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Bulletins de la Société

d'anthropologie de Paris

De la race qui précéda les Sémites en Chaldée et en Susiane


Dr Adolphe Bloch

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Bloch Adolphe. De la race qui précéda les Sémites en Chaldée et en Susiane. In: Bulletins de la Société d'anthropologie de
Paris, V° Série. Tome 3, 1902. pp. 666-682;

doi : https://doi.org/10.3406/bmsap.1902.6078

https://www.persee.fr/doc/bmsap_0301-8644_1902_num_3_1_6078

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666 3 juiLLKT 1902
22 M. le Commissaire général pour la Norwège.
23 M. Cheikh-el-Molk, commissaire général pour la Perse et professeur de languo
persane à Paris.
24 M. le Commissaire général pour le Portugal et M. Guedez de Queiros^ ingénieur
civil.
23 M. Volkov, notre obligeant collègue et M. Altchewsky.
26 M. le Directeur du théâtre indo-chinois à l'Exposition et M. Dumoulin, directeur
du Tour du Monde.
2ï M. Djabbou Saad, instituteur à Beyrout.

DE LA RACE QUI PRÉCÉDA LES SÉMITES EN CHALDÉE ET EN SUSIANE

Par le Dr Adolphe Bloch

D'après certains assyriologues, ce ne sont pas les Sémites qui auraient


été les inventeurs de l'écriture cunéiforme, mais un peuple appelé Accadien
ou Sumérien, déjà antérieurement établi en Ghaldée lors de l'apparition
des Babyloniens, et qui aurait parlé une langue non-sémitique.
Mais suivant d'autres assyriologues non moins éminents, l'existence
d'un peuple plus ancien que les Sémites ne serait nullement prouvée, et
ils s'en tiennent toujours à la théorie classique qui considère les Sémites
comme les premiers occupants du sol.
Cette question sumérienne, comme la question aryenne, a soulevé de
vives controverses et a provoqué de nombreuses publications dont voici
les auteurs, avec leur opinion respective :
1° Suméristes. — Hincks, Rawlinson, Oppert, Lenormant, G. Smith,
Norris, Sayce, Menant, Schrader, Delitzsch, Hommel, Pinches, Haupt,
Hilprecht, Bezold, Amiaud, Jensen, Zimmern, Winckler, Lehmann,
Geltzer, Babelon, Eduard Meyer, G. -P. Tiele.
Non- Suméristes. — Halevy, M. Grûnwald, Deecke, Guyard, Pognon,
Mac Curdy et S. Karppe.
Entre ces deux opinions se place celle de Bertin, qui admettait que les
Sémites étaient les inventeurs de l'écriture cunéiforme; qu'ils occupaient
déjà la Mésopotamie avant l'arrivée des Accadiens, mais que ceux-ci,
après les avoir soumis, auraient adopté leur mode d'écriture *.
Enfin, à la liste des Suméristes il faut ajouter le nom de M. Fossey qui,
dans une communication à l'Académie des inscriptions et belles-lettres
(séance du 20 octobre 1901), conclut à l'existence de la langue dite
sumérienne.
On voit que les non-suméristes sont bien moins nombreux que les
suméristes, et à propos de ces derniers il faut signaler les opinions successives
de M. Delitzsch, professeur d'assyriologie à l'Université de Leipzig, qui,

1 Cette: liste est tirée du mémoire de M. Weissbach, intitulé : Die sumerische


Frage. Leipzig, 1898, in-S" de -182 pages.
ADOLPHE BLOGH. — LES SÉMITES EN CHALDÉE ET EN SUS1ANE 667

après avoir enseigné l'accadien et le sumérien, devint subitement anti-


sumériste, puis revint de nouveau au sumérisme.
M. Maspero admet l'existence des Sumériens sans assurer qu'ils
précédèrent les Sémites aux embouchures de l'Euphrate '.
Quoi qu'il en soit, cette question sumérienne, jusqu'à présent, a peu
intéressé les anthropologistes, parce qu'elle est restée localisée dans le
domaine de la linguistique, et qu'elle se basait principalement sur le
déchiffrement des documents cunéiformes et sur l'étude comparative des
dialectes. Nous croyons cependant qu'elle doit nous préoccuper, car les
assyriologues sumeristes disent positivement que les Accadiensou
Sumériens étaient d'une autre race que les Sémites.
Mais de quelle race s'agit-il?
Voici à ce sujet l'opinion de M. Oppert, l'éminent philologue et assyrio-
logue français :
« A une époque que l'on peut évaluer à plusieurs milliers d'années
« avant les pyramides d'Egypte, dit-il, un peuple descendait des hau-
« teurs de l'Asie centrale pour s'acheminer lentement vers la Mésopotamie.
« Nous ignorons le nom véritable de ces emigrants asiatiques, nous savons
« seulement que pendant bien des siècles ils nous apparaissent sous le
(c nom de Sumer. Cette nation des inventeurs de l'écriture, dite cunéiforme,
« appartient sûrement à l'une des branches les plus antiques de la race
« assyrienne, dans laquelle se classent également toutes les peuplades du
« nord de l'Asie et de l'Europe.
« On désigne cette grande division de l'humanité sous le nom de
« tartaro-finnoise, d'ouralo-altaïque ou touranienne. Il est probable que
ce ce peuple, dont le souvenir a disparu jusqu'au nom, apporta son sys-
« tème graphique en Mésopotamie; on peut le supposer, parce que dans
« l'écriture, les hiéroglyphes désignant les animaux et les plantes du midi
« font entièrement défaut. Nous n'avons pas un seul document écrit en
« hiéroglyphes sumériens, mais nous avons encore des tablettes faites pour
« l'instruction des Assyriens, et qui retracent quelques anciennes figures
« avec l'interprétation en signes cunéiformes connus des peuples mo-
« dernes 2 ».
D'après Homrnel, professeur d'assyriologie à l'Université de Munich, et
d'après la plupart des philologues, cette langue fait partie de la classe des
langues agglutinantes, et de là vient aussi qu'on a voulu la rapprocher
des idiomes ouralo-altaïques et la retrouver chez des peuples de ce nom.
M. Hommel, en particulier, trouve une grande analogie avec la langue
turco-tatare3.
Certains auteurs se sont tournés du côté de l'Egypte pour y trouver

1 Maspero. —- Hist. anc. des peuples de l'Orient classique. T. I, 1895, p. 5S0-551 et


note.
2 Oppert. — Art. Cunéiforme in Grande Encyclopédie. — Voir aussi du même
'

auteur : Hist, des emp. de Chaldée et d'Assyrie. Versailles, 1868, etc.


