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d'anthropologie de Paris
Bloch Adolphe. De la race qui précéda les Sémites en Chaldée et en Susiane. In: Bulletins de la Société d'anthropologie de
Paris, V° Série. Tome 3, 1902. pp. 666-682;
doi : https://doi.org/10.3406/bmsap.1902.6078
https://www.persee.fr/doc/bmsap_0301-8644_1902_num_3_1_6078
Cette race qui précéda les Sémites élait une race noire, ainsi qu'il
résulte de l'étude anthropologique que nous avons faite sur ce sujet, en
dehors de la philologie proprement dite.
Il ne suffit pas de faire une élude comparative des deux langues,
sumérienne et sémitique, il faut aussi tenir compte des renseignements,
d'ordre anthropologique, que peuvent contenir les documents
cunéiformes, comme l'ont fait déjà en partie Sir H. Rawlinson (1869) et G . Smith
(1876) 2 qui sont arrivés ainsi à reconnaître qu'il existait en Chaldée deux
races différentes par la couleur de la peau.
Tel n'est cependant pas l'avis des autres assyriologues; aussi devons-
nous indiquer ici les termes employés à ce sujet par les Babyloniens,
ainsi que la traduclion qui est la même pour tous les assyriologues,
l'interprétation seule élant différente avec les auteurs.
Les têtes noires des textes cunéiformes. — On remarque d'abord, que dans
leurs textes cunéiformes, les Babyloniens et les Assyriens insistent très
souvent sur une race particulière appelée nisi zalmat ga-ggadu, c'est-à-
dire peuple aux têtes noires. Ainsi Sargon 1er de Babylone (3800 ans avant
l'ère chrétienne) qui était déjà un roi sémite, se donnait le titre de sou-
1 Lenormant et Babelon. — Hist. anc. de l'Orient. Paris, 1885, 9' édit. T. IV,
p. 64-65,
2 Smith (G.). — The Chaldean account of genesis. London, 1876.
ADOLPHE BLOGH. — LES SÉMITES EN CHALDËE ET EN SUSIÀNE 669
verain du peuple aux tètes noires, sans compter d'autres titres comme
celui de roi d'Accad et de Sumir, etc.
Dans une tablette où il raconte sa vie, Sargon se vante d'avoir subjugué
ce peuple noir : Quand un roi qui me succédera dans l'avenir gouvernera
(comme moi) les hommes à la tête noire
Sur une autre tablette l'on voit reparaître cette race noire à propos
d'une offense qu'on avait faite au dieu Anou, et l'on y raconte que ce
dieu pour se venger menaça le peuple de soulever contre lui la race aux
tètes noires * .
Trois mille ans après Sargon, un roi babylonien Merodak-Baladan II
(721-710) s'intitula encore roi des têtes noires.
Puis Ashourbanipal, roi d'Assyrie au vu0 siècle, se nomme aussi le
dominateur des têtes noires.
Un autre roi de Babylone, Nabukodonosor (604-561), en parlant de ce
même peuple, souhaite que ses descendants puissent toujours gouverner
les têtes noires2.
Enfin Cyrus, le grand roi de Perse et d'Elam, soumit également les
têtes noires, et le fait a été signalé sur un cylindre qui a été découvert il
n'y a pas longtemps à Babylone (1879) s.
On voit que la soumission de cette race noire était très appréciée, non
seulement par les rois babyloniens et les rois assyriens, mais encore par
d'autres conquérants.
Mais qu'est-ce que l'on entendait par tètes noires?
Lenormant et la plupart des auteurs assyriologues cherchent à
expliquer le sens de ces expressions en disant qu'elles s'appliquaient à
l'humanité en général, sans spécifier une race particulière.
Mais voici un extrait des cunéiformes où il est encore question des
tètes noires, non pas à propos d'un roi, mais à propos d'un dieu, et qui
nous prouvera qu'il ne s'agissait nullement d'humanité en général.
Hymne au dieu Maroudouk, — «L'ensamble des hommes à la tète noire.
« Tous les êtres vivants désignés par un nom, qui existent à la surface
« de la terre.
« Les quatre régions dans leur totalité.
« Les archanges des régions du ciel et de la terre^ tous tant qu'ils sont.
« (te glorifient) toi4. »
Ce texte ne peut certainement pas s'expliquer dans le sens d'humanité
en général, puisque, outre les tètes noires, l'on y mentionne encore
d'autres êtres vivants.
Hommel croit que tête noire se rapporte à la chevelure des Sémites qui
la portaient longue, tandis que les Sumériens la rasaient complètement5.
peut remarquer qu'elle est saillante et étroite; ce n'est donc pas une tète
de touranien mongoloïde.
