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L'ÉVANGILE EXPLORÉ LECTIO DIVINA

MÉLANGES OFFERTS
A SIMON LÉGASSE 166
L'évangile exploré : ce titre résume de façon lapidaire quarante
années d'enseignement, de recherche, de publications d'un exé-
gète, le P Simon Légasse. Les diverses études rassemblées ici
sont dues à des biblistes qui ont pour centre d'intérêt principal le
Nouveau Testament. Chaque article constitue un exemple de
cette exploration des Écritures qui est la tâche des exégètes.
Le siècle qui s'achève a connu d'immenses développements
dans les recherches bibliques. Le monde catholique, en particu-
lier, a fait l'expérience, souvent douloureuse, de la critique. La
première décennie a été marquée par la violente crise provoquée
par la rencontre entre l'approche traditionnelle des Écritures et la
nouveauté de la critique. Avec ce siècle, est apparu dans la
répartition des tâches d'enseignement, un ensemble nouveau
L'ÉVANGILE
que l'on peut regrouper sous le nom d'exégèse. Des écoles
bibliques sont apparues, qui ont formé à Jérusalem et à Rome
des spécialistes appelés à enseigner l'Écriture sainte.
Les auteurs de ce livre démontrent la fécondité de la rencontre
EXPLORÉ
entre la révélation et la critique. L'approche historico-critique qui
resitue les textes dans leur temps et dans leur histoire fut au
cceur de la crise moderniste. Enseignée dans les universités, elle
MÉLANGES OFFERTS
est aujourd'hui un passage obligé de toute lecture critique. Mais À SIMON LÉGASSE
l' évolution de l'exégèse a montré qu'elle appelait d'autres pro-
l ongements. La publication par la Commission biblique d'un
document sur l'interprétation des Écritures (1993) marque une
étape décisive pour des approches nouvelles, plus sensibles au
texte lui-même et aux divers actes de lecture qu'il permet. La
tome 2
Bible n'a cessé d'ouvrir des chemins nouveaux, de provoquer
des départs.
Longtemps la Bible a divisé les chrétiens. Aujourd'hui, elle
devient le livre de référence partagé par tous ceux qui se récla-
ment de Jésus. II est révélateur que les biblistes signataires de
ces articles soient protestants aussi bien que catholiques, una-
nimes pour rendre hommage à l'couvre d'un des leurs. L'exégèse
historique pratiquée par le P Légasse sert de rempart aux I s-
tures délirantes toujours possibles, et elle inscrit la foi
croyants dans l'historicité constitutive de la révélation.
cerf
cerf ISBN 2-204-05 .
I SSN 0750
9 782204 054348
442 TABLE DES MATIÈRES TABLE DES MATIÈRES 443

DEUXIÈME PARTIE QUATRIÈME PARTIE


LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES PAUL ET LES ACTES

Jacques SCHLOSSER : L'utilisation des Écritures Charles PERROT : « La colère est tombée sur eux,
dans la source Q ............................................... 123 à jamais » (1 Th 2, 16) ..................................... 285
Robert COUFFIGNAL : Le conte merveilleux du Daniel MARGUERAT : Le Dieu du livre des
martyre de Jean-Baptiste. Étude littéraire de Actes .................................................................. 301
Marc 6, 14-29 .................................................... 147 Christian-B. AMPHOUX : « Toute la foi, jusqu'à
Dieter ZELLER : La métamorphose de Jésus déplacer les montagnes » (1 Co 13, 2) : une
comme épiphanie (Mc 9, 2-8) .......................... 167 parole de Jésus citée par Paul ? ........................ 333
Marie-Émile BOISMARD : La sixième demande Maurice CARREZ : Le parcours christologique
du « Pater » ....................................................... 187 des discours de Paul dans le livre des Actes
Jacques NIEUVIARTS . Le cri de Jésus en croix coïncide-t-il avec celui de l'Apôtre dans ses
en Matthieu 27, 46. Éclairage par les citations épîtres authentiques ? ........................................ 357
psalmiques du récit de la Passion .................... 195 Jean-Noël ALETTI : Le naufrage d'Actes 27
mort symbolique de Paul ? ............................... 375
Jean-Marie VAN CANGH : Les origines de
l'Eucharistie. Le cas des Actes des Apôtres apo-
TROISIÈME PARTIE cryphes ............................................................... 393
L'ÉVANGILE DE JEAN
Chemins de l'exégèse chrétienne d'aujourd'hui.
Une relecture théologique, par Joseph Doré .... 415
Jean ZUMSTEIN : Jean 19, 25-27 ...................... 219
Michel TRIMAILLE : Le partage des vêtements Table des auteurs .................................................. 437
de Jésus en Jean 19, 23-24 et l'ecclésiologie Tabula gratulatoria ................................................ 439
paulinienne ........................................................ 251 Table des matières ................................................ 441
Xavier LÉON-DUFOUR : Jésus constitue sa nou-
velle famille, Jean 19, 25-27 ............................ 265
LE PARCOURS CHRISTOLOGIQUE
DES DISCOURS DE PAUL
DANS LE LIVRE DES ACTES COÏNCIDE-T-IL
AVEC CELUI DE L'APÔTRE
DANS SES ÉPÎTRES AUTHENTIQUES?

MAURICE CARREZ

Une lecture rapide des deux oeuvres révèle d'emblée


de surprenantes différences. Tout d'abord l'absence dans
la partie paulinienne du livre des Actes de toute une série
de formules caractéristiques par lesquelles la condition
du chrétien est exprimée chez l'Apôtre Paul : « en
Christ », « dans le Christ », « en Jésus Christ », « dans
le Christ Jésus », « dans le Seigneur », « dans le Sei-
gneur Jésus », « dans le Seigneur Jésus Christ' ». De
plus « Christ », pris dans un sens absolu, n'est jamais
utilisé dans les Actes alors que Paul emploie « Christ »

1. « En Christ » : Rm 1 2, 5 ; 16, 7.9.10 , 1 Co 3, 1 ; 4, 10.15 ; 18.19 ; 2 Co 2,


17;3,14;5,17.19;12,2.19;Ga1,22;2,17;Ph1,13;2,1;1Th4,16;Phm
8.20. - « Dans le Christ » : 1 Co 15, 22 ; 2 Co 2, 14. - « En Jésus Christ » : Ga
3, 14. - « En Christ Jésus » : Rm 3, 24 ; 6, 11.23 ; 8, 1.2.39 ; 15, 17, 16, 3 ; 1 Co
1,2.4.30;4,15.17;15,31;16,24;Ga2,4.16,3,26.28;5,6;Ph1,1.26;2,
5 ; 3, 3.14 ; 4, 7.19.21 ; 1 Th 2, 14; 5, 18 ; Phm 23. - « Être à Christ » : 2 Co 10,
7 ; Ga 3, 29 ; 5, 24. - « Avoir l'Esprit du Christ » : Rm 8, 9. - « Dans le Seigneur »
Rm 1 6, 2.8. 11. 12. 12. 13. 2 2 ; 1 Co 4, 17 ; 7, 22.39 ; 9, 1.2 ; 11, 11 ; 15, 58 ; 16,
1 9;2Co2,12;Ga5,10;Ph1,14;2,24.29;3,1;4,1.2.4.10 ; 1 Th3,8;5,
1 2 ; Phm 16.20. - « Dans le Seigneur Jésus » : Rm 1 4, 14 ; Ph 2, 19 ; 1 Th 4, 1.
- « Selon Seigneur » (sans article) : 2 Co 11, 17. - « Au Seigneur » : Rm 1 4, 8.
- « Être au Seigneur» : Rm 14, 8. - « En lui » : 2 Co 1, 20; Ph 3, 9.
358 MAURICE CARREZ LE PARCOURS CHRISTOLOGIQUE DE PAUL 359
sans article 2 et lui confère un sens très fort. Il le fait à expressions pauliniennes concernant le Christ, nous exa-
la manière dont la LXX use de « Seigneur » sans article minerons tout d'abord les discours ou les paroles desti-
pour évoquer sans le nommer le nom de Dieu, Yahvé. nés en priorité aux Juifs, puis ceux adressés seulement
Autre sujet d'étonnement : contrairement à ce qui se aux Grecs, aux païens, enfin ceux qui visent les chrétiens
passe dans les lettres de l'Apôtre, rien n'indique une des Églises, tant Juifs que Grecs. En bref, des énoncés
évolution de la pensée de Paul dans les Actes. Elle s'ins- commandés par trois types de circonstances, si tant est
crit certes dans une histoire, et son expression varie sui- qu'il soit possible de les séparer aussi nettement 5 .
vant les circonstances, mais elle ne trahit pas une évo-
lution quant à la façon de s'exprimer. Peut-être cela Dans le livre des Actes, la prédication de Paul, Juif
résulte-t-il du stade auquel s'est opérée la réception de d'origine pharisienne, s'adresse en priorité aux Juifs, et
cette pensée par Luc 3. l' Apôtre utilise la possibilité de prendre la parole dans
Les visiteurs du musée de la Civilisation gallo- les synagogues, chaque fois que cela lui est possible 6.
romaine à Lyon peuvent faire dans un tout autre domaine Voici une brève nomenclature des lieux où, d'après les
une expérience analogue : ils peuvent admirer, d'une Actes, Paul a adressé la Parole aux Juifs dans une syna-
part, gravée dans le marbre, la Table claudienne, dis- gogue'. Dans cette liste, ont été soulignés les lieux où
cours prononcé par l'empereur Claude au sénat romain la position christologique de Paul telle que Luc la pré-
pour demander l'accession des chefs gaulois aux charges sente est décelable : Damas (9, 20-22) ; Chypre (13, 4) ;
impériales. Fort intelligemment, les responsables du Antioche de Pisidie (13, 14-41. 46-48) ; Iconium (14,
musée ont transcrit tout à côté la relation qu'en donne 1) ; Thessalonique (17, 2) ; Bérée (17, 10),; Athènes (17,
Tacite dans les annales (11, 24 S.). On y retrouve la 17) ; Corinthe (18, 4) ; Éphèse (18, 19) ; Ephèse (19, 8) ;
teneur du discours de Claude, mais avec les caractéris- à son domicile à Rome (28, 17.23) ou la proseukhè, lieu
tiques littéraires qui sont celles de Tacite. Ce n'est pas de prière (16, 13).
le lieu d'éprouver ressemblances et écarts entre ces deux La prédication de Paul aux Juifs' y est constamment
textes. Disons pourtant que les analogies ne manquent mentionnée, parfois résumée en quelques mots et, une
pas avec la comparaison qui fait l'objet de notre propos fois, particulièrement développée dans le discours pro-
présent. noncé par Paul à Antioche de Pisidie. À vrai dire, cette
La composition très soignée du livre des Actes met prédication commence à Damas aussitôt après la conver-
en valeur la maîtrise de Luc dans l'usage de sa rhétori- sion de Paul et débute par deux énoncés christologiques
que 4. Pour tenter de tester ses formulations christologi-
ques et de vérifier, par rapport à lui-même, la proximité
ou la distance qu'elles présentent dans le rendu des 5. Voir VIII, Marcel DUMAIS, p. 347 : « La Christologie ».
6. Le seul endroit qui soit l'objet d'une mention différente est à Philippes, la
Proseukhè (16, 13). D'après R. PENNA, il ne faut pas comprendre cette désignation
2. Rm 5, 6.8 ; 6, 4.9 ; 8, 10 ; 10, 4.6.7.17 ; 14, 9 ; 15, 20, etc. comme un lieu-dit, mais comme un autre type d'organisation juive dont Juvénal
3. Sur toute la recherche récente, VIII, Marcel DUMAIS, « Les Actes des Apôtres. mentionne l'existence et dont on a retrouvé aussi deux sites à Ostie lors de fouilles
Bilans et Orientations », p. 307-364, dans : M. Gourgues et L. Laberge, éd., « De récentes.
bien des manières », La Recherche biblique aux abords du xxf siècle, Montréal- 7. La fréquentation par Paul des synagogues explique en partie la mention de
Paris, Fides-Cerf, LeDiv 163, 1995. 2 Co 11, 24 : « cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups moins un. »
4. J. DuPONT, Nouvelles études sur les Actes des Apôtres, Paris, Éd. du Cerf, 8. Voir VIII, M. DuMAIS, p. 348-351 : « Les Juifs et les païens dans le plan du
LeDiv 118, 1984, p. 382 s. salut ».
360 MAURICE CARREZ LE PARCOURS CHRISTOLOGIQUE DE PAUL 361

« Paul prêche que Jésus est le Fils de Dieu (9, 20) » et La prédication de Paul aux Juifs dans la synagogue
« Paul confond les Juifs en démontrant que celui-ci était d'Antioche de Pisidie (13, 16-41) constitue le premier
le Christ (9, 22) ». discours-programme de Paul dans les Actes '°. Il fournit
« Fils de Dieu » en 9, 20 est la seule et unique mention de précieux apports : il est un exemple de prédication
de ce titre dans les Actes. Elle correspond aux données missionnaire' destinée à des auditeurs juifs en général
pauliniennes de Rm l, 4 ; 2 Co 1, 19 ; Ga 2, 20. D'après de langue grecque. Elle s'adresse aussi à toute la mou-
Rm 1, 4, Jésus a été « établi Fils de Dieu avec puis- vance des païens attirés par le judaïsme, les « craignant
sance (...) par sa résurrection d'entre les morts », c'est- Dieu 12 ».
à-dire confirmé, révélé, mis en valeur et en vigueur dans Le premier élément christologique se trouve en 13,
ce qu'il affirmait être avant Pâques; 2 Co 1, 19 est un 23 : « C'est de la descendance de David que Dieu,
texte plus riche qui peut éclairer à la fois les deux énon- selon sa promesse, a fait sortir Jésus, le Sauveur
cés de Ac 9, 20 et 22. Là, Paul écrit aux Corinthiens d'Israël. » Cet énoncé rappelle Rm 1, 3 : « L'Évangile
« le Fils de Dieu, le Christ Jésus a été proclamé par nous de Dieu concerne son Fils, issu selon la chair de la
(= Paul, Silvain, Timothée) chez vous. » Toutes les pro- lignée de David ». Toutefois Luc se différencie de Paul,
messes de Dieu ont trouvé leur oui dans sa personne. car il utilise le titre plus tardif de Sauveur, absent des
Ainsi les trois témoins jouent un rôle positif, car ils sont écrits pauliniens authentiques. Paul donne en effet son
là, non pour condamner comme en Dt 19, 15, mais pour plein sens à « salut » et à « sauver ». Plus près des ori-
attester le salut réalisé dans le Christ Jésus. gines, il laisse encore au nom de Jésus son sens sémi-
À première vue, ce titre de Fils de Dieu semble tique premier : « Dieu Sauve », et n'a pas besoin d'user
n'appartenir qu'à une christologie d'en haut. Pourtant, de Sauveur, comme titre explicatif de Jésus devenu un
en pratique, il ressort d'une christologie d'en bas. Il tra- nom propre.
duit la réalité et la présence de Dieu dans l'histoire. Les Avec le second élément christologique en 13, 26, Paul
humains ne peuvent trouver Dieu autrement ni ailleurs s'adresse par la parole aux hommes frères, c'est-à-dire
que dans le Christ. Et, si « Fils de Dieu » ne figure aux fils de la race d'Abraham et aux « craignant Dieu »
qu'une seule fois en Ac lors de la toute première prédi- « c'est à vous que cette parole de salut a été envoyée. »
cation de Paul aux Juifs, à Damas, ce n'est sans doute Si Paul use quatorze fois du mot « salut » (Rm : cinq
pas un hasard. Dans la suite, Antioche de Pisidie, Corin- fois ; 2 Co : quatre fois ; Ph : trois fois ; 1 Th : deux
the (18, 6), Éphèse (19, 8-9) et Rome (28, 25-28) vont fois), et spécialement lorsqu'il s'agit de la prédication
donner intensité à cette interrogation sous-jacente fort commune aux Juifs et aux Grecs, il n'utilise pas la
bien mise en valeur par F. Bovon : « aux yeux de Luc,
comment les Juifs ont-il compris Jésus ? Ont-ils pensé 10. Seront examinés plus loin les deux autres discours-programmes, d'Athènes
(aux païens) et de Milet (à l'Église).
le démasquer comme usurpateur ou ont-ils perçu sans 11. Voir M. DuMAIS, Communauté et mission, une lecture des Actes des Apôtres
vouloir l'admettre qu'il était le Fils de Dieu et le Mes- pour aujourd'hui, Desclée, Tournai-Paris, 1992 (en part. Ac 13 et 17).
sie'? » 12. Ce terme propre au livre des Actes dans le NT se présente sous plusieurs
formes : tantôt phoboumenoi ton theon (13, 16.26) ; tantôt avec seboumenos ton
theon, « adorant Dieu » (16, 14) ; (18, 7) ; ou isolé (13, 50 ; 17, 4.17) ; ou accom-
pagné de prosélytes (13, 43). On ne le trouve plus ensuite (Folker SIEGERT, « Got-
9. F. BOVON, Luc le théologien, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1978, tesftirchtige u. Sympathisanten )>, Journal of the Study of Judaism in the Persian
p. 210. Hellenistic and Roman Period. 4, 1973, p. 109-164.
362 MAURICE CARREZ LE PARCOURS CHRISTOLOGIQUE DE PAUL 363
formule « parole du salut 13 ». Elle ne présente qu'un dition différente de celle de la quadruple tradition de
seul emploi dans le livre des Actes. Dans l'énumération Mt 27, 57-61 ; Mc 15, 42-47; Le 23, 50-56; Jn 19,
qui suit et qui s'applique aux divers emplois du mot 38-42, où c'est Joseph d'Arimathie qui procède à l'ense-
« parole », nous soulignons ce qui est commun à Paul velissement dans son propre tombeau.
et à Luc lorsqu'il fait parler Paul dans les Actes. Seul dans les écrits pauliniens, lors de la confession
Paul emploie « Parole de Dieu » (Rm 9, 6 ; 1 Co 14, de foi citée en 1 Co 15, 3-4, Paul déclare du Christ: « il
36; 2 Co 2, 17), « Parole du Christ » (Rm 10, 17), « de a été enseveli ». Tous les autres textes relient mort et
la croix » (1 Co 1, 18), « de l'Écriture » (1 Co 15, 54), résurrection sans faire mention du tombeau, ce qui
« de la foi » (Rm 10, 8), « de réconciliation » (2 Co 5, s'explique par l'éloignement de Jérusalem. L'accomplis-
19), « du Seigneur » (Rm 9, 28 ; 1 Th 1, 8 ; 4, 15), « de sement est mentionné deux fois « selon les Écritures »
vérité » (2 Co 6, 7), « de vie » (Ph 2, 16) et aussi dans « Christ est mort à cause de nos péchés selon les Écri-
un sens absolu, « la Parole » (Ga 6, 6). tures (1 Co 15, 3) et « il a été enseveli et il a été réveillé
Luc use de « Parole de Dieu » (13, 5.46 ; 17, 13 ; 18, le troisième jour selon les Écritures (1 Co 15, 4' 4). La
11), « de sa grâce » (20, 32 ) « de salut » (13, 26), « du conformité à l'Écriture figure aussi bien en 13, 27.29
Seigneur », (13, 44.48.49 ; 15, 35 ; 16, 32), et enfin « la que dans le texte de Paul.
Parole » (19, 20 ; 20, 7) qui devient presque l'équivalent 2) la Résurrection (13, 30-31) : «mais Dieu le
de l'Évangile, la bonne nouvelle. réveilla des morts, et il est apparu pendant plusieurs jours
Troisième élément christologique : la Passion- à ceux qui étaient montés avec lui de la Galilée à Jéru-
Résurrection (13, 27-31) salem, eux qui sont maintenant ses témoins devant le
1) la Passion (13, 27-29) : « Les habitants de Jéru- peuple. » Si la réalisation de la mort de Jésus est l'action
salem et leurs chefs ont accompli sans le savoir les des habitants de Jérusalem et de leurs chefs, la résurrec-
paroles des prophètes qu'on lit chaque sabbat: sans avoir tion de Jésus est un acte de Dieu (13, 30-31.32-35).
trouvé de motif de mort, ils réclamèrent à Pilate de l'exé- Avec une grande habileté rhétorique, pour se faire
cuter et, une fois qu'ils ont eu accompli tout ce qui était lire aussi bien des Juifs que des Grecs, Luc use de deux
écrit à son sujet, ils l'ont descendu du bois et déposé mots : « réveiller» (égeirein [ 13, 30]) intelligible aux
dans un tombeau. » Grecs, pour lesquels la mort est un sommeil, et « rele-
Ici l'accusation ne porte pas contre la généralité des ver » (anistanai [13, 33.34]) plus immédiatement per-
Juifs, mais seulement contre les habitants de Jérusalem ceptible par les Juifs pour lesquels celui qui meurt
et contre leurs chefs : ils ignorent ; certes, ils font exé- « tombe ». On remarquera que, dans les grandes épîtres,
cuter Jésus et, de ce fait, ils accomplissent involontaire- l'aul utilise exclusivement « réveiller » (égeirein'S).
ment les prophéties ; de plus, ils procèdent à la mise au
1 4. Faut-il voir en Ac 13, 29 et 1 Co 15, 3 la trace d'une ancienne tradition
tombeau. Cette dernière mention a deux visées : locali- : uilérieure à celle qui confie à Joseph d'Arimathie le soin d'ensevelir Jésus ? Paul
ser les événements à Jérusalem et mettre en évidence la l ' aurait reçu dans une confession de foi qu'il citerait sans l'avoir énoncée lui-
i ncme.
réalité de la mort de Jésus. Elle dénote en plus une tra- I S. En Rm 14, 9, Paul use de « vivre » : Christ est mort et vit pour régner sur
Irti morts et les vivants ; en 1 Th 4, 14, texte antérieur aux grandes épîtres, Paul
~' nyiloie : « Christ est mort et il s'est relevé. » M. CARREZ, « L'Herméneutique
13. Parole et salut deviennent les deux aspects d'une même réalité. La Parole paulinienne de la Résurrection », p. 55.73, La Résurrection du Christ et l'exégèse
porte l'action salutaire de Dieu et du Christ. ,u~,4lrrne, Paris, Éd. du Cerf, LeDiv 50, 1969.
36 4 MAURICE CARREZ LE PARCOURS CHRISTOLOGIQUE DE PAUL 365
Ici, 13, 34, avec « relever », et 13, 37, avec « réveil- formes du nom pour faire jouer la symbolique '$ : Hie-
ler », affirment des deux manières, juive et grecque, rosoluma (Lc : quatre fois; Ac : vingt-trois fois) désigne
le fait pour Jésus de ne pas connaître la décompo- la ville du passé, qui s'est opposée à Dieu, n'a pas
sition. accueilli son Seigneur et de ce fait est sans avenir. A
Il ne faut sans doute pas prendre « témoins » au sens l'inverse, Iérousalem (Lc : vingt-sept fois ; Ac : trente-
d'une énumération limitative de Pierre et des Douze, six fois) est le lieu où s'accomplit le dessein de Dieu,
mais au sens extensif. J. Dupont a tiré de Ga 2, 7-9 le où Jésus réalise le salut dans l'histoire. En Ac 21-23,
témoignage de Paul sur la collégialité apostolique et la lorsque Paul est arrêté à Jérusalem et détenu avant d'être
primauté de Pierre 16. Dans Ga 2, 7-9, l'évangile de Paul envoyé à Césarée, c'est Hiérosoluma qui l'emporte (Hie-
pour les païens a été reconnu. Pourtant, Luc ne confère rosoluma : neuf fois; Ierousalem : cinq fois).
jamais à Paul le titre d'Apôtre. En 1 Co 15, 5-9, la suc-
cession des témoins est nette : Kephas, les Douze, cinq Qu'ajoute le deuxième discours d'Antioche de Pisi-
cents frères, Jacques, tous les Apôtres, et en dernier lieu die ? Le sabbat suivant (13, 44-48), le rendez-vous pris
Paul comme un « enfant posthume », meilleure traduc- la semaine précédente produit des fruits : presque toute
tion pour ektrôma que celle d'« avorton ». Toutefois la ville se rassemble pour entendre la Parole du Sei-
Ac 13, 30-31 fonde la prédication paulinienne exclusi- gneur. À la vue des foules, les Juifs remplis de jalousie
vement sur les apparitions du Ressucité sans faire men- contredisent ce qui a été dit par Paul et blasphèment.
tion de l'expérience du chemin de Damas". Paul et Barnabas, avec une totale assurance, énoncent
Les trois brèves mentions d'Israël en 13, 17.23.24 alors une affirmation clé : « Il était nécessaire que la
n'évoquent pas la destinée finale d'Israël, à la différence parole de Dieu vous soit prêchée en premier; puisque
de Paul dans le riche développement de Rm 9-11. Ce vous la repoussez et que vous vous jugez indignes de la
sont les jeux de sens sur le nom symbolique de Jérusa- vie éternelle, voici : nous nous tournons vers les paiéns
lem qui vont permettre à Luc de l'évoquer. (13, 46). Car tel est bien l'ordre que nous tenons du
Dans les Actes en effet, le nom de Jérusalem se pré- Seigneur : 'je t'ai établi lumière des nations pour que
sente sous deux formes : l'hellénistique Hierosoluma et tu sois en salut jusqu'à l'extrémité de la terre" (13, 47
le sémitique Iérousalem. Jérusalem devient alors le cen- citant Is 49, 6). » Quelques constats : 1) Ce n'est pas le
tre unique du drame rédempteur et la ville du Ressuscité, refus des Juifs qui fonde l'évangélisation des païens,
puis le lieu de la Pentecôte et des débuts de l'Église même si elle y incite ; 2) L'Évangélisation des païens
(Ac 1-7). C'est aussi le point de référence à la commu- est inscrite dans la mission de l'Israël véritable ; 3) Dans
nauté de Jérusalem (Ac 15 ; Ga 1, 18-2, 10) comme cette double perspective : ni élimination d'Israël, ni
point de départ de la mission (Lc 24, 47 ; Ac 1, 8) constitution d'un nouvel Israël de substitution 19, Paul
et comme centre de la foi nouvelle (Ac 4, 27; 5, 28; 18. I. DE LA POTTERIE (1981) « Les Deux Noms de Jérusalem dans l'Évangile
9,21). de Luc », RSR 69, 57-80; (1982) « Les Deux Noms de Jérusalem dans les Actes
C'est pourquoi, dans son oeuvre, Luc utilise les deux des Apôtres », Bib. 63, 1982, p. 153-187. - Dennis D. SYLVA (1983), « Ierousalem
and Hierosoluma in Luke-Acts », ZNW 74, 207-222.
19. M. CARREZ, « Le Nouvel Israël. Réflexion sur l'absence de cette désignation
1 6. J. DUPONT, « La Collégialité épiscopale. Histoire et théologie », Unam Sanc- de l'Église dans le Nouveau Testament», Foi et Vie, 1959, n' 6, p. 30-34 ;
tam 52, Paris, 1 965, p. 11-39, en part. 29-32. J. DUPONT, NTS, 1960 : « Étude n' 14,» reproduite p. 343-349 dans « Nouvelles
17. F. BOVON, p. 332.
études sur le livre des Actes », Paris, Éd. du Cerf, LeDiv 118, 1984.
366 MAURICE CARREZ LE PARCOURS CHRISTOLOGIQUE DE PAUL 367
annonce la réalité de Jésus, Messie d'Israël pour tous. ses lecteurs. La seule précision supplémentaire se trouve
« Tous ceux qui étaient disposés pour la vie éternelle dans l'affirmation de la nécessité de la Passion-Résur-
croient » (13, 48). Les deux seuls emplois de « vie éter- rection : « il fallait » (voir Lc 24, 26.44). L'effet est
nelle » se trouvent ici en 13, 46.48. Chez Paul, il y en positif : quelques Juifs se laissent convaincre et se joi-
a cinq : Rm 2, 7 ; 5, 21 ; 6, 22.23; Ga 6, 8. gnent à Paul et à Silas avec une grande multitude de
Sous une forme plus développée, l'argumentation de Grecs qui adoraient le vrai Dieu et un bon nombre de
Paul en Rm 11, 11 et en particulier 13-15.25-26, déve- femmes de notables.
loppe l'essentiel : Israël n'a pas perdu son élection, Partis de nuit, Paul et Silas, arrivés à Bérée (17, 10),
l'Église n'est pas un nouvel Israël. Le peuple de Dieu se rendent à la synagogue des juifs. Plus aimables que
est composé et des uns et des autres. Dans le livre des ceux de Thessalonique, ils accueillent la Parole avec un
Actes, désormais, tout en commençant systématique- total empressement. Chaque jour, ils examinent les Écri-
ment par une adresse aux Juifs, Paul se tourne vers les tures pour voir s'il en était bien ainsi (17, 11). Là encore
païens, avec l'aide des juifs convertis, ou bien sans eux, un effet positif : beaucoup d'entre eux devinrent croyants
s'ils refusent. (13, 43 ; 14, 1 ; 18, 5.6). ainsi que les femmes grecques de haut rang et bon nom-
Dès Iconium, Paul et Barnabé parlent de telle sorte bre d'hommes. La christologie de Paul est conforme à
que Juifs et Grecs 20 en grand nombre deviennent l'Écriture.
croyants (14, 1). Le terme de « Juifs » va spécifier trois À son arrivée à Athènes, selon son habitude et surtout
réalités : les Juifs dans leur ensemble : la synagogue des selon sa méthode missionnaire, Paul se rend à la syna-
Juifs; ensuite les Juifs devenus croyants; enfin ceux qui gogue où il s'entretient avec les Juifs et avec ceux qui
sont restés incrédules et excitent dans l'âme des païens adorent (le vrai Dieu), et, sur l'agora, chaque jour, avec
des sentiments malveillants à l'égard des Apôtres. ceux qui se trouvent là (17, 17). Aucun mot ne nous est
L'acceptation des païens ne suscite aucune exclusion; dit sur le contenu des entretiens avec les Juifs. Luc en
cette pensée est développée en 28, 17-30 lorsque Paul effet réserve Athènes pour le discours aux païens qu'il
s'adresse aux Juifs de Rome. situe en 17, 22-23 et développe de 17, 24 à 31.
Corinthe ne fournit pas de données christologiques
Si à Lystres, Derbé, et aux alentours, Paul et Barnabas nouvelles ; Paul se lie avec un couple Juif, Aquilas et
annoncent l'Évangile (14, 7), il faut attendre Thessalo- Priscille, originaires du Pont, installés à Rome et récem-
nique (17, 1-4) pour avoir quelques précisons sur le ment venus d'Italie 21 . Fidèle à son principe de faire ren-
contenu christologique de cette prédication proclamée contrer à Paul le Juif d'abord, Paul s'entretient à la syna-
par Paul et Silas. À partir des Écritures, Paul explique gogue à chaque sabbat et persuade et Juifs et Grecs, donc
et établit qu'il fallait que le Messie (le Christ) souffre et des Grecs qui fréquentent cette synagogue. Il semble que
ressuscite (« est relevé ») des morts ; il leur dit : « le l' Apôtre ait attendu l'arrivée de Silas et de Timothée et
Messie, c'est ce Jésus que je vous annonce.» La leur contribution efficace à son annonce de l'Évangile
démonstration a été opérée en 13, 28-41. Luc y renvoie pour attester aux Juifs que le Messie (le Christ), c'est