3 Hommel. ~ Geschichte Babyloniens und Assyriens. Berlin 1885.
66S 3 juillet 1902

l'origine du sumérien, par la raison que l'écriture cunéiforme provenait


d'une écriture en hiéroglyphes; d'autres du côté de la Chine pour la
même raison; d'autres enfin du côté de l'Afrique et même vers
l'Amérique.
Pouvons-nous, au point de vue anthropologique, admettre l'origine
touraniennede cette race antique qui occupa la Ghaldée avant les Sémites?
Nous ne le croyons pas, pas plus qu'on ne peut admettre que les Ibères
étaient des Touraniens, sous prétexte qu'ils parlaient le basque, c'est-à-
dire une langue agglutinante.
11 y a bien eu une race antérieure à celle'des Sémites, non-seulement en
Ghaldée, mais encore en Susiane, comme nous allons le démontrer, mais
cette race ne pouvait être d'origine touranienne, car elle était trop
anciennement établie dans le pays pour pouvoir admettre que les Finnois, ou
d'autres peuples du nord comme les Turcs, aient déjà pu quitter leur
séjour primitif à une époque si reculée.
« Si haut que nous fassent remonter les documents cunéiformes, dit
« Lenormant, ils ne mentionnent nulle part une domination touranienne.
Rien non plus, dans le récit de Bérose, ne rappelle le souvenir d'une
<<. occupation touranienne. Quand Justin, au ne siècle de notre ère, parle
« vaguement d'une domination des Scythes ou Touraniens sur l'Asie
« antérieure, il ne précise point spécialement de quelle contrée il s'agit, et
« il est peu vraisemblable que la Chaldée ait été comprise dans leur
« empire1. »

Cette race qui précéda les Sémites élait une race noire, ainsi qu'il
résulte de l'étude anthropologique que nous avons faite sur ce sujet, en
dehors de la philologie proprement dite.
Il ne suffit pas de faire une élude comparative des deux langues,
sumérienne et sémitique, il faut aussi tenir compte des renseignements,
d'ordre anthropologique, que peuvent contenir les documents
cunéiformes, comme l'ont fait déjà en partie Sir H. Rawlinson (1869) et G . Smith
(1876) 2 qui sont arrivés ainsi à reconnaître qu'il existait en Chaldée deux
races différentes par la couleur de la peau.
Tel n'est cependant pas l'avis des autres assyriologues; aussi devons-
nous indiquer ici les termes employés à ce sujet par les Babyloniens,
ainsi que la traduclion qui est la même pour tous les assyriologues,
l'interprétation seule élant différente avec les auteurs.
Les têtes noires des textes cunéiformes. — On remarque d'abord, que dans
leurs textes cunéiformes, les Babyloniens et les Assyriens insistent très
souvent sur une race particulière appelée nisi zalmat ga-ggadu, c'est-à-
dire peuple aux têtes noires. Ainsi Sargon 1er de Babylone (3800 ans avant
l'ère chrétienne) qui était déjà un roi sémite, se donnait le titre de sou-

1 Lenormant et Babelon. — Hist. anc. de l'Orient. Paris, 1885, 9' édit. T. IV,
p. 64-65,
2 Smith (G.). — The Chaldean account of genesis. London, 1876.
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verain du peuple aux tètes noires, sans compter d'autres titres comme
celui de roi d'Accad et de Sumir, etc.
Dans une tablette où il raconte sa vie, Sargon se vante d'avoir subjugué
ce peuple noir : Quand un roi qui me succédera dans l'avenir gouvernera
(comme moi) les hommes à la tête noire
Sur une autre tablette l'on voit reparaître cette race noire à propos
d'une offense qu'on avait faite au dieu Anou, et l'on y raconte que ce
dieu pour se venger menaça le peuple de soulever contre lui la race aux
tètes noires * .
Trois mille ans après Sargon, un roi babylonien Merodak-Baladan II
(721-710) s'intitula encore roi des têtes noires.
Puis Ashourbanipal, roi d'Assyrie au vu0 siècle, se nomme aussi le
dominateur des têtes noires.
Un autre roi de Babylone, Nabukodonosor (604-561), en parlant de ce
même peuple, souhaite que ses descendants puissent toujours gouverner
les têtes noires2.
Enfin Cyrus, le grand roi de Perse et d'Elam, soumit également les
têtes noires, et le fait a été signalé sur un cylindre qui a été découvert il
n'y a pas longtemps à Babylone (1879) s.
On voit que la soumission de cette race noire était très appréciée, non
seulement par les rois babyloniens et les rois assyriens, mais encore par
d'autres conquérants.
Mais qu'est-ce que l'on entendait par tètes noires?
Lenormant et la plupart des auteurs assyriologues cherchent à
expliquer le sens de ces expressions en disant qu'elles s'appliquaient à
l'humanité en général, sans spécifier une race particulière.
Mais voici un extrait des cunéiformes où il est encore question des
tètes noires, non pas à propos d'un roi, mais à propos d'un dieu, et qui
nous prouvera qu'il ne s'agissait nullement d'humanité en général.
Hymne au dieu Maroudouk, — «L'ensamble des hommes à la tète noire.
« Tous les êtres vivants désignés par un nom, qui existent à la surface
« de la terre.
« Les quatre régions dans leur totalité.
« Les archanges des régions du ciel et de la terre^ tous tant qu'ils sont.
« (te glorifient) toi4. »
Ce texte ne peut certainement pas s'expliquer dans le sens d'humanité
en général, puisque, outre les tètes noires, l'on y mentionne encore
d'autres êtres vivants.
Hommel croit que tête noire se rapporte à la chevelure des Sémites qui
la portaient longue, tandis que les Sumériens la rasaient complètement5.

1 Vicwa Mitra. — Les Chamites. Paris, 1892.


2Schrader. — 'KèUinschriftlich'i ■ Bibliotek.6 vol. Bîriin, 1S92-1S9G.
3 Rawlinson. — Asiatic royal Society. London^ 1880.
'* Lenormant. — Les origines de l'histoire, Paris 1880-1882. T. I, p. 313.
s Hommel. — Loc. cit.
670 3 juillet 1902

D'autres auteurs pensent que cela signifie simplement chevelure noire.


