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Driss Chraïbi par lui-même LIRE
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p. 331-383

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TEXTE NOTES

TEXTE INTÉGRAL
MODE LECTURE

1 Entré à la R.T.F. peu après la publication des Boucs, Driss


Chraïbi s’est pris de passion pour « l’art radiophonique »
RECHERCHER DANS LE LIVRE (MAC, p. 88), un langage nouveau qui n’a pu être sans
OK EPUB
incidence quant à sa conception de l’écriture : la qualité des
effets scéniques, des ressorts dramatiques, et « l’oralité »
TABLE DES MATIÈRES
qui caractérisent des romans comme La Civilisation... et Une
CITER PARTAGER enquête au pays lui en sont probablement redevables. C’est
un pan considérable de sa carrière, une facette de l’écrivain PDF DU LIVRE
AJOUTER À ORCID
encore bien méconnue que recouvre l’expérience
radiophonique. « Cette magnifique tranche de [s]a vie »
(MAC, p. 88), il l’aborde avec bonheur et nostalgie dans Le
Monde à côté, soucieux de saluer le travail d’équipe qui, PDF DU CHAPITRE
pendant de nombreuses années, a permis de réaliser
quantité d’adaptations, d’assurer la diffusion auprès des
auditeurs français d’œuvres littéraires d’origines diverses
(africaines, américaines, russes...) et, avec la série « Théâtre
noir », de « faire entendre les bouleversements de FREEMIUM

l’Afrique » (MAC, p. 100). Sur ce dernier plan, l’entreprise Suggérer


était, semble-t-il, parfois audacieuse ; ainsi, l’adaptation de l'acquisition à
La Seconde avenue, en 1965, qui aurait suscité des votre
bibliothèque
protestations de la part de l’ambassade de la République
sud-africaine à Paris : « Le directeur des programmes me
couvrit, faisant valoir qu’il s’agissait d’une œuvre de fiction, ACHETER

culturelle en quelque sorte. Le roman que j’avais adapté


pour la radio était d’Ézekiel Mpalele, qui croupissait dans VOLUME
une geôle de l’apartheid pour appartenance à l'African PAPIER

National Congress » (MAC, p. 103). L’importance croissante LCDPU


de la musique à partir de Mort au Canada n’est pas non plus
Place des
sans lien avec cette carrière menée en parallèle à la création
libraires
littéraire, et Chraïbi revient à plusieurs reprises dans Le
Monde à côté sur la nouvelle appréhension du monde qu’il a leslibraires.fr
pu acquérir : « Radiophonique depuis des décennies, mon
Decitre
oreille mixait instantanément ces chants et ces musiques en
un fondu enchaîné dans l’espace et dans le temps » (MAC, Mollat

p. 209), souligne-t-il à l’occasion du récit d’un repas festif amazon.fr


partagé, en sous-sol, avec le personnel de l’hôtel
montréalais, lorsqu’il a été accueilli au Québec pour
participer avec d’autres écrivains à un séminaire sur « le
rêve américain ».

2 Les tapuscrits des dramatiques, grandement amputées en


l’absence de la bande audio, ne sont pas réellement
représentatifs de ce travail d’ajustement, même s’ils
comportent toutes les précisions d’usage relatives à
l’insertion des musiques ; une dimension essentielle fait
donc défaut, qui permettrait d’appréhender correctement
tous les éléments ayant donné vie à ces pièces, à
commencer par les voix des acteurs. Et Chraïbi ne manque
pas de rendre hommage à ces acteurs d’un genre
particulier, soulignant la performance que constitue ce jeu
privé de gestuelle où les inflexions de voix et les bruitages
sont les seuls recours pour restituer l’image :
La radio avait ses lois : la parole, le bruitage, la musique
et le silence – en osmose et symbiose. Et il y avait la
respiration entre certaines phrases, voire entre deux mots
mais pas n’importe lesquels, la couleur de l’ambiance
jour ou nuit, le rythme du phrasé et le mouvement du
texte. Il fallait éviter les temps morts, les redites, les
tirades surtout, ces longs tunnels où le comédien
s’engageait pour en faire des morceaux de bravoure et
s’écoutait parler comme s’il était seul sur scène. Il n’y
avait pas de scène, pas de public, pas
d’applaudissements. Juste un micro devant lequel se
trouvait l’acteur ou l’actrice pour traduire les émotions et
les résonances de ces émotions, uniquement par la voix.
Souvent, nous ne voyions que le dos de l’interprète qui ne
pouvait rien voir de nos réactions dans la cabine [...]. Le
jeu tout en nuances de Michel Bouquet pouvait
matérialiser de visu ce que seule l’oreille entendait ; Jean
Topart faisait chanter les inflexions de sa voix ; celle
d’Annie Sinigalia était un rire communicatif ; Jean-Roger
Caussimon puisait la sienne à la source du poème ;
Charles Vanel était littéralement le vieil homme et la mer ;
et Pierre Vaneck, Bernadette Lafont, Pierre Trabaud... Oh !
oui, j’avais plaisir à travailler avec eux. J'étais à leur
écoute. Des années plus tard, une résonance se répercuta
dans La Mère du Printemps : « Maintenant encore, Yerma
croit à la magie de la voix humaine. Elle peut tout faire :
assombrir le ciel ou faire manger un daim dans le creux
de la main. Tout dépend des sons qui montent du cœur
aux lèvres. » On voudrait que rien ne ternisse, que rien ne
meure ! Certaines de ces chères voix se sont tues.
Demeure en moi le souvenir, vivace. (MAC, p. 95-99)
3 Adaptant ses propres romans pour la radio, Chraïbi a pu y
apporter des retouches d’importance, parfois nécessitées
par le support spécifique qui les accueillait, parfois encore
par plaisir de la mise en scène ou, simplement, pour styliser
des éléments dramatiques. Les indications scéniques
portées sur les tapuscrits ne sont pas toujours
représentatives des tonalités particulières que Chraïbi
entendait conférer à certains rôles, et il faut s’en remettre
aux récits qu’il fait de quelques réalisations dans Le Monde
à côté. Ainsi, les répétitions mouvementées de Succession
ouverte ne s’arrêtent pas à la relation des aléas du travail
d’équipe mais éclairent les intentions qui présidaient au
roman, levant par exemple toute équivoque sur la peinture
du personnage du Seigneur et empêchant de le percevoir
comme une antithèse monolithique du précédent :
Alain Curry [...] s’obstinait à interpréter son rôle en « père
noble », alors que le père en question présentait certaines
ambiguïtés de comportement. C’était dans Succession
ouverte, que j’avais adapté en une longue dramatique à la
demande de Henry Barraud et que réalisait le regretté
José Pivin. Pivin était partagé entre l’acteur et l’auteur.
Cela dura presque une matinée. Alain Cuny voyait son
personnage selon son point de vue, qui n’était pas le
sien. Il me fit valoir qu’il avait joué du Claudel et je lui
répondis que je n’avais jamais lu cet auteur dont
j’entendais le nom pour la première fois. Je suais sang et
eau, lui aussi. A un certain moment, il se coucha de tout
son long dans le studio, sur le dos, ferma les yeux. Il finit
par se relever pour me dire : « Je vais vous le jouer à
contre-emploi, ce bon Dieu de père. » Ce fut une
réussite. (MAC, p. 97)
4 Le Passé simple n’ayant jamais été adapté, il devait importer 1. « Pour sortir de moi-
à Chraïbi de souligner lesdites ambiguïtés de même, j’écrivis Un ami

comportement, perceptibles dans le roman Succession


viendra vous voir dans la
fièvre et envoyai le manuscri
ouverte essentiellement du fait de la surimpression avec le (...)
premier volet du diptyque relatif à la famille Ferdi. Le Passé
simple n’est pas le seul roman à n’avoir jamais été proposé
aux auditeurs : Les Boucs et Mort au Canada n’ont pas eu
non plus les honneurs de la radio, alors que Chraïbi a
pratiquement adapté toute son œuvre, y compris les romans
les moins susceptibles de se prêter à la métamorphose
comme L’Âne. La difficulté de mettre en scène ces romans
extrêmement denses, caractérisés par une forte
déconstruction narrative, ne suffit pas à expliquer les
raisons de cette absence : L’Âne portait à son comble cette
pratique et elle ne s’est pas avérée rédhibitoire. Par ailleurs,
les ressources techniques de la production radiophonique
font des miracles et Chraïbi a relevé plus grand défi lorsqu’il
s’est attelé à diffuser sur les ondes Bivouac sur la Lune de
Norman Mailer. Les réticences de l’auteur sont à chercher
ailleurs que dans des contraintes techniques ou des sujets
qui seraient inappropriés à l’art radiophonique. De même, il
est probable que ce n’est pas parce que Chraïbi considère
aujourd'hui Mort au Canada comme un livre mineur qu’il ne
l’a pas adapté, puisqu’il ne pose pas un regard plus avenant
sur Un ami viendra vous voir 1, et que ce dernier a
néanmoins donné lieu au scénario d'un film – jamais tourné
– de 90 minutes en janvier 1973, sous le titre La Raison
folle. Quoi qu’il en soit, ces trois romans font figure
d’intouchables.
5 Les adaptations et productions se multipliaient dans la 2. Les Habitants du
première moitié des années soixante 2 et Chraïbi privilégiait marécage de Wole Soyinka,
Mission terminée de Mongo
la diffusion d’autres œuvres que les siennes ; mais entre
Péri, et L'Âne en 1964 ; Le
Succession ouverte – adapté l’année qui suivit sa publication So (...)
– et Un ami viendra vous voir, l’appel de la plume a dû
retentir parce qu’en 1966, loin pourtant d’être désoeuvré,
Chraïbi s’est lancé dans la réalisation de deux œuvres
inédites : Le Roi du monde (avril) et La Greffe (juin) sont au
coude à coude avec Agapes des dieux de Jacques
Rabemananjara (février), Fo Yoyo ou Sang mêlé de Joseph
Ameghoh (juillet), Vehi Ciosane de Sembène Ousmane
(octobre), Cette Afrique-là de Jean Ikellé-Matiba
(novembre), Le Monde à côté de Fritz Peters (novembre) et
Le Mandat de Sembène Ousmane (décembre). La carrière
prolifique de Chraïbi à FranceCulture a ainsi souvent
fusionné avec son activité d’écrivain, et ses œuvres font
accompagné de tout temps, qu’il s’adonne à leur réécriture,
qu’il y apporte de subtiles retouches, ou bien qu’il livre des
créations nouvelles.

Les inédits
Le Roi du monde
6 Le Roi du monde, réalisé par Georges Godebert 3, qui fait 3. Chraïbi a produit nombre
coïncider la date de la diégèse avec celle de la diffusion de d’émissions puis de
dramatiques avec Georges
la dramatique, le 9 avril 1966, relate l’accession à
Godebert, auquel il a dédié L
l’indépendance d’un petit pays africain imaginaire. La (...)
dramatique présente une facture classique qui ne met
quasiment pas à mal la règle des trois unités ; l’action se
déroule sur vingt-quatre heures : elle débute sur la
passation de pouvoir entre l’ancien gouverneur du
Nomoland, Henderson, et son nouveau Président, Kerofo ;
elle se poursuit sur le défilé des dignitaires, dépêchés par
les puissances occidentales pour prodiguer leurs largesses
intéressées ; et elle se termine sur le renversement de ce
pouvoir tout fraîchement établi, par l’armée, menée par le
cousin du Président qui s’est autoproclamé général,
gravissant les échelons aussi vite que l’achat de l’uniforme
le lui permet. Cette création radiophonique ne prétend pas
briguer la haute littérature, et elle est peut-être même pour
l’auteur – qui ne la mentionne jamais – une œuvre tout à fait
négligeable, mais elle n’en est pas moins digne d’intérêt.

7 D’une part, elle éclairerait les zones d’ombres qui entourent 4. Abdelkébir Khatibi,
l’affaire ayant conduit l’équipe de Souffles à s’attaquer au « Justice pour Driss
Chraïbi », Souffles no 3, op.
« problème Chraïbi » – une affaire que l’article sévère, « Je
cit.
suis d’une génération perdue », publié dans Lamalif le 15
avril 1966, n’aurait peut-être pas, à lui seul, réussi à
déclencher – et expliciterait les propos de Khatibi évoquant
la position politique « irréaliste » de Chraïbi 4. Les exposés
du Président Kerofo détaillant sa politique à son secrétaire
Coulibaye comportent des propos très explicites, même
sous couvert de la généralisation, et l’on concevrait qu’ils
n’aient pas eu une bonne réception :
KEROFO Toute ma vie, toute ma carrière politique a tendu
vers ce but : pouvoir un jour donner du pain à des
hommes comme celui-là, et les rendre dignes d’eux-
mêmes [...]. Je ne promets pas le paradis, je sais que je ne
suis pas un génie politique. C’est un crime, Coulibaye, tu
entends ? [...] de promettre à son peuple ce qu’on ne peut
pas tenir. D’autres bouleversent les structures sociales de
leurs pays de fond en comble, croyant par là même
s’attaquer au fond des problèmes. Ils amènent un plan,
un plan tout tracé, pensé, peut-être juste, remarque bien
– mais un plan tout de même. Et ils s’attachent bien plus
à la méthode pour arriver à une certaine vérité, qu’à cette
vérité elle-même [...]. Moi, je pars de l’homme. Et non
pas des théories. Je croirai au socialisme quand je le
verrai, en bon état de marche, pas avant [...]. Je suis dans
la disposition d’esprit d’un chef de famille qui tremble à
l’idée de spéculer avec l’argent des siens [...]. Je tremble à
l’idée de spéculer avec la vie des citoyens de ce pays.
C’est ainsi que je comprends l’indépendance, et pas
autrement. Une indépendance de chair et de sang, et
d’avenir. Pour eux, je ne suis qu’un rempart contre le
monde extérieur, et aussi un trait d’union entre ce monde
extérieur et la nation. C’est ainsi que je comprends mon
devoir de chef d’État – et pas autrement. Et c’est pourquoi
je refuse catégoriquement l’aide russe ou l’aide
américaine, toute aide d’où qu’elle vienne [...].
COULIBAYE Excellence, l’intransigeance n’est pas une
vertu politique.
KEROFO Et puis après ? Si nous avons des racines comme 5. Le Roi du monde,
plat de résistance, on n’en mourra point [...]. Maintenant tapuscrit, p. 43-44.
que nous sommes libres, j’entends par là aptes à
travailler, il faut que chacun de nous travaille pour gagner
son pain [...]. Quant à un système politique, je n’en veux
pas. Ce que je veux, c’est ce qui est à notre mesure : et
d’abord l’austérité, et j’en donnerai moi-même l'exemple.
Liberté de penser, liberté d’expression par tous les
moyens afin que l’homme de ce pays s’épanouisse. 5
8 Dans les adaptations comme dans les œuvres, les points de
vue s’entrecroisent, et l’on reconnaît bien là la veine
chraïbienne qui fait de la liberté d’expression le fer de lance
de son propos. Chraïbi n’épargne personne, là encore, et si
le Président Kerofo au début de la pièce est désarçonné par
l’intérêt international que suscite soudain l’indépendance de
son pays, son discours d’investiture ne se perd pas dans
l’émotion :
KEROFO (très ému, mais sa voix et son débit 6. Ibid., p. 8-9.
s’affermissent à mesure) Mesdames et messieurs... chers
concitoyens... [...] je ne sais par où commencer...
(il cherche ses mots) sinon... sinon que je n’en reviens
pas.
(mouvements divers) Oui, je n’en reviens pas ! Je l’ai dit et
je le répète : je me demande pourquoi l’accession du
Nomoland à l'indépendance nous vaut l’honneur... de la
présence ici de tant de personnalités illustres... [...] Vous
ne l’ignorez pas : le Nomoland est un pays tout petit,
sans ressources, sans pétrole, sans minerais d’uranium,
sans industrie d’aucune sorte... [...]. À bien considérer
l’histoire du Nomoland, où il ne s’est passé aucun
événement marquant depuis des siècles et des siècles, je
me demande même pourquoi... [...] pourquoi l’ancienne
puissance tutélaire avait pris la peine de le coloniser [...].
COULIBAYE (lui soufflant) Le thème de la liberté,
Excellence
KEROFO (fâcheusement interrompu) Quoi, le thème de la
liberté ?
COULIBAYE (même jeu) Mais la liberté de l'individu et de
la société est le bien le plus précieux...
KEROFO (qui a enfin compris) [...] Cependant, au siècle où
nous sommes, la liberté de l’individu et de la société est
un thème majeur : 6
9 D’autre part, c’est la seconde fois, après le roman La Foule,
que Chraïbi se lance véritablement dans la comédie et, en
comparaison, Le Roi du monde est une pièce assez bien
ficelée : les contraintes de l’adaptation radiophonique
aidant, il épure l’intrigue de ses récits secondaires qui
l’étouffaient dans la farce précédente. Certes, les séquences
dramatiques se répètent quelque peu : le défilé des
dignitaires, « bailleurs de fonds », réitère avec insistance
l’effet produit par les assauts journalistiques de départ ; en
outre, il s’étire, comme si Chraïbi s’appliquait à
l’exhaustivité pour mieux prouver que les uns et les autres
se valent, de quelque bord qu’ils soient. Le stéréotype
prévaut sur le « type », à cause de la répétition et des
caractérisations encore grossières : l’écrivain est
« précieux », l’Italien « fumiste », l’Allemand « épais, lourd,
sérieux », l’Américain « désinvolte, « efficace » », le Japonais
« toujours calme et très doux » ; le Russe, lui, n’est pas doté
de particularisme dans la liste des personnages, mais il se
présente « gai et jovial » dans la pièce. Chraïbi joue à gros
traits sur les accents mais, une fois encore, le tapuscrit n’est
pas représentatif du jeu des acteurs, et le rôle de l’Italien,
par exemple, avait toutes les chances d’être tenu avec un
accent qui ne se limitait pas à des distorsions phonétiques
de l’ordre d’un « coumé ça » pour « comme ça ». Plus
significativement que les accents, ce sont les idiolectes que
Chraïbi a travaillés, même si ce procédé n’a pas encore la
finesse qu’il peut revêtir dans Une enquête au pays ; la
parataxe sur laquelle il construit la tirade de l’Italien Léonti
se veut mimétique d’un débit rapide, et son discours,
caractérisé par des digressions, des redondances, une
accumulation qui va crescendo, oscille entre une verve
méditerranéenne et celle d’un vendeur à la criée :
LEONTI Et maintenant, vous vous demandez pourquoi je 7. Le Roi du monde,
vous parle de mon père, que vous n'avez jamais vu et qui tapuscrit, p. 22-23.
est mort depuis trente et neuf années... attendez,
attendez, j’y viens, j’y viens tout de suite et vous allez
comprendre dans un petit moment s’il vous plaît, tout
vous paraîtra clair, simple, lumineux, miraculeux, parce
que je vous le donne en mille, en dix mille, qué dis-je ?
en mille millions de milliards, je vous le dis à vous qui
m’êtes très sympathique et un homme comme il faut, ça
se voit tout de suite dans vos yeux pleins de bonté et
d’honneur, eh bien, savez-vous ce que j’ai trouvé dans le
coffre de mon défunt père ? Non, pas 10, ni 20, ni 100,
mais 500 carats, un diamant brut de 500 carats, qu’est-
ce que vous dites de ça 7 ?
10 Le Japonais Sisseda parle par paraboles 8, le Russe Kirowsky 8. « Honorable Grandeur, la
se présente comme il se doit en « camarade » ; seul race jaune dont je suis le
misérable représentant a eu
l’Allemand Heidelberg est affligé d’un parler petit-nègre des
à souffrir du colon (...)
plus marqués. Chraïbi a choisi de faire du Nomoland une
ex-colonie britannique et les portraits du gouverneur
Henderson et de sa femme les rendent assez sympathiques ;
mais il est amusant de voir que – parti d’un bon pas dans
l’énumération des « aides économiques » et, sans doute,
guère dupe lui-même du paravent britannique qu’il plaçait
devant cette accession à l’indépendance – Chraïbi avait
temporairement omis de mettre en scène le représentant
français, qui fait ainsi l’objet d’une séquence
supplémentaire, rajoutée au tapuscrit d’origine : à Pierre
Chaudemont, « technocrate pur », « alerte et nerveux », le
Président Kerofo oppose une fin de non-recevoir et l’on
retrouve les arguments que Chraïbi développait dans L’Âne.
KEROFO Vous croyez vraiment pouvoir changer notre 9. Le Roi du monde,
société presque médiévale en quelque chose de séquence ajoutée, tapuscrit
technocrate, avec votre arbitrage, votre prévention et p. 37-4 et 37-5.
votre SOCO... je ne sais pas quoi ? Monsieur
Chaudemont, avez-vous des houes ?
CHAUDEMONT Des houes ?
KEROFO Oui, des houes. Des bêches, des pelles, des
outils très simples que le paysan de chez nous ignore,
mais dont vous connaissez le maniement depuis des
années ? Et aussi un mode d’emploi afin que ce paysan
comprenne comment s’en servir ? [...] Demain est à la
mesure de nos moyens, je le crains.
CHAUDEMONT Monsieur le Président, vous vous moquez
de moi.
KEROFO En ai-je l'air ? [...] Ici, c’est une société ancienne.
Dans 50 ans, elle sera peut-être nouvelle. Là est toute la
dififiérence. Et nos cerveaux à nous ne sont pas à l’avant-
garde, mais à l’arrière-garde [...]. Faites-moi le plaisir de
revenir me voir disons... en l’an 2000. Non que je doute
de la sincérité de votre aide, mais votre SOCOCINOR est
trop à l’avance 9
11 L’inédit radiophonique n’est en rien détaché de la 10. Le Roi du monde,
production habituelle de Chraïbi, ses thèmes de prédilection tapuscrit, p. 20 ; « Dieu sait
que le monde est fatigué des
s’y retrouvent, ceux de L’Âne comme ceux de Succession
révolutions ! » (SO, p (...)
ouverte : « le monde est fatigué des révolutions », selon
Kerofo qui reprend là une remarque du Seigneur à
Abdelkrim 10. La stratégie de Kerofo, qui feint de passer
pour un idiot afin de tromper l’adversaire pose les bases de
la stratégie principale de l’inspecteur Ali des enquêtes et le
commandant Moma, retravaillé, ferait un bon chef
Mohammed.