20. Les Grecs mentionnés fréquentent la synagogue. Sont-ils des « craignant 21. S. LÉGASSE, Paul apôtre, essai de biographie critique, Paris, Éd. du Cerf,
Dieu » ? (voir n. 12). 1991, p. 137-141.
36 8 MAURICE CARREZ LE PARCOURS CHRISTOLOGIQUE DE PAUL 369
Jésus. C'est la rupture : Paul se tourne vers les païens, service du Dieu de nos pères selon la Voie qu'eux qua-
aidé des Juifs convertis ; Paul s'installe tout contre la lifient de secte » (24, 14). « J'ai cette espérance en Dieu
synagogue dans la maison de Titius Justus (18, 7). qu'il y aura une résurrection des justes et des injustes »
De son bref passage à Éphèse (18, 19), à la fin du (24, 15). « C'est pour la résurrection des morts que je
deuxième voyage, nous savons seulement qu'il entre passe aujourd'hui en jugement devant vous » (24, 21).
dans la synagogue et s'entretient avec les Juifs. Lors de 3) Devant le roi Agrippa (26, 2-23). « Et aujourd'hui,
son séjour au cours du troisième voyage, Paul se rend à si je suis traduit en justice, c'est pour l'espérance en la
la synagogue et, trois mois durant, prêche avec har- promesse que Dieu a faite à nos pères » (26, 6-7). « Pour-
diesse, s'entretient avec les auditeurs et les persuade au quoi juge-t-on incroyable parmi vous que Dieu ressus-
sujet du « Règne de Dieu » (19, 8-9; seulement en cite les morts ? » (26, 8). « J'avais cru devoir combattre
Rm 14, 17). Certains se durcissent, restent incrédules et le nom de Jésus le Nazôréen » (26, 9). « Je suis Jésus,
diffament la « Voie » (huit fois, en Ac 9, 2 ; 18, 25.26 ; que tu persécutes » (26, 15). « Je te délivre déjà du
19, 9.23 ; 22, 4 ; 24, 14.22). Ce terme pour désigner la peuple (Juif) et des nations païennes vers lesquelles je
foi chrétienne est absent de Paul. t'envoie (...) par la foi en moi » (26, 17.18). A Damas,
à Hierosoluma, en Judée, puis aux païens, « j'ai annoncé
Luc poursuit son œuvre par trois apologies de Paul de se convertir et de revenir à Dieu, en faisant des oeuvres
1) Au peuple de Jérusalem (22, 1-21). Dans le récit dignes de la conversion » (26, 20). « Les prophètes et
que Paul fait de sa conversion, Jésus s'adresse à lui Moïse ont prédit ce qui devait arriver » (26, 22), à savoir
comme « Jésus le Nazôréen 22 » (22, 8) ; Ananias lui que le Messie devait souffrir et ressusciter le premier
annonce que « le Dieu de nos pères l'a destiné à voir le d'entre les morts pour annoncer la lumière à notre
Juste » (22, 14) et à entendre sa propre voix; pour en peuple et aux nations paiénnes » (26, 23).
faire un témoin devant tous les humains (22, 15), donc A noter que « Nazôréen » est toujours appliqué à
devant Juifs et païens, hommes et femmes, maîtres et Jésus, sauf en 24, 5. Sur les treize emplois du NT, six
esclaves. Paul se fait baptiser et invoque « son nom » sont dans Mt, Lc, Jn et sept dans les Actes, dont trois
(22, 16) ; Paul rappelle comment le Seigneur le man- dans la dernière partie des Actes. Ce terme sans doute
date : « Va, c'est au loin vers les nations paiènnes que trop sémitique 23 est absent des écrits pauliniens.
je vais t'envoyer » (22, 21). À Césarée, Tertullus, avocat Dans le discours de Tertullus à Félix (24, 2-8), Paul
des Juifs devant le gouverneur Félix, accuse Paul d'être est présenté comme chef de file de la « secte des Nazô-
chef de file de la secte des « Nazoréens » (24, 5). réens » (24, 5). La désignation christologique de Jésus
2) Devant le gouverneur Félix, en réponse aux accu- est donc étendue à ceux qui ont foi en lui.
sations portées par Tertullus (24, 10-21). «Je suis au
Enfin, Paul rencontre des Juifs à son domicile, à
22. Absent des écrits pauliniens, ce titre se trouve trois fois : deux fois appliqué Rome, où il semble assigné à résidence (28, 17.23). Il
à Jésus en Ac 22, 8 ; 26, 9, et une fois pour qualifier les croyants qui suivent Paul
en 24, 5. Le sens en est discuté : transcription en ô de « Nazaréen » ? dérivé de
Nazir? vient-il de Neçer, « rejeton »? ou bien dérive-t-il de l'hébreu Nasur au 23. Voir note précédente et M. CARREZ, Jésus, col]. « 50 mots », p. 76-77, Paris,
sens de « sauvé » ? D'après Jean, c'est ainsi que Jésus est nommé sur le titulus de 1 993. Faut-il y voir un énoncé ancien ? ou bien une formulation ancienne avec un
la croix. Cela pourrait expliquer l'ironie des passants : « il en a sauvé d'autres, contenu renouvelé : « Le caractère archaïque de la formulation n'implique pas que
qu'il se sauve lui-même. » l e sens soit resté le même » (F. BOVON, p. 158).
370 MAURICE CARREZ LE PARCOURS CHRISTOLOGIQUE DE PAUL 371
ne peut de ce fait se rendre à une synagogue, et ce sont La moisson christologique est peu abondante 28
les Juifs qui lui rendent visite. Jésus, Fils de Dieu, est le Christ. Il descend de David;
Lors de la première entrevue avec les Juifs (28, 17- la Parole de salut s'adresse aux fils de la race d'Abra-
22), Paul expose les raisons de sa captivité à Rome et ham. Seuls les habitants de Jérusalem et leurs chefs ont
affirme : « c'est à cause de l'espérance d'Israël que je fait exécuter Jésus par Pilate et l'ont déposé dans un
porte cette chaîne » (28, 20). C'est le rappel conclusif tombeau. Le réveil ou le relèvement de Jésus, sa résur-
de 23, 6 ; 24, 15 ; 26, 6-7, où cette espérance est étroi- rection est au centre de presque tous les énoncés, et Paul
tement liée à la résurrection 24. C'est la conclusion de en fait l'objet de l'espérance d'Israël. L'évangélisation
tout le procès de Paul (21-28). des païens est inscrite dans la mission de l'Israël véri-
Seconde entrevue avec les Juifs de Rome (28, 23-28), table. Tout au long, il y a des Juifs qui deviennent
et en particulier grande déclaration de Paul (28, 25-28) croyants, tandis que d'autres restent incrédules. Les
En 28, 23, Luc résume en deux phrases ce que Paul a Écritures permettent à Paul d'établir que le Messie devait
dit tout au long d'un jour du matin usqu'au soir : « il souffrir et être relevé d'entre les morts. La nécessité de
rend témoignage au Règne de Dieu 2) . Il s'efforce de les la Passion est ainsi soulignée : « il fallait ». Paul per-
convaincre, en parlant de Jésus à partir de la Loi de suade ses auditeurs au sujet du Règne de Dieu. Le Jésus
Moïse et des prophètes. » C'est important pour l'attitude qui a converti Paul est Jésus le Nazôréen. Paul s'adresse
des Juifs. En 28, 24, les uns se laissent convaincre, les à tous les humains, il inclut les païens, mais n'exclut pas
autres refusent de croire. C'est la vérification de la parole les Juifs.
d'Isaïe 6, 9-10 LXX. Le « tous » de 28, 30 inclut les
païens, mais n'exclut pas les Juifs. C'est donc une tota- La prédication aux paiéns sans la présence de Juifs,
lité ouverte. Il n'y a pas une succession, mais une n'est illustrée que par les discours de Lystres et d'Athè-
conjonction 26. D'où la conclusion de 28, 28-31 27 nes qui sont théocentriques.
« c'est aux païens qu'a été envoyé ce salut de Dieu; eux À Lystres (14, 15-17), ils sont invités à se tourner
ils écouteront (...) Paul accueille tous ceux qui viennent vers le Dieu vivant qui a fait le ciel et la terre et tout ce
à lui, proclamant le Règne de Dieu et enseignant ce qui qui s'y trouve... Maintenant les humains sont placés
concerne le Seigneur Jésus Christ. » devant une situation nouvelle : le témoignage que Dieu
se rend par les bienfaits qu'il accorde aux humains vise
moins à prouver son existence, qu'à les mener à chan-
24. J. DUPONT, Nouvelles études, p. 483-486. ger de vie, à les faire parvenir à la conversion. Jusque-
25. Voir 14, 22 (pour les croyants de Lystres, Iconium et Antioche) ; 19, 8 dans là, il était méconnu; maintenant, il faut abandonner ces
la synagogue d'Éphèse ; 20, 25 aux anciens d'Ephèse à Milet. pratiques qui le masquent et empêchent de le rencon-
26. Voir « tous les humains » : 17, 30 ; 22, 15 ; entre-temps, à Corinthe (18,
5-8), Paul dit aux Juifs qu'il se tourne vers les païens (18, 6), et fait de même à trer ;
Éphèse (19, 8-10). J. DUPONT, Nouvelles études..., p. 510: « il n'y a pas de réponse
unilatérale : soit la mission aux Gentils est la conséquence du refus des Juifs, soit
A Athènes (17, 22-31), Luc veut faire du discours à
le refus des Juifs est la conséquence de l'ouverture du christianisme au monde l'Aréopage le sommet de la carrière missionnaire de
païen. Le rapport des deux n'est pas celui de cause à effet, mais il faut faire
intervenir une troisième donnée, l'incrédulité des Juifs et l'accession des Gentils
au salut sont présentées comme accomplissant les Écritures. » 28. F. BOVON, p. 158. La christologie de Luc est assez embryonnaire, elle n'est
27. Le v. 28, 29 ne figure pas dans tous les manuscrits. guère contaminée par les élaborations de Paul.
372 MAURICE CARREZ LE PARCOURS CHRISTOLOGIQUE DE PAUL 373
Paul ` : c'est le deuxième discours-type qui scande sa convertir à Dieu et à croire en notre Seigneur Jésus (20,
carrière. Dieu a créé les humains pour qu'ils le cherchent 18-21). Il va à Jérusalem (Iérousalèm) où liens et afflic-
(17, 26-27). Leur parenté avec Dieu exclut tout culte des tions l'attendent. Il va parfaire sa course et le ministère
idoles (17, 28-29). À ces hommes religieux (17, 22b), reçu de la part du Seigneur Jésus : attester l'Évangile de
mais dans l'ignorance (17, 30), Dieu a fixé un jour : il la grâce de Dieu (20, 22-24). Paul a accompli tout son
va accomplir un jugement par un homme (ici anèr) qu'il devoir et il exhorte alors à être vigilants : « Prenez garde
a désigné, et il en donne la garantie en le ressuscitant à vous-mêmes et à tout le troupeau pour paître l'Église
d'entre les morts (17, 31). C'est la Résurrection vue sous de Dieu qu'il s'est acquise par son propre sang » (20,
l'angle uniquement eschatologique qui fait de Jésus, 25-28). De nouveau, avertissements sur les dangers de
dont le nom n'est pas prononcé, le juge suprême. Elle l'avenir, loups et hommes aux paroles perverses (20,
constitue un témoignage de Dieu. Voilà tout ce que nous 29-31). Une conclusion solennelle en 20, 32 les confie
avons comme christologie de ce discours. Donc, pas un à Dieu et à la Parole de grâce. Enfin, Paul rappelle son
mot de tout ce qui constitue la Révélation, mais un mes- exemple (20, 33-35).
sage universaliste aux humains en quête de Dieu. Le titre « Seigneur Jésus » propre à la communauté
Le seul texte de Paul qui puisse être comparé au dis- chrétienne met en valeur la venue active du Seigneur
cours à l'Aréopage est Rm 1, 18-32. Mais il est situé présent, conserve une résonance messianique, rappelle
très différemment. Il n'est que l'amorce de la partie sa transcendance et, tout en lui laissant son caractère
négative qui va se dérouler jusqu'en Rm 3, 20. Il s'insère universel, en fait le Seigneur de l'Église.
dans une lettre aux chrétiens de Rome à la fin de la Ce parcours christologique des discours de Paul dans
carrière de l'Apôtre. le livre des Actes appelle tout d'abord quelques remar-
ques. S'il est commode de distinguer entre discours mis-
La prédication aux chrétiens. sionnaires aux Juifs, puis aux païens, les discours aux
On peut y ranger les recommandations aux commu- chrétiens s'en distinguent. Ensuite, la place occupée par
nautés fondées lors du premier voyage missionnaire (14, ces deux derniers types de discours aux païens et aux
22-23). Hormis la mention du Règne de Dieu, elles sont chrétiens est infiniment moindre que celle des discours
plutôt du domaine de l'organisation ecclésiale. aux Juifs. C'est peut-être une volonté délibérée de Luc
Le discours de Milet, troisième discours-programme pour montrer le lien avec la synagogue. Il fait apparaître,
de Luc, est présenté comme un testament pastoral de en même temps, malgré toutes les ruptures avec certains
Paul aux anciens de l'Église d'Éphèse (20, 18-35 30). Juifs, la relative réussite par la conversion de certains
C. F. D. Moule note sa plus grande ressemblance avec autres Juifs. Ils fournissent aussitôt à Paul des collabo-
les épîtres en raison d'une même situation ecclésiale. rateurs sur place. Ces derniers, Juifs convertis, permet-
Paul, asservi au Seigneur, appelle Juifs et Grecs à se tent de transformer la prédication aux Juifs en prédica-
tions aux païens, puis au bout d'un certain temps aux
29. J. DUPONT, Nouvelles études..., p. 384 ; p. 416-423 : « Le discours à l' Aréo- chrétiens, tant Juifs que Grecs. Les Grecs mentionnés
page ». plusieurs fois sont des « craignant Dieu » qui constituent
30. J. DuPONT, Nouvelles études..., p. 424-445 : «Le discours de Milet »,
C. F. D. MOULE, « The Christology of Acts », Studies in Luke-Acts, Nashville-New une catégorie intermédiaire. Non circoncis, ils sont pour-
York, « Mélanges P. Schubert », 1966, p. 159-185. tant attirés par la religion juive et instruits de l'Écriture.
374 MAURICE CARREZ

Il est certain que les énoncés christologiques s'en res-


sentent. Ils doivent être acceptables pour tous : Juifs,
prosélytes, adorants, « craignant Dieu », Grecs. Si Luc
renonce à l'usage de certaines formules christologiques LE NAUFRAGE D'ACTES 27
pauliniennes, ce n'est pas qu'il les ignore. Cependant, MORT SYMBOLIQUE DE PAUL?
Luc devait avoir de bonnes raisons pour ne pas les uti-
liser dans sa présentation. S'il ne souligne que certains
aspects de la christologie, il en montre en même temps JEAN-NOËL ALETTI
l'unité. De ce fait, Luc n'hésite pas à simplifier et, en
un sens, à sembler appauvrir la christologie dans sa
diversité. La comparaison avec Paul est éloquente 31 .
Les derniers épisodes du livre des Actes, en particu-
lier celui du naufrage d'Ac 27, soulèvent de difficiles
questions. Certes, le narrateur s'y montre capable de
rivaliser avec les plus grands conteurs de son temps,
dans la manière de présenter les différents motifs et de
les traiter. La fonction narrative de l'épisode reste encore
sujette à discussion, et c'est elle que nous affronterons
ici, et ce, afin de montrer que la résolution des pro-
blèmes au niveau narratif permet d'aborder sainement,
ensuite, les questions historiques.