Mais tous les Sémites et tous les peuples non-sémites qui habitaient
cette partie de l'Asie qui nous occupe, devaient avoir les cheveux noirs
ou approchant, et ce n'est donc pas la couleur de la chevelure qui pouvait
les distinguer les uns des autres.
L'interprétation la plus rationnelle, selonnous, est celle qui consiste à
admettre que ce peuple représente une race spéciale ayant la peau noire,
ou au moins très foncée, contrairement à celle des Sémites,, qui était
blanche basanée.
D'autre part, Rawlinson et Smith ont observé que sur certaines tablettes
cunéiformes la race noire était intitulée A damu, tandis que la race blanche
s'appelait Sarku.
Mais ce ne sont pas là les seuls renseignements concernant
l'anthropologie, que contiennent les textes cunéiformes, car on y parle aussi
d'individus clairs ; le terme usité pour ce dernier mot est namrulim, et il
s'emploie à propos d'esclaves que l'on achetait au pays de Gouti et pour
lesquels on rédigeait un contrat indiquant le prix d'achat de ces esclaves
clairs.1
Il est probable que ces esclaves, qui provenaient d'une région
montagneuse, avaient la peau plus blanche que les Sémites et peut-être avaient-
ils aussi les cheveux moins noirs, sans doute châtains.
Les types des monuments assyriens et babyloniens. — Les personnages qui
figurent sur les palais assyriens étaient peints de couleurs éclatantes: la
barbe, les cheveux et le visage étaient coloriés. Il y avait aussi en Chaldée
des sculptures en briques émaillées; ainsi on peut voir au British Museum
un monument de ce genre sur lequel on remarque trois Babyloniens, dont
l'un est blanc, l'autre noir et le troisième jaune. L'on ne peut rien en
conclure au point de vue de la coloration réelle du tégument, parce que ces
personnages étaient tous de la même race.
D'autre part, le seul type véritablement reconnaissable sur les bas-
reliefs est le type sémitique.
On n'a pas encore découvert de véritables monuments datant de la
période présémitique, car l'on ne peut y faire rentrer les deux tètes de
statues en porphyre^ cependant très anciennes, qui ont été trouvées par
M. de Sarzec, à Tello, et qui sont conservées au Louvre.
M.Hommel croit que ce sontdes têtes de Sumériens 2, mais il leur manque
le nez à toutes les deux, et sans cet organe il n'est guère facile de se
prononcer. Néanmoins il reste encore, sur l'une d'elles, la racine du nez, et l'on

1 Meissner. — Beilràgc z. Allbabyl Pnvatrechl. Leipzig, 4893, in Assyr. Bibl. XL


— (Études sur le droit privé de l'ancienne Babylonie), p. 18). — Le mot namru, dit cet
auteur, se rapporte certainement à la couleur de la peau.
'- Hommes. — Loc. cit.
ADOLPHE BLOCH. — LES SÉMITES EN CHALDÉE ET EN' SUSIANE 671

peut remarquer qu'elle est saillante et étroite; ce n'est donc pas une tète
de touranien mongoloïde.
Les Assyriens, comme les Egyptiens, représentent fréquemment leurs
prisonniers de guerre sur les stèles triomphales, mais les captifs portent
presque tous le faciès sémitique des vainqueurs.


.
Sur certains bas-reliefs de Sargon II (722 ans av. J.G.) et d'Assourba-
nipal (668) l'on remarque des Elamites qu'on croit être une race semblable
à celle de nos Suméro-Accadiens, et que certains auteurs regardent comme
étant des Negritos. Mais ces Elamites n'ont pas le type négrito; ils ont
d'ailleurs une barbe très fournie et une longue chevelure bouclée, et ceux que
l'on considère comme tels ont plutôt le type grossier du la race
sémitique. L'on peut constater, en effet, d'après les sculptures, qu'il existait chez
les Babyloniens deux variétés parentes, un type lin et un type grossier1.
Dans le type grossier, le nez, tout en étant busqué, comme chez tous
les Sémites, est plus gros du bout et moins saillant; les lèvres sont
épaisses et l'ensemble de la face paraît moins distingué que dans le type
fin, mais les cheveux et la barbe, tout en paraissant plus courts, sont auss
abondants et aussi bouclés que dans le type fin, ce qui ne serait pas le
cas des Negritos.
Les Kouschites des textes hébraïques. — D'autres peuples de l'antiquité
ont également fait mention d'une race étrangère qui aurait précédé les
Sémites en Mésopotamie.
Ainsi le chapitre X de la Genèse hébraïque, qui contient la généalogie
des peuples de l'époque et que nous signalons exclusivement à titre de
document historique et ethnographique, nous apprend que Nimroud,
qui fut le fondateur de Babylone, d'Accad, de Ninive, etc., était fils de
Kousch et par conséquent petit-fi!s de Cham.
Les termes légendaires employés par le rédacteur de la Genèse pour
nous faire connaître cette tradition, démontrent bien que la fondation de
Babylone était fort ancienne du temps des Hébreux et qu'elle se perdait
déjà dans la nuit des temps; mais en considérant que Sem, Cham et
Japhet sont des noms de peuples, nous pouvons conclure des indications*
fournies par ce chapitre X, que les fondateurs de Babylone n'étaient pas
des Sémites mais des Kouschites.
Notons aussi que Nimroud s'est avancé du sud au nord et non du nord,
au sud, puisqu'il a d'abord fondé Babylone, puis Ninive.
Cham est un nom qui a pour racine, en hébreu, un mot qui signifie
brûlé, noir, ce qui indique déjà que les descendants de ce Cham devaient
être de couleur plus ou moins foncée. ;
Maintenant nous devons chercher à savoir ce que l'on entendait par
Kouschites dans l'antiquité.
Ni le livre de la Genèse, ni aucune autre partie du Pentateuque ne

1 Consultera ce sujet un intéressant mémoire cb Berlin, intitulé : The races of


Babylonian Empire (avec planches) in Journal of Anthrop. Institute of great
Britain. London, 1889, p. 104-120.