Les Assyriens, comme les Egyptiens, représentent fréquemment leurs
prisonniers de guerre sur les stèles triomphales, mais les captifs portent
presque tous le faciès sémitique des vainqueurs.
■
.
Sur certains bas-reliefs de Sargon II (722 ans av. J.G.) et d'Assourba-
nipal (668) l'on remarque des Elamites qu'on croit être une race semblable
à celle de nos Suméro-Accadiens, et que certains auteurs regardent comme
étant des Negritos. Mais ces Elamites n'ont pas le type négrito; ils ont
d'ailleurs une barbe très fournie et une longue chevelure bouclée, et ceux que
l'on considère comme tels ont plutôt le type grossier du la race
sémitique. L'on peut constater, en effet, d'après les sculptures, qu'il existait chez
les Babyloniens deux variétés parentes, un type lin et un type grossier1.
Dans le type grossier, le nez, tout en étant busqué, comme chez tous
les Sémites, est plus gros du bout et moins saillant; les lèvres sont
épaisses et l'ensemble de la face paraît moins distingué que dans le type
fin, mais les cheveux et la barbe, tout en paraissant plus courts, sont auss
abondants et aussi bouclés que dans le type fin, ce qui ne serait pas le
cas des Negritos.
Les Kouschites des textes hébraïques. — D'autres peuples de l'antiquité
ont également fait mention d'une race étrangère qui aurait précédé les
Sémites en Mésopotamie.
Ainsi le chapitre X de la Genèse hébraïque, qui contient la généalogie
des peuples de l'époque et que nous signalons exclusivement à titre de
document historique et ethnographique, nous apprend que Nimroud,
qui fut le fondateur de Babylone, d'Accad, de Ninive, etc., était fils de
Kousch et par conséquent petit-fi!s de Cham.
Les termes légendaires employés par le rédacteur de la Genèse pour
nous faire connaître cette tradition, démontrent bien que la fondation de
Babylone était fort ancienne du temps des Hébreux et qu'elle se perdait
déjà dans la nuit des temps; mais en considérant que Sem, Cham et
Japhet sont des noms de peuples, nous pouvons conclure des indications*
fournies par ce chapitre X, que les fondateurs de Babylone n'étaient pas
des Sémites mais des Kouschites.
Notons aussi que Nimroud s'est avancé du sud au nord et non du nord,
au sud, puisqu'il a d'abord fondé Babylone, puis Ninive.
Cham est un nom qui a pour racine, en hébreu, un mot qui signifie
brûlé, noir, ce qui indique déjà que les descendants de ce Cham devaient
être de couleur plus ou moins foncée. ;
Maintenant nous devons chercher à savoir ce que l'on entendait par
Kouschites dans l'antiquité.
Ni le livre de la Genèse, ni aucune autre partie du Pentateuque ne
apprend que la chevelure des Éthiopiens d'Asie était lisse au lieu d'être
crépue comme celle des Éthiopiens d'Afrique 3.
Homère paraissait également connaître des Ethiopiens d'Asie puisqu'il
divisait les Éthiopiens en deux parts dont l'une, disait-il, habitait le levant
du soleil A. (Peut-être aussi voulait-il parier des noirs de la Colchide
également signalés par d'autres auteurs de l'antiquité.)
Le fameux héros de la mythologie grecque, Memnon, qui vint à Troie
au secours de Priam, avec une armée d'Éthiopiens, ne provenait pas de
l'Ethiopie africaine^ mais de l'Ethiopie chaldéenne ou susiane. En effet,
Diodore de Sicile raconte que c'est sous le règne d'un certain Teutamus,
roi des Assyriens, qu'eut lieu, sous le commandement de Memnon, l'envoi
d'une armée éthiopienne au secours de Priam 5.
;
Ainsi donc c'est non seulement par les Babyloniens, et les Assyriens
mais encore par les Hébreux et les Grecs, que nous savons qu'il existait
une race noire ou de couleur foncée, enChaldée et en Susiane, et ce qui
donne d'autant plus de valeur au sens des susdites tètes noires, c'est que
nous apprenons en même temps qu'il ne s'agissait pas de race jaune tou-
ranienne ni de race blanche aryenne.
Quand aux mystérieux Suméro-Accadiens, ce ne sont pas eux qui
représentaient cette race noire, car nous avons vu que certains rois de
Babylone s'intitulaient roi de Sumir et d'Accad en môme temps que
vainqueur des tètes noires. Ils faisaient donc une distinction entre les uns
et les autres.
