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Sommaire

I. Genre vs sexuation

- Sexe/historicité

- Distinction entre sexe et genre : une histoire entre biologie et culture

- La performance de genre selon Butler

- Binarité

- Intersexuation

- Transsexuel.le - Transgenre - Transsexué.e


Transsexuel.le vs transgenre
Transsexuation
Cis/Trans

- Techno-sciences : façonner son corps à son image par la molécule,


s’inventer, se créer

II. Performance de genre vs transformation biomoléculaire dans les


arts visuels

- Expression du genre dans les arts visuels


Michel Journiac

- Le corps en transmutation, vers d’autres expériences corporelles


du temps
Del LaGrace Volcano
Heather Cassils
Wynne Neilly

III. Lien organique et involution créatrice avec la testostérone

- Réalisation de dessins accompagnés de citations de Testo de Junkie


de Preciado et récit personnel

2
Ce sentiment
D’être né.e dans le “mauvais corps”
De ne pas se sentir soi-même
D’habiter un corps qui n’est pas le sien
De ne pas se reconnaître dans le reflet du miroir
De ne pas être perçu.e ou reconnu.e tel.le qu’on est
De ne pas être à sa place.

Mais où ce sentiment puise-t-il ses sources ?

Dans un monde où le dimorphisme sexuel (différence d’aspect entre


mâle et femelle au sein d’une même espèce) n’existerait pas mais
où un seul type de corps sexué humain demeurerait, ce sentiment
n’aurait pas lieu d’être puisque nous n’aurions pas connu autre chose
que ce modèle de corporalité. INTRODUCTION
D’un monde où la seule dichotomie sexe/genre nous est imposée
dès la naissance, découle le système oppressif et sexiste ambiant
accompagné de discriminations et de violences ; dans une vision
utopique, si ces aspects n’existaient pas, ce sentiment ne serait
pas présent, puisque les un.e.s et les autres seraient socialement
reconnu.e.s comme ils ou elles le souhaitent. Cependant, pour
d’autres, aux yeux desquel.les la tolérance et l’acceptation d’autrui
ne seraient pas suffisants pour atteindre un bien-être, une
transformation corporelle pourrait être la solution (du moins dans une
époque où le progrès technoscientifique offrirait ces possibilités.)

4 5
Traversant une transition FtM (Female to Male), je m’intéresse dans Ce mémoire est structuré en trois grandes parties – la première,
ce mémoire à la distinction sexe/genre en questionnant en quoi l’accent plus théorique, présente une clarification sémantique des termes
mis prioritairement sur cet aspect fait obstacle à une prise en compte qui ont construit nos représentations des rapports entre sexe et
de ce que recouvre la sexuation du corps. En privilégiant la distinction genre ; la deuxième présente des œuvres d’artistes qui apportent des
entre sexe et genre, on en est venu en effet à entièrement négliger représentations visuelles aux questions soulevées dans cet écrit ;
la différence entre « sexe » – réduit à la catégorisation du sexe mâle la troisième est composée d’une série de dessins que j’ai réalisée
ou femelle – et « sexuation » – qui relève d’un processus physiologique. et accompagnée de citations tirées de Testo Junkie . Ces images
Mon écrit n’est pas une critique des réflexions sur le genre, mais plutôt dialoguent en effet avec le titre de ce mémoire Modus Molecularis, un
une tentative pour interroger l’usage insistant de cette notion et les genre moléculaire, un mode moléculaire. L’ensemble a une dimension
conséquences qu’entraîne une focalisation sur celle-ci, qui peut conduire subjective, qui reflète les nombreuses questions existentielles qui
à perdre de vue le corps dans sa dimension matérielle. habitent mon esprit.

Ainsi, pour ce mémoire, je me suis beaucoup inspiré des travaux de


Preciado, en m’appuyant notamment sur Testo Junkie, essai corporel
qui décrit dans le détail une expérience que l’auteur a menée en
s’administrant de la testostérone pendant 236 jours afin d’étudier les
réactions du corps et du psychisme1. Ce livre a beaucoup compté pour
moi, d’abord de par mon identification à un récit qui fait écho à ma propre
consommation de testostérone ; puis pour les réflexions qu’il aborde
tant sur le plan social que médical ; il m’a permis d’analyser mon vécu
à travers une approche plus philosophique et moins naïve, ce qui a fait
naître un grand nombre de questions dans mon esprit tout au long de
cette transition.

Pendant ces dix premiers mois de transmutation hormonale, expérience


de vie émotionnellement prenante, je me suis beaucoup questionné sur
le corps dans son aspect biologique et la façon dont il est interprété
dans la sphère sociale avec les codes culturels et représentatifs d’une
société et d’une époque. Ce qui m’a amené à dégager une problèmatique
centrale : est-ce que parler seulement de genre lors du passage à la
molécule dans le cadre d’une transition ne revient pas à entretenir un
lien indissociable entre la notion de sexe et celle de genre ? Il est certain
que cette interrogation relève d’une prise de conscience liée à ma propre
incarnation et existence en tant qu’être humain qui se réalise avec la
molécule.

1
Beatriz Preciado, Testo Junkie. Sexe, drogue et biopolitique, Paris, Grasset,
2008, p. 12.

6 7
Sur le plan biologique, par l’augmentation intentionnelle de Par l’utilisation de testostérone :
mon taux de testostérone, suis-je :
Vais-je à l’encontre de mon essence endocrinienne en modifiant
Une femelle humaine qui le restera toute sa vie du fait de la sexuation de mon corps ?
chromosomes sexuels inchangeables ? Est-ce que je transgresse une loi de la nature ?
Une femelle humaine au fort taux de testostérone et avec un Est-ce que je défais la structure temporelle de mon corps en
déficit d’œstrogènes ? enclenchant une seconde puberté ?
Une femelle humaine transmutant vers un état mâle grâce à la Par la modification substantielle de ma propre composition
biotechnologie moderne ? hormonale, suis-je victime consciement ou non de cette
Une femelle humaine ayant maintenant un corps intersexué ? dichotomie homme/femme qui domine encore notre société
Une femelle dont l’ontologie endocrinienne est modifiée ? occidentale du XXIe siècle ?
Une femelle sous les effets virilisants de la testostérone ? Suis-je enfermé dans ce régime épistémologique de la différence
binaire sexuelle qui me pousse à me conformer de façon sans
Un mâle transsexué humain ? Un mâle humain artificiel ? nulle doute inconsciente afin de rendre ma vie viable ?
Un mâle seulement grâce à l’utilisation de la molécule ? Suis-je renfermé dans ce fantasme de masculinité conventionnelle ?
Un mâle trans malgré la non production de gamètes ? Ma nouvelle condition corporelle actuelle est-elle dissidente et
subversive ?

Un être humain qui oscille entre les pôles mâle et Dois-je considérer l’éthique de la
femelle ? différence sexuelle comme une limite
Un être humain devenu bisexué ou éthique à la transformation de mon
unisexué ? propre corps ?
Un être humain chimiquement
modifié ? Un être humain ayant
une sexuation fluctuante ? Accepter que cette époque marquée
Un être humain ayant une par le progrès technoscientifique donne
condition corporelle à la fois de mâle naissance à de nouvelles corporalités dont
transsexué et de femelle je fais partie ?
hormonalement modifiée ?
Un être humain à la fois transgenré,
transsexué et transsexuel ?
Est-il vraiment possible de naître avec le mauvais
En cas d’interruption de la testostérone : phénotypique sexué ?

Est-ce que je redeviens complètement une femelle


ou reste encore un peu mâle ? L’âme a-t-elle vraiment un sexe ou du moins est-elle
Peut-être ni l’un ni l’autre ? sexuée ?
Serais-je une femelle sous les anciens effets
virilisants ? Serais-je un corps sexué fluctuant ?

8 9
Dans un premier temps, cette partie s’articule autour de questions sur
le sexe et le genre, à travers La Fabrique du sexe de Thomas Laqueur et
les écrits de Judith Butler sur la performance de genre, ainsi qu’autour
de la notion de binarité et de ce qu’il s’en est suivi concernant l’histoire
de la transidentité en Occident. Dans un deuxième temps, j’examine la
terminologie qui a construit ces représentations et la sémantique de
certains mots qui sont encore employés dans de perpétuels débats
au sein des communautés LGBTQI+, en réponse auxquels je tente
de proposer un terme qui n’est à ce jour pas utilisé dans le langage
courant : transsexuation. Avant d’achever cette partie sur un aspect
plus scientifique qui aborde la recherche sur les hormones sexuelles,
j’évoquerai le sujet de l’intersexuation.

Sexe / historicité

I. GENRE VS « Le sexe est une classification tellement forte, enracinée et ancienne


qu’elle est désormais d’une polysémie presque infinie, toujours ouverte

SEXUATION
à des interrogations nouvelles, toujours disponible pour de nouvelles
subjectivités2 », écrit l’historien Thomas Laqueur dans La Fabrique du
sexe. Comme il le montre, c’est à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe
siècle que s’opèrent des changements radicaux dans la compréhension de
la différence sexuelle. Le progrès dans les connaissances anatomiques
et physiologiques apporte de nouvelles définitions du sexe. C’est donc au
XIXe siècle, après les Lumières et la Révolution, qu’une position domine,
celle de deux genres ancrés de manière indissociable dans le corps.

Jusqu’au XVIIe siècle, l’épistémologie sexuelle est dominée par ce qu’il


appelle « un modèle unisexe », où « le sexe et la sexualité n’étaient pas
encore des attributs définitifs du corps » : selon ce modèle, l’anatomie
sexuelle « féminine » constitue une variation du sexe « masculin », l’un
et l’autre sexe étant considérés comme la manifestation d’une seule et
unique existence ontologique3. Comme le souligne Michelle Perrot, ce
livre, qui s’inscrit dans la suite de l’Histoire de la sexualité de Michel
Foucault, présente la façon dont « s’est effectuée à partir du XVIIIe siècle,
avec l’essor de la biologie et de la médecine, une “sexualisation” du genre

2
Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en
Occident, Paris, Gallimard, 1992 (trad. fr. de Making Sex. Body and Gender From
the Greeks to Freud, Harvard, Harvard Univ. Press, 1990), p. 10-11.
3
Ibidem, p. 8.

10 11
qui était jusque-là pensée en termes d’identité ontologique et culturelle groupe culturellement reconnu comme « masculin » ou « féminin ». Dans
beaucoup plus que physique… Le genre désormais se fait sexe, comme le un article publié en 1957 avec John et Joan Hampson, après une étude
Verbe se fait chair. On assiste alors à la biologisation et à la sexualisation sur des nouveaux nés intersexes, il montre enfin que le facteur principal
du genre et à la différence des sexes4. » dans le développement de l’identité sexuée est le « sexe de socialisation »
ou « sexe d’élevage » (rearing), c’est-à-dire l’environnement social et
C’est seulement au XVIII e siècle que le deux sexes seront jugés l’éducation7. Le sexe biologique, quant à lui, peut être transformé par un
radicalements distincts : « Autrement dit, le sexe, tel que nous le traitement hormonal ou la chirurgie, pour qu’il concorde avec le « sexe
connaissons, devient fondateur, le genre social n’en étant plus que d’élevage » :
l’expression 5. » C’est ainsi qu’une nouvelle anatomie sexuelle se
dessine, dans laquelle le sexe « féminin » cesse d’être l’inversion du Loin de venir remettre en cause la binarité du sexe, le genre permet
« sexe masculin », pour être considéré comme un sexe entièrement désormais de la réinscrire dans les corps avec l’aide de tout ce que
permettent les nouveaux instruments médico-chirurgicaux. Il devient un
différent. L’assignation du sexe ne dépend plus alors seulement de la
instrument de normalisation des corps et des comportements, aussi un
morphologie externe d’un des organes génitaux mais aussi de la capacité
outil qui sert à assigner et fabriquer chirurgicalement, hormonalement
reproductrice et du rôle social. « C’est le projet d’une nouvelle science et psychiquement un sexe masculin ou féminin, à normaliser l’ensemble
générale des corps sexués, théorie des signes analysant les désirs : de ces corps dont la sexuation aurait échoué ou ceux dont l’identité, si
ainsi s’est constituée à partir du XVIIIe siècle une nouvelle épistémologie elle n’est pas construite et stabilisée comme masculine ou féminine,
visuelle sexopolitique qui ne repose plus sur des “ressemblances” mais sera considérée comme pathologique8.
sur un système d’opposition6. »
Le concept de genre allait bientôt passer dans le langage courant, en
Distinction entre sexe et genre : une histoire entre biologie désignant la dimension sociale et culturelle de l’identité sexuelle, par
et culture opposition à la définition biologique de celle-ci. Il sera repris dans une
approche critique par certaines féministes telles que Joan Scott, Judith
Butler ou Christine Delphy qui vont lui donner un tout autre sens. Parler
Dans les années 1950, la distinction entre sexe et genre, sex and de masculinité et de féminité n’implique pas, dans leur perspective, un
gender, est rapidement adoptée aux Etats-Unis dans le milieu des ancrage anatomique ou physiologique9. Mais surtout le concept de genre
psychologues. Le premier à parler systématiquement de « genre » est devient un outil pour combattre ou défaire les normes. On peut ainsi
le pédo-psychiatre John Money, qui s’inspire de l’idée de rôle dans la très bien se construire une identité d’homme en s’identifiant aux valeurs
différence des sexes développée par l’un de ses professeurs à Harvard. masculines de la culture et de l’époque dans laquelle on vit sans avoir
Auteur d’une thèse intitulée Hermaphroditism : An Inquiry into the Nature aucune composante biologique mâle.
of a Human Paradox, il cherche à définir à partir de « cas pathologiques »
comment un individu devient un garçon ou une fille qui se conforme
aux stéréotypes associés au sexe qui lui a été assigné ou réassigné.
Il s’agit donc d’expliquer la norme, afin de mieux l’appliquer. A partir
7
John Money, J. G. Hampson and J. L. Hampson. « Imprinting and the
de 1955, il utilise le concept de genre, en le distinguant de l’appellation establishment of gender roles », A.M.A Archives of Neurology and Psychiatry,
n° 77, 1957, p. 333-336.
traditionnelle « sexe », afin de désigner l’appartenance de l’individu à un 8
[Biosex], « Les scientifiques du genre », article en ligne sur le site Biosex,
4
Cité dans Annick Jaulin, « La Fabrique du sexe, Thomas Laqueur et Aristote », portail sur le sexe dans les sciences biologiques et médicales URL : https ://
Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne ], 14/2001, mis en ligne le 03 juillet 2006. biosex.univ-paris1.fr/dossiers-thematiques/scientifiques-du-genre-2
URL : http ://journals.openedition.org/clio/113 9
Voir Anne Fausto Sterling, Les cinq sexes. Pourquoi mâle et femelle ne sont
5
Thomas Laqueur, op. cit., p. 2. pas suffisants, trad. de l’américain par Anne-Emmanuelle Boterf, Paris, Rivages,
6
Beatriz Preciado, op. cit., p. 68. 2000 [1993], p. 14, qui cite le psychiatre Robert Stoller.

