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t.

s
y *
(A
C*. Eisen in vcnU . Ve la. fosse sctilpsit.
LES
BEAUX ARTS
REDUITS
A

UN MÊME PRINCIPE-
£x noto fîcium fequar.
Hor. Ait. Poe'c.

A PARIS,
Chez DURAND , Libraire , rue S. Jacques ,
à S. Landry & au Griffon.

M. DCC. XL VI.
Avec Approbation & frivilége du Roi*
MONSEIGNEUR
LE DAUPHI
-=gl

ONSEIGNEUR,
aij
C* E S T fous les dufpices des
beaux Arts que cet Ouvrage afc
paroître devant vous. Cette recom*
mandat ion ne peut êfre indifférente
auprès des Grands Princes , qui
doivent aux Arts les premières le-
çons de vertu , le goût de la vraie
gloire , ejr fefpérance de vivre dans
la Pcflérité. Ce qui redouble ma.
confiance, MONSEIGNEUR,
c'ejl que l'Ouvrage , en lui-même ,
co ititnt des principes que vous
aïmez, par préférence. Tout s'y ré-
duit au goût du vrai , dujtmple >
au goût de la Nature parée de /es
grâces , fans la moindre ajfcla-
tion. Ce goût qui contient le ger-
me de toutes les vertus , vous Jii
ami des Arts , des que vous pâles
les connoure. Vous les avez, culti-
vés avec le plus grand fut ces , @*
-vous continuez, de les regarder
toujours avec une honte , quiprou*
<ve que C amour que vous avez, pour
eux, cfi dans votre caractère, Ainfi^
MONSEIGNEUR , tandis
quun Père augufie va fe couvrir
dune nouvelle gloire > pour forcer
l'Europe a recevoir la paix ; vous
vous faites un plaifir ci animer
tous les Arts a célébrer fes ex?
ploits , & à les retracer dans des
m o nu mens durables. BieK-lot , fi
pour fat isfaire votre ardeur hé-
roïqueil, vous cft libre de le fui-
vrc au milieu de fes victoires ,
vous irez, profiter encore de fes
grands exemples ; ejr faire voir
aux Nations , que vous êtes- digne
Fils d'un Rot , qui fc ait en même-
tems 'vaincre fes Ennemis x & fi-
faire adorer de fes Sujets*
Je fuis avec le plus profond
refpecl ,

ONSEIGNEUR

Votre très-humble 6c très-


obéiiTant ferviteur j **
AVANT-PROPOS.

\J N fe plaint tous les jours de


la multitude des régies : elles em-
baranent également Se l'Auteur
qui veut compofer,& l'Amateur
qui veut juger. Je n'ai gard.e de
vouloir ici en augmenter le nom-
bre. J'ai un deflein tout différent :
c'eft de rendre le fardeau plus lé-
ger ,&: la route fimple.
Les Régies fe font multipliées
par les obfervations faites fur les
Ouvrages ; elles doivent fe Am-
plifieren
, ramenant ces mêmes
obfervations à des principes com-
* a
muns. Imitons les vrais Phyli-
ciens , qui amaûent des expétien-
îj Avant-propos.
ces , &: fondent enfuite fur elles
un fyftême, qui les réduit en prin-
cipe.
Nous fommes très -riches en
obfervations : c'eft un fonds qui
s'eft grofli de jour en jour depuis
la naiflance des Arts jufqu'à nous.
Mais ce fonds li riche , nous gêne
plus qu'il ne nous fert. On lit 5 on
étudie , on veut fçavoir : tout s'é-
chap e parce
; qu'il y a un nombre
infini de parties , qui , n'étant nul-
lement liées entr'elles , ne font
qu'une mafle informe , au lieu de
faire un corps régulier.
Toutes les Régies font des bran-
ches qui tiennent à une même
tige. Si on remontoir jufqu'à leur
fource , on y trouveroit un prin-
cipe allez fimple,pour être faifi fur
A V ANT-VRO PO s. iij
Je champ , & afTez étendu , pour
abforber toutes ces petites régies
de détail , qu'il fuflk de connoitre
par le fentiment , & dont la théo-
rie ne fait que gêner l'effrit , (ans
l'éclairer. Ce principe fixerait
tout d'un coup les vrais génies , Se
les affranchirait de mille vains
fcrupules , pour ne les foumettre
qu'à une feule loi fouveraine , qui,
une fois bien comprifè , ferait la
bafe , le précis &: l'explication de
toutes les autres.
Je ferois fort heureux , fi ce
defTein fe trouvoit feulement
ébauché dans ce petit Ouvrage,
que je n'ai entrepris d'abord que
pour éclaircir mes propres idées.
Ceft la Poëfie qui l'a fait naître.
J'avois étudié les Poètes com-
aii
îv Avant-propos.
me on les étudie ordinairement ,
dans les éditions où ils font ac-
compagnés deremarques. Je me
croyois affez inftruit dans cette
partie des belles Lettres , pour
paner bientôt à d'autres matières.
Cependant avant que de changer
d'objet ; je crûs devoir mettre en
ordre les connoiflances que j'avois
acquifes , & me rendre compte à
moi-même.
Et pour commencer par une
idée claire & diftin&e , je me de-
mandai, ce que c'efl: que la Poëfie,
&: en quoi elle diffère de la Profe ?
Je croyois la réponfe aifée : il
eft fi facile de fentir cette diffé-
rence :mais ce n'étoit point afTez,
de fentir , je voulois une défini-
nition exa&e.
Avant -propos. V
Je reconnus bien alors

quand j'a vois jugé des Auteurs ,


c'étoit une forte d'inftintt qui
e
m'avoit guidé,plutôt que la raifon: qu
je fentis les rifques que javois
courus , &: les erreurs où je pou-
vois être tombé,faute d'avoir réuni
la lumière de l'efprit avec le fen-
timent.

Je me faifois d'autant plus de


reproches, que je m'imaginois que
cette lumière & ces principes dé-
voient être dans tous les ouvrages
où il eft parlé de Poétique ; &
que c etoit par diltraclion , que je
ne les avois pas mille fois remar-
qués. Je retourne fur mes pas :
j'ouvre le livre de M. Rollin :
je trouve , a l'article de laaiPoëfie
ij ,
un difcours fort fenfé fur fon
vj Avant-propos.
origine ôc fur fa deftination , qui
doit être toute au profit de la
Vertu. On y cite les beaux en-
droits d'Homère : on y donne la
plus jufte idée de la fublime Poë-
fîe des Livres faints : mais c'étoit
une définition que je demandois.
Recourons aux Daciers , aux
le Bofïus , aux d'Aubignacs : con-
fultons de nouveau les Remar-
ques les
, Réflexions , les Differ-
tations des célèbres Ecrivains :
mais partout on ne trouve que
des idées femblables aux répon-
fes des Oracles : obfcuris vera
involvcns. On parle de feu divin ,
d'enthoufïafme , de tranfports ,
d'heureux délires , tous grands
mots, qui étonnent l'oreille & ne
difent rien à l'efprit.
ÀV ANT-PROPOS, Vij
Après tant de recherches inu-
, n'ofant entrer feul dans
tiles&c
une matière qui , vue de près , pa-
roiflbit fi obfcure ; je m'avifai
d'ouvrir Ariftote dont j'avois ouï
vanter la Poétique. Je croyois
qu'il avoit été confulté 6c copié
par tous les Maîtres de l'Art : plu-
fleurs ne l'avoient pas même lu, &:
prefque perfonne n'en avoit rien
tiré : à l'exception de quelques
Commentateurs , lefquels n'ayant
fait de fyftême , qu'autant qu'il en
falloit , pour éclaircir à peu près
le texte , ne me donnèrent que des
commehcemens d'idées ; & ces
idées étoient fi fombres , fi enve-
es , obfcures , que je défef-
lop éfi
pérai prefque de trouver en aucun
endroit , la réponfe précife à la
aiv
VÎij AVANT-PROÏ>OS.
queftion que je m'étois propofée ,
& qui m'avoit d'abord paru fi fa-
cile à réfoudre.

Cependant le principe de l'i-


mitation, quelePhilofopheGrec
établit pour les beaux Arts , m'a-
voit frappé. J'en avois fenti la
juftelfe pour la Peinture , qui eft
une Poëfîe muette. J'en rappro-
chai les idées d'Horace , de Boi-
leau , de quelques autres grands
Maîtres. J'y joignis plufieurs traits
échappés à d'autres Auteurs fur
cette matière ; la maxime d'Ho-
race fe trouva vérifiée par l'exa-
men:/^/ Piffura Poefis. Il fe trouva
que la Poëfîe étoit en tout une
imitation , de même que la Pein-
ture. J'allai plus loin : j'effayai
d'appliquer le même principe à
Avant-propos. ïtf
la Mufique Se à l'Arc du Gefte , &
je fus étonné de la juitefTè avec
laquelle il leur convenoit. C'eft
ce qui a produit ce petit Ou-
vrage ,où on fent bien que la
Poefie doit tenir le principal
rang ; tant à caufe de fa dignité ,
que parce qu'elle en a été l'oc-
cafion.
Il eft divifé en trois parties.
Dans la première , on examine
quelle peut être la nature des
Arts , quelles en font les parties
&: les différences elTentielles ; &
on montre par la qualité même
de l'efprit humain , que l'imita-
tion de la Nature doit être leur ob-
jet commun ; &: qu'ils ne différent
entr'eux que par le moyen qu'ils
employent , pour exécuter cette
x Avant-propos.
imitation. Lesmovens de la Pein-
turede
, la Mufique , de la Danfe
font les couleurs , les fons , les
geftes ; celui de la Poëfie eft le
difcours. De forte qu'on voit d'un
côté , la liaifon intime &: l'efpèce
de fraternité qui unit tous les
Arts 5 ( a ) tous enfans de la Na-
turefe
, propofant le même but ,
fe réglant par les mêmes prin-
cipes de
: l'autre côté , leurs dif-
férences particulières , ce qui les
féparé &: les diftingue entr'eux.
Après avoir établi la nature
des Arts par celle du Génie de
l'Homme qui les a produits ; il
(a) Etenim omnes quafi cognettione qnâ~
Artes qtu ad humani- dam inter fe continen-
tatem pertinent , hâ- tur. Cic. pro Archia,
tent qttoddam com- Poëca.
mune vincttlnm , &
Avant-propos, xj
étoit naturel de penfèr aux preu-
ves qu'on pouvoit cirer du fenti-
ment ,.d'autant plus , que c'eft le
Goût qui eît le juge-né de tous
les beaux Arts , &: que la Raifon
même n'établit Tes régies , que
par rapport à lui 6c pour lui plaire ;
&: s'il fe trouvoit que le Goût
fût d'accord avec le Génie , &
qu'il concourût à prefcrire les mê-
mes régies pour tous les Arts en
général & pour chacun d'eux
en particulier ; c 'étoit un nou-
veau degré de certitude & d'évi-
dence ajouté aux premières preu-
ves. C'eft ce qui a fait la matière
d'une féconde Partie , où on prou-
ve ,que le bon Goût dans les Arts
effc abfolument conforme aux
idées établies dans la première
xij Avant-propos.
Partie ; &: que les régies du Goût
ne font que des conféquences du
principe de l'imitation : car fi les
Arts font efTentiellement imita-
teurs de la belle Nature ; il s'en-
fuit que le Goût de la belle Na-
ture doit être efTentiellement le
bon goût dans les Arts. Cette
conféquence fe développe dans
plufieurs articles,où on tâche d'ex-
pofer ce que c'eft que le Goût,
de quoi il dépend , comment il fè
perdj&c. 6c tous ces articles fe
tournent toujours en preuve du
principe général de l'imitation ,
qui embrarTe tout. Ces deux Par-
ties contiennent les preuves de
raifonnement.
Nous en avons ajouté une troi-
fiéme , qui renferme celles qui fe
Avant-propos, xiij
tirent de l'exemple &: de la con-
duite même des Artiftes ; c'eft la
Théorie vérifiée par la Pratique.
Le Principe général eft appliqué
aux efpèces particulières , 6c la
plupart des régies connues font
rappellées à l'imitation , & for-
ment une forte de chaîne , par
laquelle Fefprit faifit à la fois
les conféquences & le principe ,
comme un tour parfaitement lié ,
& dont toutes les parties fe fou-
tiennent mutuellement.

C'eft ainfi qu'en cherchant une


feule définition de la Poéfie , cet
Ouvrage s'eft formé prefque fans
deflein , & par une progreffion
d'idées , dont la première a été le
germe de toutes les autres.
TABLE
DES CHAPITRES.

Première Partie.

Ou l'on e'tablit la nature des


Arts pajï celle du Ge^nie
qui les produit.

CHap. I. Divijîon & Origine des


Arts , pag. v.
Chat. II. Le Génie napu produire les
Artsimiter
au que par
, l'imitation : ce que ccjl
X.
Chap. III- Le Génie ne doit point imi-
ter la Nature telle quelle e(l , xxij.
Chap. IV. Dans quel état doit être le
Génie pour imiter la belle Nature s
xxx.
Chap. V. De la manière dont les slrts
font leur imitation , xxxvij.
DES CHAPITRES.
Ch ap. VI. En quoi l'Eloquence & l'Ar-
chiteclure différent des antres Arts ,

\1.

Seconde Partie.
Ou on Etablit le Principe de
l'Imitation par la nature et
PAR LES LOIX DU GoUT*

Chap. I. Ce que ceft que le Goût. liij.


Chap. II. L'objet du Goût ne peut être
que la Nature. Preuves de Rai/bnne-
ment , lx.
Chap. III. Preuves tirées de l'Htjloire
même du Goût , Ixvj.
Chap. IV. Les loix du Goût n'ont pour
objet que l'Imitation de la belle Na-
ture , lxxvj.
I. Loi générale du Goût: J£u 'ils imitent
la belle Nature , Ixxvij.
Chap. V. II. Loi générale du Goût.
£>ue la belle Nature foit bien imitée y '
lxxxviij.
Chap. VI. Jëhtily a des relier particu-
lières pour chaque Ouvrage , ef- que le
Goût ne les trouve que dans la Na-
ture , lxxxxvij.
TABLE
Chap. VIL I. Confluence. jQjfil nj
a quun bon Goût en général , & quil
peut y en avoir plufieurs en parti-
culier , cij.
Chap. VUI. IL Conféquence. Les Arts
étant imitateurs de la Nature , ceft
par la comparaifon qu'on doit juger des
Arts. Deux manières de comparer^ix
Chap. IX. III. Conféquence. Le Goût
de la Nature étant le même que celui
des Arts , il n'y a quunfeul Goût qui
s étend à tout , & même fur les mœursy
cxvij.

