien à voir avec des relations défendues par
la morale : une Panise esclave de la mission des Jésuites
en face de Détroit fait preuve de fécondité même si elle
n’est pas mariée : en juin 1764, elle donne naissance à
une fille. Par ailleurs, si la maîtresse même de l’esclave
donne le mauvais exemple, il n’est pas surprenant que
l’esclave l’imite : le 9 avril 1752, au poste Saint-Joseph (au
fond du lac Michigan), Marie Réaume, veuve d’Augustin
Larchevêque, fait suppléer les cérémonies du baptême
à un fils illégitime qu’elle a eu de Louis Chevalier; le
lendemain, c’est la Panise Marie-Jeanne, esclave de cette
veuve Larchevêque, qui présente à son tour au baptême
un enfant illégitime. La maîtresse a son fils illégitime, et
l’esclave le sien : tout le monde est content.
Certaines esclaves ne s’arrêtent pas à un seul enfant
illégitime, elles en ont deux, trois, quatre ou plus, simple
affaire d’habitude. Nous comptons neuf esclaves à qui
on connaît quatre enfants illégitimes. A d’autres, on en
De la débauche et du mariage 259

trouve cinq : Barbe, Panise de Lamothe, à Détroit, de


1752 à 1759, Marguerite, Panise de Courtois, à Détroit,
de 1761 à 1773 et Marie, Panise de Pelletier, à Détroit, de
1788 à 1794. Deux se rendent gaillardemment jusqu’à six :
Charlotte, Panise de Labutte, à Détroit, de 1754 à 1769 et
Marie-Marguerite-Caroline, Siouse de Landry dit Saint-
André, à Détroit, de 1753 à 1769.
Chez les mères illégitimes, notons quelques cas de
naissance jumelée. La Noire Angélique, esclave de Poulin
de Francheville, accouche en mai 1732 de deux jumeaux,
enfants illégitimes de Jacques-César, esclave d’Ignace
Gamelin, mais les jumeaux meurent au cours de l’année.
Dorothée, Panise de George Maldrum et célibataire, a
deux jumelles le 2 janvier 1790 : Suzanne et Dorothée.
La Panise Madeleine, esclave de Jean-Baptiste Meloche,
donne naissance le 30 mars 1795 à des jumeaux : Charles
et Charlotte. Sur un total de 341 enfants illégitimes, nous
ne trouvons donc que 6 jumeaux.
Les enfants illégitimes ne se rencontrent pas, comme
on pourrait s’y attendre, dans les endroits où il y a le plus
d’esclaves ; à Montréal, on ne trouve que 33 enfants illé¬
gitimes sur 1525 esclaves; Québec, le deuxième centre en
importance avec 970 esclaves, n’a que 18 enfants illégi¬
times. Ce sont dans les régions pauvrement organisées
au point de vue social et situées dans les pays « sauvages »
que les bâtards d’esclaves abondent : la petite ville de
Détroit compte 177 bâtards sur une population esclave
de 650 ; Michillimackinac en compte 35 sur une popula¬
tion de 160. Détroit et Michillimackinac sont d’ailleurs
très fertiles en bâtards, qu’il s’agisse des esclaves ou des
personnes libres ; les mœurs se ressentent profondément
de la grande sauvagerie qui sépare ces deux centres et le
Canada laurentien.
Sur 573 enfants nés d’esclaves, 341 sont nés hors les
liens du mariage, soit une proportion très élevée de 59,5 %.
Ce sont les Amérindiens esclaves qui, toute proportion
2ÔO Deux siècles d’esclavage au Québec

gardée, en ont le plus : sur 336 enfants d’Amérindiens


esclaves, 255, soit 75,9 %, sont des bâtards. Quant aux
Noirs, 86 de leurs 237 enfants sont illégitimes, un pour¬
centage de 32,1 %. La différence entre les deux groupes
est extrêmement marquée : le tiers des enfants noirs sont
bâtards, alors que chez les Amérindiens, ce sont les trois
quarts. Simple hasard de l’histoire, ou ne serait-ce pas
plutôt à cause de ce goût des Canadiens pour les « sauva-
gesses » ?

Des Québécois pour pères?

Quand une esclave accouche d’un enfant illégitime,


qui est le père ? Bien fin qui pourrait le dire, parce que
les registres d’état civil sont d’ordinaire d’une discrétion
sacrée. Des 341 bâtards, 314 sont inscrits dans les registres
comme fils d’un père inconnu ou incertain (ce qui revient
au même). Mais ce père inconnu, est-ce un Canadien, un
Amérindien ou un Noir? Le prêtre qui baptise ne s’arrête
pas à décrire l’enfant : il écrit né d’un père inconnu et son
rôle est terminé. Comme la population esclave ne cons¬
titue qu’une infime minorité de la société en général, il y
a de fortes chances que la plupart de ces pères inconnus
soient des Canadiens : si l’Amérindienne ou la Noire
vivent sous le même toit que d’autres domestiques, il
n’est pas étonnant que la promiscuité produise des nais¬
sances illégitimes ; le voisin ou le maître lui-même trouve
amusant d’augmenter son cheptel à peu de frais... Mais
ce père inconnu demeure à tout jamais le père inconnu.
Il y a tout de même 27 bâtards d’esclaves dont le
père est nommément désigné dans les registres d’état
civil. Nous pouvons ainsi identifier quatre propriétaires
qui cédèrent aux charmes de leurs esclaves :
De la débauche et du mariage 261

Mouet de Langlade, Charles. Avant 1754, il a de son


esclave amérindienne anonyme, un fils nommé Charles
(à Michillimackinac).

Villeneuve, Constant. Le 30 avril 1759 à Michillimac¬


kinac, son esclave, la Panise Charlotte, accouche d une
Panise nommée Charlotte : l’esclave désigne comme
père son propriétaire.

Sanscrainte, Jean-Baptiste. Le 7 octobre 1760, à Mi¬


chillimackinac, son esclave, Amérindienne anonyme, ac¬
couche d’un fils nommé Jacques.

Bourassa, Daniel. Le 7 avril 1794, à Michillimackinac, on


baptise le Panis Régis, fils de Daniel Bourassa et d’une
Panise qui lui appartient ; cette Panise avait eu une fille
en 1792, née de père inconnu ; et elle aura une autre fille
en 1797.

Les 16 autres pères d’enfants illégitimes que nous


connaissons ne sont pas les propriétaires de l’esclave
enceinte.
Groupons dans l’ordre alphabétique tous ces pères
naturels dont nous avons les noms :
Bourassa, Daniel Michillimackinac
Champagne, voyageur Détroit
Chevalier-Lullier, Charles Michillimackinac
Dion,voyageur Michillimackinac
Duchesne Québec
Fleur d’Epée, Louis Michillimackinac
Jasmin, voyageur Michillimackinac
Lamothe, voyageur Michillimackinac
Landry dit Chariot, Firmin Détroit
Larché, François Montréal
Lespérance, Jean-Marie Michillimackinac
Le Verrier, fils Québec
2Ô2 Deux siècles d’esclavage au Québec

Lorrain, Joseph Montréal

Magnan, Jean Montréal

Mouet de Langlade, Charles Michillimackinac

Sanscrainte, Jean-Baptiste Michillimackinac

Villeneuve, Constant Michillimackinac

Villeneuve, Daniel Michillimackinac

«Yonce», officier anglais Boucherville

Les mères sont toutes des Amérindiennes : ce qui


nous permet, une fois de plus, de constater la préférence
des Canadiens pour les « sauvagesses », plutôt que pour
les Noires... Chez les Noirs, l’inverse se produit : ce sont
les Canadiennes qui deviennent objet d’attraction; mais
lorsqu’une d’entre elles devient mère, le père noir l’épouse,
du moins si l’on en peut juger par de rares exemples :
en novembre 1749, la Canadienne Marie Talon épouse
le Noir Pierre-Dominique Lafleur, esclave de la veuve
Jacquin dit Philibert, et elle accouche en avril suivant; la
Canadienne Marie-Elisabeth Mondina met au monde
une fille en septembre 1783 : le mois précédent, elle avait
épousé le Noir François Williams, esclave d’Antoine
Juchereau-Duchesnay.

Le bâtard est esclave comme sa mère

Lorsqu’une esclave met au monde un enfant né de


père inconnu ou né d’un père nommément désigné mais
de condition libre, que devient l’enfant? Le Code noir
des Antilles répond que l’enfant naturel d’une esclave est
esclave comme sa mère, quelle que soit la condition du
père. Bien que le Code noir n’ait pas été mis en vigueur
au Canada, ce principe a été invoqué lors du procès de la
Panise Marie-Marguerite en 1740. Le propriétaire de cette
Panise écrit dans une pièce : « Un enfant qui sort d’une
mère esclave et qui a un père français est reconnu esclave,
De la débauche et du mariage 263

telle est la loi qu’on suit en Amérique : la même loi doit


subsister en ce pays4.» Selon la formule en vigueur : le
père est toujours incertain, il n’y a que la mère qui soit
certaine ; c’est pourquoi,fructus sequitur ventrem : l’enfant
subit la condition de la mère.
C’est le principe qu’on a appliqué au Canada dans
quatre cas au moins. Vers 1739, Jean-Marie Lespérance
a, de la Sauteuse Rose, esclave de Claude Marin de
Laperrière, une fille nommée Marie-Joseph ; or lorsque
l’enfant est inhumée à Montréal en 1749, nous consta¬
tons qu’elle est en esclavage, ayant alors pour maître un
nommé Lécuyer. L’esclave de Chevalier accouche en
juillet 1746 d’une fille dont le père est Louis Fleur d’Épée :
à son baptême, elle est simplement présentée comme la
propriété de Chevalier. Une Sauteuse est devenue mère
vers 1760 par les œuvres d’un Français anonyme : l’en¬
fant est vendu à Antoine Cuillerier à qui il appartient
encore en 1764. La Siouse Marie-Marguerite-Caroline,
esclave de Claude Landry dit Saint-André, accouche en
1766 d’une fille, Suzanne, dont le père est Firmin Landry
dit Chariot : lorsque celui-ci achète la Siouse et la prend
pour épouse, la fille Suzanne demeure esclave de Claude
Landry dit Saint-André jusqu’à ce que les parents soient
en état de la racheter. Même si le père est de condition
libre, nous constatons donc que l’enfant d’une esclave
naît dans un état de servitude.
À plus forte raison si le père est inconnu. Le proprié¬
taire de la mère voit son cheptel augmenter et il demeure
libre de disposer des enfants illégitimes. Le 16 août 1752,
à Détroit, lors du baptême d’un Panis illégitime, fils
de l’esclave Barbe, Guillaume Dagneau-Douville de
Lamothe s’engage à ne vendre l’enfant qu’à des catho¬
liques. Quand la Panise Marie-Anne, esclave de Joseph
Cabassié met au monde en avril 1759 une fille illégitime,
Françoise, Cabassié donne l’enfant à Jean-Baptiste Petit
dit Milhomme qui la gardera comme son bien propre.
264 Deux siècles d’esclavage au Québec

En janvier 1763, une Panise esclave qu’on garde en prison,


accouche d’une fille : le commandant de Détroit donne
immédiatement l’enfant, à titre d’esclave, au bourgeois
Pierre Barthe. En mai 1772, la Panise Marguerite, esclave
de Charles-Martin Courtois, donne naissance à une fille
illégitime : l’enfant est immédiatement donnée à François
Lebeau ; l’année suivante, la même esclave accouche d’un
autre bâtard : on le donne sur-le-champ à Berthiaume
«en pur don pour lui servir en qualité d’esclave». En
novembre 1772, l’esclave de Jean-Baptiste Chapoton
accouche d’une bâtarde : Chapoton donne tout de suite
l’enfant à une dame Pelletier et celle-ci en devient la
propriétaire, comme on peut le constater lorsque l’enfant
est inhumé quelques jours plus tard. En décembre 1774,
la Panise d’Alexis Trottier-Desruisseaux donne naissance
à un enfant illégitime : le maître en fait don à Alexis
Maisonville qui le garde à titre d’esclave. La condition
du père n’intervient donc jamais, l’enfant illégitime d’une
esclave est esclave comme sa mère; et l’on trouvait l’oc¬
casion de se faire des amis à bon marché en donnant de
temps à autre ce que l’esclave mettait au monde.
L’enfant illégitime de l’esclave appartient si bien au
propriétaire de la mère que bien des fois on ne prend pas la
peine de faire mention de la mère lorsqu’on inscrit l’enfant
dans les registres d’état civil. Le Panis Bonaventure naît
en 1751 d’une Panise qui appartient à Charles Chauvin :
lorsqu’on inhume l’enfant en mai 1753, on l’inscrit comme
appartenant à Chauvin, sans aucunement faire mention
de la mère. En octobre 1757, on inhume le Panis Nicolas
qui est né le mois précédent d’une Panise de Simon
Gendron dit Potvin; on oublie que l’enfant a une mère
et l’on écrit seulement dans le registre : Nicolas, esclave
de Gendron dit Potvin. On ne dit pas un mot de la mère
en janvier 1759 à l’inhumation du Panis Pierre, né d’une
esclave de Pierre Chesne-Labutte; ni en mai 1766 à l’in¬
humation de la Panise Marie-Joseph, fille d’une esclave
De la débauche et du mariage 265

de Gabriel-Christophe Legrand ; ni en août 1759 à l’in¬


humation du Panis François-Prisque, fils d’une esclave de
Labutte; ni en mai 1778, au baptême de la Panise Marie-
Louise, fille d’une esclave de Lagotherie. Et nous pour¬
rions citer encore d’autres exemples jusqu’en 1796. C’est
un usage fréquent, aussi bien sous le Régime français
que sous le Régime anglais, de laisser de côté la mère
de l’enfant illégitime pour ne faire état que du proprié¬
taire : la possession est plus importante que la filiation.
L’esclavage au Canada français ne porte pas que des
marques d’humanité...

Le mariage des esclaves

Les mariages entre esclaves ne sont pas nombreux :


nous en comptons seulement 73. En tout cas, les esclaves
pouvaient se marier. Selon le Code noir des Antilles, les
esclaves n’avaient pas besoin du consentement de leurs
parents, mais celui du maître se révélait essentiel et il
était strictement défendu aux curés de bénir un mariage
d’esclaves si ce mariage n’était pas d’abord approuvé par
les maîtres ; en même temps, le Code noir défendait aux
maîtres «d’user d’aucunes contraintes sur leurs esclaves
pour les marier contre leur gré»; et ces dispositions se
retrouvent telles quelles dans le Code noir de la Louisiane.
Sans y être tenus d’aucune façon, les Canadiens ont géné¬
ralement mis en pratique ces dispositions.
Quand Jean-François et Jeanne, esclaves du colonel
Campbell s’épousent à Montréal le 20 janvier 1785, le
ministre note que le mariage s’est fait à la demande du
propriétaire : l’union devenait d’ailleurs urgente puisque
la future épouse se trouvait enceinte. De même, quand
l’esclave noir York prend pour épouse à Montréal la
Noire Margaret McLeod, le 22 janvier 1786, chacun des
conjoints obtint la permission de son propriétaire, car ils
étaient esclaves de deux maîtres différents.
266 Deux siècles d’esclavage au Québec

Le maître n’accorde pas toujours volontiers et tout


de suite la permission du mariage quand son esclave veut
épouser l’esclave d’un autre maître, car en ce cas l’un des
deux maîtres va forcément perdre le sien. C’est ce qui se
produit pour le Noir Jacques-César et la Noire Marie-
Élisabeth : le premier appartient au marchand Ignace
Gamelin, l’autre à la baronne douairière de Longueuil.
Pour sa part, Gamelin n’hésite pas à donner son consen¬
tement : en considération des services que Jacques-César,
âgé d’environ 52 ans, lui a rendus depuis plus de 30 ans, il
lui permet, le 21 janvier 1761, de se marier; il lui donne, en
même temps, la liberté, précisant toutefois que ce n’est
pas «à d’autres conditions ni pour un autre mariage».
Mais, malheureusement pour ce pauvre Jacques-César, la
baronne de Longueuil ne parvient pas à se décider. Parce
que ce Jacques-César avait déjà eu trois enfants illégi¬
times de cette affreuse noire Angélique qui avait mis le
feu à la ville de Montréal en 1734 ? Ou parce qu’elle ne
voulait pas perdre son esclave de 39 ans ? Les mois passent,
une année s’écoule, et une deuxième. Enfin, le 26 janvier
1763, la baronne donne son consentement et affranchit
son esclave ; elle exige, cependant, que les époux restent
à son service à titre de domestiques pendant trois ans.
Cela conclu, le mariage a enfin lieu le 5 février 1763 à
Longueuil ; quand il rédige l’acte, le curé prend soin de
noter qu’il a vu la permission donnée par Gamelin en
1761 et celle de la baronne en 1763, et il annexe aux regis¬
tres d’état civil l’une et l’autre permissions.
Le marchand Dominique Gaudet connut à peu
près le même problème, lorsque son esclave noire, Marie-
Catherine Baraca, âgée de 15 ans, devint en 1761 la
dulcinée du Noir Louis-Antoine. Ce dernier était libre
depuis son enfance, mais le marchand Gaudet ne tenait
pas du tout à perdre sa Noire. Qu’à cela ne tienne, se dit
l’amoureux de 20 ans : le 24 mars 1761, par-devant notaire,
il accepte de redevenir esclave et se vend à Gaudet.
De la débauche et du mariage 267

Les propriétaires, en y mettant parfois leurs condi¬


tions, autorisent donc leurs esclaves à se marier. L’État
aussi adopte la même conduite à l’égard d’esclaves qui lui
appartiennent. Il y a, par exemple, à Québec un Noir d’en¬
viron 25 ans, Mathieu Léveillé, qui fait fonction de bour¬
reau : il appartient au roi. Or les joies du métier ne suffi¬
saient pas à combler sa solitude. L’intendant Hocquart
se chargea donc de lui faire venir une esclave noire aux
frais de l’Etat. Malheureusement, à cette époque il ne
va en France qu’un courrier par année : écrire en métro¬
pole, obtenir la permission nécessaire, mettre en branle
les autorités, passer la commande aux Antilles et enfin
expédier la marchandise à Québec, autant d’opérations
qui prennent beaucoup de temps; l’esclave noire n’ar¬
riva qu’en 1742. Entre temps, le Noir tomba gravement
malade : il séjourne longtemps à l’Hôtel-Dieu de Québec
et finalement il y meurt le 9 septembre 1743, toujours
titulaire des «hautes œuvres de ce pays», et toujours céli¬
bataire. Voilà la Noire Angélique-Denise bien avancée :
on la fait venir des Antilles pour la marier, on la laisse
languir à Québec en attendant que le bourreau retrouve
la santé, et maintenant le Noir fiancé est mort. Que reste-
t-il à faire de cette esclave noire ? Puisqu’elle ne peut jouir
du sacrement du mariage, on lui donne au moins celui
du baptême, le 23 décembre 1743, et on attend les ordres
du roi. Le 30 mars 1744, le ministre écrit à l’intendant :
«Dès que vous avez trouvé un Blanc pour remplacer le
Nègre maître des hautes œuvres qui est mort, il sera bon
que vous tâchiez de vendre la négresse qui vous avait
été envoyée pour ce Nègre au même prix qu’elle a coûté
si cela est possible5.» Et la promise malchanceuse dut
repartir vers un nouveau destin.
268 Deux siècles d'esclavage au Québec

Au mariage, mêmes exigences

Le mariage étant un sacrement de l’Église, il est


évident que le rite est le même pour les esclaves que pour
les personnes libres. Sur deux points en particulier, les
bans (ou annonces) et les témoins, nous constatons que
le règlement est le même pour tous. Le mariage doit être
annoncé par trois bans du haut de la chaire, mais on peut,
moyennant certains droits, obtenir dispense d’un, de deux
ou même des trois bans. C’est une pratique courante
dans la société canadienne et ailleurs de se munir d’une
dispense de deux bans : seuls les pauvres sont parfois
contraints, faute d’argent, d’entendre annoncer leur
mariage trois dimanches de suite. Nous n’avons trouvé
aucun mariage d’esclaves que le curé eût été obligé d’an¬
noncer par trois fois : le propriétaire ne voulait sans doute
pas avoir l’air de faire les choses petitement.
La plupart du temps, il y a dispense de deux bans,
selon l’usage général de la société. Dispensés de deux
bans les Noirs Joseph et Marie-Louise, qui appartien¬
nent l’un à Lagorgendière et l’autre à Contrecœur, et
dont le mariage a lieu à Montréal le 12 janvier 1750;
les Noirs Jacques et Marie, esclaves de Lacorne Saint-
Luc, qui s’épousent le 24 mai 1757 à Montréal; le Noir
François Williams, esclave de Juchereau-Duchesnay, qui
se marie à une Canadienne à Québec le 5 août 1783. Il
faut ajouter ici qu’on s’attendrait à une dispense totale
des bans parce que, dans chacun des trois cas mentionnés,
la future mariée est enceinte : pour sa part, la Canadienne
qui épouse le Noir de Juchereau-Duchesnay affiche une
grossesse qui n’est qu’à trois mois de son terme.
Il y a, pour certains esclaves, dispense des trois
bans : Charles et Charlotte-Élisabeth, esclaves noirs du
baron Lemoyne de Longueuil, s’épousent à Montréal le
29 août 1719 après une dispense des trois bans; Joseph dit
Neptune, Noir du gouverneur général Vaudreuil, épouse
De la débauche et du mariage 269

après mêmes dispenses la Noire Marie-Françoise, à


Montréal le 27 février 1759. Nous en trouvons une, cepen¬
dant, lorsque les Noirs de Dominique Gaudet, Pierre
Baraca et Marie-Anne, sont mariés à Lachine le n juillet
x746 : quatre mois plus tôt, la mère avait fait baptiser
une fille que les parents vont d’ailleurs «porter sous le
voile » après la cérémonie du mariage ; de plus, la nouvelle
mariée est encore enceinte. Pour cette fois, il ne fallait
faire aucune publicité.
Puisque les mariés, esclaves ou libres, doivent être
accompagnés de témoins, à qui recourt-on dans le cas
des esclaves ? Nous avons déjà vu qu’au baptême et à l’in¬
humation plusieurs propriétaires se font un devoir de
prendre part à la cérémonie : ils se font parfois un même
devoir d’assister au mariage auprès de leurs esclaves.
Quand Jacques-César épouse la Noire Marie-Élisabeth
en février 1763, le Noir a pour témoins son maître Ignace
Gamelin et Christophe Gamelin-Lajemmerais; l’esclave
noire a près d’elle sa maîtresse, la jeune baronne douai¬
rière de Longueuil. Au mariage du Noir William Deane
avec la Noire Nancy Hill, à l’église anglicane de Québec
le n décembre 1783, le marchand Thomas Hackett et le
commis John Lane servent de témoins.
Parfois, situation qui ne se rencontre peut-être que
dans l’esclavage canadien, on inscrit, parmi les témoins
avec des personnes libres (qui sont de condition), des
esclaves. A Lachine, le 11 juillet 1746, lors du mariage
des esclaves noirs Pierre Baraca et Marie-Anne (celle-
ci est déjà enceinte), nous rencontrons Marie-Anne
Cuillerier, épouse du propriétaire des Noirs, en compa¬
gnie de l’esclave Joseph qui appartient au chevalier de
Lacorne, et ce Noir Joseph est bien qualifié de témoin.
En janvier 1750, à Montréal, un autre Joseph, esclave noir
de Lagorgendière Fleury Deschambault, épouse la Noire
Marie-Louise, esclave de Pécaudy de Contrecœur : ils ont
pour témoins François et René Pécaudy de Contrecœur,
2 yo Deux siècles d’esclavage au Québec

en même temps que l’esclave noir César qui appartient à


Gamelin et le Noir Joachim, esclave d’Hervieux.
Mais le mariage peut aussi être pour les Noirs une
affaire de famille : ce sont des esclaves noirs qui servent
de témoins auprès d’époux noirs. Le 21 avril 1750, au
mariage de Joseph-Hippolyte dit l’Espiègle, Noir de
Leber de Senneville, avec la Noire Marie-Madeleine
qui appartient à Soumande-Delorme, les témoins sont
Jasmin, esclave d’Hervieux, et Valentin, esclave de dame
Lestage. Lorsque le Noir Louis-Antoine épouse à
Lachine en 1761 la Noire Marie-Catherine Baraca (l’un et
l’autre esclaves de Dominique Gaudet), les Noirs Joseph-
Hippolyte et Charles servent de témoins. Ce sont là, sous
le Régime français, des cas d’exception. Sous le Régime
anglais, les propriétaires, surtout les propriétaires anglais,
ne se donnent pas d’ordinaire la peine d’assister aux céré¬
monies religieuses de leurs esclaves.

Les enfants appartiennent au propriétaire de la mère

Les enfants illégitimes d’une esclave, que le père


soit connu ou non, deviennent, ainsi que nous l’avons
vu, la propriété du maître de cette esclave : cette disposi¬
tion nous paraît toute naturelle, puisque l’esclave n’étant
pas mariée, le problème de la famille ne se pose pas.
Mais qu’advient-il des enfants quand ils naissent d’un
mariage d’esclaves ? Voyons d’abord ce que le Code noir
avait prévu pour les Antilles et pour la Louisiane : si
une esclave épouse son maître, elle est affranchie par ce
mariage et les enfants sont libres ; quant aux enfants qui
naîtront de mariage entre esclaves, ils «seront esclaves
et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et
non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des
maîtres différents». De plus, si un mari esclave épouse
une personne libre, les enfants suivront la condition de
leur mère et seront libres, alors que si le père est libre et
De la débauche et du mariage 271

la mère est esclave, les enfants « seront esclaves pareille¬


ment». Que l’enfant soit légitime ou pas, la loi demeure
donc la même : l’enfant suit la condition de la mère. Au
Canada, sans qu’il fut nécessaire de promulguer le Code
noir, ces dispositions ont prévalu. Nous en avons recueilli
de nombreux exemples.
Le propriétaire affirme d’ordinaire la possession sur
les enfants légitimes de ses esclaves en ignorant tout à
fait les parents; et, pour montrer la constance de cette
habitude, nous donnons ici quelques exemples dans
l’ordre chronologique. En 1746, une esclave noire veuve
(dont le mari est décédé peu auparavant à Sarasto) et qui
appartient à l’officier Liénard de Beaujeu, fait inhumer
sa fillette à Québec : l’acte d’inhumation inscrit l’enfant
comme propriété de Beaujeu et ne fait aucune mention
de la mère. Les esclaves noirs de Leber de Senneville
inhument à Montréal leur fillette légitime en 1752 : on
écrit qu’elle appartient à Leber de Senneville sans parler
des parents. En 1755, ni au baptême ni à l’inhumation
de l’esclave noire, Louise, fille légitime des Noirs de
Lagorgendière Fleury Deschambault, on ne dit mot
des parents : l’enfant appartient à Lagorgendière Fleury
Deschambault et cela suffit. Joseph, âgé de six jours, fils
légitime d’esclaves noirs du gouverneur général Vaudreuil,
est inhumé à la Pointe-aux-Trembles en 1757 : on écrit
seulement que ce petit « nègre » appartient au gouverneur.
À Longueuil, en août 1759, on inhume l’esclave noire
Marie-Charlotte, âgée de huit mois : elle appartient
à Lacorne Saint-Luc, et l’acte ne fait aucune mention
des parents légitimes qui sont toujours vivants. En 1784,
à Détroit, à l’inhumation des jumeaux nés des esclaves
noirs qui appartiennent à Bernard, on néglige tout à fait
les parents pour ne nommer que le propriétaire. Même
négligence des parents lorsqu’on inhume à Montréal
en 1791 une petite Noire de quatre ans, enfant légitime
des esclaves noirs de Campbell, ainsi qu’en 1797 lors de
272 Deux siècles d'esclavage au Québec

l’inhumation d’un fils légitime de deux autres esclaves de


Campbell. Les enfants légitimes sont vraiment la chose
du propriétaire des parents.
Cette même possession des enfants légitimes s’af¬
firme encore par le droit du propriétaire des parents de
disposer des enfants comme il l’entend. Une esclave noire
de Soumande-Delorme a un enfant légitime en 1755,
Jean-Joseph, mais voici que cet enfant, lors de son inhu¬
mation à Québec en 1756, est la propriété du capitaine
François Mercier : le propriétaire de la mère avait donc
par don ou par vente disposé du nouveau-né. Quand le
Noir libre Louis-Antoine consent en 1761 à rentrer en
esclavage pour épouser l’esclave noire de Dominique
Gaudet, il est entendu par contrat que Gaudet sera
propriétaire des enfants à venir et qu’il pourra, comme
bon lui semblera, vendre parents et enfants.
Le cas le plus important se produit en 1729 lorsque
les deux fils du premier baron de Longueuil se partagent
la succession de leur père : celui-ci avait laissé l’esclave
noir Charles, sa femme Charlotte-Elisabeth et leurs cinq
enfants. Le chevalier Paul-Joseph Lemoyne de Longueuil
se fait donner l’esclave Charles, la mère Charlotte-
Elisabeth et trois de leurs enfants, Charles-Claude, âgé
de huit ans, Marie-Charlotte, âgée de trois ans et Joseph
qui n’a qu’un an. Le second baron de Longueuil ne garde
que deux des enfants de l’esclave Charles, François, âgé
de six ans, et Marie-Elisabeth, âgée de cinq ans mais, en
compensation, il se fait remettre par son frère deux Panis.
Les parents s’en vont donc avec trois de leurs enfants
chez le chevalier de Longueuil, cependant que deux
autres enfants, âgés de six et cinq ans, demeurent chez le
second baron. La famille n’était pas tout à fait démem¬
brée puisque les plus jeunes allaient continuer de vivre
avec leurs père et mère, mais il reste que se faire séparer
de sa famille à l’âge de cinq ou six ans, c’est subir un sort
inhumain. Le Code noir des Antilles et de la Louisiane
De la débauche et du mariage 273

interdisait la vente séparée des parents et de leurs enfants


impubères, mais ce Code noir n’ayant pas été mis en
vigueur au Canada, les propriétaires d’esclaves ont pu
agir à leur guise sur cet article.

Les mariages entre esclaves

Nous venons de parler assez longuement des condi¬


tions dans lesquelles les esclaves peuvent se marier et le
sort qu’on réserve à leurs enfants légitimes, mais nous
n’avons pas encore tenté de dresser un tableau statistique
des mariages. Ce tableau n’est pas facile à composer parce
que tous les registres d’état civil n’ont pas été conservés
au complet : nous songeons, par exemple, aux registres
du Lac-des-Deux-Montagnes qui disparurent dans un
incendie ; les seules copies qu’on en connaisse ont malheu¬
reusement laissé de côté les Amérindiens ; il arrive aussi
que tel enfant soit inscrit au baptême comme enfant légi¬
time, sans qu’on puisse retracer l’acte de mariage de ses
parents ; et, ce qui est plus fréquent, l’acte de baptême ou
d’inhumation de tel enfant n’indique pas si les parents
vivent maritalement ou non. Pour les esclaves, les regis¬
tres d’état civil sont d’une désespérante imprécision. C’est
pourquoi, dans nos statistiques, nous ne tenons compte
que des mariages dont nous sommes certain.
Nous n’avons trouvé que n mariages entre Amérin¬
diens.
Mais comme il arrive souvent que le propriétaire
a un cheptel mêlé d’Amérindiens et de Noirs, il faut se
demander s’il n’y a pas eu de mariages entre les deux
races d’esclaves. À notre grande surprise, nous n’en avons
trouvé que quatre, le marié étant chaque fois un Noir (car
aucun Amérindien n’a épousé de Noire), mais de ce petit
nombre de mariages, on pourrait peut-être conclure que
le Noir n’éprouve pas un goût très vif pour l’Amérin¬
dienne.
274 Deux siècles d'esclavage au Québec

Le premier mariage survient en 1752 lorsque le


Noir Charles, esclave de la veuve Albert Parent (née
Marie-Suzanne Richard), épouse à Détroit le 10 avril la
Panise Marie-Marguerite, esclave de la même proprié¬
taire ; l’esclave noir, âgé de 30 ans, avait été baptisé 6 jours
plus tôt; au moment du mariage, la mariée est enceinte :
3 mois plus tard, le 9 juillet, elle donne naissance à une
fille, nommée Catherine, que les registres qualifient de
« négresse ». Nous ne leur connaissons pas d’autre enfant.
Un autre mariage aurait été contracté vers 1756 entre
un Noir et une Panise, selon un acte d’inhumation du
12 avril 1767 : ce jour-là, on inhume à Lachine Marie-
Madeleine, fille légitime de Chariot, Noir, et de la Panise
Marie, et âgée de n ans ; le 15 mai suivant, le père est
inhumé à l’âge d’environ 50 ans et présenté comme époux
de la Panise Marie. Nous en déduisons que le mariage a
eu lieu vers 1756, mais alors ne seraient-ce pas les époux
de 1752 que nous venons de rencontrer à Détroit?
Le troisième mariage est celui de l’esclave noir
Jacques-Caton avec la métisse Marie en 1780 (les registres
ne donnent ni mois ni quantième) : ce sont deux esclaves
du bourgeois Jacques Duperron-Bâby. Le mariage fut
conclu à la demande du propriétaire, car il importait de
légitimer un enfant. En effet, entre le 10 et le 19 janvier
1780, la métisse Marie fait baptiser un fils mais, à cause
de l’imprécision des registres, nous ne pouvons pas dire
si le mariage a lieu dans les deux semaines de 1780 qui
précèdent la naissance de l’enfant ou seulement après
cette naissance.
Enfin, vers 1798, l’esclave noir Jollock Kellings,
au service du négociant George Gregory, épouse une
Amérindienne, Josette Christie, descendue très jeune
des pays d’en haut. Lorsque leur fils d’un an, qualifié de
«nègre», est inhumé à Saint-Anne-du-Bout-de-l’île en
1799,le prêtre ignore si les parents sont mariés ou non; à
partir de 1803, on les présente comme époux.
De la débauche et du mariage 275

Nous avons donc recueilli chez les esclaves un total


de 73 mariages qui se répartissent comme suit :

mariages entre Amérindiens XI

mariages entre Amérindiens et Noirs 4


mariages entre Noirs 58

De ces mariages entre esclaves, nous remarquons


que les Amérindiens et les Noirs ne se mêlent que fort
peu. Et si l’on se rappelle que la population amérin¬
dienne est le double de celle des Noirs, on s’étonne de
ne trouver que n mariages contractés entre Amérindiens,
alors que 58 sont contractés entre Noirs. Il ne s’ensuit
pas nécessairement que les Amérindiens négligent le
mariage, car nous verrons bientôt que 34 esclaves amérin¬
diens ont épousé des Blancs : il faudrait en déduire que
les Amérindiens semblent plus facilement se mêler aux
Blancs qu’entre eux...
Si, pour chaque mariage, nous connaissions l’âge des
époux (et surtout si les mariages étaient plus nombreux
encore), nous pourrions dire avec assez d’exactitude
à quel âge on se marie chez les esclaves. Or nous ne
connaissons l’âge que de six époux amérindiens, et encore
n’est-ce qu’un âge apprécié à l’œil. Tout de même, sur
ces 6 époux, 5 n’ont que 23 ans ou moins ; saluons le plus
jeune ménage : Charles, âgé de 22 ans, esclave de René
Bourassa, et son épouse Marie, âgée de 17 ans.
Pour les Noirs, les renseignements sont plus abon¬
dants : les registres nous donnent l’âge de 30 époux ;
malheureusement, nous n’obtenons pas toujours en
même temps l’âge des deux époux; c’est tantôt l’âge de
l’épouse, tantôt l’âge de l’époux. Dans ces conditions, nous
trouvons que l’âge moyen de l’époux est de 32,3 ans, et
celui de sa femme de 24,9 ans. Cette moyenne, évidem¬
ment, n’a guère de valeur puisqu’elle n’est calculée que
sur 30 individus. Les plus jeunes époux sont des Noirs de
276 Deux siècles d’esclavage au Québec

20 ans; le plus vieux a 52 ans : ce Jacques-César, esclave


de Gamelin, qui épouse après 2 ans d’attente l’esclave
noire de la baronne de Longueuil. Six épouses n’ont que
20 ans ou moins ; il y en a même une de 15 ans : l’esclave
de Dominique Gaudet, pour qui le Noir affranchi Louis-
Antoine consent à rentrer en esclavage.
Les cas de grave disparité d’âge sont rares; l’écart
le plus marquant apparaît dans le mariage des esclaves
du baron de Longueuil en 1719 : le Noir Charles, âgé de
35 ans, épouse la Noire Charlotte-Élisabeth qui n’en a
que 20.
Au moins 6 de ces 73 mariages sont ce qu’on appelait,
chez nous, des mariages obligés, la future étant enceinte.
La Panise Marie-Marguerite, esclave de la veuve Albert
Parent, est enceinte de six mois lorsqu’elle épouse le Noir
Charles, en 1752. Enceinte aussi Marie-Louise, esclave
noire de Pécaudy de Contrecœur; enceinte l’esclave noire
Marie, lors de son mariage en 1757 avec le Noir Jacques,
l’un et l’autre appartenant à Lacorne Saint-Luc. Jean-
François et Jeanne, tous deux esclaves de John Campbell,
vivent sous le même toit : trois mois après leur mariage
de 1785, une négrillonne se met à vagir dans le berceau.
Quand l’esclave noir Titus Camel se présente à l’autel en
1786, au bras de la Noire Mary Roux, celle-ci présente les
signes d’une indubitable et heureuse fécondité. En 1797,
le Noir Paul Cramer Polydore conduit à l’église l’esclave
noire Margaret Wimble, âgée de 40 ans; cette future
épouse qui lui avait déjà donné quatre enfants illégitimes,
est enceinte une fois de plus : ni l’un ni l’autre n’ont dû
s’en étonner.
Nous aurions aimé calculer la population moyenne
des familles d’esclaves ; mais comment y parvenir ? Tant
d’enfants ont été baptisés sous l’anonymat le plus complet
et que de fois, à une époque où la mortalité infantile est
très élevée (et elle l’était plus encore chez les Noirs) on
a pu négliger de faire baptiser les nouveau-nés : ce qui
De la débauche et du mariage 2 II

leur enlevait toute chance de figurer au moins une fois


dans les registres d’état civil. Avec cette documentation
fragmentaire, nous n’avons pu réunir que quatre familles
de six enfants et plus :

6 enfants Jean-François et Jeanne, esclaves noirs de John


Campbell, mariés à l’église anglicane de Montréal
en 1785.