La Greffe 11
12 La Greffe a été diffusé à peine deux mois plus tard, en juin 11. La production
1966, toujours dans une réalisation de Georges Godebert. radiophonique de Driss
Chraïbi commence à
Chraïbi ne mentionne pas plus que le précédent cet inédit,
intéresser le milieu
pourtant particulièrement intéressant. Les personnages, au universitaire, La Gref (...)
nombre de huit, nécessitent presque deux pages de
présentation et, d’emblée, ont un air de déjà-vu. Chraïbi, 12. « ABDELAK (sincère)
empruntant le nom d’un personnage secondaire de Ici, c’est une maison de
bourgeois, où règne la
Succession ouverte – celui du receveur des P.T.T. (SO, morale bourgeoise et où les
p. 153) –, met en scène la famille Sken : M. Sken, patriarche bou (...)
à l’autorité remise en question, est un « philosophe
caustique, mais toujours vénérable » ; sa femme, « un peu
geignarde, mentalité d’enfant », est dépassée par le monde
moderne et ses propres enfants ; suivent leurs trois fils :
l’aîné, Farid, « avare de lui-même, de ses sentiments, ne
comprend que l’argent et la réussite » ; son cadet, Abdelak,
est un « Hercule au cœur tendre » et aux « rires
homériques » ; et le puîné, Abdelkrim « dit le Commissaire,
dit le Directeur, dit le Crocodile », est « agent de police
suppléant depuis 3 ou 4 jours ». Se profilent ici rapidement
les personnages de Succession ouverte : Camel a été
rebaptisé Farid, Nagib transparaît derrière Abdelak et
Abdelkrim est égal à lui-même, un « être faible et instable.
Et c’est pour cela qu’il se comporte dans la vie comme un
idiot – par pudeur ». Chraïbi n’a pas même omis le
personnage de la tante inamovible, Kenza dans Succession
ouverte, qui écope en deux lignes d’un portrait négatif à
outrance : « Une vieille tante – parente pauvre, laide,
méchante, obtuse, dévote. » Chraïbi a visiblement une
rancœur particulière pour ce personnage hypercaractérisé
qui, avec ses rares répliques, a par ailleurs un rôle pour le
moins ornemental. Succession ouverte, en 1963, semble
avoir été la toute première adaptation que Chraïbi ait faite
de ses œuvres, il ne s’agit donc pas pour lui de la redoubler
si tôt et, de fait, à ce panel connu viennent s’ajouter la fille
cadette des Sken, Malika, étudiante en médecine, et Patrice,
le jeune médecin amoureux d’elle. « L’action se passe de
nos jours, à Casablanca », précise le tapuscrit, et elle a
probablement lieu dans une maison jumelle de celle où
Chraïbi dit avoir « par défi autant que par amour [...] situé
l’action du Passé simple, celle aussi de La Civilisation, ma
Mère !... » (VLE, p. 43). En 1966, lorsqu’il écrit La Greffe,
Chraïbi a déjà posé la question du statut de la femme
maghrébine, essentiellement à travers des figures
maternelles, et s’annonce pour l’année suivante Un ami
viendra vous voir qui s’intéresse à la femme occidentale. Lui
a-t-on suffisamment reproché ce livre avec lequel il se
coupait totalement de son monde d’origine, pour lequel il
avait commis l’erreur, trouvait-on, non pas d’écrire à la va-
vite, mais de s’intéresser à la femme occidentale alors que
la femme maghrébine aurait tant eu besoin que l’on se
préoccupe de son statut ! Or, il l’avait fait, précisément avec
La Greffe, qui envisage le problème du statut de la femme
maghrébine sous les deux angles successifs, maternel et
proprement féminin. On pourrait s’étonner alors qu’il n’ait
pas avancé l’argument de cette pièce radiophonique pour
faire objection aux critiques ; mais, étant donné le contenu
de la pièce, il s’en serait peut-être trouvé pour lui réitérer
des reproches similaires à ceux suscités par Le Passé
simple : à savoir qu’exposer des questions sensibles
concernant la société maghrébine sur les ondes de France-
Culture revenait, non à mettre en quelque manière les
principaux destinataires face à leurs responsabilités, mais à
alimenter les préjugés occidentaux. Il en a bien été pour
trouver que La Civilisation... infantilisait la femme de façon
réductrice, bien que le sourire constant qu’amène ce roman
ait rallié à sa cause la majorité. En outre, si La Greffe n’est
pas dépourvue d’effets comiques, la tonalité générale est
sérieuse, ce qui ne l’empêche pas d’être une sorte
d’exercice préparatoire à La Civilisation... quand bien même
les personnages proviendraient de Succession ouverte.
Chraïbi a en effet quelque peu dévié, au cours de la pièce,
du projet de départ annoncé par la description de la mère
dans la liste des personnages : le portrait qu’il en fait est
bien celui de la mère de Succession ouverte qui, enfermée
dans sa morale bourgeoise 12, n’accepte pas la femme de
son fils Jaad, trouve ses enfants démoniaques et ne
supporte pas de franchir la porte d’une maison où elle a
trop longtemps été cloîtrée :
Tu sais, il ne faut pas te dire que je suis devenue une
femme qui ne fait que se plaindre. J’essaie de
comprendre. Tous les jours, j’essaie davantage, mais
personne ne m’aide à comprendre quoi que ce soit [...].
Tant que j’ai eu des enfants, tout allait bien. Ils
grandissaient l’un après l’autre, mais il en restait toujours
un qui était encore petit, que je pouvais nourrir et
soigner, et regarder en rêvant. Mais maintenant qu’ils
sont tous de vieux adultes, je reste toute seule [...]. Tu
comprends, Driss ? Le monde a vieilli, vieilli, et c’est cela
le pire : je suis restée une enfant C’est ici, dans cette
maison, que je suis le mieux. Dans cette maison qui,
selon la coutume ancienne que la loi islamique réservait
aux femmes, a été ma prison pendant trente ans.
– Je t’en prie, maman !
Elle ne parut pas m’entendre.
Pendant trente ans. Et Ton dit que maintenant nous
sommes tous libres, mais je te le demande : une vieille
prisonnière comme moi ne finit-elle pas par aimer sa
prison ? Une prison, petite ou grande est toujours une
prison. Je me dressai dans mon lit et criai :
– Je t’en prie ! (SO, p. 169-171)
13 Le rôle de Mme Sken est à mi-chemin entre cette mère, qui 13. « Eh bien, le voilà ton
ne peut se résoudre à s’opposer à son époux lorsque seigneur et époux, demande-
lui des comptes, comme je le
Abdelak lui en offre la possibilité 13, et celle de La
fais pour nous tous (...)
Civilisation... qui finira par fracturer les derniers verrous qui
restreignaient sa liberté ; Mme Sken commence par répéter 14. Ibid., p. 8-9.
le rôle précédent : « L’univers entier me semble avoir grandi
et évolué. Il n’y a que moi qui suis restée une enfant [...]. Je
ne comprends plus rien. L’ordre établi depuis des siècles a
éclaté d’un seul coup. Et alors, qui suis-je ? Même mes
enfants se sont éloignés de moi. Je ne les comprends plus.
Et je suis restée seule. » 14 Mais elle s’en échappe
rapidement – ou échappe à l’auteur qui l’avait bien
caractérisée comme « geignarde », sans trop de sympathie,
au début de la pièce :
Mme SKEN Moi, j’ai passé ma vie à écouter les gens 15. Ibid., p. 13-15.
pourquoi donc ne pourrait-on pas m’écouter à mon tour ?
Je suis aussi un être humain, et non pas simplement une
femme faisant son devoir d'épouse, enfantant, allaitant et
soignant ses enfants qui, une fois grands, se détournent
d’elle et deviennent des étrangers. Je suis née en un
siècle où la femme n’existait même pas. C’était un objet.
Elle n’avait le droit de rien dire, que oui, amen, Seigneur.
On la cloîtrait dans la maison de son époux à double tour
de clef [...], elle pouvait pleurer tout son saoûl pendant
que son mari était dehors à gagner de l’argent. Et elle
pouvait monter à la terrasse, pour regarder le ciel,
comme un symbole – et les minarets de la ville, autres
symboles. Et quand son mari rentrait, il lui apportait à
manger : le pain, la farine, le thé vert, la menthe, le sucre,
les pois chiches, la viande. Comme une bête ! Et quand il
en prenait la fantaisie à l’époux, il fallait aller au lit :
comme une bête, tu m’entends ?
ABDELAK (les larmes aux yeux) Maman, maman, je ne
savais pas.
Mme SKEN [...] Toi, un jour, je t’ai pris dans mes bras, tu
n’avais pas deux mois, je t’ai raconté toute ma vie, ça m’a
fait du bien. Ces choses-là ça n’intéressait pas un homme
d’ici, tout pétri de son rôle d’homme, refusant le langage,
dictant des ordres, allant en pèlerinage à la Mecque pour
être sacralisé et traité à son retour d'homme vénérable et
juste [...]. Et un jour les Chrétiens sont venus dans ce
pays, les Français. Que ne sont-ils venus dans cette
maison ! Ils ont instruit nos enfants, comme ils l'ont pu,
mais instruits quand même. Que ne sont-ils venus ici,
dans cette maison, pour ouvrir toutes les portes, pour
casser toutes les portes, et surtout celles de mon âme,
que les cadenas du pharisaïsme ont cadenassées depuis
mon enfance, que les verrous de la bourgeoisie pétrifiée
depuis des siècles ont enfermées, afin de faire de la
femme musulmane un être existant mais non vivant,
impersonnel, inconsistant [... ] ? Ce ne sont pas les loisirs
qui me manquent mais la réalisation de mon être humain
[...]. On me dit que maintenant nous sommes tous libres,
mais je n'ai pas l'impression d’être libre moi. 15
14 Si Chraïbi réutilise jusqu’à certaines phrases percutantes de 16. Telle la raillerie de Nagib
Succession ouverte 16, il a déjà trouvé pour La Greffe des à l’intention de Kenza (SO,

éléments précis qu’il étoffera pour La Civilisation... À la


p. 126) qu’Abdelak développe
avec insistanc (...)
suite de cette scène, à Abdelak qui lui objecte qu’elle n’a pu
qu’aimer son époux, sinon elle n’aurait pas pu accepter cet 17. Ibid., p. 15.
asservissement, sa mère rétorque : « Aimer ? aimer ? qu’est-
ce que ça veut dire ? je suis capable d’aimer une pierre. Mais
m’a-t-on aimée, moi ? » 17 Chraïbi choisit de supprimer les
détails que comporte la longue tirade ainsi débutée et
produit, dans La Civilisation... – lors du dernier tête-à-tête
entre le loustic et sa mère –, une scène épurée qui accuse
aussi fermement cette conception obsolète du couple :
– La liberté est poignante, dit-elle à mi-voix. Elle fait 18. Un tête-à-tête entre
parfois souffrir. Nagib et son père, au cours
– Comment ça ? de la deuxième partie, fait
– Elle ne résout pas le problème de la solitude. Tu vois : écho à cette scène : « (...)

je me demande si vous avez bien fait, Nagib et toi,


d'ouvrir la porte de ma prison.
–Je ne comprends pas, maman.
– Mais si ! Réfléchis. Cette prison, je suis bien obligée d’y
rentrer le soir. Comme avant... comme avant...
– Maman, tu l’aimes, ton mari ? Dis, tu l’aimes ?
Elle me saisit par les épaules, me secoue, crispée, le
visage hagard et la voix âpre : – Qu’est-ce que c’est,
aimer ? Qu’est-ce que ça veut dire ?.. Quand je suis
entrée dans cette maison, j’étais une enfant. Devant un
homme qui me faisait peur. Seule avec lui, comprends-
tu ?.. Et puis, je me suis habituée, au cours des années.
L’habitude est un sentiment [...].
– Maman, maman... Calme-toi, ne pleure pas, je t’en
prie ! (CMM, p. 98-99) 18
15 La rébellion d’Abdelak, dans La Greffe, est sans commune 19. La Greffe, tapuscrit,
mesure avec celle, silencieuse et souriante, de Nagib dans p. 21-22.

La Civilisation..., néanmoins Chraïbi préparait déjà la scène 20. Ibid., p. 32. Après ce
qui s’est finalement affirmée comme un miroir inversé de la didactisme d’exposition, les
malédiction du Passé simple ; M. Sken qui tente de chasser répliques commencent à se
Abdelkrim de la pièce, décide en définitive de la quitter lui- faire plus concises : (...)
même et s’attire un commentaire acide d’Abdelak : « C’est
21. Ibid., p. 2.
ça. Sors respirer un peu d’air, Papa. Mais ne reviens pas
avant ce soir. Ta femme aura eu le temps de faire ton lit, de 22. Ibid., p. 37.
te préparer ton dîner, ta théière, et tout le reste » 19.
Mûrissant son chant d’amour à la mère, en lutte pour 23. Ibid., p. 36.

l’émancipation de la femme maghrébine, qui s’épanouira


dans la fantaisie en 1972, Chraïbi présente avec La Greffe
une société en transition, où les femmes sont suffisamment
libérées pour quitter l’anonymat de la maison familiale et
entreprendre des études de médecine, voire épouser qui
bon leur semble, mais où le poids des interdits traditionnels
décide toujours des relations interpersonnelles. Avec un
didactisme certain, peut-être jugé indispensable au sujet
comme au support, Chraïbi dénonce la réprobation qui pèse
sur les mariages mixtes, condamnés a fortiori s’ils sont
contractés par une femme musulmane : « Un jeune
Musulman, comme les choses se font couramment de nos
jours, a bien le droit d’épouser une Chrétienne, sans que sa
famille trouve à y redire [...] Alors pourquoi une jeune
Musulmane n’aurait-elle pas le droit d’épouser un Chrétien
ou un Juif ? », déplore Malika 20. La relation amoureuse
qu’entretient Malika avec Patrice reste le ressort utilisé par
Chraïbi comme prétexte – le personnage de Patrice,
dépourvu d’autre caractérisation que celle de son titre de
médecin, et son rôle peu fouillé font de lui un simple
accessoire – pour s’en prendre à la pétrification. L’interdit
qui pèse sur cette relation relève de la xénophobie pour
Malika qui, en héroïne chraïbienne digne d’un Driss Ferdi,
« ne rejette pas son monde mais n’y croit plus. Elle a soif
d’ouverture, de culture – alors que tour autour d’elle lui
semble pétrifié » 21 : « Vous avez souffert du racisme, vous
l’avez crié sur les toits, dans vos manifestes, dans vos
chansons patriotiques, ici ou là. Et maintenant, c’est vous
qui l’êtes – racistes ? » 22 Citant Ghazali (pour qui « un
enfant qui vient au monde n’est ni Musulman, ni Juif, ni
Chrétien. Ce sont ses parents qui font de lui un Musulman,
un Juif ou un Chrétien ») et dénigrant l’idée de Kipling selon
laquelle l’Orient et l’Occident sont destinés à ne jamais se
rencontrer, Malika prolonge les attaques d’Abdelak- « c’est
vous qui rejetez vos anciens et vos traditions, pas moi »,
assure-t-elle 23 :
SKEN Vous êtes une génération de transition qui ne sait 24. Ibid., p. 25-26. Chraïbi
même pas relier le passé et l'avenir ; et qui ne jouit pas réutilise à plusieurs reprises
du présent. ses formules fétiches. M.
ABDELAK Oui, j’entends bien, mais cette génération de Sken, dans la lig (...)

transition est bien le produit de la vôtre, n'est-ce pas ?