Chap. X.IV. & dernière Conféquence.


Combien il efl important de former le
Geût de bonne heure , & comment on
devroit le former , cxxij.

Troisième Partie.

ou le principe de limitation
EST VERIFIE^ PAR SON APPLICA-
TION AUX DIFFERENS ArTS.

Section
DES CHAPITRES.

Section Première.

±* Art Poétique est renferme*


dans l'Imitation de la belle
Naturel, cxxxiv

CHap. I. Ou on réfute les opinions


contraire s au prinicipe l'Imi-
y deCXXXIV.
tation
'Chap. II. Les Divifions de la P ce fie (i
trouvent dans l Imitation , cx!v.
Chap. III. lès Règles générales de la
Po'èfie des chofes font renfermées dans
l'imitation , cxlvii}.
Chap. III. Les règles de la Pocfe ,4:t
flyle font renfermées dans l'imitation
de la belle Nature , clxvji
Chap. IV. L'Epopée a tomes fesreqles
dans l Imitation , CXciL
Chap. V. Sur la Tr^ioédie^ ccx.
Chai>, VI, Sur la Comédie , ccxv'ïj^
Chap. VII. Sur la Pafl orale , ccxxiv->
Chap. VII L. Sur t Apologue , ccxxviij,
Ckap. IX. Sur la Po'éfie Ijrique iccx&y.w«,
TABLE DES CHAPITRES.

Section Seconde.

Sr/R LA Pe/XTURE. Cxlvîj,

Section Troisième.

Sur la Musique et sur la -Danse.


ccl

Chap î On doit connaître la nature de


lu Atufique & de la Danfe , par celle
des Tons & des Gefles , ccliij.
Ch àp. II. Toute Muficjuè & toute Dan-
fe doit avoir une fortification , unfensy
cclx.
Chap. III. D:s qualités que doivent
avoir Us exprejjî ■ ns de la Mufiqûe, &
celles de la Danfe. cclxx.
Chap. IV. Sur l'Vnion des beaux ccxcij.
Artsy

Fin de la Table des Chapitres.

LES
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Il

LES BE AR
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REDUITS
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A UN PRINCIPE.
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I — *WIIII I I I 1.^m

Première Partie.

Où' z'ûN ETABLIT LA NATURE DES


Arts par celle du Ge^nie
qui LES PRODUIT*

^v;j Lmanière
régne de
peutraiter
d'ordrelesdans
beauxla
.* A On
Arts. Jugeons-en par la Poëfie,
2 I eaix Arts
croit er onner des idées juftes en
difani .» elle embrafïe tous les Arts :
c'eft , it-on , un compofé de Pein-
ture de, Muiique & d'Eloquence.
Comme l'Eloquence , elle parle :
elle prouve : elle raconte. Comme
la Mufique , elle a une marche ré-
glée des
, tons , des cadences dont
le mélange forme une forte de con-
cert. Comme la Peinture , elle def-
fine les objets : elle y répand les
couleurs : elle y fond toutes les
nuances de la Nature : en un mot ,
elle fait ufage des couleurs & du pin-
ceau :elle emploie la mélodie & les
accords : elle montre la vérité } Se
fait la faire aimer.
La Poëfie embraffe toutes fortes
de matières : elle fe charge de ce
qu'il y a de plus brillant dans l'Hif-
toire : elle entre dans les champs de
la Philofophie : elle s'élance dans
les deux , pour y admirer la marche
des Aftres ; elle s'enfonce dans les
REDUITS A UN PRINCIPE. ^
àbymes , pour y examiner les fecrets
de la Nature : elle pénètre jufque
chez les morts , pour y voir les ré-
compenfes des jultes & les fupplices
des impies : elle comprend tout l'U-
nivers. Sice monde neluifuffit pas,
elle crée des mondes nouveaux ,
qu'elle embellit de demeures en-
chantées ,qu'elle peuple de mille
habitans divers. Là , elle compofe
les êtres à fon gré : elle n'enfante
rien que de parfait : elle enchérit
fur toutes les productions de la Na-
ture : c'eft une efpece de magie :
elle fait illufion aux yeux, à l'imagi-
nationà, Tefprit même , & vient à
bout de procurer aux hommes , des
plaifirs réels , par des inventions chi-
mériques. C'eft ainfi que la plupart
des Auteurs ont parlé de la Poëfie.
Ils ont parlé à peu près de même
des autres Arts. Pleins du mérite de
ceux auxquels ils s'étoientAilivrés
j ,
ils nous en ont donné des deferip--
4 Les bea ux Arts
tions pompeufes , pour une feule
définition précife qu'on leur deman-
doit définir
les ; ou s'ils ont entrepris
. comme la naturede ennous
cil
d'elle-même très-compliquée , ils
ont pris quelquefois l'accelfoire pour
leffentiel , & l'effentiel pour l'ac-
cefîbire. Quelquefois même entraî-
nés par un certain intérêt d'Auteur,
ils ont profité
matière , & nousde l'obfcurité
ont donné dedesla
idées , formées fur le modèle de
leurs propres ouvrages.
Nous ne nous arrêterons point ici
à réfuter les différentes opinions ,
qu'il y a fur l'effence des Arts , &
fur-tout de la Poefie : nous com-
mencerons parétablir notre princi-
pe ,& s'il eft une fois bien prouvé ,
les preuves viendrontqui l'auront établi
laréfutation , de-
des autres
fentimens.

fë&âè&â
REDUITS A UN PRINCIPE. f

CHAPITRE I.

Divifion ejr Origine des Arts.

J L n'efl: pas nécefTaire de commen-


cer ici par l'éloge des Arts en gé-
néral. Leurs bienfaits s'annoncent
allez d'eux-mêmes : tout l'Univers
en eft rempli. Ce font eux qui ont
bâti les villes , qui ont rallié les
hommes difperfés , qui les ont polis ,
adoucis, rendus capables de fociété.
Deflinés les uns à nous fervir , les
autres à nous charmer , quelques-
uns à faire l'un & l'autre cnfcmble ,
ils font devenus en quelque forte
pour nous un fécond ordre d'élé-
mens, dont la Nature avoit réfervé
la création à notre induftrie.
On peut les diviier en trois es-
pèces par rapport aux finsA qu'ils
iij fe
proposent.
6 Les beaux Arts
Les uns ont pour objet les bcfoïns
de l'homme , que la Nature femble
abandonner à lui-même dès qu'une
fois il eft né : expofé au froid , à la
faim, à mille maux , elle a voulu
que les remèdes & les préfervatifs
qui lui font néceflaires , fufîent le
prix de fon induftrie & de fon tra-
vail. C'eft: de-là que font fortis les
Arts mécaniques.
Les autres ont pour objet le plai-
fir. Ceux-ci n'ont pu naître que dans
le fein de la joie & des fentimens que
produifent l'abondance & la tran-
quil itéon
: les appelle les beaux Arts
par excellence. Tels font la Mufique ,
la Poëfie, la Peinture, la Sculpture,
& l'Art du gefte ou la Danfe.
La troifiéme efpéce contient les
Arts qui ont pour objet l'utilité &
l'agrément tout à la fois : tels font
l'Eloquence & l'Architeclure : c'cfl
le befoin qui les a fait éclore , & le
goût qui les a perfectionnés : ils
REDUITS A UN PRINCIPE. ?
tiennent une forte de milieu entre les
deux autres efpéces : ils en partagent
l'agrément & l'utilité.
Les Arts de la première efpéce
employcnt la Nature telle qu'elle efr,
uniquement pour l'ufage. Ceux de
la troiiiémc , l'employent en la po-
liiTant , pour l'ufage & pour l'agré-
ment. Les beaux Arts ne l'employait
point , ils ne font que l'imiter chacun
à leur manière ; ce qui a befoin d'ê-
tre expliqué , Se qui le fera dans le
Chapitre fuivant. Ainfi la Nature feu-
le eft l'objet
contient tous denos
tousbefoins
les Arts. Elle
& tous
nos plaifirs ; & les Arts mécaniques
6c libéraux ne font faits que pour
les en tirer.
Nous ne parlerons ici que des
beaux Arts , c'eft-à-dire , de ceux
dont le premier objet cfl: de plaire;
Se pour les mieux connoître remon-
tons àla caufe qui les a produits.
Ce font les hommes qui ont fait
Aiv
8 Les beaux Arts;
les Arts ; & c'efl pour eux-mêmes
qu'ils les ont faits. Ennuyés d'une
jouiflance trop uniforme des objets
que leur offroit la Nature toute fim-
plc , & fe trouvant d'ailleurs dans une
fituation propre à recevoir le plai-
fir ; ils curent recours à leur génie
pour fe procurer un nouvel ordre
d'idées & de fentimens qui réveillât
leur efprit & ranimât leur goût. Mais
que pouvoit faire ce génie borne
dans fa fécondité & dans fes vues ,
qu'il ne pouvoit porter plus loin que
la Nature ? & ayant d'un autre côté
à travailler pour des hommes dont
les facultés étoient reiïerrées dan.1;
les mêmes bornes ? Tous (es efforts
durent néceilairement fe réduire à
faire un choix des plus belles par-
ties de la Nature pour en former un
tout exquis , qui fut plus parfait que
la Nature elle-même , fans cependant
ceffer d'être naturel. Voilà le prirH
cipe fur lequel a dû néceffaircmenv
déduits a un Principe: p
Te dreiïer le plan fondamental des
Arts , & que les grands Artiftes ont
fuivi dans tous les fiécles. D'où je
conclus.
Premièrement , que le Génie , qui
eft le père des Arts , doit imiter la
Nature. Secondement , qu'il ne doit
point l'imiter telle qu'elle eft. Troi-
sièmementque
, le Goût pour qui les
Arts font faits & qui en eft le Juge,
doit être fatisfait quand la Nature
eft bien choiiie & bien imitée par
les Arts. Ainfï, toutes nos preuves
doivent tendre à établir l'imitation
de la belle Nature, i °. Par la nature
& la conduite du Génie qui les pro-
duit. 2°. Par celle du Goût qui en
eft l'arbitre. C'eftla matière des deux
premières Parties. Nous en ajoute-
rons une troifiéme, où fe fera l'ap-
plication duprincipe aux différentes
efpéces d'Arts , k la Poëfie , à la
Peinture j à la Mufique & à la Danfe.
io Les beaux Arts

CHAPITRE IL

Z<? G//z/<? na pu produire les Arts


que par £ imitation : ce que cefi
qu imiter.

J.^'E sprit humain ne peut créer


qu'improprement : toutes fes pro-
ductions portent l'empreinte d'un
modèle. Les monftrcs mêmes, qu'u-
ne imagination déréglée fe figure
dans fes délires , ne peuvent être
compofés que de parties prifes dans-
la Nature. Et fi le Génie , par caprice,
fait de ces parties un affemblage con-
traire aux loix naturelles , en dégra-
dant laNature , il le dégrade lui-mê-
me ,& fe change en une efpéce de
folie. Les limites font marquées, dès
qu'on les pane on fe perd. On fait un
chaos plutôt qu'un monde,& on cau-
fe de l'horreur plutôt que du plaifir.
REDUITS A UN PrTN^IPE. I !'
Le Génie qui travaille pour plaire,
ne doit donc , ni ne peut fortir des
bornes de la Nature même. Sa fon-
ction confîfte, non à imaginer ce qui
ne peut être , mais à trouver ce qui
eft. Inventer dans les Arts , n'eft point
donner l'être à un objet , c'eft le re-
connoître où il eft, & comme il eft. Et
les hommes de génie qui creufent le
plus , ne découvrent que ce qui exi-
floit auparavant. Ils ne font créateurs
que pour avoir obfervé , & récipro-
quement, ilsne font obfervateurs que
pour être en état de créer. Les moin-
dres objets les appellent. Ils s'y li-
vrent :parce qu'ils en remportent
toujours de nouvelles connoiflances
qui étendent le fonds de leur efpiït,
& en préparent la fécondité. Le Gé-
nie eft comme la terre qui ne produit
rien qu'elle n'en ait reçu la femence.
Cette comparaifon bien loin d'ap-
pauvrir les Artift es , ne fert qu'à leur
faire connoître la fource & l'étendue
Ï2 Les beaux Arts
de leurs véritables richcfles , qui , par-
là, fontimmenfes; puifque toutes les
connoiiTances que l'efprit peut ac-
quérir dans la nature,de venant le ger-
me de Ces productions dans les Arts,
le Génie n'a d'autres bornes, du côte
de Ton objet , que celles de l'Univers.
Le Génie doit donc avoir un ap-
pui pour s'élever & fe foutenir , &
cet appui cft la Nature. 11 ne peut la
créer , il ne doit point la détruire; il
ne peut donc que la fuivre & l'imi-
ter ,& par conséquent tout ce qu'il
produit ne peut être qu'imitation.
Imiter , c'eil copier un modèle. Ce
terme contient deux idées. i°. le
Prototype qui porte les traits qu'on
veut imiter. 2°. la Copie qui les ré-
prefente. La Nature , c'ell-à-dire tout
ce qui cft , ou que nous concevons
aifément comme poŒble , voilà le
prototype ou le modèle des Arts. 11
faut , comme nous venons de le dire,
que l'induftrieux imitateur ait tou-
réduits A un Principe. 13
jours les yeux attachés fur elle, quJil
la contemple fans celle : Pourquoi?
C'ell qu'elle renferme tous les plans
des ouvrages réguliers, &les defleins
de tous les ornemens qui peuvent
nous plaire. Les Arts ne créent point
leurs régies : elles font indépendan-
tes de leur caprice , & invariablement
tracées dans l'exemple de la Nature.
Quelle eft donc la fonction des
Arts ? C'eft de tranfporter les traits
qui font dans la Nature , & de les
préfenter dans des objets à qui ils ne
font point naturels. C'eft ainfi que
le cifeau du Statuaire montre un hé-
ros dans un bloc de marbre. Le Pein-
tre par fes couleurs , fait fortir de la
toile tous les objets vifibles. Le Mufi-
cien par des fons artificiels fait gron-
der l'orage , tandis que tout cil cal-
me ;& le Poète enfin par fon inven-
tion & par l'harmonie de (es vers ,
remplit notre efprit d'images feintes
& notre coeur de fentimens factices,
14 Les beaux Arts
fouvent plus charmans que s'ils
étoient vrais & naturels. D'où je
conclus, que les Arts, dans ce qui
eft proprement Art , ne font que des
imitations, des reiTemblances qui ne
font point la Nature , mais qui pa-
roiffent l'être ; & qu'ainfi la matière
des beaux Arts n'eft point le vrai ,
mais feulement le vrai - femblable.
Cette conféquence eft allez impor-
tante pour être développée & prou-
vée fur le champ par l'application.
Qu'eit-ce que la Peinture ? Une
imitation
rien de réel des , objets
rien devifibles. Elle n'a
vrai , tout eft
phantôme chez elle, & fa perfection
ne dépend que de fa reffemblance
avec la réalité.
La Mufique & la Danfe peuvent
bien régler les tons & les geftes de
l'Orateur en chaire , & du Citoyen
qui raconte dans la converfation ;
mais ce n'eft point encore là, qu'on
les appelle des Arts proprement*
REDUITS A UN PRINCIPE. l£