7 enfants Charles et Charlotte-Élisabeth, esclaves noirs du


baron de Longueuil, mariés à Montréal en 1719.

Francis Smith et Dorothy Hutchins, esclaves noirs


mariés à l’église presbytérienne de Québec en 1788.

8 enfants Robert Jackson et Catherine Stephens, esclaves


noirs mariés à l’église anglicane de Québec en
1795-

Ces quatre exemples ne citent que des ménages


de Noirs; chez les Amérindiens, nous n’avons jamais
rencontré plus de trois enfants par ménage. Une informa¬
tion plus abondante (et elle nous paraît impossible dans
les circonstances) changerait peut-être toute la présenta¬
tion de ce problème.

► NOTES

1 Requête des propriétaires d’esclaves, reproduite dans le Journal de la


Chambre d’Assemblée du Bas-Canada, 1800,151-157.
2 Journal de mars 1721, dans Charlevoix, Histoire, V, 210.
3 Billet de Montréal, en date du 14 janvier 1771, dans la Gazette de
Québec, 24 janvier 1771, p. 3.
4 Visite générale, dans RAPQ, 1948-1949,140.
5 APQj Collection de pièces judiciaires et notariales, dossier 1230.
CHAPITRE XI

Les Canadiens ont-ils


du sang d’esclaves?

A lors que les esclaves noirs contractent fréquem¬


ment mariage entre eux, les Amérindiens se marient
très peu avec les leurs. Cela ne veut pas dire pour autant
qu’ils demeurent célibataires, car il ne faut pas oublier
le goût que les Canadiens, selon Charlevoix, éprouvent
pour les « sauvagesses » : si bon nombre de Canadiens se
contentent de folâtrer avec les «sauvagesses», d’autres
sentent tout de même le besoin de s’attacher par les liens
du mariage ; ou bien ce sont des Amérindiens qui font la
conquête permanente de Canadiennes.

« Que les Indiens et les Français


ne fassent qu’un même sang»

Comme les Canadiens reviennent des pays d’en haut


en ramenant surtout des Panises, il est inévitable qu’en
plus du problème des enfants illégitimes se pose celui du
mariage entre Canadiens et Amérindiennes. Problème
ancien. Vers 1648, le jésuite Pierre de Sesmaisons n’avait-
il pas recommandé au pape qu’on permît aux Français de
la Nouvelle-France d’épouser des «sauvagesses» même
28o Deux siècles d’esclavage au Québec

si elles n’étaient pas baptisées? Les avantages, écrivait-


il, en seraient nombreux, par exemple, celui de fortifier
l’alliance avec les tribus indigènes; «c’est diminuer le
nombre des sauvages et augmenter celui des chrétiens
[...]. Ces mariages avanceront beaucoup la peuplade de
ce grand pays ou Dieu n’est point servi car nos Français
s’y étant mariés, ils y seront retenus par les liens sacrés du
mariage et ne repasseront pas en France comme ils font
pour y venir prendre femme qui les empêche peu après
d’y retourner [...]. Ces raisons me semblent assez pres¬
santes pour porter sa Sainteté à permettre aux Français
qui habitent la Nouvelle france d’épouser les filles
sauvages quoique non baptisées ni même encore beau¬
coup instruites1.»
Plus importante que ce mémoire individuel, est la
politique même prônée par le ministre Colbert en faveur
d’un mélange total de l’Amérindien et du Français en
Nouvelle-France. Regrettant que les Algonquins et les
Hurons ne soient pas encore francisés, Colbert écrit à
l’intendant Talon en 1667: «Vous avez commencé de
remédier à cette longue négligence et vous devez tâcher
d’attirer ces peuples sur tous ceux qui ont embrassé le
christianisme dans le voisinage de nos habitations et s’il
se peut les y mêler, afin que par la succession du temps
n’ayant qu’une même loi et un même maître ils ne fassent
plus ainsi qu’un même peuple et un même sang». Et
l’année suivante, le même Colbert reproche aux Jésuites
et à ceux qui détiennent l’autorité de n’avoir pas assez
travaillé à civiliser les «sauvages» convertis, «soit en les
joignant par mariage aux Français, soit en attirant leurs
familles entières parmi les nôtres2». La politique de
Colbert, au moment où elle s’applique au peuplement de
la Nouvelle-France, est donc claire : amener les Français
et les « sauvages » à se marier entre eux, pour qu’ils ne
fassent qu’un même peuple et un même sang.
Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves ? 281

L’expérience a été maintes fois tentée au XVIIe :


Champlain adopte trois petites Amérindiennes pour les
élever à la française, Foi, Espérance et Charité, mais elle
finissent par regagner les bois ; les Ursulines de Québec
fondent un «séminaire pour Sauvagesses»; les sœurs de
la Congrégation à Montréal élèvent, entre autres, deux
jeunes Poutéoutamises que les Iroquois avaient données
en qualité d’esclaves au gouverneur Courcelle : « elles ont
appris le langage français et ont été élevées à l’européenne,
en sorte que la grande qui a été baptisée est en état de se
marier avec un Français, mais ce qui serait à souhaiter ce
serait qu’on eût un peu moyen de la doter, afin qu’étant à
son aise, cela donne exemple aux autres et les animât du
désir d’être élevée à la française3 ».
De ces mariages entre Français et «sauvagesses»
libres, il y en eut encore au XVIIIe siècle. Marianne You,
Miamise, fille de Pierre You d’Youville de Ladécouverte
et de la Miamise Élisabeth, épouse à Montréal le 15 août
1718 à l’âge de 24 ans, un Canadien nommé Jean Richard,
fils de Guillaume Richard et d’Agnès Tessier. Mais c’est
dans la famille des Hamelin qu’il faut chercher un cas inté¬
ressant. Fils de Jacques Hamelin, seigneur des Grondines,
le négociant Charles Hamelin épouse, à Michillimackinac
le 27 novembre 1738, la Sauteuse Marie-Athanase qui lui
avait déjà donné quatre enfants illégitimes : il les légitime
le jour de son mariage. La Sauteuse meurt en 1745, mais
le négociant Hamelin n’a pas perdu le goût de l’Amérin-
dienne : en 1746, de la Sauteuse Marie-Anastasie, il a un
fils illégitime et, enfin, le 4 février 1748, il épouse la mère :
c’était sa deuxième Sauteuse. Louis Hamelin, fils de ce
Charles Hamelin, va très fidèlement conserver la tradi¬
tion paternelle : de la Sauteuse Marie-Joseph Lesable il a
cinq enfants illégitimes, de 1769 à 1779, et enfin, le 19 août
1787 à Michillimackinac, il épouse la mère de ses enfants.
Et l’on pourrait, quoi qu’on en ait dit, allonger ici toute
282 Deux siècles d’esclavage au Québec

une liste de ces mariages entre Canadiens et «sauva-


gesses» de condition libre.
Permettre aux Canadiens d’épouser des «sauva-
gesses» pouvait être (en mettant les choses au mieux)
une façon d’assurer l’éducation chrétienne de l’épouse;
à tout le moins, c’était une ressource pour procurer des
femmes aux colons. Or ces mariages n’étaient pas sans
graves inconvénients. Marie de l’Incarnation l’avait déjà
remarqué : un Français devient plutôt « sauvage » qu’un
sauvage ne devient Français. Pour empêcher les époux
canadiens de s’abandonner à la sauvagerie, il fallut inter¬
venir : en 1673, par exemple, quand on permet à Nicolas
Pelletier d’épouser une Montagnaise, on pose comme
conditions qu’il réside avec sa femme, non pas dans les
bois parmi les « sauvages » mais en son habitation avec les
Français, et que les enfants soient élevés dans les mœurs
et la langue françaises4.
Au XVIIIe siècle, les autorités du pays en viennent à
la prohibition ; en 1706, le gouverneur Vaudreuil défend à
Lamothe, de Détroit, de laisser marier des Français avec
des Amérindiennes ; et, comme l’écrivent le gouverneur
Vaudreuil et l’intendant Raudot en 1709, Lamothe s’est
conformé à cette défense, «persuadé qu’il est, qu’il ne faut
jamais mêler un mauvais sang avec un bon, l’expérience
que l’on en a en ce pays, que tous les Français qui ont
épousé des sauvagesses sont devenus libertins fainéants,
et d’une indépendance insupportable, et que les enfants
qu’ils ont eus ont été d’une fainéantise aussi grande que
les sauvages mêmes, doit empêcher qu’on ne permette
ces sortes de mariages5 ». On était donc bien désabusé de
ce projet qu’avait conçu Colbert de marier les Français
et les Amérindiens pour qu’ils ne fassent « qu’un même
peuple et un même sang».
Le problème, cependant, pouvait être different pour
les Amérindiens qui vivaient en servitude : venus de loin
(la plupart du temps du haut Missouri), enlevés très jeunes
Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves ? 283

Graphique V
Mariage des esclaves
(sur 4 165 mariages)

120

à leurs familles, habitués à la vie familiale des Canadiens,


les Amérindiens esclaves avaient plus de chance de se
franciser. En 1726, M&r de Saint-Vallier lui-même n’hé¬
site pas à bénir le mariage de la Panise Marie-Catherine
Desbois avec un Français de Montréal, François Sainton
dit Carterel. Intimement mêlés à la population fran¬
çaise, il était normal que le mélange se complète par le
mariage. D’ailleurs, les Panis sont maintes fois qualifiés
de « sauvages francisés ».
Quand MSr de Saint-Vallier bénit le mariage d’une
Panise avec un Français, il y a déjà au moins 20 ans
que ce genre de mariage entre Canadiens et esclaves se
pratique. Fe plus ancien nous paraît être celui de 1705 : le
Panis Faurent Féveillé, qui appartient probablement à la
famille Boucher de Boucherville (parce que le seigneur de
Boucherville sert de témoin au mariage), rendit enceinte
une mineure de 19 ans, la Canadienne Marie Demers ;
comme le veut l’usage des bonnes familles, on convint
de les marier et le 22 novembre 1705, après la dispense
284 Deux siècles d’esclavage au Québec

des trois bans, le Panis Léveillé épouse Marie Demers.


Plus d’une trentaine de ces mariages entre Canadiens et
Amérindiens esclaves allaient suivre.
Outre ces mariages, nous avons pu relever un petit
nombre de mariages entre Canadiens et esclaves noirs.
Notre liste commence en 1713 et se termine vers 1812, le
dernier mariage étant contracté par un Noir qui est né du
temps de l’esclavage.

Mariages entre Canadiens et Noirs ou Amérindiens

Voilà donc n mariages contractés par des Canadiens


avec des Noirs et 34 mariages de Canadiens avec des
Amérindiens. Au total, 45 Blancs (français ou francisés)
ont uni leur destinée à celle d’un Noir ou d’un Amérindien.
Dans les mariages noirs et blancs, nous ne rencontrons
qu’un seul Canadien (et encore nous ne sommes pas sûr
du tout qu’il soit Blanc) ayant épousé une Noire : Joseph
Provençal; partout ailleurs, ce sont des Noirs qui font la
conquête des Canadiennes.
Il y a un peu plus d’équilibre dans les mariages
entre Canadiens et Amérindiens : sur 34 de ces mariages,
14 Amérindiens épousent des Canadiennes, et 20 Cana¬
diens se marient à des Amérindiennes.
De ces mariés, trois Noirs et cinq Amérindiens sont
encore esclaves au moment de leur mariage. Nous savons
que, pour sa part, le Noir François Williams continue de
vivre esclave même s’il a épousé la Canadienne Marie-
Elisabeth Mondina ; la Panise Louise et la Siouse Marie-
Marguerite-Caroline ne sortent d’esclavage que pour
être mariées à des Canadiens. Les autres étaient d’an¬
ciens esclaves, affranchis à une date que nous ignorons.
Certains de ces esclaves sont inscrits dans le registre
des mariages sans aucun nom de famille : le Renard
Joseph Le Renard se marie sous le seul prénom de Joseph
et ce n’est que par la suite qu’il adoptera pour patronyme
Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves ? 285

Le Renard; le Panis François, époux de Madeleine


Lamontagne, ne paraît pas s’être soucié de prendre un
nom de famille. D’autres qui n’avaient encore aucun
patronyme lors de leur mariage s’empressent d’assurer
un nom à leurs enfants. Le Panis Jean-Baptiste, qui
épouse Marie-Geneviève Desforges dit Saint-Maurice,
trouve tout simple d’adopter le nom de sa femme : son
fils sera un Desforges dit Saint-Maurice; le Panis Joseph,
après avoir épousé la servante anglaise Marie-Anne
«Ouidech», prend le nom de Riberville, et c’est ainsi
que ses enfants seront connus ; Nicolas, Panis de Doyon,
s’appellera désormais Doyon dit Laframboise : de quoi
confondre les généalogistes s’ils ignorent que ce Nicolas
Doyon est un Panis.
Les registres, nous l’avons mentionné plus tôt, ne
font pas connaître l’âge de chacun des époux : tantôt on
ne donne que l’âge de l’époux, tantôt seulement celui
de l’épouse, tantôt on n’indique rien du tout. Dans ces
conditions, nous devons nous en tenir à des détails parti¬
culiers. Ainsi, parmi les 20 mariés dont l’âge est connu,
aucun n’est extrêmement jeune : 3 seulement n’ont pas
tout à fait 21 ans. Le plus vieux mariage est celui du
Panis André Rapin dit Scayanis : à 63 ans, il épouse une
Canadienne qui en a 58.
Ces mariages entre Canadiens et Amérindiens ou
Noirs se font avec les formalités coutumières. Si l’un
des conjoints est esclave, il doit évidemment obtenir
d’abord la permission de son maître : c’est ce que fait le
Noir Pierre-Dominique Labeur quand il veut épouser
la Canadienne Marie Talon; il obtient une permission
écrite le 27 novembre 1749 et se marie le surlendemain.
L’esclave peut aussi obtenir d’être affranchi, comme cela
se produit pour la Panise Louise qui veut épouser Louis
Brunet en 1766, et pour la Siouse Marie-Marguerite-
Caroline qui, en 1771, se fait d’abord acheter par son futur
mari. Car le mariage d’un esclave avec une personne libre
286 Deux siècles d’esclavage au Québec

ne change rien à la condition de l’esclave, et les enfants


subissent la condition de la mère, selon le Code noir, à
moins que par un acte d’affranchissement le maître en
décide autrement. Le Noir François Williams demeure
en esclavage après son mariage avec la Canadienne Marie-
Élisabeth Mondina en 1783.
On «met les bans à l’église». Ne se faire dispenser
d’aucun des trois bans est considéré comme un signe de
grande pauvreté : Raymond Rigal et sa Panise Marguerite
Marin laissent publier les trois bans de leur mariage en
1761; René Mervillon et sa Panise Marguerite font de
même en 1765 ; quand il épouse la Panise Marie-Anne en
1770, le veuf Gaspard Monpetit supporte bravement les
trois bans. Les gens le moindrement à l’aise s’arrangent
pour ne faire publier leur mariage qu’une fois. Il arrive
qu’on recourt même à la dispense des trois bans : si un
veuf se remarie quand la tombe de sa première épouse est
encore toute fraîche, s’il y a une trop forte disparité d’âge
entre les conjoints ou si la mariée souffre d’une gros¬
sesse impossible à dissimuler, alors il vaut mieux ne pas
faire de publicité autour du mariage. Dispense des trois
bans, donc, lorsque le Panis Laurent Léveillé épouse en
1705 une mineure enceinte, et lorsque Firmin Landry dit
Chariot épouse sa Siouse qui lui avait donné cinq enfants
illégitimes et qui était encore enceinte. D’autres cas de
dispense des trois bans se produisent, sans que nous puis¬
sions les expliquer: la mariée était-elle enceinte? Ou
le Canadien préférait-il que l’on passe sous silence son
mariage avec une Amérindienne ?
A ces mariages, comme à tout mariage, il faut des
témoins. Au mariage du Panis Laurent Léveillé en 1705,
le seigneur Pierre Boucher de Boucherville, probable¬
ment maître de ce Panis, agit comme témoin; le capi¬
taine Jacques-Pierre Daneau Demuy remplit le même
rôle en 1752 lors du mariage de la Panise Geneviève Caris ;
François-Augustin Bailly de Messein sert de témoin à
Les Canadiens ont-ils du sang d'esclaves ? 28 7

son ancienne Panise, Marie-Anne, quand elle épouse le


veuf Montpetit en 1770.
Parmi les mariages que nous avons énumérés, il y
a des cas de secondes noces. Trois Canadiennes, veuves
de Canadiens, acceptent de passer dans le lit d’un
Amérindien : Anne Gourdon dit Lâchasse, veuve de
Pierre Lelat; Marguerite Lafond, veuve de Joseph Fafard;
et Marie-Madeleine Lereau, veuve de Jean Laroche, se
donnent en secondes noces à des Amérindiens. Deux
veufs, Pierre Chauvet dit Lagerne et Gaspard Montpetit,
qui vécurent avec des Canadiennes, trouvent bon pour un
second mariage de prendre des Amérindiennes. Après
avoir perdu son épouse noire, l’esclave noir Beaumenil
opte pour une Blanche, Marie-Thérèse Laisné. Il importe
surtout de noter qu’après avoir goûté de l’exotisme, les
Canadiens reviennent, pour les secondes noces, au menu
normal : la jeune Marie Demers, quand elle perd son
Panis Laurent Léveillé, épouse le Canadien Louis Renaud-
Locat; Marie-Gareau trouve qu’un époux amérindien
est assez : elle prend le deuxième chez les Canadiens,
Charles Langevin ; Marie-Anne Grenier, devenue veuve
de son Panis, se marie à un Canadien, Jean Lefranc.
Deux Canadiens, d’abord mariés à des Amérindiennes,
ne reviennent pas à la même sauce : Sulpice Blanchetière
qui perd sa Panise et Rémond Calmet dit Jolibois,
devenu veuf de sa Panise, convolent tous deux avec une
Canadienne. Quant à Marie-Catherine Robidoux, qui
perd son Noir après une année de mariage, elle passe
dans les bras d’un Blanc.
En ce cas, s’il a survécu des enfants du premier lit,
il se produisait un beau mélange dans la famille. Anne
Gourdon amène à son Panis Rapin dit Scayanis deux
enfants de son premier mariage avec Lelat : elle ajoute
bientôt un petit Panis. De son premier mari, le Panis
Laurent Léveillé, Marie Demers a trois enfants que le
second mari, Louis Renaud-Locat, devra prendre comme
288 Deux siècles d’esclavage au Québec

siens. Marie Gareau a, du Panis Nicolas Doyon, huit


enfants; elle épouse ensuite Charles Langevin qui ajoute
sa progéniture : on met tout cela ensemble ; les enfants
s’entendront si bien qu’il en résultera entre eux au moins
deux naissances illégitimes.

Métis et mulâtres

Dans notre inventaire, nous incluons tous les Cana¬


diens qui épousèrent des esclaves, Amérindiens ou Noirs,
et tous ceux aussi qui eurent des enfants illégitimes nés
d’esclaves ; ajoutant à ces Canadiens un Allemand francisé
(De Raby), une servante anglaise francisée («Ouidech»)
et un seul Anglais (l’officier «Yonce» qui était peut-être
un Hughes), nous obtenons un total de 62 individus par
qui le métissage entre personnes libres et esclaves s’est
pratiqué au Canada français.
En mettant à part l’Anglaise «Ouidech» » et l’of¬
ficier anglais «Yonce», nous comptons 60 représentants
de diverses familles canadiennes-françaises qui se sont
mariés ou unis à des Amérindiens et à des Noirs. Tous
ces mariages, cependant, ne produisent pas des enfants :
chez les Canadiens français, nous trouvons 48 personnes
qui ont engendré un total de 103 enfants de sang mêlé,
soit 84 métis et 19 mulâtres.
Ces métis et ces mulâtres se sont-ils ensuite multi¬
pliés parmi les Canadiens français? Ou bien se sont-ils
éteints dès la première génération, afin que les Canadiens
français d’aujourd’hui aient la consolation de se dire purs
de tout sang esclave? La réponse est aux généalogistes.
Pour les orienter, nous avons, en appendice, extrait de
notre catalogue, les Canadiens français dont les enfants
métis ou mulâtres se sont mariés ou, à tout le moins,
ne paraissent pas mourir au berceau. Chez ces métis et
mulâtres, nous n’avons retenu que les enfants qui se sont
mariés ou qui, en tout cas, ne sont pas morts au berceau :
Les Canadiens ont-ils du sang d'esclaves ? 289

il resterait à savoir s’il n’y a pas eu d’autres enfants et


surtout si la lignée de ces métis et de ces mulâtres s’est
perpétuée jusqu’à nous.
Il n’entrait pas dans le cadre de notre recherche de
faire parmi la population actuelle un relevé de ceux qui
peuvent avoir encore quelques gouttes de sang d’esclave :
le Noir Regereau et Marie-Joseph Bouchette, le Panis
Bourdon et Marie Bourdeau, Pierre Chauvet dit Lagerne
et sa Panise, le Panis Léveillé et Marie Demers, le Panis
Doyon dit Laframboise et Marie Gareau, le Panis
Rapin dit Scayanis et Anne Gourdon dit Lâchasse, le
Renard Joseph et Josephte Martin dit Saint-Jean, le Noir
Williams et Marie-Elisabeth Mondina dit Olivier, Jean-
Louis Morand et sa Panise, Charles Mouet de Langlade
et son esclave, le Panis Riberville et l’Anglaise fran¬
cisée Marie-Anne « Ouidech», Joseph Provençal et son
esclave noire, tous ces gens-là ont fort bien pu se perpé¬
tuer jusqu’à nos jours puisque leurs fils et leurs petits-fils
se sont mariés.
Il est fort possible que, parmi les familles dont les
noms suivent, on rencontre aujourd’hui des Canadiens
français qui descendent d’un esclave amérindien ou d’un
esclave noir :

Beauchamps Champagne Desforges dit

Chatel St-Maurice
Beauchemin
Dion
Beaumuny Chauvet dit
Lagerne Doyon dit
Bellerose
Laframboise
Chauvet dit
Blanchetière dit
Lagerne Duchesne
Saint-Georges
Chevalier-Lullier Dumas
Bourassa
Content dit Guibeau
Bourdon
Bourdon Jasmin
Boyer
Courchaîne Jolibois
Brunet
Cuillerier Jollivet
Calmet dit Jolibois
De Raby Lafleur
290 Deux siècles d'esclavage au Québec

Laframboise Monplaisir Saint-Maurice

Lagerne Morand Sainton dit

Mouet de Laglade Carterel


Lalonde
Parant Sanscrainte
Lamothe
Provençal Sansregret
Landry
Racicot Scayanis
Langevin
Rapin Sincerni
Langlade
Raymond Véronneau
Le Renard
Regereau V illeneuve
Lespérance
Riberville Williams
Léveillé
Longueuil Rigal Wright

Lorain Riquier Xandre

Macchabé Sabourin

Mervillon Saint-Georges

En suivant les diverses ramifications de leur arbre


généalogique, il se peut aussi que des Québécois rencon¬
trent tout à coup une arrière-grand-tante ou une lointaine
cousine qui s’est alliée à un esclave ou à un descendant
d’esclave ; cette surprise peut se produire dans les familles
suivantes (elle se produit certainement dans les familles
qui ne sont pas éteintes, comme la famille Trudel) :

Beaugis Grenier Langevin

Bouchette Guertin Laspron

Bourdeau Guiot Lavigne

Casse Hubou Lemaire

Chalifour Jourdain Lemire

Demers Lâchasse Lepage

G are au Lafond Lereau

Gélineau Laisné Marois

Gourdon dit Lalonde Martin dit


Lâchasse St-Jean
Lamontagne
Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves ? 291

Mondina dit Renaud Talon ou Tanon


Olivier
Rivet-Lavigne Terrien
Morisset
Robidoux Trottier
Olivier
Sabourin Trudel
Philippon
Saint-Jean Vaudry
Raymond

Le métissage que certains ne veulent absolument


pas accepter au Québec comme une réalité historique a
pourtant touché d’illustres Québécois, comme l’évêque
des Trois-Rivières, Louis-François Laflèche, d’origine
métis, mais sans descendre d’un esclave amérindien.
L’ancien premier ministre Maurice Duplessis, selon ce
qui est presque certain, descendrait, lui, du Mascoutin
Jean-Baptiste dit Duplessis, originaire des Grands Lacs,
esclave du traiteur Gastineau dit Duplessis : le Mascoutin
qui fut le grand-père de l’arrière-grand-père de notre
Duplessis.
Il ne faut surtout pas oublier que certains esclaves
sont, dans l’arbre généalogique des Québécois, à l’ori¬
gine de rameaux qui ne se rattachent à une branche aînée
que par le nom : c’est un autre piège pour les généa¬
logistes. Si vous faites l’histoire des familles Léveillé,
Rapin, Monplaisir, Leduc, Bourdon, Riberville, Doyon
dit Laframboise, vous rencontrerez parmi les aïeuls
un Laurent Léveillé, un André Rapin, un Nicolas
Monplaisir, un Louis Leduc, un Joseph Bourdon, un
Joseph Riberville, un Nicolas Doyon dit Laframboise :
n’essayez pas de remonter plus haut pour les rattacher
à l’immigrant français de ce nom, vous êtes en présence
d’Amérindiens esclaves qui se sont francisés et qui ont
épousé une Canadienne. Le nom de famille peut parfois
éblouir : vous trouverez une Angélique de Berey ou
un Paul-Joseph Longueuil ; le de est fallacieux : cette
Angélique de Berey n’est qu’une ancienne esclave des
292 Deux siècles d’esclavage au Québec

Berey des Essarts ; quant à Paul-Joseph Longueuil, fils


d’un esclave des Lemoyne de Longueuil, il a pris le nom
des maîtres et l’a bravement perpétué dans ses enfants. Il
faut bien prendre garde ici de confondre la descendance
des maîtres avec celle des esclaves !

Du badinage sur un problème agaçant

Délicate question que celle du métissage ! Les


Québécois français, dont les pères ont éprouvé un goût
désordonné pour les Amérindiennes, ne souffrent pas
volontiers qu’on en parle. À ceux qui prétendent que
les Québécois ont du sang amérindien dans les veines,
on répond d’ordinaire par un non claironnant et offensé,
mais personne encore ne s’est mis à l’œuvre pour établir le
bien-fondé ou l’impertinence de l’affirmation. En réponse
à ce problème, Benjamin Suite écrivait : «Tout au plus
pourrait-on dire qu’il est tombé dans le Saint-Laurent
quelques gouttes d’eau du Missouri6.» Assurément, le
nombre des mariages entre Canadiens et Panis ou Noirs
n’est pas élevé; nous n’avons pu en dénombrer que 45.
Cependant, ce n’est pas le nombre des mariages qui
importe, mais celui des descendants : on sait, par exemple,
que tel immigrant français du XVIIe siècle ne s’est marié
qu’une fois et il compte quand même aujourd’hui plus de
20 000 descendants. Il reste donc à s’attaquer bravement
au problème pour savoir, une fois pour toutes, combien
de descendants ces mariages métissés ont pu produire.
La parole est aux Léveillé, aux Leduc, aux Doyon et à
d’autres.
Sur ce sujet dangereux, Adolphe-Basile Routhier
n’a pas manqué, au siècle dernier, de taquiner assez dure¬
ment l’abbé Henri-Raymond Casgrain. L’abbé Casgrain
avait, paraît-il, la prétention de descendre des Casgrain
d’Airvault et des Montmorency : Routhier se chargea de
crever les ballons de l’abbé en rédigeant une fort maligne
Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves ? 293

mise au point. De cette page d’or dont rêvait Casgrain,


Routhier écrit :

Hélas ! cette page d’or, tant convoitée, n’existera proba¬


blement jamais. Car avant de consentir à son insertion
au livre de la noblesse, on y regardera à deux fois, on fera
des recherches, on fouillera le greffe de Québec, et, dans
les registres des baptêmes et sépultures des paroisses
de Québec et de Beaumont, on trouvera divers actes
authentiques constatant que Jean Casgrain était traiteur
à la basse-ville, c’est-à-dire préparait et servait à manger
et à boire aux voyageurs et aux viveurs de ce temps-là,
et qu’il épousa, à Québec, une demoiselle Duchesne
dite LeRoide, fille d’André dit LeRoide, de la nation
des Pawnis [rzV]. Ces actes établiront que Jean Casgrain
n’était pas originaire de Vendée, mais de l’ancienne
petite province d’Aunis, et qu’au lieu d’être sergent à la
tête des troupes, il était tout bonnement cuisinier à la
tête de ses plats ; que s’il a fait couler le sang, ce ne peut
guère être que celui de la volaille, et que ses blessures,
s’il en avait, étaient probablement des brûlures. Donc,
si le Jean-Baptiste Casgrain, Vendéen, né à Airvault;
le Casgrain sergent qui combattait à la tête des troupes
de France et de Navarre; le Casgrain pourfendeur et
mangeur de Turcs, le nasicobole, minus-cheville, balafré
et calabré, si ce Casgrain a existé — ce que personne ne
voudra croire — ce ne peut être Jean Casgrain le cuisi¬
nier, qui en l’an de grâce 1750, tournait des crêpes dans sa
gargotte de la basse-ville, et menait à l’autel mademoi¬
selle LeRoide, de nation des Pawnis.

Routhier est bien renseigné. Certes, il écrit Pawnis


d’après l’anglais Pawnee, mais ce qu’il dit de Jean
Casgrain est exact : l’ancêtre des Casgrain épouse d’abord
la fille du Panis et d’une Canadienne. Routhier aurait dû
294 Deux siècles d’esclavage au Québec

cependant ajouter que les Casgrain canadiens descendent


d’un second mariage contracté par Jean Casgrain avec
la Canadienne Marguerite Cazeau, mais cette précision
eût détruit tout l’effet de la satire... Routhier se contente,
avec un air de grande générosité, d’affirmer son estime
pour les métis : « Remarquez bien que je ne méprise
pas les Pawnis, non plus qu’aucune autre tribu sauvage.
J’en fais au contraire grand cas, et l’on me dirait que j’ai
du sang sauvage dans les veines que je n’en serais pas
du tout humilié. Tout ce que je veux établir, c’est que
M. l’abbé Casgrain ne descend pas en droite ligne des
Montmorency ou des Caniac de Périgord1 2 3 4 5 6 7.»
Pour Routhier comme pour Suite, le mélange du
sang esclave et du sang français est affaire de badinage ;
il en est de même pour les Québécois quand ils abordent
cette question. Badiner, c’est toujours une façon élégante
de contourner un problème agaçant.

► NOTES

1 APQ, Ordres du Roi, série B, vol.78,1744,145.


2 Mémoire reproduit dans Nova Francia, IV, 1929,143-145.
3 Colbert à Talon, 5 avril 1667, 20 février 1668, dans RAPQ, 1939-1940,
72 et 94s.

4 Dollier de Casson, Histoire du Montréal, 113s.

5 Permission donnée par Jean Dudouyt, citée dans RAPQ, 1939-1940,


219.

6 Vaudreuil et Raudot au ministre, 14 novembre 1709, dans RAPQ,


1942-1943,420.

7 Suite, « Lesclavage en Canada», dans la Revue canadienne, 61, 1911,


324-
CHAPITRE XII

Les esclaves disparaissent un à un

Une propagande contre l’esclavage

e progrès de l’anti-esclavagisme était de nature à


inquiéter nos propriétaires. Nous le constatons dans
un contrat de vente de novembre 1787 : Pierre Joinville,
de l’île Dupas, représenté par le marchand Louis Olivier,
achète de John Lagord une esclave de 10 ans, la Noire
Cynda, pour la somme de 750 livres (ancien cours) ;
Joinville fait ajouter au contrat une clause importante :
« Qu’en cas qu’il y ait une loi portée par le Conseil légis¬
latif présentement assemblé ou par quelque autre auto¬
rité supérieure pour l’affranchissement des esclaves et
leur donner la liberté », le vendeur Lagord sera tenu de
reprendre sa Noire et de rendre la somme entière qu’il
a reçue de Joinville1. Déjà en 1787, on craignait donc
une abolition plus ou moins prochaine de l’esclavage. Y
avait-il au Conseil législatif de Québec un projet sérieux
d’abolition ou tout cela n’était-il dû qu’à des rumeurs?
Ni en 1787 ni auparavant nous n’avons rien trouvé qui
puisse nous éclairer là-dessus. Toujours est-il que Pierre
Joinville ne tient pas à acheter à prix fort une esclave
qu’il pourrait perdre peu après ; mais si, de son côté, John
296 Deux siècles d'esclavage au Québec

Lagord s’engage à rendre l’argent, au cas où l’esclavage


serait aboli, c’est peut-être qu’il ne croit pas à une aboli¬
tion prochaine. Jusque-là, d’ailleurs, personne au Québec
n’a encore fait de propagande contre l’esclavage : les
journaux sont muets sur cette question.
C’est seulement en juillet 1790 que les gazettes
commencent à publier de la littérature qui se rapporte à
l’esclavage. Le 22 juillet 1790, le Quebec Herald imprime
un poème de 48 vers, intitulé «Domestic Slavery; or Lines
occasioned by the Efforts to emancipate the African Negoes » ;
il est signé Quoilus et nous ne pouvons dire si l’auteur est
Canadien ou si le journal ne fait que reproduire un article
tiré de la presse anglaise ou américaine. Ce poème est
une satire assez anodine dirigée contre ceux qui mani¬
festent un grand zèle dans l’émancipation des Noirs : des
milliers de personnes, écrit en somme l’auteur, se consa¬
crent à la libération des Noirs, alors que tout le monde
est esclave : on est esclave à la campagne, on est esclave
à la Cour, on est esclave de l’ennui ; il faut donc désirer
la liberté pour toute l’humanité. C’est là notre première
pièce de littérature sur l’esclavage. La seconde ne paraît
qu’en décembre suivant, dans la Gazette de Québec : « Ehe
Negroes Récital». Cette fois, c’est un plaidoyer en faveur
des Noirs, et le poème se termine sur cette chute :

«For though no Briton, Mongo is — a man ! »

Même s’il n’est pas Anglais, Mongo (l’esclave) est


un homme! L’auteur (dont nous ignorons la nationa¬
lité) prend la peine de souligner Mongo et a man pour
marquer davantage le sens de son plaidoyer; et l’on fait
suivre ce poème d’un bref article sur l’esclavage2.
La propagande va se poursuive avec plus d’insis¬
tance au cours de l’été 1791. À la Chambre des communes
de Londres, les adversaires de l’esclavage avaient en avril
soulevé un grand débat au cours duquel on racontait des
Les esclaves disparaissent un a un 297

scènes de torture et tout ce que l’esclavage entraînait


d’odieux, mais le débat s’était terminé par un vote majo¬
ritaire contre l’abolition : débat que la Gazette de Québec
reproduit in extenso, chaque semaine, du 21 juillet au
8 septembre. Le 15 septembre, elle publie les résolutions
d’un comité de Londres, partisan de l’abolition : ces réso¬
lutions regrettent que les Communes se soient pronon¬
cées en faveur du maintien de la traite des esclaves; on
espère que la cause finira par triompher3.
Le 12 mars 1792, bref intermède poétique : dans le
Quebec Herald paraît un poème de 56 vers, « The Negro’s
Complaint». C’est une diatribe contre l’esclavage : un
nègre, qui raconte ses misères, apostrophe ses maîtres
en prenant Dieu à témoin. Le mois suivant, 16 avril, la
même gazette, puisant dans les journaux d’Angleterre,
fait connaître un plan en quatre articles pour éman¬
ciper les esclaves des Indes occidentales anglaises; ce
plan est accompagné de commentaires tirés des jour¬
naux d’Angleterre. Le 7 juin, la Gazette de Québec raconte,
toujours à l’aide de journaux anglais, la séance histo¬
rique qui s’est déroulée le 2 avril précédent lorsque
la Chambre des communes de Londres, par un vote
de 230 contre 85, a approuvé l’abolition graduelle de la
traite des Noirs : cette première démarche victorieuse,
obtenue par les adversaires de l’esclavage, ne soulève
cependant aucun commentaire chez les journalistes
québécois; ce n’est qu’une nouvelle de plus. Le 21 juin,
la même gazette rapporte l’aventure de cette Noire qui,
après avoir donné naissance à un enfant, se précipite avec
lui dans la mer pour qu’il échappe à la servitude, mais
cette histoire traduite du français, se passe dans un autre
pays que le Canada, et a peut-être été inventée de toute
pièce : la littérature pouvait quand même aider la cause
anti-esclavagiste4. Puis, le Quebec Herald entreprend la
publication des débats qui ont amené les Communes de
298 Deux siècles d'esclavage au Québec

Londres en avril à se prononcer pour l’abolition graduelle


de la traite : le 16 juillet, l’hebdomadaire consacre à cette
publication une colonne et demie et, la semaine suivante,
il y va de cinq colonnes et demie ! L’abolition de la traite
devenait incontestablement la grande question du jour.
Enfin, le 30 août, la Gazette de Québec publie un rapport
qui a été présenté à l’Assemblée nationale de France sur
l’abolition du trafic des Noirs5.
Il est inutile de chercher en tout cela une propagande
cohérente et orchestrée contre l’esclavage : commencée
par deux poèmes en 1790, reprise à l’été 1791, la propa¬
gande de la presse canadienne contre l’esclavage a plutôt
un caractère occasionnel. Tout dépend des événements
qui se déroulent outre-Atlantique : on peut être des mois
sans entendre parler du problème de l’esclavage; on y
attache soudain une grande importance, puis le problème
ne paraît plus préoccuper les gens. Nous notons encore
que cette propagande anti-esclavagiste de la presse
n’a absolument rien d’original, rien qui se rapporte au
problème canadien : les journaux publient les débats de
Londres comme on publie une nouvelle étrangère, sans
aucun commentaire reliant cette nouvelle à des préoccu¬
pations canadiennes. À lire cette propagande, on croirait
qu’il n’y a pas d’esclaves au Bas-Canada.
Les esclaves sont toujours là : le recensement de
1784 nous permet de savoir qu’il y avait au Canada au
moins 304 esclaves ; quelques-uns meurent avant 1790,
mais d’autres les remplacent; les gazettes continuent
d’en mettre en vente ou de donner le signalement d’es¬
claves en fuite; de 1790 à 1792, 15 Amérindiens esclaves
et 11 Noirs esclaves apparaissent dans les registres d’état
civil à l’occasion de leur baptême ou de leur inhumation.
Les esclaves ne sont pas nombreux, mais il y a quand
même esclavage.
Les esclaves disparaissent un a un 299

