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Rousseau André. La famille des langues germaniques. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 90, fasc. 3, 2012.
Langues et littératures modernes. Moderne taal en letterkunde. pp. 775-808;
doi : https://doi.org/10.3406/rbph.2012.8262
https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_2012_num_90_3_8262
André Rousseau
Introduction
Revue Belge de Philologie et d’Histoire / Belgisch Tijdschrift voor Filologie en Geschiedenis, 90, 2012, p. 775–808
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(1) Il faut reconnaître que les deux hypothèses ne sont peut-être pas aussi inconciliables
qu’il y paraît.
La famille des langues germaniques 777
sur la côte entre Oder et Weser. Puis on suit l’extension de cette civilisation
à travers la grande plaine européenne : vers 1000 avant J.C. elle s’étend de
l’Ems à la Poméranie centrale ; vers 800, elle atteint la Westphalie à l’ouest
et la Vistule à l’est ; vers 500, elle aborde le Rhin inférieur, la Thuringe, la
Basse-Silésie. » (2)
On peut également se fonder sur des critères linguistiques, concernant des
mots lexicaux communs entre plusieurs familles issues de l’indo-européen :
Le lexique témoigne d’emprunts dans les deux sens, c’est-à-dire faits par les
Germains à d’autres langues ou faits par d’autres langues au germanique, et
permet de mieux localiser l’aire linguistique germanique et ses déplacements.
a) Des emprunts au germanique ont été faits par les Lapons et les Finnois
au nord ; ils représentent la forme la plus archaïque du germanique : finnois
kuningas « prêtre » en face de v. isl. konungr, vha chuning, v.a. cyning, v.
sax. kuning ; finnois rengas « anneau » en face de v. isl. hringr, vha (h)ring,
v.a. et v. sax. hring (3) ; finnois äiti « mère » et got. aiþei « id. » ; finnois taika
« magie » et got. taikn « signe » ; finnois kana « poule » et got. hana « coq » ;
finnois pelto « champ » et vha, v. sax. feld « id. » ; finnois leipä « pain » et
got. hlaifs « id. ».
b) Plus au sud, les contacts ont existé entre Germains et Italiques à l’âge
du Bronze (3ème et second millénaire avant J.C.) ; ils sont illustrés par un
mot identique pour le « bronze » : lat. aes et got. aiz. Italique et germanique
présentent un certain nombre de formes identiques dans le lexique et même
en morphologie, toutes antérieures à la première mutation consonantique :
lat. tacere « se taire » et got. þahan « id. » ; lat. farina et got. barizeins
« préparé à partir d’orge » ; lat. haedus « bélier » et got. gaits « chèvre ».
Des correspondances surprenantes existent pour le vocalisme de parfait :
lat. edo, ēdimus et got. itan, ētum ; lat. sedeo, sēdimus et got. sitan, sētum.
Les Germains ont emprunté de nombreux termes aux Italiques : lat. ulmus
« orme », v. isl. almr ; lat aqua, got. ahwa « eau » ; lat. saxum « rocher » et
vha sahs « épée » (4) ; lat. crates « haie, tresse », got. haurds « porte tressée »..
c) De même, d’autres contacts se sont noués entre Germains et Celtes à
l’âge du Fer (1er millénaire avant J.C.) , concrétisés par un même mot pour
le « fer » : gaulois îsarno et got. eisarn, sans rapport par exemple avec lat.
ferrum. Les principaux emprunts sont : gaulois ambactus « serviteur », got.
andbahts ; v. irl. oeth, got. aiþs « serment » ; celt. sep- « suivre », got. siponeis
« disciple » ; v. irl. lethar, vha lëdar « cuir » ; gaulois celicnon « tour », got.
kelikn « id. », etc.
Il semble même possible qu’il ait pu exister une aire linguistique commune
italique / celtique / germanique, qui serait identifiée par des items communs
pour certains mots, comme : lat. mentum « menton », gall. mant «mâchoire»,
got. munþs « bouche », etc.
d) A la même époque, il y a eu des contacts entre Germains et Baltes,
après retrait des Venètes, comme en témoigne la formation de certains
(8) comme cela est rapporté dans Hávamál de l’Edda aux strophes 138 et 139 : « Je
sais que j’étais pendu à l’arbre agité par le vent, neuf nuits durant, blessé par l’épieu, offert
à odin, moi-même à moi-même, à l’arbre puissant, dont personne ne sait à partir de quelles
racines il a poussé. on ne m’offrit ni coupe ni pain comme réconfort. Mon œil scrutait vers
le bas, gémissant, je levais, je levais les runes vers le haut, tombant ensuite sur le sol. »
(trad. par A. Rousseau)
(9) en fait, nous ignorons totalement les conditions dans lesquelles cet alphabet a été
fabriqué.
