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Leroy & M. Staszak (éd.), Perceptions du temps dans la Bible,


ISBN 978-90-429-3773-4.

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ÉTUDES BIBLIQUES
(Nouvelle série. No 77)

PERCEPTIONS DU TEMPS
DANS LA BIBLE

édité par

Marc LEROY, o.p. et Martin STASZAK, o.p.

PEETERS
LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT
2018
TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV

PREMIÈRE PARTIE

ÉTUDES SUR L’ANCIEN TESTAMENT


ET LA LITTÉRATURE PÉRI-TESTAMENTAIRE

Eugen J. PENTIUC (Brookline, MA)


Behind the Days: A Semitic Way of Looking at the End of
Time . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Simone PAGANINI (Aix-la-Chapelle)
Chronology, Dischronology and the Search for Meaning in
the Plot of Deuteronomy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Béatrice OIRY (Angers)
Les poétiques du temps. Genres littéraires et temporalité(s) dans
l’historiographie biblique. L’exemple de 1–2 Samuel . . . . 37
Martin STASZAK, o.p. (ÉBAF, Jérusalem)
Geschichtsdeutung im Interrogativmodus . . . . . . . . . . 70
Matthieu RICHELLE (Meulan-en-Yvelines)
Comment les traducteurs de la Septante percevaient-ils les
nuances temporelles exprimées par le système verbal hébreu ?
Le cas de deux usages rares dans les livres de Samuel et des
Rois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Roland MEYNET, s.j. (Rome)
Analyse rhétorique du psaume 90. Hommage critique à Pierre
Auffret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Jón Ásgeir SIGURVINSSON (Stafholt, Islande)
‫מיום עד לילה‬: „Vom Tag bis zur Nacht“ oder „Sowohl Tag als
auch Nacht“? Beobachtungen zur Semantik eines Präpositio-
nalpaares . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
XII TABLE DES MATIÈRES

Basil LOURIÉ (Saint-Pétersbourg)


The Liturgical Cycle in 3Maccabees and the 2Enoch Calen-
dar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156

DEUXIÈME PARTIE

ÉTUDES SUR
LE NOUVEAU TESTAMENT

M. Manuela GÄCHTER, o.p. (Cazis, Suisse)


Zeiten und Fristen im Feigenbaumgleichnis. Die Bezüge der
Demonstrativpronomina in Mk 13,29-30 . . . . . . . . . . . 173
Anthony GIAMBRONE, o.p. (ÉBAF, Jérusalem)
Counting Backwards: Luke’s Genealogy as World History
and the Protological End Times . . . . . . . . . . . . . . . 185
Georg RUBEL (Luxembourg)
„Heute ist Heil diesem Haus geschehen“ (Lk 19,9) – Zur
heilsgeschichtlichen Bedeutung des lukanischen σήμερον
am Beispiel von Lk 19,1-10. . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
Pino DI LUCCIO, s.j. (Naples)
Il tempo dell’incarnazione del Lògos (Gv 1,1-18) . . . . . . 223
Gregor GEIGER, o.f.m. (SBF, Jérusalem)
Doppelte Datierungen und Datumsangaben mit Wochentag
zur Einordnung antiker jüdischer Daten in eine absolute Chro-
nologie: Zugleich ein (negativer) Beitrag zur Chronologie der
Kreuzigung Jesu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248
Chantal REYNIER (Fribourg, Suisse)
Le temps dans un récit maritime (Ac 27 – 28,16) : multiplicité
des approches et des fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . 274
Paul TAVARDON, o.c.s.o. (ÉBAF, Jérusalem)
Les Actes des Apôtres, le modèle Boismard-Lamouille, relec-
ture lacanienne (réel, symbolique,imaginaire) . . . . . . . . 297
Michele CICCARELLI (Avellino)
L’observance des temps en Ga 4,10 et une possible allusion
astrologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334
Paolo GARUTI, o.p. (Rome – ÉBAF, Jérusalem)
L’aujourd’hui de l’écoute entre passé et futur (He 3 – 4) . . 364
TABLE DES MATIÈRES XIII

Elvis ELENGABEKA, C.S.Sp. (Paris)


La rhétorique de la temporalité dans les épîtres pastorales . 377
Michel GOURGUES, o.p. (Ottawa)
Temps court et temps long, temps urgent et temps courant :
une tension interne dans la seconde lettre à Timothée 396
Francesco PIAZZOLLA (SBF, Jérusalem)
Il cronometro dell’Apocalisse. Il valore del tempo nell’opera 419

TROISIÈME PARTIE

AUTRES ÉTUDES

Johannes BEUTLER, s.j. (Francfort)


Zeit und Ewigkeit in biblischer Sicht . . . . . . . . . . . . . 449
Alviero NICCACCI, o.f.m. (SBF, Jérusalem)
Le temps de Dieu pour l’homme de l’Ancien au Nouveau
Testament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 467
Étienne NODET, o.p. (ÉBAF, Jérusalem)
Temporalité et tradition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 484
Nicolas BOSSU, LC (Rome)
Une prophétie historique devient eschatologique. L’oracle
des ossements desséchés (Ez 37,1-14) dans la synagogue de
Dura-Europos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 508
Emmanuel FRIEDHEIM (Ramat Gan, Israël)
La perception de l’Histoire dans la littérature rabbinique des
premiers siècles de notre ère . . . . . . . . . . . . . . . . . 529
Jacqueline ASSAËL (Nice)
L’idée du progrès du péché lié au vieillissement du monde
dans l’AugustanaGræca . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 543

INDEX

INDEX DES AUTEURS MODERNES . . . . . . . . . . . . . . . . . 561


INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . 571
INDEX DES AUTRES AUTEURS ET DES TEXTES ANCIENS . . . . . . . 599
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90.
HOMMAGE CRITIQUE À PIERRE AUFFRET
PAR
Roland MEYNET, S.I.
Université Grégorienne, Rome
r.meynet@unigre.it

RÉSUMÉ
L’exégèse s’intéresse toujours plus à la composition des textes qui permet
de mieux les comprendre. Le Ps 90 est focalisé sur la seule question qu’il
comporte, laquelle sert de clé de lecture. Le thème de la caducité humaine
est articulé à celui du péché et surtout du retour, retour de l’homme appelé
à se détourner de son péché, retour de Dieu qui se détourne de sa colère. En
contrepoint, la discussion critique menée avec Pierre Auffret affronte les
points de méthode les plus décisifs, ceux qui touchent à la détermination des
niveaux d’organisation des textes et à la multiplicité des structures.

ABSTRACT
Exegesis is always more interested in the composition of the texts to bet-
ter understand them. Psalm 90 is focused on the unique question he has,
which is the key to reading. The theme of human obsolescence is hinged to
that of sin and especially back, human back called to turn from his sin, God
back who turns away from his anger. In counterpoint, the critical discussion
conducted with Pierre Auffret faces the most decisive method of points,
those relating to the determination of texts levels of organization and to the
multiplicity of the structures.

Éternité, instant, chaque jour, maintenant...


Qu’est-ce que le temps ? Cette question a de quoi fasciner tout homme.
Parmi les hommes, ceux qui veulent entrer dans le sens de la foi chrétienne se
sentent concernés spécialement par l’énigme du temps, dès qu’ils ont ouvert
la Bible une seule fois. « Au commencement, Dieu créa. » Jésus-Christ est
venu « au temps fixé ». Et enfin, « Jusqu’à quand, Seigneur, tarderas-tu ? »
On pourrait résumer ainsi tout le Livre1.

1
Paul BEAUCHAMP, Psaumes nuit et jour, Paris, Le Seuil, 1980, 106.
114 ROLAND MEYNET

Après une période où la recherche biblique était focalisée sur


l’identification du genre littéraire et de la forme des textes, s’est peu
à peu affirmée l’orientation vers la détermination de la composition de
chaque texte en particulier, c’est-à-dire de chaque réalisation concrète
et unique de la forme. L’histoire des formes tend à réduire tous les
textes appartenant à la même forme à un schéma commun, l’étude de
la composition veut dégager la figure spécifique de chaque individu
textuel2.
De plus en plus les auteurs tiennent à présenter le « plan » ou la
« structure littéraire » du texte qu’ils commentent. Leurs propositions
cependant sont souvent fort diverses. Ainsi pour le Ps 90, certains
suivent Gunkel et ses prédécesseurs qui y distinguaient deux chants
hétérogènes : 1. « Méditation sapientielle sur la brièveté de la vie
humaine » (2-12) ; 2. « Complainte nationale » (13-17)3. Ravasi lui
aussi divise le psaume en deux parties différentes (1-10 et 11-17), puis
il les subdivise ainsi :
II. Solennelle invocation introductive (1-2)
Élégie sapientielle sur le mal de vivre (3-10)
Premier mouvement (3-6) : Dieu et l’homme, éternité et incon-
sistance
Deuxième mouvement (7-10) : Dieu et l’homme, colère et péché
II. Solennelle invocation introductive (11-12)
Supplication pour la libération du mal de vivre (13-16)
Solennelle invocation conclusive (17)4
Alonso Schoekel – Carniti ont une division tripartite : 1. Réflexion (1-6) ;
2. Colère à cause du péché (7-11) ; 3. Supplication (12-17)5. Vesco
aussi, mais ses divisions sont autres : 1. Reconnaissance de la stabilité