Un projet de loi contre l’esclavage

La propagande de la presse canadienne fut modeste,


mais comme l’Angleterre, la France et même certains
Etats américains s’appliquaient à améliorer la situation
des esclaves, on pouvait s’attendre à ce que le parlement
du Haut-Canada ou celui du Bas-Canada soient saisis du
problème lors de leur inauguration de 1792. Le parlement
du Haut-Canada fut le premier à siéger, du 17 septembre
au 15 octobre : au cours de cette très brève session, on
n’étudia aucune mesure relative à l’esclavage. Le parle¬
ment du Bas-Canada ne se réunit pour la première fois
que le 17 décembre, mais la session allait durer quatre
mois et demi.
Le problème de l’esclavage est soumis dès le
28 janvier 1793 aux 50 députés de la Chambre d’assemblée,
réunis dans l’ancienne chapelle épiscopale de Québec.
Ce 28 janvier, selon le journal de la Chambre, le député
Pierre-Louis Panet «propose qu’il lui soit permis d’in¬
troduire dans cette Chambre un Bill intitulé Acte qui tend
à Vabolition de l'esclavage en la Province du Bas-Canada.
Secondé par M. Dunière. Accordé unanimement, et
permis en conséquence». La Chambre d’assemblée
allait donc décider si l’esclavage serait aboli ou main¬
tenu. Ce n’est cependant que le 8 mars suivant que le
député Bonaventure Panet propose «à cette Honorable
Chambre qu’un projet de Bill tendant à l’abolition de
l’esclavage soit maintenant lu pour la première fois»;
Amable Berthelot, député de Québec, appuie la propo¬
sition Panet et l’on fait une première lecture du projet
de loi.
La députation avait cependant d’autres problèmes
à étudier, qui lui paraissaient sans doute plus urgents, et
un mois s’écoule avant qu’il soit de nouveau question
de l’esclavage. Le 10 avril, Pierre-Louis Panet, appuyé
par Amable Berthelot, demande que l’on procède le
3°°
Deux siècles d'esclavage au Québec

lendemain à la deuxième lecture du projet de loi : tout


le monde est d’accord; mais le lendemain, rien. La
deuxième lecture n’a lieu que le 19 avril. Lecture faite,
Pierre-Louis Panet propose «que cette Chambre se
résolve en un comité de toute la Chambre, sur le Bill
tendant à l’abolition de l’esclavage, jeudi prochain», le
25. Jusque-là, le plan libérateur de Panet était en bonne
voie, mais sur cette proposition précise qui serait l’étape
décisive, la discussion éclate. Pierre-Amable Debonne,
député de York, propose un amendement destructeur :
que ce projet de loi «reste sur la table», c’est-à-dire
qu’on ne s’en occupe plus. Debonne a l’appui du député
George McBeath qui représente le même comté que
Bonaventure Panet. La Chambre vote et l’amendement
Debonne l’emporte victorieusement par 31 voix contre
seulement 3. Le projet de loi est enterré, l’esclavage
est maintenu dans le Bas-Canada, par la volonté de la
Chambre d’assemblée.
L’échec de ce premier projet nous fait connaître
quatre adversaires de l’esclavage : Pierre-Louis Panet,
Louis Dunière, Bonaventure Panet et Amable Berthelot.
Chose curieuse, l’un d’eux avait déjà eu un esclave : Louis
Dunière qui en 1751 avait acheté le Noir Jean Monsaige,
et dont le frère, curé de Saint-Augustin, avait eu en sa
possession le Noir Daniel-Télémaque.
Comme le démontre le vote du 19 avril 1793, la
Chambre d’assemblée comptait, en très forte majorité,
des partisans du maintien de l’esclavage. Parmi ces parti¬
sans, nous en connaissons au moins 12 qui avaient été, qui
étaient ou qui allaient devenir propriétaires d’esclaves :
Michel Chartier de Lotbinière, William Grant, Pierre-
Guillaume Guérout, Antoine Juchereau-Duchesnay,
Hippolyte-Saint-Georges Lecompte-Dupré, John Lees,
Robert Lester, David Lynd, James McGill, Mathew
McNider, Louis Olivier et John Young.
Les esclaves disparaissent un a un 3GI

En effet, Chartier de Lotbinière possédait au moins


deux Noirs. William Grant, qui eut une Noire en 1772 et
perdit un Noir en 1776, avait vu son esclave Jack s’en¬
fuir au début de 1792. Pierre-Guillaume Guérout possé¬
dait en 1783 un Noir, nommé Charles, qui prend alors
la fuite. Antoine Juchereau-Duchesnay possédait en
son manoir de Beauport un esclave noir, marié à une
Canadienne française, et père de quatre enfants esclaves.
A Hippolyte-Saint-Georges Lecompte-Dupré, nous
connaissons un Noir en 1774. John Lees était propriétaire
de deux esclaves noirs, mariés et parents d’un négrillon.
Robert Lester, Anglais catholique, avait perdu un Noir
en 1783, mais la même année il en fit baptiser un autre,
probablement encore en sa possession. David Lynd fera
baptiser en 1798 une Noire esclave âgée de 17 ans. James
McGill avait perdu un Panis en 1778, une Panise en 1783,
une Noire en 1789 ; il était peut-être déjà propriétaire
de ce Noir Jacques qui sera baptisé en 1806 à l’âge d’en¬
viron 40 ans. Mathew McNider a un Noir qui s’enfuit
en 1788 et un autre qui, la même année, se fait soigner
à l’Hôtel-Dieu de Québec. Louis Olivier a reçu de son
beau-père, Pierre Joinville, la Noire Marie Bulkley qui
accouche d’un enfant en 1792 et qu’il va revendre en 1797.
John Young achètera un Noir en 1795 et on lui en connaît
un autre en 1798.
La députation du Bas-Canada en 1793 comptait
donc 12 Canadiens qui, à un moment ou l’autre de leur
carrière, sont propriétaires d’esclaves : un seul, Louis
Dunière, s’affiche comme adversaire de l’esclavage. Les
autres sont en faveur du statu quo : 12 propriétaires
d’esclaves sur 50 députés, cela ne suffit pas nécessaire¬
ment pour maintenir l’esclavage ; ce qui importe ici, c’est
l’influence de certains propriétaires : William Grant,
Antoine Juchereau-Duchesnay, Hippolyte-Saint-Georges
Lecompte-Dupré, John Lees, James McGill, Mathew
McNider et John Young (pour ne mentionner que
3°2 Deux siècles d’esclavage au Québec

ceux-là). Toutefois, pour apporter ici une explication


valable, il faudrait savoir exactement ce qui s’est dit au
cours des débats, mais le Journal de la Chambre d Assem¬
blée ne nous l’a pas conservé.

Le Haut-Canada interdit l’importation d’esclaves

Des deux Canadas que l’Acte de 1791 avait formés,


le Haut-Canada, ou Ontario, sera le premier à légiférer
d’une façon restrictive sur l’esclavage. Au cours de sa
première session, qui n’avait duré qu’un mois, le parle¬
ment du Haut-Canada ne s’était pas arrêté au problème de
l’esclavage : il ne retiendra son attention qu’à la deuxième
session, celle qui s’ouvre au printemps de 1793 ; c’est alors
que le parlement du Haut-Canada adopte une loi pour
empêcher l’importation d’esclaves dans cette province et
pour déterminer dans quelles conditions l’esclavage sera
amené à disparaître. En résumé, que dit la loi? Il sera
défendu à l’avenir d’introduire dans le Haut-Canada des
esclaves noirs ou toute autre personne dans le but de les
soumettre à l’esclavage; les esclaves déjà présents dans
la province continueront de vivre en servitude et tout
enfant qui naîtra d’une mère esclave sera aussi esclave,
mais jusqu’à l’âge de 25 ans seulement.
La loi du Haut-Canada de 1793 ne supprime pas
l’esclavage : elle statue seulement qu’on ne pourra plus
faire entrer de nouveaux esclaves dans la province et
que les enfants qui naîtront d’une mère esclave devien¬
dront libres à l’âge de 25 ans. Comme l’écrit le député
D.W. Smith au négociant John Askin : «Nous n’avons
fait aucune loi pour libérer les esclaves. Tous ceux qui ont
été amenés dans cette province ou achetés légalement
sont esclaves à toutes fins pratiques et demeurent assurés
comme propriété en vertu d’un acte du parlement.»
Parlant des députés, Smith ajoute : « They are determined
however to bave a bill about Slaves, part of which I think is
Les esclaves disparaissent un a un 3°3

well enough, part most iniquitous! I wash my hands of it. A


free man who is married to a Slave, bis heir is declared by
this act to be a slave, fye.fye. The laws of God et man cannot
authorize it.» L’enfant d’une esclave doit être esclave
comme sa mère, peu importe la qualité du père : voilà ce
qui scandalise le député Smith; c’était pourtant dans le
Code noir depuis 1685.
John Askin, important propriétaire de Noirs et de
Panis, avait besoin d’être rassuré sur la nouvelle législation,
mais il pouvait demeurer tranquille : ses esclaves, même
ceux qui venaient de naître tout juste avant l’adoption
de la loi, pouvaient lui appartenir indéfiniment comme
esclaves; quant à ceux qui allaient naître d’une mère
esclave, ils seraient esclaves jusqu’à l’âge de 25 ans.
Le parlement du Haut-Canada avait trouvé une
formule pour satisfaire les propriétaires d’esclaves et en
même temps amener l’esclavage à s’éteindre; le droit
de propriété se trouvait respecté. Un seul changement
important se produit tout de suite : les Haut-Canadiens
ne peuvent plus importer d’esclaves. Mais cette loi va
aussi, par voie de conséquence, faire du Haut-Canada
une « terre de liberté » pour les esclaves fugitifs. En effet,
puisque la loi de 1793 défend de soumettre à la servi¬
tude tout esclave noir ou amérindien qui entre désor¬
mais dans la province du Haut-Canada, tout esclave
fugitif qui viendra chercher asile dans cette province
se trouvera libéré de servitude. Et, en fait, les esclaves
de l’extérieur ne laisseront pas se perdre cette nouvelle
protection : de Détroit (remise aux Etats-Unis à la fin
de 1796), ils traverseront la rivière Sainte-Claire; il en
viendra aussi du New York comme du Bas-Canada. Il
existera même, de 1793 à 1863, une organisation, qu’on a
surnommée The Underground Railway, qui fera venir des
États-Unis le plus d’esclaves possible6. Mais pendant que
le Haut-Canada devenait un lieu de refuge international,
3°4 Deux siècles d’esclavage au Québec

les esclaves d’avant 1793 continuaient d’y vivre en servi¬


tude.

Le juge en chef ne reconnaît pas l’esclavage

Le projet de loi présenté au parlement du Bas-


Canada au printemps de 1793, était donc «demeuré sur la
table» et rien n’était changé dans les conditions de l’es¬
clavage : les esclaves demeuraient esclaves indéfiniment,
on pouvait en importer de nouveaux et ceux qui entraient
dans le Bas-Canada restaient, en principe, esclaves
comme ci-devant. Les registres d’état civil continuent,
ainsi que cela se pratiquait depuis les environs de 1700,
de qualifier d’esclaves les Noirs et les Panis qui sont en
servitude : nous en trouvons huit exemples en 1793, sept
en 1794, deux en 1795, six en 1796, quatre en 1797, cinq
en 1798. Les registres des hôpitaux font encore mention
d’esclaves : deux en 1793, un en 1794, un en 1796. Ou ce
sont des propriétaires qui font savoir, par les gazettes ou
autrement, que tel ou tel de leurs esclaves est en fuite :
en 1794, Pretchard cherche son esclave noir, Isaac; en
1798, une dame Sawer, de Sorel, a perdu son esclave noire,
Philis ; James Fraser est à la poursuite de la Noire Lydia
qui a déserté avec une mulâtresse de quatre ans. Ou
encore c’est George Westphal qui en 1797 met en gage sa
mulâtresse Sedy, à cause d’une somme d’argent qu’il doit
à Richard Dillon. Ces divers renseignements permettent
d’identifier 8 Panis et 33 Noirs qui, dans les années 1793-
1798, sont encore en esclavage.
À ce nombre, il faut ajouter ceux qu’on met en vente.
Voici quelques exemples sur une vingtaine d’annonces de
J793 à T798 :
1793 Mulâtre de 22 ans, à vendre en février et
mars: s’adresser à Jean Routhier, de la Rivière-
Duchesne, ou à Jean-Marie Huppé, du faubourg
Saint-Antoine (Gazette de Montréal, publié par
Les esclaves disparaissent un a un 3°5

Edwards, 21 et 28 février, 7 mars).

T795 Judith, négresse, achetée le 27 janvier 1795


à Albany par le marchand Elias Smith, de
Montréal, pour le montant de 80 livres, cours
de New York (Journal de la Chambre d Assemblée,
1J99:127),

1796 Rose, négresse, âgée de 31 ans, vendue le


9 septembre 1796 par Louis Payet, curé de Saint-
Antoine-de-Richelieu, à Thomas Lée, pour
la somme de 500 livres, ancien cours (greffe
Michaud).

1797 Négresse, âgée de 17 ans environ, dont on offre


en vente les 17 années de service auxquelles elle
est encore soumise {Gazette de Montréal, publiée
par Edwards, juillet, août et septembre 1797).

De 1793 à 1798, on continue donc de vendre des


esclaves ou d’essayer d’en vendre ; et nous trouvons même
un ecclésiastique, le curé Louis Payet, qui se situe parmi
les toutes dernières personnes à faire la traite du « nègre ».
La dernière vente que nous connaissons est celle que l’ex¬
député Louis Olivier conclut en mai 1797 avec le marin
Joseph Gent; le dernier à vendre un esclave serait donc
un francophone du Bas-Canada. Quant à la dernière
mise en vente, elle est de janvier 1798. Nous touchons
vraiment au terme du commerce des esclaves, dans ce qui
est aujourd’hui la province de Québec.
Il régnait déjà depuis un certain nombre d’années
une grande incertitude. Rappelons-nous qu’en 1793, des
députés proposèrent à la Chambre d’assemblée du Bas-
Canada l’abolition de l’esclavage : ils échouèrent, tandis
que le Haut-Canada prohiba la même année l’importa¬
tion de nouveaux esclaves. Cela n’était pas de nature à
rassurer les propriétaires bas-canadiens, et les tribunaux
allaient contribuer à les inquiéter davantage.
3°6 Deux siècles d'esclavage au Québec

Dès 1794, une Cour de justice de Montréal crée


un précédent en faveur des esclaves. Un Noir, demeuré
anonyme, s’enfuit des États-Unis et trouve refuge à
Montréal ; puis, il s’en va travailler à la Rivière-Duchesne ;
un monsieur Platt, de Platt’s borough (lac Champlain),
vient le réclamer comme sien; le major Anctil s’oppose
à ce qu’on laisse ce Noir sortir du pays ; on porte l’affaire
en Cour et le juge, déclarant que l’esclavage n’est pas
« connu par les Lois d’Angleterre », libère le Noir de toute
poursuite7.
Invoquer l’ignorance de l’esclavage par les lois
d’Angleterre était, de la part de ce juge, une action fort
discutable (même si elle est louable) puisque l’esclavage
avait été formellement reconnu dans les colonies anglaises
et que le parlement de Londres ne s’était jusqu’alors
prononcé que sur l’abolition graduelle de la traite. En tout
cas, le précédent était posé : un juge venait de libérer un
Noir parce qu’on ne lui reprochait que d’être un esclave
fugitif.
Ce juge était-il William Osgoode? La seule pièce
qui nous fasse connaître ce précédent n’identifie pas le
juge. William Osgoode, qui passe pour être l’auteur de
cette loi que le Haut-Canada avait adoptée en 1793, avait
été promu, au début de 1794, juge en chef du Bas-Canada,
mais ce n’est que le n décembre (donc après la décision
de la Cour de Montréal) qu’il reçoit une commission de
juge en chef de la Cour du banc du roi8.
Si ce n’est pas le juge Osgoode qui pose le précé¬
dent de 1794, c’est lui qui par trois fois, en 1798, libère des
Noirs dont le seul crime est d’avoir déserté le service. La
première, la Noire Charlotte, appartient à Jane Cook de
Montréal : en février 1798, elle abandonne le service de
sa maîtresse ; on l’arrête en vertu d’un ordre d’un magis¬
trat et comme elle refuse de rentrer dans le devoir, on la
met en prison; elle demande alors le privilège de Xha-
beas corpus ; comme cela survenait pendant les vacations
Les esclaves disparaissent un a un 3°7

des tribunaux, le juge en chef Osgoode prit sur lui de


libérer la Noire sans exiger qu’elle revienne comparaître
devant la Cour. Cette décision causa tout de suite un
grand émoi, ainsi que l’affirme une requête présentée
à la Chambre d’assemblée : « Sur cet élargissement, les
Nègres dans la cité et district de Montréal menacèrent
d’une révolte générale9.» C’est-à-dire que les esclaves
voulurent conquérir leur liberté de la même façon.
Nous ne connaissons pas les détails de cette «révolte
générale», et il se peut d’ailleurs que les auteurs de la
requête aient exagéré l’affaire. En tout cas, nous rencon¬
trons deux esclaves qui imitent, sans tarder, la conduite
de la Noire Charlotte : la Noire Judith et le Noir Manuel.
Judith (appelée aussi Jude) avait été achetée en 1795 à
Albany par le marchand Elias Smith. Après la libéra¬
tion de la Noire Charlotte, elle prend la fuite et Smith
la fait arrêter et emprisonner. Elle se réclame du droit
de comparaître devant un juge; or ce juge est William
Osgoode. Le 8 mars 1798, il libère la Noire et, selon la
requête citée, déclare : «Audience tenante, que sur
fHabeas Corpus, il déchargerait tout nègre, apprenti sous
brevet et domestique qui dans de semblable cas seraient
commis à la prison par ordre des magistrats.»
Une fois de plus, le juge Osgoode se refusait à
reconnaître l’esclavage. Il eut une nouvelle occasion, en
décembre suivant, d’exprimer le même refus. Le Noir
Manuel avait été vendu en 1797 par Jervis George Turner
au tavernier Thomas John Sullivan ; celui-ci fit un premier
versement de 18 livres (cours de Québec), mais il promit
quand même à l’esclave de l’émanciper dans cinq ans. Or
le Ier mars 1798, Manuel décida de s’enfuir comme les
deux précédentes esclaves noires. Sullivan refusa de s’ac¬
quitter de sa dette envers Turner et se vit, pour ce motif,
poursuivi en Cour. Sullivan se défend en répondant
que Turner lui a vendu un «nègre» libre et il réclame
les 18 livres déjà versées. Manuel intervient pour déclarer
3°8 Deux siècles d’esclavage au Québec

que Turner n’avait pas le droit de le vendre puisque,


selon lui, les lois du pays ne reconnaissent pas l’escla¬
vage. Le juge Osgoode rendit sa décision le 18 décembre :
Turner, déclare le juge, n’a pas prouvé qu’il avait le droit
de vendre le « nègre » Manuel et Sullivan ne peut établir
qu’il a droit de propriété sur l’esclave ; donc la vente est
nulle et les 18 livres doivent être remboursées à Sullivan.
Quant à l’intervention de Manuel dans l’affaire, elle est
rejetée10. Turner était pourtant bel et bien propriétaire du
Noir puisqu’il l’avait acheté d’un nommé Allen, mais cela
ne suffisait pas au juge Osgoode pour qui l’esclavage était
illégal. Sullivan, de son côté, ne pouvait pas davantage
établir son droit de propriété. Quant à Manuel, il n’avait
pas à intervenir puisque, selon la sentence, il n’avait pas
été vendu. Par conséquent, il était libre.

Les propriétaires s’adressent


à la Chambre d’assemblée

Pourtant, aucune loi du Bas-Canada ne prohibait


l’esclavage. La législation ancienne demeurait en vigueur,
mais si le juge en chef persistait à libérer les esclaves sous
prétexte que, pour lui, ce n’étaient pas des esclaves, les
propriétaires ne pouvaient plus compter sur la protection
des tribunaux. C’est pourquoi, en avril 1799, un groupe
de Montréalais chargea le député Joseph Papineau
de présenter en leur nom une requête à la Chambre
d’assemblée.
Cette requête, présentée et lue à la Chambre le
19 avril, rappelle d’abord à l’attention des députés le
fondement juridique de l’esclavage : l’ordonnance de
l’intendant Raudot en 1709 établit que les Noirs et Panis
appartiennent à ceux qui les ont achetés, « comme leurs
propres esclaves»; le roi de France n’a jamais désap¬
prouvé cette ordonnance, elle était encore en vigueur en
1763 et, conséquemment, elle faisait partie des lois du
Les esclaves disparaissent un a un 3°9

Canada en 1774; l’esclavage a été regardé comme légal


dans les colonies britanniques; une loi du parlement
anglais en 1732 sur le recouvrement des dettes dans les
colonies mentionne les esclaves comme faisant partie des
biens réels que l’on peut saisir : cette loi a pleine vigueur
dans le Bas-Canada, en vertu de l’Acte de Québec; une
loi de 1790, pour encourager l’émigration vers les colonies
britanniques, assure aux sujets qui quitteront les États-
Unis le droit d’amener leurs esclaves et de les vendre
12 mois après leur arrivée.
C’est «sur la foi du gouvernement de Sa Majesté»,
poursuit la requête, que les habitants de cette province
et, en particulier, ceux de Montréal, « ont acheté à grand
prix, un nombre considérable d’esclaves Panis et Nègres»,
et c’est en se reposant sur la même foi que des habitants
des États-Unis sont venus dans cette province avec leurs
esclaves; ces «esclaves Panis et Nègres se sont toujours
comportés d’une manière convenable, jusqu’à dernière¬
ment, qu’ils sont devenus réfractaires par un esprit de
désobéissance dont ils se sont imbus, sous prétexte qu’il
n’existe point d’esclavage dans ce pays»; et la requête
énumère deux exemples : les Noires Charlotte et Jude que
le juge en chef Osgoode a libérées parce qu’il ne recon¬
naissait pas l’esclavage. Il en est résulté chez les Noirs une
menace de «révolte générale». Dans ces conditions, les
juges n’ont aucun pouvoir d’obliger les esclaves fugitifs
« à rentrer dans les services de ceux à qui ils appartiennent,
ni les propriétaires aucun pouvoir de forcer leurs esclaves
à obéir ou les tenir à leur service»; il en résultera des
« conséquences alarmantes, sans compter la grande perte
que les sujets de Sa Majesté de cette province, étant
propriétaires d’esclaves nègres, et les créanciers de tels
propriétaires pourront souffrir par le manque de moyens
où sont maintenant tels propriétaires de conserver leur
propriété dans leurs esclaves». Les Montréalais deman¬
dent donc à la Chambre d’assemblée d’adopter une
3i° Deux siècles d’esclavage au Québec

loi qui permette de procéder contre les esclaves déser¬


teurs et de les faire emprisonner, ainsi que l’on procède
en Angleterre contre les apprentis sous brevet; ou bien
alors, « qu’une loi puisse être passée déclarant qu’il n’y a
point d’esclavage dans la province; ou telle autre provi¬
sion concernant les esclaves que cette Chambre, dans sa
sagesse,jugera convenable».
Les propriétaires demandent qu’on leur assure les
droits qu’ils ont sur leurs esclaves, ou qu’on supprime
l’esclavage. Mais la Chambre d’assemblée ne parut
guère impressionnée et elle ordonna simplement que «la
dite requête reste sur la table pour la considération des
membres11».
La Chambre d’assemblée refusant de se prononcer
et le juge en chef ayant soutenu que les lois d’Angleterre
ne reconnaissaient pas l’esclavage, les esclaves pouvaient
continuer de déserter. Ce qui arrive à l’esclave de James
Fraser, de Montréal. Ce Fraser avait émigré des Etats-
Unis en 1783 en compagnie d’esclaves ; en 1799, il ne lui en
reste plus qu’un seul, le Noir Robin (appelé aussi Robert
ou Bob). Selon une requête présentée à la Chambre
d’assemblée, c’était «un de trois qui formaient toute la
propriété sauvée par M. Fraser des ravages de la dernière
guerre, et son unique ressource pour se soutenir dans sa
vieillesse»; or, ce Noir, qui avait déjà déserté, disparaît de
nouveau au printemps de 1799. Le maître l’attend en vain,
mais le 28 janvier 1800, il le découvre chez le tavernier
Richard Dillon où la vie avait évidemment plus d’attraits ;
le surlendemain, le Noir est arrêté et mis en prison.
L’avocat Perry prend la cause du Noir et, le 4 février, lui
fait accorder le privilège de Xhabeas corpus. Le 10 février,
l’esclave comparaît donc devant la Cour du banc du roi,
présidée par le juge en chef Osgoode qui a, à ses côtés,
les juges Pierre-Louis Panet et Isaac Ogden. L’avocat
Perry demande que le Noir soit relâché, cependant que
l’avocat Kerr soutient le point de vue du propriétaire ; la
Les esclaves disparaissent un a un 3ii

plaidoirie se poursuit le 13 ; enfin, le 18 du même mois,


les juges se prononcent en faveur d’une libération pure
et simple. Le tribunal invoquait, entre autres arguments,
une loi de 1797 qui empêchait de saisir les esclaves pour
le paiement des dettes de leurs maîtres : pour le tribunal,
cette loi équivalait à une émancipation. De toute façon,
une fois de plus, le juge en chef Osgoode et ses collègues
refusaient de punir celui à qui on ne reprochait pas autre
chose que d’être en fuite12.
Les propriétaires d’esclaves n’abandonnent pas la
partie ; ils chargent de nouveau le député Joseph Papineau
de présenter une requête à la Chambre d’assemblée : les
députés en entendent lecture le 18 avril 1800. Cette requête,
d’une rédaction différente de la première, réclame de la
législature une décision « qui investisse les maîtres d’une
manière plus efficace de la propriété de leurs esclaves;
et qui pourvoie des lois et règlements pour le gouver¬
nement de cette classe de gens qui tombe sous la déno¬
mination d’esclaves ». Elle invoque les mêmes arguments
historiques qu’en 1799, mais cette fois, au lieu de faire
simplement allusion à des textes de lois, elle se donne la
peine de les citer mot à mot : l’ordonnance de Raudot
en 1709 «qui n’a jamais été changée ni révoquée», la loi
de 1790 sur l’émigration des Américains. De nombreux
sujets de Sa Majesté, poursuit la requête, «après avoir
exposé leurs vies à son service, et y avoir sacrifié presque
tous leurs biens durant la dernière guerre calamiteuse,
sont venus avec leurs esclaves dans cette province, sous
la promesse sacrée qui leur est faite par le statut susmen¬
tionné, lesquels, aujourd’hui sont abandonnés et mis au
défi par ces mêmes esclaves, qui formaient leur unique
ressource, et cela à l’abri de l’idée qui s’est répandue
dernièrement, que l’esclavage n’existe plus dans ce pays ».
La requête illustre cette affirmation par le cas de James
Fraser qui ne possédait plus qu’un esclave «pour se
soutenir dans sa vieillesse » et qui s’en voit frustré parce
312 Deux siècles d'esclavage au Québec

que le tribunal le prive de son droit de propriété. La


requête soutient, à l’encontre du tribunal, que la loi de
1797 qui interdit de saisir les esclaves pour le paiement
des dettes de leurs maîtres, «ne s’étend pas à priver les
maîtres de la propriété de leurs esclaves, ni peut-on [la]
considérer comme émancipant les esclaves dans les plan¬
tations de Sa Majesté».
Les signataires de la requête se disent mortifiés d’oc¬
cuper «la Chambre si longtemps sur un sujet si intéres¬
sant pour eux, comme ayant payé des sommes considéra¬
bles pour des esclaves qui les ont quittés. Et ils sont tous
très convaincus que cette classe d’hommes, actuellement
lâchée sur le public, et qui mène une vie oisive et aban¬
donnée pourrait être tentée de commettre des crimes,
qu’il est du devoir de tout bon citoyen de s’efforcer de
prévenir». Que demandent-ils? «Qu’il plaise donc à
cette Chambre, de former un acte qui déclare que l’escla¬
vage existe sous certaines restrictions dans cette province,
et qui investisse parfaitement les maîtres de la propriété
de leurs Nègres et Panis; et de plus que cette Chambre
pourvoie tels lois et règlements pour le gouvernement des
esclaves que sa sagesse lui suggérera être convenables13.»
Ils auraient pu ajouter un autre argument : l’exemple
du Haut-Canada. Les signataires réclament exactement
ce que la législature du Haut-Canada a établi en 1793 :
la reconnaissance de l’esclavage par le parlement, pour
assurer aux propriétaires l’entière possession de leurs
esclaves, et des mesures restrictives, si nécessaire, sur l’im¬
portation de nouveaux esclaves. Nous ignorons pourquoi
les habitants de Montréal n’ont pas invoqué cet exemple
du Haut-Canada : dans un pays qui venait d’être divisé
en deux Canadas, il importait pourtant qu’il y eût sur un
problème commun une même législation.
Les esclaves disparaissent un a un 3X3

La Chambre d’assemblée refuse


encore de se prononcer

La requête d’avril 1799 était immédiatement mise


«sur la table» de la Chambre pour y rester; celle d’avril
1800 va faire un peu plus de chemin. Sur une proposition
des députés Joseph Papineau et John Black, la Chambre
accepta de former un comité de cinq membres pour
étudier la requête et « pour faire rapport à cette Chambre,
avec toute la diligence possible » ; l’on désigna pour faire
partie de ce comité les députés Joseph Papineau, William
Grant, John Craigie, James Cuthbert et Alexandre
Dumas. Les propriétaires d’esclaves pouvaient espérer;
sur les cinq membres du comité, trois étaient intéressés
à une législation de l’esclavage : Joseph Papineau s’était
fait l’avocat des propriétaires; William Grant et James
Cuthbert avaient eu des esclaves.
Le comité travailla avec diligence : alors que la
requête avait été présentée le vendredi 18 avril, le comité
se présenta dès le lundi suivant pour faire rapport. A titre
de président du comité, James Cuthbert fit connaître
les deux résolutions sur lesquelles le comité était tombé
d’accord :

Que c’est l’opinion de ce comité qu’il existe des fonde¬


ments raisonnables pour passer une loi qui réglerait
la condition des esclaves, qui limiterait le terme de
l’esclavage, et qui préviendrait l’introduction ultérieure
des esclaves en cette province.

Que c’est l’opinion de ce comité que le président


demande à la Chambre qu’il soit permis au dit comité
d’y introduire un Bill en conséquence.

En demandant une loi pour régler la condition des


esclaves et, en même temps, limiter le terme de l’esclavage,
le comité rejoignait la législation adoptée par le Haut-
3H Deux siècles d’esclavage au Québec

Canada en 1793. La Chambre d’assemblée approuva tout


de suite les deux conclusions du rapport. Il ne restait plus
qu’à discuter le projet de loi.
Il subit la première lecture le 30 avril, grâce à une
proposition de James Cuthbert. On devait procéder
à la seconde lecture le 2 mai, mais on renvoya l’affaire
au lendemain : et le lendemain, samedi, on n’eut pas le
temps de s’en occuper. La seconde lecture eut lieu le lundi,
5 mai, et sur une proposition de James Cuthbert et de
Joseph Papineau, toute la Chambre se forma en comité
pour discuter des clauses du projet de loi. La discussion
fit quelque progrès et la Chambre se proposa de conti¬
nuer le lendemain : or, le lendemain, on ne put siéger
faute de quorum. Le travail reprit le 7 mai, mais « plusieurs
membres s’étant retirés», il fallut ajourner encore parce
qu’il n’y avait plus quorum. La discussion ne reprit que le
17 mai, samedi : une proposition d’ajourner le débat au
lundi suivant ayant été battue, plusieurs députés préfé¬
rèrent se retirer et l’on dut, par conséquent, ajourner faute
de quorum. On ne parla plus de ce projet de loi les jours
suivants, et la session prit fin le 29 mai.
Le Journal de la Chambre d’Assemblée ne nous a pas
transmis le procès-verbal de la discussion : il serait inté¬
ressant de suivre les débats et de savoir pourquoi, alors
que le projet de loi en est à sa troisième et dernière lecture,
les députés s’adonnent à l’école buissonnière : opposi¬
tion? indifférence? En tout cas, sur 50 députés, 6 seule¬
ment pouvaient être intéressés personnellement, parce
qu’ils avaient ou avaient eu des esclaves : Louis-Charles
Foucher, William Grant, John Lees, Joseph Périnault-
Lamarche, Denis Viger et John Young.
Les propriétaires d’esclaves ne réussirent donc pas à
se faire confirmer leur propriété par une loi, et le parle¬
ment ayant été dissous à la fin de mai 1800, il fallait tout
remettre à la session qui suivrait les élections générales.
Et si ces propriétaires savaient qu’en cette même année
Les esclaves disparaissent un a un 3i5

1800 la Nouvelle-Écosse prenait l’initiative de déporter


en Afrique une cargaison de ses esclaves, il y avait de
quoi devenir de plus en plus inquiet. En fait, nous cons¬
tatons cette inquiétude chez Chartier de Lotbinière;
quand il fait l’inventaire de ses biens en août 1800, il
déclare à propos de son esclave noir Joseph-Louis dit
Pompée, âgé d’environ 20 ans : «Vu le défaut de moyen
en cette province de s’aparer [prendre possession] cette
espèce de propriété elle est considérée comme précaire et
incertaine14. »
Les élections générales terminées, la session du
nouveau parlement s’ouvre le 8 janvier 1801. Dès le
17 janvier, James Cuthbert et le juge Pierre-Louis Panet
présentent une fois de plus à la Chambre un projet de
loi pour régler la condition des esclaves et pour limiter
le terme de l’esclavage; le projet de loi subit sa première
lecture. Le vendredi, 23 janvier, on en fait la deuxième et
les députés Cuthbert et Lees proposent que le vendredi
suivant toute la Chambre siège en comité : ce qui est
accepté. Arrive le vendredi suivant, mais le projet paraît
oublié : on n’en souffle mot. Le 5 février, James Cuthbert
revient à la charge, appuyé par Pierre-Louis Panet, et la
Chambre consent à se former en comité le 26 suivant. Or,
ce 26, il n’y a pas de séance. Le 2 mars, nouvelle inter¬
vention de James Cuthbert, en compagnie de Lrancis
Badgley : la Chambre accepte de siéger en comité le
vendredi suivant, 6 mars ; ce 6 mars, Pierre-Louis Panet
et Joseph Périnault-Lamarche font remettre l’affaire
au lendemain, et le lendemain on n’en parle pas. Enfin,
le 9 mars, la Chambre se transforme en comité sous la
présidence de Lrancis Badgley; on discute quelque temps,
puis l’orateur vient réoccuper son fauteuil : le comité a
terminé sa séance. C’était sa dernière de la session.
Pourquoi ce nouvel échec? Nous ne pourrions l’ex¬
pliquer que si le procès-verbal de la discussion nous avait
3ï6 Deux siècles d’esclavage au Québec

été transmis. Faute de quoi, nous ne pouvons que consi¬


gner l’échec, une fois de plus.
Ce n’est qu’en 1803 que les propriétaires d’esclaves
font une nouvelle tentative à la Chambre d’assemblée.
Le ier mars, James Cuthbert présente un projet de loi
«pour lever tous doutes au sujet de l’esclavage dans cette
province, et pour d’autres effets» : la Chambre lit le
projet pour la première fois; le 7 suivant, il est entendu
en deuxième lecture. C’est toujours après la deuxième
lecture que commence vraiment l’épreuve. James
Cuthbert et Denis Viger proposent que le projet de
loi soit référé à un comité qui devra faire rapport « avec
toute la dépêche convenable»; on appelle à ce comité
James Cuthbert, le juge Pierre-Amable Debonne, Alexis
Caron, John Craigie et John Lees. Le comité se met au
travail; le 15 mars, Cuthbert et Caron proposent que l’on
ajoute deux membres, et l’on désigne François Huot et
Jean-Baptiste Raymond. Mais c’est la dernière fois que
les journaux de la Chambre d’assemblée font mention
d’un projet de loi sur l’esclavage. Après ces tentatives,
toutes vaines, d’obtenir de la Chambre d’assemblée du
Bas-Canada une législation sur l’esclavage, personne ne
fit de nouvelle démarches : jamais plus, après 1803, on
n’inscrivit à l’ordre du jour de l’Assemblée la question de
l’esclavage. Les statuts parlementaires du Bas-Canada ne
contiennent aucune loi sur la condition des esclaves15.

L’esclavage disparaît avant l’abolition officielle

Pendant que l’on faisait ces tentatives, y avait-il


encore vraiment beaucoup d’esclaves dans le Bas-Canada ?
L’indifférence de la Chambre d’assemblée devant le
problème de la servitude, le silence quasi complet de la
presse et même l’insistance des propriétaires qui semblent
vouloir sauver juste ce qu’il leur reste (c’est le cas, par
exemple, de James Fraser) nous permettent de penser
Les esclaves disparaissent un a un 317

que le nombre des esclaves devait être alors fort réduit.