Elles peuvent auifis'égarerj'une dans


des caprices , où les fons s'entrecho-
quent fansSedeilein
fecouifes ; l'autre
des fauts dans des:
de fantaific
mais ni Tune ni l'autre , elles ne font
plus alors dans leurs bornes légiti-
mes. Ilfaut donc pour qu'elles foient
ce qu'elles doivent être, qu'elles re-
vien entl'imitation
à : qu'elles foient
le portrait artificiel des pâmons hu-
maines. Et c'eft alors qu'on les re-
connoît avec plaifir, & qu'elles nous
donnent l'efpéce & le degré de fen-
timent qui nous fatisfait.
Enfin la Poefie ne vit que de fî-
clion. Chez elle le Loup porte les
traits de l'homme puiiTant & injufle ;
l'Agneau , ceux de l'innocence op-
primée. L/Eglogue nous offre des
Bergers poétiques qui ne font que
des reffemblances , des images. La
Comédie fait le portrait d'un Har-
pagon idéal , qui n'a que par emprunt
les traits d'une avarice réelle.
;i6 Les beaux Arts
La Tragédie n'eftPoëfie que dans
ee qu'elle feint par imitation. Gciar.
a eu un démêlé avec Pompée , ce
n'eft point poëiîe , c'eft hiftoire. Mais
qu'on invente des difcours , des mo-
tifs des
, intrigues , le tout d'après
les idées que donne lTîiftoire des
caractères & de la fortune de Céfar

•Se de Pompée ; voilà ce qu'on nom-


me Poéfie , parce que cela feul cil
l'ouvrage du Génie & de l'Art.
L'Epopée enfin n'eft qu'un récit
d'actions poffibles , préfentées avec
tous les caractères de l'exiflence. Ju-
non & Enée n'ont jamais ni dit , ni
fait ce que Virgile leur attribue ;
mais ils ont pu le faire ou le dire ,
c'eft allez pour la Poëfie. C'eft un
menfonge perpétuel, qui a tous les
caractères de la vérité.
Ainfi , tous les Arts dans tout ce
qu'ils ont de vraiment artificiel, ne
font que des chofes imaginaires , des
êtres feints , copiés & imités d'après
les
REDUITS A UN PRINCIPE. 17

les véritables. C'en: pour cela qu'on


met fans cefïe l'Art en oppofition
avec la Nature : qu'on n'entend par-
tout que ce cri , que c'eft la Nature
qu'il faut imiter : que l'Art eft par-
fait quand il la repréfente parfaite-
ment : enfin que les ehefs-d'oeuvres
de l'Art , font ceux qui imitent fi
bien la Nature , qu'on les prend pour
la Nature elle-même.
Et cette imitation pour laquelle
nous avons tous une difpofition fi
naturelle , puifque c'eit l'exemple qui
inftruit & qui régie le genre-humain,
vivimus dâ exempta , cette imita-
tion dis-je
, , eft une des principales
fources du plaifir que caufent les
Arts. L'efprit s'exerce dans la compa-
raifon du modèle avec le portrait ; &
le jugement qu'il en porte , fait fur
luiuneimpreffiond'autant plus agréa-
ble, qu'elle lui eft un témoignage de
fa pénétration & de fon intelligence.
Cette do&rine n/eft point nou-
ïS Les «eau. x Arts
vcile. On la trouve par -tout chez
les anciens. Anftote commence fa
Poétique parce principe : que la Mu-
fique , la Danfe , la PoéTie , la Pein-
ture, font des Arts imitateurs. (*)
C'eft-là que fe rapportent toures les
régies de fa Poétique. Selon Platon
pour être Pbëte il ne fuffit pas de
raconter , il faut feindre & créer l'a-
ction qu'on raconte. (£) Et dans fa
la Peinture , font trois
i( a }r IJteczd 'Tiiyjj*»- i
yoaJJK cvJ".' ftlfCHtritS T Arts confacrés au plai-
ffutoXiv. Poei.ccp. I. nt , tous trois fait?
M. Remond de S. pour imiter la nature ,
Mard qui a beaucoup tous trois deftinés à
imiter les mouvemeus
réfléchi fiir l'eflèncc de- de Pâme : les tirer de
là Poéfie } & qui n'é-
crivant que pour les là j c'eft les déshono-
plus délicats n'a dû rer , c'eft: les montrer
prendre que-la fleur de par leur endroit foi-
l'on fujetlement, dansdituneformel- ble.
de fes
(b ) Eum-ffus 'on tc9
Notes que les beaux ■mi t?,v t toi îtvnp f/.i>\tt
Arts ne confîftent que vrtu.T',1; uiat , mm* t u-
dans l'imitation. Voici Qov;x>,\ 'u X«2?of' -Dit*'
Tes termes : On n'y log.M.F b de
A-fou.
FontcncHc a
fbngc pa-s aiïsz , la
Poé'iîc y la Mufique , exprimé la même pen-
REDUITS A UN PRINCIPE ip
République , il condamne la Poëfie ;
parce qu'étant eilcntiellement une
imitation , les objets qu'elle imite
peuvent intéreiTer les mœurs.
Horace a le même principe dans
fon Art poétique :
Si fauteris eges au!»a manentis ....
JEtatis cujufqtte noiandi [mit tibi mores ,
Mobilibufque décor maturrs dandus & annis.

Pourquoi obfervèr les moeurs , les


étudier ? N'eil-ce pas à deflein de les
copier?
Refpicere excmplar morum vit&que jnbebo
Docium imitarorem , & vivas htnc ducere
voces.

Vivas voces ducere , c'efl: ce que


fée que Platon dans fa I te , qui crée. La vraie
lettre aux Auteurs du
Poëfie d'une pièce de
Jouru. des Sçavans , théâtre , c'eft toute fa
Tom. y. de la dernière constitution inventée
édition : Un grand & créée & Po-
Poète , dit-il , fi on lieuctc ou BCinna i en
entend par ce mot ce profe ferpient encore
j
que l'on doit , eft ce- d'admirables produc-
lui qui fait ,qui inveu tions d'un Poète.
20 Les beaux Arts
nous appelions peindre d'après na-
ture. Et tout n'efl-il pas dit dans ce
feul mot : ex noto fiètumcarmen ft-
quar. Je feindrai , j'imaginerai d'a-
près ce qui eft connu des hommes.
On y fera trompé , on croira voir la
nature elle-même , & qu'il n'efl rien
de fi aifé que de la peindre de cette
forte : mais ce fera une fiction , un
ouvrage de génie , au-deiïus des for-
ces de tout efprit médiocre , juckt
multùm fruflràque laboret.
Les termes mêmes dont les An-
ciens *fe font fervis en parlant de
Poëfie,prouvent qu'ils la
comme une imitation regardoient
: les Grecs di-
foient TroiHiv & fxifxoiv- Les Latins tra-
duifoient le premier terme par facere->
les bons Auteurs difent jacere Poe-
ma, c'efl-à-dire , forger, fabriquer,
créer: & le fécond ils l'ont rendu , tan-
tôt parfiagere, & tantôt par imitari,
qui lignifie autant une imitation ar-
tificiel e telle
, qu'elle eft dans les
REDUITS A UN PRINCIPE. 21

Arts , qu'une imitation réelle & mo-


rale telle
, qu'elle efl: dans la fociété.
Mais comme la lignification de ces
mots a été dans la fuite des tems
étendue , détournée , reiTerrée ; elle
a donné lieu à des méprifes , & ré-
pandu de robfcurité fur des princi-
pes qui étoient clairs par eux-mêmes,
dans les premiers Auteurs qui les ont
établis. On a entendu par iitiion-,
les fables qui font intervenir le mi-
niilere des Dieux , & les font agir
dans une aftion ; parce que cette
partie de la fidion efl: la plus noble.
Par imitation , on a entendu non
une copie artificielle de la Nature ,
qui confifle précifément à la répré-
iënter , à la contrefaire , vttovlpivuv:
mais toutes fortes d'imitations en
général. De forte que ces termes ,
n'ayant plus la même lignification
qu'autrefois , ont ceffé d'être pro-
pres àcaraftérifer la Poëfie , & ont
rendu le langage des anciens Biij inin-
22 Les beaux Arts
telligible à la plupart des Lecteurs.
De tout ce que nous venons de
dire , il réfulte, que la Poëfie nefub-
fifte que par l'imitation. Il en eft de
même de la Peinturç , de la Danfe ,
de la Mufique : rien n'eft réel dans
leurs Ouvrages : tout y eft imaginé ,
feint, copié , artificiel. C'eftce qui
fait leur caractère eiTentiel par op-
pofition à la nature.'

CHAPITRE III.

Le Génie ne doit point imiter l&


Nature telle quelle eft.

X_>E Génie & le Goût ont une


liaifon fi intime dans les Arts ,
qu'il y a des cas où on ne peut les
unir fans qu'ils paroifTent fe confon-
dre , ni les féparer , fans prefque
leur ôter leurs fondions. C'eft ce
qu'on éprouve ici , où U n e(t pas
REDUITS A UN PRINCIPE. 2}
poffible de dire ce que doit faire
le Génie , en imitant la Nature , fans
fijppofer le Goût qui le guide. Nous
avons été obligés de toucher ici au
moins légèrement cette matière ,
pour préparer ce qui fuit ; mais nous
réfervons à en parler plus au long
dans la féconde Partie.
Ariftote compare la Poëfie avec
l'Hiftoire : leur différence , félon lui ,
n'eft point dans la forme ni dans le
fHIe , mais dans le fonds des chofes.
Mais comment y eft-elie ? L'Hiftoire
peint ce qui a été fait. La Poëfie, ce
qui a pu être fait. L'une eft liée au
vrai , elle ne crée ni actions , ni Ac-
teurs. L'autre n'eft tenue qu'au vrai-
femblable : elle invente : elle imagine
à fon gré : elle peint de tête. L'Hii-
torien donne les exemples tels qu'ils
font , fouvent imparfaits. Le Poète
les donne tels qu'ils doivent être.
Et c'efl pour cela que , félon le même
Philofophe , la Poëûe eft une leçon
Biv
24 Les beaux Arts
bien
re (a ). plus inftru clive que l'Hiftoi-
Sur ce principe , il faut conclure
que fi les Arts font imitateurs de la
Nature ; ce doit être une imitation
fage & éclairée, qui ne la copie pas
fervilement ; mais qui choififfant les
objets & les traits, les préfente avec
toute la perfection dont ils font fuf-
ceptibles. En un mot , une imita-
tion où
, on voye la Nature , non telle
qu'elle e(l en elle-même , mais telle
qu'elle peut être , & qu'on peut la
concevoir par Tefprit.
Que fit Zeuxis quand il voulut
peindre une beauté parfaite ? Fit-il le
portrait de quelque beauté particu-
lière, dont fa peinture fût Thiftoire?
Non : il raffembla les traits féparés
de plufieurs beautés exiffantes. 11 fe
forma dans Tefprit une idée fa&ice
qui réfulta de tous ces traits réunis :
(a) AÙ >£ QtXofeÇc- I m>tjtris Wcqa»? ichv.
REDUITS A UN PRINCIPE. 1%
Se cette idée fut le prototype , ou
le modèle de fou tableau , qui fut
vraifemblable & poétique dans fa to-
talité, &nemtvrai&hiiïorique que
dans fes parties prifes féparément.
Voilà l'exemple donné à tous les Ar-
tifles : voilà la route qu'ils doivent
fu ivre , & c'efl la pratique de tous
les grands Maîtres fans exception.
Quand Molière voulut peindre la
Mifantropie, il ne chercha point dans
Paris un original , dont fa pièce fut
une copie exa&e : il n'eût fait qu'une
hiftoire , qu'un portrait : il n'eût in-
struit qu'à demi. Mais il recueillit
tous les traits d'humeur noire qu'il
pouvoit avoir remarqués dans les
hommes : il y ajouta tout ce que
l'effort de fon génie put lui fournir
dans le même genre ; Se de tous ces
traits rapprochés Se affortis , il en
figura un caraftere unique , qui ne
fut pas la repréfentation du vrai ,
mais celle du vraifemblable. SaCo-
26 Les beaux Arts

médie ne fut point Thilloire d'Al-


cefte, mais la peinture d'Alceftefur
l'hiftoire de la Mifantropie prife en
général. Et par là il a inflruit beau-
coup mieux que n'eût fait un Hifto-
rienfcrupuleux,qui eût raconté quel-
ques traits véritables d'un Mifantro-
pe réel (a).
Ces deux exemples fuffifent pour
donner, en attendant, une idée clai-
re & difliucle de ce qu'on appelle la
sa le choix, le concert,
(a) « Platon.,*//* Ma-
xime de Tyr, Dijfert.7. 33 la régularité de tou-
33 a ùk dans fa ilépu- 3> tes (es parties. « On
« bîique de même que difoit chez les anciens:
■x) les Statuaires, qui il eft beau comme une
raflènablçrtt les plus ftatuc. Et c'eft dans un
>3 beaux traits de diffé- j pareil fens que Juve-
33 rens corps pour en I nal pour exprimer tou-
wcotirpofçr un feul ] tes les horreurs poffi-
33 d'une beauté parfai- • blés d'une tempête >
30 ts , & donr aucune l'appelle , Tempête
« beauté naturelle ne
i> peut approcher pour poétique.
Omnia fiunt
Talia , lamgr.iviter , fi quando Po'ética furgit
Tmfejlas. Sat. XII.
réduits A un Principe. 27
belle Nature. Ce n'eft pas le vrai qui
eft ; mais le vrai qui peut être, le beau
vrai , quiréellement
exiftoit eft repréfenté comme
, & avec s'il
toutes
les perfections qu'il peut recevoir (**).
Cela n'empêche point que le vrai
& le réel ne puifTent être la matière
des Arts. Ceft ainlî que les Mules
s'en expliquent dans HcTiode (&).
Souvent Art,
par fes couleurs l'adrçflc de notre

Au menfonge rence , du vrai fait donner l'appa-


Mais nous
fance(avons
, auffi par la même puif-
Chanter la vérité fans mélange & fans
fard.