12 13
Le genre n’est pas, selon cette approche, un dérivé du sexe anatomique par quoi “la nature sexuée” ou un “sexe naturel” est produit et établi
mais il résulte d’une construction, d’une perception, du masculin ou dans un domaine “prédiscursif”, qui précède la culture, telle une surface
féminin qui varie selon les cultures et les époques, un mélange de politiquement neutre sur laquelle intervient la culture après coup10 ».
représentations qui découlent de différents dispositifs institutionnels : Comme le montre Thomas Laqueur dans La Fabrique du sexe, l’anatomie
le système éducatif, la religion, la famille, la médecine, mais aussi le n’est pas seulement un destin, c’est aussi une histoire. Trouble dans le
langage, l’art, le cinéma… Sexe et genre ne sont pas dans une relation genre propose une analyse des effets au présent de ce modèle historique
de symétrie mais peuvent suivre des voies totalement indépendantes des deux sexes. Le corps existe mais il est le produit d’une histoire
puisque le genre n’est pas un fait, mais un ensemble de pratiques de sociale incorporée. Pour Judith Butler, le corps est, en partie, ce par quoi
normalisation et d’actes discursifs qui fonctionnent et s’effectuent. Le s’institue « de nouveaux modes de réalité ».
sexe biologique ne détermine donc ni l’identité de genre, ni la sexualité
des individus. Toute société, quelle que soit l’époque, établit pourtant des Elle considère le genre non plus comme une essence ou une vérité
distinctions de rôle en fonction du sexe. Que la langue utilisée soit genrée psychologique, mais comme une pratique corporelle performative par
ou non, le genre renvoie aussi au langage et c’est notamment à travers ce laquelle le sujet obtient une intelligibilité sociale et une reconnaissance
dernier que l’enfant apprend la différence entre les sexes. Les personnes politique. Il s’agit de processus régulés de répétition, de normes
intègrent elles-mêmes ces différences et se mettent à se penser en internalisées sous forme de style corporel et de théâtralisation publique.
tant que garçon ou fille, développant un sentiment d’appartenance plus Elle s’intéresse au corps non comme une réalité préalable, mais
ou moins important à leur genre, par opposition à l’autre. Tout cela n’a comme un effet réel des régulations sociales et donc des assignations
strictement rien de biologique et est construit. S’il existe une apparente normatives. Dans cette vision, le sexe n’est donc pas moins que le genre
continuité entre le concept de genre forgé dans les années 1950 par les produit par les relations de pouvoir, mais il n’a pas moins de réalité non
sexologues, les psychiatres et les sexologues et celui qu’utilisent les plus. Comme elle le souligne : « Le genre c’est la stylisation répétée des
féministes, le modèle n’en est pas moins très différent. La distinction corps11. »
entre sexe et genre permet dans le second cas de rompre d’une part avec
la relation de causalité communément supposée entre les corps sexués Pour Butler, le genre comme le sexe sont fictifs et relèvent d’une
(l’ordre naturel et biologique) et d’autre part avec les rapports sociaux construction à travers des pratiques, discursives et non discursives.
inégaux entre hommes et femmes. Alors que Money utilisait le concept Si l’un comme l’autre sont construits, le corps n’a pas par essence un
de genre dans une perspective normative (pour plier le sexe biologique sexe donné au préalable, mais ce dernier est rendu intelligible par le
au sexe de socialisation), les féministes en ont fait au contraire, en biais du genre. Le genre n’est pas une part de notre essence intérieure,
opposition avec ce projet de normalisation, un levier pour critiquer et mais il est “performatif”, par exemple : être masculin, c’est représenter
transformer l’ordre social. Elles en ont subverti l’usage normatif pour la masculinité :
en faire un instrument d’émancipation. La performativité n’est pas un acte unique, mais une répétition et un
rituel, qui produit ses effets à travers un processus de naturalisation qui
prend corps, un processus qu’il faut comprendre, en partie, comme une
La performance de genre selon Butler temporalité qui se tient dans et par la culture. [...] L’idée que le genre est
performatif a été conçue pour montrer que ce que nous voyons dans le
genre comme une essence intérieure est fabriqué à travers une série
En 1990, Judith Butler publie aux Etats-Unis Trouble dans le genre, ininterrompue d’actes, que cette essence est posée en tant que telle
qui devient rapidement un événement dans le champ des études dans et par la stylisation genrée du corps12.
féministes en même temps que des recherches gaies et lesbiennes.
Elle aborde la problèmatique sexe/genre en ces termes : « Le genre 10
Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion,
désigne précisément l’appareil de production et d’institution des sexes préface d’Eric Fassin, Paris, La Découverte, 2005, p. 69.
eux-mêmes [...] ; c’est aussi l’ensemble des moyens discursifs/culturels
11
Ibidem, p. 109.
12
Ibid., p. 36.

14 15
Dans Trouble dans le genre, Butler s’intéresse en particulier à la Malgré la remise en cause du lien entre le sexe biologique et le
figure du drag qui interroge la norme des deux sexes/genres : « Au genre, et de tout projet de normalisation de ce dernier, ce qui est appelé
drag, c’est-à-dire au travesti, qui détourne et retourne l’assignation communément « genre », qui renvoie aux rôles et aux comportements
normative13 ». Analyser le drag permet d’expliquer la dimension construite sociaux, continue ainsi, dans l’usage courant, à être pensé en référence
et performative du genre, mais il ne faudrait pas voir cette figure comme au modèle des deux sexes. Même s’il est aujourd’hui de plus en plus
un exemple subversif. Butler montre en effet que la drag queen qui admis qu’un individu peut choisir son « genre » indépendamment de
performe dans l’exubérance la féminité est exactement l’équivalent son sexe biologique, ce modèle se perpétue dans une large part de
de ce que nous faisons chaque jour lorsqu’on est « normalement » un l’imaginaire social de la division des genres, qui continue à en véhiculer
homme ou une femme selon les codes de la société. Que le sujet soit les stéréotypes.
un individu quelconque ou une drag queen, l’action est performative. Le
noyau central de l’argumentation est de montrer qu’en matière de genre, Si la notion de sexe et celle de genre sont encore inextricablement
il n’y a pas de modèle original, ni de genre authentique, au fond, la parodie liées dans l’imaginaire collectif, au point d’être souvent utilisées comme
porte sur l’idée même d’original. De même, si le genre ne découle pas des synonymes, c’est parce que la morphologie du corps et les caractères
du sexe, alors il n’y a aucune raison de s’en tenir au nombre de deux. sexuels secondaires présents sont les éléments principaux sur lesquels
Supposer un système de genre binaire, c’est admettre qu’il existe de on s’appuie pour identifier un individu, ce sont ce qu’on peut appeler
manière implicite une relation de mimétisme entre le genre et le sexe, des biocodes. On s’appuie en effet davantage sur l’anatomie corporelle
où le genre imite le sexe ou alors est imité par le sexe. pour classer un individu dans la catégorie « femme » ou « homme » que
sur les codes culturels (vêtements, attitudes, accessoires, coupes de
Binarité cheveux...) adoptés par une personne. Cette idée perdure aussi du fait
qu’on assigne encore dans notre société un genre au nouveau né en
Pourtant la catégorisation en genres, éminemment culturelle, opère prenant uniquement en compte ses organes génitaux externes. Si bien
elle-même encore souvent selon un système binaire. Elle se transforme que pour obtenir la reconnaissance sociale qu’ils ou elles souhaitent,
alors, à nouveau, en un instrument de rationalisation de l’être vivant dont le les personnes trans sont à la recherche d’un passing. Cette notion, qui
corps n’est qu’un des paramètres, conformément au développement d’un littéralement signifie « passer pour », est très utilisée du fait que ces
ensemble de techniques pharmacopornographiques de normalisation et dernières sont sans cesse renvoyées au ban de l’humanité. Passer
de transformation des êtres vivants expérimenté dans les années 1950. pour un « homme » ou une « femme » équivaut à passer pour réaliste,
« La formation de la société pharmacopornographique, écrit Preciado, se selon les normes prédéfinies du réel ordinairement admises. Dans ce
caractérise par l’apparition, au milieu du XXe siècle, de deux nouveaux contexte, avoir un « bon passing » revient à se soumettre aux codes
vecteurs de production de la subjectivité sexuelle [...] la possibilité de normatifs de la masculinité et de la féminité, excluant et niant ainsi toute
modifier techniquement le corps de l’individu pour fabriquer une âme autre forme d’identité qui s’en éloignerait. Le passing devient alors une
masculine ou féminine14. » Les raisons pour lesquelles la société est stratégie individuelle pour survivre dans la sphère sociale afin d’avoir
encore aujourd’hui bicatégorisée tiennent au besoin culturel de maintenir une vie relativement viable pour éviter toutes formes de rejets et de
ce type de distinction claires entre les sexes. Cette bicatégorisation rend discriminations. La notion de passing souligne aussi l’idée d’avoir un corps
en particulier nécessaire le contrôle des corps intersexes parce qu’ils socialement admis selon des schémas normatifs. Penser une transition
estompent et ignorent cette grande division. de genre par mimétisme est un concept problématique puisqu’il résulte
une fois encore de la binarité normative. Tout être humain est imprégné
de clichés et de stéréotypes, comme nous le dit Anne Fausto-Sterling,
« nous sommes des corps marqués par le genre15. »
13
Ibid., p. 16
14
Ibid., p. 157 15
Anne Fausto Sterling, op. cit., p. 19.

16 17
Plus largement, continuer à penser la distinction entre sexe et genre Intersexuation
sur le modèle de l’opposition entre nature et culture revient à fonder de
nouveau la construction sociale sur une identité biologique. Les analyses Mâle et femelle sont une réalité biologique sur le plan chromosomique,
d’Anne Fausto-Sterling confirment ainsi à quel point les corps font hormonal, gonadique et phénotypique. Cependant, la nature est bien
partie d’un processus indivisible de nature/culture ou de sexe/genre16. plus diversifiée que ne le suppose cette division, et certains corps ne
Nous vivons dans un monde genré où nous sommes en permanence présentent pas un dimorphisme sexuel net et en conformité avec ce que
interprétés et catégorisés. Le travail de dénaturalisation du genre suppose l’existence de deux sexes seulement. Les individus qui sont
reste dès lors en grande partie à poursuivre. Les nombreuses études typiquement mâles ou femelles sont dyadiques, les autres, intersexes.
réalisées sur la notion de sexe/genre ont permis partiellement cette Dans un monde biologique platonicien et idéalisé, les êtres humains
désexualisation du genre ainsi que la prise de conscience des shémas présenteraient un parfait dimorphisme sexuel. Bien que celui-ci soit net
de domination et d’oppression qui opèrent en ce domaine. Néanmoins la et distinct dans la majorité des corps humains, cette description exclut
bicatégorisation qui continue à dominer les représentations de genre est la réalité existentielle de certains corps qui présentent des variations
nettement perceptible dès lors que des individus ne se reconnaissent sexuées ni typiquement mâles ni typiquement femelles. En effet, la
pas dans cette distinction. biologie de l’être humain (ainsi que la biologie animale) est beaucoup
plus diversifiée qu’elle ne nous est présentée. Il existe une pluralité de
La binarité, qui est censée reposer sur la distinction homme / femme, morphologies corporelles du vivant.
met en réalité en forme deux identités produites dans le cadre d’un
système patriarcal qui entretient un rapport de force en établissant D’après des données chiffrées consultables dans la littérature
un ordre hiérarchique où les hommes ont davantage de privilèges que médicale, la distinction entre mâles et femelles humains est claire dans
les femmes. Les termes homme et femme sont supposés parler de 98% des cas et l’existence de personnes intersexes représenterait alors
biologie seulement, cependant c’est à partir de cette bicatégorisation 2%18. Vincent Guillot, militant intersexe, explique toutefois : « Dans les
que se crée un écart lourd de conséquences puisqu’il s’agit avant tout faits, nous représentons beaucoup plus de monde que ce qu’annoncent
d’une notion basée sur des constructions socio-culturelles. Dans notre les médecins : nous constituons plus de 10% de la population car nous
société patriarcale, le genre maintient l’oppression sur les femmes où considérons que toute personne ne correspondant pas aux standards
les violences et les discriminations sont systémiques : morphologiques du mâle ou de la femelle est, de facto, intersexuée. »
Il ajoute que « (l)’identité intersexe, revendiquée comme fierté, comme
Se vacciner de testostérone peut être une technique de résistance pour culture, comme réappropriation du stigmate, se bâtit donc sur un vécu
les corps qui ont été assignés biofemmes. Acquérir une certaine immunité silencieux individuel, en marge des constructions habituelles de genre
politique de genre : prendre une cuite de masculinité, savoir qu’il est
et de sexualité19 ». Chaque corps qui naît dans un hôpital de l’Occident se
possible de devenir l’espèce dominante17.
voit soumis aux protocoles d’évaluation de la normalité de genre inventés
par les docteurs John Money et Joan Hampson dans les années 1950.
Libérer les corps de l’emprise du genre serait aussi une manière
d’éradiquer les politiques dominantes et oppressives pour rétablir au
mieux l’égalité, pour que les individus masculins n’aient pas plus de
privilèges que les femmes. Ainsi, homme et femme existent seulement
en tant que fictions politiques, il s’agit d’un processus de normalisation 18
Colette Chiland, Changer de sexe, Illusion et réalité, Paris, Odile Jacob,
et de contrôle des êtres humains. 2011, p. 12.
19
Vincent Guillot, « Intersexes : ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne
nous a pas dit que nous étions », Nouvelles Questions féministes, vol. 27, n° 1,
16
Ibidem, p. 20. 2008, p. 37-48. URL : https ://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-femi-
17
Beatriz Preciado, Testo Junkie, op. cit., p. 346. nistes-2008-1-page-37.htm