Les documents de toute nature ne nous en signalent plus
qu’un tout petit nombre. Le dernier acte de vente est du
13 mai 1797 (lorsque Louis Olivier, de Berthier-en-Haut,
vend au marin Joseph Gent la Noire Marie Bulkley) et
la dernière fois qu’on offre en vente un esclave par le
truchement de la presse se produit le 29 janvier 1798 dans
la Gazette de Montréal : le marché des esclaves prend fin.
A partir de 1799, nous ne trouvons plus que de très rares
Noirs et Panis qui vivent encore en servitude. En fait, nous
n’en connaissons que 19 (n Noirs et 8 Amérindiens) :

1799 2 1806 I

1800 2 1807 2

1802 7 1808 2

1803 2 1821 X

Il s’en trouve à peu près chaque année jusqu’en


1808, mais ensuite il faut attendre 1821; c’est la dernière
fois qu’on fait mention, dans quelque document que ce
soit, d’un individu esclave : la Panise Marie-Marguerite
que Grasset de Saint-Sauveur avait donnée à l’Hôpital-
Général de Montréal en partant pour la France, aurait
ainsi l’honneur de terminer le catalogue de l’esclavage.
Quant au mot esclave, il avait été employé la dernière fois
dans les registres d’état civil, le 18 novembre 1798, à l’oc¬
casion du baptême du Noir Henry Williams dans l’église
anglicane de Québec.
A part ces 19 individus qui sont encore esclaves au
moment de l’énumération, il en existait fort probablement
quelques autres. On sait, par exemple, que des esclaves
ne voulurent pas accepter l’affranchissement; c’est le
cas de la Noire Angélique qui vivait aux Trois-Rivières
dans la famille Neilson et qui serait morte, esclave volon¬
taire, vers 1808 ou 1810 ; c’est aussi le cas de Lisette, mulâ¬
tresse qu’avait achetée le grand-père de l’écrivain Aubert
de Gaspé et s’était attachée à la famille : on avait voulu
3i8 Deux siècles d’esclavage au Québec

l’émanciper, mais « elle se moquait de son émancipation


comme de ça, disait-elle, en se faisant claquer les doigts,
car elle avait autant droit de rester à la maison où elle
avait été élevée, que lui et tous les siens. Si son maître
exaspéré la mettait dehors par la porte du nord, elle
rentrait aussitôt par la porte du sud et vice-versal6 ».
Nous rencontrons aussi d’anciens esclaves sans
que nous sachions combien de temps ils sont libres. Le
12 avril 1799, on inhume à l’Hôpital-Général de Montréal
la Panise Marie-Joseph, âgée d’environ 100 ans, qui avait
appartenu à feu dame Ruette d’Auteuil ; au même endroit,
le 22 mars 1802, on inhume la Panise Marie-Louise,
morte à 87 ans et ancienne esclave de feu le chevalier
de Lacorne; et le 6 juillet suivant, toujours au même
endroit, la Noire Marie-Louise-Jeanne «Thomme»,
âgée de 60 ans, qui appartenait ci-devant à feu le négo¬
ciant Jean Orillat. À l’Hôtel-Dieu de Québec, le 8 juin
1810, on procède à l’inhumation de la Panise Marguerite,
âgée de 70 ans et qui est alors qualifiée de servante.
Et voici une esclave, affranchie depuis 1763, que l’on
inhume à Longueuil le 23 octobre 1812, à l’âge de 88 ans :
la Noire Marie-Elisabeth, veuve du Noir Jacques-César
et ancienne esclave des Lemoyne de Longueuil. Le
25 décembre 1814, à l’Hôtel-Dieu de Québec, à 60 ans,
est inhumée la Panise Marie ; à Montréal, le 22 mars
1819, on inhume une autre Panise du nom de Marie,
celle-ci âgée de seulement 22 ans. Le docteur Boucher
de Labruère, écroué à la prison de Montréal, fait allu¬
sion en décembre 1838 à une vieille Noire «qui nous lave
bien notre butin presque pour rien1/7 » : cette vieille Noire
avait dû, au moins dans sa jeunesse, connaître la servi¬
tude. Enfin, mentionnons la Noire Catherine Thompson,
veuve de Jean-Baptiste Johnton, que l’on inhume à
Vaudreuil, le 30 juin 1840, à l’âge de 83 ans : ce doit être
un autre témoin de l’ancienne époque de servitude.
Les esclaves disparaissent un a un 319

Il est assez difficile de dire exactement comment


l’esclavage prit fin au Canada français. La dernière vente
d’esclave a eu lieu en 1797; en 1798, les registres d’état civil
font usage du mot esclave pour la dernière fois; après
1803, on ne parle plus jamais du problème de l’esclavage
dans la Chambre d’assemblée ; et nous voyons disparaître
en 1821 le dernier individu (une Panise) qui ait été esclave
jusque-là. L’histoire de notre esclavage se termine-t-elle
plutôt par la loi anglaise? Le 28 août 1833, le gouverne¬
ment anglais décide de mettre un terme à l’esclavage
dans l’Empire britannique. La loi qu’il adopte et qui doit
entrer en vigueur en 1834, prévoit «une période d’ap¬
prentissage de la liberté qui devait durer jusqu’au ier août
1838 pour les esclaves urbains et jusqu’au ier août 1840 pour
les esclaves ruraux», mais la période d’apprentissage fut
bientôt abrégée et « dès 1838 l’émancipation de tous les
esclaves était un fait accompli» en terre britannique18.
Se trouvait-il encore des esclaves dans le Bas-
Canada pour profiter de cette loi libératrice? Benjamin
Suite affirme qu’il a connu «plusieurs nègres émancipés
par l’acte de 1833 mais pas un seul Panis19 » : il aurait
dû nous en conserver les noms! Comme le marché
des esclaves semble tomber à zéro, et pour de bon, dès
le début du XIXe siècle, nous inclinons à croire que ces
esclaves noirs, émancipés par la loi de 1833, ne pouvaient
être que de vieux Noirs ou qu’ils n’étaient plus que de
très rares exceptions. Une chose nous paraît certaine : il
n’y avait plus d’Amérindiens esclaves pour profiter de la
grande émancipation. Autant dire qu’au Québec l’escla¬
vage disparaît de lui-même sans qu’on puisse en dater le
terme.
320 Deux siècles d'esclavage au Québec

► NOTES

1 Jean Piquefort (pseudonyme de Routhier), «Portraits et pastels litté¬


raires », dans Les Guêpes canadiennes (édition Laperrière), 290s.
2 Vente du 29 mars 1787, greffe Faribault.
3 Quebec Herald, 22 juillet 1790, p. 8 ; Gazette de Québec, 16 décembre
1790, p. 4.
4 Gazette de Québec, 21 juillet 1791, p. is.; 28 juillet, p. is.; 4 août, p. is.;
11 août, p. 1 ; 18 août, p. is.; 25 août, p. is.; Ier septembre, p. is.; 8
septembre, p. is.; 15 septembre, p. 3s.
5 Quebec Herald, 12 mars 1792, p. 8 ; 16 avril 1792, p. 5 ; Gazette de Québec,
7 juin 1792, p. 2 ; 21 juin 1792, p. 2.
6 Quebec Herald, 16 juillet 1792, p. 3; 23 juillet 1792, p. 2s; Gazette de
Québec, 30 août 1792, p. 3.
7 W. H.Withrow, «The Underground Railway», dans MSRC, VTII,
1902,2,49-77.
8 Cours du Temps, 20 octobre 1794, p. 93.
9 Audet et Fabre-Surveyer, Les Députés au premier Parlement du Bas-
Canada, 130 ; P.-G. Roy, Les Juges de la Province de Québec, 401.
10 Requête de 1799, dans le Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-
Canada, 1799, p. 127.
11 D’après les pièces citées ou résumées par Viger-LaFontaine, «De
l’esclavage en Canada», dans Mémoires de la Société historique de
Montréal, 1,52-55.
12 Requête datée du ier avril 1799 et lue en Chambre le 19 suivant, dans
le Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada 1799,123-127.
13 Requête présentée à la Chambre d’assemblée en avril 1800, dans le
Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1800, 154. Procès-
verbal et affidavits cités par Viger-LaFontaine, «De l’esclavage en
Canada», dans Mémoires de la Société historique de Montréal, I, 62s.;
voir aussi la requête ci-après résumée.
14 Requête reproduite dans le Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-
Canada, 1800,151-157.
15 Inventaire publié dans RAPQ, 1951-1953,390.
16 Suite affirme que « la législature de Québec régla enfin par une loi la
situation des esclaves » en 1833 et que le Parlement de Londres imita
sa colonie en 1834 («L’esclavage en Canada», dans la Revue cana¬
dienne, 1911, 61, 333): la législature de Québec n’a jamais adopté une
seule loi sur l’esclavage.
17 Hubert Neilson, « Slavery in Old Canada», dans Transactions of the
Literary and Historical Society of Quebec, XXVI, 1906, 39. Aubert de
Gaspé, Les Anciens Canadiens, 292s.
Les esclaves disparaissent un a un 321

18 Lettre à sa femme, 12 décembre 1838, lettre qui nous a été commu¬


niquée par Fernand Ouellet, archiviste adjoint de la Province de
Québec.
19 Gaston Martin, Histoire de l’esclavage dans les colonies françaises, 280.
Conclusion

D ans ce qu’on appelle aujourd’hui le Québec et qui


correspond plus ou moins, ainsi que nous l’avons
expliqué, à ce qui fut la Nouvelle-France, le Canada du
Régime français et le Bas-Canada, l’esclavage connut
donc, pendant deux siècles, une existence officielle.
Comme il était pratiqué dans toutes les colonies
européennes, catholiques ou protestantes, on ne voit pas
pourquoi le Québec aurait échappé à l’usage interna¬
tional de réduire en servitude les Noirs et les Indigènes.
Toutefois, l’esclavage n’existe ici que sur une toute
petite échelle. Le Noir que Guillaume Couillart reçoit
en cadeau en 1632 demeure pendant un quart de siècle
l’unique Noir de la colonie. Le gouverneur Courcelle,
les explorateurs Jolliet et Dulhut acceptent des esclaves
amérindiens en guise de présents, mais il faut attendre
les dernières années du XVIIe siècle pour voir défiler plus
ou moins régulièrement des Amérindiens et des Noirs
comme esclaves appartenant à des Français. Quant au
mot esclave, il n’apparaît pour la première fois dans les
registres d’état civil que le 28 octobre 1694.
Nos ancêtres du Québec ont désiré recourir à l’impor¬
tation massive de Noirs. En 1688, trois ans après la publi¬
cation du Code noir à l’adresse des Antilles, le gouverneur
324 Deux siècles d'esclavage au Québec

DenonviUe et l’intendant Bochart-Champigny deman¬


dent des Noirs : en 1689, Ruette d’Auteuil présente un
mémoire au roi pour faire valoir qu’au Canada la main-
d’œuvre, rare et coûteuse, ruine les entreprises ; on réussi¬
rait mieux si l’on avait des « nègres ». Louis XIV autorise
donc les Québécois en 1689 à posséder des esclaves noirs,
tout en recommandant la plus sage prudence au cas où
ces Noirs, qui auraient coûté cher, ne survivraient pas au
climat. Une guerre empêche de donner suite à l’autori¬
sation; une deuxième, en 1701, reste vaine parce que la
guerre reprend aussitôt.
À défaut d’une importation massive d’esclaves noirs,
les Canadiens entre temps s’étaient contentés des
quelques Noirs que les hasards de la guerre permettaient
de tirer des colonies anglaises, mais ils trouvaient surtout
à se rabattre sur les esclaves amérindiens que le marché
pelletier avec l’Ouest amenait à Montréal en nombre
toujours croissant. La situation demeurait confuse; les
propriétaires n’avaient encore aucune garantie précise sur
la possession de leurs esclaves. L’intendant Raudot
déclare donc en 1709 que les Noirs et les Panis appar¬
tiennent comme esclaves à ceux qui les ont achetés ou
qui les achèteront. À partir de ce moment, l’esclavage
devient légal et c’est en 1709 que les notaires se mettent à
dresser des actes de vente d’esclaves. Par la suite, cette
ordonnance de Raudot demeure toujours en vigueur; au
besoin, comme en 1730, l’intendant Hocquart la publie de
nouveau pour rappeler aux Québécois que l’achat des
esclaves, noirs ou « rouges », est légal.
L’esclavage noir ne posait pas un problème parti¬
culier : à moins d’avoir été affranchi, un « nègre » est un
esclave quelque part qu’il se trouve et les rois de France
ont permis aux Canadiens d’en acquérir. Mais l’escla¬
vage amérindien n’allait pas de soi : pouvait-on réduire
en servitude n’importe quelle tribu sauvage, même si
l’intendant Raudot n’avait fait mention que des Panis?
Conclusion 325

Quant aux Amérindiens à qui le baptême catholique


assurait en principe les mêmes privilèges qu’aux Français,
comment pouvait-on en faire des esclaves ? Il se présente
un cas type en 1732, lorsqu’on fait la saisie d’un esclave
patoca, déjà baptisé, et qu’on le met à l’enchère. Mis au
courant de cette affaire, Louis XV l’approuve, en refu¬
sant toutefois de se prononcer par une loi formelle sur
l’esclavage amérindien : les juges, déclare-t-il, pourront
se conformer à l’usage du pays, usage qui veut que ces
«sauvages» soient esclaves, mais tout affranchissement,
pour être valable, sera fait par écrit devant notaire.
Pouvait-on aller jusqu’à exporter des esclaves
amérindiens ? L’intendant Raudot répondit par la néga¬
tive, en donnant comme raison que son ordonnance ne
valait que pour le Canada; mais, en fait, des «sauvages»
ont été expédiés aux Antilles pour y subir l’exil en châti¬
ment ou tout simplement parce que les propriétaires ne
voulaient plus les garder parmi eux.
Quoi qu’il en soit, l’ordonnance de Raudot établit
définitivement le droit du propriétaire sur son esclave;
durant tout le Régime français, c’est elle que l’on invoque
chaque fois que le propriétaire voit son droit menacé.
Enfin, par l’article 47 qui garantit aux Canadiens le plein
droit de propriété sur les esclaves, la capitulation de
1760 prolonge sous le Régime anglais l’institution fran¬
çaise de l’esclavage, sans qu’il soit désormais nécessaire
d’ajouter au fondement juridique : des propriétaires s’ap¬
puient encore sur l’ordonnance Raudot lorsqu’ils s’adres¬
sent à la Chambre d’assemblée en 1800.
Dans les limites géographiques traditionnelles
du Québec, auquel nous joignons des territoires qui à
diverses périodes en ont relevé, nous avons dénombré, de
1632 jusque dans le premier tiers du XIXe siècle, un total
de 4185 esclaves. Ils se répartissent en 2683 Amérindiens,
dits «esclaves rouges», 1443 Noirs et 59 autres esclaves
dont on ne sait s’ils sont noirs ou amérindiens.
326 Deux siècles d’esclavage au Québec

Les Noirs sont les moins nombreux, 1443, soit 35 %.


Ce n’est que dans les 20 dernières années du Régime
français que leur quantité prend quelque importance :
butin de guerre surtout, esclaves fugitifs ou, ce qui est rare,
bois d’ébène que des marchands canadiens vont chercher
aux Antilles. Mais le nombre des Noirs va s’élever rapi¬
dement après 1760, en particulier à l’époque de l’immi¬
gration des loyalistes : l’esclavage noir ne devient impor¬
tant que sous le Régime anglais.
Les Amérindiens constituent, chez nos esclaves, le
groupe racial le plus important : 2683 individus ou 65,1 %
de la population esclave. Près des deux tiers sont qualifiés
de panis d’après une nation qui vivait dans les hauts des
rivières Missouri et Kansas. Cependant, nous n’avons pas
toujours là des Panis authentiques : nous avons constaté
que panis est assez souvent synonyme d’esclave. Un certain
nombre d’Amérindiens sont inscrits dans les registres
avec une qualification plus précise : le Mississippi a fourni
des Aiouois, des Missouris, des Kansés, des Arkansas,
des Ouachas, des Natchez, des Tchactas, des Chicachas,
des Chouanons, des Cahokias, des Tamarois, des Illinois.
De l’Ouest canadien, il est venu des Sioux, des Brochets,
des Assiniboines, des Cristinaux et des Mandanes ; de la
région des Grands Lacs, des Sauteux, des Renards, des
Folles-Avoines, des Mascoutins, des Poutéoutamis, des
Outaouais, des Iroquois, des Loups ; enfin, des nations du
Nord on a tiré des Gens des terres, des Têtes de boules,
des Montagnais et même des Esquimaux.
Près de 4200 esclaves en 2 siècles, c’est évidemment
très peu si l’on songe que, dans la seule année 1746, la
Louisiane en a compté 5000. Dans les colonies à sucre
ou à tabac, l’esclavage a été un impératif de l’économie,
mais au Canada français on ne trouve aucun secteur de
la vie économique qui rende nécessaire la présence d’une
main-d’œuvre esclave : l’agriculture n’a été pratiquée
que sur une modeste échelle, l’industrie qui menaçait de
Conclusion 327

concurrencer celle de France était interdite, le commerce


principal (celui des fourrures) n’a été qu’un commerce
en transit. Admettons, cependant, que sous le Régime
français il est très difficile de se procurer des domestiques :
ce qui aurait, croyons-nous, amené les Canadiens à imiter
les autres colonies esclavagistes. Ils les ont imitées, mais
seulement comme un parent pauvre cherche à imiter ses
cousins grands seigneurs.
Ces esclaves sont distribués un peu partout à travers
le Québec, mais nous les rencontrons surtout dans les
villes de Montréal et de Québec. Montréal est la ville la
plus fournie en esclaves : elle en compte à elle seule 1525,
soit 36,4 % de la population esclave. Québec ne vient
qu’au second rang avec 970 esclaves (23,2 %). C’est aussi
à Montréal, aboutissement de la fourrure des pays d’en
haut, qu’on retrouve le plus fort rassemblement d’esclaves
amérindiens : 1007, soit 37,5 % des Amérindiens esclaves,
quand la ville de Québec n’en a que 400 ou 14,9 %(?).
Par ailleurs, les Noirs se répartissent avec une différence
beaucoup moins marquée entre ces deux villes : 39,5 % à
Québec et 35,9 % à Montréal.
Avec les ajouts et modifications à notre Dictionnaire
des esclaves et de leurs propriétaires qui se retrouvent en
annexe, nous inscrivons 1574 propriétaires; de ce nombre,
1535 sont des propriétaires à esclaves dûment identifiés
et ils se répartissent en 1312 propriétaires francophones
(80 %) et seulement 223 anglophones. Les francophones
possèdent, en tout, 2858 esclaves (86,8% de tous les
esclaves identifiés), dont 2262 Amérindiens, alors que les
anglophones n’en détiennent que 132; les francophones
sont donc surtout responsables de l’esclavage amérin¬
dien. Par ailleurs, les Noirs ne constituent que 20,9 %
des esclaves des francophones, alors qu’ils représentent
69,5 % des esclaves des anglophones.
Les 1574 propriétaires appartiennent à tous les rangs
de la société et aux professions les plus diverses. Nous
328 Deux siècles d’esclavage au Québec

reconnaissons des gouverneurs généraux : Vaudreuil,


Beauharnois, Vaudreuil-Cavagnial et Murray; des inten¬
dants : Hocquart et Bigot; le lieutenant gouverneur
Cramahé; des gouverneurs particuliers, comme les
Ramezay, les Lemoyne de Longueuil, les Rigaud de
Vaudreuil et les Boisberthelot de Beaucour. Seize
membres du Conseil supérieur, 23 membres des Conseils
exécutif et législatif, 17 députés (dont 10 députés
canadiens-français), et plusieurs juges. Nous avons
compté 164 officiers militaires (dont les Lavérendrye, les
frères Lacorne et les Tarieu de Lapérade) ; 22 médecins
et chirurgiens, 20 notaires, 2 arpenteurs, 1 maître sculp¬
teur, 1 maître de langue, 5 interprètes, des imprimeurs
(William Brown, Fleury Mesplet et John Neilson); des
gens de métier : 9 forgerons, 4 maçons, 8 tailleurs, des
charpentiers et d’autres. Mais les propriétaires sont
surtout des gens qui se livrent au commerce, qu’ils s’inti¬
tulent marchands-bourgeois ou ne soient que de petits
traiteurs : le tiers de tous les esclaves appartiennent à la
seule classe marchande, et encore là, les commerçants
canadiens-français d’après la conquête ont plus d’esclaves
que les marchands anglais. Quant aux seigneurs, nous en
connaissons 146, dont seulement 10 anglophones : ces
seigneurs (que nous avons comptés à part, car bon nombre
d’entre eux apparaissent dans les professions précédentes)
possèdent 442 esclaves, ce qui nous amène à supposer
que l’esclave est une figure assez coutumière dans les
manoirs.
Des membres du clergé ont eu des esclaves : les
évêques Saint-Vallier, Dosquet, Pontbriand et Plessis ; les
prêtres séculiers Gaspard Dunière, Henri-Nicolas Catin,
Pierre Fréchette et surtout Louis Payet qui posséda cinq
esclaves et qui est l’un des tout derniers acheteurs d’esclave
au Canada français; les sulpiciens Pierre-Paul-François
Delagarde et François Picquet; le récollet Bonaventure
Léonard ; les jésuites Joseph Aubery, François Du Jaunay,
Conclusion 329

Michel Guignas et Marin-Louis Lefranc. Nous trou¬


vons des esclaves qui appartiennent à des communautés :
les Jésuites à Québec, à Saint-François-du-Lac, au
Sault-Saint-Louis, à la mission de Détroit (Pointe-de-
Montréal) et à celle de Michillimackinac ; les frères de
la Charité à Louisbourg; l’Hôpital-Général de Québec,
1 Hôtel-Dieu de Montréal, la Congrégation de Notre-
Dame; et surtout l’Hôpital-Général de Montréal où
vivent des esclaves que Mère d’Youville reçoit de feu son
mari ou que des émigrants de la conquête lui donnent
pour aider l’œuvre de l’Hôpital ou pour assurer l’avenir
de ces esclaves qu’ils ne peuvent amener en France. À
Québec même, le Séminaire de Québec ne semble pas
avoir eu d’esclaves, ni les Ursulines, mais le Séminaire de
Québec et les Jésuites en possédaient dans leurs missions
de Kaskaskias, et les Ursulines à la Nouvelle-Orléans. Au
total, le clergé et les communautés religieuses en auraient
eu au moins une quarantaine dans les limites du Québec
actuel. Rappelons-nous qu’en 1720 les communautés
s’étaient jointes aux habitants pour tenter d’acheter une
centaine de Noirs par le ministère de l’intendant Bégon.
En tout cela, rien que de normal : l’esclavage est un fait
social dûment accepté dans les colonies ; on ne se discré¬
dite pas en possédant des esclaves, bien au contraire !
Les grands propriétaires sont rares, entendant
par «grands» ceux qui ont eu au moins une dizaine
d’esclaves : nous n’en connaissons que 29 dans cette caté¬
gorie. Si nous les groupons par familles, nous remar¬
quons que les Campeau (presque tous étroitement appa¬
rentés) viennent en tête avec 57 esclaves ; les Lacorne et
les Lemoyne de Longueuil n’occupent que le deuxième
rang. Or les Campeau ne sont que de modestes traiteurs,
de petites gens, mais ils donnent dans la manie somp¬
tuaire de la possession d’esclaves avec un enthousiasme
qui leur fait dépasser les plus grands seigneurs.
33°
Deux siècles d’esclavage au Québec

Dans cette société, aucun code n’a réglé les rela¬


tions des maîtres avec leurs esclaves, ni même la condi¬
tion générale de ces esclaves. Toutefois, les habitants se
sont conformés assez rigoureusement au Code noir, voire
jusqu’à le dépasser, donnant à leur esclavage un certain
caractère familial; bien souvent, on considère l’esclave
comme un enfant adoptif.
Cela ne doit cependant pas faire oublier que l’esclave
fait partie des biens meubles : les gazettes l’annoncent
comme marchandise (en 30 ans, nous avons compté
137 annonces d’esclaves dans les journaux), elles le mettent
parfois en vente en compagnie de bétail ; il figure dans les
inventaires en même temps que les animaux, quand on
ne va pas jusqu’à l’échanger pour un bon cheval ; et cela,
même quand l’esclave a été baptisé. Il ne semble pas y
avoir eu de marché public spécialement affecté à la vente
des esclaves, mais on connaît quelques esclaves qui ont
été mis à l’enchère et vendus sur la place du marché. Les
ventes en lot sont une exception, le plus gros lot n’étant
d’ailleurs que celui de cinq esclaves.
L’achat de l’esclave se fait dans les mêmes conditions
que partout ailleurs : on examine avec soin la marchan¬
dise; on la choisit jeune et même très jeune : l’esclave
qu’on achète n’a que 20 ou 15 ans, et souvent beaucoup
moins, car il faut l’adapter, le dresser et faire en sorte qu’il
s’attache à la famille avant que l’âge adulte ne lui apporte
la tentation (nous songeons surtout à l’esclave amérin¬
dien) de retourner dans les bois.
L’esclave est un article dispendieux, parce qu’il n’est
pas essentiel dans la vie économique du pays : le « sauvage »
coûte en moyenne 400 livres (on peut dire en gros que la
livre du Régime français équivaut à notre dollar), mais le
Noir est beaucoup plus cher, 900 livres ; alors que l’Amé¬
rindien abonde sur le marché et que l’approvisionnement
en est continu, le Noir vient de très loin et on ne peut
s’en procurer qu’en de rares occasions. On s’endette s’il
Conclusion 33i

le faut, car on n’a pas toujours le numéraire pour se payer


cet article de luxe, on hypothèque ses biens.
Aucune loi n’obligeait les propriétaires à faire
baptiser leurs esclaves et ils ne se hâtent pas toujours de
procurer le baptême à leurs esclaves, ils attendent parfois
plusieurs années; il arrive même (mais c’est rare) qu’on
laisse l’esclave atteindre un âge avancé et ne le baptise
enfin que sur son lit de mort. Sous le Régime français,
des baptêmes ont pris l’allure d’un événement social : on
invite des personnes de marque; le Noir Pierre-Louis-
Scipion, âgé de 10 ans, réunit 13 personnes en 1717 pour
signer son acte de baptême. La liste des parrains contient
les noms du gouverneur Beauharnois, des intendants
Dupuy et Hocquart, d’autres hauts fonctionnaires ou de
membres du clergé. Le propriétaire se réserve souvent
l’honneur de servir de parrain à son esclave ; c’est même
un usage exclusif à la société française et catholique.
Malgré leur baptême, beaucoup d’esclaves sont
inscrits dans les registres d’état civil sans aucun nom ni
prénom. Sont ainsi restés dans l’anonymat 680 Amérin¬
diens (sur 2683, soit 25,3 %) et 250 Noirs (sur 1443, soit
17,3 %). Les esclaves qui n’ont que le prénom sont, chez
les Amérindiens, au nombre de 1845 (sur 2683, soit
68,8 %) alors que chez les Noirs, il ne sont que les 50,2 %
(724 sur 1443). Lorsqu’on leur donne un prénom, c’est
souvent, comme dans la société libre, celui du parrain ou
de la marraine, ou encore celui du maître. Parfois, l’esclave
se revêt ou se fait revêtir d’un nom célèbre, comme
Versailles qui appartient à Vergor en 1749, ou ce Louis
Quatorze qu’on inhume à Saint-Vallier en 1773.
Le mariage, enfin, était permis à l’esclave à condi¬
tion d’obtenir le consentement du maître. La cérémonie
suit le rite habituel; les conjoints ont pour témoins tantôt
leur maître, un membre de sa famille ou un ami, tantôt
des esclaves. Mariés, ils continuent de vivre en servi¬
tude sauf si le maître accorde l’affranchissement; s’ils
33 2
Deux siècles d'esclavage au Québec

demeurent esclaves, leurs enfants légitimes appartien¬


nent en toute propriété au maître de la mère. Nous avons
compté 73 mariages contractés entre esclaves.
Les esclaves sont généralement illettrés; un seul
esclave amérindien sait signer son nom : le Renard
Michel-Louis, appelé aussi Michel Ouysconsin, qui avait
appartenu à un Lanouillier. Chez les Noirs, huit nous ont
laissé leur signature, dont ce Pierre-Dominique Lafleur,
Noir du bourgeois Philibert du Chien d’Or : lors de son
mariage avec une Canadienne en 1749, il signe au registre
d’état civil, cependant que son épouse avoue son incom¬
pétence.
Les Amérindiens ne paraissent pas avoir de métiers,
à part ces Amérindiens anglais que la dame Legardeur
de Repentigny avait achetés pour sa manufacture de
Montréal; ils servent généralement de domestiques;
quelques-uns (seulement huit) jouissent assez de la
confiance de leur maître pour être envoyés dans le pays
d’en haut au service de la traite. Les Noirs ont la plupart
du temps une occupation particulière : ils sont surtout
cuisiniers ou coiffeurs.
Bien qu’il ne soit protégé par aucun code, l’esclave
jouit de certains privilèges qui d’ordinaire sont réservés
à l’homme libre : il peut servir de témoin à des cérémo¬
nies religieuses (baptême, mariage, inhumation) et son
nom est alors inscrit à ce titre dans les registres d’état
civil. Une esclave a même été demanderesse dans une
cause contre une personne libre : en 1727, la Panise
Catherine, esclave des Lachauvignerie, intente une pour¬
suite contre le chirurgien Benoist, et obtient gain de
cause. Des esclaves ont revendiqué leur liberté devant les
tribunaux et la justice les a laissés se prévaloir de tous les
recours en usage : ainsi, de la Panise Marie-Marguerite
Duplessis dite Radisson que le chevalier Dormicourt
veut exporter aux Antilles. Au criminel, l’esclave est
aussi jugé exactement comme n’importe quel citoyen : il
Conclusion 333

obtient facilement la permission de comparaître devant


son juge et d’en appeler ensuite au Conseil supérieur;
sous le Régime anglais, il jouit de Xhabeas corpus, il peut
subir son procès par-devant jury. Autant de privilèges qui
plaçaient l’esclave dans une condition bien supérieure à
celle qu’il pouvait avoir dans les autres colonies.
De plus, le châtiment qu’on lui impose n’est pas plus
rigoureux que pour l’homme libre : nous le constatons à
étudier le dossier des 18 esclaves punis pour crimes. La
maraude de nuit, le vol nocturne, la violence, l’incendiât
et le meurtre mènent à la potence, qu’on soit esclave ou
libre. Il arrive même qu’on soit moins sévère pour l’es¬
clave puisqu’on en déporte pour des crimes qui valent
la pendaison à des Canadiens : c’est sans doute que le
danger causé ici par l’esclave rebelle est moins grand
qu’aux Antilles. Les crimes des esclaves n’ont été ici que
des actes isolés et rares qui n’ont absolument rien de la
révolte d’une classe contre la société qui la tient en servi¬
tude.
Autre privilège de l’esclave, il accède au nom de
famille : c’est même un usage courant sous le Régime
français que l’esclave porte le nom du maître, et s’il en
porte déjà le prénom, il en résulte une parfaite homo¬
nymie qui peut devenir un piège dans la généalogie.
Nous avons compté 158 Amérindiens qui portent un nom
de famille québécois (sur 2683, soit 5,9 %) mais, chez
les Noirs, l’usage du nom de famille est beaucoup plus
recherché : nous le rencontrons chez 469 Noirs (sur 1443,
soit 32,5 %). C’est là un autre trait humain et familial de
notre esclavage.
Lorsque l’esclave devient malade, on a l’habitude de
l’envoyer à l’hôpital. De 1690 à 1800, au moins 525 esclaves
ont été hospitalisés, et nous en aurions certainement trouvé
davantage si les registres de l’Hôtel-Dieu de Montréal
(c’est à Montréal qu’il y a eu le plus d’esclaves) avaient été
conservés. Plusieurs fois, quand l’esclave devient «usé»,
334 Deux siècles d’esclavage au Québec

la famille du propriétaire le place à l’Hôpital-Général où


il se trouve en sécurité jusqu’à la fin de ses jours.
L’étonnement, c’est de constater que l’esclave meurt
très jeune : les 1587 individus dont l’âge au décès nous est
connu meurent à l’âge moyen de 19,3 ans. Autant dire
que l’esclave ne voit pas ses 20 ans ! C’est l’Amérindien
qui meurt le plus jeune : à 17,7 ans, alors qu’en moyenne le
Noir atteint l’âge de 25,2 ans. Par contre ce sont les Noirs
qui subissent le plus abondamment la mortalité infan¬
tile : alors que 25 % des enfants amérindiens meurent
dans l’année de leur naissance, le pourcentage est de
29,1 % chez les négrillons. Dans ces conditions, rares
sont les esclaves qui se rendent à un âge avancé. Aucun
Amérindien mâle n’a vu ses 70 ans. Les cas de longé¬
vité sont peu nombreux : 23 octogénaires; 2 Noirs vivent
jusqu’à 90 ans. Enfin, saluons 2 centenaires qui repré¬
sentent chacune avec honneur les 2 groupes d’esclaves
présents au Québec : la Panise Marie-Joseph, ancienne
esclave des Ruette d’Auteuil entrée à l’Hôpital-Général
de Montréal à 92 ans et qui y meurt en 1799, âgée de
100 ans ; la Noire Mary Young, morte à Montréal en
1813 à l’âge de 106 ans !
L’inhumation se fait à peu près selon les usages de la
société libre : si elle a lieu parfois le jour même du décès,
elle se produit la plupart du temps le lendemain comme
la chose se pratiquait pour presque tout le monde ; l’acte
est rédigé exactement dans les mêmes termes rituels, en
présence de témoins requis, et ces témoins sont parfois
les propriétaires (mais jamais les anglophones), parfois
des esclaves ou simplement le bedeau. Le plus souvent,
les esclaves sont inhumés dans le cimetière des Pauvres,
mais il est arrivé à une esclave d’être enterrée sous une
église, à côté de sa maîtresse.
Comme dans les autres colonies, l’esclave peut
obtenir sa liberté si son maître consent à l’affranchir.
Jusqu’en 1709, il semble d’après la déclaration de l’inten-
Conclusion 335

dant Raudot, que plusieurs esclaves aient été affranchis


sur une simple déclaration verbale : à partir de 1709, pour
être valable, l’affranchissement doit être un acte notarié.
Nous n’avons retrouvé que fort peu de ces actes, et pour¬
tant les documents nous signalent souvent des affranchis
ou des Panis libres (ce qui revient au même). Une fois
affranchi, l’esclave est livré à lui-même : à l’Amérindien
on ne connaît alors qu’un seul métier, celui de canotier;
quant au Noir, il a plusieurs cordes à son arc et il est bien
mieux préparé que l’Amérindien à jouir de la liberté.
La présence dans notre société de près de
4200 esclaves a donné lieu à du métissage. Ces esclaves
vivent dans l’intimité des familles et le Canadien éprouve
un goût particulier pour les « sauvagesses » ; or ce sont
surtout des Amérindiennes qu’on garde en servitude. Il
s’ensuit maintes aventures amoureuses, et des bâtards.
Des 573 enfants d’esclaves, 59,5 % sont nés hors les
liens du mariage. Ces Amérindiennes mènent le bal :
alors que les enfants des Noires ne sont illégitimes que
dans une proportion de 32,1 % (ce qui est quand même
élevé), nous avons calculé que 75,9 % des enfants que
les Amérindiennes esclaves mettent au monde sont des
enfants naturels, soit 3 enfants sur 4. Qui en est le père ?
Les registres sont d’une grande discrétion : père inconnu ;
dans le cas des enfants d’esclaves, ils n’ont dérogé que
19 fois à cette discrétion pour attribuer la paternité à des
hommes libres dûment identifiés. Mais quel que soit le
père, ces bâtards naissent en servitude et appartiennent
au propriétaire de la mère.
A l’occasion, on se mariait aussi entre proprié¬
taires blancs et esclaves. Ne nous scandalisons pas :
Colbert et Talon avaient souhaité que les Français et les
Amérindiens ne fassent qu’un même peuple et un même
sang. Le premier mariage date de 1705. Nous en avons
compté 45, soit 34 mariages entre Blancs et Amérindiens,
et 11 entre Blancs et Noirs. Il y a à peu près autant de
336 Deux siècles d'esclavage au Québec

Blancs à épouser des Amérindiennes que d’Amérindiens


à épouser des Blanches; et, chose curieuse, les Blancs
n’épousent pas de Noires, mais les Blanches se donnent
volontiers aux Noirs.
De ces liaisons hybrides, il est né au moins
103 enfants : 84 métis et 19 mulâtres. Plusieurs de ces
enfants se sont mariés et ont à leur tour laissé une descen¬
dance. Ce mélange introduit dans le sang français par
l’esclavage équivaut-il, comme le prétend Benjamin Suite,
à une simple goutte d’eau du Mississippi dans le Saint-
Laurent? Suite a fait cette comparaison sans se fonder
sur des statistiques. Quant à celles que nous indiquons,
elles ne peuvent servir que de point de départ dans les
recherches : car il faut tenir compte des descendants que
ces esclaves auraient laissés parmi nous, si nous voulons
un jour tenter de déterminer leur proportion dans le
groupe ethnique des Canadiens français d’aujourd’hui.
Il n’est d’ailleurs pas plus facile de déterminer exac¬
tement quand l’esclavage a pris fin dans notre société. En
1787 nous décelons chez les propriétaires une première
inquiétude au sujet de leurs droits sur les esclaves. A
partir de 1790, il se fait dans les gazettes une propagande
contre l’esclavage, mais propagande fort clairsemée et
encore ne consiste-t-elle qu’à reproduire des nouvelles
ou des pièces littéraires que l’on tire des journaux étran¬
gers : à aucun moment on ne vise en particulier le régime
établi dans le Bas-Canada. Mais voici que le 28 janvier
T793, Pierre-Louis Panet soumet à la Chambre d’assem¬
blée du Bas-Canada un premier projet pour abolir l’es¬
clavage. Or, peut-être parce que sur les 50 députés, une
douzaine d’entre eux sont esclavagistes, le projet Panet
est laissé de côté. Cependant, dans les colonies voisines,
on prend position : la Nouvelle-Ecosse fait une première
déportation de ses Noirs à destination de l’Afrique; et
au printemps de 1793, le Haut-Canada adopte une loi : il
sera désormais défendu d’introduire de nouveaux esclaves
Conclusion 337

dans la province; les esclaves qui y sont déjà, demeurent


esclaves, mais les enfants qui y naîtront obtiendront leur
liberté à l’âge de 25 ans. Il en découle que tout esclave qui
va s’établir dans le Haut-Canada acquiert la liberté par
le fait même, et cette province devient dès 1793 une terre
de liberté pour les esclaves qui s’échappent des colonies
voisines.
Le Bas-Canada continue donc de pratiquer l’escla¬
vage, mais l’inquiétude des propriétaires ne va qu’aug¬
menter. En 1794, un juge de Montréal refuse de recon¬
naître la condition d’esclave et il libère l’esclave dont
le seul crime est d’être fugitif. En 1798, le juge en chef
William Osgoode, qui siège à Montréal, renonce par
principe à condamner un esclave qu’on incrimine à titre
d’esclave et il déclare publiquement qu’à l’avenir il libé¬
rera tout esclave qu’on amènera devant son tribunal. Les
esclaves se mettent alors à déserter sans que les maîtres
puissent faire intervenir la justice. Il leur reste un recours :
le parlement. En avril 1799, par l’entremise du député
Joseph Papineau, les propriétaires de Montréal deman¬
dent à la Chambre d’assemblée de régler la condition des
esclaves, mais la Chambre ne prête guère d’attention à
cette première requête. Les propriétaires réitèrent leur
demande en avril 1800, et cette fois la Chambre d’as¬
semblée se met à l’œuvre pour rédiger un projet de loi :
on en fait les deux premières lectures, puis on ne va pas
plus loin.
Et les propriétaires de continuer à s’alarmer. Les
tribunaux ignorent la condition d’esclave, le Haut-
Canada sert de refuge aux déserteurs, la Nouvelle-Ecosse
en 1800 procède à une deuxième déportation d’esclaves
(depuis 1755, la déportation était vraiment à la mode en
cette province !). James Cuthbert revient à la charge au
cours de la session de janvier 1801 : il présente un projet
de loi, qui subit les deux premières lectures, et la Chambre
d’assemblée le laisse encore tomber. En mars 1803, James
338 Deux siècles d’esclavage au Québec