2
Sur cette question, voir Roland MEYNET, Les huit psaumes acrostiches alphabé-
tiques (Retorica Biblica e Semitica, 6), Rome, Gregorian & Biblical Press, 2015, 7-9 ;
et surtout ID., Le fait synoptique reconsidéré (Retorica Biblica e Semitica, 7), Rome,
Gregorian & Biblical Press, 2015, 13-26.
3
Louis JACQUET, Les Psaumes et le cœur de l’homme : étude textuelle littéraire
et doctrinale, II, Gembloux, Duculot, 1977, 720-721. Déjà Emmanuel PODECHARD,
Le Psautier : traduction littérale, explication historique et notes critiques (BFCTL),
Lyon, Facultés Catholiques, 1954, II, 125-127.
4
Gianfranco RAVASI, Il libro dei Salmi. Commento e attualizzazione, II, Bologna,
EDB, 1985, 877.
5
Luis ALONSO SCHOEKEL – Cecilia CARNITI, I salmi (Commenti biblici), Roma,
Borla, 1992, II, 258 ; or. espagnol, Salmos, Traducción, introducciones y comentario
(Nueva Biblia española), Estella (Navarra), Editorial Verbo Divino, 1994.
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 115

divine sur le ton de l’hymne (1-2) ; 2. Méditation-lamentation sur la


fragilité humaine (3-12) ; 3. Demande (13-17)6.
Weiser au contraire divise le texte en quatre parties : 1. Confiance (1) ;
2. L’existence éternelle de Dieu et la mortalité de l’homme (2-6) ;
3. Le péché de l’homme (7-12) ; 4. La prière de supplication (13-17)7.
Lorenzin suit une autre division : 1. Profession de foi initiale (1b-2) ;
Méditation sur la caducité (3-6) ; 3. Plainte pour la situation difficile
de la communauté (7-11) ; 4. Supplique (12-17)8. Pour Girard, ses
quatre parties, différentes de celles de Weiser, se correspondent de
manière spéculaire : A (1-2) ; B (3-12) ; B’ (13-16) ; A’ (17)9. Comme
Ravasi, Girard distingue plusieurs niveaux d’organisation du texte.
D’autres enfin voient dans le texte une composition concentrique.
Mais là aussi les avis divergent. Lund met à part les deux premiers
versets et focalise le reste du texte sur le verset 10 : A (3-4) ; B (5-6) ;
C (7-9) ; D (10) ; C’ (11-13) ; B’ (14-15) ; A’ (16-17)10. Pour Hoss-
feld – Zenger, ce sont les versets 11-12 qui forment le centre de la
composition : A (1b-2) ; B (3-10) ; C (11-12) ; B’ (13-16) ; A’ (17)11.
Et l’on pourrait allonger à l’envi la liste des divisions et structurations
du psaume.
Ce rapide tour d’horizon permet de faire quelques constatations.
Si plusieurs donnent un plan, ils ne s’attardent guère à en fournir les
raisons et leur plan ne leur sert pas à grand-chose pour l’interprétation
du texte ; comme si c’était là une chose qu’il faut faire mais qui ne tire
pas à conséquence. En revanche, de plus en plus d’auteurs accordent

6
Jean-Luc VESCO, Le psautier de David traduit et commenté, II (LeDiv, 211),
Paris, Éd. du Cerf, 2006, 845.
7
Artur WEISER, The Psalms: A Commentary (OTL), London, SCM Press, 1962,
595-603.
8
Tiziano LORENZIN, I salmi. Nuova versione, introduzione e commento (I libri
biblici. Primo Testamento, 14), Milano, Edizioni Paoline, 2001, 358-360.
9
Marc GIRARD, Les psaumes redécouverts. De la structure au sens, II., Montréal,
Bellarmin, 1994, 502-504.
10
Nils W. LUND, Chiasmus in the New Testament : A Study in Formgeschichte,
Chapel Hill, NC, The University of North Carolina Press, 1942, 125-126 (reprint,
Chiasmus in the New Testament : A Study in the Form and Function of Chiastic
Structures, Peabody, MA, Hendrickson Publishers, 1992). Repris par Robert L. ALDEN,
« Chiastic Psalms (II): A Study in the Mechanics of Semitic Poetry in Psalms 51-100 »,
JETS 19 (1976) 191-200, 198-199.
11
Frank-Lothar HOSSFELD – Erich ZENGER, Psalms 2: A Commentary on Psalms 51-
100 (Hermeneia), Minneapolis, MN, Fortress Press, 2005, 419 (original allemand :
Psalmen 51–100 [HThKAT], Freiburg im Breisgau – Basel – Wien, Herder, 2000).
De même Robert ABELAVA, « Le Psaume 90 et les fragilités de l’homme. Une lecture
en contexte africain », RevSR 87 (2013) 1-19, 10-12.
116 ROLAND MEYNET

une grande importance à la composition et ils s’efforcent de la justi-


fier en détail, explicitant les critères qu’ils utilisent. Le point essentiel
est que le manque d’accord entre les commentateurs tient à un défaut
de méthodologie.
C’est pourquoi il a paru bon, à l’occasion de la présente analyse du
Ps 90, d’entrer en dialogue méthodologique avec un auteur dont la
production est immense. Pierre Auffret est en effet connu pour le grand
nombre d’articles, et aussi de volumes, consacrés à « l’analyse struc-
turelle », ou à « la structure littéraire » de nombreux textes bibliques,
des psaumes en particulier. On veut espérer que cet « hommage cri-
tique » puisse être de quelque utilité pour le lecteur12. En fait, il plaît à
Auffret de discuter avec d’autres auteurs. Sa première publication sur
le Ps 90 est conduite tout au long en dialogue avec Stefan Schreiner13.
Dans sa deuxième analyse du même psaume, c’est avec Marc Girard
que la discussion est menée14. C’est à sa troisième étude que nous nous
référerons par la suite15. À ma connaissance, Pierre Auffret n’a malheu-
reusement jamais fourni d’exposé systématique de la méthodologie
qu’il met en œuvre.
La présente étude est conduite selon les procédures de « l’analyse
rhétorique sémitique »16. La connaissance des lois de la rhétorique
biblique et sémitique est en effet d’un grand secours pour mener l’ana-
lyse de manière assurée. Savoir, par exemple, que le centre d’une
composition concentrique est très souvent occupé par une question,
fréquemment la seule du texte17, aide puissamment à en reconnaître
la réalisation. Il faut aussi savoir que deux occurrences du même mot
ou de la même expression ne font pas forcément « inclusion »18, mais

12
Ce sera l’équivalent de ce que j’ai fait pour Marc Girard : « Analyse rhétorique du
Psaume 51. Hommage critique à Marc Girard », RivBib 45 (1997) 187-226 ; voir aussi
mes recensions de son commentaire des psaumes dans RivBib (1997) 92-96 ; 229-230.
13
Pierre AUFFRET, « Essai sur la structure littéraire du Psaume 90 », Bib 61 (1980)
262-276.
14
Pierre AUFFRET, « L’étude structurelle des psaumes – Réponses et complé-
ments », ScEs 48 (1996) 45-60, 50-53.
15
Pierre AUFFRET, Qu’elle soit vue chez tes serviteurs, ton œuvre ! Étude struc-
turelle de dix-sept Psaumes (Profac, 90), Lyon, Profac, 2006, Chap. XV, « Un cœur
de sagesse. Étude structurelle du Psaume 90 », 263-280.
16
Voir mon Traité de rhétorique biblique (Rhétorique sémitique, 11), Pendé,
Gabalda, 20132 ; dorénavant, Traité.
17
Voir Traité, Chap. 8, « Le centre des compositions concentriques », A. « La
question au centre », 417-435.
18
Ainsi, par exemple, pour L. ALONSO SCHOEKEL – C. CARNITI, I salmi, II, 258,
« colère » – « fureur » (7) et « colère » – « emportement » (11) forment une inclusion
qui permet de délimiter un bloc 7-11. Voir la réécriture de l’ensemble du psaume, p. 138.
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 117

que, outre la fonction de « termes extrêmes », elles peuvent remplir


aussi celle de « termes initiaux », de « termes finaux », de « termes
médians » ou de « termes centraux »19. Et par-dessus tout, il est fon-
damental de bien distinguer les niveaux d’organisation des textes,
depuis celui du « segment », bimembre la plupart du temps, trimembre
assez souvent, mais aussi, quoique rarement, unimembre, puis celui du
« morceau » qui regroupe un, deux ou trois segments, de la « partie »
qui comprend un, deux ou trois morceaux, du « passage » (ou péri-
cope) qui comprend une ou plusieurs parties, et ainsi de suite jusqu’à
celui du livre20.
La discussion avec Pierre Auffret sera partielle, d’une part parce
qu’il ne serait pas opportun d’alourdir inutilement le présent article,
d’autre part et surtout parce que quelques exemples suffiront pour
illustrer les critiques de fond.
1. Le point essentiel est celui des niveaux successifs de composi-
tion, de leur distinction, de leur définition et de leur hiérarchisation.
Au début de son article Auffret laisse espérer ce genre d’organisation :
« Nous procéderons étape par étape, examinant successivement les
structures des unités, des ensembles partiels et enfin de l’ensemble du
psaume » (p. 263). Trois niveaux sont donc annoncés. Toutefois aucun
n’est défini : « unité » et « ensemble » sont des termes génériques
qui peuvent s’appliquer à n’importe quel niveau. Par la suite, si l’au-
teur utilise plusieurs fois le terme « ensemble » (pour 1-6, 4-10, 3-
10, 7-12, 11-16, 1-12 et 11-17, appelés aussi « parties » ; et fina-
lement 1-17), il n’utilise plus le terme « unité » pour les constituants
de ses « ensembles ». Il est capital que chaque niveau d’organisa-
tion textuelle soit défini et qu’il ait par conséquent un nom qui lui soit
spécifique.
2. Les unités de chaque niveau ont leurs limites précises et leur
cohérence propre, qui respecte les limites des unités de niveau infé-
rieur. Si l’on peut et doit parler de « multiplicité des structures », ce ne
peut être que celles des niveaux successifs de composition. Une unité
textuelle ne peut pas faire partie de deux unités différentes du niveau
supérieur. Si 7-12 forme un ensemble, l’ensemble suivant doit com-
mencer en 13 et non pas en 11. Les unités ne peuvent pas se chevau-
cher comme ce serait le cas de 1-6 et 4-10 ; l’unité qui s’achève en 10
ne peut pas commencer soit en 3 soit en 4. Cela suppose évidemment

19
Voir Traité, « Les symétries partielles », 219-221.269-278.
20
Voir Traité, Chap. 3, « Les niveaux de composition », 131-215.
118 ROLAND MEYNET

que l’on distingue dans un psaume comme le Ps 90 plus de trois


niveaux de composition.
3. Liée à la question des niveaux, se pose celle de la fonction des
récurrences de signifiants. Un texte est un objet linguistique. L’analyse
syntaxique d’une phrase complexe (prélevée ci-dessus, p. 117) per-
mettra d’illustrer le propos. La phrase suivante : « La discussion avec
Pierre Auffret sera partielle, d’une part parce qu’il ne serait pas oppor-
tun d’alourdir inutilement le présent article, d’autre part et surtout parce
que quelques exemples suffiront pour illustrer les critiques de fond »,
comprend cinq propositions :
– La proposition principale, « La discussion avec Pierre Auffret sera
partielle », comprend les sept premiers mots et seulement ceux-ci.
Il n’est pas possible de dire que les trois mots suivants, « parce
qu’il », peuvent tout aussi bien en faire partie. Il n’est pas possible
non plus de dire que les trois mots qui précèdent la phrase, « celui
du livre », peuvent en faire partie : en effet ils font partie de la
phrase précédente.
– De la proposition principale dépendent deux propositions subordon-
nées causales (« d’une part parce qu’il ne serait pas opportun » et
« d’autre part et surtout parce que quelques exemples suffiront»).
3) De la première causale dépend une proposition infinitive, sujet
de « serait » (« d’alourdir inutilement le présent article »), et de la
deuxième causale dépend une finale (« pour illustrer les critiques de
fond »).
Les propositions sont donc organisées à trois niveaux, celui de la
principale, des causales qui dépendent de la principale, de l’infinitive
qui dépend de la première causale, et de la finale qui dépend de la
deuxième causale. Les limites entre les propositions ne sont pas lais-
sées au choix de l’analyste. Une réécriture de la phrase permettra de
visualiser sa structure syntaxique :
1. La discussion avec Pierre Auffret sera partielle,
2. d’une part parce qu’il ne serait pas opportun
3. d’alourdir inutilement le présent article,
2. d’autre part et surtout parce que quelques exemples suffiront
3. pour illustrer les critiques de fond.
– À l’intérieur de la proposition, ses constituants eux aussi ont
des limites précises. Le groupe sujet de la deuxième causale
est « quelques exemples », et il n’y a pas d’autre découpage
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 119

possible : on ne peut pas dire que le syntagme sujet est aussi


« que quelques exemples ».
– Quant à la fonction des syntagmes « d’une part » et « d’autre
part », ce sont les termes initiaux des deux causales, et il n’est
pas possible de leur reconnaître une autre fonction, comme
celle de « termes extrêmes » (ou « inclusion »).
Il est temps de critiquer une des analyses d’Auffret qui ne respecte
pas les principes à peine énoncés. Il visualise ainsi la composition
des versets 13-16 :

13a Reviens, YHWH ! Jusqu’à quand ?


