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Ce Livre Noir rassemble, pour la première

fois, une documentation précise sur les


crimes américains dans la période actuelle
de la guerre au Vietnam : massacres et
tortures, bombardements intensifs et sans
discrimination, expérimentation d’armes nouvelles.
Il étudie les effets sociaux et psychologiques
des moyens employés sur les populations ;
il est le premier dossier d’ensemble sur la
guerre chimique — le biocide — crime de
guerre nouveau qui anéantit toute forme de vie,
pour le présent et pour un avenir indéterminé.
Le Livre Noir a puisé sa documentation à
différentes sources nouvelles et documents
diffusés par la presse et à des travaux
scientifiques français et surtout américains,
dont les auteurs ont dénoncé, depuis plusieurs
années, la guerre chimique.
Le Livre Noir est un cri d’alarme et un appel
à l’action.
EN TOUTE LIBERTÉ

COLLECTION DIRIGÉE PAR ALAIN


DUHAMEL
Les 35 organisations
des Assises Nationales
présentent

LE LIVRE NOIR DES


CRIMES AMÉRICAINS
AU VIETNAM

Fayard
Sommaire

Couverture
Présentation

Page de titre

Au lecteur
Première Partie

Les massacres de population

1°) Son My.


2°) Le contexte de Son My.

3°) Mille Son My.

Massacre de Ba Lang An.

Massacre de Go Su.
L’opération « Tigre de Mer ».

Deuxième Partie

La guerre chimique

I. — L’accusation vietnamienne
A. — Desseins et procédés des impérialistes américains

relatifs à la guerre chimique qu’ils mènent au Sud-

Vietnam.

B. — Actions d’épandage de produits chimiques

toxiques dénommés « herbicides » par les Américains.

DOCUMENTS ANNEXES

I - Effets directs des produits chimiques toxiques

dénommés « herbicides » sur les céréales et les


arbres fruitiers. Dégâts subis par le district d’An

Lao (Binh Dinh) à la suite d’épandages de

produits chimiques par les Américains.

II - Symptômes pathologiques d’un intoxiqué par


les produits chimiques

III

C. — L’emploi des gaz toxiques.

D. — Conclusion

DOCUMENT ANNEXE

I - Statistiques incomplètes des épandages de gaz


toxiques en 1969.

II - Statistiques incomplètes des épandages de


produits chimiques dénommés « herbicides » en

1969.

II. — Les données d’origine américaine

Introduction.

Historique.

A) DEFOLIATION.

B. — LA GUERRE ANTIRECOLTES

C. — LES EFFETS SUR LA DESCENDANCE DE

L’HOMME (Effets tératogènes)

D. — GAZ TOXIQUES

Les stations d’étude de la guerre chimique et

bactériologique

Troisième Partie

Bombardements. Expérimentation. Effets sociaux.

A. — LES ARMES. LE VIETNAM, CHAMP D’EXPERIENCE

L’aviation (U.S. Air Force).

Les hélicoptères.

Matériels et appareils spéciaux.

Un véritable arsenal.

B. — LES BOMBARDEMENTS
Une stratégie calculée. Vers le biocide ?

1. — A partir du 1er novembre 1968, l’agression

aérienne contre le Sud va sans cesse augmenter


d’intensité

2. — L’agression aérienne contre le Sud va augmenter en

puissance de feu et mettre en œuvre des armes nouvelles

3. — L’augmentation d’intensité des bombardements par

B 52 seulement est parallèle à une concentration de feu

sur des surfaces très réduites

4. — Les B 52 sont « aidés » par l’aviation tactique dont

le rôle n’est pas négligeable

En guise de conclusion

Personne ne peut plus vivre dans ce cauchemar

C. — CONSEQUENCES SOCIALES ET MORALES DE

L’OCCUPATION AMERICAINE

CONCLUSION

CE LIVRE PARAIT A L’OCCASION DU RASSEMBLEMENT

NATIONAL POUR LE VIETNAM CONVOQUE LE 10 MAI 1970 A

PARIS PAR 125 PERSONNALITES ET 44 ORGANISATIONS

Notes
Copyright d’origine

Achevé de numériser
La préparation et la publication de ce livre ont été décidées par les
Assises nationales pour le Vietnam qui se sont tenues le 13 et 14 décembre
1969, à l’appel de plus de trente-cinq organisations.

Les représentants des dites organisations, qui préparent le


Rassemblement du 10 mai pour le Vietnam ont alors désigné une
Commission de rédaction et un Comité de lecture.

La Commission de rédaction est composée de : Mmes Françoise Direr et


Marcelle Venturini ; MM. Jean Benech, Dr Bosquet, Pierre Brocheux,
Charles Fourniau et pasteur Voge.

Le Comité de lecture est composé de : Mme Marguerite Thibert, MM.


Gustave Durup, Jean Schaefer et Souchet.

Les membres de cette Commission de rédaction et du Comité de lecture


prennent la responsabilité du texte de l’ouvrage, ayant conscience d’avoir
travaillé dans l’esprit des Assises nationales pour le Vietnam et du
Rassemblement du 10 mai, que préparent dans l’union les 43 organisations
appelantes.
Au lecteur

Ce livre a été conçu comme un dossier.


Il s’efforce donc de présenter au lecteur les faits eux-mêmes, en limitant
le commentaire à ce qui est indispensable à une compréhension pleine et
entière. Il se veut scientifique en ce sens qu’il s’appuie sur des sources
sérieuses, clairement citées. Les faits relatifs aux sciences de la nature ont
été soumis à l’examen de spécialistes de ces questions.
Mais cet ouvrage est destiné à un large public d’hommes et de femmes de
bonne volonté, qui entendent être informés des événements de leur époque.
Tout appareil d’érudition a ainsi été écarté afin de traduire en un langage
accessible à tous les conclusions des savants. Ce dossier, par ailleurs, ne
prétend pas être exhaustif. Un répertoire complet des crimes américains ne
peut être dressé à l’heure actuelle. Il ne s’agit ici que d’un échantillonnage
caractéristique. Pour plus amples renseignements, on pourra se reporter aux
bibliographies citées en fins de chapitres.

Les faits rapportés concernent la période 1968-1970. Pour les années


antérieures, les travaux du « Tribunal Russel » fournissent une
documentation très abondante, qu’il est inutile de doubler.
Dans nos recherches, nous avons utilisé le plus possible les sources
américaines ou provenant d’agences occidentales.
Nous avons fait appel, conjointement, aux informations émanant de la
République Démocratique du Vietnam et du Gouvernement Révolutionnaire
provisoire de la République du Sud-Vietnam. Il ne serait pas, en effet,
raisonnable de se référer exclusivement aux nouvelles provenant d’une
seule des parties en cause. Au surplus, la révélation de l’affaire de Son My a
montré spectaculairement l’authenticité des informations vietnamiennes : le
massacre de Son My avait été dénoncé par l’agence Giai Phong du Front
National de Libération peu de temps après qu’il ait eu lieu. La nouvelle
n’avait pas été prise en considération par les agences occidentales, mais elle
reçut avec un an et demi de retard une tragique confirmation. Cet exemple
typique nous a donc amenés à utiliser largement les sources vietnamiennes,
dont les informations ne sont presque jamais démenties d’une façon
expresse par le gouvernement américain.

Au terme de ce travail d’information, nous estimons avoir apporté la


preuve de la réalité, de l’extrême gravité des crimes américains au Vietnam
et de leur aggravation progressive au cours de ces deux dernières années.
Jeter un cri d’alarme et contribuer à une prise de conscience, tel est
l’objectif de ce livre.
Il faut que nos concitoyens sachent quel crime contre l’humanité est
perpétré à 10 000 kilomètres de chez nous.
Il faut qu’ils sachent que ces crimes n’atteignent aujourd’hui que les
peuples de la péninsule indochinoise — le peuple vietnamien n’étant déjà
plus seul en cause — mais que l’expérimentation des nouvelles armes de
guerre totale risque un jour de s’étendre à l’humanité tout entière. Comme
les Espagnols de Guernica ont préfiguré le sort des habitants de Rotterdam,
de Coventry et d’Oradour, le paysan du Sud-Vietnam suffoquant sous les
gaz toxiques pourrait bien préfigurer notre propre sort.
Il faut que nos concitoyens comprennent qu’indépendamment de toute
option politique, l’aide au peuple vietnamien en lutte pour son
indépendance et sa liberté signifie que toutes les forces de vie doivent être
mobilisées contre les forces de destruction.

Dans ce terrible constat des crimes américains au Vietnam ne figure


aucune trace d’antiaméricanisme.
Toute une partie de la documentation de ce livre émane des travaux de
savants américains qui ont eu le courage, en tant que scientifiques et en tant
que citoyens, de dénoncer cette perversion d’une science mise au service du
Pentagone. L’action de plus en plus efficace des forces de paix aux Etats-
Unis — les Colombes — atteste, s’il en était besoin, que la responsabilité
de ces crimes est imputable au gouvernement américain et non pas à chaque
citoyen américain.

Les manifestations qui se déroulent en France — Assises pour le Vietnam


ou Rassemblement du 10 mai — à l’appel de 37 organisations de tendances
politiques diverses, expriment le double but de placer le peuple français aux
côtés du peuple vietnamien et de manifester un soutien total aux forces
pacifiques américaines. C’est sur elles que repose en partie notre espoir de
voir cesser cette guerre d’extermination dans les délais les plus brefs.
Cet espoir et cette confiance ne sauraient rester passifs. Puisse ce dossier
contribuer, même dans une très modeste mesure, à la victoire de la Vie.
Première Partie
SUD VIETNAM
Localités où ont eu lieu les principaux massacres (excepté Hué, Saigon et Dalat)
Les massacres de population

Plus personne ne peut ignorer le massacre de Son My.


Les problèmes qui se posent cependant à partir de là sont nombreux :
— Il importe en premier lieu de bien voir la réalité, l’horreur et le fait
que pendant un an et demi cet assassinat collectif de tout un village a
pu être caché à l’opinion publique malgré l’annonce qui en avait été
faite par l’agence vietnamienne Giai Phong.
— En second lieu se pose la question : Son My est-il un incident isolé ?
C’est la thèse officielle américaine. Il est évident qu’il s’agit là d’un
énorme mensonge auquel, en fait, personne ne croit.
Les sources vietnamiennes et américaines concordent pour établir le
climat de violence illimitée dans lequel le corps Expéditionnaire U.S. mène
cette guerre. Nous n’avons pas la prétention de réunir ici toutes les
informations et tous les témoignages d’une implacable monotonie dans leur
ressemblance. Le volume tout entier n’y suffirait pas. Le seul relevé
chronologique — non exhaustif — pour la période qui va de novembre
1968 à novembre 1969 occupe à lui seul une trentaine de feuillets
dactylographiés.
Nous nous contenterons donc de donner des exemples, pris entre mille,
des différents aspects de cette violence qui va du geste individuel et
quotidien aux vastes massacres organisés.

1°) Son My 1.

La réalité, l’ampleur et l’horreur du massacre de Son My sont attestées


par les témoignages convergents de sources vietnamienne et américaine. Là
encore, nous ne prendrons que quelques exemples de l’ensemble du dossier.

• Témoignages de : M. Pham Thao, 60 ans, Mme Pham Thi Tro, 35 ans,


Mlle Nguyen Thi Hoa, 18 ans, Mlle Pham Thi Mau, 15 ans, du hameau de
Khe Thuan dans la région de Son My (publiés en mai 1968 par l’agence
d’information Giai Phong.)

« A 6 heures du matin, un jour ordinaire, dans une région libérée, au


moment où chacun vaquait à ses occupations, l’artillerie américaine se mit
soudain à tirer de toutes parts. Ensuite des dizaines d’hélicoptères
débarquèrent des troupes U.S. Au moment où ils abordèrent la terre les GI’s
se répartirent en trois groupes : l’un pour donner la chasse aux habitants, un
autre pour abattre les arbres et détruire les obstacles, un autre pour tirer sur
le bétail.
« Pour nous protéger des bombes et obus, nous étions allés nous cacher
dans des abris souterrains comme nous le faisions chaque fois. Mais ce
jour-là les Américains sont passés dans chaque maison, chaque abri. Ils ont
lancé des grenades lacrymogènes, des explosifs et ont tiré sur les abris. Tous
les gens qui n’ont pas été tués, ont été rassemblés, y compris les viellards,
femmes et enfants, et emmenés sur la route. Ceux qui avaient de la peine à
suivre ont été tués à bout portant. Le reste fut parqué à Nuong Keni. Les
GI’s se sont mis à tirer à la mitraillette sur cette population. Les corps des
victimes s’amoncelaient. C’est parce que les cadavres des autres sont
tombés sur nous que nous avons eu la vie sauve.
« Nous pouvons dire ce que nous avons vu. Par exemple, M. Truong Tho,
72 ans, après avoir été violemment battu, a eu le menton sectionné. On l’a
jeté dans un puits et tué à la grenade. La jeune Do Thi Nguyet, 12 ans, après
avoir été violentée, a eu le ventre ouvert par une baïonnette. La jeune Pham
Thi Mui, 15 ans, après avoir subi les mêmes violences, a été brûlée vive
dans le grenier de sa maison incendiée.

• Témoignages de : M. Vo Nua, 64 ans, Mme Nguyen Thi Ty, 33 ans ; du


jeune Vo Cao Loi, 16 ans, et de la petite Vo Thi Lien, 15 ans, du hameau de
My Lai dans la région de Son My (publiés en mai 1968 par l’agence Giai
Phong).

« Le 16 mars 1968, les Américains après avoir fait irruption dans notre
hameau ont incendié les maisons. Les soldats allaient d’abri en abri, ils
lançaient des gaz lacrymogènes, des explosifs et tiraient à la mitraillette. La
majorité des personnes qui s’étaient réfugiées dans les abris, vieillards,
femmes et enfants, ont été tuées.
« Mme Vo Thi Mai, 35 ans, qui venait d’accoucher, a été ce jour-là violée
et tuée. L’enfant, qui n’avait que 10 heures d’existence, est resté sans lait.
Mme Vo Thi Mai avait trois autres enfants en bas âge.
« Mme Vo Thi Phu 30 ans a été tuée au moment où elle allaitait son
enfant. Les GI’s ont recouvert son corps de chaume et l’ont fait brûler. La
mère serrait encore son enfant contre elle.
« Au cours de ce massacre, 87 personnes de notre hameau ont été tuées, 9
blessées. Parmi les victimes : 9 vieillards, 55 enfants de 1 à 15 ans et une
femme enceinte. 304 maisons incendiées. »

• Témoignage du soldat U.S. Paul Meadlo, le 25 novembre 1969, à la


chaîne de télévision C.B.S., américaine.

« J’ai participé au massacre de Son My. J’ai personnellement tué une


dizaine de personnes. J’ai aidé à rassembler 40 à 50 personnes, hommes,
femmes et bébés. Je les ai fait s’accroupir. Le lieutenant Calley est venu et
m’a dit : « Tu sais ce qu’il faut en faire. » J’ai répondu : « Oui. » Je croyais
qu’il s’agissait simplement de les surveiller. Il est revenu 10 minutes plus
tard et m’a demandé : « Comment se fait-il que tu ne les aies pas encore
tués ? » Je lui ai dit que je ne savais pas qu’il voulait que je les tue, que je
croyais devoir seulement les garder. Il m’a dit : « Je les veux morts. »
(L’Humanité, 26 novembre 1969).

• Témoignage de : Herbert Carter, 23 ans, démobilisé depuis août 1968, à


Houston (Texas) le 10 décembre 1969. Carter servait dans la compagnie du
lieutenant William Calley.
« La tuerie a commencé dès que les soldats eurent quitté les hélicoptères.
Il y avait un vieil homme au milieu d’une rizière, qui agitait la main. Il a été
tué. Nous sommes alors entrés dans le village. Nous n’avons vu aucun
Vietcong. Les gens ont commencé à sortir des paillottes et les soldats les
ont tués. Puis ils ont brûlé les paillottes ou tiraient sur les gens quand ils
s’enfuyaient. Quelquefois ils rassemblaient tout un groupe et tiraient dans le
tas. L’ordre de tuer les civils venait de plus haut que le capitaine Medina. »

La vérité s’est fait jour lentement. Dès mai 1968, les documents
vietnamiens en donnaient connaissance :
« Le journal Sud-Vietnam en lutte (N° 14 du 15 mai 1968) rédigé en
français, a consacré deux colonnes de sa page 5 à l’affaire. Il reprenait un
communiqué envoyé à l’agence Giai Phong par le comité du F.N.L. de la
province de Quang Ngai. Auparavant, le même texte avait été présenté à
Paris par le Bulletin du Vietnam édité par la Délégation Générale de la
R.D.V. en France (N° 155, pages 8 et 9). Il fut à nouveau question du
massacre dans le rapport lu à Grenoble lors de la conférence mondiale des
juristes pour le Vietnam (6-10 juillet 1969) par Mme Truong Thu Hue,
membre du F.N.L. (version française, p. 10) (Le Monde, 23-24 novembre
1969, Jacques Decornoy).

Cependant il fallut attendre le 17 novembre 1969 pour lire dans le New


York Times, sous la plume de l’un de ses correspondants. Mr Henry Kamm :

« ... que 576 hommes, femmes et enfants ont été massacrés le 16


mars 1968 par une unité de l’infanterie américaine dans le village de
Son My, près de la ville de Quang Ngai, dans la région septentrionale
du Vietnam du Sud. Les militaires américains, après avoir pénétré dans
le village, ont contraint les habitants à se rassembler dans trois
maisons. Les trois lieux de massacre étaient distants de 200 mètres »,
précise le journal américain. Après avoir dynamité les trois maisons,
une vingtaine de soldats américains « ont accompli des exécutions
dans chacune des trois maisons », ajoute le New York Times (d’après
Le Monde, 19 novembre 1969).

Les autorités américaines niaient encore, ainsi que les officiers


directement responsables.
« Le 12 décembre 1969, Mendel Rivers, à la télévision américaine
prétendait qu’il n’avait quant à lui recueilli aucune preuve formelle qu’un
massacre ait eu effectivement lieu » (Le Figaro, 13 décembre 1969).
« Le capitaine Medina a d’abord nié le crime de Son My » (Le Figaro, 6
décembre 1969, Léo Sauvage).

Cependant les confirmations se multipliaient dans la presse U.S. et


saigonnaise. Le 20 novembre, le journal Plain Dealer de Cleveland (Ohio)
publiait une série de photos de civils vietnamiens abattus par des militaires
américains, le 16 mars 1968. Les clichés appartenaient à un ancien
photographe militaire, Ronald L. Haeberle, 28 ans, qui relatait, dans un
article, ce qui s’était passé lorsque la compagnie « C » du 1er bataillon du
20e régiment, 11e brigade légère d’infanterie, avait pénétré ce jour-là dans le
village de Son My :
« Je me souviens distinctement de cet homme, qui s’avançait vers nous
en tenant un enfant dans chaque bras. Il nous ont vus et nous suppliaient. La
petite fille disait « No, no » en anglais. Il y eut une rafale et ils
s’écroulèrent. Ils se trouvaient à six mètres environ. C’était un mitrailleur
qui avait tiré. »
A Saigon aussi les preuves affluaient.
Le vénérable Huyen Quang, secrétaire général de l’Institut pour la
propagation de la foi de la pagode An Quang, a rendu publique le 9
décembre une lettre d’un survivant du massacre :
« Dès que les hélicoptères ont atterri, les Américains ont commencé à
tirer. Ils ont tué d’abord un groupe de femmes qui se rendaient au marché,
puis des enfants qui gardaient des buffles. Les corps de ces enfants ont été
jetés dans les canaux.
« Les soldats américains, qui sont entrés dans le village, ont tué les
habitants maison par maison. Les villageois cachés dans les tranchées en
raison des bombardements de l’artillerie ne se rendaient pas compte de ce
qui se passait. Les adultes étaient mitraillés et les enfants jetés dans les
maisons en flammes » (Le Monde, 10 décembre 1969).
Le sénateur Tran Van Don, un des principaux hommes politiques de
Saigon, menait personnellement une enquête, entouré de 10 personnalités et
de 35 journalistes, et concluait :
« Des crimes encore pires que le massacre de Son My ont été commis
plus récemment par d’autres armées alliées, dans la province de Quang
Ngai. »

Le 9 décembre 1969, une commission du Sénat sud-vietnamien publiait


un rapport dans lequel elle reconnaissait qu’un massacre avait été commis
par les troupes U.S. (Le Monde, 10 décembre 1969).
Le quotidien Cap Tien (Progrès), organe du parti « progressiste » pro-
gouvernemental de Saigon, dans un éditorial qui demandait au
gouvernement « d’enquêter sur cette affaire », écrit en décembre 1969 :
« Le massacre de Son My peut être comparé à ceux de Lidice et de Babi
Yar perpétrés par les Allemands. »
Les autorités U.S. étaient obligées d’ouvrir une enquête qui, au travers de
nombreuses difficultés, aboutit à la mise en accusation d’un certain nombre
de militaires, de grade de plus en plus élevé. Ne pouvant plus nier le fait,
elles affirmaient alors qu’il s’agissait d’un fait isolé, en contradiction avec
l’attitude du corps expéditionnaire U.S.

2°) Le contexte de Son My.

Le massacre de Son My révélait tout un climat.


Les témoignages s’accumulèrent :

Témoignages présentés à Paris.


Conférence de presse organisée par le Centre international d’information
pour la dénonciation des crimes de guerre et l’Association médicale franco-
vietnamienne, Palais d’Orsay, 19 décembre 1969.
• Soldat U.S. James Weeks :

« Je suis arrivé en mars 1967 au Vietnam avec l’impression que j’allais


libérer le Sud-Vietnam du communisme. J’ai commencé à avoir une
autre idée lorsque, peu après mon débarquement et au cours d’un
séjour à Saigon, j’ai vu les regards remplis de haine et de peur que me
lançait la population. Notre base était à Phu Loi, mais la plupart du
temps j’opérais hors de Quang Loi où j’arrivai en avril.

« Nous ne trouvions pas grand-chose, à part occasionnellement une mine


dans la zone déserte environnant le camp. Mais nous avions toujours
l’impression que l’ennemi était autour de nous, en train de nous observer.
Notre section disposait de 2 ou 3 tanks, de 5 ou 7 transports de troupes
blindés et 4 ou 5 hommes par véhicule. Après un mois sans contact avec
l’ennemi, nous sommes allés au mont de la Vierge Noire pour participer à
l’opération « Junction City ». C’était une zone de « libre tir ». On nous a dit
que là, tout être humain était considéré comme un mort possible. On nous a
dit que si nous voyions un « gook » 2 ou si nous avions l’impression d’en
voir un, petit ou grand, homme ou femme, ou enfant, peu importait, nous
devions tirer d’abord. C’était comme une sorte de « tir au pigeon ».
« A ce moment, hommes, femmes et enfants sont comptabilisés sans
aucune distinction dans le compte des cadavres. Cela s’est poursuivi
pendant quelques semaines et là je commençais à réaliser qu’une grande
partie des hommes, du sommet jusqu’à la base, y compris moi-même étions
complètement obsédés par la mort. Il semblait que tout le monde essayait de
nous tuer. Il n’y avait pas de forces armées et la population entière était
contre nous : ces paysans dans les champs, cette jeune fille dans le ruisseau,
tous étaient considérés comme des « gooks », y compris cette jeune fille qui
travaillait au magasin, et tous étaient moins que des êtres humains. C’est le
point sur lequel je veux insister. L’effet de ceci sur un soldat est
considérable, car il lui permet de tuer plus facilement. Si vous pouvez tuer
un buffle, un singe, vous pouvez tuer un « gook ».
« Autre chose aussi importante à se mettre dans la tête, c’est que chaque
jour, semaine après semaine, mois après mois, vous entendez des milliers de
tonnes de bombes exploser par jour et l’artillerie tirer toute la nuit. Vous
savez, les bombes qui sont larguées quelque part, ne disent pas « excusez-
moi, je ne savais pas que vous étiez une femme, un enfant ou un vieillard.
Elles pulvérisent seulement tout ce qui se trouve à leur côté. J’ai commencé
à réaliser ce qu’était la guerre au moment où j’interrogeais un soldat qui
venait de tuer pour la première fois. Il me dit : « J’ai dû attendre un sacré
moment. Je pensais que ces idiots de distributeurs volants de bonbons ne
me laisseraient plus rien. » Il était furieux d’avoir attendu un mois
l’occasion d’extérioriser son agressivité.
« Nous quittâmes Phu Loi au bout de deux mois et demi environ. Le
lendemain de notre départ, j’appris que la compagnie qui nous avait relevés
avait été complètement décimée la nuit même de notre départ. A notre
retour les deux survivants nous ont raconté que les troupes de l’armée
fantoche stationnées sur leur flanc avaient ouvert le feu sur eux, en même
temps qu’on tirait sur eux de la jungle, du village et même de l’aérodrome.
Personne ne savait d’ailleurs d’où venaient les coups de feu et nous avons
compris ce qu’est la guerre populaire. Tout le monde était contre nous
depuis le premier jour de notre arrivée. D’ailleurs à notre retour à Quang
Loi, le village a été complètement rasé, tout d’abord par l’artillerie de An
Loc, puis par les canons de la marine. Sur cet emplacement vous ne sauriez
pas qu’il existait un village.
« Le président Nixon a dit qu’il y a eu un massacre, un incident isolé
provoqué à Son My par quelques soldats irresponsables. Mais j’espère que
la population des Etats-Unis saura par mes expériences que Son My n’est
pas une atrocité isolée, que la guerre du Vietnam tout entière est une
atrocité. Ce qui semble être une atrocité à quelques personnes, c’est
pourtant la vie quotidienne, la méthode habituelle des opérations là-bas.
« D’autres soldats qui n’ont pu venir et qui pensent comme moi, m’ont
demandé de raconter leurs expériences. Plusieurs d’entre eux les ont même
écrites et ont signé leurs déclarations. J’ai noté quelques extraits de ces
déclarations.

• Voici celle de Curtis Kirker, ex-sergent dans la 3e brigade de la 4e division


d’infanterie, ayant séjourné au Sud-Vietnam du 1er avril 1967 au 4 avril
1968 :
« Le massacre de My Lai (Son My), dit-il, n’est qu’une illustration
d’attitudes et de politiques semblables que j’ai vu appliquer dans la
province de Quang Ngai. Et bien que la majorité des tueries au Vietnam ne
soulèvent pas autant d’attention que celle de My-Lay, elles ne sont pas
moins commises de sang-froid, pas moins cruelles, choquantes et
écœurantes. Peu après mon arrivée au Vietnam, un sergent m’a proposé de
me montrer sa collection d’oreilles humaines. L’homme m’en a même offert
une série. Avant que je ne quitte le Vietnam, un servant de mitrailleuses de
la 1re sec tion, compagnie Alpha, a coupé le bras d’un Vietnamien,
maintenant décédé, pour prendre son alliance. Lorsque je lui demandai
pourquoi cela lui faisait tellement plaisir, il m’a simplement dit que les 20
dollars qu’il pourrait tirer de la vente de l’alliance lui permettraient
d’acheter beaucoup de bière. »
Le sergent Kirker parle ensuite des types d’embuscades auxquelles il a
pris part dans la province de Quang Ngai, où le massacre de My Lai a eu
lieu :
« On choisissait souvent le village ou les voies qui y menaient. Une fois,
à l’époque où le capitaine Ellerson commandait la compagnie, une tuerie a
fait environ 50 morts. Sur cette cinquantaine, 30 environ étaient des
femmes, plus de 5 hommes en âge de porter les armes, le reste étaient des
enfants ayant entre 8 et 15 ans.
« Une fois en embuscade, la plupart des soldats savaient qu’ils allaient
tirer sur des civils désarmés. La plupart en veulent aux Vietnamiens et sont
contents de voir les corps s’empiler très haut. D’ailleurs au début de
l’opération, le capitaine Ellerson a fait une déclaration aux soldats,
déclaration qu’il n’a cessé de répéter pendant toute l’opération : « Je veux
que les corps soient empilés comme des meules de foin » et il entendait
cette phrase au sens littéral du terme. Les corps étaient ainsi empilés quatre
par quatre. Et comme ma compagnie n’était pas seule à monter des
embuscades, le terrain fut considéré comme inutilisable au bout d’un mois.
La puanteur des cadavres empilés empêchait les hommes de rester plus
longtemps.
« Au cours d’une patrouille dans les montagnes à l’ouest de Duc Pho, la
2e section vit venir vers elle une femme avec deux bébés. Aucune tentative
ne fut esquissée pour arrêter la femme, ce qui aurait été chose aisée, celle-ci
portant un enfant sur le dos et l’autre dans ses bras. Le soldat qui marchait
devant fit feu et toute l’escouade plongea dans des positions de combat en
tirant à son tour. Un bébé fut tué ainsi que la mère. Le second a été envoyé à
l’orphelinat de Duc Pho. Cela arrivait souvent. »

● « Voici une autre déclaration d’un sergent, William Whitmeyer,


conducteur et canonnier de tank, servant dans la 17e brigade aéroportée :
« J’ai assisté à l’exécution de 12 civils, tous des femmes ou des hommes de
plus de 60 ans. Nous traversions un grand champ de riz, près du village de
An Hoi. Il n’y avait eu aucun coup de feu ennemi, juste des gens qui
couraient.

● « Voici ce qu’a déclaré Roger Williams, un ancien correspondant qui


suivait la guerre pour le compte de journaux comme The Denver Post,
Cleveland Plain Dealer, Boston Globe et Ramparts. Au cours de l’interview
d’un important officiel américain, ce dernier a dit à Williams que 3 000
personnes avaient été tuées par les raids aériens à Cholon, après l’offensive
du Têt. Quand Williams demanda ce qui allait arriver aux cadavres, on lui
répondit qu’on allait les enterrer avec des bulldozers. »
James Weeks a conclu ainsi son témoignage :

« Le fait principal que je voudrais souligner c’est que tous mes amis
et moi-même qui sommes sortis de là, nous rejetons l’idée que Son My
était un cas isolé. C’est une pratique courante. »

*
• Témoignage du Major Thomas Loflin.

Chez lui, à Handersonville (Caroline du Nord), le Major Thomas Loflin


qui avait servi en 1966 au 88e bataillon de ravitaillement à Pleiku, a déclaré
le 29 novembre 1969 que :

« de nombreux pilotes lui avaient confié avoir l’habitude de tirer sur


des civils désarmés, d’autres avaient raconté comment ils avaient
détruit une ferme aux roquettes en revenant d’une mission de combat,
d’autres encore se vantaient d’avoir survolé le plus bas possible des
villages, puis d’avoir fauché à la mitrailleuse la population qui se
sauvait en tous sens.
« les pilotes parlaient ainsi sans contrainte devant les officiers. Si
lui-même n’avait rien dit de tout cela aux autorités militaires alors
qu’il était au Vietnam c’est parce que tout le monde était au courant de
telles pratiques et aussi pour des raisons de sécurité personnelle »
(L’Humanité, 1er décembre 1969).

Le 22 février 1970, dix membres libéraux de la Chambre des


Représentants organisaient une conférence à Washington sur le thème
« Conduite de la guerre et conscience nationale ». Le Dr Livingston, ancien
médecin militaire, a notamment rapporté avec quelle brutalité les militaires
se conduisaient « soit avec préméditation, soit d’une façon inconsciente »,
notamment vis-à-vis des prisonniers. Alors qu’il soignait un blessé grave,
un officier lui déclara : « Maintenez-le en vie juste cinq à dix minutes, le
temps que nous puissions l’interroger un peu. » Une autre fois, un officier
de renseignements protesta quand il s’apprêtait à faire une piqûre calmante
à un prisonnier blessé : « Vous savez, ils se montrent plus bavards quand ils
ont mal » (D’après L’Humanité, 23 février 1970).

Ce climat de meurtre est considéré comme circonstances atténuantes par


les tribunaux américains pour les crimes qu’ils ont à juger.
La Cour martiale de Long Binh, le 29 mars 1970, avait condamné à la
détention perpétuelle le lieutenant James Duffy. Le lieutenant était accusé
d’avoir fait abattre par le sergent de la patrouille qu’il commandait un
prisonnier vietnamien désarmé, qu’il soupçonnait d’appartenir au F.N.L. Au
cours du procès, plusieurs témoins, notamment des officiers de la même
unité, ont déclaré qu’il est de pratique courante d’exécuter des suspects et
que le commandement attache plus d’importance aux « cadavres
dénombrés » (body count) qu’au chiffre des prisonniers. La Cour révisa
alors son jugement et le lieutenant Duffy fut condamné à une peine
beaucoup plus légère comme coupable, simplement, d’homicide
involontaire (D’après Le Monde, 1er avril 1970).

Deux anciens lieutenants, MM. Francis T. Reitemeyer et Michael J.


Cohn, dans une déclaration envoyée à plusieurs sénateurs et à un tribunal
fédéral du Maryland, font connaître le programme d’instruction de Fort-
Holabird dans le Maryland. Cette instruction était destinée à former à la
lutte anti-guérilla et à la recherche de renseignements, dans le cadre du plan
« Phœnix » « dirigé en priorité, disent les deux anciens lieutenants, non pas
contre les forces armées ennemies, mais destiné essentiellement à éliminer
les civils, ennemis politiques ou sympathisants Vietcong ».
« Les deux officiers n’auraient pas eu à mettre la main à la pâte au
Vietnam mais devaient uniquement laisser leurs mercenaires utiliser les
méthodes qui leur sembleraient nécessaires, y compris les tortures les plus
dures, pour obtenir les renseignements recherchés sur l’implantation des
cellules Vietcong, et pour éliminer purement et simplement toutes les
personnes susceptibles « par leur autorité ou leur influence » de faire
basculer le village ou le hameau dans le camp Vietcong.
« MM. Reitemeyer et Cohn affirment qu’un des conseillers rapatriés
avait cité le cas d’un Vietnamien soupçonné d’être un sympathisant
Vietcong qui avait été « décapité et découpé, les parties de son corps étant
abandonnées devant la porte de sa maison à titre d’avertissement ».
« Ils précisent qu’ « une technique de combat destinée à obtenir les
renseignements requis d’un prisonnier Vietcong blessé consistait à lui
promettre des soins uniquement une fois qu’il aurait fourni ces
renseignements. C’est de cette façon qu’un Vietcong avait été interrogé. Il
avait cependant été laissé au milieu du village sans aucune assistance
médicale. Le matin suivant, alors qu’il était toujours vivant et demandait
des soins, le prisonnier fut tué par décapitation à l’aide d’une baïonnette »,
écrivent-ils.
« Les conseillers américains qui prenaient leur petit déjeuner à 10 mètres
de là ont approuvé ces actions, et la mort de ce prisonnier fut annoncée au
rapport sous la mention suivante : « Tué alors qu’il tentait de s’échapper »
(Le Monde, 13 décembre 1969).