Le problème.
Un certain nombre d'exégètes pensent que le naufrage
est pour l'itinéraire de Paul l'équivalent narratif et sym-
bolique de la mort de Jésus en croix de Lc 23 1 . Ceux
qui préconisent cette interprétation s'appuient d'abord
sur des arguments extérieurs au récit du naufrage : la
manière dont Paul lui-même parle de ses tribulations, en
2 Co 11, 23 ; le fait que, dans la Bible, la tempête est
souvent vue comme une menace mortelle 2 ; le parallèle
1. Voir GOULDER, Tvpe and History in Acts, Londres, 1964, 62-63 ; W. RADL,
Paulus and Jesus im lukanischen Doppelwerk, Berne-Francfort, 1975, p. 222-251.
31. Sur les autres différences entre la figure de Paul selon Luc et le portrait qui L'hypothèse est reprise par I. PERvo, Luke's Story of Paul, Minneapolis, 1990.
s'en dégage des grandes épîtres, voir VIII; M. DUMAIS, « Les Actes... », 1995, 2. Pour le terme grec cheimôn, voir par ex. 1 Esd 9, 6 ; Esd 10, 9 ; 4 Mac 15,
p. 318-322. 32;Ci2,Il;Jb37,6;Si21,8.
376 JEAN-NOËL ALETTI LE NAUFRAGE D'ACTES 27 377
global entre Lc 22-24 et Ac 20-28, car il permet d'inférer l'épreuve, car Dieu l'a averti en songe de l'issue posi-
que le naufrage a une place équivalente à l'épisode de tive (27, 24). Si donc Paul ne parle jamais de mort,
la croix. Ils relèvent ensuite les éléments narratifs qu'on mais de salut, comment pourrait-on interpréter le nau-
peut considérer comme parallèles en Lc 22-23 et Ac 27 frage comme une mort, même symbolique ?
- La prédiction de Paul, qui, bien avant la tempête, Bien loin d'être une mort, le naufrage est au contraire
annonce que le voyage sera une perte pour le bateau et paradoxalement une confirmation divine en faveur
et leur vie (Ac 27, 10) ; avant sa passion, Jésus de Paul. De fait, c'est lui, le prisonnier, qui sauve tout
annonce aussi la gravité de l'heure et ce qui l'attend le monde, y compris ses gardiens: il indique comment
(Lc 22, 37-38), faire pour s'en tirer, prévoit, console, dénonce la fuite
- La violence des éléments (Ac 27, 18-20) ; en Lc 23, des marins, etc. De plus, Dieu lui-même lui a dit que
Jésus est battu et cloué sur la croix ; tous les passagers seraient sauvés à cause de lui (27,
- L'absence de soleil, durant le jour, et d'étoiles, durant 23 s.) ! Enfin, en sauvant Paul du naufrage, en en fai-
la nuit (Ac 27, 20) ; lors de la mort de Jésus, le soleil sant un actif thaumaturge, le récit fournit la confir-
disparaît (Lc 23, 44) - avec, en chacun des récits mation ultime, nécessaire en tout cas, car, comme on
(Lc 23 ; Ac 27), la notification de la durée (Ac 27, l'a dit, dans le monde hellénistique d'alors, seul le
20; Lc 23, 44) ; juste pouvait être sauvé des eaux, protégé qu'il était
- L'extrémité physique où sont les passagers du bateau par la divinité 3 . Le signe de protection se reproduit
(Ac 27, 21.33) ; en Lc 23, Jésus est mourant; en Ac 28, 4 : la colère ou la vengeance divine ne
- Paul est avec d'autres prisonniers, et les soldats déci- saurait punir quelqu'un n'ayant commis aucun
dent de les mettre à mort pour qu'ils ne s'échappent méfait; on en vient même à considérer Paul comme
pas (Ac 27, 42) ; en Lc 23, avec deux criminels, Jésus un dieu (28, 6b 4), et à le traiter avec beaucoup d'hon-
est aux mains des soldats ; neurs après la guérison qu'il opère (28, 10). Et pour
- Le bateau échoue (Ac 27, 41) ; Jésus rend l'âme, et ses lecteurs grecs, le narrateur ajoute un autre motif
le voile du Temple se déchire (Lc 23, 44-45). confirmant que les dieux sont avec Paul : le vaisseau
Nombreux sont au contraire les exégètes qui refusent qui conduit Paul de Malte à Rome est à l'enseigne
de voir dans l'épisode du naufrage un équivalent narratif des Dioscures (Ac 28, 11 5). On voit d'ailleurs pour-
de la mort de Jésus. S'appuyant sur de nombreux élé- quoi une confirmation divine était nécessaire : jus-
ments du passage, ils en font plutôt une opération de que-là en effet, Paul avait proclamé son innocence et
sauvetage - mieux, de salut, si l'on y voit une dimension 3. Voir G. B. MIES, G. TROMPE, « Luke and Antiphon : The Theology of
symbolique. De fait Acts 27-28 in the Light of Pagan Beliefs about Divine Retribution, Pollution, and
- si le bateau coule, tous les passagers, soldats et pri- Shipwreck)), HTR 69, 1976, 259-267; G. TROMPE, « On Why Luke Declined to
Recount the Death of Paul : Acts 27-28 and Beyond)), dans C. H. TALBERT, éd.,
sonniers, et surtout Paul, sont en revanche sains et Luke-Acts. New Perspectives from the SBL Seminar, New York, 1984, 225-239;
saufs, et telle est la pointe du passage ; D. LADOUCEUR, « Hellenistic Preconceptions of Shipwreck and Pollution as a
- Paul prévoit le naufrage (27, 26) et, au plus fort de la Context for Acts 27-28 >>, HTR 73, 1980, 435-449; S. M. PRAEDER, a Acts
27 :1-28 :16. Sea Voyages in Ancient Literature and the Theology of Luke-Acts »,
tempête, annonce son heureux dénouement, en décla- The Catholic Biblical Quartely 46, 1984, 683-706.
rant : « pas un d'entre vous ne perdra un cheveu » 4. Luc ne cherche pas à corriger l'impression. Comparer avec Ac 14, 14-18.
5. Voir D. LADOUCEUR, « Hellenistic Preconceptions », 443-448. Castor et Pol-
(27, 34) ; lui-même reste ferme tout au long de lux étaient les protecteurs des marins.
378 JEAN-NOËL ALETTI LE NAUFRAGE D'ACTES 27 379
la conformité de son ministère avec le plan divin, mais qu'un des nombreux cas lucaniens de parallélisme, au
qui pouvait certifier qu'il en était ainsi, sinon la divi- point qu'on a pu dire, avec raison, que la synkrisis était
nité ? Le naufrage et son dénouement positif lui en donna la figure la plus utilisée par Luc. Il y a en effet toutes
l'occasion. sortes de parallèles, que je ne fais que signaler ici en
Les exégètes sont ainsi divisés sur l'interprétation du passant, entre Pierre et Paul, entre Étienne et Jésus, entre
naufrage. Qui a raison ? Sans aucun doute, on ne saurait Pierre et Jésus...
confondre le naufrage d'un navire avec la mort d'un Ne retenons ici que les traits communs, de loin les
homme ; et comme Paul insiste sur le fait que personne plus nombreux et les plus complets, existant entre le
ne périra, on ne peut dire qu'il meurt, à moins de lire le Paul des Actes et le Jésus du troisième évangile.
texte complètement de travers. À vrai dire, dès l'épisode Les exégètes ont encore relevé d'autres expressions
de la vocation (Ac 9), il était presque prévisible que le communes : Jésus et Paul « proclament le Royaume de
récit ne parlerait pas de la mort de Paul. En cet épisode, Dieu » (Lc 8, 1 ; Ac 28, 31), ils sont pleins de l'Esprit
le Seigneur dit en effet à Ananias, à propos de Saul saint (Lc 4, 1 ; 9, 17 ; 13, 9), et plusieurs sentences de
« je lui montrerai tout ce qu'il lui faut souffrir pour mon Jésus dans le troisième évangile ne se comprennent vrai-
nom » (9, 16). Certes, comme toute prophétie, celle-ci ment qu'en fonction d'Ac : ainsi Lc 21, 18 et Ac 27, 34
pourrait elliptiquement inclure la mort. Mais les autres (« pas un cheveu de votre tête ne tombera »), Lc 10, 19
annonces que Dieu fait par la suite à l'Apôtre, alors pri- et Ac 28, 3-6 (« ni scorpions ni serpents ne vous feront
sonnier, ne mentionnent pas davantage cette éventualité de mal »). De même l'amitié entre Hérode et Pilate ellip-
(Ac 23, 11 ; 27, 23). L'horizon du récit reste le témoi- tiquement mentionnée en Lc 23, 12 l'est de nouveau en
gnage à Rome, et si le témoignage peut aller jusqu'au Ac 4, 25-26, cette fois avec la clef de son interprétation
sang versé, pour Paul, le récit pointe vers la comparution (le Ps 2, 1-2)...
devant l'empereur et non vers la mort 6. Mais le tableau (voir page suivante) montre que le
Avant de revenir sur la fonction narrative du naufrage narrateur a accumulé et particulièrement travaillé les
d'Ac 27, voyons quelle est sa place matérielle dans la parallèles relatifs aux comparutions devant les autorités,
chaîne du déroulé narratif, sans oublier le cadre de la un narrateur qui ne se contente pas d'accumuler les
synkrisis (ou parallélisme) entre Jésus et Paul, sans parallèles entre les deux passions, celle de Jésus et celle
laquelle sa pertinence échappe à l'exégète. de son témoin, mais qui insiste aussi sur la conscience
qu'ont les deux acteurs de devoir passer par là, pour
« que la volonté de Dieu soit faite » (voir Lc 22, 42 ;
Le parallélisme entre Jésus et Paul. Ac 21, 14), comme l'indiquent les deux discours testa-
mentaires et la plupart des « il faut ». Mais pourquoi le
Le parallélisme entre ces deux acteurs', heureuse- narrateur a-t-il choisi Paul plutôt que Pierre - si l'on en
ment relevé par tous les commentateurs de Lc-Ac, n'est croit la tradition, ce dernier n'est-il pas mort sur une
6. La difficulté que pose la finale d'Ac vient en réalité de l'absence de procès croix comme son Seigneur ? La place et la fonction du
devant César. Mais je n'affronterai pas cette question ici, ou si peu !
7. Je reprends ici, en insistant plus sur les parallèles narratifs que sur les reprises
naufrage doivent ainsi être mises en évidence.
lexicographiques, un certain nombre de parallèles signalés, entre autres, par
A. J. MATTILL Jr, « The Jesus-Paul Parallels », NT 17, 1975, 22-46, et W. RADL.
380 JEAN-NOËL ALETTI LE NAUFRAGE D'ACTES 27 381
Jésus en Lc Paul en Ac L'extension de la « synkrisis » : la fonction d'Ac 27,
Leur ministère 9-28,11.
Ils prêchent dans les synagogues 4, 15.16.33.44 ; 9, 20 ; 13, 5.14 ;
6, 6 ; 13, 10 14, 1 ; 17, 1-2.17 ;
1 8, 4.19; 19, 8 Ceux qui voient dans le naufrage un équivalent nar-
Leur parcours est décidé par l'Esprit 4, 1.14 1 9, 6.7; 20, 22 ratif - autrement dit structural - de la mort de Jésus en
Signes 5, 18-26 ; 6, 18 ; 14, 8-10...
8, 26-39... Lc, n'ont pas tort, au contraire. Pourquoi cet épisode du
Exorcismes 4, 33-37 16, 16-18 naufrage ne pourrait-il avoir une dimension symboli-
Leur passion et sa préparation que : à la fois comme vérification ultime d'une vie, et
Ils décident d'aller à Jérusalem/Rome Jérusalem : 9, 51 Jérusalem comme itinéraire calqué sur celui du Christ ? Après tout,
19, 21 ; 20, 22
Rome : 19, 21
la situation est bien celle d'une menace mortelle et même
Discours testament 22, 14-38 20, 17-35 d'une presque-mort. D'ailleurs, ce n'est pas la (seule)
Annonces de leur passion 9, 22.44;
1 8, 31-33
1 4, 22 ; 20, 22-23 ; destruction du bateau qui doit être prise comme un équi-
21, 116
Les « il faut » relatifs à leur parcours s
2, 49; 4, 43 ; 9, 16 ; 14, 22 ; 19, valent de la mort de Jésus, mais l'épisode en son entier.
9, 22 ; 13, 33 ; 21 , 23, I l ; Car, de même que les scènes au pied de la croix (de la
1 7, 25 ; 22, 37; 25, 10; 27, 24
24, 7.26.44 crucifixion à la coulpe des foules), décrivent l'ultime
Ils s'agenouillent et prient 22,41 20, 36 épreuve de Jésus, par laquelle son innocence devient
« Que la/ta volonté (divine) soit faite » 22,42 21, 14
Battus avant le procès 22, 63 23, 2
manifeste et reconnue de tous, au moment même où il
Ils comparaissent l'un et l'autre est mis au rang des malfaiteurs, de même, le naufrage
- devant le Sanhédrin, 22, 63-71 22, 30-23, 10
le jour suivant l'arrestation 22,66 22, 30
et son issue positive constituent l'ultime confirmation
- devant les autorités romaines Pilate : 23, 1-7 18, 12 ; de l'innocence de Paul : alors que le désastre aurait pu
fausses accusations 23, 2
Félix : 26, 1-27
17, 7
faire croire à une punition divine, les événements finis-
- devant les autorités juives, Hérode : 23, 8-12 Agrippa : 26, 2-32 ti sent à l'opposé, puisque le prisonnier est considéré
désireuses de l'entendre
- devant les autorités romaines
23, 8
Pilate : 23, 13-24
25, 22 comme un dieu ! C'est dans l'adversité, surtout face à
Festus : 25, 1-12 r
Livrés aux exécutants 23,25 27, 1 la mort, que se manifeste l'innocence des vrais amis de
Accompagnés d'autres prisonniers
Mort/presque mort (dernière épreuve)
23, 32 27, I Dieu. Ce n'est donc pas la mort physique qui constitue
23, 26-56 27, 6-28, 11
Apparition confortante d'un ange 22,43 27, 23 le critère décisif du parallélisme entre Lc 23-24 et Ac 27-
Eucharistie sur le pain' 22, 1 9-20; 9, 12-17 20, 11 ; 27, 33-38 28, 11, mais leur fonction respective. J'ai montré ail-
Entrée en gloire/Paul déclaré « dieu » 24 28, 1-10 leurs 1° que l'enjeu de la passion et de la mort de Jésus
est la reconnaissance, à différents niveaux et par les dif-
8. Outre la troisième personne du verbe deô (dei au présent, ou edei à l'impar- férents acteurs, de son innocence et de leur culpabilité.
fait), noter le « il est nécessaire (anagkaion) » d'Ac 13, 46. Je ne tiens pas compte
du verbe grec mellein, dont la nuance varie, et qu'il n'y a pas lieu de discuter ici, Car, à la différence de Mc et de Mt, qui suivent conti-
car le nombre des autres vocables suffit amplement pour ce que je veux montrer. nûment le modèle du juste persécuté et abandonné de
9. Les gestes de Paul reprennent ceux de Jésus, et c'est sur ce point que joue
la synkrisis entre Jésus et Paul. Il faut donc retenir le parallèle. Mais il ne s'agit
tous, Luc, dans sa présentation des passions de Jésus et
pas du repas du Seigneur, car le narrateur ne signale pas la distribution du pain de Paul, suit celui du juste ou de l'innocent finalement
eucharistié. Comme le dit D. MARCUERAT : ce silence « évite d'assimiler l'équipage
du bateau à une assemblée chrétienne ». (« "Et quand nous sommes entrés dans
Rome" ». L'énigme de la fin du livre des Actes [28, 16-31 ] », RHPR 73, 1993, 10. J.-N. ALETTI, L Art de raconter Jésus Christ. L'écriture narrative de l'évan-
12, n. 29.) gile de Luc, Paris, Ed. du Seuil, 1989, chap. vit.
382 JEAN-NOËL ALETTI LE NAUFRAGE D'ACTES 27 383

reconnu comme tel par tous, autorités et foules, au faut donc aller dans une autre direction pour déterminer
moment même où son sort semble indiquer le la fonction de la finale du livre (Ac 28, 17-31). Quoi
contraire ". Or, durant le naufrage, l'attitude de Paul est qu'il en soit, au point où nous en sommes, nous pouvons
exactement la même que celle de Jésus en croix, et c'est tracer une conclusion provisoire. La mort de Jésus en
à ce niveau que la comparaison s'impose Lc 23 et le naufrage de Paul en Ac 27 ont la même
- Durant tout le temps de l'épreuve, Jésus et Paul mon- fonction narrative, celle de souligner à l'extrême l'inno-
trent une confiance indéfectible en Dieu; cence des deux héros ; en bref, les deux événements sont
- Ni l'un ni l'autre ne cherchent à fuir; Jésus ne des- au service du processus de véridiction sans lequel les
cend pas de la croix et, de son côté, Paul avertit le héros n'auraient pu être reconnus pour ce qu'ils sont par
centurion que les marins cherchent à s'enfuir (Ac 27, tous les acteurs du drame - et pas seulement bien après,
30-32) ; par le narrateur et son narrataire.
- Ils expriment leur confiance par la prière (Lc 23, 46 ; Redisons le manque à gagner qu'il y aurait (pour
Ac 27, 24.35). Car la réponse divine en Ac 27, 24 l'interprétation) à ignorer le jeu métaphorique et la syn-
« voici que Dieu t'accorde généreusement (la vie de) krisis développés par le narrateur en Ac 27, 9-28, 10.
tous ceux qui naviguent avec toi » suppose que l'Apô- Les résultats permettent ainsi de répondre à la question
tre a prié et demandé que tous aient la vie sauve ; mais que nous nous étions posée plus haut : pourquoi le nar-
c'est exactement l'attitude de Jésus, qui dit avoir prié rateur développe-t-il la passion de Paul et non celle de
pour ses disciples et qui, ensuite, demande le pardon Pierre ? La première réponse, superficielle mais narrati-
de ceux qui l'ont mené à la mort. C'est surtout grâce vement pertinente, a été de dire que les différentes pro-
à sa délivrance de la mort que tous peuvent espérer lepses du livre des Actes, à commencer par celle d'Ac 9,
le salut (Ac 2, 21 ; 4, 12). 16, annoncent les souffrances de Paul mais pas celles
Mais la comparaison doit encore s'enrichir. Que le des autres témoins. Leur description exauce donc la pro-
naufrage ait été l'événement par lequel Dieu a définiti- phétie divine et les pressentiments de Paul. Mais cette
vement manifesté l'innocence de Paul, le reste du macro- réponse ne suffit pas. Il faut aller plus loin.
récit le montre aussi. Si l'Apôtre reste enchaîné (Ac 28,
20), il n'est plus question de procès ni de jugement, et
l'on voit pourquoi : si sortir indemne d'un naufrage La fonction du parallélisme : imiter Paul ?
implique une confirmation divine, alors aucun tribunal
ne pourrait décemment faire mieux. Le narrateur sup- Pour expliquer la longue passion de Paul, on a évi-
prime tout simplement un procès qui n'ajouterait rien à demment recouru à ce que dit Jésus dans le troisième
l'innocence de Paul, d'autant plus que, d'une part, en évangile sur le rapport du disciple au maître. Ces pas-
réalité, Paul a déjà comparu devant le tribunal de César sages où Jésus parle de l'être-disciple sont les suivants
(Ac 25, 10) et a été entièrement disculpé, et que, d'autre Lc 6, 27-49, également 9, 23-27 ; 14, 27 (« qui ne porte
part, personne à Rome ne lui demande de comptes. Il pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut être
mon disciple ») et 14, 33 (« aucun d'entre vous ne peut
11. J.-N. ALETTI, Jésus Christ fait-il l'unité du Nouveau Testament ?, Paris,
être mon disciple s'il ne renonce pas à toutes ses pos-
Desclée, 1994, 173-176. sessions »). À n'en pas douter, Lc 9, 23 et 14, 27 décri-
384 JEAN-NOËL ALETTI LE NAUFRAGE D'ACTES 27 385