672 3- juillet 1902

ne nous renseignent à ce sujet, mais le prophète Jérémie, qui vivait au


vne siècle avant l'ère chrétienne, nous apprend, tout à fait par hasard, ce
que pouvait être la coloration de la peau chez les Kouschites.
Dans son livre des Prophéties (Ch. xni, 23) se trouve une phrase dont
voici la traduction :
Un Kouschite changerait-il sa peau, et un léopard ses taches ?
Ce verset n'a aucun rapport avec le transformisme, comme on pourrait
le croire au premier abord, car Jérémie pensait à bien autre chose, mais
c'est l'i Dieu d'Israël qui se montre irrité de l'impiété des Hébreux, et qui
lui fait entendre que ces derniers seraient tout aussi incapables de revenir
au culte de Jehovah que le Kouschite de changer sa peau et le léopard
sa moucheture.
De ce rapprochement, entre la peau du Kouschite et les taches de la
peau du léopard, l'on peut admettre que les Kouschites étaient bien des
noirs, et non des blancs comme l'admettent encore aujourd'hui certains
auteurs.
Du reste., la traduction grecque de la Bible par les Septante (iv° siècle
de l'ère chrétienne) assimile toujours les Kouschites aux Ethiopiens,
En conséquence les fondateurs de Babylone, qui étaient des Kouschites,
appartenaient à une race noire ; et ainsi se trouve expliqué lé sens des
expressions, têtes noires, si souvent mentionnées sur les textes
cunéiformes.
Voici encore au sujet de ces Kouschites d'autres renseignemenss utiles
à connaître au point de vue anthropologique.
Moïse avait épousé une Kouschite (Nomb. xn, 4) et cela lui avait attiré,
de la part de son frère Aaron et de sa sœur, de vifs reproches dont on
n'indique pas la raison, mais qui peuvent se comprendre par ce fait que
les Kouschites étaient considérés non seulement comme des étrangers,
mais encore comme des individus qui différaient des Hébreux par la
couleur de la peau, et en admettant qu'il s'agisse de Sephorah la Madianite
(Éxod. ii, 46, 21) cela prouverait aussi que le pays de Madian, situé dans
l'Arabie Pétrée, sur les bords de la mer Rouge, était occupé à l'époque par
des Kouschites.
"

L'emplacement du Paradis terrestre dans le voisinage du pays de Kousch. —


L'on sait que les Hébreux ont donné une description d'un paradis ou
Éden (Gén. n) sur l'emplacement duquel les auteurs modernes ne sont pas
d'accord, parce qu'on y disait que l'un des quatre fleuves qui formaient
l'Eden, coulait tout autour dit pays de Kousch.
H en résulte, qu'au lieu de localiser ce paradis en Ghaldée comme
l'entendaient lés Hébreux, certains assyriologues sont allés le chercher soit
au Caucase indien, soit en Egypte, parce qu'ils croyaient qu'il n'y avait
pas de Kouschites autre part.
Mais peut-on croire que les Hébreux aient eu l'idée de placer l'un des
fleuves du paradis en Egypte?
Quant à PHindou-Koh, il devait leur être inconnu.
C'est donc en Babylonie que ce paradis (considéré comme un très beau
ADOLPHE BLOCH. — LES SÉMITES EN CHALDËE ET EN SUSIANE 673

parc) devait se trouver, comme l'a démontré M. Delitzch f en s'appuyant


sur la géographie ancienne de cette contrée.
Rappelons aussi que déjà, en 1691, Iluet, évèque d'Avranches, indiqua
la Ghaldée comme siège du paradis, et la Susiane comme étant le pays
de Kousch 2.
Il est souvent question dans les premiers livres de la Bible de peuples
géants appelés Réphaïm, parmi lesquels on rangeait les Émim, les
Zouzummim, les Anakin, les Néphilim, les Horim (troglodytes), etc.,
et qui habitaient diverses régions de la Palestine.
Certains auteurs pensent que ce sont là les premiers occupants du sol,
car il y avait, parmi ces géants, des habitants des cavernes (les Horim),
mais à part leur grande taille, la Bible ne donne aucun autre caractère
anthropologique à leur sujet, et elle ne les appelle pas non plus des
Kouschites.
Quand les Hébreux envoyèrent des espions pour explorer le pays de
Chanaan avantla conquête, ces derniers revinrenten disant : « Leshabitants
sont tous des gens d'une hauteur extraordinaire; nous y avons vu des
descendants de Hanak, de la race des géants, et nous ne paraissions auprès
d'eux que comme des sauterelles (Nomb. xni, 33 et 34).

Mais jusqu'à présent nous ne connaissons les noirs présémitiques que


par la coloration de la peau et il ne serait pas inutile, je pense, d'être
mieux renseigné sur cette race par quelque autre caractère
anthropologique.
Les Ethiopiens d'Asie des auteurs grecs. — Précisément Hérodote nous

apprend que la chevelure des Éthiopiens d'Asie était lisse au lieu d'être
crépue comme celle des Éthiopiens d'Afrique 3.
Homère paraissait également connaître des Ethiopiens d'Asie puisqu'il
divisait les Éthiopiens en deux parts dont l'une, disait-il, habitait le levant
du soleil A. (Peut-être aussi voulait-il parier des noirs de la Colchide
également signalés par d'autres auteurs de l'antiquité.)
Le fameux héros de la mythologie grecque, Memnon, qui vint à Troie
au secours de Priam, avec une armée d'Éthiopiens, ne provenait pas de
l'Ethiopie africaine^ mais de l'Ethiopie chaldéenne ou susiane. En effet,
Diodore de Sicile raconte que c'est sous le règne d'un certain Teutamus,
roi des Assyriens, qu'eut lieu, sous le commandement de Memnon, l'envoi
d'une armée éthiopienne au secours de Priam 5.
;

Hérodote appelle Suse la ville de Memnon 6, et Strabon rapporte que


..Tilhon père de Memnon fut le fondateur de cette ville 7.

1 Delitzch. — Wo lag das Paradîes. Leipzig, 1881.


- Huet. — Situation du Paradis- terrestre, -Paris, 1671.
3 HÉRODOTE. — VII, 70.
4 Homère. — Odys., î.
s Diod., Il, 22, 1.
6" HÉRODOTE.
Strabon. ——L.V,xv,54.ch. HI, f 2.
674 3 juillet 1902

Les plus anciens Grecs employaient quelquefois une autre expression


pour dénommer les Éthiopiens ; c'était celle de Képhènes ou Céphènes,
descendants de Képhée, et c'est pour cette raison sans doute que Hella-
nicus, au ve siècle avant J. -G., signale des Céphènes sur le cours inférieur
du Tigre et de l'Euphrate '.
Mais plus tard, les Grecs donnèrent le nom de Chaldéens à ces mêmes
indigènes du golfe Persique.
Il est aussi un autre nom que les Grecs employaient pour désigner
certains peuples de l'Élam, c'est celui de Kmcnoi (Gissiens) ou de Ko<r<7aïo.t
(Gosséens). Or, d'après Lenormaiit, ce nom ne serait autre que celui de
Kouschàpeine déformé par l'euphonie grecque, et il paraîtrait aussi, selon
cet auteur, que c'est ce même peuple qu'on trouve signalé dans les textes
cunéiformes sous le nom de Easshi 2.