Cuthbert fait une nouvelle tentative pour obtenir que bon


règle la condition des esclaves : son projet de loi ne réussit
pas à se rendre jusqu’à la troisième lecture et jamais plus,
à la Chambre d’assemblée, on ne parle d’esclavage.
Depuis quelques années d’ailleurs, l’esclavage trou¬
vait de moins en moins à se manifester : le dernier acte
de vente d’un esclave dans le Bas-Canada est daté du
13 mai 1797; le 29 janvier 1798, une gazette annonce pour
la dernière fois la mise en vente d’un esclave ; la dernière
mention du mot esclave dans les registres d’état civil
date du 18 novembre 1798. Dans les années qui suivent,
nous ne retraçons plus que de très rares esclaves; le
dernier représentant que nous connaissons est la Panise
Marie-Marguerite : donnée en 1764 à l’Hôpital-Général
de Montréal par André Grasset de Saint-Sauveur, elle
appartient encore à cet Hôpital en 1772 et y meurt le
6 avril 1821, âgée de 76 ans, sans que nous sachions cepen¬
dant si elle était esclave ou affranchie. Quand l’Angle¬
terre en 1833 abolit l’esclavage dans les colonies (loi
qui prend effet en 1834), il n’y avait certainement plus
d’esclaves amérindiens dans le Bas-Canada; il s’y trou¬
vait peut-être quelques Noirs pour enfin profiter de la
loi libératrice. Dans le Bas-Canada, l’esclavage disparaît
dans le même mystère qu’il a débuté.
Plus encore que le silence qui entoure sa dispari¬
tion, nous étonne le peu de traces qu’il a laissées dans
la mémoire collective du Québec et dans sa littérature.
Philippe Aubert de Gaspé, dans Les Anciens Canadiens,
donne un petit rôle à cette mulâtresse que le grand-père
Ignace-Philippe Aubert de Gaspé avait achetée vers
17871 ; ce même écrivain, dans un récit intitulé Femme de
la tribu des Renards, s’amuse à rédiger la biographie de la
Renarde Marie-Geneviève, esclave de la famille Couillart
à Saint-Thomas-de-Montmagny2. Vers 1881, Adolphe-
Basile Routhier taquine l’abbé Henri-Raymond Casgrain
à propos d’esclavage : à l’abbé qui essaie de se trouver
Conclusion 339

des ancêtres jusque dans l’armée des Croisés, Routhier


rappelle malicieusement que le premier Casgrain à venir
au Canada a d’abord épousé la fille d’un Panis3. En 1891,
cet abbé Casgrain fait revivre la mémoire de la mulâ¬
tresse Thérèse, ancienne esclave des Duperron-Bâby4 et,
en 1898, P.-B. Casgrain consacre quelques lignes à deux
autres esclaves des Duperron-Bâby, la mulâtresse Rosalie
ou Rose Lontin et la Panise Catherine5. C’est tout pour
la littérature du XIXe siècle. Ce qui est peu.
Et pourtant, nos écrivains ont tant de fois exploité
les thèmes de l’histoire canadienne ! Crémazie, Fréchette,
Lemay qui ont toujours eu en bouche la trompette
épique, n’ont chanté aucun épisode ni aucune victime de
notre esclavage. Nos romanciers, si portés sur l’histoire,
n’ont pas vu les esclaves : les reconstitutions historiques,
si fréquentes dans nos romans, sont, sauf chez Aubert de
Gaspé, tout à fait dénuées d’esclaves. Le cas qui nous a
le plus surpris est celui du Chien d’Or de William Kirby,
publié en 1877 : voici un roman qui s’applique avec minutie
à décrire la société des dernières années du Régime
français ; le personnage central est le bourgeois Philibert,
ce bourgeois qui possède au moins cinq esclaves et dont
un Noir devient l’époux d’une Canadienne; d’autres
personnages de Kirby sont propriétaires d’esclaves :
malgré cela, quand l’auteur décrit l’intérieur des familles
et fait plusieurs fois intervenir les domestiques, jamais un
seul esclave ne montre le bout de l’oreille. Notre littéra¬
ture du XIXe siècle a raté le thème de l’esclavage.
Une autre trace de l’esclavage apparaît dans
la mémoire d’un oblat centenaire, le père Damase
Dandurand décédé en 1921 à 102 ans. Né à Laprairie où
il a passé sa «petite enfance», il rappelle dans les souve¬
nirs la rencontre qu’il aurait faite, tout jeune, en compa¬
gnie de sa mère, à Montréal, d’un esclave noir qu’on
mettait en vente au marché de cette ville, à l’époque de
l’esclavage finissant. Cet esclave, selon le père Dandurant,
340 Deux siècles d’esclavage au Québec

suppliait qu’on veuille bien l’acheter6. Le souvenir du


vieil oblat correspond-il à l’exacte vérité ou des détails
d’origine étrangers se sont-ils greffés à des faits réels?
Nous aurions là, en tout cas, un témoignage sur une insti¬
tution vite oubliée.
Ensuite, mais seulement en 1951, un Robert de
Roquebrune, dans le Testament de mon enfance, s’arrête
longuement au souvenir du Noir Sambo qui, bien avant
la naissance de l’écrivain, « était tombé chez nous un soir
de Noël comme un roi mage égaré dans la neige » ; esclave
en Virginie avant la guerre de Sécession, le Noir Sambo
avait été recueilli au manoir des Saint-Ours, à f Assomp¬
tion. Toutefois, nous n’avons pas en Sambo un survivant
de la population esclave de chez nous, et à proprement
parler il ne marque pas un prolongement de l’esclavage
dans notre littérature. Après cette œuvre de Roquebrune,
il faut attendre à la fin du XXe siècle, en 1999, la publi¬
cation du roman historique de Micheline Bail, L’Esclave,
qui fait revivre une esclave du XVIIIe siècle, dans une
reconstitution qui suit de près les événements histori¬
ques.
La langue québécoise a-t-elle du moins retenu
quelque chose d’une institution qui a existé chez nous
pendant deux siècles. Déjà vers 1881, Routhier n’est plus
en mesure d’écrire le mot Panis comme il faut : il l’écrit
Pawnis, d’après l’anglais, alors que cette manière d’écrire
ne fut jamais en usage ni dans les registres d’état civil ni
dans tout autre document du Canada français; et c’est
pour nous un sujet d’étonnement que de ces Panis qui
disparaissent de nos registres au début du XIXe siècle,
on ne sache déjà plus, 50 ans après, écrire correctement
le nom. Dans cette langue parlée, Benjamin Suite note
en 1911 un cas de survivance : « Il nous reste, écrit-il, un
mot très répandu dans nos campagnes, bien conservé,
mal compris, assez justement appliqué de nos jours.
Une mère dira au petit garçon qui joue tête-nue au
Conclusion 34i

soleil : Mets ton chapeau, monstre d’enfant, tu vas griller


comme un Panis !8 » Cette comparaison, en usage il y a
un demi-siècle, a-t-elle encore cours? Nous ne l’avons
jamais entendue; d’ailleurs quand il nous est arrivé de
prononcer le mot Panis, on nous a chaque fois demandé
d’un air tout étonné : « Mais qu’est-ce qu’un Panis ? »
C’était un usage chez nous de répondre aux enfants
qui demandaient d’où viennent les nouveaux-nés : « Les
sauvages ont passé et ont laissé un bébé » ; ailleurs, ce sont
les choux... D’où vient aux Québécois ce pudique recours
aux « sauvages » ? Peut-être simplement du voisinage avec
les indigènes ; mais si l’on se rappelle que tant de fois au
cours du XVIIIe siècle les traiteurs sont descendus des
pays d’en haut en ramenant de tout jeunes Panis obtenus
des «sauvages», on peut supposer que l’explication des
naissances par le passage d’indigènes qui laissent un bébé
dans le berceau, nous viendrait de notre époque d’escla¬
vage.
Si cet esclavage est rapidement tombé dans l’oubli,
la faute en est peut-être aux historiens : ils ne se sont pas
arrêtés à ce problème ou le problème leur a complète¬
ment échappé. Pour sa part, l’historien François-Xavier
Garneau, bien qu’il soit né à l’époque où il y avait encore
des esclaves, a très mal renseigné ses lecteurs sur l’escla¬
vage :

Nous croyons devoir citer ici, écrit-il, une résolution qui


honore le gouvernement français ; c’est celle qu’il avait
prise de ne pas encourager l’introduction des esclaves
en Canada, cette colonie que Louis XIV préférait à
toutes les autres à cause du caractère belliqueux de ses
habitants ; cette colonie qu’il voulait, il semble, former
à l’image de la France, couvrir d’une brave noblesse et
d’une population vraiment nationale, catholique, fran¬
çaise, sans mélange de races. En 1688, il fut proposé
d’y avoir des noirs pour faire la culture. Le ministère
342 Deux siècles d'esclavage au Québec

répondit qu’il craignait qu’ils n’y périssent par le chan¬


gement de climat et le projet ne fut inutile. Cela anéantit
pour ainsi dire une entreprise qui aurait frappé notre
société d’une grande et terrible plaie. Il est vrai qu au
siècle suivant, on étendit à la Louisiane le Code noir des
Antilles ; il est vrai qu’il y eut ici des ordonnances sur
la servitude : néanmoins l’esclavage ne régnait point en
Canada ; à peine y voyait-on quelques esclaves lors de la
Conquête. Cet événement en accrut un peu le nombre
un instant; ils disparurent ensuite tout à fait.

Et tombant dans une erreur de plus, Garneau ajoute :


« On doit dire à l’honneur du gouvernement et du clergé
canadien, qu’ils ont toujours été opposés à l’introduction
des noirs en Canada9.»
Historique qui déforme singulièrement la vérité!
Jacques Viger et Louis-Hippolyte LaFontaine pour¬
ront avec raison reprocher à Garneau d’avoir éliminé
de son texte «la partie principale, l’autorisation du roi
d’acheter des esclaves10». En fait, sur les instances de
Ruette d’Auteuil et de l’intendant Bégon, le roi de France
a permis aux Canadiens d’acheter des Noirs. Il a consenti
à ce qu’on suive les ordonnances publiées par les inten¬
dants sur l’esclavage : le mélange des races a été forte¬
ment conseillé par Colbert et par Talon. Contrairement
à ce qu’affirme Garneau, le Régime français a été aussi
esclavagiste que le Régime anglais ; l’opposition du clergé,
que Garneau évoque, ne s’est jamais manifestée : l’Eglise
canadienne ne s’est jamais prononcée sur l’esclavage et
l’on sait d’ailleurs que de hauts dignitaires du clergé, des
évêques, des curés, des religieux et des communautés reli¬
gieuses ont possédé leurs esclaves. Garneau, enfin, oublie
tout à fait les esclaves « sauvages » qui, pourtant, étaient
bien plus nombreux que les esclaves noirs. Venant de
l’historien qui a exercé chez nous la plus forte influence,
Conclusion 3 43

cette description erronée de l’esclavage ne pouvait que


contribuer à reléguer cette institution dans l’oubli.
Pour répondre à Garneau, Jacques Viger et Louis-
Hippolyte LaFontaine publient en 1859 les fondements
juridiques de l’esclavage au Canada français11, puis
survient un long silence d’une vingtaine d’années.
Dans le dernier quart du siècle, Tanguay fait
connaître par son Dictionnaire généalogique environ
200 esclaves, amérindiens et noirs, qui ont vécu sous le
Régime français12. La question n’est reprise qu’en 1906,
lorsque le colonel Hubert Neilson (dont le grand-père,
l’imprimeur John Neilson, posséda des esclaves) consacre
une vingtaine de pages à l’esclavage canadien et reproche
aux historiens de garder le silence13. On se met enfin
à parler d’esclaves : Benjamin Suite en 1911 donne la
première étude vraiment intéressante, bien qu’elle ne
comporte qu’une quinzaine de pages et ne soit pas fondée
sur des statistiques14. En 1913, M§r L.-A. Paquet déplore
que « la tache de l’esclavage » ait existé chez nous sous le
couvert des lois15 et, deux ans après, O.-M.H.-Lapalice
entreprend, mais sans méthode, un inventaire des Noirs
à Montréal sous le Régime français16. Sept ans plus tard,
Pierre-Georges Roy publie une série d’actes de vente,
démontrant une fois de plus qu’on fit le commerce des
esclaves dans notre société17. Et de nouveau, c’est un long
silence d’un quart de siècle. En 1949 et en 1956, Robert-
Lionel Séguin ramène l’attention sur le problème de
l’esclavage, sans guère dépasser toutefois les frontières du
secteur Vaudreuil-Soulanges18.
Enfin, en i960, nous remettons la question à l’ordre
du jour en publiant un volume de 400 pages, Histoire de
l’esclavage au Canada français, dont nous faisons paraître
la documentation en 1990 sous la forme d’un Dictionnaire
des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français, livre
qui connaît une nouvelle édition dès 1994. S’ajoutaient à
ces publications depuis 1956, des conférences ou allocu-
344 Deux siècles d’esclavage au Québec

dons en divers lieux du Québec sur notre pratique de l’es¬


clavage, dont plus d’une trentaine dans les 20 dernières
années.
Malgré ce travail de diffusion, chaque fois que
nous abordons ce problème dans la presse ou ailleurs,
c’est toujours la même réaction de surprise et surtout
d’incrédulité : « Comment ! de l’esclavage au Québec ? »
Nous qui nous sommes toujours pris pour un peuple
de missionnaires et de spiritualistes, nous n’arrivons
pas à admettre que nous ayons connu un passé colonial
semblable à celui des Etats-Unis, et encore moins que
notre prétendue « pureté ethnique » ait été « corrompue »
par du sang d’Amérindien ou de Noir. Comme on l’écrit
dans la Bible : « Les pères ont mangé des raisins verts et
les petits-fils en ont eu les dents agacées.»
Conclusion 345

► NOTES

1 Suite, «L’esclavage en Canada», dans la Revue canadienne, 61,1911,


333-
2 Aubert de Gaspé, Les Anciens Canadiens, 292s.
3 Aubert de Gaspé, Divers, 9-52.
4 Jean Piquefort, «Portraits et pastels littéraires», dans Les Guêpes
canadiennes, 290s.
5 H.-R. Casgrain, «Madame C.-E. Casgrain», dans Mémoires de
famille, 196s.
6 P.-B. Casgrain, Mémorial des familles Casgrain, Bâby et Perrault, 95,
145, n.i.
7 Communication d’Émilien Lamirande dans une lettre du 17 juin
I993-
8 Robert de Roquebrune, Testament de mon enfance (éd. de 1951), 15-17,
21s., 197-210.
9 Benjamin Suite, «L’esclavage en Canada», dans la Revue canadienne,
61,1911,324.
10 Garneau, Histoire du Canada (4e édition), II, 167; III, 90m
11 Viger-LaFontaine, «De l’esclavage en Canada», dans Mémoires de la
Société historique de Montréal, 1,1859,10, n.i.
12 Ibid., 1-63.
13 Cyprien Tanguay, Dictiomiaire généalogique des familles canadiennes,
7 vol. publiés de 1871 à 1890.
14 Hubert Neilson, «Slaves in Old Canada. Before and after the
Conquest», dans Transactions of the Literary and Historical Society of
Quebec, XXVI, 1906,19-45.
15 Benjamin Suite, «L’esclavage en Canada», dans la Revue canadienne,
61,1911,315-334.
16 M»r L.-A. Paquet, «L’esclavage au Canada» dans MSRC, VII, 1913,
I39“I49-
17 O.-M. H.-Lapalice, «Les esclaves noirs à Montréal sous l’ancien
régime», dans Canadian Antiquarian andNumismaticJournal,3e série,
XII, 1, janvier 1915,136,158.
18 «Vente des esclaves par actes notariés sous les régimes français et
anglais», dans RAPQ, 1921-1922,109-123.
.

'
Bibliographie

SIGLES

Asa Archives du Séminaire de Québec


B RH Bulletin des recherches historiques
MS RC Mémoires de la Société royale du Canada
MSG Mémoires de la Société généalogique
RAC Rapport sur les archives publiques du Canada
RAPQ_ Rapport de Varchiviste de la province de Québec
RHAF Revue d'histoire de lAmérique française
RJ Relations des Jésuites

I- SOURCES

I- Sources manuscrites

a) Archives publiques

Quelques rares éléments de la correspondance officielle


font connaître le sentiment des autorités coloniales sur l’escla¬
vage ou nous révèlent la présence d’esclaves ; correspondance
conservée dans la série B qui groupe les ordres et les dépêches
du ministère de la Marine de France et dans la série CiiA,
Correspondance générale. La collection Moreau de Saint-Méry
fournit aussi quelques informations sur les mêmes sujets.
Nous avons poussé nos recherches dans les archives offi¬
cielles d’Ottawa et dans celles du Québec, examinant tout
document d’administration publique susceptible de présenter
énumération de personnes: ordonnances de gouverneurs et
348 Deux siècles d’esclavage au Québec

d’intendants, registres du Conseil supérieur ou du Conseil


exécutif, cahiers des Chambres de milices (sous le Régime
militaire), recensements de population, procès-verbaux de
Cours de justice civile ou criminelle.
Dans ce domaine de la justice, nous avons poursuivi notre
quête de documentation dans les greffes des notaires, depuis
les tout premiers du XVIIe siècle jusqu’à ceux de l’époque de
l’abolition de l’esclavage ; collection de greffes à quoi se rattache,
dans les Archives nationales du Québec, la série Collection de
pièces judiciaires et notariales.
Nous avons aussi consulté aux Archives publiques d’Ot¬
tawa, la Collection Neilson qui réunit les papiers et livres de
comptes des imprimeurs Brown et Gilmore.
Les documents les plus abondants en renseignements sur
l’esclavage sont les registres d’état civil (baptêmes, mariages et
sépultures). Pour la durée des deux siècles de l’esclavage au
Québec, nous avons eu soin d’en faire l’examen dans tous les
lieux, catholiques, anglicans ou d’autres religions, relevant de
l’administration profane ou religieuse du Québec, qu’il s’agisse
de paroisses organisées, de missions ou de dépôts exception¬
nels dans les archives publiques ou privées.
La plupart de ces registres ont été consultés soit dans les
paroisses même, soit aux Archives nationales du Québec ; ceux
de la mission de Tadoussac, à l’archevêché de Québec ; ceux de
Notre-Dame-des-Anges, à l’Hôpital-Général de Québec. Pour
les forts en périphérie du Québec, nous avons eu recours à la
publication de leurs registres d’état civil qu’en a faite madame
Marthe Faribault-Beauregard dans ses deux volumes La popu¬
lation des forts français d’Amérique, aux Editions Bergeron. En
certains cas, nous avons compté sur la généreuse collaboration
du Programme de recherche en démographie historique de l’Uni¬
versité de Montréal ou encore sur la publication de certains
registres dans la Revue d’histoire de l’Amérique française et dans
la Wisconsin Historical Collection.
Bibliographiete 349

b) Archives privées appartenant


À DES INSTITUTIONS

Diverses institutions possèdent des archives qui peuvent


nous informer sur l’esclavage ou sur les esclaves amérindiens
ou noirs :

Archevêché de Québec

Livre des abjurations, 1757-1826.


Catalogue ou registre des confirmés, 1659-1749.
Deux cahiers relatifs à la mission de Tadoussac:
Miscellaneorum Liber, 1691-1775,
et un registre des baptêmes, mariages et sépultures, 1759-
1784.

Hôpital-Général de Montréal

Registre de l'entrée des Pauvres à l’Hôpital-Général de Ville-


Marie.
Registre des Pauvres décédés dans VHôpital-Général de
Montréal à Ville-Marie, 1725: couvre les années 1725-1759.
Registre des sépultures, 1759-1776 : le registre se poursuit bien
au-delà, mais nous ne l’avons examiné que jusqu’en 1835.

Hôpital-Général de Québec

Registre des pauvres invalides reçus à l’Hôpital-Général de


Québec sur la fondation de MA de Saint- Vallier: de 1746 à
1941.
Décès, 1728-1785 : registre de la paroisse Notre-Dame-des-
Anges, qui contient aussi des baptêmes et des mariages,
et se poursuit bien au-delà de 1783 ; nous l’avons examiné
jusqu’en 1840.

Hôtel-Dieu de Montréal

Registre des noms des militaires traités dans VHôtel-Dieu de


Montréal depuis 1756 jusqu’à 1760 : le registre suivant ne
reprend qu’en 1829.
35° Deux siècles d’esclavage au Québec

Hôtel-Dieu de Québec

Registre journalier des malades', divers cahiers à partir de


1689, que nous avons examinés jusqu’au début du XIXe
siècle.
Registre des sépultures faites dans le cimetière des Pauvres
de l’Hôtel-Dieu, 1741-1795.
Registre mortuaire: il commence en 1723, nous l’avons
examiné jusqu’en 1840.

Notre-Dame-de-Montréal

Premières communions et confirmations, 1556 à 1851: la liste


des communiants s’ouvre en 1756, celle des confirmés en
1767.
Congrégation des hommes de Ville-Marie : Livre des élections
ou Livre des portiers. De 1804 à 1868.
Congrégation des hommes de Ville-Marie. Cahier de 1805 qui
contient des listes, des comptes et des inventaires.

Notre-Dame-de- Québec

Catalogue des noms de ceux qui ont été confirmés par Monsei¬
gneur Jean-Olivier Briand, évêque de Québec le 14 août 2779.
Ce catalogue se prolonge jusqu’en octobre 1825 » un second
poursuit jusqu’en 1853.
Confrérie de Sainte-Anne, 1658-1845. Règlements, délibéra¬
tions, comptes.
Confrérie du scapulaire Mont-Carmel, 1805-1850. Listes,
comptes.
Registre de la Sainte-Famille, 1664-1855. Listes, règlements,
délibérations.
Recensement général des habitans de Québec, 1516. Recense¬
ment incomplet, publié par l’abbé Beaudet en 1887.

Séminaire de Montréal

Acte du 24 mars 1761 par le notaire Panet : un Noir affranchi


se remet en esclavage pour épouser une Noire esclave.
Bibliographie 35i

Séminaire de Québec

Document du 20 août 1638 dans les Documents Faribault au


sujet du Noir de Couillart.
Le registre original detat civil du poste Saint-Joseph-des-
Miamis, avec une copie (fautive) dans la Saberdache de
Viger, vol. S (rouge).

Séminaire des Trois-Rivières

Dans le fonds Hart, des actes de vente de 1779 et de 1786.

c) Archives privées appartenant à des individus

Collection John Leblanc

Extraits des actes d’état civil de Philipsburg.

Collection Neilson

Papiers des imprimeurs Brown et Gilmore : lettres de 1763 à


1768 et livres de comptes: Memorial, 1763-1774', Cash Book,
1763-17(73', Account Book, 1777-1786.

Collection Robert-Lionel Séguin

Notes tirées de registres d’état civil, au cours de ses recher¬


ches sur l’esclavage dans la région de Vaudreuil.

II- Sources imprimées

a) recensements

Recensements de Détroit et du Michigan, dans Michigan


Censuses, 1710-1830 Under the French, British and Ameri-
cans, edited by Donna Valley Russell, Detroit Society for
Genealogical Research, Détroit, 1882, 291 p. Cartes.
Recensements du Québec, en 1666, voir Marcel Trudel, La
population du Canada en 1666. Recensement reconstitué,
Sillery, le Septentrion, 1995, 379 p. ; en 1681, voir Benjamin
352 Deux siècles d’esclavage au Québec

Suite, Histoire des Canadiens-Français, vol. 5, pp. 63-90. En


1784, dans RAC, 1889, pp. 39-52.
Recensements paroissiaux de Québec, en 1716, dans Beaudet,
Recensement de la ville de Québec pour 1716, Québec, Côté,
1887. En 1744, dans RAPQ, 1939-1940, pp. 1-154- En 1792,
dans RAPQ, 1948-1949, pp. 9-55. En 1795, Ibid., pp. 59-105.
En 1798, Ibid., pp. 109-156. En 1805, Ibid., pp. 159-214.
Recensement du gouvernement de Québec en 1762, dans
RAPQ, 1925-1926, pp. 1-143; du gouvernement des Trois-
Rivières en 1760 et 1762, dans RAPQ, 1946-1947, pp. 5-53 ;
des gouvernements de Montréal et des Trois-Rivières en
1765, dans RAPQ, 1936-1937, pp. 1-121.

b) gazettes

British American Register, The. Gazette bilingue imprimée par


John Neilson du 8 janvier 1803 au 6 août suivant.
Canadien, le. Gazette française imprimée et publiée par
Charles Roi du 22 novembre 1806 au 14 mars 1810. Un
second Canadien paraît de juin 1817 à mars 1818 ; un troi¬
sième, de janvier 1820 à 1825; un quatrième, d’Etienne
Parent, à partir du 7 mai 1831 jusqu’en 1893.
Courrier de Québec, le. Hebdomadaire qui parut du 3 janvier
1807 au 31 décembre 1808.
Cours du temps, le. Hebdomadaire bilingue, du 23 juin 1794 au
27 juillet 1795.
Gazette de Montréal, la. Hebdomadaire bilingue imprimé
par Fleury Mesplet de 1785 à 1794, par Edward Edwards
de 1795 à 1808, par Charles Brown à partir de 1808. Une
autre gazette du même nom parut de 1795 à 1797, publiée
par Louis Roy, puis par J. M. Roy et John Bennett.
Gazette de Québec, la. Hebdomadaire bilingue imprimé par
William Brown de 1764 à 1789, par Samuel Neilson de
1789 à 1793, par John Neilson à partir de 1793.
Gazette du commerce et littéraire, la. Journal de Fleury Mesplet,
du 3 juin 1778 au 2 juin 1779.
Bibliographie 353

Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada. Imprimé


à Québec par John Neilson à partir de 1792. Nous l’avons
examiné jusqu’en 1833.
Quebec Herald Miscellany and Advertiser, the. Gazette anglaise
qui paraît deux fois par semaine, de 1789 à 1792 ; publiée par
William Moore.
Quebec Magazine (The). Le Magasin de Québec. Revue
mensuelle de Samuel Neilson, de 1792 à 1794.
Spectateur canadien, le. Gazette fondée en 1813.

c) Relations, mémoires, correspondance

AsKiN,John, TheJohnAskin Papers, Édité par Milo M. Quaife,


The Detroit Library Commission, 1927 et 1931, 2 vol. Illus¬
trations.
Bégon, Élisabeth, Lettres au cher fils, Montréal, Boréal, 1994,
429 p.
Buade de Frontenac, Louis, «Correspondance échangée
entre la Cour de France et le gouverneur de Frontenac»,
dans RAPQ, 1926-1927, pp. 1-144; 1927-1928, pp. 1-21151928-
1929, pp. 247-384.
Casgrain, madame C. E. et son fils l’abbé H.-R., Mémoires
de famille, Rivière-Ouelle, 1891, 275 p.
Casgrain, Philippe-Bâby, Mémorial des familles Casgrain,
Bâby et Perrault du Canada [...], Québec, C. Darveau, 1898,
198 p.
Dollier de Casson, François, Histoire du Montréal, Edition
critique par Marcel Trudel et Marie Baboyant, Montréal,
Hurtubise HMH, coll. «Les Cahiers du Québec -
Histoire », 1992,342 p.
Franquet, Louis, Voyages et mémoires sur le Canada, Québec,
A. Côté, 1889, 212 p.
Gaultier de Lavérendrye, Pierre, Journals and Letters
of Pierre Gaultier de Lavérendrye and His Sons, Toronto,
Édition L. I. Burpee, The Champlain Society, 1927,
548 p. Cartes.
354 Deux siècles d’esclavage au Québec

Kalm, Pehr, Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749, Montréal,


1977, 674 p. Traduit et annoté par Jacques Rousseau, Guy
Béthune et Pierre Morisset.
Lahontan, baron de, Voyages du baron de Lahontan dans
l’Amérique septentrionale, Amsterdam, 2 vol.
Nau, François, s.j., Lettres, dans RAPQ, 1926-1927, pp. 261-
330.
Plessis, MSr ].-O., Journal d’un voyage en Europe. 1819-1820,
Québec, Librairie Montmorency-Laval, 1903,469 p.
Relations des Jésuites, The Jesuit Relations and Allied Docu¬
ments, Edition R.G.Thwaites, Cleveland, 1896-1901, 73 vol.
Roberts, Kenneth, March to Quebec. Journals of the Members
of Arnold’s Expédition, New York, Doubleday, Doran and
Co., 1940, 722 p.
Roquebrune, Robert de, Testament de mon enfance. Récit,
Paris, Plon, 1951, 245 p.
Talon,Jean, «Lettres de 1665 à 1677», dans RAPQ, 1930-1931,
pp. 1-182.
Vaudreuil, Philippe Rigaud de, gouverneur, Correspondance
entre M. de Vaudreuil et la Cour, dans RAPQ, 1938-1939,
pp. 12-179; 1939-1940, pp. 355-463 ; 1942-1943, pp. 399-443-
Vitry, Pierre, s.j., «Journal», dans Nova Francia, vol. 4 (1929),
pp. 146-170.
Youville, madame d’, «Lettres», dans Albertine Ferland-
Angers, Mère d’Youville, 1701-1771, Montréal, Librairie
Beauchemin, 1945,385 p.

d) divers

Aubert de Gaspé, Philippe, Les Anciens Canadiens, Québec,


Desbarats et Desbishire, 1863, 411p. Aussi du même:
Mémoires, Québec, N.S. Hardy, 1885; et Divers, Montréal,
Beauchemin et fils, 1893.

Boucault, Nicolas-Gaspard, État présent du Canada, dans


RAPQ, 1920-1921, pp. 1-50.
Bibliographie 355

Bougainville, Louis-Antoine de, Mémoire sur l’état de la


Nouvelle-France, 7757, dans RAPQ, 1923-1924, pp. 42-70.
Charlevoix, François-Xavier de, s.j., Histoire et description
générale de la Nouvelle-France avec le Journal historique d’un
voyage fait par ordre du roi dans l'Amérique septentrionale,
Paris, Pierre-François Giffart, 1744, 6 vol. Cartes.
Chartier de Lotbinière, M.-E.-G.-A., Inventaire, dans
R^PQ, i95I-I953> PP- 383-394-
Code noir (le) ou Recueil des règlements rendus jusqu’à présent,
concernant le gouvernement, l’administration de la justice, la
police, la discipline et le commerce des nègres dans les colonies
françaises, Paris, Prault, 1767, 446 p.
Coleman, Emma Lewis, New England Captives Carried to
Canada Between 1677 and1760 During the French andIndian
Wars, Portland, Southworth Press, 1925, 2 vol.
Documents Relative to the Colonial History of the State ofNew
York [...], Albany, édité par E.B. O’Callaghan, 1853-1887,
15 vol. Cartes.
Edits, ordonnances royaux [...], Québec, E.-R. Fréchette, 1854-
1856,3 vol.
Ki rby, William, Le Chien d’Or. The Golden Dog. A Legend of
Quebec, New York, Montreal, Lovell, Adam, Wesson and
Co., 1877, 678 p.
Margry, P.-A., Mémoires et documents pour servir à l'histoire
des origines françaises des pays d’outre-mer, Paris, 1879-1888,
6 vol.
Ordonnances, proclamations, etc. émises par les gouvernements
militaires de Québec, Montréal et Trois-Rivières, depuis la
capitulation de Québec jusqu'à l’établissement du gouverne¬
ment civil, le 10 août 1764, dans RAC, 1918, app. B, 197 P-
Papiers Contrecœur et autres documents concernant le conflit
anglo-français sur l’Ohio de 1747 à 1776, édités par Fernand
Grenier, Québec, Presses de PUniversité Laval, 1952, 485 p.,
vol. I.
356 Deux siècles d'esclavage au Québec

Riddell, William Renwick, Michigan Under British Rule


Law and Law Courts, 1760-1796, Lansing, Michigan Histo-
rical Commission, 1926,493 p.
Saint-Vallier, M&r de, Catéchisme du diocèse de Québec, Paris,
Urbain Coustelier, 1702,522 p.
Saint-Vallier, MSr de, Rituel du diocèse de Québec, Paris,
Simon Langlois, 1703, 604 p.

Il- INVENTAIRES, DICTIONNAIRES, RÉPERTOIRES

Congés et permis déposés ou enregistrés à Montréal sous le Régime


français, par E.-Z. Massicotte, dans RAPQ, 1921-1922,
pp. 189-225.
Dictionnaire biographique du Canada, Toronto et Québec,
University of Toronto Press et les Presses de l’Université
Laval, vol. I à V publiés de 1966 à 1983.
Inventaire des greffes des notaires du Régime français, Québec,
1942-1976, 27 vol. Autres Inventaires dactylographiés,
consultés à la salle Gagnon de la Bibliothèque municipale
de Montréal.
Inventaire des jugements et délibérations du Conseil supérieur de
la Nouvelle-France de 1717 à 1760, Beauceville, L’Eclaireur,
1932-1935,7 vol.
Inventaire des ordonnances des intendants de la Nouvelle-France
conservées aux Archives provinciales de Québec, Beauceville,
L’Éclaireur, 1919, 4 vol.
Inventaire d’une collection de pièces manuscrites judiciaires, nota¬
riales, etc., conservées aux Archives judiciaires (Palais de justice)
de Québec. Trois cahiers dactylographiés.
Répertoires des actes de baptême, mariage, sépulture et des recen¬
sements du Québec ancien, Montréal, Presses de l’Univer¬
sité de Montréal, 1980, 7 vol. sur le XVIIe siècle, dirigés par
Hubert Charbonneau et Jacques Légaré.
Répertoire des engagements pour l'Ouest conservés dans les archives
judiciaires de Montréal, dans RAPQ, 1929-1930, pp. 191-466 ;
Bibliographie 357

1930-1931. PP- 353-453; I93I_I932> PP- H3-265; 1932-1933,


pp. 245-304, édité par E.-Z. Massicotte.
Tanguay, Cyprien, ptre, Dictionnaire généalogique des
familles canadiennes, Montréal, Eusèbe Sénécal, 1871-1890,
7 vol. Tanguay a été le premier à faire un inventaire systé¬
matique des esclaves, mais il se limite presque exclusive¬
ment à l’Hôpital-Général de Montréal et aux registres de
Michillimackinac. Le vol. III contient en appendice une
liste des 135 esclaves. Dans le vol. VI, sous le titre Nègres
et sous celui de Punis, Tanguay énumère 117 individus.
Il a la mauvaise habitude, chaque fois qu’il rencontre un
esclave anonyme, de l’appeler Joseph ou Marie selon le sexe,
alors que les registres présentent bien ces esclaves comme
anonymes. De plus, il se base sur l’âge approximatif de l’es¬
clave pour déterminer l’année du baptême : par exemple,
d’un esclave inhumé en 1740 à l’âge d’environ 10 ans, il écrit
b 1730, ce qui est une déduction purement imaginaire, l’es¬
clave n’étant entré au pays qu’un certain temps plus ou
moins long après sa naissance et baptisé peut-être long¬
temps plus tard.
Trudel, Marcel, Dictionnaire des esclaves et de leurs proprié¬
taires au Canada français, Montréal, Editions Hurtubise
HMH, coll. «Les Cahiers du Québec - Histoire», 1990,
pp. xxviii-490.

III- ÉTUDES

1- Études spéciales (sur l’esclavage au Québec :


ORDRE CHRONOLOGIQUE)
Bail, Micheline, L’Esclave, Montréal, Libre Expression, 1999.
Histoire romancée de la tragédie de la négresse Marie-
Angélique en 1734.
Fehmiu Brown, Paul, Ces Canadiens oubliés, tome I, Montréal,
les Éditions Aquarius, 1981. Drame historique sur l’escla¬
vage au Québec.
358
Deux siècles d’esclavage au Québec

Hémond, Robert, «Joseph Lerenard», dans MSG, juin 1985,


pp. 112-122. La descendance de cet esclave amérindien du
XVIIIe siècle au XXe siècle.
H.-Lapalice, O.-M., «Les esclaves noirs à Montréal sous
l’ancien Régime», dans Canadian Antiquarian andNumis-
matic Journal, 3e série, vol. XII, 1, janv. 1915, PP-
Importante contribution à l’histoire de l’esclavage en un
lieu donné.
Lorrain, L., «L’Esclavage et l’Église», dans la Revue cana¬
dienne, XXV, 1889, pp. 55-58. Pas un mot sur l’esclavage ni
en Nouvelle-France ni au Québec.
McPherson Lemoyne, James, «Slavery at Quebec», dans
Canadian Antiquarian and Numismatic Journal, IV, 4, avril
1876, pp. 158-160. Brèves notes sur l’esclavage.
Neilson, Hubert, «Slavery in Old Canada Before and After
the Conquest», dans Transactions of the Literary and Histo-
rical Society of Quebec, XXVI, 1906, pp. 19-45. Petit-fils de
l’imprimeur John Neilson (qui a eu un esclave), l’auteur
reproche aux historiens d’avoir gardé le silence sur l’escla¬
vage ; il accuse Garneau, et avec raison, d’avoir mal cité les
textes, afin d’exonérer le Régime français.
Paquet, Mgr L.-A., «L’esclavage au Canada», dans MSRC,
VII, 1913, pp. 139-149. Très brève étude sur l’esclavage au
Canada et dans le monde.
Séguin, Robert-Lionel, « L’esclavage dans la Presqu’île », dans
BRH, 55,1949, pp. 91-94,168. L’auteur se limite à la région
de Vaudreuil-Soulanges.
_, «On a pratiqué l’esclavage dans la région de
Vaudreuil jusqu’en 1800 », dans le Petit Journal, 13 mai 1956,
pp. 30 et 53. Bref reportage sur l’inventaire entrepris par
Séguin.
Sulte, Benjamin, «L’esclavage en Canada», dans la Revue
canadienne, 61, 1911, pp. 315-334. Première étude à traiter
vraiment la problématique dans son ensemble.
Trudel, Marcel, «Quand les Québécois pratiquaient
l’esclavage », dans, du même auteur, Mythes et réalités dans
Bibliographie 359

l’histoire du Québec, Montréal, Éditions Hurtubise HMH,


2003, pp. 175-192.