Les Vietnamiens « suspects » qui ne sont pas massacrés sont entassés


dans l’enfer des prisons et des camps de concentration :

— Bien Hoa est un des six camps de prisonniers du Sud (Le Monde, 4
décembre 1969). Il renferme quelques milliers d’hommes dont beaucoup
sont mutilés, 137 femmes et plus de 1 500 enfants âgés de 12 à 17 ans.

— Quant aux 8 000 détenus du pénitencier de l’île de Poulo Condore :


Ils sont « sous-alimentés, mal soignés et sombrent dans l’oubli », a
déclaré le directeur du pénitencier, le lieutenant-colonel Nguyen Van Ve.
« Cinq détenus en moyenne meurent chaque mois, faute de nourriture ou
de soins, a affirmé le directeur de la prison, recevant un groupe de députés
et de journalistes vietnamiens. Les huit mille détenus sont uniquement
nourris de poisson séché pourri et de crevettes salées mêlées de poussière
ou de sable, a ajouté le colonel Ve, cité par le quotidien de langue anglaise
Saigon Daily News.
« Il y a un seul médecin pour les huit mille détenus, dont trois cents
jeunes âgés de dix-sept et dix-huit ans, et les trois mille militaires et civils
de l’île. Cinq cents détenus malades attendent en vain un moyen de
transport pour Saigon, distant d’une heure de vol, a précisé le directeur »
(Le Monde, 31 janvier 1969).

— Les femmes sont enfermées dans plusieurs prisons. Voici ce qui s’est
passé dans celle de Thu Duc :

• L’assassinat des détenues de la prison de Thu Duc.


Selon le communiqué spécial adressé par le « Comité de dénonciation
des crimes de guerre commis par les Américains et leurs valets à la
délégation du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire de la république
du Sud-Vietnam » à la Conférence de Paris (1er octobre 1969) :
Depuis 1960, le nombre des femmes patriotes du Sud-Vietnam arrêtées et
détenues n’a cessé d’augmenter. Depuis 1962, les Américains ont regroupé
toutes les femmes détenues, qu’elles soient prisonnières de droit commun
ou détenues politiques dans la prison de Thu Duc, située à 12 km au nord de
Saigon.
De 500 au début de 1968, le nombre de ces femmes est passé à 1 400.
Elles doivent endurer les plus grandes privations et vivre serrées dans des
salles exiguës. Le nombre de décès dus aux tortures, privations et à
l’absence de médicaments, n’a cessé d’augmenter dans de grandes
proportions.
Au début de juillet 1968, les geôliers ont déclenché une vague de
terrorisme sanglant en utilisant des procédés extrêmement barbares :
introduction de chaux vive dans la bouche et dans les yeux, arrachage des
dents, lacération du visage, introduction de bâtons dans le vagin. Certaines
détenues ont été frappées jusqu’à l’évanouissement.
Le 16 août 1968, les geôliers ont amené Tran Thi Binh dans la salle des
tortures. Ils l’ont dévêtue et lui ont fait subir de terribles tortures. Après
avoir enfoncé lui-même un bâton dans le vagin de la prisonnière, le chef de
la prison, Duong Ngoc, a ordonné à ses tortionnaires de violer la
prisonnière.
Le même jour, dix détenues ont déclenché une grève de la faim. Le 21
août, les tortionnaires les ont battues avec une extrême sauvagerie. Dans la
nuit même, les détenues Nguyen Thi Tan et Dan Thi Ranh sont mortes.
(Nguyen Thi Tan avait 42 ans. Elle était originaire du 2e arrondissement de
Saigon. Dan Thi Ranh venait du village de Binh Thuoc et n’avait que 16
ans.)
Les criminels ont essayé de s’emparer des corps pour les faire
disparaître ; mais les détenues, malgré leur état d’épuisement, ont lutté pour
garder les corps de leurs camarades. Devant cette résistance, les geôliers ont
tué sur place Khong Que King, âgée de 24 ans. Une autre prisonnière,
Huynh Thi Ngon, a été battue jusqu’à complète paralysie du corps.
Le directeur de la prison a ordonné de réduire les prisonnières à
l’impuissance par tous les moyens et les corps des mortes ont été enlevés.
Des détenues grièvement blessées ont aussi été emportées. On n’a aucune
nouvelle d’elles. Il s’agit de Trinh Hong Quan, 19 ans ; Vo Thi Lan, 16 ans ;
Huynh Thi Ngon, 24 ans ; Nguyen Thi Xung, 17 ans ; Tran Kim Cuc, 17
ans ; Ly Quy Chi, 30 ans ; Lam Xuan Hao, 25 ans.

*
Le 22 août 1969, une autre vague de répression a été lancée dans la
prison de Thu Duc. Nguyen Thi Xuan Lau, originaire de Son Hoi, district
de Son Tinh, province de Quang Ngai, arrêtée à Saigon et détenue salle 7,
camp H de la prison, depuis le 2 mars 1968, a été battue à mort.
Dans l’après-midi du 23 août, une compagnie de police de combat a fait
irruption dans la cellule de Nguyen Thi Xuan Lau et frappé 18 femmes
détenues dans cette cellule. Ces policiers ont tenté d’obliger 350 autres
détenues à quitter la prison de Thu Duc, pour les conduire à la prison de Chi
Hoa (Saigon). Les prisonnières ne voulant pas se laisser diviser ont refusé.
Alors on a lâché sur elles les chiens policiers. Quatre femmes ont été tuées
et beaucoup d’autres blessées par les chiens.
Mais avec courage, les emprisonnées de Thu Duc ont continué à lutter à
l’intérieur même de la prison. Ainsi elles ont organisé une cérémonie à la
mémoire de leurs compagnes assassinées. Elles ont condamné leurs
bourreaux, appelé la population à leur secours.
Effrayé, le directeur de la prison a envoyé sur place des renforts de
marines et de policiers pour réprimer ces manifestations. Pendant deux
jours entiers, une répression atroce s’est abattue sur les détenues. Des
dizaines de femmes ont été tuées, des centaines blessées. La vie de toutes
ces femmes est sérieusement menacée.
A la Conférence de Paris, Mme Nguyen Thi Binh en a appelé à l’opinion
publique pour que ces crimes soient dénoncés, pour que les détenues soient
remises en liberté 3.

— Des milliers de patriotes, partisans de la paix et de la neutralité au


Sud-Vietnam, sont détenus dans les prisons.
Un appel à l’opinion vietnamienne et mondiale a été lancé par M. Pham
Ngoc Hung, membre du Comité Saigon-Gia Dinh-Cholon et membre du
Conseil des Sages près le Gouvernement Révolutionnaire Provisoire de la
République du Sud-Vietnam. Il dénonce les crimes du régime de Saigon
contre les prisonniers de la ville de Tay Ninh et les massacres de 600
prisonniers de Poulo Condore 4.

3°) Mille Son My.


Mais il ne suffit pas de faire assassiner individuellement les cadres des
forces patriotes du Sud-Vietnam par des hommes de main des autorités de
Saigon.
Pour tenir les régions jugées indispensables, des « campagnes de
pacification » ont été constamment lancées, depuis le début de la répression
de Ngo Dinh Diem dès 1954 jusqu’à la « campagne de pacification
accélérée » de ces derniers temps. La population des régions à « pacifier »
est par définition considérée comme « peu sûre », d’où les massacres
fréquents au cours de ces opérations.
Ce fut le cas de Son My.
Ce fut le cas des centaines de Son My qui ensanglantent le Sud-Vietnam.
Il ne s’agit ni de hasards, ni d’erreurs de quelques officiers, mais du
déroulement de la campagne de « pacification accélérée » qui fut lancée en
1968-1969 par le Général Abrams, commandant en chef, dans le cadre de la
nouvelle stratégie inaugurée après les grandes victoires des Forces Armées
Populaires de Libération lors de l’offensive du Têt en 1968.
Le 31 juillet 1969, le Washington Post indiquait que ces opérations
faisaient des dizaines de milliers de tués et de blessés.
Les sources vietnamiennes explicitent cette affirmation :
— Septembre 1969 : 1 454 opérations.
Octobre 1969 : 1 700 opérations (moyenne quotidienne : 57).
Ces chiffres indiquent des opérations de moyenne envergure, au niveau
du bataillon ou en dessous. Quant aux petites opérations de nettoyage, il en
est effectué plus de 15 000 par mois.
Notons que cette activité n’entre pas dans le cadre d’une offensive du
corps expéditionnaire U.S. cherchant à briser le corps de bataille adverse
mais qu’il s’agit d’opérations de routine, pour tenir les régions proches des
villes et des bases où se trouve cantonné ce corps expéditionnaire.
L’horreur, pour être fragmentée et quotidienne, n’en est pas moins
grande. Voici quelques exemples 5, entre des milliers qu’il est impossible de
citer :

15 au 27/1/69 à Ti Se : massacre, 200 personnes tuées.


31/3 au 4/4/69 à Thang Binh : massacre, 111 villageois tués. 9
au 12/5/69 à Loc Phuoc et Loc Hoa : massacre, 301 personnes
tuées.
24/4 au 24/5/69 à Thung Binh : massacre, 300 personnes tuées.
11/11/69 à Bau Binh Thuong : dans l’abri de M. Tho, 29
personnes tuées.
11/11/69 à Bau Binh Ha : dans l’abri de M. Phung, 15
personnes tuées.
11 et 12/11/69 à Binh Giang : massacre, 134 habitants tués.
11 et 12/11/69 à Binh Trieu : massacre, 125 habitants tués.

Déc. 1969, Province de Ben Tre : 23 opérations de ratissage et


200 raids d’avions, 200 personnes tuées, 173 personnes blessées,
400 personnes arrêtées, 180 maisons détruites.
Octobre, Province de CaMau, dans la forêt d’U-Minh, 229
personnes tuées
Pour la plupart des femmes et des enfants. Enlèvement de
femmes, des fillettes de 10 ans aux vieilles de 60 ans. Par la suite
40 d’entre elles ont été mutilées. L’année précédente, en
décembre 1968, l’opération « Libération d’U-Minh » avait fait
plus de 400 morts ou blessés parmi les civils (1).

Pour certains de ces massacres, nous avons des récits circonstanciés qui
s’ajoutent à ceux de Son My :

Massacre de Ba Lang An.


Du 13 janvier au 19 février 1969, plus de 300 personnes ont été
massacrées sur place dans cette commune de la province de Quang Ngai.
11 000 personnes ont été déportées et internées au camp de concentration de
Van Gai. Le 9 mars 1969, 400 déportés et internés ont été embarqués sur
des chalands qui ont été coulés aux abords de l’île de Than. Ceux qui
tentaient de s’échapper à la nage étaient mitraillés. Les 20 et 22 mars, deux
autres convois de 400 personnes chacun ont été embarqués et coulés dans
les mêmes conditions. C’est donc plus de 1500 civils qui ont été tués dans
cette opération, les survivants étant concentrés dans les conditions les plus
inhumaines.
Mlle Pham Thi Lien, rescapée du massacre, avait été invitée en France
par l’Union des Femmes françaises. Elle a porté témoignage à Paris, le 19
décembre 1969, au Palais d’Orsay, au cours de la conférence de presse
organisée par le Centre international d’information pour la dénonciation des
crimes de guerre et l’Association médicale franco-vietnamienne.

Voici ce qu’elle a dit :


« J’ai 21 ans. J’habitais à Ba Lang An, commune de la province de
Quang Ngai. Mon village comprenait 6 hameaux, groupant 6000 habitants
vivant de la pêche ou travaillant dans les rizières. Mon père a été tué au
cours d’un raid, le 23 décembre 1966. Je vivais avec ma mère, mon petit
frère et mes deux petites sœurs.
« Le 13 janvier 1969, au petit matin, nous avons entendu des obus tirés
du large. Une véritable pluie venant des grandes bases américaines. Nous
avons couru vers les abris. Quand le silence s’est rétabli, nous sommes
ressortis. Mais à ce moment-là, des hélicoptères et des blindés américains
ont foncé sur nous. Des soldats surgissaient de toutes parts. Nous nous
sommes à nouveau précipités dans les abris. Ma mère et mon petit frère
étaient restés à la maison. Moi, j’étais dans un petit abri avec mon oncle et
huit garçons et filles du village. Nous avons entendu une grande fusillade.
Au bout d’un moment j’ai essayé de voir ce qui se passait. Les soldats
américains obligeaient les gens qu’ils avaient fait sortir des maisons à
monter sur les blindés. Si les gens refusaient, les soldats tiraient sur eux.
J’ai vu un vieillard, qui ne comprenait pas ce qu’on exigeait de lui,
transpercé d’un coup de baïonnette. Son corps a été jeté sur les cadavres qui
s’entassaient. Les Américains ont ensuite emmené des hommes, des
femmes, des enfants, pieds et poings liés. On les a obligés à grimper sur les
blindés. Dans le même temps, les bulldozers renversaient toutes les
maisons, écrasaient tout.
Epouvantée, je suis redescendue dans l’abri. J’ai alors entendu une
énorme explosion. J’ai compris qu’il s’agissait de la tranchée collective qui
venait de sauter. Alors j’ai couru parmi les tas de cadavres. Je cherchais les
miens. J’ai découvert le corps de ma tante, puis j’ai reconnu un petit bras et
le bracelet de ma petite sœur. Je suis entrée dans la tranchée collective. Il y
avait une femme tenant un enfant dans ses bras, debout, figée dans la mort.
Ailleurs aucun cadavre n’était intact. J’ai pourtant fini par reconnaître les
corps de mon autre sœur et de ma tante ainsi que ceux de ses quatre enfants.
« Toute la nuit, avec les autres rescapés, nous avons enterré les corps.
Puis nous sommes partis. Le hameau voisin était dans le même état. Là
aussi nous avons aidé à enterrer les morts.
« Nous sommes revenus dans notre village. Pendant six jours, nous avons
vécu dans un abri nous partageant des grains de maïs. Au bout de ce temps,
nous avons vu revenir certains habitants, rescapés comme nous. Ils nous ont
raconté que toute la province avait été ratissée, que 11 000 personnes
avaient été déportées sur une plage, en plein soleil, enfermées derrière des
fils de fer barbelés. Là, j’ai appris que ma mère, comme beaucoup d’autres
était morte d’épuisement. Dix-huit membres de ma famille ont été
assassinés pour cette seule journée du 13 janvier 1969. Je n’ai pas eu
confirmation de la mort de mon petit frère. »

Massacre de Go Su.
Ce massacre s’est produit au début du mois d’octobre 1969. Une
opération de ratissage a été lancée contre les communes de Nghia Tho,
Nghia Lam, Nghia Thang.
Dans la seule commune de Nghia Thang, les Américains et les fantoches
ont assassiné 77 civils, pour la plupart des femmes et des enfants. Après
avoir poussé 227 personnes dans un abri, ils y ont fait exploser des grenades
et tiré sur ces victimes. De nombreux vieillards ont trouvé la mort. Dans le
même temps, les soldats américains et leurs valets refoulaient la population
vers la zone de concentration de Go Su. Tous ceux qui refusaient
d’obtempérer ont été sauvagement frappés et emmenés de force.
Les habitants des villages évacués ont essayé de résister. Le 5 octobre
1969 le tortionnaire Nguyen Hiep a rendu visite aux déportés et sous
prétexte de les soigner leur a fait absorber du poison. En deux jours 197
personnes sont mortes en proie à de violentes convulsions.
A la suite de ces crimes, les soldats U.S, et leurs agents ont réprimé
impitoyablement le mouvement de revendication des déportés de Go Su qui
demandaient des dédommagements et le retour dans leurs villages. On les a
mitraillés. Au total, 300 personnes ont été massacrées à Go Su 6.

L’opération « Tigre de Mer ».


Au cours de la 57e séance de la Conférence de Paris, Mme Nguyen Thi
Binh a fait le récit de quelques-unes des atrocités commises pendant
l’opération « Tigre de Mer » qui s’est déroulée de la mi-novembre à la fin
décembre 1969. Voici quelques extraits de la déclaration de Mme Binh :
« Cette opération de ratissage constitue un cas typique des crimes
barbares commis par les troupes U.S. dans la soi-disant « pacification
accélérée ». Dans un secteur réduit de communes appartenant aux trois
districts Thang Binh, Que Song et Duy Xuyen (Quang Nam), les Etats-Unis
ont mobilisé plus de huit bataillons sous commandement américain,
disposant de centaines d’avions, plus de 90 blindés et 50 canons pour
ratisser et massacrer la population.
« Selon les statistiques encore incomplètes, ils ont ainsi tué plus de 800
civils, blessé des centaines de personnes, et déporté vers une destination
inconnue des milliers d’autres. La plupart des victimes étaient des
vieillards, des femmes et des enfants dépourvus de tout moyen de défense.
« Rien que dans la journée du 12 novembre 1969, dans la commune de
Binh Duong, les mercenaires sud-coréens de Pak Chung Hee ont tué 240
personnes. Après avoir rassemblé 75 vieillards, femmes et enfants sur la
bande de sable de Trang Dai, ils ont ouvert le feu sur eux ; un bébé de 13
jours fut le seul survivant, protégé par le corps de sa mère.
« Le même jour, ces mercenaires ont enterré vivants 13 habitants de la
commune de Kuyen Tho, dont 3 vieillards âgés de 70 ans, 2 femmes et 8
enfants âgés de 3 à 7 ans. Dans la commune de Kuyen Phuoc, ils ont
regroupé 50 femmes, les ont déshabillées, puis ont fait feu sur elles, les
mutilant atrocement pour qu’on ne puisse pas les reconnaître.
« Dans le hameau n° 7 de la même commune de Khuyen Phuoc, 45
personnes ont été tuées, parmi lesquelles 7 femmes enceintes à terme. Une
fillette de trois ans a été blessée grièvement puis laissée sans soin dans une
mare de sang. Les soldats fantoches ont dépecé les corps des femmes et
frappé à mort des enfants dans la commune de Binh Giang. Les « marines »
du 7e régiment U.S. ont tué une vieille femme de 63 ans dans la commune
de Son Lanh, tué deux enfants de 12 et 13 ans et égorgé un jeune homme et
deux enfants de 14 ans dans la commune de Son Khanh.

« Ce sont les marines U.S. du même 7e régiment commandé par le


lieutenant-colonel Charles G. Cooper qui, le 19 février dernier, ont tué 11
enfants et 5 femmes dans la commune de Son Thang.
« Les massacres perpétrés au cours de l’opération « Tigre de Mer » ne
sont qu’un cas parmi les quelque 90 séries de massacres commis par les
troupes U.S. fantoches et satellites dans la seule province de Quang Nam au
cours de l’année 1969. Selon les statistiques incomplètes, au cours de ces
massacres (sans compter les pilonnages et bombardements presque
quotidiens), les agresseurs américains ont tué 4790 civils, parmi lesquels
1 959 femmes et 1 597 enfants, incendié 12 400 habitations, 97 églises et
pagodes et enlevé plus de 10 000 têtes de bétail, détruit 13 720 ha de
cultures vivrières et 11 ouvrages d’irrigation. »

Ces faits et ces témoignages n’épuisent cependant pas l’horreur de la


guerre au Vietnam.
Ils doivent être replacés dans le contexte.
D’une part, les massacres cités se situent tous en 1968 et 1969, selon le
cadre chronologique que s’est fixé cet ouvrage. Mais ces années ne sont pas
exceptionnelles en cette matière. Elles ne font que continuer, en les
aggravant peut-être, la série ininterrompue des tueries qui ont
commencé — recommencé — dès 1954, avec la répression diemiste.
« De 1954 à 1964 les forces U.S. et de Saigon ont tué près de 170 000
personnes, blessé et rendu invalides près de 800 000, fait subir des tortures
et incarcéré plus de 400 000 personnes dans plus de 1 000 prisons, parqué
plus de 5 millions d’autres, pour la plupart des femmes et des enfants, dans
des camps de concentration baptisés « zones de prospérité », hameaux
stratégiques... 7 »
D’autre part, ces massacres ne sont qu’une partie de la guerre. Ils ont
porté à un niveau rarement atteint un des aspects traditionnels des guerres
coloniales, ce qui souligne cette évidence, que la guerre U.S. au Vietnam est
en premier lieu une guerre coloniale aussi sale — encore plus sale peut-
être — que les autres.
Mais au-delà de ces fureurs des fantassins et des mercenaires, il y a plus
terribles encore, les effets de la plus énorme machine à tuer qui ait été mise
en action depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Deuxième Partie
La guerre chimique

Une terrible accusation est lancée par les autorités de la République


Démocratique du Vietnam et du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire
de la République du Sud-Vietnam : LES U.S.A. UTILISENT LES ARMES
CHIMIQUES AU SUD-VIETNAM.
Les services officiels U.S. n’ont jamais complètement et officiellement
reconnu le fait. Par contre, une très importante production scientifique a
paru aux U.S.A. sur ce problème.
Nous donnons donc ici le dossier de cette affaire.
D’une part, le document d’accusation le plus complet et le plus récent
publié par le Comité sud-vietnamien pour la « Dénonciation des crimes de
guerre des impérialistes américains et de leurs agents au Sud-Vietnam ».
De l’autre, les principales et les plus récentes études américaines qui
traitent de ces problèmes.

I. — L’accusation vietnamienne

La guerre chimique menée par les Etats-Unis au Sud-Vietnam

A. — Desseins et procédés des impérialistes américains relatifs à la guerre


chimique qu’ils mènent au Sud-Vietnam.
Pour accentuer la guerre spéciale au Sud-Vietnam, selon le plan Staley-
Taylor, les impérialistes américains et leurs valets préparaient la guerre
chimique dès 1961. Ils se proposaient de terminer leurs enquêtes et études
sur le relief du sol et les objectifs (cibles futures des épandages de produits
chimiques toxiques) en 1961, et dès cette année, ils commencèrent à larguer
des produits chimiques toxiques sur un certain nombre de localités.
Puis, ils passèrent à l’expérimentation de produits chimiques toxiques,
avec une fréquence qui alla en s’accentuant. Le 15 décembre 1962, Radio-
Saigon indiquait que « si les premiers essais sont concluants, on appliquera
un programme d’envergure ». A partir de 1962, les Américains utilisèrent
des produits chimiques toxiques sur une grande échelle, dans de
nombreuses régions du Sud-Vietnam. A signaler qu’à partir de 1964, ils
généralisèrent l’utilisation des gaz toxiques d’une façon toujours croissante.
Le Commandement militaire américain à Saigon autorisa ses troupes à
employer les gaz toxiques, considérés comme « arme de base », au Sud-
Vietnam. La guerre chimique américaine au Sud-Vietnam a pour but de
détruire les cultures et les forêts et, d’autre part, d’appuyer toutes les armes
utilisées dans les opérations de ratissage. L’objectif immédiat et l’objectif
lointain de cette guerre sont précisément de frapper la population et la
nature du Sud-Vietnam pour briser la volonté de lutte de la population
vietnamienne.

B. — Actions d’épandage de produits chimiques toxiques dénommés


« herbicides » par les Américains.
A — Preuves :
De 1961 à 1969, les Américains ont utilisé des quantités considérables de
produits chimiques toxiques baptisés « herbicides ». En fait, il s’agit des
produits suivants :
— composés du 2,4.D, et 2,4,5.T ;
— composés du picloram (composés de l’acide trichloropicolinique) ;
— composés du phénol genre DNOC ;
— arsénites et arsénates.
Dans le but de frapper la population, les cultures et la nature au Sud-
Vietnam, les épandages ont été effectués d’une façon continue depuis
plusieurs années, à un rythme et avec une envergure toujours croissants.
1) Une escalade sans précédent
D’après les chiffres officiels qui ont été publiés :
— en 1964-65, les Etats-Unis ont dépensé 17,1 millions de dollars de
produits chimiques toxiques du type « herbicide. »
— en 1965-66, 30,3 millions,
— en 1967, 40 millions,
— en 1968, 70,8 millions. (« The Guardian », 25-6-68.

2) Escalade sur le plan de l’envergure des épandages. Selon des


statistiques encore incomplètes, l’envergure des épandages et les dégâts
causés au Sud-Vietnam s’établissent ainsi :
ANNEES SUPERFICIES NOMBRE DE
ATTEINTES (en PERSONNES
hectares) INTOXIQUEES
1961 (août à
décembre) 560 180
1962 11 030 1 120
1963 320 000 9 000
1964 500 230 11 000
1965 700 000 146 240
1966 876 490 258 000
1967 903 320 279 700
1968 989 300 302 890

3) Sous l’administration Nixon, les épandages de produits chimiques


toxiques se sont encore intensifiés.
Selon des chiffres incomplets, les pertes totales au Sud-Vietnam dues à la
guerre chimique, sous l’administration Nixon, s’établissent comme suit :

SUPERFICIE NOMBRE DE
ANNEE ATTEINTE (en PERSONNES
hectares) INTOXIQUEES
1969 (de janvier à
octobre) 905 780 285 740

La plupart des provinces du Sud-Vietnam ont été touchées par les


produits chimiques toxiques.
Toujours selon des statistiques encore incomplètes :
— la superficie totale des terres cultivées touchées par les épandages de
produits chimiques toxiques est de 13 000 km2 (signalons que de nombreux
endroits ont été touchés à plusieurs reprises) ;
— la superficie totale des régions forestières arrosées est de 25 000 km2 (là,
également, de nombreux endroits ont été touchés à plusieurs reprises par les
produits chimiques toxiques).
D’autres régions ont également été atteintes, mais en raison des
conditions de guerre, nous n’avons pu établir un bilan précis. Le nombre
des personnes intoxiquées est, selon les premières constatations, de
1 293 000 (signalons que de très nombreux habitants du Sud-Vietnam ont
été intoxiqués à plusieurs reprises).

4) Utilisant les herbicides dans des buts militaires de caractère


exterminateur, les Etats-Unis ont choisi des méthodes d’utilisation faisant
de ces herbicides des produits chimiques toxiques dotés d’un pouvoir de
destruction maximum sur les vergers, les forêts, les cultures, avec des effets
nocifs sur les êtres humains et les animaux.
Voici certains modes d’emploi appliqués par les Américains pour
transformer les herbicides en produits chimiques toxiques :
a) emploi de produits chimiques toxiques non dilués ;
b) emploi d’herbicides à très fortes doses, d’où un degré élevé de
concentration ;
c) les avions américains effectuent des épandages répétés aux mêmes
endroits ;
d) les troupes américaines effectuent des épandages de produits
chimiques toxiques dans des zones où le climat est chaud et tropical ;
e) emploi de produits chimiques pendant la période de prolifération et de
croissance des végétaux et des cultures ;
f) épandages à l’aveuglette de produits chimiques toxiques sur les régions
populeuses, sur une population dépourvue de moyens de protection.

En 1969, les impérialistes américains ont procédé à des épandages


continus et massifs, en peu de temps, sur de nombreuses localités : — en
juin 1969, les avions américains ont, à 4 reprises, largué des produits
chimiques toxiques sur les 6 districts de la province de Quang Ngai (Ba To,
Son Ha, Tra Bong, Song Re, Minh Long et Sontay) : sur une superficie
totale de 5 000 hectares, tous les plants de maïs ont péri, sur plus de 4000
hectares, 20 millions de plants de manioc ont péri. Des milliers de buffles et
de bœufs sont morts par intoxication. Signalons aussi qu’un grand nombre
d’habitants d’origine montagnarde sont tombés malades à la suite
d’intoxication. Ce furent les plus importants épandages de produits
chimiques toxiques effectués sur la province de Quang Ngai.
Au cours des premiers jours de novembre 1969, les Etats-Unis ont largué
d’une façon continue des produits chimiques toxiques sur plus de 20
communes relevant des districts de Cai Be, Cai Lay et Cho Gao (province
de My Tho). Dans le district de Cai Be, le 11 novembre 1969, les
hélicoptères américains ont largué, en plusieurs dizaines de sorties, des
produits chimiques toxiques sur les communes de My Duc, Dong My, Duc
Tay et My Loi. Puis, le 11 novembre 1969, ils ont largué à nouveau des
produits chimiques toxiques sur de nombreuses communes desservies par le
canal Nguyen Van Tiep. Dans les districts de Cai Lay et Cho Gao, du 14 au
18 novembre 1969, les Américains ont largué des produits chimiques
toxiques sur les communes de Long Trung, Long Khanh et Long Tien
(district de Cai Lay) et les communes de Binh Minh, An Thanh Thuy et
Hoa Dinh (district de Cho Gao).
Dans toutes ces communes, les produits chimiques toxiques ont ravagé
des dizaines de milliers d’hectares de rizières, des milliers d’hectares de
vergers, intoxiquant des milliers de personnes.
Les Américains utilisent les produits chimiques toxiques dans le but de
détruire les ressources économiques de la population du Sud-Vietnam, de
réduire celle-ci à la misère et à la famine permanentes. Ils veulent
également détruire la nature afin que les êtres humains et les végétaux au
Sud-Vietnam soient privés de conditions d’existence.
Les épandages de produits chimiques par les Américains au Sud-Vietnam
ont des conséquences graves directes sur les hommes.
Voici les symptômes d’intoxication enregistrés chez des victimes au
Trung Bo central et dans le delta du Nam Bo :
Ceux qui se trouvaient dans les localités où étaient effectués des
épandages, avaient la respiration difficile, étaient fatigués, avaient des
malaises, la migraine, somnolaient, étaient fiévreux, avaient soif, surtout les
vieillards, les enfants et les femmes enceintes. Beaucoup d’entre eux
vomissaient, avaient des coliques. D’autres avaient les muscles paralysés, la
peau des mains et des pieds insensibilisée. D’autres symptômes comme :
chute des cheveux, maux de gorge, douleurs du sternum, douleurs
lombaires, hémorragies du tube digestif etc. ont également été observés.
Lorsqu’ils touchent la peau de l’homme, les produits chimiques toxiques
font apparaître de petits boutons rougeâtres, puis la peau suinte et parfois
boursouffle.
Chez les femmes, on constate souvent l’apparition de troubles menstruels
et, chez les femmes enceintes, de nombreux cas d’avortement ont été
observés.
Selon le quotidien saigonnais Tin Sang (Dépêche du matin) daté du 20
juin 1969, le « Docteur Pham Tu Chinh, directeur de l’hôpital Hung Vuong
a indiqué que du début du mois de janvier au début du mois de juin 1969,
sur un total de 5 480 accouchées, on a enregistré 49 cas d’accouchement
fœtals ».
Parmi les centaines de milliers de personnes intoxiquées au Sud-Vietnam,
bon nombre d’entre elles sont atteintes de maladies provoquées par
l’intoxication. Signalons le cas de Mr Pham Cong, habitant de la province
de Quang Tri, qui présenta des symptômes pathologiques d’intoxication
incontestables (cf. Document Annexe n° 3
En ce qui concerne les animaux d’élevage, les plus touchés sont les
poules et les porcs. Des centaines de porcins élevés en liberté à An Loa sont
morts après avoir mangé des légumes empoisonnés ; symptômes : fièvres,
respiration pénible, taches rouges sur la peau, ballonnement du ventre, puis
mort de l’animal. Les poules sont devenues stériles.
De même pour les canes, qui succombèrent plus facilement, ou pondirent
des œufs incomplets.
De nombreux poissons de rivière et d’arroyos sont morts, atteints eux
aussi par les produits chimiques toxiques.
D’une manière générale, les hommes et les animaux sont intoxiqués
parce qu’ils ont :
— mangé des aliments empoisonnés par les produits toxiques,
— bu de l’eau empoisonnée,
— respiré de l’air pollué,
— été en contact avec ces produits toxiques.
En proie à des excitations trop fortes, ces sujets n’ont plus de vie
physiologique normale.
Nous voulons également démontrer que les produits chimiques toxiques
du genre « herbicides » provoquent non seulement des effets dangereux
directs et immédiats, mais laissent, en outre, des séquelles durables chez les
hommes et dans la nature au Sud-Vietnam.
La destruction, par les Américains, des forêts du Sud-Vietnam a des
conséquences extrêmement graves sur le climat. Dans les régions où la
végétation a été détruite, en été la chaleur est maintenant plus torride et les
hivers sont plus rigoureux qu’ils ne l’étaient. Le climat n’est plus le même,
et les pratiques horticoles en subissent les effets. Les forêts, dépouillées de
leur feuillage sur d’immenses étendues, ne peuvent plus jouer leur rôle
protecteur contre les bourrasques et les typhons.

DOCUMENTS ANNEXES

Effets directs des produits chimiques toxiques


dénommés « herbicides » sur les céréales et les arbres fruitiers.
Dégâts subis par le district d’An Lao (Binh Dinh) à la suite
d’épandages de produits chimiques par les Américains.
An Lao est un district comprenant 18 communes. Sur ces 18 communes,
10 d’entre elles ont été atteintes par les produits chimiques toxiques largués
directement, et les 8 autres ont subi, quant à elles, les effets de ces
épandages.
Au cours des trois saisons de cultures successives (soit 18 mois), ce
district a été touché 10 fois par les épandages. Les principales ressources de
la population locale sont la culture du riz, du manioc et l’exploitation de
produits forestiers comme le poivre, le bétel, la noix d’arec, le cardamome,
le miel, les bananes, les jacquiers. Les dégâts causés en 1965-66 par les
produits chimiques toxiques s’établissent de la façon suivante : — Riz du 2e
mois lunaire :
repiquage : 16 900 kg,
production prévue : 236 000 kg,
pertes dues aux épandages : 153 800 kg. Moisson : 82 8000 kg,
soit une perte de 65 %.