SKEN Oui, hélas !
ABDELAK Pourq uoi hélas ?
SKEN Prends un exemple [...] : tu es né dans cette
maison, et maintenant encore tu y vis [...]. Où est ton
foyer ? Où est ton œuvre ? Tu t’es contenté de naître et de
rester ici [...]. C’est le matériel qui compte pour les gens
comme toi. Et non les valeurs. En quelque sorte, tu nous
as rejetés, nous, les anciens – nous et nos valeurs.
ABDELAK Vos valeurs dont vous êtes si fiers, toi et ta
génération d'anciens, étaient si parfaites que votre monde
a craqué, pourri à la base. Ici et ailleurs, dans le monde
islamique. Philosophie, arts, traditions, religion... C’est
pour cela que le monde islamique a été la proie de
l’Occident. Et veux-tu que je te dise encore une chose
Papa : ce n’est pas vous, les anciens, qui avez libéré nos
pays, ce sont nous, les jeunes – malgré vous. Vous vivez
encore dans votre passé, si confortable, et j’ai bien peur
que vous n’ayez jamais d’autre avenir que votre passé.
C’est malgré vous que nous existons, que nous subissons
une crise d’identité, parce que vous avez vécu depuis des
siècles et des siècles en vase clos, refusant de vous ouvrir
aux influences extérieures [...]. Hors de votre société
fermée, point de salut ! 24
16 Par le biais de Malika, Chraïbi s’attache ensuite à incriminer, 25. Ibid., p. 43.
de manière « encyclopédique », les tabous qui entourent la
26. Ibid., p. 45.
sexualité, et la mainmise masculine sur l’image même de la
femme, comme il le fera, « à l’occidentale », dans Un ami... 27. Chraïbi, chose rare,
l’année suivante, avant d’abandonner la méthode pour donne la référence complète
mettre en scène les prouesses de l’inspecteur Ali, de ce morceau – « “La
transportant l’érotisme jusque dans l’art pâtissier. En dépit Takzibi”, paroles de Kamil C
(...)
des efforts répétés d’Abdelak, de sa sœur et du prétendant
français, le patriarche ne prend pas le risque de s’exposer
outre mesure à l’opprobre qui le menace – « Malika : même
si je peux avoir l’esprit large [...] que diraient nos voisins,
que dirait la famille, la société dont je suis issu ? [...] Tu
entends les rumeurs ? Crois-moi : on ne change pas une
société du jour au lendemain » 25 – tandis que son épouse
montre un revirement d’attitude, dépassant ses préjugés en
mémoire de ses diatribes initiales : « Décroche-moi ce
tambourin. Ce sont des fiançailles, peu importe lesquelles...
Disons que ce sont les miennes. » 26 La Greffe, avec sa
chanson inaugurale de Mohammed Abdel Wahab 27, a
indiscutablement constitué une étape décisive, parmi
d’autres plus personnelles, au cours des dix années qui
séparent Succession ouverte de La Civilisation, ma Mère !...
Avec Abdelak, dont le « rêve inavoué serait que tout le
monde soit heureux autour de lui », s’annonce le petit
loustic de 1972, qui répète « à haute voix, nuit après nuit, la
tête dans [s]on oreiller : un jour, les êtres humains aussi
seront libres » (CMM, p. 62). Un regard, que Chraïbi
présente généralement comme averti, celui de l’ami Daniel
Bordigoni, s’est cependant posé sans concession sur la
période que recouvrent les inédits radiophoniques et la
publication d'Un ami viendra vous voir : « Les visites que
nous rendait Daniel Bordigoni étaient toujours à l’improviste
[...]. Il ne disait pas grand-chose [...]. Il ne retrouvait l’usage
de son discours que pour me titiller dans ma vie
professionnelle. Il n’avait pas aimé mon dernier roman, tout
juste bon pour les midinettes ; mes émissions étaient du
simple travail alimentaire, des fictions qui masquaient la
réalité ; je pouvais faire mieux mais je choisissais la voie de
la facilité... » (MAC, p. 115).

Réécriture et remaniements
L’Âne
17 Diffusée en avril 1964, l’adaptation de L’Âne est un modèle
du genre en ce qui concerne le travail de réécriture,
assouplissant l’intrigue, ainsi que la minutie de la
composition : Chraïbi soigne les bruitages et les thèmes
musicaux, cherchant à restituer au mieux les actants
secondaires qui engendraient l’intrigue par un effet « boule
de neige ». L’intrigue elle-même a été simplifiée de
beaucoup et s’articule autour de trois des cinq récits
constitutifs du roman : « Premier amour » et « Le citron »
ont été écartés, Chraïbi conservant seulement certains de
leurs motifs ; ces derniers sont représentés à l’aide de
bruitages au début de la pièce qui, sur une séquence
préliminaire, annonce les points forts de l’action : un
montage complexe entremêle le discours du contrôleur (issu
du récit « L’Âne »), celui du forgeron (« Une force de la
nature ») et celui de l’officier (« Soleil noir »), annoncés par
un « Speaker » et soulignés successivement par la sonnerie
d’un clairon, le bruit d’une foule en marche, celui d’un train,
le piétinement des hordes, l’ouragan, l’orage, un braiement
d’Âne. L’ensemble est encadré par le thème du générique
(« “Alleluiah” de Rahabene (Liban) ») et la voix du récitant
qui a à charge de présenter Moussa. Le parti pris, affiché
par la musique du générique, est d’insister sur la mission du
nouveau prophète qu’est Moussa et Chraïbi condense (et
clarifie) l’action de manière significative :
LE RECITANT Il naquit à 60 ans, malgré lui, et il fut 28. L’Âne, adaptation du
d’abord un simple spectateur de ce qui se passait dans le roman du même titre dans le
monde du XXe siècle. Puis il fut un témoin. Et il fut enfin cadre des « Soirées de
un acteur, le principal acteur de ce drame. Il fut Moïse au Paris ». Tapuscrit 13412, p
(...)
XXe siècle, parlant de paix et d'amour à des hommes qui
vivaient de haines et espéraient des bombes
thermonucléaires.
Et quand il mourut, ce fut sur le bûcher, comme en plein
Moyen Age, brûlé par ses propres disciples.
(Le thème musical du générique commence lentement à
émerger à partir d’ici).
La foule qui assista à son martyre et à laquelle il faut des
événements pour chaque jour de son existence, la foule
l’a depuis longtemps oublié. Seuls, trois êtres humains
continuent de se souvenir de lui : un contrôleur des
chemins de fer, un forgeron et un officier. Chacun d’eux
a écrit, à sa manière, son évangile de Moussa. Et ce sont,
tour à tour, ces trois évangiles que nous allons entendre.
(naissance en plein du thème du générique, qui passe en
dessous de l’annonce suivante)
SPEAKER La RTF présente :
L’Âne Une épopée radiophonique de Driss Chraïbi, avec,
par ordre d’entrée en scène :... 28
18 Suit la présentation des protagonistes qui prennent tour à 29. Ibid., p. 14.
tour la parole. Le roman est devenu une épopée où Chraïbi
alterne des scènes et sommaires – pris en charge par le
récitant –, stylisant de manière sophistiquée son
accompagnement musical en contrepoint qui transcrit les
changements de temporalité : entre l’évangile du contrôleur
et celle du forgeron, les épisodes qu’incarnaient les deux
autres récits du roman sont restitués par une alternance
élaborée entre thèmes musicaux (thème de l’été, thème des
« hordes », thème de l’orage, thème du vent) et voix du
récitant. L’ajustement est extrêmement précis : « (ébauche
d’un mouvement musical qui va se préciser et accompagner
la partie récitative suivante, la souligner comme une
partition musicale : ce sera le “mouvement de l’été, le thème
de l’été”) » 29, indique la mise en scène. À ces différents
thèmes musicaux s’adjoint le « thème des portes » qui met
en relief un élément secondaire du roman ici utilisé en
remplacement au ressort dramatique que constituait la
figure de Khidr, et qui n’a pas été conservée pour l’évangile
du forgeron :
RECITANT A partir de ce moment-là, il y eut le 30. Ibid., p. 19-20.
phénomène des portes. Moussa se mit à ouvrir toutes les
portes de la ville, l’une après l’autre, méthodiquement,
patiemment.
MOUSSA Bonjour, monsieur. Excusez-moi, ce n’est pas
vous que je cherche.
RECITANT Toutes les portes de la ville, portes d’entrée...
[...], portes d’intérieur... [...], portes d’échoppes, de
cafés... [...], portes de lieux saints et de bâtiments
publics... [...]
MOUSSA... Je cherche quelqu’un... [...]
RECITANT... portes en bois, verre, métal, aggloméré...
Maintenant, après le drame, quand l’une de ces portes
tourne sur ses gonds, ceux qui la voient s’ouvrir ont
toujours le même soubresaut et se souviennent : jamais
de face ; Moussa ne se présentait jamais de face. Il se
présentait de profil, avec son œil étonnamment fixe. 30
19 L’épisode du forgeron développe, sur le même principe 31. « FORGERON Et c’est
visionnaire que dans le roman, la thématique du siècle l’avenir. C’est la levée en
niasse de ceux qui n’ont rien
bouleversé par les guerres et le réveil des peuples, et
trouvé, rien planté, (...)
explicite le rôle de Moussa 31 d’abord spectateur puis
témoin et, enfin, « pitre sur les places publiques, à la grande 32. Ibid, p. 26-27.
joie de ces hommes qu’il aimait tant et qui justement
adoraient les spectacles et les pitres » – œuvrant à satisfaire 33. « MOUSSA Je vous
apporte la parole de Dieu
le besoin de croire de « cette humanité qu’il s’était pris à
[...]. La vie selon Dieu [...].
aimer de toute son âme, il ne s’était réveillé que pour Le libre-échange entre l (...)
cela » 32. L’avertissement du forgeron, lorsqu’il apprend
que, pour tout système politique, Moussa apporte 34. Ibid., p. 30.

seulement la parole de Dieu et la vie selon Dieu, se voit


35. Ibid, p. 35.
renforcé 33 : « Non, Monsieur. Vous êtes une brebis galeuse,
un parasite de la société. Ecoutez-moi attentivement : ce
sont ceux-là mêmes que vous avez convertis qui tuent les
brebis galeuses de votre espèce, vous entendez ? » 34 Le
troisième évangile, celui de l’officier, est conforme au récit
« Soleil noir » du roman, Moussa déplorant que la foule soit
condamnée à hurler sa désespérance pour n’avoir rien à
aimer ni à croire et l’officier l’obligeant à constater les
résultats apocalyptiques de la vertu prétendument
libératrice de sa mission : « Ils sont maintenant dans les
champs ceux que vous avez convertis, plus féroces qu’avant
leur conversion, parce que dès que vous leur avez tourné le
dos, ils se sont retrouvés infiniment plus malheureux,
infiniment plus fragiles ; d’être face à face avec eux-
mêmes. » 35 L’adaptation radiophonique de L'Âne a le mérite
de clarifier l’intrigue première du roman et, optant pour
l’unique angle de vue « évangélique », Chraïbi insiste sur la
thématique de la « croyance », qu’il mettait en avant dans sa
réponse au journal Démocratie, lors de l’affaire du Passé
simple, tandis le roman l’entrecroise de manière plus étroite
avec celle de la liberté. L’allure de parabole que revêt
l’intrigue a pu déconcerter l’auditeur, comme elle
déconcertait déjà le lecteur du roman, mais force est de
constater que Chraïbi s’est livré là à une réelle
recomposition, essayant de rendre la complexité des strates
de son récit dans une imbrication étudiée du texte, parfois
réécrit, et des thèmes musicaux.

La Raison folle
20 L’adaptation du roman Un ami viendra vous voir, au 36. Cf. Kacem Basfao,
tapuscrit en date du 26 janvier 1973, fait figure d’hapax Trajets : lecture/écriture et
structurels) du texte et du
dans la carrière chraïbienne à l’O.R.T.F. puisqu’il s’agit en
récit dans l’œuvre de D (...)
réalité, non d’une production radiophonique, mais du
scénario d’un film de quatre-vingt-dix minutes, qui n’a 37. La Raison folle, tapuscrit,
jamais été tourné 36. Le tapuscrit précise que l’adaptation et p. 71.
les dialogues sont de Driss Chraïbi, Jacques Besse et Jacques
38. Plus encore peut-être
Baratier, avec une mise en scène de Jacques Baratier.
que le roman, la scène du
Curieusement, parmi les romans écrits entre 1954 et 1973, scénario se destine aux
celui choisi pour être porté à l’écran est un roman pour « midinettes », l’inflexion
lequel Chraïbi montre assez peu de bienveillance. À moins (...)

qu’il n’ait été question d’honorer une commande précise


dans un objectif déterminé, il y a lieu de croire que le sujet
lui tenait à cœur – eût-il été l’occasion d’un simple exercice
d’écriture que Chraïbi n’aurait probablement pas associé
deux autres dialoguistes à ce scénario. Quelles que soient
les motivations qui ont conduit à la préparation de ce
scénario, Chraïbi a eu ainsi l’opportunité de retravailler
indirectement le contenu de son roman. Des modifications
majeures ont été apportées, à commencer par la
suppression de l’élément dramatique principal qui vaut à
l’héroïne son séjour en clinique psychiatrique : rebaptisée
Isabelle Anderet, cette nouvelle Ruth a bien été victime d’un
accès de démence, mais elle n’a pas assassiné son enfant à
coups de tisonnier avant de tenter de se brûler dans sa
propre cheminée (AVV, p. 90-93) ; l’enfant en question a
presque treize ans et non plus deux ans et un mois, et
Isabelle, dans « un état confusionnel » 37 après l’émission
télévisée, a tenté de mettre le feu chez elle puis de se
suicider avec des comprimés de valium ; quant à la brève
liaison de la patiente avec son médecin traitant, elle est
inexistante mais, sur ce plan, quelle que soit l’option
choisie, ni le roman ni le scénario ne réussissent à éviter le
cliché 38. La suppression totale de ces scènes graphiques
est, par ailleurs, pour le moins inhabituelle dans le cadre
d’un support qui généralement les exploite. La critique de
l’impulsion consumériste au service de laquelle se met
l’audiovisuel est quant à elle plus intéressante non tant à
cause de son contenu, aujourd’hui rebattu, mais du fait de
son caractère quasi visionnaire. L’avant-propos détaille la
thèse qui va être développée et Chraïbi semble avoir une
idée très précise de la mise en scène :
Quel est le rôle exact que joue dans la société actuelle 39. Ibid., p. 4.
l’appareil audio-visuel et quelles responsabilités assume-
t-il à l’égard des sujets dont il se nourrit
quotidiennement et des spectateurs qui consomment ses
images ?
Une femme de trente-cinq ans, une femme comme les
autres, a été choisie par Christophe Bell pour illustrer son
émission mensuelle de la T.T.C. (Télévision Trans-
Continentale)
La confession de cette femme « heureuse et équilibrée »
va dévoiler l’échec profond de toute une vie et plonger
cette femme dans un état confusionnel grave. Soignée
dans une clinique psychiatrique, cette femme retrouve
son identité en découvrant qu’elle a vécu jusqu’ici selon
une image d'elle-même qui lui a été imposée.
Le magnétoscope – ce cerveau collectif qui canalise
l’attention silencieuse de vingt millions de spectateurs –
va révéler une fragilité mentale préexistante. Ce thème
sera traité dans le style et avec les moyens qu’utilise la
télévision dans ses enquêtes. La technique de l'interview
en gros plan apportera ici l’illusion du direct et du vécu,
mais fera place, dans la troisième partie, à des images
plus larges et plus aérées au moment où Isabelle
découvre sa propre vérité au contact de la nature et des
malades 39
21 Le concept de cette « interview de Cinéma-Vérité » 40 40. Ibid., p. 6
comme ses modalités sont désormais monnaie courante et
41. Ibid., p. 19.
ce scénario de film s’en rapproche d’autant mieux qu’il met
en scène des « spécialistes » pour commenter le sujet et 42. Ibid., p. 18.
alimenter le débat qui doit suivre l’émission en direct :
« BELL [à son panel de spécialistes] ce n’est pas de la fiction,
c’est de la vie. De la vie en direct. L’émission se passera
dans le studio voisin [...]. Vous allez la suivre sur cet écran
[...] et ensuite nous aborderons le débat. Aussi bien (ila un
malin sourire), avons-nous ici, ce soir, les représentants des
journaux, de la radio (autres mass media), de la science et...
de l’imagination littéraire. » 41 La Raison folle dote le
présentateur de l’émission d’un invité de marque, qui n’a
pas résisté à la facétie : Driss, écrivain de son état, « dont la
plupart des livres sont consacrés à la femme » 42, qui fume
longuement ou « ricane » à la mention de la liste des invités
conviés au débat, mais que l’on ne retrouvera pas à la fin de
cette première partie où ledit débat est pratiquement évacué
(il fait l’objet d’un sommaire et de trois ou quatre répliques
des spécialistes, dans le tapuscrit tout au moins).

22 La Raison folle réévalue certaines scènes graphiques du


roman, mais il est à craindre que son succès n'aurait eu
d’égal que celui du roman – ce qui, peut-être, est la raison
pour laquelle le projet n’a pas été mené à terme. L’intérêt
premier reste dans l’importance croissante que commence à
prendre l’écriture cinématographique pour l’écrivain, avec
l’attention particulière accordée au découpage des plans et
à la superposition des scènes : la première partie du
scénario alterne clinique psychiatrique et studios de
télévision, présentant les dérives des uns à travers l’image
de l’autre.

La Civilisation, ma Mère !...


