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RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN REPUBLIC OF CAMEROON

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UNIVERSITÉ D’ÉBOLOWA THE UNIVERSITY OF EBOLOWA
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FACULTÉ DES ARTS, LETTRES ET THE FACULTY OF ARTS, LETTRES AND
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SERVICE DE LA SCOLARITÉ ET DES STATISTIQUES ***********
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DÉPARTEMENT : HISTOIRE ET CONSERVATION DU


PATRIMOINE (HCP)

SPÉCIALISATION : HISTOIRE POLITIQUE ET RELATIONS INTERNATIONALES

UE- HCP 451 : Espaces, frontières et conflits en Afrique

ECUE 4 : Les crises frontalières en Afrique aujourd’hui

Introduction
Au moment des indépendances africaines, il a été décidé de ne pas changer les
frontières, pourtant héritées de la colonisation. Au début du XX ème siècle, la plupart
des frontières de l’Afrique sont établies, annonçant la configuration des États à venir.
Ces frontières tracées au gré des puissances coloniales, dans un contexte de rivalité
entre celles-ci, ont dans bien des cas, fait fi des réalités ethniques, linguistiques,
religieuses et politiques des peuples africains. La négligence et la méconnaissance du
substrat géographique et des divisions socio-politiques traditionnelles engendrèrent
une série de difficultés que les commissaires d’abornement furent les premiers à
relever. Ils tenaient compte parfois des limites naturelles infranchissables, mais
pouvaient aussi bien tracer des lignes droites sur l’inconnu et les appeler frontières.
Ces propos de Lord Salisbury, lui-même un des grands « partageurs du gâteau »
africain se passent de commentaire : « Nous avons entrepris de tracer sur les cartes des
régions où l’homme blanc n’avait jamais mis le pied. Nous nous sommes distribués
des montagnes, des rivières et des lacs, à peine gênés par cette petite difficulté que
nous ne savions jamais exactement où se trouvaient ces montagnes, ces rivières, ou ces
lacs »1.

1 Yves PERSON, « L’Afrique noire et ses frontières », Le mois en Afrique, n°80, août 1972, p. 21. 1
Les frontières ainsi tracées ont divisé des groupes consanguins, les éloignant de
leurs territoires de rituels, de culture, de chasse et de pêche2. Plus de 177 peuples ou
groupes ethniques se sont trouvés éparpillés à travers plusieurs États3. Les nouvelles
frontières établies renferment des communautés peu homogènes, voire antagonistes,
chargées souvent de multiples forces explosives4. Les frontières coloniales, nouvelles
données géopolitiques, constituent un marqueur rigide de l’espace politique et social
africain. C’est désormais par rapport à des espaces délimités par des « frontières
lignes » que s’exerce le pouvoir.
À la vérité, au moment des indépendances, les nouveaux États africains étaient
confrontés aux conflits de contestations de frontières. Le nombre de différends
frontaliers était impressionnant, Robert Waters en compta trente-deux5. Conscients
donc de la fragilité de leurs pays respectifs délimités par des frontières artificielles et
du danger que constituait le maintien d’une telle situation, certains dirigeants africains
se sont évertués à appeler à la remise en cause du tracé territorial colonial. Ces
partisans de la révision des frontières estiment qu’il parait logique que l’Afrique post-
coloniale entreprenne de revenir sur les erreurs des découpages coloniaux. Car les
assises territoriales des États africains, nées des arrangements coloniaux, ne tenaient
pas suffisamment compte des spécificités propres qui devaient être essentielles à la
cohésion sociale et au renforcement de l’unité en leur sein. Pour dénoncer ce partage
préjudiciable à la viabilité durable des États, les dirigeants africains, favorables à la
remise en cause des frontières, réunis au sein du « Groupe de Casablanca » voulaient une
refonte des frontières africaines en 1963.
D’autres dirigeants, à l’inverse, souhaitaient le maintien du tracé hérité de la
colonisation. Pour ce second groupe de dirigeants, appelé « Groupe de Monrovia », le
statu quo territorial avait comme objectif la stabilité des frontières coloniales,
permettant de sécuriser les confins des États africains nouvellement indépendants.
Ceci pour consolider les nations et, à terme, réussir à les transformer en États-nations.
Il paraissait donc sage et prudent de maintenir le legs territorial colonial, condition sine
qua non d’une paix entre les États et en leur sein et de possibilités de développement
réel. Voilà grosso modo l’essentiel de l’argument des tenants du statu quo territorial.
Ainsi, durant les premières années des indépendances africaines, une des
préoccupations majeures des pères fondateurs fut la question de la configuration à
donner aux frontières léguées par la colonisation. Elle se posait en ces termes : fallait-il
remettre en cause le tracé colonial et ouvrir la voie à des incertitudes et à l’instabilité ou
l’accepter et permettre ainsi l’instauration d’un climat de sérénité et de paix dans les rapports
interétatiques ?
C’est dans ce contexte de forte controverse au sujet des frontières des États
africains, que la Conférence des Chefs d’États et de Gouvernements de l’Organisation
de l’unité africaine (OUA) réunie au Caire, opta en faveur du « principe de

2 L’exemple des conflits frontaliers qui ont opposé le Mali au Burkina-Faso en 1975 et en 1985 est édifiant, la zone 2
frontalière d’Agacher qui a fait l’objet d’une contestation entre ces deux pays comporte de nombreuses mares, zone
d’intenses activités agro-pastorales. Elle était pour ses agriculteurs, ses éleveurs et ses chasseurs une zone de
convergence autour d’oasis, vitale pour les populations de la région. Cf. Tredano Abdelmoughit BENMESSAOUD,
Intangibilité des frontières coloniales et espace étatique en Afrique, Paris, Bibliothèque Africaine et Malgache, 1989,
p. 184.
3 Michel FOUCHER, L’obsession des frontières, Paris, Edition Perrin, 2012, p. 52.
4 Tredano Abdelmoughit BENMESSAOUD, Intangibilité des frontières coloniales et espace étatique en Afrique, p. 17.
5 Robert WATERS, African Boundary problems, Uppsala, 1969, p. 183.
l’intangibilité » des frontières en Afrique, le 21 juillet 1964. Ce principe « déclare
solennellement que tous les États membres s’engagent à respecter les frontières
existant au moment où ils ont accédé à l’indépendance ». Il consiste en une interdiction
faite aux États membres d’exprimer toute revendication territoriale et de vouloir
procéder à une modification du tracé colonial au détriment d’un État tiers. Pour les
dirigeants africains, cet impératif concerne d’une part, toute revendication territoriale
venant d’un autre État, et, d’autre part, tout mouvement sécessionniste venant de
l’intérieur de nature à mettre en cause les frontières issues des indépendances6].
L’enjeu étant d’empêcher les conflits dus aux remises en cause de frontières et de
stabiliser les édifices étatiques hérités de la colonisation.
Cinquante ans après l’intangibilité des frontières africaines, quel bilan peut-on
établir ? Le « principe de l’intangibilité » visait à régler les problèmes de frontières en
Afrique, mais qu’est-ce qui explique que ceux-ci constituent une source persistante de
conflits et comment parvenir à les surmonter ?
Pour répondre à ces questions, il convient d’abord de faire l’état des lieux des
conflits de frontières en Afrique, ensuite d’analyser les défis liés à l’intangibilité des
frontières, et enfin de dégager des perspectives pour les surmonter.

I. Des conflits de frontières en Afrique


Après un demi-siècle de pratique de statu quo territorial et d’exercice de pouvoir
au sein du cadre étatique dit national, il est permis d’avancer que le bilan de la mission
de stabilisation socio-politique et de consolidation des assises territoriales reposant sur
le « principe de l’intangibilité » des frontières reste mitigé. En témoignent la
persistance et la résurgence des conflits de frontières entre les États voisins d’une part
et les velléités séparatistes et sécessionnistes exprimées avec insistance par plus d’un
peuple dans toutes les régions du continent africain d’autre part.
A. Différends de frontières entre les États africains
Au sortir des indépendances, le choix du maintien des frontières héritées de
l’époque coloniale visait à résoudre et à éviter les conflits de frontières entre les États
africains. Cependant, ce résultat n’a pu être atteint de manière satisfaisante. Plusieurs
États africains se sont livrés à des conflits de frontières, faisant de celles-ci des lignes
de front entre les États. Le Maghreb, la bande sahélo-soudanaise et la Corne de
l’Afrique constituent les foyers de contestation de frontières les plus remarqués7.
1. Dans le Maghreb
Dans le Maghreb, un an après son indépendance en 1963, l’Algérie est entrée
en guerre (la guerre des sables) avec le Maroc pour un litige sur le tracé de la frontière
dans la région de Figuig, au Nord-Est de Tindouf. Après les échecs successifs d’Habib
Bourguiba, Hailé Sélassié et Nasser, ce litige fut le premier cas de médiation porté
devant les instances de l’OUA. La médiation de l’OUA favorise un cessez-le-feu,
laissant la frontière inchangée8.