18 19
Si les organes génitaux du nouveau né ne correspondent pas aux critères de la population grandement ignorée. Pourtant, dans la seconde moitié
visuels de la différence sexuelle, il sera exposé à une chirurgie corrective du XVIIIe siècle, les anatomistes, savants, artistes et philosophes leur
du sexe et plus tard soumis à des traitements hormonaux. accordaient un intérêt plus méthodique, intérêt qui a pris fin lorsque les
chirurgiens ont voulu faire disparaître leur anatomie sous le scalpel.
C’est en effet avec stupéfaction que la médecine et la psychiatrie
réalisent l’existence d’une multiplicité de corps et de morphologies Le terme d’hermaphrodite a lui-même évolué et son emploi a une
génitales au-delà du schéma anatomique binaire. Le corps médical prend connotation péjorative aujourd’hui, hormis si un individu intersexué
conscience, en étudiant les origines embryologiques des intersexes se l’approprie en se qualifiant ainsi. En dehors de sa symbolique, qui
humains, que la binarité de l’anatomie sexuelle, telle qu’il se la représente, retient notamment l’attention de l’histoire de l’art, l’hermaphrodisme
est en réalité fausse par rapport aux variations morphologiques humain n’existe pas car le corps humain n’est pas doté de deux appareils
du vivant. En effet, le sexe est un terme polysémique qui se traduit reproducteurs fonctionnels. Cependant, dans l’imaginaire collectif, les
à des niveaux différents. Il peut être distingué au niveau génétique et intersexes incorporent les deux sexes (ce qui est complètement faux)
cellulaire (l’expression d’un gène sexe-spécifique, les chromosmes X et défient les croyances traditionnelles qui concernent la différence
et Y) ; au niveau hormonal (chez le foetus, pendant l’enfance et après la sexuelle. Ils « possèderaient » la capacité de pouvoir vivre comme un
puberté) ; et au niveau anatomique (les organes génitaux). Le sexe est homme pendant un temps puis comme une femme et ainsi brandiraient
donc distribué à plusieurs niveaux qui sont censés être en cohérence le spectre de l’homosexualité.
les uns avec les autres, cependant ce n’est pas toujours le cas et c’est à
partir de là que toute l’inférence se fait. Le sexe à l’état civil correspond La persistance du modèle de la différence sexuelle binaire transparaît
seulement à l’anatomie périnéale établie par les médecins à la naissance dans la volonté de continuer à catégoriser les états intersexués comme
mais à aucun moment on ne réalise un cariotype des chromosomes des anomalies ou pathologies. A partir des années 1980, les minorités
sexuels du nouveau né. sexuelles et féministes ont remis en question ce modèle binaire des
sexes. Puis, à partir des années 1990, les communautés intersexes se sont
La médecine et la psychiatrie infligent alors aux corps intersexes rassemblées dans le but d’obtenir une reconnaissance de leurs droits
une violence implicite en vue de les conformer à des morphologies bafoués. Avec la montée de l’activisme, certains militants demandent
idéales du sexe. Les enfants intersexes ont subi et continuent de une visibilité quant à la reconnaissance de leur identité intersexe. La
subir des violences médicales qui veulent les faire entrer dans cette plupart ne recherchent pas la création d’un troisième sexe et préfèrent la
bicatégorisation de la différenciation sexuelle et qu’ils s’y conforment. Les disparition de toute mention du sexe à l’état civil. Mais la situation a très
connaissances acquises dans les domaines biochimique, embryologique, peu évolué. La psychanalyse freudienne et lacanienne a ainsi contribué
endocrinologique, chirurgical et psychologique ont permis aux amplement à la normalisation des enfants intersexes et à pathologiser la
médecins de contrôler le sexe même de l’être humain. Le traitement de « transsexualité ». Au lieu de changer l’épistémologie, le système médical
l’intersexuation est un bel exemple de ce que Michel Foucault appelle préfère quant à lui modifier les corps afin de les faire correspondre à
le « biopouvoir20 ». un schéma anatomique normalisé.

Autrefois qualifiés d”hermaphrodites, les hermaphrodites véritables, Depuis quelques années néanmoins, certain.e.s scientifiques et
les pseudo-hermaphrodites féminins et les pseudo-hermaphrodites chercheurs ou chercheuses en sciences sociales prennent de plus en
masculins – longtemps catégorisés selon ces trois termes et depuis plus en compte la diversité du vivant. Par exemple, Anne Fausto-Sterling,
les années 1990 requalifiés d’intersexes – font partie d’une catégorie biologiste et historienne des sciences, déjà évoquée, a proposé le
passage d’une épistémologie des deux sexes à une épistémologie d’au
20
Michel Foucault, Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir, Paris, NRF moins cinq sexes afin de respecter la totalité des corps qui comportent
Gallimard, 1976, en particulier le chapitre 5.

20 21
des variations morphologiques et génétiques21. Ces travaux rappellent concerné, invente cette notion en 1860, en la présentant comme une
que le concept d’intersexuation lui-même est profondément lié à l’idée condition biologique. Rompant avec l’idée d’une dichotomie sexuée, il
fondatrice qu’il n’existerait typiquement qu’un sexe mâle ou femelle. Le définit les uranistes comme ayant « une âme de femme dans un corps
terme « intersexué » ne prend son sens qu’à travers les représentations d’homme ». Le terme homosexualité s’est quant à lui vulgarisé suite aux
de la réalité que la science construit. travaux d’un médecin aliéniste, Richard von Krafft-Ebing, qui l’utilise dans
un ouvrage de 1886, Psychopathia sexualis, où il est associé à l’idée de
Le problème ne résulte pas de la notion de genre ou de l’idée de dégénérescence. C’est seulement en 1973 que l’homosexualité sortira
différences biologiques entre les sexes, mais de l’ensemble des de la liste des maladies recensées par le DSM (Manuel diagnostique et
stéréotypes qui continuent à être associés à ces notions ainsi que du statistique des troubles mentaux) et c’est le « transsexualisme » qui y
sexisme et de l’oppression qu’ils justifient. Afin de surmonter ce binarisme est inclus au début des années 1980 en tant que « trouble de l’identité
et de représenter cette diversité des morphologies humaines, il faudrait sexuelle » et « dysphorie de genre » à côté de « l’identité sexuelle
mettre à jour sa construction et proposer de nouvelles représentations. ambiguë » (anciennement appelée hermaphrodisme).
Dans un meilleur monde, il faudrait dépasser le binarisme de genre qui
dès la naissance ne laisse d’autre possibilité que de catégoriser un corps Apparue dans un article de 1949 sous la plume du psychiatre et
humain comme garçon ou fille. sexologue américain David Cauldwell, cette nouvelle catégorie du
transsexualisme s’inspire elle-même de Krafft-Ebing. David Cauldwell
Quoique la perception du corps soit toujours liée à une représentation qualifie en effet le cas d’Earl, qui demande la construction d’un pénis
sociale, on ne peut pas dire que la distinction entre deux sexes soit par opération chirurgicale, de « psychopathia transsexualis ». Parmi les
d’abord d’origine sociale. Les personnes trans et intersexes sont ainsi « transvestis » qui s’identifient à l’autre sexe, certains, qui demandent
souvent confondues dans la sphère sociale car la plupart des individus une transformation corporelle par la chirurgie, peuvent être définis
confondent les notions d’orientation sexuelle, d’identité de genre et la comme des « transsexuels », terme qu’il forme à partir de celui de
sexuation. Néanmoins, d’un point de vue hormonal, une personne trans transvestisme, proposé par le sexologue allemand Magnus Hirschfeld22.
qui a recours à une hormonothérapie passera par un état corporel En 1953, l’endocrinologue et sexologue Harry Benjamin reprend le terme
intersexué, donc en ce sens il y a une similitude entre ces deux conditions proposé par Cauldwell en lui attribuant à son tour le sens d’un trouble
humaines. Il y a un point en commun sur le plan physiologique même de la personnalité. Dans un ouvrage de 1966 intitulé Le phénomène
si le vécu n’est pas le même. On peut avancer que les intersexes et les transsexuel, il définit à nouveau le transsexualisme par rapport au
personnes trans hormonées vivent à mi-chemin entre les pôles mâles transvestisme, la distinction avec ce dernier se fondant sur la demande
et femelles. Il faut enfin souligner que dans d’autres contextes les trans de transformation corporelle. Le transsexualisme sera désigné en
ont fait et font toujours l’objet d’autres formes de prise en compte sociale, France comme une maladie mentale jusqu’en 2010.
notamment en tant que « troisième sexe ».
Autrefois, la médecine n’avait pas de réponse médicale à offrir aux
Transsexuel.le - Transgenre - Transsexué.e personnes trans pour qu’elles puissent changer la sexuation de leur
corps et ou leur sexe biologique. La seule manière de passer pour le
A la fin du XIXe siècle, l’homosexualité, longtemps considérée comme
un péché ou une hérésie et désignée jusque-là sous des termes comme 22
Laurence Hérault, « La chirurgie de transsexuation : une médecine entre
pédérastie, ou inversion, a commencé à être pensée sous le nom réparation et amélioration », dans T. Bujon, C. Dourlens & G. Le Naour (dir.), Aux
d’uranisme. Karl Heinrich Ulrichs, juriste et militant allemand, lui-même frontières de la médecine, Paris, Archives contemporaines, 2014, p. 209-220.
URL : https ://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01242019/document. Même si
21
Paul B. Preciado, Je suis un monstre qui vous parle. Rapport pour une la notion de transvestisme préexiste, Magnus Hirschfeld (1868-1935) reformule
académie de psychanalystes, Paris, Grasset, 2020, p. 108. en proposant ce terme la notion du XIXe siècle d’inversion.

22 23
sexe opposé a en conséquence longtemps été de jouer sur des codes Les communautés queer se développent peu à peu et sont davantage
sociaux genrés désignant l’appartenance à l’un des deux sexes propre visibles. Queer, qui signifie littéralement en anglais « bizarre », « étrange »,
au temps et à la culture dans laquelle l’individu vivait. L’historien « peu commun » ou encore « anormal », était utilisé autrefois comme une
américain Vern Bullough écrit ainsi dans un article de 1975 : « Tout ce insulte homophobe pour désigner l’extravagance ou le hors-norme. Issu
que nous pouvons conclure, sur la base des faits historiques, c’est que de de l’argot homosexuel new-yorkais au début du XXe siècle, ce terme est
nombreux individus dans le passé se sont arrangés pour vivre en tant que utilisé aujourd’hui comme une catégorie d’auto-identification dans le
membres d’un sexe biologique différent sans chirurgie et apparemment cadre d’une pratique de fierté consistant à revendiquer une appellation
de manière heureuse à l’exception de la crainte toujours présente d’être d’origine injurieuse. C’est en effet à la fin des années 1980 que des
découverts » – ce qui a été longtemps puni de mort23. militants du mouvement homosexuel, particulièrement menacés par
le Sida et les condamnations morales qui leur étaient adressées, se
A partir des années 1950, l’administration d’hormones sexuelles est sont réappropriés ce terme pour se désigner eux-mêmes afin de lui
proposée dans le cadre d’hormonothérapies « masculinisantes » et attribuer une connotation positive et de défendre leurs droits et leurs
« féminisantes ». La chirurgie appelée « conversion de sexe » s’inscrit modes de vie. Dès lors, « queer » a pris une signification politique. Au
dans le même cadre normatif. A l’époque, pour certaines personnes sens large, le terme désigne l’ensemble des minorités sexuelles et de
trans, qui affirment être nées « renfermées dans le corps du sexe genre, les personnes qui ont une sexualité ou une identité qui sort du
opposé », les moyens technoscientifiques mis en place par la médecine cadre de l’hétéronormativité. C’est à ces dernières que s’intéresse la
contemporaine ne sont qu’une façon de révèler leur sexe authentique théorie queer, apparue au début des années 1990 aux Etats-Unis au sein
et véritable mais aussi la possibilité de mieux vivre en société. De des études de genre, dans la suite des analyses déconstructivistes de
nombreux individus prennent des hormones sexuelles en suivant un Michel Foucault et Jacques Derrida.
protocole de changement de sexe, qui suppose un suivi psychiatrique.
Ainsi, les hormones et la chirurgie s’inscrivent dans un rôle de réparation - Transsexuel.le vs transgenre
de cette désunion entre le corps et l’esprit et devient en ce sens une
médecine palliative qui permet de réduire la souffrance et d’améliorer La dualité entre transgenre et transsexuel a longtemps fait polémique
la qualité de vie. au sein de la communauté trans et LGBTQI+. Cependant, certains mots
vieillissent, comme c’est le cas de transsexuel, actuellement banni du
Cependant, dans les années 1990 l’activisme trans s’affirme et permet langage par la communauté trans, ainsi que de « transsexualisme », ou
donc une visibilité véritable de la transidentité à laquelle les médias, « syndrome de Benjamin » (du nom de Harry Benjamin), parce qu’il s’agit
en particulier, ont longtemps fait mauvaise presse. Les mouvements d’anciens termes médicaux à la fois pathologisants et stigmatisants.
trans demandent une dépathologisation de la transidentité et exigent Néanmoins, ils sont encore employés par certaines personnes trans plus
la liberté de choisir un processus de transition par le biais d’hormones âgées. Insister sur le fait qu’il faudrait absolument les bannir du langage
et de la chirurgie, ou par celui uniquement d’un changement d’état civil. courant serait blâmer ces dernières qui se les sont appropriées pour
Aujourd’hui, d’autres les trafiquent et se les administrent sans changer
de sexe légal et sans passer par un tel suivi psychiatrique. Ils et elles ne défendre les droits des personnes trans, à une époque où « transitionner »
s’identifient pas comme “dysphoriques du genre” et revendiquent d’être n’était accordé qu’à certains individus dits « méritants ».
des « pirates du genre », gender hackers. C’est le cas de Paul Preciado :
« J’appartiens à ce groupe d’usagers de la testostérone. Nous sommes Si l’argument préconisant la suppression du terme transsexuel
des usagers copyleft : nous considérons les hormones sexuelles comme est dû au fait que celui-ci emporte avec lui sa connotation d’affection
des biocodes libres et ouverts, dont l’usage ne doit être ni réglementé
par l’Etat, ni confisqué par les compagnies pharmaceutiques24. » psychiatrique, le terme de « dysphorie » n’en est pas moins toujours
très utilisé aujourd’hui alors qu’il est issu lui aussi de la psychiatrie et
23
Colette Chiland, op. cit., p. 85. s’inscrit dans les définitions du transsexualime en tant que « dysphorie de
24
Beatriz Preciado, Testo Junkie, op. cit., p. 51.