— Riz du 8e mois lunaire :


repiquage : 17 500 kg,
production prévue : 245 000 kg,
pertes dues aux épandages : 171 500 kg. Moisson : 73 500 kg,
soit une perte de 70 %.
— Manioc : plants cultivés : 5 101 670. Plants décimés par les produits
chimiques toxiques : 3 019 000, soit 65 %. Plants ayant survécu :
2 082 570 ; mais, à signaler que la qualité des plants ayant survécu est de
50 % inférieure.
— Patates : longueur totale des tiges mises en culture : 54 000 m. Ont péri :
52 400 m, soit 97 %. Ont survécu : 1 600 m.
— Poivre : 980 plants ont péri.
— Aréquiers : 103200 arbres ont péri.
— Jacquiers : 10 500 arbres ont péri.
— Bananiers : 94 900 arbres ont péri.

Puis, pendant la saison de culture hiver-printemps 1966, les Américains


ont effectué des épandages permanents. Ont péri :
— Jacquiers : 1 900 arbres (il n’en existe pratiquement plus dans la région),
— Bananiers : 2 700 arbres (il reste actuellement très peu de bananiers dans
la région),
— Papayers : 1 680 arbres,
— Cocotiers : 800 arbres,
— les essaims d’abeilles qui constituaient une source de revenus importante
pour la population des communes d’An Lao, d’An Ninh et d’An Hau ont
été, pour la plupart, anéantis par intoxication,
— les légumes cultivés et les légumes sauvages les plus ordinaires ont péri
dans de nombreuses localités,
— les animaux domestiques (surtout les porcs) manquent de nourriture car
pendant plusieurs mois de l’année, on ne trouve plus de quoi les nourrir.
En ce qui concerne les plaines, prenons comme exemple les communes
d’An Nghia et d’An Huu (situées dans la partie occidentale du district de
Hoai An) ; elles étaient prospères, grandes productrices de noix de coco, de
jacquiers, d’ananas, de mangues, de bananes, et en même temps, c’était le
grenier à riz du district.
Depuis les épandages de produits chimiques toxiques répétés dont elles
sont l’objet (surtout au cours des trois saisons de culture comme à An
Nghia), il n’existe pratiquement plus de cocotiers dans ces localités. Aucun
jacquier, aucun bananier, aucun buisson d’ananas n’ont survécu aux
produits chimiques toxiques.
Le bilan des pertes s’établit comme suit :
— Cocotiers 167 300 arbres morts,
— Jacquiers 239 800 arbres morts,
— Ananas 2 629 000 buissons morts,
— Cocotiers 2 350 000 arbres morts.

Le riz et les autres cultures ont également subi des dégâts importants. Des
centaines de milliers de cocotiers qui survivent encore dans la commune
d’An Huu ont été si gravement touchés qu’ils ne donnent plus ni fleur ni
fruit.
Dix, quinze ans, ou même plus seront nécessaires à la restauration des
cocoteraies et des vergers. Des centaines de poules ne pondent plus, un
grand nombre de poussins sont morts. Les habitants intoxiqués sont
fatigués, mal à l’aise, ou tombent malades pendant plusieurs jours. La
destruction des cultures crée une grave pénurie de vivres qui affecte
sérieusement la vie de la population, particulièrement celle des femmes en
couches et des enfants.

Effets des produits chimiques toxiques sur certaines espèces de plantes


cultivées.

1) Sur les céréales et d’autres cultures vivrières.

— Manioc : il résiste faiblement aux produits chimiques toxiques, et meurt


rapidement. Sous l’influence des vapeurs toxiques, les feuilles de manioc se
fanent, même si la plante se trouve à 6 ou 7 km du lieu d’épandage. Par
exemple, lors d’un épandage sur le hameau de Binh Hoa — commune d’An
Lac —, le manioc blanc planté dans les jardins du hameau Chau Binh Duc
(commune d’An Tin) à 8 km de là a vu ses feuilles se faner, Lorsque
l’épandage est effectué là où sont les plants de manioc, ils meurent 3 heures
plus tard : leurs feuilles jaunissent, puis tombent, et les tubercules se
détériorent. Généralement, un tubercule de manioc pèse à la récolte, 1100 g.
Mais sous l’influence du 2,4.D et du 2,4,5.T, il ne pèse plus que 220 g
environ.
D’ailleurs 75 % de ces 220 g sont détériorés, le tubercule devient dur
comme du bois puis s’émiette, son écorce s’épaissit, ⁿle tubercule devient
fibreux et n’est plus comestible.

— Riz : à la floraison ou lors de la fructification, le plant de riz intoxiqué


s’écrase sur le sol comme s’il avait été frappé par une tempête, ses feuilles
jaunissent et se rapetissent. Le pourcentage des épis maigres sur une unité
de surface cultivée s’élève à 68 %.

— Patates : elles meurent très rapidement. Même si l’épandage se produit


à une distance éloignée, leurs feuilles se fanent et tombent. Au cours
d’épandages directs, elles meurent quelques heures après, leurs feuilles se
retournent, leurs tubercules se putréfient puis deviennent entièrement
incomestibles.

— Maïs : Sous l’influence des produits chimiques toxiques, le plant de


maïs devient nain, son pied enfle, la partie du tronc qui se trouve près du
pied se boursoufle et prend racine. Si le plant mâle fleurit déjà, ses fleurs se
dessèchent et se recroquevillent. L’espèce de maïs dont chaque épi porte 5 à
7 feuilles, frappée par les produits chimiques toxiques, produit sensiblement
moins : généralement, le poids d’un épi de maïs est de 126 g ; sous l’effet
de l’épandage, il tombe à 58 g en moyenne. En outre, l’épi se déforme, ses
grains deviennent clairsemés, sa qualité devient inférieure. La production de
maïs diminue ainsi de 126 g — 58 g = 68 g par épi. Chaque plant donne 3
épis en moyenne, soit une diminution de 68 g X 3 = 204 g par plant.
En outre, la qualité du maïs récolté est particulièrement mauvaise.

2) Plantes cultivées et arbres fruitiers.

— Cocotiers : le cocotier vit longtemps. Il est robuste, mais il n’a pas de


branches ni la capacité de se renouveler. C’est pourquoi il est
particulièrement sensible aux produits chimiques toxiques. Sous un
épandage de produits fortement concentrés, le cocotier meurt
immédiatement, ses feuilles se dessèchent avant de tomber, sa cime se brise.
S’il pleut après l’épandage, le cocotier meurt encore plus vite, car les
produits chimiques toxiques qui sont tombés sur les feuilles coulent sur la
cime de l’arbre, élevant le degré de toxicité.
Si l’épandage de produits est peu concentré, 4 ou 5 jours plus tard, la
partie supérieure du tronc de l’arbre s’effile et s’étire (parfois de 30 à 40
cm), puis se brise et tombe, même si les feuilles ne sont pas entièrement
fanées.
Si l’arbre ne subit que l’influence des vapeurs toxiques, son feuillage
prend une couleur vert foncé, il donne beaucoup de feuilles, mais pas de
fruits, ou alors parfois les noix de coco sont déformées : elles mûrissent
prématurément, leur écorce se dessèche trop vite, la chair est molle, le lait
fade.
Certaines noix de coco se détachent de l’arbre et tombent lorsqu’elles
sont encore petites ; puis le reste grossit rapidement. Les fruits qui survivent
prennent une forme anguleuse, leur écorce fibreuse épaissit rapidement, leur
chair devient très molle. Certains fruits deviennent démesurément gros,
mais leur partie intérieure, qui est aussi petite qu’une noix d’arec, n’a plus
ni chair ni lait.
— Jacquiers : cet arbre fruitier, dont la vie dure normalement de longues
années, est pourtant très sensible aux effets des produits chimiques
toxiques. Lorsqu’il subit un épandage direct, ses feuilles se dessèchent
rapidement et tombent, son tronc se dessèche aussi et meurt. Lorsque
l’épandage se produit à une distance de 4 ou 5 km, l’arbre perd également
ses feuilles, les arbrisseaux meurent, les arbres adultes ne meurent pas tout
à fait, mais après un certain temps leur tronc se fendille, ils ne donnent plus
ni fleurs ni fruits (An Nghia et An Lao étaient grands producteurs de
jacquiers, mais maintenant il n’en existe pratiquement plus).
— Bananiers : sous l’influence des épandages, l’extrémité du régime de
bananes craque facilement, elle se brise dès qu’on tire sans qu’on ait besoin
d’utiliser un couteau. La banane grossit démesurément, devient spongieuse
et n’est plus comestible. La banane intoxiquée est trois fois plus grande
qu’une banane ordinaire, mais sa chair est détériorée. Prenons par exemple,
un régime de bananes intoxiqué :

— longueur de la banane avant l’épandage : 72,50 mm


après l’épandage : 209,00 mm.
— périmètre d’une section de la banane
avant l’épandage : 72,50 mm,
après l’épandage : 132,50 mm.
— épaisseur de l’écorce de la banane
avant l’épandage : 1,80 mm,
après l’épandage : 6,70 mm.

— Longaniers et letchiers : ils meurent très rapidement, leurs feuilles se


dessèchent et tombent, même si l’épandage se produit au loin (An Hoa).

— Hévéas : A Gia Lai, en octobre 1966, les Américains ont largué des
produits chimiques toxiques sur les plantations d’hévéas (Trung Bo central)
faisant périr des hévéas sur une superficie totale de 1 000 ha.
Au Nam Bo central, environ 30000 ha de plantations d’hévéas ont été
endommagées.

— Cotonniers : sous l’influence directe de l’épandage, leurs feuilles se


fanent, leurs bourgeons s’étiolent et leurs jeunes fruits tombent. Les dégâts
les plus sévères ont été enregistrés lorsque le cotonnier bourgeonne ou
commence à produire des fruits. Sous l’effet des produits chimiques
toxiques, les fruits du cotonnier s’allongent, les fils de coton deviennent
mous puis perdent leur résistance.

— Tabac : les feuilles jaunissent, se fanent puis tombent. La plante meurt.


Si elle survit, elle se déforme : ses feuilles dépérissent, et lorsqu’on fume ce
tabac, son odeur est aussi âcre que celle du papier brûlé.

— Ricins : sous l’influence d’un épandage direct, les feuilles tombent, la


plante meurt.

En étudiant les effets des produits chimiques toxiques américains sur les
plantes cultivées et les cultures, on constate que les impérialistes américains
cherchent par tous les moyens à détruire totalement les plantes agricoles et
industrielles nécessaires à assurer la vie quotidienne de la population sud-
vietnamienne.
En utilisant les produits chimiques toxiques, les Américains nourrissent
le sombre dessein de priver de nourriture et de vêtements la population des
zones libérées du Sud-Vietnam afin de l’obliger à venir s’installer dans la
zone provisoirement occupée par eux.

II

Symptômes pathologiques d’un intoxiqué


par les produits chimiques
— L’intoxiqué : M. Pham Cong, 42 ans, paysan habitant à la commune
Gio An, district de Gio Linh, province de Quang Tri.

— Le 27 août 1968, alors qu’il creusait un abri anti-aérien, des avions


américains vinrent épandre des produits chimiques toxiques. Dix minutes
après arrivèrent trois B.52, larguant des bombes explosives. Les produits
toxiques apparurent d’abord comme une masse nébuleuse, semblable à une
brume opaque, devenue bientôt d’un gris cendré, piquant les narines de leur
odeur pareille à celle de l’ail. Les quatre personnes en train de creuser leur
abri anti-aérien ont été atteintes. Le poison adhéra à la peau comme une
poudre fine et donna au toucher une sensation graisseuse. Il adhéra là où le
corps n’était pas protégé par les vêtements. Les parties atteintes donnaient
tout d’abord une sensation de brûlure, trois jours après, des ampoules
apparurent comme dans les cas de brûlure véritable. Les ampoules durèrent
deux jours environ, crevèrent, laissant échapper une substance séreuse ; la
peau se dessécha, s’écailla et se détacha, laissant place à une nouvelle
couche d’épiderme blanche. Plus d’un mois après, à la place des anciennes
ampoules il en réapparût de nouvelles, accompagnées de démangeaisons
avec renouvellement du même processus de l’écaillement et du
détachement de la peau. Traité à la station médico-sanitaire du district,
l’intoxiqué a dû garder le lit pendant plus d’une semaine, avec un brin de
fièvre, mais il a guéri, toutes les places ayant été cicatrisées.
Au mois de décembre de la même année (c’est-à-dire 4 mois après), les
mêmes symptômes réapparurent, cette fois aux pieds, avec des ampoules
plus petites et en moindre quantité, surtout aux orteils et entre les orteils
avec œdème douloureux du pied qui finit par disparaître sans la
complication de la moindre ampoule sérieuse. La peau s’est épaissie et a
perdu toute sensibilité. Les muqueuses de la bouche et des lèvres ont été
également en état d’inflammation ulcéreuse, du fait que l’intéressé avait
inconsciemment porté à la bouche ses mains souillées par le poison. La
peau devenue blanchâtre et sèche s’est durcie, écaillée ; les ampoules ont
réapparu aux mains pour la troisième fois (décembre 1968), cette fois avec
des boursouflures de la peau moins nombreuses et localisées surtout entre
les doigts, et évoluant finalement en plaies ulcéreuses marquant sur la peau
des zones très nettement différenciées. L’intoxiqué ressentait une fatigue
générale, avait mal le long de l’échine dorsale, avait le vertige, craignant le
moindre souffle d’air. Il ressentait une douleur atroce du côté droit au-
dessous de l’estomac. L’intéressé a perdu l’appétit et la douleur revenait
régulièrement 20 minutes environ après chaque repas depuis l’intoxication.
Le teint est devenu grisâtre avec de nombreuses taches noirâtres et les
lèvres ont gardé toujours leurs gercures non encore guéries. La peau des
pieds épaissie, avec perte totale de sensibilité à certains endroits, partielle
dans d’autres.
L’analyse de l’urine de M. Cong a révélé la présence de l’arsenic allant
de pair avec des symptômes d’intoxication.
Le docteur traitant a attesté que l’intéressé a été victime d’une
intoxication par un composé de l’arsenic.
On a traité M. Gong avec de fortes doses de B12, des vitamines B1, B2,
PP, C1, du glucose ; pansements des plaies avec la vaseline pénicillinée.

III
Effets des produits chimiques toxiques dénommés « herbicides »
sur les femmes enceintes (effets tératogènes)

Rapport en date du 2 février 1970 rédigé par un groupe de cadres du


Service sanitaire civil (Sud-Vietnam)

Afin de déterminer les effets néfastes des produits chimiques toxiques


américains sur les fœtus humains, le Service sanitaire civil du
gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud-Vietnam
a désigné un groupe de cadres sanitaires dirigés par le Dr Tu Ky pour
effectuer des enquêtes dans quatre hameaux : Rach Tre, Ben Mo, Cau
Duong et Ben Cau appartenant aux deux communes Bien Gioi et Ta Pang,
district de Chau Thanh, province de Tay Ninh.
Depuis octobre 1969 jusqu’à ce jour, l’aviation américaine a effectué des
épandages de produits chimiques et de gaz toxiques sur cette région, au
moins une fois par mois.

Le 2-2-1970, le groupe de cadres sanitaires en question a déposé les


conclusions suivantes :
— Au cours des dernières années, un grand nombre de femmes habitant
cette région ont eu des fausses couches, accouché prématurément ou donné
naissance à des bébés malformés pour avoir été exposées à des produits
chimiques toxiques.
— Rien qu’au cours des deux mois de décembre 1969 et de janvier
1970, dans les deux communes Bien Gioi et Ta Pang, il y a eu 10 cas de
femmes ayant des fausses couches ou des fœtus morts après avoir ingurgité
des produits chimiques toxiques. Ce sont :
1. — Mme Tran Thi Son, 25 ans, commune de Bien Gioi, fausse couche
après plus d’un mois de grossesse ;
2. — Mme Tran Thi Ro, 28 ans, commune de Bien Gioi, accouchement
prématuré (5 mois), enfant mort-né ;
3. — Mme Luong Thi Lam, 25 ans, commune de Bien Gioi, fausse
couche d’un mois et quelques jours ;
4. — Mme Nguyen Thi De, 45 ans, commune de Bien Gioi, fœtus de 7
mois mort dans le ventre de la mère ;
5. — Mme Nguyen Thi No, 34 ans, commune de Bien Gioi, fausse
couche de 3 mois ;
6. — Mme Tran Thi Cau, 34 ans, commune de Bien Gioi, fausse couche
de 2 mois et quelques jours ;
7. — Mme Pham Thi Sang, 32 ans, commune de Bien Gioi, fausse
couche de 2 mois et quelques jours ;
8. — Mme Tran Thi Dao, 23 ans, commune de Bien Gioi, fausse couche
d’un mois et quelques jours ;
9. — Mme Tran Thi Suong, 26 ans, commune de Ta Pang, fœtus de 8
mois mort dans le ventre de la mère ;
10. — Mme Ngo Thi Lien, 42 ans, commune de Ta Pang, fœtus de 8 mois
mort dans le ventre de la mère.
Au moment où elles furent intoxiquées les femmes susmentionnées ont
toutes présenté les symptômes suivants : respiration difficile, étouffement,
écoulement de larmes, écoulement du nez, toux, vertige, maux de tête,
accès de fièvre, etc.

C. — L’emploi des gaz toxiques.


Les gaz toxiques sont employés sous l’appellation de « gaz
lacrymogènes » par les Américains au Sud-Vietnam
De 1964 à 1969, les Américains ont utilisé les gaz toxiques suivants :
— CS, CS-1, CS-2 (dont le composant essentiel est constitué par l’ortho-
chlorobenzylidène malononitrile),
— CN — (chloracétophénone),
— DM (adamsite ou 10 chlore 5-10 dihydrophénarsazin),
— CNS (dont le composant essentiel est le chloropicrine ou trichlorure
nitrométhane),
— le bromo acétate éthyle,
— les gaz toxiques agissant sur le système nerveux.

Dans le but de massacrer massivement la population sud-vietnamienne,


les Américains utilisent sans discrimination les gaz toxiques (dans les
régions très peuplées et à un rythme qui va sans cesse croissant), en
combinaison avec d’autres armes.
Sous l’administration Nixon, les Américains ont intensifié davantage
encore l’utilisation des gaz toxiques. En voici quelques preuves :
— D’après le Montréal Star du 24-7-69, les forces U.S. ont acquis, en
1969, une quantité de matières toxiques 16 fois supérieure à celle de 1964.
De 1964 à 1969, les Américains ont employé 7 000 tonnes de produits
chimiques CS-1 et CS-2 au Sud-Vietnam (Déclaration du professeur
Meselson à Boston, A.P. 3-1-70).

1) récemment, et déjà en 1969, les Américains ont poursuivi l’emploi de


gaz toxiques sur une grande échelle.
Lorsque la dose du produit toxique tombé sur le sol est très forte et que la
région touchée par les épandages est très vaste, les « produits
lacrymogènes » n’ont plus de caractère excitant, mais, ont des effets
meurtriers sur l’homme.

— en janvier 1969, des avions américains ont largué du CS et des produits


chimiques toxiques sur des champs de cultures dans les localités suivantes :
Binh Khe, Moai An, Hoai Nhon, An Lao, Vinh Than, An Nhon, Tuy Phuoc,
Phu My, Phu Cat etc. (province de Binh Dinh) ;
— du 10 au 30 septembre 1969, les avions américains ont, à plusieurs
reprises largué des produits chimiques toxiques et des milliers de fûts de
gaz toxiques CS sur les communes de Ninh Thanh et de Hiep Ninh (d’une
superficie totale de 15 km2 à peine), situées dans la région du Saint-Siège
caodaïste de Tay Ninh. D’autre part, plus de 500 obus à gaz ont été tirés
contre ces mêmes localités : plus de 1 000 adeptes de la secte caodaïste ont
été intoxiqués (13 enfants sont morts).

2) les gaz lacrymogènes utilisés à faible dose ont un effet irritant ;


utilisés à forte dose dans un espace limité (abri souterrain par exemple)
contre des personnes n’ayant aucun moyen de protection, ils peuvent
entraîner la mort.

Selon le rapport spécial n° A-7-75 du 1er juillet 1969 sur les armes
chimiques et bactériologiques, rédigé par des spécialistes de différentes
nationalités, voici un tableau récapitulatif :

D’autres documents scientifiques ont également indiqué que la dose


mortelle de l’adamsite est de 3 mg/litre en 10 minutes, celle du
chloropicrine, de 2,4 mg/litre en 10 minutes.

En réalité, au Sud-Vietnam, les troupes américaines pulvérisent des gaz


toxiques dans les abris où se réfugie la population, provoquant ainsi la
mort de nombreuses personnes.
— Au cours de l’opération de ratissage menée par les troupes américaines
et fantoches dans la presqu’île de Ba Lang An (province de Quang Ngai) du
13 janvier au 3 février 1969, des grenades à gaz, des pulvérisateurs et des
lances pulvérisatrices ont été utilisés pour envoyer des gaz toxiques dans les
abris et les tranchées souterrains.

— Dans le district de Thang Binh (province de Quang Nam), au cours


d’une opération de ratissage lancée contre la commune de Binh Nam le 12
février 1969, les troupes américaines ont poussé 10 personnes âgées de 64 à
77 ans et une femme prête à accoucher, dans un abri, puis les ont tuées en
pulvérisant des gaz dans leur abri.
Aujourd’hui, les armes chimiques constituent un moyen de guerre officiel
utilisé par les troupes d’agression américaines, satellites et fantoches au
Sud-Vietnam.
Tous les corps d’armes (aviation, marine, blindés, parachutistes, marines,
infanterie) sont maintenant dotés de moyens qui leur permettent d’utiliser
les gaz toxiques. Les commandos, les rangers, les policiers de campagne,
les gardes civils sont équipés d’un matériel de guerre identique. Les armes à
gaz dont se servent les troupes américaines, satellites et fantoches sont des
grenades à main, des grenades, des obus de mortier, des obus de canon de la
Marine, des bombes et des roquettes de l’aviation ainsi que des
pulvérisateurs fixés aux hélicoptères ou portés à dos d’homme par des
soldats spécialisés.
L’aviation américaine, pour sa part, est équipée de nombreux
perfectionnements : bombes et pulvérisateurs destinés à l’épandage de
produits chimiques et de gaz toxiques sur une grande échelle.

D. — Conclusion
Pour atteindre leur objectif d’agression au Sud-Vietnam les impérialistes
américains ont investi tout leur potentiel économique et militaire et, en
même temps, ils ont pris les mesures les plus barbares pour dévaster les
villages et massacrer la population. L’un des procédés les plus cruels qu’ils
appliquent au Sud-Vietnam, c’est la guerre chimique.
Effectués en même temps que les bombardements, les épandages de
produits chimiques toxiques et de gaz toxiques ont dévasté et transformé en
déserts de vastes régions du Sud-Vietnam, intoxiqué plus d’un million de
personnes (dont plusieurs milliers sont mortes). Les produits chimiques
toxiques américains ont également des effets très nocifs sur les êtres
humains, les animaux, les végétaux et les conditions d’existence de
l’homme dans l’immédiat et dans le futur, et certains de ces effets sont
encore imprévisibles pour le moment. Les impérialistes américains ont
abusé de la science avancée de l’humanité en la mettant au service de leurs
buts d’agression. En même temps, le Sud-Vietnam est utilisé comme banc
d’essai pour leurs armes chimiques, destinées à réprimer les mouvements de
libération nationale dans d’autres parties du monde.
Le Vietnam possède des forêts tropicales ; certaines sont des forêts
vierges, d’où leur utilité pour les recherches scientifiques mondiales.
La guerre chimique que mènent les impérialistes américains au Sud-
Vietnam sur une vaste échelle, avec un degré d’atrocité encore jamais
atteint, est non seulement un crime impardonnable commis envers le peuple
vietnamien, mais c’est également un crime barbare contre la nature, la
science et la civilisation humaines, un crime envers les mouvements de
libération nationale et la paix mondiale.
Sur le plan juridique, le Tribunal international Bertrand Russell, lors de
sa seconde session (Roskilde, Danemark, décembre 1967), l’Association
internationale des Juristes démocrates réunie à Grenoble en juillet 1968 et
lors de plusieurs rencontres, notamment à Cuba, en R.D.A., au Japon, etc.
ont analysé minutieusement et condamné sévèrement les actes du
gouvernement américain pour la violation par celui-ci de tous les principes
du droit international, et notamment celui portant interdiction de l’emploi
des produits chimiques et des gaz dans la guerre, et pour le crime de
génocide commis par les Etats-Unis au Vietnam.
L’opinion mondiale, y compris les hommes de science et le peuple
progressiste des Etats-Unis, s’oppose violemment à la guerre chimique
américaine au Sud-Vietnam.
Nous demandons instamment aux organisations internationales, de
prendre les mesures qui leur sembleront le mieux adaptées afin de susciter
dans leurs pays respectifs et dans le monde un mouvement de dénonciation
et de condamnation, vaste, puissant et permanent, contre la guerre chimique
américaine au Sud-Vietnam. Nous proposons que ces organisations exigent
des Etats-Unis la cessation de la guerre d’agression qu’ils mènent au Sud-
Vietnam, la cessation de leur guerre chimique au Sud-Vietnam, le retrait
total et sans condition des troupes américaines et celles des satellites des
Etats-Unis du Sud-Vietnam, pour que la population sud-vietnamienne
puisse régler elle-même ses propres affaires, sans ingérence étrangère.
Réalisant le Testament sacré du président Ho Chi-Minh, la population du
Sud-Vietnam est résolue à surmonter toutes les difficultés, à aller toujours
de l’avant sur la lancée de ses victoires, à combattre jusqu’à la victoire
totale, à réaliser un Sud-Vietnam indépendant, démocratique, pacifique,
neutre, et prospère, pour s’acheminer vers la réunification pacifique de la
Patrie.
Aucun acte criminel ne saura sauver d’une défaite totale, les impérialistes
américains et leurs valets, au Sud-Vietnam.

DOCUMENT ANNEXE

Statistiques incomplètes des épandages de gaz toxiques en 1969.


Sous l’administration Nixon, les Américains ont intensifié davantage
encore l’utilisation des gaz toxiques. En voici quelques preuves :
— le 10-1-69, les avions américains ont largué des bombes à gaz toxique
CS et les hélicoptères ont tiré des balles de CS sur la région de Ben Cui-Tay
Ninh ;
— le 13-1-69 et le 3-2-69, les Américains ont utilisé des gaz toxiques
ainsi que d’autres armes contre des abris antiaériens où s’était réfugiée la
population à Ba Lang An (Quang Ngai) ;
— pendant le mois de janvier 1969, les hélicoptères américains ont
largué des fûts de CS sur les régions de Hang Doi, Phuoc An (Quang Nam).
Au Quang Ngai, les avions américains ont largué 80 fûts de CS sur les
régions de Nghi Lam, Nghia Thang.
Au Binh Dinh, des avions Dakota et des hélicoptères américains ont
largué des bombes CS ainsi que des composés arsénicaux sur des régions
dépendant des districts de Binh Khe, Hoai An, Hoai Nhon, An Lao, Vinh
Thach, An Nhon, Phu My et Phu Cat ;
— le 15-2-69, des avions américains ont largué 20 fûts de CS sur les
régions du Dong Nhan, Tu Chinh à 12 km de Chu Lai (Quang Nam
occidental) ;
— en février, des avions américains ont largué 60 fûts de CS sur la
région de Ben Giang-Quang Da ;
Au Binh Dinh, les Américains ont utilisé à maintes reprises, les gaz CS et
les produits chimiques toxiques sur les régions situées à l’est d’An Khe ;
Au Tay Nguyen, les 24 et 25 février 1969, les Américains ont utilisé les
gaz CS le long des rivières Sa Thay et Ya Dran ;
Au Thua Thien, les Américains ont utilisé des dizaines de fois, les gaz
CS surtout dans la partie occidentale de la province ;
— En mars 1969, les Américains ont, à plusieurs reprises, largué des
paquets de matières toxiques sur des districts urbains, dans la province de
Tay Ninh ;
— le 9-3-69, les Américains ont largué des bombes CS-2 et des bombes
explosives sur les régions de Nghia Trang, Nghia Lam (Quang Ngai) ;
— le 12-3-69, des avions américains ont largué des bombes CS sur la
commune de Binh Duong (district de Thang Binh, province de Quang
Nam) ;
— les 17 et 18 mai 1969, les Américains ont utilisé à 34 reprises
consécutives, des gaz toxiques dans la partie occidentale de la province de
Thua Thien ;
— le 26-3-69, des avions américains ont largué 800 fûts de gaz toxique
CS et des bombes explosives sur la région de Duc Pho, (Quang Ngai) ;
— en mai et en juillet 1969, les Américains ont largué des bombes à gaz
toxiques sans discontinuer, des caisses de matières toxiques, tiré des balles à
gaz toxiques sur le district urbain de la province de Tay Ninh ;
— le 18 juillet 1969, les Américains ont largué 100 fûts de produits
chimiques toxiques et tiré plus d’une centaine d’obus à gaz au nord-est du
Saint-Siège caodaïste de Tay Ninh. Le 20 juillet, ils ont à nouveau largué
des produits chimiques toxiques sur la même localité. Selon des statistiques
encore incomplètes, au cours de ces deux journées, plus de 1 000 personnes
ont été intoxiquées (30 enfants sont décédés) ;
— au cours des vingt derniers jours de septembre 1969, des avions
américains ont, à plusieurs reprises, largué des produits chimiques toxiques
ainsi que des milliers de fûts de gaz toxique CS sur les communes de Ninh
Thanh et de Hiep Ninh (d’une superficie totale de 15 km2 à peine), situées
dans la région du Saint-Siège caodaïste de Tay Ninh. 500 obus à gaz ont été
également tirés sur ces mêmes localités : plus de 1 000 adeptes de la secte
caodaïste ont été intoxiqués (13 enfants sont décédés).

II
Statistiques incomplètes des épandages de produits chimiques
dénommés « herbicides » en 1969.
— en mai 1969, l’ennemi à plusieurs reprises, a largué des produits
chimiques toxiques sur la région de Bau Ham (Bien Hoa), le district de Cao
Lanh (Ben Tre), les communes de Dai Phuoc et de Binh Phu (district de
Cang Long, province de Tra Vinh), la région située au nord-ouest de la
province de Tay Ninh ;
— en juin 1969, les Américains ont à plusieurs reprises, largué des
produits chimiques toxiques sur les districts de Phung Hiep, 0 Mon et Long
My (Can Tho), les communes de My Tinh An, Tan Binh Dien et Luong Hoa
Lac (My Tho) les districts de Tuy An, Son Hoa et Dong Xuan (Phu Yen) et
sur les six districts montagneux du Quang Ngai ;
— en juillet 1969, à plusieurs reprises, les Américains ont largué des
produits chimiques toxiques sur le district de Phuoc Long (Soc Trang), le
district de Soc Son (Rach Gia), le district de Tam Binh (Vinh Long), le long
de la rivière Con (district de Binh Khe, Binh Dinh), dans la région de Mong
Bo Rai (Kon Tum), le district de Huong Thuy (Thua Thien), le district de
Cai Lay (Mu Tho) ;
— en août 1969, les Américains ont largué à plusieurs reprises, des
produits chimiques toxiques sur la partie occidentale du Binh Thuan, sur les
communes de Tan An Dong et Quoi An (Tra Vinh), les hameaux de Phu
Hoa et de Phu Quoi (Vinh Long), le district de Phung Hiep (Can Tho) ;
— en septembre 1969, les Américains ont, à plusieurs reprises, largué
des produits chimiques toxiques sur le district urbain (Tay Ninh) les
districts de Vinh Thuan et de Vinh Phuoc (Rach Gia), le 5e district (Gia
Lai) ;
— en octobre, novembre et décembre 1969, les Américains ont à
plusieurs reprises, largué des produits chimiques toxiques sur le district de
Cai Lay (My Tho), les communes de Hai Thuy, Huong Loc, Minh Thuy,
My Thuy, Hong Thuy et An Thuy (aux environs de Hué).

II. — Les données d’origine américaine

Introduction.
Qu’entend-on par armes chimiques et biologiques 8 ?
A la différence des armes conventionnelles qui détruisent l’objectif par
de l’énergie libérée (chaleur, énergie cinétique, etc.), les armes chimiques
ou biologiques agissent directement contre la vie. Cette définition englobe
une grande variété d’armes. Leur but est d’atteindre l’ennemi en créant
artificiellement un milieu toxique, tout en assurant la protection de
l’agresseur.
L’armement chimique et biologique comporte l’agent toxique lui-même
et le système de distribution (vecteur) de cet agent toxique.
Le rapport de l’Organisation mondiale de la Santé « Santé publique et
Armes chimiques et biologiques » (Genève 1970), du groupe de consultants
de l’O.M.S., définit ainsi les armes chimiques :

« Les agents chimiques de guerre comprennent toutes les substances


employées en raison de leurs effets toxiques sur l’Homme, les animaux et
les plantes. » Cette définition exclut les substances chimiques, actuellement
employées à des fins militaires, dont l’action principale est de provoquer
des destructions physiques, le feu, une privation temporaire d’air ou une
réduction de la visibilité.

« Un agent létal est conçu pour provoquer la mort lorsque l’Homme y est
exposé à des concentrations aisément réalisables dans les opérations
militaires. » A faible dose, ces agents peuvent causer une incapacité étendue
et durable.