Si un fait hifloriqucfe trouvent tcl-


( a ) La qualité de avec tous les traits qui
l'objet n'y fait rien. peuvent leur convenir
Que ce foit un hydre , on a peint la belle Na-
un avare , un faux dé- ture. Que ce foit les
vot , un Néron , dès Furies ou les Grâces 3
<ju'on les a préfentés il n'importe.
2$ Les beaux Arts

àîement taillé ,qu'il


un Poëme ou àput
un fervir de plan
Tableau ; la
Peinture alors Se la Poëfie l'employé -
roient comme tel , & uferoient de
leurs droits d'un autre côté , en in-
ventant des circonftances , des con-
trafles , des fltuations , &c. Quand
Le Brun peignoit les Batailles d'A-
lexandril
e , avoit dans 1*1 IifToire ,
le fait, les Acteurs, le lieu de la Scè-
ne ; cependant quelle invention !
quelle Poefie dans fon Ouvrage î
la difpofition , les attitudes , l'ex-
preflion des fentimens , tout cela
était réfervé à la création du génie.
De même le combat desHoraces ,
cTHiftaire qu'il étoit , fe changea en
Poëme dans les mains de Corneille ,
& le triomphe de Mardochée , dans
celles de Racine. L'Art bâtit alors
fur le fond de la vérité. Et il doit la
mêler fi adroitement avec le men-
fonge
même ,nature
qu'il s'en
: forme un tout de
réduits A un Principe. 2<?
Atque ita mentit ur ,fie veris falfa remifeet ,
Primo ne médium , medio ne diferepet imum.

Ceft ce qui fe pratique ordinaire-


ment dans les Epopées , dans les
Tragédies , dans les Tableaux HiP
toriques. Comme le fait n'eft plus
entre les mains de l'Kiftoire , mais
livré au pouvoir de i'Artifte , à qui
il eft permis de tout ofer pour arri-
ver àfon but ; on le pétrit de nou-
, j'ofe parler ainfi , pour lui
veaufi
faire prendre une nouvelle forme :
on ajoute, on retranche, on tranf-
pofe. Si c eft un Poème , on ferre les
noeuds, on prépare lesdénouemens,
&c car on fuppofe que le ger-
me de tout cela eft dans l'Hiitoire ,
& qu'il ne s'agit que de le faire éclo-
re
de : tous
s'il n'yfeseftdroits
point ,dans
l'Art toute
alors jouît
leur
étendue , il crée tout ce dont il a
befoin. C'eft un privilège qu'on lui
accorde , parce qu'il eft obligé de
plaire.
30 Les beaux Arts

CHAPITRE IV.

Dans quel état doit être le Génie


pour imiter la belle Nature.
L,Es Génies les plus féconds ne
fentent pas toujours la préfence des
Mufes. Ils éprouvent des tems de
féchereffe & de flérilité. La verve
de Ronfard qui étoit né Poëte , avoit
des repos de plufieurs mois. La Mule
de Milton avoit des inégalités donc
fon Ouvrage fe reflent ; & pour ne
point parler de Stace , de Clau-
dien , & de tant d'autres , qui ont
éprouvé des retours de langueur Se
de foibleffe , le grand Homère ne
fommeilloit-il pas quelquefois au
milieu de tous fes Héros & de (es
Dieux ? Il y a donc des momens heu-
reux pour le génie , lorfque Tame
enflammée comme d'un feu divin fe
REDUITS A UN PrINCÎPÈ. 3I
repréfente toute la nature , & répancî
fur tous les objets cet efprit de vie
qui les anime , ces traits touchants
qui nous féduifent ou nous ravifc
Cent.
Cette fituation de l'ame fe nom-
me Enthoufiafme , terme que tout
le monde entend aflèz, Se que pref-
que perfonne ne définit. Les idées
qu'en donnent la plupart des Auteurs
paroiffent fortir plutôt d'une imagi-
nation étonnée & frappée d'enthou-
fial'me elle-mjême , que d'un efprit
qui ait penfe ou réfléchi. Tantôt
c'ell une vifion célefte, une influen-
ce divine , un efprit prophétique :
tantôt ceft une yvreffe, une extafe,
une joie mêlée de trouble & d'ad-
miration en prélence de la Divinité.
A voient-ils delïein par ce langage
emphatique de relever les Arts , Se
de dérober aux Prophaues les Mys-
tères des Mufes ?
Pour nous qui cherchons à éclair-1
32 Lés beaux Arts
cir nos idées, écartons tout ce fafte
allégorique qui nous offufque. Con-
fierons l'Enthoufiafme comme un
Philofophe conlidere les Grands ,
fans aucun égard pour ce vain éta-
lage qui l'environne & qui le cache.
La Divinité qui infpire les Au-
teurs excellens quand ils cômpo-
fent , ell femblable à celle qui anime
les Héros dans les combats :
Sua cuique Dcusjfo dira Cupido.

Dans les uns , c'eft l'audace, l'intré-


pidité naturelle animée par la pré-
sence même du danger. Dans les au-
tres ,c'eft un grand fonds de génie ,
une juitefle d'efprit exquife , une
imagination féconde, & fur-tout un
cœur plein d'un feu noble , & qui
s'allume aifément à la vue des ob-
jets. Ces âmes privilégiées prennent
fortement l'empreinte des chofes
qu'elles conçoivent , & ne manquent
jamais de les reproduire avec un
nouveau
réduits a un Principe. 33
houveau cara&ere d'agrément & de
force qu'elles leur communiquent.
Voilà la fource & le principe de
rEnthoufiaiTne. On fent déjà quels
doivent en être les effets par rapport
aux Arts imitateurs de la belle Natu-
re. Rappelions
Zeuxis. La Naturenous l'exemple
a dans de
(es tréfors
tous les traits dont les plus belles
imitations peuvent être compofées :
ce font comme des études dans les
tablettes d'un Peintre. L'Artiile qui
e(î eifentiellement dbiervateur , les
reconnoît , les tire de la foule , les
afTemble. Il en compofe un Tout
dont il conçoit une idée vive qui le
remplit. Eientôt fon feu s'allume , à
la vue de l'objet : il s'oublie : Ion ame
pafle dans les chofes qu'il crée : il eft
tour à tour Ginna , Augufte , Phèdre ,
Hippolyte , & fi c'eft La Fontame , il
efl le Loup & l'Agneau , le*Chêne &
le Rofeau.
G
C'eff dans ces tranfpo^ts
qu'Homère voit les chars & les cour-
34 Les beaux Arts
fiers des Dieux : que Virgile entend
les cris affreux de Phlegias dans les
ombres infernales : & qu'ils trouvent
l'un & l'autre des choies qui ne font
nulle part , & qui cependant font
vraies :
.... Voèta cum tabulas eepit fibi ,
O u&rit quod nufquam cjl genîium , reppe-
rit tamen.

C'eltmepour le même e(teffet


enthoufiafme que ce mê-
néceffaire aux
Peintres & aux Muficiens. Ils doivent
oublier leur état , fortir d'eux-mê-
mes &, fe mettre au milieu des cho-
fes qu'ils veulent repréfenter. S'ils
veulent peindre une bataille ; ils fe
tranfportent , de même que le Poète ,
au milieu de la mêlée : ils entendent
le fracas des armes, les cris des mou-
rans : ils voyent la fureur , le carnage ,
le fang. Ils excitent eux-mêmes leurs
imaginations ce qu'ils ie fen-
, jufqu'àeffrayés
tent émus, faifis, : alors,
REDUifs a un Principe. 35"
Deus ecce Deus : qu'ils chantent *
qu'ils peignent , c'eft un Dieu qui les
infpire :
. . . . Bella borrida, beîla ,
JE/ Tibrim multo fpumantem fanguïne cerno*

C'eft ce que Ciceron appelle , men-


tis vin-bus excitari , divino fpiritu
afflari. Voilà la fureur poétique :
voilà rEnthoufiafme : voilà le Dieu
que le Poète invoque dans l'Epopée ,
qui infpire le Héros dans la Tragé-
die , qui fe transforme en fimple
Bourgeois dans la Comédie , en Ber-
ger dans l'Eglogue, qui donne la rai-
ion & la parole aux Animaux dans
l'Apologue. Enfin le Dieu qui fait les
vrais Peintres , les Muficiens & les
Poètes.
Accoutumé que Tonefl: à n'exiger
l'Enthoufiafmc que pour le grand feu
de la Lyre ou de l'Epopée,Ci on eft
j
peut-être furpris d'entendre dire qu'il
eft néceiTaire même pour l'Apolo-
36 Les beaux Arts.
gue. Mais , qu'eft-ce que l'Enthou*
fiafme ?11 ne contient que deuxcho-
fes : une vive repréfentation de l'ob-
jet dans Telprit , & une émotion du
coeur proportionnée à cet objet, (<*)
Ainfi de même qu'il y a des objets Am-
ples ,nobles , fublimes , il y a auili
des enthoufiafmes qui leur répon-
â dent, & que les Peintres, les Mufî-
ciens , les Poètes fe partagent félon
les degrés qu'ils ont embraiïes ; &
dans lefquels il eil nécefiaire qu'ils fe
mettent tous , fans en excepter au-
cun ,pour arriver à leur but qui eil
TexprefTion de la Nature dans fou
beau. Et ccft pour cela que la Fon-
taine dans fes Fables, & Molière dans
fes Comédies font Poètes , & auilt

(a) Dans les fujcts idées produifent des


qui demandent fentimens qui leur ré-
thouiiamie , lede Dieu
l'en-
pondent. <jvà ' tpfùti
n'enlevé pas le Poète , tstp /aÇ>ofitvo'» y ceftet
dit Plutanpe , il ne ipavtx :<xï Off*i)V «sjy—
fait cjuc lui donner des
idées vives > lesquelles put. Vie de Coriol.
HFDUÏTS A UN PRINCIPE. 37
grands Poètes que Corneille dans fes
Tragédies , & RoufTeau dans {es
Odes.

CHAPITRE V.

De la manière dont les Arts font


leur imitation,

JUsqu'ici on a tâché de montrer


que les Arts confift oient dans l'imi-
tation &; que l'objet de cette imi-
tation étoit la belle Nature repréfen-
tée à l'efprit dans i'enthounafme. Il
ne relie plus qu'à expofer la manière
dont cette imitation fe fait. Et par-
là, on aura la différence particulière
des Arts dont l'objet commun efl
l'imitation de la belle Nature.
On peut divifer la Nature par rap-
port aux beaux Arts en deux parties :
l'une qu'on faifit par les Cyeux
iij , 6c
l'autre, par le miniïlere des oreilles î
38 Les beaux Arts
car les autres fens font ftériles pour
les beaux Arts. La première partie
eft l'objet de la Peinture qui repré-
fente fur un plan tout ce qui eft vi-
fible. Elle eft celui de la Sculpture
qui le repréfente en relief ; & enfin
celui de l'Art du gefte qui eft une
branche des deux autres Arts que je
viens de nommer , & qui n'en diffè-
re dans
, ce qu'il embraffe , que parce
que le fujet à qui on attache les ge-
lies dans la Danfe eft naturel & vi-
vant ,au lieu que la toile du Pein-
tre & le marbre du Sculpteur ne le
font point.
La féconde partie eft l'objet de
la Mufique confidérée feule & com-
me un chant ; en fécond lieu de la
Poëfie qui employé la parole , mais
la parole mefurée & calculée dans
tous fes tons.
Ainfi la Peinture imite la belle Na-
ture par les couleurs , la Sculpture
par les reliefs , la Danfe par les mou-'
reî5Uits A un Principe. 39
vemens & par les attitudes du corps.
La Mufique l'imite par les ions inarti-
culés6c, la Poëfie enfin par la parole
mefurée. Voilà les caractères diltin-
difs des Arts principaux. Ht s'il arri-
ve quelquefois que ces Arts fe mê-
lent & fe confondent , comme , par
exemple , dans la Poëfie , fi la Danfe
fournit des geftes aux A&eurs fur le
théâtre ; fi la Mufique donne le ton
de la voix dans la déclamation ; fî
le pinceau décore le lieu de la fcéne ;
ce font des fervices qu'ils fe rendent
mutuellement , en vertu de leur fin
commune & de leur alliance récipro-
que ,mais c'eiî fans préjudice ù leurs
droits particuliers & naturels. Une
Tragédie fans gefles , fans mufique ,
fans décoration , eft toujours un Poè-
me. C'eft une imitation exprimée par
le difeours mefuré. Une Mufique fans
paroles eft toujours mufique. Elle ex-
prime la plainte & la joie indépen-
damment des mots , qui l'aident , à,
Civ
40 Les beaux Arts
la vérité ; mais qui ne lui apportent,
ni ne lui ôtent rien qui altère fa na-
ture & ion cfTence. Son expreflion
effentielle eft le fon , de même que
celle de la Peinture eft la couleur ,
êc celle de la Danfe le mouvement
du corps. Cela ne peut être contefté.
Mais il y a ici une chofe à remar-
querC'eft
: que de même que les Arts
doivent choifir les defTeins de la Na-
ture & les perfectionner , ils doivent
choifir aufîï & perfectionner les ex-
preiïions qu'ils empruntent de la Na-
ture. Ils ne doivent point employer
toutes fortes de couleurs , ni toutes
fortes de fons : il faut en faire un
jufte choix & un mélange exquis : il
faut les allier, les proportionner, les
nuancer , les mettre en harmonie.
Les couleurs 8c les fons ont entreux
des fympathies 8c des répugnances.
La Nature a droit de les unir félon
fes volontés , mais l'Art doit le faire
■felpn les régies, Il faut non-feule«

■■■aaiHÈHM
déduits A un Principe. 41
inent qu'il ne bleiïe point le goût,
mais qu'il le flatte , & le flatte au^
tant qu'il peut être flatté.
Cette remarque s'applique égale-
ment àla Poefie. La parole qui eft
fon infiniment ou fa couleur, a chez
elle certains dégrés d'agrément qu'el-
le n'a point dans le langage ordinai-
re : c'eft le marbre choifi , poli , &
taillé , qui rend l'édifice plus riche,
plus beau , plus folide. 11 y a un cer-
tain choix de mots , de tours , fur-
tout une certaine harmonie réguliè-
re qui donne à fon langage quelque
chofe de furnaturel qui nous charme
& nous enlevé à nous-mêmes. Tout
cela a befoin d'être expliqué avec
plus d'étendue
troifiéme Partie. , & le fera dans la

Définitions des Arts.