24 25
genre » dans le DSM IV publié en 1952. L’activisme trans lutte sans cesse
appartenir, et n’implique donc pas un changement corporel. Comme on
pour « dé-psychiatriser » la transidentité mais utilise des termes qui sont
l’a vu plus haut, le genre est construit indépendamment de la nature
issus de la psychiatrie. Beaucoup d’idées et de discours apparaissent
biologique sexuée du corps. J’en suis donc venu à la conclusion qu’il
ainsi paradoxaux.
n’est en réalité pas exact de dire que l’on change de genre ou du moins
pas seulement. Je trouve que « transgenre » est un terme qui soulève
Avec la montée de l’activisme trans, une autre conception de la
un certain nombre de difficultés puisque tout individu construit son
transidentité émerge, celle de l’autodéfinition du genre – d’où l’apparition
genre au fil du temps et que ce dernier fluctue, alors que modifier
du terme « transgenre ». Il s’agit d’une notion militante, qui exprime l’idée
intentionnellement son corps via la molécule ne relève pas de la même
que c’est le genre qui change sans impliquer un changement de sexe au
action.
point de vue anatomique. Son emploi évite la stigmatisation de « Trans
opéré ou non opéré », l’intimité est propre à chacun.e, le plus important - Transsexuation
étant la façon dont un individu souhaite être perçu.e et identifié.e dans
l’espace social. Pourtant, on rencontre souvent encore le propos suivant :
Je fais partie d’une génération très connectée sur les réseaux sociaux
« Transsexuel et transgenre veulent dire la même chose d’un point de
sur lesquels je suis l’engagement pour les causes féministes, LGBTQI+
vue sémantique ». Continuer de donner cette définition entretient une
et autres minorités. On y voit ces dernières années se multiplier les
fois encore l’idée selon laquelle le genre serait synonyme de sexe.
revendications d’un large panel d’identités de genre qui s’inscrit en dehors
Après avoir étudié avec précision la notion de sexe/genre je ne peux
de la binarité normative : non-binaire, genderfluid, demi-boy, demi-girl,
plus personnellement utiliser ces termes comme s’ils signifiaient la
agenre… Ces groupes d’individus, encore perçus comme dissidents et
même chose.
subversifs, gagnent en visibilité, ce qui permet à d’autres de s’identifier au
mieux en découvrant l’existence de réalités autres que la cis-hétéro-nor-
Il est donc préférable d’utiliser seulement le préfixe « trans », qui sert à
mativité. Cependant ces affirmations d’identités variées et diversifiées
qualifier un type de rapport au genre ou au sexe, pour en faire un terme
ancrent souvent, me semble-t-il, la notion de genre dans le corps tout
générique, sans tenter de distinguer, sur le modèle des classifications
en prétendant lutter contre cette idée.
de la psychiatrie, entre les individus selon qu’ils ou elles éprouveraient
un sentiment d’inédaquation avec leur sexe biologique, le corps ou le
De même, les avancées scientifiques et les recherches menées dans
genre qui leur a été assigné à la naissance. Distinguer entre la catégorie
le domaine biomoléculaire qui autrefois n’offrait pas les possibilités de
du genre ou du sexe complexifie la notion de transidentité sans rien lui
transition physique dont on dispose aujourd’hui, sont rarement mises
apporter, si ce n’est de la confusion. Pour conclure, il s’agit de situer
en avant. Au contraire, on constate un certain dénigrement de la part de
l’analyse en dehors de la terminologie d’origine médicale « transsexuel »
personnes qui en bénéficient à travers des phrases comme celles-ci :
et celle d’origine militante « transgenre ». Il est à mon sens préférable
« Je ne suis pas né.e dans le mauvais corps mais dans la mauvaise
d’utiliser les expressions de FtM (Female to Male) pour les hommes trans
société » ou encore : « Ce n’est pas notre corps le problème mais le fait
et de MtF (Male to Female) pour les femmes trans, dans le cas où l’on
d’être coincé.e dans une société sexiste et misogyne ». Cet argument
souhaite apporter de la précision sur le sens de transition d’un individu.
cependant méconnaît ou minore les potentialités d’une transformation
sexuée, et en reste à l’idée d’une dysphorie de genre, à laquelle il s’agirait
Le terme de transsexualisme désigne avant tout, dans la terminologie
de remédier.
psychiatrique dont il est issu, une pathologie. Quant au terme transgenre,
il exprime seulement l’idée de construire un genre différent de celui qui
Après avoir étudié minutieusement les théories sur le genre et le
a été assigné à la naissance, et ce indépendament du sexe biologique,
sexe et avoir échangé avec d’autres personnes trans tout au long de ma
de ne pas se reconnaître dans le groupe d’individus auquel on est censé
transition sexuée, j’ai réalisé que je ne me reconnaissais pas, ou du moins

26 27
plus, dans le terme générique transgenre, pour différentes raisons, qui caractères sexuels secondaires propres au mâle et être une femme
tiennent à l’usage de « genre » dans ce mot. La notion de genre est en avoir des caractères sexuels secondaires propres à la femelle. C’est nier
effet couramment employée lorsqu’une transition est poussée jusqu’à une la réalité physiologique hormonale des changements qui opèrent. C’est
transformation corporelle entraînant un processus physiologique qui se ni plus ni moins contribuer à la re-naturalisation du genre, en dépit de
développe suite à l’administration d’hormones sexuelles. La matérialité ce qu’affirment ceux et celles-là mêmes qui se battent avec le slogan :
du corps est alors complètement délaissée et avec elle les phénomènes « mon sexe ne définit pas mon genre ». En réalité, la reconnaissance
biologiques. Il me semble important de clarifier l’usage des adjectifs sociale d’un individu se base sur la sexuation de son corps, donc sur
« sexué » et « sexuel » afin d’éviter toute confusion dans le propos qui les caractères sexuels secondaires, et non sur son sexe (qu’on ne voit
suit. « Sexué » relève ainsi de la sexuation, c’est-à-dire de l’ensemble pas). Raison pour laquelle il me semble essentiel de distinguer le sexe
des phénomènes d’ordre biologique et physiologique qui conduisent à et la sexuation.
l’apparition à la puberté des caractères sexuels secondaires ; tandis que
« sexuel » relève de la sexualité, il s’agit de la conjonction des sexes. L’apparition de caractères sexuels secondaires via les hormones
sexuelles entraîne une mutation de l’organisme, en aucun cas ces
Pendant quelque temps, j’ai donc cherché ce qui résumait le plus dernières « n’agissent » sur le genre. C’est en revanche le regard suscité
justement ce procédé de transformation corporelle qui ne se réduit par l’apparition de ces nouveaux biocodes qui donnera une nouvelle
pas à cette notion de genre puisqu’il engage le corps dans son aspect lecture du corps dans l’espace social, lecture qui traduit le fait que nos
biologique. C’est assez rapidement que le terme de transsexuation regards sont conditionnés à identifier le corps à travers des critères
m’est venu à l’esprit. En faisant des recherches sur l’emploi de ce anatomiques. C’est pour cette raison, je pense, que la plupart du temps le
terme, on trouve par exemple un article consacré à la « chirurgie de discours s’en tient à la notion de genre, ne cherchant pas à comprendre
transsexuation », et qui rappelle notamment que, dès 1912, le sexologue ce qui découle de ce processus biologique. En adoptant ce point de vue,
Magnus Hirschfeld a été un précurseur en matière de transsexuation certaines personnes voient dans l’utilisation d’hormones sexuelles un
puisqu’il a accepté de réaliser une mastectomie (ablation des glandes moyen, à nouveau, de conformer un minimum leur corps à leur « genre »,
mammaires et reconstitution d’un torse) et une hystérectomie (ablation afin d’obtenir une reconnaissance sociale et une vie viable.
de l’utérus) pour une personne qui le souhaitait25. La chirurgie et les
hormones sont pour lui des opportunités offertes afin de rendre possible, De son côté, le terme transsexuel réduit une transition au changement
voire de rendre au mieux, l’inscription sexuée de la personne trans, lui du sexe biologique. Le caractère sexuel primaire est pourtant, en réalité,
permettant d’améliorer son existence et son intégration sociale. Le terme une partie minime par rapport à l’ensemble du corps. De même qu’une
de transsexuation reste toutefois d’un usage rare et n’est pas passé transition ne se limite pas au corps mais a aussi un aspect social, raison
dans le langage courant, alors qu’il semble refléter au mieux la réalité pour laquelle le terme de « transsexualité » est inadéquat puisqu’il n’est
de ce déroulement physiologique dans le corps. Par l’augmentation pas question de sexualité mais bel et bien d’identité : il est donc plus
intentionnelle d’un taux d’hormones femelles ou mâles via l’utilisation approprié de le remplacer par le terme de transidentité.
d’hormones sexuelles de synthèse, c’est l’acquisition des caractères
sexuels secondaires du sexe opposé qui est en jeu. Le corps est confronté Le terme de transsexuation est plus proche de ce qui est en jeu ici
à un processus physiologique qui entraîne de facto une mutation sexuée. dans la mesure où il exprime le changement de sexuation, c’est-à-dire
les caractères secondaires, qui concernent l’ensemble du corps. S’il ne
Insister sur le fait qu’il ne s’agirait que d’un changement de genre met pas l’accent sur un changement du sexe biologique, il n’en nie pas
alors qu’un processus de sexuation est enclenché, c’est maintenir l’idée pour autant la possibilité et évite tout autant de faire l’amalgame avec le
qu’être un homme, c’est forcément avoir un corps qui présente des genre, ce qui évite la re-naturalisation de ce dernier. Bien que la notion
de transsexuation crée un clivage entre « trans hormoné ou non », étant
25
Laurence Hérault, op. cit.

28 29
donné que certain.e.s font le choix de ne pas prendre d’hormones, ce commencer le parcours médical, pour qu’un.e endocrinologue puisse
terme mériterait malgré tout d’être mis en évidence et employé davantage prescrire les hormones ou qu’une personne trans puisse avoir recours
dans la langage courant. à certaines opérations chirurgicales. Cette conception pathologique qui
repose sur une construction socioculturelle et psychologique, et qui
- Cis/Trans en plus fluctue dans le temps, est pourtant hautement problématique.
Elle revient à dire qu’un individu qui ne correspond pas aux attentes
Je propose en conséquence de revoir les termes transsexuel/cisexuel/ culturelles concernant ce qu’un corps sexué doit être physiquement et
transgenre/cisgenre en remplaçant « sexuel » et « genre » par « sexué » psychologiquement, est en fait un malade. Remplacer « dysphorie de
et « sexuation ». Le genre a une dimension indépendante du corps sexué, genre » par « dysphorie sexuée » semblerait plus exact. La dysphorie est
« sexuel », dans transsexuel et cissexuel, entretient une confusion avec une réalité indéniable, il s’agit d’un sentiment de détresse et de mal-être
la notion de sexualité, tandis que « sexuation » permettrait d’éclaircir un particulièrement difficile à vivre psychologiquement face aux attributs
processus physiologique et biologique. physiques : les caractères sexuels secondaires ou primaires. En effet,
les stéréotypes de genre participent à ce sentiment puisqu’une mauvaise
Le terme cisgenre a fait son apparition dans les années 1990. Dès lors, reconnaissance sociale réduira la personne trans à son corps. Comme le
une nouvelle différenciation sur le plan sociologique s’est instaurée entre dit Foucault, être sexué, c’est être assujetti à un ensemble de régulations
les personnes cis et trans. La préposition latine « cis » signifie « dans la sociales, la loi gouvernant ces régulations constituant à la fois le principe
limite de », « trans », qui est son antonyme en latin, signifie : au-delà, formateur du sexe, du genre, des plaisirs et des désirs d’une personne
exprimant l’idée de changement ou de traversée. La définition que l’on et le principe herméneutique d’interprétation de soi27.
trouve le plus souvent de « cisgenre » est celle d’un individu dont le genre
ressenti correspond à celui qui lui a été donné à la naissance. Si on se Technosciences : façonner son corps à son image par la
base uniquement sur l’étymologie, la définition est exacte. Cependant,
pour Kristen Schilt et Laurel Westbrook, elle doit être précisée pour
molécule, s’inventer, se créer
désigner « les individus dont le genre de naissance, le corps et l’identité
La question de l’identité sexuelle et de la sexualité domine les débuts
personnelle coïncident. » Cette définition est plus complète du fait que
de l’endocrinologie, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ce domaine
l’accent est mis sur le corps de l’individu. Certaines personnes trans qui
va connaître de rapides avancées.
se sentent en accord avec leur sexe biologique et les caractères sexuels
secondaires qui lui sont associés éprouvent en effet seulement le besoin
Au début du XX e siècle, les études sur les sécrétions internes,
de changer leur genre. Ces personnes sont à la fois transgenres et
dont les hormones sexuelles, complexifient la vision simpliste de la
cissexuées.
« masculinisation » et de la « féminisation » par les gonades. Au fil de leur
travail de recherche, les biologistes s’efforcent de les ranger en deux
Enfin, j’aimerais préciser ce qu’on entend par « dysphorie de genre ».
classes distinctes : mâle ou femelle. Leurs idées et techniques de travail
« Pour le DSM V, [cette question d’une conception pathologique d’une
sont très fortement façonnées par le modèle culturel des deux sexes.
expérience transgenre] s’est soldée par le maintien d’une catégorie
nosographique spécifique, sous le terme réactualisé de dysphorie de
L’existence de corps intersexués va complexifier cette classification
genre, qui est désormais défini comme une incongruence entre genre
binaire et la remettre en question. On s’aperçoit aussi que les hormones
d’assignation et genre souhaité (et non pas comme une incohérence entre
mâles peuvent dans certaines conditions avoir des effets « féminisants »
sexe psychique et sexe physique)26. » Encore aujourd’hui, le certificat
et les hormones femelles des effets « masculinisants ». Les scientifiques
de « dysphorie de genre » doit être délivré par un.e psychiatre pour