23 Dans Le Monde à côté, Chraïbi relate la création de La 43. « Les feuillets croissaient
Civilisation, ma Mère !..., écrit en 1971 pour Sheena 43, et et multipliaient et je lui
donnais lecture dès que je la
place l’adaptation qu’il en a faite, d’après les suggestions de
retrouvais. Le (...)
Sheena toujours – « C’est curieux [...]. Ce n’est pas tout à
fait le même texte [...]. Il y manque les voix... les voix orales 44. Succession ouverte et
des personnages... Il y manque les silences, les échos » Une enquête au pays (adapté
(MAC, p. 152) –, postérieurement à la publication du roman pour la scène) ont été
adaptés un an après leur p
en 1972 et à sa traduction en anglais. Or le tapuscrit porte
(...)
la date de décembre 1971 : écriture et adaptation se sont
succédées très rapidement 44. Chraïbi en a fait un feuilleton 45. La Civilisation, ma
en dix épisodes : « la machine à coudre », « la radio », « la Mire/..., 21 décembre 1971,
feuilleton de Driss Chraïbi,
cuisinière », « le téléphone », « le monde extérieur », « la
réalisé par Arlette Da (...)
prise de conscience », « le cinéma », « l’apprentissage de la
vie », « la personnalité » et « la Seconde Guerre mondiale ». 46. Chraïbi sait exactement
Les deux dernières émissions portent chacune la mention comment il veut reproduire le
« chant ample de
infratitulaire « 9e émission » : celle concernant la Seconde
l’espérance » sur lequel s’o
Guerre mondiale a vraisemblablement été insérée avant celle (...)
intitulée « la personnalité », parce que le feuilleton s’achève
sur le départ du narrateur pour la France. Seule la première 47. La Civilisation, ma
Mère !..., 9e émission « la
partie du roman a été conservée, à laquelle s’est adjoint
personnalité », tapuscrit,
l’épisode de la seconde partie concernant la visite du p. 51.
général de Gaulle. Le texte n a quasiment pas été retouché,
Chraïbi conservant souvent au mot près les scènes
d’origine. Une modification ténue a trait à l’âge du
narrateur, insistant, au contraire du roman, sur les
similitudes entre l’auteur et le narrateur. Relatant comment
sa mère avait par mégarde cousu une mèche de sa longue
chevelure, le narrateur du roman date avec précision la
scène, qui sert à emblématiser la rareté des compliments
que son père pouvait prodiguer : « Je me dois de dire la
vérité. Vous me connaissez. Je suis un homme sérieux.
J’affirme que cela s’est produit une seule fois, un soir
d’octobre 1936. J’avais six ans » (CMM, p. 24). Chraïbi se
défie du jeu de masques dans l’adaptation, qui précise :
« J’affirme que cela s’est produit une seule fois, un soir
d’octobre 1933. J’avais 7 ans. » 45 La mise en scène est là
encore élaborée : une note en exergue à la liste des
personnages précise que « la partie narrative ne peut en
aucun cas être un texte lu, mais joué, interprété par le
comédien, genre Roger Bret (naïf, fruste et sensible à la
fois) » ; les relais sont assurés par des musiques de
transition 46 ou marqués par une baisse de volume – le
monologue du père dissertant sur l’économie voit, par
exemple, ses derniers mots « shuntés » de manière à ce que
s’y superpose la voix du narrateur reprenant la parole. La
huitième émission, « l’apprentissage de la vie » est un peu
différente de celle du roman parce que l’auteur y insère, en
transition, les références au premier chapitre de la seconde
partie d’où il est normalement absent et où l’on voit Nagib
et sa mère parcourir le pays ; il assure ainsi l’articulation
avec l’épisode de la Seconde Guerre mondiale et surtout
joue du parallèle des deux écoles qu’incarnent les deux
frères : exercices scolaires et parties de cartes alternent
avec quelques scènes ajoutées (achats de marchandises,
censés exercer la joie de dépenser, que Nagib troque par la
suite contre des denrées alimentaires). Le premier chapitre
du roman, pris en charge par le narrateur adulte en
préambule au récit rétrospectif est ici déplacé à la fin de la
dernière émission, reporté à la virgule près ; il inaugure le
dernier tête-à-tête entre le narrateur et sa mère, autorisant
également un jeu d’écho avec les derniers mots du
feuilleton : « La nuit tomba d’un noir fondamental sur nous
tous – et ce fut la fin de mon passé. Et toutes les vagues de
la mer chantaient la paix... Générique. FIN. » 47 Cette
introduction au roman est remplacée dans l’adaptation par
une présentation à la charge de l’auteur :
L’AUTEUR, avant le générique, « à blanc », en guise de
présentation. Ceci est l’histoire d’une femme, en chair et
en os, qui a vécu trois vies, trois civilisations, sur trois
continents, depuis l’époque pré-industrielle jusqu’aux
Centres d’Achat de l’Amérique et aux technostructures,
en passant par la culture européenne. Elle a été. Elle a eu.
Elle a fait. Je l’ai suivie pas à pas, sans presque rien
inventer. J’ai essayé de la « restituer », telle qu'elle a été,
à travers toutes les étapes de son évolution. Et, à travers
elle, c’est tout le destin du Tiers-Monde que je propose.
24 Avec cette intervention de l’auteur, insistant sur
l’authenticité des dires, l’adaptation inverse légèrement le
rapport de forces perceptible dans le roman qui accordait le
primat à la vision idéalisée, induite par la narration
rétrospective, sur la représentation archétypale par laquelle
Chraïbi prête sa voix aux « minorités majoritaires », comme
il l’écrira en avertissement à La Mère du Printemps.

Le diptyque païen
25 Chraïbi a adapté La Mère du Printemps deux ans après sa
parution, en janvier 1984, soit également deux années avant
d’écrire Naissance à l’aube, et le long tapuscrit (160 pages)
promet une adaptation à la hauteur du roman, tant les
indications scéniques sont pointues et l’enchaînement des
séquences travaillé. L’épilogue prétexte à la remémoration a
été supprimé, vraisemblablement pour ne pas rendre la
tâche plus ardue encore, mais l’adaptation ne comporte pas
moins de quarante-neuf séquences de longueur variée.
L’ensemble devait comporter cinquante-trois séquences
mais quatre d’entre elles ont été supprimées, marquées par
une page blanche : le « poème du monde » et ses
résonances (la réminiscence des récits maternels, la mort de
Far’oun à la fin du chapitre 5) qui devaient s’étendre sur
deux séquences, ainsi que les scènes de la « deuxième
marée » précédant la rencontre entre Azwaw et Azoulay – la
prière de la ténacité d’Oqba et de ses troupes puis les
meurtres du calife et du gouverneur. La plupart des
personnages principaux sont dotés d’un thème musical qui
les accompagne, dans un souci d’exhaustivité qui stylise
jusqu’au plus secondaire des bruitages. L’ouverture est tout
à fait représentative de la rythmique comme de la perfection
des images présentes à l’esprit de l’auteur lorsqu’il
(ré)écrivait cette œuvre :
Thème du générique : c’est un thème très lent, ample,
paisible, que mon fils Stéphane (compositeur) a fait sur
un luth arabe, sur un « Oud » et qui sera mixé sur les
ambiances suivantes :
1 – rires et gazouillements intermittents d’un bébé de 7
mois, au premier plan sonore (nous sommes sur un
promontoire qui domine la ville d’Azemmour, l’Océan
Atlantique et l’embouchure du fleuve l’Oum-er-Bia)
2 – ce même thème du générique fredonné au second
plan sonore par Yerma : elle est en bas, au bord du
fleuve, en train de battre son linge. Le père de Yerma,
Azwaw, l’appelle de sa voix de bronze : « AZWAW
Yerma !.. Oho !.. Yerma !..
3 – au 3e plan sonore, les battements de l’Océan qui
tousse comme un vieillard : toute une légion de
corbeaux-craves, d’ibis, de flamants. Ici, c’est le pays des
oiseaux.
SPEAKER (sous thème) Le service des émissions
dramatiques de FranceCulture vous prie d’écouter : La
Mère du Printemps, par Driss Chraïbi [...]
(Remontée du thème que l’on installe – et dont disparaît
progressivement la musique sur luth. N’en restent que les
ambiances : rires du bébé, oiseaux, etc.)

UNE VOIX (sous ambiance) Nous sommes en l’an 681 de 48. La Mère du Printemps,
l’ère chrétienne, par un lumineux matin de printemps. par Driss Chraïbi, réalisation
(Pause) de Jean-Jacques Vierne,
A l'embouchure du fleuve marocain l’Oum-er-Bia (« La tapuscrit, p. 3-4. Que (...)

Mère du Printemps »)
(Légère remontée de l’ambiance. Nous sommes à présent
avec Hineb, debout sur le promontoire ») 48

26 Pour la « deuxième marée » et la figuration de l’avancée


d’Oqba, le traitement des séquences révèle un souci
semblable : la progression des troupes est restituée par une
succession rapide de très courtes séquences qui isolent
ainsi sur un fond musical spécifique un événement relaté en
quelques lignes par le narrateur ou par Oqba. La première
séquence relative à Oqba suivant immédiatement celle du
serment de l’Oum-er-Bia, fidèle aux premiers mots du
chapitre, entrecroise dans un « fondu-enchaîné » les
« tambours de l’Atlas (« tbal ») » et le chant du muezzin :
AMBIANCE : extérieur. Hamza, le muezzin de l’armée 49. Ibid., p. 100. La
islamique chante les premiers versets de la sourate séquence 31 qui incarne la
coranique « Al Fajr » – L’Aube (disque : le Cheikh progressive conquête de
Mohammed Rifaâ). l’Islam est également sophisti
(...)
Ces versets vont estomper presque aussitôt les tambours
de l’ambiance précédente.
(De la sourate, émerge progressivement le galop d’une
division de Bédouins.)
NARRATEUR (sous le galop) Le général Oqba ibn Nafi
chevauchait à la tête de ses troupes, chevauchait depuis
la porte de l'Afrique, irrésistiblement ; chevauchait dans
le halètement des coursiers lancés au galop, dans le
jaillissement des étincelles sous leurs sabots, dam le
soulèvement de la poussière jusqu’au ciel, dans le
surgissement continu de l’Islam à son aube [...]. L'aube de
l’humanité était en lui, dans chacun de ses actes, dans
chacune de ses paroles, coraniquement.
(S’élève de très loin, puis vient vers nous au premier plan
sonore, l’appel à la prière [...])
(disque muezzin) (Dès les premiers mots, tous les
chevaux se sont arrêtés pile. Les cavaliers mettent pied à
terre, s’agenouillent.)
(Ambiance : l’appel du muezzin ; le souffle des chevaux,
le piétinement de leurs sabots sur place, et çà et là
quelques hennissements.) 49

27 Si le « poème du monde » a été supprimé, le thème d’Oqba


à son arrivée à l’embouchure de l’Oum-er-Bia, recueilli
devant « la musique de Dieu : la mer » a pour sa part été
conservé, à la différence que Chraïbi a préféré omettre le
paragraphe poétique – résonance de l’incipit de La
Civilisation... –, pour lui substituer une musique composée
par son fils, comme lors de l’ouverture de la pièce. Les
petites modifications de certains motifs ne portent guère à
conséquence : celui de Khidr/Azoulay, à la séquence 41, est
conservé tel quel, Chraïbi dramatisant un peu plus la scène
sur la fin et s’économisant la référence à Moushi dans les
dernières lignes :
AZOULAY [...] (Ton pressant) Non, ne te retourne pas. Pas 50. Ibid., p. 127-128.
encore. Je vais te dire ce que tu t’apprêtes à me
demander. Ton destin à toi sera très haut, au niveau du
ciel. Rappelle-toi : au niveau du ciel. Et ensuite... ensuite,
jusqu’à la fin de ta vie tu ne pourras plus parler, plus un
mot.
(Sa voix meurt doucement. Pause)
AZWAW (se retournant, stupéfait) Mais... mais... Où est-
ce que tu es, chose ?
(Pause)
Azoulay !.. Azoulay !..
(L’écho de sa voix lui répond. Et puis, nous entendons le
bruit des vagues. Nous nous retrouvons dans une grotte)
AZWAW (éclatant de rire) J’ai dû rêver... m’assoupir et
rêver... Ici, c’est ma grotte, où je viens parfois me
réfugier, méditer en paix...
(Vagues)
Est-ce que je vieillis ou est-ce que je ne ménage pas mes
forces ?.. Trop d'étreintes... (Il rit.) (Il éclate franchement
de rire. Remontée des vagues.)
NARRATEUR C’est effectivement sa grotte, où tout est
familier, jusqu’aux menus galets. À l’exception d’un petit
trou dans le sable qui a la forme d’une pointe d’épée...
(Remontée des vagues) 50

28 Pour Naissance à l’aube, lui aussi adapté deux ans après sa


publication, en décembre 1988, Chraïbi a choisi une autre
formule, celle du feuilleton en cinq épisodes. L’adaptation
s’est apparemment déroulée en deux temps puisque
l’épilogue du roman a donné lieu à une pièce indépendante
plusieurs mois auparavant, en janvier 1988 : il a été intitulé
Le Porteur d’eau.
29 Il ne présente aucun changement notable, hormis les effets
habituels de la dramatisation qui conduit à transcrire au
style direct quelques scènes narratives, mais la dernière
scène a été amputée : l’un des éléments dramatiques du
roman, le renoncement de Raho qui se libère en hurlant les
noms des cours d’eau abandonnés au fil des siècles par ses
ancêtres est omis au profit d’une narrativisation complète
qui transforme la scène en un sommaire :
NARRATEUR (sous thème) La foi craqua en lui qui l’avait 51. Le Porteur d’eau, de
nourri comme nul feu au monde, et avait contenu ses Driss Chraïbi, réalisation
forces païennes comme dans une prison. Sans en avoir Jean-Jacques Vierne, 25
conscience, il redevint païen comme à l’origine des janvier 1988, tapuscrit, p.
(...)
temps. (Remontée du thème)
NARRATEUR (sous thème) Le soir même, il vendit ce qu’il
vendit, paya sa dette envers les pauvres, pour n'être plus
en compte avec Dieu. Et il s’en fut dans la nuit vers la
montagne solitaire, lui et ses descendants jusqu’au
dernier degré. Montant vers le dernier refuge, tous
avaient l'impression de descendre le temps à la recherche
de leurs ancêtres...
(Remontée du thème)
FIN. 51

30 Pour le feuilleton Naissance à l’aube, la chronologie a été 52. Naissance à l'aube, de


rétablie et les deux premiers épisodes concernent les Driss Chraïbi, réalisation
Claude Roland-Manuel, 13
conquêtes progressives de Tarik jusqu’à Cordoue. Le
décembre 1988, tapuscrit
troisième épisode entremêle la marche d’Azwaw et le (...)
chantier entrepris pour faire de Cordoue une ville « comme
il n’en fut jamais au monde » : « TARIK S’il est un Paradis, je 53. Ibid., p. 11.
le veux maintenant et ici même, sur cette terre d’Andalousie
[...]. Je veux que la lumière des sept cieux entre à flots dans
ma ville de Cordoue et que la vie de chacun de ses habitants
présents ou à naître soit bercée par la musique des eaux
[...]. Au nom de l’Islam, retroussez vos manches » 52.
L’épisode se termine sur la reconnaissance d’Azwaw par la
foule, et le quatrième épisode enchaîne sur l’émir Badruddin
quittant son cercle de livres pour s’avancer à la rencontre du
« Maître de la Main », « un Barbare : l’Ancêtre des païens » :
« BADRUDDIN Je sais que ce sont les païens d’aujourd’hui
qui reprendront un jour le flambeau de l’Islam – quand les
rejetons des émirs deviendront sédentaires et auront croulé
sous leur propre pouvoir – et ne se souviendront qu’avec
une vague nostalgie du Message qui avait mû les Bédouins
d’autrefois... » 53. Chraïbi enchaîne sur l’injonction « contre-
coranique » d’Azwaw – n’omettant pas de lui faire reprendre
les mots d’Azoulay qui serviront plus tard également au
moine Bahira pour se présenter – avant de figurer dans une
geôle, au début du cinquième et dernier épisode, la chute
de Tarik. Il conserve dans ce dernier épisode le long
passage de la délivrance de Kawkeb-el-Gharb par son père
mais la séquence suivante bondit directement à la mort
d’Azwaw se laissant avaler par l’Oum-er-bia et, de manière
significative, cette mort ne fait plus écho à celle de Yerma :
SEQUENCE 29 [...] 54. Ibid., p. 20.
NARRATEUR (sous thème) A la différence des adultes qui
quittent la vie les mains ouvertes, lui, Azwaw Ait
Yafelman, mourut les poings fermés, comme un
nouveau-né. Il étreignait encore le monde... (Remontée
du thème)
SEQUENCE 30
NARRATEUR (à blanc) À la même heure, presque à la
même minute, Oum-Hakim (la compagne du général
Tarik) donnait le jour à un enfant de sexe féminin : Jawal.
(Gong). 54

31 Les retouches sont rares et subtiles mais la dramatisation a 55. À l’exception des
pour intérêt de mettre en évidence les épisodes phares et séquences censées
représenter par des
certains détails qui peuvent échapper à une lecture rapide.
illustrations sonores le
Naissance à l’aube est au plan musical bien moins travaillé chantier d’une Cor (...)
que La Mère du Printemps 55, Chraïbi ayant accordé une
attention plus grande à rendre cohérente pour l’auditeur la
multiplicité d’épisodes qui composent cette courte
narration.

D’autres voix
32 Avant de rééditer son recueil de nouvelles De tous les 56. Les Quatre malles,
horizons chez Soden en 1986, Chraïbi avait adapté la réalisation Georges Godebert,

plupart d’entre elles et pour certaines à deux reprises : Les


6 mai 1967. Le premier
tapuscrit des Restes ne por
Quatre malles diffusée en mai 1967, et Les Restes 56 – celle- (...)
ci a été adaptée dans le cadre d’une série d’émissions
intitulée « Nouvelles exemplaires ». En 1981, il a déjà trouvé 57. Les Quatre malles, Ibid.,
tapuscrit, p. 10.
le titre que portera la réédition du recueil puisque qu’il
intitule la série de dramatiques D’autres voix ; cette série
58. Ibid., p. 18.
comporte seulement quatre des six nouvelles du recueil :
« Le Galet » (premier épisode et adaptation d’« Orient des 59. Ibid., p. 19.
temps passés »), « Les Restes » (deuxième épisode), « Le
Sac » (quatrième épisode) et « L’Homme aux lions »
(cinquième et dernier épisode, adaptation de « Quatre
malles »). La nouvelle « Les Animaux domestiques » n’a
jamais été adaptée, quant au troisième épisode, « L’anier »,
il provient tout droit de l’épisode « Bouchaïb » de
Succession ouverte. Pour la première version des Restes,
Chraïbi avait choisi de faire prendre en charge la narration
de la nouvelle par un narrateur et le tapuscrit, qui reprend le
texte original, est totalement dépourvu d’une quelconque
mise en scène. La première version de Quatre malles est
nettement plus sophistiquée en comparaison : Chraïbi y met
en scène la traversée de Coulibaly et la pièce débute sur les
sirènes du bateau quittant le port de Dakar le 12 avril 1967,
tandis que le récit original s’ouvre sur son arrivée à
Bordeaux, un matin de novembre. La dramatisation de ce
qui constitue au départ un sommaire permet d’exposer la
personnalité de Coulibaly et d’en tirer des effets
« cocasses », dignes d’un inspecteur Ali : « Écoutez, je suis
un homme très simple, moi. Mais il y a quelque chose qui ne
rourne pas rond sur ce bateau. C’est comme la fois où ce
commerçant libanais m’a proposé de lui acheter une faucille
pour récolter des pommes de terre à ras du sol. (Il rit). J’ai
beau venir de la brousse, mais je sais pertinemment que les
pommes de terres se cueillent sur les arbres. » 57 Coulibaly
révèle un comportement pour le moins déstabilisant, mais il
s’en explique plus tard auprès du douanier – « COULIBALY
Ces malles ne sont rien en elles-mêmes. C’est ce qu’il y a
dedans qui compte. Et, à la vérité, je dois vous avouer que,
si j’ai fait tant d’histoires, c’est que j’avais mes raisons.
Comment dire ? C’est la première fois que je prends contact
avec les Blancs d’ici. J’avais besoin de bavarder avec eux,
j’avais besoin de chaleur humaine » 58 – avant de s’avouer
désolé : « Les gens de France me semblent bien pressés, ils
n’ont pas le temps de palabrer comme chez nous. C’est bien
triste, monsieur. » 59 Ce Coulibaly deuxième manière est
venu rendre visite à son fils Joseph, directeur du journal
« L’Afrique éternelle» ; Chraïbi fait de lui un personnage qui
tient à la fois du Coulibaly original et du père de Bouchaïb
dans Succession ouverte – dans la lignée de l’obsession du
départ qui marque les œuvres première manière, et peut-
être un soupçon de culpabilité se fait-il sentir. Sur un banc
du square où il a entraîné Simone, Coulibaly relate une
histoire sensiblement différente de celle du récit original :
Il y avait une fois un Noir, fils de Nègre et de Négresse. Il 60. Ibid., tapuscrit, p. 33-35.
venait du fond de l’Histoire, il avait perdu sa civilisation, La genèse de certaines
sa langue, sa culture. expressions est aussi à
Les siècles avaient passé... rechercher dans les adap (...)