vent proleptiquement ce que sera l'itinéraire de Paul, ses propre itinéraire, ses propres tribulations au service de
nombreuses épreuves au service de l'Évangile, et cer- l'Évangile. Dès lors, Ac 21-28 ne peut décrire que l'iti-
tains pensent qu'en relatant les paroles de Jésus, le nar- néraire de Paul seul, lequel n'est pas matériellement
rateur pensait à Paul, qui devient ainsi le parangon du identique à celui de Jésus, même s'il lui ressemble pour
disciple. d'autres raisons. Ne serait-ce donc pas la constance,
Selon d'autres 12 , la clef du parallélisme tracé entre l'endurance et la confiance de Paul que le lecteur est
Jésus et Paul se trouve en Lc 6, 40 : « Le disciple n'est invité à imiter, lorsqu'il est lui-même suspecté ou pour-
pas au-dessus du maître ; mais tout (disciple) bien formé, suivi à cause de l'Évangile ? Sans aucun doute. Mais
sera comme son maître. » Le verset ne parle aucunement cela ne suffit pas à expliquer les détails et la particularité
d'enseignement théorique, mais d'une préparation par de la narration d'Ac 21-28. Toutes les vies de saints ont
l'itinéraire et l'expérience, surtout,par les oppositions, une visée exhortative, mais cette visée n'épuise ni les
par les souffrances au service de l'Évangile. Au demeu- raisons d'être ni le déroulé du récit.
rant, le parallélisme strict entre les deux passions va plus Il est vrai que le discours de Paul aux presbytres de
loin que la ressemblance quantitative : Paul n'a pas seu- Milet (Ac 20, 18-35) a, comme tous les discours testa-
lement eu les mêmes épreuves que son maître, par elles mentaires, une fonction exhortative, et que Paul s'y pré-
et grâce à elles, il lui a de plus en plus ressemblé. Jésus sente manifestement comme un modèle à imiter. Il a
veut donc que ses disciples lui ressemblent ou lui devien- servi le Seigneur dans l'humilité et les épreuves (Ac 20,
nent conformes. Mais les épreuves ne se commandent 19), il a porté à achèvement son ministère (diakonia
pas, et il ne semble pas que Paul les ait désirées : il les [Ac 20, 24]), il a fait ce que le Seigneur a demandé à
a acceptées, ce qui n'est pas la même chose. Mais la ses disciples, en étant celui qui sert (Lc 22, 26-27 ; voir
difficulté soulevée par Ac 20-28 n'en disparaît pas pour Ac 20, 34-35). Mais Paul parle de son service passé.
autant. Car, quand on dit que Paul devient le « paran- L'imitation joue donc pour ce qui fut sa tâche de pasteur.
gon » du disciple, on entend, si je ne m'abuse, donner A partir d'Ac 21, Paul n'est plus présenté comme le
au parallélisme une fonction impérative, pour le moins fondateur ou le pasteur des communautés : le discours
exhortative : « faites comme Paul ! », lequel avait déjà testamentaire visait en partie à assurer ce passage. Paul
fait « comme » le Christ. L'Apôtre devient ainsi un devient maintenant prisonnier, et ce qui va lui arriver
(autre ?) modèle à imiter. Mais, répétons-le, les épreuves fait partie de l'itinéraire que le Ressuscité lui a réservé
ne s'imitent pas. On est amené à y entrer par nécessité, en propre, selon ce qu'il avait annoncé à Ananias en
parce qu'on ne peut faire autrement. Ac 9, 16.
Le récit d'Ac 21-28 dit-il que l'on doit passer par le Nous revenons donc à notre question : à quelle fin,
même itinéraire que Paul, subir violence, accusations, en Ac 21-28, le narrateur décrit-il ces événements - la
naufrages, pour mériter le nom de disciple et ressembler révolte contre Paul dans le Temple, la séance devant le
au Christ ? Certes non, car Lc 9, 23 ou 14, 27 soulignent Sanhédrin, les différents procès avec leurs discours, le
bien que chacun doit porter sa propre croix, ni celle de naufrage ? Certes, pour montrer que Paul est un disciple
Jésus ni celle de Paul. Chaque disciple a ou aura son accompli, ressemblant en tout à son maître, surtout par
les souffrances. Les autres, Pierre en particulier, ne
12. AA. MATTILL, u The Jesus-Paul Parallels », 40-46. feraient-ils donc pas l'affaire ? Ont-ils moins souffert ?
386 JEAN-NOËL ALETTI LE NAUFRAGE D'ACTES 27 387
On pourrait objecter qu'à l'époque où est écrit le livre Paul devant César annoncée plusieurs fois, par Festus
des Actes, ni Pierre ni Paul n'ont encore été mis à mort, (Ac 25, 12) et par le Seigneur, en vision (Ac 27, 24)
et qu'en conséquence le narrateur ne peut en parler. n'aura pas lieu avant la fin du récit - il s'agit d'une
J'espère montrer que ce type de réponse historico- prolepse externe. Et si le premier volet a décrit la mort-
critique, encore en vigueur dans certains commentaires résurrection de Jésus, pourquoi le second ne dit-il rien
des Actes, ne rend aucunement compte du génie litté- de la « fin » de Paul ? Ne faut-il pas en conséquence
raire et théologique de Luc. Mais pour ce faire, il me parler d'une rhétorique du silence ?
faut maintenant affronter la difficile finale du livre, Sans analyser le passage, notons que certains des
Ac 28, 11-31. silences étaient narrativement prévisibles. Une fois mon-
tré et admis le parallélisme entre Lc 23 et Ac 27, 6-28,
13.
10, il devient presque évident que le récit ne pouvait
La finale du livre des Actes mentionner la « fin » physique de Paul, pas plus que
celle de Pierre, et pour les mêmes raisons. J'ai également
De quelques silences. noté plus haut que la mort de Paul n'était jamais annon-
cée explicitement, pas même dans la prolepse d'Ac 9,
À bien des niveaux, Ac 28, 17-31 donne l'impression 16. L'Apôtre se déclare être prêt à mourir pour le Sei-
de laisser ouvertes de nombreuses questions. D. Mar- gneur Jésus (Ac 21, 13), mais il ajoute : « à Jérusalem ».
guerat en a énuméré les différents silences. Je les répète Une fois qu'il a quitté la ville pour toujours, il n'aborde
ici avec lui : 1) Au niveau théologique, le plan salvifi- plus cette éventualité, et la logique narrative du récit a
que de Dieu est annoncé prophétiquement par Paul en montré pourquoi.
28, 25-28, mais il n'est pas raconté, ou en si peu de Quant au procès de Paul à Rome, s'il est vraiment
mots! 2) Au niveau politique, manque la reconnais- annoncé par l'intéressé, qui en appelle à l'empereur
sance par Rome de l'innocence de Paul et de la valeur (Ac 23, 11 ; 25, 11-12 ; 26, 32 ; 28, 19), et par Dieu,
de la foi chrétienne; 3) Au niveau religieux, s'il semble dans une vision (27, 24), le narrateur se devait de ne
sûr que désormais le mouvement chrétien est le porteur pas le raconter. Le parallélisme strict avec les compa-
de l'annonce salvifique, les rapports futurs avec le rutions de Jésus, mis en valeur par le tableau de la
judaïsme sont loin d'être clairement décrits ; Paul p. 380, plaide déjà en faveur de ce silence final. Et il
semonce-t-il les Juifs, les invitant à la repentance, sans existe d'autres raisons. En effet, nous l'avons égale-
toutefois les exclure, ou, au contraire, ses propos son- ment signalé, Paul a eu tout le loisir de s'expliquer
nent-ils comme un rejet, et annoncent-ils déjà l'anti- « devant le tribunal de César» (Ac 25, 10), et d'être
judaïsme de l'Église ? 4) Au niveau littéraire, le récit acquitté. S'il y a comparution devant l'empereur - et
est plus ouvert que fermé. En effet, la comparution de nous savons qu'elle aura lieu, puisque la parole divine
ne faillit pas - elle se fera hors récit. Mais, s'il sait ne
13. Beaucoup d'études ont été consacrées à cette finale. Je ne cite ici que les pas devoir raconter ce procès, pourquoi le narrateur ne
plus récentes : C. J. HEMER, The Book of Acts in the Setting of Hellenistic History,
WUNT 49, Tübingen, 1989, 383-387; D. MARGUERAT, « Et quand nous sommes fait-il pas simplement dire à l'ange : « Ne crains pas,
entrés dans Rome. L'énigme de la fin du livre des Actes (28, 16-31) », RHPR 73, tu arriveras à Rome », ou encore, comme en Ac 23, 11
1993, 1-21. « Tu témoigneras de moi à Rome » ? En réalité, ce n'est
38 8 JEAN-NOËL ALETTI LE NAUFRAGE D'ACTES 27 389
pas comme capitale de l'empire que la ville a de l'accueil fait au message : le Seigneur ressuscité se plaint
l'importance en Ac, mais parce qu'en témoignant de la lenteur des disciples à croire, et Paul stigmatise
devant celui qui a sur terre la plus haute autorité, Paul l'incapacité chronique du peuple d'Israël à comprendre.
va donner à l'Évangile une notoriété universelle et offi- Et de même que Lc 24 invitait à méditer sur la cohérence
cielle. Plus que le lieu, la mention de l'empereur en 27, du parcours de Jésus en rapport avec les Écritures, de
24 rappelle l'enjeu du voyage et de son issue positive. même Ac 28 convie les Juifs, mais aussi et surtout le
Mais ce rappel n'implique aucunement que la compa- lecteur, à réfléchir sur le sens de l'histoire d'Israël et sur
rution elle-même doive faire partie du récit. A quoi sert la décision de Dieu à son endroit. Dernier point commun
alors la finale du livre ? à Lc 24 et Ac 28 : si les héros respectifs, Jésus et Paul,
y donnent des réponses, ils ne développent aucunement
Le rôle de Paul en Ac 28, 17-31. le parcours qui les justifie. Le lecteur est ainsi chaque
fois invité à un long périple, d'abord à travers le livre
La finale d'Ac ne livre son secret que si l'on en per- dont ces chapitres sont la conclusion, ensuite à travers
çoit deux points essentiels : 1) son parallélisme subtil toutes les Écritures.
avec Lc 24; 2) le rapport d'accomplissement dans
lequel le passage se trouve avec Lc 4, 24-27.
Ma première affirmation ne manquera certainement Les raisons d'un parallélisme.
pas d'étonner. Les différences entre Lc 24 et Ac 28 sont Dans la ligne de ce rôle herméneutique attribué à Paul
en effet de taille. En Lc 24, Jésus rencontre ses disciples en Ac 28, voyons comment ce même chapitre porte à
pour se faire reconnaître, mais aussi et surtout pour leur son accomplissement la prolepse faite par Jésus dans le
expliquer la cohérence de son propre itinéraire; de plus, discours-programme de Lc 4. Certes, l'homélie de
il n'accuse personne. En Ac 28, au contraire, Paul ne Nazareth est le premier discours de Jésus relaté par le
s'adresse pas à des frères dans la foi, mais aux Juifs, et narrateur, alors que les propos de Paul en Ac 28 forment
ses propos n'ont rien de tendre; il devient même leur la clôture d'Ac, mais aussi du diptyque, et l'on ne sau-
accusateur par la voix du prophète Isaïe ; de plus, il ne rait leur attribuer la même fonction. Pourtant, c'est jus-
parle ni de son itinéraire ni de celui de son Seigneur tement cet écart (commencement d'un ministère - fin
pour en exposer la logique, mais des destinataires de la d'un autre) qu'il faut retenir : par ses propos, Jésus pro-
parole de Dieu et de leur attitude 14. phétise non seulement son destin, mais celui de ses dis-
Malgré ces différences, Paul, comme le Jésus de ciples, et, par son adresse finale aux Juifs de Rome, Paul
Lc 24, se fait l'interprète autorisé et ultime du plan de scelle en quelque sorte la vérité et l'accomplissement
Dieu, en montrant comment l'attitude actuelle des Juifs des paroles de son Maître. Comme lui, il a été appelé à
reste dans la droite ligne de celle de leurs ancêtres, en être «lumière des Nations » (Lc 2, 32 ; Ac 13, 47), et
prophétisant également l'accueil positif que les Nations il a été (pour cela) rejeté par ses coreligionnaires. Ses
feront à l'Évangile. Notons au passage un autre motif propos aux Juifs de Rome reprennent originalement
commun à Lc 24 et Ac 28, celui des auditeurs et de ceux que son Maître a adressés aux habitants de son
14. La question des destinataires de l'Évangile (Juifs et/ou païens) sera étudiée village, Nazareth. Et leur ministère peut ainsi être mis
plus loin. en série
390 JEAN-NOËL ALETTI LE NAUFRAGE D'ACTES 27 391
Élie/Élisée Jésus Paul leurs pères ont traité les prophètes » (Lc 6, 22-23), et
Envoyés pour le salut des Le 4, 26-27; Le 2, 32 ; Ac 13, 47; « Voilà pourquoi la sagesse divine a dit : "Je leur enver-
Nations
Leur peuple les persécute
voir 1 R 17; 2 R 5
1 R 19; 2 R6,31-32
24,47
Le 4, 24-29 ; 23
22,21
Ac 22, 18
rai des prophètes et des apôtres, et ils en tueront et en
persécuteront" » (Lc 11, 49). Avec cet oracle final de
Paul (Ac 28, 26-29), l'oeuvre lucanienne entière trouve
On voit alors pourquoi c'est lui que le narrateur a son exaucement. Pour le lecteur, les paroles de Paul aux
choisi pour mener à terme son récit (Ac 21-28) : les Juifs soulignent l'engendrement christologique des évé-
épreuves de Paul sont celles du prophète rejeté par les nements : la prophétie de Lc 4 ne touchait pas seulement
siens à cause de sa vocation même, drame stigmatisé le ministère et la mise à mort de Jésus, elle avait aussi
et prophétisé par Jésus en son discours inaugural pour horizon la vocation et le ministère de Paul. En
(Lc 4). Mais, comment ne pas voir que le narrateur même temps, elle signalait que le rapport Israël-Nations
joue sur cette reproduction d'un drame qui a eu pour constituerait un des enjeux majeurs du récit. Et au-delà
acteurs tous les prophètes, afin de montrer qu'il trouve même de l'oracle final, c'est tout l'itinéraire apostolique
en Paul son acmé et son tournant, car avec son témoi- de Paul qui manifeste la vérité et la force des paroles
gnage se réalise pleinement le plan de Dieu en faveur inaugurales de son Maître à Nazareth. La boucle est ainsi
des Nations. C'est donc dans l'adresse finale aux Juifs bouclée, le récit touche à sa fin.
de Rome que l'on peut identifier le fil qui traverse le J'espère avoir montré, d'une part, l'importance struc-
diptyque et qui détermine les différents parallélismes turante des parallélismes (entre acteurs) dans et pour le
(les synkriseis), surtout ceux entre Jésus et Paul. Bref, récit lucanien, d'autre part, leur rôle déterminant pour
c'est parce qu'il est l'Apôtre des Nations que Paul a entrer dans la compréhension que le narrateur a du plan
été choisi comme l'acteur principal de la dernière par- de Dieu.
tie des Actes.
Et si l'on relit à la suite les différentes sentences de
Jésus sur le sort réservé aux prophètes 15, il devient clair Conclusion.
qu'elles ne sont pas seulement une lecture du passé, mais
qu'elles annoncent ce qui adviendra aux Apôtres et à Étudié à partir de sa place dans la chaîne des signi-
Paul en particulier. Je ne cite ici que deux de ces pas- fiants narratifs, l'épisode du naufrage (Ac 27) a donc,
sages, car ils mettent en relief le lien entre ce qui advient nous l'avons vu, une fonction analogue aux scènes au
aux disciples et ce qui fut le lot des envoyés d'antan pied de la croix en Lc 23, celle d'une confirmation
« Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, d'innocence, au moment même où le contraire semble
lorsqu'ils vous excluent et vous insultent, et qu'ils pros- s'imposer. Par cet extrême de l'épreuve où il est entré
crivent votre nom à cause du Fils de l'homme. Réjouis- confiant et d'où il est sorti rayonnant, Paul se voit
sez-vous ce jour-là, et sautez de joie, car votre récom- confirmé dans son témoignage paradoxal, mais il devient
pense est grande dans les cieux; en effet, c'est ainsi que par là même de plus en plus conforme à celui auquel il
rend témoignage. Ce parallélisme, poussé à la limite, a
permis d'entrevoir la typologie qui a présidé à son uti-
15. Lc 4, 24.27; 6, 22-23 ; 11, 47.49.50; 13, 34.
lisation et à son extension. Dans un livre qui est à peine
392 JEAN-NOËL ALETTI

sorti 16, j'essaie de développer les implications de cette


typologie envahissante.
Raconter, c'est toujours sélectionner. Je viens de mon-
trer les raisons théologiques des choix lucaniens. Pour LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE
l'historien des origines chrétiennes, la connaissance des LE CAS DES ACTES
techniques narratives de Luc n'est pas inutile, dans la
mesure où elle permet de voir comment ce narrateur DES APÔTRES APOCRYPHES
« fait de l'histoire » en tous les sens du terme. Mais je
ne me substituerai pas à S. Légasse, qui saura montrer
JEAN-MARIE VAN CANGH
mieux que quiconque toutes les implications historiques
des techniques narratives à l'œuvre en Ac 27-28.

Les Actes des Apôtres apocryphes (AAA) les plus


anciens, c'est-à-dire les Actes de Jean (AJ), les Actes
d'André (AA), les Actes de Pierre (APet) et les Actes
de Paul (AP), nous permettent de remonter à la pratique
ecclésiale des chrétiens d'Égypte et de Syrie des années
150 à 200. Il faut y ajouter les Actes de Thomas (ATh)
qui sont de peu postérieurs et qu'on date généralement
du début du I,le siècle.
Mais l'intérêt rebondit lorsqu'on sait que ces textes
témoignent d'eucharisties célébrées sous la seule espèce
du pain (sub una). Or nous avons essayé de montrer
dans deux articles récents 1 que le déroulement primitif
de la Cène ne contenait qu'une seule parole de type
consécratoire sur le pain : « Ceci est mon corps »
(Mc 14, 22). La seconde parole authentique prononcée
par Jésus sur le vin était la promesse eschatologique de
Mc 14, 25 : « En vérité, je vous le dis que je ne boirai
plus du fruit de la vigne jusqu'à ce jour-là où je le boirai,
1. J.-M. VAN CANGH, « Le déroulement primitif de la Cène (Mc 14, 18-26 et
par.) », RB 102, 1995, p. 193-225 ; « Peut-on reconstituer le texte primitif de la
Cène? (1 Co 11, 23-26 par. Mc 14, 22-26) », dans R. BIERINGER, éd., The Corin-
16. J.-N. ALETTI, Il racconto come teologia. Approccio narrativo a Luca-Atti,
thian Correspondance, Journées bibliques de Louvain, BETL CXXV, Louvain,
Rome, Dehoniane, 1996.
1996, p. 623-637.
394 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 395

nouveau, dans le royaume de Dieu», qui reprend la (comme en AJ 23 ; 79 ; 83) est remplacé ici par un trans-
bénédiction juive habituelle et l'expression caractéristi- fert de dynamis de l'Apôtre à un tiers. Il s'agit donc d'un
que de pry ha-gèphèn (fruit de la vigne). Pour plusieurs récit de miracle destiné à la conversion du bénéficiaire.
raisons que nous exposerons plus loin, il faudrait consi- Mais l'essentiel pour notre propos est la mention des
dérer la seconde parole de type consécratoire (Mc 14, quatre éléments du culte : 1. homélie ; 2. prière ;
24 : « Ceci est mon sang de l'alliance versé pour beau- 3. eucharistie ; 4. imposition des mains ou cheirothesia
coup ») comme une addition de la communauté hellé- (que nous retrouverons en AJ 106-110). Le texte ne dit
nistique. pas explicitement que l'eucharistie se limite à la consé-
On comprendra, dès lors, l'importance de reconstituer cration et distribution du pain, mais cela est supposé
exactement la liturgie eucharistique des Actes apocry- clairement par les parallèles (AJ 85-86 et 109-110).
phes anciens et de dégager le poids relatif qu'ils accor-
dent à l'élément du pain et du vin et aux paroles éven- 2. Le lendemain, Jean, accompagné d'Andronicus et des
tuelles qui s'y rapportent. Si l'on pouvait montrer frères, se rendit au tombeau dès l'aurore - Drusiane était
clairement que la coutume au le siècle en Asie et en morte depuis trois jours - afin que nous y rompions le pain.
Afrique était de célébrer l'eucharistie sous la seule [AJ 72.]
espèce du pain, l'hypothèse énoncée ci-dessus s'en trou-
verait grandement renforcée. Tout le poids de ces textes Nous avons ici aussi un récit de résurrection. Dans ce
porte, en effet, sur la fraction du pain (qui désigne cas précis, le texte atteste une eucharistie de pain célé-
l'action eucharistique dans son ensemble), sans qu'ils brée au tombeau de la morte, le troisième jour après son
éprouvent le besoin de mentionner une action spécifique décès - pratique qui aurait son origine dans le sacrifice
sur le vin. païen offert le troisième jour au défunt et qui reposerait
sur la croyance que l'âme du mort ne quitte pas le corps
du défunt à l'heure de la mort, mais demeure quelque
Le dossier commenté. temps dans son voisinage 3.

1. Après l'homélie aux frères, la prière, l'eucharistie et 3. Sur ces mots, Jean fit une prière, prit du pain, l'apporta
l'imposition des mains sur chacune des personnes rassem- dans le tombeau pour le rompre et dit: « Nous glorifions ton
blées, Jean dit sous l'action de l'Esprit : « Parmi les gens qui nom qui nous détourne de l'égarement et de l'illusion cruelle !
sont ici, quelqu'un, conduit vers cette maison par la foi en Nous te glorifions, toi qui nous as fait voir de nos yeux ce
Dieu, a déposé devant la porte le prêtre d'Artémis, puis est que nous avons vu ! Nous rendons témoignage à ta bonté qui
entré... 2 » [AJ 46.] s'est révélée de diverses façons ! Nous louons, Seigneur, ton
nom excellent qui a convaincu d'erreur ceux que tu as
Le récit relate la résurrection du prêtre d'Artémis convaincus d'erreur! Nous te rendons grâce, Seigneur Jésus-
par l'intermédiaire d'un de ses parents, nouveau converti Christ, car nous avons confiance en (...) qui est immuable!
de Jean. L'attouchement direct du mort par l'Apôtre Nous te rendons grâce, à toi qui nous as donné la conviction
2. Pour les AJ, nous suivons le texte établi, la traduction et le commentaire
remarquable de E. JUNOD et J. D. KAESTLI, Acta lohannis, C. Christ. Ser. Apoc., 1 3. E. JUNOD et J. D. KAESTLI, p. 266-267 et 553-554, F. J. DOLGER, Ichtys. Das
et 11, Tumhout, Brepols, 1983 ; ici : p. 226-229 et 506-514. Fischsymbol in frühchristlicher Ait, Münster, 1922, t. 11, p. 555-569.
396 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 397
irrécusable que tu es le seul Dieu maintenant et toujours ! Récit de guérison de Gratinus, pris de fièvre, de son
Nous tes serviteurs, à bon droit rassemblés et restaurés, nous fils possédé par un démon, et de sa femme, hydropique.
te rendons grâce, ô saint ! » [AJ 85.] On ne parle que de la fraction du pain et de sa distribu-
Quand il eut ainsi prié et rendu gloire, il distribua à tous tion à la femme qui vient d'être guérie. Les Actes grecs
les frères l'eucharistie du Seigneur et il sortit du tombeau'.
[ AJ 86.] d'André ne mentionnent jamais la célébration de
l'eucharistie, même pas après le don du sceau (sphragis)
ou du baptême. S'agit-il d'un ajout de Grégoire de
Nouvelle célébration de la fraction du pain et de sa Tours'?
distribution, dans le tombeau de Drusiane, précédée de
la prière eucharistique de AJ 85 (pièce admirable bâtie
6. Prenant du pain, il (André) rendit grâce, le rompit et le
sur huit verbes à la première personne du pluriel, dont donna à tous en disant : « Recevez la grâce que vous donne,
les quatre derniers sont eucharistoumen). par moi son serviteur, Christ, le Seigneur notre Dieu s. » [AA
Grég 20.]
4. Puis il demanda du pain et rendit grâces en ces termes
« Quelle louange, quelle parole d'offrande, quelle action de André voit Jésus transfiguré, entouré de Pierre et de
grâces pourrions-nous prononcer en rompant ce pain sinon
de te nommer toi seul, Jésus ?... » [AJ 109.] Jean. Ce dernier lui annonce une mort par crucifixion,
Lorsqu'il eut rompu le pain, il nous le distribua et fit une semblable à celle de Pierre. André l'annonce à ses fidè-
prière pour chaque frère afin que chacun soit digne de la les et prêche durant cinq jours : « Seigneur, garde ce
grâce du Seigneur et de la très sainte eucharistie 5... [AJ 110.] troupeau qui a la connaissance de ton salut, afin que le
Malin ne le soumette pas. » La communion au pain
Le dimanche, en présence de la communauté, Jean médiatise la grâce du Christ par l'entremise de l'Apôtre.
adresse une prédication d'adieu aux frères (AJ 106-107),
prononce une prière d'intercession pour eux (AJ 108),
préside à la prière eucharistique (AJ 109) et distribue le 7. Au lieu même où Théon fut baptisé, un jeune homme
pain (AJ 110), en leur ordonnant de creuser sa propre d'aspect éclatant leur apparut et leur dit : « La paix sur
tombe en prévision de sa mort prochaine. vous ! » Aussitôt, Pierre et Théon remontèrent, et entrèrent
dans la cabine ; et Pierre prit du pain, et rendit grâces au
Seigneur de l'avoir jugé digne de son saint ministère... « Très
bon et seul saint, c'est toi, dit-il, qui nous apparus, ô Dieu
5. Le bienheureux apôtre rompit le pain et le lui (la femme Jésus-Christ, c'est en ton nom que Théon vient d'être lavé et
de Gratinus de Sinope) donna. Elle le reçut avec action de marqué de ton signe saint; aussi, toujours en ton nom, je lui
grâce et crut dans le Seigneur avec toute sa maison 6. [AA fais part de ton eucharistie, afin qu'il soit ton parfait serviteur,
Grég 5.] sans reproche, pour l'éternité. » Et comme ils mangeaient et
se réjouissaient dans le Seigneur, un vent, non pas violent,
4. E. JUNOD et J. D. KAESTLI, p. 290-293 ; 562-563. mais modéré, prit le navire en proue, et dura six jours et
5. Ibid., p. 300-303. Pour les quatre parties du service liturgique, voir supra,
AJ 46.
6. J.-M. PRIEUR, Acta Andreae, C. Christ. Ser. Apoc., 5 et 6, Turnhout, Brepols,
7. C'est ce que pense J.-M. PRIEUR, p. 317.
1989, p. 580-581.
8. Ibid., p. 616-617.
398 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 399

autant de nuits, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à Putéoli '. 9. Et lorsqu'ils furent rentrés au bain, Jude les précéda. Et
[APet 5.] notre Seigneur leur apparut et leur dit: « Paix à vous, frères. »
Ils entendirent seulement la voix. Ils ne virent pas la figure,
Pierre quitte Césarée maritime pour s'embarquer vers parce qu'ils n'avaient pas encore été baptisés. Et Jude se leva
Rome et y combattre le magicien Simon. Théon, le et se tint au bord de la citerne et versa de l'huile sur leurs
pilote, propose de partager ses provisions avec Pierre. têtes et dit : « Viens, saint nom du Messie... » Quand l'aube
Celui-ci refuse dans son désir de jeûner et il évangélise fut venue et qu'il fit jour, il rompit le pain et les fit commu-
Théon, qui se convertit, reçoit le baptême et l'eucharistie nier à l'eucharistie du Christ. Ils étaient en joie et en exulta-
de pain, les deux sacrements de l'initiation. tion. Beaucoup d'entre eux avaient cru et s'étaient joints à
eux et ils venaient au refuge du Sauveur t'. [ATh 27.]