+
13b Fais-toi-consolateur en faveur de tes serviteurs ;
14a rassasie-nous, au matin, de ta loyauté.
-----------
14b Nous crieronsμ
et nous nous réjouironsμ pendant nos joursε.
15a Réjouis-nousμ comme les joursε (où) tu nous as humiliés,
15b les annéesε (où) nous avons vu le mal(heur).
-----------
16a (Qu’)elle soit vue chez tes serviteurs, ton œuvre,
16b et ta splendeur, en faveur de leurs fils !

L’acribie de l’auteur est indéniable : aucune récurrence ne lui


échappe : « en faveur de » (13b.16b), « tes serviteurs » (13b.16a),
« se réjouir » (14bβ.15a), « jours » (14bβ.15a), « voir » (15b.16a).
Les lettres grecques en exposant lui permettent d’ajouter aux deux
occurrences de « se réjouir » un synonyme, « crier » (14b), et aux
deux occurrences de « jours » un terme qui fait partie du même
champ sémantique, « années » (15b). L’inventaire est complet, ou
presque : en effet, « reviens » (13a) et « fais-toi-consolateur » (13b ;
la plupart du temps traduit par « se repentir ») vont ensemble comme
synonymes, ou au moins comme « paire stéréotypée » ainsi qu’on la
trouve, par exemple, en Jon 3,9 : « Qui sait si Dieu ne reviendra pas
et ne se repentira pas, s’il ne reviendra pas de l’ardeur de sa colère ».
Que cette paire n’ait pas été retenue par Auffret est d’autant plus
étonnant qu’il recourt très fréquemment et systématiquement aux
paires stéréotypées, par exemple pour « crier » et « se réjouir »21.

21
P. AUFFRET, « Un cœur de sagesse. Étude structurelle du Psaume 90 »,
274, note 25 : « rnn/śmḥ selon Avishur p. 100.204.234.287.654 ». Voir Yitzhak
120 ROLAND MEYNET

Le premier niveau de composition des textes bibliques, en parti-


culier des textes dits poétiques est reconnu depuis fort longtemps.
Il fut systématisé par Robert Lowth en 1753, sous le nom de paral-
lelismus membrorum22. Laissant de côté l’aspect sémantique ou syn-
taxique (parallélisme synonymique, antithétique, constructif), Lowth
reconnaît non seulement l’existence du distique et du tristique, mais
aussi du monostique, c’est-à-dire de ce que nous appelons le seg-
ment unimembre, bimembre, et trimembre. Une fois identifiés cha-
cun des segments dans leurs limites propres, ces limites doivent être
respectées au niveau supérieur. Auffret distingue trois unités, sépa-
rées par un filet discontinu (13-14a ; 14b-15 ; 16). Il met ensemble,
à juste titre, les deux membres de 16 qui forment un segment
bimembre. En revanche 13b-14a ne forment pas une unité, parce
que 13b forme avec 13a un segment bimembre et qu’il en va de
même pour 14a et 14b. Toutes les correspondances qu’ils relèvent
ont une fonction rhétorique, c’est-à-dire qu’elles marquent la com-
position du texte, mais il faut déterminer à quel niveau celles-ci
jouent.
Voici comment on pourrait réécrire 13-16 pour en faire voir la
composition23 :

:: 13 Reviens, Yhwh ! Jusqu’à quand ?


:: et repens-toi TES SERVITEURS.

+ 14 Rassasie-nous au matin de ta fidélité,


+ et nous chanterons et NOUS NOUS RÉJOUIRONS dans tous nos JOURS.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
+ 15 RÉJOUIS-NOUS comme les JOURS (où) tu nous as châtiés,
+ les années (où) nous avons vu le malheur.
16
:: Que soit vue pour TES SERVITEURS ton œuvre,
:: et ta splendeur leurs fils !

AVISHUR, Stylistic Studies of Word-Pairs in Biblical and Ancient Semitic Literatures


(AOAT, 210), Neukirchen-Vluyn/ Kevelaer, Neukirchener Verlag/Butzon & Berc-
ker, 1984.
22
Robert LOWTH, De sacra poesi Hebraeorum praelectiones academicae Oxonii
habitae, Oxford, Clarendon, 1753 ; traduction française de la dix-neuvième leçon :
www.retoricabiblicaesemitica.org/Lowth_fr.html.
23
On verra plus loin que ces versets font en réalité partie d’une unité plus large
qui comprend aussi les versets 12 et 17.
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 121

Ces quatre segments bimembres, qui font partie de deux mor-


ceaux distincts, se correspondent de manière spéculaire. Les segments
extrêmes (13 et 16) ont en commun « tes serviteurs » et la préposition
« en faveur de ». Dans le second membre de 14 et dans le premier
de 15 « se réjouir » et « jours » remplissent la fonction de termes
médians qui agrafent les deux morceaux. À la fin de 15 et au début
de 16, les deux occurrences du verbe « voir » jouent le rôle de termes
médians qui agrafent les deux segments du deuxième morceau. Cela
dit pour les rapports entre les segments. En 13, c’est-à-dire à l’inté-
rieur du même segment, les deux impératifs par lesquels commence
chacun de ses deux membres sont en rapport de synonymie. Quant à
« nous chanterons » et « nous nous réjouirons » ils sont coordonnés
au début du deuxième membre de 14. À l’intérieur de 15, « les jours »
et « les années » sont juxtaposés, chacun dans un des deux membres
du même segment.
Noter les récurrences de signifiants, lexèmes et morphèmes, est
certes très important, mais ce ne sont pas là les seuls éléments linguis-
tiques qui sont utilisés pour marquer la composition des textes24. Les
modalités verbales, par exemple, font partie de ces éléments : ainsi les
trois premiers segments commencent par un impératif de deuxième
personne singulier : « Reviens » (13a ; doublé par « repens-toi » dans
le second membre), « Rassasie-nous » (14a), « Réjouis-nous » (15a) et
le quatrième segment commence par un jussif (qui est l’impératif de
troisième personne), « Que soit vue » (16a). Cette forme de symétrie,
que l’on peut considérer comme termes initiaux des quatre segments,
conforte de manière puissante l’unité de l’ensemble.
Ajoutons que la « réécriture » doit respecter les niveaux de compo-
sition : chaque membre se trouve sur une seule ligne, ses termes étant
alignés verticalement pour figurer le rythme, les segments sont séparés
par une ligne blanche, les morceaux par un filet discontinu. Au lieu
des exposants en grec, sont utilisés les artifices typographiques que
sont les différentes polices de caractères, les petites capitales, les ita-
liques, etc.25. Ce sont là désormais, grâce aux traitements de texte, des
ressources qui faisaient défaut autrefois.

24
C’est pourquoi un chapitre du Traité est consacré aux « Rapports entre éléments
linguistiques » (p. 113-130), aux plans lexical, morphologique, syntaxique, rythmique
et du discours, rapports d’identité et rapports d’opposition, totale ou partielle.
25
Tout le chapitre 5 du Traité est consacré à « La réécriture », pour laquelle des
règles ont été élaborées (285-344).
122 ROLAND MEYNET

1. COMPOSITION

Le psaume s’organise en trois parties. La première est une longue


plainte (1b-10) ; la troisième est une supplication (12-17). La partie
centrale, beaucoup plus courte (11), est la seule question du texte :
elle articule les deux autres parties26.

1.1 La première partie (1b-10)

Particulièrement développée, cette partie se subdivise en deux sous-


parties : la première (1b-3) expose la situation de l’homme par rapport
à Dieu, la deuxième, ponctuée par trois kî27, la reprend et la déploie en
trois temps.

1.1.1 La première sous-partie (1b-3)

+ 1b ADONAÏ, un refuge TOI


+ tu es pour nous,
:: DE GÉNÉRATION EN GÉNÉRATION.
2
+ Avant que les montagnes soient enfantées
+ et que tu engendres la terre et le monde,
:: DE TOUJOURS À TOUJOURS TOI (tu es) DIEU.
3
– Tu fais-revenir l’humain à la poussière
– et tu dis : « Revenez, fils d’Adam ! »

Les deux premiers segments sont des trimembres. Ils sont délimi-
tés par les deux noms divins, « Adonay » et « Dieu » (’ēl), qui font
inclusion, avec la reprise de « toi » ; dans leurs troisièmes membres
« de toujours à toujours » correspond à « de génération en généra-
tion ». Tandis que le premier segment dit la relation entre Dieu et
« nous », le second le présente par rapport à la création28. Dans le
premier segment, l’accompli hāyîtā est considéré avec le prédicat
« refuge » comme l’équivalent d’un « verbe statif » et donc traduit

26
Ainsi se vérifie une fois de plus la loi de la question au centre ; voir Traité,
417-435.
27
Traduit par « car » mais qui pourrait tout aussi bien être rendu par « oui » ;
voir Paul JOÜON, Grammaire de l’hébreu biblique, Rome, Institut biblique pontifical,
2
1965, 164b.
28
Le waw par lequel commence le dernier membre (2c) est ici considéré comme
waw d’apodose et n’est donc pas traduit (Joüon, 176f).
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 123

par un présent29 ; la proposition a le même statut temporel que la


proposition principale du second segment, qui est une phrase nomi-
nale : « toi (tu es) Dieu ».