Il eft aifé maintenant de définir


les Arts dont nous avons parlé juf-
42 Les beaux Arts
•qu'ici. On connoît leur objet , leur*
fin , leurs fonctions , & la manière
dont ils s'en acquittent ; ce qu'ils ont
de commun qui les unit; ce qu'ils
ont de propre , qui les fépare & les
diitingue.
On définira la Peinture , la Scul-
pture la
y Danfe, une imitation de
îa belle Nature exprimée par les
couleurs , par le relief , par les at-
titudes. Et la Mufique & la Poëfie „
l'imitation de la belle Nature expri-
mée par les fons , ou par le difeours
mefuré.
Ces définitions font (impies ,
elles font conformes à la nature du
génie qui produit les Arts , comme
on vient de le voir. Elles ne le font
pas moins aux loix du goût , on le
verra dans la féconde Partie.. Enfin
elles conviennent à toutes les efpé-
ces d'ouvrages qui font véritable-
dans lamenttroifïcme.
ouvrages de l'Art. On le verra
REDUITS A UN PRINCIPE. 43

CHAPITRE VI.

En quoi C Eloquence & l'Archite*


Bure différent des autres Arts,

J L faut fe rappeller un moment, la


divifïon des Arts que nous avons pro-
pofée ci-defîus. Les uns furent inven^
tés pour le feul befoin; d'autres pour
le plaifir ; quelques-uns durent leur
nahTance d'abord à la nécefTïté , mais,
ayant fçu depuis fe revêtir d'agré-
mens , ils le placèrent à côté de ceux
qu'on appelle beaux Arts par hon^
neur. Ceit ainfi que l'Architedure
ayant changé en demeures riantes Se
commodes , les antres que le befoin
avoit creufez pour fervir de retraite
aux hommes , mérita parmi les Arts,
une diftinction qu'elle n'avoit pas
auparavant.
H arriva la même chofe à l'Elo-
44 Les Beaux Arts
quence. Le befoin qu'avoicnt les
hommes de fe communiquer leur.s
penfées & leurs fentimens , les fit
Orateurs & Hiftoriens , dès qu'ils fu-
rent faire ufage de la parole. L'ex-
nce , tems , le goût ajoutèrent
périele
à leurs difcours, de nouveaux dégrés
de perfection. 11 fe forma un Art
qu'on appella Eloquence , & qui ,
même pour l'agrément , fe mit pref-
que au niveau de la Poéfie : fa proxi-
mité &, fa reiTemblance avec celle~
ci, lui donnèrent la facilité d'en em-
prunter les ornemens qui pouvoient
lui convenir , & de fe les ajurter. De-
là vinrent les périodes arrondies, les
antithèfes mefurées , les portraits
frappés , les allégories foutenues : de-
là, le choix des mots , l'arrangement
des phrafes , la progreiTîon fimmé-
onie. l'Art qui;
trique
fervit alorsde l'harm de modèleCe à fut
la Nature
ce qui arrive fouvent : ( a ) mais à une
( a) Voyez le cliap. 7. de la 2. part.
REDUITS A UN PRINCIPE. 4^
condition , qui doit être regardée
comme la bafe eflentielle & la régie
fondamentale de tous les Arts :
C'efl que , dans les Arts qui font
pour l'ufage de, la
le caraclere l'agrément prenne:
néceflité même
tout doit y paroître pour le beloin.
De même que dans les Arts qui font
deftinés au plaifir, l'utilité n'a droit
d'y entrer, que quand elle eftdeca-
radere à procurer le même plaifir ,
que ce qui auroit été imaginé uni-
quement pour plaire. Voilà la régie.
Ainfi de même que la Poëfie, ou
la Sculpture, ayant pris leurs fujets
dans l'Hiiloire , ou dans la Société ,
ie juitifieroient mal d'un mauvais
ouvrage , par la vérité du modèle
qu'elles auroient fuivi ; parce que ce
n'efl pas le vrai qu'on leur deman-
de , mais le beau : De même auffi
l'Eloquence & l'Architeclure méri-
teroient des reproches , fi le delTein
de plaire y paroilToit. Ceit chez elles
q.6 Les beaux Arts
que l'Art rougit quand il eft apper-
çu. Tout ce qui n'y eft que pour
l'ornement , eft vicieux. Ce n'eft pas
un fpectacie qu'on leur demande ,
c eft un fervice.
11 y a cependant des occafions ,
où l'Eloquence & l'Architecture peu-
vent prendre l'efTor. Il y a des Hé-
ros à célébrer , & des Temples à
bâtir. Et comme le devoir de ces
deux Arts eft alors d'imiter la gran-
, & d'exciter l'ad-
miration desobjet
deur de leur hommes ; il leur eft:
permis de s'élever de quelques dé-
grés &, d'étaler toutes leurs richef-
Jes : mais cependant, fans s'écarter
trop de leur fin originaire , qui eft
le befoin Se l'ufage. On leur deman-
de le beau dans ces occafions , mais
un beau qui foit d'une utilité réelle.
Que penferoit-on d'un édifice
fomptueux qui ne feroit d'aucun
ufage ? La dépenfe comparée avec
l'inutilité , formeroit une difpropor-
réduits A un Principe. 47
tîon defagréable pour ceux qui le
Verroient , & ridicule pour celui qui
I'auroit fait. Si l'édifice demande de
la grandeur, de la majefté , de l'élé-
gance ,c'eft toujours en confidéra-
tion du maître qui doit l'habiter. S'il
y a proportion, variété , unité , c'eft
pour le rendre plus aifé, plus folide,
plus commode : tous les agrcmens
pour être parfaits doivent fe tour-
ner àl'ufage. Au lieu que dans la
Sculpture les chofes d'ufage doivent
fe 1 ourner en agrémens.
L'Eloquence eftfoumife aux mê-
mes loix. Elle eft toujours , dans (es
plus grandes libertés , attachée à
l'utile Se au vrai; & fi quelquefois le
vraifcmblable ou l'agrément devien-
nent Ion objet ; ce n'eft que par rap-
port au vrai même , qui n'a jamais
tant de crédit que quand il plaît , &
qu'il eft vraifemblable.
L'Orateur ni l'Hiftorien n'ont rien
à créer , il ne leur faut de génie que
48 Les beaux Arts
pour trouver les faces réelles qui
font dans leur objet : ils n'ont rien à
y ajouter , rien à en retrancher : à pei-
ne ofent-ils quelquefois tranfpofer :
Tandis que le Poëte le forge à lui-
même les modèles , fans s'embaraiTer
de la réalité.
De forte que fi on vouloit défi-
nir la Poëfie par oppoiition à la
Profe ou à l'Eloquence , que je prens
ici pour la même choie ; on diroit
toujours que la Poëlie eft une imi-
tation de la belle Nature exprimée
par le diicours mefuré : & la Profe
ou l'Eloquence , la Nature elle-mê-
me exprimée par le difcours libre.
L'Orateur doit dire le vrai d une ma-
nière quile fa (Te croire, avec la force
& la {implicite qui perfuadent. Le
Poète doit dire le vrai-femblable
d'une manière qui le rende agréable ,
avec toute la grâce & toute l'éner-
gie qui charment & qui étonnent.
Cependant comme le plaifir prépare le
REDUITS A UN PRINCIPE. 49

Je coeur à la perfuafion , & que l'u-


tilité réelle flatte toujours l'homme *
qui n'oublie jamais fon intérêt ; il
s'enfuit, aue l'agréable & l'utile doi-
vent fe réunir dans la Poëfie& dans
la Profe : mais en s'y plaçant dans
un ordre conforme à l'objet qu'on
fe propofe dans ces deux genres d'é-
crire.
Si on objecloit qu'il y a des Ecrits
en profe qui ne foiitl'expreiîïon que
du vraiferr,blable;& d'autres en vers
qui ne font que l'expreiîion du vrai :
on répondroit que la Profe & la Poe-
lie étant deux langages voifins , &
dont le fond eft prefque le même ,
elles fe prêtent mutuellement tantôt
la forme qui les diflingue , tantôt
le fond même qui leur eft propre :
de forte que tout paroît travefti.
Il y a des fictions poétiques qui
fe montrent avec l'habit * fimple
D de
la profe : tels font les Romans &
tout ce qui eft dans leur genre. Il
$o Les beaux Arts,&c.
y a de même des matières vraies ,
qui paroifient revêtues & parées de
tous les charmes de l'harmonie poé-
tique :tels font les Poèmes didacti-
ques (a) & hifïoriques. Mais ces ri-
dions en pr ofe & ces hiftoires en vers,
ne font ni pure Profe ni Poëfie pure :
C'eft un mélange des deux natures ,
auquel la définition ne doit point
avoir égard : ce font des caprices
faits pour être hors de la régie , Se
dont l'exception elt abfolnment fans
conféquence pour les principes.
(a) On entend par race ,de Vida , de
poëmc didactique , Boileau. Ces Polîmes
celui qui ne contient n'ont le plus fouvent
qu'une fuite de pré- que le ftyle de la
ceptes expofés ouver- Pocfie , & quand ils
tement & fans nulle ont la fiction , ils de-
fiction : tels font les vien edans
nt , ces en-
Ouvrages & les Jours droitsde
, vrais Poè-
d'Héfiode , les Geor- mes dans la rigueur
giyttes àt: Virgile, les du terme.
Arts .poétiques d'Ho-

r^-i^-^MM
Ki(.>,.-;t.lfrt

LES BEAUX ARTS


REDUITS

A UN PRINCIPE.

Seconde Partie.
Ou on Etablit le Principe de
l'Imitation par la nature et
PAR LES LOIX DU GoUT.

\ t I tout eft lié dans la Nature ,


ll^v-jf parce que tout y efl: dans tor-
dre :tout doit l'être de même dans
Dii
£2 Les beaux Arts
les Arts , parce qu'ils font imitateurs
de la Nature. 11 doit y avoir un point
d'union , où le rappellent les parties
les plus éloignées : de forte qu'une
feule partie, une fois bien connue ,
doit nous faire au moins entrevoir
les autres.
Le Génie & le Goût ont le mê-
me objet dans les Arts. L'un le
crée , l'autre en juge. Ainfi , s'il efl
vrai que le Génie produit les ou-
vrages defArt
belle Nature par l'imitation
, comme on vientde de
la
le prouver ; le Goût qui juge des
productions du Génie , ne doit être
fatisfait que quand la belle Nature
efl bien imitée. On fent la juilelTe &
la vérité de cette conféquence : mais
il s'agit de la développer & de la
mettre dans un plus grand jour. C'efl
ce qu'on fe propofe dans cette Par-
tie ,où on verra ce que c'eil que le
Goût : quelles loix il peut preferire
aux Arts : & que ces loix fe bornent
UEDUITS A UN PRINCIPE. f$

toutes à l'imitation , telle que nous


venons delà cara&ériferdans la pre-
mière Partie.

CHAPITRE I.

Ce que c'efi que le Coût.


J L eft un bon Goût. Cette propo-
sition n'elt point un problême : &
ceux qui en doutent , ne font point
capables d'atteindre aux preuves
qu'ils demandent.
Mais quel efl-il , ce bon Goût ?
Eft-il potïïble qu'ayant une infinité
de régies dans les Arts , & d'exemples
dans les ouvrages des Anciens & des
Modernes , nous ne puiflions nous
en former une idée claire & précife ?
Ne feroit-ce point la multiplicité de
ces exemples mêmes , ou le trop
grand nombre de ces régies qui of-
Diij, en lui
fufqueroit notre efprit, & qui
54 Les beaux Arts
montrant des variations infinies , à
caufe de la différence des fujets trai-
,
tés l'empêch eroit de fe fixer à quel-
que chofe de certain , dont on pût
tirer une jufte définition.
11 eil un bon Goût, qui eft feu!
bon. En quoi confi fie- t'il ? De quoi
dépend-t'il ? Eft-ce de l'objet , ou
du génie qui s'exerce fur cet objet ?
A-tH des régies , n'en a-tJil point ?
EfKce Tefprit feul qui eiî fon orga-
ne ,ou le cœur feul , ou tous deux
enfemble ? Que de queflions fous ce
titre fi connu , tant de fois traité ,
& jamais affez clairement expliqué.
On diroit que les Anciens n'ont
fait aucun effort pour le trouver :
& que les Modernes au contraire ne
le faifiiTent que par hafard. Ils ont
peine à fuivre la route , qui paroît
trop étroite pour eux. Rarement ils
s'échappent fans payer quelque tri-r
but à Tune des deux extrémités. Il y
a de Taffe&ation dans celui qui écrit
REDUITS A UN PRINCIPE. $J
avec foin ; & de la négligence , dan£
celui qui veut écrire*>"{=>*
avec facilité.
Au lieu que dans les Anciens qui
nous relient, il femble que c'eft un
heureux Génie qui Iqs mène comme
par la main : ils marchent fans crain-
te & fans inquiétude , comme s'ils
ne pouvoient allerautrement. Quelle
en eit la raifon ? Ne feroit - ce pas
que les Anciens n'avoient d'autres
modèles que la Nature elle-même ,
& d'autre guide que le Goût : & que
les Modernes fe propofant pour mo-
dèles les ouvrages des premiers imi-
tateurs, &craignant de blcflér les rè-
gles que l'Art a établies , leurs copies
ont dégénéré & retenu un certain air
de contrainte , qui trahit l'Art, & met
tout l'avantage du côté de la Nature,
Ç'eft donc au Goût feul qu'il ap-
partient defaire de:-: chefs-d'œuvres,
& de donner aux ouvrages de l'Art ,
cet air de liberté & d'aifance qui en
fait toujours le plus grand mérite.
Div
$6 Les beaux Arts
Nous avons allez parlé de la Na-
ture & dts llnous
au Génie, exemples
reliequ'elle fournitle
à examiner
Goût & Tes loix. Tâchons d'abord
de le connoître lui-même, cherchons
fon principe : enfuite nous confidé-
rerons les régies qu'il preicrit aux
beaux Arts.
Le Goût eft dans les Arts ce que
l'Intelligence eft dans les Sciences.
Leurs objets font difrérens à la véri-
té ;mais leurs fondions ont entre
elles une fi grande analogie , que
l'une peut fervir à expliquer l'autre.
Le des
Celui vraiArts
eft l'objet des & Sciences.
eft le bon le beau.
Deux termes qui rentrent prefque
dans la même lignification , quand
on les examine de près.
L'intelligence confidere ce que
les objets font en eux - mêmes , fe->
Ion leur effence , fans aucun rapport
avec nous. Le Goût au contraire ne
s'occupe de ces mêmes objets que
j>ar rapport à nous.
REDUITS A UN PRINCIPE. f7