8. Le jeune homme sourit, et la matrone, Artemilla, respira Le texte décrit le baptême du roi de l'Inde Gounda-
de nouveau et elle entra dans la maison quand l'aube déjà se phoros et de son frère Gad. Il y a une différence notable
levait. Paul entra, les gardes étaient endormis ; il rompit le entre le grec et le syriaque, qui suivent chacun leur pro-
pain et apporta de l'eau. Il lui donna à boire de la Parole et pre liturgie. Pour le grec, le baptême d'eau précède
la renvoya à son mari Hieronymus. Mais lui-même priait '°. » l'onction d'huile. Pour le syriaque, l'onction d'huile pré-
[AP (Pap. Hamburg) 7.] cède le baptême d'eau - ce qui semble être l'ordre pri-
mitif. Nous suivons donc le texte syriaque pour le début
Ce texte reproduit le texte du papyrus grec de Ham- de ATh 27.
burg (vers 300 de notre ère) qui contient une partie du La fraction du pain a lieu de grand matin. On y
voyage de Paul à Éphèse (p. 1-5), à Corinthe (p. 6-7) et retrouve l'expression de klasas arton en ATh 29 et 158.
une partie du martyre de Paul à Rome (p. 9-11). Ici, à Le syriaque a l'expression des Homélies clémentines
Corinthe, Paul convertit Artemilla, la guérit et lui donne XI, 36 : eucharistian klasas.
la communion au pain. Il est impossible de dire avec On remarquera l'épiclèse du baptême qui est une invo-
certitude si l'eau joue ici un simple rôle symbolique cation au Christ et au saint Esprit et débute chaque fois
(l'eau de la Parole) ou également eucharistique (le par un elthe (viens !) repris neuf fois. L'appellation la
second élément). La mention de la Parole en connexion plus remarquable de l'Esprit est la septième : « Viens,
avec l'eau semble favoriser une interprétation purement Mère des sept demeures, afin que tu trouves ton repos
symbolique. dans la huitième demeure. » L'Esprit est co-engendreur
du Fils et du croyant et joue un rôle de Mère pour celui-
11. Les Actes de Thomas sont écrits originellement en syriaque et sont origi-
naires de l'est de la Syrie, au début du ni' siècle. Ils nous sont parvenus dans une
9. L. VOUAux, Les Actes de Pierre, Paris, Letouzey et Ané, 1922, p. 260-261 traduction grecque et un remaniement syriaque. R. A. Lipstus, M BONNET, Acta
(d'après le manuscrit latin de Verceil, biblioth. capitulaire 158, daté du VH' siècle). Apostolorum Apocrypha, 11/11, Leipzig, 1903, p. 99-288, reproduit l'édition critique
10. C. SCHMIDT, Praxeis Paulou. Acta Pauli nach dem Papyrus der Hamburger à partir de 21 manuscrits grecs. Pour le texte syriaque, il faut utiliser W. WRIGHT,
Staats-und Universitâtsbibliothek, Hambourg, 1936, p. 7. Trad. allemande dans Apocryphal Acts oftheApostles, t. I, p. 1-171, et t. Il: English Translation, p. 1-146,
W. SCHNEEMELCHER, Neutestamentliche Apokryphen, 5. Aulage, t. 11, Apostoliches, Londres, 1871. L'édition la plus pratique, en français, est celle de A. J. FESTUGIÈRE,
Apokalypsen and Verwandtes, Tübingen, Mohr, 1989, p. 229. Trad. anglaise par Les Actes apocryphes de Jean et de Thomas, Genève, Patrick Cramer, 1983, p. 40-
R. McL Wilson, dans: E. HENNECKE, New Testament Apocrypha, vol. 11, Apostolic 117, qui reproduit la traduction du grec. Pour la traduction du syriaque, nous avons
and Early Church Writings, Londres, Lutterworth Press, 1965, p. 372. utilisé A. F. J. KLuN, The Acts of Thomas, NT.S 5, Leyde, Brill, 1962.
400 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 401
ci - c'est une particularité de la théologie syriaque Saint-Esprit. Beaucoup d'autres reçurent le sceau avec elle.
ancienne 12 qu'on retrouve dans les Odes de Salomon et L'apôtre ordonna à son diacre de préparer la table. Ils dispo-
les écrits d'Aphrahate et d'Ephrem le Syrien. L'Esprit sèrent aussi une banquette qu'ils trouvèrent là; et le diacre
entraîne le croyant à travers les sept planètes jusqu'à étendit sur la table une nappe et mit dessus le pain de béné-
l' Ogdoade, la huitième, où se trouve l'anapausis, le repos. diction. Et, se tenant auprès, l'apôtre dit : « Jésus, qui nous
La norme habituelle pour l'eucharistie est la célébra- as jugés dignes de communier à l'eucharistie de ton saint
tion du repas avec le pain seul (ATh 27, 29, 49-50 et corps et à ton sang, voici que nous osons nous approcher de
133). Une fois, la célébration se fait avec du pain et ton eucharistie et invoquer ton saint nom. Viens et donne-
de l'eau (ATh 121). Deux fois également, on mentionne nous participation à toi. » [ATh 49.]
Et il commença de dire
une eucharistie avec du pain et du vin mélangé d'eau « Viens, don du Très Haut,...
(ATh 120 et 158). Viens, sainte colombe qui enfante les petits jumeaux,
Viens, mère secrète...
10. Et les ayant bénis, il prit du pain, de l'huile, du légume Viens et communie avec nous en cette eucharistie que nous
et du sel, et les ayant bénis, il les leur donna. Lui-même célébrons en ton nom et dans cette agape où nous sommes
demeura dans son jeûne (d'après le grec ; d'a,près le syriaque réunis à ton invitation. »
« il mangea »), car le dimanche devait luire' ... Il leur imposa Et ayant dit cela, il traça sur le pain le signe de la croix,
les mains et les bénit. Et ayant rompu le pain de l'eucharistie, et l'ayant rompu, il commença de le distribuer. Et d'abord il
il le leur donna disant : « Que cette eucharistie vous soit en donna à la femme en disant : « Ceci sera pour toi pour le
miséricorde et pitié, et non jugement et rétribution. » Et ils pardon des péchés et pour la résurrection éternelle. » Et, après
répondirent : « Amen. » [ATh 29.] elle, il en donna aussi à tous les autres qui avaient reçu le
sceau'5. [ATh 50.]
La fraction du pain prend place, à l'aube, à la fin d'un
repas frugal. La formule liturgique qui demande la misé- Une femme est libérée d'un démon. L'Apôtre lui
ricorde et non le jugement est fréquente. On la trouve donne le sceau, c'est-à-dire le baptême. Il ordonne à son
par exemple dans l'anaphore de Sérapion ou le Testa- diacre de préparer le pain de bénédiction (arton tès eulo-
ment de NSJC' 4. gias) pour l'eucharistie. ATh 50 reprend dix invocations
au saint Esprit, commençant chaque fois par elthe
11. La femme le pria disant : «Apôtre du Très-Haut, (viens!) comme ATh 27. La mention des deux jumeaux
donne-moi le sceau, pour que cet Ennemi ne revienne pas en peut signifier l'eau et l'esprit, mais aussi l'engendrement
moi. » Alors il la fit mettre près de lui, et, lui ayant imposé du Fils et du croyant, oeuvre de l'Esprit saint. L'Apôtre
les mains, il lui mit le sceau au nom du Père, du Fils et du distribue le pain, après la fraction, qui a lieu au cours
12. Voir Han J. W. DRIVERS, dans : W. SCHNEEMELCHER, p. 298-299 : « Die d'un repas (agapè). L'effet produit par la communion
ATh kennen Bine Trinitlit, die aus Vater, Mutter and Sohn besteht, in der die Mutter
die Stelle des Heiligen Geistes einnimmt ».
est le pardon des péchés et la résurrection 16.
1 3. Dans la version grecque, Thomas ne mange pas parce que le dimanche
arrive ; dans la version syriaque, il mange précisément pour la même raison. C'est
le syriaque qui a conservé l'usage habituel dans le judaïsme et le christianisme 15. A. J. FESTUGIÈRE, p. 69-70.
orthodoxe. Voir A. F. J. KLIJN, p. 221. 16. Formule semblable dans l'Anaphore des Apôtres Addai et Mari (Église
14. A. HANGGI, 1. PAHL, Prex Eucharistica, Spicilegium Friburgense 1 2, Fri- chaldéenne ou syrienne orientale). Voir A. HANGGI, 1. PAHL, p. 380, et
bourg, 1968, p. 130-131 et 221. A. F. J. ICLHN, p. 246.
402 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 403
12. Mygdonia dit à Marcia (sa nourrice) : « Participe avec Puis il rompit le pain et le donna à Siphor, à sa femme et
moi à la vie éternelle, pour que je reçoive de toi la nourriture à sa fille t9. [ATh 133.]
parfaite. Ayant pris du pain, apporte-moi du vin mêlé à de
l'eau et aie considération pour ma liberté. » La nourrice dit Siphor est baptisé avec sa famille. Il participe ensuite
« Je t'apporterai beaucoup de pain et, à la place d'eau, des à la fraction du pain et à la communion. L'effet de
métrètes de vin, et je satisferai ton désir. » Elle dit à sa nour- l'eucharistie du pain est de procurer le pardon des péchés
rice : « Je n'ai pas besoin de métrètes, ni non plus de nom-
breux pains. Apporte ceci seulement, du vin mêlé d'eau et et la vie éternelle. L'épiclèse est adressée à la fois au
un pain et de l'huile... » [ATh 120.] Nom de la Mère (l'Esprit saint) et de Jésus, qui opèrent
Lorsqu'elle eut été baptisée et se fut habillée, il rompit ensemble la puissance de bénédiction.
le pain et, ayant pris une coupe d'eau, il la fit participer
au corps du Christ et à la coupe du Fils de Dieu et dit 14. Quand ils furent sortis de l'eau, il prit du pain et une
« Tu as reçu le sceau, procure-toi la vie éternelle. » Et aus- coupe (de vin mêlé d'eau, d'après le syriaque), il les bénit et
sitôt une voix se fit entendre d'en haut : « Oui, Amen " 1 » il dit : « Nous mangeons ton saint corps crucifié pour nous
[ATh 121.] et nous buvons ton sang répandu pour nous pour notre salut.
Que donc ton corps nous devienne salutaire et que ton sang
Dans le premier texte, ATh 120, Mygdonia demande nous devienne le pardon des péchés... » Puis, ayant rompu le
pain, il donna l'eucharistie à Ouazanès, à Tertia, à Mnèsara,
à sa nourrice de l'huile pour le baptême, ainsi que du
pain et du vin mêlé d'eau (krasin hudatos). Il semble à la femme et à la fille de Siphor, et il dit : « Que cette
eucharistie vous devienne salut, joie et santé de vos âmes. »
bien qu'il s'agisse d'une correction postérieure, car le Et ils répondirent : « Amen ». Et une voix fut entendue qui
paragraphe suivant (121) parle explicitement d'une disait : « Amen. Ne craignez pas ; croyez seulement 2°. » [ATh
coupe d'eau 1a. 158.]
13. Et quand ils eurent été baptisés et se furent habillés, Nous retrouvons toujours le même scénario: baptême,
ayant déposé un pain sur la table, il le bénit et dit : « Pain suivi de l'eucharistie. La version grecque parle ici du
de vie, tel que ceux qui le mangent doivent demeurer incor- pain et d'une coupe, sans préciser s'il s'agit d'eau ou de
ruptibles, pain qui remplis les âmes affamées de ta béné- vin mêlé d'eau (comme ATh 120). La version syriaque
diction, tu es celui qui a daigné recevoir le don, pour que
tu deviennes pour nous rémission des péchés et que ceux (sauf le manuscrit Sinaï 30) parle d'une coupe de vin
qui te mangent deviennent immortels. Nous nommons sur mêlé d'eau. Il est possible que dans ce cas-ci, il puisse
toi le nom de la Mère, du mystère ineffable des Puissances s'agir d'une coupe de vin et d'eau, en raison du symbo-
et des Autorités cachées. Nous nommons sur toi le nom de lisme du sang évoqué expressément dans la prière. Mais
Jésus. » Et il dit : « Que descende la puissance de béné- rien n'est moins sûr, puisque lorsqu'il s'agit de commu-
diction et qu'elle soit établie dans le pain, afin que toutes nion, il n'est plus question que de partager du pain.
les âmes qui y participent soient lavées de leurs fautes. »
1 9. A. J. FESTUCIÈRE, p. 103. Après la phrase « ayant déposé du pain sur la
table », certains manuscrits syriaques ajoutent « et du vin ». C'est un ajout mani-
17. A. J. FESTUGIÈRE, p. 99-100. feste, qui est d'ailleurs absent du manuscrit syriaque le plus ancien, le Sinaiticus
18. A. HARNACK, « Brod and Wasser. Die eucharistischen Elemente bei Justin », (Sinaï 30, daté du ve-vle siècle ap. J C).
Texte and Uniersuchungen VII/2, Leipzig, 1891, p. 115-144 (ici : p. 132-133). 20. A. J. FESTUCIÈRE, p. 114.
404 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 405

En résumé, nous arrivons au résultat suivant crés (apo tou eucharisthentos artou kai oinou kai hydatos),
- Eucharistie de pain seul : douze mentions (AJ 46; et ils en portent aux absents. [Apol 1, 65, 5 23).]
72 ; 85-86 ; 109-110 ; AAGrég 5 et 20 ; APet 5 ; AP
(Hamb) 7 ; ATh 27; 29; 49-50; 133) ; Le jour qu'on appelle le jour du soleil, tous, dans les villes
et à la campagne, se réunissent dans un même lieu : on lit
- Eucharistie de pain et d'eau : une mention (ATh 121) ; les mémoires des apôtres et les écrits des prophètes, autant
- Eucharistie de pain et vin mêlé d'eau (krasin huda- que le temps le permet... Lorsque la prière est terminée, on
tos) : deux mentions (ATh 120 et 158 seulement apporte du pain avec du vin et de l'eau (artos prospheretai
d'après le syriaque). kai oinos kai hydor). Celui qui préside fait monter au ciel les
prières et les eucharisties autant qu'il peut, et tout le peuple
répond par l'acclamation « Amen » [Apol I, 67, 3 et 5 24).]
Les origines de la Cène.
Pour Justin, il y a trois éléments consacrés, et le vin
Dans la première Apologie de Justin de Naplouse, et l'eau sont en quelque sorte considérés à égalité. Le
composée à Rome vers 150 de notre ère 21, trois passages manuscrit Ottobonianus grec CCLXXIV de la bibliothè-
parlent explicitement de trois éléments eucharistiques que Vaticane omet même la mention de la coupe de vin
qui sont consacrés par le président de l'assemblée litur- mêlé d'eau (kramatos) pour ne retenir que la coupe d'eau
gique et distribués aux fidèles par les diacres (potèrion hydatos) dans le texte capital de Apol I, 65, 3
cité plus haut 25 . L'illustre historien des origines chré-
On apporte à celui qui préside l'assemblée des frères du tiennes, Adolf Harnack, pense que la mention du vin a
pain et une coupe d'eau et de vin mêlé d'eau (artos kai potè- été ajoutée dans les textes eucharistiques de Apol I, 65-
rion hudatos kai kramatos). Il les prend et loue et glorifie le 67, comme elle l'a d'ailleurs été dans Apol I, 54 et dans
Père de l'univers par le nom du Fils et du Saint-Esprit, puis Dial 69, où il y a substitution de oinon (vin) à onon
il fait une longue eucharistie pour tous les biens que nous (âne 26). Ce deuxième cas est exact et accepté par la
avons reçus de lui. [Apol 1, 65, 3 22).] plupart des commentateurs 27. Mais qu'en est-il de la
Lorsque celui qui préside a fait l'eucharistie, et que tout 23. Ibid., p. 140-141. Il est clair que l'eau apparaît ici sur la même ligne que
le peuple a répondu, les ministres que nous appelons diacres le pain et le vin et est qualifiée de « consacrée » (eucharisthentos).
24. Ibid., p. 142-143.
distribuent à tous les assistants le pain, le vin et l'eau consa- 25. Voir l'édition critique de I.C.T. Eques de OTTO, Corpus Apologetarum
Christianorum saeculi secundi, vol. I : Iustinus, Wiesbaden, 1876 (reprod. anas-
tatique en 1969 par Martin Sândig), 1, p. 179, n. 7 : « Alii quoque priscae ecclesiae
21. A. HAMMAN, « Valeur et signification des renseignements liturgiques de doctores trium in eucharistia elementorum mentionem fecerunt : panis, vini, aquae.
Justin », Texte and Untersuchungen 116, Berlin, « Studia Patristica » 13, 1975, Christiani non merum vinum sed aqua temperatum bibebant more antiquo, prae-
p. 364-365. À Rome, les Juifs, les Africains, les Asiates et les Grecs avaient chacun sertim orientali. »
ses propres presbytres et ses lieux de culte (domus ecclesiae) différents (cf. p. 367). 26. A. HARNACK, p. 115-144. Pour l'auteur, qui a rassemblé un dossier impres-
Les chrétiens romains au temps du pape Anicet et de Justin (vers 150) ne connais- sionnant, comprenant entre autres les Actes des Apôtres apocryphes, il est clair
saient pas encore la célébration annuelle de la fête de Pâques et n'avaient pas qu'il n'y avait à l'origine que du pain et de l'eau pour Justin. Il écrit p. 131
encore adopté la date du 14 Nisan selon l'usage asiatique (p. 373). Le pape Soter « Justin hat einen christlichen Gottesdienst beschrieben, bei welchem im Abend-
(entre 164 et 166), quinze ans après la rédaction de la première Apologie, introduira mahl Brod and Wasser, nicht Brod, Wasser and Wein gebraucht wurden. »
la fête de Pâques, à Rome, le dimanche qui suit le 14 Nisan. 27. Voir la bibliographie nombreuse citée par W. GOOSSENs, Les Origines de
22. JUSTIN, Apologies, textes et documents pour l'étude historique du christia- l'Eucharistie. Sacrement et sacrifice, Gembloux, Duculot, 1931, p. 156-168 (ici
nisme, H. HEMMER et P. LEJAY, trad. d e L. Pautigny, Paris, Picard, 1904, p. 138- spécialement, p. 159, n. 1) ; voir aussi P. BATIFOL, art. « Aquariens », Dict.
139. d'archéol. chrét. et de liturgie, Paris, 1907, t. I, col. 2648-2654.
406 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 407
description de la Cène (Apol I, 65-67) ? Un premier argu- l'eucharistie avec seulement du pain et de l'eau (dans
ment semblerait donner raison à A. Harnack. Après avoir sa lettre 63 adressée à Caecilius, l'évêque de Biltha).
rappelé les paroles de la Cène en Apol I, 66, 3 dans un Cyprien fait appel à la tradition du Seigneur (domenica
ordre différent de tous les récits canoniques de l'Insti- traditio) qui a utilisé pour la Cène du vin coupé d'eau
tution ` (Mc 14, 22-24 et le texte dépendant de Mt 26, (« ut calix qui in commemoratione ejus offertur mixtus
26-28, et 1 Co 11, 23-26 et le texte parallèle de Lc 22, vino offeratur 30 »). Cyprien explique le symbolisme du
19-20), Justin écrit : « Les mauvais démons ont imité vin mêlé d'eau par l'union indissoluble du peuple avec
cette institution dans les mystères de Mithra : on pré- le Christ 31 . L'objection des partisans de l'usage de l'eau
sente du pain et une coupe d'eau (artos kai potèrion à la place du vin (les Aquariens) s'appuyait sur le fait
hydatos) dans les cérémonies de l'initiation » (Apol I, que le Seigneur avait célébré la Cène au cours du repas
66, 4). La comparaison est troublante, en effet, mais il du soir, où il était normal de boire du vin, tandis que
s'agit d'une simple comparaison et non pas d'une res- l'eucharistie se célébrait, à présent, le matin, où il est
semblance parfaite entre les deux rites. d'usage de ne boire que de l'eau. Peu importe, répond
L'argument décisif contre Harnack, en effet, est que Cyprien, le Seigneur avait raison de célébrer la Cène, le
tous les manuscrits de Apol I, 65, 3 et 5 (sauf un) pré- soir, pour signifier le déclin du monde, mais nous devons
sentent trois éléments et non deux. On peut expliquer célébrer l'eucharistie le matin pour signifier la Résur-
facilement l'omission de kramatos après hydatos dans rection du Seigneur 32. Comme on le voit, le motif invo-
le codex Ottobonianus par homeoteleuton, mais on ne qué par Cyprien n'a plus rien à voir avec l'encratisme
peut pas expliquer son introduction dans tous les bons invoqué par Épiphane à propos de Tatien ou des Mar-
manuscrits de Apol I, 65, 3 29. D'autant plus que la suite cionites 33.
du texte d'Apol 1, 65, 5 note très précisément que « les
diacres distribuent à tous les assistants le pain, le vin et Que retenir de tout cela ? L'usage du pain et de l'eau
l'eau consacrés », et sur ce point tous les manuscrits pour célébrer l'eucharistie était courant en Asie Mineure
concordent. On retiendra donc que, pour Justin, l'eau ap- et en Afrique durant les il' et iii' siècles, comme en témoi-
paraît comme un élément eucharistique (eucharisthentos) gnent les Actes des Apôtres apocryphes et saint Cyprien.
au même titre que le pain et le vin. Elle est nommée Cet usage semble même avoir perduré longtemps et
séparément et est apportée aux absents avec le pain et s'être étendu également à la Gaule. Le concile d'Hip-
le vin. pone (du 8 octobre 393) et le concile d'Orléans (541)
Au milieu du III' siècle, Cyprien, évêque de Carthage
et métropolite de l'Afrique proconsulaire (248 à 258), 30. W. HARTEL, S. Thasci Caecili Cypriani opera omnia, Corpus scriptorum
ecclesiasticorum latinorum, III, vol. 11, Vienne, 1871, § 2, p. 702 , P. BATIFOL,
est encore obligé de réagir contre la célébration de col. 2650-2653; W. GOOSSENS, p. 164-167; Chan. BAVARD, Saint C:yprien. Cor-
respondance, coll. Budé, Paris, 1925, t. 11, p. 200.
31. S. CYPRIEN, Epist. 63, § 13 : a Videmus in aqua populum intelligi, in vino
28. « Il prit du pain, et ayant rendu grâces, il leur dit : "Faites ceci en mémoire vero ostendit sanguinem Christi. Quando autem in calice vino aqua miscetur,
de moi : ceci est mon corps." Il prit de même le calice, et ayant rendu grâces, il Christo populus adunatur et credentium plebs ei in quern credidit copulatur et
leur dit : "Ceci est mon sang." Et les leur donna à eux seuls. » iungitur » (éd. HARTEL, II, p. 711 et BAVARD, 11, p. 208).
29. I.C.T. Eques de OTTO, p. XXI-XXXII, décrit les autres manuscrits: le Codex 32. S. CYPRIEN, Epist. 63, § 16, éd. BAVARD, II, p. 210.
Regius CDL de la Bibl. nationale de Paris, le Codex Claramontanus LXXXII de 33. ÉPIPHANE, Panarion, Kaer XLVI, 2 (Tatien) et XLII, 3 (Marcion)
Londres, le Codex CXC de la Bibl. nationale de Paris, le Codex Ambrosianus latin (édit. K. HOLL, Leipzig, 1922, t. II, p. 205 et 98). Voir aussi les réflexions de
H 142 de Milan et le Codex latin CXXXII de la Bibl. Regia de Munich. P. BATIFOL, col. 2648 et 2652.
408 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 409