Voici comment Auffret analyse les deux premiers versets :


La structure en chiasme de 1-2 ne fait pas difficulté. Elle s’appuie sur
la correspondance entre Seigneur et Dieu, la récurrence de toi (’th), et la
répartition des termes des paires stéréotypées toujours/génération, terre/
montagnes, enfanter/engendrer, ce qui donne :

1a Seigneur, une demeure,


1b (voilà ce que) toi tu as été pour nous
1c de générationα en générationα.
2a Avant que les montagnesβ
fussent engendréesγ,
2b (que) fût enfantéeγ
la terreβ et le monde,
2c depuis toujoursα jusqu’à toujoursα
toi (tu as été)
Dieu (’l).

Nous sommes donc ici devant un chiasme à dix termes. Il n’y a pas de
raison de réduire à trois rapports30 le texte de ces versets qui en pré-
sentent exactement cinq.

Les correspondances mises en évidence par Auffret sont indé-


niables. Il s’agit là de ce que j’appelais, à mes débuts, un « chiasme
lexical »31. Cette figure en effet ne prend en compte que les mots,
le lexique surtout mais aussi, en ce cas, les pronoms isolés, « toi ».
Elle laisse donc de côté tous les autres éléments linguistiques qui sont
utilisés pour composer un texte. Elle ne respecte pas en particulier
la composition en membres et en segments : le premier segment tri-
membre occupe les trois premières lignes de sa réécriture, tandis
que le deuxième trimembre est réparti sur sept lignes. La composi-
tion rythmique est ainsi « défigurée ». Si, par ailleurs, il est clair que

29
Voir Joüon, 112a. Il en va de même pour les trois premiers segments du Ps 85 :
« Tu désires, Seigneur ta terre, tu retournes le sort de Jacob... » ; voir Roland MEYNET,
« L’enfant de l’amour (Ps 85) », NRTh 112 (1990) 843-858, 844. Raymond Tournay
traduit : « D’âge en âge, Seigneur, c’est toi qui es notre abri », Le Psautier de Jérusa-
lem, Paris, Éd. du Cerf, 1986, 141.
30
M. GIRARD, Les psaumes redécouverts, II., 504-505 (note d’Auffret).
31
Roland MEYNET, Quelle est donc cette Parole ? Lecture « rhétorique » de
l’évangile de Luc (1–9 et 22–24) (LeDiv, 99 A.B), Paris, Éd. du Cerf, 1979, vol. A,
59-60.130-137.175-177.
124 ROLAND MEYNET

« Adonaï » + « toi » de 1b et « toi » + « Dieu » de 2c font inclusion,


la fonction des deux syntagmes synonymes « de génération en généra-
tion » (1d) et « de toujours à toujours » (2c), qui se trouvent dans les
troisièmes membres des deux segments, remplissent la fonction de
termes finaux.
Le troisième segment (3) est un bimembre où la racine šwb revient
dans chaque membre, au hiphil (« fais-revenir ») puis au qal (« reve-
nez ») ; à « l’humain » (’ĕnôš)32 du premier membre correspond
« fils d’Adam » dans le second. Ce segment est diversement inter-
prété33, en particulier selon le type de relation que l’on voit entre ses
deux membres :
La double occurrence du verbe šwb au verset 3 est interprétée par la plupart
des exégètes dans le sens d’un parallélisme synonymique. Cependant, on
peut aussi supposer un parallélisme synthétique si l’on interprète le verbe
šwb différemment dans le second demi-verset, pensant non pas à un « retour
à la poussière », mais à un « retour à la vie », à savoir le remplacement
d’une génération ancienne par une nouvelle34.
L’interprétation la plus courante, en effet, voit dans le premier
membre, et aussi dans le deuxième, une référence à Gn 3,19 : « car
poussière tu es et à la poussière tu retourneras »35. Celle du renouvel-
lement des générations est confortée par la composition de la partie qui
fait apparaître le rapport du verset 3 avec le premier verset où la pro-
tection divine s’étend « de génération en génération ».
D’autres écartent la référence au récit de la chute, car le dernier
mot de 3a n’est pas ‘āpār comme en Gn 3,19, mais l’hapax dakkā’ 36 ;
au piel le verbe dk’ signifie « écraser » (Ps 72,4 ; 89,11 ; Is 53,10),
« broyer » (Ps 34,19 ; Is 57,15)37. Il s’agirait en fait du châtiment divin
destiné à faire revenir l’homme de son péché. Évode Beaucamp écrit :

32
Ce terme connote la fragilité de l’homme : « Qu’est-ce que l’humain pour que
tu t’en souviennes et le fils d’adam pour que tu t’en soucies ? » (Ps 8,5).
33
Curieusement, certains passent outre ce verset, n’en disant pas un mot : L. JAC-
QUET, Les Psaumes et le cœur de l’homme, II, 723.726 ; Robert ALTER, The Book of
Psalms: A Translation with Commentary, New York, NY – London, Norton, 2007, 318.
34
Christine FORSTER, Begrenztes Leben als Herausforderung : Das Vergänglich-
keitsmotiv in weisheitlichen Psalmen, Zürich, Pano Verlag, 2000, 137-200, 147, cité
par F.-L. HOSSFELD – E. ZENGER, Psalms 2, 417.
35
Ainsi, entre autres, Hans-Joachim KRAUS, Psalmen, Neukirchen-Vluyn, Neu-
kirchener Verlag, 1960 ; trad. anglaise, Psalms 1–59; Psalms 60–150, Minneapo-
lis, MN, Fortress Press, 1993, II, 215-216 ; G. RAVASI, Il libro dei Salmi, II, 884 ;
J.-L. VESCO, Le psautier de David, 847.
36
Ainsi F.-L. HOSSFELD – E. ZENGER, Psalms 2, 422.
37
Donc aussi « humilier » ; la Septante traduit dakkā’ par tapeinōsis.
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 125
On a trop hâtivement vu dans le v. 3 une allusion à Gn 3,19 : « car tu es
poussière et tu retourneras à la poussière ». Le mot clé « poussière » ne
figure pas en fait dans notre texte. De toute manière, il faudrait limiter le
rapprochement au premier hémistiche : « tu renvoies l’homme à son écra-
sement » ; car la formule du deuxième hémistiche : « et il dit : reviens ! »,
n’évoque pas le retour à la glaise première, ce qui ne serait qu’une plate
répétition de la proposition précédente. Lorsqu’on ne précise pas la direc-
tion, en effet, le verbe « revenir » implique un mouvement vers la per-
sonne qui parle : « convertimini ! »38.

Et Luis Alonso Schoekel commente :


Dans tout le psaume, Dieu parle une seule fois, donnant l’ordre de retour-
ner. Un impératif aussi général ne peut-il pas fonctionner dans une autre
direction ? « Retournez » (v. 3). Vers où ? S’ils sont faits de terre, à la
terre ; mais s’ils sont de Dieu, comme son image, pourquoi ne doivent-ils
pas retourner à Dieu ? Retournez : où retournerons-nous, à qui retourne-
rons-nous ? N’est-ce pas Lui notre refuge ou notre demeure de génération
en génération ? « Ce qui vient de la terre retourne à la terre, ce qui vient
du ciel retourne au ciel » (Si 40,11)39.

Selon cette interprétation aussi, un rapport est établi entre les


versets 1 et 3, ce qui rejoint l’analyse de la composition de la sous-
partie 1-3.
Parmi les commentateurs juifs, tandis que Ibn Ezra lit dans le
verset 3 la référence au récit de la chute (Gn 3,19), Rashi interprète le
second membre comme un appel au repentir : « Retournez, mortels, de
votre mauvaise conduite »40. Quant au commentaire moderne d’Emma-
nuel, il est tout entier focalisé sur le « retour », celui de l’homme (3)
et celui de Dieu (13)41 :
D’un côté la grandeur et l’éternité (90,2), de l’autre un souffle aussi fragile
que l’herbe qui fleurit le matin et sèche le soir (90,5-6). Mais si Dieu fait
rentrer l’homme dans la poussière, il le fait aussi rentrer dans la contrition
et le repentir, car telle est la signification ambiguë du terme qu’emploie
l’Écriture (90,3). Il ne s’agit donc pas dans ce verset de la mort physique
mais bien au contraire de la renaissance de l’homme. C’est pourquoi
le psaume ajoute que Dieu dit à l’homme : Retourne. Mais de son côté
l’homme répond à Dieu : Retourne, Seigneur, repens-toi (90,13), comme

38
Évode BEAUCAMP, Le Psautier (SBi), Paris, Gabalda, 1979, II, 96-97 (je sou-
ligne). Pace G. RAVASI, Il libro dei Salmi, II, 884, nt. 24.
39
L. ALONSO SCHOEKEL – C. CARNITI, I salmi, II, 260.
40
Mayer I. GRUBER (éd.), Rashi’s Commentary on Psalms, Leiden – Boston, MA,
Brill, 2004, 575.577.
41
EMMANUEL, Commentaire juif des Psaumes, Paris, Payot, 1963, 242-244.
126 ROLAND MEYNET

le disait Moïse : Reviens de l’ardeur de ta colère et repens-toi du mal que


tu veux faire à ton peuple (Ex 32,12). C’est par le repentir et le retour que
se rejoignent l’infiniment grand et l’infiniment petit42.
Cette interprétation est celle de la Septante, suivie par la Vulgate :
et dixisti convertimini filii hominum. C’est aussi celle du Targoum :
« Tu frappes le fils de l’homme, à cause de son péché, jusqu’à la mort,
et tu dis : convertissez-vous, fils de l’homme »43.
Le dernier segment (3) se trouve en opposition directe avec le pré-
cédent, la caducité de l’homme étant comparée à l’éternité de Dieu :
leurs derniers mots, « Dieu » et « Adam », remplissent la fonction de
termes finaux. Il se trouve aussi en rapport avec le premier segment,
pour les raisons qui viennent d’être mentionnées avec les citations de
Forster, de Beaucamp et d’Alonso Schoekel.
On notera aussi que le vocabulaire de la filiation parcourt les trois
versets : « de génération en génération » (1), « soient enfantées » et
« tu engendres » (2), « fils d’Adam » (3).