26
Laurence Hérault, op. cit. 27
Michel Foucault, op. cit.

30 31
découvrent que, quel que soit le sexe, tout corps sécrète aussi bien Il n’est ainsi pas rare que certains individus qui revendiquent un genre
œstrogènes que testostérone, la différence résidant dans la quantité non-binaire, ou se disent genderfluid, demi-boys, demi-girls... fassent des
variable de cette production. micro-dosages hormonaux dans le but d’obtenir un corps androgyne et de
faire correspondre leur « corps à leur identité de genre ». En ce sens, ils
La conception même du genre va changer avec la production industrielle façonnent donc leur anatomie d’après celle-ci. Propos qui une fois encore
des hormones sexuelles et leur utilisation dans le cadre d’un traitement. m’interroge dans la mesure où naturaliser le genre, c’est contribuer à
Si elles sont d’abord manipulées pour traiter divers dysfonctionnements la création culturelle de corps sexués qui seraient en quelque sorte les
des organes reproductifs, telles la stérilité et autres anomalies, dès porte paroles de ce dernier. La prise d’hormones modifie cependant notre
les années 1950, certain.e.s vont en faire un tout autre usage destiné expérience du corps en achevant de dénaturaliser le genre :
à permettre l’apparition de traits du sexe opposé. Le « sexe en flacon »
(bottled sex) est vendu en pharmacie pour modifier radicalement les Les hormones ne sont pas autre chose que des drogues. Des drogues
caractères sexuels secondaires. La conception du genre en est alors politiques. Comme toutes les drogues. Dans ce cas, la substance
affectée. « Des experts admirent qu’un tel désordre ne pouvait être guéri ne modifie pas seulement le filtre à travers lequel nous décodons
que par un changement du sexe biologique : les corps sexués furent et recodifions la réalité, elle modifie radicalement le corps, et par
conséquent le mode sous lequel nous sommes décodés par les autres.
dès lors perçus comme plus flexibles que les identités psychiques28. »
Six mois de testostérone, et n’importe quelle biofemme, pas un garçon
manqué ou une lesbienne, mais n’importe quelle play-girl, nimporte
Dès l’invention des hormones sexuelles, leur usage s’est cependant quelle gamine de quartier, une Jennifer Lopez ou une Madonna, peut
fondé sur le principe de la dualité des sexes, elles sont à la fois des devenir membre de l’espèce masculine indiscernable de n’importe quel
moyens thérapeutiques indispensables et des outils destinés à façonner autre membre de la classe dominante29.
les corps et à réguler les populations. La pilule est un bon exemple,
puisque dans certains cas elle est présentée comme un moyen de beauté, Tous ces moyens mis à disposition pour modifier chimiquement le
de féminisation, il s’agit de la gestion moléculaire de la féminisation corps font parallèlement penser au milieu sportif et notamment au
corporelle. De même, dans les années d’après-guerre, de fortes doses culturisme, discipline dans laquelle une musculature hypertrophiée
d’œstrogènes et de progestérone ont été administrées aux femmes est prônée. Un très grand nombre de ces pratiquant.e.s ont recours
occidentales dans le but de reproduire la « féminité » dans son état à différentes molécules dans le but d’obtenir un physique qui serait
naturel. naturellement inatteignable. Le sport est l’une des activités les plus
divisées, sans demi-mesure, selon une bicatégorisation du masculin
Aujourd’hui, la molécularisation d’hormones sexuelles de synthèse ou féminin.
permet la mutation d’un corps typiquement mâle en femelle, et vice
versa, ou de rendre un corps intersexué plus mâle que femelle bien que
les chromosomes sexuels soit la seule chose inchangeable. Cependant, Beaucoup de femmes cis s’administrent pourtant des stéroïdes
cette transformation peut aller au-delà de ce binarisme de sexuation, à anabolisants ou testostérone dans le cadre de cette pratique afin
partir d’un faible dosage, on peut rendre intersexué le corps d’une femelle d’optimiser leur musculature, les autres effets produits seront l’apparition
ou d’un mâle. Les possibilités sont grandes, ce corps peut n’exister qu’un de caractères sexuels secondaires mâles au même titre qu’un FtM
temps s’il y a interruption de l’utilisation de la molécule. Nous sommes à qui entreprend une hormonothérapie. Ces femmes se reconnaissent
une époque bio-techno-moléculaire qui donne naissance à de nouveaux
types de corporalité. dans une identité féminine malgré leur corps qui anatomiquement est
celui d’un mâle. Ces femmes cis sous testostérone sont-elles aussi
28
Ilana Löwy et Hélène Rouch, « Genèse et développement du genre : les sur le plan biologique des mâles trans au même titre qu’un FtM sous
sciences et les origines de la distinction entre sexe et genre », Cahiers du genre, hormonothérapie ?
dossier La distinction entre sexe et genre. Une histoire entre biologie et culture,
2003/1, n° 34, p. 5-16, p. 10-11. 29
Ibidem, p. 346-347.

32 33
La question mérite d’être posée puisque, dans les deux cas,
l’augmentation intentionnelle du taux de testostérone dans le sang
constitue une reprogrammation endocrinienne qui, de facto, entraînera
un processus de mutation sexuée. Quelle que soit la raison de l’utilisation
de la molécule – conformer la sexuation de son corps à son psychisme
ou à des stéréotypes corporels genrés, obtenir un physique surnaturel,
etc. –, cette action relève de l’autonomie corporelle, il s’agit de façonner
la subjectivité et l’esthétique du corps.

La femme cis sous androgènes dans le cadre de la pratique de la


musculation ne se sent pas pour autant moins femme, puisqu’il s’agit d’un
ressenti intime propre à chacun.e. Dans ce cas, le passage à la molécule
n’est pas une question de genre mais bel et bien une question de corps.
Cet exemple est une manière de questionner nos représentations
culturelles du corps et en ce sens de le « dégenrer ».

Comme on vient de le voir, les classifications et les représentations


ont beaucoup changé en un siècle. La question se pose de savoir si les
représentations visuelles ont traversé les mêmes problématiques et
comment. Dans une deuxième partie, nous allons nous intéresser à la
représentation des questions de genre à travers l’exemple de Michel
Journiac, avant de nous interroger sur les représentations qui peuvent
être données d’un corps en transition et plus largement de nouvelles
approches du corps :

La différence entre bio et techno n’est pas une différence entre organique
et inorganique. Ici, il ne s’agit pas d’évaluer le passage du biologique
au synthétique, mais de signaler l’apparition d’un nouveau type de
corporalité30.

30
Beatriz Preciado, Testo Junkie, op. cit., p. 166.

34
Depuis la Renaissance, les questions sur « l’ambiguïté sexuelle »
du corps ont traversé les réflexions et la pratique des artistes. De la
figure de l’androgyne propre à Léonard de Vinci, comme son célèbre
Saint-Jean-Baptiste (1513), aux Musiciens du Caravage (1595), dont la
sensualité suave évoque des amours homosexuelles, bien des œuvres
représentent une particulière ambiguïté sexuée. On pense aussi à l’image
de l’androgyne dans l’art néoclassique, comme L’Endymion de Girodet
(1791), ou à l’époque du symbolisme, à la fin du XIXe siècle, au Sorcier
d’Hiva Oa de Gauguin (1902), qui met en scène un Mahu, un individu qui
appartient à un troisième genre dans les cultures polynésiennes, d’où

II. Performance
l’androgynie du personnage. La question des identités sexuées, sexuelles
et de genre a su trouver des modes de figuration de tout temps, jusqu’à
notre époque contemporaine où la question des identités n’a jamais

de genre vs
cessé de « troubler » les représentations visuelles.

Au XXe siècle, les artistes se sont réapproprié.es ces questions dans


le cadre des débats sur le genre et des identités queer. La série Piège

transformation
pour un travesti (1972) de Michel Journiac, dont le travail s’inscrit dans
une thématique queer, permet en particulier de comprendre comment la
notion de genre et les stéréotypes attribués à l’un et l’autre sexe ont été

biomoléculaire
soumis à un travail de déconstruction dans le champ des arts visuels,
dans un contexte où les normes psychiatriques dominaient encore ces
questions. Journiac met ainsi en évidence dans cette série ce que Judith

dans les arts


Butler va appeler au début des années 1990 performance de genre.
Néanmoins, alors que depuis les années 1950, comme on l’a vu plus
haut, certaines personnes entreprennent des transitions hormonales,

visuels
on n’en trouve aucune trace dans les pratiques artistiques. Ce n’est que
très récemment, dans les années 1990, que le photographe Del LaGrace
Volcano a rendu visible cette expérience, travail de figuration poursuivi
quelques années plus tard par des artistes tels que Cassils et Wynne
Neilly. Dès lors, on assiste à une mutation des représentations des corps
qui passent de la question de la performance de genre à celle d’une
transformation moléculaire, ce qui ne semble pas avoir été souligné
jusqu’ici.

36 37
Expression du genre dans les arts visuels

Michel Journiac (1935-1995) est considéré comme l’un des fondateurs


de l’art corporel en France. C’est dans les années 1970 qu’il s’est affirmé
avec une série d’actions iconoclastes qui voulaient déstabiliser les codes
de la société française. Son intention est de mettre en scène le corps
dans sa matérialité la plus cruelle, un corps qui devient alors un outil
d’intervention directe sur le plan social et politique. En transformant
certains rituels tels que la messe, le référendum, la journée d’une femme,
il compte répondre au poids d’une histoire occidentale qui fixe les corps
et les sexualités au sein d’une norme judéo-chrétienne.

Dans la série Piège pour un travesti, il montre les stéréotypes de genre


associés aux vêtements. Le corps, « cette viande socialisée » façonnée
par le vêtement, est un élément important dans l’œuvre de l’artiste qui
aborde cette question à travers celle du travestissement dans des séries
photographiques comme Hommage à Freud (1972), 24 heures dans la vie Piège pour un travesti : Rita Hayworth, 1972
d’une femme ordinaire (1972), Piège pour un travesti (1972,) ou L’Inceste 3 photographies N&B sur formica contrecollées sur bois, miroir avec
(1975). Comme il l’écrivait : « Personne n’existe de manière absolue. texte en relief,
Tout cela est connecté à un vaste système de contextes, d’objets, de 120 x 75 cm chaque
vêtements31. »

A partir de 1969, Michel Journiac commence la série qu’il appelle


Portraits-Pièges, dont le but est de saisir l’ambiguïté de la relation
entre le « je » et sa construction sociale. L’un des sujets phares de
cette série est Piège pour un travesti, composé de quatre séquences
photographiques consacrées à quatre figures féminines du cinéma :
Arletty, Rita Hayworth, Jean Harlow et Greta Garbo.

31
V.V.A.A : « Dix questions sur l’art corporel et sociologique, un débat entre Michel Journiac devant le panneau Jean Harlow, 1972, Paris
Hervé Fischer, Michel Journiac, Gina Pane et Jean-Paul Thénot », in ArTitudes
international, n° 6/8, décembre 1973, p. 5.

38 39
Chaque séquence suit la même structure, les trois premiers panneaux
sont des clichés en noir et blanc qui présentent le performeur Jean-Paul
Casanova apparaîssant d’abord dans sa tenue masculine, puis nu, et
enfin en train d’interpréter l’une des quatre stars. Sur un quatrième
panneau est gravé le nom de l’actrice sur un miroir qui tend un piège à
tout spectateur qui se regarde dans celui-ci. Manuel Segade résume ce
qui est au cœur d’un tel projet :

Les gestes s’apprennent, se justifient, se codifient : ils appartiennent


à un genre, à une classe, à une race, et ils sont aussi naturalisés dans
le cadre de champs sociaux définis sur un plan historique. Dans une
logique contraire, les poses déconstruisent le langage des gestes
opportuns : poser, ce n’est pas faire un geste, mais bien plutôt intégrer
les codifications existantes comme un répertoire à disposition des
corps, qui les incarnent à chaque fois comme des événements, en
déconstruisant et en recomposant les relations construites par l’histoire.
Poser c’est être conscient de comment un corps fait l’histoire32.
Piège pour un travesti : Greta Garbo, 1972
Piège pour un travesti (1972) met en d’autres termes en évidence que le
3 photographies N&B sur formica contrecollées sur bois, miroir avec
genre est répétition, en un geste qui préfigure la notion de performance
texte en relief,
de genre. Si Journiac exprime sa fascination pour l’action de passer d’une
120 x 75 cm chaque
identité à l’autre, ces identités possibles sont cependant interchangeables.
La phrase de Judith Butler : « On s’éveillerait le matin, on puiserait dans
son placard, ou dans quelque espace plus ouvert, le genre de son choix,
on l’enfilerait pour la journée, et le soir, on le remettrait en place33 »
pourrait être un commentaire de cette série. Journiac, qui ne dispose pas
des concepts qu’utilisent Butler et d’autres, reprend le terme travesti qui
s’inscrit à l’époque, comme c’est le cas encore aujourd’hui, dans un cadre
psychiatrique. Mais c’est pour déconstruire cette approche, en montrant
qu’on a affaire à un mécanisme social, auquel, comme le rappelle le
miroir, sont soumis tous les corps.