3
6Tredano Abdelmoughit BENMESSAOUD, Intangibilité des frontières coloniales et espace étatique en Afrique, p. 80.
7 Baptiste GLORIEUX, Du principe d’intangibilité des frontières comme facteur d’instabilité en Afrique

subsaharienne ?, Mémoire pour l’obtention du grade de Licencié, UCL, septembre 2004, p. 143.
8Les facteurs qui ont contribué à l’éclatement du conflit sont entre autre l’absence d’un tracé précis de la frontière

entre l’Algérie et le Maroc, l’irrédentisme marocain autour de la notion du « Grand Maroc », l’importances des
ressources minérales dans la zone contestée ainsi que le refus du gouvernement de l’Algérie indépendante, de
reconsidérer la convention signée en juillet 1961 à Rabat entre Hassan II et Ferhat Abbas, le président du
En 1976, l’armée marocaine s’est heurtée de nouveau à l’armée algérienne via
de violents combats à l’Est de Tindouf, à propos cette fois du Sahara occidental.
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental a été abandonné au profit du Maroc,
de la Mauritanie et de l’Algérie par le colonisateur au moment de son retrait, sans tenir
compte de l’avis des populations sahraouies qui y vivent. En mai 1973, cette situation
conduit à la constitution d’un mouvement armé anticolonialiste (le Front Polisario)
pour revendiquer la création d’un État sahraoui indépendant dans les frontières de
l’ancien Sahara occidental. En vertu d’un accord de paix signé avec le Front Polisario
en août 1979, la Mauritanie se retire du Sud du Sahara occidental et l’armée marocaine
se déploie aussitôt sur la totalité du territoire. Nonobstant l’occupation marocaine, la
République arabe sahraouie démocratique (RASD) est admise à l’OUA en 1982, dont
le Maroc se retire deux ans plus tard. Depuis lors, cette question représente une source
de discorde majeure entre les États africains. Les États proches du Maroc comme la
Côte d’Ivoire, le Gabon, le Sénégal ou le Mali… soutiennent l’exclusion de la RASD de
l’Union africaine (UA). Ils souhaitent faire basculer le Nigeria de leur côté afin de
contrebalancer le poids des autres géants du continent, soutien de la RASD tels que
l’Algérie, l’Afrique du Sud ou l’Angola9. Au niveau sous régional, depuis le début de
ces différents épisodes, les relations algéro-marocaines restent tendues, ce qui paralyse
l’Union du Maghreb arabe, proclamée en 198910. En outre, cette situation contribue à
renforcer l’insécurité dans le grand désert et demeure un outil de déstabilisation, du
fait des connexions établies entre les Sahraouis du Front Polisario, les mouvements
rebelles touaregs et les éléments de l’AQMI. L’enjeu actuel consiste à voir la question
résolue le plus tôt possible pour une bonne coordination de la lutte anti-terroriste afin
d’instaurer un climat de sécurité dans la région. Mais, les deux États voisins continuent
de nourrir le projet de dominer la région en s’affaiblissant mutuellement, pourtant
aucun des deux protagonistes n’est en mesure d’imposer sa solution. En guise de
règlement définitif, un référendum sur l’autodétermination de ses habitants est
envisagé depuis 1988, mais toujours en suspens sans une réelle perspective de paix. Si
l’autonomie du Sahara occidental semble constituer la sortie la plus probable, elle
confronterait, en revanche, le Maroc à une révision constitutionnelle et affecterait
profondément son institution monarchique11.
En outre, la zone du Sahara est confrontée à l’épineuse question touarègue. Les
peuples touaregs sont constitués de populations berbères nomades, organisées en
tribus. Ils sont répartis entre cinq États (le Niger où ils sont environ 800 000, le Mali, à

Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), sur la question du litige territorial dont la
4
résolution est différée jusqu’à l’indépendance de l’Algérie.
9 jeuneafrique.com/Article/JA2761p0008-009.xml10/algerie-senegal-maroc-uaunion-africaine-vers-une-offensive-
anti-rasd.html, consulté le 10 janvier 2024.
10 En 1963, ces contentieux parurent trouver une solution positive, lorsque le roi Hassan II et le président Houari

Boumediene se rencontrèrent à Ifrane, au Maroc. Une déclaration commune reconnaissait, d’une part, à l’Algérie
la possession du Tindouf et le tracé provisoire de la frontière et, d’autre part, les droits du Maroc sur le Sahara
occidental. De surcroît un consortium minier algéro-marocain était décidé pour l’extraction du gisement de fer de
Tindouf. Cet accord prometteur fut alors célébré comme la première pierre de la construction d’un ensemble
industriel maghrébin. Malheureusement, devant le tollé suscité au Maroc par l’abandon officiel de Tindouf au profit
de l’Algérie, Hassan II dut reporter sine die la mise en œuvre desdits accords d’Ifrane et Boumediene, furieux,
récusa les droits du Maroc sur le Sahara occidental et réclama la consultation des Sahraouis.
11 Michel FOUCHER, L’obsession des frontières, Paris, Edition Perrin, 2012, p. 52.
plus de 500 000, l’Algérie environ 30 000, la Libye 10 000 et le Burkina Faso où ils sont
estimés à plus de 150 000) où ils représentent des minorités homogènes12
Les indépendances africaines scellent ce qui est vécu par les Touaregs comme
le démembrement de leur corps politique et social13. Ils ont depuis toujours revendiqué
leur autonomie. Leurs rapports avec le pouvoir central des différents Etats demeurent
aussi conflictuels qu’ils l’avaient été auparavant avec le pouvoir colonial. Depuis la
première rébellion touarègue (récolte de Koacen en 1916) à celle du Mali en 2012 qui
perdure encore, les conflits touaregs ont ressuscité des homogénéités et des
convivialités culturelles très fortes et profondément entamé la stabilité sociale et
politique dans la bande saharo-sahélienne. Ce problème resté en suspens depuis un
siècle se signale, encore aujourd’hui, au bon souvenir des méthodes répressives de
l’ancienne puissance coloniale et des États africains concernés qui refusent de voir la
réalité en face et de comprendre que la violence a suffisamment montré ses limites
dans la quête d’un règlement durable de la question touarègue14.
Parmi les conflits frontaliers qui ont ébranlé la stabilité des fragiles édifices
étatiques dans la bande saharo-sahélienne, figure le différend frontalier qui a opposé
la Libye et le Tchad à propos de la Bande d’Aouzou, dans la région septentrionale du
Tchad. Revendiquée et occupée par la Libye à partir de 1973, elle est rendue au Tchad
en 199415.
2. En Afrique occidentale
En Afrique de l’Ouest, la Haute Volta (Burkina Faso actuel depuis 1984) et le
Mali se sont livrés à des affrontements armés lors de deux conflits en 1974 et en 1985,
dont la cause revêt une dimension territoriale liée à la revendication de la zone
frontalière de l’Agacher. De plus, le Burkina Faso se dispute avec le Bénin pour le
contrôle de la zone frontalière de Kourou-Koalou. Cette zone est au centre d’une
revendication territoriale entre les deux Etats. La non-détermination de son statut
territorial a mené à des tensions répétées. Ils ont donc accepté de soumettre ce
dif¬férend frontalier à la Cour internationale de Justice (CIJ) pour obtenir une décision
contraignante. Dans l’attente du verdict de la Cour, les deux États ont développé une
stratégie de neutralisation (temporaire) et d’administration mixte de la zone16. Au
niveau de sa frontière orientale, un autre différend oppose le Burkina Faso au Niger.
Ce contentieux est lié à une divergence d’interprétation de l’amendement apporté à
l’arrêté colonial de 1927 sur le tracé frontalier entre les deux territoires. Le 27 juin 2010,
ils ont accepté de soumettre le contentieux à la CIJ17.
Par ailleurs, la frontière entre le Burkina Faso et le Ghana était en proie à des
tensions. Le Ghana revendiquait des territoires frontaliers du Burkina Faso, entrainant
dès 1963 la fermeture des frontières par le Ghana. Cependant, lorsque le conflit est

12 Tredano Abdelmoughit BENMESSAOUD, Intangibilité des frontières coloniales et espace étatique en Afrique, 5
Paris, Bibliothèque Africaine et Malgache, 1989, p. 184.
13 Robert WATERS, African Boundary problems, Uppsala, 1969, p. 183.
14 Baptiste GLORIEUX, « Du principe d’intangibilité des frontières comme facteur d’instabilité en Afrique

subsaharienne ? », Mémoire pour l’obtention du grade de Licencié, UCL, septembre 2004, p. 143.
15 Ghali Boutros-BOUTROS, Les conflits de frontières en Afrique, Paris, Editions Techniques et Economiques, 1973, pp.