1.1.2 La deuxième sous-partie (4-10)

– 4 CAR mille ANNÉES à tes yeux


– comme LE JOUR d’hier quand il est emporté
– et une veille dans la nuit.
: 5 Tu les submerges, sommeil ils sont ;
- au matin (ils sont) comme l’herbe qui se renouvelle.
- 6 Au matin, elle fleurit et se renouvelle ;
: le soir, elle se fane et sèche.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------
. 7 CAR NOUS SOMMES ACHEVÉS par ta colère,
. et par ta fureur NOUS SOMMES ÉPOUVANTÉS :
8
. tu as mis NOS FAUTES devant toi,
. nos secrets à la lumière .
---------------------------------------------------------------------------------------------------------
9
– CAR tous NOS JOURS sous ton emportement,
– NOUS ACHEVONS NOS ANNÉES comme un soupir.
: LES JOURS
10
de NOS ANNÉES,
: en eux soixante-dix ANNÉES,
: et si par miracles quatre-vingt ANNÉES ;

- et leur excitation PEINE et FAUTE,


- car elle dispara t rapidement et nous nous envolons.

42
EMMANUEL, Commentaire juif des Psaumes, 242.
43
Cité par J.-L. VESCO, Le psautier de David, 847.
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 127

Dans le premier morceau, le premier segment (4) s’oppose aux deux


suivants (5-6) : le premier dit la durée immense, illimitée, du temps
de Dieu, les deux autres l’extrême brièveté de l’existence humaine.
Le premier membre de 5 est difficile, comme en témoignent les tra-
ductions des anciennes versions ; il a donné lieu à des interprétations
diverses, sans parler des multiples corrections qu’il a dû subir44. La
composition spéculaire des versets 5-6, dont les membres médians (5b-
6a) disent la vie qui « se renouvelle »45 (deux fois), permet de poser
que les membres extrêmes se correspondent aussi, en opposition aux
deux autres. « Sommeil ils sont » se comprend mieux en relation avec
« elle se fane et sèche ». Le « sommeil » de 5a est celui de la mort46 ;
il est causé par le Seigneur qui les « submerge »47. On notera en outre
la reprise de « comme » dans les deuxièmes membres des deux pre-
miers segments (4b.5b) ainsi que le rapport de paronomase entre
« années » (šānîm) et « sommeil » (šēnâ), qui se trouvent en même
position, en deuxièmes termes des premiers membres des deux pre-
miers segments (4a.5a).
Dans le deuxième morceau (7-8) le premier segment est de com-
position spéculaire ; dans le second, le verbe du premier membre n’est
pas repris dans le deuxième, mais son absence est compensée par les
deux termes « à la lumière de ta face » qui correspondent à « devant
toi ». La « colère » et la « fureur » du Seigneur (7) sont causées par
« nos fautes » et « nos secrets » (8). Le second segment dit l’action de
Dieu, le premier son effet sur les hommes.
Dans le troisième morceau les deux derniers segments, qui for-
ment une seule phrase (10), reprennent et développent le premier (9).
Le dernier segment (10de) fait écho au premier membre du pre-
mier segment (9a), la « faute » méritant l’« emportement » de Dieu,
et « disparaît » renvoyant à « s’effacent »48 ; quant au deuxième

44
Par exemple, David WINTON THOMAS, « A note on zeramtam šena jihejû in
Psalm 90,5 », VT 18 (1968) 267-268 ; Charles WHITLEY, « The Text of Psalm 90,5 »,
Bib 63 (1982) 555-557 ; Matitiahu TSEVAT, « Psalm XC 5-6 », VT 35 (1985) 115-117 ;
Aron PINKER, « The Famous but Difficult Psalm 90:10 », OTE 28 (2015) 497-522.
Voir J.-L. VESCO, Le psautier de David, 848, nt. 1.
45
Le verbe ḥlp est souvent traduit par « passer » (déjà la Septante et la Vulgate) ;
cependant la racine a aussi le sens de « se renouveler » (ainsi F.-L. HOSSFELD – E. ZEN-
GER, Psalms 2, 416.422 ; L. ALONSO SCHOEKEL – C. CARNITI, I salmi, II, 250.252).
46
Voir, par exemple, Ps 76,6 ; Jr 51,39 : « pour qu’ils [...] s’endorment d’un
sommeil éternel, pour ne plus se réveiller ».
47
Le substantif zerem signifie la pluie d’orage qui déferle et dévaste (Is 4,5 ;
30,30 ; Ha 3,10 : « une trombe d’eaux passe »).
48
Le premier mot de 10d est un hapax. La Septante a traduit : kai to pleion autōn
et la Vulgate : et amplius eorum. On a compris : « et les plus nombreuses d’entre
128 ROLAND MEYNET

segment (10abc), il reprend le second membre du premier segment (9b),


le nombre limité de nos « années » équivalant à la durée d’« un
soupir ». On pourra noter que les deux « car » (9a.10e) jouent le rôle
de termes initiaux des membres extrêmes.
Les trois morceaux commencent par « car » dont les occurrences
jouent le rôle de termes initiaux. Avec leurs trois segments, deux
bimembres et un trimembre, les morceaux extrêmes sont plus dévelop-
pés que le morceau central. Le premier et le dernier morceau com-
mencent avec la reprise de « années » et « jours » (4ab.9ab) ainsi que
de « comme » (4b.9b), qui jouent donc le rôle de termes initiaux49.
Les deux morceaux insistent sur la brièveté de la vie humaine, tou-
jours en relation avec Dieu au début de chaque morceau, son éternité
d’abord (4), son « emportement » ensuite (9a).
Le morceau central assure le passage entre les deux autres. Les rap-
ports sont très appuyés avec le dernier morceau : « achever » revient en
7a et 9b, « fautes » en 8a et 10d, « ton emportement » (9a) est syno-
nyme de « ta colère » et « ta fureur » (7). Les deux termes du couple
« peine et faute » à la fin de la sous-partie (10d) renvoient au centre.
« Peine » rappelle les deux verbes de 7 (« nous sommes achevés »,
« nous sommes épouvantés ») et « faute » renvoie aux deux complé-
ments d’objet de 8 (« nos fautes », « nos secrets »). Enfin on pourra
noter que « ta face » (pānèkā : 8b) est en rapport de paronomase avec
« s’effacent » (pānû : 9a)50 jouant le rôle de termes médians entre les
deux parties. En revanche les deux premiers morceaux n’ont aucun
lexique en commun ; toutefois, « à la lumière de ta face » par quoi
s’achève le morceau central (8b), n’est pas sans rappeler « à tes yeux »
au début du premier morceau (4a).

Auffret considère 4-10 comme un « ensemble » :


La disposition suivante du texte nous aidera à en percevoir la structure.
Le trait à gauche marque les passages portant sur la brièveté de la vie, les
encadrés au trait plein ceux portant sur la colère divine, les encadrés au
trait discontinu ceux sur le péché (p. 268).

elles », « la plupart d’entre elles », ou « ce qui vient en plus » (de quatre-vingt années).
Ceux qui suivent le texte hébreu, sans le corriger, interprètent, selon le sens de la racine
rhb, soit par « orgueil », soit par « trouble », « tourment » (Pr 6,3 ; Ct 6,5) ou « agita-
tion » (J.-L. VESCO, Le psautier de David, 850).
49
À quoi on peut ajouter « il est emporté » (4b) et « ton emportement » (9a) qui
sont de même racine.
50
La traduction qui rend le jeu de mots est proposée par G. Ravasi (I salmi, II,
888-889).
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 129

Heureusement que l’auteur précise que « La symétrie concentrique


autour de 8 en 4-10b est aisément repérable » (269), car cela ne saute
pas aux yeux. Après avoir relevé les rapports entre les cinq « pas-
sages » qu’il a annoncés, il conclut :
Pour ce qui est de 10c il fait écho au centre 8 de 4-10b, revenant sur le
thème du péché (cause de la colère), tandis que 10d revient une dernière
fois sur le thème de la brièveté de nos jours. On pourrait voir en 10 une
symétrie concentrique simple où, autour de 10c, 10ab et 10d traitent du
même thème (p. 270).

Auffret a bien identifié 4-6 comme une unité, dans laquelle


il distingue 4 de 5-6, même s’il ne marque pas la limite entre
les deux segments bimembres 5 et 6 ; on en dira autant de ses
« passages » suivants 7ab et 8ab dont les limites sont marquées
par ses encadrés. Il a certes raison de séparer ces deux segments
par un point-virgule, mais on ne voit pas autrement que, au
niveau supérieur, ils vont ensemble pour former un « morceau ».
Quant à 9a, c’est le premier membre du bimembre 9ab ; or il fait
de 9a un « passage » et il met ensemble 9b avec 10ab, parce
que s’y retrouvent les deux seules occurrences de « nos années ».
Or, au niveau du segment 9ab, « nos années » correspondent à
« tous nos jours » ; et ce sera au niveau supérieur (le morceau 9-
10) que ces deux occurrences joueront le rôle de termes médians
entre les deux segments 9 et 10abc. Enfin, les deux derniers
membres du verset 10 (10c et 10 d) sont pour Auffret autant de
« passages » qui, en outre, se trouvent en dehors de sa « struc-
ture concentrique » 4-10b. C’est donc toujours le même pro-
blème qui se pose, celui de la distinction et de la hiérarchisation
des niveaux. Le second problème, corrélatif du premier, est celui
de déterminer le rôle des récurrences, en fonction du niveau où elles
jouent. Les trois premiers « car » ont comme fonction de marquer
(bien sûr avec d’autres symétries) les débuts des trois morceaux de
la sous-partie (4a.7a.9a ; voir la réécriture, p. 126) ; quant au qua-
trième (10e), c’est au niveau du dernier morceau qu’avec celui de 9a
ils jouent le rôle de termes initiaux des membres extrêmes. On
comprend donc l’importance de la réécriture qui doit donner à
voir de manière claire et hiérarchisée la composition du texte.
Les deux occurrences de « achever » (7a.9b) se trouvent en posi-
tion symétrique, dans le premier segment de chacun des deux
130 ROLAND MEYNET

derniers morceaux51. L’auteur écrit : « On notera que 7 et 9a


comportent un terme qu’on retrouve respectivement en 9b (ache-
ver) et en 4 (emportement/emporter) ». En somme, les analyses
d’Auffret sont extrêmement fouillées et bien peu de rapports lui
échappent, mais elles sont très difficiles à suivre, par manque de
clarté et d’organisation. Ce n’est pas étonnant que son propre
texte soit si peu structuré, puisque la structure du texte biblique
ne l’est pas davantage. Très vite le lecteur se perd dans les
détails et la multiplicité des compositions qui se chevauchent,
jusqu’à en avoir le tournis.

4a Car mille annéesε à tes yeux


4b (sont) comme le jourεη d’hier (’tmwl) - car il est emportéζ -,
4c (comme) une veille-de-garde dans la nuitηι.
+
5a Tu les as renversés (à l’état de) sommeil.
5b Ils sont au matinθι, comme l’herbe (qui) change;
6a Au matinθι elle fleurit, (mais) elle change :
6b au soirθ, elle est fauchée (ymwll) et se dessèche.