Ainsi donc c'est non seulement par les Babyloniens, et les Assyriens
mais encore par les Hébreux et les Grecs, que nous savons qu'il existait
une race noire ou de couleur foncée, enChaldée et en Susiane, et ce qui
donne d'autant plus de valeur au sens des susdites tètes noires, c'est que
nous apprenons en même temps qu'il ne s'agissait pas de race jaune tou-
ranienne ni de race blanche aryenne.
Quand aux mystérieux Suméro-Accadiens, ce ne sont pas eux qui
représentaient cette race noire, car nous avons vu que certains rois de
Babylone s'intitulaient roi de Sumir et d'Accad en môme temps que
vainqueur des tètes noires. Ils faisaient donc une distinction entre les uns
et les autres.
Notons aussi que la Susiane s'appelle aujourd'hui Khouzistan, et l'on
peut ainsi constater, dit Vivien de Saint-Martin, que ce nom modernisé
conserve l'ineffaçable empreinte de celui des Kouschites V
Mais l'ancienne extension de cette race ne se bornait pas à la Chaldée
et à la Susiane, car dans la région limitrophe à l'Est de la Susiane, c'est-
à-dire en Perse, existait également une race brune qui faisait partie de
l'ethnographie des livres sacrés iraniens où elle figure dans les récits
mythologiques sous le nom de Païrika. Elle habitait principalement la
partie méridionale de la Perse, près du littoral 4.
Puis à l'Est de la Perse, en Garmanie et en Gédrosie se rencontraient
d'autres noirs, les Éthiopiens ichthyophages de la mer Erythrée, décrits
par les auteurs grecs, et dont les descendants, appelés Brahouis, qui
occupent actuellement encore le Béloutschistnn, ont conservé des
caractères nigritiques incontestables.
On voit que cette race noire occupait anciennement toute la région ma**
ritime qui s'étend depuis le Nord du golfe Persique jusque vers l'Indus.

1 Fragm. Hist, graec, t. Ior, p. 67. Éd. Didot.


2 Lenormakt et Babelon. — Loc. citât.
3 Vivien de Saint-Martin. — Art., Khouzistan., Diet, do Géogr,
4 Lenormant et Babelon. — Loc. cit., t. Ier., p.. 110.
ADOr.PIIE lîLOCII. — LES SÉMITES EN CHALDÉE ET EN SUSÎANE 675

D'ailleurs, même aux premières époques historiques, la couleur delà


peau n'était pas uniformément semblable chez tous les Sémites. Ainsi les
Phéniciens étaient rouges non pas de cheveux, mais de peau, comme
l'attestent le nom grec de «êcuvIxsck, et le nom de Keftâ (rouge) par lequel
les Egyptiens appelaient les Phéniciens. C'est pour cette raison aussi que
les Ghânanéens, dans le chapitre X de la Genèse, sont considérés comme
descendants de Cham.
D'autre part, certains auteurs grecs,, comme Appien1 et Strabon
fondaient le nom de Leuco-Syriens aux Syriens de la Cappadoce, par
opposition à d'autres Syriens situés au sud de ce pays, qui avaient la peau
brûlée, suivant l'expression de Strabon 2.
;, Mais peut-on, abstraction faite des documents historiques et des
traditions, démontrer la présence d'une race de couleur, dans des pays, comme
la Ghaldée et la Susiane où il n'y a plus actuellement de traces bien
manifestes de sang éthiopien?
Le bas-reliefs et les statues, comme nous l'avons vu, ne peuvent pas nous
renseigner utilement sur ce sujet, parce que les types que l'on considère
comme nigritiques, ou comme touraniens, n'en ont nullement l'aspect, et
en ce qui concerne la fameuse frise polychrome des archers, découverte
à Suse par M. Dieulafoy, l'on ne peut pas assurer que les archers à la face
et aux mains noires représentent la race noire ancienne de l'Élam, car
en dehors de la couleur, ces soldats ont un type absolument semblable
aux soldats de la même frise, qui sont blancs. Ici, comme pour les
peintures anciennes, on alternait les couleurs, sans doute pour mieux faire
ressortir les personnages.
Les squelettes. — Quant aux squelettes dont l'étude nous serait si utile
pour edit; question, ils sont souvent difficiles à recueillir vu leur
ancienneté. Ainsi la plus grande partie de ceux que Layard et Sarzec ont
découverts dans les anciennes sépultures de la Chaldée, tombait en poussière
au moment des fouilles 3.
.^3. Layard a cependant trouvé dans le palais de Sardanapale un crâne
intact qui est maintenant conservé au British Museum, et qui est
sommairement décrit (avec deux dessins de face et de profil) dans l'ouvrage de
JN'ott et (.îliddon 4. L'indice céphalique est d'environ 0,70 en se servant
des mesures du diamètre longitudinal et du diamètre transversal indiqués
par ces auteurs. M. Khanikoff ayant également mesuré ce crâne 5 trouve
d'autres mesures qui donnent l'indice de 0,75. Quoi qu'il en soit, ce
r.r.mo n'a rien de nigritique et encore moins de touranien, et Nott et
(îliddon leur' trouvent une grande ressemblance avec certains crânes
égyptiens.

-1 Ai'i'iAM
Stuabon.Licer
— Lib.— xn,
De ch.
belloIII,mithidratico.
9. Lib. ix. edit. Didot.
3 1-wauj). — Nineveh and Us remains (184F, et 1847). Londres et Paris, 1850.
'■ Nott kt Gliddon. — Types of Mankind, Philadelphie, 1856, p. 426427.
s Kiiamko] f. — Mémoire sur l'Ethnographie de la Perse, Paris, 1886.
676 3 juillet 1902
Quelques autres crânes babyloniens ont été découverts, en 1881, par le
Dr IJuber qui fut chargé d'une mission scientifique en Arabie et qui de
là vint séjourner quelque temps aux ruines de Babylone.
Ces crânes, au nombre de cinq, se trouvent maintenant au Muséum
d'histoire naturelle et ont été décrits par le professeur Hamy l. Ils sont
en moyenne dolichocéphales, et franchement leptorrhiniens, deux
caractères qui n'appartiennent pas à la race touranienne.
M. Houssay qui faisait partie de la mission Dieulafoy à Suse (1884-1885)
a décrit, de son côté, cinq crânes anciens trouvés dans des nécropoles
susiennes de l'époque parthe^ et il en conclut que ces crânes ont des
caractères négritos ; mais les seuls éléments sur lesquels il s'appuie sont les
suivants : 1° aspect pentagonal du c^âne vu par la face postérieure ;
2° dépression de la fosse temporale qui remonte jusqu'à la ligne médiane
et donne à la tête un aspect bilobé.
M. Houssay croit donc d'après cela que « la Susiane a été occupée par
« une population noire, parente des noirs de l'Inde, que les peuples blancs
« ont contrainte de se réfugier dans les districts montagneux et peu acces-
« sibles. Ces nègres, ajoute-t-il, étaient des Négritos, car ils étaient de
« petite taille et de faible capacité crânienne. On en retrouve des traces
« chez les habitants actuels de la contrée 2. »
Quant aux caractères physiques des Susiens actuels, cet auteur les
résume de la manière suivante : Mésaticéphalie (78,35) — circonférence
de la tète plus petite que chez les autres Persans — front très étroit et très
bas. — Nez court, gros et charnu, plus court et plus large que chez tous