780 A. Rousseau
• l’alphabet latin, élargi par des signes diacritiques, a été utilisé par
les moines des couvents et des abbayes pour noter les différentes langues
germaniques du Haut Moyen Age. A vrai dire, comme l’alphabet latin se
prêtait assez mal à reproduire les sons d’une langue germanique, les scribes
ont été conduits à avoir recours à des solutions de fortune :
· employer les mêmes lettres pour transcrire des sons différents ;
· utiliser des groupes de lettres pour reproduire un son phonétiquement
simple ;
· ajouter des signes distinctifs, dits ‘diacritiques’, à certaines lettres ;
· ou encore ne pas noter certains sons ;
· user occasionnellement de caractères nouveaux, comme c’est le cas
à propos de certaines constrictives : ainsi la constrictive interdentale
sonore est notée <ð> dans le Hildebrandslied (ca 800).
Ces principes, nés de l’empirisme, ont été appliqués aussi bien aux
consonnes qu’aux voyelles :
. pour les consonnes, la notation des constrictives pose problème :
/ f / est rendu par < f, v, u >, comme dans faran, varan, uaran ;
/ þ / ou / ð / est noté < th, dh > en francique, comme dans thionōn ;
/ χ / est partout noté < h >, indiquant soit [h] aspiré à l’initiale de mot
ou de syllabe, comme dans hano « coq », sëhan « voir », soit [x] à la finale,
à l’intervocalique et devant <s, t> : sah, naht, sehs, lahhën.
. pour les voyelles, les manuscrits indiquent mal la qualité ou timbre :
ainsi < e > note aussi bien [e] que [ë] ; et aussi la quantité : la longueur
vocalique est marquée soit par le redoublement (scoldii dans l’Isidore,
leeran [= lēran]), soit par l’emploi d’accents, notamment l’accent
aigu – selon l’habitude anglo-saxonne –, et l’accent circonflexe, employé
régulièrement chez Notker.
L’écriture originelle des Germains, les signes runiques, avait une fonction
épigraphique et se prêtait mal à la notation d’un texte continu d’une certaine
longueur (10) ; l’alphabet gotique a été créé ponctuellement pour la traduction
de la Bible. Ne restait alors plus qu’une seule possibilité, l’adoption d’un
nouvel alphabet et c’est tout naturellement que les moines se sont tournés
vers l’alphabet latin, en l’élargissant.
Nous savons par l’Histoire des Goths de Jordanès (11) que ceux-ci
possédaient une poésie héroïque, dont nous retrouvons des traces dans les
figures étymologiques (cf. wulfos wilwandans « des loups dévorant » Mt 7, 15)
figurant dans la Bible de Wulfila et héritées de la poésie indo-européenne.
L’existence de cette poésie héroïque ancienne est confirmée par les grands
ou petits poèmes héroïques attestés en germanique médiéval : Beowulf,
Hildebrandslied et l’Edda.
Le premier grand texte sur lequel s’appuie toute notre connaissance
du germanique est la traduction de la Bible entreprise sous la direction
de Wulfila (12) (311-383), évêque des Goths, vers le milieu du 4ème siècle
de notre ère. Nous n’en possédons plus que des fragments très importants
comprenant notamment la majeure partie des quatre évangiles et des lettres
pauliniennes ; le manuscrit contenant cette traduction est appelé Codex
Argenteus (C.A.), écrit en lettres d’argent sur fond pourpre. Conservé actuel-
lement à la Bibliothèque Universitaire d’Uppsala, la Carolina Rediviva,
après une histoire très mouvementée, il date du début du 5ème siècle et vient
d’Italie du Nord et, comme il s’agit d’un exemplaire luxueux, il pourrait
avoir appartenu à Théodoric lui-même (454-526).
C’est une traduction de la Bible d’après un original grec lui-même perdu,
le texte figurant en regard étant une reconstitution vraisemblable, fondée sur
le principe du mot-à-mot. On comprend dans ces conditions qu’il est délicat
d’étudier la syntaxe de position. Et cela d’autant plus qu’une traduction
biblique devait respecter impérativement l’ordre des mots qui fait partie de la
piété due au texte sacré, mais les traducteurs goths avaient cherché à traduire
le sens en respectant la lettre du texte, et cela bien avant la célèbre Lettre à
Pammachius (LVII), de 395 ou 396, de Saint Jérôme (342-420) qui formule
le principe non verbum e verbo, sed sensum exprimere de sensu, c’est-à-dire
« ce n’est pas un signifiant à partir d’un signifiant, mais un signifié par un
signifié qu’il faut exprimer ».