23-24.
16 Délimitation et démarcation des frontières en Afrique, Programme Frontière de L’Union Africaine (PFUA),

Addis-Abeba, mai 2013, p. 80.


17 Monique CHEMILLIER-GENDREAU, « L’espace national », in Encyclopedie Juridique de l’Afrique, Abidjan-

Dakar-Lomé, Nouvelles Éditions Africaines, 1982, T. 2, p. 85.


porté devant l’OUA en juillet 1964, il a dégénéré. Des Ghanéens se sont installés 18dans
le village de Katunga, dans le cercle de Tenkodogo au Burkina Faso. Le 13 juin 1965, un
accord a été réalisé à la suite de concessions faites par le Ghana19.
Outre le Burkina Faso, le Ghana de Kwamé N’krumah entretenait des
différends territoriaux avec les autres États voisins. Il convient à cet effet, de rappeler
la vivacité et le particularisme du différend entre le Ghana et le Togo, qui a porté sur
le sort des populations Ewé qu’une ligne frontalière sépare en deux, entre le Ghana où
ils étaient 700 000 habitants et le Togo où il en était resté 400 000. De 1959 à 1966, le
président ghanéen, Kwamé N’krumah a même fait pression sur le Togo pour
« s’intégrer au Ghana »20. Ce différend a parfois atteint un tel point que Monique
Chemillier-Gendreau n’a pas hésité à affirmer que : « la délimitation des frontières entre
le Togo et le Ghana soulève un problème ethnique parmi les plus importants que posent les
frontières africaines de par leur origine coloniale »21. N’krumah soutenait également le
détachement du peuple Sanwi de la Côte d’Ivoire au profit du Ghana.
De décembre 1963 à mars 1964, un conflit portant sur un îlot du fleuve Niger, qui
constitue une frontière naturelle, a opposé le Niger au Dahomey (Benin actuel depuis
1975) et a abouti à l’expulsion de quelques 25 000 ressortissants dahoméens dont
plusieurs centaines de fonctionnaires. A ce tableau, il faut ajouter le conflit sénégalo-
mauritanien qui a entrainé, fait exceptionnel, le rapatriement systématique des
populations respectives d’un pays à l’autre, créant de ce fait le problème du rapport
entre Maures d’une part, et populations d’origine Wolof, Peul et Soninké d’autre part.
Désormais, le fleuve Sénégal devient une barrière entre le Sénégal et la Mauritanie qui
ferment la traversée du fleuve à la suite du conflit entre les deux pays en 1988. Ce
conflit fixe le fleuve comme une frontière et une ligne de démarcation ethnique entre
les Maures et les autres populations noires qui sont refoulées au Sénégal22. Ainsi, les
conflits frontaliers entre les États prennent une dimension politique. Ils riment avec la
fermeture et l’ouverture des frontières et l’expulsion des ressortissants des États
voisins, sans tenir compte des intérêts des populations qui continuent à se déplacer en
fonction des connexions socio-culturelles et de leurs besoins économiques.
3. À la lisière de l’Afrique occidentale et centrale
À la lisière de l’Afrique occidentale et centrale, le Nigeria et le Cameroun ont
été opposés par un conflit frontalier à propos de la péninsule de Bakassi à partir de
février 1994. Après une tentative de médiation du président togolais Eyadéma au
début de mars de cette année, l’affaire est portée devant la CIJ de La Haye qui rend un
jugement le 10 octobre 2002, attribuant la souveraineté du territoire au Cameroun.
En Afrique Centrale, les relations entre la Guinée Équatoriale et le Gabon sont
brouillées par un différend frontalier portant sur la souveraineté des îlots de Conga,
Cocotier et de Mbanié, que le Gabon occupe depuis 1972 et dont l’origine remonte à la

18
Ghali Boutros-BOUTROS, Les conflits de frontières en Afrique, Paris, Editions Techniques et Economiques, 1973, pp. 6
23-24.
19 Ghali Boutros-BOUTROS, Les conflits de frontières en Afrique, pp. 23-24.
20 Monique CHEMILLIER-GENDREAU, « L’espace national », in Encyclopedie Juridique de l’Afrique, Abidjan-Dakar-

Lomé, Nouvelles Éditions Africaines, 1982, T. 2, p. 85.


21 Ibid.
22 Boubacar BARRY, « Histoire et perception des frontières en Afrique aux XIXe et XXe siècles : les problèmes de

l’intégration africaine », Des frontières en Afrique du XIIe au XXe siècle, Paris, UNESCO, 2005, pp. 55-72.
période coloniale23. Face à l’impasse de la médiation de l’ONU, la décision de
transférer le dossier à la CIJ a été prise par le délégué du secrétaire général de l’ONU
en charge de celui-ci.
Tout comme dans les affaires du Sahara occidental, des îlots de Mbanié, de Conga
et Cocotier, du Bakassi, de l’Agacher…, la CIJ est aussi intervenue dans l’arbitrage du
contentieux frontalier de 1989 entre le Sénégal et la Guinée Bissau. Depuis quarante
ans, 57% des cas de contentieux territoriaux portés devant la CIJ dans le monde entier
concernent l’Afrique24. Ces faits appellent des observations évidentes. D’abord, depuis
les indépendances, l’Afrique est le continent le plus affecté par les différends de
frontières. Mais aussi, ils mettent en cause l’efficacité des politiques de gestion des
problèmes de frontières auxquels sont confrontés les Etats africains, et, surtout, la
capacité de l’OUA/UA en tant qu’organisation continentale à les résoudre de manière
satisfaisante.
4. Les conflits dans les espaces frontaliers des États de la sous-région
des Grands Lacs Africains : le triangle de la violence
Les pays de la sous-région des Grands Lacs sont marqués par une dynamique
régionale très complexe avec des clivages locaux et des conflits nationaux qui prennent
souvent des dimensions transfrontalières.
Depuis les années 1960, chaque fois qu’un conflit a eu lieu dans un des États de la
région, l’équilibre des pays voisins a été lui aussi menacé. C’est le cas du génocide
rwandais de 1994 qui a eu des répercussions sur le déclenchement du premier conflit
au Zaïre (RDC).
En 1996-97, la situation au Rwanda et au Burundi a contribué à l’embrasement de
la sous-région : les Banyamulenge, une population Tutsi d’origine Rwandaise,
revendiquaient la citoyenneté zaïroise et un espace territorial propre à eux25. Au cours
de cet affrontement, sept autres armées de pays africains et nombreux groupes rebelles
sont intervenus prétextant défendre les uns la cause de la minorité Tutsi-
Banyamulenge, les autres l’intangibilité des frontières de la RDC héritées de la
colonisation mais avec des agendas cachés.
Les efforts de l’ONU pour ramener la paix dans la région ont abouti à la
cessation officielle des hostilités en 2003-2004 et à l’engagement des pays de la région
dans le processus de consolidation de la paix, par le biais de la Conférence
Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL). Seulement voilà que malgré la
mise en œuvre de mécanismes de contrôle de la déstabilisation régionale, le défi de la
construction de la paix durable persiste. Les violences entraînent des pertes en vies
humaines, des déplacements de populations dans tous les sens, la destruction des
infrastructures de base et le pillage économique.