Il y a des perfonnes , dont l'cf-


prit eft fai'x, parce qu'elles croyent
voir la vérité où elle n'efl: point réel-'
lement. Il y en a anfîi qui ont le goût

le bon, parce
faux ou le mauvais où ils ne lentir
qu'elles croyent font
point en effet.
Une intelligence eft donc par-
faite ,quand elle voit fans nuage ,
& qu'elle distingue fans erreur le
vrai d'avec le faux , la probabilité
d'avec l'évidence. De même le Goût
eft parfait aufîi, quand, par une im-
preflion diftin&e , il fent le bon &
le mauvais , l'excellent & le médio-
cre ,fans jamais les confondre, ni
les prendre l'un pour l'autre.
Je
ce :lapuis donc dedéfinir
facilité l'Intelligen-
connoître le vrai
& le faux, & de les diflinguer l'un
de l'autre. Et le Goût : la facilité de
fentir le bon , le mauvais , le médio-
cre ,& de les diflinguer avec certi-
tude.
58 Les beaux Arts
Âintft j vrai & bon , connoiftancc
& goût , voilà tous nos objets &
toutes nos opérations. Voilà les
Sciences & les Arts.
Je laiffe à la Métaphyfique pro-
fonde àdébrouiller tous les reiîorts
fecrets de notre ame, & à creufer les
principes de Ces opérations. Je n'ai
pas belbin d'entrer dans ces difcuf-
fions fpéculatives , où Ton elt aufïï
obicur que fublime. Je parts d'un
principe que peribnne ne contefte.
Notre ame connoît , & ce qu'elle
connaît produit en elle un fenti-
ment. La connoifiance efl: une lu-
mière répandue dans notre ame : le
ientiment eft un mouvement qui IV
gite. L'une éclaire : l'autre échauffe.
L'une nous fait voir l'objet : l'autre
nous y porte , ou nous en détourne.
Le Goût elt donc un fentiment.
Et comme , dans la matière dont
il s'agit ici , ce ientiment a pour ob->
jet les Ouvrages de l'Art; & que les

BÉMOi ■■
REDUITS A UN PRINCIPE. 5"p
Arts , comme nous l'avons prouvé ,
ne font que des imitations de la belle
Nature; le Goût doit être un fenti-
ment qui nous avertit fi la belle Na-
ture eft bien ou mal imitée. Ceci iç
développera de plus en plus dans la
fuite.
Quoique ce fentiment paroiffe
partir brufquement «Se en aveugle ; il
eft cependant toujours précédé au
moins d'un éclair de lumière , à la
faveur duquel nous découvrons les
qualités de l'objet. Il faut que la
corde ait été frappée , avant que de
rendre le fon. Mais cette opération
efl 11 rapide , que fouvent on ne s'en
apperçoit point : & que la raifon ,
quand elle revient fur le fentiment, a
beaucoup de peine à en reconnoître
lacaufe. C'eft pour cela peut-être
que la fupériorité des Anciens fur les
Modernes eft fi difficile à décider*
Ç eft le Goût qui en doit juger : &
à fon tribunal , on fent plus qu'on
ne prouve.
€o Les beaux Arts

C H A PITRE IL

L'objet du G ont ne peut être que


la Nature.

FreuvesdeRaisonnement.

N Otre ame efr. faite pour con-


noitrc le vrai , & pour aimer le bon.
Et comme il y a une proportion na-
turelle entre elle & ces objets , elle
ne peut fe refufer à leur imprclîîon.
Elle s'éveille aufii-tot , & fe met en
mouvement. Une proportion Geo-
métrique bien compriie emporte né-
ccflaircmcnt notre aveu. Et de même

dans ce qui concerne le Goût , c'eft


notre coeur qui nous mène prefque
fans nous : & rien neft fi ailé que d'ai-
mer ce qui.efl: fait pour Terre.
Ce penchant fi fort & fi marqué ,
prouve bien que ce n eft ni le capri-
REDUITS A UN PRINCIPE. 6l
ce ni le haiard qui nous guident dans
nos connoiffances & dansnos goûts.
Tout eit réglé par des loix immua-
bles. Chaque faculté de notre ame
a un but légitime, où elle doit fe
porter pour être dans Tordre.
Le Goût qui s'exerce fur les Arts
n'efï point un Goût faclice. C'eit
une partie de nous-même qui eil née
avec nous , & dont l'office e(t de
nous porter à ce qui e 11 bon. La
connoiflance le précède : c'efr le
flambeau. Mais que nous ferviroit-il
de connoitre, s'il nous étoit indif-
férent dejouir ? La Nature étoit trop
fage pour féparer ces deux parties :
«Se en nous donnant la faculté de
connoître, elle ne pouvoit nous re-
fufer celle de fentir le rapport de
l'objet connu avec notre utilité , &
d'y être attiré par ce fentiment. C'efl:
ce fentiment qu'on appelle le Goût
naturel, parce que c'efl: la Nature
qui nous La donné. Mais pourquoi
62 Les beaux Arts
nous Ta-telle donné ? Etoit-ce pou?
juger des Arts qu'elle n'a point faits ï
Non : c'étoit pour juger des chofes
naturelles par rapport à nos plaifns
ou à nos befoins.
I/Induflrie humaine ayant enfuite
inventé les beaux Arts fur le modèle
de la Nature , & ces Arts ayant eu
pour objet l'agrément & le plaifir ,
qui font , dans la vie , un fécond or-
dre de befoins ; la reffemblance des
Arts avec la Nature , la conformité
de leur but , fembloient exiger que
le Goût naturel fut aufîi le Juge des
Arts : c'eft ce qui arriva. Il fut re-
connufans
, nulle contradiction : les
Arts devinrent pour lui de nouveaux
Sujets , fi j'ofe parler ainfi , qui fe
rangèrent paifiblement fous fa Jurif-
diction , fans l'obliger de faire pour
eux le moindre changement à fes
loix. Le Goût refta le même conf-
tamment : & il ne promit aux Arts
fon approbation , que quand ils lui
beduits a un Principe. 63
feroient éprouver la même impreP-
fion que la Nature elle-même; &
les chefs-d'oeuvres des Arts ne l'ob-
tinrent jamais qu'à ce prix.
Il y a
des hommes plus fait : comme
créer l'imagination
des Etres, à
fa manière ( ainil que nous l'avons
dit ) & que ces Etres peuvent être
beaucoup phis parfaits que ceux de
la fimple Nature'; il efr arrivé que le
Goût s'eft établi avec une forte de
prédilection dans les Arts , pour y
régner avec plus d'empire & plus
d'éclat. En les élevant & en les per-
fection il
ant , s'eft éle^é & perfec-
tionné lui-même : & fans ceffer d'être
naturel , il s'eft trouvé beaucoup
plus fin , plus délicat , & plus parfait
dans les même.
Nature Arts , qu'il ne l'étoit dans la

Mais cette perfection n'a rien


changé dans fon elïence. Il en1 tou-
jours tel qu'il étoit auparavant : in-
dépendant ducaprice. Son objet eîl
t>4 Les beaux Arts
éfi'entièllement le bon. Que ce foi?:
l'Art qui le lui prélente , ou la Na-
tureil, ne lui importe , pourvu qu'il
jouiiie. C'eft (a fonction. S'il prend
quelquefois le faux bien pour le vrai ,
c'eil l'ignorance qui le détourne ou
le préjugé : c'étoit à la raifon à les
écarter , & à lui préparer les voies.
Si les hommes étoient aiïez at-
tentifs pour reconnoître de bonne
heure en eux-mêmes ce Goût natu-
rel &, qu'ils travaillaffent enfuite à
Tétendre , à le développer , à l'aigui-
fer par des obfervations , des com-
paraifons , des réflexions , &c. ils au-
f oient une régie invariable & infail-
lible pour juger des Arts. Mais com-
me la plupart n'y penfent que quand
ils font remplis de préjugés ; ils ne
peuvent démêler la voix de la Na-
ture dans une fi grande confufion.
Ils prennent le faux Goût pour le
vrai : ils lui en donnent le nom : il
en exerce impunément toutes les
fonctions.
REDUITS A UN PRINCIPE. 6$
fondions. Cependant la Nature eit
fi forte , que fi, par halard, quelqu'un
d'un goût épuré s'oppofe à Terreur,
il fait bien fonvent rentrer le goût
naturel dans ks droits.
On le voit de tems en tems : le
peuple même écoute la réclamation
d un petit nombre , & revient de fa
prévention. Eft-ce l'autorité des
hommes, ou plutôt n'efr.- ce point
la voix de la Nature qui opère ces
changemens ? Tous les hommes font
prefque à l'uniiTon du côté du coeur.
Ceux qui les ont peints de ce côté ,
n'ont fait que fe peindre eux-mêmes»
On leur a applaudi , parce que cha-
cun s'y eft reconnu. Qu'un homme,
qui ait le goût exquis 9 foit attentif
à l'impreffion que fait fur lui l'Ou-
vrage de l'Art, qu'il fente difrinfte-
ment , & qu'en conféquence il pro-
nonce :il n'efl: gueres pofùble que
les autres hommes ne fouferivent à
fon jugement. Ils éprouvent le mê-
66 Les beaux Arts
me fcntiment que lui , fi ce n'effc au
même degré, du moins fera-t'il de
la même efpece : & quels que foient
le préjugé & le mauvais goût , ils fe
foumettent , & rendent fécrétement
hommage à la nature.
pmnini mi unn— BWiTTWiTwrirHi I ■iiiitit^t^^'b

CHAPITRE III.

Preuves tirées
du deCoût.
l ' Hifioire même

L E goût des Arts a eu (es com-


mencemens , fes progrès , fes révo-
lutions dans l'univers ; & (on Hif-
toire d'un bout à l'autre, nous mon-
tre ce qu'il eft , & de quoi il dépend.
11 y eut un tems , où les hommes,
occupés du feul foin de foutenir ou
de défendre leur vie , n'étoient que
Laboureurs ou Soldats : fans loix ,
fans pnix , fans mœurs , leurs focié-
tés n'étoient que des conjurations.
réduits A un Principe. 6j
Ce ne fut point dans ces tems de
trouble
éclore les& beaux
de ténèbres
Arts. On qu'on vit
fent bien

par leur caraclere , qu'ils font les en-


fans de l'Abondance & de la Paix.
Quand on fut las de s'entrenuire ;
& , qu'ayant appris par une funefte
expérience , qu'il n'y avoit que la
vertu & la juftice qui pulTent rendre
heureux le genre humain , on eut
commencé à jouir de la protedion
des loix ; le premier mouvement du
cœur fut pour la joie. On fe livra
aux plaifirs qui vont à la fuite de
l'innocence.Le Chant & la Danfe fu-
rent les premières exprefîions du fen-
timent : & enfuite le loifir , le be-
foin , l'occafion , le hafard } donnè-
rent l'idée des autres Arts , & en ou-
vrirent lechemin.
Lorfque les hommes furent un
peu dégrofhs par la fociété , & qu'ils
Eij va-
eurent commencé à fentir qu'ils
loient mieux par l'efprit que par le
6$ Les beaux Arts
corps ; il fe trouva fans doute quel-
que homme merveilleux , qui , infpi-
ré par un Génie extraordinaire , jetta
les yeux fur la Nature. Il admira cet
ordre magnifique joint à une va-
riété infinie , ces rapports Ci juftes
dçs moyens avec la fin , des parties
avec le tout, des caufes avec les ef-
fets. 11fentit que la Nature étoit (im-
pie dans fes voies, mais fans mono-
tonie riche
; dans ics parures , mais
fans affedation ; régulière dans [es
plans , féconde en reflbrts , mais fans
s'embarraiïer elle-même dans (es ap-
prêts & dans Ces régies. Il le fentit
peut-être fans en avoir une idée bien
claire ; mais ce fentiment fufïiioit
pour le guider jufqu'à un certain
point, & le préparer à d'autres con-
noiffances.
Après avoir contemplé la Nature,
il fe confidéra lui-même. 11 recon-
nut qu'il avoit un goût-né pour les
rapports qu'il avoit obfervés s qu'il
REDUITS A UN PRINCIPE. 6<?
en étoit touché agréablement. Il
comprit que Tordre, la variété, la
proportion tracées avec tant d'é-
clat dans les Ouvrages de la Nature,
ne dévoient point feulement nous
élever à la connoilTance d'une Intel-*
ligence fuprême ; mais qu'elles pou-
voient encore être regardées com-
me des leçons de conduite , & tour-
nées au profit de la fociété hu-
maine.
Ce fut alors , à proprement par-
ler ,que les Arts fortirent de la Na-
ture. Jufques-là , tous leurs élémens
y avoient été confondus & difper-
fés comme dans une forte de cahos.
On ne les avoit gueres connus que
par foupçon , ou même par une forte
d'inftind. On commença alors à en
démêler quelques principes. On fit
quelques tentatives qui aboutirent
à des ébauches. Cetoit beaucoup :
Eii
j dont
il n'étoit pas aifé de trouver ce
on n'avoit pas une idée certaine k
70 Les beaux Arts
même en le cherchant. Qui auroît
cru que l'ombre d'un corps , envi-
ronné d'un fimple trait , pût deve-
nir un tableau d'Apelie , que quel-
ques accens inarticulés puilent don-,
ner nailTance à la Mufique telle que
nous la connoiflfons aujourd'hui ?
Le trajet eft immenfe. Combien nos
Pères ne firent-ils point de courfcs
inutiles , ou même oppofécs à leur
terme? Combien d'efforts malheu-
reuxde
, recherches vaincs , d'épreu-
ves fans fuccès ? Nous jouiffons de
leurs travaux ; & pour toute recon-
noiffance, ils ont nos mépris.
Les Arts en naiflant étoient com-
me font les hommes. Ils avoient be-
foin d'être formés de nouveau par
une forte d'éducation. Us fortoient
de la barbarie : c'étojt une imita-
tion il
, eft vrai , mais une imitation
grofhere , Se de la Nature groffiere
elle-même. Tout l'Art confiftoit à
peindre ce qu'on voyoit , & ce qu'on
REDUITS A UN PRINCIPE. 71
fentoit. On ne favoit pas çhoifir.
La confufion régnoit dans le def-
fein , la difproportion ou l'unifor-
mité dans les parties , l'excès , la
bizarrerie , la grofîiereté dans les or-
■nemens. C'étoit des matériaux plu-
toit.tôt qu'un édifice. Cependant on imi-
Les Grecs doués d'un génie heu-
reux faifirent enfin avec netteté \gs
traits efTentiels & capitaux de la belle
Nature ; & comprirent clairement
qu'il ne fuffifoit pas d'imiter les cho-
fes , qu'il falloit encore les choifir.
Jufqu'à eux les Ouvrages de l'Art
n'avoient gueres été remarquables ,
que par l'énormité de la mafie ou de
l'entreprife. C'étoient les Ouvrages
des Titans. Mais les Grecs plus éclai-
rés fentirent qu'il étoit plus beau de
charmer l'efprit , que d'étonner ou
d'éblouir les yeux. Ils jugèrent que
l'unité , la variété , la proportion ,
dévoient erre le fondement de tous

E iv
72 Les beaux Arts
les Arts ; & fur ce fonds fi beau ,
(1 jufte , fi conforme aux loix du
Goût & du Sentiment , on vit chez
eux la toile prendre le relief & les
couleurs de la Nature , le bronze
& le marbre s'animer fous le cifeau.
La Mufique , la, Poëfie
r Architecture , l'Eloquence
enfantèrent aulfitôt,
des miracles. Et comme l'idée de
la perfection , commune à tous les
Arts , fe fixa dans ce beau fiécle ;
on eut prefque à la fois dans tous
les genres des chef- d'oeuvres qui
depuis fervirent de modèles à toutes
les Nations polies. Ce fut le premier
triomphe des Arts.