Dans son analyse de Piège pour un travesti, Manuel Segade poursuit


ainsi : « Un travesti, un corps étranger qui en imite un autre à contretemps,
ce n’est rien d’autre qu’une critique envers le temps de l’histoire et envers
sa logique. C’est en ce sens que l’acte de se travestir fait du corps un
piège, une menace, une critique systémique de la production historique
32
Manuel Segade, « Le travesti structurel » dans Michel Journiac, Le corps
Michel Journiac devant le panneau Arletty, 1972, Paris travesti, Dijon, Presses du réel, 2018, p. 51-58, p. 52.
33
Judith Butler, op. cit., p. 13.

40 41
du corps social34. » L’action de se travestir apparaît en effet comme une dernier (le sexe, on l’a vu, est le produit du genre dans cette idée). Le
menace pour un ordre social qui s’appuie sur un modèle d’identification travestissement n’a donc de sens que dans la mesure où il s’inscrit dans
à l’un ou l’autre « sexe » excluant toute autre position. Journiac souligne un contexte où les codes sont bicatégorisés avec d’un côté le masculin
quant à lui le rôle de la parodie, qui met en lumière ce modèle et en et de l’autre le féminin. En l’absence d’un contexte établi par des normes
montre la logique d’exclusion : « Piège pour un travesti est un constat de genre, de ce à quoi un corps sexué est censé correspondre dans la
de l’ambiguïté, ce passage de l’homme à la femme par la médiation du sphère sociale, le travestissement ne serait qu’un parfait synonyme de
vêtement est à la fois parodique et approche d’un incertain sacré, qui n’est déguisement.
peut-être que l’altérité [...]. Le travesti est [...] du domaine du sacré35. »
L’image centrale qui présente le modèle nu avec le sexe caché, permet
En plus d’ébranler le système de représentation du genre, le travesti d’établir le passage de la masculinité à la féminité par le vêtement. Bien
est un chorégraphe de la dissidence. En amenant son modèle à la qu’il présente corporellement une certaine androgynie, une silhouette
théâtralisation, Jouniac pousse le travestissement à son paroxysme. Le svelte et longiligne, ses caractères sexuels secondaires nous indiquent
travesti surjoue son rôle, « il est plus femme que les femmes ». A travers qu’il est un mâle humain. Selon la manière dont il sera vêtu, ce corps
cette mise en scène, la série évoque aussi la fragilité de la masculinité s’inscrira d’une manière différente dans l’espace social. Sa transformation
qui ne peut sortir de la symbolique de son anatomie. Ce que le travesti relève seulement d’une action de performance et de l’expression de genre
dissimule sous ses accoutrements considérés comme féminins, est à travers des accessoires qui sont culturellement considérés comme
l’absence de phallus. Journiac nous invite ici à analyser notre participation féminins ou masculins.
au monde quant aux codes que l’on utilise, le conditionnement social dans
lequel on est enfermé et auquel on se conforme. Son travail provoque Cette série montre bien l’aspect performatif du genre par les vêtements,
des perturbations des codes représentatifs de la féminité et de la accessoires, gestes et attitudes qui sont attribués à tel ou tel corps.
masculinité et piège ainsi nos réflexes identitaires. Les actrices dont Cette performance de genre est clairement désignée comme un produit
l’image est habitée par le modèle de Journiac surjouent elles-mêmes culturel, par opposition à la nudité du corps comme élément biologique
la féminité, ce qui est une certaine manière de montrer que la féminité et matériel. A la différence de ce qu’engage une transformation sexuée,
est un jeu. Comme le rappelle Eric Fassin, en référence aux réflexions le corps du modèle est le même, qu’il soit vêtu d’un costume ou d’une
de Judith Butler sur la performance de genre : « [A]u fond, l’homme qui robe. Pourtant, par rapport aux stéréotypes de genre qui construisent
surjoue (quelque peu) sa masculinité, ou bien la femme qui en rajoute et conditionnent notre façon d’interpréter un corps, on ne l’identifie pas
(à peine) dans la féminité ne révèlent-ils pas, tout autant que la folle la de la même façon.
plus extravagante, ou la butch la plus affirmée, le jeu du genre, et le jeu
dans le genre ?36 »

Le travestissement est, selon la définition donnée par les psychiatres


dans la première moitié du XXe siècle, l’action de porter des vêtements
ou accessoires, qui sont, dans une société donnée, associés au genre
opposé du sien dans le but est de ressembler volontairement à ce

34
Manuel Segade, op. cit., p. 54.
35
[Michel Journiac], « Journiac Michel s’entretient avec Michel Journiac »,
arTitudes international, n° 8-9, juillet 1972, p. 136, ibidem, p. 56.
36
Eric Fassin, « Préface à l’édition française (2005). Trouble-genre », dans
Judith Butler, Trouble dans le genre, op. cit., p. 5-19, p. 17.

42 43
Le corps en transmutation, vers d’autres expériences Del LaGrace Volcano
corporelles du temps
L’artiste trans FtM et genderqueer,
Dès la fin du XX siècle, le photographe américain Del LaGrace Volcano
e activiste californien Del LaGrace
s’est intéressé à une diversité de corps queer et en pleine « mutation » Volcano a contribué de manière
pour reprendre son terme. Il est l’un des premiers à aborder sa propre majeure de l’imagerie queer dans
consommation de testostérone dans son travail artistique, ce qui fait les arts visuels dès les années 1990,
de lui un précurseur dans ce domaine. Les transitions hormonales s’intéressant dès cette époque, où
se multipliant, beaucoup d’individus partagent sur les plateformes les queer étaient encore considérés
numériques, depuis les années 2010, la transformation de leur corps comme marginaux, à la représentation
sous testostérone. C’est le cas dans l’œuvre Female to “Male” (2014) de du corps en pleine transformation
Wynne Neilly, qui partage intimement sa transition. Dans le cadre de h o r m o n a l e av e c l a v o l o n t é d e
sa performance intitulée Cuts : A traditional Sculpture (2011), l’artiste rendre visibles ces identités queer.
Cassils expose l’évolution de sa musculature, mais montre aussi une
autre manière de transitionner son corps en dehors des techniques
médicales contemporaines. Les représentations de ces transitions
Self Portrait, BlueBeard, 1999
sont marquées par des techniques de représentation de la temporalité, London
qui peuvent évoquer des questions apparues au XIXe siècle avec la Un ouvrage de Del LaGrace Volcano, Sublime
chronophotographie. A la différence cependant des photographes Mutations (2000), réunissant l’ensemble des photographies qu’il a
qui tentaient alors de capter le temps à travers la décomposition du réalisées de 1990 à 2000, explore avec une intensité jamais vue auparavant
mouvement, les artistes dont il va être question ici veulent saisir une la diversité des corps sexués et en transmutation ainsi que des identités
transformation dans une longue durée. On pense plutôt au travail de de genre plurielles et fluctuantes qui échappent au schéma binaire. Ses
Roman Opalka qui enregistrait le son de sa voix et se photographiait afin modèles sont des lesbiennes, des butchs, des hommes ou femmes trans,
de capter la progression du vieillissement corporel. des garçons coquets en sous-vêtements, des personnes intersexuées
mais aussi des femmes ayant eu recours à une mastectomie bilatérale
Ici, nous allons donc nous intéresser à la représentation d’un autre suite à un cancer du sein, etc. L’artiste y expose enfin un grand nombre
processus biologique, à savoir à l’image d’un corps en transition par l’ajout d’auto-représentations.
de molécule. Il est important de préciser que les artistes mentionnés
dans cette section utilisent exclusivement la notion de genre pour parler Différentes thématiques sont abordées comme Lesbian Boys & Other
du corps. Pour aborder ces œuvres, j’ai fait le choix cependant, afin de Inverts, Tranz Portraits, Tranz Romance, ou Trans Genital Landscapes.
dé-genrer celui-ci, de ne pas insister sur cette notion, tout en tentant On y trouve notamment un grand nombre de scènes intimes qui dévoilent
de prendre en compte la façon dont ils abordent leur propre travail dans les caractéristiques de sexualités autres que celles que reconnaît
la perspective, commune à tous ces artistes, de la représentation d’une l’hétéronormativité, dans le cadre de laquelle elles sont considérées
identité transmasculine. comme déviantes. Le photographe met aussi particulièrement l’accent
sur des clichés en gros plans de parties intimes d’individus intersexués
ou trans FtM dont la testostérone a provoqué une modification génitale.
Il permet ainsi de rendre visible un sujet encore tabou aujourd’hui de
morphologies génitales diverses et variées encore jugées anormales
par le corps médical.

44 45
Del LaGrace Volcano qui a fourni les premières doses de testostérone
à Paul B. Preciado a lui-même documenté sa propre transformation
physique due à la consommation de cette fameuse hormone. Dans les
trois clichés photographiques reproduits ici, dont le format est similaire à
celui d’une photo d’identité, il se présente sous un plan rapproché, dont la
dimension plutôt intrusive lui permet d’archiver le plus nettement possible
son identité qui change. La présence du quadrillage en arrière-plan est
un élément qui rappelle l’enregistrement des mesures pour servir le
projet scientifique des psychiatres et des sexologues. Ces trois clichés
ne témoignent pas d’un changement particulièrement flagrant mis à part
les traits de son visage qui se sont quelque peu durcis, sa pilosité faciale
est intacte, néanmoins l’hormone a provoqué une calvitie et le peu de
cheveux qui lui restent sont blancs, ce qui de fait le vieillit.

Une série de photographies en noir et blanc composée de Jax Back,


Del Boy, 2000
Jax Revealed et Jack’s Back II, offre une forme de représentation à la
Del LaGrace Volcano
transmasculinité jusqu’alors peu montrée. Le modèle est représenté
de dos ou de face mais avec le visage toujours caché, ce qui renforce
l’intensité ambigüe de son identité. Le prénom utilisé, bien que très
similaire, change d’une photo à une autre, ce qui souligne également
une certaine fluidité identitaire.

La présence d’une musculature bien développée et dessinée fait penser


spontanément à un individu masculin, impression qui est renforcée par
les cheveux rasés et les vêtements. Cependant, la photographie Jack
Revealed, où les seins sont dévoilés, indique la nature sexuée du corps
du modèle et ébranle l’identité de genre qu’on projette sur lui. L’action
Del Boy Skin, 2000 de révéler sa poitrine est une manière de scénariser ce qui se cache
Del LaGrace Volcano vraiment sous ses oripeaux considérés comme masculins, comme si
cette apparence superficielle trompait le spectateur et dissimulait la
nature propre du corps représenté. Ce modèle androgyne produit une
certaine fluidité corporelle en fonction des angles de vue, la masculinité
et la féminité se superposent et déstabilisent les attributs culturels
attribués à tel ou tel corps.

Daddy Del, 2000 La tenue vestimentaire crée un jeu érotique autour de l’uniforme marin
Del LaGrace Volcano et militaire, que la culture populaire s’est appropriée dans des lieux de
strip-tease. Le spectateur ou la spectatrice est par là également placé.e
devant un divertissement à caractère sexuel. C’est par la nette érotisation

46 47
du corps de Jack/Jax que Volcano réussit à produire par la photographie
une image positive d’une masculinité que la possession d’une poitrine
conduirait à juger, selon les normes du genre, « anormale ». Jax/Jack
défie ainsi les normes genrées qui colonisent le corps. Il nous offre une
image saisissante d’une transmaculinité à la fois érotisée et héroïsée,
comme sur un poster qu’un adolescent queer pourrait accrocher dans sa
chambre. Cependant, en l’absence de contexte, c’est-à-dire d’indications
permettant de savoir comment le modèle s’identifie, s’il a recours ou
non à la testostérone, ces images peuvent présenter aussi bien une
esthétique picturale de l’identité transmasculine que l’image d’une butch,
appellation donnée aux lesbiennes masculines. La différence qu’il y a
entre ces deux identités tient au fait que, d’un côté, la butch exprime et
performe seulement le genre masculin avec son corps « femelle », tandis
que, de l’autre, l’individu transmasculin passe à la molécule dans le but
de transmuter la sexuation de son corps, ce qui ne relève donc plus d’une
performance de genre. La différence entre l’identité butch et l’identité
transmaculine tient à cette banale équation du passage à la testostérone
Jack Revealed, 1992 Jacx Back II, 1992 ou non. A noter que ces analyses d’identification s’inscrivent dans une
Del LaGrace Volcano Del LaGrace Volcano épistémologie de la différence sexuelle binaire. Dans une société qui
reconnaîtrait un statut autre que femme ou homme, la perception
identitaire n’aurait pas été la même.

Jacx Back, 1992


Del LaGrace Volcano

48 49
Heather Cassils

« C’est la première image trans sur


laquelle je suis tombé, […] je suis cette
photo maintenant37 », disait Cassils en
parlant de Jax Back, œuvre que l’on voit
accrochée chez lui dans une interview
de Vice News38.

Portrait de Cassils
par Robin Black
Cassils, artiste trans FtM canadien à la fois plasticien, performeur,
cascadeur et bodybuilder est une figure très influente dans le champ de
l’art queer contemporain. Son œuvre est marquée par ses performances,
où le corps, élément fondateur, devient une forme de sculpture sociale
qui expose l’idée que les corps se forment dans le cadre de rapports
de pouvoir traduisant des attentes sociales. La performance et la
musculation fonctionnent donc ensemble dans son processus de création
puisqu’il s’agit d’un entretien et d’une préparation physique au quotidien.