Le texte du C.A. se présente comme un continuum sans séparation en
mots, mais avec des coupures marqués par un point au milieu de la ligne ou
par deux points ; il s’agit d’une division en cola, correspondant à des groupes
rythmiques. Toutes les éditions habituelles, normalisées selon des critères
modernes de ponctuation, sont donc anachroniques et la recommandation
de J.W. Marchand est tout à fait justifiée : « the only correct approach to the
Gothic is through the manuscripts ». (1957 : 234).
(13) Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes.
Leipzig, 1878.
(14) Cf. J. Fourquet : Les mutations consonantiques du germanique. Paris, Les Belles
Lettres, 1948
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Les autres verbes sont non-intégrés et forment leur prétérit par redouble-
ment : slēpan, saislēp « dormir »; lētan, lailōt « laisser » ; hwōpan, hwaihwōp
« se vanter ».
font naturellement appel au premier type de cas, renouvelés parfois par des
prépositions.
Le datif germanique est surchargé de fonctions, car il est engagé dans
trois modèles casuels avec des valeurs différentes :
• il indique l’origine dans le modèle ‘acc. dat. (= abl.) prédicat’ :
andwasidedun ina paurpurai (Mc 15, 20) « ils le déshabillèrent à partir
de la pourpre »
• il marque l’instrument ou le moyen dans le modèle ‘acc. dat. (= instr.)
prédicat’ :
gawasidedun ina paurpurai (Mc 15, 17) « ils l’habillèrent avec de la
pourpre » ;
• il exprime la destination dans le modèle ‘acc. dat. prédicat’ :
þanei ik insandja izwis fram attin « celui que je vous envoie de la part
du Père ».
Il existe aussi la trace d’une construction ancienne au double datif, mais
le cas n’apparaît plus sur l’infinitif germanique devenu invariable :
warþ þan gaswiltan þamma unledin (L 16, 22) « il arriva au pauvre de
mourir ».
Le modèle précédent était en outre convertible par modification des
objets, en conservant le prédicat :
• le modèle ‘acc.1 dat. (= instr. ou abl.) prédicat :
þana stainam wairpandans (Mc 12, 4) litt. « le jetant avec des pierres »
(= le lapidant)
• le modèle ‘dat. acc.2 prédicat’ :
hlaib barne […] hundam wairpan (Mc 7, 27) “jeter le pain des enfants
aux chiens”
Les croisement de ces deux modèles donne naissance à deux autres
modèles :
• le modèle à double accusatif ‘acc.1 acc.2 prédicat’ :
laisida ins in gajukom manag (Mc 4, 2) „il leur enseigna beaucoup en
paraboles“
• le modèle ‘dat. gén. (= abl.) prédicat’ dans lequel l’accusatif est exclu de
la marque d’objet : ni was im barne (L 1, 7) « ils n’avaient pas d’enfants ».
• L’énoncé complexe : L’expression de la ‘subordination’ en germanique
se cristallise sur la particule, enclitique ou non, got. –ei, qui forme un micro-
système avec deux autres particules, également enclitiques : -u « ou » (d’où
son emploi fréquent comme interrogatif), -uh « et » et « si » (18). Le sens
de cette particule ancienne -ei, provenant directement de l’i.-e. *yo- (19), est
« si », comme dans l’exemple suivant de la Bible gotique :
hwileiks ist sa, ei jah windos jah marei ufhausjand imma ? (Mt 8, 27)
„quel est celui-ci, si à la fois les vents et la mer lui obéissent ?“
La construction ancienne de l’énoncé complexe est une construction
de nature corrélative, se présentant immuablement dans l’ordre protase +
apodose :
(18) ce n’est pas un accident si ces trois particules sont les « connecteurs forts » de la
logique.
(19) comme l’a fort justement démontré Eric Hamp (1974 &1976)
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(20) le gotique que nous connaissons est la langue des Wisigoths, qui ont bâti de
vastes empires en Gaule (Toulouse) en en Espagne. Mais les Ostrogoths ont édifié sous
Théodoric en Italie le royaume de Ravenne et ils utilisaient la Bible de Wulfila. Il s’agit
donc globalement de la langue des Goths, sans différenciation dialectale notable, comme
le reconnaissent Georg Baesecke (1930) et G.W.S. Friedrichsen (1939), se fondant l’un et
l’autre sur Procope (De bello Vandalico I, 2).