7a Car nous avons été achevés par ton nez-en-colèreζλ,


7b par ta fureurλ, nous avons été bouleversés;

8a tu as mis nos fautes devant toi,


8b notre (péché) caché à la lumière de ta face.

9a Car tous nos joursε ont-fait-face à ton emportementζ.

9b Nous avons achevé nos annéesε comme (dans) un murmure.


+
10a les joursε de nos annéesε :
en eux (il y a) soixante-dix (fois) une annéeε,
10b et, si (on les vit) avec robustesses,
quatre-vingt (fois) une annéeε.

10c Leur (seule) fierté, (c’est) le travail-pénibleσ et l’iniquitéσ.

10d Car (tout) s’est déroulé (à) la hâte, et nous nous envolons.

51
Il est étonnant qu’Auffret n’ait pas signalé graphiquement cette récurrence.
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 131

1.1.3 L’ensemble de la première partie (1b-10)

+ 1b Adonaï, un refuge toi


+ tu es pour nous
:: de génération en génération.
+ 2 Avant que les montagnes soient enfantées
+ et que tu engendres la terre et le monde,
:: de toujours à toujours toi (tu es) Dieu.
3
= Tu fais-revenir l’humain À LA POUSSIÈRE
= et tu dis : « REVENEZ, fils d’Adam ! »

– 4 Car mille années à tes yeux


– comme le jour d’hier quand il est emporté
– et une veille dans la nuit.
: 5 Tu les submerges, SOMMEIL ils sont ;
- au matin (ils sont) comme l’herbe qui se renouvelle.
- 6 Au matin, elle fleurit et se renouvelle ;
: le soir, elle se fane et SÈCHE.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------
. 7 Car NOUS SOMMES ACHEVÉS par ta colère,
. et par ta fureur NOUS SOMMES ÉPOUVANTÉS.
. 8 Tu as mis NOS FAUTES devant toi,
. NOS SECRETS à la lumière de ta face.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------
– 9 Car tous nos jours s’effacent sous ton emportement,
– nous achevons nos années comme un soupir.
: 10 Les jours de nos années,
: en eux soixante-dix années,
: et si par miracles quatre-vingt années ;
= et leur excitation PEINE ET FAUTE,
= car elle dispara t rapidement et nous nous envolons.

Les deux sous-parties n’ont aucun vocabulaire commun. Toutefois, on


a déjà remarqué que « peine » et « faute » à la fin de la deuxième sous-
partie (10d) font écho au centre à « nous sommes achevés » et « nous
sommes épouvantés » (7) et à « nos fautes » et « nos secrets » (8). Or,
ces deux termes correspondent aussi à « la poussière » et à « revenez »
à la fin de la première sous-partie. Ce que le Seigneur demande aux
fils d’Adam est de « revenir » de leurs fautes ; quant au terme traduit
par « poussière », qui signifie « écrasement », « châtiment »52, mais

52
Voir p. 124.
132 ROLAND MEYNET

qui connote aussi la mort, il annonce « la peine » (10d) par laquelle


« nous sommes achevés » et « nous sommes épouvantés » (7). Ainsi
les deux sous-parties se correspondent par leur finale.
Le thème de la caducité humaine opposée à l’éternité de Dieu et
celui du péché de l’homme dont le Seigneur veut le sauver en l’invi-
tant à la conversion s’entrecroisent dans les deux sous-parties. L’éter-
nité de Dieu se trouve en 2 et en 4, la caducité de l’homme en 3a, en
5a et 6b (où « sommeil » et « [elle] sèche » appartiennent au même
champ sémantique de la mort que « la poussière » de 3a), en 7 et enfin
en 9-10. Le péché de l’homme apparaît clairement au centre de la deu-
xième sous-partie (8) puis en 10d, et c’est de ce péché que Dieu invite
l’homme à « revenir » (3b). Le lien entre les deux thèmes est spé-
cialement visible au centre de la deuxième sous-partie : en 7 la fin de
l’homme (« nous sommes achevés ») est provoquée par Dieu (comme
en 3a, puis en 9), par sa « colère », sa « fureur », à cause des « fautes »
et des « secrets » de l’homme (8). Cependant il ne faudrait pas oublier
que toute la partie est adressée à « Adonaï » en tant que « refuge » :
si l’homme doit « revenir » de sa « faute », c’est pour se réfugier en
son Seigneur, car c’est vers lui qu’il « revient ». Le châtiment n’a
d’autre motivation que le salut.

1.2 La deuxième partie (11)

11
Qui conna t la force de ta colère
et comme la crainte-de-toi ton emportement ?

Il est avéré que le centre des compositions concentriques est tou-


jours énigmatique53. On ne s’étonnera donc pas que le cas présent
ne déroge pas à la loi. « Ton emportement » est synonyme de « ta
colère » ; « crainte de toi » devrait donc correspondre à « ta force ».
Quand on ne comprend pas un texte, la solution de facilité est de le
changer, de le « corriger ». C’est ce que n’ont pas manqué de faire
plusieurs : « Si nous vocalisons d’une autre façon, on obtient un
parallélisme rigoureux :

53
Voir Roland MEYNET, « The Question at the Centre: A Specific Device of Rhe-
torical Argumentation in Scripture », dans : Anders ERIKSSON – Thomas H. OLBRICHT –
Walter ÜBELACKER (éd.), Rhetorical Argumentation in Biblical Texts. Essays from the
Lund 2000 Conference (ESEC, 8), Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2002,
200-214 ; ID., Traité, 417-435 ; ID., « Rhétorique biblique, rhétorique de l’énigme »,
Rhetorica 33 (2015) 147-180.
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 133
Mî yôdē‘ ‘oz ’appekā
Mî rô’e tok ‘ebrātekā »
Qui comprend la véhémence de ta colère,
qui voit l’impétuosité de ta fureur54 ?
Cette traduction est adoptée par Dhorme et par Osty, qui écrit en
note : « Texte légèrement corrigé » (sic !).
Une telle solution ne fait qu’aplatir le texte. À suivre le texte mas-
sorétique, on peut penser que les deux membres sont plutôt complé-
mentaires. La BJ respecte le texte original : « Qui sait la force de ta
colère et, te craignant, connaît ton courroux ? ». La TOB traduit :
« Qui peut connaître la force de ta colère ? Plus on te craint, mieux on
connaît ton courroux ! ». On lit en note : « Litt. et comme ta crainte,
ton courroux, c.-à-d. ton courroux est bien à la mesure de la crainte que
tu inspires ». J.-L. Vesco traduit : « Qui connaît la force de ta colère ?
Et comme ta crainte est ton emportement ». Et son commentaire ne
laisse pas d’être quelque peu hésitant, en tout cas prudent :
Personne ne peut savoir jusqu’où peuvent aller la force de la colère
divine, la crainte qu’elle inspire et son emportement. On peut aussi com-
prendre que l’attitude que l’homme doit avoir, vu cette imprévisibilité,
c’est de craindre Dieu à la mesure de son emportement, ou encore que la
mesure de l’hommage non rendu à Dieu est la mesure de son jugement55.
Du point de vue grammatical, faut-il considérer – avec Alonso
Schoekel – Carniti, Dhorme, Osty et la BJ – qu’il s’agit d’une seule
phrase qui coordonne ou juxtapose deux questions ? Ou s’agit-il au
contraire de deux phrases distinctes, une question suivie d’une affir-
mation, comme interprètent la TOB et Vesco ?
En hébreu, les deux membres sont coordonnés par « et ». L’unique
verbe régit deux compléments d’objet direct, « la force de ta colère »
et « ton emportement ». Il faut donc comprendre que le verbe n’est pas
répété dans le second membre, que l’on pourrait lire ainsi : « et (qui
connaît) comme la crainte de toi ton emportement ? »56. « La force »
est celle qu’exerce le Seigneur sur l’homme par sa « colère », « la
crainte » est celle que l’homme éprouve envers son Seigneur à cause
de son « emportement ».
54
L. ALONSO SCHOEKEL – C. CARNITI, I salmi, II, 253.266. Ces auteurs suivent
Gunkel et Kraus et sont suivis par G. Ravasi qui rapporte un certain nombre de recons-
tructions (Il libro dei salmi, II, 892).
55
J.-L. VESCO, Le psautier de David, 851.
56
Ainsi Amos HAKHAM, Sefer tehillîm, II, Jérusalem, Mosad ha-Rab Kook, 1988,
165 : « et qui connaît ton emportement comme la crainte de toi ? ».
134 ROLAND MEYNET

1.3 La troisième partie (12-17)

+ 12 Compter NOS JOURS oui, FAIS-NOUS CONNAITRE,


= et nous ferons-venir un cœur de sagesse !
:: 13 REVIENS, !
Jusqu’à quand ?
:: et REPENS-TOI pour TES SERVITEURS.
14
+ RASSASIE-NOUS au matin de ta fidélité,
= et nous chanterons et NOUS NOUS RÉJOUIRONS dans tous NOS JOURS.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
+ 15 RÉJOUIS-NOUS comme LES JOURS (où) tu nous as châtiés,
– les années (où) nous avons vu le malheur.
16
:: QUE SOIT VUE pour TES SERVITEURS ton œuvre,
:: et ta splendeur sur leurs fils !
+ 17 Et QUE SOIT la douceur sur nous !
– et l’ouvrage de nos mains ASSURE sur nous
– et l’ouvrage de nos mains ASSURE-le !

La dernière partie du psaume est marquée du début à la fin par


les demandes, impératifs surtout (12a.13a.13c.14a.15a.17b.17c), mais
aussi jussifs (16a.17a) ce qui n’était pas le cas ni dans la première
partie (1-10), ni dans la deuxième (11).
Le premier morceau (12-14) est de construction concentrique. Les
segments extrêmes sont parallèles: leurs premiers membres expriment
une demande à Dieu et leurs seconds membres la réponse des hommes
qui s’ensuivra : « et nous ferons-venir... » (12b), « et nous chante-
rons... » (14b). Les deux occurrences de « nos jours » font inclu-
sion (12a.14b). On peut dire que les termes finaux de 12b et de 14a,
« sagesse » et « fidélité », se correspondent comme qualités complé-
mentaires de l’homme et de Dieu. Au centre (13), un trimembre dont
les membres extrêmes sont complémentaires, le premier nommant le
sujet de « revenir », « Yhwh », et le dernier les bénéficiaires de son
action de « se repentir »57, ses « serviteurs ». Le membre central, qui
est aussi le centre de tout le morceau, est une question58.