La série multimédia Cuts : A Traditional Sculpture (2011), réalisée en


collaboration avec le photographe, artiste et maquilleur Robin Black,
est le résultat d’une performance qui s’est déroulée pendant six mois,
dans le but de sculpter davantage le corps par l’augmentation de la
masse musculaire. Elle se présente sous la forme de quatre grilles de
photographies en noir et blanc de son corps sous quatre angles : dos,
face, profil droit et gauche, qui retracent semaine après semaine sa
transformation physique et offrent au spectateur un aperçu saisissant
et clair de cette performance. Une vidéo témoigne également de cette Cuts: A Traditional Sculpture, Timelapse Before/After (Detail), 2011
transformation en accéléré durant 23 semaines de musculation intensive Courtesy of the artist and Ronald Feldman Gallery, New York
37
A. Sansonetti (entretien avec Cassils), « Home and Abroad in Gold : A
Dialogue with Cassils », Canadian Theatre Review, Vol. 179, Summer 2019,
p. 49-54, published on line 12 août 2019. URL : https ://doi.org/10.3138/ctr.179.010
38
Anon., « This Trans Artist Collected 200 Gallons Of Urine To Protest Trump »,
VICE News, 18 octobre 2017, Video disponible à https ://www.youtube.com/
watch ?v=p-TT7GoJ2iw

50 51
compressées en 23 secondes de croissance musculaire. Avec sa maîtrise
et sa connaissance dans ce domaine, Cassils suit minutieusement un
régime alimentaire de prise de masse, s’entraîne sans relâche et prend
des doses de stéroïdes sur six semaines. Il réussit à gagner au total 10
kg de muscles au cours de cette performance. Avant d’entreprendre ce
projet, il a réalisé un examen médical pour s’assurer de sa bonne santé,
il a conscience qu’il prend des risques mais ils sont calculés, de même
que son entraînement est toujours précis et équilibré pour atteindre son
objectif artistique.

A travers cette série, Cassils réinterprète en fait la performance


féministe Carving : A Traditional Sculpture (1972) d’Eleanor Antin, qui
pour réaliser cette œuvre a suivi un régime alimentaire pendant 45 jours
et a photographié quotidiennement son corps. Il en résulte 72 photos
montrant comment elle s’est affamée afin de ciseler un physique plus
mince et plus à la mode selon les codes contemporains de la féminité
corporelle. Cassils inverse donc ce processus de perte de poids et
incarne les attributs corporels clichés de la masculinité. Son corps est
musculairement développé, ce qui lui donne déjà un aspect très masculin.
La présence de ses seins suggère une ambiguïté sexuée, qui malgré
cette musculature hypertrophiée donne à son corps un aspect androgyne.
De façon générale, l’utilisation de stéroïdes engendre des caractères
sexuels secondaires mâles qui, lorsqu’on ne dépasse pas la dose seuil,
n’apparaissent que très légèrement. Cette molécule lui a néanmoins
permis d’atteindre rapidement un physique qu’il lui aurait été difficile
d’obtenir naturellement.

Dans sa démarche, Cassils ne rappelle pas seulement la critique faite


par Antin de la pression sociale qu’exerce un idéal esthétique du corps
féminin, il met surtout en évidence son propre corps transmasculin.
Comme il en témoigne dans une interview, il n’a pas opté pour une
transition complète39. Il est dès lors parfois perçu comme un homme mais
aussi parfois comme une femme aggressive qui défie les rôles de genre.
En effet, il se détourne des techniques généralement utilisées dans le
cadre d’une transition médicale telle que l’utilisation de la testostérone
et de la chirurgie. Il préfère explorer le potentiel de la pratique de la
musculation pour se bâtir un physique à l’image de son identité masculine.
Cuts: A Traditional Sculpture, Timelapse (Front), (Back), ((Right),
(Left), 2011 39
Fleur Pierets (entretien de Cassils avec], « Heather Cassils », et alors ?,
Courtesy of the artist and Ronald Feldman Gallery, New York
n° 10, juin 2014, p. 14-21. URL : https ://etalorsmagazine.com/heather-cassils/

52 53
S’il insiste sur le fait qu’il n’est pas opposé aux transitions médicales et
que les individus doivent faire leurs propres choix, il souligne cependant
qu’on se pose peu de questions cruciales sur la médicalisation des corps
trans et rappelle que la société nous enseigne que tout peut être réglé
par une simple pilule. Il cherche à contredire l’idée selon laquelle, pour
changer de sexe, il faut subir des chirurgies et s’engager à vie avec une
hormonothérapie. Selon ses propres mots, il s’agit d’interpréter le trans
« non pas comme un passage d’un sexe à un autre, mais plutôt comme
un processus continuel de devenir40 ».

Cuts : A Traditional Sculpture a fait l’objet d’autres photographies en


couleur qui par la suite ont été diffusées, imprimées et numérisées vers
l’industrie de la mode. Ces images questionnent également l’esthétique
gay et l’une d’entre elles, Advertisement : Homage to Benglis (2011),
fait écho à une œuvre féministe de 1974 de l’artiste Linda Benglis, dans
laquelle celle-ci pose nue avec un didlo à double extrémité dans une
publicité parue dans Artforum. Ici, Cassils préfère être « paqué » (pour Pin Up from the Magazine Lady Pin Up from the Magazine Lady
Face Man Body, No. 3, 2011 Face Man Body, No. 6, 2011
donner l’illusion de la forme d’un pénis) plutôt que de tenir le phallus
Photo: Cassils with Robin Black Photo: Cassils with Robin Black
comme Benglis, un détail qui peut davantage complexifier les projections
que ce corps suscitera.

Les images de Cassils et celles de Jax Back par Del LaGrace Volcano
offrent la représentation d’un corps transmasculin et dialoguent
également avec l’identité butch. Ces clichés témoignent des fines limites
qui séparent ces deux identités, que des expériences corporelles variées
et fluctuantes ont parfois tendance à effacer. Cependant, ces images
amènent à bien d’autres interrogations sur l’identité. Ne sachant pas
comment le modèle s’identifie, s’il se sent plus homme que femme, ou
aucun des deux, etc., le spectateur ou la spectatrice va émettre des
hypothèses sur son identité de genre.

Advertisement : Homage to Benglis de Cassils nous permet ainsi de


faire une analyse plurielle du corps et de l’identité du modèle en l’absence
de contexte indiquant comme la personne s’identifie et le genre auquel
il ou elle a été assigné.e à la naissance. Si on ne sait pas que le modèle
porte une prothèse phallique, on peut ainsi tout simplement penser qu’il

40
Angie Kordic, « 10 Transgender Art Creatives Whose Work You Pin Up from the Magazine Lady Face Man
Should Follow », Widewalls, 17 mai 2018. URL : https ://www.widewalls.ch/ Body, No. 2, 2011
magazine/10-transgender-art-artists Photo: Cassils with Robin Black

54 55
s’agit d’un homme cis, ayant une gynécomastie (développement de la
glande mammaire) et qui aime se maquiller (d’où le rouge à lèvres) et
enlever toute pilosité corporelle s’il en a. Mais il pourrait aussi s’agir
d’une femme trans sous les effets féminisants des œstrogènes (bien
que l’image de Cassils ne soit pas du tout représentative de l’imagerie
stéréotypée de la femme trans). Il pourrait également s’agir d’une
femme cis sous les effets virilisants d’androgènes pris dans le cadre
d’une pratique sportive, ou d’un homme trans sous testostérone dans
le cadre d’une transition hormonale. Il se pourrait que ce soit aussi
un individu intersexué qui aurait développé à la fois des caractères
sexuels secondaires mâle et femelle. Les expériences corporelles sont
tellement diverses qu’en l’absence d’indications sur le contexte dans
lequel elles s’inscrivent, on peut imaginer toute une série d’hypothèses et
de suppositions quant à l’identité de l’individu. Mon propos est de montrer
à quel point les attributs qu’on associe au corps sont cloisonnés dans
nos représentations de genre. J’aimerais souligner à quel point cette
image parvient, à l’inverse, à dégenrer le corps.

Advertisement: Homage to Benglis, 2011


Photo: Cassils with Robin Black
Courtesy of theartist and Ronald Feldman Gallery, New York

56 57
Wynne Neilly

L’identité est une notion très complexe. On ne peut pas seulement se


baser sur l’apparence du corps pour savoir comment quelqu’un s’identifie,
le corps présenté dans sa nudité expose la sexuation, voire une identité
sexuée, mais en aucun cas l’identité de genre, c’est-à-dire l’identité
psychique de l’individu. D’où mon choix de parler de la sexuation, de
parler du corps en des termes plus biologiques, afin d’éviter l’attribution
d’un genre, que seul l’individu peut attester.

Wynne Neilly est un jeune artiste trans FtM canadien diplômé en


arts visuels à l’université de Ryerson. A travers sa série Weekly Instant
Photographs présentée lors d’une exposition personnelle intitulée
Female to “Male“, il figure son expérience de la seconde puberté avec la
prise de testostérone. Il documente sa transition en utilisant le médium
du polaroid. Il s’agit d’un travail qui présente le changement corporel de
l’artiste sur une période d’un an, entre 2013 et 2014, suite à sa décision de
s’auto-administrer une dose hebdomadaire de 100 mg de testostérone.
Ainsi, Wynne Neilly photographie le haut de son corps chaque semaine
sur un fond neutre, précisons qu’il a déjà eu recours à une mastectomie,
ce qui donne à son anatomie un aspect d’entrée très masculin. Au vu
des photos, ce détail a son importance car on pourrait penser qu’il s’agit
du corps d’un jeune homme. Son regard est expressif, ainsi l’attention
Female to “Male”, 2014
du spectateur se focalise sur les variations corporelles qu’entraîne la
Wynne Neilly
testostérone : le développement musculaire, l’apparition de la pilosité, la
mâchoire plus carrée… L’une d’entre elles montre que ce jeune homme
a subi une hystérectomie, chirurgie très pratiquée dans un parcours
médical FtM.

Il crée une autre pièce intitulée Vocal Changes (2013-2014),


enregistrement de l’évolution de sa voix sous testostérone, qui
s’accompagne de la photographie Facial Hair (2014) où l’on voit un gros
plan sur le bas du visage de l’artiste, avec l’apparition d’un léger duvet
au-dessus de la bouche. La modification corporelle trans témoigne
également d’un changement d’époque puisqu’autrefois les moyens
biomoléculaires n’existaient pas.

Facial Hair, 2014


Wynne Neilly

58 59
L’exposition du corps en pleine mutation sexuée amène à réfléchir
sur la formation du genre. Le travail de Wynne Neilly s’intéresse ainsi à
l’identification floue de son corps qui se modifie progressivement et se
transforme sous l’effet des hormones. L’artiste refuse toute assignation
sexuelle et se définit comme résolument « trans ». Les enregistrements
audiovisuels qui exposent sa métamorphose ne sont que les extraits
d’une trajectoire qui va de l’identité faussement considérée comme
féminine vers une identité masculine qui pour lui est tout aussi incertaine,
raison pour laquelle des guillemets sont ajoutés dans Female to ”Male”.

L’installation Female to ”Male” détourne une chronobiologie de la


puberté naturelle vers une puberté artificielle. Ce qui interroge également
les relations de l’organisation temporelle de la vie, c’est-à-dire l’âge et
la création de son identité sexuée via la molécule. En dépassant la dose
seuil de testostérone, le corps traverse inévitablement une nouvelle
phase de réorganisation biologique. De façon générale, la puberté ne
se vit qu’une seule fois dans une vie, elle est l’étape transitoire d’un
corps assexué à sexué. Dans ce cas, la seconde puberté est seulement
l’apparition de certains signes visuels qui seront considérés comme
masculins dans l’espace social, elle ne permettra pas la procréation
comme elle le permet au corps d’un individu mâle. Néanmoins, ici, la
temporalité corporelle s’inverse, la puberté succède à l’âge adulte. Cette
seconde puberté modifie la structure temporelle du corps humain et
trouble l’âge évolutif.
Female to “Male”, 2016-2019
Images tirées de son Instagram
Bien que le jeune homme ait eu la chance de réaliser sa transition dans
Wynne Neilly
de bonnes conditions au Canada, les hormonothérapies et l’ensemble
des actes de chirurgie de transsexuation ne sont pas reconnues par la
loi canadienne comme un besoin médical. De plus, certaines personnes
trans sont discriminées à l’embauche ou dans la vie de tous les jours. La
série Female to “Male” a pour but premier d’informer et de documenter
l’expérience du corps trans mais aussi de sensibiliser un large public à
la souffrance de ce vécu d’où la nécessité de transitionner. Cependant,
en dehors du côté informatif, partager sa transition dans les moindres
détails avec des timelines avant/après a une dimension très voyeuriste.
Au début, les photographies sur papier brillant de Wynne Neilly avaient
pour seule vocation d’être un souvenir personnel afin d’immortaliser
intimement le changement de son corps. Mais le projet a évolué. Bien des
années plus tard, l’artiste poursuit cette série de polaroids et la partage Female to “Male”, 2016-2019
dans sa galerie Instagram. Image tirée de son Instagram
Wynne Neilly

60 61
Chacun de ces artistes participe à sa manière à la construction de
nouvelles représentations du corps trans qui s’inscrivent dans une
manière différente de penser les temporalités corporelles, à rebours
des conceptions évolutionnistes dominantes selon lesquelles tout corps
est soumis à un programme génétique qu’on ne saurait modifier41. Or des
reprogrammations hormonales sont aujourd’hui possibles, ce qui montre
les limites de ces schémas « évolutifs ». Pourtant, quand ils parlent de
leur travail, les uns et les autres n’utilisent que la notion de genre, hormis
Volcano qui emploie le terme de mutation quand il exprime une intention
déterminée de transformation du corps. A mon sens, cependant, la notion
d’identité et d’expression de genre est davantage appropriée lorsqu’on
parle de l’œuvre de Journiac puisqu’il cherche à mettre en lumière les
stéréotypes que l’on attribue à l’un et l’autre sexe. Ne parler que du genre
pour caractériser les corps entretient en revanche l’idée que ce dernier
en possède un par nature.