Elle,Rome
connutdevint
toutesdifciple d'Athènes,
les merveilles de
la Grèce. Elle les imita : & fe fit bien-
tôt autant eftimer par ^s ouvrages
de Goût , qu'elle s'étoit fait craindre
par (ts armes. Tous les Peuples lui
applaudirent:& cette approbation fie
voir que les Grecs qui avoient été
KEDUITS A UN PRINCIPE. 73

imités par les Romains étoient d'ex-


cellens modèles , & que leurs régies
n'étoient prifes que dans la Nature.
Il arriva des révolutions dans l'U?
nivers. L'Europe fut inondée de
Barbares , Jes Arts & les Sciences
furent enveloppés dans le malheur
des tems. Il n'en relia qu'un foible
crepufcule, qui néanmoins jettoit de
tems en tems allez de feu , pour faire
comprendre qu'il ne lui manquoit
qu'une occafion pour fe rallumer.
Elle fe préfenta. Les Arts exilés de
Conflantinople vinrent fe réfugier
en Italie : on y réveilla les mânes
d'Horace , de Virgile , de Ciceron.
On alla fouiller jufques dans les tom-
beaux qui avoient fervi d'azile à la
Sculpture & à la Peinture. Bientôt ,
on vit reparoître l'Antiquité avec
toutes les grâces de la jeunefTe : elle
faifit tous les coeurs. On reconnoif-
foit la Nature. On feuilleta donc les
Anciens : on y trouva des régies
74 Les beaux Arts
établies , des principes expofés , des
exemples tracés. L'Antique fut pour
nous , ce que la Nature avoit été
pour les Anciens. On vit les Artiftes
Italiens & François , qui n'avoient
point iaifTé que de travailler, quoi-
que dans les ténèbres , on les vit
réformer leurs ouvrages fur ces
grands modèles. Ils retranchent le
faperflu , ils remplirent les vuides ,
ils tranfpofent , ils deflïnent , ils po-
fent les couleurs , ils peignent avec
intelligence. Le Goût le rétablit peu
à peu : on découvre chaque jour de
nouveaux dégrés de perfection ( car
il étoit ailé d'être nouveau fans cef-
fer d'être naturel). Bientôt l'admi-
ration publique multiplia les talens :
l'émulation les anima : les beaux
Ouvrages s'annoncèrent de toutes
parts en France & en Italie. Enfin
le Goût cil: arrivé au point où ces
Nations pouvoient le porter. Sera-»
ce une fatalité de defeendre , & de fe
REDUITS A UN PrINCITE. 7J
rapprocher du point d'où Ton eft
parti ?
Si cela eft , on prendra une au-
tre route : les Arts fe font formés &

perfectionnés en s'approchant de la
Nature ; ils vont fe corrompre & fe
perdre en voulant lafiirpalTer. Les ou-
vrages ayant eu pendant un certain
tcms le même degré d'affaifonnement
& de perfection , &le goût des meil-
leures chofes s'émouflant par l'ha-
bitude ,on a recours à un nouvel
Art pour le réveiller. On charge la
Nature : on l'ajufte : on la pare au
gré d'une fauiîe délicatefTe : on y
met de l'entortillé , du myftère , de
la pointe : en un mot de l'affecta-
tion ,qui eft l'extrême oppofé à la
groifiereré : mais extrême , dont il eft
plus difficile de revenir que de la
grofïiereté même. Et c'eft ainiî que
ïe Goût Se les beaux Arts périffent
en s'éloignant de la Nature.
Ce fut toujours par ceux qu'on
76 Les beaux Arts
appelle heaux efprits que la déca-
dence commença. Ils furent plus
funeftes aux Arts que les Goths , qui
ne rirent qu'achever ce qui avoit été
commencé par les Plines & les Se-
neques , & tous ceux qui voulurent
les imiter. Les François font arrivés
au plus haut point : auront-ils des
préfervatifs affez puiffants pour les
empêcher de defcendre ? L'exemple
du bel-efprit eft brillant , & conta-
gieux d'autant
être moins plus à ,fuivre.
difficile qu'il eli peut-

Ki'taaBMi r rriiwfli

CHAPITRE IV.

Les loix du Goût rtont pour objet


que l'imitation
Nature,de la belle

JLE Goût eft donc comme le Gé-


nie, une faculté naturelle qui ne peut
avoir pour objet légitime que la Na-»
REDUITS A UN PRINCIPE. 77
ture elle-même , oucequiluireiTem-
ble. Tranfportons-le maintenant au
milieu des Arts , & voyons quelles
font les loix qu'il peut leur di&er.
I. Loi GENERALE DU GoUT.

Imiter la belle Nature,

Le Goût efl la voix de l'amour


propre. Fait uniquement pour jouir,
il elt avide de tout ce qui peut lui
procurer quelque fentiment agréa-
ble. Or comme il n'y a rien qui nous
flatte plus que ce qui nous appro-
che de notre perfedion, ou qui peut
nous la faire eipérer; il s'enfuit, que
notre Goût n'en1 jamais plus fàtis-
fait que quand on nous préfente des
objets, dans un degré de perfection,
qui ajoute à nos idées, &femble nous
promettre des imprefllons d'un ca-
ractère ou d'un degré nouveau , qui
tirent notre coeur de cette efpèce
d'engourdiiiément où le laiilént les
78 Les beaux Arts
objets auxquels il eft accoutumé;
C'ell pour cette raifon que les
beaux Arts ont tant de charmes pour
nous. Quelle différence entre l'émo-
tion que produit une hiftoire ordi-
naire qui ne nous offre que des
exemples imparfaits ou communs ; 8c
cette extafe que nous caufe la Poé-
fie , lorfquelle nous enleye dans ces
régions enchantées , où nous trou-
vons réalifés en quelque forte les
plus beaux fantômes de l'imagina-
tion !L'Hiftoire nous fait languir
dans une efpece d'efclavage : & dans
la PoèTie , notre ame jouit avec com-
plaifance de fon élévation & de fa
liberté, (a)
(a) Res gfJÎA & vera , ohvià rerum fa~
eventus qui vers, hif- tietate & fimilitudine
torla. fubjiciunttir } non anima human&jcftidio
funt ejus emplit ndini s
in quâ anima humana jit , reficit eam& po'ejis
inexpecîata varia,
fili fatiifaciat ; pr&fto & ■vicijfitudmum ple-
eft Po'ejis qu<z facia nacanens. Bacon. Oi-
m.igis heroïca confin- gani. lib. 4.
gat Qum hijioria
REDUITS A UN PRINCIPE. 7p

De ce principe il fuit non-feule-


ment que c'eft la belle Nature que
le Goût demande ; mais encore que
la belle Nature eft, félonie Goût,
celle , qui a i °. le plus de rapport
avec notre propre perfe&ion , notre
avantage , notre intérêt. 2°. Celle
qui eft en même-tems la plus par-
faite en foi. Je fuis cet ordre , parce
que c'eft le Goût qui nous mène dans
cette matière : id gêner atim-pulcrum
eji , quod tum ipfius naturœ, turn nof-
tra convenit.
Suppofons que les régies nexi-
fient point : & qu'un Artifte philo-
fophe foit chargé de les reconnoître
& de les établir pour la première
fois. Le point d'où i: part eft une
idée nette & précife de ce dont U
veut donner des régies. Suppofons
encore que cette idée fe trouve dans
la définition des Arts , telle que nous
( a ) AvBor Dijfert. \ tnâine. Delcft. epigr.
de ver a &> j'alfâ pulcri- |
8o Les beaux Arts
l'avons donnée : Les Ans font VU
mitaùon âe la belle Nature, II fe
demandera enfuite , quelle eft la fin
de cette imitation ? Il fentira aifé-
ment que c'eftde plaire , de remuer,
de toucher , en un mot le plaifir. Il
fait d'où il part : il fait où il va : il
lui eft aifé de régler fa marche.
Avant que de pofer (es loix , il
fera long-tems obfervateur. DJun
côté il confidérera tout ce qui eft
dans la Nature phyfique & morale :
les mouvemens du corps & ceux de
Tarne , leurs efpéces , leurs dégrés ,
leurs variations , félon les âges , les
conditions , les fituations. De l'au-
tre côté , il fera attentif à Timpref-
fion des objets fur lui-même. Il ob-
fervera ce qui lui fait plaifir ou peine ,
ce qui lui en fait plus ou moins ,
& comment , & pourquoi cette im-
preffion agréable ou défagréable eft
arrivée jufqu'à lui.
Il voit dans la Nature, des êtres
animés ,
réduits A un Principe. 8i

animes , & d'autres qui ne le font


pas. Dans les êtres animés , il en voie
qui raifonnent, & d'autres qui ne rai-
fonnent pas. Dans ceux qui raifon-
nent ,il voit certaines opérations
qui fuppofent plus de capacité , plus
d'étendue, qui annoncent plus d'or-
dre Se de conduite.
Au-dcdans de lui-même il s'ap-
perçoit i°. Que plus les objets s'ap-
prochent de lui , plus il en effc tou-
ché : plus ils s en éloignent , plus
ils lui font indifférens. 11 remarque
que la chute d'un jeune arbre l'in-
térefle plus que celle d'un rocher :
la mort d'un animal qui lui paroif-
foit tendre & fidèle , plus qu'un arbre
déraciné : allant ainfi de proche en
proche , il trouve que l'intérêt croît
à proportion de la proximité qu'ont
les
cil objets qu'il voit, avec l'état
lui-même. *F où il
De cette première obfervation
notre Légiflatcur conclut , que la
82 Les beaux Arts
première qualité que doivent avoir les
objets que nous préfentent ies Arts,
c'en1 , qu'ils foient intéreiïans ; c'elt-
à-dire , qu'ils ayent un rapport inti-
me avec nous. L'amour propre eftle
reiîbrt de tous les plaifirs du cœur
humain. Ainfi il ne peut y avoir rien
de plus touchant pour nous , que
l'image des pallions & des actions
des hommes ; parce qu'elles font
comme des miroirs où nous voyons
les nôtres , avec des rapports de dif-
férence ou de conformité.
L'Obfcrvatcur a remarqué en fé-
que ce qui donne de l'e-
xercice,&du mouvement à fon ef-
cond lieu
prit & à fon coeur , qui étend la fphe-
re de (ts idées & de (es fentimens ,
avoit pour lui un attrait particulier.
Il en a conclu que ce n'étoit point
affez pourchoifi,
auraient les Arts
fût que l'objet ,qu'ils
intéreflant mais
qu'il devoit encore avoir toute la
perfedion, dont il eft fufceptible :
REDUITS A UN PRINCIPE. 8$

'd'autant plus que cette perfection


même renferme des qualités entière-
ment conformes à la Nature de no-
tre ame & à l'es befoins.
Notre ame cil un compofé de
force & de foiblefle. Elle veut s'é-
lever ,s'agrandir ; mais elle veut le
faire aifément. Il faut l'exercer , mais
ne pas l'exercer trop. C'eft le dou-
ble avantage qu'elle tire de la per-
fection des objets que les Arts lui
préfentent.
Elle y trouve d'abord la variété,
qui fuppofe le nombre & la différen-
te des parties , préfentées à la fois ,
avec des pofitions , des gradations,
des contraftes piquans. ( Il ne s'agit
point de prouver aux hommes les
charmes de la variété ) L'efprit eft re-
mué par rimprciîion des différentes
parties qui le frappent toutes enfem-
ble , & chacune en particulierFij, & qui
multiplient ainii (es fentimens & fes
idées.
$4 Les beaux Arts
Ce n'eft point allez de les multi-
plieril, faut les élever &les étendre.
C/ed pour cela que l'Art eft obligé
de donner à chacune de ces parties
différentes , un degré exquis de force
& d'élégance , qui les rende fingulie-
res, & les faffe paroître nouvelles.
Tout ce qui eft commun , eft ordinai-
rement médiocre. Tout ce qui eft
excellent , eft rare , fmgulier & fou-
vent nouveau. Ainfi , la variété 6c
l'excellence des parties font les deux
refïbrts qui agitent notre ame , & qui
lurcaufeat le plaifir qui accompagne
le mouvement & l'aétion. Quel état
plus délicieux que celui d'un hom-
me qui reffentiroit à la fois les im-
preilions les plus vives de la Pein-
ture de
, la Mufique , de la Danfe ,
de la Pocfie , réunies toutes pour le
charmer ! Pourquoi faut-il que ce
plaifir
la vertufoit? fi rarement d'accord avec
Cette fituation qui feroit délicieu-
REDUITS A UN PRINCIPE. 8j
fe , parce quelle exerceroit à la fois
tous nos fens & toutes les facultés
de notre ame , deviendroit défa-
gréable , Il elle les exerçoit trop. Il
faut ménager notre foiblefTe. La
multitude des parties nous fatigue-
roit , fi elles n'étoient point liées
entr'elles par la régularité,qui les dif-
pofe tellement , qu'elles fe réduifent
toutes à un centre commun qui les
unit. Rien n'eft moins libre que l'Art,
dès qu'il a fait le premier pas. Un
Peintre qui a choifi la couleur & l'at-.
titude d'une tête , fi c'eft un Raphaël
ou un Rubens , voit en même-tems
les couleurs & les plis de la draperie
qu'il doit jetter fur le relie du corps.
Le premier connoifTeurqui vit le fa-
meux Torfe (a) de Rome reconnut,
Hercule filant. Dans la Mufique le
premier ton fait la loi , & quoiqu'on
( a \ Torfe , terme
qui Fiij corps
n'a ou
qu'un
ck fculpturc qui fe die (ans tête fans bras,
d'une figure tronquée ou fans jambes.
$6 Les beaux Arts
paroifle s'en écarter quelquefois ,
ceux qui ont le jugement de 1 oreille
Tentent aifément qu'on y tient tou-
jours comme par un fil fecret. Ce
font des écarts pindariques (*) qui
deviendraient un délire, fi on perdoit.
de
& levuebutle oùpoinp d'où arriver.
on doit Ton cfî parti s