Un jour, les Blancs sont venus, avec leurs missions, avec


leur langage, avec leur enthousiasme... avec leurs fusils
aussi, hélas ! – et leurs marchands. Nous qui étions là,
nous assistions à un phénomène nouveau : cette terre
dont nous tirions à peine notre subsistance, ces Blancs
venus d’un autre monde en tiraient tout ce qu’ils
voulaient [...]. L’homme défiait la nature, jugulait les
fleuves, jugulait les maladies, s’opposait à la mort et aux
instincts de mort... et moi, qui étais là, moi le Nègre, fils
de Nègre, je les regardais travailler et produire. Et je me
disais : « Toi, Coulibaly Bingo, ton âge est passé. Mais ton
fils fera un jour comme ces Blancs. Il ne sera pas comme
l'un d’entre eux, mais il fera la même chose qu'eux. Peut-
être un jour ces Blancs partiront-ils – et alors nous
resterons tout seuls, entre Nègres. Alors, il y aura la
relève. Nous ne pourrons plus revenir au passé » [...]. Et
j’ai eu quatre fils [...]. Je suis pauvre. Trois sont restés au
pays, le quatrième – Joseph – je l’ai envoyé dans le monde
nouveau, en France, à Paris, la capitale du nouveau
monde)...]. Je n’ai pas avantagé l’un par rapport à l’autre
[...]. J’ai tiré à la courte paille – et il s’est trouvé que celui
qui a été désigné pour l’instruction et pour la science est
Joseph. Et pendant dix ans, j’ai travaillé avec la force d’un
lion. J’ai mangé ce que j’ai pu, moi et mes autres enfants
et ma femme [...]. On se nourrit surtout d’avenir, n’est-ce
pas ? D’avenir et d’espoir... [...]. Mes aïeux m’avaient
transmis un lopin de terre. Je l’ai travaillé tant que j’ai pu.
Ensuite, je l’ai vendu. J’ai tout vendu. Tout ce que j’avais.
Pour que Joseph puisse s’instruire et ne manquer de rien
en France.
Et maintenant voici l’indépendance de mon pays,
l’indépendance de l’Afrique. Je suis venu chercher mon
fils pour la relève. Nous avons besoin d'hommes comme
lui. Et, savez-vous : moi, je crois sincèrement que nous
vivons une ère pré-humaine. Ici ou ailleurs. Dans le
monde entier. Nous avons besoin de connaissance et de
fraternité. Un vieux paysan de mon village est allé un jour
dans la capitale, il a frappé à la porte du Palais de la
Présidence et il a demandé au Président : « Dites,
monsieur le président, quand est-ce qu’elle va se
terminer l’indépendance ? » Vous ne pouvez pas savoir à
quel point nous sommes en attente, tous tant que nous
sommes, en Afrique. Que l’herbe pousse, que les céréales
sortent de terre, que les usines travaillent toutes seules.
Dites-le à mon fils. Dites-lui qu’on ne construit rien avec
des mots [...]. Pendant des années, j’ai attendu qu’il
revienne... pour prendre ma relève – et la relève des
Blancs qui sont partis. Et, j’avais beau écrire, il ne me
répondait jamais. Alors, un jour, j’ai acheté quatre malles
[...] et je suis venu ici. A défaut de retour de mon fils, je
voulais remplir ces malles de ce que je ne sais pas mais
de ce que, lui, Joseph, avait appris en dix ans : des
recettes d’espérance et de renouveau pour l’homme
noir ; 60

33 Sans dénier les thématiques du premier récit, cette


adaptation ne se contente pas de mettre en relief les malles
vides destinées à se remplir d’idéal, elle infléchit la quête de
Coulibaly, venu vérifier l’adéquation des mots au réel, en
une quête on ne peut plus concrète, mais aussi vaine que
dans le récit puisque Joseph ne se montre pas.

34 Entre De tous les horizons, à la narration guidée par le 61. D’autres voix, premier
discours segmenté de Haj Fatmi Chraïbi en exergue à épisode « Le Galet »,

chaque récit, et D’autres voix où l’unité est à chercher non


réalisation Georges Godebert,
30 janvier 1981, tapuscr (...)
dans un fil liminaire mais au cœur de chaque récit, la série
radiophonique offre un moyen terme : les cinq épisodes se
présentent comme des « confessions » du narrateur à sa
femme, Catherine, et sont donc systématiquement
introduits et clôturés par un échange entre ces deux
protagonistes. Ainsi, « Le Galet » débute une nuit venteuse
qui ramène le narrateur loin dans le passé, lui permettant
d’initier le récit de l’homme de Mazagan, tué d’un galet. Le
prétexte narratif a également pour objectif d’expliciter un
trait comportemental : « Cath, nous avons cinq enfants...
[...]. Tu sais pourquoi je ne les ai jamais battus ?.. Pourquoi
je n’ai jamais levé la main sur aucun d’eux, en aucune
circonstance ? [...] Si je n’ai jamais frappé personne, c’est à
cause... D’un galet. » 61 La « moralité » de la fable est ainsi
exposée en ouverture, alors que la fin du récit revient sur la
culpabilité mais aussi sur la figure du personnage solitaire
qui sera l’un des maillons centraux de la série :
NARRATEUR Cath, nous n'étions que des enfants, nous ne 62. Ibid, p. 20.
savions pas... [...]. À l’âge de sept ans, Catherine, j’ai pris
conscience du monde, c’est-à-dire de la vie et de la mort.
J'ai mûri en une seule nuit, je suis devenu solitaire en une
seule nuit de mon existence [...]. Il est mort ce jour-là.
Nous l’avons bombardé avec des galets. L'un de ces
galets l’a tué. Catherine, est-ce que c’est mon galet qui
l’a tué ?
(Thème musical du générique). 62

35 Ce récit d’un drame d’enfance, modifié à trois reprises sur 63. Kacem Basfao note dans
trois supports différents – recueil de nouvelles, article de sa bibliographie que ce récit
a été publié également dans
journal, pièce radiophonique 63 –, est associé très
Démocratie no 36, (...)
étroitement à la « vocation » d’écrivain et, en dépit de
l’emphase avec laquelle le narrateur l’évoque, cette
représentation participe d’une thématique récurrente
jusqu’à Mort au Canada :
NARRATEUR Cath, tu ne sais pas ce qui se passe au fond 64. D’autres voix, premier
de moi depuis l’enfance, tu ne l’as jamais su. Je suis épisode « Le galet », op.cit.,
entouré d’être aimants ? c’est vrai. Mais je te jure que j’ai p. 8.
toujours été seul – seul au milieu de la multitude. Et je
crois bien que c’est pour cela que je suis devenu
écrivain : pour être seul face à une feuille de papier.
Alors, s’il te plaît, ma chérie, laisse-moi te parler jusqu’au
bout... Me parler. Pendant près d’un demi-siècle, j’ai
serré les dents et l’âme pour ne pas me souvenir, pour ne
pas penser... 64
36 Le deuxième épisode, « Les Restes », est dramatisé, 65. D’autres voix, « Les
contrairement à la première version qui en a été donnée, et Restes », réalisation Georges
Godebert, 30 janvier 1981,
régulé par le discours du narrateur : « Nous sommes dans
tapuscrit, p. 5.
une ville arabe, dans la rue, avec le narrateur qui va faire
une sorte de reportage. » 65 La note d’espoir sur laquelle se
terminait ce récit de la déshérence de trois générations
d’hommes est amputée, la pièce se clôturant sur Haj
Moussa distribuant les « restes » sur une place publique, et
l’échange final entre Catherine et le narrateur la laisse en
suspens :
Ambiance : intérieur, soir. 66. Ibid., p. 23-24.
Feu dans la cheminée [...].
CATHERINE Qu’est devenu cet homme ?
NARRATEUR Je ne sais pas, Cath. Vraiment pas. La
dernière vision que j’ai eue de lui a été celle-ci : il avait
attaché à un anneau, au coin d’une rue, la ceinture dont
personne n’avait voulu. Il était en train de la passer
autour de son cou, comme la corde d’un gibet...
CATHERINE Comment : il était en train de la passer
autour de son cou ?.. Qu’est-ce que tu dis ? tu n’es pas
intervenu ?
NARRATEUR Intervenir dans cette marée humaine ? J’ai
essayé [...] en jouant des coudes et des poings. De toutes
les ruelles avoisinantes affluaient les groupes de
badauds.
CATHERINE De sorte que tu ne sais pas ?
NARRATEUR Non, Cath. Je ne sais pas.
CATHERINE Quelqu'un l’a peut-être sauvé !
NARRATEUR Peut-être. Je n’en sais rien après tout.
CATHERINE Mais tu as pu te renseigner par la suite ?
NARRATEUR Je n’ai pas pu le faire. Je n’en ai pas eu le
temps : j’ai couru aussitôt vers l'aéroport et j'ai pris le
premier avion en partance. Tu comprends ?
CATHERINE Non.
NARRATEUR Je n’ai plus jamais remis les pieds dans mon
pays.
CATHERINE (après un temps de réflexion) Tu veux dire...
Oh ! je vois... Mais il se passe quotidiennement des
arrestations arbitraires et des disparitions dans bien des
pays du monde !
NARRATEUR C’est mon pays, Cath ! MON PAYS !
(Thème du générique). 66

37 Cette nouvelle version du départ est aussitôt suivie de son 67. D'autres voix,
corollaire puisque c’est en rebondissant sur cette « L’anier », réalisation
George Godebert, 30 janvier
conversation que le narrateur entame le troisième épisode,
1981, tapuscrit, p. 4.
celui de Bouchaïb ignorant son père venu l’accueillir à
l’aéroport : « NARRATEUR (s’adressant à Catherine, mais à 68. Ibid., tapuscrit, p. 18-19.
blanc)... Si, Catherine, je suis revenu dans mon pays : une
seule fois, à la mort de mon père. Je n’ai pas pu voir mon 69. D'autres voix, « Le
Sac », réalisation George
père, l’enterrement avait déjà eu lieu. Mais j’ai vu quelqu’un
Godebert, 30 janvier 1981,
qui lui ressemblait étrangement : un anier. » 67 La tapuscrit, p. 24.
« moralité » de cette fable qualifiée de « drame » – qui, dans
le roman, s’achève sur un rire trahissant la souffrance du 70. Un homme seul, de Driss
Chraïbi, réalisation Arlette
narrateur – est un bilan personnel : « J’aurais pu devenir
Dave, 9 octobre 1978.
comme cet homme, Bouchaïb ! Il est si facile de devenir
médiocre, de se laisser dénaturer, de renier ses racines 71. D’autres voix,
profondes !.. Pour un semblant de civilisation !... » 68 Le « L’Homme aux lions »,
réalisation Georges Godebert,
quatrième épisode, « Le Sac », prend place à l’occasion
30 janvier 1981.
d’une promenade dans la forêt et il fait contrepoids avec
l’épisode « Les Restes » puisque cet autre « drame de
l’incompréhension », ainsi que Catherine le détermine à la
fin du récit, montre un narrateur assailli par l’injustice et la
souffrance de quelque côté qu’il regarde : « NARRATEUR Ici,
Catherine, ici, dans cette clairière... dans ce pays où je vis,
où j’ai fondé une famille et qui est devenu le mien... le
mien ! » 69 Le dernier récit du recueil, « Une maison au bord
de la mer », ne fait pas partie de cette série radiophonique,
mais il n’a pas été laissé de côté pour autant ; il a fait l’objet
d’une dramatique indépendante, trois ans auparavant, sous
le titre « Un homme seul » : pour cette pièce réalisée aux
Iles Hébrides, Chraïbi a déplacé l’action en Ecosse
(« Edimbourg ») et, en conséquence, il a donné à son
personnage principal un patronyme aux consonances
locales. Barthélémy est devenu Murdoch, tandis qu’au
narrateur habituel s’est substituée une narratrice, Sheena 70.
La série radiophonique D'autres voix se voir donc bouclée
par l’épisode « L’Homme aux lions » 71, issu de « Quatre
malles » : Catherine et le narrateur baguenaudent sur un
petit port de pêche, et cette fois, c’est la sirène d’un bateau
entrant dans le port qui déclenche la relation, en
réminiscence d’une autre sirène qui annonçait l'arrivée de
Coulibaly. Cette dernière pièce débute sous des auspices
moins favorables, Chraïbi montrant ainsi un certain recul
par rapport à ces récits tournés vers le passé :
NARRATEUR [... ] Tu as chassé tes soucis, Cath. La 72. Ibid., tapuscrit, p. 5.
tempête de la semaine dernière les a emportés loin, très
loin, et puis, te rends-tu compte que voilà quinze jours
que tu n’as écouté ni la radio ni la télévision ? Aucune
information « noire » du monde ?
CATHERINE Mais je t’ai écouté, toi ! Je n’ai fait que
t’écouter ! Tu n'as pas cessé de faire des bilans. 72
38 L’adaptation est assez proche du texte original et fait 73. Ibid, p. 22.
reprendre à Coulibaly sa qualité de frère en visite, venu
vérifier la validité des bouts de papier appelés « diplômes »
dans le pays de résidence du ministre de l’Éducation
Nationale, venu également remplir ses malles « de mots : de
justice sociale, de droits de l’homme, d’intégrité
personnelle, de fraternité... » 73. La fin de la pièce retrouve
« l’ambiance du début », une indication scénique qui ne se
limite pas à la seule considération technique :
NARRATEUR Et voilà, Catherine ! 74. Ibid., p. 25-26.
CATHERINE Et voilà, quoi ? Les déceptions font partie de
la vie, voilà tout.
NARRATEUR (surp ris) Mais, ma parole, on dirait que cette
histoire a atteint ton chauvinisme !
CATHERINE (véhémente) Chauvinisme ! chauvinisme !
chauvinisme de quoi ? Cet homme est retourné vers lui-
même, il a regagné son Afrique natale, le soleil, les
grands espaces, les lions...Il a un passé et il a rejoint son
passé. Tandis que d’autres !... [...] Il y a bien des gens qui
n’ont rien, ni devant ni derrière eux. Pas de passe.
Aurais-tu oublié que je suis née, moi, au début de la
seconde guerre mondiale ?
NARRATEUR Non, Cath.
CATHERINE Mon passé était la guerre, les bombes. Mon
horizon, c’étaient les Stukas et l’exode !... Et pourtant, j’ai
un présent et un avenir, j’ai confiance dans l’humanité.
NARRATEUR Tu es toujours la même, Cath. Je t’ai connue
ainsi, à vingt ans. Tu continues de rêver.
CATHERINE Tu étais comme moi. Qu’est-ce qui t’es
arrivé ? Te voilà réfugié les trois quarts du temps sur
cette île, soi-disant pour travailler, pour avoir la paix et
écrire des livres ! Nos enfants occupent trop d’espace à la
maison et t’empêchent de penser et de vivre ? Et alors ? Il
est si facile de fuir, comme tu le fais.
NARRATEUR Comment cela ?
CATHERINE Tu veux que je te dise ? Tu es réfugié dans le
passé que tu magnifies. Et tu le magnifies parce que tu
rêves. 74

Les dramatiques, entre rêverie et


hommage
39 Pour France-Culture, des années durant, Driss Chraïbi
transpose ainsi ses œuvres sur un nouveau support,
profitant de l’opportunité pour les repenser et les remanier
ou encore pour restituer le plus fidèlement possible, comme
dans son diptyque païen, les images qui l’accompagnaient
lors de l’écriture. Réciproquement, des résonances de la
création radiophonique se manifestent au sein des œuvres,
ainsi que Chraïbi le souligne à propos de La Mère du
Printemps. Des multiples adaptations d’autres œuvres que
les siennes, deux se démarquent : Bivouac sur la Lune de
Norman Mailer et Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun. Les
adaptations en elles-mêmes ne livrent rien qui permette de
les distinguer du lot, néanmoins, le voyage de la terre à la
lune entrepris par Chraïbi entre 1967 et 1973 est lourd de
sens.

Bivouac sur la Lune


40 Chraïbi a adapté Bivouac sur la Lune en mai 1973 en une 75. Claudine Thomas,
série de dix épisodes, soit un tapuscrit de 163 pages pour Norman Mailer, le complexe
d'Osiris, Paris, Belin, « Voix
un récit original de plus de 500 pages, qui plus est signé
américaines », 1 997, p. (...)
par un auteur célèbre pour ses œuvres volumineuses et
d’une densité informative qui n’a d’égale que l’abondance 76. Norman Mailer, Los
du travail de documentation à partir duquel il les bâtit. Angeles Times, 23 septembre
1984, cité par Claudine
Journaliste, essayiste et romancier, récipiendaire du Pullitzer
Thomas, Ibid., p. 10. The Ar
pour son ouvrage The Armies of the night, Norman Mailer (...)
est perçu comme « l’enfant terrible des lettres
américaines » 75, se définissant comme « un oxymoron [...] 77. Norman Mailer, Bivouac
pour le public américain » 76. Ingénieur en aéronautique, sur la Lune, Paris, Gallimard,
1971, p. 486.
Mailer était l’homme tout désigné pour faire le récit de
« l’été de la Lune » 77 et cette compétence scientifique il en 78. Ibid., p. 16.
fait usage tout au long du texte, faisant revivre pas à pas le
« lancement philosophique » 78 de la mission Apollo XI qui 79. Ibid., p. 202.

emportait Michael Collins, Buzz Aldrin et Neil Armstrong à la


80. Cf. entretien avec Driss
conquête de « cette pâle sœur de la création » 79 en juillet Chraïbi, 7 mai 2001, op.cit.,
1969. Que d’éléments pour séduire un Driss Chraïbi qui p. 375 : « Il se demandait si
évoque encore l’événement, inconsciemment, dans les le programme s (...)
mêmes termes que Norman Mailer. Interrogé sur les
81. « La Nasa vendait
possibilités offertes par la technique radiophonique, c’est en l’espace. Armstrong travaillait
se référant à Bivouac sur la Lune qu’il répond : « Il y avait le directement pour sa firme »,
voyage Apollo XI [...] l’homme arrivait sur la lune... ça m’a Bivouac sur la Lune, (...)
semblé pauvre par rapport à l’événement. Est-ce que c’est
82. Bivouac sur la Lune,
la plus belle conquête de l'homme, pour moi c’est ça, ou
Ibid., p. 429. Pour Claudine
est-ce la plus grande insanité, c’est-à dire exporter ses Thomas, Mailer a produit
doutes ailleurs, sans les avoir résolus. Puis je tombe sur un « une œuvre qui, travers (...)
bouquin qui n’est même pas un roman, c’est une relation de
83. Bivouac sur la Lune,
Norman Mailer Bivouac sur la Lune » 80. Pour Mailer, cette
op.cit., p. 325.
conquête n’était pas au départ la plus belle 81, et la question
obsédante accompagne le narrateur, Verseau, tout au long 84. Ou presque : Chraïbi, à
de son reportage (lre partie), du récit qu’il reconstitue et par en croire les ratures et les
rectifications, a retravaillé le
lequel il s’acharne à faire naître un sens scientifique,
tapuscrit pro (...)
philosophique, métaphysique, mythologique (2e partie), et
hante sa conclusion (3e partie) : « Le voyage d’Apollo XI 85. Cf. entretien avec Driss
était-il la plus noble expression d’un âge technologique ou Chraïbi, 7 mai 2001, op. cit.,
bien la preuve la plus flagrante de sa totale démence ? » 82 p. 375.