les autres peuples de la Perse. — Lèvres particulièrement grosses3. (La


coloration de la peau n'est pas signalée).
Les Susiens du vni-ix0 siècle et ceux du xe siècle, décrits par l'Arabe
Abû-Zeïd et le Persan Istachri, répondent mieux à l'idée que l'on peut se
faire d'une race foncée plus ou moins modifiée avec le temps.
Les habitants du Khouzistan, dit Abû-Zeïd ont, en général, le teint cuivré,
le corps maigre, la barbe rare, les cheveux touffus; l'embonpoint est
chose inouïe chez eux, ils offrent, en un mot, le type des habitants des
pays chauds 4.
D'après Istachri, les indigènes du pays sont jaunes, décharnés, leur
barbe est peu fournie, et le système pileux est moins développé que chez
les autres peuples.
Parlant des habitants de la contrée voisine (le Fars), Istachri ajoute que
dans les régions chaudes ils sont maigres et ont la peau brune, et le
système pileux très peu développé, tandis que dans les régions froides

* Hamy. — Documents pour servir à l'Anthr. de Babylone, Nouv. Arch, du Muséum


d'hist. nat., 1884.
s Houssay. — Les races humaines de la Perse. Lyon, 1887.
3 Id. — Loc. cit.
4 Abu Zeïd, in Barbier du Meynard. — Diet, gèogr., hist, et litt de la Perse et des
contrées adjacentes. Paris, 1801, p. 218,
ADOLPHE BLOCH. — LES SÉMITES EN CHALDÉE ET EN SUSIANE 677

ils sont très blancs, et ont une grande taille, et le système pileux
beaucoup plus abondant i.
L'examen des crânes phéniciens peut aussi avoir quelque intérêt pour
la question qui nous occupe, carie premier peuplement de la Phénicie a
pu se faire en même temps que celui de la Ghaldée.
Jusqu'en 1891, l'anthropologie des Phéniciens se bornait à la
description des squelettes trouvés dans les sépultures de leurs colonies, en Afrique,
en Sardaigne, etc., mais à cette époque furent découvertes les nécropoles
de Sidon, dans lesquelles on recueillit un squelette entier et 5 crânes qui
ont été étudiés par M. Chantre 2.
L'un de ces crânes présente un léger prognathisme maxillaire qui se
remarque également, à un plus haut degré, sur deux crânes phéniciens
trouvés en Tunisie, et décrits par M. Collignon 3.
Un deuxième crâne de Sidon n'offre pas de prognathisme, mais la face
manque sur les quatre autres crânes, de sorte qu'il a été impossible de
savoir si ce caractère est plus fréquent chez les Phéniciens.
Les autres mesures crâniennes se rapprochent plus ou moins de celles
que l'on peut rencontrer sur les têtes dites sémitiques.
Remarques iconographiques sur les monuments découverts à Suse par M. de
Morgan. — Que nous apprend au point de vue anthropologique la
remarquable collection de monuments figurés, de statuettes et de textes
cunéiformes, trouvés par M. de Morgan en Susiane (deuxième campagne, 1897
à 1902), et qui est exposée au grand Palais? Nous voulons parler du type
des personnages que l'on remarque sur les bas-reliefs et sur les diverses
petites statuettes, car en fait de squelettes nous n'y avons vu qu'un seul
crâne situé dans une vitrine où sont exposés des objets du xne ou v° siècle
av. J.-G.
Notre impression personnelle est que la plupart des types, que l'on voit
représentés sur les bas-reliefs, ont des caractères sémitiques semblables à
ceux des Assyriens et des Babyloniens, et delà vient sans doute que Elam
dans le chapitre X de la Genèse est compté comme fils de Sem.
Mais il n'est pas inutile de faire remarquer que parmi ces personnages
se trouvent des rois babyloniens, tels que Naram-Sin (xxxix0 siècle environ)
dont la stèle triomphale fut apportée de Ghaldée en Susiane, et Khamou-
rabi (xxe siècle).
J'ai donc demandé à M. de Morgan de vouloir bien me faire voir un
souverain véritablement élamite^ et il m'a montré un fragment de calcaire
bitumeux sur lequel se trouve un roi de cette nation.
Or, ce prince a le type sémitique pareil à celui des soldats élamites dont
nous avons déjà parlé, et qui figurent comme prisonniers sur certains bas-

1 Istachri. — Le livre des pays. Trad, allem. par Mordtmann. Hambourg, 4847.
2 Chantre. — Observ. anthr. sur les crânes de la nécropole de Sidon. Bull. Soc,
Anthr. Lyon, 1894.
3 Collignon. — Crânes de la nécropole phénicienne de Mahédia (Tunisie), in Y
Anthropologie, 1892, p. 163-173.
678 3 juu.KT 11)02