Il s’agit désormais de proposer de nouvelles manières de figurer les


corps dans une ère où la manipulation génétique et biomoléculaire donne
naissance à de nouvelles corporalités, une forme d’ouverture sur les
possibles stylisations du corps. Le projet de décrire visuellement le
processus de transformation par la molécule du corps trans est tout
nouveau et il existe encore peu de tentatives en ce sens. Dans la partie
qui suit, je tente moi-même cette exploration, par le biais de dessins
accompagnés de citations tirées de Testo Junkie qui mettent en lumière
le corps travaillé de l’intérieur par la molécule.

41
Luc Schicharin, « L’art transgenre, vers d’autres expériences corporelles
du temps », GLAD ! Revue sur le langage, le genre, les sexualités [en ligne], 06
/ 2019. URL : https ://www.revue-glad.org/1554

62
III. Lien organique
et involution Je ne peux pas vous dire tout ce qu’il se passe lorsqu’on prend de la
testostérone, ni ce que cela ferait dans votre corps. Prenez la peine de
vous administrer les doses de connaissances nécessaires et que votre

créatrice par la
goût du risque vous permet42.

testostérone

42
Paul B. Preciado, Un appartement sur Uranus, préface de Virginie Despentes,
Paris, Grasset, 2019, p. 30.

64 65
Je reçois ma première injection de testostérone fin janvier 2020.

Je suis prêt plus que jamais à changer irréversiblement ce


corps qui m’a toujours paru étranger. En augmentant mon
taux de testostérone, un chamboulement physiologique se
manifeste rapidement dans la totalité de l’organisme. J’ai subi
une première puberté d’ordre biologique : l’essence même de la
programmation hormonale innée de mon corps et je traverse
actuellement celle-ci : artificielle, dans le but de renverser ce que
la nature avait fait de moi. Ordinairement, la puberté n’arrive
qu’une seule fois dans une vie, signalant l’arrivée à la maturité
sexuelle. Pourtant, à travers cette inflation d’hormones mâles
dans le sang, je modifie, voire je déconstruis, cette structure
temporelle du corps en entamant une seconde puberté. Cette
involution créatrice bouleverse l’idée d’un âge évolutif. Je
traverse une transition sexuée : le passage d’une corporalité
femelle à mâle (en passant aussi par un état intersexué).

66 67
Pour un corps originairement accoutumé à réguler son
métabolisme hormonal autour de la production d’œstrogènes,
l’augmentation volontaire du taux de testostérone dans le sang
instaure une reprogrammation endocrinienne. Une moindre
modification hormonale altère l’ensemble des fonctions corporelles,
tant sur le plan métabolique que sur le plan psychologique,
et en définitive toute la physiologie chimique de l’organisme.
Mon corps s’habitue rapidement à recevoir une quantité
abondante d’hormones mâles et les premiers changements ne
se font pas attendre. Dès les premiers mois, j’incarne un corps
ni typiquement mâle ni typiquement femelle mais intersexué.
L’union du dimorphisme sexuel humain dans un seul et même
corps.

68 69
Ce changement qui s’opère au plus profond de ma chair est
émotionnellement très fort, c’est une renaissance du corps. Outre
que ce chamboulement physique, je ne le cache pas, n’est pas
des moindres, il est tout aussi bouleversant d’un point de vue
psychique et social.

Dans la causalité existentielle, l’horreur de ma propre sexuation


et le désir d’aquérir les traits du sexe opposé m’ont poussé à
l’augmentation intentionnelle de testostérone qui a ressucité
mon esprit via les phénomènes biologiques qu’elle engendrait.
Par sa présence, les gènes, dont l’expression avait été annulée par
celle d’œstrogènes, s’activent. La testostérone laisse s’exprimer
un phénotype qui autrement serait resté muet.

L’hormone est une alliée qui ouvre une porte d’entrée pour la
réalisation de soi. Transitionner hormonalement, c’est inventer
un lien avec un autre code vivant. La construction de mon
identité sexuée est façonnée à travers cette hormone.

70 71
L’expérience trans est un tourbillon d’énergie de transformation qui
recodifie tous les signifiants politiques et culturels sans qu’il soit
possible de faire la césure nette entre hier et aujourd’hui, entre le
féminin et le masculin43.

J’ai volontairement provoqué des mutations hormonales et


morphologiques qui ne peuvent être seulement certifiées comme
masculines selon les codes binaires de genre. L’amplification
de testostérone dans mon corps a provoqué un trouble de la
féminité en tant que code d’identification sociale. Il s’agit du
point culminant entre l’effacement de ces codes féminins et
l’apparition de codes masculins.

43
Paul B. Preciado, Un appartement sur Uranus, op. cit., p. 55.

72 73
Transitionner corporellement, c’est accepter l’émergence d’un
changement dans toutes les cellules de son corps pour laisser
place à un futur soi. C’est aussi prendre conscience que les
codes culturels de la masculinité et de la féminité sont artificiels
comparés à l’infinie variation des modèles existentiels de
l’être humain. Cette modification de la sexuation établit une
communication transversale avec l’hormone qui efface ou plutôt
dissimule ce qui est appelé le phénotype féminin.

74 75
La transition sexuée est un voyage intérieur qui n’a pas de billet
retour, c’est accepter que les changements qui opèrent sont la clé
pour l’accomplissement de soi. Je fusionne avec la testostérone en
passant l’intensité de mon désir à travers elle, je métamorphose
ma subjectivité et façonne mon corps.

76 77
La testostérone n’est pas la masculinité. Rien ne permet de
certifier que les effets qu’elle produit sont masculins. La seule
chose qui peut être affirmée c’est qu’elle est sécrétée en forte
quantité dans le corps d’un mâle humain. La masculinité est
un concept et en aucun cas un fait biologique.

78 79
Le voyageur du genre ressent le changement de sa voix comme une
possession, un acte de ventriloquisme qui l’oblige à s’identifier à
l’inconnu44.

La mue de la voix est l’une des plus belles choses que j’ai vécues.

Il aura suffi d’une seule prise de testostérone pour qu’elle bouge


jour après jour. Cet organe phonatoire changeait si vite que
j’étais le premier surpris.

Cependant, c’est très rapidement que je me suis habitué à son


nouveau timbre si bien que j’étais partagé entre le sentiment
d’avoir enfin ma vraie voix – celle d’avant étant juvénile et
n’attendant plus que de se réaliser –, et la sensation de l’avoir
toujours eue.

Au fur et à mesure de l’intensification des changements sur


l’ensemble du corps, la pilosité faciale n’était en réalité qu’un
détail par rapport à la rupture que la modification de la voix
opérait dans la reconnaissance sociale, en suscitant, par sa
différence, une réponse qui faisait qu’on m’identifiait sans
hésitation comme masculin.

44
Ibidem, p. 34.

80 81
Être trans, c’est désirer un processus de “créolisation” interne : accepter
qu’on n’arrive à être soi-même que grâce au changement, à la mutation,
au métissage. La voix que la testostérone propulse dans ma gorge n’est
pas celle d’un homme, c’est la voix de la traversée45.

Le son d’une voix est l’un des principaux indicateurs dans la


reconnaissance sociale, si bien que dans certaines situations
comme par exemple au téléphone, on s’appuie uniquement sur
elle pour identifier un.e inconnu.e

La performance de genre se joue aussi sur la façon de la placer.


Si on parle plutôt vite, avec sa voix de tête, elle sera codifiée
socialement comme féminine, et à l’inverse, si on parle plutôt
lentement avec sa voix de poitrine, elle sera classifiée comme
masculine.

45
Ibid.

82 83
La testostérone est pour moi la gestion moléculaire de la
« mâlisation » corporelle. Injection après injection, elle sculpte
mon corps, défait petit à petit ce trouble du genre de mon allure
androgyne, et en efface toute ambiguïté.

84 85
Une transformation biomoléculaire peut rejoindre la notion de genre
dans le sens où les changements corporels entraîneront une certaine
reconnaissance sociale. Cependant, étant donné qu’elle engage un
processus physiologique, elle relève aussi d’une mutation sexuée.
Priviliégier uniquement l’idée d’un changement de genre, plutôt que
celle d’une transformation corporelle, montre paradoxalement le rôle
central que joue encore l’idée de dépendance entre sexe et genre. Le
genre est conçu une fois encore comme le produit du corps sexué
et du sexe biologique. Il est en d’autres termes renaturalisé. C’est un
lien qui pourrait pourtant être desserré, même s’il ne peut jamais être
complètement effacé. Ma démarche tend, à rebours de ce schéma,
vers une dénaturalisation du genre, une sortie hors des catégories qui
normalisent les corps.

J’ai conscience que mon approche des corps trans peut donner
l’impression que j’en fais un objet spécifique, avec le risque, propre à ce

CONCLUSION
type d’étude, de tendre dès lors vers un nouvel essentialisme. Cependant,
une analyse détaillée est nécessaire pour traiter un sujet dont certains
aspects n’ont jusque là pas été abordés. Il est certain que dans une
société moins sexiste et moins oppressive, certaines personnes trans
ne ressentiraient pas le besoin de s’hormoner ou d’avoir recours à de la
chirurgie, afin de conformer leur corps à ce qu’on en attend, dans l’espoir
d’avoir une vie vivable. Sous cet aspect, la transidentité trouve son origine
dans un ensemble de données sociologiques. Cependant, les attentes
sociétales ne sont pas à l’origine des phénomènes physiologiques et
biologiques que le corps traverse au moment de la puberté, c’est en
ce sens que le psychisme en dissonance avec le corps sexué a une
existence propre indépendamment des stéréotypes et des attentes
sociétales.

Une telle étude sur les concepts de sexe et de genre permet surtout
de saisir à quel point la notion d’homme et de femme, enchevêtrée de
biologie et de constructions socio-culturelles, est floue et abstraite.
Les usages qu’on en fait entraînent tellement de confusions dans le
langage courant et d’oppressions systémiques dans les relations sociales
qu’il me paraît plus opératoire de recourir à des termes beaucoup plus
biologiques pour parler du corps afin de le dégager de la notion de
genre. Malgré tout, le paramètre de la langue ne permet pas de s’en
dégager réellement, puisque la construction du pronom, notamment, est
un facteur qui nous oblige à nous conformer à ce dernier.

86 87
Dans la dernière partie de ce mémoire, j’ai tenté de traduire sur un plan
graphique un processus de transformation corporelle par la molécule.
Le texte explicite la raison d’être du dessin, tel un récit explicatif où il est
question d’injection sous la peau, d’organique et de chimie tandis que le
mode de représentation graphique utilisé élimine la peau et la texture.
La carnation est aussi ce qui singularise un corps, l’impact n’aurait pas
été le même s’il s’agissait de photographies comme c’est le cas avec
l’œuvre de Cassils par exemple. Le dessin déconnecte la représentation
d’un corps réel alors que le texte recrée une connexion avec la réalité.

Tout au long de cet écrit, nous avons vu à quel point la notion de


genre enferme et oppresse les individus. Comme le montrent les œuvres
des artistes mentionnées plus haut, l’image est un outil qui permet de
dépasser les barrières de la langue qui enferment les corps dans des
catégories et des carcans. C’est dans cette perspective que je souhaite
poursuivre mon travail afin de déconstruire et dépasser des modèles
normatifs, et proposer un nouveau point de vue indiquant une issue pour
dégenrer le corps et desserrer les représentations normatives. Telle une
utopie, l’image permet en ce sens de mettre en place un langage qui
questionne nos modes de pensées programmés dans une vision binaire,
de dépasser la notion de masculin et féminin qui enferme les corps dans
les attentes sociétales propres à une culture et à une époque.

Dans un meilleur monde, l’assignation de genre dès la naissance devrait


être supprimée car elle ne fait qu’entretenir les stéréotypes concernant
ce à quoi un corps sexué doit répondre socialement. Mais il serait tout
aussi important dans cette perspective d’adopter un nouveau langage
et de mettre en place une épistémologie capable de rendre visible la
diversité des corps vivants ainsi que de nouveaux types de corporalité,
et qui ne les réduise pas à leur seule fonction de reproduction dans
un cadre normatif hétérosexuel ; afin que tout être humain.e puisse se
reconnaître dans sa condition de vie et de libérer ainsi les corps sexués
de l’emprise du genre et des attentes sociétales auxquelles ils doivent
répondre.

88
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ctr.179.010

92 93
Notes de remerciements

Je tiens à remercier très grandement Catherine Fraixe qui m’a


accompagné et motivé du début jusqu’à la fin dans l’aventure de ce
mémoire, et avec qui j’ai eu de riches conversations à la fois inspirantes
et constructives.

Merci à tout.e.s celles et ceux, qui m’ont accompagné tout au long de cette
transiton et pour les discussions que j’ai eu les un.e.s avec les autres
qui a permis de nourrir la réflexion de ce mémoire.

Un grand merci également à Boris Grisot pour m’avoir initié à la mise


en page sur Indesign.

Je remercie aussi les plasticien.nes et littéraires pour les échanges


constructifs de cet écrit.

95
Je n’ai jamais autant voyagé que pendant cette année 2020.
La réalisation de ce mémoire de fin d’étude en Master 2 à
l’ENSA Bourges a été l’occasion d’exprimer et partager un
grand nombre d’interrogations et de réflexions par lesquelles
je suis traversé depuis le début de ma transition sexuée.
Alternant entre l’expérimentation et l’analyse, cette
aventure, qui est le résultat de huit mois d’étude, a été à la
fois thérapeutique et introspective.
La notion de sexe/genre étant au cœur de nombreux sujets
actuels, je tente une approche subjective en soulevant
nombre de questions propres à l’époque contemporaine.
Vous trouverez un corpus d’œuvres d’artistes sélectionnées
afin d’illustrer mes propos.

Bonne lecture à tous.tes.

96

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