23 Le différend frontalier qui oppose la Guinée équatoriale au Gabon au sujet des îlots vient du fait que, la France
7
et l’Espagne avaient signé le 23 juin 1900 une convention délimitant leurs possessions dans le Golfe de Guinée.
Malheureusement, cette convention ne statue que sur l’île de Corisco et l’île des Elobeys, qui sont attribuées à
l’Espagne, sans se prononcer sur les îlots méridionaux et adjacents, objets de dispute d’aujourd’hui. Lors de
l’accession à l’indépendance du Gabon et de la Guinée équatoriale, la question de l’appartenance de ces îlots et
bancs de sable situés à équidistance des deux côtes continentales n’est pas réglée par le droit. C’est dans ce contexte
que le Gabon, dans le but de protéger ses intérêts pétroliers et de préserver l’activité halieutique nationale, procède
à l’extension de la limite de ses eaux territoriales, au-delà des 12 milles nautiques initiaux, pour la porter à 25 milles,
le 5 octobre 1970. Cf. Sidonie BOUKOULOU, Le conflit frontalier Gabon-Guinée équatoriale, analyse géopolitique,
Institut des relations internationales du Cameroun-Master I, 2008.
2424 Michel FOUCHER, L’obsession des frontières, Paris, Edition Perrin, 2012, p. 52.
25 (Oka, 2002, Katembo, 2010).
Tous les pays de la région sont encore confrontés à l’injustice sociale, au manque
de démocratie ainsi qu’au problème de gestion des zones frontalières indispensable
pour maintenir une paix durable.
À titre illustratif, le conflit opposant les Bafuliru aux Barundi et aux
Banyarwanda de la RDC, dits Banyamulenge, qui vivent de part et d’autre des zones
frontalières du Burundi, de la RDC et du Rwanda. Le conflit susmentionné, vieux
d’une dizaine d’années, ne cesse de faire des victimes dans les espaces frontaliers de
la plaine de la Ruzizi et la violence qui le caractérise mérite d’être comprise et analysée
minutieusement.
Nous ambitionnons analyser les causes profondes des conflits qui opposent
les trois tribus citées plus-haut et dont les conséquences négatives ensanglantent les
zones frontalières de la région des Grands Lacs africains. Identifier les enjeux de ces
conflits violents apparaît nécessaire afin d’entrevoir des pistes d’actions pour leur
transformation.
Pour ce faire, nous aurons recours à deux outils d’analyse : l’arbre à conflit et le
triangle des conflits liés aux ressources. Les enjeux et les actions à entreprendre seront
ensuite traités selon le concept de ‘’pays-frontières’’ de Ousmane Sy (2009).
Pour mieux circonscrire cette analyse, le terrain de travail sera limité à l’espace
géographique à cheval sur la rivière Ruzizi qui sépare les trois pays de la Régions des
Grands Lacs (Rwanda, Burundi, RDC) et dont les populations sont liées par des
rapports socio-économiques et culturels.
 Contexte du conflit
La région des Grands Lacs africains est une entité géopolitique organisée autour
d’une suite de lacs dont le lac Victoria, Edouard, Kivu, et Tanganyika lesquels
constiituent les frontières naturelles entre les pays qui les entourent. À savoir, le Kivu
qui relève de la RDC, le Burundi, le Rwanda, la pointe Ouest du Kenya, le sud de
l’Ouganda et le Nord-Ouest de la Tanzanie. Tous ces pays sont peuplés de nombreuses
ethnies parmi lesquelles nous avons les Hutu (Bantous), les Tutsi (non-Bantous) et les
Twa ou pygmées.
Au cœur de cette région, se trouve la province du Kivu, située dans la partie Est
de la République Démocratique du Congo et qui a une frontière avec les territoires
Burundais de Cibitoke, Bubanza et Bujumbura, les territoires de Cyangugu au
Rwanda. ‘Le Kivu est une ‘province jadis florissante, convoitée pour ses richesses
minérales, traditionnel creuset de migrations transfrontalières, agitée de longue date
par des flambées de violences interethniques en particulier entre Hutu et Tutsi
originaires du Rwanda et du Burundi voisins’.
 Les zones frontalières concernées par le conflit.
Les ethnies Hutu et Tutsi vivent des deux côtés de la rivière Ruzizi. Pour la
petite histoire sur les migrations de la région, les Hutu du Kivu (Bafuliru, Babembe,
Barega, Bashi, etc.), considérés comme autochtones, seraient venus du Royaume de
Bunyoro en Ouganda avant les années 1885 et d’après loi de 1981 sur la nationalité
congolaise, leur nationalité ne pourrait être autre que congolaise. Par contre, les
Rwandophones (les Banyamulenge et les Barundi) seraient quant à eux, issus de
mouvements migratoires datant d’après la mort du roi Léopold II en 1908, et

8
considérés soit comme des immigrants acceptés par l’administration coloniale belge,
soit comme des immigrants clandestins, soit comme des réfugiés sans papiers26.
Les conflits politiques dans cette région n’ont pas permis la clarification de la
situation des ethnies, au contraire ils ont contribué à leur enlisement et à leur
complication du fait de mouvements migratoires à double sens et de l’infiltration
continue des Banyarwanda et des Barundi dans la région (en particulier dans la plaine
de la Ruzizi au Sud-Kivu.) Les visées de leur migration sont diverses : terre, pouvoir,
commerce ou simple vol de bétails pour retourner ensuite au Rwanda ou au Burundi.
Les conflits persistants qui découlent de cette confusion sur la nationalité vont
culminer en 1996 par un déchaînement de combats, de massacres interethniques, de
pillages, de viols impliquant une dizaine d’armées de la région et une multitude des
milices constituées sur une base ethnique. Les Banyarwanda (peuple Rwandophone)
et les Barundi (population qui parle Kirundi) continuent à s’identifier par rapport à
leurs pays d’origine alors qu’ils vivent sur les territoires congolais. Les deux ethnies se
feront aider par les armées et les gouvernements rwandais et burundais pour
revendiquer la reconnaissance de la nationalité congolaise et le territoire. Les Barundi,
quant à eux, ne revendiquent que le territoire.
Cependant, en dépit de tous ces conflits, de la ruralité et de l’explosion
démographique, les populations des deux ethnies de la région traversent la rivière
Ruzizi pour aller chercher du travail comme main d’œuvre agricole, faire des petits
commerces ou enseigner afin d’améliorer leurs conditions de vie. Des jeunes traversent
pour poursuivre leurs études et des malades pour recevoir des soins médicaux
appropriés. Les échanges socio-économiques et culturels entre les populations des
espaces transfrontaliers sont donc intenses malgré les tensions et les conflits au
sommet des États de la région.
 Les acteurs du conflit, les groupes stratégiques ; leurs diversités et
leurs contradictions.
Les États et leurs armées, les groupes ethniques et les populations, les réfugiés ou
les déplacés, l’ONU et ses missions de paix dans la région (MONUSCO), la CUA et les
organisations régionales CIRGL, les représentants des associations de la société civile
locale, les ONG et les bandes armées constituent les principaux acteurs du conflit des
Grands Lacs :
 Les acteurs politico-militaires du Rwanda interviennent pour soutenir les
Tutsi du Congo. Depuis 1996, le régime de Kigali considère que les camps de
réfugiés Hutu à proximité constituent une menace pour leur sécurité. Leurs
armées vont donc soutenir la rébellion en majorité Tutsi de AFDL pour
s’attaquer aux camps, chasser le président Mobutu du pouvoir et par la suite
multiplier les expéditions militaires à l’Est de la RDC, soit pour soutenir les
différents mouvements rebelles naissants (RCD, CNDP et M23 essentiellement
formés de Tutsi comme l’AFDL), soit en alliance avec les dirigeants politiques
de Kinshasa pour poursuivre les rebelles Hutu déjà dispersés et affaiblis dans
la forêt du Congo à environ 200 km du Rwanda. Le régime de Kigali se fait déjà
défenseur de la minorité Tutsi à tel point que même si on menace des Tutsis
burundais, c’est le Rwanda qui réagit avec le plus de ferveur. À travers les
médias sont relayées les ambitions d’expansion territoriale et, sur le terrain,