sont encore obligés de légiférer en la matière, en inter- Ac 20, 11). Mais il y a une différence entre l'usage juif
disant tout autre élément que du pain et du vin mêlé et chrétien de l'expression « fraction du pain ». Alors
d'eau pour célébrer l'eucharistie 34. que, dans les sources juives, l'expression désigne uni-
Comme il ressort de la dénomination même de quement le rite qui ouvre le repas, dans l'usage chrétien
l'eucharistie dans nos Actes canoniques et dans l'évan- elle désigne l'ensemble du repas eucharistique 38. Cela
gile de Luc, qui utilisent l'expression typique de « frac- n'empêche pas l'expression de désigner dans son pre-
tion du pain » (klasis tou artou : Lc 24, 35 ; Ac 2, 42) mier sens l'acte de rompre le pain pour le partager, qui
et de « rompre le pain » (klan arton : Lc 24, 30 ; Ac 2, ouvrait le repas juif habituel. Cette expression a l'avan-
46 ; 20, 7.11), c'est bien le pain qui est mis au centre tage d'insister sur l'acte de manger et de boire et donc
de l'eucharistie lorsque Luc met en exergue l'action spé- sur le repas ordinaire comme tel plutôt que sur les élé-
cifique de Jésus sur le pain et passe sous silence toute ments du repas, le pain et le vin (constitutifs du repas
action et toute parole de Jésus sur le vin 3s. pascal ou du repas festif juif).
En Ac 2, 46, la fraction du pain, qui semble quoti- L'expression « fraction du pain » a, en outre, l'avan-
dienne (kath'hèmeran 36), a lieu dans une maison parti- tage de
culière et désigne l'acte rituel qui ouvre le repas (aussi 1. Replacer la célébration primitive de l'eucharistie dans
bien dans l'usage juif que chrétien), suivi du repas le cadre de la communauté de table du Jésus terrestre
d'agapè proprement dit (« rompant le pain » suivi par (et ressuscité) avec ses disciples, où l'on ne buvait
« ils prenaient leur nourriture avec allégresse et simpli- pas toujours du vin";
cité de coeur »). À Troas, la fraction du pain a lieu le 2. Rendre compte du fait que, dans plusieurs Églises loca-
premier jour de la semaine (Ac 20, 7), le dimanche, après les, on n'utilisait pas toujours du vin comme second
la parole de Paul et au milieu de la nuit (notation qui élément eucharistique, mais souvent de l'eau 40.
met la fraction du pain en relation avec la Cène et la
résurrection de Jésus 37). Elle est entourée d'une profu- 38. Ibid., p. 65 : « L'usage chrétien se distingue de l'usage juif, en désignant
sion de lumières, signes de la joie qui domine le culte tout le repas par les mots de fraction du pain. » Voir aussi J. JEREMIAS, La Dernière
Cène. Les paroles de Jésus, Paris, « Lectio divina » 75, p. 136, n. 72 : « L'affir-
(Ac 20, 8) et suivie du repas d'agapè (geusamenos, mation sans cesse reprise selon laquelle "fraction du pain" serait une expression
employée dans les sources juives pour dire "faire un repas" est une erreur difficile
34. C. J. HEFELE, Histoire des conciles d'après les documents régionaux, Paris, à extirper » , X. LÉON-DUFOUR, Le Partage du pain eucharistique, Paris, Éd. du
Letouzay et Ané, 1908. Pour le concile d'Hippone (393), voir t. II/1, p. 88, Seuil, 1982, p. 32 : « Il est donc légitime de penser que Luc, ou la tradition avant
Canon 27 : « Pour le sacrement du Corps et du Sang du Christ, on ne doit offrir lui, ont transformé en dénomination de l'eucharistie l'un des gestes du rite qui
que du pain et du vin mêlé avec de l'eau. » Pour le concile d'Orléans (541), voir ouvrait le repas juif. »
t. 11/2, p. 1166, Canon 4 : « Pour l'oblation du calice, on ne doit employer que du 39. J. JEREMIAS, p. 55, 71 et 131. L'auteur écrit p. 131 : « Les célébrations du
vin de raisin mêlé avec de l'eau; il y a sacrilège à faire d'autre façon. » repas les plus anciennes étaient la continuation de la communauté de table quoti-
35. J.-M. VAN CANGH, « Le déroulement primitif de la Cène », p. 215 ; « Peut-on dienne de Jésus avec ses disciples, car il est certain qu'en ces occasions on ne
reconstituer le texte primitif de la Cène ? », p. 633, n. 33. buvait habituellement pas de vin » ; A. DESCAMPS, p. 337 : « Ce repas profane et
36. L'expression « chaque jour » en Ac 2, 46 semble porter à la fois sur la quotidien ne pouvait pas ne pas évoquer la communauté de table que Jésus prati-
première partie du verset « ils fréquentaient assidûment le temple » et la seconde quait avec ses disciples de son vivant. »
« et rompant le pain à la maison, ils prenaient leur nourriture... » Voir B. TRÉMEL, 40. J. JEREMIAS, p. 131 : « La célébration sub una n'était pas seulement fré-
c La fraction du pain dans les Actes des Apôtres », Lumière et vie, t. XVIII, n' 94, quente dans les tout premiers temps, mais elle était la règle » ; voir aussi A. HAR-
1969, p. 76-90 (ici : p. 78) ; A. DESCAMPS, « Cénacle et calvaire. Les vues de NACK, p. 136-137: « Die Stiftung des Herrn ist ursprunglich so verstanden worden,
H. Schürmann », RTL, t. X, 1979, p. 335-347 (ici : p. 337). dass ihr Segen nicht in gesetzlicher Weise an Brod and Wein haftet, sondern an
37. P. MENOUD, « Les Actes des Apôtres et l'Eucharistie », Jésus-Christ et la dem Essen and Trinken, d.h. an der einfachsn Mahlzeit. Ein sehr einfache Mahlzeit
foi, Neuchâtel-Paris, 1975, p. 69. ist Brod and Wein, aber die einfachste ist Brod and Wasser. Viele Arme haben
41 0 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 411

Cela ne signifie d'aucune manière que le vin n'est pas C'est là mal poser le problème. Il n'y a eu à l'origine
un élément important de la Cène 41, puisque la tradition qu'une seule et même eucharistie fondée à la fois sur
historique du repas du Seigneur (1 Co 11, 20) nous les repas du Jésus terrestre avec ses disciples et sur la
atteste avec certitude son utilisation par Jésus lui-même dernière Cène. La difficulté vient du fait que ce dernier
au cours de son dernier repas (Mc 14, 25 par. Mt 26, 29 récit nous rapporte côte à côte une double parole sur la
et Lc 22, 18). D'autre part, l'utilisation du pain et du coupe
vin souligne le double caractère de l'eucharistie : quo-
tidien et festif Le pain est la nourriture quotidienne la Ceci est mon sang de l'alliance qui est répandu pour beau-
plus commune en Palestine et souligne l'accroissement coup. [Mc 14, 24.]
de la vie. Le vin est lié au climat festif des repas et En vérité, je vous dis que je ne boirai plus du produit de
la vigne jusqu'à ce jour-là où je le boirai, nouveau, dans le
souligne le caractère d'allégresse dans lequel s'accom-
royaume de Dieu. [Mc 14, 25.]
plissait la fraction du pain (Ac 2, 46 : en agalliasei 42).

La seconde parole est considérée comme authentique


Est-ce à dire que la solution que nous proposons se
par la majorité des exégètes, mais la première (Mc 14,
rapprocherait de celle de H. Lietzmann, qui prônait une
24) pose de grosses difficultés
double tradition à l'origine de la Cène : une eucharistie
1. La parole interprétative sur le vin (Mc 14, 24b
de type jérusalémite tout orientée par l'attente de la
« Ceci est mon sang ») perd son sens après le partage
Parousie, et qui ne comportait qu'une simple fraction du
de la coupe aux participants et l'acte de boire une
pain sans coupe, et une eucharistie de type paulinien,
fois accompli (Mc 14, 23 : « Et ayant pris une coupe,
mémorial de la mort du Christ et de la valeur expiatoire
ayant rendu grâces, il la leur donna et ils en burent
de son sacrifice ? Le premier type se rattacherait aux
tous »). La parole consécratoire devait normalement
repas quotidiens de Jésus avec ses disciples et à la frac-
précéder l'acte de boire puisqu'elle en changeait radi-
tion du pain des Actes des Apôtres, et le second au récit
calement le sens 44. D'autre part, l'enchaînement nor-
de la Cène dont les « éléments » furent considérés
mal de Mc 14, 23 (bénédiction et consommation de
comme une nourriture efficace de nature pneumatique 43.
la coupe de vin) et Mc 14, 25 (« En vérité, je vous
nur Brod and Wasser. Das Constante in der Mahlzeit ist das Brod. Der Inhalt des dis que je ne boirai plus du produit de la vigne... »)
potèrion kann wechseln. » permet d'expliquer le texte bizarre de Lc 22, 17-18
41. Comme le pense A. HARNACK, p. 137 : « Was für ein Trunk aber gewâhlt
wird, ist gleichgiltig. » qui en dépend manifestement (et qui parle d'une pre-
42. X. LÉON-DUFOUR, p. 335; A. VERGOTE, Les Origines de l'Eucharistie, en mière coupe isolée de la seconde 4s).
collaboration avec A. DESCAMPs et A. HOUSSIAU, colt. « Réponses chrétiennes »
1 2, Gembloux, Duculot, 1979, p. 7-56. 2. Si Jésus a dit « Ceci est mon corps », il ne devait
43. H. LIETZMANN, Messe and Herrenmahl. Eine Studie zur Geschichte der normalement pas ajouter « Ceci est mon sang », car
Liturgie, Arbeiten zur Kirchengeschichte 8, Bonn, 1926. Voir la présentation de
W. GOOSSENS, p. 86-96. L'auteur écrit p. 93 : « Le deuxième type apparaît uni-
quement dans les communautés pauliniennes ; il s'est développé ensuite dans le 44. S. Doctcx, « Le récit du repas pascal. Marc 14, 17-26 », Chronologies néo-
monde hellénistique et finalement a remporté la victoire, tandis que les traces du testamentaires et vie de l'Église primitive, Gembloux, Duculot, p. 202;
premier type se retrouvent surtout dans les milieux judéo-chrétiens. La seule pro- X. LÉON-DUFOUR, p. 104 : « Tout se passe donc comme si chez Marc la parole
vince ecclésiastique dans laquelle nous retrouvons plus tard les traces du rituel sur le sang de l'alliance avait été insérée ultérieurement dans un récit où le texte
palestinien est l'Égypte, pays que saint Paul n'a pas évangélisé et où par consé- du v. 25 commentait à sa manière la distribution de la coupe et l'acte de boire. »
quent il n'existait pas de communautés pauliniennes. » 45. J.-M. VAN CANGH, « Le déroulement primitif de la Cène », p. 211-212.
41 2 JEAN-MARIE VAN CANGH LES ORIGINES DE L'EUCHARISTIE 413
le corps contient le sang, aussi bien dans le vocable communauté hellénistique. Nous y verrions les étapes
grec (sôma) qu'araméen (gûphâ). Le terme « corps » suivantes
désigne la personne totale (le Moi) composée à la - La désignation du traître dans une formule proche du
fois de chair et de sang 46. noyau primitif des annonces de la Passion (Mc 9, 31)
3. Jésus, le Juif, pouvait-il avoir l'intention de com- et facilement transposable en araméen 48 : « En vérité,
mettre un acte sacrilège (Lv 17, 10-14) à la Cène, en je vous le dis : l'un de vous me livrera. Mais malheur
identifiant le vin à son sang et en donnant l'ordre à à cet homme-là par qui le Fils de l'homme est livré »
ses disciples de le boire ? C'est peu vraisemblable. (Mc 14, 18b-21b);
Cela signifierait aussi qu'il en aurait exclu par avance - La bénédiction, fraction et distribution du pain, au
tous les judéo-chrétiens (voir Ac 15, 20-29). début du repas proprement dit (avec les quatre verbes
4. Les expressions « fraction du pain » et « rompre le caractéristiques du repas juif). Pendant le partage du
pain », qui désignent l'eucharistie dans son ensemble pain, Jésus prononce la parole d'interprétation
(Ac 2, 42.46 ; 20, 7.11) mettent en exergue l'action « Ayant pris du pain, il dit la bénédiction, le rompit
et la parole sur le pain et passent sous silence une et le leur donna et dit : Ceci est mon corps » (Mc 14,
action ou une parole spécifique sur le vin. 22) ;
S. Dans les Actes apocryphes des Apôtres les plus - La bénédiction, distribution et consommation de la
anciens que nous venons de passer en revue, la majo- coupe, après le repas (meta to deipnèsai, d'après la
rité des eucharisties de ces communautés du il' siècle tradition Lc/PI), avec la récitation de la birkat ha-
est célébrée sous la seule espèce du pain (sub una). mazôn et la bénédiction habituelle sur le vin (« Béni
Cette pratique relève, certes, d'Églises particulières, sois-tu, Yahvé, notre Dieu, roi de l'univers, qui crées
mais contrairement à ce qui est souvent affirmé, elle le fruit de la vigne »). Jésus fait circuler sa propre
ne manifeste aucune intention polémique de s'oppo- coupe pour tous 9 et prononce à ce moment, non pas
ser à d'autres pratiques de la grande Église, ni n'a le la parole consécratoire sur le sang (Mc 14, 24), impen-
moins du monde la conscience ou la volonté de sable pour un juif, mais la promesse eschatologique
s'écarter de la pensée orthodoxe 47. qui reprend l'expression typique de la bénédiction
juive sur la coupe (prî ha-gèphèn, en hébreu,, et
genèma tès ampelou, en grec) : « Et, ayant pris une
Conclusion. coupe, ayant rendu grâces, il la leur donna et ils en
burent tous. Et il leur dit : En vérité, je vous dis que
En résumé, nous pensons que Me 14, 18-26 nous per- je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu'à ce jour-là
met de reconstituer le déroulement primitif de la Cène, où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu »
à condition toutefois de considérer la parole sur le (Mc 14, 23.25) ;
sang (Mc 14, 24) comme une addition liturgique de la
48. J.-M. VAN CANGH, « Le déroulement primitif de la Cène », p. 221.
49. Ce qui était au contraire à l'usage juif habituel, où chaque convive utilisait
46. Voir la discussion, ibid., p. 213-214. sa propre coupe. Voir H. SCHURMANN, Die Paschamahlbericht. Lk 22 (7-11) 15-18,
47. J.-M. PRIEUR, p. 407-416; E. JUNOD, J. D. KAESTLI, p. 682-700, et « Les NTA XIX/5, Münster, 1953, p. 60-66 ; « Les paroles de Jésus lors de la dernière
traits caractéristiques de la théologie des Actes de Jean », RThPh, 26, 1976, p. 125- Cène envisagées à la lumière de ses gestes », Concilium 40, 1968, 103-113 (ici
145. p. 109-110) ; X. LÉON-DUFOUR, p. 192.
414 JEAN-MARIE VAN CANGH

- Le chant de la seconde partie du Hallel - trait qui


renforce chez Marc l'ambiance pascale du repas : « Et
après avoir chanté l'hymne, ils sortirent vers le mont
des Oliviers » (Mc 14, 26). CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE
D'AUJOURD'HUI

Une relecture théologique

JOSEPH DORÉ

Voici donc qu'il m'a été demandé d'opérer une


« relecture théologique », au terme de ces vingt études
dédiées par leurs auteurs au professeur Simon Légasse.
La tâche qui m'a ainsi été assignée, et que j'ai volontiers
acceptée, m'honore certes beaucoup - mais comment la
comprendre exactement ?
Il ne peut pas s'agir de donner à penser qu'enfin vien-
drait la théologie... comme si ce qui précède soit s'était
ingénié à l'éviter soit n'avait pas réussi à lui faire place.
Pas davantage on ne peut considérer qu'à l'inverse, la
théologie étant de fait ici partout répandue, il reviendrait
à ces quelques pages terminales d'en extraire en quelque
sorte la quintessence, comme si l'on pouvait prétendre
engranger des résultats en toute indépendance par rap-
port à l'ensemble des procès méthodologiques qui les
ont, pourtant, bel et bien respectivement produits.
En réalité, ayant effectivement lu et relu chacune de
ces études selon l'ensemble organisé qu'elles constituent
(et dans la collecte et le classement desquelles, faut-il le
dire, je ne suis aucunement intervenu), je me propose
seulement de restituer, en les mettant quelque peu en
41 6 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 417
ordre, les réflexions que m'a suggérées un tel parcours, révèle de fait pratiqué, n'aurais-je pas au moins la chance
et les fruits qu'en a recueillis le théologien (de toujours de tirer un peu plus au clair, voire de mettre quelque
spécialement attentif à la recherche biblique) que je me peu en valeur la richesse et l'intérêt de ce qui a effecti-
trouve être. vement cours parmi les représentants de la communauté
Ces réflexions, ces fruits, j'ai cru bon de les présenter exégétique francophone (européenne), qui a principale-
comme un point de vue sur les « chemins » qui apparais- ment la parole dans ces pages ?
sent être de fait ceux de l'exégèse chrétienne Je m'estimerai assez heureux, en tout cas, si mon tra-
d'aujourd'hui, avec l'intention de souligner à la fois leur vail de « lecture » ainsi compris pouvait être reçu, par
richesse respective et leur convergence globale par rap- celui que je voudrais moi aussi dignement célébrer,
port à l'unique but visé qu'est l'intelligence du texte bibli- comme nouant en une gerbe, au terme du parcours de
que. Je ne me lancerai donc pas dans une théorie qui se ces vingt études, quelques-uns des principaux fleurons
prétendrait la théologie de pratiques du texte qui ne qu'ont cueillis, pour les lui offrir en hommage, ceux qui
seraient, elles, qu'exégèse. Je me contenterai d'enregis- sont ses collègues reconnaissants, dans le champ, tou-
trer au moins mal ce que, du point de vue théologique et jours si fructueusement cultivé, de l'exégèse chrétienne
théologal, peut enseigner quant à la lecture de la Bible (et du Nouveau Testament.
plus spécialement du Nouveau Testament) l'ensemble des
vingt études exégétiques, ici réunies comme contribu-
tions à un même ouvrage, d'autant de biblistes reconnus. La « fonction "anté" »
Pour enregistrer au mieux un tel enseignement, je
me propose de poser deux questions : d'une part, celle Je calque cette expression de « fonction "anté" » sur
de savoir quelles procédures méthodologiques sont celle qu'adoptait mon collègue Jean Greisch pour intituler
employées dans le traitement des textes par les exégètes une conférence qu'il donna récemment à l'occasion du
qui ont ici la parole ; d'autre part celle qui demande centenaire de la faculté de philosophie de l'Institut catho-
quelles clés de lecture sont fournies et quelles approches lique de Paris. Là où il parlait de la « fonction méta dans
sont ouvertes au lecteur actuel du Nouveau Testament l'espace contemporain du pensable », je ferais volontiers
par les résultats des travaux de ces spécialistes. état, corrélativement, d'une « fonction "anté" » dans le
Certes, la collection d'études à laquelle, ainsi, je m'en travail de lecture qu'accomplit l'exégèse chrétienne d'au-
rapporterai pour répondre à ces importantes questions a jourd'hui.
quelque chose non seulement d'occasionnel mais bien, Rappelons que je ne prétends ici à aucune théorie. À
aussi, de fortuit. Je ne sache pas, en effet, qu'aucun de strictement parler, je ne me livre même à aucune ana-
ceux qui interviennent ici ait reçu commande ni d'étu- lyse. Pour commencer du moins, j'enregistre tout bon-
dier ce texte-ci plutôt que celui-là, ni de lui appliquer nement une évidence lorsque avant toute chose je relève
telle procédure plutôt que telle autre ! Mais c'est en cela que l'exégèse chrétienne ne se comprend pas elle-même
précisément qu'avant même que je ne l'entreprenne, ma sans mettre, de fait, incessamment en oeuvre une réfé-
« relecture » m'a paru susceptible de présenter quelque rence constitutive à ce qui se présente à la fois comme
intérêt. En n'adoptant pas une optique a priori mais en une textualité et une temporalité antérieures à celles qui
ne me proposant que de relire « après-coup » ce qui se définissent les textes chrétiens canoniques.
41 8 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 419
S'il n'y a là, certes, aucune découverte, il n'en est pas en compte cette donnée sur laquelle, au contraire,
moins déjà significatif que lorsqu'il s'agit de célébrer l'accent est ici placé : l'expérience rituelle aussi, et pas
un exégète du Nouveau Testament, on ne le fasse pas seulement l'engagement éthique et/ou l'interrogation
uniquement avec des études de textes de ce Testament réflexive, est lieu d'intelligibilité et moyen d'intelligence
qui feraient référence à l'Ancien en cours de route seu- de ce qui s'énonce et s'annonce dans l'Écriture ?
lement, mais bel et bien aussi, et même d'abord, avec
des travaux qui portent essentiellement sur la « pre- Nul, ni parmi les juifs ni chez les chrétiens, ne conteste
mière » Alliance. Et ce qu'à cet égard je voudrais sou- non plus que le livre de Qohélet appartienne à la Bible.
ligner, dans un ensemble de quatre contributions qu'à Mais l'on omet souvent de prendre conscience de ce que
juste titre l'éditeur a estimées assez riches pour en faire cela veut dire et entraîne. Jacqueline des Rochettes nous
une première partie de ce volume, peut être classé sous y aide. La « méthode » de cet auteur, nous dit-elle, n'est
deux rubriques bien différentes, qui demandent pourtant autre que de « regarder le réel avec le regard froid de
d'être articulées. l'observateur impartial et, en même temps, de chercher
la réponse introuvable en se heurtant aux contradictions
Dans le Premier Testament lui-même. insolubles de l'univers ». Curieuse voie, en vérité, pour
la révélation de Dieu !
Deux travaux portent sur ce que le titre qui les réunit La leçon est forte : il n'y a pas de moyen court pour
à deux autres (qui relèveront ci-après d'une seconde accéder à Dieu. En tout cas l'on ne saurait y parvenir
rubrique) appelle le « Premier Testament ». Or chacun hors d'une prise au sérieux de la condition humaine,
des deux attire l'attention sur des dimensions essentiel- des épreuves qui l'assaillent, de la mortalité qui
les pour la compréhension de l'Alliance de salut et de l'affecte radicalement et de l'inconsistance qui la carac-
révélation que Dieu a voulu conclure avec son peuple. térise de part en part. « Tout ce qui fait le patrimoine
religieux d'Israël - la mémoire des pères, l'alliance, la
Nul ne conteste que l'orientation eschatologique soit loi, les prophètes, le culte - » doit passer par une sorte
constitutive de l'Ancien Testament. Partant d'une béa- de « critique » hors de laquelle c'est illusoirement que
titude de Jésus qui maintient une telle perspective à l'on pourrait croire être sorti de la « vanité ». Celle-ci
l'intérieur du Nouveau, Louis Monloubou nous rend recouvre tout, et la Révélation elle-même doit d'une
attentifs au fait que l'on a tort d'en déduire que cette manière ou d'une autre faire ses preuves par rapport à
rencontre par laquelle Dieu sauve définitivement les elle.
siens en parachevant du même coup son règne, ne se Dimension eschatologique mais liée à l'expérience
réaliserait que « à la fin ». En réalité, la venue de Dieu rituelle d'un côté, dimension existentielle mais lue dans
vers les hommes et la vision de Dieu par les hommes une réflexion critique de l'autre : deux clés nous sont
ne sont pas que promesses pour l'avenir ; elles se don- déjà fournies, qu'il conviendrait de tenir en main si l'on
nent dès le présent : dans la célébration cultuelle. veut pouvoir ouvrir le Livre pour accéder à son message.
Ne peut-on estimer que les lectures pratiquées non Les deux études suivantes en fournissent deux autres,
seulement de l'Ancien Testament mais aussi du Nou- d'un autre ordre, mais qui relèvent elles aussi de la
veau ne sont en général pas assez soucieuses de prendre « fonction "anté" ».
420 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 421

Une autre textualité. « trop imparfaitement monothéiste », d'Israël. Et d'autre


Dans le double souci qu'elles ont de le rapporter à part, pourtant, son Logos, considéré par lui comme
l' Ancien Testament d'une part et à la culture hellénique « grand prêtre transfiguré » et même vu « sous les traits
ou hellénistique d'autre part, nombre de lectures du de Moïse », n'en paraît pas moins tenir « à la fois du
Nouveau Testament ont tendance à négliger une appro- théos et de l'anthrôpos ».
che sur laquelle les deux contributions suivantes de cet Autant dire qu'il est, en somme, « la préfiguration et
ouvrage attirent au contraire opportunément l'attention comme la préparation de l'incarnation véritable du
celle que permettent la tradition juive d'interprétation Logos », et qu'à ce titre il offre comme des « voies » et
de la Torah et, plus spécifiquement encore, ce qu'on des « fondements » au « monothéisme chrétien ».
appelle la littérature intertestamentaire, ou Intertesta- Chacun à sa manière, et le second plus encore que le
ment. premier, J. Dutheil et A. Paul ne manquent pas de faire
le lien entre le corpus juif qu'ils étudient et la figure de
Jésus, le Christ. Par les convergences qu'ils permettent
Dans un chapitre consacré à l'amour de la Torah de repérer entre les deux et par la spécificité chrétienne
d'après les Pirqe Avoth, Jacques Dutheil rappelle que si et christique que, sur cette base, ils invitent à dégager,
pour les sages d'Israël, issus de la mouvance phari- ils attestent fortement la nécessité où se trouve le lecteur
sienne, la priorité revient à la Torah (par rapport, est-il du Nouveau Testament de s'en rapporter aussi à tout cet
précisé, au « culte » et aux « oeuvres de miséricorde »), « anté » (qui peut aussi être un « inter ») qu'ils ont eux-
celle-ci relève, estiment-ils, d'une compréhension très mêmes exploré. Il y a là une « incontournable médiation,
déterminée. La Torah est selon eux médiatrice de la pré- littéraire et doctrinale : une série de relations et de trans-
sence de Dieu (ceux qui « s'adonnent à la Torah » béné- ferts, un creuset de transformations [et] un corps ouvert
ficient de la « présence spécifique de la Shekhinah au et désormais différent d'écrits » que l'accès au Nouveau
milieu d'eux ») ; mais c'est aussi par elle que Dieu a Testament ne saurait plus négliger. Tout cela condi-
créé le monde, et c'est encore à ceux qui l'observent tionne la juste intelligence de ce qu'il atteste concernant
qu'est ouverte l'entrée dans le « monde à venir » Jésus.
(incluant la résurrection).