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(21) Le mot got. barn a survécu dans les langues scandinaves pour la désignation de
l’ « enfant » et le mot barms est attesté vraisemblablement par l’anglais bosom « sein » et
l’allemand Busen « id. »
(22) cf. A. Rousseau (1989)
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(27) Les Langobards étaient ainsi désignés parce qu’ils portaient de ‘longues barbes’
(all. Langbärte)
(28) le gotique s’est toutefois maintenu comme langue de communication entre les
Goths en Crimée jusqu’à l’extrême fin du 18ème siècle ; les témoignages probants de cette
langue ont été recueillis par Busbecq (cf. Rousseau, 1991)
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(29) nous nous fondons, après la découverte de la ‘loi de Wackernagel’ (1892), sur la
reconstruction magistrale d’Emmanuel Laroche « Comparaison du louvite et du lycien »
(BSL 53, 1957-58. pp. 159-197 ; de son côté, C. Watkins est parvenu à des résultats
identiques dans ses articles, notamment : « Preliminaries to a Historical and Comparative
Analysis of the Syntax of the Old Irish Verb » in : Celtica 6, 1963. pp. 1-49.
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germ. *þakjan > vha decchen. Cette évolution s’explique par un déplacement
de la limite syllabique à partir du moment où sonantes et liquides ont cessé
d’exercer une fonction de centre syllabique ;
• la seconde mutation consonantique du 7ème et 8ème siècle spécifie le
‘haut-allemand’ et donne naissance à des affriquées (angl. apple et vha
apful ; angl. sit et vha sizzen) et à de nouvelles constrictives (angl. hope et
all. hoffen) ; elle aboutit à une nouvelle répartition des consonnes entre des
‘fortes’ simples ou géminées (mha rûpe et sippe) et des ‘douces’ toujours
simples (mha lëben et legen).
également six cas locaux (Locatif, Allatif, Illatif, Ablatif, Elatif, Perlatif)
parfaitement attestés sur les déictiques spatiaux (got. her, þar, þana, etc.).
La flexion verbale distingue, toujours selon la terminologie de Grimm,
des verbes « forts », caractérisés par des séries apophoniques qui créent des
alternances vocaliques (1. got. steigan, staig, stigum, stigans « monter » ; 2.
biudan, bauþ, budum, budans « offrir » ; 3. wairpan, warp, waurpum, waurpans
« jeter » ; 4. niman, nam, nēmum, numans « prendre » ; 5. giban, gaf, gēbum,
gibans « donner » ; 6. faran, fōr, fōrum, farans « aller ») et dont certains
conservent le redoublement (7. got. haitan, haihait, haitans « appeler » ;
lētan, lailōt, lētans « laisser ») et des verbes « faibles », caractérisés par la
présence d’un suffixe (1. got. nas-jan « sauver », 2. salb-ōn « oindre » ; 3.
hab-an « avoir » ; 4. full-nan « se remplir »). On prétend souvent que le
germanique a créé les verbes faibles, or le védique possède déjà un causatif
(donatif) : vardháyati « il fait croître ».
Cette flexion verbale s’est assez bien conservée dans les langues
modernes, où l’on oppose encore, comme dans les grammaires de l’allemand,
des verbes forts à des verbes faibles (30) ; mais la grammaire anglaise a déjà
anticipé sur la tendance et inversé le sentiment linguistique en distinguant
des verbes ‘réguliers’ (les anciens verbes ‘faibles’) et des verbes ‘irréguliers’
(les anciens verbes ‘forts’).
(30) cette terminologie, inventée par Jacob Grimm, ne possède plus de motivation,
mais elle est consacrée par la tradition grammaticale.
(31) Cf. § I.7. 7
(32) cf. J. Fourquet (1938) : L’ordre des éléments en germanique ancien. Etudes de
syntaxe de position. Paris, Les Belles Lettres
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l’ordre I have seen Peter et Jag har sett honom « je l’ai vu ». L’anglais a
définitivement éliminé l’ordre SOV qui caractérisait la position des pronoms
en vieil-anglais, comme en français moderne : He hine ofsloh / Il le tua.