26 Depelchin, 1974, p.32 ; Ruhimbuka, 2001, pp. 28-27). 9


l’armée rwandaise viole l’intégrité territoriale de son voisin, pille les ressources
naturelles (diamant, coltan, or, bois rouges et ébène).
 Le gouvernement du Burundi et son armée brillent par leur ambiguïté. Ils font
le choix du Rwanda de peur d’être renversés du pouvoir. Les intérêts politiques
font que les dirigeants du Burundi ménagent le Rwanda et attaquent avec lui la
RDC pour poursuivre les rebelles du FNL sur le territoire congolais mais aussi
pour piller les richesses de la contrée et positionner leurs militaires dans un des
quartiers de Kiliba, afin de contenir les attaques des rebelles. Paradoxalement,
avec la RDC, ils exploitent en commun la pèche sur le lac Tanganyika.
 Les dirigeants politiques de la RDC et leur armée sont fragilisés par la
déliquescence de l’État. Ils ont moins d’initiative pour creuser le fond de la
question de la terre et la nationalité. Ils fournissent moins d’effort pour stopper
les menaces ou pour protéger les Hutu une fois menacés par les Tutsi. L’armée
et les pouvoirs locaux se rallient aux positions du gouvernement qui est accusé
de mauvaise gouvernance des ressources minières et naturelles du pays. Ce qui
fait observer l’irrationalité dans l’affectation des deniers publics aux services
autres que la santé, l’éducation, les infrastructures routières, les salaires et la
création d’emplois. Il s’en suit des phénomènes de clientélisme, de favoritisme
et l’instrumentalisation de certains responsables communautaires (chefs
coutumiers) et institutionnels sur une base ethnique. Cette instrumentalisation
provoque méfiance et discrimination lesquelles à leur tour sont utilisées pour
faire voir aux uns et aux autres que telle ethnie représente le malheur de l’autre,
et doit par conséquent disparaître.
 Les peuples d’origine ethnique Tutsi (Banyamulenge, Barundi) et les Hutu
entretiennent de bonnes relations depuis longtemps. Les populations restent
très actives dans les petits commerces et se débrouillent pour leur survie. Les
Tutsi, par exemple, sont solidaires lors des élections politiques dans tous les
pays de la région pour soutenir et élire l’un des leurs. Ils traversent
régulièrement la rivière Ruzizi afin d’aller voter pour les candidats de leur
ethnie. Pour les Barundi, le problème n’est pas la cohabitation pacifique avec
les autres Congolais mais celui de la reconnaissance de leur autorité sur la
collectivité de la Plaine de la Ruzizi telle qu’établie par les colons belges vers
1928. De façon générale, les populations de la région ont toutes des besoins à
satisfaire (que ce soit la terre ou tout autre moyen pour leur survie) et elles en
deviennent vulnérables au point de se laisser instrumentaliser par les politiques
et les milices de leurs pays respectifs.
 Les réfugiés et les déplacés internes sont souvent pris pour cibles par les
parties en conflit. Ils sont à la fois les victimes et la conséquence desdits conflits.
 Les Nations unies et ses missions spécialisées (MONUSCO), les organisations
régionales - comme la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs
(CIRGL) et l’Union Africaine - et la Communauté Internationale, même s’ils
n’ont pas un langage commun soutiennent les efforts en faveur de la paix et de
la stabilité dans la région, en combattant les milices et les bandes armées. Ils
financent également des conférences de médiation et de réconciliation inter-
communautaires au plan local comme au plan régional.

10
 La CIRGL est censée imaginer des actions susceptibles de ramener une paix
durable dans la région. Elle a pour objectif ambitieux de « lancer un processus
dans le cadre duquel les dirigeants des pays de la région des Grands Lacs chercheront
ensemble à dégager un accord sur un certain nombre de principes - relations de bon
voisinage, stabilité, paix, développement, etc.- et définiront et mettront en œuvre une
série de programmes d’action en vue de mettre fin au retour cyclique des conflits et
d’apporter à l’ensemble de la région une paix durable, la stabilité, la sécurité, la
démocratie et le développement. » (Relief web). Sous ses auspices, les leaders de
onze États de la sous-région se rencontrent et signent des accords tels que la
Déclaration de paix de Dar-es-Salaam (2004) et le Pacte de Nairobi (2006)
Dans un cadre régional de la CEPGL, des projets d’intérêt commun ont été
lancés sans trop de succès. Seule la libre circulation transfrontalière des personnes
et de leurs biens semble être garantie.
 Les groupes armés (Mai Mai, FDLR et FNL) ne sont pas dans la logique des
peuples qui s’entendent, et ont leurs propres intérêts et leur agenda. Leur
argumentaire est autre/ailleurs. Certains sous-traitent le travail des acteurs
politico-militaires et d’autres s’improvisent en protecteurs des ‘communautés
ethniques’ sans mandat de celles-ci.
 Les groupes de la société civile (ONG, associations, Églises) qui
n’appartiennent ni aux gouvernements ni à la population mais se disent
représenter les populations ‘forces vives’ (sans mandat de celles-ci) prennent
une part active dans les conflits à travers leurs discours, déclarations et
positions pour ou contre l’une ou l’autre des parties en conflit. Certains
membres de la société civile, des églises et des organisations de droits de
l’homme essaient de sensibiliser la population à ne pas céder aux discours
politiques des dirigeants.
 Les organisations de Droit de l’Homme dénoncent les attitudes négatives des
dirigeants, des groupes -milices et militaires - nationaux. Par rapport aux
acteurs politiques, les dirigeants et les membres de la société civile entretiennent
des relations difficiles. En tant qu’avocats du peuple, ils sont exposés à la
méchanceté des dirigeants politiques. Ce qui fait que les uns sont haïs en
personne, voire tués par les services du gouvernement, tandis que d’autres se
rallient au pouvoir et jouent le jeu du gouvernement en prétendant représenter
la population par des ‘nous’ trompeurs.
D’une manière générale, les acteurs se définissent à travers leurs intérêts respectifs
et leurs contradictions. La plus grande particularité des conflits transfrontaliers dans
la plaine de la Ruzizi est la qualité volatile et fluctuante des alliances entre acteurs
primaires. Tantôt les miliciens collaborent avec l’État Congolais, tantôt ce dernier fait
alliance avec le gouvernement rwandais ou burundais comme ce fut le cas lors des
opérations militaires conjointes pour traquer les miliciens. Tantôt c’est le Rwanda et le
Burundi qui coalisent pour envahir la RDC ou empêcher l’invasion de l’autre à partir
de son territoire.
 Les causes profondes et les incompatibilités du conflit.
La conflictualité dans l’Est du Congo s’inscrit dans la logique de
l’instrumentalisation des ethnies de la région, la victimisation, les discours politiques
et les frontières. Elle renvoie aux mouvements migratoires depuis l’époque coloniale
et à l’histoire du peuplement de la plaine de la Ruzizi par les ethnies Tutsi venues du
11
Rwanda et du Burundi pour servir de main-d’œuvre locale dans les entreprises de la
place. L’héritage historique fait des fréquents mouvements migratoires
transfrontaliers un véritable mode de vie des populations de cette sous-région. Ils
contribuent à poser les bases des situations conflictuelles au niveau régional. Le
Rwanda va brader/ignorer les griefs historiques et identitaires pour pousser une
partie de sa population à aller s’installer en RDC.
Le Burundi, fait de même pour maintenir son emprise sur la ville frontière de
Gatumba, le secteur de Kiliba-ONDS en RDC et soutenir les Congolais d’origine
burundaise à asseoir leur pouvoir dans la collectivité-chefferie congolaise de Luberizi-
Mutarule. Le pouvoir en RDC instrumentalise les controverses d’ordre coutumier
autour de l’accès à la terre pour confronter les populations dites ‘autochtones’ à celles
considérées comme des ‘étrangers’ ou des ‘immigrants.
De la manipulation ethnique à l’instrumentalisation de l’histoire pour nourrir
la peur et renforcer leur légitimité et leur pouvoir, les dirigeants politiques étalent la
mauvaise gestion des affaires foncières et la mal gouvernance27.
D’une manière globale, les incompatibilités sources de conflits seraient la
gestion de la terre, des frontières et du voisin. Les dirigeants des États de la région, en
particulier le Rwanda, ont besoin de ces richesses pour asseoir leur pouvoir et surtout
élargir leurs zones d’influence au-delà de leurs frontières dans une région riche en
minerais, dont les terres peuvent aussi servir de déversoir. Les dirigeants de la RDC,
invoquant des lois et normes peu claires, refusent le droit à la terre et au pouvoir
coutumier aux peuples Tutsi d’origine burundaise et rwandaise. De par ces positions,
ils paraissent résister à la tentative de la révision des frontières et du partage égal des
ressources selon le principe de l’Union Africaine consacrant la souveraineté et le
respect de l’intangibilité des frontières issues de la décolonisation. Les dirigeants
congolais tirent leur pouvoir de la terre et des richesses du pays et ils ne sont pas
disposés à les partager avec d’autres28.
Comme on peut le constater, les trois parties poursuivent des objectifs
incompatibles qui les mettent en confrontation violente à l’image du conflit violent qui
persiste entre deux ethnies de la zone frontalière de Mutarule, située à l’est de la RDC,
tout près du Burundi.
 Analyse de la violence structurelle en présence
Le conflit ‘de Mutarule’ est à la fois un problème ethnique propre à la RDC et
un problème régional. Il oppose deux groupes ethniques constitués de Barundi et de
Banyarwanda (Banyamulenge) qui s’affrontent régulièrement pour les terres et le
pouvoir (Crisis Group, HRW, 2014, RFI publiée le 7/6/2014). Récemment, dans la nuit
du 6 au 7 juin 2014, au moins trente civils de l’ethnie Bafuliru, majoritairement des
femmes et des enfants ont été tués à l’arme blanche et par balles, pour la plupart alors
qu’ils dormaient dans une église protestante après avoir participé à une assemblée
générale de fidèles.