L'étude d'André Paul se concentre, dans l'Intertes- La figure de Jésus.


tament, sur Philon d'Alexandrie et sa notion de Logos.
En une rigoureuse démonstration, il fait apparaître Cinq études, dans notre ouvrage, portent ensuite direc-
comment, n'hésitant pas à le considérer comme un tement sur les Synoptiques. Dans leur grande variété et
« second Dieu », l'Alexandrin tient qu'à ce titre, le leur réelle complémentarité, elles aussi nous informent
Logos peut assurer « le lien [médiateur] entre le monde sur l'amplitude méthodologique selon laquelle le Nou-
céleste [transcendant] et l'univers terrestre ». En cela, veau Testament est aujourd'hui susceptible d'être traité
d'une part Philon s'inscrit bien dans la ligne de la recon- avec fruit, et sur les leçons qui en résultent pour qui-
naissance d'un Dieu absolument unique, démarqué des conque prétend le « lire ». Ici encore, on peut ouvrir
tenaces « traces ou vestiges » de l'ancienne religion, deux rubriques.
422 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 423
La référence du Nouveau Testament à l Ancien. Or il ne cherche pas la solution par une voie purement
Des cinq études de la deuxième partie, les trois pre- philologique et documentaire (hypothétique substrat ara-
mières s'intéressent à tirer au clair les liens qui ratta- méen, original hébreu supposé), mais en s'orientant lui
chent le Nouveau Testament à l'Ancien, pour en déduire aussi du côté de la tradition biblique (avec appui sur la
les clés de lecture pertinentes. structure des deux dernières demandes du Pater chez
Matthieu). Ici encore par conséquent, et alors qu'on est
Portant sur la source Q, l'étude de Jacques Schlosser passé d'un ensemble aussi vaste que la source Q à une
caractérise d'abord « les divers modes de reprise du texte partie de verset, l'accès à l'intelligence du texte n'est
vétérotestamentaire » qu'on y trouve. Elles vont, nous autre que celui que permet et fournit l'Ancien Testament.
montre-t-il, de « références très sommaires » à des évo-
cations précises mais diverses d'épisodes, de textes, de C'est dans un autre type de champ textuel que se meut
traits, d'images, de métaphores, de représentations. Cela Jacques Nieuviarts : à partir du cri de Jésus en Croix de
i mpose la conclusion (tirée en référence au récit de la Mt 27, 46, il se tourne, lui, vers la « structuration [de
tentation, retenu à cause de « son statut de péricope l'ensemble] du récit de la Passion ». Or lui aussi
d'ouverture ») que« Q attire d'emblée l'attention sur s'oriente vers l'Ancien Testament : l'« éclairage » qu'il
l'importance de l'Écriture ». Et cela est d'autant plus propose est celui des citations psalmiques repérables
significatif que ne va pas dans ce sens « l'impression dans le récit de la Passion. Comme chez J. Schlosser,
première, due à la rareté des citations explicites ». Cette on est frappé à la fois par la « discrétion » du procédé
importance est d'ailleurs confirmée par le fait que de citation ou d'allusion, et cependant par le poids et la
« l'allusion à l'Écriture vient souvent au terme d'un portée d'un tel mode d'inscription dans le récit.
développement, comme s'il s'agissait là d'une considé- Le résultat n'est pas seulement que les citations psal-
ration décisive ». miques paraissent « unifier et structurer ces récits », en
Du coup, la visée première apparaît « d'ordre chris- particulier celui de la mort de Jésus. Il est aussi qu'on
tologique » : il s'agit d'une « interprétation du présent aboutit à considérer que ces mêmes récits ont, comme
comme accomplissement de l'Écriture ». Cette visée tels, leur origine « dans le cadre rituel, dans la mouvance
n'est cependant pas unique : elle suppose et met en du "repas du Seigneur" ». Ainsi, l'importance que i'on
oeuvre la conscience d'appartenir à une histoire du salut a été amené à reconnaître à la citation de ces « textes-
qui joue comme facteur d'identification et qui pose donc, prières » que sont les Psaumes désigne la célébration
« pour ainsi dire, un noyau d'ecclésiologie ». On n'en liturgique du repas du Seigneur comme « lieu favorable
est pas moins renvoyé par là même à la christologie, à [cette] relecture de Passion de Jésus » que permettent
dans la mesure où il se manifeste bien qu'en l'affaire les Psaumes.
« le personnage principal c'est Jésus » - et son « je ». La concentration christologique comme critère de
l'« autorité » des Écritures en régime chrétien, la foi en
En étudiant la sixième demande du Pater, Marie- condition d'épreuve que peut seule (à la suite du Christ)
Émile Boismard se concentre sur une fraction de verset surmonter la prière, la célébration eucharistique comme
(Mt 6, 13) et ne pose en somme, à son sujet, qu'un lieu d'intelligence du « mystère » de la passion du
problème de traduction. Christ : telles seraient, cette fois, les clés de lecture du
424 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 425

Nouveau Testament que nous fournissent les trois l'on se trouve face à un "mouvement anagogique", à un
méthodologies différentes ici mises en oeuvre dans une processus de "sublimation", celui qui se rencontre dans
commune référence à la tradition biblique, dont l'in- les contes populaires comme dans les récits mythiques.
contournabilité se trouve du même coup puissamment Et s'il nous est encore brièvement montré que Jean
confirmée. Elles ont toutes pour effet de mettre en valeur ne représente pas seulement lui-même, mais aussi Jésus,
la spécificité chrétienne et, par voie de conséquence, la ce qui a pour effet de placer ce dernier au centre du
centralité de la figure du Christ. dispositif, la finale tient à souligner qu'au bout du
compte « le sujet rejoint ceux de la tragédie : le sexe et
Des références extra-bibliques. le sang ». Finalement, « la religion s'évapore » et « l'art
et la littérature consacrés au sujet » apporteront toutes
Si les trois approches que je viens d'évoquer se carac- les confirmations souhaitables : « L'élément spirituel [y]
térisent par leur souci méthodologique de référer le Nou- est généralement évacué. »
veau Testament à l'Ancien (et manifestent du même
coup la centralité de la figure de Jésus, le Christ), deux Avec Dieter Zeller, on passe de l'approche littéraire
autres traitent au contraire les mêmes évangiles synop- par la morphologie des contes pratiquée par le profes-
tiques avec des références extra-bibliques, selon des seur de l'université du Mirail à Toulouse à celle de l'his-
méthodes plus générales (et aboutissent de fait à ce toire des religions. Par définition, les références sont, ici
qu'on s'interroge sur leur aptitude à la reconnaissance encore, extra-bibliques, le texte étudié étant cette fois
de la spécificité chrétienne). celui de la Transfiguration (Mc 9, 2 s.).
Signalant, pour commencer un problème de traduc-
Dans son « étude littéraire » de Mc 6, 14-29, Robert tion qui souligne déjà une ambiguïté, l'auteur examine
Couffignal applique la méthode proppienne de 1 ,analyse d'abord des essais d'interprétation tentés à la lumière du
des formes narratives (avec recours à A.-J. Greimas et judaïsme, dans la variété de ses courants ; mais c'est
N. Frye) à ce qu'il appelle « le "conte merveilleux" du pour conclure qu'ils ne fournissent pas ici l'accès per-
martyre de Jean Baptiste ». tinent. Il faudrait plutôt chercher du côté des « approches
Au terme de l'analyse, « cette histoire [se présente] à dominante hellénistique ». Il s'avère alors que la scène
au premier chef [comme] un roman familial, où l'on de Marc pourrait jouer « le même rôle que dans les épi-
reconnaît les fantasmes originaires du complexe phanies hellénistiques » - avec toutefois une originalité
d'Œdipe : inceste et séduction du père, meurtre du père qui tient au fait qu'« un modèle originellement destiné
et castration ». Certes, il ne faut pas oublier les versets à des dieux a été transféré à un homme terrestre ».
14 à 16, par lesquels le texte débute et qui font passer Le résultat est que si la référence à la littérature hel-
d'« un monde humain, rien qu'humain et même infra- lénistique permet de lire la Transfiguration comme l'épi-
humain » à celui des « êtres surnaturels, prophètes et phanie de Dieu dans un homme, elle n'en ouvre pas
thaumaturges, hommes de Dieu comme Élie et Jésus »... moins la porte à des interprétations de type docète.
Mais ils introduisent en réalité « dans le "merveilleux" », Autant conclure qu'une « ambivalence [apparaît] inhé-
pour l'interprétation duquel la même méthodologie est rente au récit de la Transfiguration de Jésus du point de
encore parfaitement équipée : il faut comprendre que vue de l'histoire des religions ».
426 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 427

Que nous enseigne finalement ce second type de entre eux n'en seront que plus fortes, et les divergences,
méthodologies mises ici en oeuvre à propos des synop- s'il en apparaît, que plus significatives ?
tiques ? Il n'est certes pas question de contester leur On ne s'étonne pas, en revanche, qu'ils décèlent tous
intérêt dans leur ordre: au minimum, on doit reconnaître les trois dans le quatrième évangile l'emploi d'un lan-
qu'elles rendent attentif à des aspects et des apports du gage « à double sens » (ou à double niveau), et qu'en
texte que les méthodologies plus traditionnelles n'ont conséquence ils parlent à son propos de « portée sym-
pas les mêmes moyens de remarquer. Pour autant, on ne bolique ». Ils ne manquent pas de préciser, à chaque fois,
peut négliger certaines de leurs limites. comment ils procéderont pour le déceler puis le décryp-
Tout se passe, d'un côté, comme si la méthode ter.
plus littéraire, se concentrant par définition sur une Il convient d'enregistrer tout d'abord que le sens dit
approche purement formelle du texte, pouvait s'esti- symbolique ne se laisse découvrir qu'en passant par le
mer quitte avec un résultat où « l'effet de récit non sens obvie, ou immédiat.
seulement déborde le message », mais, de fait, le D'ailleurs, ce dernier non seulement « ne présente
néglige. Ce dernier en est-il invalidé pour autant ? aucune difficulté majeure », mais fait de lui-même la
Compte-t-on sur d'autres méthodes pour le mettre à preuve qu'il ne saurait suffire... sans pour autant que le
jour ? Lesquelles, et articulées comment, alors, avec texte fournisse « en lui-même » (Zumstein), dans sa
celle que l'on a soi-même retenue ? Quant à l'appro- « surface » (Léon-Dufour), « la potentialité de sens »
che par l'histoire des religions, si elle ne se désinté- permettant effectivement de passer au sens second.
resse pas du message, elle reste à son sujet dans Tout le problème est, dès lors, d'établir comment l'on
l'ambiguïté. La question est du même coup posée, de peut passer pertinemment et validement, c'est-à-dire
ce qui pourrait permettre de lever cette dernière. On sans arbitraire, de l'un à l'autre. Ici, « le point de vue
peut penser que, dans un cas comme dans l'autre, [...] (implicitement ou explicitement) adopté par les exé-
pourraient trouver une pertinence redoublée non seu- gètes » est celui de l'intertextualité.
lement les méthodologies qui s'en rapportent à la Tra- Des différences apparaissent, cependant, entre ces der-
dition biblique, mais aussi les clés de lecture qu'elles niers : d'une part dans la définition de la base à partir
fournissent elles-mêmes, qui ont déjà été relevées ci- de laquelle on décide de faire jouer cette intertextualité,
dessus, et que la suite de notre parcours devrait per- et d'autre part dans la détermination du champ dans les
mettre de préciser encore. limites duquel on cherchera à en exploiter les ressources.
Du même coup, il est clair que l'accès au sens second
- ou symbolique - n'est ni préfixé, ni automatique, ni
Le contexte ecclésial. péremptoire. Il ne peut qu'être produit par un travail de
lecture dont la plausibilité dépend de sa pertinence par
Trois chapitres concernent, dans notre volume d'hom- rapport à la textualité même à laquelle il s'applique.
mages, l'évangile de Jean. On s'étonne un peu, de prime Il va de soi, alors, que ce travail peut toujours être
abord, de constater que les trois auteurs ont choisi le repris - prolongé, précisé, remanié - en fonction des
même passage du chapitre 19. Mais comment ne pas se renouvellements toujours possibles, dans la détermina-
dire qu'alors les convergences qui pourront être établies tion tant des éléments pris de la base textuelle à partir
42 8 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 429
de laquelle on procédera, que des limites dans lesquelles Xavier Léon-Dufour indique dès son titre - « Jésus
on choisira d'appliquer le principe de l'intertextualité. constitue sa nouvelle famille » - que la lecture qu'il fera
Pour la détermination en question se révélera décisif du même passage johannique 19, 25-27 ira dans le même
le type de complicité qui est susceptible de jouer entre sens que celle de son collègue de Suisse. Lui aussi dis-
le lectorat / le lecteur et le texte / le narrateur : c'est lui tingue deux niveaux de sens, auxquels donneront res-
en effet qui décidera de l'aptitude tant à « [saisir] les pectivement accès une « première lecture », faite « à
allusions [qu'à interpréter] le détail de la narration en le plat », et une « lecture en profondeur » ; mais il précise
reliant à l'ensemble ». Et J. Zumstein, qui insiste à point bien qu'aucune des deux ne peut « faire violence au
nommé sur ce dernier aspect, de préciser : « Ce lectorat texte ».
ne peut être qu'un groupe ecclésial rompu à la lecture Pas d'autre voie, dès lors, que de « partir d'un examen
de l'évangile et la reprenant sans cesse. » minutieux des contextes, immédiat et lointain, du pas-
sage [...], à l'intérieur du quatrième évangile ». Se pro-
Commençant par « tracer les limites dans lesquelles posant de dégager rapidement la « structure superficielle
l'interprétation doit se déployer », Jean Zumstein pro- du texte », une première lecture porte à penser qu'ici
cède d'abord à une analyse diachronique qui lui permet « la parole de Jésus exprime sa volonté sur ceux qu'il
de décrire l'histoire de la constitution du texte, puis à va quitter » : elle les « engage à vivre le lien mutuel qui
une mise en lumière de la logique narrative du passage. est le fruit de son "élévation" ».
Cela le conduit à formuler l'hypothèse que ce dernier Ici encore, c'est le jeu de l'intertextualité « à l'inté-
exposerait « sous une forme narrative l'articulation entre rieur [de l'ensemble] du quatrième évangile » qui per-
christologie et ecclésiologie ». mettra de faire apparaître qu'aux questions concernant
Sur la base ainsi définie, il fait alors jouer le principe la signification du texte, « la réponse ne peut venir que
de l'intertextualité, successivement dans le contexte pro- dans la lecture symbolique », qui se situera au niveau
che (19, 16b-42), puis à l'échelle de tout le quatrième « second ». Celle-ci fait justement comprendre les paro-
évangile (en privilégiant toutefois les renvois directe- les de Jésus comme « [précisant] la nature de la relation
ment recommandés par le texte lui-même). qu'il instaure entre le garant de sa révélation [symbolisé
Finalement, s'en rapportant, à partir de ce que mani- par Jean] et Israël [que symbolise Marie] ». Ainsi, Jésus
feste la logique narrative, aux registres symboliques sug- constitue ce qui, par-delà sa Pâque, sera sa « nouvelle
gérés par le texte et appuyés par la narration johannique, famille », au sein de l'unique Alliance. Le passage
l'auteur établit que, saisie précisément au niveau sym- concerne l'unique Israël de Dieu : il « vise le rassem-
bolique, l'intention du texte est de répondre à la question blement des enfants de Dieu, qui est l'achèvement de
de l'avenir des intimes de Jésus après son « élévation » l'œuvre confiée au Fils par le Père ».
« La dernière volonté du Christ johannique instituant une
nouvelle famille, rassemblée autour du disciple bien- Évoquée tant par J. Zumstein que (plus brièvement)
aimé, précise les modalités de l'avenir de la révélation par X. Léon-Dufour, la scène du « partage des vêtements
après la Croix », sans omettre d'aborder « également la de Jésus » précède immédiatement en Jean 19 (aux v. 23-
question des médiations postpascales », et qui seront 24), celle où l'on voit Jésus « constituer sa nouvelle
d'ordre ecclésial, de cette révélation. famille ». Michel Trimaille, qui a choisi, quant à lui,
430 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 431
d'étudier cette dernière scène, fait lui aussi état d'un textes du Nouveau Testament , elle est appelée aujour-
« propos symbolique » du passage - citant d'ailleurs, en d'hui à rester le lieu de leur réception et de leur lecture.
cela, S. Légasse lui-même.
Or si, une nouvelle fois, est proposée une lecture
ecclésiologique, une nouvelle fois également, celle-ci Accueillir le don.
n'est atteinte que par un travail sur l'intertextualité. Mais
on peut souligner que l'importance qu'il y a à prêter Six études enfin, consacrées à Paul et au livre des
attention à celle-ci paraît confirmée par les deux traits Actes, ont été rassemblées dans une quatrième et der-
qui constituent l'originalité de cette étude de M. Tri- nière partie de ce volume d'hommages. Je les regroupe
maille. D'une part elle a son fondement principal et deux par deux, pour des raisons qui apparaîtront d'elles-
même quasi exclusif dans le vocabulaire (« la constel- mêmes.
lation de plusieurs termes clefs qui constituent la char-
pente de la scène tout entière ») ; et d'autre part elle ne Les études de Ch. Perrot et J.-N. Aletti ont en commun
se limite pas au contexte immédiat, ni même à l'ensem- de montrer l'universalisme du mystère de révélation et
ble du quatrième évangile : elle ne craint pas d'« inter- de salut qui s'est accompli en Jésus.
préter Jean par Paul ». Charles Perrot étudie une forte « imprécation » pau-
Dans une communauté johannique « menacée par des linienne dont l'« allure antisémite » a bien de quoi sur-
forces centrifuges capables de la diviser ou de la séparer prendre. L'analyse tant de la structure du contexte que
des autres églises » (et où joue donc « une certaine ana- du vocabulaire d'une part et la référence à la tradition
logie de situation avec l'Église de Corinthe et avec biblique, d'autre part, obligent à ne pas se satisfaire
l'ecclésiologie paulinienne »), est soulignée l'impor- d'exégèses portées à atténuer le caractère abrupt du
tance de l'unité des croyants autour de celui qui, élevé texte : Paul applique bel et bien « maintenant à des Juifs
de terre, devait « tout attirer à lui ». persécuteurs » une malédiction qui, en tout cas « dans
le monde juif du Ier siècle », visait des persécuteurs
Déjà la narration synoptique ne présente pas la figure d'Abraham ou d'Israël.
centrale de Jésus le Christ sans attirer l'attention sur les La question est dès lors incontournable : « Que faire
conditions ecclésiales, c'est-à-dire historiques, commu- d'une telle malédiction? » Que l'exégète ne puisse
nautaires, sacramentelles, etc., de sa reconnaissance esquiver le « problème herméneutique », on en a la
croyante. En soulignant dans le quatrième évangile une preuve irréfutable avec un tel verset. Sa tonalité si « anti-
portée symbolique que permet de dégager l'attention à sémite » ne pouvant en effet, manifestement, que consti-
une large intertextualité néo- et vétérotestamentaire, les tuer aujourd'hui une pierre d'achoppement, on ne peut
trois études johanniques que nous présente ce volume éviter de se demander comment rendre possible sa récep-
mettent l'accent, pour leur part, sur la dimension ecclé- tion dans nos mentalités actuelles.
siale du mystère chrétien auquel le Nouveau Testament La réponse est que si « les textes subsistent » et s'il
veut porter témoignage. Avec ses caractéristiques et ses ne peut être question ni de les édulcorer ni de les forcer,
expériences propres, la communauté des croyants a été, on n'est pourtant pas quitte avec le travail de leur lecture
aux origines chrétiennes, le lieu de composition des quand on les a restitués au contexte originel de leur signi-
432 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 433
fication. Il faut encore, étant conscient de la « relativité » Dans l'ensemble des six études que je « relis » main-
des circonstances de leur production, d'abord savoir tenant, deux s'appliquent directement aux contenus dog-
reconnaître en eux, le cas échéant, les marques de la matiques centraux de la profession de foi chrétienne
« blessure » ou de la « déchirure » qui a marqué la nais- celles de D. Marguerat et de M. Carrez.
sance de l'Église. Il faut ensuite s'ingénier, « en Avec Daniel Marguerat, la méthode est essentielle-
congruence [...] avec les paroles et les gestes du Sei- ment narratologique. Or elle établit que le livre des Actes
gneur, [à] réinventer en quelque sorte la parole et l'action recourt à « deux langages pour dire Dieu » : un langage
chrétiennes »... quitte à ce que cela conduise à prendre explicite ou direct, de registre discursif, et un langage
distance - mais il faut alors le faire judicieusement ! - implicite ou indirect, de registre narratif ; seuls les per-
par rapport à la signification « originelle » des textes sonnages de l'histoire racontée font expressément état
fondateurs. de l'action de Dieu, que le récit ne fait jamais interférer
Dépassant une approche purement historico-critique comme tel dans sa trame.
du naufrage d'Actes 27, Jean-Noël Aletti manifeste Il est possible, à partir de là, d'éclairer comment, « pour
« l'importance structurante du parallélisme dans et pour diriger l'histoire selon son plan », Dieu intervient: il arti-
le récit lucanien », ce qui lui permet de traiter le passage cule la réalisation de sa propre volonté avec un exercice
retenu « à partir de sa place dans la chaîne des signifiants effectif de la liberté humaine. Dieu se révèle ainsi dans
narratifs ». l'histoire; mais ne peut le découvrir que celui qui sait la
Le fruit de la mise en oeuvre conséquente d'une telle lire selon le récit qui la raconte de manière autorisée, et
méthode est une belle mise en lumière de « la compré- que celui qui accepte de s'y impliquer selon le rôle qui,
hension que le narrateur [de l'ensemble Luc et Actes] a en elle, lui a été confié par Dieu. Ainsi, le livre des Actes
du plan de Dieu ». Si l'attitude actuelle des juifs reste est le seul à exposer « narrativement comment le Dieu des
« dans la droite ligne de celle de leurs ancêtres », c'est pères est devenu le Dieu universel ». Dieu se donne à
au contraire à toutes les nations qu'est destiné l'Évangile connaître, certes, mais en se cachant, dans les événements
du Christ. Et si Paul a été « choisi comme l'acteur prin- de l'histoire, car, à vrai dire, « "Dieu" ne parle pas, il est
cipal de la dernière partie des Actes », c'est très préci- porté au langage par la parole du témoin ».
sément parce qu'il est l'apôtre des nations. Avec Maurice Carrez, on passe de Dieu au Christ, et
La leçon de ces deux études est la même : tous les la comparaison attentive que notre collègue établit entre
hommes sont destinataires de la révélation et du salut le « parcours christologique de Paul dans [ses] discours
d'abord proposés dans l'Alliance de Dieu avec le peuple des Actes » et « celui de l'apôtre dans ses épîtres authen-
juif. Selon époques et situation, il faut préciser : « tous tiques » recommande qu'on distingue, sur ce thème,
les hommes, même les juifs»; ou « tous les hommes, entre les prédications faites respectivement aux juifs, aux
même les paiéns ». Mais, dans les deux cas, cette vérité païens et aux chrétiens.
de l' Écriture du Nouveau Testament est toujours et tou- S'il est net que Luc est en retrait par rapport à « cer-
jours à faire advenir aujourd'hui : dans et par l'actualité taines formules christologiques pauliniennes » qu'il
de sa réception par ceux qui, du même coup, deviennent connaît pourtant, c'est que ses énoncés « doivent être
eux-mêmes chrétiens, à la suite de Jésus et de Paul, dis- acceptables pour tous : juifs, prosélytes, adorants, crai-
ciple et apôtre de Jésus. gnant Dieu, Grecs ».
43 4 JOSEPH DORÉ CHEMINS DE L'EXÉGÈSE CHRÉTIENNE 435
Ce n'est donc pas assez de dire que tous les hommes ment subjectifs et existentiels, mais aussi socio-culturels
sont destinataires de la révélation et du salut chrétiens. et économico-politiques) ;
Il faut ajouter, nous disent ces deux nouvelles études, - la mise au jour du caractère décisif de Jésus le
que deux conditions doivent encore être réalisées Christ dans le christianisme, mais en vertu d'une spéci-
d'une part, que cette révélation soit portée à leur ficité de sa figure que ne suffisent pas à mettre en valeur
connaissance selon des modalités qui leur soient acces- des méthodologies qui (si pertinentes qu'elles puissent
sibles et déchiffrables, et d'autre part, que ce salut leur être par ailleurs) négligent de fait la particularité de
soit proposé par un type d'intervention ou d'opération l'Ancienne Alliance dans laquelle Jésus est bel et bien
divine qui renforce leur liberté en la sollicitant, qui inséré et par rapport à laquelle s'est précisément dégagée
l'associe en la promouvant. la centralité de sa figure comme Christ;
- la prise en compte, tant au niveau de la rédaction
Restent deux études : celles de B. Amphoux et celle qu'à celui de l'interprétation, du contexte ecclésial hors
de J.-M. van Cangh. Elles ont au moins en commun duquel manquerait la complicité (nécessaire à l'intelli-
d'appeler la plus grande attention sur la critique tex- gence réelle du texte) entre le lectorat et le texte/le nar-
tuelle, et d'en appeler à la première littérature chrétienne rateur, et à laquelle permet d'accéder une attention
et à la littérature apocryphe du Nouveau Testament. La méthodique à une intertextualité définie avec une suffi-
technicité du dossier présenté dans chaque cas en réserve sante précision ;
cependant la discussion aux cercles spécialisés en exé- - l'attention portée à l'aspect d'accueil et de récep-
gèse : si la première étude conclut sur une « esquisse tion : déjà au plan de la textualité même du Nouveau
d'une histoire » (de la parole ici commentée : 1 Corin- Testament, il importe de se préoccuper des différents
thiens 13, 2) qui implique toute une chronologie de la états du texte et de ce qui peut les expliquer; mais sur-
rédaction néotestamentaire, la seconde s'achève sur une tout (et quand bien même la discussion devrait rester
reconstitution du « déroulement primitif de la Cène ». longtemps ouverte au plan qui vient d'être évoqué) en
ce qui concerne le message annoncé par ce texte : il
appartient en effet au bibliste de se préoccuper aussi de
la manière dont, par les voies de la connaissance
Encore une fois : sans vouloir - et même en fin de humaine comme par celles de l'agir humain, les hommes
parcours - aucunement présenter ici une théorie, on peut d'aujourd'hui peuvent (comme ceux de l'histoire passée
du moins rassembler, pour finir, quelques éléments. La et jusqu'aux extrémités du monde) avoir effectivement
lecture chrétienne du Nouveau Testament suppose et accès au mystère de grâce dont témoignent les écritures
requiert, s'il faut en croire cette « relecture » canoniques chrétiennes.
- la mise en rapport de celui-ci avec une double anté-
JOSEPH DORÉ.
riorité : celle d'une textualité préalable, mais qui n'est
pas seulement représentée par l'Ancien Testament, et
celle d'une historicité antécédente, mais qui se vérifie
aussi dans l'existence humaine, en sa temporalité mon-
daine (dont les paramètres ne sont d'ailleurs pas seule-
Table des auteurs