« Les agents incapacitants sont destinés à provoquer temporairement soit


la maladie, soit une incapacité mentale ou physique dont la durée dépasse
de beaucoup la période d’exposition. »

« Il est impossible de tracer une ligne de démarcation précise entre agents


létaux et agents incapacitants, car ces derniers peuvent provoquer la mort
ou l’incapacité permanente dans certaines circonstances. (...) Pour des
raisons analogues, on ne peut pas tracer de ligne de démarcation précise
entre les agents neutralisants et les autres agents chimiques anti-personnels ;
(...) les agents neutralisants peuvent en outre être employés en association
avec d’autres armes (explosives, à fragmentation, etc.) pour accroître leur
efficacité létale. »
« Les agents neutralisants (ou incapacitants de courte durée) provoquent
rapidement une incapacité qui ne se prolonge guère au-delà de la période
d’exposition 910. »

Les agents biologiques de guerre sont soit des organismes vivants, quelle
que soit leur nature, soit des substances dérivées de ces organismes
destinées à provoquer la mort ou la maladie chez l’homme, les animaux, les
plantes et dont les effets sont fonction de leur aptitude à se multiplier chez
l’homme, l’animal ou la plante attaqués.
Nous n’avons jusqu’à présent aucune preuve certaine de l’utilisation
d’armes biologiques par les Américains au Vietnam 11

Historique.

A) DEFOLIATION 12.
Les premiers essais du programme de défoliation — destiné à détruire la
jungle et à priver les maquisards de leur couvert — ont été faits en 1961.
Selon Ngo Dinh Diem, l’utilisation des défoliants dans ce but était une
« bonne chose », mais pour être réellement efficaces, les produits chimiques
devaient être utilisés contre les récoltes. Selon Newsweek du 27 novembre
1961, « au Sud-Vietnam, des spécialistes américains enseignent aux
aviateurs vietnamiens la façon de répandre, dans les régions tenues par les
communistes, un produit qui jaunit les rizières, tue une récolte sur pied ».
Le programme américain de défoliation avait commencé modestement.
Six avions C-123, sont envoyés au Sud-Vietnam de la base de Clarkfield
(Philippines). 107 vols eurent lieu en 1962. Le programme était considéré
comme expérimental.
En février 1962, l’Union soviétique accuse les Etats-Unis de développer
la guerre chimique au Sud-Vietnam :
« Les forces aériennes ont commencé à détruire par des gaz toxiques les
récoltes des champs des paysans dans certaines régions. »
Le New York Times déclarait que les U.S.A. avaient repoussé une requête
du Sud-Vietnam de réduire par la faim les guérilleros :
« La répugnance à accomplir le programme de destruction des récoltes
est fondée sur la susceptibilité américaine à l’accusation de prendre part à
une guerre chimique. »
Le correspondant à Saigon de U.P.I., Charles E. Smith, écrit le 16 mars
1963 que les produits chimiques et les défoliants sont utilisés à certains
endroits dans les régions montagneuses où les « terroristes » font pousser
leurs récoltes. Dans ce cas le but est d’éliminer toute source de nourriture.
Le 4 avril 1963, Jack Wilson, du Minneapolis Tribune, écrit que les
épandages sur les récoltes ont été limités aux territoires dominés par le
« Vietcong. »
L’utilisation des défoliants pour détruire même la jungle est, d’après la
propre définition des militaires, un acte de guerre chimique. Le manuel
T.M. S-216, Biologie militaire et Agents biologiques, décrit les produits
chimiques comme possédant « un potentiel offensif élevé pour détruire ou
limiter sérieusement la production des récoltes et pour défolier la
végétation ». Le manuel continue : « Il n’existe aucune mesure défensive
prouvée contre ces composés. Lorsque les symptômes apparaissent, rien ne
peut être fait pour prévenir les dégâts. » « Les composés sont détoxifiés
dans le sol après une période de plusieurs semaines à plusieurs mois. »
Roger Hilsman, sous-secrétaire d’Etat pour les affaires du Sud-Est
asiatique de l’administration Kennedy, a écrit que « le Quartier général de
Saigon pensait que ces défoliants seraient la solution idéale pour détruire les
sous-bois bordant les routes où les Vietcong montaient leurs embuscades et
pour détruire les récoltes des territoires dominés par le Vietcong ». Le
Département d’Etat pensait que les répercussions politiques dépasseraient
les avantages possibles. La défoliation rappelait de trop près la guerre des
gaz. « Cela nous coûterait le soutien politique international et le Vietcong
utiliserait cela pour sa propagande comme un exemple de ce que les
Américains faisaient la guerre aux paysans. »
Malgré les avertissements du Département d’Etat, le Pentagone
entreprend une nouvelle série d’expérimentations. Un de ces programmes
est connu sous le nom de « Oconu Defoliation Test » et comprend une
application aérienne d’agents chimiques antirécoltes en Thaïlande en 1964
et 1965. Des brouillards ont été appliqués au taux de 1/2 à 3 gallons par
acre, sur deux sites témoins représentant la forêt tropicale non caduque, la
forêt secondaire et les arbres fruitiers.
La poursuite de ce programme avait aussi une autre raison.
L’Administration Kennedy, par le projet « Agile » accélérait les recherches
sur la « Contre-insurrection ». La défoliation en était un élément. En 1965,
plus de 30 millions de dollars y étaient consacrés. Ce programme décidé en
1962 par MacNamara était destiné à terminer rapidement la guerre.
Hilsman notait après une inspection sur le terrain au Vietnam que « les
feuilles étaient parties, mais que les branches et les troncs subsistaient,
même s’ils avaient été détruits. Les guérilleros ne se protègent pas par les
feuilles et les troncs, mais par les courbes des routes, les collines et les
vallées ».
Le colonel Serong (Australien) remarquait que la défoliation aide les
guérilleros. Si la végétation est proche de la route, ceux qui se sont
embusqués peuvent rapidement se protéger, mais quand la végétation a été
éloignée de la route, les guérilleros ont un meilleur champ de tir.
La première confirmation officielle du but du programme de défoliation
remonte à mars 1966, lorsque le Département d’Etat annonce qu’environ
20000 acres de cultures ont été détruites. En juillet 1966, le New York Times
annonce que 130 000 acres de riz et autres plantes vivrières ont été arrosées.
En septembre 1966, le Times rapporte que les militaires américains « sont
satisfaits de l’efficacité de la défoliation chimique et des missions de
destruction des récoltes, et projettent de tripler leur effort ».

Les défoliants et leurs effets biologiques.

Les principaux mélanges défoliants utilisés par l’armée au Vietnam sont


désignés par couleurs. Leurs ingrédients actifs sont les suivants :
ORANGE : mélange 1/1 d’éthers n-butyl, d’acide 2,4
dichlorophénoxyacétique (2,4D) et d’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique
(2,4,5-T) ;
BLEU : acide diméthyl-arsénique (acide cacodylique) ;
BLANC : mélange 1-4 de sels tri-isopropanolamine, de l’acide 4-amino-
3,5,6-trichloropicolinique (picloram) et de 2,4 D.

2,4 D et 2,4,5- T

Ils sont particulièrement efficaces contre les plantes à larges feuilles, le


2,4-D étant plus actif contre les plantes à tiges herbacées et le 2,4,5-T
contre les plantes à tiges ligneuses. Cette sélectivité envers les espèces à
larges feuilles est suffisamment forte pour qu’on ait mis sur le marché le
2,4-D pour l’entretien des pelouses. Les mêmes 2,4-D et 2,4,5-T, utilisés
comme défoliants, peuvent être utilisés sous une forme différente, à des
doses plus fortes dans le but de tuer ou de rendre improductives les récoltes
de céréales, y compris le riz.
Sauf en cas de contrôle précis du territoire visé et de la dose utilisée pour
les épandages, la défoliation de la jungle peut détruire les récoltes dans des
zones où on n’avait pas l’intention de le faire (Galston, Science and
Citizen, — 9-123-(1967).
Le mécanisme d’action des défoliants est mal connu. On sait que
l’auxine, l’hormone de la plante, agit sur la chute des feuilles. Si pour une
raison quelconque, par exemple le raccourcissement des jours en automne,
le taux d’auxine s’abaisse, les feuilles tombent.
Mais un degré élevé d’auxine peut aussi entraîner des effets toxiques,
allant de la destruction de certaines espèces à des croissances de forme
anormale ou à une floraison prématurée. Des expériences récentes ont
indiqué que des degrés élevés d’auxine agissent probablement en contrôlant
la synthèse d’une autre hormone, l’éthylène (qu’il ne faut pas confondre
avec la molécule habituelle à deux carbones non saturés, CH2 = CH2). Cette
dernière hormone peut également entraîner la chute des feuilles et d’autres
anomalies. Elle est communément utilisée pour le mûrissement artificiel des
fruits et l’application de doses élevées d’auxines ou de composés à haute
activité d’auxine peuvent déclencher leur production. De plus, l’éthylène est
volatil et sa concentration efficace n’est que de quelques parties pour un
million de parties d’air. Elle peut donc passer facilement d’un territoire à un
autre et l’on voit, là aussi, le risque de dégâts involontaires et incontrôlables
à des plantes situées en dehors de l’aire sur laquelle on la répand.
Ni le 2,4-D ni le 2,4,5-T ne persistent habituellement plus de quelques
semaines dans le sol. Mais cette indication est par elle-même trompeuse.
Ces deux composés sont décomposés par les micro-organismes du sol. On
ne connaît pas exactement les produits finaux, mais il se trouve parmi eux
sans aucun doute plusieurs dérivés du phénol. Les composés phénolés
entraînent la destruction naturelle des auxines dans les plantes et deviennent
des herbicides.

Acide cacodylique 13
Il s’agit d’un composé organique de l’arsenic. Sa spécificité porte sur les
plantes à feuilles étroites dont on s’attendrait à ce qu’elles soient
relativement résistantes au 2,4-D et au 2,4,5-T. On l’utilise contre le riz et
l’herbe à éléphant.
Potentiellement, le cacodylate est le plus toxique, pour les mammifères,
des herbicides actuellement en usage. Sa dose LD50 (dose en milligrammes
par kilogramme de poids du corps qui tue 50 % des animaux d’épreuve au
laboratoire — en général des souris) est 830. Cela se compare avec le
tableau suivant :

LD50
Arseniate de sodium 10-50
2,4-D 300-1000
2,4,5-T 100-300
acide cacodylique 830
picloram 8200
aspirine 1775

Mais au point de vue toxicité, il y a pire que cela, car l’acide cacodylique
est métabolisé par la micro-flore du sol ; et la déméthylation, qui est une des
voies métaboliques les plus usuelles, accroît 50 fois sa toxicité. Dans des
conditions anaérobiques, de plus, l’arsenic peut être réduit par des micro-
organismes à l’état + 2, forme sous laquelle sa toxicité est celle des poisons
arséniques. Notons que le sol sous une rizière est un lieu très anaérobique,
de même que le sol à une profondeur de plus de quelques centimètres.
Mais à des doses non létales, les cacocylates et autres arsénicaux peuvent
causer et causent effectivement de la nausée, des diarrhées, des maux de
tête, des douleurs musculaires, une hypotension et parfois un coma. Tous
ces symptômes sont dus à la constriction des capillaires et à l’atteinte de la
paroi intestinale, engendrées par les composés arsenicaux. La détérioration
de la paroi intestinale est particulièrement sérieuse au Vietnam, où la
malnutrition et des maladies comme le choléra sont fréquentes. Ces
maladies fragilisent également la muqueuse intestinale. Ceci diminue
l’absorption intestinale du bol alimentaire ingéré et entraîne ainsi un
affaiblissement général, renforçant par là la sensibilité aux maladies.
La déclaration de Tschirley selon laquelle « il n’y a pas de preuve
suggérant que les herbicides utilisés au Vietnam poseraient des problèmes
de toxicité pour l’homme et les animaux » (souligné par nous) est
simplement sans fondement. Elle glisse sur les circonstances décrites ci-
dessus, elle ignore l’accumulation d’arsenic et autres matériaux dans la
chaîne alimentaire à des degrés qui pourraient aisément devenir toxiques
pour les animaux domestiques et les poissons, et elle ignore la distribution
par les vents, le ruissellement et la vaporisation.

Picloram
Le picloram diffère de la plupart des autres herbicides à deux points de
vue. Son activité biologique est plus de cent fois celle du 2,4-D, et il est
extrêmement persistant dans le sol.
Son activité est si grande et il est si sensible aux variations des sols et du
climat que son utilisation n’a pas été autorisée par l’Administration des
Aliments et Médicaments à une seule récolte américaine. Un traitement par
le BLANC au Vietnam répand environ 1,5 livre de picloram par acre (1 674
gr/hect.) Ce dosage doit être considéré en comparaison avec les suivants :
a) 2,8 livres/acre détruira la plupart des conifères,
b) 0,001 livre/acre détruira le tabac (cultivé au Vietnam pour la
consommation locale),
c) un nuage à 50 pour 108 détruira le trèfle rampant,
d) la dose maximum de sécurité est de 0,06 livre/acre pour le contrôle des
mauvaises herbes dans les champs de céréales. Des doses plus élevées
abîment ou détruisent la récolte. Le riz est une céréale et on sait que les
céréales sont sensibles aux herbicides à auxine pendant la germination
et durant le développement de la graine.
A cause de sa persistance dans le sol, on peut s’attendre à ce que le
picloram affecte non seulement la récolte saupoudrée, mais aussi ce qu’on
plantera ensuite. Dans une étude subventionnée par le D.O.D. (Department
of Defense) sur une jungle de Porto-Rico traitée par 9 à 27 livres de
picloram par acre, la terre est demeurée sans feuilles pendant les deux ans
de l’étude. Un rapport de la Société Dow, qui fabrique le produit, a montré
qu’un arrosage en juin restait assez fort pour endommager les récoltes un an
plus tard.
Quoique que le Dr C.E. Minarik de Fort Detrick proclame que le Blanc
est utilisé au Vietnam pour « contrôler les conifères », la même étude du
D.O.D. citée ci-dessus conclut que « le large éventail d’espèces à bois
sensibles au picloram en fait l’herbicide le plus important pour le contrôle
des plantes ligneuses. Quelques espèces tolèrent des doses élevées de
picloram, mais beaucoup d’espèces tolèrent des doses élevées d’autres
herbicides. L’emploi du picloram est donc particulièrement approprié pour
la défoliation des types existant dans les forêts caractérisées par une forte
diversité d’espèces. Ce type de forêt se rencontre fréquemment dans les
régions tropicales ».
Nous avons mentionné plusieurs fois les effets possibles de l’arrosage
aux défoliants sur des régions autres que celles visées. Le ministère de la
Défense répugne, d’une façon compréhensible, à reprendre de pareilles
informations, mais on connaît au moins ce qui suit, par un passage du
Science and citizen, août-sept. 1967, p. 127 :
« ... Les hévéas d’une plantation Michelin ont été détruites par
inadvertance par un nuage qui a dérivé. Les Etats-Unis ont indemnisé les
propriétaires français au taux d’environ 87 dollars par arbre 14.
« Dans une enquête sur l’action défoliante dans la région de Bien Hoa, le
4 mai 1965 onze observateurs ont noté que des dégâts considérables avaient
été causés aux arbres et aux bananes. Ce dégât fut reconnu et était
évidemment dû à un nuage dérivant de défoliant ». Rien que dans cette
zone, environ 500 plaintes ou demandes d’indemnisation ont été déposées
par les chefs de hameaux pour transmission au chef de Province. Les
haricots et les liserons d’eau sont reconnus comme étant les récoltes
principalement sensibles, surtout entre mai et novembre.
« Le 13 décembre 1965, trois avions ont survolé Thoi An Dong, village
du district de Phong Phu, répandant en grande quantité du défoliant. Les
melons d’eau qui n’étaient qu’à 20 jours de la maturité ont été sérieusement
endommagés, de même que le riz, les légumes et les fruits. Les récoltes
dans les villages voisins de Phuc Thoi et Tong Tuyen ont été également
sérieusement touchées. La région entière est supposée être « sûre » du point
de vue américain et n’aurait donc pas dû être arrosée du tout. Con Son, une
île qui n’est qu’à 500 mètres de Can Tho a été soumise six fois à un
traitement de défoliation de juin à décembre 1965. Les papayes, les
jacquiers, les noix de coco, les melons d’eau, le chou-moutarde et les
haricots ont souffert de façon variée. Les dégâts se sont étalés de 40 à
100 %, rendant les récoltes non rentables pour la moisson. Certains fermiers
ont également décidé de ne plus replanter, amplifiant ainsi la perte
économique.
Citons également l’étiquette d’un produit de la Dow Co, appelé Esteron
R245 O.S. Il contient 67,7 % de 2,4,5-T, et la concentration recommandée
pour vaporisation est d’environ 1 à 4 pints/acre (1 pint = 0,473 litre ; 1 acre
= 0,4 hectare) (soit environ 1 à 4 litre/hectare).
« N’appliquez pas directement l’Esteron R245 O.S. ou ne permettez pas
qu’une autre manœuvre permette le contact direct avec les plantes utiles,
qui sont sensibles à 2,4,5-T, et ne permettez pas aux nuages vaporisés de
dériver vers elles, car même des quantités minimes de ce nuage peuvent
occasionner des dégâts sérieux pendant les périodes de croissance... Les
applications par avion, par équipement au sol et vaporisateurs à main ne
devraient se faire que quand il n’y a pas de danger de dérive. N’utilisez pas
l’avion au voisinage de champs de coton, de vignobles ou autre végétation
sensible au 2,4,5-T. A des températures chaudes, la vaporisation peut
occasionner des dégâts aux plantes sensibles avoisinantes. N’y faites pas
paître d’animaux pendant 7 jours après le traitement (pour éviter la
contamination du lait. »
Harvey et Mann signalent ce qui suit pour la distribution par irrigation du
picloram :
« Le picloram sur les terres vaporisées peut être entraîné par le
ruissellement de pluie dans les eaux d’irrigation et causer de sérieux dégâts
à des récoltes dans des régions éloignées. Le taux de ruissellement est élevé
dans les forêts des régions à mousson et le picloram, étant hautement
soluble, peut quitter la forêt par des voies hydrologiques pour contaminer
d’autres régions ou peut être entraîné dans la terre.
« La persistance et la stabilité du picloram sont telles qu’après
application à une zone, où une vaporisation précise est essentielle, il peut
être entraîné par ruissellement ou dériver sous forme de nuage sur des terres
non traitées. Le Vietnam ne manque ni de fortes pluies ni de vent. Cela a été
bien souligné dans une étude récente faite aux U.S.A. : « Cependant, dans
de grandes surfaces traitées par avion, le picloram peut devenir une source
de contamination par la chute des feuilles ainsi traitées et par le sol sous
l’effet du vent et de l’eau jusqu’à des récoltes adjacentes. Cette hypothèse
demande qu’on poursuive les études sur le terrain » 15. De grandes zones
sont traitées par picloram au Vietnam, mais aucune étude de contamination
n’est venue de là-bas.
Une illustration tragique de la résistance du picloram au phénomène de
dégradation naturelle auquel les autres herbicides sont sensibles a été
largement citée : l’incident concerne des mules utilisées pour cultiver un
champ de tabac. On les avait fait pâturer précédemment sur une surface qui
avait été traitée au picloram. Quand le tabac a commencé à pousser, des
symptômes d’enroulement des feuilles et de croissance arrêtée ont été notés
avec une distribution par taches inhabituelles dans le champ. On a appris
plus tard que le picloram avait filtré dans les crottins des mules, avait passé
dans les jeunes plants et était la cause des symptômes. Il avait entièrement
traversé le système digestif des mules et avait été déposé inchangé.

Effets biologiques
Ils peuvent être désastreux. La régénération après une seule vaporisation
est assez probable, excepté dans le cas des palétuviers. Mais de grandes
zones ont été vaporisées à maintes reprises au Vietnam, et Tschirley note
qu’au fur et à mesure que la densité du toit végétal est réduite, les
traitements ultérieurs détruiront plus d’arbres et auront un bien plus grand
effet sur la végétation sous jacente régénérante 16. Il poursuit en disant :
« La réaction théorique à de multiples applications d’herbicide a été
confirmée par mes observations sur les lieux » 17
La régénération de forêts sérieusement endommagées — ou
détruites — et des autres systèmes écologiques est un processus
extrêmement lent, qui prend des décades et peut-être des générations. Dans
l’intervalle, des changements plus rapides du sol peuvent endommager de
façon permanente sa fertilité. « Environ 30 % des terres au Vietnam ont un
potentiel de latérisation. » Quand cela se produit, le processus est
irréversible. Un autre problème est l’invasion par des espèces vigoureuses
poussant rapidement. Quand la couverture de jungle est déchirée, elle
expose le sol à la lumière du soleil. Dans les forêts vietnamiennes, il existe
normalement différentes sortes de bambous et leur extension, d’après
Tschirley, est une certitude sur la zone défoliée à plusieurs reprises. Une
fois installés, ces plants sont très difficiles à extirper et entrent avec succès
en concurrence avec les espèces forestières en régénération.
Des dégâts permanents peuvent aussi venir de la rupture des relations
écologiques complexes. Beaucoup d’espèces d’arbres dépendent de
symbioses avec des fougères ou des bactéries qui leur fournissent des
vitamines comme la vitamine B12, et des matières minérales concentrées.
Les espèces en symbiose, à leur tour, dépendent des arbres comme source
de carbone. Ce dernier vient sous forme de sucrose qui coule des racines
tant que la photosynthèse a lieu à dose élevée. Quel est l’effet sur cette
relation des pertes hors de saison des feuilles et de la quasi-cessation de
photosynthèse qui en résulte ?
Il est clair que les militaires déclenchent un processus biologique que
nous ne comprenons pas, dont nous ne pouvons prévoir les conséquences et
auquel nous ne seront peut-être jamais capables de porter remède.
« Mouvement Columbia du 4 mars ».
Les citations dans ce chapitre sont extraites de : A. Galston, Science and
Citizen, 2 (1967), 123 ; G. Havrey & J. Mann, ibid, 10 (1968), 165 ; O.
Tschirley, Science, 163 (1969), 779. Voir aussi la circulaire TC3-16 du
quartier général de l’armée américaine.

B. — LA GUERRE ANTIRECOLTES
Introduction :
La guerre antinourriture est l’empoisonnement intentionnel des plantes
servant à l’alimentation. Puisque le but de cette tactique est d’affaiblir
l’ennemi par la famine systématique, la guerre antinourriture n’est utile que
dans les guerres non conventionnelles. L’objectif majeur des forces
antiguérilla est de rendre matériellement impossible à la population
indigène de soutenir un mouvement de guérilla.
Lorsque les U.S.A. ont commencé les recherches sur l’armement
antirécoltes dans les années 1950, ces recherches concernaient presque
exclusivement les agents biologiques attaquant le blé. Depuis 1961,
cependant, le Pentagone a augmenté les recherches sur les agents
antirécoltes destinés à l’écologie des territoires tropicaux.
Entre août 1961 et juin 1963, les laboratoires biologiques de l’armée de
Fort Detrick ont essayé 1410 composés testés pour les évaluer en tant que
défoliants, dessicants et herbicides. (Technical Abstracts Bulletin, 15 juillet
1965). Pendant la durée de ce travail, d’autres centres de recherche faisaient
l’inventaire des plantes vivant au Vietnam et dans les zones avoisinantes.
Les services de recherche de l’Agriculture de Washington ont analysé les
types de forêt du Sud-Est asiatique et étudié les traits physiologiques et
climatiques des territoires susceptibles de relever de l’armement anti-récolte
(U.S. House Committee on Appropriation, Department of Defense
Appropriations, 1968 — Hearings 90th Congress, First Session, Pt 3, p. 93).

Historique :
Depuis la fin de 1966, plus de la moitié des missions des C-123 a été
consacrée à la destruction des récoltes.
Une étude japonaise sur les méthodes de défoliation et de destruction des
récoltes pratiquée par les Américains a été publiée en 1967 par Yoichi
Fukushima, président de la section d’agronomie du Conseil scientifique
japonais.
L’étude affirme que les attaques contre les récoltes ont ruiné plus de 38
millions d’acres de terre arable (1 975 000 ha, surface de trois départements
français), entraîné directement la mort d’environ 1 000 paysans et détruit
les stocks de vivres pour 13 000 personnes. Un village a été attaqué plus de
trente fois par les défoliants et herbicides. Le savant japonais conclut que
l’aspect effroyable et inhumain de ces actes est évident même dans les
limites officiellement données par les dirigeants du gouvernement
américain. Les officiels ont déclaré qu’il s’agissait là de propagande.
En avril 1966, Joseph-Marie Ho Hue Ba, représentant catholique du
Front national de Libération, a accusé les produits chimiques d’entraîner la
mort des nouveau-nés. Des centaines de catholiques ont été intoxiqués par
la destruction des récoltes qui a par ailleurs entraîné la famine.
Les C-123 sont équipés pour répandre leurs 1 000 gallons (3 780 litres ou
4,5 tonnes) en 6 minutes, sur une surface de 300 acres (156 ha), soit plus de
3 gallons par acre, dosage recommandé par les manuels de l’armée. Le
programme est connu sous le nom d’« Operation Ranch Land ». En cas
d’urgence, la cargaison peut être éjectée à haute pression à raison de 1000
gallons en 30 secondes. Ces urgences sont fréquentes.
Le coût d’une cargaison de 1 000 gallons de produit antirécoltes est de
5 000 dollars. En 1967, le Pentagone a annoncé l’acquisition de 60 millions
de dollars de produits, suffisants pour approvisionner 12000 vols.
Ce programme militaire a de beaucoup dépassé la capacité de production
des Etats-Unis. Business Week écrit en avril 1967 que les demandes
militaires sont quatre fois plus fortes que la capacité de production 18.
Business Week ajoute que des restrictions commerciales seront nécessaires.
Les services administratifs de la Défense ont donné des ordres pour assurer
la priorité à la Défense.
Le général de division Davison, en réponse à une lettre du Dr John
Edroll, déclare :
« De grandes précautions sont prises pour sélectionner les surfaces sur
lesquelles le maximum de mal serait causé au Vietcong et le minimum à la
population locale. En certains endroits les habitants qui avaient été
contraints par le Vietcong de faire pousser de la nourriture ont adressé une
requête pour que des herbicides soient employés. Le gouvernement du
Vietnam a pris des précautions pour épargner les non-combattants. Ce n’est
pas une guerre chimique ou biologique ni un précédent pour une telle
guerre. Il s’agit d’une méthode douce pour maintenir la pression sur un
ennemi barbare... »
Le témoignage de Pham Duc Nam, un paysan, et celui de Cao Van
Nguyen, présentés par Yoichi Fukushima en 1967, contredisent la
déclaration du général Davison :

Pham Duc Nam :


Trois jours d’attaque par arme chimique près de Do Nang, du 25 au 27
février 1966.
« La superficie touchée couvrait 120 km d’est en ouest et 150 km du nord
au sud. Cinq minutes seulement ont été nécessaires pour flétrir le manioc,
les patates douces et les bananiers. Les stocks de vivres ont
considérablement souffert. Contrairement aux hommes qui choisissent leur
nourriture, les animaux n’ont plus rien à manger ; la plupart des poissons de
rivière ont été trouvés morts, emportés par le courant. Les trois jours
d’attaque ont pris la vie de 10 personnes et rendu malades plus de 18 000
habitants. »

Cao Van Nguyen :


Attaque près de Saigon, le 3 octobre 1964.
« Un territoire d’environ 1 000 hectares de terres cultivées a été touché.
Beaucoup de stocks de vivres ont été empoisonnés, certains détruits. La
majorité des personnes empoisonnées n’avaient ni mangé ni bu d’aliments
atteints par le poison. Elles avaient seulement respiré l’air pollué ou reçu du
poison sur la peau. Au début, elles sont tombées malades et ont eu de la
diarrhée, puis de la dysenterie, leur tension artérielle a baissé. Dans certains
cas, le nerf optique a été atteint, rendant aveugle la personne touchée. Des
femmes enceintes ont accouché d’enfants morts-nés. La majeure partie du
cheptel a été détruite et les poissons de rivière flottaient le ventre en l’air à
la surface des eaux juste après l’épandage. »
En réponse, le commandement américain a recommandé « une éducation
des fermiers pour les rendre aptes à identifier les dommages véritablement
consécutifs aux défoliants et éviter de les confondre avec d’autres troubles
(...). Si un effort coordonné est fait par toutes les parties, il sera possible de
dédommager et de s’arranger à l’amiable avec les quelques rares
plaignants ». Cependant, pour la région autour de Bien Hoa, « comme
j’estime que la surface doit rester nette pendant un temps indéfini, seule
l’utilisation de produits chimiques destinés à stériliser le sol doit être prise
en considération ».

En principe, la stérilisation du sol ne fait pas partie du programme de


défoliation. Cependant, McNamara avait annoncé le 8 septembre 1967 que
l’utilisation de destructeurs de sol (soil killers ou soil poisoners) est
demandée dans la zone démilitarisée. Certains « tueurs de sol » comme
l’arséniate de soude peuvent rendre le sol aride pendant plus de dix ans.
Lorsque les biologistes de l’Université de Yale ont protesté en septembre
1966 auprès du président Johnson, ils ont reçu une réponse de Dixon
Donnelly, sous-secrétaire d’Etat aux Affaires publiques, assurant que les
civils et les non-combattants sont avertis à l’avance de ces actions. On leur
demande de quitter le territoire visé. On leur dit par exemple :
« Le gouvernement de la République du Vietnam a adopté l’usage des
défoliants qui ruinera votre récolte de riz et d’autres produits des champs.
Cela a été rendu nécessaire parce que vos rizières sont localisées dans un
territoire dont les récoltes nourrissent le Vietcong. Cependant, vous ne
devez pas vous sentir frustrés, car le gouvernement compensera les
dommages causés à votre récolte de riz. Le gouvernement aidera à votre
évacuation vers un endroit où vous trouverez de la nourriture, un logement
et des vêtements jusqu’à la prochaine saison, si vous le désirez. » La guerre
chimique est donc utilisée pour les opérations de regroupement.

Dans une discussion du 29 juin 1966, deux médecins de Harvard, le Dr


Jean Mayer, professeur de nutrition, et le Dr Victor W. Sidel, notent que le
but est de faire mourir de faim le Vietcong en le privant de nourriture :
« En principe, le but est le même que celui de tout blocus. En tant que
nutritionnistes qui connaissons les famines de trois continents, et en tant
que médecins de médecine préventive, nous pouvons dire qu’il n’y a jamais
eu une famine qui n’ait pas atteint en premier lieu les petits enfants. Le
processus commence par la mort des enfants, puis des vieillards. Les
adolescents sont plus aptes à survivre et les hommes adultes sont beaucoup
moins affectés. Cette technique atteint donc d’abord les innocents. »
L’utilisation des produits chimiques à des doses sans précédent menace
l’écosystème. Beaucoup de scientifiques ont affirmé que les défoliants et les
herbicides, en dehors même des conséquences immédiates, déclencheront
des changements écologiques qui peuvent réduire de façon permanente des
terres fertiles en terres stériles.
Le Pentagone, pour contrecarrer cette sorte de critique, a publié en février
1968 un rapport de 369 pages intitulé Assessment of Ecological or Repeated
Use of Herbicides (Midwest Research Institute of Kansas City). Le rapport
conclut de façon optimiste qu’il n’y a pas d’évidence claire que le
programme antirécoltes puisse causer des dommages permanents aux zones
traitées. Le rapport conclut également que la possibilité de toxicité létale est
hautement improbable et ne saurait être matière à de graves soucis. De
même, le rapport déclare qu’il est impossible de dresser aucune conclusion
quant aux effets des produits chimiques sur la qualité des eaux au Sud-
Vietnam. Ce rapport a été préparé sur la base d’interrogatoires et de
recherches dans la littérature scientifique. Aucune investigation n’a été faite
sur le terrain.
« En fait les effets écologiques à long terme sont difficiles à prévoir. »
« L’utilisation des herbicides dans le Sud-Est asiatique représente la plus
large application des herbicides jamais entreprise en un si bref laps de
temps. »
En même temps que la réalisation du programme antirécoltes, les troupes
américaines et les troupes du gouvernement de Saigon ont
systématiquement mutilé les terres arables. Souvent, les paysans
vietnamiens sont pris dans les champs et placés dans des camps de réfugiés,
laissant là leurs récoltes. Des milliers de tonnes de riz trouvées dans les
territoires libérés ont été jetées dans les rivières, brûlées, éparpillées,
empoisonnées. Les militaires ont utilisé la « charrue romaine » des
bulldozers pour détruire des centaines et des centaines d’hectares de terres
et de forêts afin de prévenir les embuscades et affamer la population. Du 1er
juillet au 3 décembre 1967, selon le New York Times, les troupes
américaines du 3e corps d’armée ont débarrassé 52000 ha de toutes plantes
vivantes.
D’après un rapport médical du « Boston Based Physician for Social
Responsibility », la malnutrition était déjà un problème grave au Vietnam
avant le programme antirécoltes. Les Vietnamiens consommaient environ
20 % de la nourriture généralement absorbée par les Américains, d’où béri-
béri, anémie, maladies infectieuses, goitres endémiques, etc.