Notons aussi que la Susiane s'appelle aujourd'hui Khouzistan, et l'on
peut ainsi constater, dit Vivien de Saint-Martin, que ce nom modernisé
conserve l'ineffaçable empreinte de celui des Kouschites V
Mais l'ancienne extension de cette race ne se bornait pas à la Chaldée
et à la Susiane, car dans la région limitrophe à l'Est de la Susiane, c'est-
à-dire en Perse, existait également une race brune qui faisait partie de
l'ethnographie des livres sacrés iraniens où elle figure dans les récits
mythologiques sous le nom de Païrika. Elle habitait principalement la
partie méridionale de la Perse, près du littoral 4.
Puis à l'Est de la Perse, en Garmanie et en Gédrosie se rencontraient
d'autres noirs, les Éthiopiens ichthyophages de la mer Erythrée, décrits
par les auteurs grecs, et dont les descendants, appelés Brahouis, qui
occupent actuellement encore le Béloutschistnn, ont conservé des
caractères nigritiques incontestables.
On voit que cette race noire occupait anciennement toute la région ma**
ritime qui s'étend depuis le Nord du golfe Persique jusque vers l'Indus.
-1 Ai'i'iAM
Stuabon.Licer
— Lib.— xn,
De ch.
belloIII,mithidratico.
9. Lib. ix. edit. Didot.
3 1-wauj). — Nineveh and Us remains (184F, et 1847). Londres et Paris, 1850.
'■ Nott kt Gliddon. — Types of Mankind, Philadelphie, 1856, p. 426427.
s Kiiamko] f. — Mémoire sur l'Ethnographie de la Perse, Paris, 1886.
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Quelques autres crânes babyloniens ont été découverts, en 1881, par le
Dr IJuber qui fut chargé d'une mission scientifique en Arabie et qui de
là vint séjourner quelque temps aux ruines de Babylone.
Ces crânes, au nombre de cinq, se trouvent maintenant au Muséum
d'histoire naturelle et ont été décrits par le professeur Hamy l. Ils sont
en moyenne dolichocéphales, et franchement leptorrhiniens, deux
caractères qui n'appartiennent pas à la race touranienne.
M. Houssay qui faisait partie de la mission Dieulafoy à Suse (1884-1885)
a décrit, de son côté, cinq crânes anciens trouvés dans des nécropoles
susiennes de l'époque parthe^ et il en conclut que ces crânes ont des
caractères négritos ; mais les seuls éléments sur lesquels il s'appuie sont les
suivants : 1° aspect pentagonal du c^âne vu par la face postérieure ;
2° dépression de la fosse temporale qui remonte jusqu'à la ligne médiane
et donne à la tête un aspect bilobé.
M. Houssay croit donc d'après cela que « la Susiane a été occupée par
« une population noire, parente des noirs de l'Inde, que les peuples blancs
« ont contrainte de se réfugier dans les districts montagneux et peu acces-
« sibles. Ces nègres, ajoute-t-il, étaient des Négritos, car ils étaient de
« petite taille et de faible capacité crânienne. On en retrouve des traces
« chez les habitants actuels de la contrée 2. »
Quant aux caractères physiques des Susiens actuels, cet auteur les
résume de la manière suivante : Mésaticéphalie (78,35) — circonférence
de la tète plus petite que chez les autres Persans — front très étroit et très
bas. — Nez court, gros et charnu, plus court et plus large que chez tous
•
ils sont très blancs, et ont une grande taille, et le système pileux
beaucoup plus abondant i.
L'examen des crânes phéniciens peut aussi avoir quelque intérêt pour
la question qui nous occupe, carie premier peuplement de la Phénicie a
pu se faire en même temps que celui de la Ghaldée.
Jusqu'en 1891, l'anthropologie des Phéniciens se bornait à la
description des squelettes trouvés dans les sépultures de leurs colonies, en Afrique,
en Sardaigne, etc., mais à cette époque furent découvertes les nécropoles
de Sidon, dans lesquelles on recueillit un squelette entier et 5 crânes qui
ont été étudiés par M. Chantre 2.
L'un de ces crânes présente un léger prognathisme maxillaire qui se
remarque également, à un plus haut degré, sur deux crânes phéniciens
trouvés en Tunisie, et décrits par M. Collignon 3.
Un deuxième crâne de Sidon n'offre pas de prognathisme, mais la face
manque sur les quatre autres crânes, de sorte qu'il a été impossible de
savoir si ce caractère est plus fréquent chez les Phéniciens.
Les autres mesures crâniennes se rapprochent plus ou moins de celles
que l'on peut rencontrer sur les têtes dites sémitiques.
Remarques iconographiques sur les monuments découverts à Suse par M. de
Morgan. — Que nous apprend au point de vue anthropologique la
remarquable collection de monuments figurés, de statuettes et de textes
cunéiformes, trouvés par M. de Morgan en Susiane (deuxième campagne, 1897
à 1902), et qui est exposée au grand Palais? Nous voulons parler du type
des personnages que l'on remarque sur les bas-reliefs et sur les diverses
petites statuettes, car en fait de squelettes nous n'y avons vu qu'un seul
crâne situé dans une vitrine où sont exposés des objets du xne ou v° siècle
av. J.-G.