reliefs assyriens, c'esl-a-dire que le nez est arqué cl un peu gros du bout,
mais cependant bien dessiné, que la barbe, bien fournie, csl frisée., que la
chevelure est longue et bouclée; c'est le type grossier sémitique.
[lien d'étonnant d'ailleurs que les deux lypes babyloniens et élamites
se ressemblent — saui' cependant quelques variantes — puisque les deux
pays se touchaient.
Sur les tètes de statuettes votives, qui représentent des divinités, le
type sémitique est moins prononcé, car le nez n'est pas toujours busqué,
mais i! reste toujours bien saillant, et aucune de ces tètes n'a un aspect
mongolique ou nigritique,
!1 y a aussi quelques statuettes d'hommes barbus, sur lesquelles le type
sémitique est au contraire bien marqué.
Comment se fait-il cependant que la race noire qui existait encore au
temps de Cyrus (ve siècle) ne soit pas portée sur les stèles triomphales.
M. de Morgan croit la reconnaître sur la stèle de Naram-Sin, roi d'Agadé,
où figurent des vainqueurs et des vaincus, et il en a donné une
description détaillée, avec des dessins a l'appui, dans le premier volume des
mémoires de la délégation en Perse (1900).
M. de Morgan pense que les gens d'Agadé ont le type négrito, mais, j'ai
à plusieurs reprises différentes, bien examiné ces personnages, et je ne
puis pas me convaincre de leur analogie avec les Negritos.
Quelques-unes de ces tètes ont le nez court, mais il n'est pas aplati
comme chez les Negritos, d'autres ont le même nez et une longue barbe
en pointe, qui n'est pas un caractère négrito. D'un autre côté il y a quelque
ressemblance entre les vainqueurs et les vaincus.
Il existe aussi à l'Exposition de M. de Morgan, 'deux femmes él&mites
qui figurent sur un fragment de calcaire bitumeux; elles ont une
chevelure longue, bouclée ou frisée, et le faciès plus ou moins sémitique.
Mais l'on peut aussi voir dans une autre partie de l'Exposition une stèle
rupestre sur laquelle est représenté un personnage sans barbe, et dont le
nez est droit et très saillant, mais très peu élevé en hauteur. Ce n'est pas
un type de Sémite, mais ce n'est pas non plus un Touranien ni un Nigri-
tien. Il appartient sans doute, comme d'autres personnages, plus ou moins
semblables des autres monuments, à une variété locale produite par
l'influence des milieux, car il est clair que les habitants de la montagne ne
ressemblaient pas à ceux de la plaine ou à ceux des contrées
marécageuses, ni les habitants des villes à ceux des campagnes, etc. :
Les documents cunéiformes trouvés à Suse parlent-ils des têtes noires
comme ceux de Babylone?
Le savant P. Scheil, professeur à l'Ecole des Hautes-Etudes, qui avait
accompagné la mission de Morgan en qualité d'assyriologue, et qui a
déchiffré et traduit les textes élamites-sémitiques et élamites-anzanites *,

1 La race pr.ésêmitique de la Susiane est appelée anzanite. Les textes élamites


publiés par le R. P. Scheil fait partie des mémoires de la délégation en Perse. T. II,
III, etc.
ADOLPHE BLOCH. —••■LES SÉMITES EN CHALDÉE ET EN SUSIANE 579
a bien voulu me renseigner à ce sujet; il m'a montré à l'Exposition un
monument en diorite, sur lequel le roi Khammourabi (de Babylone), célèbre
le triomphe de ses armes et sa victoire sur les têtes noires.
Mais ce monument, comme celui de Naram-Sin, provenait également
de Babylone d'où il avait été transporté à Suse.

Origine. — A quelle variété de la race noire et à quelle contrée pouvait


appartenir le peuple qui le premier vint s'établir en Ghaldeeet en Susiane,
car l'on sait bien qu'il n'y a pas qu'une seule race noire?
Il ne faut pas songer aux Negritos, comme nous l'avons déjà plusieurs
fois prouvé,, et encore moins aux véritables nègres, mais à une race plus
ou moins semblable à celle des Dravldiens^ par exemple.
Ce n'est cependant pas de l'Orient que sont sortis les noirs de la Susiane
et de la Chaldée.
Ce n'est pas non plus du Nord ou du Nord-Est, car la civilisation pré-:
historique n'est pas arrivée de ces parages, ayant pris naissance en
Chaldée. En effet, les Assyriens dont le pays était, situé au Nord de la
Chaldée, n'ont rien inventé par eux-mêmes, car leur langue et leur écriture,
leur religion, leur science et leur art leur sont venus de la Chaldée *.
La civilisation a donc remonté le cours du Tigre et de l'Euphrate.
Enfin, ce n'est pas non plus à l'Ouest que l'on peut trouver le lieu
d'origine des proto-Sémites.
Reste donc le Sud, et en effet, c'est du Sud, c'est-à-dire de l'Arabie,
particulièrement de la région méridionale (Minaea),dont les premiers
habitants étaient des Kouschites, que semble être issu le peuple primitif
qui, de proche en proche, s'étendit vers le Nord pour occuper la Chaldée
et la Susiane, et même la Phénicie.
G. Rawlinson pensait du reste que la langue suméro-accadienne, tout
en étant touranienne dans beaucoup de points de sa structure
grammaticale, était essentiellement kouschite ou éthiopienne dans son vocabulaire,
et que parmi les langues modernes, dont elle se rapprochait le plus, se
trouvaient le maha du Sud de l'Arabie et le galla d'Abyssinie 2.
Lenormant dit également que les dialectes arabiques, de la grande
famille des langues sémitiques, ont peut-être plus d'affinités linguistiques
qu'on ne le suppose généralement, avec la langue sumérienne ou acca-
dienne de la Chaldée 3.
L'anthropologie vient confirmer ces prévisions, mais nous n'avons pas
à démontrer ici que l'Arabie était primitivement habitée par des noirs.
Il nous suffira de dire, pour le moment, que ces noirs étaient les Adites
qui sont considérés comme les premiers habitants de l'Arabie; que les
Hébreux, en parlant de ces pays, employaient souvent le nom deKousch,

1 Perrot et Chipiez. — Hist, de fart dans l'ant, t. II, p. 121.


2 Rawlinson. — The five great monarchies of the ancient Eastern World. London,
1862, 3 vol.
3 Lenormant. — Loc. cit , t. VI, p. 843.
680 3 juillet 1902
et enfin que les Grecs appelaient Ethiopiens les indigènes du Sud de
l'Arabie, auxquels ils donnaient aussi le nom d'Homérites.
Aujourd'hui encore, d'après M, de Maltzan qui en a fait une description
particulière à la Société d'Anthropologie de Berlin l, ces Arabes noirs,
dénommés Himyarites occupent toujours la même contrée à côté d'autres
Arabes véritablement sémitiques.
En somme, il existait anciennement, en Chaldée et en Susiane, ce que
l'on voit encore actuellement en Arabie, c'est-à-dire deux races différentes,
une race noire, ni nègre ni négrito, et une race blanche-basanée, dite
sémitique, celle-là ayant précédé l'autre.

Discussion.