27 Michel FOUCHER, L’obsession des frontières, Paris, Edition Perrin, 2012, p. 52. 12
28 Lire Yves PERSON, « L’Afrique noire et ses frontières », Le mois en Afrique, n°80, août 1972, p. 21.
L’outil du Triangle de la violence va nous permettre d’analyser les éléments et
les relations qui les lient en rapport avec les comportements, les structures et les
perceptions.
Concernant les comportements hostiles, les attaques et menaces ont été
violentes et ont entraîné le pillage des biens et ressources ainsi qu’une discrimination
sociale. Les forces de l’ordre en majorité d’origine Tutsi (burundaise et rwandaise) ont
procédé à des massacres et rapidement assuré la protection des leurs au moment où
les milices ethniques des Bafuliru s’organisaient pour venger leurs compatriotes,
barricadaient les routes et s’adonnaient à la chasse aux sorciers.
La particularité dans ce conflit est que il n’y a pas de guerre totale, mais des
expéditions punitives et meurtrières de la part des militaires et des milices de deux
ethnies Tutsi qui entraînent la non reconnaissance des droits des individus de vivre en
paix.
Du point de vue des structures, le manque de clarté ou de transparence des lois
en matière de gestion des terres et de la nationalité favorise les hostilités.
La violence vient de la non-reconnaissance aux Barundi et aux Banyarwanda
du droit à la terre et au pouvoir à cause de lois et de dirigeants qui ne les protègent
pas totalement.
5. En Afrique orientale et australe
Les différends de frontières n’ont pas non plus épargné l’Afrique orientale et
australe. Ainsi, un conflit frontalier lacustre a-t-il opposé la Tanzanie et le Malawi au
sujet du lac Nyassa de 1964 à 196829. Outre ce conflit, la Tanzanie était aux prises avec
l’Ouganda entre 1978-1979 au sujet de la zone connue sous le nom de Kagéra30.
Dans cette partie du continent, deux conflits d’une portée particulièrement
grave sont survenus entre la Somalie et l’Éthiopie sur les zones de Haud et d’Ogaden
conclu provisoirement par les armes entre 1961 et 196431, puis entre 1977-1978 d’une

29 Michel FOUCHER, L’obsession des frontières, p. 52. 13


30 Ibid., p. 25.
31 Ba ADOUL, et autres, « L’Organisation de l’Unité Africaine », pp. 131-132.
part, entre la Somalie 32et le Kenya d’autre part à propos de toute la région frontalière
du Nord connue sous le nom de Northern Frontier District (N.F.D.) habitée par des
populations Somalis au Kenya].
Enfin, la résurgence d’un vieux conflit territorial sur quelques centaines de
mètres au bord du détroit de Bab Al-Mandeb, lié à une divergence d’interprétation de
l’accord franco-italien de 1901, a dégénéré en mini-conflit armé entre l’Erythrée et le
Djibouti en mai 2008. Un plan de médiation du Qatar approuvé par les deux pays le 9
juin 2010 a permis de trouver un accord33.
Les différents conflits susmentionnés constituent un aperçu sommaire des
conflits frontaliers interétatiques qui ont émaillé l’histoire post-coloniale de l’Afrique.
En plus de ce type de conflit, plusieurs Etats du continent ont été déstabilisés par des
conflits de contestation interne des frontières, qui ont ressuscité des homogénéités et
convivialités ethniques et identitaires profondes.
B. Conflits sécessionnistes et scission d’États en Afrique
1. Les conflits sécessionnistes
Ils constituent une contestation des frontières étatiques venant de l’intérieur,
tandis que les conflits frontaliers interétatiques représentent une contestation de
frontières venant de l’extérieur. Qu’on soit dans un cas ou dans l’autre, il s’agit d’une
menace contre les frontières déjà établies, et le « principe d’intangibilité » des frontières
africaines déclare solennellement que tous s’engagent à respecter les frontières existant
au moment où ils ont accédé à l’indépendance. Par l’adoption de ce principe,
l’OUA/UA s’engage clairement en faveur de la non-remise en cause des frontières
établies au sortir des indépendances.
Cependant, plusieurs conflits sécessionnistes ont donné lieu à des
affrontements intercommunautaires ou des guerres civiles ayant pris des dimensions
régionales dans bon nombre de cas. En Afrique de l’Ouest, plusieurs velléités
sécessionnistes ont ébranlé la stabilité régionale depuis l’adoption du principe de non-
remise en cause des frontières. Il s’agit notamment du mouvement sécessionniste
Sanwi qui a marqué la Côte d’Ivoire. En effet, tirant argument de la signature d’un
traité de protectorat avec la France en 1843, une partie de l’élite Sanwi exige la
séparation de cette partie du sud-est de la Côte d’Ivoire en vue de son rattachement au
Ghana. Mais cette exigence n’a pu être satisfaite. En 1963, puis en 1969, les récidivistes
séparatistes Sanwi ont refait surface pour réclamer cette fois-ci leur sécession. Ceci
provoque une sévère répression à leur égard, faisant plusieurs morts et la fuite des
leaders séparatistes vers le Ghana34.
Dans la même période, éclate la guerre du Biafra au Nigéria, avec la sécession
du sud-est du Nigéria et la proclamation de la République du Biafra le 30 mai 1967 par
l’ethnie chrétienne minoritaire Ibo. Cette revendication indépendantiste déclenche une
guerre civile meurtrière durant trois ans (1967 à 1970) et fait un à deux millions de
morts.
Si les deux cas précédents ont pu être maitrisés, celui du Sénégal demeure plus
persistant. En effet, depuis 1982, le Sénégal est confronté à une rébellion sécessionniste

32 Ghali Boutros-BOUTROS, Les conflits de frontières en Afrique, Paris, Editions Techniques et Economiques, 14
1973, pp. 23-24.
33 L’Atlas 2010. Le monde diplomatique, Paris, Armand Colin, 2009, p.165. et Michel FOUCHER, L’obsession des
frontières, p. 190.
34 « Côte d’Ivoire, 50 ans d’indépendance 1960-2010 », Jeune Afrique, numéro spécial, n°3, p.37.
en Casamance35 où le groupe indépendantiste armé Diola mit sur pied le Mouvement
des forces démocratiques de Casamance (M.F.D.C.). À la fin des années 1990, des
milliers de personnes ont trouvé la mort et plus de 20 000 Sénégalais ont fui la région.
L’armée sénégalaise est déployée, et les combats persistent jusqu’à la signature d’un
cessez-le-feu en 1993. Depuis lors, plusieurs tentatives de résolution effective ont
échoué et la crise perdure jusqu’à ce jour.
2. En Afrique équatoriale
En Afrique équatoriale, la République Démocratique du Congo, l’ex-Zaïre, a été
déstabilisée par plusieurs conflits sécessionnistes. Elle a connu 24 tentatives de
sécession entre 1946 et 1998 (Katanga, Haut Congo, Kwilu, Kasaï, Kivu …)36.
Indépendante le 30 juin 1960, le premier conflit séparatiste qu’elle connut fut celui du
Katanga. Le pays fut au bord du démembrement car, une douzaine de jours après
l’indépendance, le 11 juillet, la province du Kantaga se proclama unilatéralement
indépendante et prit le nom d’Etat du Katanga. Les irrédentistes katangais entretenaient
le rêve d’un Etat Bakongo couvrant en plus du Katanga en République Démocratique
du Congo, une partie du Congo-Brazzaville et du Cabinda dans la région septentrionale
de l’Angola. Cette guerre fut la cause de plusieurs tentatives de sécession (1960, 1977,
1978)37.
La situation fut encore compliquée par une autre sécession au Kasaï où les Luba-
Kasaï en butte aux persécutions des Luluwa exigeaient la création d’un ensemble où ils
seraient en sécurité. Face à l’opposition du gouvernement de Lumumba, le 8 août 1960,
Albert Kalondji proclame alors l’indépendance du Sud-Kasaï et fixe sa capitale à
Bakwanga (Mbuji-Mayi depuis 1996). Après la disparition de Lumumba en janvier
1961, des rébellions lumumbistes éclatent dans l’Ouest, au Kwilu, au Mani et au Kivu,
et cela aboutit même à la création d’une République populaire du Congo à Stanleyville
où sont massacrés indistinctement Africains et Européens38.
Depuis son indépendance, les conflits récurrents et les tentatives de sécession
ont fortement contribué à déstabiliser la RDC. L’instabilité qu’elle connait aujourd’hui
encore est particulièrement accrue à l’Est, notamment dans les régions frontalières
avec le Burundi, l’Ouganda et le Rwanda. Le Rwanda a même exprimé ouvertement
ses prétentions annexionnistes sur le Kivu39. Selon l’ONU, le Rwanda constituait en
2012 une plaque tournante du commerce illicite des pierres précieuses congolaises. Par
le biais de mouvements subversifs comme le Congrès national pour la défense du
peuple (CNDP) composé de Tutsi congolais ou Banyamulenges, puis du M23, le