Chraïbi a prélevé dans cette impressionnante somme de


données et de réflexions, aussi fidèlement qu’il est possible
de le faire, les principaux éléments du parcours de Verseau,
qu’il dévoile puisque ce n’est pas ce narrateur qu’il met en
scène mais Mailer lui-même. Les premières séquences – la
première partie du roman, la relation par un Verseau
désabusé et déprimé du lancement de Saturne V, puis de la
retransmission constamment défaillante des premiers pas
sur la « centrifugeuse du rêve » 83 –, sont faites à partir
d’archives audio de l’événement mais, hormis ces
indications, le tapuscrit ne transmet rien d’autre que le
texte de Mailer 84. Ce qui constituait l’essence de la relation
– sensible dans l’ample récit de Mailer à cause de la
poéticité dont il charge l’événement – manque à l’adaptation
et Chraïbi lui-même est à court de mots pour décrire
l’atmosphère de la pièce : « On m’a mis au défi de l’adapter,
je l’ai adaptée [...] le problème était technique mais on a
réussi : c’est-à-dire qu’on envoyait le son, on le recopiait
sur une bande, on trafiquait la bande, on le renvoyait dans
une chambre de réverbération et ça arrivait avec la voix de
la lune, des habitants de la lune. Il faut dire que j’avais les
meilleurs techniciens de France qui soient. Je parle pas
tellement de ça alors, dans tout un chapitre sur la
radiophonie, j’ai rendu hommage aux techniciens et aux
acteurs : c’était merveilleux, merveilleux, merveilleux. » 85
41 Le travail sur le texte de Mailer a retenti un peu plus tard 86. « Patrik, écoute-moi
dans Mort au Canada et l’adaptation a rejoint le texte ; [...]. Il n’est pas possible que
tu écrives la musique de ce
Patrik, compositeur de son état, fait le bilan de ses dernières
film en te basant (...)
et peu nombreuses créations, révèle n’avoir jamais écrit la
musique du film pour lequel il avait été envoyé à la clinique
La Pinède – résonance du scénario de La Raison folle 86 ;
pour lui, il s’agit de deux de ses plus belles œuvres (MC,
p. 86) :
Les œuvres que Patrik a écrites étaient des commandes
de la Société Radio-Canada. Une suite et une symphonie.
Il n’avait jamais travaillé sur commande, mais l’idée
l’avait inspiré, en particulier pour la symphonie. Il avait lu,
et aimé, Bivouac sur la Lune, de Norman Mailer. Tout au
long de son livre, Mailer se demandait ce qui pouvait bien
faire « fonctionner » les savants de la NASA, les
astronautes, et même tes ordinateurs ou le LEM lors du
premier débarquement sur la lune. Ce lancement était-il
la quintessence de notre civilisation ou bien, au contraire,
l’expression la plus flagrante de notre insanité ? Pour
répondre à cette question, il mettait au service de la
technologie son flair infaillible de romancier (le
Navigateur de l’Inconscient) doué de passion et
d'humour, capable de semer des doutes salutaires dans
les certitudes scientifiques.
Patrik se laissa guider par sa sensibilité. Il simplifia les
données, les transposa. Il n’y avait pas de Cap Kennedy,
de fusée, de cabine Apollo, plus de journalistes et de
mass media pour en être les témoins. Un couple partait,
non à la conquête de l’espace, mais de son humanité, et il
était seul pour en être son propre témoin. (MC, p. 87)
42 Il va alors dérouler la métaphore spatiale, décrivant sa 87. Bivouac sur la Lune, op.
relation avec Maryvonne. Mais c’est tout le roman que cit., p. 158.

l’adaptation/l’ouvrage de Mailer a contaminé, devenant un


88. La rêverie libératrice
intertexte implicite et tout juste perceptible lorsque, par c’est aussi celle qu’agrée
endroits, Chraïbi refond les expressions de l’auteur Verseau, allant contempler la
américain : « Le langage dans lequel on allait désormais petite pierre de lu (...)
chanter cet extraordinaire bond promettait d’être aussi plat
89. Norman Mailer, Bivouac
que la musique d’une harpe sans cordes. Le siècle avait ôté
sur la Lune, op.cit., p. 168.
les mots à toutes les mélodies [...]. Nous avions posé un
homme sur la Lune. Mais l’événement était si lointain, si
irréel, qu’aucun corrélatif objectif n’existait pour prouver
que cela n’avait pas pu être un événement monté dans un
studio de télévision – la plus grande escroquerie du siècle –
[...]. Concevez un peu le génie qu’exigerait une telle
conspiration [...]. Ce siècle en effet était un géant et un
crétin. » 87 Patrik, de son côté, s’interroge sur l’aptitude de
la sublimation par l’écriture à capturer les tons du passé –
« tout paraît simple, facile à transcrire sur le papier, ce qui
est arrivé de beau et d’intense est là, au bout de la plume,
mais la poésie a rejoint le passé, s’y est fixée, s’y fige. Et ce
qu’il reste ce sont des mots vidés de leur mélodie » (MC,
p. 25) – bien qu’il veuille s’efforcer de croire que « le
romantisme [...] jamais ne mourra en ce siècle géant et
crétin de technologie » (MC, p. 46) même si son cœur
ressemble à « un violoncelle sans cordes » (MC, p. 149).
Entre le spectre d’une musique de film sur une clinique
psychiatrique et la symphonie du roman en train de s’écrire,
Bivouac sur la Lune a été la rêverie libératrice 88. Chraïbi, qui
insère le souvenir de l’adaptation et tente d’insuffler un
renouveau à son écriture grâce à cette technique, a retrouvé
ou, du moins, repris ses marques : après Mort au Canada,
où se mettent en place quelques-uns de ses jalons décisifs,
la voix fondatrice va pouvoir s’élaborer et s’affirmer de
mieux en mieux : « Rien à l’avenir ne pourrait jamais être
pareil [...]. On aurait dit que nous avions commencé à
retourner la poche de l’univers. » 89

« L’ami Mouloud Feraoun »


43 Dans Le Monde à côté, Chraïbi passe sous silence la plupart
des adaptations, et celle de Bivouac sur la Lune, au souvenir
encore vivace et exaltant pourtant, ne fait pas exception. On
ne peut faire grief à l’auteur de s’attarder trop longuement
sur cette facette professionnelle – encore qu’une partie de la
critique apprécierait qu’il mette son talent de romancier au
service d’anecdotes plus flamboyantes –, aussi la moindre
mention distingue indéniablement les plus significatives. Le
Fils du pauvres de celles-ci, effleurée si sobrement que le
lecteur occasionnel de Driss Chraïbi serait bien en peine de
mesurer l’importance qu'elle peut revêtir :
Un monceau de lettres m'attendait sur mon bureau, avec
un galet de l’île d Yen par-dessus. Abdellatif Laâbi venait
de prendre la défense du Passé simple dans sa revue
Souffles. Des bulletins à remplir à la société des auteurs
[...]. Des bulletins scolaires à signer. Des invitations, dont
l’une émanant d’André Malraux. Un compatriote du nom
de Tahar Ben Jelloun m’envoyait un poème et deux
articles de presse. Parfois je répondais. J'avais la tête
ailleurs. Je consacrai au pied levé une émission spéciale à
l’ami Mouloud Feraoun assassiné par l’O.A.S. Elle me
valut des ennuis. Mais France-Culture avait beaucoup
d’audace. J’adaptai Le Fils du pauvre et l’intégrai à la série
« Théâtre noir ».
Séquences hachurées dans ma mémoire. (MAC, p. 113)
44 En compagnie d’Emmanuel Roblès, de Jacqueline Hébert et 90. Cf. Kacem Basfao, op.
de Bernard Latour 90, Driss Chraïbi consacre une émission cit., p. 776.

spéciale à l’écrivain kabyle, le 26 avril 1967, célébrant


91. Le tapuscrit est daté du
l’homme et l’œuvre pour le cinquième anniversaire de sa 13 juin 1967 et la dramatique
tragique disparition, avant de préparer l’adaptation du Fils a été diffusée le 1er juillet.
du pauvre, diffusée deux mois plus tard 91. La présentation
de la dramatique, publiée dans Les Cahiers littéraires de
l’O.R.T.F. est à des lieues de la sobriété factuelle du Monde
à côté ; Chraïbi ne tarit pas d’éloges dans cet article qu’il a
intitulé « Le Combat de Mouloud Feraoun » :
Le samedi 1er juillet [...] les producteurs de la série 92. Driss Chraïbi, « Le
« Théâtre noir » accueillent exceptionnellement un combat de Mouloud
écrivain algérien, et quel écrivain ![...] De tous les Feraoun », Les Cahiers
écrivains nord-africains d’expression française, le littéraires de l'O.R.T.F. no 18,
25 ju (...)
regretté Mouloud Feraoun fut le plus doux, le plus
humain, le plus mûr. Il avait un visage de bonté, des yeux
au regard profond et calme, où se lisaient toute la
détresse et toute l’espérance humaine [...]. En plein
drame algérien, jamais il ne lui était venu à l’esprit de
s’expatrier. « Pourquoi partir ? m’écrivait-il quelques
jours avant sa mort tragique. Pour sauver ma peau ? Ce
serait une lâcheté [...]. Je ne sais pas ce que signifie une
“carrière d'écrivain” ».
Il était d’origine humble, littéralement le fils d’un pauvre.
Et, toute sa vie, il resta parmi les pauvres, frères kabyles
et paysans démunis de tout – même de la dignité
humaine. C’était là son combat. Instituteur, c’est à des
fils de pauvres, dans des villages kabyles, qu’il donnait
son enseignement [...].
Son œuvre est le reflet fidèle de sa vie. Son premier
roman, Le Fils du pauvre [...] est le récit d’une enfance et
d’une adolescence dans une famille de paysans des
Aurès, un témoignage de vérité profonde et d’émotion
pure [...].
Mouloud Feraoun a publié deux autres romans, La Terre
et le sang [...] et Les Chemins qui montent, que j’aurai
l'honneur et le plaisir insigne d’adapter aussi pour la série
Théâtre noir au cours du dernier trimestre 1967, estimant
avec quelques raisons que Mouloud Feraoun a été, de très
loin, le meilleur écrivain d’entre nous tous. Il avait un
style dépouillé, simple comme lui, avec une foi ardente
capable de décaper les cœurs rouillés. 92
45 Peu de ses confrères peuvent se targuer d’avoir suscité chez 93. Chraïbi utilise
Chraïbi une telle admiration inconditionnelle, d’autant que fréquemment ce néologisme
dans ses articles mais aussi
s’il loue l’homme, qui faisait généralement l’unanimité, il
parfois dans ses romans.
loue également l’œuvre avec un regard qui, chez d’autres
que lui, serait qualifié de « paternaliste » : ne pas faire de 94. Cf. entretien avec Driss
littérature, dans l’idiome chraïbien, signifie ne pas être Chraïbi, 21 mars 1998, op.
cit.
atteint de « discourite » 93, ce nombrilisme des écrivains
« qui se regardent écrire ». Ce n’est pas pour autant qu’il
95. Cf. Martine Mathieu-Job,
faut en déduire qu’il ne reconnaissait pas la complexité du « L’humour de Mouloud
dire feraounien sous une écriture à la transparence Feraoun ou la délocalisation
trompeuse. Seulement, le reflet d’une vie simple et le de rénonciation », Écri (...)

portrait des humbles, à l’opposé de l'univers bourgeois dont


96. Mouloud Feraoun confère
il est issu, avaient de quoi finir d’emporter l’adhésion d’un pourtant à son roman
Chraïbi qui se définit comme « un cas à mettre dans une autobiographique les nuances
camisole de force » : « La plupart des gens partent d’une usuelles de tout ce qui n (...)

classe sociale moyenne et leur rêve c’est de monter, moi


c’était juste le contraire [...]. L’évolution n’est valable que
dans l’autre sens – de la gloriole vers la modestie, du
confort intellectuel à la révision de ses idées. » 94 Aussi,
c’est avec ce regard qu’il réalise l’adaptation du Fils du
pauvre : plutôt fidèle dans ses adaptations, il reprend en
majeure partie le texte original, mais il y a une déperdition
de ce regard oblique avec lequel le narrateur adulte du
roman observait Fouroulou et son entourage 95, à une
exception près, celle de l’incipit qu’il remanie légèrement
pour le raccourcir. Le prologue du narrateur devient une
exposition à la charge de l’auteur – Chraïbi entérinant ainsi
l’identification des deux instances que révélait déjà la
présentation de la dramatique 96 – qui conserve l’humour de
la métaphore initiale tout en portant un coup à
l’autodérision emblématique qui la caractérise :
Menrad Fonroulou est un modeste instituteur du pays 97. Le Fils du pauvre,
kabyle, à Tizi-Hibel. Il vit dans le monde des aveugles, adaptation de Driss Chraïbi,
mais il ne veut pas se considérer comme roi. D’abord, il réalisé par – « faut-il le
est pour la Démocratie, ensuite il a la ferme conviction rappeler ? », s’amuse Ch (...)

qu’il n’est pas un génie. Pour aboutir à une opinion aussi


désastreuse de lui-même, il lui a fallu plusieurs années.
Cela ne diminue pas son mérite, au contraire [...]. Menrad
se résigne à être un simple instituteur, dans un village
comme celui qui l’a vu naître, dans une école à une seule
classe, au milieu de tous les paysans kabyles, ses frères,
supportant avec eux les tourments de l’existence, l’âme
parfaitement calme ? 97
46 Le prélèvement dénie au récit l’une de ses modalisations, 98. L’effet produit par cette
accentuant certes l’aspect de témoignage que Chraïbi veut ouverture se retrouve par
exemple dans la scène du
donner à entendre, mais risquant parfois un ton légèrement
père terminant le maig (...)
misérabiliste dont n’est absolument pas empreint le récit
feraounien 98. Chraïbi s’est autorisé plus de retouches sur 99. Ibid, p. 16.
Le Fils du pauvre qu’il n’en apportait à Bivouac sur la Lune :
trop factuel, ce dernier laissait une marge de manœuvre 100. Mouloud Feraoun, Le
Fils du pauvre, Paris, Seuil,
réduite aux illustrations sonores, tandis qu’avec l’adaptation
1952. Nouvelle édition. Seuil,
du roman de Feraoun, Chraïbi livre, dans le même temps et « Points », 1982, (...)
par endroits, sa propre lecture qui est indéniablement
infléchie par un désir de mettre en évidence l’exemplarité 101. La patte chraïbienne se
reconnaît parfois dans cette
d’un parcours, d’autant plus honorable que l’extraction est
adaptation, ne serait-ce que
modeste. La mise en scène, précisément, est extrêmement par l'usage d’apo (...)
réduite – au pittoresque, Chraïbi illustrant une salle de
classe ou rajoutant quelques « youyous », choisissant de
dramatiser avec insistance la division des biens qui fait
office de succession, après le décès de la grand-mère du
narrateur – et sans comparaison avec ce qu’il avait pu
envisager quelques années auparavant pour L’Âne. Les
chapitres relatifs aux tantes de Fouroulou, Khalti et Nana,
sont gommés probablement en raison de contraintes
techniques telles que la durée impartie à la dramatique.
Mais, étonnamment, un contresens significatif lui échappe
lorsqu’ il reprend en un sommaire l’épisode de
l’apprentissage de la poterie ; il fait dire à son Menrad : « Je
fus livré à mes tantes et à mes sœurs. Il y en avait tellement
qu'aujourd’hui encore je ne sais pas leur nom » 99, versant
dans le cliché, tandis que Feraoun écrit tout autre chose,
mettant en évidence un trait pourtant cher à Chraïbi
puisqu’il se rencontre dans la récurrence de formules
imagées et frappantes : « Je ne sus le nom de chacune de
mes tantes qu’après les avoir bien connues elles-mêmes. Le
nom ne signifiait rien. » 100 En effet, ce n’est qu’« une
étiquette du langage. Ce n’est pas une identité. L’identité
est ce qui demeure primordial le long d’une existence,
jusqu’au dernier souffle : la moelle des os, l’appétit
flamboyant des organes, la source qui bat dans la poitrine
et irrigue la personne humaine en une multitude de
ruisseaux rouges » (NA, p. 123). Chraïbi retransmet donc
l’œuvre feraounienne à travers le filtre de sa lecture
personnelle, ce qui présente l’avantage de voir parfois
interférer les deux écritures 101 ; il est simplement un peu
regrettable qu’il n’ait pas conservé tel quel l’échange final
entre Fouroulou et Ramdane dont il a modifié la dernière
phrase :
– Si tu échoues, tu reviendras à la maison. Dis-toi bien 102. Mouloud Feraoun, Le
que nous t'aimons. Et puis ton instruction, on ne te Fils du pauvre, op. cit.,
l’enlèvera pas, hein ? Elle est à toi. Maintenant je remonte p. 146. Le tapuscrit, pour sa
au village. Ta mère saura que je t’ai parlé. Je dirai que tu part opte pour l’insist (...)

n’as pas peur.