Trudel, Marcel, Dictionnaire des esclaves et de leurs proprié¬


taires au Canada français, Montréal, Éditions Hurtubise
HMH, 1990, pp. xxviii-490. (Troisième édition, revue et
augmentée, ci-jointe sur CD-ROM).
Vente des esclaves par actes notariés sous les Régimesfrançais et
anglais, dans RAPQ, 1921-1922, pp. 109-123. Édition de
textes précédés d’une revue des travaux sur l’esclavage.
Viger, Jacques et Lafontaine, Louis-Hippolyte, «De
l’esclavage en Canada», dans Mémoires de la Société histo¬
rique de Montréal, I, 1859, pp. 1-63; II, 1859, frontispice
(page d’Addenda). Le premier travail historique sur l’escla¬
vage au Québec.

2- Études diverses

Ahern, M. J. et Georges, Notes pour servir à l’histoire de la


médecine dans le Bas-Canada, Québec, 1923,563 p.
Archibald, A. G., «Story of Déportation of Negroes from
Nova Scotia to Sierra Leone», dans Collections of the Nova
Scotia Historical Society, VII (1889-1891), pp. 129-154.
Atherton, W. H., Montreal1535-1914, Montréal, S. J. Clark,
I9I4,3 vol.
Audet, F.-J. Les Députés de Montréal (ville et comtés), 1792-
1867, Montréal, les Editions des Dix, 1943,455 p.
Audet, F.-J. et Édouard Fabre-Surveyer, Les Députés au
premier Parlement du Bas-Canada, 1792-1796, tome I,
Montréal, les Éditions des Dix, 1946,316 p.
Boucher de Labruère, Montarville, «Le “livre de raison”
des seigneurs de Montarville », dans les Cahiers des Dix, IV,
1939, pp. 243-270.
Brymner, D., «The Jamaica Maroons. How They Came to
Nova Scotia. How They Left It», dans MSRC, I, 1895, II,
pp. 81-90.
360 Deux siècles d'esclavage au Québec

Delanglez, jean, s.j., Louis Jolliet. Vie et voyages (1645-1700),


Montréal, les Études de l’Institut d’histoire de l’Amérique
française, 1950, 435 p.
Denissen, Christian, Genealogy of the French Families of the
Detroit River Région, 1701-1411, Detroit, Detroit Society
For Genealogical Research, 1976, 2 vol.
Detroit In Perspective. Publication dactylographiée à tirage
limité, communiquée par le chercheur Jean Dargis.
Ducasse, André, Les Négriers ou le trafic des esclaves, Paris,
Hachette, 1948, 253 p.
Fabre-Surveyer, Édouard, «From Montreal to Indiana»,
dans MSRC, 39,1945, pp. 45-83. Sur la famille Lacelle.
Histoire de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal,
Montréal, 1910-1974, n vol.
Jack, J. Allen, «The Loyalists and Slavery in New Brunswick»,
dans MSRC, IV, 1898, II, pp. 137-185.
Lajeunesse, E.-J., The Windsor Border Région, Canada’s
Southernmost Frontier, Toronto, The Champlain Society,
i960, pp. cxxxix-376.
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the Passing of the Fugitive Slave Act», dans The Journal of
Negro History, V, 1,1920.
Laperrière, Auguste, Les Abeilles canadiennes, Ottawa, A.
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Lefebvre, Jean-Jacques, «La descendance de Pierre Boucher
(1617-1722) », dans MSG, V, 2, juin 1952, pp. 69-96.
_, Saint-Constant et Saint-Philippe de Laprairie, 1744-
1446, Hull, les Éditions L’Éclair, 1947, 43 p.
Lemoine, James McPherson, Picturesque Quebec. A Sequel to
Quebec PastAnd Présent, Montréal, Dawson Brothers, 1882,
535 P-
Martin, Gaston, Histoire de l’esclavage dans les colonies fran¬
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Massicotte, E.-Z., «L’incendie du vieux Montréal en 1721»,
dans BRH, 32,1926, pp. 583-601.
Bibliographie 36i

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of Detroit, 1949, xvii-152-xxxii p.
Piquefort, Jean (pseudonyme d’Adolphe-Basile Routhier),
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diennes-, pp. 255-401. Voir Laperrière.
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Casgrain, 1961. Réédité sous forme d’extraits en 1963, Éditions
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Histoire de la Nouvelle-France, 4 volumes, dont le volume 3 est en
deux tomes :
Vol. I : Les Vaines tentatives, 1524-1603. Montréal, Fides, 1963. xxii-
307 p. 111., cartes. [Premier prix des Concours littéraires
et scientifiques du Québec, 1963. Réédité en 1965, 1968 et
1971].
Vol. II : Le Comptoir; 1604-1623. Montréal, Fides, 1966. xlix-554 p.
111., cartes. [Premier prix des Concours littéraires et scien¬
tifiques du Québec, 1966 ; prix du Gouverneur général, 1967.
Réédité en 1971].
Vol. III : La Seigneurie des Cent-Associés, 1623-1663. En 2 tomes :

tome 1: Les Evénements. Montréal, Fides, 1979. lxxii-489 p.


111., cartes.

tome 2: La Société. Montréal, Fides, 1983. xvii-669 p. 111.,


cartes. [Prix Macdonald, 1984].

Vol. IV : La Seigneurie de la Compagnie des Indes occidentales, 1663-


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Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français.


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François Dollier de Casson. Histoire du Montréal. Montréal, Hurtubise
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tion « Les Cahiers du Québec-Histoire ».

Mythes et réalités dans l'histoire du Québec. Montréal, Hurtubise


HMH, 2001, 340 p. Collection «Les Cahiers du Québec-
Histoire ».
La Nouvelle-France par les textes. Montréal, Hurtubise HMH, 2003,
440 p. Collection « Les Cahiers du Québec-Histoire ».

Deux siècles d'esclavage au Québec, suivi du Dictionnaire des esclaves et


leurs propriétaires au Canada français (sur CD-ROM). Montréal,
Hurtubise HMH, 2004,408 p. [+ CD-ROM], Collection «Les
Cahiers du Québec-Histoire».
..


ANNEXE

Dictionnaire des esclaves et de


leurs propriétaires au Canada
français

Introduction

Av
la nouvelle édition de notre Histoire de l’esclavage
au Canada français, que nous faisons paraître cette
fois sous le titre H eux siècles d’esclavage au Québec, nous
joignons, sur le CD-ROM, ci-joint, notre Dictionnaire
des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français.
Publiée originellement il y a bientôt 15 ans, en 1990, cette
édition nécessite cependant quelques ajouts et correc¬
tions qui, bien que mineurs, nous semblent essentiels
pour répondre correctement aux questions constantes
des lecteurs relativement à l’esclavage au Québec.
La reproduction de l’ancienne édition sous forme
de CD-ROM ne permettant pas de faire les modifica¬
tions souhaitées à même l’ouvrage, nous avons décidé de
vous offrir, en annexe, les corrections et modifications de
cette édition revue et augmentée.
Mon éditeur ayant tenu à conserver l’introduction
originale comme présentation du Dictionnaire, je me
permets néanmoins de faire ici, par écrit et sur papier, un
bref retour sur le Québec dont il s’agit, sur le plan que
368 Deux siècles d’esclavage au Québec

nous suivons dans l’inventaire de la population esclave,


ainsi que sur son nombre.
En sa partie du Régime français, ce Dictionnaire
recouvre la Nouvelle-France à l’exception de la Louisiane.
Pour le Régime anglais jusqu’à l’abolition de l’esclavage
en 1833, nous comprenons par «Québec» tout le terri¬
toire qui relevait de l’autorité de la ville de Québec, terri¬
toire qui a varié selon les époques : de 1760 à 1764 (pays
restreint aux deux rives du Saint-Laurent), de 1764 à
1774 (on lui adjoint les Grands Lacs), de 1774 à 1783 (le
Québec s’étend du Labrador au confluent de l’Ohio et du
Mississippi), de 1783 à 1796 (Détroit et Michillimackinac
relèvent encore de Québec), en 1791, le Haut-Canada (ou
Ontario) est soustrait à la juridiction québécoise.

C’est pourquoi, à la suite des paroisses esclavagistes


du Saint-Laurent, le Dictionnaire des esclaves et de leurs
propriétaires présente les lieux du lac Champlain, des
Grands Lacs et même du Mississippi, où nous avons pu
relever des esclaves.
Chaque nouvelle édition entraînant son lot d’addi¬
tions à la population esclave ou de corrections à la liste
des propriétaires, nous évaluons maintenant le nombre
d’esclaves, dans le territoire qui a relevé de Québec et
sont inscrits dans notre inventaire, au total suivant :

Amérindiens 2683 64,1 %

Noirs 1443 34,5 %


Autres (Amérindiens ou Noirs) 59 1,4%

Total 4185

Marcel Trudel
avril 2004
Annexe 369

Additions et modifications au Dictionnaire des


esclaves et de leurs propriétaires au Canada français
(sur CD-ROM)

Afin de faciliter la compréhension des éléments ci-


joints, les modifications (mod.) et ajouts (aj.) respectent
la pagination du livre tel que présentée sur le CD-ROM
ci-joint. De plus, ils sont ici présentés en respectant la
chronologie de l’ouvrage, soit dans un premier temps les
esclaves, divisés par région, et dans un second temps les
propriétaires, eux, classés selon l’ordre alphabétique de
leur nom de famille.
Note: Lorsque le numéro de page apparaît avant
la région (pour les esclaves) — par exemple, page 218,
York — oulenomdefamille(pourlespropriétaires) — par
exemple, page 272, Audry —, c’est dire que cette région ou
ce nom de famille ne se retrouvait pas dans le Dictionnaire,
alors que lorsque le numéro de page se retrouve après la
région ou le nom de famille, c’est qu’il y a eu ajout ou
modification dans une section déjà existante.

Annexe 3 71

Première partie : Les esclaves

BERTHIER-EN-HAUT MARIE-ANGÉLIQUE, Amérin¬


dienne :
Amérindiens demeurant chez Pierre Lar-
rivée ; baptisée le 31 mai 1721,
p. io (aj.)
à 24 ans environ ; inhumée
MARIE-LOUISE, Sauvagesse
le 5 déc. 1730, à 30 ans envi¬
venue des pays d’en haut;
ron; l’acte d’inhumation pré¬
inhumée le 21 février 1818,
cise quelle appartient à Pier¬
à 79 ans, demeurant chez
re Larrivée. Probablement
Guillaume Desrosiers et dite
la Panise Marie, esclave de
libre à son décès; présents
Pierre Larrivée, qui pour¬
à l’inhumation : Guillaume
suit en justice Jean-Baptiste
Desrosiers et son fils Albert.
Mailhot, aussi de Boucher¬
ville, pour l’avoir engrossée.
BOUCHERVILLE
Amérindiens
DESCHAMBAULT
Anonyme
p. 11 (mod.)
LAURENT LÉVEILLÉ, Panis
p. 20 (aj.)
à l’âge de 24 ans environ, il
ANONYME
épouse le 22 nov. 1705 Marie
esclave anonyme (Amérin¬
Demers, 19 ans, fille de feu
dien ou Noir?) de Paul Per¬
Étienne Demers et de Marie
rault, inhumé le 17 janvier
Ménard; comme la mariée
1762.
est enceinte, une dispense de
trois bans a été accordée; le
LACHINE
seigneur Pierre Boucher de
Boucherville [qui est proba¬ Anonyme
blement le propriétaire] est
présent au mariage. De ce p. 23 (aj.)
mariage avec une Canadien¬ ANONYME, Panis
ne naissent trois enfants; le appartenant à Pierre Duchar-
père meurt avant le 21 mars me (fils de Fiacre), lorsque ce
1709; sa veuve, Marie De¬ Pierre Ducharme décède vers
mers, se remarie à un Cana¬ 1693.
dien, Louis Renaud-Locat.

p. 12 (mod.)
372 Deux siècles d'esclavage au Québec

MONTRÉAL Olives ; elle arrive à Marseille


le 20 novembre à bord de
Noirs Y Aventuriervenant du Havre ;
elle a demandé l’autorisation
p. 104 (aj.)
de passer en Languedoc, à
JEAN-BAPTISTE, Nègre
condition de faire la quaran¬
enfant appartenant à une
taine ; le président du Conseil
veuve Barthe, mentionné le
répond que cette permission
11 avril 1746 dans le dossier
ne peut être accordée, que la
Affaires criminelles.
dame doit attendre pour sortir
p. 112 (aj.) de Marseille que la commu¬
MARIE-CHARLOTTE, Négresse nication soit rétabbe (le pré¬
voir, dans Montréal, Jasmin, sident du Conseil de Marine
Joachim-Alexis. à Monsieur de Vaucreson,
19 mars 1721, dans BRH, 41,
QUÉBEC 1935: 128; Charlevoix, His¬
toire (édition de 1744): I, 26-
Amérindiens 28). Selon le médecin parisien
Franck Rolin, qui a étudié ce
p. 127 (aj.)
cas, l’esclave aurait été ven¬
ANONYME, Amérindienne
due par la veuve à un négrier
esclave du gouverneur Buade
de Marseille, se serait évadée
de Frontenac, elle entre
de la cale du navire de ce né¬
comme écolière chez les Ur-
grier avec une petite Noire et
sulines de Québec le 23 juillet
aurait vécu une dizaine d’an¬
1679 et en sort le 7 octobre
nées avec elle dans les forêts
1680.
de France. D’après la même
p. 127 (mod.) étude, elle aurait servi de mo¬
ANONYME, Esquimaude dèle à Voltaire dans son conte
voir dans Québec, Des Olives, L’Ingénue.
Marie-Angélique.
p. 146 (aj.)
P- U3 (aj-) MARIE-LOUISE, Panise
DES OLIVES, MARIE- Mascoutine
ANGÉLIQUE, Panise achetée des Outaouais par
appartenant à la veuve du Paul Ailleboust de Périgny,
capitaine Augustin Legar- de chez qui elle sort pour de¬
deur de Courtemanche (celui- meurer chez un Grandmes-
ci décédé en 1717) ; veuve qui nil, marchand à Québec; le
passe en France en 1720 en 28 février 1731, alors quelle est
compagnie de son esclave blanchisseuse sans demeure
panise Marie-Angélique des fixe, elle est accusée d’avoir
Annexe 373

volé des assiettes et autres p. 194 (aj.)


choses ; à sa comparution, elle SAINT-ARMAND (OU
prête serment: on ne sait ce PHILIPSBURG)
qui s’ensuit, puisque le procès
Les archives relatives à Saint-
ne semble pas dépasser l’éta¬
Armand ou Philipsburg font
pe de l’information.
état dans le recensement de
Missisquoy en 1784 de Noirs
RIGAUD
qualifiés d’esclaves du capitai¬
Noirs
ne John Walden Meyers; cel¬
les des années 1791, 1822, 1825 et
p. 188 (aj.) 1831 mentionnent aussi des
TROTTIER, MARIE, Négresse Noirs (dont Harry, aide-fermier,
épouse du précédent, Jac¬ né aux États-Unis et célibatai¬
ques Robertson dit Robin¬ re qui est nommé dans le testa¬
son, et mère des enfants sui¬ ment de Philip Luke), mais les
vants, François, Marguerite documents ne précisent pas si
et Louise. ces Noirs étaient ou avaient été
esclaves; d’autres Noirs appa¬
SAINTE-ANNE- raissent dans les archives après
DE-LA-PÉRADE l’abolition de l’esclavage: nous
n’en tenons évidemment pas
Amérindiens compte. Nous ne retenons ici
que les esclaves de Meyers :
p. 189 (mod.)
ANONYME, Amérindien OBADIAH LEWIS, Nègre
esclave de [l’officier et sei¬ esclave du capitaine John
gneur Pierre-Thomas] Tarieu Walden Meyers, né aux États-
de Lapérade ; inhumé le 4 déc. Unis et marié.
1742 à 23 ans environ. ANONYME, sa conjointe non
mariée
p. 192 (aj.) née aux Etats-Unis, esclave
du même Meyers.
SAINTE-ANNE-DE-LA- JOSEPH LEWIS, Nègre
PO CATIÈRE esclave du même Meyers, né
aux États-Unis, non marié.
Noirs
BETTY LEWIS, Négresse
CATHERINE-BARBE, négresse esclave du même Meyers, née
du seigneur Laudin Smith, aux États-Unis, non mariée.
âgée de 16 ans, baptisée le
15 sept. 1791.
374 Deux siècles d’esclavage au Québec

TROIS-RIVIÈRES p. 218 (aj.)


YORK (Toronto)
Amérindiens
Noirs
p. 212 (aj.)
MARIE-MANON, Panise ANONYME, Négresse
de Guillet de Chaumont : de William Jarvis (voir plus
la même, semble-t-il, que la bas HENRY dit PRINCE).
Panise Marie-Josephe : voir
AMY POMPADOUR, Négresse
dans Terrebonne.
dont Elizabeth Russell avait
fait cadeau à la femme du ca¬
VARENNES pitaine Denison (H. Scalding,
Toronto of Old, p. 213-214).
Amérindiens
COACHLY, Nègre
p. 214 (mod.)
affranchi (voir plus bas
JOSEPH, Panis
HENRY dit PRINCE).
appartenant à [Joseph-Louis]
Hains; inhumé le 7janv. 1785, DORINDA, Négresse
à 12 ans. native de la Guinée, qui, avec
ses enfants, appartient en
Noirs 1803 au solliciteur-général
Alexander Gray; celui-ci,
p. 215 (mod.)
perdu dans le naufrage du
FRANÇOIS, Nègre
«Speedy», leur laissait par
âgé de 45 ans, il est vendu
testament l’intérêt d’une
le 10 mars 1797 par Joseph-
somme de 1200 livres anglai¬
Louis Hains, de Varennes,
ses (Scalding, op. cit., 213).
à John Deer, de Montréal,
pour 50 livres [ou 1200 livres SIMON BAKER, Nègre
françaises], cours de Québec un des enfants de la pré¬
(greffe Chaboillez). cédente, qui appartient au
même ; par son testament,
THOMAS, Nègre
son maître lui laisse la liberté
appartenant à [ Joseph-Louis]
et 200 acres de terre, mais il
Hains; décédé le 18 nov. 1783,
périt en 1803 en même temps
après avoir reçu les sacre¬
que son maître dans le nau¬
ments de Pénitence et d’Ex-
frage du « Speedy».
trême-Onction, et inhumé le
lendemain. JOHN BAKER, Nègre
autre enfant de Dorinda; il
était arrivé à Cornwall en
1792 comme esclave de Gray
et avait servi dans la guerre de
Annexe 375

1812 ; blessé à Lundy’s Lane, a DÉTROIT


joui d’une pension pendant
Amérindiens
57 ans ; par son testament,
son maître lui laissait la liber¬ p. 240 (mod.)
té et 200 acres de terre ; mort MARGUERITE, Panise
à 105 ans le 17 janvier 1871 à esclave de Charles Courtois
Cornwall (Scalding, op. cit., dit Marin, bourgeois, demeu¬
213). rant rue Saint-Louis; mère

HENRY dit PRINCE, Nègre des suivants vers 1754, en 1763,

qui appartient à William Jar- en 1767, en 1772, en 1773.

vis; qualifié de «boy», a volé CHARLOTTE, Panise


or et argent à son maître et née de la précédente; décé¬
s’était sauvé de chez lui avec dée le 31 mai 1761 à l’âge de
une jeune négresse qui appar¬ 7 ou 8 ans.
tenait aussi au même et avec
PIERRE, Panis
un nègre libre appelé Coa-
chly ; emprisonné le ier mars né de la même mère le 17 mai
1763, baptisé le même jour; le
1811; la négresse est remise
fils du propriétaire, Charles-
à Jarvis; quant à Coachly, il
Denis, l’affranchit le 29 juin
est acquitté (Scalding, op. cit.,
1781 par-devant notaire à Dé¬
p. 211-212).
troit (Michel Barbeau, «Ber¬
JUPITER, Nègre trand Courtois et sa descen¬
âgé d’environ 15 ans, escla¬ dance», dans MSG, vol. 46,
ve de Peter Russell; celui-ci
n°3>P- *97)-
le met en vente le 19 février
ALEXIS, Panis
1806 pour 200 dollars paya¬
né de la même mère le Ier avril
bles en 3 ans ; a été élevé sur¬
1767 et baptisé sous condition
tout «as a house servant», dit
le surlendemain: il avait été
« tall and strong for his âge »
ondoyé à la maison, en dan¬
(Scalding, op. cit., 212).
ger de mort.
PEGGY, Négresse
MARIE-JOSEPH, Panise
d’environ 40 ans, que Peter
née le Ier mai 1772 de la même
Russell met en vente le 19 fé¬
mère et baptisée le même
vrier 1806 pour 150 dollars ;
jour; elle fut tout de suite
annoncée comme « toléra¬
donnée à François Lebeau.
ble cook and washerwoman»,
elle sait faire du savon et des PIERRE, Panis
chandelles (Scalding, op. cit., né de la même mère le 14 mai
212). 1773 et baptisé le même jour,
il fut ordonné à Berthiaume,
376 Deux siècles d’esclavage au Québec

«en pur don pour luy servir p. 263 (aj.)


en qualité d’esclave». KASKASKIAS (région de)
Noirs
Mission Sainte-Famille du Sé¬
p. 251 (aj.) minaire de Québec, dite mis¬
FRANCK, Nègre sion des Tamarois: à Cahokias,
âgé d’environ 23 ans, que le ayant décidé de rentrer en Fran¬
marchand Thomas Finchley ce et sans autorisation du Sémi¬
vend au marchand George naire, le prêtre Jacques-François
Lyons, le 21 juin 1785, pour Forget du Verger, grand-vicai¬
200 livres (cours de New- re des Illinois, vend en 1763 les
York); c’est ce même nègre 31 esclaves, Nègres (au moins
Franck, âgé d’environ 24 ans, 12) et amérindiens, qu’y possède
qu’à Michillimackinac, le le Séminaire (la seule vente de
marchand George Lyons 12 Noirs rapporta 20000 livres).
vend à l’interprète du roi, Les Jésuites de Québec possé¬
Joseph-Louis Hains, le 8 juil¬ daient dans leur mission de cette
let 1785, pour 1200 livres, an¬ même région, 34 esclaves.
cien cours, soit 80 livres, cours
de New-York

Deuxième partie : Les propriétaires

AILLEBOUST BARTHE
p. 267 (aj.) p. 275 (aj.)
Ailleboust de Périgny, Paul, veuve Barthe
Marie-Louise, Panise Mas- Jean-Baptiste, Nègre impli¬
coutine. qué à Montréal dans une af¬
Procès le 28 février 1731. faire criminelle le n avril
1746.
p. 272 (aj.)
AUDRY BUADE
Audry, Claude p. 290 (aj.)
propriétaire d’un esclave non Buade de Frontenac, Louis
identifié, selon le recense¬ gouverneur de la Nouvelle-
ment de Détroit en 1750. France; il possède une Amé¬
rindienne esclave inscrite
comme écolière chez les
Ursulines de Québec en 1679-
1680.
Annexe
377

CAMPEAU Pierre, Panis


frère de la précédente, n et b
p. 294 (aj.)
1759, Détroit.
Campeau, Louis
petit-fils de l’ancêtre Étienne Charles, Panis
Campeau. Selon le recense¬ frère du précédent, n, b et s
ment de Détroit en 1750, il est 1766, Détroit.
propriétaire de 3 esclaves.
Nicolas, Panis
frère du précédent, n et b 1767,
CHESNE Détroit.
p. 303 (mod.)
François-Prisque, Panis
Chesne dit Labutte, Pierre frère du précédent, n, b et s
fils du précédent [Chesne dit
1769, Détroit.
Labutte, Pierre], marchand,
époux en 1728 de Marie- Anonyme
Madeleine Roy et, en 1736, esclave, s 1759 à 20 ans, Dé¬
de Louise Barrois, décédée troit.
en 1774.
Josette, Panise
Antoine, Patoca s 1761 à 15 ans, Détroit.
b et s 1732 à 13 ou 14 ans, Dé¬
Jacquot, Nègre
troit.
acheté en 1762 de dame Fran¬
Poutéoutami çois Hamelin, Détroit.
b et s 1737 à 18 ans, Détroit.
Panise
Madeleine, Panise mère en 1763 et 1765, Détroit :
s 1744 à 13 ou 14 ans, Détroit. serait-ce la précédente Char¬
lotte ?
Madeleine, Panise
b et s 1746 à 18 ans, Détroit. Suzanne, Panise
fille de la précédente, n et b
Panise 1763, s 1778 à 15 ans, Détroit.
mentionnée en 1749, Détroit:
serait-ce la suivante ? Marguerite, Panise
sœur de la précédente, n et b
Charlotte, Panise 1765, s 1783 à 17 ans, Détroit.
mère en 1754, 1759, 1766,
Selon le recensement de Dé¬
1767 et 1769, Détroit.
troit en 1750, il possède 2 es¬
Catherine, Panise claves; selon celui de 1782, il
fille de la précédente, n et s en a 3. En société avec Pierre
1754, Détroit. Saint-Cosme, il possède en¬
core les deux suivants.
Deux siècles d’esclavage au Québec
378

Françoise, Panise FINCHLEY


mère en 1737, Détroit.
p. 327 (mod.)
Pierre, Panis Finchley, Thomas
fils de la précédente, n et b commerçant, époux de Cathe¬
1737, Détroit; s 1740, Mont¬ rine Chesne.
réal: à son décès, ce Panis
Panise
appartient au seul Saint-
s 1780, Détroit.
Cosme.
Suzanne, Panise
DROUILLARD b et s 1786 à 15 ans, Détroit.

p. 320 (mod.) Franck, Nègre


Drouillard, Joseph d’environ 24 ans qu’il vend à
frère du précédent [Drouillard, George Lyons le 21 juin 1785.
Pierre], époux en 1771 de Selon le recensement de Dé¬
Marie Joseph Godefroy dit troit en 1782, il possède un ex-
Saint-Georges. clave mâle et une esclave fe¬
melle.
Panise
s 1779 à 15 ans, Détroit.
p. 330 (aj.)
Panise FRÈRES DE LA CHARITÉ
s 1780 à 13 ans, Détroit.
À leur couvent de Louisbourg
Pierre, Nègre ont un esclave vers 1750.
s 1783 à 14 mois, Détroit.

Selon le recensement de Dé¬ p. 339 (aj.)


troit en 1782, il possède 2 es¬ GRANDMESNIL
claves (un homme et une
marchand de Québec.
femme).
Marie, Panise
DUCHARME qui fut un temps à son service,
après avoir appartenu à Paul
p. 321 (aj.)
Ailleboust de Périgny.
Ducharme, Pierre, fils de
Fiacre
petit Panis qui périt avec lui
GRAY
en 1689 dans le massacre de p. 340 (aj.)
Lachine. Gray, Alexander
solliciteur-général, d’York
(Toronto).
Annexe 379

Dorinda, Négresse JÉSUITES


et ses deux fils John et Simon
p. 350 (mod.)
Baker, que le maître affran¬
Jésuites.
chit et favorise par des legs
dans son testament de 1803. Pierre, Illinois
b à Montréal, malade à l’Hô-
HAINS tel-Dieu de Québec à 15 ans
en 1690 et en 1691-1692.
P- 343 (aj.)
Hains, Joseph-Louis Alexis, Panis
s 1723, appartenant aux Jé¬
Thomas, Nègre
suites du Sault-Saint-Louis,
s 1783, Varennes.
Montréal.
Joseph, Panis
Claude-Ignace, Panis
s 1785 à 12 ans,Varennes.
s 1723 à 10 ans, Québec.
Marie, Panise
Michel-Fortunat, Illinois
mère en 1788, Varennes.
malade à l’Hôtel-Dieu à
Marie, Panise 20 ans en 1729-1730, Québec.
fille de la précédente, n, b et s
Jean-Baptiste Barbaron, Patoca
1788, Varennes.
affranchi en ou avant 1730,
Nicolas, Amérindien Québec.
s 1793 à 19 ans, Varennes.
Ignace, Panis
Sarah dite Sally, Négresse
âgé de n ans dans le recen¬
vendue à 45 ans à Berthelet
sement de 1744, confirmé en
en 1795, Varennes. 1749, s 1751 à 15 ans, Québec.
François, Nègre
Françoise, Siouse
acheté 10 mars 1797 et reven¬
esclave en 1752 des Jésuites de
du la même année. Saint-François-du-Lac.

Dans leur mission de la ré¬


JARVIS
gion de Kaskaskias, les Jé¬
p. 350 (aj.) suites (qui relèvent du cou¬
Jarvis, William, d’York vent de Québec) possèdent
(Toronto) 34 esclaves, à la fin du Régi¬
me français.
Henry dit Prince, Nègre
qualifié de «boy», accusé de
vol et emprisonné en 1811.

négresse
aussi esclave et accusée de vol,
remise à son maître.
380 Deux siècles d’esclavage au Québec

LARRIVÉE Joseph, Iroquois


s 1743 à 4 ans, Détroit.
p. 361 (aj.)
Larrivée, Pierre, de Boucher¬ Lisette, Panise
ville mère en 1770, 1772, 1777 et
1778, Détroit.
Marie, Panise
qualifiée d’esclave, elle pour¬ Jean, Panis
suit en 1730 Jean-Baptiste fils de la précédente, n et b
Malhiot au sujet d’une gros¬ 1770, Détroit.
sesse.
Claude, Panis
frère du précédent, n, b et s
LUKE 1772, Détroit.

p. 376 (aj.) François, Panis


Luke, Philip frère du précédent, n et b 1777,
sur les Noirs qui travaillent Détroit.
chez Luke, voir ce que nous
écrivons sur Saint-Armand Louise, Panise
et Missisquoy, dans la par¬ sœur du précédent, n et b
tie toponymique sur le CD 1778, Détroit.
ci-joint. Jacques, Panis
p. 376 (mod.) s 1780 à 20 ans, Détroit.
Lyons, George Lyons Selon le recensement de Dé¬
marchand. troit en 1750, un Marsac pos¬
Selon le recensement de Dé¬
sède un esclave.
troit en 1782, il possède un es¬
clave mâle.
MEYERS
Franck
p. 385 (aj.)
nègre d’environ 24 ans, que
Meyers, John Walden
George Lyons Lyons vend
il possède 4 esclaves dans la ré¬
pour 1200 livres françaises à
gion de Missisquoy.
Joseph-Louis Hains, inter¬
prète, à Michillimackinac, le Obadiah Lewis, marié.
8 juillet 1785.
Anonyme, Négresse, femme du
précédent.
MARSAC
Joseph Lewis, Nègre non marié.
p. 381 (mod.)
Marsac, Jean-Baptiste Betty Lewis, Négresse non ma¬
frère du précédent, époux en riée.
1773 de Geneviève Séguin.
Annexe 38i

PARANT RUSSELL

P- 393 (aj.) p. 413 (aj.)


Parant, Gilles Russell, Peter
selon le recensement de 1750, demeurant à York (Toronto).
il possède 2 esclaves à Dé¬
Pcggy, Négresse
troit.
d’environ 40 ans, à vendre
150 dollars en 1806.
PERRAULT
Jupiter, Nègre
p. 396 (aj.)
d’environ 15 ans, à vendre 200
Perrault, Paul dollars en 1806.
esclave anonyme inhumé le
17 janvier 1762 à Descham-
p. 416 (aj.)
bault.
SÉMINAIRE DE QUÉBEC

RÉAUME À la mission de Kaskaskias, il


possède 31 esclaves, Nègres (au
p. 405 (mod.)
moins 12) et amérindiens, que
Réaume, Charles son représentant met en vente
négociant de l’île Jésus, époux en 1763.
en 1734 de Marie-Marguerite
Labelle. En 1743, il vend à Cu- TROTTIER
reux dit Saint-Germain 5 nè¬
p. 423 (aj.)
gres (2 mâles et 3 femelles),
Trottier dit Desruisseaux
esclaves non identifiés, voir
selon le recensement de Dé¬
Cureux dit Saint-Germain,
troit en 1750, il possède un es¬
sur le CD ci-joint.
clave.
Panis
b et s 1744 à 15 ou 16 ans,
Saint-François-de-Sales.

Marie-Marguerite-Catherine,
Siouse
b et s 1746 à 16 ans, Saint-
François-de-Sales.

Selon le recensement de
1782 à Détroit, il possède une
esclave.
Index

A 232-234, 239, 247, 262, 265, 267,


270, 272,323,325-326,332-333,342
Abénaquis, 23,37,55, 87,187
Antoine, Panis, 1749,185
Acadie, 17,19,31,33, 93-94, 97, 212-
Antoine, Patoca, 1732,377
214
Antoine, Sauvage, 17
Adhémar, Jean-Baptiste, notaire, 54
Antoine-Augustin, Cahokia, 191
Afrique, 16,19, 40, 46, 89,315,336
Antoine dit César, Sauvage, 136
Agnès, Amérindienne, 23
Antoine « Flesche», Nègre, 38
Ailleboust de Périgny, Paul, 376,378
Antony, médecin, 173,177
Ainslie, Thomas, 128
Archambault, Laurent, prêtre, 193
Aiouois, (aiouiè, aiyoué, iowas,
Archambault, Paul, prêtre, 193
oiowès), 78,326
Arkansas, sauvages, 27,55,78,326
Airs, John, Nègre, 150
Askin, John, 105-107,117, 210-211,
Alavoine, Charles, 216
302,303
Alavoine, nom d’esclave, 242
Assiniboines, sauvages, 79-80,326
Albany (New-York), 87,305,307
Aubert, Jean, 31
Alexis, Panis, 137
Aubert de Gaspé, Ignace-Philippe,
Alexis, Panis, 1723,379 capitaine, 178
Alexis, Panis, 1767,375 Aubert de Gaspé, Philippe, 178-180,
Algonquins, 17, 23,55, 280
i87> 317.338-339
Allen, sieur, 308 Aubert de Gaspé, Philippe-Ignace,
Alter, Catherine, Négresse, 150 capitaine, 178,338
Amherst, Jeffery, général, 66, 219, Aubert de Lachesnaie, famille, 134
238 Aubert de Lachesnaie, François,
Ancienne-Lorette, 94,148 bourgeois, 89,185
Anctil, major, 306 Aubery, Joseph, Jésuite, 137,328
André-Gabriel, Panis, 170 Aubry, capitaine de navire, 62,
Andrew, Mulâtre, 112,164 228-229
Angélique, Négresse, 1808,3x7 Audry, Claude, 376
Angélique-Denise, Négresse, 89, Auger, Amable, 154
267 Auger, François, 154
Angers, Jean-Baptiste, juge, 185 Auger, Jean-Baptiste, négociant, 116
Angers, veuve François, 193 Auger, nom d’esclave, 242
Anselme, Panis, 135 Augsbourg, Ligue d’, 35-36
Antilles, 31-32,39,43,49,53, 60-63, Augustin, Amérindien, 76
81, 89, 93,103,107,114,140,143, Aulneau, Jean-Pierre, Jésuite, 177
146-148,155,157,164,175,188, Aunis, province, 293
205-206, 208, 217, 223, 228-229,

Pour mieux distinguer les esclaves homonymes, nous écrivons une date après leur
nom : cette date est d’ordinaire celle de leur première apparition dans les documents.
384 Deux siècles d’esclavage au Québec

B Berey des Essarts, famille, 291


Bergères de Rigauville, Nicolas-
Badgley, Francis, député, 315 Blaise, 205
Baie d’Hudson, 40,83 Bernard, Amérindien, 24,51,135
Bailly de Messein, François- Bernard, famille, 271
Augustin, 184, 229, 232, 286
Berthelot, Amable, député, 299-300
Baptiste, Nègre, 137
Berthiaume, sieur, 264
Baraca, Marie-Catherine, Négresse,
Berthier-en-Haut, 95,193, 213-214,
xo6, 266, 270
3i 7-371
Baraca, Pierre, Nègre, 269
Bett, Négresse, 163
Barbade, 37
Beuffait, Louis, marchand, 140
Barbe, Panise, 259, 263
Bigot, François, intendant de la
Barbe-Charlotte, Panise, 184 Nouvelle-France, 62,127,328
Barthe, Jean-Baptiste, 117
Bisaillon, Michel, 258
Barthe, Pierre, bourgeois, 264
Bissett, Alexander, maître de
Barthe, veuve, 376 langues, 102,132
Bas-Canada, 298-301,303-306,308- Bissett, famille, 102
309,316,319,323,336-338
Bissot de Vincennes, famille, 130
Batiscan, 95,214
Black, James, Nègre, 250
Beauchamps, famille, 289
Black, John, député, 313
Beauchemin, famille, 289
Blake, Charles, médecin, 108, no
Beaugis, famille, 290
Blanchetière dit St-Georges,
Beauharnois, Charles de, famille, 289
gouverneur de la Nouvelle-
Blanchetière dit St-Georges,
France, 59,64-65,71,87-88,126,
Sulpice, 287
140,152,184-185,191-192,205,215,
Blondeau, famille, 185
328.331
Blondeau, nom d’esclave, 242
Beaumenil, Joseph, Nègre, 244, 257,
Bloodgood, James, 112
287
Blot, famille, 129
Beaumenil, nom d’esclave, 243
Bochart-Champigny, Jean,
Beaumont, 94, 293
intendant de la Nouvelle-France,
Beaumuny, famille, 289
32> 34,36A7,324
Beauport, 23,94,151,192, 256,301
Boileau, nom d’esclave, 242
Bégon, Marie-Èlisabeth, épistolière,
Boisberthelot de Beaucour, famille,
192
247
Bégon, Michel, intendant de la
Boisberthelot de Beaucour, Josué,
Nouvelle-France, 40-43,45-46,
gouverneur particulier, 127,140,
IL4-II5> 13%>329>342 328
Beigné, Pierre, 148
Boisberthelot de Beaucour, Josué,
Belhumneur, nom desclave, 242
veuve, 247
Bellerose, famille, 289
Bonaventure, Panis, 264
Benoist, Joseph, chirurgien, 152,158,
Bondfield, Acklom Rickaby,
240.332
marchand, 188,194
Benoist, Nicolas, 148
Bondfield, famille, 194
Berey, Angélique, Panise ou Siouse,
Bossu, capitaine, 18
291
Boston, 102
Berey, de, nom d’esclave, 243
Boston, Robert, Nègre, 250
Index 385