Devant ces faits, l’opinion des scientifiques américains a commencé à


s’émouvoir.
Dès janvier 1966 : « L’usage de produits chimiques destinés à détruire les
récoltes par les Américains au Vietnam » a été condamné par 29
scientifiques et médecins d’Harvard, du Massachussetts Institute of
Technology et d’autres établissements.
Le rapport 19 fait référence au New York Times qui avait déclaré qu’ « un
large programme de destruction de nourriture est entrepris par l’aviation
américaine qui arrose les récoltes de riz à l’aide d’un herbicide analogue à
celui dont se servent de nombreux Américains dans leur jardin ». Le Times
ajoute qu’il ne s’agit pas d’un poison et les officiels disent qu’aucune
nourriture subsistant après son exposition à l’herbicide ne sera toxique ou
désagréable au goût.
Les superficies exposées, selon le rapport, ne couvrent qu’une faible
fraction (50000 à 75000 acres sur plus de 8 millions d’acres) des cultures
vivrières du Sud-Vietnam. « Le programme a pour but d’atteindre
seulement des petites zones d’importance militaire majeure où les
guérilleros font pousser leur propre nourriture et où la population s’est
jointe volontairement à leur cause. » L’expérience a montré, affirme le
Times, que lorsque le produit chimique est appliqué pendant la croissance
de la plante, avant que le riz ou les autres plantes vivrières ne soient mûrs, il
détruit 60 à 90 % de la récolte.
Réponse des savants :
John Edrall, Professeur de Biochimie à Harvard.
« Même s’il peut être démontré que les armes chimiques ne sont pas
toxiques pour l’Homme, de telles tactiques sont barbares parce que sans
discrimination. Elles représentent une attaque sur la population entière
d’une région où les récoltes sont détruites ; combattants et non combattants
sont également atteints. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, pendant
laquelle la menace contre notre pays était beaucoup plus grande, notre
gouvernement a résisté fermement à toutes les propositions d’emploi des
armes chimiques ou bactériologiques contre nos ennemis. Le fait que nous
utilisions de telles méthodes prouve une détérioration choquante de nos
valeurs morales. Ces attaques sont aussi dégradantes par rapport aux valeurs
de l’humanité civilisée, et leur utilisation nous gagnera la haine à travers
l’Asie et partout dans le monde.
« De telles attaques sont de plus un précédent pour l’utilisation d’agents
chimiques similaires ou même plus dangereuses contre nos alliés ou nous-
mêmes. L’armement chimique est bon marché. De petits pays peuvent s’en
servir contre nous et le ferons si nous les conduisons dans cette voie. A la
longue, l’utilisation de telles armes par les U.S.A. est ainsi une menace et
non un appui pour notre sécurité.
« Nous insistons pour que le Président proclame publiquement que
l’usage de telles armes chimiques par nos forces armées soit interdit et
s’oppose à leur utilisation au Sud-Vietnam 20. »
En juin 1969, le professeur Pfeiffer, de l’Université de Montana, publiait
un article fondamental dans la revue Scientific Research.
Deux zoologistes américains : Gordon H. Orian et Egbert W. Pfeiffer,
avaient demandé l’envoi au Vietnam d’une mission américaine ou
internationale pour étudier l’effet des défoliants sur l’écologie. Mais, à
cause de l’impossibilité de faire cette recherche dans la zone de combat et
en raison du refus opposé par le Département de la Défense et par les
Nations Unies, rien ne se produisit.
La « Society for Social Responsibility in Science » offrit les fonds pour
envoyer des scientifiques au Vietnam. L’offre fut acceptée par Orian, de
l’Université de Washington, et Pfeiffer, de l’Université de Montana. Pfeiffer
est un zoologiste des vertébrés, principalement intéressé par la physiologie
rénale des mammifères. Avec l’encouragement tacite du Département de la
Défense et du Département de l’Agriculture, Pfeiffer et Orian ont été, du 17
mars au 1er avril 1969, au Sud-Vietnam, étudier les effets écologiques de la
guerre. Une série d’articles est parue à leur retour et le professeur Pfeiffer et
le professeur Orian ont largement fait connaître au cours de conférences les
résultats de leur voyage 21.
Le professeur Pfeiffer a rassemblé les informations :
— d’interrogation du personnel militaire américain,
— d’observations directes d’hélicoptères de l’armée américaine ayant
survolé des zones endommagées par les raids de B52,
— d’observations directes de C-123, avions des forces américaines
modifiés pour l’épandage de produits chimiques,
— d’observations directes d’un vaisseau patrouilleur de la marine
américaine le long de la péninsule de Rung Sat et de la basse rivière de
Saigon (le Rung Sat est une région de mangroves qui a été fortement
défoliée),
— d’informations données par les autorités militaires américaines,
— de publications de l’Institut de Recherches du Vietnam sur le
caoutchouc,
— d’une visite à la station de recherches de cet Institut où des arbres
récemment défoliés ont pu être observés,
— de photos d’arbres endommagés par des défoliations antérieures,
— de constatations des plantations Michelin sur la nature et l’extension
des dommages causés par les herbicides aux hévéas des plantations
Michelin,
— d’entretiens avec des membres de la faculté des sciences de Saigon,
— d’entretiens avec des scientifiques vietnamiens des ministères des
pêcheries, des forêts et de l’agriculture réunis avec des biologistes
formés en France et aux Etats-Unis,
— d’entretiens et de discussions avec d’autres Vietnamiens.
L’effort a porté sur l’observation des animaux de la région visitée et
autant que possible sur les changements de la population animale.
L’auteur pense que malgré le court séjour, le matériel rapporté permet
d’apporter une contribution importante à la connaissance des conséquences
de la guerre moderne sur l’environnement de l’homme.
Le programme de défoliation a commencé modestement en 1962, mais a
beaucoup augmenté après 1965. Le sommet a été atteint en 1967. Une
légère réduction des superficies touchées par les défoliations a suivi en
1968 à la suite de l’Offensive du Têt.
Une proportion significative des épandages touche les terres vivrières des
régions montagneuses. Les autorités militaires américaines pensent que la
nourriture poussée sur les régions montagneuses sert à l’alimentation des
forces du Front national de Libération.
Beaucoup de défoliations sont situées le long des routes et des rivières et
autour des installations militaires. Les régions frontières le long du Laos et
du Cambodge ont été extensive-ment défoliées. Les régions forestières au
nord de Saigon ont été durement touchées. Ce territoire comprend les bois
de charpente les meilleurs du pays. Dans de nombreux cas, de larges
territoires de forêt ont été défoliés de façon répétée : 20 à 25 % des zones
forestières ont été touchées plus d’une fois. Les bords des routes et des
rivières sont arrosés à intervalles réguliers.
Officiellement, toutes les opérations de défoliation sont décidées par
l’armée de la République du Vietnam. L’autorisation finale est accordée par
l’ambassade des Etats-Unis. Le nombre de demandes excède grandement la
capacité actuelle des unités d’aviation qui poursuivent le programme appelé
« Operation Ranch Land ». La priorité est accordée à partir de
considérations militaires.
Chaque fois que cela est possible, une inspection aérienne des territoires
est faite avant la décision finale. Ce n’est évidemment pas toujours possible
et certains vols (y compris un vol auquel l’auteur a participé en observateur)
sont effectués au-dessus de territoires qui n’ont pas été inspectés par les
officiers responsables.
Les missions ne sont envoyées que lorsque la température est inférieure à
85° Farenheit et le vent inférieur à 10 km/h.
Autour de Saigon, où l’épandage est destiné à des terres vivrières,
« l’agent blanc » est préféré en raison de sa basse volatibilité et de sa
persistance plus grande, mais dans les régions où il y a une petite
agriculture l’agent orange est préféré parce qu’il est plus économique.
L’agent orange constitue 50 % du total des herbicides, l’agent blanc 35 % et
le bleu 15 %. Le bleu a d’abord été utilisé contre le riz.
Les arbres connus sous le nom de mangroves sont très sensibles à
l’action des défoliants. Une application au taux généralement utilisé suffit à
tuer la plupart des arbres. La plupart des territoires que W. Pfeiffer a visité
sur la péninsule Rung Sat étaient complètement chauves alors que ces
territoires avaient été atteints plusieurs années auparavant. C’est seulement
à certains rares endroits que l’on pouvait voir une régénération. Les
fougères avaient disparu.
« La destruction complète par herbicides de toute la végétation dans les
zones de mangroves a affecté de façon sévère les animaux. Pendant notre
séjour, nous n’avons pas vu une seule espèce d’oiseaux frugivores ou
insectivores à l’exception de mouettes qui émigraient du nord. »
Les oiseaux se nourrissant de poissons semblent avoir moins souffert,
mais leur nombre était plus faible que celui attendu. Il semble que la chaîne
des nourritures aquatiques ait été moins sévèrement atteinte que la chaîne
des nourritures de la terre. Le seul vertébré que nous ayons vu était un
crocodile.
De toutes les régions du Vietnam, les mangroves de la région de Saigon
ont été probablement les plus touchés. La région atteinte s’étend sur de
nombreux kilomètres carrés. La végétation est extrêmement sensible aux
herbicides et comme beaucoup d’espèces animales sont liées à ce type de
végétation, elles sont plus susceptibles d’être exterminées que les espèces
des montagnes.
« Dans les régions montagneuses, les zones que nous avons observées
d’avion avaient été auparavant touchées et beaucoup d’arbres semblent
morts. En dehors des zones de bambous, le sol était clairement visible.
« La repousse semblait limitée aux bambous et aux broussailles plutôt
qu’à la refoliation des espèces dominantes.
Selon d’autres études dans les endroits touchés une seule fois, la voûte
forestière est peu atteinte et la régénération commence rapidement.
Cependant, là où deux épandages séparés par une période d’un an ont lieu,
une destruction de tous les arbres, y compris de leurs semences a été
rapportée.
« Deux ou trois épandages peuvent détruire 50 % des arbres servant pour
le bois de construction. Ces territoires sont envahis d’herbes résistantes aux
défoliants qui empêchent toute repousse d’arbres pendant une très longue
période. Même si cela ne survient pas, il faudra des décades avant que la
forêt ne repousse. Les changements des espèces peuvent persister encore
plus longtemps.
« Un an après l’épandage, le bois de construction peut encore être utilisé.
Cependant les éclats de bombes logés dans les arbres constituent de sérieux
problèmes pour l’industrie vietnamienne du bois. Beaucoup de scieries
perdent d’une à trois heures chaque jour à cause des éclats logés dans le
bois.
« Nous avons eu l’occasion d’étudier les effets de taux élevés
d’application d’herbicides. Par exemple, l’équipage avait la permission,
lorsqu’il était en difficulté, d’expulser le contenu entier de son réservoir
(1 000 gallons en moins de 90 secondes alors que la durée normale est de 4
minutes).
« Les effets physiologiques de la défoliation des hévéas ont été étudiés à
l’Institut vietnamien du caoutchouc en raison de l’importance économique
des hévéas et des immenses dommages subis. Mais bien que ces études
comportent de très bonnes constatations, elles ont été limitées par l’absence
de fonds et par les difficultés de cette recherche dans un pays en guerre.
« Les dommages causés aux hévéas sont énormes. En 1960, les
plantations rapportaient 2 345 pounds par acre et en 1967, 1 745 par acre.
Cette réduction n’est pas uniquement due aux épandages mais également
aux autres conséquences de la guerre. Les pertes sont estimées à environ
30 %. La plupart des petites plantations ont dû cesser. Seules, les
plantations importantes ayant une assise financière solide peuvent subsister.
Plus de 40 % de plantations de pins ont été détruites par le feu. »

A la journée scientifique d’Orsay du 21 janvier 1970 (déjà citée), Mme


Mousseau, Chargée de recherches au C.N.R.S. (Gifsur-Yvette : service
d’écologie du phytatron), concluait ainsi son étude écologique :
« Lorsqu’une forêt en état d’équilibre biologique est détruite par abattage
par le feu, ou quelque autre moyen, elle se reconstitue en forêt secondaire à
plus ou moins long terme, du moment que le sol n’est pas stérilisé
totalement de ses bactéries et de ses graines dans le sol. Or, sauf quelques
cas cités par les précédents orateurs, la majorité des produits utilisés au
Vietnam deviennent inoffensifs et ne s’accumulent pas.
« La forêt tropicale est le seul habitat possible, et l’habitat spécifique,
pour un nombre immense d’espèces d’insectes, d’oiseaux, de reptiles, de
mammifères, d’épiphytes. Ces organismes ont leur nourriture, leur nid et
leur territoire dans la couverture végétale et on ne doit pas s’attendre à ce
qu’ils survivent après défoliation. Le rapport Pfeiffer est formel sur ce
point : sur la presque totalité des mangroves ayant été détruites dans
l’estuaire de la rivière de Saigon, il n’a pas rencontré un seul oiseau
insectivore ou frugivore. Seuls, les oiseaux mangeurs de poissons ont
survécu ce qui laisse à penser que les chaînes alimentaires de ces régions
semi-aquatiques ont été moins affectées par la défoliation que celles des
autres régions. Un autre danger de la défoliation des forêts est leur
reconstitution en forêt secondaire. La plupart du temps, les arbres qui
repoussent dans cette forêt secondaire sont d’un intérêt économique
moindre que la forêt d’origine d’une part, et d’autre part ne seront
exploitables que dans de nombreuses années. Le risque de reconstitution de
la végétation sous une forme inexplorable est très grand : on assiste dans les
endroits humides à la formation de nombreuses bambousaies ; les bambous
sont, en effet, sélectivement moins atteints par les herbicides et prolifèrent
très vite dans ces régions. Ainsi, de nombreuses régions ont été envahies
par des espèces résistantes, empêchant par leur densité toute régénération
des espèces arbustives initiales.
« Dans certains endroits après deux ou trois applications répétées de
défoliants, plus de 50 % de la végétation détruite, y compris les jeunes
pousses au sol et les bactéries, l’érosion du sol a été accélérée. Ce sol risque
soit de se dessécher et de se transformer en latérite si on est en saison sèche,
soit d’être entraîné par les pluies diluviennes de la saison humide, d’autant
plus que la pellicule de sol dans ces régions est très mince. Les risques de
perte de potentiel agricole sont donc considérables.
« On a estimé qu’il faudrait peut-être jusqu’à 20 ans pour que se
reconstituent certaines mangroves ; certaines espèces animales ont d’ores et
déjà complètement disparu. Les prises de poisson sont restées à peu près les
mêmes et comme les poissons occupent une place élevée dans la chaîne
alimentaire, il ne semble pas que le milieu aquatique ait gravement souffert.
Certaines espèces animales ont même bénéficié de la situation. Par suite de
l’arrêt de la chasse, de la défoliation et de la présence de blessés et de morts
sur les lieux de combats, les tigres se sont multipliés au Sud-Vietnam,
comme les loups en Pologne au cours de la Seconde Guerre mondiale.
« Pour conclure, je pense que l’on peut avancer sans trop se tromper les
hypothèses suivantes :
— le résultat final des défoliations et destructions partielles de la
couverture végétale sera vraisemblablement un retour de l’écosystème
existant à un stade évolutif moins avancé dans la série évolutive à
laquelle il appartient ;
— les chaînes alimentaires, la vie animale et hétérotrophique seront
perturbées et menacées. A long terme certaines espèces pourront en
bénéficier, mais dans la majorité des cas, pour les habitants spécifiques
du Sud-Vietnam, un grand nombre d’espèces devront disparaître.
« Mettons enfin l’accent sur la multitude de conséquences possibles que
nous ne connaissons encore qu’imparfaitement (effets sur la qualité de
l’eau, sur des changements climatologiques possibles, sur la production des
arbres fruitiers, sur l’accélération des processus de latérisation, effet des
résidus d’herbicide sur la microfaune et la microflore du sol, etc.).
« Proclamons-le encore une fois : il s’agit d’un jeu d’apprenti-sorcier qui
peut coûter cher à tout le Sud-Est asiatique. Il faudrait dès à présent mettre
sur pied des programmes de recherche précis dans ces domaines, et aider les
biologistes vietnamiens qui sont particulièrement qualifiés pour mener à
bien ces recherches. »

C. — LES EFFETS SUR LA DESCENDANCE DE L’HOMME (Effets


tératogènes)
Non seulement les produits chimiques toxiques s’attaquent à la vie
végétale et animale privant l’homme de son contexte naturel et de
nourriture mais ils peuvent entraîner les plus graves conséquences pour la
descendance même de l’homme.

• Déclaration du Professeur Minkovski, professeur agrégé à la faculté de


médecine de Paris, directeur du Centre de recherche biologique néo-navale :

Effets tératogènes des défoliants.


(Journée d’études du 21 février 1970 à la faculté des sciences
d’Orsay. — Centre international d’Information pour la dénonciation des
crimes de guerre.)
« ... Il est possible que nous assistions, en ce moment, au Sud-Vietnam, à
une nouvelle affaire de la thalidomide.
« L’attention a été attirée récemment sur une éclosion insolite de
malformations congénitales autour de Saigon (Tin Saigon, journal
saigonnais du 20 juin 1969).
« Ce fait était mentionné depuis longtemps par les services du F.N.L.
Mais, à la fin de 1969, la presse américaine et canadienne en rend compte :
« Thalidomide effects from defoliants », Scientific Research, 10 nov. 1969 ;
« Many babies are malformed after Vietnam defoliation », Vancouver Sc. 1er
déc. 1969. Enfin, Science analyse le phénomène dans son numéro du 21
novembre 1969 et le New Yorker du 7 février 1970 donne de la question une
revue générale exhaustive.
« En ce qui concerne les malformations congénitales humaines nous en
sommes encore à la phase préliminaire d’information. Les faits rapportés
retiennent notre attention, mais nous ne pouvons pas, faute de statistique
valable, établir de façon certaine une relation de cause à effet.
« Je rappelle cependant que les cas de malformations dues à la
thalidomide ont commencé de la même manière et qu’à l’époque, j’ai été
interrogé sur la fréquence accrue des malformations en France ; celle-ci
n’ayant pas été constatée, les Allemands ont décelé chez eux l’absorption
d’une drogue de fabrication allemande par les femmes enceintes.
« Par contre, nous avons en main, maintenant, un document complet
émanant du Cancer Institute des U.S.A. démontrant de manière certaine
l’action tératogène du 2,4,5-T sur le rat, et l’action fœtotoxique du 2,4D sur
la souris.
« 1° Dans l’affaire de la thalidomide on n’avait pas suffisamment
expérimenté la drogue sur l’animal gestant. Le rat est presque insensible à
la drogue. Au contraire chez la souris et le lapin, elle était tératogène, mais
cela n’avait pas été expérimenté. Ainsi cette affaire comme celle des
défoliants soulève le problème de la mise dans le commerce de produits
toxiques et tératogènes insuffisamment expérimentés.
« 2° Ces produits utilisés encore récemment aux U.S.A. sont employés au
Vietnam à des doses énormes, non recommandées dans les modes d’emploi.
En certains cas, pour des raisons techniques, l’aviateur a dû lâcher
précipitamment toute sa cargaison en quelques secondes, n’importe où.
« 3° Le 2.4,5,-T, retiré du commerce aux U.S.A. à la suite de ces
révélations, est toujours utilisé au Vietnam.
« 4° L’accumulation du produit dans les citernes où les Vietnamiens
viennent recueillir l’eau de boisson, expose à des absorptions de fortes
doses, difficiles à calculer. On a estimé en gros que, par rapport au rat, il
faudrait théoriquement l’ingestion de 200 mg par jour pendant plusieurs
semaines pour que le produit soit tératogène chez l’homme. Des quantités
de 50 à 100 mg et même plus, sont peut-être absorbées en cas
d’accumulation.
« 5° La recommandation d’utiliser ces produits dans les zones peu
habitées n’est pas applicable.
« 6° Actuellement, des cas de malformations et d’avortements sont
rapportés, sur le bétail de Californie. Des observations de recrudescence
d’avortements humains, recoupant celles du Vietnam, commencent
d’apparaître dans les nouvelles de Californie...
« 7° Le rapport du Cancer Institute a été tenu secret, loin du public,
pendant longtemps. Il a pourtant été communiqué à la Maison Blanche tôt.
On en a minimisé l’importance au début ; on a prétexté un nombre
insuffisant d’animaux d’expérience, etc. ; pour n’en pas tenir compte. Ce
n’est que par des fuites que le rapport a pu être connu du public
scientifique. »

• Rapport de l’Institut du Cancer sur les effets tératogènes du défoliant 22.

L’Institut national du Cancer américain a demandé en 1967 aux


« Bionostics Research Laboratoiries, Inc. of Bethesda » d’étudier les effets
cancérigènes et tératogènes des herbicides. Le rapport comprend 3 parties :
effets cancérogènes ; effets mutogéniques ; effets tératogènes.
La première partie de ce rapport a été publiée en juin 1969 dans le
Journal of Cancer Institute. Les deux autres parties de ce rapport ont
longtemps été tenues secrètes et la publication retardée à plusieurs reprises.
Des informations tirées de la 3e partie du rapport ont cependant filtré et ont
été publiées : « Evaluation des activités tératogènes de pesticides
sélectionnés et de produits chimiques sur les souris et les rats. « Le rapport
étudie 53 composés. Les résultats les plus importants concernent le 2,4,5-T
et le 2,4D.
Les souris étaient de souches C3, H A H R A Ha et C57 BL6, les rats de
souche Spague-Dawley. Les animaux étaient conditionnés pendant 2 à 3
mois. L’accouplement survenait alors que les animaux pesaient de 18 à 25
g. Les doses étaient soit adaptées selon une régression logarithmique,
administrées per os dans de l’eau additionnée de miel, soit en sous-
cutanées, chaque jour du 6e au 14e jour de gestation.
On a recherché :
a) sur la mère : l’augmentation de poids, le poids du foie ;
b) sur le foetus : l’implantation de fœtus morts ou résorbés,
le poids du fœtus,
le poids du placenta ;
c) l’augmentation du poids du foie du fœtus.
L’étude met en relief : une surmortalité de 80 % de fœtus par rapport aux
terrains non traités.
Pour le 2,4 D :
— à la dose de 4,6 mg par kg : 39 % de malformations,
— à la dose de 46,6 mg par kg : 100 % de malformations.
A faible dose, le pourcentage de malformations est triple de celui des
témoins non traités.
Pour la 2,4,5-T :
— à la dose de 119 mg par kg, de très importantes malformations (54 %
des souris).
L’Institut national du Cancer américain considère ce résultat comme
pleinement significatif pour le 2,4,5-T et probablement significatif pour le
2,4 D. Il ne semble pas exister de dose minimale d’action tératogène.
L’action tératogène augmente seulement avec l’importance de la dose.
Les fabricants « Dow Chemical Co » joignent au produit vendu une
notice explicative : la dose recommandée est de 3/4 de livre à 1 livre par
acre. Le manuel de l’armée américaine (U.S. Army Field Manuel)
recommande une dose de 10 livres par acre. Dans l’agent orange, la
concentration est 13 fois supérieure à celle utilisée aux Etats-Unis.
Une étiquette indique que « l’acheteur assume tous les risques d’emploi
ou de manipulation du produit ».
Le produit atteint l’homme par l’intermédiaire des eaux de boisson. L’eau
de boisson de la population provient de citernes peu profondes.
Il a été calculé qu’en tenant compte des doses employées par acre, au
Vietnam, une femme de 40 kg, buvant 2 litres d’eau contaminée, absorbait
120 mg de 2,4,5-T par jour, soit 3 mg de 2,4,5-T par kg de poids. (La dose
considérée officiellement comme toxique par les Américains est de 1/10 de
mg par kg. La dose absorbée n’est donc que légèrement inférieure à celle
qui entraîne des malformations chez 1/3 des fœtus de rats.
La concentration peut être de beaucoup supérieure lorsque l’avion, en cas
de danger, largue en 30 secondes sa cargaison d’herbicide, ce qui, d’après le
témoignage de Pfeiffer, est fréquent. Dans ces cas, la concentration atteint
130 fois la concentration recommandée.
A la suite des révélations du rapport « Bionetics », le 2,4,5-T a été retiré
du commerce aux Etats-Unis 23. Il est toujours utilisé au Vietnam. Les
observations effectuées au Vietnam où des millions de personnes ont été
atteintes par les armes chimiques confirment l’étude expérimentale du
National Health Service. Le rapport d’experts envoyés au Sud-Vietnam par
le gouvernement américain est tenu secret depuis plus d’un an.
Au mois de décembre 1969, le président Nixon a déclaré que « les armes
biologiques ont des conséquences massives, imprévisibles, potentiellement
incontrôlables » qui peuvent agir sur la santé des générations futures. Il a
annoncé sa décision « de renoncer à l’emploi des produits et armes
biologiques ainsi qu’à toute autre méthode de guerre biologique ».
Cependant, cette décision n’englobe ni les herbicides, ni les défoliants, ni
les gaz employés au Vietnam.
Il semble que l’effet tératogène du 2,4,5-T soit lié à la présence de traces
de dioxine qui est un des plus puissants tératogènes jamais connus. Sous
l’effet de la chaleur, comme c’est le cas au Vietnam, une série de substances
particulièrement toxiques se forment à partir des herbicides.
Les Américains se servent donc au Vietnam de substances dont ils
connaissent les effets tératogènes.
A Syracuse (New York), M. Richard Me Carthy, représentant démocrate
de l’Etat de New York, s’est élevé dans un discours prononcé le 13
décembre 1969, à l’université de la même ville, contre l’emploi massif par
les forces U.S. au Vietnam d’un défoliant dont il a été établi, en laboratoire,
qu’il provoquait des malformations congénitales chez le rat.
« Ces expériences, a-t-il dit, faisaient suite à des informations parues
dans la presse signalant que des femmes vietnamiennes, vivant dans des
régions où des défoliants ont été largement utilisés, ont donné naissance à
des enfants malformés... Je trouve inconcevable que l’administration puisse
sanctionner dans un forum international l’usage massif d’herbicides tels que
le 2,4,5-T, dans un théâtre de guerre, alors que la Maison Blanche en
interdit l’emploi aux Etats-Unis en raison des dangers qu’ils présentent pour
les êtres humains... » (A.P.)

D. — GAZ TOXIQUES 24
L’armée américaine dispose de trois catégories d’armes :
— Les agents mortels :
V.X. — dont la formule est tenue secrète ; Sarin CB — gaz létaux qui
agissent en interrompant l’influx nerveux.
— Les agents incapacitants :
Notamment le BZ, officiellement connu comme « substance
immobilisante ». Sa formule chimique est tenue secrète. Le manuel FM.3-
10 de l’armée américaine déclare que le BZ « s’utilise comme un aérosol
paralysant à action lente et dont l’effet ne persiste pas. Le BZ pénètre dans
le corps par la respiration et empêche le fonctionnement des mécanismes
mentaux qui contrôlent les fonctions du corps ». Le manuel de l’armée
d’entraînement à la guerre chimique, le TM.3-215, indique que, parmi les
effets du BZ on peut citer : « Le ralentissement de l’activité mentale et
physique, des maux de tête, des vertiges, une perte du sens de l’orientation,
des hallucinations, de la somnolence, parfois un comportement démentiel. »
Certains symptômes sont analogues à ceux des drogues hallucinogènes
LSD.25. D’après Pierre Darcourt, de l’Express, 3000 grenades contenant du
BZ ont été utilisées au Vietnam par la première division de cavalerie
aéroportée au cours de la deuxième semaine de mars 1966, dans une attaque
contre des postes du FNL. Il semble que ce gaz ait été également utilisé en
1968 dans un quartier de Saigon pendant l’Offensive du Têt.
— Le DM, ou adamsite, (diphénylaminochloroarsime) est la plus
puissante des substances anti-émeute. D’après le manuel de l’armée TM.3-
215, cette substance cause « une irritation des yeux et des muqueuses, fait
couler le nez, provoque des éternuements, de la toux, un violent mal de tête,
de la nausée et des vomissements ». Cette substance agit en quelques
minutes et elle est généralement mélangée à une autre substance, le CN qui
agit plus rapidement. L’utilisation du DM pour disperser les émeutes est
déconseillée dans les opérations où l’on ne veut pas risquer des accidents
mortels. Le DM est en effet un gaz mortel pour 50 % de ceux qui y sont
exposés quand il est utilisé à une concentration de 30 mg par mètre cube
d’air.
— Les agents dits neutralisants : les plus utilisés sont le CS ; CS1 ; CS2 ;
le CN (chloroacétophénone), le CNS, l’homoacétate-éthyle.
— Le CN est un solide que l’on dissémine généralement sous la forme
d’aérosol. C’est essentiellement un lacrymogène ; à des concentrations
élevées, il produit une irritation des voies respiratoires bientôt suivie de
prurit et d’une sensation de brûlure des zones humides de la peau
exposée — allant jusqu’à la formation de phlyctènes. Aux doses élevées,
des lésions pulmonaires graves peuvent survenir et causer la mort.
— Le CS a une action irritante bien plus puissante que le CN. L’effet de
ces deux substances est bien connu des Parisiens qui l’ont subi en mai 1968.
Le CS agit à la concentration de 1 mg par mètre cube, alors que le CN agit à
la dose de 10 mg par mètre cube. Les concentrations généralement utilisées
au Vietnam sont des dizaines de fois supérieures à celles de la police. Le
CS1 se présente sous la forme d’une poudre micromisée de couleur orange
contenant 5 % de gel de silice, à disséminer par éclatement d’explosifs ou
par poudreuse. Le CS1 est enrobé de silicone pour en faciliter l’écoulement
et améliorer la résistance aux conditions atmosphériques.
— Le CS1 est efficace, une fois répandu pendant une dizaine de jours, le
CS2 est beaucoup plus persistant (U.S. Department of the Army, 1969).
Les doses de neutralisants, létales pour l’homme, sont très mal connues.
Aucune étude n’a jusqu’à présent été publiée sur les effets à long terme
chez l’homme de l’exposition au C.S. Si rien n’incite à croire que le CS
possède des propriétés cancérigènes ou tératogènes, rien ne permet de
penser qu’il en est dépourvu (Santé publique et Armes chimiques et
biologiques).
Le manuel de l’armée américaine (édition d’avril 1969) décrit 18
systèmes différents de vecteurs de substances incapacitantes dont le fusil à
grenades ; les grenades à mains ; projectiles pour lance-grenades et
multiples lance-roquettes d’utilisation au sol ou aérienne ; obus de mortier
4,2 ; projectiles gigogne 105 et 135 ; appareils à insufflation de poussières ;
bombes groupées en conteners, etc.
Les grenades habituellement utilisées par la police contiennent de 2 à 3
gr de CS. Les sacs lancés par les hélicoptères contiennent 30 kg de
CS, — les fûts explosifs, 40 kg environ. En opération, les forces
américaines ou leurs alliés utilisent des pompes soufflantes. Ils bouchent les
orifices des abris où se réfugie la population vietnamienne et insufflent de
grandes quantités de CS, transformant ainsi les abris en chambres à gaz.
D’après le témoignage du docteur H. Carpentier, une tactique est
fréquemment utilisée : des fûts explosifs sont largués en cercle autour d’une
zone donnée de territoire. Sous l’effet de la chaleur, un explosif fissure les
fûts et le territoire est atteint quelle que soit l’orientation du vent et la
totalité de la population est ainsi touchée.
Les agents incapacitants (appelés improprement gaz sont utilisés depuis
1962. En 1969, les forces américaines ont acquis une quantité de matières
toxiques 16 fois supérieure à celle de 1964. Entre 1966 et 1969, elles ont
employé 13 736 000 livres de CS. Cette quantité est suffisante pour couvrir
80000 milles carrés. Le Sud-Vietnam a 66 000 milles carrés. (Washington
Post du 24 juillet 1969).
Le 5 septembre 1965, les gaz sont utilisés à Qui Nhon et, à la fin du mois,
malgré la soi-disant interdiction d’emploi, un porte-parole autorisé
américain, avoue que « les gaz toxiques font partie de l’armement des
troupes américaines ».
Peu à peu, la presse mondiale a révélé la nature des gaz employés : Le
Monde du 24 mars 1965, des publications nord-vietnamiennes de 1966, le
New York Herald Tribune du 14 janvier 1966, le Chemical Week du 26 mars
1966, dont les indications se rejoignent.

Les gaz sont surtout employés pour faire sortir les maquisards ou les
civils des souterrains. On lance des grenades à gaz dans les tunnels ou bien
on injecte le gaz sous pression avec des machines soufflantes. Dans les
endroits découverts, selon une dépêche d’Associated Press du 5 janvier
1966, la méthode consiste à larguer depuis un avion volant à basse altitude
des chapelets de grenades pour obtenir la saturation d’une zone grande
comme un terrain de football. Une charge explosive disperse ensuite la
poudre sur une plus grande superficie et la vaporise. La même dépêche
indique que l’inhalation d’un gaz (dont la nature n’est pas révélée)
provoque une irritation des muqueuses, une sensation de brûlure aux
poumons, mais surtout une insurmontable envie de sortir.
D’après le Chemical Week du 26 mars 1966, les troupes américaines sur
le terrain n’aiment pas utiliser les gaz « la chaleur et l’humidité au Vietnam
rendent les gaz irritants pour la peau et les masques à gaz très serrés sont
inconfortables ».
L’armée sud-vietnamienne disposait de gaz de combat livrés par les
Etats-Unis dès le début de l’année 1964.
Utilisés fin 1964 (le 23 décembre à Ca Mau, le 15 à Tay Ninh), les gaz
sont employés en janvier 1965 à Phu Lac, province de Phu Yen, à 100 km
de Saigon. Selon l’agence Giai Phong, l’opération a fait 80 morts. Des
centaines d’autres civils ont été sérieusement atteints.
Cette nouvelle orientation de la guerre chimique a déchaîné une violente
vague d’indignation dans le monde entier.
Et Washington, après avoir essayé d’expliquer que « les gaz
lacrymogènes nauséeux employés de façon occasionnelle n’étaient ni
inhumains ni contraires à la loi internationale » a dû se résigner, en mars
1965, à promettre d’en interdire l’usage. Cette promesse n’a jamais été
tenue, à la conférence de Genève, les puissances occidentales s’opposent à
l’interdiction des agents dits « incapacitants » ou « neutralisants ».
En résumé, l’ensemble des documents de ce dossier établit de façon
indubitable un certain nombre de données :
1° Les Etats-Unis ont bien utilisé au Sud-Vietnam les armes chimiques ;
sur une très grande échelle, et depuis plusieurs années.
2° Les produits chimiques utilisés, par leur nature ou leurs conditions
d’emploi sont des produits toxiques et ont des effets désastreux sur
l’homme, entraînant des troubles physiques pouvant aller jusqu’à la mort.
Une nouvelle fois dans l’Histoire avec les gaz, pour la première fois avec
les produits toxiques de type défoliant, des hommes sont tués par la guerre
chimique.
3° La guerre chimique s’attaque, au-delà de l’homme, à la nature tout
entière. Elle tend à détruire la vie. Elle constitue un biocide. Ses effets ne se
limitent pas au présent mais handicapent lourdement l’avenir, soit en
détruisant pour une durée indéterminée, l’équilibre écologique, parfois les
sols eux-mêmes, soit en provoquant la naissance d’enfants monstrueux.
4° Les effets de la guerre chimique ne peuvent pas tous être prévus.
Aucun scientifique n’oserait affirmer que la continuation de l’emploi des
armes chimiques dans le futur n’entraîneront pas des conséquences pires
que celles déjà connues. Des mécanismes incontrôlables risquent d’être
déclenchés.
5° Cette guerre chimique, faite au Vietnam pour la première fois, a
manifestement un caractère expérimental. Le Pentagone fait l’essai sur le
terrain, au Vietnam, d’un système de mise au point de « modèles
stratégiques » calculés par les ordinateurs. Il fait l’essai de toute une
nouvelle catégorie d’armes, les CBW, armes bactériologiques et chimiques,
que déjà l’appareil militaro-économique des U.S.A. perfectionne et produit
sur une grande échelle, sans commune mesure avec la guerre du Vietnam.
Voici, maintenant, deux documents sur la préparation des armes
bactériologiques et chimiques aux U.S.A.