57
Plusieurs traduisent par « avoir-pitié » (BJ, Osty, F.-L. HOSSFELD – E. ZENGER,
Psalms 2, 417). Les deux verbes šwb qal et nḥm niphal forment un couple, par
exemple en Jon 3,9-10 : « 9 “Qui sait si Dieu ne reviendra pas et ne se repentira pas,
s’il ne reviendra pas de l’ardeur de sa colère, en sorte que nous ne périssions point ?”
10
Dieu vit ce qu’ils faisaient pour revenir de leur conduite mauvaise. Aussi Dieu se
repentit du mal qu’il avait dit qu’il leur ferait et il ne le fit pas » (ainsi TOB, J.-L. VESCO,
Le psautier de David, 845).
58
Encore un cas, mineur, de question au centre (voir p. 116, note 17).
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 135

Comme le premier, le deuxième morceau (15-17) comprend trois seg-


ments, dont on peut dire qu’ils sont aussi organisés de manière concen-
trique. Le segment central en effet articule les deux autres. Tandis que
dans le premier segment la demande de joie est opposée à un passé de
malheur, dans le second c’est le futur qui est contemplé, non seulement
pour ceux qui prient, « tes serviteurs », mais aussi pour « leurs fils ».
Les deux occurrences de « voir » agrafent les deux segments. Par ail-
leurs, le segment central est lié au dernier segment d’abord par leurs
verbes initiaux qui sont au jussif et sont en outre liés par le coordon-
nant « et », ensuite par les synonymes « ton œuvre » et « l’ouvrage ».
Il s’agit d’abord de « l’œuvre » du Seigneur, puis de « l’ouvrage » de
ses serviteurs. On remarquera aussi que dans les segments extrêmes les
bénéficiaires de l’intervention divine sont à la première personne du
pluriel (« nous » / « nos »), ce qui n’est pas le cas dans le segment
central. Le dernier segment est marqué par l’élargissement final de son
troisième membre qui répète en l’abrégeant le membre précédent.
D’un morceau à l’autre, les deux occurrences de « jours » de 12a
et 15a jouent le rôle de termes initiaux, celles de 14b et 15a de termes
médians, de même les deux occurrences de « se réjouir » (14b.15a),
les deux occurrences de « tes serviteurs » de termes centraux (13c.16a).
À « Yhwh » (13a) correspond « le Seigneur notre Dieu » (17a). Le
phénomène à peine relevé dans le dernier morceau – le fait que les
segments extrêmes sont en « nous » (15.17), contrairement au segment
central (16) – ce phénomène se vérifie aussi dans le premier morceau.

1.4 L’ensemble du psaume


Les trois parties étant organisées de manière concentrique, il convient
d’abord de relever les rapports entre les deux longues parties extrêmes,
avant d’examiner ceux qui lient la partie centrale avec les deux autres.
1.4.1 Les rapports entre les parties extrêmes (1b-10 et 12-17)
Les termes communs aux deux parties les plus fréquents sont
« années » (4a.9b.10a.10b.10c ; 15b) et « jour(s) » (4b.9a.10a ; 12a.
14b.15a) ; chacun revient six fois. À part 4 et 15, ces termes sont tou-
jours accompagnés du possessif de première personne du pluriel (en 9a
et en 14b, s’y ajoute l’adjectif « tous »). Appartenant au même champ
sémantique du temps, « au matin » est employé trois fois (5b.6a ; 14a).
Le terme « fils » (3b ; 16b) n’est pas sans rapport avec ceux du temps.
À « tu fais revenir » et « revenez » de la première partie (3a.3b) cor-
respondent dans la dernière partie « reviens » et « repens-toi » (13a.13c).
136 ROLAND MEYNET

+ 1b ADONAÏ, toi
+ TU ES pour nous
:: de
TU ESgénération en génération.
+ TU ES
2 Avant que les montagnes soient enfantées
+ et que tu engendres la terre et le monde,
:: de toujours à toujours toi (tu es) DIEU.
= 3 TU FAIS-REVENIR l’humain à la poussière
= et tu dis : « REVENEZ, à la poussière
FILS d’Adam ! »
FILS
àà la
– 4 Car mille ANNÉES tespoussière
yeux
– comme le JOUR d’hier FILS il est emporté
quand
JOUR
– et une veille dans la nuit.
JOUR
: 5 Tu les submerges, sommeil ILS SONT ;
- (ils sont) comme l’herbe qui se renouvelle.
-6 , elle fleurit et se renouvelle ;
: le soir, elle se fane et sèche.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
. 7 Car nous sommes achevés par ta colère,
. et parnous sommes achevés
ta fureur nous sommes épouvantés.
. Tu as mis sommes achevés
8 nous nous sommes épouvantés devant toi,
nos fautes
. nos secrets nous sommes épouvantés de ta face.
à la lumière
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
– 9 Car tous nos JOURS s’effacent sous ton emportement,
tous nos JOURS
– nous achevons nos ANNÉES comme un soupir.
: 10 Les tous
JOURS nos JOURS nosnos ANNÉES,
de
: en euxJOURS nosnos
soixante-dix ANNÉES,
: et si par miracles
JOURS quatre-vingt
nos ANNÉES ;

= et leur excitation peine et faute,


= car elle dispara t rapidement et nous nous envolons.

[...]
nos JOURS
nos JOURS
+ 12 Compter nos JOURS oui, fais-nous conna tre,
= et nous ferons-venir un cœur de sagesse !
:: 13 REVIENS, YHWH !
Jusqu’à quand ?
:: et REPENS-TOI pour tes serviteurs. tous nos JOURS
+ 14 Rassasie-nous de ta tous nos JOURS
fidélité,
= et nous chanterons et nous nousJOURS réjouirons danstutous nousnosasJOURS
châtiés .
JOURS le malheur
tu nous as châtiés
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
+ 15 Réjouis-nous comme les JOURS le
(où)malheur
tu nous as châtiés,
– les ANNÉES (où) nousFILSavons vu le malheur.
:: 16 Que FILS
QUE SOITsoit vue pour tes serviteurs ton œuvre,
:: et QUE
ta splendeur
SOIT sur leurs FILS !
+ 17 Et QUE SOIT d’ADONAÏ NOTRE DIEU sur nous !
– et l’ouvrage de nos mains assure sur nous
– et l’ouvrage de nos mains assure-le !
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 137

À « Adonaï » et « Dieu » dans le premier morceau de la première


partie (1b.2c) répondent « Yhwh » et « Adonaï notre Dieu » répartis
dans les deux morceaux de la dernière partie (13a ; 17a).
Le verbe « être » se trouve dans les segments extrêmes (1c ; 17a)
et aussi en 5a.
Enfin « refuge » (1b : mā‘ôn) et « douceur » (17a : nō‘am), qui se
trouvent en position symétrique comme deuxièmes termes des segments
extrêmes, sont en rapport spéculaire de paronomase.
Le vocabulaire du péché qui marque la première partie, « fautes »
(8a.10d) et « secrets », n’est pas repris dans la dernière partie ; en
revanche, le châtiment du péché est évoqué par les termes « poussière »
(3a), « nous sommes achevés » et « nous sommes épouvantés » (7) dans
la première partie, et par « tu nous a châtiés » et « le malheur » (15)
dans la dernière partie.
1.4.2 La fonction de la partie centrale
Les syntagmes finaux des deux membres de la partie centrale, « ta
colère » et « ton emportement », étaient déjà employés dans la pre-
mière partie, en termes finaux des premiers membres des deux der-
niers morceaux (7a.9a).
L’unique verbe de la partie (« connaît ») sera repris dès le début
de la partie suivante au factitif, « fais-nous connaître » (12a).
Le terme « la force » (11a) n’est pas utilisé ailleurs dans le psaume ;
toutefois il renvoie à toutes ses manifestations et conséquences
qu’énumère la première partie : « la poussière » (3a), « sommeil » (5a),
« elle sèche » (6b), « nous sommes achevés » (7a), « nous sommes
épouvantés » (7b), « s’effacent » (9a), « peine » (10d).
De même, « crainte » (11b) n’apparaît pas ailleurs ; toutefois, la
dernière partie lui fait écho avec « sagesse » (12b) et aussi avec les
deux occurrences de « tes serviteurs » (13c.16a).
Les termes extrêmes « refuge » et « douceur » (1b.17a), dont on
a déjà dit qu’ils se répondent par leur forme inversée, sont aussi en
rapport de sens ; leur valeur positive contrebalance celle de « colère »
et « emportement » au centre du psaume (11).
1.4.3 Le titre
Pour être sans doute tardif, le titre n’en fait pas moins partie du
texte. Le Ps 90 est l’un des cinq intitulés « Prière » (Ps 17 ; 86 ; 102 ;
142), mais c’est le seul qui soit attribué à Moïse. Le dernier mot du
titre, ’ĕlōhîm, sera repris par ’ēl à la fin de 2 et par ’ĕlōhênû en 17a.
138 ROLAND MEYNET

1 Prière de Moïse homme de .


1
+ Adonaï, toi
+ tu es pour nous
:: de génération en génération.
+ 2 Avant que les montagnes soient enfantées
+ et que tu engendres la terre et le monde,
:: de toujours à toujours toi (tu es) .
= 3 Tu fais-revenir l’humain à la poussière
= et tu dis : « Revenez, filsla poussière d’Adam ! »
la poussière
4
– Car mille années à tes yeux
– comme le jour d’hier quand il est emporté
– et une veille dans la nuit.
: 5 Tu les submerges, sommeil ils sont ;
- au matin (ils sont) sommeill’herbe
comme qui se renouvelle.
sommeil
- 6 Au matin, elle fleurit et se renouvelle ;
: le soir, elle se fane et sèche.
sèche
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
. 7 Car nous sommes achevés par ta COLÈRE, sèche
. et parnous sommes achevés
ta fureur COLÈREépouvantés.
nous sommes
nous sommes achevés COLÈREépouvantés
nous sommes
. 8 Tu as mis nousfautes
nos sommes épouvantés devant toi,
. nos secrets à la lumière de ta face.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
– 9 Car tous nos jours s’effacent sous ton EMPORTEMENT,
– nous achevons s’effacent
nos années comme un EMPORTEMENT
soupir.
s’effacent EMPORTEMENT
: 10 Les jours de nos années,
: en eux soixante-dix années,
: et si par miracles quatre-vingt années ;
= et leur excitation peine et faute,
= car elle dispara t peine
rapidement et nous nous envolons.
peine

la force COLÈRE
11 Qui CONNAIT la forcela crainte-de-toi COLÈRE
de taEMPORTEMENT
et la forcela crainte-de-toi
comme COLÈRE
ton EMPORTEMENT ?
la crainte-de-toi EMPORTEMENT

de sagesse
+ 12 Compter nos jours de sagesse
oui, FAIS-NOUS CONNAITRE,
= et nous ferons-venir un cœur de sagesse !
:: 13 Reviens, ! serviteurs
tes
tesquand
Jusqu’à serviteurs
?
:: et repens-toi pour tes serviteurs.
+ 14 Rassasie-nous au matin de ta fidélité,
= et nous chanterons et nous nous réjouirons dans tous nos jours.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
+ 15 Réjouis-nous comme les jours (où) tu nous as châtiés,
– les années tes serviteurs
(où) nous avons vu le malheur.
tes serviteurs
:: 16 Que soit vue pour tes serviteurs ton œuvre,
:: et ta splendeur sur leurs fils !
+ 17 Et que soit sur nous !
– et l’ouvrage de nos mains assure sur nous
– et l’ouvrage de nos mains assure-le !
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 139