35 L’hostilité des casamançais s’est manifestée bien avant les indépendances au sujet leur rattachement au Sénégal.
15
En effet la majeure partie du territoire qu’occupe aujourd’hui la Casamance constituait autrefois le royaume de
Kasa. Le roi (mansa) de Kasa, qui réalisait de nombreux négoces avec les Portugais, donna probablement son nom
à la région (adaptation portugaise de « Kasa mansa »). Dernier bastion de ce qui est aujourd’hui le Sénégal à tomber
sous la coupe européenne (en 1903), la région abrita des poches de résistance active jusqu’à la fin de la Première
guerre mondiale. Isolée de la partie nord du pays, bien plus vaste, la Casamance conserve une identité propre ;
ainsi, nombre de ses habitants ont gardé leurs croyances traditionnelles, face à un Sénégal septentrional largement
islamisé.
36 Michel FOUCHER, L’obsession des frontières, p. 53.
37 Elikia M’BOKOLO et J.L.AMSELLE, Au cœur de l’ethnie. Ethnie, Tribalisme et Etat en Afrique, Paris, Découverte,

1985, pp. 185-226.


38 Bernard LUGAN, La question des frontières, pp. 311-314.
39 Romain YAKEMTCHOUK, La politique extérieur de l’Union Européenne, Paris, Harmattan, 2005, pp. 420-427.
Rwanda exerce une mainmise sur cette région frontalière afin de parvenir à ses fins
politiques et économiques40.
Au contraire des cas restés lettre morte depuis 1964, deux pays, notamment
l’Erythrée et le Sud Soudan ont obtenu un bon de sortie de la part de la communauté
internationale. Dans le premier cas, pendant 40 années de cohabitation difficile et de
tensions permanentes, l’Érythrée n’a eu de cesse de livrer des combats contre
l’Éthiopie. Affaiblie au moment de la chute du mur de Berlin, l’Éthiopie reconnaît le
droit de l’Erythrée à organiser un référendum. Ainsi en 1991, l’Erythrée a pu organiser
un référendum d’autodétermination pour avaliser son divorce avec l’Ethiopie et
accéder à l’indépendance en 1993.
Dans le second cas, après un demi-siècle de conflit armé ayant fait plus de deux
millions de morts, le Sud Soudan est né à l’issue d’un référendum d’autodétermination
intervenu le 9 juillet 2011. La scission du Soudan consacre de fait, la partition du plus
vaste pays du continent africain (2 505 813 km2, soit 1,7 % de la surface des terres
émergées). Nonobstant la déclaration de son indépendance, le 193ème membre des
Nations Unies et 54ème État membre de l’UA n’a pas encore connu la stabilité.
Dans un cas comme dans l’autre, la séparation consentie n’a pas apporté de
paix réelle, les nouvelles frontières établies sont régulièrement en proie à de vives
tensions. La paix entre l’Éthiopie et son ancienne région d’Érythrée est demeurée
précaire depuis plus de vingt ans. Ils avaient mené une guerre pour le contrôle de la
zone frontalière de Badme qui a fait une centaine de milliers de morts de 1998 à 2000.
Un accord signé en 2003 prévoyait la démarcation de leur frontière par une
commission indépendante. Mais en septembre 2003, le tracé de la frontière décidé par
ladite commission fut rejeté par l’Éthiopie41.
Par ailleurs, après avoir voté à 98% pour la partition du Soudan, les électeurs
du Sud pensaient qu’un point final allait être mis à la guerre. C’était sans compter avec
le lourd contentieux territorial et pétrolier opposant les deux États. Au centre du
contentieux territorial se trouve la lutte entre les populations Arabes et Dinka soutenues
respectivement par Khartoum et Djouba pour le contrôle de la région frontalière
d’Abyei. Le statut de la région contestée d’Abyei (un territoire grand comme le Liban),
à la frontière entre les deux Etats a été une des principales pierres d’achoppement et
de conflits. Laissées en suspens par l’accord de paix de 2005, qui a mis fin à des
décennies de guerres civiles entre les rebelles du Sud et le gouvernement de Khartoum
et débouché sur l’indépendance du Sud Soudan, les tensions entre les deux pays
autour de cette question ont dégénéré en conflits frontaliers. Le 21 mai 2011, les forces
de Khartoum prirent le contrôle de tout le saillant d’Abyei et poussèrent jusqu’au Badr
el-Arab, mettant les deux pays en situation de pré-guerre. Moins d’un an plus tard, le
10 avril 2012, l’armée sudiste envahit Heglig, zone produisant 50% de tout le pétrole
extrait dans le Nord-Soudan et qui touche le saillant d’Abyei. Le 20 avril, de violentes
représailles armées permirent ensuite aux forces armées du Nord de reprendre le
territoire perdu. Le but stratégique du Sud-Soudan à travers cette offensive surprise à
Heglig, était surtout de détruire les infrastructures pétrolières afin d’affaiblir davantage
le Nord-Soudan et pour le contraindre à accepter, à la fois ses revendications
territoriales et celles portant sur le coût du transit de son pétrole, et cela, en attendant

40 Bernard LUGAN, La question des frontières, pp. 325-327. 16


41 Romain YAKEMTCHOUK, La politique extérieur de l’Union Européenne, Paris, Harmattan, 2005, 428.
la construction de nouveaux pipelines sudistes au Kenya et en Éthiopie, avec lesquels
le Sud a signé deux accords pour favoriser le désenclavement de ses produits
pétroliers42.
La persistance des conflits armés, même plusieurs années après le référendum
d’autodétermination consensuel et la constitution de nouvelles entités étatiques
conformément aux exigences des mouvements séparatistes, montre que ce processus
ne garantit pas forcément la stabilité et un climat de coexistence pacifique entre les
deux parties de l’ancien État divisé. À cet égard, il est nécessaire à l’avenir de bien
évaluer et de traiter tous les facteurs de risque de conflit ouvert, notamment la question
de la délimitation précise des frontières, avant la tenue de référendum
d’autodétermination. Ce d’autant plus que cette question constitue le dénominateur
commun des deux conflits « post-sécession » que connaît l’Afrique.43
L’analyse des conflits de frontières en Afrique et des refontes de frontières
étatiques dans la Corne de l’Afrique révèlent les limites, voire l’échec de
l’intangibilité des frontières qui avait pour objectif de pacifier et de stabiliser les
confins des États, afin d’éviter la dislocation des fragiles édifices étatiques hérités de
la colonisation. Face à ce bilan peu reluisant, un demi-siècle après, il s’avère important
de déceler les difficultés liées à l’application du « principe de l’intangibilité » des
frontières en Afrique, et en dégager des perspectives de solution.
II. Intangibilité des frontières. Défis de paix et de stabilité en Afrique
La persistance et la résurgence des conflits de frontières en Afrique permettent
d’affirmer, que la mission de stabilisation et de consolidation des frontières fondée sur
le « principe de l’intangibilité » n’a pu être réalisée de façon satisfaisante. Dès lors, il
parait nécessaire de relever les difficultés qui ont conduit à ce résultat.
En effet, dès les premières années de son adoption, l’intangibilité des frontières
fut l’objet de graves confusions du point de vue sémantique et conceptuel. Ceci eut
comme résultat immédiat de l’assimiler au principe de l’intégrité territoriale. En
l’absence d’une définition précise et univoque, les auteurs ont été amenés à faire des
assimilations approximatives, voire des confusions conceptuelles, confondant
l’intangibilité avec l’uti possidetis et l’inviolabilité des frontières.
De plus, au moment de son adoption, certains dirigeants africains estimaient
que ce principe était en contradiction avec le droit à l’autodétermination des peuples,
inscrit dans la charte des Nations unies dont ils sont membres, notamment à l’occasion
des mouvements touaregs au Mali en 1961 et 1963, au début de la guerre du Sud-
Soudan et de la célèbre guerre sécessionniste du Biafra qui a failli faire éclater la
fédération du Nigeria en 1967. Pour le président Nyerere de la Tanzanie de 1962 à 1985,
il s’agit d’une doctrine cynique dans son anti-universalisme selon laquelle le droit
d’autodétermination ne pourrait être invoqué qu’une seule fois, à l’encontre des
puissances colonialistes et, en aucun cas, à l’encontre des Etats décolonisés44.
Au niveau pratique, l’application d’une telle disposition était particulièrement
périlleuse, car les frontières n’avaient pas été clairement délimitées entre les Etats
africains et leurs tracés étaient régis par des textes imprécis. Antony Reyner dénombre
quarante-deux frontières qui n’ont jamais été démarquées ainsi que quatre jamais