M. René Worms. — Beaucoup d'auteurs, comme notre honorable


collègue, cherchent aujourd'hui à placer des races noires aux berceaux des
peuples de- race blanche^ sémites ou aryens. A supposer qu'en effet des
nègres eussent précédé les blancs sur leurs habitats primitifs, cela ne
prouverait pas que les civilisations de ces derniers ne fussent pas
originales. Car ils auraient pu ne rien emprunter ou n'emprunter que fort
peu de choses à leurs devanciers. — Mais la préexistence même de ces
races nègres est-elle établie? 11 ne le semble pas, au moins d'une manière
générale. En admettant qu'elle le soit pour l'Inde, où les Dravidiens ont
sans doute précédé les Aryens, la question n'est pas la môme pour la
Susiane et la Babyîonie. Les textes rapportés par M. le Dr Bloch, si
suggestifs qu'ils soient, ne peuvent passer pour complètement démonstratifs.
C'est le cas du texte de la Bible : il ne contient que l'indication 'd'une
tradition, naturellement très discutable. C'est le cas aussi du texte d'Hé-
liodore. Il faudra attendre de nouvelles preuves anthropologiques,
archéologiques ou littéraires, pour se prononcer.
M. Bloch. — Ainsi que je l'ai signalé, dans le cours de ma
communication, les Hébreux ne connaissaient sans doute l'origine kouschite de
Nimroud que par une tradition déjà fort ancienne de leur temps.
Parmi les proto-Sémites pouvaient se rencontrer non seulement des
noirs, mais encore des variétés plus ou moins foncées, apparentées à ces
derniers, car l'on sait que la coloration de la peau n'est pas toujours
absolument uniforme dans une même race.
M. F. Regnault. — On confond souvent en anthropologie les races
examinées au point de vue anatomique avec celles qui le sont au point de
vue linguistique.
Plusieurs races anatomiquement différentes peuvent avoir la même
langue, les mêmes mœurs. On ne saurait trop insister sur ce point déjà
signalé par plusieurs auteurs. On appellera peuple ou ethnie (mot pro-

1 Maltzan. — Zeiisch. /'. Ethnol, 1873.


DISCUSSION 681

posé par G. Raynaud au Congrès international d'Ethnographie de 1900)


les gens réunis par la communauté de langage et de mœurs; c'est une
union psychique à opposer à la ressemblance anatomique donnée par le
mot race.
Or, dans leurs écrits, les anciens se préoccupaient fort peu des races :
tout au plus peut-on trouver dans Hérodote quelques phrases sur ce
sujet. Les peuples les, intéressaient au contraire au plus haut point, et on
est en droit de penser que tous les textes se rapportent aux divers
peuples qui existaient alors.
Il est plus évident encore que les travaux linguistiques ne peuvent
nous renseigner que sur les peuples et non sur les races : les termes de
sémitique, chamitique et japhétique exprimant des différences de langage
ue doivent être employés qu'avec réserve quand on parle de races anato-
miques.
Les documents iconographiques peuvent nous donner quelques
renseignements sur les races anatomiques de l'antiquité. De nombreux
travaux ont paru sur ce point, notamment en qui concerne les races
anciennes de l'Egypte et des pays avoisinants.
On a reconnu que les types anciens, révélés par l'iconographie,
rappellent absolument la race actuelle.
Mais cette étude est délicate. Il faut surtout tenir compte de ce fait que
les artistes représentaient souvent dans une même race deux types : le
type fin donné par la classe dirigeante, le type grossier des serviteurs,
des paysans, des ouvriers. Les distinctions de caste ayant alors encore
plus d'importance qu'aujourd'hui, les artistes en auraient exagéré plutôt
qu'atténué les différences.
Je suis complètement d'accord avec M. A. Bloch : les sculptures
assyriennes ou élamites, où certains voient le type négrito, ne possèdent point
les caractères de cette race. C'est un type grossier de même race que le
type fin qu'on lui a opposé : tous deux sont de même race, sémitique si
vous voulez l'appeler ainsi.
Je considère cette conclusion de M. A. Bloch comme fort importante :
la science anthropologique fourmille, en effet, d'assertions aussi fausses
que peu fondées; on se les transmet comme des dogmes. Sans doute en les
rejetant nous laissons ainsi sans solution bien des problèmes, notamment
dans le cas présent, celui des origines de la civilisation asiatique. Mais il
vaut bien mieux avouer notre ignorance que de propager des erreurs.
M. Dbniker rappelle qu'il existe au Musée du Louvre aussi bien que
dans les collections privées, en dehors des grandes statues qui sont citées
partout, de petites statues provenant également des fouilles de M. de
Sarzec à Tello et ayant la face parfaitement conservée et qui offrent un
type nettement sémitique. L'aspect touranien des grandes statues n'est
donc que l'effet de la mutilation dans leur région nasale '.

1 V, pour plus de détails : Deniker. Les races et les peuples de la Terre.


soc. d'anthuop. 4902. 44
682 3 juillet 4902
M. Verneau rappelle que M. Dieulafoy pensait avoir rapporté de ses
fouilles des crânes de nègres, mais c'était une erreur.
M. Hervé s'élève contre la confusion fréquente qu'on fait entre les
races noires et les races nègres; il fait remarquer que les archéologues
récusent l'anthropologie pour la solution des questions qui s'offrent à eux,
mais qu'ils sont les premiers à faire, sur l'origine des peuples, c'est-à-dire
sur des problèmes anthropologiques, les hypothèses les plus aventureuses.
M. Blogh. — La race qui précéda les Sémites en Chaldée et en Susiane
était, je pense, une race noire ou de couleur foncée, venue du Sud et non
une race nègre.

DU REDRESSEMENT DE LA COURBURE A CONCAVITE INFÉRIEURE ET DE L'ÉTAT


RECTILIGNE DE L'ARTICULATION SQUAMO-PARIÉTALE.

Par M. Le Double (de Tours).

La courbe à concavité inférieure que décrit le bord inférieur du pariétal


peut être remplacée par une ligne droite. Entre ces deux modes de
conformation, on trouve tous les intermédiaires.
Chez les enfants et surtout chez les nouveau-nés et les fœtus, la courbe
à concavité inférieure que forme la suture squamo-pariétale est, du
reste, généralement moins accentuée que chez les adultes. C'est même,
parmi eux, que cette suture se présente le plus communément sous l'aspect
d'une ligne horizontale antéro-postérieure. Cette dernière variation a
cependant été observée par moi, des deux côtés, sur deux hommes morts
à l'hôpital général de Tours, l'un, en 1888, de tuberculose, à l'âge de
vingt-neuf ans, l'autre, en 1890, d'une péricardite, et, à droite
seulement, sur une femme de 81 ans, qui a succombé, en 1885, à l'asile des
aliénés de Tours, à une congestion pulmonaire. Est-elle plus commune
dans les races exotiques que dans la race caucasique? J'inclinerai assez
volontiers à le croire, attendu le nombre assez important de crânes
d'Australiens de différents âges sur lesquels je l'ai rencontrée. Elle existe
sur 12 crânes de microcéphales, blancs ou noirs, faisant partie des
collections de la Société d'Anthropologie de Paris, et sur le moulage du
crâne de Marguerita Moehler, microcéphale de race blanche, étudiée par
C Vogt.
Sur le crâne d'une fillette de 4 ans, Zuja et le docteur d'Ail Acqua * ont

1 Zoja. — Si una varietà délia sutura temporo pariétale simulante una fratlura.
Bolletino scientifico n°3. Anno IX1 Settembre 4887.

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