Ainsi, l’anglais a ouvert la voie à la suppression des cas que connaissait
encore le vieil-anglais ; ceux-ci disparaissent au profit de marques de position
et ensuite de prépositions :
I gave my friend a book
I gave a book to my friend “j’ai donné un livre à mon ami”
La situation est exactement du même ordre en suédois :
Han schickade henne vackra blommor
Han schickade vackra blommor till henne « Il lui a envoyé de belles fleurs »
Le processus est le même pour le groupe nominal anglais : in my friend’s
house > in the house of my friend.
La syntaxe de l’énoncé en allemand moderne repose sur un certain nombre
de modèles casuels et prépositionnels, hérités pour la plupart du germanique
ancien, dont voici les principaux :
♦ modèle A
Accusatif Génitif Prédicat
jemanden des Verrats anklagen „accuser qq’un de trahison“
♦ modèle B
Accusatif Instrumental Prédicat
jemanden mit Waren (33) beliefern „livrer qq’un en marchandises“
Ces deux modèles sont susceptibles l’un comme l’autre d’être convertis dans
un même modèle, ‘passe-partout’, largement répandu dans la langue actuelle :
♦ modèle
Datif Accusatif Prédicat
jemandem den Verrat vorwerfen „reprocher à qq’un la trahison“
jemandem Waren liefern „livrer des marchandises à qq’un“
La convertibilité entre ces modèles est même assurée avec le même prédicat :
jemanden seines Vertrauens versichern
jemandem sein Vertrauen versichern.
Ces modèles sont solidement implantés dans la langue, ce qui est confirmé non
seulement par leur convertibilité réciproque, mais aussi par leur croisement :
♦ modèle C
Accusatif1 Accusatif2 Prédicat (34)
die Kinder die Grammatik lehren « enseigner la gram. Aux enfants“
♦ modèle D
Datif Génitif Prédicat (35)
sich der Gefahr bewußt sein „être conscient du danger“
(35) Ce modèle peut surprendre, car l’accusatif se trouve exclu de la marque de l’objet.
(36) ce qui fait remonter cet emprunt à l’âge de la pierre taillée, le paléolithique (à
partir de 180 000 av. J.C.)
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marque identique, comme c’est le cas dans all. die Fahr-t « le voyage » et er
fähr-t « il roule (en voiture) » ; ce –t final est d’origine indo-européenne, car
il est un des témoins d’un phénomène très ancien, celui de la naissance de
la conjugaison, lorsque la forme nominale, en i.-e. *-ti, est devenue la 3ème
personne verbale. Ce phénomène est fréquent dans certaines langues, par ex.
les langues amérindiennes : en hupa (Orégon) naňya signifie aussi bien « il
descend » que « la pluie », nilliň « il coule » et « le ruisseau », naxōwilloiε
« c’est attaché autour de lui » et « la ceinture ». (Benveniste Problèmes.de
linguistique générale. I p. 153).
(37) ce qui permet de d’entrevoir déjà que l’allemand pourrait se passer de genre !
(38) cela n’est valable que pour le germanique, car lat. nauta « matelot » est M.
(39) il ne semble pas qu’en germanique le duel existe en dehors de l’animé.
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Les formes de duel sont attestées en gotique pour les déictiques personnels
(wit « nous deux » et pour les formes verbales car celles-ci peuvent être
dénuées de sujet (ni wituts « vous deux, vous ne savez pas »). En germanique
médiéval, le duel n’existe que pour les déictiques personnels en v. angl., en v.
saxon, en v. isl., mais en v.h.a. seulement chez Otfrid (III 22, 32 = J 10, 30).
(43) dans: Language, its Nature, Development and Origin (Londres, 1922)
(44) cf. A. Rousseau (2001)
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Ces évolutions sont en cours : il est donc beaucoup trop tôt pour juger de
leur efficacité et de leurs conséquences, ce qui n’est possible que sur le très
long terme.
• La flexion nominale
Un des phénomènes caractéristiques est l’agglutination des marques
postposées du groupe nominal, qui concerne toutes les langues scandinaves
modernes. En suédois, par exemple, la forme d’un substantif au génitif
pluriel est la suivante :
flick - or - na - s
« fille » Pl. Art. déf. pl. GEN. « des filles »
alors que le nominatif ne présente pas de marque de cas : flick-or-na « les
filles ». Ce phénomène d’agglutination des marques est tout à fait comparable
à ce qui se passe en turc, langue réputée agglutinante – à ceci près que le turc
ne possède pas d’article, mais dispose d’un possessif :
ev - ler - im - den
« maison » Pl. Possessif ABL. «(en sortant)de mes maisons »
alors que le nominatif a une forme comparable à celle du suédois : ev-ler-im
« mes maisons ».
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