Jean-Noël ALETTI Professeur à l'Institut bibli-


que de Rome.
Christian BAMPHOUX CNRS, Université de Pro-
vence.
Marie-Émile BOISMARD Professeur à l'École biblique
de Jérusalem.
Maurice CARREZ Professeur à la Faculté de
théologie protestante de
Paris.
Robert COUFFIGNAL Professeur à l'Université du
Mirail de Toulouse.
Jacqueline DES ROCHETTES Chargé d'enseignement,
Faculté de théologie de Tou-
louse.
Jacques DUTHEIL Professeur à la Faculté de
théologie de Toulouse.
Joseph DORÉ Responsable du Départe-
ment de recherche. Institut
catholique, Paris.
Xavier LÉON-DUFOUR Professeur au Centre Sèvres,
Paris.
Alain MARCHADOUR Doyen de la Faculté de théo-
logie de Toulouse.
Daniel MARGUERAT Professeur à l'Université de
Lausanne.
438 TABLE DES AUTEURS

Louis MONLOUBOU Professeur honoraire à la


Faculté de théologie de Tou-
louse.
Jacques NIEUVIARTS Maître de conférences à la
Faculté de théologie de Tou- Tabula gratulatoria
louse.
André PAUL Bibliste, spécialiste du
milieu culturel du Nouveau
Testament.
Abbaye Notre-Dame-de-Belloc Urt
Charles PERROT Professer honoraire à l'Insti- Abbaye Saint-Pierre, Bibliothèque Solesmes
tut catholique de Paris. BARLET (Louis) Mende

Jacques SCHLOSSER Professeur à la Faculté de BEAUCHAMP (Paul), Centre Sèvres


BEAUDE (Pierre-Marie), Université
Paris
Metz
théologie catholique de BEAUVERY (Robert) Lyon

Strasbourg. Bénédictines
BEUTLER (Johannes) s.j.
Dourgne
Frankfurt-am-Main
Michel TRIMAILLE Professeur à l'Université Bibliothèque biblique (BOSEB) Paris
catholique de Paris. Bibliothèque de l'Institut catholique Toulouse
Bibliothèque des Dominicains de l'Annonciation Paris
Jean-Marie VAN CANGH Professeur à l' Université Bibliothèque diocésaine Montpellier
catholique de Louvain. Bibliothèque diocésaine Poitiers

Dieter ZELLER Professeur à l'Université de Bibliothèque du Séminaire interdiocésain


Bibliothèque franciscaine
Avignon
Strasbourg
Mayence. Bibliothèque séminaire universitaire Lyon
Jean ZUMSTEIN Professeur à la Faculté de Bibliothèque Sèvres Paris
BIDAUT(Bernard), I DFP Fréjus-Toulon
BILLE Toulon
théologie protestante de (Louis-Marie), archevêque Aix-en-Provence
Zurich. BLANCHARD (Robert) Baie Mahault (Guadeloupe)
BONY (Paul), p.s.s. Marseille
BOVON (François) Cambridge USA
BRIÈRE (Jean) Issy- les - Moulineaux
BROSSIER (François), Institut catholique Paris
CALLOUD (Jean), Centre théologique Meylan
CANTALOUP (Paul) Auch
CARRÉ (Pierre-Marie) Agen
CATAU (Rachel) Nancy
CAZELLES (Henri) Paris
CORNILLON (Michel) Issy-les - Moulineaux
COTHENET (Edouard) Bourges
COULOT (Claude) Hohatzenheim
COUSIN (Hugues) Auxerre
CUVELLIER (Elian), Faculté de théologie protestante Montpellier
DARRIEUTORT (André) Dax
DEBERGE (Pierre), Institut catholique Toulouse
DEISS (Lucien) Vaucresson
DEL MARCO (Pierre) Reynies
DELORME (Jean) Lyon-Annecy
DESCLAUX (Jean-François)„ CM, Institut catholique Paris
DODIN (André), Doyen honoraire, Facultés catholiques de l'Ouest Angers
Dominicains Strasbourg
DORE (Daniel), c.j.m. Sainte-Geneviève-des-Bois
DORIVAL (Gilles) Université Aix-Marseille-I
DUPONT-ROC (Roselyne), ICP Paris
440 TABULA GRATULATORIA

DURAND (Xavier) Panazol


DURRWELL (François-Xavier) Strasbourg
DUVAL (Danièle) Saint-Rémy
École biblique et archéologique française Jérusalem (Israël)
École cathédrale Paris
ELLUL (Danielle), ITC Toulouse
Faculté de théologie protestante, 83, bd Arago Paris
FAVROT (André) Belley
FLICHY (Odile) La Celle-Saint-Cloud
FORSTER (Christian) Dijon
FRAIZY (François) Lyon Table des matières
FRUCHON (Pierre), Université Michel-de-Montaigne Bordeaux
GARAT (Michel) Bayonne
Grand Séminaire (M. le bibliothécaire) Nantes
GRELOT (Pierre), Professeur honoraire à l'Institut catholique de Paris Orléans
GUILLAUME (Mgr Paul-Marie), évêque Saint-Dié
HAUDEBERT (Pierre), professeur d'Ecriture sainte, Faculté de théologie U.C.O. Angers
HAUSER (Hermann), C.U.E.A. Nairobi (Kenya)
HUOT (André) Épinal
KOLIÉ (Joachim) Bamako (Mali)
KUNTZMANN (Raymond)
L'ÉPLATTENIER (Charles)
Strasbourg Avant-propos : Un siècle d'exégèse critique, par
Gap
L'HOUR (Jean) L'Union Alain Marchadour ............................................. 7
LANDIER (Jean)
MARION (Denis)
Avignon
Dijon
Liste des sigles et abréviations ............................. 23
MATURA (Thaddée), o1m. Bibliographie de Simon Légasse, par Jacques
MICHALON (Pierre), p.s.s.
MOTTE (René), o.m.i.
Lyon
Aix-en-Provence
Dutheil ............................................................... 25
MULMANN (Xavier), Frère des Écoles chrétiennes Reims
PECRÉAU7( (Pierre) Rousies
POFFET (Jean-Michel), Institut biblique Fribourg
PONSOT (Fr. Hervé), o.p. Toulouse
PONTHOT (Joseph), Université catholique Louvain-la-Neuve PREMIÈRE PARTIE
POTIN (Jean) Vincennes
PROD'HOMME (Fernand) Villecresnes LE PREMIER TESTAMENT
QUESNEL (Michel) Paris
RAISON (Jean) Nogent-sur-Marne
REDOUTEY (Louis) Besançon
RENAUD (Pierre)
RENAUD (Bernard), Faculté de théologie catholique
Chavagnes-en-Paillers
Strasbourg
Louis MONLOUBOU : Culte et eschatologie.
RIAUD (Jean), Institut de lettres et d'histoire, Université catholique de l'Ouest Angers « Les cœurs purs verront Dieu » ...................... 41
ROSNER (Gotthard), M. Afr. Sup. gén.
SCHLEGEL (Gérard-Charles) Graufthal (Bas-Rhin)
Jacqueline DES ROCHETTES : Qohélet ou
Séminaire interdiocésainibibliothèque Lille l'humour noir à la recherche de Dieu dans un
Société des missions étrangères de Paris
STRICHER (Joseph)
Paris
Ay-sur-Moselle
contexte hébraïco-hellénique ............................ 49
SURGY (Paul de) Quimper Jacques DUTHEIL : L'amour de la Torah d'après
TASSIN (Claude)
TRICARD (Mgr François)
Chevilly-Larue
Auxerre
les « Pirqé Avoth » ........................................... 73
VANSTEENKISTE (Maurice), c.m. Paris André PAUL : De l'Intertestament à la christo-
VARRO (Roger)
VEAU (Fernand), abbé
Nice
Nîmes
logie. Voies et fondements du monothéisme
VIVIANO (Benedict-Thomas), o.p., professeur du Nouveau Testament, Université Fribourg (Suisse) chrétien .............................................................. 91
WALTER (Louis) Nîmes
WIENER (Claude) Ivry
442 TABLE DES MATIÈRES TABLE DES MATIÈRES 443

DEUXIÈME PARTIE QUATRIÈME PARTIE


LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES PAUL ET LES ACTES

Jacques SCHLOSSER : L'utilisation des Écritures Charles PERROT : « La colère est tombée sur eux,
dans la source Q ............................................... 123 à jamais » (1 Th 2, 16) ..................................... 285
Robert COUFFIGNAL : Le conte merveilleux du Daniel MARGUERAT : Le Dieu du livre des
martyre de Jean-Baptiste. Étude littéraire de Actes .................................................................. 301
Marc 6, 14-29 .................................................... 147 Christian-B. AMPHOUX : « Toute la foi, jusqu'à
Dieter ZELLER : La métamorphose de Jésus déplacer les montagnes » (1 Co 13, 2) : une
comme épiphanie (Mc 9, 2-8) .......................... 167 parole de Jésus citée par Paul ? ........................ 333
Marie-Émile BOISMARD : La sixième demande Maurice CARREZ : Le parcours christologique
du « Pater » ....................................................... 187 des discours de Paul dans le livre des Actes
Jacques NIEUVIARTS : Le cri de Jésus en croix coïncide-t-il avec celui de l'Apôtre dans ses
en Matthieu 27, 46. Éclairage par les citations épîtres authentiques ? ........................................ 357
psalmiques du récit de la Passion .................... 195 Jean-Noël ALETTI : Le naufrage d'Actes 27
mort symbolique de Paul ? ............................... 375
Jean-Marie VAN CANGH : Les origines de
l'Eucharistie. Le cas des Actes des Apôtres apo-
TROISIÈME PARTIE cryphes ............................................................... 393
L'ÉVANGILE DE JEAN
Chemins de l'exégèse chrétienne d'aujourd'hui.
Une relecture théologique, par Joseph Doré .... 415
Jean ZUMSTEIN : Jean 19, 25-27 ...................... 219
Michel TRIMAILLE : Le partage des vêtements Table des auteurs .................................................. 437
de Jésus en Jean 19, 23-24 et l'ecclésiologie Tabula gratulatoria ................................................ 439
paulinienne ........................................................ 251 Table des matières ................................................ 441
Xavier LÉON-DUFOUR : Jésus constitue sa nou-
velle famille, Jean 19, 25-27 ............................ 265
COLLECTION « LECTIO DIVINA »
(Ouvrages disponibles)

32. J. Dupont : Le Discours de Milet.


40. A. -M. Ramsey : La Gloire de Dieu et la Transfiguration du Christ.
58. A. Vanhoye : Situation du Christ. Hébreux 1 et 2.
59. L. Schenke : Le Tombeau vide et l Annonce de la résurrection.
60. E. Lipinski : Essais sur la révélation et la Bible.
61. E. Glasser : Le Procès du bonheur par Qohélet.
63. L. Derousseaux : La Crainte de Dieu dans l Ancien Testament.
65. J. Potin : La Fête juive de la Pentecôte.
66. R. Baulès : L'Insondable richesse du Christ. Étude des thèmes de l'épître
aux Éphésiens.
70. E. Neuhâusler : Exigence de Dieu et morale chrétienne.
73. L. Monloubou : Un prêtre devient prophète : Ézéchiel.
76. J. Jerernias : Théologie du Nouveau Testament.
77. A. D. Nock : Christianisme et hellénisme.
78. S. Légasse : Les Pauvres en esprit.
79. R. E. Brown, K. P Donfried, J. Reumann : Saint Pierre dans le Nouveau
Testament.
80. J. Murphy-O'Connor : L'Existence chrétienne selon saint Paul.
81. G. Haya-Prats : L'Esprit force de l'Église.
83. P -E. Dion : Dieu universel et peuple élu.
84. K. Schubert : Jésus à la lumière du judaïsme du premier siècle.
85. R. Kieffer : Le Primat de l'amour.
87. J. A. Sanders : Identité de la Bible. Torah et Canon.
88. P Buis: La Notion d'alliance dans l Ancien Testament.
90. J. McHug : La Mère de Jésus dans le Nouveau Testament.
92. M. Bastin : Jésus devant sa Passion.
98. M. Riesenfeld : Unité et diversité dans le Nouveau Testament.
100. A. Paul : Le Fait biblique. Israël éclaté. De Bible à Bible.
101. L. Monloubou : Les Psaumes, ce symbolisme qui vient du corps.
102. Collectif : Études sur la 1 re lettre de Pierre.
105. M. Hengel : La Crucifixion dans l Antiquité et la folie du message de la
croix.
106. L. Legrand : L'Annonce faite à Marie.
109. J. Calloud, F Genuyt : La Première Épître de Pierre: analyse sémiotique.
110. L. Monloubou : Saint Paul et la prière. Prière et évangélisation.
111. R. Kieffer : Foi et justification à Antioche.
112. Collectif : La Pâque du Christ, mystère du salut. Mélanges en l'honneur de
P. Durrwell.
113. A. Gueuret : L'Engendrement d'un récit. L'Évangile de l'enfance selon
saint Luc.
114. ACFEB : Le Corps et le corps du Christ en 1 Co.
115. R. E. Brown : La Communauté du disciple bien-aimé.
117. F Refoulé: « ... Et ainsi tout Israël sera sauvé ».
118. J. Dupont : Nouvelles Études sur les Actes des Apôtres. SÉRIE COMMENTAIRES
120. M. Quesnel : Baptisés dans l'Esprit.
121. J. Dupont : Les Trois Apocalypses synoptiques. 1. A. Lelièvre et A. Maillot : Commentaire des Proverbes. Les Proverbes de
122. P D. Hanson : L'Écriture une et diverse. Salomon, chap. 10 à 18.
123. Collectif : À cause de l'Évangile. Études sur les Synoptiques et les Actes, 2. O. Keel : Dieu répond à Job. Job 38-41.
offertes au P. Jacques Dupont, o.s.b., à l'occasion de son soixante-dixième 3. S. Légasse : Le Procès de Jésus. La Passion dans les quatre évangiles.
anniversaire. 4. A. Lelièvre et A. Maillot : Commentaire des Proverbes. Les Proverbes de
124. V Mora : Le Refus d'Israël. Matthieu 27, 25. Salomon, chap. 19 à 31.
125. J. Lambrecht : « Eh bien ! Moi je vous dis ». Le discours programme de
Jésus (Mt 5-7 ; Lc 6, 20-49).
126. J. Vermeylen : Le Dieu de la promesse et le Dieu de l'Alliance.
127. ACFEB : La Création dans l'Orient ancien.
128. C. H. Dodd : La Tradition historique du quatrième Évangile.
129. J. Schlosser : Le Dieu de Jésus.
130. E Bovon : L'Œuvre de Luc. Études d'exégèse et de théologie.
131. R. E. Brown, J. P Meler : Antioche et Rome. Berceaux du christianisme.
132. A. Marchadour : Lazare. Histoire d'un récit, récits d'une histoire.
133. E. Cothenet : Exégèse et liturgie.
134. M. -L. Lamau : Des chrétiens dans le monde. Communautés pétriniennes
au 1 er siècle.
136. Simon Légasse : Et qui est mon prochain ?
137. R. Kieffer : Le Monde symbolique de saint Jean.
138. L. Aymard : La Bible au féminin.
139. A. Van der Lingen : Les Guerres de Yahvé.
140. Centre Sèvres: Le Canon des Écritures.
141. W. Zimmerli : Esquisse d'une théologie de l Ancien Testament.
142. M. -J. Lagrange : L'Écriture en Église.
143. ACFEB : Origine et postérité de l'Évangile de Jean.
144. V Mora : La Symbolique de la création dans l'évangile de Matthieu.
145. V Kelber : Tradition orale et Écriture.
146. E Blanquart : Le Premier Jour (Jn 20).
147. S. Légasse : Stephanos. Histoire et discours d'Étienne dans les Actes des
Apôtres.
148. A. Lacocque : Subversives ou Un pentateuque de femmes.
149. C. Regnier : Évangile et mystère.
150. J. Briend : Dieu dans l'Écriture
151. ACFEB : Le Pentateuque. Débats et recherches.
152. J. Blenkinsopp : Histoire de la prophétie en Israël.
153. S. Légasse : Naissance du baptême.
154. M. Morgen : Afin que le monde soit sauvé.
155. CADIR : Le Temps de la lecture. Exégèse biblique et sémiotique.
156. S. Légasse : Le Procès de Jésus.
157. C. Runacher : Croyants incrédules. La guérison de l'épileptique.
158. CERIT : Exégèse et herméneutique. Comment lire la Bible ?
159. Collectif : Ce Dieu qui. vient. Mélanges offerts à Bernard Renaud.
160. ACFEB : La Sagesse biblique de l'Ancien au Nouveau Testament.
161. S. M. Schneider s : Le Texte de la Rencontre. L'interprétation du
Nouveau Testament comme écriture sainte.
162. R. Meynet : Ouvrir les Écritures. Mélanges Beauchamp.
163. ACEBAC : « De bien des manières ».
164. H. Hauser : L'Église à l'âge apostolique.
165. ACFEB : Paul de Tarse.
166. Collectif : L'Évangile exploré. Mélanges offerts à Simon Légasse.
Cet ouvrage a été achevé d'imprimer en novembre 1996
dans les ateliers de Normandie Roto Impression s.a.
61250 Lonrai
N° d'édition : 10274
N° d'imprimeur : 961304
Dépôt légal : novembre 1996
Imprimé en France

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