Boüat, François-Marie, négociant Brown, William, imprimeur, 102,


et juge, 60 107,109,132-133,156,159,161,176-
Boucherville, 96, 262, 283,371 177, 205-207,212,328
Boucher de Boucherville, famille, Bruce, Nègre, 112,212
283 Brunet, famille, 289
Boucher de Boucherville, Pierre, Brunet, Louis, 285
286,371 Bulkley, Marie, Négresse, 106,110,
Boucher de Labruère, docteur, 318 3OI>3!7
Boucher de Labruère, Pierre- Burns, négociant, 108
Charles, 116 Burton, Ralph, gouverneur
Boucher de Labruère, René, 184 particulier, 238
Boucher de Laperrière, François, Butcher, Benjamin, Nègre, 250
246
Boucher de Niverville, famille, 134 c
Boucher de Niverville, Jean-
Cabassié, Joseph, bourgeois, 141, 263
Baptiste, 170,174
Cadet, Joseph-Michel, 129
Boucher de Niverville, Joseph-
Cahokias, sauvages, 79,326
Claude, 215
Cailhaut dit Baron, Jean, 251
Bouchette, famille, 290
Caldwell, William, officier, 195
Bouchette, Marie-Joseph, 289
Caleb, Nègre, 159
Bougainville, Louis-Antoine de,
Callières, Louis-Hector de,
76-78, 83
gouverneur général de la
Bouillet de Lachassaigne, Jean,
Nouvelle-France, 36-37
gouverneur particulier, 127
Calmet dit Jolibois, famille, 289
Bouquet, Henry, officier, 219
Calmet dit JoÜbois, Rémond, 287
Bourassa, Daniel, 261
Camel, Titus, Nègre, 276
Bourassa, famille, 126, 289
Campbell, Donald, officier, 219
Bourassa, René, voyageur, 235-236,
Campbell, John, officier, 141, 265,
275
271-272,276-277
Bourassa, voyageur, 177
Campbell, William, 108, no-in
Bourdeau, famille, 290
Campeau, Etienne, 377
Bourdeau, Marie, 289
Campeau, famille, 126,129,142,329
Bourdeau, nom d’esclave, 242
Campeau, François, 172
Bourdon, famille, 291
Campeau, Jean-Baptiste, notaire,
Bourdon, Joseph, Panis, 248, 289
132
Bourdon, Nicolas, Panis, 150
Campeau, Joseph, 210
Bourdon, nom d’esclave, 243
Campeau, Louis, traiteur, 104,141,
Bourdon dit Content, Jean-
Baptiste, Panis, 169 ^ 377
Campeau, nom d’esclave, 242
Boutin, sieur, 197
Campeau, Simon, 141
Boyer, famille, 289
Canac, Antoine, 200
Bradshaw, Nancy, Négresse, 151
Caniac de Périgord, famille, 294
Briand, Jean-Olivier, évêque, 198
Canon, Nègre, 64,197
Brochets, sauvages, 80,326
Cap-de-la-Madeleine, 95
Brooks,John, 108
Cap-Saint-Ignace, 95
Brousse, sieur, 218
Cap-Santé, 94
Brown, Cœsar, Nègre, 170, 250
386 Deux siècles d’esclavage au Québec

Cap Sable, 93-94 Chalet, François de, 157


Cardin, Marguerite, 215 Chalifour, famille, 290
Cardinal, famille, 126 Chambly, 97,154,170,174
Cardinal, Jacques, Outagami, 196 Chambre d’assemblée, 53,128, 223,
Cardinal, Jacques, voyageur, 71,196 252, 299-300,305,307-311,314,
Cardinal, Jean, 148 3j6, 3:9,325,336-338
Cardinal, nom d’esclave, 242 Chambre des communes, 296-297

Caris, Geneviève, Panise, 286 Chambre des milices, 237, 239-240,


250
Carleton, île, 160
Champagne, voyageur, 256, 261
Caroline, colonie, 52-53, 91
Champlain, 95
Caron, Alexis, 316
Champlain, Samuel, 19,213, 281
Carter, Peter, 250
Chaouanons, 79
Cartier, Guillaume, 76
Chapoton, Jean-Baptiste,
Cartier, Jacques, 19
chirurgien, 264
Casgrain, Charles-Eusèbe, 157
Chappeau, Louis, 116
Casgrain, famille, 294
Chardon, Louis, prêtre, 192
Casgrain, Henri-Raymond, prêtre,
Charety, Négresse, 251
177-178,292-294,338-339
Casgrain, Jean, 293-294,339 Charité, Sauvagesse, 19, 281

Casgrain, Jean-Baptiste, 293 Charles, Brochet, 192

Casgrain, Philippe-Bâby, 157,339 Charles, Nègre, 1719, 268, 272,


276-277
Casgrain d’Airvault, famille, 292
Cash, Négresse, 163
Charles, Nègre, 1752,135, 274, 276
Casse, famille, 290
Charles, Nègre, 1761, 270
Charles, Nègre, 1783,160,301
Cataracoui, fort, 157
Charles, Noir, 1807,251
Catherine, Négresse, 1752,274
Charles, Panis, 1730, 61, 205, 250
Catherine, Négresse, 1802,193
Charles, Panis, 1766,377
Catherine, Négresse, 1811,166
Charles, Panis, 1788,195
Catherine, Panise, 1727,152,158,
240,332 Charles, Panis, 1794,195

Catherine, Panise, 1748,184 Charles, Panis, 1795, 259

Catherine, Panise, 1754,377 Charles, Sauvage, 1742,154

Catherine, Panise des Bâby, 339 Charles, Sauvage, 1754, 275

Catherine, Patocase, 1742,185 Charles-Claude, Nègre, 272

Catherine, Renarde, 166,173 Charles-Hilarion, Esquimau, 152,


185,191
Catherine-Barbe, Négresse, 373
Charles-Joseph, Nègre, 87
Catiche, Panise, 115
Catin, Henri-Nicolas, 135,328 Charles-Josephe, Sauvagesse, 76

Cazeau, Marguerite, 294 Charles-Louis, Patoca, 71,184


Charlesbourg, 94
Cèdres, les, 96
Charles Coh, Esquimau, 152
Céloron de Blainville, famille, 131
Céloron de Blainville, Louis-Jean- Charlevoix, François-Xavier, Jésuite,
Baptiste, 192 77> 255.279
Chariot, Nègre, 274
Céré, nom d’esclave, 243
Chariot, Panis, 152,173
Chaboillez, Charles, voyageur, 185
Chaboillez, famille, 129
Index 387

Charlotte, Négresse, 1798,306-307, Chirurgiens, propriétaires d’esclaves,


3°9 132,328
Charlotte, Négresse 1748,194 Chorel Dorvilliers, Jean-François,
Charlotte, Panise, 1754, 259,377 148
Charlotte, Panise, 1759, 261 Chouaguen, fort, 88
Charlotte, Panise, 1759, fille de la Christie, Gabriel, officier, 112, 212
précédente, 261 Christie, Josette, Négresse, 274
Charlotte, Panise, 1761,375 Christie, nom d’esclave, 242
Charlotte, Panise, 1777,147 Ciçonai, Nègre, 171
Charlotte, Panise, 1795, 259 Cicotte, Zacharie, bourgeois, 141
Charlotte, Panise, 1796, 208 Clapham, marchand, 218
Charlotte, Panise ou Renarde, 1729, Claude, Panis, 148,380

. 71
Charlotte-Elisabeth, Négresse, 268,
Claude-Antoine, Nègre, 38
Claude-Ignace, Panis, 379
272, 276-277 Clergé, propriétaire d’esclaves, 43,
Chartier, René, 24, 29 i34-i35> 2°P 328-329,342
Chartier de Lotbinière, Louis- Coachly, Nègre, 374,375
Eustache, prêtre, 193 Code noir, le, 31,49-50,101-102,143-
Chartier de Lotbinière, Michel-E.- 147» r55- 157- i64, 175- ï88, 203-204,
G.-A., 207,300-301,315 207, 217,227,239-241, 262, 265,
Chastelain, famille, 215 270-273, 286,303,323,330,342
Chastelain, François, 215 Cœsar, Nègre, 156
Chastelain, Marie-Josephte, 215-217 Cœsar Nero, Nègre, 156
Château-Richer, 94 Colbert, Jean-Baptiste, ministre, 22,
Chateaubriand, François-René 59,280,282,335,342
de, 79 Coli, Charles, Esquimau, 165
Châteauguay, 138,193 Collet, Luc, 136
Chatel, famille, 289 Colomb, Christophe, 16-17,19
Chaussegros de Léry, famille, 131 Colombine, Panise, 172
Chaussegros de Léry, Gaspard, 192 Comanches, sauvages, 78
Chauvet dit Lagerne, famille, 289 Compagnie d’Occident, 189,191
Chauvet dit Lagerne, Pierre, 256, Compagnie des Cent-Associés, 56,
287, 289 104
Chauvin, Charles, 264 Compagnie du Sénégal, 31
Chauvin, nom d’esclave, 242 Compagnie française des Indes
Chavigny de Lachevrotière de occidentales, 31,42,45-46,58, 65,
Latesserie, Joseph, 112,116,183 127,157

Cherrier, François-Pierre, notaire, Connolly, marchand, 105


132,198 Conseil de la marine, 137
Chesne, Marie-Catherine, 378 Conseil de marine, 45
Chesne-Labutte, Pierre, marchand, Conseil législatif, 128, 295,328
104,141,172, 259, 264-265,377 Conseil souverain, 32,34,50
Chevalier, famille, 263,289 Conseil supérieur, 56, 62, 65,103,127,
Chevalier, Joseph, armurier, 216 147,189,190-191,204, 208, 210,
Chevalier, Louis, 258 214,217, 221, 224,233-236, 240-242,
Chevalier-Lullier, Charles, 261 328,333-372
Chicachas, sauvages, 79,326 Constant, Panis, 64, 208
388 Deux siècles d’esclavage au Québec

Content dit Bourdon, famille, 289 Cugnet, François-Étienne, 189


Content dit Bourdon, nom Cuillerier, Antoine, bourgeois, 104,
d’esclave, 242 191,246, 263
Cook, Jane, 306 Cuillerier, famille, 129, 289
Coquart, Claude, Jésuite, 58, 80 Cuillerier, Marie-Anne, 269
Cordulle, Jeanne-Françoise, Cureux dit Saint-Germain, Joseph,
Sauvagesse, 185 i98> 244
Cordulle, Marie-Joseph, Cureux dit Saint-Germain, Louis,
Sauvagesse, 192 110,133,381
Côté, famille, 126 Curtain, John, Nègre, 251
Couillart, Guillaume, 14-16,31, 86, Cutan, Josiah, Nègre, 102, no, 210,
150, 204-205,323 241
Couillart de Lespinay, Dame, 179 Cuthbert, James, 313-316,337-338
Couillart de Lespinay, famille, 179, Cynda, Négresse, no, 295
338
Couillart de Lespinay, Jean- D
Baptiste, 179-180,187
Dagneau-Douville, Alexandre,
Coulon de Jumonville, Joseph,
officier, 210
officier, 131
Dagneau-Douville de Lamothe,
Coulon de Villiers, famille, 131
Guillaume, 104, 263
Courault dit Lacoste, famille, 129
Daguille, Jacques-François,
Courcelle, Rémy de, gouverneur de
marchand, 184
la Nouvelle-France, 21-22,126,
Dailleboust, famille, 131
281,323
Dailleboust de Coulonge, Louis,
Courchaîne, famille, 289
25, 28
Courchaîne, nom d’esclave, 242
Daine, François, 191, 201
Courtois, Charles-Martin, 259, 264,
Dalton, famille, 158,164
375
Damien, Jacques, boucher, 118
Coutencineau, Jean, 209
Damoiseau, Nègre, 197
Coutrot, Hubert, 191
Damour de Clignancour, Louis, 154
Couture, geôlier, 206
Damour de Freneuse, Joseph, 174
Couture, nom d’esclave, 243
Damour de l’île-Ronde, Mathieu,
Craigie, John, député, 313,316
Cramahé, Hector Theophilus, *74
Daneau Demuy, Jacques-Pierre,
lieutenant-gouverneur, 110,115,
officier, 286
128,328
Daniel, récollet, 174
Cramer Polydore, Paul, Nègre, 174,
276 Daniel-Clément, Panis, 200

Crâne, George, Nègre, 251 Daniel-Télémaque, Nègre, 135,300

Crémazie, Octave, 339 Daniel-Théophile, Nègre, 192

Cristinaux, sauvages, 79-80,326 Daniell, famille, 158,164

Crofton, James, tavernier, 112,164 Darles, François, 210

Crozat, Antoine, 39-40 Davis, sieur, 206

Cuff, Nègre, 160 Dazemard de Lusignan, Paul-


Louis, officier, 197
Cuff Morocco, Margaret, Négresse,
186 Deane, William, 269

Cugnet, François, 192 Debonne, Pierre-Amable, 300,316


Index 389

Decouagne, famille, 129 Donnacona, Sauvage, 19


Decouagne, nom d’esclave, 242 Don Quichotte, Sauvage, 197
Decouagne, Thérèse, 219 Dorchester, Guy Carleton,
Deer, John, 374 gouverneur général du Canada,
Deerfield (Massachusetts), 25, 202 209
Dejean, Philippe, marchand et juge, Dorinda, Négresse, 374,379
209 Dorothée, Panise, 1790, 259
Delagarde, Pierre-Paul-François, Dorothée, Panise, 1790, fille de la
sulpicien, 135,328 précédente, 259
Delzenne, Ignace-François, Dosquet, Pierre-Herman, évêque,
marchand-orfèvre, 116,129 135,328
Demers, Etienne, 371 Douaire de Bondy, famille, 129
Demers, famille, 290 Doyon, famille, 25, 285, 292
Demers, Marie, 283-284, 287, 289, Doyon, Nicolas, Panis, 24, 288
371 Doyon, nom d’esclave, 242
Denonville, J acques-René, Doyon dit Laframboise, famille, 285,
gouverneur de la Nouvelle- 289,291
France, 26,324 Doyon dit Laframboise, Nicolas,
Denys De Laronde, famille, 131 Panis, 285, 289
Denys De Laronde, Joseph, 235 Drouillard, Joseph, 378
Députés, propriétaires d’esclaves, Drouillard, Pierre, 378
128,301,314,328 Drummond, Nègre, 160
Desautels, nom d’esclave, 242 Ducharme, Pierre, 371,378
Desbois, Marie-Catherine, Panise, Duchesne, famille, 289
283 Duchesne, nom d’esclave, 242
Deschaillons, seigneurie, 218 Duchesne, René, 201
Deschambault, 94,371,381 Duchesne, sieur, 261
Desforges, famille, 242 Duchesne dit Le Roide, André,
Desforges dit Saint-Maurice, Panis, 150, 293
famille, 285, 289 Duchesne dit Le Roide, Marie-
Desforges dit Saint-Maurice, Geneviève, 293
Marie-Geneviève, 285 Duclos, Marie-Llisabeth, 195
Des Olives, Marie-Angélique, Dufresne, nom d’esclave, 242
Panise, 372 Dufrost de Lajemmerais, Marie-
Détroit, 74, 79, 81, 93, 97,104-106, Marguerite, 117
128,135-137,152,165,168,171-174, Dufy, nom d’esclave, 242
186-187,191,195, 209-210, 218-219,
Dufÿ-Charest, Joseph, négociant,
241, 246, 249-250, 258-259, 261,
89
263-264, 271, 274, 282,303,329,
Dulhut Greysolon, Daniel, 23, 28,
375”378) 380-381
323
Diane, Négresse, 1746, 87
Dulude, nom d’esclave, 243
Dickson, John, Nègre, 250
Dumas, Alexandre, député, 313
Dillon, Richard, hôtelier, 103,304,
Dumas, famille, 289
310
Dumay, nom d’esclave, 242
Dion, voyageur, 261
Dumay de Laprairie, Pierre, 198
Dollier de Casson, François,
Dumoulin, François, marchand, 197
sulpicien, 20, 21,152
Dunière, Gaspard, prêtre, 135,328
Deux siècles d'esclavage au Québec
39°

Dunière, Louis, marchand, 118, 299, F


300-301
Fafard, Joseph, 287
Duperron-Bâby, famille, 157,177,339
Falson, sieur, 117
Duperron-Bâby, Jacques, marchand,
Fanchon, Panise, 184
141, :95> 274
Faribault, Barthélemy, notaire, 107
Duperron-Bâby, Thérèse, 177,339
Farly, sieur, 155
Duplessis, Jean-Baptiste,
Faucher, Charles, prêtre, 193
Mascoutin, 291
Feeler, William, Nègre, 151
Duplessis, Maurice, premier
ministre, 291 Feltz, Ferdinand, chirurgien, 132,141

Duplessis, nom d’esclave, 243 Fily, nom d’esclave, 243


Duplessis-Fabert, famille, 131 Fmchley, Thomas, 376,378
Duplessis-Fabert, François, officier, Finlay, James, marchand, 112
236 Finlay et Gregory, marchands, 160
Duplessis-Fabert, François- Fisher, famille, 118
Antoine, officier, 229-231, 233, 235 Fleurimont de Noyelle, Charles-
Dupuy, Claude-Thomas, intendant Joseph, officier, 191
de la Nouvelle-France, 189,191, Fleurimont de Noyelle, famille, 131
256,331 Fleurimont de Noyelle, Nicolas-
Durand, Jean, 213 Joseph, officier, 141, 216
Durand, Marie-Joseph, 213-214 Fleury Deschambault de
Durand, René, 213 Lagorgendière, Joseph,
Dusault, Jean-Baptiste, 201 négociant, 89,141,190, 268
Du Jaunay, François, Jésuite, 328 Fleury Deschambault de
Lagorgendière, Louis, négociant,
E I75
Fleur d’Épée, Louis, 261,263
Eaton, William, Mulâtre, 156
Foi, Sauvagesse, 19, 281
Écureuils, les, 94,175, 201
Folles-Avoines, sauvages, 81,326
Edwards, Edward, imprimeur, 133,
Forestier, Pierre, 154
3°S Forgerons, propriétaires d’esclaves,
Elie, femme, 218
133,328
Elie, Jacques, bourreau, 218
Forget du Verger, François, prêtre,
Élisabeth, Miamise, 281
i36,376
Ellis, Robert, Nègre, 211 Fornel, Jean-Louis, négociant, 229,
Eokoros, sauvages, 27 232,235
Espérance, Sauvagesse, 19, 281 Fortier, Michel, 244
Estèbe, Guillaume, 192, 235 Fortune, Nègre, 160
États-Unis, 86,303,306,309-310, Fort Duquesne, 97
344,373 Fort Saint-Frédéric, 97
Étienne, Nègre, 140 Fort Saint-Joseph des Miamis, 97
Etienne-Paul, Nègre, 186 Foster, nom d’esclave, 243
Etiennette, Négresse, 87, 236-239 Foucault, François, 192
Eustache, Nègre, 219 Foucher, Louis-Charles, notaire et
Évêques, propriétaires d’esclaves, 28,
,
135 328,342
solliciteur général, 101,314
France, 14,18-19,22,32,34-35,50-52,
58-59, 63-64,82,135-136,138,146,
Index 391

153, 208, 230-231, 267, 280, 293, Gage, Thomas, gouverneur, 238,239
298-299,308,317,324,327,329, Gagné, nom d’esclave, 243
341-342,347-372>376 Gagnon, Joseph, prêtre, 193
Francheville, nom d’esclave, 243 Galliffet, François, officier, 127
Franck, Nègre, 376,378,380 Gallinée, René-François de,
François, Nègre, 1696,36 sulpicien, 20
François, Nègre, 1729, 272 Gamelin, famille, 129, 237, 239
François, Nègre, 1740,175 Gamelin, Geneviève, 236,237,239
François, Nègre, 1786,136 Gamelin, Ignace, marchand, 150,
François, Nègre, 1797,379 200, 219,259, 266, 269-270, 276
François, Panis, 1719,153,155, 285 Gamelin, Joseph-Jacques,
François, Panis, 1735,154 marchand, 87, 237
François, Panis, 1777,380 Gamelin, nom d’esclave, 243
François, Panise, 1785,186 Gamelin-Lajemmerais, Christophe,
François, Renard, 152 269
François, Sauvage, 1692,25 Garault dit St-Onge, Pierre, 148
François, Sauvage, 1695, 25 Gareau, famille, 290
François-Denis, Nègre, 190 Gareau, Marie, 287-289
François-Dominique dit Mentor, Garneau, François-Xavier, 59,124,
Nègre, 251 I34D36,341-343
François-Joseph, Nègre, 188 Garneau, Hector de Saint-Denys,
François-Prisque, Panis, 265,377 59
Françoise, Panise, 1737,378 Gaspésie, 2x2

Françoise, Panise, 1759, 263 Gastineau-Duplessis, Louis, 154,185,


192,291
Françoise, Panise, 1778,158
Gaudet, Dominique, marchand,
Françoise, Siouse, 137,379
106,129,141,245,266,269-270,
Françoise-Charlotte, Négresse, 169,
272, 276
174
Gaudin, Marie-Madeleine, 256
Françoise-Marie-Jeanne, Naskapise,
Gaultier de Landreville, Jean, 118
192
Gaultier de Lavérendrye, famille,
Franquet, Louis, 83,137
328
Fraser, James, 162-164,304,310-311,
Gaultier de Lavérendrye, Louis-
316
Joseph, chevalier, 136,184
Fréchette, Louis, 339
Gaultier de Lavérendrye, Pierre,
Fréchette, Pierre, prêtre, 135,187,328
officier, 28,58, 69, 80,115,131,192
Frement, Samuel, Nègre, 88
Gaultier de Louis-Joseph, 131
Frères de la Charité, 137,139,378
Gélineau, famille, 290
Frontenac, fort, 97
Gendron dit Potvin, Simon, 264
Frontenac, Louis de Buade,
Geneviève, Panise, 195
gouverneur de la Nouvelle-
Gens des Terres, sauvages, 83,326
France, 22,23,35, 82,126,372,376
Gent, Joseph, marin, 317
Gervais, 199
G
Giasson, nom d’esclave, 243
Gabrielle dite Arthémise, Panise, Giffard, Joseph, 23
247 Giles, Cato, Nègre, 250
Gadois-Mogé, Jacques, 72,193 Gill, William, 161
392 Deux siècles d’esclavage au Québec

Gilles, Panis, 72 Guiot, famille, 290


Gilles-Hyacinthe, Renard, 71,166, Guy, Pierre, marchand, 87,116,129
189,191
Gilmore, Thomas, 132 H
Girardin, famille, 195
H.-Lapalice, O.-M., 343
Gladwin, Henry, officier, 219
Hackett, Thomas, marchand, 269
Glandons, de, Maurice-Louis,
Hains, Joseph-Louis, 374,376,379,
notaire, 107
380
Godefroy de Saint-Paul, Jean-
Hall, Elias, 106
Amador, 25
Hamelin, Charles, négociant, 81,
Godefroy de Vieuxpont, Jean-
176,281
Baptiste, 154
Hamelin, famille, 281
Godefroy dit Saint-Georges,
Hamelin, Jacques, 281
Marie-Joseph, 378
Hamelin, Louis, 154, 281
Gouin, Claude, arpenteur, 132,141,
246 Hamelin, nom d’esclave, 243

Gouin, famille, 129 HameÜn, veuve, 377

Gouin, Thérèse, 186 Hart, Aaron, 112

Gourdon dit Lâchasse, Anne, 287, Haut-Canada, 211, 299,302-303,


289 305-306,312,314,336-337

Gourdon dit Lâchasse, famille, 290 Hauterive, Philippe-Antoine, 172


Gourdon dit Lâchasse, Jean- Havy, François, négociant, 188,198
Baptiste, 197 Hay, nom d’esclave, 243
Grandmesnil, marchand, 372,378 Hébert, Guillaume, 15, 205
Grant, Alexander, officier, 141 Hébert, Guillemette, 14
Grant, William, bourgeois et Henri-Thérèse, Sioux, 193
député, 161,164,300-301,313-314 Henry-Victor, Nègre, 190
Grasset de Saint-Sauveur, André, Henry dit Prince, Nègre, 375,379
négociant, 138,317,338 Hertel, famille, 131
Gravé, Henri-François, prêtre, 193 Hertel de Rouville, Pierre-Antoine,
Gray, Alexander, solliciteur général officier, 191
d’York, 374,378 Hervieux, nom d’esclave, 243
Gregory, George, négociant, 274 Hervieux, Pierre-Jean-Baptiste,
Grenier, famille, 290 marchand, 194, 270
Grenier, Marie-Anne, 150, 287 Héry, Charles, 197
Griffiths, John, Nègre, 250 Hill, Nancy, Négresse, 269
Grondines, les, 94, 281 Hipps, George, 108,163,164
Guérout, Pierre-Guillaume, 160, Hocquart, Gilles, intendant de la
300,301 Nouvelle-France, 53,56-57,59,
Guertin, famille, 290 62,71, 89,104,127,166,189-191,
Guibeau, famille, 289 222,230-231, 233, 236, 245, 267,324,
Guignas, Michel, Jésuite, 329 328,331

Guillet, famille, 166 Houlacous, Mathieu, 23

Guillet, Joseph, 153,166,173 Hoyle, Rosseter, marchand, 162

Guillet de Chaumont, Nicolas- Huart Dormicourt, Marc-Antoine,


Augustin, notaire, 374 chevalier, 61-62,103,134-135, 228-
236,242,332
Guillory, nom d’esclave, 243
Index 393

Hubert, Augustin-David, prêtre, Jacques, Panis, 1699, 26


193, 244 Jacques, Panis, 1712, 250
Hubert, Henry, Nègre, 193 Jacques, Panis, 1725,154
Hubert, nom d’esclave, 243 Jacques, Panis, 1734, 64, no, 176,
Hubert-Lacroix, famille, 126,129 212-214, 241, 252
Hubert-Lacroix, Jacques, 148 Jacques, Panis, 1780,380
Hubou, famille, 290 Jacques, Sauvage, 261
Hunter, Joseph, Nègre, 250 Jacques, Sioux, 246
Huot, François, député, 316 Jacques-Caton, Nègre, 274
Huppé, Jean-Marie, 304 Jacques-César, Nègre, 200,219,244,
Hurons, sauvages, 21, 23, 26, 81, 280 251, 259,266,269-270, 276,318
Hutchins, Dorothy, Négresse, 174, Jacquin dit Philibert, Nicolas,
277 négociant, 151,156
Hyacinthe, Panise, 174 Jacquin dit Philibert, veuve, 151,262
Jacquot, Nègre, 377
I Janis, Antoine, voyageur, 246
Janis, famille, 77
Ignace, Panis, 25,379
Janis, Hyacinthe, 147
Ile-Dupas, 95
Janis, veuve, 247
Île-Perrot, 96
Janot-Lachapelle, veuve, 149
Illinois, pays des, 18, 25, 27, 88,157,
Janson, officier, 250
212, 219, 249
Jarret de Verchères, Charlotte-
Illinois, sauvages, 18, 24,55,79, 81,
Gabrielle, 138
209,326
Jarret de Verchères, famille, 131
Iroquois, sauvages, 21, 22, 23,25, 26,
Jarret de Verchères, Louis, 174
55,82,118,126, 281,326
Jarret de Verchères, Madeleine, 54,
Iroquoisie, 20, 27, 82
101,116,131,176,192
Isaac, Nègre, 212,304
Jarvis, William, 374-375,379
Isabella, Mulâtresse, 108, ixo, 115,
Jasmin, famille, 289
163,164
Jasmin, Nègre, 270
Ismaël, Nègre, 112,151,160
Jasmin, voyageur, 261
Jean, Arkansas, 25
J
Jean, Nègre, 1724,174
Jack, Nègre, 246,247 Jean, Nègre, 1783,170
Jack, Nègre, 1778,160 Jean, Panis, 249
Jack, Nègre, 1792,161,164,301 Jean, Panis, 1770,380
Jackson, Nicolas, Nègre, 251 Jean-Baptiste, Arkansas, 25
Jackson, Robert, Nègre, 174, 277 Jean-Baptiste, Nègre, 1746,372,376
Jacob, Mulâtre, 161 Jean-Baptiste, Nègre, 1783,193
Jacob, Panis, 158,159,164 Jean-Baptiste, Nègre, 1791,170
Jacobs, Mary, 118 Jean-Baptiste, Nègre, 1808,186
Jacques, Nègre, 1694,36,51 Jean-Baptiste, Panis, 1698, 25
Jacques, Nègre, 1757,268, 276 Jean-Baptiste, Panis, 1710,249,285
Jacques, Nègre, 1759,149 Jean-Baptiste, Panis, 1722,148
Jacques, Nègre, 1794, 246 Jean-Baptiste, Panis, 1735,154
Jacques, Nègre, 1806,185,301 Jean-Baptiste, Panis, 1749,195
Jacques, Panis, 1687, 24
394 Deux siècles d'esclavage au Québec

Jean-Baptiste, Renard, 147 Joseph, Panis, 1785,374,379


Jean-Baptiste, Sauvage, 172 Joseph, Patoca, 152
Jean-Baptiste-Christophe, Joseph, Sauvage, 1787,193
Chicacha, 201 Joseph-François, Nègre, 1741,188,
Jean-Baptiste-François, Panis, 192 198
Jean-Baptiste-Pompée, Nègre, 136, Joseph-François, Nègre, 1750, 268
184 Joseph-Gaspard, Panis, 191
Jean-Baptiste-Thomas, Nègre, 209, Joseph-Grégoire, Nègre, 193
210 Joseph-Hippolyte, Nègre, 270
Jean-Baptiste Barbaron, Patoca, Joseph-Llippolyte dit l’Espiègle,
192,379 Nègre, 228, 270
Jean-Barthélémy, Nègre, 251 Joseph-Louis dit Pompée, Nègre,
Jean-François, Nègre, 265, 276-277 3L
Jean-Joseph, Nègre, 272 Joseph-Marie, Nègre, 89
Jean-Louis, Mulâtre, 112 Joseph-Nicolas, Missouri, 148
Jeanne, Négresse, 265,276-277 Joseph dit Neptune, Nègre, 89, 268
Jeannot, Nègre, 88 Joseph Hisme, Nègre, 38
Jenny, Négresse, 171 Josette, Panise, 377
Joachim, Nègre, 270 Jourdain, famille, 290
Joe, Nègre, 109,133,156,159,161,176, Jourdain-Labrosse, Dominique,
205-207, 212 sculpteur, 132
Johnson, Benjamin, Nègre, 211 Juchereau, commandant, 26
Johnson, William, 219 Juchereau-Duchesnay, Antoine,
Johnson et Purss, marchands, 162, député, 151,192,247-248, 262, 268,
163 300-301
Johnton, Jean-Baptiste, Nègre, 318 Juchereau-Duchesnay, famille, 131,
Joinville, Pierre, 295,301 :34
Jolibois, famille, 250, 289 Juchereau de Saint-Denys, Nicolas,
Jolliet, François, négociant, 154,155 23
Jolliet, Louis, explorateur, 22,23, 28, Judith, Négresse, 305,307
126,323 Jupiter, Nègre, 375,381
JolÜvet, famille, 289 Just, Madeleine, 54,101
Joncaire de Chabert, famille, 131
Jones, John, encanteur, 155, 212 K
Jones, Nicholas, 250 Kamouraska, 95
Jones, Titus, Nègre, 38, 87 Kansés, sauvages, 78,326
Joseph, Iroquois, 380 Kaskaskias, 97,376
Joseph, Mulâtre, 250 Kellings, Jollock, Nègre, 274
Joseph, Nègre, 1729, 272 Kerr, avocat, 310
Joseph, Nègre, 1746, 269 Kirby, William, 339
Joseph, Nègre, 1748,194 Kirke, les frères, 13,16,19, 204
Joseph, Nègre, 1750, 269
Joseph, Nègre, 1757, 271 L
Joseph, Panis, 1712, 204
L’Assomption, 95,340
Joseph, Panis, 1723,148
Lacelle, Jacques-François, traiteur,
Joseph, Panis, 1754,135
79,129, H1
Index 395

Lâchasse, famille, 290 Lalonde, Jean-Baptiste, 195


Lachenaie, 54, 96 Lalonde, Louis, 195
Lachine, 20, 23, 24, 28,49,78,96,138, Lamontagne, famille, 25, 290
170,174,198, 250, 269-270, 274, Lamontagne, Madeleine, 285
37I>378 Lamorinie, Jean-Baptiste, Jésuite,
Lacorne, famille, 131,197,328-329 192
Lacorne, Louis-François, chevalier, Lamothe, famille, 290
186 Lamothe, voyageur, 261
Lacorne, Louis-François, chevalier, Lamothe-Cadillac, Antoine, officier,
105,131, 269,318 81,191, 259, 282
Lacorne, Louis dit l’aîné, 131 Lamour, Antoine, Nègre, 166
Lacorne-Dubreuil, François-Josué, Lamour, nom d’esclave, 243
131 Lamoureux dit Saint-Germain,
Lacorne de Lacolombière, Antoine, François, traiteur, 204
Landry, famille, 290
Lacorne Saint-Luc, Luc, officier, Landry dit Chariot, Firmin, 106,
87,88,131,141,149,237, 239,268, 256, 261, 263,286
271, 276
Landry dit St-André, Claude, 106,
Lafitau, Joseph-François, Jésuite, 17 256,259, 263
Lafleur, famille, 289 Lane, John, 269
Lafleur, Marguerite, Panise, 198 Langevin, Charles, 287-288
Lafleur, nom d’esclave, 243 Langevin, famille, 290
Lafleur, Pierre-Dominique, Nègre, Langlade, famille, 290
151,156,262, 285,332
Lanoraie, 95
Lafond, famille, 290
Lanoullier, famille, 147,150
Lafond, Marguerite, 287
Lapistole, veuve, 149
LaFontaine, Louis-FIippolyte,
Laplante-Lérigé, Clément, officier,
342-343 174,186, 258
Lafontaine de Belcour, Jacques,
Laporte de Louvigny, Louis, officier,
négociant, 184
127,190
Laframboise, famille, 290
Laprairie, 96,153,174,186,198, 229,
Laframboise, nom d’esclave, 243 251,258,339
Lafrenière, Jacques, in Laprise, nom d’esclave, 243
Lafricain, Joseph, Nègre, 151, 251 Larché, François, 261
Lagerne, famille, 290 Larchevêque, Augustin, 258
Lagerne dit Saint-Georges, famille, Larchevêque, veuve, 258
289 Laroche, Jean, 287
Lagord, John, 295, 296 Laronde, nom d’esclave, 243
Lagorgendière, de, Joseph, Larose, nom d’esclave, 243
négociant, 269, 271
Larrivée, Pierre, 371,380
Lagotherie, famille, 265
Laspron, famille, 290
Lahontan, Louis-Armand de, 17,
Laure, Pierre, Jésuite, 175
26-27
Laval, François de, évêque, 22
Laisné, famille, 290
Lavaltrie, 95,154
Laisné, Marie-Thérèse, 287
Lavigne, famille, 290
Lalemant, sieur, 24
Laviolette, nom d’esclave, 243
Lalonde, famille, 290
396 Deux siècles d’esclavage au Québec

La Diligence, Panis, 197 Legris, Joseph, 148


La Gallissonnière, Roland-Michel Lelat, Pierre, 287
de, gouverneur de la Nouvelle- Lemaire, famille, 290
France, 62 Lemaire dit Saint-Germain, André,
La Jonquière, Pierre-Jacques de, 155
gouverneur de la Nouvelle- Lemaître-Jugon, François,
France, 62, 66,119 navigateur, 89
La Liberté, Nègre, 31,33 Lemaître-Lamorille, Paul-François,
Lebeau, François, 264,375 arpenteur, 132
Leber, Jacques, marchand, 36,51,87 Lemay, Pamphile, 339
Leber de Senneville, famille, 131, Lemire, famille, 290
228,270 Lemoyne de Bienville, Jean-
Leber de Senneville, Jacques, 154 Baptiste, gouverneur, 39, 62
Leber de Senneville de Saint-Paul, Lemoyne de Longueuil, Charles
Jean-Baptiste, officier, 271 (premier du nom), 105,127,268,
Lecompte-Dupré, famille, 129 272, 276-277
Lecompte-Dupré, Hippolyte-Saint- Lemoyne de Longueuil, Charles
Georges, 300-301 (second du nom), 127,141, 272
Lecompte-Dupré, Louis, marchand, Lemoyne de Longueuil, famille, 134,
36,251 191-192, 292,318,328-329
Lecompte-Dupré, Louise, 209 Lemoyne de Longueuil, Paul-
Lécuyer, famille, 263 Joseph, chevalier, 127,141, 272
Leduc, famille, 126,291-292 Lemoyne de Maricourt, Paul,
Leduc, nom d’esclave, 243 officier, 24, 28

Leduc-Persil, François, 105 Lenègre, nom d’esclave, 243

Lée, Thomas, 101,305 Léonard, Bonaventure, récollet, 104,

Lee, William, Nègre, 250 D7,328


Lepage, Louis, Nègre, 156,157, 244
Lees, John, 300-301,314-316
Lefebvre, Gabriel-Nicolas, 184 Lepage, nom d’esclave, 243, 290

Lefebvre, Gervais, prêtre, 192 Lépine, nom d’esclave, 243

Lefebvre, Jean, négociant, 188 Leproust, Jean, praticien, 216

Lefebvre, Nicolas, 175 Lereau, famille, 290

Lefranc, Jean, 287 Lereau, Marie-Madeleine, 287

Lefranc, Marin-Louis, Jésuite, 137, Leroux dit Lachaussée, Louis, 148


329 Lesable, Marie-Joseph, Sauteuse,
Lefrançois, nom d’esclave, 243 281

Legardeur, famille, 131 Lescarbot, Marc, 17,19

Legardeur, nom d’esclave, 243 Lespérance, famille, 290

Legardeur de Courtemanche, Lespérance, Jean-Marie, 261, 263


Augustin, 64,372 Lespérance, nom d’esclave, 243
Legardeur de Montesson, Jacques- Lesselin, Louis, officier, 190
Michel, 192 Lestage, dame, 270
Legardeur de Repentigny, dame, Lestage, famille, 129
T53,332 Lestage, nom d’esclave, 243
Legrand, Gabriel-Christophe, 265 Lestage, Pierre, marchand, 89,157,
Legras, Jean-Baptiste, marchand, 198
154
Index
397