2. CONTEXTE BIBLIQUE
2.1 Moïse
L’expression « Moïse homme de Dieu » se trouve dans l’introduc-
tion de la bénédiction que Moïse prononce sur les douze tribus : « Et
voici la bénédiction dont Moïse homme de Dieu bénit les fils d’Israël
avant sa mort » (Dt 33,1 ; voir aussi Jos 14,6 ; 1 Ch 23,14 ; Esd 3,2).
La « prière de Moïse » est fortement marquée par la « colère »,
la « fureur » et l’« emportement » de Dieu à cause de la « faute » de
son peuple. De même « le chant de Moïse » en Dt 32, est, par antici-
pation, une longue dénonciation de l’infidélité du peuple, qui aban-
donnera le Seigneur pour suivre les idoles59.
Moïse est aussi celui qui intercède constamment en faveur de son
peuple auprès de Dieu. Après l’apostasie du veau d’or, Moïse demande
au Seigneur : « Reviens de l’ardeur de ta colère et repens-toi du mal
(que tu veux faire) à ton peuple » (Ex 32,12) ; les deux verbes sont
ceux de Ps 90,13.

2.2 Ps 85
Comme Ps 90,3 toute la première partie du Ps 85 joue sur les deux
formes de la racine šûb, « faire revenir », « revenir » : « tu retournes
le sort de Jacob [...] tu te détournes de l’ardeur de ta colère [...]
retournes-nous, Dieu de notre salut [...] voici que toi tu retourneras
nous faire vivre »60.

2.3 La peine de Qohélet


« La peine » est un des mots-clés de Qohélet : il revient vingt fois
comme substantif, à quoi il faut ajouter treize occurrences verbales.
Comme dans le Ps 90, le thème de la caducité de l’homme est omni-
présent : « Quel profit trouve l’homme à toute la peine qu’il prend
sous le soleil ? Un âge va, un âge vient, mais la terre tient toujours... »
(Qo 1,3-4).

59
Un certain vocabulaire commun entre les deux poèmes peut aussi conforter leur
rapprochement : « sagesse » (6), « les jours de toujours [...] les années de génération
en génération » (7), « fils d’Adam » (8), « ils ne connaissaient pas » (17), « qui t’a
enfanté [...] qui t’a engendré » (18), « colère » (22), « les malheurs » (23), « ses ser-
viteurs il prendra-en-pitié (yitneḥām) » (36), « pour toujours » (40).
60
Voir R. MEYNET, « L’enfant de l’amour (Ps 85) ».
140 ROLAND MEYNET

3. INTERPRÉTATION
Tout le travail d’analyse de la composition des textes n’a qu’un
but, celui de les comprendre et de les expliquer. Le lecteur des études
textuelles de Pierre Auffret reste la plupart du temps sur sa faim, car
toute son énergie et toute sa peine s’épuisent pratiquement dans
l’étude des structures.
Les symétries de la rhétorique biblique ne sont pas une fin en soi : admi-
rer des structures aussi éblouissantes que les cristaux formés par le gel
sur les vitres ne nous intéresse aucunement. La participation du cher-
cheur est autrement plus profonde que ces abstractions [...] Ouvrant la
porte du sens, cet exercice préserve déjà de ce qui serait purement céré-
bral et alimente une attention vivante61.

3.1 Colère et emportement


Si le centre d’une composition représente sa clé de lecture, la ques-
tion sur laquelle est focalisé le psaume ne laisse pas de surprendre, et
même de choquer. On sera moins étonné quand on se rappellera que
le centre d’une construction concentrique est toujours énigmatique62.
Les deux termes par lesquels s’achèvent chacun de ses deux membres,
« ta colère » et « ton emportement », résonnent comme des menaces
qui ne conviennent guère au Dieu de miséricorde. Et cela d’autant plus
que ces termes sont précédés de deux autres termes tout aussi inquié-
tants, « la force » et « la crainte ». Si l’intention du psalmiste était de
secouer l’homme de sa torpeur, de l’inquiéter, le but est atteint, d’au-
tant plus que le caractère appellatif de ce segment est souligné par
l’interrogation que le lecteur priant ne peut manquer de recevoir comme
une interpellation à laquelle il est sommé de répondre. À considérer le
point focal de la construction, la caducité de la vie humaine ne serait
donc pas le thème dominant du psaume, même vue dans son rapport
à l’éternité de Dieu, mais la colère divine que provoquent les fautes
de l’homme. C’est du reste ce que dit, avec beaucoup de force le mor-
ceau central de la seconde sous-partie qui précède : « la colère »
divine provoquée par les « fautes » de l’homme l’achèvent et l’épou-
vantent (7-8).

61
Paul BEAUCHAMP, « Préface » à R. MEYNET, Quelle est donc cette Parole ?,
12-13.
62
Traité, 417.423 (voir index : « énigme »). Voir aussi R. MEYNET, « Rhétorique
biblique, rhétorique de l’énigme », 147-180.
ANALYSE RHÉTORIQUE DU PSAUME 90 141

3.2 La crainte de Dieu


Obnubilé par « la force de la colère » de Dieu, on pourrait en
oublier « la crainte de Dieu » que son « emportement » entend susci-
ter chez le pécheur. Cette crainte n’est pas réductible à la peur. C’est
ce que Paul Beauchamp appelait d’une de ses formules fort heureuses
dont il avait le secret : « la certitude tremblante de l’amour »63. La
crainte de Dieu, c’est le respect reconnaissant qu’éprouve celui qui a
été secouru dans le danger, qui a été sauvé de la mort. C’est ce que le
psalmiste appelle, au début de la troisième partie « un cœur de
sagesse » (12b), qui est fondé sur « la fidélité » – ou, comme on tra-
duit souvent, « l’amour » – de Dieu (14a).

3.3 Connaître son péché


Il ne faudrait pas non plus oublier le seul verbe de la question cen-
trale, placé à son début : « Qui connaît ? » Le même verbe est aus-
sitôt repris, mais au factitif cette fois-ci, « fais-nous connaître » (12a) ;
c’est donc que l’homme ne connaît pas, qu’il a besoin de la lumière
divine pour que lui soit révélé ce qui, pour lui, demeure caché, dans
l’obscurité. Effectivement, c’est bien ce qui est dit au centre de la
sous-partie précédente : « Tu as mis nos fautes devant toi, nos secrets
à la lumière de ta face » (8). Ce sera que l’homme tente de dissimu-
ler ses « fautes », non seulement aux yeux de Dieu mais aussi à ses
propres yeux. Et l’on peut aussi comprendre que la lumière divine
révèle même ce qui reste pour lui « secret », ce dont il n’est pas
conscient.

3.4 Connaître la durée de nos jours


Il est aussi une autre réalité que l’homme ne connaît pas, ou tout au
moins qu’il a tendance à oublier 64. C’est la durée limitée de ses jours.
Pour souligner la brièveté de la vie humaine, le psalmiste l’oppose à
63
Paul BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament. I. Essai de lecture, Paris, Le Seuil,
1976, 272 : « La certitude tremblante de l’amour, cela exactement que la Bible appelle
“crainte de Dieu” ».
64
Les titres donnés au psaume par les traductions et par les commentaires sont
souvent unilatéraux. Ainsi Weiser a « Le Dieu éternel », Vesco, « L’homme est une
herbe changeante », Le Psautier, version œcuménique. Texte liturgique, « Apprends-
moi la mesure de nos jours » ; Osty combine les deux thèmes : « La vie de l’homme,
courte et misérable, à cause du péché ». Quant à la Bible de Jérusalem, elle semble
les réunir sous un unique terme : « Fragilité de l’homme ».
142 ROLAND MEYNET

l’éternité de Dieu : pour lui, en effet, « mille ans » sont « comme le


jour d’hier qui est passé, comme une veille de la nuit » (4). Et même
les générations qui se succèdent (1) et transmettent la vie en se renou-
velant (5-6) sont bien peu de chose en regard de la pérennité de Dieu
qui était déjà avant la création du monde et qui sera « jusqu’à tou-
jours » (2). L’homme ne dure que le temps d’« un soupir » (9b) et,
même si ses années atteignent le nombre miraculeux de quatre-vingt,
il est bien vite « envolé » (10e). Et la chose qui lui demeure inconnue
est le jour de son envol.

3.5 Revenir
Les deux lignes, celle de la brièveté de la vie humaine et celle du
châtiment lié au péché, se croisent et se nouent grâce au thème du
retour. Nos années étant comptées, il n’y a pas de temps à perdre pour
« revenir » de nos fautes et ainsi échapper à la colère divine. Si Dieu
est tellement irrité, c’est sans aucun doute qu’il craint que l’homme se
laisse aller et ne se repente pas tant qu’il en est encore temps. S’il apos-
trophe les fils d’Adam dès le début, les conjurant de « revenir » (3),
c’est qu’il a hâte d’être prié de « revenir » lui-même et de « se repentir »
du malheur qu’il aurait été contraint d’infliger à l’homme. « 23 Pourrais-
je vraiment désirer la mort du méchant, oracle du Seigneur Yhwh ?
N’est-ce pas plutôt qu’il revienne de ses voies et qu’il vive ? [...] 32 Car
je ne désire pas la mort de celui qui meurt, oracle du Seigneur Yhwh.
Convertissez-vous donc et vivez ! » (Ez 18).

3.6 Refuge et douceur


C’est bien là ce que les fils d’Israël ont expérimenté au long des
générations, et Moïse avec eux, lui qui intercéda si souvent pour détour-
ner la colère de Dieu et obtint ainsi son pardon pour les fautes de son
peuple (1). Et c’est pourquoi en conclusion de sa prière, le psalmiste
fait appel à « la douceur » de celui qu’il appelle enfin de son nom
d’alliance, « le Seigneur notre Dieu » (17a).

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