– Oui, tu diras là-haut que je n’ai pas peur. 102

47 L’émission spéciale et l’adaptation de l’œuvre feraounienne 103. Jean Amrouche


sont loin de relever d’un hommage de circonstance : Chraïbi « I.’O.A.S. a visé l’espoir au
cœur », Gabriel Audisio « Un
a joint sa voix aux protestations atterrées qui ont dénoncé
crime qui déshonore ceux
sur le champ l’assassinat de l’écrivain kabyle et de cinq de (...)
ses collègues au cours d’une réunion de travail aux Centres
sociaux d’El Biar, le 15 mars 1962. Après Jean Amrouche, 104. Mouloud Feraoun,
Lettres à ses amis, op. cit.
Gabriel Audisio, Jules Roy et Germaine Tillion, Chraïbi publie
un article, sous le titre « Le brancardier », dans la revue
105. Ibid., p. 114.
Confluent 103, où il révèle notamment les circonstances
dans lesquelles Mouloud Feraoun et lui-même s’étaient liés
d’amitié, et qui ne sont pas situables si l’on se réfère
uniquement aux écrits de Feraoun : la note de Roblès en
exergue à la correspondance de l’écrivain qui évoque
« l’intense activité épistolaire » de Feraoun précise que « de
toute cette correspondance la plus grande partie a été
perdue, en particulier les lettres à Driss Chraïbi et Albert
Camus » 104. Quant à Feraoun, il écrit dans un courrier à
Roblès du 25 octobre 1955 : « Je n’ai pas encore lu les livres
de Mammeri, de Memmi et de Driss Chraïbi. » 105 Dans « Le
brancardier », Chraïbi ne mâche pas ses mots :
Presque tout le monde l’avait attaqué quand il s’est mis à 106. Driss Chraïbi, « Le
écrire. Les critiques de la droite l’avaient traité de brancardier », op. cit.,
« barbaresque ». Ceux de la gauche furent pires, de cette p. 323.
pseudo-gauche qui a une si bonne conscience que j’ai
envie de fuir au bout du monde, là où il n’y a que des
chacals. L’un de ces critiques de gauche avait été jusqu’à
l’injurier en le traitant de valet du colonialisme, parce que
c’était la guerre d’Algérie et que, selon ce « critique »,
Mouloud Feraoun devait être engagé et n’appartenir qu’à
un seul camp. Si jamais ces lignes tombent sous les yeux
de cet homme, qu’il nous dise donc clairement ce qu'il
pense de la mort de ce valet du colonialisme.
J’avais défendu Feraoun et notre amitié date de cette
époque. Il était discret, pudique dans son amitié. Je lui
dois de m’avoir appris la patience et l’absence totale de
passion. Tout le destinait à être l'un des meilleurs
éléments de l'Algérie de demain. C’est cela qui a fait peur
aux exécutants de l’honneur français.
Les écrivains maghrébins de langue française perdent l’un
de leurs frères, leur frère aîné, le plus calme, le plus
constructif. Déjà, flous n’étions pas toute une armée
comme l’O.A.S. [...]. À contre-courant de la violence, nous
cheminions avec entêtement [...]. Bilan : Mohamed Dib est
réfugié en Provence, Mouloud Mammeri au Maroc, Kateb
Yacine en Tunisie (trois fois, il a échappé à un attentat)
[...]. Et, quand il ne restera que des écrivains français
pour exprimer les problèmes et les aspirations de nos
peuples [...] ou, au mieux, des écrivains maghrébins de
langue arabe qu’on ne traduira jamais en français pour la
méconnaissance réciproque et tant souhaitée, entretenue
depuis les Croisades, je vous le demande : que restera-t-
il à vous, Français, de tant d’années de présence et de
culture au Maroc, en Tunisie et en Algérie. 106
48 L'affaire à laquelle Chraïbi fait allusion est celle qui a salué 107. Cf. entretien avec Driss
la parution des Chemins qui montent en 1 957 : il aurait Chraïbi, 7 mai 2001, op. cit.,
p. 388.
envoyé à Feraoun l’article incriminé accompagné de l’article
de son cru qui prenait la défense du roman et de l’écrivain, 108. Mouloud Feraoun,
à partir duquel Feraoun aurait conçu sa propre réponse et Journal 1955-1962, Paris,
que Chraïbi aurait envoyée sous couvert de son nom au Seuil, 1962, p. 225.
journal Démocratie. Selon Chraïbi l’article aurait été intitulé
109. Il précise « polémique
« M*, vous êtes un salaud » 107, ce qui au premier abord est
avec Maurice Maschino : cf.
un peu éloigné de ce que Feraoun – chez qui on aurait, en articles de ce dernier, no 17
outre, tendance à supposer un langage plus policé y et 27 du même hebd (...)
compris lors de polémiques – note en date du 28 avril 1957
dans le Journal : « Un journal du Maroc (P.D.I.) m’a
violemment attaqué pour mon dernier livre. J’ai répondu de
mon mieux et me demande s’il va publier ma réponse. » 108
Kacem Basfao, dans sa bibliographie, mentionne pour sa
part un article de Chraïbi du 10 juin 1957, publié dans le
no 25 du journal Démocratie, intitulé « Littérature nord-
africaine d’expression française » 109. Quelques années plus
tard, toujours dans le Journal, Feraoun revient sur l’affaire :
21 août 1961. « Un joli coco » : c'est le titre d'une note du 110. Mouloud Feraoun,
« Huron » dans Le Canard enchaîné. Ce drôle de coco est Journal 1955-1962, op. cit.,
devenu, paraît-il, « Français de Tunisie ». Il y a quatre p. 328.
ans, ce monsieur que je croyais « Français du Maroc »
alors qu’il se disait « Français d’Algérie » m'avait traité de
« faux-monnayeur » et incitait le F.L.N. à m’exécuter.
C’était un salaud et je le lui ai dit. Eh bien ! en dépit de
ces changements de patries adoptives, il reste le même. Il
attend le moment critique et vous désigne pour le poteau
dans un style bien à lui et avec l’inconscience de la bêtise
incurable parce qu’elle se croit intelligente ! Un bon point
pour le Huron. Merci, Canard. 110
49 De fait, la virulence de la réponse de Feraoun ne semble
plus faire de doute, non plus que celle de l’attaque de 1957,
veine pratiquée par le « critique » en question sur d’autres
plans, à en croire effectivement un nouvel article que
stigmatise « le Huron » :
Un joli coco. 111. « Bloc-notes du
Dans un journal de Tunis, un nommé Maurice Maschino, Huron », Le Canard enchaîné
« Français de Tunisie », publie une « lettre au directeur du du 16 août 1961.
Monde » dans laquelle il s’efforce de justifier les
expulsions de Français. D’abord les familles de militaires
« que le simple fait de vivre à Bizerte rendait complices,
objectivement, de l’impérialisme français ». « D’autres
Français sans doute vont quitter la Tunisie : tant mieux,
continue cet aimable quidam. Je ne connais pas tous les
milieux, mais celui des fonctionnaires, et en particulier
des enseignants, a grand besoin d’être épuré : outre que
leur niveau intellectuel est généralement assez bas, leur
“Weltanschauung” est singulièrement rétréci ; attirés ou
retenus en Tunisie pour des raisons financières... »
Le diplomate tunisien dont nous avons publié la lettre
mercredi dernier avait raison : il y a vraiment des
salopards parmi les Français de Tunisie... Ce Maschino
par exemple : prêt à faire expulser tous ses compatriotes,
pourvu qu’il reste, lui... 111
50 Si l’on peut dater la naissance de l’amitié entre les deux 112. Cf. entretien avec Driss
écrivains de cette affaire, en 1957, Chraïbi armant sa plume Chraïbi, 7 mai 2001, op. cit.,
p. 389.
pour défendre une œuvre qu’il estimait, mais également un
homme qu’il ne connaissait pas, alors, personnellement, il
est moins aisé de déterminer les résonances que l’œuvre de
Feraoun a pu avoir ultérieurement dans les romans de
Chraïbi. Le personnage de Far’oun le borgne, tailleur de
pierre et père d’Hineb, emporté par le bloc de pierre qu’il
travaillait et qui lui a coûté la vie, mais, surtout, conteur
remarquable qui transmet à sa fille – dans leur exil qui les
éloigne des Aurès dont ils sont originaires – « les mille et un
chapitres de l’histoire de leur peuple » et les « secrets de la
Tradition », n’est absolument pas un personnage à clé 112.
Qu’il soit présenté comme une référence pour Azwaw,
incrédule mais incapable de résister à la rêverie où
l’entraîne « le poème du monde » – « Far’oun ne réagissait
pas autrement, après tout. S’il apportait la contradiction, s’il
ricanait à l'écoute de 1 Histoire de la Terre, c’est qu’il aimait
celle-ci. Il la connaissait » (MdP, p. 96) –, n’est en rien
significative et, hormis l'emprunt d’un patronyme par
ailleurs commun, toute ressemblance avec des personnes
existantes ou ayant existé ne saurait être que purement
fortuite dans ce roman des origines qui célèbre avec poésie
la mère nourricière et ses « Fils de l’Eau » : creuse, Driss,
creuse...

51 Les multiples jeux d’échos intratextuels de l’œuvre de Driss 113. Sigmund Freud,
Chraïbi, la complexité des strates de chaque récit et « L’humour », in
L’Inquiétante étrangeté et
l’organisation discursive révèlent un imaginaire
autres essais, Paris,
constamment tourné vers lui-même, s’élaborant au fil du Gallimard, 1985 (p (...)
temps et des œuvres. Etayées par des motifs fondamentaux,
les écritures de traverse qu’il modèle stylisent un regard 114. André Gide, Les Faux-
indéniablement oblique, qui ne trouve d’exutoire à la monnayeurs, Paris,
Gallimard, 1925 ; nouvelle
désespérance d’un siècle « cruel et terrible » que dans la
édition, Gallimard, 1985,
recréation onirique d’un passé originel, corrigeant l’histoire, p. 192
ou dans une ironie humoresque qui, lorsqu’elle ne
démultiplie pas les différentes facettes d’un monde bigarré,
cherche refuge en métamorphosant les perversités du réel
en une source de plaisir 113. L’émergence de la voix
fondatrice, au sein de résonances intertextuelles multiples,
dans les œuvres dernière manière, s’est étoffée jusqu’à
l’accomplissement, répondant peut-être à une lointaine
espérance du « Maître » : « Je voudrais écrire l’histoire de
quelqu’un qui d’abord écoute chacun, et qui va, consultant
chacun, à la manière de Panurge, avant de décider quoi que
ce soit ; après avoir éprouvé que les opinions des uns et des
autres, sur chaque point, se contredisent, il prendrait le
parti de n’écouter plus rien que lui, et du coup deviendrait
très fort. » 114

52 Autre mode d’écriture transversal, l’art radiophonique a 115. Lavoie Pierre, « Par la
augmenté de sa fructueuse technique les dimensions du porte d’en avant », entretien
avec Michel Tremblay, Jeu
texte chraïbien, permettant au mélomane d’exercer une
no 47, juin 1988 p. (...)
stratégie contrapuntique qui viendra infléchir l’organisation
polyphonique de ses œuvres. Avec les dramatiques, Driss
Chraïbi s’essaie à des représentations intermédiaires qui,
peaufinées, se concrétisent de manière réussie dans des
romans ultérieurs. L’apport de l’expérience radiophonique
est indubitable, mettant également en relief un intérêt
incessant pour les sujets qui ont imprégné son œuvre
romanesque d’un bout à l’autre. Une préoccupation
similaire se rencontre chez son confrère québécois –
écrivain et dramaturge – et Michel Tremblay, modulant la
célèbre pensée de l’auteur des Caractères, rappelle : « Tout
a déjà été dit depuis 2 500 ans... Aujourd’hui, en cette fin
de siècle, on peut seulement trouver de nouvelles façons de
dire les mêmes maudites affaires. Alors quand je crois avoir
trouvé une nouvelle structure, je me dis : “Peut-être que les
mêmes maudites affaires que je répète vont être pertinentes
parce que c’est la première fois que je les exprime de cette
façon”. » 115

NOTES
1. « Pour sortir de moi-même, j’écrivis Un ami viendra vous voir
dans la fièvre et envoyai le manuscrit à mon éditeur. À la trappe !
Au chapitre suivant ! » (MAC, p. 114)

2. Les Habitants du marécage de Wole Soyinka, Mission terminée


de Mongo Péri, et L'Âne en 1964 ; Le Sorcier africain de Cary
Joyce, Brother Jero de Wole Soyinka, La Seconde avenue d’Ézékiel
Mphalele, Camaxilo de Castro Soromenho, en 1965.

3. Chraïbi a produit nombre d’émissions puis de dramatiques


avec Georges Godebert, auquel il a dédié La Foule en 1961. Le
tapuscrit porte la date de mars 1966 et a été diffusé le 9 avril
1966.

4. Abdelkébir Khatibi, « Justice pour Driss Chraïbi », Souffles


no 3, op. cit.

5. Le Roi du monde, tapuscrit, p. 43-44.


6. Ibid., p. 8-9.
7. Le Roi du monde, tapuscrit, p. 22-23.
8. « Honorable Grandeur, la race jaune dont je suis le misérable
représentant a eu à souffrir du colonialisme blanc, tout comme la
race noire [...]. Peut-être un jour la race noire donnera-t-elle des
leçons à l’ancien maître. Nos aïeux ont planté des arbres, des
arbres de souffrance, et nous mangeons à présent leurs fruits.
Nous sommes en train de planter des arbres à notre tour pour
que nos descendants aient aussi leurs fruits, des fruits de
bonheur », Ibid., tapuscrit, p. 41.

9. Le Roi du monde, séquence ajoutée, tapuscrit p. 37-4 et 37-


5.

10. Le Roi du monde, tapuscrit, p. 20 ; « Dieu sait que le monde


est fatigué des révolutions ! » (SO, p. 143)

11. La production radiophonique de Driss Chraïbi commence à


intéresser le milieu universitaire, La Greffe a fait l’objet d’un
mémoire de maîtrise : Hamida Tchikou, Littérature maghrébine
et radio : une étude de La Greffe de Driss Chraïbi, université
Paris IV Sorbonne, sous la direction de Jacques Chevrier et de
Guy Dugas, 2002.

12. « ABDELAK (sincère) Ici, c’est une maison de bourgeois, où


règne la morale bourgeoise et où les bourgeois décadents
comme moi apprécient l’Art comme il se doit, parce qu’ils n’ont
rien d’autre à faire », La Greffe, tapuscrit, p. 7.

13. « Eh bien, le voilà ton seigneur et époux, demande-lui des


comptes, comme je le fais pour nous tous », Ibid., p. 24.

14. Ibid., p. 8-9.


15. Ibid., p. 13-15.
16. Telle la raillerie de Nagib à l’intention de Kenza (SO, p. 126)
qu’Abdelak développe avec insistance : « ABDELAK (féroce) Tante
Zineb [...] : as-tu entendu parler de l’usure ? Même le respect
n’échappe pas à l’usure. Ça fait 22 ans qu’on te respecte [...] Un
jour, tu es venue nous rendre visite, pour 3 ou 4 jours. Et tu as
trouvé le moyen de rester ici depuis 22 ans [...]. Tu veux un autre
morceau de rôti ? Non ? ça ne passe pas ? », Ibid., p. 19-20 ; ou
encore cetre réplique du Seigneur placée ici dans la bouche
d’Abdelak : « Voici une femme à côté de laquelle tu as vécu
pendant 33 ans, notre mère [...]... et pendant 33 ans, tu as eu
d’elle une vision multiple, mais qui te dit que c’est une vision
d’ensemble », Ibid., p. 26 (et SO, p. 133).

17. Ibid., p. 15.


18. Un tête-à-tête entre Nagib et son père, au cours de la
deuxième partie, fait écho à cette scène : « – Je vais te dire : c’est
comme si j’avais épousé une nouvelle femme, que je commence
à connaître, tandis que celle que j’avais m’était pratiquement
inconnue. – Ça veut dire que tu es content ? ou que tu as peur ? –
Les deux, mon fils [...].-Et elle, elle a un nouveau mari ? Il ne m’a
pas répondu. Juste fumé. Fumé tout le paquet » (CMM, p. 157).

19. La Greffe, tapuscrit, p. 21-22.


20. Ibid., p. 32. Après ce didactisme d’exposition, les répliques
commencent à se faire plus concises : « SKEN Le mariage mixte
est permis, nous le savons tous... mais... MALIKA Mais pas
quand il s’agit d’une Musulmane, voyons ! C’est si facile d’être
un esprit libéral ! », Ibid., p. 34.

21. Ibid., p. 2.
22. Ibid., p. 37.
23. Ibid., p. 36.
24. Ibid., p. 25-26. Chraïbi réutilise à plusieurs reprises ses
formules fétiches. M. Sken, dans la lignée des patriarches
chraïbiens, se désole comme eux d’avoir semé des pois chiches
et récolté des mulots (tapuscrit, p. 38) et sait se renouveler :
« J’ai semé dans mon champ beaucoup de graines [...J. Une seule
a produit une fleur, dans le champ du voisin », conclutil à propos
de Malika (tapuscrit, p. 45).

25. Ibid., p. 43.


26. Ibid., p. 45.
27. Chraïbi, chose rare, donne la référence complète de ce
morceau – « “La Takzibi”, paroles de Kamil Chennawi, musique
d’Ali Ismaïl, chanté par Mohammed Abdel Wahab, Disque
Soutelphan, no ES 38 série Luxe, distribué en France par Pathé-
Marconi » – qui, selon toute vraisemblance, occupe 1 min. 40 de
la première séquence de La Greffe. Chraïbi a ajusté avec une
grande précision les différents mouvements du morceau avec les
dialogues d’Abdelak et de son frère, tapuscrit, p. 4 à 6.

28. L’Âne, adaptation du roman du même titre dans le cadre des


« Soirées de Paris ». Tapuscrit 13412, p. 3-4.

29. Ibid., p. 14.


30. Ibid., p. 19-20.
31. « FORGERON Et c’est l’avenir. C’est la levée en niasse de ceux
qui n’ont rien trouvé, rien planté, rien extrait, rien transformé,
rien fait surgir de la terre... [...]. Ils se sont réveillés en même
temps, avec l’extraordinaire énergie de peuples qui avaient
dormi pendant des siècles, ils se sont reconnus bien éveillés,
bien vivants, adultes, totalement souverains : des couteaux, des
armes à feu, des cohortes dans les montagnes et dans les villes,
des défilés militaires, des cliquetis d’armes et des piétinements
de foules denses, des incendies, des explosions de grenades et
de bombes, du sang, beaucoup de sang – afin que soit la
liberté... MOUSSA C’est cela, c’est cela le XXe siècle [...].
FORGERON Et quand fut la liberté, absolument rien n’a changé :
le même charbon continue d’être extrait, les mêmes rocs
continuent d’être transformés en ciment. Mais les mots sont là,
beaucoup plus solides que n’importe quelle matière première,
avec les cohortes devenues armées et les armes légères
remplacées par les canons et les tanks. Et les mêmes hommes
continuent de souffrir », Ibid., p. 25-26.

