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SQ2 / Séance 5 — Documents complémentaires d’ouverture de la LL3

A. La mort de l’héroïne dans Nana de Zola


Zola consacre ce roman au parcours d’une prostituée devenue courtisane. Anna Coupeau,
dite Nana, est née de l’union de Gervaise Macquart et Coupeau dont l’histoire est racontée
dans L’Assommoir. Après une vie consacrée au luxe et à la luxure, Nana contracte la petite
vérole dont son fils est malade. Elle finit par en mourir en 1870, défigurée par la maladie, au
moment où s’achève brutale le Second Empire avec la déclaration de guerre à la Prusse.
Une lumière vive éclaira brusquement le visage de la morte. Ce fut une horreur.
Toutes frémirent et se sauvèrent.
— Ah ! elle est changée, elle est changée, murmurait Rose Mignon, demeurée la
dernière.
Elle partit, elle ferma la porte. Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la
bougie. C’était un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair
corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un
bouton touchant l’autre ; et, flétries, affaissées, d’un aspect grisâtre de boue, elles
semblaient déjà une moisissure de la terre, sur cette bouillie informe, où l’on ne
retrouvait plus les traits. Un œil, celui de gauche, avait complètement sombré dans le
bouillonnement de la purulence ; l’autre, à demi ouvert, s’enfonçait, comme un trou noir
et gâté. Le nez suppurait encore. Toute une croûte rougeâtre partait d’une joue,
envahissait la bouche, qu’elle tirait dans un rire abominable. Et, sur ce masque horrible
et grotesque du néant, les cheveux, les beaux cheveux, gardant leur flambée de soleil,
coulaient en un ruissellement d’or. Vénus se décomposait. Il semblait que le virus pris
par elle dans les ruisseaux, sur les charognes tolérées, ce ferment dont elle avait
empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage et l’avait pourri.
La chambre était vide. Un grand souffle désespéré monta du boulevard et gonfla le
rideau.
Émile Zola, Nana, 1880, chp XIV.
B. La fin de Roméo et Juliette de W. Shakespeare
Alors que Juliette vient de s’unir secrètement à Roméo, elle apprend que son père veut la marier à un
autre. Elle boit un philtre qui donne l’illusion qu’elle est morte, afin d’échapper au mariage forcé.
Roméo devait être prévenu du stratagème et venir chercher Juliette pour s’enfuir avec elle, mais le
message n’arrive pas jusqu’à lui. Ayant entendu que Juliette était morte, il se précipite au caveau.

1. ROMÉO. – Ah ! chère Juliette, pourquoi es-tu si belle encore ? Dois-je croire que le
spectre de la Mort est amoureux et que l’affreux monstre décharné te garde ici dans
les ténèbres pour te posséder ?… Horreur ! Je veux rester près de toi, et ne plus sortir
de ce sinistre palais de la nuit 1 ; ici, ici, je veux rester [...] ! Oh ! c’est ici que je veux
5. fixer mon éternelle demeure et soustraire au joug des étoiles ennemies cette chair lasse
du monde2… (Tenant le corps embrassé.) Un dernier regard, mes yeux ! bras, une
dernière étreinte ! et vous, lèvres, vous, portes de l’haleine, scellez par un baiser
légitime un pacte indéfini avec le sépulcre accapareur 3 ! (Saisissant la fiole.) Viens,
amer conducteur4, viens, âcre guide. Pilote désespéré, vite ! lance sur les brisants ma

1
10. barque épuisée par la tourmente ! À ma bien-aimée ! (Il boit le poison.) Oh !
l’apothicaire5 ne m’a pas trompé : ses drogues sont actives… Je meurs ainsi… sur un
baiser ! (Il expire en embrassant Juliette. […] Juliette s’éveille et se soulève.)
JULIETTE. – […] où est mon seigneur6 ? Je me rappelle bien en quel lieu je dois être :
m’y voici… Mais où est Roméo ? (Rumeur au loin.) […] Qu’est ceci ? Une coupe
15. qu’étreint la main de mon bien-aimé ? C’est le poison, je le vois, qui a causé sa fin
prématurée7. L’égoïste ! il a tout bu ! il n’a pas laissé une goutte amie pour m’aider à
le rejoindre ! Je veux baiser tes lèvres : peut-être y trouverai-je un reste de poison dont
le baume me fera mourir… (Elle l’embrasse.) Tes lèvres sont chaudes !
PREMIER GARDE, derrière le théâtre. – Conduis-nous, page… De quel côté ?
20. JULIETTE. – Oui, du bruit ! Hâtons-nous donc ! (Saisissant le poignard de Roméo.)
Ô heureux poignard ! voici ton fourreau 8… (Elle se frappe.) Rouille-toi là et laisse-
moi mourir ! (Elle tombe sur le corps de Roméo et expire.)

William SHAKESPEARE, Roméo et Juliette, V, 3, 1597, traduction de François-Victor


Hugo.

1. Cette périphrase désigne le tombeau des Capulet.


2. Comme le destin s’acharne contre lui, il préfère mourir.
3. Avec la mort.
4. Roméo s’adresse à la fiole de poison.
5. Le pharmacien.
6. Roméo.
7. Sa mort survenue trop tôt.
8. Étui du poignard ; désigne ici le cœur de Juliette.
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Roméo + Juliette, Roméo et Juliette, film de Franco


film de Baz Lurhmann, 1996 Zeffirelli, 1968.

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