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de la bonne gouvernance face à un régime de style nesse. Tous les deux sont devenus des icônes, des
L’héritage sankariste. mythes, et ce n’est que récemment que des his-
toriens ont commencé à les étudier avec une ap-
politique et La grande popularité dont Sankara jouissait auprès proche plus cartésienne et à mettre en évidence
« identitaire » de d’une large partie de la population, de même que leurs faiblesses et leurs erreurs stratégiques et
Thomas Sankara son attitude imprévisible, a attiré également la politiques. Tous les deux ont occupé des fonctions
méfiance de ses voisins, comme la Côte d’Ivoire,
est considérable de responsabilité politique suite à des révolutions
et de certains pays occidentaux, l’ancienne puis- et des coups d’État, tous les deux ont essayé de
auprès de sance coloniale la France en tête, qui craignait que changer les mentalités et de mettre en œuvre de
la jeunesse sa révolution fasse tache d’huile en Afrique. Son nouvelles réformes pour offrir un monde meilleur
africaine, en programme de réformes majeures, pour combattre à tous les citoyens. Avec du recul, on doit admettre
mal de modèle la corruption et améliorer l’éducation, l’agriculture qu’aucun des deux n’a vraiment réussi à transpo-
et le statut des femmes, allait à l’encontre des pra-
reflétant un tiques en place et se heurta à une forte opposition
ser son idéologie dans la pratique. Ils ont tous les
réel espoir [...]. deux été assassinés très jeunes, abandonnés par
des pouvoirs traditionnels qu’il marginalisait, ainsi leurs amis/compagnons de révolution. L’héritage
que des classes moyennes peu nombreuses mais spirituel de Sankara est toujours vivant, même
puissantes. Tous ces facteurs combinés ont contri- vingt ans après son assassinat, alors que pour Che
bué à provoquer le coup d’État du 15 octobre 1987 Guevara, c’est plutôt son mythe qui est vivant,
et l’assassinat de Sankara. trop peu de gens qui vénèrent sa personnalité ont
pris le temps de s’intéresser, si ce n’est que superfi-
ciellement, à ses idées et ses réformes.
« Mort naturelle » ou « mort assistée » ?
Sur son certificat de décès, Sankara fut déclaré L’héritage politique et « identitaire » de Thomas
« décédé de mort naturelle » par un médecin mili- Sankara est considérable auprès de la jeunesse afri-
taire. L’absence surprenante d’une enquête de la caine, en mal de modèle reflétant un réel espoir ;
part du gouvernement burkinabé – après tout, ceci malgré le fait que toutes les actions promues
leur président en exercice venait de mourir – a été par Sankara n’ont pas été couronnées de succès,
officiellement condamnée en 2006 par le Comité loin de là, et que la situation des Burkinabés ne
des droits de l’homme des Nations unies. Il a été s’est pas améliorée autant qu’ils l’avaient espéré.
demandé au Burkina Faso le 5 avril 2006 d’engager Sa popularité réside plutôt dans son intelligence,
toute procédure pour faire rectifier le certificat de son engagement, et surtout son intégrité et sa ri-
décès et faire toute la lumière sur les circonstances gueur morale, qualités dont il a fait preuve pen-
qui ont conduit à sa disparition. Le Comité a donné dant l’exercice de ses fonctions. Il n’a jamais essayé
raison à Mme Mariam Sankara et au Collectif juri- de profiter de son pouvoir pour s’enrichir ou pour
dique international « Justice pour Sankara », qui se venger à titre personnel. Malgré de fortes pres-
contestaient les entraves de la part des autorités du sions exercées par son entourage direct, il n’a pas
Burkina Faso à toute enquête tendant à éclaircir les voulu éliminer politiquement son adversaire et
circonstances de sa mort. meilleur ami Compaoré, un comportement d’une
grande humanité, mais aussi d’une grande fatalité
Comme déjà noté au début de cette réflexion, la pour lui-même. Sa façon d’appliquer à lui-même
communauté internationale a plutôt eu une atti- et à son gouvernement les lois décrétées a séduit
tude low profile face à la mémoire de Thomas la jeunesse.
Sankara et les manifestations en sa mémoire ont
été peu nombreuses. Il aurait été intéressant de voir Sankara doit être admiré pour l’exemple qu’il re-
quelles étaient les positions officielles en Europe : présentait ; il était le premier à vivre ses réformes.
célébration des « 20 ans de renaissance démocra- Un tel comportement de la part d’un chef d’État
tique » et de la prise du pouvoir par l’actuel pré- faisait espérer la jeunesse, une jeunesse souvent
sident Blaise Compaoré, partenaire privilégié complètement tenue à l’écart du monde dans
du Grand-Duché en tant que chef d’État d’un de lequel vivent leurs dirigeants, à moins que ce
nos 10 pays cibles, ou plutôt un penchant vers ne soient ces derniers qui s’y tiennent volontai-
la commémoration de la mémoire d’un « grand » rement. Sankara ne s’isolait jamais de ses conci-
de l’Afrique ? Realpolitik contre Idealpolitik, en toyens, il restait accessible et utilisait un langage
quelque sorte. simple, compréhensible au plus grand nombre. Il
se peut que Thomas Sankara soit arrivé trop jeune
au pouvoir et que cette jeunesse lui ait été fatale. Il
« Tom Sank », idole de la jeunesse africaine a tenté d’exercer son pouvoir et ses responsabilités
Nelson Mandela, Patrice Lumumba, Amílcar sans perdre le contact avec la population. Cette
Cabral, Kwamé Nkrumah et Thomas Sankara sont jeunesse, cette volonté de faire « tout » et « tout
des modèles positifs pour la jeunesse africaine, des de suite » ne l’ont pas forcément poussé à vouloir
personnalités dont les actions et pensées mérite- des réformes trop radicales, mais plutôt de les
raient d’être plus connues, surtout en Europe. vouloir trop rapidement. L’absence d’un temps de
transition et d’adaptation nécessaire pour assurer
La comparaison avec Che Guevara est inévitable. une appropriation et une adoption par toutes les
Les deux incarnent une image idéalisée par la jeu- couches de la population lui a été fatale.