Notre impression personnelle est que la plupart des types, que l'on voit
représentés sur les bas-reliefs, ont des caractères sémitiques semblables à
ceux des Assyriens et des Babyloniens, et delà vient sans doute que Elam
dans le chapitre X de la Genèse est compté comme fils de Sem.
Mais il n'est pas inutile de faire remarquer que parmi ces personnages
se trouvent des rois babyloniens, tels que Naram-Sin (xxxix0 siècle environ)
dont la stèle triomphale fut apportée de Ghaldée en Susiane, et Khamou-
rabi (xxe siècle).
J'ai donc demandé à M. de Morgan de vouloir bien me faire voir un
souverain véritablement élamite^ et il m'a montré un fragment de calcaire
bitumeux sur lequel se trouve un roi de cette nation.
Or, ce prince a le type sémitique pareil à celui des soldats élamites dont
nous avons déjà parlé, et qui figurent comme prisonniers sur certains bas-
1 Istachri. — Le livre des pays. Trad, allem. par Mordtmann. Hambourg, 4847.
2 Chantre. — Observ. anthr. sur les crânes de la nécropole de Sidon. Bull. Soc,
Anthr. Lyon, 1894.
3 Collignon. — Crânes de la nécropole phénicienne de Mahédia (Tunisie), in Y
Anthropologie, 1892, p. 163-173.
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reliefs assyriens, c'esl-a-dire que le nez est arqué cl un peu gros du bout,
mais cependant bien dessiné, que la barbe, bien fournie, csl frisée., que la
chevelure est longue et bouclée; c'est le type grossier sémitique.
[lien d'étonnant d'ailleurs que les deux lypes babyloniens et élamites
se ressemblent — saui' cependant quelques variantes — puisque les deux
pays se touchaient.
Sur les tètes de statuettes votives, qui représentent des divinités, le
type sémitique est moins prononcé, car le nez n'est pas toujours busqué,
mais i! reste toujours bien saillant, et aucune de ces tètes n'a un aspect
mongolique ou nigritique,
!1 y a aussi quelques statuettes d'hommes barbus, sur lesquelles le type
sémitique est au contraire bien marqué.
Comment se fait-il cependant que la race noire qui existait encore au
temps de Cyrus (ve siècle) ne soit pas portée sur les stèles triomphales.
M. de Morgan croit la reconnaître sur la stèle de Naram-Sin, roi d'Agadé,
où figurent des vainqueurs et des vaincus, et il en a donné une
description détaillée, avec des dessins a l'appui, dans le premier volume des
mémoires de la délégation en Perse (1900).
M. de Morgan pense que les gens d'Agadé ont le type négrito, mais, j'ai
à plusieurs reprises différentes, bien examiné ces personnages, et je ne
puis pas me convaincre de leur analogie avec les Negritos.
Quelques-unes de ces tètes ont le nez court, mais il n'est pas aplati
comme chez les Negritos, d'autres ont le même nez et une longue barbe
en pointe, qui n'est pas un caractère négrito. D'un autre côté il y a quelque
ressemblance entre les vainqueurs et les vaincus.
Il existe aussi à l'Exposition de M. de Morgan, 'deux femmes él&mites
qui figurent sur un fragment de calcaire bitumeux; elles ont une
chevelure longue, bouclée ou frisée, et le faciès plus ou moins sémitique.
Mais l'on peut aussi voir dans une autre partie de l'Exposition une stèle
rupestre sur laquelle est représenté un personnage sans barbe, et dont le
nez est droit et très saillant, mais très peu élevé en hauteur. Ce n'est pas
un type de Sémite, mais ce n'est pas non plus un Touranien ni un Nigri-
tien. Il appartient sans doute, comme d'autres personnages, plus ou moins
semblables des autres monuments, à une variété locale produite par
l'influence des milieux, car il est clair que les habitants de la montagne ne
ressemblaient pas à ceux de la plaine ou à ceux des contrées
marécageuses, ni les habitants des villes à ceux des campagnes, etc. :
Les documents cunéiformes trouvés à Suse parlent-ils des têtes noires
comme ceux de Babylone?
Le savant P. Scheil, professeur à l'Ecole des Hautes-Etudes, qui avait
accompagné la mission de Morgan en qualité d'assyriologue, et qui a
déchiffré et traduit les textes élamites-sémitiques et élamites-anzanites *,
Discussion.
1 Zoja. — Si una varietà délia sutura temporo pariétale simulante una fratlura.
Bolletino scientifico n°3. Anno IX1 Settembre 4887.