LE PROGRAMME DE RECHERCHES
SUR LES ARMES CHIMIQUES ET BIOLOGIQUES AUX ÉTATS-UNIS
La préparation de la guerre chimique et bactériologique soulève des
problèmes extrêmement complexes et entièrement nouveaux qui ne peuvent
être étudiés que par des recherches très diversifiées. Ces recherches
comportent notamment :
1) L’inventaire des molécules, des agents microbiens ou de toxines
utilisables ;
2) l’analyse de leurs effets ;
3) l’étude des vecteurs et des moyens de dispersion des agents toxiques ;
4) l’analyse des conditions de milieu (notamment météorologie et
configuration géographique de la cible) ;
5) la recherche théorique sur l’utilisation tactique de ces armes.
Les guerres coloniales des années 50 avaient démontré la faiblesse d’une
stratégie de dissuasion fondée sur l’arme nucléaire. Les stratèges américains
ont donc recherché « une riposte plus flexible », et cette recherche s’est
accélérée quand Kennedy a assumé la présidence en 1961 (projet « Agile »).
Pour développer la recherche de nouvelles conceptions stratégiques, le
département de la Défense a obtenu le soutien de scientifiques des
universités :
« Les scientifiques de la Défense devaient respecter les orientations
suivantes :
— Les armes devaient être efficaces contre des populations agricoles
disséminées ;
— le système devait fournir aux chefs militaires une réponse pouvant
correspondre à tous les degrés de situation insurrectionnelle ;
— il devait fournir aux armées des régimes en faveur des Etats-Unis,
dans la région sous-développée, la possibilité de pratiquer le système
avec un minimum de contribution de la part des Etats-Unis ;
— le système devait pouvoir être utilisé avec un minimum de risques de
détection.
« Une analyse attentive révèle qu’il n’y a qu’une sorte d’armement qui
remplisse toutes les conditions requises : les armes de la guerre chimique et
biologique (C.B.W.). Les agents de la guerre chimique et biologique se
répandent au moyen d’un phénomène naturel et aussi ils sont facilement
disséminés dans les régions rurales ; ils sont d’une grande efficacité contre
les populations qui ne disposent pas d’un système de santé publique
hautement développé ; ils présentent une grande variété d’applications
depuis celles qui s’utilisent dans le contrôle des émeutes jusqu’aux
épidémies naturelles. Ils peuvent être fabriqués par des gouvernements
amis, au départ, avec un minimum d’investissements en ressources de la
part des Etats-Unis et, quand ils sont utilisés, ils peuvent être déguisés sous
l’apparence de phénomènes naturels 25. »
A partir de 1961, la recherche américaine sur les armes chimiques et
bactériologiques s’est rapidement développée.
Les bases C.B.W de l’armée emploient 3 750 officiers et 9 700 civils et
leur valeur est estimée à 1 milliard de dollars 26. D’après le « Defense
Marketing Service » (D.M.S.), la principale base de recherche « Edgerwood
Arsenal », dans le Maryland, a un budget de 421,5 millions de dollars, dont
57,3 millions pour la recherche, 29,8 millions de dollars sont dépensés à
Fort Detrick, le principal centre d’essais biologiques et plus de 75 millions
de dollars se répartissent entre les 4 autres bases scientifiques et biologiques
de l’armée 27.
En dehors des bases de l’armée, d’après le sénateur Gaylord Nelson
(Wisconsin), 47 universités participent de façon active à l’élaboration du
programme de recherches sur la guerre chimique et bactériologique.
« Les scientifiques ne conduisent pas seulement les expertises
essentielles pour la recherche de base sur les agents chimiques, ils ont aussi
montré la théorie et la stratégie à employer pour justifier l’application de
ces armes pour contrecarrer le mouvement de libération nationale. »
L’armée passe ainsi des contrats de recherche avec les universités
américaines qui participent ainsi de façon active à la préparation de la
guerre chimique et bactériologique. Mais de très nombreux chercheurs et
une grande partie des étudiants ont refusé d’être les complices de ce crime.
Ils s’efforcent d’alerter l’opinion américaine et ont réussi à mettre en échec
certains projets très importants et à obtenir la rupture de contrats de
recherche.
Un très grand nombre de sociétés — pratiquement toute l’industrie
américaine — participent de loin ou de près à la préparation de la guerre
chimique et biologique. L’industrie chimique, l’industrie pharmaceutique
participent à ce gigantesque effort. Les recherches bactériologiques les plus
importantes actuellement menées aux Etats-Unis sont destinées à des fins
militaires et même lorsque des résultats utiles pour la population civile de
ces recherches sont obtenus, ils ne sont pas publiés, tombant sous le secret
militaire.
Le développement de la recherche est loin d’avoir pour but exclusif la
guerre du Vietnam. Tous les peuples sont concernés et, en premier lieu, les
peuples sous-développés qui luttent pour leur indépendance. Pour la
première fois dans l’histoire une guerre est scientifiquement conduite, qui
utilise en même temps la méthodologie et la problématique de la science
actuelle et les techniques les plus élaborées de la gestion des groupes
industriels. Les méthodes appliquées sont du même ordre que celles
employées pour la conquête de l’espace : mobilisation coordonnée de toutes
les ressources scientifiques et industrielles, simulation de situations
concrètes où rentrent en ligne de compte le but à atteindre, l’arme utilisée,
les conditions climatique, météorologique, géographique, psychologique,
etc. et où l’on recherche, à partir de ces données quel serait le nombre de
victimes potentielles. Des modèles sont élaborés et ces modèles sont
appliqués à une échelle variable au Vietnam. Les résultats de cette
expérimentation sont renvoyés à leur tour dans les centres de recherche
américains, alimentant à leur tour de nouvelles recherches. C’est ainsi que
même l’emploi de certaines substances, parfois relativement peu toxiques,
permet de perfectionner l’application de substances infiniment plus
dangereuses pour l’homme et l’environnement humain.
Certaines des armes chimiques sont bien connues, mais il est sûr que, à
côté des CS ou du 2,4,5-T, les troupes américaines expérimentent au
Vietnam à une échelle bien moindre toute une série de substances
nouvelles.
Les méthodes d’utilisation ont considérablement varié au cours de ce
conflit. C’est ainsi que dans un premier stade les défoliants étaient destinés
à nettoyer les abords des grandes voies de communication (routes, rivières)
et qu’ils sont maintenant destinés à détruire les récoltes pour affamer les
populations 28. Les gaz ont d’abord servi dans les combats de rue et servent
maintenant à chasser les populations de leurs villages ou à les tuer. Mais de
très nombreuses inconnues subsistent, particulièrement inquiétantes. L’effet
tératogène des défoliants et des herbicides n’a été découvert que tout
récemment et l’on ignore encore leurs effets génétiques.
L’une des caractéristiques les plus inquiétantes de l’emploi actuel des
armes chimiques réside dans une double ignorance :
— ignorance concernant la durée du séjour du produit dans le sol et les
eaux, concernant la durée de leur action et les effets à longue
échéance ;
— ignorance concernant l’étendue de leur action. — Dès que l’arme est
employée sur une surface importante, en raison des vents et des
conditions météorologiques, la superficie atteinte dépasse la cible
visée. Le produit est ensuite disséminé. Le produit passe dans le sol,
est véhiculé dans l’eau, absorbé par les animaux, notamment les
oiseaux et les poissons. Il n’existe donc aucune limite géographique à
sa dissémination. Le phénomène est de même type que celui observé
avec le DDT et l’on sait que l’on a retrouvé sur des pingouins vivant
près du pôle sud du DDT alors que ces animaux sont à des milliers de
kilomètres de toute zone traitée par le DDT.

Les stations d’étude de la guerre chimique et bactériologique


Il est impossible en raison du secret entourant le programme C.B.W. de
détailler complètement les fonctions de chaque station d’étude.

Fort Detrick — Maryland


Située à 50 milles au nord-ouest de Washington, cette station est le
quartier général du programme de recherches sur la guerre biologique.
Detrick fait les essais, les recherches et le développement de toutes les
munitions biologiques et des produits, y compris toutes les méthodes de
défense. Edifié pendant la Deuxième Guerre mondiale, il est l’un des plus
larges utilisateurs d’animaux de laboratoire dans le monde (750 000 souris,
rats, cobayes, hamsters, lapins, singes et moutons par an). La plus grande
partie des travaux sur les projets antirécoltes et les défoliants ont été
conduits dans une partie de la station. Ses installations sont évaluées à 75
millions de dollars.

Pine Bluff — Arkansas


Cet arsenal est généralement décrit comme servant d’abord de base de
munitions chimiques. Il a été ouvert en 1942 et sert encore de réserve
importante et de point de production pour des bombes fumigènes, des
munitions incendiaires et des agents anti-émeute (dont le CS, gaz utilisé
principalement au Vietnam). Mais Pine Bluff fait son travail le plus
important pour Fort Detrick. C’est le principal centre de production massive
et de perfectionnement des agents biologiques. Les germes ne sont pas
seulement produits à haute concentration, mais sont introduits dans les
vecteurs (bombes, etc.) et stockés.

Dugway Proving Grounds


Cette station essaie les agents chimiques et biologiques. Elle est aussi un
important centre de recherches. Des études sur l’écologie et l’épidémiologie
sont poursuivies pour déterminer ce qu’il advient dans un territoire après de
nombreuses années d’essais avec des armes biologiques hautement
infectieuses. Les problèmes sont très complexes. Plus de 1 000 espèces
existent approximativement.

Edgewood — Maryland
C’est la plus ancienne base. Elle remonte à la Première Guerre mondiale
quand elle servait à la fabrication des obus à phosgène et aux autres gaz.
Elle a été le centre de la production et du remplissage des munitions à gaz
jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Pendant la Deuxième Guerre
mondiale, le travail principal a été l’étude des gaz nerveux produits par les
Allemands. Une étude pilote pour la production de sarin (connu ici sous le
nom de C.B.) a été mise en œuvre dans les dernières années 40. Beaucoup
de temps et d’argent sont investis à Edgewood dans la recherche de l’agent
incapacitant parfait, probablement une arme psychochimique ou
anesthésique. Le seul agent connu est le BZ et il a été utilisé dans le
combat. Le principal problème est la recherche d’un dosage uniforme. Ces
agents doivent être répandus de façon égale sinon ils tueraient dans les
zones à haute concentration et seraient sans effet dans les autres zones.

Rocky Mountain Arsenal


Cette base de 17 750 acres est à 10 milles au nord-ouest de Denver et sert
à la production du gaz nerveux sarin. La production a cessé en 1957 mais
l’arsenal est rempli de roquettes et de bombes au sarin.

Newport Chemical Plant


Situé à la campagne, dans l’ouest de l’Indiana, près de Darwell. C’est le
principal centre de production de VX, un gaz nerveux perfectionné, qui a
fait son entrée dans l’arsenal militaire dans les premières années de 1960.
Contrairement au sarin, le VX ne s’évapore pas rapidement à la température
normale et sa volatilité réduite le rend longtemps actif. La production a été
ralentie vers, 1962.

L’arsenal secret (Seymour M. Hersh)


(d’après « New York Magazine, 25 août 1968.)

Le « Dugway Proving Grounds » est le principal centre


d’expérimentation pour l’armement chimique et biologique. Il s’agit d’une
base militaire bien isolée. La majorité de ses millions d’acres est située dans
le désert du Grand Lac Salé de l’Utah de l’ouest.
La base fonctionnait depuis la Seconde Guerre mondiale mais on n’en
avait jamais entendu parler.
Le mercredi 13 mars, à 17 h 30, un avion vole au-dessus d’une zone
déserte et déverse doucement 320 gallons d’une substance stable, un agent
neuro-toxique létal connu sous le nom de VX, pendant un essai de deux
nouveaux générateurs à haute pression. Le lieu choisi était situé à environ
30 milles à l’ouest de Skull Valley et aux environs de 45 milles à l’ouest de
Rush Valley, deux territoires de pâturages pour les moutons.
Les vents soufflaient de l’ouest à une vitesse de 35 milles à l’heure. 19
millions 1/2 de dollars avaient été dépensés pour l’équipement de la station
météorologique. Et les scientifiques étaient certains de prédire le temps de
façon exacte.
Le jeudi, les moutons ont commencé à mourir dans les vallées de Skull et
de Rush. Le dimanche, 6 000 moutons étaient morts et le haut
commandement de Dugway fut informé par les fermiers. La semaine
suivante le journal de Salt Lake City publiait un article parlant de la mort
mystérieuse des moutons. Un porte parole de Dugway déclara que les essais
n’étaient pas responsables. « Nous n’avons jamais effectué d’essais qui
auraient pu être à l’origine de cela. »
Lorsque les faits vinrent à être connus, ce fut un « accident ».
Le 21 mars, à la requête du sénateur Frank E. Mors, le Pentagone
répondit. Un attaché de presse rendit la réponse publique.
Les militaires annulèrent tout essai aérien à Dugway et envoyèrent de
nouveaux démentis.
Le 18 avril, l’armée dut reconnaître sa responsabilité dans la mort des
moutons.
ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE

Langue américaine et anglaise :


— Circulaire TC3-16 du Quartier Général de l’Armée, avril 1969 :
« Emploi des agents de contrôle des émeutes, flammes, fumée, agents
antiplante et détecteurs personnels dans les opérations de contre-guérilla ».
Cette circulaire a été reproduite en supplément de « Vietnam Nu », mensuel
du comité suédois d’aide médicale au Vietnam.
— Mac Carthy R.D. ; Ultimate Folly War by Pestilence, Asphyxiation
and Defoliation, New York, Knopf, 1969, 176 p. — Rose S.,
CBW — Chemical and Biological Warfare, Boston, Beacon, 1969, 209 p
— Tschirley F.M., Research Report : Response of Tropical and
Subtropical Woody Plants to Chemical Treatments by Agricultural Research
Serv. Public, 1968, 197 p.
— Tschirley F.M., Research Report : Response of Tropical and
Subtropical Woody Plants to Chemical Treatments by Agricultural Research
Serv. Public, 1968, 197 p.
Tschirley F.M., Science ; « Defoliation in Vietnam », 1969, n° 163,
pp. 779-786 ; Science, 1969, p. 1425 et suiv. ; Professors and Political
Petitions, 1968, p. 613.
— The Science World ; 10.11.69 « Thalidomide effects from
defoliants », et coupure Humanité du 15.12.69.
N.B. : Richard McCarthy était à la Conférence de Londres, en novembre.
— Chemical Week ; 25.11.67, « Doubts on défoliants ».
— Scientific American ; janvier 1968, « Ecological Warfare », et
coupure du Figaro Littéraire, n° 1140 : « L’Herbe ne repousse plus. »
— Scientific Research ; 9.6.69 et 23.6.69, « Mission to Vietnam, Part I
and Part II (rapport Pfeiffer).
— New Yorker ; 7 février 1970, « A reporter at large defoliation » par
Thomas Whiteside.
— Chemical Week : 26.3.66 (revue complète) ;
13.8.66, « Spraying step up » ;
13.9.69, « Herbicide assle ».
— Le Mouvement Columbia du 4 mars : « Effets biologiques des
défoliants chimiques », 1970, 9 pages dactylographiées.
— Los Angeles Times ; 30 octobre 1969, Bryce Nelson, « Studies Find
Danger in Defoliation Herbicides. White House removes one from und after
Tests on Rice Indicate Cancer », 2 pages dactylographiées.
— Union of concerned Scientist : CBW, 2 pages dactylographiées.
— Danger to mankind, Chemical and Biological Warfare, avril 1969, a
Series of Statements by Prominents Scientists Women’s International
League for Peace and Freedom, 16 p.
— Congressional Record : 9 février 1970, interview de M. John
Dellenback, représentant de l’Orégon.
— Weapons for counterins urgensy : Chemical, biological,
antipersonnel incendiary. Publié par Narmic (National Action research on
military industrial complex. Philadelphia, Pensylvania 15/1/1970, 103
pages (bibliographie).
— Congressionel Record ; 6 mars 1969, interview de M. William F.
Ryan (New York), 16 p.
— The Economist : 29.11.1969.
— International Conference on Chemical and Biological Warfare,
Londres, 21-23nov. 1969.
Signalons en particulier les rapports :
— professeur V. Baroyan, membre de l’Académie de médecine de
l’U.R.S.S., « The Achievement of Biological Science and the Potential
Warfare Application of Pathogenic Agents ».
— Richard MacCarthy, CBW, « The Ultimate Folly ».
— Matthew Meselson, Harvard University, « Chemical and Biological
Weapons : The Facts ».
— Rapport de l’O.N.U., A 75-75.
— Rapport de l’Organisation mondiale de la Santé : Santé publique et
Armes biologiques, Genève, 1970.
Sources vietnamiennes (en langue française) :

— Rapport de la Délégation du F.N.L. au Symposium de Pékin, août


1954, 15 p.
— Nouveaux crimes de guerre au Vietnam, octobre 1965. ▫
Livre Noir, Tome II, 28.11.1966, supplément au Courrier du Vietnam,
n° 86.
— Crimes au Vietnam ; Comité de dénonciation des crimes de guerre,
juillet 1966, publié par l’Association d’Amitié franco-vietnamienne.
— Documents sur la guerre chimique menée par les Etats-Unis au Sud-
Vietnam, Comité du Sud-Vietnam pour la dénonciation des crimes de
guerre des impérialistes américains au Sud-Vietnam, février 1970.
— « La Défoliation : partie intégrante du génocide », Courrier du
Vietnam, n° 259, 9 mars 1970.
— Bulletin d’information du Bureau d’Information du G.R.P. de la
république du Sud-Vietnam à Paris.
— Bulletin du Vietnam, édité par la Délégation générale de la république
démocratique du Vietnam.
— Bulletin du Vietnam, édité par la Délégation générale de la république
démocratique du Vietnam.
Langue française :
— « La guerre chimique au Vietnam », Cahiers de l’Amitié, n° 1, 1966.
(Association d’Amitié franco-vietnamienne.)
— Rapports de Synthèse de la journée d’études du 21 février 1970 à la
faculté des sciences d’Orsay (Centre international d’information pour la
dénonciation des crimes de guerre).
— Le Monde, Jacques Decornoy, 2 janvier 1970 : « L’Usage de certains
défoliants pourrait gravement perturber la formation des embryons
humains ».
— Tribune socialiste ; Francis Kahn, « Un génocide différé », 15 mai
1969.
— Tribunal Russell, Le Jugement de Stockholm, Gallimard, Collection
« Idées actuelles ».
— Combat pour la Paix ; décembre 1966, octobre 1968, novembre
1969.
— Sakka Michel. Guerre chimique et biologique. Paris, 1967.
Divers :
— R.D.A. ; Herbizide in Vietnam, Berlin, 1969, 192 p.
— Cuba ; Document du second symposium contre le génocide yankee au
Vietnam, La Havane, 1969, 5 volumes de 175 pages (petit format).
Troisième Partie
Bombardements. Expérimentation. Effets
sociaux.

A. — LES ARMES. LE VIETNAM, CHAMP D’EXPERIENCE

Les Etats-Unis sont maintenant mieux préparés pour


faire face à des cas d’urgence dans le monde qu’ils ne
l’étaient avant la guerre du Vietnam.
Robert McNamara, au Congrès,
14 mars 1967.

Le Pentagone s’est efforcé, à coups de millions de dollars, de mettre sur


pied des unités spécialement entraînées et armées pour la guerre dans la
jungle et c’est ainsi que le théâtre d’opérations du Vietnam est devenu le
banc d’essai de nouvelles techniques de combat et d’armement. De
nombreuses armes ont été modifiées, d’autres ont été créées et mises à
l’essai.
Dépendant de l’Army Weapons Command (AWC), dont le siège est à
Rock Island (Illinois), divers bureaux d’études et laboratoires ont étudié et
mis au point toutes sortes d’armes et de matériels dont nous ne donnerons
ici que quelques exemples 29.

L’aviation (U.S. Air Force).


L’aviation joue un rôle prédominant avec son nombre de catégories
toujours renouvelées. Quelques-uns des types utilisés :
— B. 52, bombardier construit à partir de 1961, utilisé au Sud-Vietnam
depuis le 18 juin 1965, à ailes en flèche, à 8 réacteurs disposés par paires
sous la voilure, pouvant atteindre une vitesse de 1 000 km/h, une altitude
supérieure à 15 000 m, avec une autonomie de vol de 16 000 km 30. Effectue
des bombardements tactiques « en tapis » (en anglais : saturation bombing),
pouvant aller jusqu’à des escadrilles de 30 appareils, larguant ensemble près
de 1 000 tonnes de bombes 31. Une heure de vol de B. 52 coûte 1 052
dollars.
— F. 105 Thunderchief. Ce type d’appareil qui a effectué 75 % des
bombardements contre le Nord-Vietnam, emporte 2 tonnes d’explosifs, de
bombes à fragmentation ou de napalm. Il n’est plus construit.
— F. 4 Phantom. Biplace de combat, vole à 2 500 km/h, a remplacé le F.
105. Il emporte sous ses ailes 5 tonnes de roquettes et de bombes, 4 missiles
air-sol Hirondelle et 4 missiles « serpent venimeux » à tête chercheuse 32.
— A. 4E Skyhawk. Monoplace de combat embarqué. Vitesse 1100 km/h.
— EA. 6A Intruder. Biréacteur de bombardement, capable de voler à
plus de 900 km/h au ras du sol. 7 tonnes de bombes.
— C. 47. Dérivé de l’ancien DC. 3, armé de 3 canons capables de tirer
6000 coups/minute.
— C. 123 Provider. Bimoteur de transport, spécialement équipé pour
pulvériser des défoliants. Chaque appareil peut en un seul vol déverser 4000
litres d’herbicide pour détruire la végétation sur 100 hectares 33.

Les hélicoptères.
Utilisés pour la première fois au Vietnam en décembre 1961, tous ont été,
au fur et à mesure de leur emploi, et surtout à partir de 1965, transformés et
armés de mitrailleuses et de lance-roquettes.
— Hélicoptère léger d’observation, type Bell OH. 13 (Sioux) et Hiller
OH. 23 (Raven). Transporte le pilote et 4 hommes à une vitesse de croisière
de 240 km/h.
— Hélicoptère de transport de troupes, type Bell UH. 1D. Transporte le
pilote, un accompagnateur et une escouade complète (11 hommes), à la
vitesse de 180 km/h.
— Hélicoptère de combat, type Bell UH. 1B (Huey), utilisé à titre
expérimental en 1966. Equipé avec :
2 mitrailleuses à 6 canons (7,62 mm — 6 000 coups/minute) et 2 lance-
roquettes de 70 mm ; ou 2 canons de 20 mm ; ou 2 canons de 30 mm en
tourelles, à commande électrique. Le projectile a une vitesse initiale de 670
m/s. Il peut également être équipé de lance-grenades (ou de lance-grenades
à gaz) et d’engins guidés.
— Hélicoptère de transport, type CH. 47 Chinook. Peut transporter 33
hommes équipés ou 4 blessés couchés ou 6 tonnes de matériel. Vitesse de
croisière 240 km/h. Sert au transport de véhicules, de carburant (en
réservoirs souples), de vivres et quelquefois de troupes, ou à l’épandage de
produits chimiques.
— Hélicoptère de transport gros tonnage, type CH. 54 Skycrane. Charge
jusqu’à 10 tonnes et des charges extérieures encombrantes.
La 1re division de cavalerie aéromobile (lst Cavalry
Division — Airmobile) utilise 428 hélicoptères et 6 avions. Sa formule est
une nouveauté dans l’art militaire, assurant un transport plus rapide au
centre même de la zone de combat 34.

Armes individuelles et armes pour le soutien rapproché.


Le poids, pour le transport dans la jungle, a été particulièrement réduit.
C’est ainsi qu’ont été mises au point de nouvelles armes individuelles
légères :
— un pistolet mitrailleur CAR. 15 Commando ne pèse, sans son
chargeur, que 2,54 kg.
— une carabine XM. 16E1, introduite au Vietnam en 1966/67, deux fois
plus légère que le fusil standard M. 14 (lui-même un perfectionnement
du fusil utilisé pendant la Deuxième Guerre mondiale et en Corée), ne
pèse que 3,5 kg. Elle tire un projectile de 5,56 mm et l’emploi de cette
munition légère permet de doubler la dotation individuelle (800
cartouches).
— un lance-grenades XM. 148, monté sur le canon du fusil, n’accroît le
poids de celui-ci que de 1,36 kg.
De même, le poids des armes pour le soutien rapproché a été
spécialement étudié :
— un lance-grenades automatique de 15 kg tire des projectiles de 40 mm
à grande vitesse initiale à la cadence de 300 coups/minute, avec une
portée de 2000 m.
— un autre lance-grenades de même calibre pèse seulement 5,9 kg.
— un mortier de 107 mm, XM. 95, pèse environ deux fois moins que
celui qu’il a remplacé.

*
Matériels et appareils spéciaux.
Les laboratoires U.S. ont déployé des trésors d’ingéniosité pour inventer
du matériel spécial adapté aux besoins d’une guerre antiguérilla :
— appareil sensible aux odeurs, capable de détecter la présence
d’hommes au sol et de différencier « les amis des ennemis » ;
— tous les dispositifs compliqués de détection : infra-rouges,
électroniques, acoustiques 35 ;
— char sur coussin d’air, spécialement conçu pour le delta. La jupe est en
caoutchouc 36 ;
— bombes à retardement (dispositif spécial à l’acide) qui explosent au
bout de 6 mois et plus ;
— avion de reconnaissance absolument silencieux (moitié planeur, moitié
avion classique), dont les missions de nuit utilisent un dispositif
spécial de détection des troupes au sol (night-vision sensing device) 37.
Dans le domaine des bombes, la recherche a conduit à la fabrication de
bombes antipersonnel ou bombes à billes.
En 1965, c’étaient des petits pots munis d’ailettes, bombe « ananas »,
pesant 800 g chacun et contenant 240 billes d’acier de 6 mm de diamètre.
Explosant au sol, les petites bombes s’ouvraient et projetaient ces petites
billes sur un rayon de 25 m.
En 1966, ces bombes ont été perfectionnées pour contenir le même
nombre de billes dans un plus petit volume (400 g), c’est la « goyave », de
la dimension d’une balle de tennis. L’enveloppe contient 300 petites billes
de 5 mm de diamètre. L’engin contient un percuteur à force centrifuge ;
quand il tourne à une vitesse donnée, il explose en altitude. Les goyaves
sont elles-mêmes placées dans des « bombes mères » qui en contiennent
300 à 600, si bien que des dizaines de milliers de petites billes se trouvent
projetées en même temps sur une surface de 6 000 mètres carrés.
Plus tard, les billes ont été remplacées par des petits cubes d’acier aux
arêtes tranchantes.

Un véritable arsenal.
Toute une série de matériels a été inventé pour la dispersion des gaz et
des produits chimiques :
— différentes sortes de grenades, contenant du gaz CS sous forme de
poudre aérosol (grenade de poche, grenade cylindrique avec 120 g de
CS, grenade sphérique avec 100 g de CS) ; ▫
— ampoule contenant du bromo-acétate d’éthyle ;
— pompe « Mighty Mite », destinée à insuffler du gaz dans les abris
souterrains où se cachent les troupes ou la population civile ;
— dispositifs lance-grenades sur les hélicoptères ;
— balles de fusil contenant du gaz CS ;
— bidons en matière plastique, avec cordon explosif ;
— engins lance-projectiles, contenant 16 tubes de 4 projectiles chacun,
soit 64 projectiles par engin ;
— obus de canon de 36 mm, 105 mm, 155 mm, contenant du CS en
poudre ;
— fûts cylindriques de 1 mètre de haut et 0,50 m de diamètre, qui
contiennent 36 kg de CS en poudre, munis d’un dispositif explosif ou
d’un dispositif spécial à l’acide qui ronge la paroi métallique du fût,
laissant le gaz s’échapper peu à peu. Un hélicoptère Chinook
transporte environ 30 de ces fûts ;
— bombes chimiques à couverture plastique, formées de 8
compartiments renfermant chacun 33 projectiles. Quatre bombes de ce
type peuvent contaminer 5 hectares ;
— bombes chimiques de 200 kg à couverture métallique.
Un programme de construction d’unités navales pour les opérations
amphibies a été établi, qui porte jusqu’à l’année fiscale 1974...
C’est là un exemple qui prouve bien que les Etats-Unis entendent
toujours et pour longtemps encore perfectionner leurs armes, leurs matériels
et leurs techniques.
U.S. News & World Report, du 19 août 1968, parle des « armes nouvelles
pour la guerre au Vietnam » : « Des armes et des moyens inconnus jusqu’à
maintenant viennent d’être adoptés pour satisfaire aux besoins particuliers
de la guerre en Asie du Sud-Est. Quelques-uns en sont maintenant au stade
de l’utilisation. Un demi-milliard de dollars par an est actuellement dépensé
pour l’invention et l’essai de toute une série d’armes nouvelles
expressément destinées à la guerre au Vietnam. Le Dr John S. Foster Jr.,
directeur de la Recherche et de l’Engineering au Pentagone, a récemment
présenté au Congrès un rapport secret sur ces armes et moyens
spécialisés 38. Une version censurée de son témoignage vient d’être rendue
publique. »

B. — LES BOMBARDEMENTS

Déjà en 1936...
1936. — L’agression italienne contre l’Ethiopie révèle, pour la première
fois, l’utilisation de l’aviation militaire à des fins terroristes :
bombardements « en piqué » sur des colonnes — militaires ou civiles —,
mitraillages de villages, etc.
Ces agissements provoquent, dans le monde entier, une profonde
émotion. Mais ces bombardements, qualifiés à juste titre de « barbares »
demeurent cependant, quoique nombreux, des actes isolés.
1937. — La guerre d’Espagne apporte un « perfectionnement » de cette
tactique, une escalade dans le terrorisme, avec l’apparition dans le ciel des
escadrilles nazies de la Luftwaffe et des formations italiennes fascistes.
L’utilisation de l’aviation à des fins anti-civiles est devenue
quantitativement plus importante, elle prend un caractère de plus en plus
précis.
1939-1945. — Au cours de la seconde guerre mondiale, la bataille
aérienne prend une place de plus en plus nette, elle devient une forme
massive de combat. Sans que le mot soit encore prononcé, on a
systématiquement recours à l’effet « psychologique » ; pour la première
fois, aussi, apparaît la notion de bombardement « de saturation », de
« largage » de bombes « en tapis » (Rotterdam, Dresde, pour n’en pas citer
d’autres) ; l’expérience espagnole n’a pas été perdue !

Un pas de plus...
Mais si, de plus en plus, les objectifs civils sont visés, si, de plus en plus,
les bombardements sont aveugles et s’effectuent à des hauteurs sans cesse
ascendantes, on n’assiste pas encore à une véritable stratégie anticivile
systématique. Les raids massifs n’épargnent pas les concentrations urbaines,
mais ils les détruisent avec le reste (nœuds de communications,
infrastructure industrielle...). Il s’agit de détruire le potentiel de production
et de résistance de l’adversaire ; de démanteler son organisation
économique, de briser son moral.
Enfin, le champ d’action est géographiquement immense et toute
opération nécessite une quantité impressionnante d’appareils (jusqu’à 1000
pour certaines missions) dont la charge moyenne d’explosifs varie entre
quelques centaines de kilos et 4 tonnes.

Une stratégie calculée. Vers le biocide ?


Avec l’agression américaine contre le Vietnam, nous entrons dans une
phase absolument nouvelle, où l’arme aérienne est utilisée dans le cadre
d’une stratégie délibérée, étudiée avec soin, dont le but est la liquidation
systématique, non seulement de la population spécialement visée, mais
encore (et surtout ?) la destruction des moyens élémentaires de vie pour le
présent et de survie pour l’avenir. Combinés avec l’épandage massif — et
savamment dosé — de produits chimiques toxiques et de défoliants (dont il
est longuement question dans un autre chapitre), les bombardements ont
pour but objectif un véritable biocide.
Faits et chiffres abondent ; une énumération sèche serait, sans nul doute,
suffisamment éloquente et probante. Mais il nous a semblé utile de dégager,
de cette énumération quelque peu fastidieuse, les caractéristiques
essentielles du crime soigneusement prémédité et planifié.

Parenthèse sur la R.D.V.


Cette étude s’applique essentiellement au territoire du Sud-Vietnam ;
mais avant de l’aborder, peut-être est-il utile, cependant, de rappeler en une
brève parenthèse les « résultats » de près de quatre années d’agression
aérienne contre la république démocratique du Vietnam qui, du 7 février
1965 au 1er novembre 1968 a reçu plus d’un million de tonnes d’explosifs
divers.
Soit, pour mieux fixer les idées : un tonnage double de celui que
déversèrent, au cours de toute la Seconde Guerre mondiale, les forces
aériennes américaines et alliées sur le théâtre d’opérations du Pacifique. Ces
attaques contre la R.D.V. se caractérisent (de nombreux documents ont été
publiés, les travaux du tribunal Russell notamment et ceux des diverses
missions d’enquête internationales), par la destruction plus ou moins totale
d’agglomérations démunies d’installations militaires, par l’attaque
systématique des digues (afin de provoquer des inondations
catastrophiques), l’acharnement contre les écoles et les hôpitaux.
*

Tout contre le Sud.