42 Jon WORONOF, « Différends frontaliers en Afrique », Le Mois en Afrique, 1972, p. 62. 17


43 Lire Intangibilité des frontières coloniales et espace étatique en Afrique, Paris, Bibliothèque Africaine et Malgache,

1989, p. 184.
44 Des frontières en Afrique du XIIe au XXe siècle, Paris, UNESCO, 2005, pp. 36-37
délimitées. Le Programme frontière de l’UA, dont l’objectif est d’œuvrer à la
délimitation et à la démarcation précises des frontières en Afrique confirme ces
données et va plus loin. Il révèle que seulement moins de 1/3 des frontières en Afrique
sont précisément définies45. Dans ces conditions, il parait incohérent de consacrer
l’intangibilité des frontières africaines, alors que plus de 67% de celles-ci sont
inexistantes. L’histoire montre que les frontières non clairement définies constituent
une importante source de conflits entre les États. Les conflits frontaliers entre
l’Éthiopie et l’Érythrée ou entre le Soudan et le Sud-Soudan l’attestent bien.
Au vu de ce qui précède, on se rend compte que l’intangibilité de frontières n’était
guère de grand secours, car l’agrégat de confusions qui l’entoure (absence de définition
claire et univoque, délimitation imprécise des frontières entre les États…) ne pouvait
que présager le bel avenir des conflits de frontières en Afrique. Un demi-siècle après
l’adoption du principe sacro-saint de l’intangibilité des frontières, l’Afrique demeure
confrontée à de nombreux conflits de frontières. Le résultat de paix et de stabilité
territoriale qui l’a motivé n’a pu être réalisé. On a noté en revanche, une recrudescence
des conflits territoriaux faisant des frontières une source majeure de conflits et
d’instabilité socio-politique en Afrique.
En outre, l’insuccès des politiques de gestion des frontières tant au niveau
étatique, qu’à l’échelle continentale découlent de l’inadéquation entre celles-ci et les
exigences ethniques, culturelles et socio-économiques des peuples qu’elles séparent.
Car ce n’est pas seulement la frontière comme ligne de démarcation entre deux espaces
politiques qui est le problème, c’est aussi la gestion des populations dans ces espaces
qui pose obstacle. Ceci exige donc que la problématique des frontières en Afrique soit
réexaminée en tenant compte des spécificités et des réalités dynamiques de chaque
peuple concerné et non pas se fier uniquement aux considérations générales politico-
juridiques. Les frontières sont des créations humaines qui doivent être en adéquation
avec leurs exigences légitimes au fil du temps.
D’ailleurs, en optant pour le maintien des frontières au sortir des
indépendances, les pères fondateurs, partisans du statu quo territorial en avaient
conscience. Ils visaient un processus « d’unité par étapes progressives » qui
commencerait d’abord par la consolidation des « unités intermédiaires » que sont les
territoires nationaux. C’est dans ce sens que le président sénégalais L. S. Senghor a
recommandé à ses pairs d’avancer pas à pas et de procéder à tout processus
d’unification par étapes46.
L’UA et ‘obligation de respecter la vision de ses pères fondateurs
L’UA doit s’approprier davantage cette vision de ses pères fondateurs qui garde
encore toute sa pertinence, et tenir compte des exigences actuelles, pour élaborer des
politiques concrètes susceptibles de contribuer à surmonter les problèmes de frontières
en Afrique47. Pour ce faire, l’organisation continentale devrait passer à une seconde
étape, ne serait-ce qu’en élaborant par ensemble régional des politiques dynamiques
de dépassement pour atténuer l’effet barrière des frontières actuelles en vue de les

45 Rapport de la réunion d’experts sur le programme frontière de l’Union Africaine, Bamako, Mali, mars 2007. 18
46 Tredano Abdelmoughit BENMESSAOUD, La politique extérieur de l’Union Européenne, Paris, Harmattan, 2005,
47 A cet effet, la mise en œuvre du Programme frontière de l’Union africaine (PFUA) par la première conférence des

Ministres africains chargés des questions de frontière qui s’est tenue à Addis Abéba le 7 juin 2007 et sa
matérialisation d’ici à 2012 est à encourager. Cependant, aucun plan de mise en œuvre concret ne fut élaboré pour
faciliter sa réalisation et le chronogramme d’exécution n’est toujours pas respecter.
transformer en zones de partage et de solidarité pour faciliter le processus
d’intégration entre les peuples. Ceci pourrait contribuer in fine, à promouvoir la
conversion des frontières de leur statut actuel de barrières, voire de fronts, en ponts
d’interpénétration enrichissante pour assurer l’équilibre nécessaire à une coexistence
pacifique entre les peuples et à une stabilité durable48.
Par ailleurs, les actions de l’UA doivent impérativement se conjuguer avec celles
des États. Car les réponses sont aussi internes et résident dans l’élaboration de bonnes
politiques nationales d’intégration des minorités, de décentralisation et de péréquation
des ressources ; ainsi qu’une grande flexibilité dans la gestion des barrières extérieures,
lorsqu’elles recoupent des entités humaines homogènes comme les Touaregs. Quant
aux Etats limitrophes concernés par l’imprécision des frontières, ils doivent s’inscrire
dans un processus de régularisation des limites frontalières comme c’est le cas entre le
Bénin et le Nigéria, qui se sont accordés en 2004, pour restaurer les anciens piliers
installés entre 1912 et 1914, par une commission franco-britanique et pour organiser
l’échange d’une dizaine de villages selon l’appartenance socio-ethnique des
populations49.
Conclusion
« Si toutes les frontières sont artificielles, celles des États du continent africain
le sont plus que toutes les autres, c’est pourquoi elles contribuent si largement à
perpétuer l’instabilité et le sous-développement », affirme Boutros Boutros-Ghali50. La
recherche de solutions africaines aux multiples conflits de frontières qui déchirent le
continent est encore loin de porter les résultats à la hauteur des défis. Comme en
témoigne la persistance des conflits de frontières en Afrique. La question des frontières
constitue un enjeu crucial pour les perspectives de paix et de stabilité en Afrique. Si
l’Afrique n’entreprend pas de changement pour surmonter les défis liés à ses
frontières, elle risque de voir se déclencher encore d’autres conflits et perdre des
possibilités de paix et de développement.
À l’ère de la globalisation, l’Afrique aurait peu à gagner à épouser passivement
la conception de frontière selon le modèle inventé jadis en Europe et aujourd’hui
démythifié par les accords de Schengen. Ceci est devenu une nécessité impérative,
dans la mesure où les activités d’exploration pétrolière avec l’utilisation de nouvelles
technologies de pointe, peuvent exhumer des gisements transfrontaliers terrestres (cas
du bassin du Touadeni entre l’est mauritanien et le nord-ouest malien) ou marit51imes
(ressources hydrocarbures dans le Golfe de Guinée entre la Côte d’Ivoire et le
Ghana)52. Du fait des découvertes de gisements de pétrole offshore et d’autres
ressources de diverses natures, les facteurs de risque de voir de nouveaux conflits
de frontières naitre ou resurgir des conflits latents est bien réel. Face à ces défis, l’UA
devrait s’inscrire dans une dynamique d’anticipation. Car après cinquante ans de statu
quo territorial émaillé de conflits de frontières de tout acabit, l’option à exclure
aujourd’hui, doit être le statu quo politique.

48 Des frontières en Afrique du XIIe au XXe siècle, Paris, UNESCO, 2005, pp. 36-37 19
49 Michel FOUCHER, L’obsession des frontières, Paris, Edition Perrin, 2012, pp. 53-54.
50 Ghali Boutros-BOUTROS, Les conflits de frontières en Afrique, Paris, Editions Techniques et Economiques, 1973,

p. 81.
51 Michel FOUCHER, L’obsession des frontières, pp. 53-54.
52 Rapport de la 7ème réunion de la commission mixte ivoiro-ghanéenne de la délimitation de la frontière maritime,

décembre 2013.
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