32. Ibid, p. 26-27.


33. « MOUSSA Je vous apporte la parole de Dieu [...]. La vie selon
Dieu [...]. Le libre-échange entre les hommes et les différents
règnes de la création [...]. Je suis venu pour détruire
l’intelligence, l’orgueil et le réel des hommes. J’apporte ce qui
leur a déjà été apporté au cours des siècles et qu’ils ont tous
oublié : la véritable vie pour laquelle ils ont été créés et à
laquelle ils ont substitué leur propre création, faite d’inquiétude,
de souffrances, de luttes entre les classes, de défense contre la
nature, d’abrutissements et de guerres », Ibid., p. 28.

34. Ibid., p. 30.


35. Ibid, p. 35.
36. Cf. Kacem Basfao, Trajets : lecture/écriture et structurels) du
texte et du récit dans l’œuvre de Driss Chraïbi, op. cit., p. 775.
37. La Raison folle, tapuscrit, p. 71.
38. Plus encore peut-être que le roman, la scène du scénario se
destine aux « midinettes », l’inflexion moralisatrice en prime et
une maladresse que n’aurait pas même osée un roman « rose » :
« ISABELLE Pourquoi comprenez-vous si bien ? Est-ce votre
métier ou me comprenez-vous, moi, vraiment ? DANIELS Les
deux, sans doute. ISABELLE C’est très bon, très bon. Comment
peut-on appeler ça ? Un moment de bonheur ? Tomber
amoureuse ? C’est quoi exactement d’être si bien, si confiante
avec vous, comme je n’ai jamais été ? DANIELS Vous avez lu des
traités de psychanalyse. Vous savez ce que c’est que le
transfert ?... ISABELLE (Après un long temps. Triste, avec un
sourire) Oui... Oui... je sais. DANIELS Eh bien, c’est bon signe,
même si je reste strictement votre médecin », Ibid., p. 104.

39. Ibid., p. 4.
40. Ibid., p. 6
41. Ibid., p. 19.
42. Ibid., p. 18.
43. « Les feuillets croissaient et multipliaient et je lui donnais
lecture dès que je la retrouvais. Le livre fut écrit pour elle, à
chaud. C’était ma façon à moi de lui raconter le Maroc, à travers
la personnalité fruste et pure d’une mamma de chez nous. Je
trouvais le titre alors que le manuscrit touchait à sa fin » (MAC,
p. 145).

44. Succession ouverte et Une enquête au pays (adapté pour la


scène) ont été adaptés un an après leur publication, La Mère du
Printemps et Naissance à l’aube deux années après, tandis qu’il
s’écoule plusieurs années avant que les autres romans ne soient
adaptés.

45. La Civilisation, ma Mire/..., 21 décembre 1971, feuilleton de


Driss Chraïbi, réalisé par Arlette Dave, tapuscrit, p. 17.

46. Chraïbi sait exactement comment il veut reproduire le


« chant ample de l’espérance » sur lequel s’ouvre l’épisode relatif
à la conférence d’Anfa : « Technique : au début, trois ou quatre
voix chantent ce couplet sur l’air des lampions. On réenregistre
deux à trois fois, de façon à multiplier les voix, au besoin on
mixe avec rumeur de foule. Le bobineau, on le fait partir deux
phrases plus haut, aux mots “l’océan vert était tout proche”. Il
passe au premier plan sonore quand le narrateur dit : “Le chant
ample de l’espérance”. »

47. La Civilisation, ma Mère !..., 9e émission « la personnalité »,


tapuscrit, p. 51.

48. La Mère du Printemps, par Driss Chraïbi, réalisation de Jean-


Jacques Vierne, tapuscrit, p. 3-4. Quelques pages plus loin, pour
figurer Yassin, Chraïbi va jusqu’à noter : « (Et Yassin se met à
téter goûlument.) (Bobineau. J'ai un bobineau de toute beauté
d’un enfant en train de téter.) », Ibid., p. 7.

49. Ibid., p. 100. La séquence 31 qui incarne la progressive


conquête de l’Islam est également sophistiquée : « (Fondu-
enchaîné : la clameur « Allah akbar »/chant du muezzin
commençant par ces mots « Allah akbar ! » TECHNIQUE : il y a 4
muezzins qui se relaient pour l’appel, chacun d’eux à un plan
sonore différent. L’impression doit être celle d’un espace
infini) », Ibid., p. 109.

50. Ibid., p. 127-128.


51. Le Porteur d’eau, de Driss Chraïbi, réalisation Jean-Jacques
Vierne, 25 janvier 1988, tapuscrit, p. 36.

52. Naissance à l'aube, de Driss Chraïbi, réalisation Claude


Roland-Manuel, 13 décembre 1988, tapuscrit, p. 13.

53. Ibid., p. 11.


54. Ibid., p. 20.
55. À l’exception des séquences censées représenter par des
illustrations sonores le chantier d’une Cordoue en train de naître
des mains des artisans.

56. Les Quatre malles, réalisation Georges Godebert, 6 mai


1967. Le premier tapuscrit des Restes ne porte pas de date.

57. Les Quatre malles, Ibid., tapuscrit, p. 10.


58. Ibid., p. 18.
59. Ibid., p. 19.
60. Ibid., tapuscrit, p. 33-35. La genèse de certaines expressions
est aussi à rechercher dans les adaptations radiophoniques ; ce
récit de Coulibaly comporte une première occurrence de l’idée
que Chraïbi reprendra pour La Civilisation, ma Mère !... : « On
naît dans un pays, on peut vivre dans un autre et mourir dans un
troisième », Ibid., p. 35 et CMM, p. 90.

61. D’autres voix, premier épisode « Le Galet », réalisation


Georges Godebert, 30 janvier 1981, tapuscrit, p. 5-6.

62. Ibid, p. 20.


63. Kacem Basfao note dans sa bibliographie que ce récit a été
publié également dans Démocratie no 36, 9 septembre 1957,
sous le titre « Soleil levant sur Mazagan », p. 9. Kacem Basfao,
op. cit., p. 765.
64. D’autres voix, premier épisode « Le galet », op.cit., p. 8.
65. D’autres voix, « Les Restes », réalisation Georges Godebert,
30 janvier 1981, tapuscrit, p. 5.

66. Ibid., p. 23-24.


67. D'autres voix, « L’anier », réalisation George Godebert, 30
janvier 1981, tapuscrit, p. 4.

68. Ibid., tapuscrit, p. 18-19.


69. D'autres voix, « Le Sac », réalisation George Godebert, 30
janvier 1981, tapuscrit, p. 24.

70. Un homme seul, de Driss Chraïbi, réalisation Arlette Dave, 9


octobre 1978.

71. D’autres voix, « L’Homme aux lions », réalisation Georges


Godebert, 30 janvier 1981.

72. Ibid., tapuscrit, p. 5.


73. Ibid, p. 22.
74. Ibid., p. 25-26.
75. Claudine Thomas, Norman Mailer, le complexe d'Osiris,
Paris, Belin, « Voix américaines », 1 997, p. 9.

76. Norman Mailer, Los Angeles Times, 23 septembre 1984, cité


par Claudine Thomas, Ibid., p. 10. The Armies of the night fait le
récit de la manifestation d’octobre 1967 contre la guerre du
Vietnam.

77. Norman Mailer, Bivouac sur la Lune, Paris, Gallimard, 1971,


p. 486.

78. Ibid., p. 16.


79. Ibid., p. 202.
80. Cf. entretien avec Driss Chraïbi, 7 mai 2001, op.cit., p. 375 :
« Il se demandait si le programme spatial était la plus noble
expression duXXe siècle ou bien la quintessence même de notre
insanité fondamentale », Bivouac sur la Lune, p. 29 ; « En cet
instant où ils atterrissaient sur la Lune, l'Amérique applaudissait
Armstrong et Aldrin. Et le monde acclamait l’Amérique pour un
jour, mais il manquait quelque chose, une joie, un sens
démesuré de l’aventure », Ibid., p. 433.

81. « La Nasa vendait l’espace. Armstrong travaillait directement


pour sa firme », Bivouac sur la Lune, Ibid., p. 61 ; « Le siècle
cherchait à dominer la nature comme jamais encore on ne l’avait
fait, le siècle s’attaquait comme jamais encore on ne l’avait vu à
la notion deguerre, de pauvreté, de catastrophe naturelle.
Le siècle créait comme jamais encore la mort, la dévastation et la
pollution. Il s’attachait pourtant maintenant à l’idée que c’était
aux étoiles que l’homme devait emprunter sa conception de la
vie. C’était le plus destructeur d’âmes, le plus apocalyptique des
siècles », Ibid., p. 65.

82. Bivouac sur la Lune, Ibid., p. 429. Pour Claudine Thomas,


Mailer a produit « une œuvre qui, traversée par le grand rêve
réaliste, n’en finit pas de mettre au point des stratégies pour le
perpétuer sans le voir se vider de son sens. Avec le désir, partout
présent, d’offrir à l’Amérique le mythe, ou la fable, qui, en ces
temps de grand désordre mythologique, l’expliquera à elle-
même », Claudine Thomas, Norman Mailer, le complexe d’Osiris,
op. cit., p. 20.
83. Bivouac sur la Lune, op.cit., p. 325.
84. Ou presque : Chraïbi, à en croire les ratures et les
rectifications, a retravaillé le tapuscrit probablement lors de
l’adaptation. Une main que l’on supposerait être la sienne a
apposé un commentaire lors de la séquence consacrée aux
déclarations de Von Braun (responsable entre autres du
programme Saturne V et directeur du centre spatial à la NASA) :
« VON BRAUN En regardant de plus près la Création, nous
devrions mieux connaître la Création. Et il se pourrait fort bien
que, dans des circonstances comparables le Seigneur... envoie
son Fils vers les autres planètes pour leur porter la bonne
parole » ; de « circonstances » à « bonne parole » le texte est
souligné et en marge, on peut lire : « ? ? ? Passé simple ! ».

85. Cf. entretien avec Driss Chraïbi, 7 mai 2001, op. cit., p. 375.
86. « Patrik, écoute-moi [...]. Il n’est pas possible que tu écrives
la musique de ce film en te basant uniquement sur le script. Je
ne dis pas que tu ne pourrais pas le faire. Je te connais, tu peux
tout faire. Mais il faut que tu voies les gens de la clinique :
malades, médecins, moniteurs. Il faut que tu t’imprègnes de la
vie de La Pinède : c’est une clinique de psychiatrie
institutionnelle, tu n’en as aucune idée... Nous allons faire un
film formidable, je suis le metteur en scène, le scénario est
excellent, les dialogues aussi, mais tu en seras le maître
d’œuvre, je le sais et tu le sais. Je veux, entends-tu ? je veux que
tu me traduises la plupart des images en musique. Je veux des
thèmes pour chacun des personnages. » (MC, p. 13-14) ; « Patrik
avait bien essayé, plusieurs fois, d’arracher le commencement
d'un thème musical de ce scénario qu’il avait lu et relu et appris
par cœur, comme on arracherait avec des tenailles une dent à la
mâchoire d’un chameau blatérant : seule avait répondu la
technique – et le souvenir des œuvres composées autrefois. Il ne
sentait ni l’âme de ce texte ni le désir de lui communiquer la
sienne. Celui qui l'avait écrit et celui qui l’avait dialogué ne
l’avaient vécu en rien. Et Patrik n’avait jamais rien écrit, pas une
note, qu’il n’eût puisé dans sa vie » (MC, p. 52). Patrik n’a pas
composé la musique du film ; nouvelle résonance de La Raison
folle resté à l’état de scénario.
87. Bivouac sur la Lune, op. cit., p. 158.
88. La rêverie libératrice c’est aussi celle qu’agrée Verseau, allant
contempler la petite pierre de lune ramenée par les astronautes,
sur laquelle s’achèvent le récit comme
l’adaptation :Mou-« Merveilleuse petite pierre lunaire [...] Une
petite pierre grise, grise comme du mâchefer, avec de fines
lignes blanches, fines comme les rides sur le visage d’une vieille
dame. Que diable me dit-elle cette pierre lunaire ? Peut-être est-
ce à cause de la souffrance de tous ces mois de mon mariage qui
s’achève... peut-être aussi est-ce à cause d’un monde qui
suffoque et d’une société qui s’effondre... mais je t’aime bien,
petite pierre lunaire... fit... Dieu me pardonne, il me semble que
tu m’aimes aussi ?... Quel âge as-tu ? 3 milliards d’années ?
Plus ? Pourtant, tu as l’air jeune, il y a en toi quelque chose de
tendre, quelque chose de familier... Le siècle s’achève, et moi je
vais continuer à divaguer, entends-tu, petite pierre lunaire ?
Divaguer... Sentimental comme je le suis, au-delà de toute
mesure, la Lune et moi allons être des diables dans une nouvelle
association... [...]. J’ai besoin de rêver », Bivouac sur la lune,
adaptation de Driss Chraïbi, réalisation Arlette Dave, 1 1 mai
1973, épisode 10, tapuscrit, p. 16.

89. Norman Mailer, Bivouac sur la Lune, op.cit., p. 168.


90. Cf. Kacem Basfao, op. cit., p. 776.
91. Le tapuscrit est daté du 13 juin 1967 et la dramatique a été
diffusée le 1er juillet.

92. Driss Chraïbi, « Le combat de Mouloud Feraoun », Les


Cahiers littéraires de l'O.R.T.F. no 18, 25 juin-8 juillet 1967,
p. 25-26.

93. Chraïbi utilise fréquemment ce néologisme dans ses articles


mais aussi parfois dans ses romans.

94. Cf. entretien avec Driss Chraïbi, 21 mars 1998, op. cit.
95. Cf. Martine Mathieu-Job, « L’humour de Mouloud Feraoun ou
la délocalisation de rénonciation », Écrire, UFR d’Études
francophones, université de Pécs, 2001, p. 229-246.

96. Mouloud Feraoun confère pourtant à son roman


autobiographique les nuances usuelles de tout ce qui ne relève
pas du pur contrat autobiographique et, bien que le patronyme
du narrateur ait la transparence que peut avoir toute anagramme
de son propre nom, il insiste par ailleurs sur la projection
fantasmatique : « Fouroulou c’était à peu près moi. Un moi
enfant tel que je le voyais il y a dix ans. Maintenant il se peut que
je le voie autrement », Lettres à ses amis, Paris, Seuil, 1969,
p. 111. Une restriction qui vaut bien celle d’un certain « Driss
Ferdi] c’est peut-être moi ».

97. Le Fils du pauvre, adaptation de Driss Chraïbi, réalisé par –


« faut-il le rappeler ? », s’amuse Chraïbi dans sa présentation de
la dramatique –, Georges Godebert, 13 juin 1967, tapuscrit,
p. 3-4.

98. L’effet produit par cette ouverture se retrouve par exemple


dans la scène du père terminant le maigre repas de son fils parce
qu’il lui a laissé sa place sur le chantier, et que Chraïbi recrée
totalement : « Un jour, mourant de faim, je mangeai la part de
couscous noir de mon père, à toute vitesse – avant qu’il ne
rentrât des champs. Puis, levant les yeux, je l’ai vu, sur le seuil.
11 ne dit rien. Il retourna au travail le ventre vide. Ce jour-là, il
grava, une fois pour toutes, dans le cœur de son fils, la mesure
de sa tendresse », Ibid., p. 25.

99. Ibid, p. 16.


100. Mouloud Feraoun, Le Fils du pauvre, Paris, Seuil, 1952.
Nouvelle édition. Seuil, « Points », 1982, p. 46.

101. La patte chraïbienne se reconnaît parfois dans cette


adaptation, ne serait-ce que par l'usage d’apostrophes qu’il
affectionne lorsqu’il refond, par exemple, le début du chapitre 2
évoquant l’œil touristique : « Leur rêve se termine à leur retour
chez eux. Ils ont été dépaysés et c’est bien normal. Mais dites-
moi où est la “poésie” dans ces villages ? où est la “merveille”
dans cette grand-rue poussiéreuse en été, boueuse en hiver ? » ;
Feraoun écrit : « Le touriste qui ose pénétrer au cœur de la
Kabylie admire par conviction ou par devoir des sites qu’il trouve
merveilleux, des paysages qui lui semblent pleins de poésie [...].
On peut le croire sans difficultés, du moment qu’il retrouve
n’importe où les mêmes merveilles, la même poésie [...]. Mille
pardons à tous les touristes. C’est parce que vous passez en
touristes que vous découvrez ces merveilles et cette poésie.
Votre rêve se termine à votre retour chez vous et la banalité vous
attend sur le seuil », Le Fils du pauvre, np. cit., p. 12.

102. Mouloud Feraoun, Le Fils du pauvre, op. cit., p. 146. Le


tapuscrit, pour sa part opte pour l’insistance jusqu’au moment
ultime : « RAMDANE Dépêche-toi. Le car va partir. MENRAD Oui,
père. Tu sais : je réussirai. RAMDANE N’aie pas peur. MENRAD
Père, je suis ton fils. Et plus jamais maintenant je n’aurai peur de
la pauvreté », tapuscrit, op. cit., p. 27.

103. Jean Amrouche « I.’O.A.S. a visé l’espoir au cœur », Gabriel


Audisio « Un crime qui déshonore ceux qui l’ont commis », Jules
Roy « Une partie de la meilleure France est assassinée avec lui »
dans Le Monde du 17 mars 1962 ; Germaine Tillion lui consacre
un article, « La bêtise qui froidement assassine » en une du
Monde le 19 mars 1962. « Le brancardier », publié dans
Confluent no 20 d’avril 1962, est une lettre « in memoriam »
datée de l’île de Ré, 23 mars 1962.

104. Mouloud Feraoun, Lettres à ses amis, op. cit.


105. Ibid., p. 114.
106. Driss Chraïbi, « Le brancardier », op. cit., p. 323.
107. Cf. entretien avec Driss Chraïbi, 7 mai 2001, op. cit.,
p. 388.

108. Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962, Paris, Seuil, 1962,


p. 225.

109. Il précise « polémique avec Maurice Maschino : cf. articles


de ce dernier, no 17 et 27 du même hebdomadaire », Kacem
Basfao, op. cit., p. 764.

110. Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962, op. cit., p. 328.


111. « Bloc-notes du Huron », Le Canard enchaîné du 16 août
1961.

112. Cf. entretien avec Driss Chraïbi, 7 mai 2001, op. cit.,
p. 389.

113. Sigmund Freud, « L’humour », in L’Inquiétante étrangeté et


autres essais, Paris, Gallimard, 1985 (pour la traduction
française ; ces travaux sur l’humour datent de 1927), p. 316-
328.

114. André Gide, Les Faux-monnayeurs, Paris, Gallimard, 1925 ;


nouvelle édition, Gallimard, 1985, p. 192.

115. Lavoie Pierre, « Par la porte d’en avant », entretien avec


Michel Tremblay, Jeu no 47, juin 1988 p. 70.

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