Le 1er novembre 1968 les Etats-Unis étaient amenés à cesser
inconditionnellement de bombarder la R.D.V. 39. Cette décision va-t-elle
amener une « désescalade » dans la guerre ? Nullement. Au contraire, tout
le potentiel aérien libéré par la décision du 1er novembre va être
immédiatement et totalement affecté au combat contre le Sud, et aussi
contre le Laos.
Ce combat peut, sur le plan des forces aériennes, se caractériser par les
constatations suivantes :

1. — A partir du 1er novembre 1968, l’agression aérienne contre le Sud va


sans cesse augmenter d’intensité
Quelques chiffres :
Avant 1968 : 40 à 50 000 t d’explosifs par mois sur tout le Vietnam 40
Fin 1968 : 115 000 t d’explosifs par mois sur tout le Vietnam.
Mai 1969 : 129 000 t d’explosifs par mois sur le Sud seulement 41.
Juillet 1969 : 130 000 t d’explosifs par mois sur le Sud seulement.
De nombreuses déclarations ou informations américaines confirment ces
constatations. En voici quelques exemples.
« L’aviation américaine est passée maintenant (après l’arrêt des
bombardements sur la R.D.V.) à une nouvelle étape, dans l’intensification
des attaques sur tout le territoire du Sud-Vietnam » (agence U.P.I., 2.11.68,
le lendemain de cet arrêt !).
« Le nombre des sorties de l’aviation tactique est maintenant de 600 par
jour, de 4 000 pour les hélicoptères » 42, (U.P.I. 8.11.68).
« La politique militaire des Etats-Unis est de maintenir la pression sur le
Sud pendant que se poursuivent à Paris les conversations de paix », Melwyn
Laird, transmis par A.F.P. le 6.2.69.
(Une déclaration identique sera faite le 23 mars par le président Nixon).

« Depuis la cessation des bombardements sur le Nord, nous avons en


réalité pratiqué une escalade dans nos efforts de bombardements du Sud ;
les statistiques indiquent, aussi, une augmentation du nombre de nos actions
au sol. Il s’agit donc clairement d’une duperie, quand on demande à notre
opinion de croire que l’ennemi est responsable de cette escalade (...). »
(Déclaration du sénateur Hartfield, rapportée par U.P.I. le 26.3.69.)
« Il est important que le pays sache que la nouvelle offensive du Vietcong
est, pour l’essentiel, une réponse à nos actions plutôt qu’une volonté
délibérée de dicter des conditions de paix ou de torpiller la négociation de
Paris. » Cette phrase a été prononcée dans une conversation téléphonique
entre le commentateur du New York Post, Mr Wechsler, et Mr Harriman, qui
dirigea, les premiers mois, la délégation américaine aux pourparlers de
Paris sur le Vietnam (source : A.F.P., 7.3.1969).
Et le même dira encore : Au « geste de bonne volonté des Nord-
Vietnamiens », retirant leurs troupes à plus de trois cents km de la zone
démilitarisée, après l’arrêt des bombardements sur le Nord, « nous avons
donné au général Abrams, en guise de réponse, l’ordre d’accentuer sa
pression ». Déclarations du 14 mai 1969 (interview à la CBS) et du 10 juin
devant l’ « American Jewish Committee ». Sources : presse quotidienne du
3 juin 1969.

Le 17 mai 1969, c’est le président Nixon qui déclare sur le porte-avion


Saratoga : « C’est la force militaire américaine qui apportera la paix au
Vietnam » (source : Washington Post, 18.5.1969).
Et Melwyn Laird répète en écho le 19 mai : « Je ne voudrais exclure
aucune activité militaire, je pense qu’exclure telle ou telle possibilité
utilisable, serait commettre une erreur. » (U.P.I., 19.5.69.)
On notera enfin, que le Congrès américain a voté, sur proposition de
Nixon (« la paix en six mois... ») un crédit supplémentaire de 76 millions de
dollars (A.F.P., 27.3.1969) pour permettre l’intensification de l’action
aérienne au Sud-Vietnam et que les crédits spéciaux (258 000 dollars,
semble-t-il) ont été accordés pour des « vols spéciaux extra » de B 52 en
même temps qu’un crédit spécial de 98 millions de dollars pour permettre à
Saigon d’acheter 300 hélicoptères lourds de type U.H.1.

2. — L’agression aérienne contre le Sud va augmenter en puissance de feu


et mettre en œuvre des armes nouvelles
En effet, l’utilisation des super-bombardiers géants — les octoréacteurs
B. 52, volant à 12 ou 13 000 mètres — va devenir, dès la fin de 1968,
quasiment quotidienne, massive et toujours aveugle.
Quotidienne ? Il suffit de se reporter aux informations de presse depuis
lors ; presque pas une semaine où le nombre de jours de bombardements par
B. 52 soit inférieur à 5.

Massive ? Quelques chiffres seulement à titre d’exemples : 1968 : 52000


t déversées mensuellement par les seuls B. 52 sur tout le Vietnam 43.
Janvier à mai 1969 : 40 000 t sur le Sud seulement.
Juin 1969 : 46 000 t sur le Sud seulement.
Juillet 1969 : 40 000 t sur le Sud seulement.
Août à octobre : entre 36 et 44 000 t sur le Sud seulement 44, du
27.8.1969 au 4 septembre : 10 000 t en 10 jours sur 6 provinces
seulement 45.
Septembre 1969 : 25 000 t sur 3 provinces seulement ; parmi elles,
Phuoc-Long en a reçu 17 000 t (A.F.P., 30.9.69), laquelle remarque que ces
raids sont les plus puissants depuis ceux de Khe Sanh (janvier 68) et Ben
Het (mai 1969) 46.

Aveugle ? A plus de 10 000 mètres d’altitude, il ne peut pas être question


de viser un objectif militaire, mais bien de bombarder « en tapis » c’est-à-
dire d’anéantir indistinctement tout ce qui se trouve dans une région
donnée.

En résumé, pour les dix premiers mois de 1969, les B. 52 ont déversé sur
le Sud : 420 000 t au cours de 2 634 raids.
26.1.70. En un seul jour, sur le Sud-Vietnam et la plaine des Jarres, au
Laos : 2 000 t.
On peut également noter le chiffre des sorties de ces B. 52 venus de l’île
de Guam (archipel des Mariannes), d’Okinawa et de Thaïlande : janvier à
mars 1969 : 222 par mois (en moyenne, sauf en février où le chiffre atteint
432 en 15 jours, selon A.F.P. du 22.2.69) ;
avril à juin : 270 ;
août (en 28 jours) : 252.
Enfin, un dernier complément :
début 1969 : 40 à 50 villages bombardés chaque jour ;
fin 1969 : 70 à 80 ;
début 1970 : chiffres non encore précisés, mais dépassant les précédents.
Pour conclure ce chapitre, ajoutons que la moyenne mensuelle
d’explosifs largués sur toute l’Europe au cours de la Seconde Guerre
mondiale n’a jamais dépassé le chiffre de 46 622 t. 47.
Donc, les seuls B. 52 frappent le très petit Vietnam plus durement que ne
le firent tous les avions des belligérants d’alors, à l’encontre de l’immense
étendue européenne 48.
Enfin, pour parfaire le travail des supers-géants aux huit réacteurs, de
nouveaux modèles d’avions tactiques et de plus puissants moyens ont été
mis à la disposition de l’U.S. Air Force. Par exemple :
30.4.1969. (100e jour après l’entrée en fonction de Nixon) — des
chasseurs bombardiers F. 4.E. remplacent les F.4.D., plus rapides, plus
maniables, ils peuvent porter un tonnage d’explosifs plus élevé 49. En même
temps, des escadrilles de chasseurs ultra-modernes A 37 sont livrées aux
autorités de Saigon.
26.12.1968. Pour la première fois, utilisation, dans la périphérie
populeuse de Saigon, de bombes de 5 t.
11.5.1969. Dans la région de Tay-Ninh, apparition de bombes de 7 t 5,
larguées par parachutes et explosant au-dessus du sol. Ce sont les plus
grosses bombes jamais utilisées dans aucune autre guerre.
Spécialement employées dans les régions forestières, elles peuvent
déraciner tous les arbres sur une superficie équivalente à celle d’un terrain
de football. Si elles explosent au-dessus d’une concentration urbaine...

3. — L’augmentation d’intensité des bombardements par B 52 seulement


est parallèle à une concentration de feu sur des surfaces très réduites
Afin d’obtenir les plus grandes — et plus complètes — destructions
possibles, les attaques de B. 52 sont concentrées sur des surfaces très
réduites et réitérées plusieurs fois. Quelques exemples :

Septembre 1968 :
La seule province de Tay Ninh subit l’assaut des B 52 pendant vingt jours
consécutifs ; en un seul jour, le 28, elle reçoit 1500 t d’explosifs (Bulletin
du F.N.L., 11.10.68).
Décembre 1968 :
En quarante-huit heures (du 12 au 14), la localité de Gio Linh, dans la
province de Quang Tri, est rasée par 1 000 t de bombes.
Le 10, ce sont 1 000 obus au napalm qui embrasent deux hameaux de
Doc Than (province de My Tho, à 55 km S.O. de Saigon).
Janvier 1969 :
Au cours de la journée du 30, la seule région de Can Tho est écrasée sous
4 500 t d’explosifs.
Février 1969 :
Le 26, 12 escadrilles « ratissent » 3 km2 à Long Nguyen et renouvellent
l’exploit le 11 mars au même endroit.
Avril 1969 :
Du 2 avril au 5 mai, la région de Duong Minh Chan voit lâcher sur elle,
au cours de 800 raids : 24 000 t ; dont : le 22 avril : 2 500 t, les 24 et 25 :
5 000 t, etc.
Mai 1969 :
Le 5, 4 400 t pour une partie seulement de la province de Tay Ninh déjà
maintes fois citée et qui le sera encore souvent ! le 8 : 4 500 t en douze
heures sur cinq provinces (Phuoc Long Binh Duong, Quang Ngac,
Kontoum, Quang Tri) et sur la banlieue de Saigon.
Le 14, 3 000 t sur Tay Ninh (encore !) et Dak To.
Le 29, 2 000 t en quelques heures sur divers points.
Juin 1969 :
Près de Tay Ninh, toujours, un bombardement de 48 heures (21 et 22) se
solde par 1 000 maisons rasées, 100 ha de cultures détruites... sans compter
les pertes humaines.
Du 7 au 27, c’est la province de Kontoum qui reçoit, pendant 20 jours
une moyenne quotidienne de 1000 t d’explosifs !
Le 18, 173 lâchers de bombes sur une surface de 100 ha.
Juillet 1969 :
Sur 57 ha seulement, près de la frontière du Cambodge, 2 000 t larguées
le 5.
Passons maintenant à quelques exemples de plus grande envergure cette
fois :
Dans 42 chefs-lieux de province et bourgs importants du delta du
Mékong, 100 000 maisons rasées.
Dans les districts septentrionaux de la province de Quang Nam,
destruction totale de 258 des 487 agglomérations.
Dans la province de Ben Tre, 10 raids par jour en moyenne, du 1er janvier
au 1er novembre 1969, soit 3000 raids.
Dans la région de Go Noc (province de Quang Nam) destruction
absolument totale sur une superficie de 40 km2 où était concentrée une
population de 30 000 personnes.

On remarquera, par ailleurs, que les environs de Saigon, particulièrement


peuplés, grossis de centaines de milliers de réfugiés chassés des campagnes
par d’autres bombardements ou déportés par les troupes américano-
saigonnaises (voir chapitre « Conséquences sociales »), sont l’objet de raids
de plus en plus massifs, de plus en plus violents et de plus en plus
nombreux (de 4 à 5 fois par semaine en 1969, il suffit de se reporter à la
presse quotidienne).
Nous ne citerons donc, uniquement à titre de « points de repère », que
quelques chiffres parmi les plus importants.
Janvier 1969 :
nuit du 2 au 3 : 900 t au nord de Saigon,
journée du 6 : 500 t à 40 km de Saigon,
journée du 8 : 700 t (au cours de 6 raids dont le plus important à 60 km
au nord de la ville).
Février 1969 :
Du 10 au 22 : 13 000 t pour la périphérie de Saigon (chiffres des
communiqués américains) sur un total de 17000.
Mars 1969 :
Journée du 17 : 2 200 t en 12 heures sur 3 points, l’essentiel tombant
autour de Saigon.
Avril 1969 :
du 20 au 27 : 200 raids autour de Saigon et dans ses quartiers
excentriques.
Juillet 1969 :
Journée du 30 : 1 300 t pour la banlieue.

Pour conclure ce point, deux informations sans commentaires :


« Les B. 52 sont notre atout majeur » — Général Abrams (ce propos a été
rapporté par le secrétaire d’Etat Mr Laird, selon une dépêche Reuter du
1.4.1969).
La localité de Dien Hong détient un impressionnant record : de janvier à
juin 1969, elle a reçu en moyenne 5 t d’explosifs par habitant, nourrissons
compris.

4. — Les B 52 sont « aidés » par l’aviation tactique dont le rôle n’est pas
négligeable
Chasseurs supersoniques, chasseurs bombardiers, bombardiers
« classiques », hélicoptères rapides lance-roquettes, etc., complètent la
panoplie de l’U.S. Air Force, dans sa mission de destruction systématique.
Là encore, quelques chiffres pour montrer l’ampleur des moyens mis en
œuvre et leur constante croissance :
janvier à juin 1969 : 8 000 sorties mensuelles,
juin 1969 : 9 556,
août (du 27 au 4 sept.) : 3 000 en neuf jours.
« L’aviation américaine a effectué (de mai à juillet) les raids de B. 52 les
plus puissants jamais connus, au cours de ces dix dernières semaines ; mais
en même temps, 561 chasseurs-bombardiers étaient spécialement affectés
au larguage de bombes explosives et de napalm sur tout le Sud-Vietnam
(A.F.P. et Reuter, 5 juillet 50.
Ce chapitre ne mentionne que les bombardements aériens dont le
caractère est particulièrement démonstratif de la stratégie utilisée. Mais cela
ne doit pas pour autant faire oublier le caractère massif des bombardements
de l’artillerie et de la flotte dont les ravages sont également éloquents 51.

En guise de conclusion
On pourrait, à longueur de feuillets, multiplier chiffres et exemples qui
montrent, sans contestation possible, la sauvagerie et la volonté de détruire
systématiquement, méthodiquement toute une population et de tenter de lui
ôter les moyens élémentaires de vie et de survie. Ils démontrent, à
l’évidence, qu’il s’agit là d’un plan mûrement arrêté et soigneusement
appliqué et non d’horreurs « inévitables », diront d’aucuns, qui constituent
les « retombées » de tout conflit.
S’il ne semble pas nécessaire de poursuivre cette atroce chronologie,
qu’on nous permette, cependant, avant de clore ce chapitre — un parmi
d’autres, hélas ! — d’un des crimes les plus monstrueux de la longue
histoire des hommes, de citer ici quelques témoignages que nous nous
garderons de commenter.
Comme la variole sur un visage humain
Le premier est la déclaration faite devant le Sénat américain, il y a moins
d’un an (et rapportée par U.P.I. le 25.6.1969) par l’évêque Armstrong,
membre d’une commission d’enquête de religieux qui avait séjourné au
Vietnam.
« Les troupes américaines, dit-il, ont systématiquement détruit et la terre
et les hommes. Produits chimiques, opérations d’extermination — chaque
jour accrues —, bombardements sans discrimination dévastent la campagne
et contraignent les paysans à quitter les terres déjà cultivées et dispersent les
familles (...). »
Le second figure dans Vietnam 1969, un « livre blanc » édité par le
Friend Service Cte (Organisation américaine des Quakers) : « Les
destructions physiques sont énormes, des centaines de milliers d’acres ont
été défoliées 52, d’innombrables villages rasés. Les cratères de bombes
marquent le physique de la campagne vietnamienne, comme le ferait la
variole sur un visage humain. »
La piscine Vietcong
Troisième témoignage : le récit dépouillé d’un « incident » qui se situe
dans la ligne des massacres de Ba Lang An, de Son My et d’ailleurs.
C’est une dépêche A.F.P. du 11 mars dernier, se référant à des sources
américaines. Elle fait état du massacre, le dimanche 9 mars, à 50 km de
Saigon, de « nageurs vietcongs » (sic), dans une clairière. Cette piscine de
fortune, précise le récit, avait été aménagée dans un de ces innombrables
cratères creusés par les super-bombes des super-bombardiers. Pour les
appareils américains, elle devint aussitôt une cible de choix et fut
transformée, selon le porte-parole américain cité par la dépêche, « en un lac
de sang ». Ce porte-parole, écrit le correspondant A.F.P., décrit la mort de
dix nageurs « vietcongs », soit dans l’eau, soit sur la rive, et ajoute qu’une
quarantaine d’autres baigneurs « ont été poursuivis alors qu’ils tentaient de
s’enfuir » par les avions mitraillant en rase-motte.

Personne ne peut plus vivre dans ce cauchemar


Beaucoup plus récent est le commentaire d’un autre envoyé spécial de
l’agence France-Presse — le 9 mars 1970 — concernant les « résultats »
obtenus par les raids de B. 52 dans la campagne environnant Saigon. En
voici le texte :

« A quelque dix minutes de vol de Saigon, la campagne sud-


vietnamienne est dévastée par les bombardements de B. 52 qui, depuis des
mois, déversent nuit après nuit des tonnes de bombes sur ces zones qui
formaient autrefois un ensemble de rizières florissantes et de forêts
soigneusement exploitées.
« Personne ne peut plus vivre dans ces régions de cauchemar où, sur des
dizaines de kilomètres, s’échelonnent des cratères de douze mètres de
diamètre et de trois mètres de profondeur creusés par les projectiles des
bombardiers géants.
« La rivière de Saigon, qui naguère traversait une campagne riante, glisse
maintenant son cours sinueux entre ces immenses cratères remplis le plus
souvent d’une boue jaunâtre.
« Seuls quelques sentiers étroits contournent ces gouffres pour relier
entre elles des zones préservées, telles des plantations de caoutchouc
épargnées par les appareils pour garantir une production essentielle ou des
champs aux alentours immédiats d’une base américaine.
« A Saigon, tout bombardement distant d’une trentaine de kilomètres se
traduit par de sourds grondements qui font, par vagues, trembler le sol et
vibrer les vitres (...). »

Et comment mieux compléter ces quelques récits, que par cet ultime
chiffre d’une estimation faite par un spécialiste américain :
Les B. 52 ont creusé, en 1968, sur tout le Vietnam : 2 600 000 cratères au
moins 53.
Au cours de six mois seulement, en 1969 et uniquement sur le Sud, ils en
ont creusé au moins autant :
— De 1961 à 1968 (1er novembre), le Vietnam — Nord et Sud — a reçu
au moins 2 800 000 t d’explosifs divers, selon l’A.F.P. du 1.11.68. Soit plus
que tous les théâtres d’opérations de la Seconde Guerre mondiale entre
1939 et 1945, de la part de tous les belligérants (environ 2 millions de
tonnes).
C. — CONSEQUENCES SOCIALES ET MORALES DE
L’OCCUPATION AMERICAINE

Dans les villes occupées par le corps expéditionnaire, on pourrait penser


que la population vietnamienne est à l’abri de la guerre.
Il n’en est rien. Les conséquences de l’agression américaine pèsent
lourdement aussi sur la population urbaine du Sud-Vietnam.
Pour fuir la terreur, une partie de la population paysanne reflue vers les
agglomérations : c’est un exode rural accéléré et forcé qui remonte à la
première guerre d’Indochine.
Ce mouvement est aggravé par la méthode américaine du regroupement
de la population dans des camps afin de la séparer des combattants des
F.A.P.L. et de détruire complètement les zones libres 54.
Le nombre des réfugiés est évalué à 2 millions et peut-être davantage 55.

Ces opérations de regroupement engendrent des drames déchirants :


destruction des habitations, des réserves alimentaires, dislocation des
familles. Le journaliste français Jean Bertolino écrit à propos du camp de
Phu Cuong :
« Demain où iront ces déracinés ? Le riz, pendant longtemps, ils n’auront
pas l’occasion de le cultiver à nouveau... Les mères, les filles aînées, ont
souvent la charge de 8 à 10 enfants. Quant aux hommes, il n’y en avait pas
dans le camp, au-dessous de 45 ans : ils sont morts, prisonniers ou dans le
maquis... 56 »
L’Américain Don Luce nous a livré des remarques analogues à propos du
camp de Dakto, sur les Hauts Plateaux.
Les camps eux-mêmes sont situés en des lieux inhospitaliers et parfois
meurtriers 57. Don Luce, directeur de l’International Voluntary Service au
Vietnam, de 1961 à 1967, a rapporté devant le sous-comité Kennedy sur les
réfugiés, le 10.10.67, que le camp de Dakto avait été placé autour du Q.G.
du District. Le Chef de district estimait que : « le Vietcong n’attaquerait pas
au mortier son Q.G. si les réfugiés étaient placés autour ».
A propos de la vie dans les camps, Don Luce déclare :
« Dans les camps demeurent seulement les femmes et les enfants. Un
tableau typique, les femmes, assises, regardent fixement le sol, attendant
une éventuelle ration alimentaire. Elles espèrent toujours regagner leur pays
et cela explique aussi leur prostration : pourquoi creuser un puits, cimenter
le sol, planter son jardin quand l’espoir de retourner dans son village le
mois prochain est si ancré ? »
Le Dr E. Wulff, professeur à la faculté de médecine de Hué, a décrit les
conséquences qu’il a pu observer sur place :
« La population rurale sortie de ses habitations, la cohésion de la vie
villageoise est brisée. Les gens n’ont plus leurs rizières, plus de moyens de
subsistance ; les femmes bien souvent sont obligées de se prostituer, les
enfants commencent une carrière de petits voleurs... En outre, les
Américains atteignent ainsi deux autres buts : 1° ils obtiennent la main-
d’œuvre nécessaire pour le maintien et la construction de leurs bases ; 2° les
gens sont liés pour leur subsistance à l’existence de bases américaines (...) il
se crée autour de celles-ci une sorte de lumpen-prolétariat anarchique et
dépendant que les Américains préfèrent à une population paysanne
potentiellement révolutionnaire 58. »
En effet la question primordiale est de survivre. Elle ne se pose pas
seulement pour ceux qui sont entassés dans les camps, mais aussi pour tous
les autres qui rejoignent Saigon ou d’autres centres urbains importants. Elle
présente autant d’acuité pour les citadins de longue date.

Une série de problèmes relatifs à l’habitat urbain se pose à presque toutes


les catégories sociales vietnamiennes moyennes et petites.
A cet égard, l’évolution du district métropolitain de Saigon, c’est-à-dire
des villes de Saigon, Cholon et leur banlieue nous en fournit une illustration
concrète.
De 1958 à 1965, la région métropolitaine a vu sa population passer de
13,7 % à 15,4 % de la population totale du Sud-Vietnam ; en 1967, la
région de Saigon-Cholon rassemblait 70 % de la population urbaine du
pays. Plus frappante est la croissance de la zone suburbaine de Gia-Dinh qui
a reçu le flux le plus important de migrations internes : 1954, 35 000
habitants ; 1967, 563 692 59.
La hausse du coût de la vie depuis 1964 (100 à 200 %) a contraint toute
une catégorie sociale à salaire fixe (tels les fonctionnaires moyens) de se
défaire de son logement à peu près décent pour aller se reloger dans un
autre de coût moins élevé. Le logement ancien est sous-loué ou vendu aux
étrangers. Dans certains cas on conserve le logement mais on s’entasse dans
une pièce pour louer les autres aux étrangers.
Le résultat principal est la pénurie de logement accompagnée d’un super-
entassement et de la croissance des bidonvilles. On peut observer ici
comme ailleurs au Vietnam (Dà-Nang, Cântho, etc.) toutes les
conséquences décrites par les études de sociologie urbaine et de médecine
sociale : la promiscuité, l’absence d’hygiène physique et mentale, la
délinquance et en définitive l’absence de conditions nécessaires à
l’épanouissement de la personnalité des enfants comme des adultes.
Enfin, l’expansion urbaine anarchique est en train de rendre insolubles
les problèmes de l’aménagement urbain.

Dans le phénomène de mutation urbaine précédemment décrit, nous


avons vu à l’œuvre quelques-uns des facteurs inhérents à l’agression
américaine. Mais ces derniers agissent dans toutes les dimensions :
économique, politique, sociale, morale et culturelle.
Sur le plan économique et financier, l’intervention indirecte (aide
américaine), puis directe (débarquements de soldats avec tous les besoins
logistiques qu’ils supposent, afflux de dollars et accroissement de la
consommation sous toutes ses formes) ont eu pour conséquences
principales l’inflation 60, la hausse des prix, le marché noir et la
contrebande.
Voici en quels termes un journal saigonnais décrit les effets de l’aide
américaine sur l’économie vietnamienne :
« L’aide économique U.S. est un triple moyen de s’assurer des débouchés
pour les surplus américains. Depuis quinze ans les Vietnamiens vivent avec
cette aide et s’en remettent à elle. Ces deux dernières années, les Etats-Unis
ont installé au Vietnam des entrepôts pour leurs stocks et inondé le marché
de leurs produits, transformant l’économie vietnamienne en un marché à
l’encan U.S. Américaines, les marchandises dans les magasins ;
américaines, celles étalées sur les trottoirs. L’indice de la production
nationale accuse une baisse constante et il y a deux ans le riz a subitement
disparu de la circulation. On a dû s’adresser aux Américains pour nous
fournir à titre d’aide du riz de Thaïlande, des E.U., voire de Taiwan, pour
vivre. C’est véritablement une tragédie pour notre économie que de
dépendre uniquement de l’étranger afin d’avoir un bol de riz ou de bouillie
pour la subsistance de la population 61. »
La vie quotidienne est devenue très difficile pour presque toute la
population — hormis des cercles très restreints : militaires de certains
grades, fonctionnaires, affairistes — et précaire pour un grand nombre de
Vietnamiens.
L’ouverture de chantiers par les grandes firmes américaines pour le
compte de l’armée n’a pas élargi considérablement le marché de l’emploi à
cause d’une embauchage direct de la main-d’œuvre philippine, coréenne ou
japonaise que les firmes en question introduisent sans accomplir les
formalités d’usage pour l’immigration. Une main-d’œuvre étrangère
incontrôlée multiplie les problèmes de salaires (la disparité avec les salaires
nationaux renchérit le coût de la vie), d’habitat, d’hygiène et de
cohabitation. Cet exemple, entre autres, permet de douter sérieusement de la
souveraineté du gouvernement de Saigon.

En novembre 1969, après l’annonce de mesures d’austérité par le


gouvernement de Saigon, deux mille articles se virent infliger un
supplément de taxation de 100 à 500 % ; le riz de qualité moyenne passa de
4000 à 7000 piastres le quintal, le prix du liseron d’eau, légume populaire
s’il en est, augmenta de 50 %, celui des médicaments de 35 à 55 %.
Un soldat affirme : « Malgré tous les sacrifices que nous (les militaires)
avons supporté depuis de nombreuses années chaque fois que nous
accueillons la nouvelle d’augmentation de salaire, c’est immanquablement
chaque fois que nous avons à engager une lutte à mort avec la vie
matérielle. »
A My-Tho, un soldat, surpris en flagrant délit de pillage dans une
maison, a déclaré à la police que « le salaire d’un militaire ne permettant
point de subsister, maintenant que tout augmente, ma mensualité est réduite
à seulement la moitié de sa valeur. Ma femme est d’ailleurs malade,
comment payer les soins médicaux, la nourriture des enfants. J’ai décidé de
me livrer au gangstérisme. »

La prostitution est un autre moyen de survivre. Le sénateur Fullbright a


déclaré que les Etats-Unis avaient transformé Saigon en un gigantesque
bordel. A Cân-Thô, centre régional du Delta du Mékong, sur 110 000
habitants, on compte 5 000 filles de petite vertu. C’est dans la même ville
que circule cette complainte poignante de la femme d’un conscrit :

Pour l’Etat nationaliste tu t’es engagé comme aspirant


Restant à la maison pour nourrir nos enfants
Je dois me vendre aux Américains.
Plus tard quand le pays recouvrera paix et tranquillité
De retour tu trouveras notre foyer plein de petits Américains 62.

Mais la prostitution n’est pas seulement un moyen de subsister pour des


malheureuses en détresse, c’est aussi une « bonne affaire » pour certains.
Ceux-là ont établi un système complet qui va de la simple passe au
concubinage pour la durée du séjour d’un Américain au Vietnam. Le
proxénétisme se dissimule parfois sous la raison sociale d’établissements
culturels tels que les « cours accélérés d’anglais ».

C’est pour les mêmes motifs que la corruption et la concussion des


fonctionnaires sont des phénomènes généralisés à des degrés divers. Ils le
sont non seulement en vertu de la dureté des temps et du besoin de
ressources complémentaires mais aussi à cause du relâchement de la morale
et parce que l’exemple est donné à partir des milieux gouvernementaux.
Ainsi, les officiers de la police et de la sécurité revoient de très près les
fichiers de ceux qui possèdent des signes extérieurs de richesse, dans le but
de leur extorquer de l’argent. Pour ce qui est des prétextes, on en trouve
toujours... la politique répressive du gouvernement ayant allongé la liste des
délits.
Les supérieurs hiérarchiques fournissent à leurs subordonnés trop
d’exemples de trafics d’influence, de combines pour négocier ou transférer
de façon illicite les devises, l’or, les pierres précieuses ou la drogue, pour ne
pas faire d’émules.
Car, en dernière analyse, des supérieurs, des riches sont à la tête des
organisations qui mettent à profit le malheur et le marasme de la nation.
Il est de notoriété publique que les bars, les tripots, les maisons closes
sont contrôlés ou versent une dîme aux chefs de province, chefs de corps,
ministres ou hauts fonctionnaires. De même qu’il existe une prostitution
dans les couches supérieures de la société qui n’est pas le fruit de la misère
mais d’un laxisme qui mêle le désir de jouissance immédiate à l’imitation
d’exemples étrangers. Car toutes les barrières qu’une société peut dresser
pour préserver son intégrité morale ont été jetées bas par une guerre
prolongée.
L’exemple des supérieurs — si important dans un pays qui porte
l’empreinte confucéenne — n’agit pas seulement sur les subalternes mais
aussi sur les générations plus jeunes.

Une partie de la jeunesse est en proie au désespoir : travailler, étudier ou


fonder un foyer avec la perspective immédiate de partir sous les drapeaux,
combattre d’autres jeunes vietnamiens pour une cause qu’il est difficile
d’épouser ; de ne pas trouver de logement, de laisser sa jeune famille sans
moyens de subsister, engendrent des réactions diverses qui ont en commun
le caractère de fuite devant les réalités : on s’adonne aux jeux, à l’opium, à
la délinquance, on déserte (pour se cacher), on se suicide.
Mais là encore, il est difficile d’imputer cette démoralisation et cette
atonie au seul hasard. La pénétration militaire et économique transporte
dans ses bagages une cargaison idéologique dont le caractère principal est
un cosmopolitisme frelaté qui trouve ses expressions dans des films, des
magazines et des disques pseudo-pop, sexy ou violents, en provenance de
Hong-kong, du Japon aussi bien que des Etats-Unis.
L’enseignement qui n’était pas encore dégagé du passé colonial français
dans son esprit, son organisation et ses méthodes, s’est abatardi davantage
avec l’introduction de la langue américaine et d’une pédagogie importée
des Etats-Unis. L’hétérogénéité fondamentale et organisationnelle est
aggravée par la situation générale de l’enseignement qui est marquée elle-
même par la pénurie des locaux, des maîtres et la surcharge des effectifs.
Lycéens comme étudiants sont plongés dans le désarroi intellectuel.

Ces quelques indications sur les conséquences secondes de la guerre ne


prétendent pas être exhaustives. Dans les domaines les plus divers les effets
de la guerre et de l’occupation américaine se font sentir de façon
désastreuse. Citons, à titre d’exemples, quelques faits :
— Les gigantesques tas d’ordures, qui accompagnent les camps
américains (une consommation abondante produit une abondance de
déchets que les installations du pays et les conditions de la guerre ne
permettent pas de faire disparaître), entraînent un pullulement
considérablement accru des rats, avec les conséquences d’un tel fait :
destruction d’importantes quantités de produits, alimentaires surtout ;
risques graves de propagation de maladies, etc.

— Le grand nombre des cratères de bombes (plus de 2 millions et demi


en 1967-1968 (rapport Pfeiffer déjà cité) provoque l’existence d’autant
de flaques d’eau dormantes, d’où le pullulement des moustiques, d’où
une terrible recrudescence de paludisme.