Lester, Robert, négociant, 170,193, Lotbinière, 94


300,301 Louis, Arkansas, 25
Léveillé, famille, 290-292 Louis, Brochet, 154,155
Léveillé, Laurent, Panis, 283-284, Louis, Nègre, 1692,36
286-287, 289,371
Louis, Nègre, 1706,38
Léveillé, Mathieu, Nègre, bourreau, Louis, Panis, 1688, 24
ï39, 156, 221, 267
Louis, Renard, 152
Léveillé, nom d’esclave, 243
Louis-Antoine, Assiniboine, 192
Lévis, François-Gaston de, général,
Louis-Antoine, Nègre, 106, 245, 266,
130
270,272,276
Lévy, Eléazar, négociant, 117
Louis-Joseph, Panis, 155
Lewis, Betty, Négresse, 373,380
Louisbourg, 93-94,137,329,378
Lewis, Joseph, Nègre, 373,380
Louise, Négresse, 1755, 271
Lewis, Obadiah, Nègre, 373,380
Louise, Panise, 1766, 284-285
Le Baillif, commis, 14-16, 204
Louise, Panise, 1778,380
Le Jeune, Olivier, Nègre, 15-16,31,
Louise-Claire, Sauvagesse, 190
33 Louise-Marguerite, Sauvagesse, 192
Le Jeune, Paul, Jésuite, 14,15,150
Louise, Négresse, 1761, 240
Le Rat, Sauvage, 26
Louisiane, 39,50,78, 88-89, 91* IOI>
Le Renard, famille, 290
114,138,146-147,164,175, 217, 239,
Le Renard, Joseph, Renard, 284, 289 265, 270, 272,326,342
Le Tardif, Olivier, commis, 15 Louis Quatorze, Nègre, 197,331
Le Verrier, fils, 148 Louis XIV, roi de France, 31,37,40,
Liénard de Beaujeu, Daniel- 49'5h 53> Q. 82,143,169,171,197,
Hyacinthe, 87, 271 324,341
Linds, John, Nègre, 250 Louis XV, roi de France, 57-59, 61,
Lindse, Jacob, Mulâtre, 156 63G25
Linn, Jock, Nègre, 156 Loups, sauvages, 23, 25,27,82,326
Liquart, Jean, bourgeois, 190 Lowcanes, Nègre, 161
Lisette, Mulâtresse, 178-179,317 Luke, Philip, 373,380
Lisette, Panise, 380 Lydia, Négresse, 163,304
Londres (Angleterre), 296-298,306 Lynd, David, 300,301
Longue-Pointe, 96,186, 200 Lyons, George, 376,378,380
Longueuil, 96,134,149, 266, 271,318
Longueuil, baronne de, 266, 269, w
276
Macchabé, famille, 290
Longueuil, famille, 290
MacLeod, André, 170
Longueuil, nom d’esclave, 243
MacNider, John, 159
Longueuil, Paul-Joseph, Renard,
Madeleine, Panise, 1746,377
291
Madeleine, Panise, 1756,185
Lontin, Rose, Mulâtresse, 178,339
Madeleine, Panise, 1790,259
Lorain, famille, 290
Madeleine, Renarde, 175
Loranger, veuve, 240
Madeleine-Gilles, Renarde, 190-191
Lorette, 94
Madeleine-Louise, Panise, 174
Lorimier, Guillaume de, 250
Madeleine-Marie-Anne,
Lorrain, Joseph, 117, 262
Sauvagesse, 192
39^ Deux siècles d'esclavage au Québec

Magnan, Jean, 262 Marie, Renarde, 148


Magnan, nom d’esclave, 243 Marie, Sauvagesse, 1754, 275
Magnan-Lespérance, Jean-Antoine, Marie-Anastasie, Sauteuse, 281
marchand, 209 Marie-Angélique, Amérindienne,
Magnan-Lespérance, veuve, 210 371,38°
Mahingans, sauvages, 82 Marie-Angélique, Négresse, 175
Mailhiot, Jean, 25 Marie-Anne, Négresse, 1746, 269
Mailhot, Jean-Baptiste, 371 Marie-Anne, Panise, 1759, 263
Maillot, nom d’esclave, 243 Marie-Anne, Panise, 1770, 286-287
Maisonbasse, Jean-Baptiste, prêtre, Marie-Anne-Victoire, Négresse,
192 148
Maisonneuve, Paul de Chomedey Marie-Antoine-de-Pade,
de, gouverneur, 20 Sauvagesse, 246-247
Maisonville, Alexis, 264 Marie-Athanase, Sauteuse, 281
Maldrum, George, 259 Marie-Athanase, Sauvagesse, 176
Malherbe, François de, 173 Marie-Charlotte, Négresse, 1729,
« Malome », famille, 195 272
Mandanes, sauvages, 326 Marie-Charlotte, Négresse, 1748,
Manuel, Nègre, 150, 246,307,308 194
Maray de Lachauvignerie, Louis, Marie-Charlotte, Négresse, 1759,
152,158, 240 149, 271
Maray de Lachauvignerie, Michel, Marie-Claire, Sauvagesse, 191
officier, 87 Marie-Elisabeth, Négresse, 171, 266,
Maréchal, Marie-Joseph, 218 269,318
Marguerite, Panise, 1765, 286,377 Marie-Élisabeth, Négresse, 1729,
Marguerite, Panise, 1772, 264 272
Marguerite, Panise, 1810,318 Marie-Elisabeth, Sauvagesse, 192
Marguerite-Charlotte, Natchez, 192 Marie-Françoise, Négresse, 89, 269
Marianne, Montagnaise, 210,241 Marie-Françoise, Panise, 1713,148
Marianne, Panise, 135,187 Marie-Françoise, Renarde, 148
Marie, des Loups, 23 Marie-Geneviève, Renarde, 179,
Marié, Louis, Nègre, 251 187,338
Marie, Métisse, 274 Marie-Jeanne, Panise, 258
Marie, Négresse, 1757, 268, 276 Marie-Joseph, Élisabeth, Négresse,
Marie, Négresse, 1759,149 193
Marie-Joseph, Panise, 1720,171
Marié, nom d’esclave, 243
Marie-Joseph, Panise, 1766,264
Marie, Panise, 1709,54,101
Marie-Joseph, Panise, 1772,375
Marie, Panise, 1723,198
Marie, Panise, 1732, 252 Marie-Joseph, Panise, 1799,318,334
Marie, Panise, 1759, 215 Marie-Joseph, Sauteuse, 263
Marie-Josette, Siouse, 193
Marie, Panise, 1775,186, 200
Marie, Panise, 1788,259,379 Marie-Louise, Chicachase, 191, 246,
250
Marie, Panise, 1814,318
Marie-Louise, Montagnaise, 1732,
Marie, Panise, 1819,318
Marie, Panise, fille de la précédente,
Marie-Louise, Négresse, 1728, 89,
379 185
Index 399

Marie-Louise, Négresse, 1750, 268, Martin dit St-Jean, Josepthe, 289


269, 276 Mascoutins, sauvages, 81,326
Marie-Louise, Panise, 12 7 Maurepas, Jean-Frédéric de,
Marie-Louise, Panise, 1772,186 ministre, 69
Marie-Louise, Panise, 1778, 265 McBeath, George, 300
Marie-Louise, Panise, 1802,171,318 McCord, John, 160
Marie-Louise, Panise mascoutine, McCormick, Arthur, 210, 211
372,376,378 McGill, James, négociant et député,
Marie-Louise, Sauvagesse, 371 185,300-301
Marie-Madeleine, 1750, 270 Mclntyre, John, 251
Marie-Madeleine, Négresse, 1767, Mclntyre, Joseph, Nègre, 250
274 McLeod, Margaret, Négresse, 265
Marie-Madeleine, Renarde ou McMurray, Thomas, 156,160
Panise, 256 McNeill, Elisabeth, 160
Marie-Manon, Panise, 374 McNider, Matthew, 300-301
Marie-Marguerite, Panise, 1740, Médecins, propriétaires d’esclaves,
(dite Duplessis), 61,103, 228-229, 132.328
233, 240, 242, 262,332 Meloche, Jean-Baptiste, 141, 259
Marie-Marguerite, Panise, 1752, Ménard, Antoine, 154
274, 276
Ménard, Marie, 371
Marie-Marguerite, Panise, 1764 et Mercier, François, officier, 272
1821,317,338
Mervillon, famille, 290
Marie-Marguerite-Caroline, Siouse,
Mervillon, René, 286
106,256,259, 263, 284-285
Mesplet, Fleury, imprimeur, 133,
Marie-Marguerite-Catherine,
156.328
Siouse, 381
Meurs, François, navigateur, 193
Marie-Rose, Négresse, 171
Meyers, John Walden, 373,380
Marie-Victoire, Panise, 191, 201
Mézière, Pierre, notaire, 132
Marie de l’Incarnation, o.s.u., 282
Miamis, sauvages, 74
Marin, famille, 131
Michel-Fortunat, Illinois, 379
Marin, Marguerite, Panise, 250, 259,
Michel-Henri, Nègre, 207
286,375
Michel Ouysconcin, Renard ou
Marin, nom d’esclave, 243
Panis, 147,150,332
Marin de Lamalgue, Paul, 185
Michillimackinac, 17, 26, 74, 93, 97,
Marin de Laperrière, Claude, 263
105,131,136,154-155. V6* 184-185,
Marois, famille, 290
191-192, 212, 248-249, 251, 259, 261,
Marsac, Jean-Baptiste, 380 262, 281,329,376,380
Marsolet, Nicolas, interprète, 15, Micmacs, sauvages, 213
204 Migeon de Lagauchetière, Daniel,
Martel, sieur, 240 officier, 56
Martel de Brouague, Marie- Missouris, sauvages, 78, 258,326
Madeleine-Françoise, 188
Mittleberger, John, 162
Martinique, 42, 61, 88-89,116,140, Mix, Samuel, 116
205
Mondina dit Obvier, famille, 290
Martin de Lino, conseiller, 190
Mondina dit Olivier, Marie-
Martin de Lino, Geneviève, 190 Élisabeth, 248, 262, 284, 286, 289
Martin dit St-Jean, famille, 290 Monière, sieur, 157
400 Deux siècles d’esclavage au Québec

Monplaisir, famille, 290-291 Nicolas, Panis, 1709,217-218, 252


Monplaisir, nom d’esclave, 243 Nicolas, Panis, 1757, 264
Monsaige, Jean, Nègre, 300 Nicolas, Panis, 1767,377
Montagnais, sauvages, 19,55,74, 83, Niverville de Montizambert,
326 officier, 88
Montpetit, Gaspard, 287 Nolan, Catherine, 190
Montréal, 96 Nolan de Lamarque, Charles,
Moore, William, imprimeur, 133,157 négociant, 56-57,108,191
Morand, famille, 290 Nouette, Jacques, praticien, 230,
Morand, Jean-Louis, 289 233-236
Morand, Nicolas, charpentier, 133 Nouvelle-Angleterre, 33, 65, 87,113,
Moreau de Lataupine, Pierre, 25 156, 218, 220, 237, 239, 252

Morin, Samuel, 156


Morisset, famille, 290
O
Mouet de Langlade, Charles, 152, Oka, 96
261-262, 289 Obvier, famille, 291
Mouet de Langlade, Charles, fils Obvier, Louis, marchand, 295,300,
du précédent, 152, 261
3OI-3°5-3I7
Mouet de Langlade, famille, 290 Obvier, Nègre, 15, 204
Mounier, sieur, 60-61 Oriüat, Jean, négociant, 112,159,318
Murray, James, gouverneur du Osgoode, Wilbam, juge, 119, 241,
Canada, 109,127,328 306-311,337
Ouachas, sauvages, 78,326
N
« Ouidech », Marie-Anne, 285, 288,
Nafrechoux, famille, 251 289
Napoléon 1er, 171 Outaouais, sauvages, 76, 81-82,106,
326,372
Naskapis, sauvages, 83
Natchez, sauvages, 79,326
P
Nau, François, Jésuite, 17
Navarre, Robert, 132 Pagé-Carcy, négociant, 38
Navetier, Pierre, sulpicien, 221 Panet, Bonaventure, député, 299,
Nègre dit Latreibe, Joseph, 84 300
Nègre dit St-Jean, Jean-Baptiste, 84 Panet, Jean-Antoine, notaire et
Neiges, Marie des, Sauvagesse, 20 député, 244,350
Neilson, famille, 317 Panet, Pierre, juge, 244
Neilson, Hubert, 343 Panet, Pierre-Louis, député, 299,
Neilson, John, imprimeur, 133,328, 300,310,315,336
343 Papinachois, sauvages, 74, 83
Neilson, Samuel, imprimeur, 207 Papineau, Joseph, avocat et député,
Nemo, Nègre, 162-163 223,308,311,313-314,337
Nepveu, Jacques, 54,101 Parant, famibe, 290
Nero, Nègre, 162 Parant, Gibes, 381
Neuville, 94,172,193 Parent, Albert, 274, 276
New-Richmond, 95 Park, Wibiam, 186
Niagara, fort, 61,157, 205,250 Parkinson, Edouard, 250
Nicolas, Amérindien, 379 Pascal, Panis, 54
Index 401

Pascaud, Antoine, marchand, 200 Pierre, Nègre, 1705,38


Patocas, sauvages, 55,75,78 Pierre, Nègre, 1709,38
Paul, Jacques, Nègre, 250 Pierre, Nègre, 1730,190,199
Paul, nom d’esclave, 243 Pierre, Nègre, 1783,378
Payan, Charles, charpentier, 133,199 Pierre, Nègre, 1794,195
Payet, Louis, prêtre, 101,116,135-136, Pierre, Panis, 1687, 24
184,3°5> 328 Pierre, Panis, 1703, 250
Payne, James, Nègre, 250 Pierre, Panis, 1713,148
Péan de Livaudière, famille, 131 Pierre, Panis, 1737,378
Péan de Livaudière, Jacques- Pierre, Panis, 1740,154-155
Hugues, 112,183 Pierre, Panis, 1759, 264,377
Péan de Livaudière, Michel-Jean- Pierre, Panis, 1763,375
Hugues, officier, 141
Pierre, Panis, 1773,375
Pécaudy de Contrecœur, Claude- Pierre, Patoca, 56
Pierre, 268-269,276
Pierre-Antoine, Nègre, 135
Pécaudy de Contrecœur, famille, 131
Pierre-Célestin, Nègre, 36
Pécaudy de Contrecœur, François,
Pierre-Louis, Nègre, 89
269
Pierre-Louis-Scipion, Nègre, 190,
Pécaudy de Contrecœur, Marie-
Charles, 246
331
Pierre-Nicolas, Abénaquis, 237
Pécaudy de Contrecœur, René, 269
Pierson, Joseph, Nègre, 151
Peggy, Négresse, 375,381
Pinguet de Vaucour, famille, 112
Péladeau, famille, 198
Piot de Langloiserie, Louis-Hector,
Pelletier, dame, 264
118
Pelletier, famille, 259
Platt, sieur, 306
Pelletier, Jacques, 141,186
Plessis, Jean-Octave, évêque, 135,
Pelletier, Nicolas, 282 328
Pelletier, Noël, 172 Pointe-aux-Trembles, 96
Pépin, Sœur Thérèse, des Sœurs Pointe-Claire, 96
Grises, 193
Pointe-du-Lac, 193
Périnault-Lamarche, Joseph, 3x4-315
Pointe-Lévy, 37, 49, 87, 94, 211
Perrault, Paul, 371,381
Pompadour, Amy, Négresse, 374
Petit dit Milhomme, Jean-Baptiste,
Pompe, Marie-Emilie, Mulâtresse,
263
151
Petit dit Rossignol, sieur, 119-120
Pompée, Nègre, 173,177
Philippe, Nègre, 1700,37 Pompey, Nègre, 1771,162
Philippe, Nègre, 1715, 200 Pontbriand, Henri-Marie, évêque,
Philippe, Sauvage, 24 135,189,328
Philippe-Marie-Louise, Panise, 25 Porlier, nom d’esclave, 243
Philippon, famille, 291 Porlier-Bénac, sieur, 250
Picard, Jacques, 25 Poulin, veuve, 154
Picard, Marie-Louise, 195 Poulin de Courval, Louis, 87
Pichion, famille, 214 PouÜn de Francheville, François,
Picoté de Belestre, famille, 131 marchand, 141, 219, 259
Picquet, François, sulpicien, 135,328 Poutéoutamis, sauvages, 82,326
Pierre, Illinois, 24,379
402 Deux siècles d’esclavage au Québec

Prenties, Miles, Tavernier, 109,127, ReÜgionnaire, Panis, 197


161,164 Renards, sauvages, 55, 61,74-75, 81,
Pretchard, Azariah, 212,304 140,326
Prince, Mulâtre, 197 Renaud, famille, 291
Provençal, famille, 290 Renaud, marchand, 89
Provençal, Joseph, 284, 289 Renaud-Locat, Louis, 287,371
Repentigny, 96
R RiberviUe, famille, 285,290-291
Riberville, Joseph, Panis, 250, 289
Raby, de, famille, 289
Riberville, nom d’esclave, 243
Raby, de, Jean-Baptiste, 288
Richard, Guillaume, 281
Racicot, famille, 290
Richard, James, Nègre, 251
Racicot, François-Xavier, notaire,
246 Richard, Jean, 281

Radisson, nom d’esclave, 243 Richard, Marie-Suzanne, 274

Raimbault, nom d’esclave, 243 Richard, Nègre, 162

Raimbault, notaire, 102 Rigal, famille, 290

Raimbault, Pierre, juge, 148 Rigal, Raymond, 286

Raimbault de SimbÜn, famille, 134 Rigaud, 96,373

Raimbault de Simbbn, Paul- Rigaud de Vaudreuil, 134


François, officier, 64, 208 Rigaud de Vaudreuü, famille, 328
Raimbault de SimbÜn, Pierre- Rigaud de Vaudreuil, François-
Marie-Joseph, 138 Pierre, gouverneur particuÜer,
Ramezay, Claude de, gouverneur 127
particuÜer, 38,127,192,197 Rigaud de Vaudreuü, Louis-
Ramezay, famille, 134,192,328 Philippe, 192

Ramezay, Louise de, 235 Rigaud de Vaudreuil, Philippe,


Rapin, famille, 290-291 gouverneur de la Nouvelle-
France, 37-38,40-42,126-127,14I>
Rapin, nom d’esclave, 243
238, 282,328
Rapin dit Scayanis, André, Panis,
Rigaud de Vaudreuü, Pierre-
285, 287, 289
François, 190-191
Raudot, intendant de la Nouvelle-
Rigaud de Vaudreuil-Cavagnial,
France, 28,39-40,52-54,56-57,
Pierre, gouverneur de la
59-61, 65, 90,101,147, 231, 282,
Nouveüe-France, 64, 66, 89,126,
308,311,324-325,335
127,141,148,197, 268, 271,328
Raymond, famille, 290-291
Riquier, famiUe, 290
Raymond, Jean-Baptiste, 316
Ritchie, Hugh, 162,163
Réaume, Charles, négociant, no,
Rivet-Lavigne, famiüe, 291
381
Rivière-des-Prairies, 148
Réaume, Dame, 153
Rivière-du-Loup-en-haut
Réaume, Marie, 258
(Louisevüle), 95
Réaume, Marie-Julie, 128
Rivon de Budemont, Pierre, 154
Regereau, famille, 290
Robertson, Jacques, Nègre, 250,373
Regereau, Louis-Joseph, Nègre, 289
Robert de Lamorandière, Étienne,
Régis, Panis, 261
172,192
Regnard-Duplessis, Georges,
Robidoux, famiüe, 291
trésorier de la Marine, 37,148
Robidoux, Marie-Catherine, 287
Index 403

Robin, Nègre, 162,164,310 Saint-Jean, famille, 291


Rodrigue, François, 208 Saint-Jean-Port-Joly, 95,193
Rogers, Richard, Nègre, 151 Saint-Julien, nom d’esclave, 243
Roquebrune, Robert de, 340 Saint-Laurent, 94, 96
Rose, Négresse, 101,110,136,157,305 Saint-Luc, nom d’esclave, 243
Rose, Sauteuse, 263 Saint-Mathias, 97
Rosier, Nègre, 244 Saint-Maurice, famille, 290
Rosier, nom d’esclave, 243 Saint-Ours, famille, 340
Ross, John, Nègre, 250 Saint-Ours Deschaillons, Pierre-
Ross, William, 211 Roch, officier, 105,119-120,190
Rossignol, Sauvage, 197 Saint-Pé, Jean-Baptiste, Jésuite, 235
Routhier, Adolphe-Basile, 292-294, Saint-Père, Agathe, 153
338,339-340 Saint-Philippe-de-Laprairie, 96,
Routhier, Jean, 304 251
Routhier, Jean-Baptiste, marchand, Saint-Pierre, 94
101 Saint-Pierre, veuve, 208
Roux, Mary, Négresse, 276 Saint-Pierre-les-Becquets, 95
Roy, Marie-Madeleine, 377 Saint-Sauveur, nom d’esclave, 243
Roy, Pierre-Georges, 343 Saint-Sulpice, 95
Rubin, Nègre, 150, 246 Saint-Thomas-de-Montmagny, 95,
Ruette d’Auteuil, dame, 318 179,201, 248,338
Ruette d’Auteuil, François- Saint-Vallier, 94,197,331
Madeleine, 32-33,35,41,45,158, S aint-Vallier, Jean-de-la-Croix,
3M, 334,342 évêque, 24, 28,36,50-51,135,189,
Russell, Elizabeth, 374 200-201, 283,328
Russell, Peter, 375 Saint-Vincent-de-Paul, 96
Sainte-Anne-de-la-Pérade, 25,76,
S 78- 95- J34-185,192, 256,373
Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 95,
Sabourin, famille, 290-291
373
Saint-Antoine-sur-Richelieu, 96,
Sainte-Anne-du-Bout-de-l’île, 96,
101, no, 116,135,136,184,305
195
Saint-Armand (ou Philipsburg), Sainte-Famille, 94,201
373 Sainte-Foy, 94
Saint-Augustin, 135,169,300
Sainte-Geneviève-de-Batiscan, 95,
Saint-Constant-de-Laprairie, 96
184
Saint-Cosme, Pierre, 104,377-378 Sainton dit Carterel, famille, 290
Saint-Cuthbert, 95,135 Sainton dit Carterel, François, 283
Saint-François, 94,174 Salaberry, Charles de, 190
Saint-François, nom d’esclave, 243 Salaberry, famille, 133
Saint-François-de-Beauce, 94 Salaberry, Louis de, 190
Saint-François-de-Sales, 96,186, Salaberry, Michel, navigateur, 89,
381
:33
Saint-François-du-Lac, 76,78, 95, Sambo, Nègre, 340
i37> 329,379 Sanguinet, Simon, notaire, 132
Saint-Georges, famille, 290
Sanschagrin, sieur, 197
Saint-Jean, 94 Sanscrainte, famille, 290
404 Deux siècles d'esclavage au Québec

Sanscrainte, Jean-Baptiste, 261-262 Sylvie, Négresse, 170


Sansquartier, sergent, 132,192
Sansregret, famille, 290 T
Sanssouci, nom d’esclave, 243
Tadoussac, 15, 94,348
Sarah, Négresse, 379
Tailhandier dit Labaume, Marien,
Sarasto, Panis, 197 chirurgien et notaire, 132
Sarazin, Nicolas, 204, 235, 236 Talon, Jean, intendant de la
Sarrazin, Pierre, 204 Nouvelle-France, 280,335,342
Sault-au-Récollet, 96 Talon, Marie, 151,262, 285
Sault-Sainte-Marie, 81 Talon ou Tanon, famille, 291
Sauteux, sauvages, 74, 81,177,326 Tamarois, sauvages, 79,326
Sauvage, nom de famille canadien, Tanguay, Cyprien, prêtre, 343
84 Tarieu de Lanaudière, Charles, 189
Sawer, dame, 304
Tarieu de Lanaudière de Lapérade,
Scayanis, famille, 290 famille, 131,134,328
Sedy, Mulâtresse, 103,304 Tarieu de Lanaudière de Lapérade,
Séguin, Geneviève, 380 Pierre-Thomas, officier, 54,101,
Séguin, Robert-Lionel, 343 116,131,141,176,256,373
Séminaire de Québec, 93,136-137, Terrebonne, 96,147
T39,141, x93,329,376,381 Terrien, famille, 291
Sesmaisons, Pierre de, Jésuite, 279 Tessier, Agnès, 281
Shuter,John, marchand, 246-247 Tessier dit Lavigne, Urbain, 185
Sillery, 194 Têtes-plates, sauvages, 79
Sincerni, famille, 290 Thérèse, Patocase, 185
Sinclair, Margaret, Négresse, 250 Thérèse, Renarde, 183
Sioux, sauvages, 55,74,79-80,137, Thérèse, Sauvagesse, 1763,184
177,326 Thibault, Catherine, 148
Smith, D.W., député, 302-303 Thibault, Claude, 219,222, 256
Smith, Elias, marchand, 305,307 Thomas, Nègre, 1747,88
Smith, Francis, Nègre, 174, 277 Thomas, Nègre, 1776,186
Smith, Lauclin, seigneur, 373 Thomas, Nègre, 1783,374
Solomons, Lévy, 159
Thomas-Louis, Nègre, 1727,165,
Sorel, 96,102,132,304 189
Soumande-Delorme, François- Thomas-Louis, Nègre, 1783,379
Marie, 270,272
Thomas-Louis, Nègre, 1791,191
Stephens, Catherine, Négresse, 277 Thomas dit Tom, Mulâtre, 209
Sullivan, Thomas John, tavernier,
«Thomme », Marie-Louise-Jeanne,
:i3> n7> n9> 246,307-308 Négresse, 318
Suite, Benjamin, 108,147, 292, 294,
Thompson, Catherine, 318
3T9> 336,340,343 Thompson, Henry, Nègre, 250
Suzanne, Panise, 1763,377
Thompson, John, Nègre, 162
Suzanne, Panise, 1786,378
Thompson, Richard, Nègre, 250
Suzanne, Panise, 1790, 259
Tonton, Renarde, 138
Suzanne, Siouse, 263
Tonty, Alphonse, officier, 24,28
Suzanne-Madeleine, Panise, 185
Sylvain, Timothée, médecin, 117
Index 405

Trois-Rivières, 25,53, 83, 93, 95, 98, W


127,191, 213-215, 217, 238, 291,317,
Ward, William, 108,110
374
Trottier, famille, 291 Webb, Alexander, Nègre, 209

Trottier, Marie, Négresse, 373 Welden, Elber, Mulâtre, 162, 251

Trottier-Désaulniers, famille, 129 Werden, Isaac, 163

Trottier-Desruisseaux, Alexis, 264 Westphal, George, 103,304

Trottier-Desruisseaux, famille, 134, Wiley, Ann, Négresse, 209


381 Williams, famille, 290
Trottier-Dufy-Desaulniers, Williams, François, Nègre, 247, 262,
Thomas-Ignace, marchand, 158 268, 284, 286, 289
Trudel, famille, 290-291 Williams, Henry, Nègre, 317
Trutaut, famille, 129 Williams, John, Nègre, 250
Trutaut, Pierre, traiteur, 25 Williams, Marie-Louise,
Turner, Jervis George, 119,307,308 Mulâtresse, 151

Turner, John, marchand, 102,112,151, Wills, Melvin, négociant, 108


160,164 Wimble, Margaret, Négresse, 276
Wright, famille, 290
V
X
Valentin, Nègre, 157, 270
Vallée, Jean-Baptiste, 156-157 Xandre, famille, 290

Varennes, 96,192,374,379
Varin de Lamarre, Jean-Victor, 189, Y
I9* I Yamachiche, 95
Varin dit Lapistole, Jacques, 186 «Yonce», officier, 262, 288
Vaudreuil, 96,193,318 York, 97,300,374,379,381
Vaudry, famille, 291 York, Nègre, 1786, 265
Venture, Thomas, capitaine, 108 You, Marianne, Miamise, 281
Verchères, 77, 96,174 Young, John, marchand, 150, 246,
Vergor, Louis du Chambron de, 300-301,314
officier, 197,331 Young, Mary, Négresse, 171,334
Véronneau, famille, 290 Youville, nom d’esclave, 243
Versailles, Nègre, 197,331 You d’Youville, famille, 129
Victor, Natchez, 189,191 You d’Youville, François-Madeleine,
Viger, Denis, 314,316 102,138
Viger, Jacques, 342-343 You d’Youville dame (Marie-
Viger, nom d’esclave, 243 Marguerite Dufrost de
Villeneuve, Constant, 261-262 Fajemmerais), appelée aussi
Villeneuve, Daniel, 262 Mère dYouville, 102,117,138-139,
Villeneuve, famille, 290 187,329

Vinet-Préville, Philippe, 186, 200 You dYouville de Ladécouverte,


Philippe, traiteur, 56,103,107,
Vitré, Mathieu-Théodore de, 184
xo8
Volant de Radisson, Étienne,
You dYouville de Ladécouverte,
marchand, 229,232, 235
Pierre, officier, 54,87,101,281
.
Collection
Les Cahiers
du Québec
(liste partielle)

80 Victor Teboul 89 Robert Lahaise 98 Michel Allard et


Le Jour : Emergence Guy Delahaye et la Suzanne Boucher
du libéralisme moderne modernité littéraire Le Musée et l’école
au Québec Coll. Littérature Coll. Psychopédagogie
Coll. Communications
90 Yves Bélanger et 99 François Dollier de Casson
81 André Brochu Pierre Fournier Histoire du Montréal
L’Evasion tragique: L’Entreprise québécoise: Nouvelle édition critique
essai sur les romans développement historique par Marcel Trudel et
d’André Langevin et dynamique contemporaine Marie B aboyant (épuisé)
Coll. Littérature Coll. Science politique Coll. Documents d’histoire

82 Roland Chagnon 91 George P. Grant 100 Marcel Trudel


La Scientologie: une nouvelle Est-ce la fin du Canada ? Dictionnaire des esclaves
religion de la puissance Traduit de l’anglais par et de leurs propriétaires au
Coll. Sociologie Gaston Laurion Canada français
Coll. Sociologie (2e édition revue)
83 Thomas R. Berger
Coll. Histoire
Libertéfragile 92 Guy Delahaye
Traduit de l’anglais par Œuvres de Guy Delahaye 101 Narcisse Henri Edouard
Marie-Cécile Brasseur Présenté par Robert Lahaise Faucher de Saint-Maurice
Coll. Science politique Coll. Documents littéraires (1844-1897)
La Question du jour:
84 Hélène Beauchamp 93 Denis Martin
Resterons-nous Français ?
Le Théâtre pour enfants Portraits des héros de la
Préface de Camille Laurin
au Québec, 1950-1980 Nouvelle-France
Présenté par Michel Plourde
Coll. Littérature Coll. Album
Coll. Documents littéraires
85 Louis Massicotte et 94 Patrick Imbert
102 Lorraine Gadoury
André Bernard L’Objectivité de la presse:
La Noblesse de Nouvelle-France :
Le Scrutin au Québec: le quatrième pouvoir en otage
familles et alliances
un miroir déformant Coll. Communications
Coll. Histoire
Coll. Science politique
95 L’Image de la Révolution
103 Jacques Rivet en collaboration
86 Micheline D’Allaire française au Québec, 1789-1989
avec André Forgues et
Les Dots des religieuses au (en collaboration)
Michel Samson
Canada français, 1639-1800 Coll. Histoire
La Mise en page de presse
Coll. Histoire
96 Minnie Aodla Freeman Coll. Communications
87 Louise Bail-Milot Ma vie chez les Qallunaat
104 Jean-Pierre Duquette et
Jean Papineau-Couture : Traduit de l’anglais par
collaborateurs
la vie, la carrière et l’œuvre Marie-Cécile Brasseur et
Montréal\ 1642-1992
Coll. Musique Daniel Séguin
Coll. Album
Coll. Cultures amérindiennes
88 Sylvie Depatie, 105 Denise Robillard
Christian Dessureault et 97 George Monro Grant
Paul-Emile Léger:
Mario Lalancette Le Québec pittoresque
évolution de sa pensée
Contributions à l’étude du Traduit de l’anglais par
1950-1967
Régime seigneurial canadien Pierre DesRuisseaux
Coll. Sociologie
Coll. Histoire Présenté par Robert Lahaise
Coll. Album
106 Jean-Marc Larme l7 Ch? . _ ti - ! 29 Yves Théorêt
Le Monument inatte Poésies complètes Le Fédéralisme et les
Le Monument-National de Edition critique de communications. Les relations
Montréal’ 1893-1993 Réginald Hamel intergouvemementales au Canada

Coll. Histoire Coll. Documents littéraires de 1984 à 1993


Coll. Communications et
107 Louis-Edmond Hamelin 118 Émile Nelligan et al.
Science politique
Le Rang d'habitat: Franges d'autel
le réel et l'imaginaire présenté par 130 ÉvelyneTardy
Coll. Géographie Réjean Robidoux Les Femmes et les conseils
Coll. Documents littéraires municipaux du Québec
108 Evelyn Kolish
Coll. Science politique
Nationalismes et conflits 119 Suzanne Boucher et
de droits: le débat du droit Michel Allard 131 Louise Bail
privé au Québec, 1760-1840 Eduquer au musée: un modèle Maryvonne Kendergi
Coll. Histoire théorique de pédagogie muséale La musique en partage
Coll. Psychopédagogie Coll. Musique
109 Thérèse Hamel
Un siècle de formation 120 Lorraine Gadoury 132 Louise Vigneault
des maîtres au Québec La Famille dans son intimité. Identité et modernité dans l'art
1836-1939 Echanges épistolaires au sein de au Québec
Coll. Psychopédagogie l'élite canadienne du XVIIIesiècle Borduas, Sullivan, Riopelle
Coll. Histoire Coll. Beaux-Arts
110 Collectif sous la direction de
Robert Lahaise 121 Lorraine Bouchard 133 Jeanne Pomerleau
Le Devoir: reflet du La Mariée au grand jour : mode, Corvées et quêtes
Québec au 20e siècle coutumes et usages au Québec, Un parcours au Canada français
Coll. Communications 1910-1960 Coll. Ethnologie
Coll. Ethnologie
111 Colette Dufresne-Tassé et 134 Marcel Trudel
André Lefebvre 122 Marcel Trudel La Nouvelle-France par les textes
Psychologie du visiteur de musée: Les Ecolières des Ursulines Coll. Histoire
contribution à l'éducation des de QuébeCy 1639-1686
135 Evelyne Tardy et al.
adultes en milieu muséal Amérindiennes et Canadiennes
Egalité hommes-femmes ?
Coll. Psychopédagogie Coll. Histoire
Le militantisme au Québec:
112 Georges Croteau 123 Collectif sous la direction de lePQ et le PLQ
Les Frères éducateurs, 1920- Robert Lahaise Coll. Science politique
1965 : promotion des études Québec 2000
136 Daniel Ducharme
supérieures et modernisation de Multiples visages d'une culture
Débat sur la génétique humaine
l'enseignement public Hors collection
au Québec. Représentations et
Coll. Psychopédagogie
124 Renée Joyal imaginaires sociaux
113 Pierre Camu Les Enfants, la société et l'Etat Coll. Sociologie
Le Saint-Laurent et les au Québec, 1608-1989
137 Pierre Camu
Grands Lacs au temps Coll. Droit et criminologie
Le Saint-Laurent et les Grands
de la voile —1608-1850
125 Thérèse Hamel, Lacs au temps de la vapeur;
Coll. Géographie
Michel Morisset et 1850-1950
114 Andrée Dufour Jacques Tondreau Coll. Géographie
Tous à l'école : l'état des De la terre à l'école: histoire
138 Roseline Tremblay
communautés rurales et de l'enseignement agricole
L'Ecrivain imaginaire
scolarisation au Québec au QuébeCy 1926-1969
Essai sur le roman québécois
de 1826 à 1859 Coll. Psychopédagogie
1960-1995
Coll. Psychopédagogie
126 Marcel Trudel Coll. Littérature
115 Jean Paquin Mythes et réalités dans
139 Marcel Trudel
Arty Public et Société: l'histoire du Québec
Deux siècles d'esclavage au Québec
l'expérience des Maisons Coll. Histoire
Coll. Histoire
de la culture de Montréal
127 Brian Young
Coll. Sociologie
Le McCord
116 Suzanne Marchand L'histoire d'un musée
Rouge à lèvres et pantalon : universitaire, 1921-1996
des pratiques esthétiques Coll. Education
féminines controversées
128 André Brochu
au Québec, 1920-1939
Rêver la lune
Coll. Ethnologie
L'imaginaire de Michel Tremblay
dans les Chroniques du Plateau
Mont-Royal
Coll. Littérature
ictionnaire des
L ongtemps nos historiens ont considéré la Nouvelle-France
comme différente des autres colonies européennes d’Amérique,
estimant notre passé d’un niveau supérieur. Comme le disait
Gameau : « Les Anglais sont venus en Amérique pour faire du
commerce, les Espagnols pour chercher de l’or, mais nous pour ré¬
pandre la foi. » Pourtant, dans les faits, chez ees colonies voisines
comme chez nous, dans le terre à terre de la vie quotidienne, l’activité
consistait à acquérir le plus possible de biens matériels à travers le
commerce. Dans ces conditions, pourquoi n’aurions-nous pas,
comme ailleurs, pratiqué l’esclavage des Noirs et des Amérindiens ?

Comment penser que la Nouvelle-France serait esclavagiste, quand le


Royaume de France s’affirmait « terre de liberté » et affranchissait
tout esclave qui venait s’y réfugier ? Cette
Professeur émérite de l’Uni¬
situation rendait impensable l’existence de
versité d’Ottawa et membre de
cette institution au Canada. On s’est plu
l’Académie canadieime-française,
longtemps à le croire.
MARCEL TRUDEL est l’auteur
de plus de trente-cinq volumes Une lecture attentive de la documentation
sur l’histoire du Canada. Son historique dresse néanmoins un autre por¬
œuvre a été honorée de très trait. Dans le continent américain où les
nombreux prix. autres colonies pratiquaient l’esclavage in¬
tensif, elle rappelle hors de tout doute que
Historienne de la Nouvelle-France le Québec d’autrefois aussi a pratiqué
et des communautés religieuses, l’esclavage sous le régime français et qu’il a
MICHELINE D'ALLAIRE,auteure continué après la conquête britannique.
de plusieurs ouvrages, est pro-
fesseure titulaire à l’Université Quand l’esclavage a-t-il commencé ici ? Les
d’Ottawa. premiers esclaves sont tellement rares qu’on
ne pourrait en situer la pratique générale
qu’à partir des années 1680. Il y eut donc deux étapes : d’abord
l’apparition de quelques individus en esclavage, puis la servitude qui
devint une institution régulière dans la société de la Nouvelle-France et
Marcel Trudel
qui se perpétua jusque dans le premier quart du XIXe siècle.

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