— Des psychiatres américains ont étudié le comportement des enfants


orphelins, abandonnés à eux-mêmes dans Saigon, où ils doivent
subvenir à leurs besoins. Outre la délinquance et l’abaissement moral,
ils ont constaté le développement de psychoses graves dues à la
solitude, au manque d’affection dans la petite enfance, qui multiplient
ainsi les associaux qu’il sera difficile de réintégrer dans une existence
normale au retour de la paix.
Cette liste d’exemples pourrait être allongée quasi à l’infini.
CONCLUSION

Au terme de ce dossier un fait s’impose : un crime gigantesque se


commet sous nos yeux au Vietnam.
Guerre chimique, bombardements intensifs, massacres, effets sociaux et
psychiques désastreux ne sont pas des événements isolés, simplement
juxtaposés sur le même terrain, dus aux hasards de la guerre. Ils constituent
un crime global, résultat d’une stratégie d’ensemble, d’une volonté
d’ensemble.
Après les révélations sur Son My, les autorités américaines se sont
efforcées de limiter le plus possible les dimensions des crimes commis au
Vietnam. Elles ont cherché à accréditer l’idée que ce massacre était un fait
isolé, dû à une défaillance locale du commandement, d’où l’inculpation, le
17 mars 1970, deux ans après l’affaire, de quatorze officiers dont deux
généraux. D’autre part, la propagande américaine s’est appliquée à réduire
le problème des crimes à celui des massacres ou plutôt de ce qui aurait été
l’unique massacre de Son My.
La réalité est, hélas ! tout autre.
Que les massacres ne se limitent pas à la seule affaire de Son My, le
chapitre de ce livre, consacré à ce sujet, en apporte la preuve écrasante. Que
les crimes américains au Vietnam ne se limitent pas aux seuls massacres,
qui pourrait désormais le nier devant l’accumulation de preuves, aussi bien
américaines que vietnamiennes, sur la guerre chimique ?
Dès lors, comment imaginer qu’à chacun de ces crimes ne correspond
que la responsabilité particulière d’un officier, que leur accumulation n’est
que la rencontre fortuite de fâcheux manquements d’individus ou de petits
groupes ?
Force est d’admettre qu’il s’agit d’un fait global. C’est bien ainsi que le
subit la population qui connaît à la fois les bombardements, l’épandage des
produits toxiques et les massacres. Ce crime global est le résultat d’une
cause globale, qui n’est autre que la stratégie adoptée, au plus haut niveau,
par les autorités américaines.
Depuis beaucoup plus d’un an, les journaux ne nous apportent plus les
nouvelles, fréquentes auparavant, de grandes opérations, baptisées de noms
surprenants, que lançait le corps expéditionnaire américain. Rarement, une
bataille de quelque ampleur est signalée ; très souvent les dépêches
d’agences ne parlent que d’engagements très localisés. Parfois, pendant
plusieurs jours, la grande presse ne mentionne aucun combat au Vietnam.
Aussi l’opinion a-t-elle eu tendance à croire que la guerre s’atténuait, au
moment même où elle s’intensifiait tragiquement.

En réalité, seule, la stratégie américaine a changé.


Le commandement américain tend désormais à diminuer l’ampleur et le
nombre des combats au sol, ayant renoncé à contrôler la majorité du
territoire. Par contre il s’efforce de mener une guerre essentiellement
aérienne, sans contact direct avec l’ennemi, exigeant avant tout un appareil
technique formidable, et destinée à écraser sans distinction toute la
population. « Le fantassin, dit la revue très officieuse, US News and World
Report, du 27 octobre 1969, est maintenu autant que possible en dehors des
combats. Beaucoup moins de troupes sont parachutées des hélicoptères
dans les zones où des forces communistes ont été repérées. A leur place, la
puissance de feu de la machine militaire US est mise en action. »
En relation avec cette stratégie le président Nixon a défini les lignes de
force de sa politique : retrait des troupes US et vietnamisation, mais retrait
partiel, échelonné sur une longue période, sans terme fixé. Les
commentaires autorisés ont souligné qu’il n’était pas question d’enlever la
totalité des troupes (le chiffre d’au moins 200000 hommes restant sur place
a été souvent cité) et il n’a jamais été fait allusion à un allègement
substantiel des forces aériennes.
Ainsi le retrait partiel et limité des troupes US correspond à cette volonté
de l’Etat-Major de diminuer, autant que possible, les combats au sol ; la
vietnamisation à la volonté de conserver la mainmise sur une partie
indispensable du territoire, en utilisant la méthode : faire combattre les
Asiatiques par des Asiatiques ; le maintien intégral de l’aviation, à la
volonté de poursuivre la guerre par l’intensification, sous toutes ses formes,
des bombardements et épandages de produits toxiques.
Nous sommes donc en présence d’un ensemble cohérent, politique et
stratégique, qui a pris forme et effet au cours des deux dernières années. La
question se pose alors : Pourquoi le choix d’une telle stratégie, d’une telle
politique ?

Pour ce nouveau pas de l’escalade, comme pour les précédents, en 1965


notamment, la raison est la même : c’est de l’échec d’une certaine façon de
mener la guerre que sort la nouvelle stratégie, cherchant à compenser les
revers essuyés par une aggravation des moyens de destruction mis en
œuvre.
La « guerre spéciale » de 1961 à 1964 avait abouti à un fiasco total (cf.
rapport Mansfield, 1965) ; pour surmonter cet échec fut déclenchée l’
« escalade » qui mettait en action deux éléments stratégiques nouveaux : les
bombardements sur la RDV et un corps expéditionnaire américain de
plusieurs centaines de milliers d’hommes, lancé directement dans le
combat. En 1968, l’échec de cette stratégie était évidente.
La défaite américaine du Têt, lors de la grande offensive des Forces
armées populaires de Libération, au printemps 1968, que sanctionna le
limogeage du général Westmoreland, a sonné le glas de la stratégie
offensive US. Le corps expéditionnaire américain n’avait pas réussi à briser
les forces du Front. Désormais, il ne fut plus question, dans les déclarations
de l’Etat-Major américain, de chercher à détruire le corps de bataille
ennemi. C’est une stratégie de repli sur les bases et les villes, une stratégie
défensive qui l’emporte avec le général Abrams.
La défaite de l’agression aérienne américaine contre la République
Démocratique du Vietnam a sonné le glas de l’espoir que nourrissait le
commandement américain de priver les combattants du Sud de leur grand
arrière qu’est le Nord, et d’entraîner l’écrasement du Front national de
Libération du Sud-Vietnam par l’écrasement de la RDV. En deux paliers, en
avril et en novembre 1968, le président Johnson, reconnaissant l’échec de
son offensive aérienne sur le Nord, arrêtait inconditionnellement les
bombardements sur la RDV.
En même temps, l’échec politique américain à Saigon devenait de plus en
plus patent. L’état de crise permanente dans lequel vivent les autorités de
Saigon atteint un degré que l’on aurait pu croire impossible. L’opposition à
la Chambre des députés, pourtant mal élus, dans des conditions qui en ont
fait la fable de la presse mondiale, est un des aspects, parmi tant d’autres,
du total isolement de l’équipe que les USA maintiennent au pouvoir. Ainsi
le but final de la politique américaine, installer à Saigon un gouvernement
pro-américain, ayant la situation bien en main sur l’ensemble, ou au moins
la majeure partie du territoire sud-vietnamien, apparaît de moins en moins
réaliste.

C’est dans cette situation d’échec généralisé sur tous les plans, au Nord,
au Sud, sur le plan militaire comme sur le plan politique, que la nouvelle
administration Nixon a défini sa politique et que s’est développée la
stratégie précédemment analysée.
Les crimes multipliés par les forces US sont en relation avec cette
situation. Les échecs enregistrés et les solutions de remplacement proposées
sont la cause fondamentale de ce redoublement d’horreur au Sud-Vietnam,
comme de l’extension de la guerre à l’ensemble de la péninsule
indochinoise.
En effet, de la politique de « vietnamisation » découlent, en particulier,
les crimes de l’ « Opération Phoenix » : pour pouvoir utiliser la population
au service des forces US et pouvoir l’enrôler massivement, « l’Opération
Phœnix » essaye d’éliminer les responsables patriotes. Sachant qu’il ne peut
pas vaincre les forces du Front, le commandement américain s’efforce
d’assassiner leurs cadres. Plusieurs dizaines de milliers de ces assassinats
étaient prévus, de trop nombreux ont été commis.
De la méthode qui consiste à employer les forces autochtones au service
de la politique US, et dont la vietnamisation est une application, découle
l’extension de la guerre au Laos (armée de Vientiane ; mercenaires de Vang
Pao) et de l’ingérence au Cambodge qui a pris une forme ouverte avec le
coup d’état du général Lon Nol, le 18 mars 1970.
De la volonté de tenir, coûte que coûte, certaines zones, d’autant plus
vitales qu’elles sont plus restreintes en nombre et en surface, alors que l’on
sait que dans son ensemble la population est hostile, découlent les
massacres comme ceux de Son My, Ba Lang An, opération « Tigre de
Mer », etc. Les zones à tenir absolument sont déclarées « zones de tir
libre », sont soumises aux bombardements en tapis, ou aux multiples effets
de la guerre chimique, la population est déportée ou massacrée.
L’importance de ces massacres dans les zones côtières montre bien la
relation qui existe entre ces horreurs et le repli de l’armée US. c’est-à-dire
la politique de retrait partiel des troupes américaines.
Enfin et surtout, de la stratégie de la « guerre d’en haut », ultime atout de
l’Etat-Major US, résultent évidemment les crimes des bombardements
massifs et sans distinction, de l’usage prépondérant des B. 52 lâchant leurs
bombes en tapis, ainsi que la généralisation de la guerre chimique.
Sans que rien ne soit enlevé à la responsabilité personnelle des
massacreurs de Son My, il est clair que l’origine des crimes américains au
Vietnam ne peut être trouvée au niveau de tel ou tel exécutant, mais bien
dans la stratégie employée, qui correspond à la politique définie par
l’Administration Nixon.
Mais une telle stratégie qui part d’échecs répétés pour aboutir à la
multiplication des crimes, n’est pas une preuve de force du colosse
américain, mais plutôt comme une sorte de fuite en avant d’un
commandement qui a perdu toute perspective de victoire, d’un
gouvernement qui se sait enlisé dans une guerre sans espoir, mais qui n’a
pas le courage de faire la paix.

Aussi une telle stratégie aboutit-elle, à des résultats exactement opposés à


ceux que se fixait la politique américaine.
Le massacre indistinct et inexpiable de la population suppose qu’on a
perdu tout espoir de rallier politiquement cette population. Or, le but même
de la guerre, d’après de multiples déclarations officielles, consistait à rallier
au moins une partie de la population afin de maintenir ce pays dans la
sphère d’influence des USA. Comment imaginer désormais le Sud-
Vietnam, labouré de plusieurs millions de cratères de bombes américaines,
dont plus de 40 % des rizières et des forêts auront été rendues stériles par
l’épandage de produits chimiques toxiques lancés par les avions américains,
frappé par la mort de centaines de milliers de ses habitants, comptant des
millions d’enfants handicapés, orphelins, etc., du fait de la guerre
américaine, comment un tel pays pourrait-il être demain un ami et un allié
des Etats-Unis ? Les moyens employés pour poursuivre cette guerre
détruisent toute possibilité de réaliser le but politique pour lequel elle est
menée. Quand une stratégie devient contradictoire des buts mêmes qu’elle
entend servir, on patauge dans l’absurde et la paix n’est possible que par un
renversement complet de la politique et de la stratégie.
A moins qu’il ne s’agisse de quelque effroyable grande manœuvre à tir
réel, pour mettre à l’épreuve la guerre de l’avenir ?
La question se pose quand on lit les lignes suivantes, qui sont
précisément de Westmoreland, occupant les loisirs que lui vaut son
limogeage à définir la stratégie de demain.

« J’envisage des champs de bataille, des zones de combat soumis 24


heures sur 24 ou presque à une surveillance de tous types ; j’envisage des
champs de bataille sur lesquels nous pourrons détruire tout ce que nous
repérerons, grâce à un système de transmissions instantanées et au
déclenchement quasi instantané d’une puissance de feu extrêmement
meurtrière. Je prévois un besoin continu de forces de combat extrêmement
mobiles pour contribuer à bloquer et à détruire l’ennemi ; sur le champ de
bataille de l’avenir, les forces armées seront localisées, prises en chasse et
visées presque instantanément grâce à la coordination des données, à
l’évaluation des renseignements par ordinateurs et par le contrôle
automatique du tir ; avec des probabilités de destruction, dès le premier
choc, qui approchent de la certitude ; et avec des engins de surveillance qui
peuvent permettre en permanence de guetter l’ennemi, le besoin de forces
nombreuses pour bloquer physiquement l’ennemi sera beaucoup moins
important... Dix ans tout au plus nous séparent de ces champs de bataille
automatisés. »
N’est-ce pas en fonction de ces perspectives que s’organise actuellement
le système militaire américain dans l’ensemble de l’Asie du Sud-Est ?
En arrière des bases continentales, que l’expérience montre fragiles et
précaires (Vietnam, Thaïlande), les Etats-Unis mettent en place, dans
l’ensemble du Pacifique et de l’Océan Indien, un chapelet de bases situées
dans des îles peu ou pas peuplées, ce qui résoudrait les problèmes de la
domination sur la population, et d’où pourront partir les bombardiers
destinés à écraser tel ou tel peuple. En tout cas, il est évident que les
militaires américains sont actuellement très intéressés par les enseignements
qu’ils peuvent tirer de la guerre du Vietnam et les expériences qu’ils
peuvent y faire. Ainsi apparaît une autre dimension des crimes américains
au Vietnam. Il s’agit de l’expérimentation, de caractère raciste, de nouvelles
armes, de nouvelles formules stratégiques, d’une forme de guerre : la guerre
chimique. Est-ce seulement le hasard de l’histoire qui est responsable si les
Etats-Unis ont essayé la bombe atomique sur le Japon, ouvrant ainsi l’ère de
la guerre nucléaire, et, aujourd’hui, font l’expérience de la guerre chimique
sur un autre peuple « de couleur », le peuple vietnamien, ouvrant ainsi l’ère
de la multiplication des armes de destruction massive ?
Quelles que soient les réponses que chacun, en son âme et conscience,
croira devoir donner, ces questions doivent, en tout cas, être posées, et
posées devant l’opinion publique internationale, le plus largement possible.

Mais ce qui ne relève malheureusement plus du domaine du doute c’est


la réalité de ces crimes et leur ampleur inégalée. L’opinion a-t-elle assez
pris conscience de leur ampleur et de leur caractère nouveau ?
Le crime global commis au Vietnam par les Etats-Unis est plus qu’un
génocide, il est un biocide. Un nouveau terme, un nouveau concept
juridique sont nécessaires pour le définir.
Le génocide est la tentative de détruire un groupe humain, en tant que tel.
Pour arriver à cette fin sur la population du Sud-Vietnam, les Etats-Unis ont
mis en œuvre des moyens plus énormes qu’il n’en avait été employé
jusqu’alors dans aucune guerre, eu égard à la surface du pays ou à sa
population. Mais les moyens ainsi employés vont au-delà du génocide.
En effet, non seulement ils s’attaquent à l’homme qu’ils cherchent à
détruire, mais à son entourage naturel, tendant à détruire toute forme de vie,
animale ou végétale, ce qui constitue le biocide.
Par ailleurs, les effets de ces moyens de destruction ne se limitent pas au
présent mais handicapent gravement l’avenir, mettant en marche des forces
incontrôlables et provoquant des phénomènes irréversibles. La
documentation réunie dans ce livre le montre avec certitude, les produits
chimiques toxiques ne limitent pas leurs effets à l’empoisonnement de
l’homme, ils tuent la végétation, détruisant, à jamais, l’équilibre écologique
existant, entraînant la stérilisation des sols, ainsi que leur irréversible
destruction par l’érosion. Ils provoquent pour la génération à naître, des
malformés et des monstres. Et dans chaque cas, les spécialistes sont
incapables de fixer des limites aux conséquences découlant, pour l’avenir,
des crimes commis aujourd’hui. Le gouvernement américain fait penser à
l’apprenti sorcier de la fable qui, déchaînant des forces infernales, était
incapable de les maîtriser par la suite.
Les crimes américains au Vietnam doivent donc être considérés dans leur
dimension réelle. Au-delà de l’horreur actuelle déchaînée sur ce coin de
terre qu’est le Sud-Vietnam, ils constituent une expérimentation de la
stratégie de destruction de masse, un cas typique de perversion de la
science, le début de processus incontrôlables dont l’aboutissement final
pourrait être la destruction même de l’humanité.
CE LIVRE PARAIT A L’OCCASION DU
RASSEMBLEMENT NATIONAL POUR
LE VIETNAM CONVOQUE LE 10 MAI
1970 A PARIS PAR 125
PERSONNALITES ET 44
ORGANISATIONS

Amicale des Veuves, Ascendants et Orphelins de Guerre


Association d’Amitié Franco-Vietnamienne
Association Française des Juristes Démocrates
Association pour le Désarmement Général et le Progrès Social
Association Républicaine des Anciens Combattants (A.R.A.C.)
Centre d’Etudes, de Recherche et d’Education Socialiste (C.E.R.E.S.)
Centre International d’Information
Christianisme Social
Collectif Intersyndical Universitaire d’action pour le Viet Nam :
— Syndicat National de l’Enseignement Supérieur (F.E.N.)
— Syndicat National des Chercheurs Scientifiques (F.E.N.)
— Syndicat National des Bibliothèques (F.E.N.)
— Syndicat National des Travailleurs de la Recherche Scientifique
(C.G.T.)
— Syndicat de l’Institut National de Recherche Agronomique (C.G.T.)
— Union Nationale des Etudiants de France. Comité de Paix des
Espérantistes Français Comité de soutien à la Résistance Vietnamienne
Comité National d’Action pour le Soutien et la Victoire du Peuple
Vietnamien Comité Régional Français de la Conférence Chrétienne
pour la Paix Confédération Générale du Travail (C.G.T.)
Confédération Syndicale des Familles
Convention des Institutions Républicaines (C.I.R.)
Equipe « Frères du Monde »
Fédération des Groupements d’Anciens Combattants et Victimes de Guerre
de la R.A.T.P.
Fédération des Groupes « Témoignage Chrétien » (T.C.)
Fédération des Résidences universitaires de France
La Jeune République
Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté
Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix (M.R.A.P.)
Mouvement de la Paix
Mouvement de la Jeunesse Communiste de France
Mouvement Mondialiste
Mouvement pour le Désarmement, la Paix et la Liberté (M.C.A.A.)
Parti Communiste Français (P.C.F.)
Parti Socialiste Unifié (P.S.U.)
Syndicat National de l’Enseignement du Second Degré (S.N.E.S.)
Tourisme et Travail
Union des Arts Plastiques (U.A.P.)
Union des Femmes Françaises (U.F.F.)
Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (U.J.R.E.)
Union des Vaillants et Vaillantes
Union Nationale des Comités d’Action Lycéens
Union Progressiste
— La C.F.D.T. a appelé le 15 avril ses adhérents et tous les travailleurs à
contribuer au succès du rassemblement.
Notes

1
Selon les sources, le nom du village et de ses hameaux varie : Son My ; My
Lai ; Tu Cung ; Truong An.

2
Appellation argotique employée par les soldats américains pour désigner les
Vietnamiens.

3
Bulletin du Bureau d’information du G.R.P. de la République du Sud-
Vietnam à Paris, N° 48, 4/10/69, pp. 7 à 10.

4
Bulletin du Bureau d’information du F.N.L. du Sud-Vietnam à Paris, N° 41,
16/8/69, p. 22.

5
Extrait du seul Bulletin (N° 64, 24/1/70) du G.R.P. de la République du Sud-
Vietnam à Paris.

6
Le récit de ce massacre a été publié dans le Bulletin du Bureau
d’information du G.R.P. de la République du Sud-Vietnam à Paris, N° 57,
6/12/69.

7
Déclaration de M. Nguyên Vàn Tiêu, chef-adjoint de la délégation du
G.R.P. de la R.S.V. à la 59e séance pleinière de la Conférence de Paris sur le
Vietnam, le 19/3/1970. Bulletin d’information du G.R.P. de la R.S.V., N° 72,
p. 7.
8
En anglais : Chemical Biological Warfare (C.B.W.).

9
« Santé publique et Armes chimiques et biologiques, O.M.S., Genève, 1970,
pp. 12-13.

10
« La guerre biologique est l’utilisation intentionnelle d’organismes vivants
ou de leurs toxines pour causer la mort, l’invalidité ou des dommages à
l’homme, l’animal ou la plante. La cible est l’homme, soit en causant la
maladie ou la mort, soit en détruisant ses ressources en nourriture ou ses
autres ressources agricoles. L’organisme humain doit poursuivre un
perpétuel combat pour se maintenir et se défendre, lui, les animaux et les
plantes en compétition avec les insectes et les micro-organismes. L’objet de
la guerre biologique est de détruire cet équilibre en distribuant délibérément
un grand nombre d’organismes dangereux ou leurs toxines, en cherchant à
utiliser les méthodes de dissémination les plus efficaces et les portes
d’entrée inhabituelles. » — Effets des armes biologiques, publié par le
Département d’Etat de la santé, l’éducation et du bien-être, juillet 1959.
Cité par Science, 13 janvier 1970.

11
Le sénateur Richard D. MacCarthy a déclaré que « nous avons été très près
d’utiliser l’armement biologique contre Cuba en 1962 ». (Weapons for
Counterins urgency).

12
D’après New York Review of Books, 25 avril 1968, Seymour M. Hersch et le
New Yorker, 7 février 1970 : Thomas Whiteside.

13
La circulaire T.C.3-16 du Quartier général de l’Armée américaine (avril
1969) sur l’emploi des agents de contrôle dans les opérations de contre-
guérilla conseille, à côté des défoliants et des herbicides, l’usage des
stérilisateurs du sol : Bromacile qui est livré sous trois formes, l’HYVAR X,
poudre contenant 80 % de bromacile, l’HYVAR XWS contenant 50 % de
bromacile, l’UROX B, liquide contenant 4 livres par gallon. L’UROX 22
est une substance comprenant 22 % de trichloracétate de monuron. Les
stérilisateurs du sol sont relativement stables une fois absorbés dans le sol ;
ils détruisent la végétation et peuvent empêcher toute repousse dans un
délai de quelques mois à plus d’un an. « Ils sont relativement non toxiques,
mais pendant leur manipulation, le masque à gaz doit être porté ».

14
Rapport Lavorel.

15
R.V. Boney et All Weeds, 15-1967-245.

16
F. Tschitley « Science » 163-1969-773.

17
Une autre observation sur les lieux a été faite en décembre 1969 par la
mission comprenant MM. Lavorel, Matarasso, Pfeiffer et Arthur Westling.
Cette mission a visité au Cambodge, dans la province de Kampong Chang
une zone de 70 000 hectares dont 10 000 plantés en héveas qui avait subi
les effets des produits chimiques toxiques (formule orange) au printemps de
la même année.
Huit mois après, les enquêteurs ont pu noter la défoliation des plantations
d’héveas, le retard apporté dans la montée de la sève et par conséquent la
perte économique grave subie par cette région (évaluation de 12 millions de
dollars) la modification des sols. Les registres de l’hôpital local montraient
une série d’affectations sans gravité : diarrhées, vomissements, mais pas
d’effets tératogènes.
D’après le compte rendu d’une mission d’information sur les épandages
fait par M. Lavorel, directeur de Recherches au C.N.R.S., directeur du
laboratoire de photosynthèse du C.N.R.S. de Gif, à la Journée d’études du
21 février 1970 à la faculté des sciences d’Orsay (Centre international
d’information pour la dénonciation des crimes de guerre).

18
En 1965, l’industrie chimique américaine a fabriqué 77 millions de livres de
produits herbicides et défoliants.
19
D’après Science, American Association for the Advancement of Science,
21/1/66, vol. 151, N° 3708.

20
Science, 21/1/66, vol. 151, n° 3708.

21
Les informations que nous publions sont tirées de l’article du professeur
Pfeiffer paru dans la revue scientifique américaine Scientific Research, du
9.6.69 et du 23.6.69.

22
D’après Congressional Record, février 1969, p.E. 794 et New Yorker du 7
février 1970. — The Science World du 10 nov. 1969.

23
Dépêche publiée par Le Monde en date du 19-20 mars 1970, le Pentagone,
tout en déclarant qu’il n’était pas prouvé que le 2,4,5-T provoquait des
malformations congénitales parmi la population sud-vietnamienne a décidé
de suspendre l’emploi opérationnel du « produit Orange ». Plus de 13
millions de litres de produit orange ont été déversés sur 5 millions
d’hectares au Sud-Vietnam pendant l’année 1969.

24
La brochure « Santé publique et armes chimiques et biologiques », éditée
par l’Organisation mondiale de la santé, déclare, p. 12 : « Il est impossible
de tracer une ligne de démarcation entre agents létaux et agents
incapacitants, car ces derniers peuvent provoquer la mort dans certaines
circonstances : très jeunes enfants, personnes âgées, personnes affaiblies par
la malnutrition ou la maladie ou en cas d’exposition aux concentrations
élevées qui se rencontrent dans les espaces clos. »

25
Roger Coutill, Defending the Empire : « U.S. Counter-insurgency
Research », ch. VII.

26
Seymour M. Hersch, Chemical and Biological Warfare : America‘Hidden
Arsenaal », Ancor, 1969, p. 29.

27
Cité par Seymour M. Hersh, On Uncovering the Great Nerve Gas Cover-
up, Ramparts, juin 1969.

28
Le Zyklon B, qui a servi dans les camps hitlériens à massacrer des millions
de déportés, était présenté primitivement comme un désinfectant, comme un
insecticide, comme un produit utile pour la dératisation. L’analogie avec
l’utilisation actuelle des gaz, des herbicides et des défoliants au Vietnam est
frappante.

29
Voir Interavia, revue internationale de défense, n° 3, 1967, « L’armement
des troupes américaines au Vietnam », pp. 256 à 261.

30
Le Monde, 16.9.66.

31
Nouvel Observateur, 30.11.66, « Les chiffres de la terreur ». « Un seul de
ces vols a la même puissance destructive qu’un raid de 200 superforteresses
pendant la Seconde Guerre mondiale. »

32
Le Monde, 7.4.67.

33
Nous n’avons pas mentionné dans cette énumération le F. 111, biplace de
combat biréacteur à géométrie variable, le plus moderne des avions
américains, dont l’usage dans les bombardements contre le Nord-Vietnam a
été stoppé par les pertes qu’il a subies.

34
Interavia, Revue internationale de défense, n° 5, 1966, pp. 569 à 573.
35
Le Dr Carpentier, de l’Association médicale franco-vietnamienne, de retour
du Cambodge où il a eu contact avec des médecins du Service de Santé du
G.R.P. du Sud-Vietnam, a déclaré le 17.3.70, lors d’une conférence sur la
guerre chimique, que ces moyens de détection permettent de repérer
notamment les hôpitaux (concentration humaine, allées et venues, etc.).
Ceux-ci « tiennent » deux à trois semaines et sont ensuite bombardés.

36
Le Figaro, 26.8.69, Max Clos, « Vietnam, la porte étroite de la Paix ».

37
Internationl Herald Tribune, 15.10.69.

38
Souligné par nous (N.D.L.R.).

39
Ce qui n’empêchera pas, d’ailleurs, de multiples violations de se produire.
Du 1er novembre 1968 au 1er novembre 1969, l’aviation américaine
effectuera 10 000 vols de reconnaissance et 300 raids — dont 40 avec des
B. 52 — sur le territoire de la R.D.V. ; en février 1970, 130 bombardements,
chiffre triple de celui de janvier.

40
Selon le secrétaire d’Etat américain Clifford, en janvier 1969. Un
rapprochement entre les informations de l’agence de presse du G.R.P. du
Sud-Vietnam et les agences occidentales — américaines notamment — fait
en général apparaître un très faible écart entre les chiffres cités.

41
Ces chiffres fournis par le Pentagone (et donc peu susceptibles d’être
exagérés) représentent déjà une augmentation de 12 % par rapport à la
quantité précédemment déversée sur la totalité du Vietnam. Ces chiffres ont
été confirmés le 25 avril par le secrétaire à la Défense Melwyn Laird. Il
n’est pas inutile de rappeler qu’à cette époque, la présidence de Nixon dure
depuis 4 mois et que le candidat Nixon s’écriait le 14 octobre 1968 devant
les caméras de télévision de la Floride : « Je veux m’asseoir à cette T.V.
pour vous dire : « élisez-moi et je mettrai fin à cette guerre en six mois »
(U.P.I., 14.10.68).

42
Une partie de ces hélicoptères (3 500 en moyenne) est affectée à l’épandage
des produits toxiques et à l’attaque à basse altitude, au moyen de roquettes
ou de napalm. 72 % affectées au transport de troupes effectuant mensuelle
300 000 heures de vol, ce qui représente le déplacement de 333 000
hommes et de 100 000 t de munitions (sources : Los Angeles Time, 18.6.69).

43
A.F.P., 1.1.1969.

44
La moyenne des attaques par B. 52 en juillet dépasse celle des six mois
précédents (U.P.I., 30.8.69) et ces attaques totalisent en 40 jours (1er
juillet — 15 août) un tonnage équivalent à celui des années 1962-1963 sur
le Sud.

45
Dont Tay Ninh, Binh Long, Phuoc Long, Binh Thuanh.

46
Deux sièges qui durèrent chacun près de deux mois.

47
A.F.P., 1er janvier 1969.

48
Chaque mission de B. 52 comprend de 3 à 12 appareils, chargés chacun de
30 t d’explosifs. Le Sud-Vietnam = 170 000 km2, soit moins d’un tiers de la
France.

49
Les F. 4 « Phantom » et les « Thunderchief » F. 105 transportent, déjà, de 5
à 7 t.

50
Correspondant à une série record de bombardements par B. 52 (voir point
3).

51
Au cours de la période 1964 à 1966, on estimait généralement que le
nombre d’obus américains tirés en ces deux ans était équivalent à celui que
l’armée américaine avait utilisé au cours de toute la Seconde Guerre
mondiale. Depuis, l’ampleur des bombardements de ce genre s’est accrue
au même rythme que les autres opérations.

52
L’acre anglaise, généralement utilisée dans les estimations, équivaut à 40
ares et demi.

53
Selon la nature des terrains, une bombe de B. 52 fait un cratère qui peut
atteindre jusqu’à 30 m de diamètre et 9 m de profondeur.

54
J. Scheel a décrit une opération de ce genre dans Le Village de Bensuc Paris,
1967.

55
New York Times du 20.10.67. Le Dr E. Wulff — qui a séjourné pendant 6
ans au Vietnam — avance le chiffre de 4 millions (in. Tribunal Russell, II,
p. 309).

56
Jean Bertolino, Vietnam sanglant, Stock, 1968, p. 86.

57
Dans une conférence de presse tenue à Paris le 19.12.69, Mlle Phan Thi
Lien, rescapée du massacre de Ba Lang An, a raconté comment sa mère
avait péri dans un camp aménagé au milieu des dunes de sable sans abri ou
presque pour se protéger de l’insolation et des intempéries (voir chapitre
« Les Massacres »).

58
Ibid.

59
Ces pourcentages et nombres proviennent de l’Institut national de la
Statistique, Saigon.

60
« Il semble que l’ennemi le plus obstiné du Sud Vietnam n’est pas le
Vietcong mais l’inflation » (New York Times du 4.5.1966).

61
Công Luân du 12.8.1968.

62
Bulletin d’Information du GRP du Sud Vietnam, n° 21 du 28.9.1969, p. 16.
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2012.
Table des matières
1. Couverture
2. Présentation
3. Page de titre
4. Sommaire
5. Au lecteur
6. Première Partie
1. Les massacres de population
1. 1°) Son My.
2. 2°) Le contexte de Son My.
3. 3°) Mille Son My.
1. Massacre de Ba Lang An.
2. Massacre de Go Su.
3. L’opération « Tigre de Mer ».
7. Deuxième Partie
1. La guerre chimique
1. I. — L’accusation vietnamienne
1. -
1. A. — Desseins et procédés des impérialistes
américains relatifs à la guerre chimique qu’ils
mènent au Sud-Vietnam.
2. B. — Actions d’épandage de produits chimiques
toxiques dénommés « herbicides » par les
Américains.
1. DOCUMENTS ANNEXES
1. I - Effets directs des produits chimiques
toxiques dénommés « herbicides » sur
les céréales et les arbres fruitiers. Dégâts
subis par le district d’An Lao (Binh
Dinh) à la suite d’épandages de produits
chimiques par les Américains.
2. II - Symptômes pathologiques d’un
intoxiqué par les produits chimiques
2. III
3. C. — L’emploi des gaz toxiques.
4. D. — Conclusion
1. DOCUMENT ANNEXE
1. I - Statistiques incomplètes des
épandages de gaz toxiques en 1969.
2. II - Statistiques incomplètes des
épandages de produits chimiques
dénommés « herbicides » en 1969.
2. II. — Les données d’origine américaine
1. Introduction.
2. Historique.
1. A) DEFOLIATION.
2. B. — LA GUERRE ANTIRECOLTES
3. C. — LES EFFETS SUR LA DESCENDANCE
DE L’HOMME (Effets tératogènes)
4. D. — GAZ TOXIQUES
1. Les stations d’étude de la guerre chimique et
bactériologique
8. Troisième Partie
1. Bombardements. Expérimentation. Effets sociaux.
1. A. — LES ARMES. LE VIETNAM, CHAMP
D’EXPERIENCE
1. L’aviation (U.S. Air Force).
2. Les hélicoptères.
3. Matériels et appareils spéciaux.
4. Un véritable arsenal.
2. B. — LES BOMBARDEMENTS
1. Une stratégie calculée. Vers le biocide ?
1. 1. — A partir du 1er novembre 1968, l’agression
aérienne contre le Sud va sans cesse augmenter
d’intensité
2. 2. — L’agression aérienne contre le Sud va
augmenter en puissance de feu et mettre en œuvre
des armes nouvelles
3. 3. — L’augmentation d’intensité des
bombardements par B 52 seulement est parallèle à
une concentration de feu sur des surfaces très
réduites
4. 4. — Les B 52 sont « aidés » par l’aviation
tactique dont le rôle n’est pas négligeable
2. En guise de conclusion
3. Personne ne peut plus vivre dans ce cauchemar
3. C. — CONSEQUENCES SOCIALES ET MORALES DE
L’OCCUPATION AMERICAINE
9. CONCLUSION
10. CE LIVRE PARAIT A L’OCCASION DU RASSEMBLEMENT
NATIONAL POUR LE VIETNAM CONVOQUE LE 10 MAI 1970 A
PARIS PAR 125 PERSONNALITES ET 44 ORGANISATIONS
11. Notes
12. Copyright d’origine
13. Achevé de numériser

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