L'unité ce la variété produifent la


fymmétrie & la proportion : deux
qualités qui fuppofent la diftinftion
Se la différence des parties , Se en mê~
me-tems un certain rapport de con-
formité entr elles. La fymmétrie par-
tage pour
, ainfi dire , l'objet en deux.
(a) Un écart efr. , ont paru peu impor-
lorfcju'on palfc brus- tantes , & àfuppléerv
aifez faciles d'ailleurs
quement d'un objet à
un autre qui en pa- le Po'éte ne les a point
roît entièrement fér exprimées , & a faifi
paré. Ces deui ob-
jets fcfont trouvés liés fans préparation l'ob-
jet qu'elles ont amené:
dans l'efprit par des ce qui fait paroirre
une forte de vuide
idées qu'on pourroit
appcllcr médiantts.
Mais comme ces idées qu'on appelle Ecart.
REDUITS A UN PRINCIPE. 8j
place au milieu les parties uniques ,
& à côté celles qui font répétées :
ce qui forme une forte de balance
& d'équilibre qui donne de Tordre ,
de la liberté , de la grâce à l'objet.
La Proportion va plus loin , elle en-
tre dans le détail des parties qu'elle
compare entr'elles «Se avec le tout ,
& préfente fous un même point de
vue l'unité , la variété, & le concert
agréable de ces deux qualités en-
tr'elles. Telle eft l'étendue de la loi
du Goût par rapport au choix & à
l'arrangement des parties des objets.
D'où il faut conclure , que la bel-
le Nature , telle qu'elle doit être pré-
fentée dans les Arts , renferme toutes
les qualités du beau & du bon. Elle
doit nous flatter du côté de l'efprit,
en nous offrant des objets parfaits
en eux-mêmes, qui étendent & per-
fectionnent nos idées; c'efr. le beau.
Elle doit flatter notre cœur en nous
montrant dans ces mêmes objets des
F iv
88 Les beaux Arts
intérêts qui nous foicnt chers , qui
tiennent à la confervation ou à la
perfection de notre être, qui nous faf-
fent fentir agréablement notre pro-
pre exidence : & çcïï. le bon , qui, fc
réunifiant avec le beau dans un mê-
me objet préfente , lui donne tou-
tes les qualités dont il a befoin poui'
exercer & perfectionner à la fois no ■?
tre cceur & notre efprit.

CHAPITRE V.

IL Loi générale du Goût.

£>hc la, belle Nature fit bitn


imitée.

C^Ette Loi a le même fonder


ment que la première. Les Arts imi-r
tent la belle Nature pour nous char-
mer ,en nous élevant à une fphere
plus parfaite que celle où nous forn-.
réduits a un Principe. 89
rnes : mais fi cette imitation cft im-
parfale
ite , plaifîr des Arts eft nécef-
ïairement mêlé de déplaifir. On veut
nous montrer l'excellent , le parfait ,
mais on le manque & on nous laiiTe
des regrets. J'allois jouir d'un beau
fonge
& me ,ravit
un trait
mon mal rendu m'éveille
bonheur.
L'imitation , pour être auilï parfaite
qu'elle peut l'être , doit avoir deux
qualités : l'exactitude & la liberté,
L'une
nime. régie l'imitation, & l'autre Va.-*
Nous fuppofons en vertu de la
première Loi , que les modèles font
bien choifis, bien compofés , & net-?
tement tracés dans l'efprit. Quand,
une fois l'Artifte eft arrivé à ce point,
l'exactitude du pinceau n'eft plus
qu'une efpèce de méchanifme. Les
objets ne fe conçoivent même bien,
que quand ils font revêtus des cour
leurs avec lefquelles ils doivent pa^
fpître au dehors :
€)D Les beaux Arts

Ce <pe Ton conçoit bien s'énonce clairement ,


Et les mots , pour le dire , arrivent aifément.

Ainfi tout efl prefque fini pour l'é-


xa&itude, quand le tableau idéal efl
parfaitement formé. Mais il n'en efl
pas de même de la liberté, qui efl
d'autant plus difficile à atteindre ,
qu'elle paroît oppofée à I'exaditude.
Souvent Tune n'excelle qu'aux dé-
turepensfefoit
de l'autre. Il femble
réfervée que ladeNa-
à elle feule les
concilier , pour faire par-là recon-
noître fa fupériorité. Elle paroît tou-
jours naïve , ingénue. Elle marche
fans étude & fans réflexion , parce
qu'elle eft libre. Au lieu que tes Arts
liés à un modèle portent prefque
toujours les marques de leur fervi-
tude.
Les A&eurs agiflent rarement fur
la fcéne comme ils agiroient dans la
réalité. Un Augufte de Théâtre eft
tantôt embarailé de fa grandeur, tan-
KEDUÏTS A UN pRUTCIP*. <? I
tôt de tes fentimens. Et fi dans la
Comédie Crifpin eft plus vrai ; c'eft
que fon rôle fabuleux approche da-
vantage defa condition réelle. Ainfï
le grand principe pour imiter avec
liberté dans les Arts , feroit de fe

perfuader qu'on eft à Trezêne, qu'-


Hippolyte eft mort , & qu'on eft
réellement Theramene. Alors Ta-r
âfion aura un autre feu & une autre
liberté :

Vaulum interejfe cenfes ex animo omnit


Ut fert natur* facitts , An de induftria.

C'eft pour atteindre à cette liberté


que les grands Peintres laiflent quel-
quefois jouer leur pinceau fur la toi-
le :tantôt , cJeft une fymmétrie rom-
pue tantôt,
; un défordre affecté dans
quelque petite partie ; ici, ceft un
ornement négligé ; là , un défaut mê-
me ,laïiTé à deiTein : c'en1 la loi de
l'imitation qui le veut ;
Les beaux Arts

A ces petits défauts marqués dans la Peinture,


92
L'eiprit avec plaiiîr reconnoît la Nature.
Avant de finir ce Chapitre , qui
regarde la vérité de l'imitation , exa-
minons d'où vient que les objets qui
déplaifent dans la Nature font fi
agréables dans les Arts : peut-être en
trouverons-nous ici la raifon.
Nous venons de dire que les Arts
affectaient des négligences pour pa-
roître plus naturels & plus vrais.
Mais ce rafinement ne fuffit pas en-
core pour
, qu'ils nous trompent au
point de nous les faire prendre pour
la Nature elle-même. Quelque vrai
que foit le tableau , le cadre fcul le
trahit : in omni re procùl âubio vin-
cit imitation em veritas. Cette ob-
fervation fuffit pour réfoudre le pro-
blême dont il s'agit.
Pour que les objets plaifent à
notre efprit, il fuffit qu'ils foient par-
faits en eux-mêmes. 11 les enviiage
KEDUITS A UN PRINCIPE, O?

fans intérêt : & pourvu qu'il y trouve


de la régularité , de la hardieffe, de
l'élégance , il eft fatisfait. Il n'en effc
pas de même du coeur. 11 n'eft tou-
ché des objets que félon le rapport
qu'ils ont avec l'on avantage propre.
C'efi: ce qui régie fon amour ou fa
haine. De-là il s'enfuit , que l'efprit
doit être plus fatisfait des ouvrages
de l'Art , qui lui offre le beau ; qu'il
ne l'ed ordinairement de ceux de la
Nature, qui a toujours quelque chofe
d'imparfait : & que le cœur au con-
trairedoit
, s'intéreifer moins aux ob-
jets artificiels qu'aux objets naturels,
parce qu'il a moins d'avantage à en
attendre. Il faut développer cette
féconde conféquence.
Nous avons dit que la vérité l'ern-
portoit toujours fur l'imitation. Par
conféquent, quelque foigneufement
que foit imitée la Nature , l'Art s'é-
chappe toujours , & avertit le cœur,
que ce qu'on lui préiénte n'eft qu'un
£4 Les beaux Arts
fantôme , qu'une apparence ; 3c
qu'ainfi il ne peut lui apporter rien
de réel. C'efr ce qui revêt d'agrément
dans les Arts les objets qui étoient
défagréables dans la Nature. Dans
la Nature ils nous faifoient craindre
notre defl ruclion , ils nous caufoient
une émotion accompagnée de la
vue d'un danger réel : & comme Té-
motion nous plaît par elle-même ,
& que la réalité du danger nous dé-
plaîtil, s'agilToit de féparer ces deux
parties de la même impreflion. C'eft
à quoi l'Art a réufli : en nous pré-
fentant l'objet qui nous effraye , &
en fe lailTant voir en même-tems lui-
même , pour nous ralTurer & nous
donner, par ce moyen, le plaifïr de
l'émotion , fans aucun mélange des-
agréable. Et s'il arrive par un heu-
reux effort de l'Art , qu'il foit pris
un moment pour la Nature elle-mê-
me ,qu'il peigne par exemple un Ser-
peut , allez bien pour nous caufer
REDUITS A UN PRINCIPE- O Ç

les al larmes d'un danger véritable ;


cette terreur cil auflitôt fuivie d'un
retour gracieux , où famé jouit de
fa délivrance comme d'un bonheur
réel. Ainfî l'imitation elt toujours la
fource de l'agrément. C'efl: elle qui
tempère l'émotion , dont l'excès fe-
roit défagréable. C'efl: elle qui dé-
dommage lecœur , quand il en a
fouflert l'excès.
Ces effets de l'imitation fi avan-
tageux pour les objets défagréablcs,
fe tournent entièrement contre les
objets agréables par la même raifon.
L'imprelîion elt affoiblie : l'Art qui
paroît à côté de l'objet agréable ,
fait connoître qu'il eft faux. S'il efï
aiïez bien imité , pour paroître vrai ,
& pour que le cœur en jouiffe un
inftant comme d'un bien réel ; le
retour , qui fuit , rompt le charme &
rejette le cœur , plus trille , dans fon
premier état. Ainfi , toutes chofes
égales d'ailleurs , le cœur doit être
96 Les beaux Arts
beaucoup moins content des objets
agréables dans les Arts , que des des-
fagréables. Aufîi voit-on que les Ar-
tiites réulîilTent beaucoup plus aifé-
ment dans les uns que dans les au-
tres. Dès qu'une fois les Acteurs font
arrivés à un bonheur confiant , on
les abandonne. Et fi on efl: touché
de leur joie dans quelques fcénes qui
paflent vite , c'eit parce qu'ils ibr-
tent d'un danger , ou qu'ils font prêts
d'y entrer. Il efl: vrai cependant qu'il
y a dans les Arts des images gracieu-
ies qui nous charment ; mais elles
nous feroient incomparablement
plus de plaifir , fi elles ctoient réa-
lifées : & au contraire, la peinture qui
nous
nous remplit d'une terreur
feroit horreur dans agréable
la réalité. ,

Je fais bien qu'une partie de l'a-


vantage des objets trilles dans les
Arts , vient de la difpofition naturelle
des hommes , qui, étant nés foibles &
malheureuxjfont très-fufceptibles de
crainte
REDUITS A UN PRINCIPE. CjJ

crainte & de triftefTe ; mais je n'ai


point entrepris démontrer ici toutes
les raiibns que peuvent avoir les Ar-
tiftes,pour choifir ces fortes d'objets:
il me fuffifoit de faire voir , que cJeft
l'imitation qui met les Arts en état
de tirer avantage de cette difpofi-
tion, qui eft defavantageufe dans la
Nature; i

CHAPITRE VI.

£)uil y a des règles particulières


pour chaque Ouvrage , ejr que le
G ont ne les trouve que dans là
Nature.

L E Goût eft une connoiffance des


Règles par le fentiment. Cette ma-
nière de les connoître eft beaucoup
plus fine & plus fure que celle de Tef-
prit : & même fans elle, toutes * G les lu-
mières deTefprit font prefque inuti-
98 Les beaux Arts
les à quiconque veut compofer. Vous
fa vez votre Art en Géomètre. Vous
pouvez dire quelles en font les loix.
Vous pouvez même tracer un plan
en général : mais voici t?n terrain
avec quelques irrégularités , don-
nez-nous leplan qui lui convient
le plus , eu égard aux tems, aux per-
fonnes , &c. Votre fpéculation eft
déconcertée.
Je fais quel'cxorde d'un difçours
doit être clair , modefee & intéref-
fant. Mais quand je viendrai à l'ap-
plication dela régie ; qui me dira fi
mes penfées , mes expreffions , mes
tours remplirent cette régie ? Qui
me dira, où je dois commencer une
image , où je dois la finir , la pla-
cer? L'exemple des grands Maîtres ?
Le fujet eft neuf, leou font.
les circonftances s'il ne l'eft pas,

Il y a plus : vous avez fait un ex-


cellent ouvrage : les ConnoiiTeurs
l'ont approuvé : l'efprit & le cœur
REDUITS A UN PRINCIPE. pp
ont été également contents. Eft-ce
affez ? Sera-ce un modèle pour un
autre ouvrage ? Non : la matière eft
changée. Là , Oedipe mouroit dé
douleur : ici,Orefte vangé revit par la
joie. Vous retiendrez feulement les
points fondamentaux , qui font, Tor-
dre & la fymmétrie. Mais il vous faut
une autre difpofitiôn, un autre ton,
d'autres régies particulières , qui
foient tirées du fonds même du fu-
jet. Le Génie peut les trouver , les
préfenter à TArtiite : mais qui les
choifira, qui les faifira? Le Goût ,
& le Goût feul. C'eft lui qui guidera
le Génie dans l'invention des par-
ties ,qui les difpofera, qui les unira ,
qui les polira : celt lui , en un mot ,
qui fera l'Ordonnateur , & prefque
l'Ouvrier.
Ces Régies particulières vous ef-
frayent :où les trouver ? Vous êtes
Poète , Peintre , MuficienG.;j vous
avez un talent fumatufel : Ingi-
iôô Les beaux Arts
nium ac mens divinior : vous fa-
vez interroger le grand Maître : les
idées que vous devez exécuter font
quelque part ; 6c fi vous voulez les
trouver :
Refpiccre exempUr morv.m vit&que jubelo.

C'eft: ce livre dans lequel il faut fa-


voir lire : c'ell la Nature. Et fi vous
ne pouvez y lire par vous-même , je
pourrois vous dire : Retirez-vous ,
le lieu efi (acre* Mais fi l'amour de
la gloire vous emporte ; lifez au
moins les Ouvrages de ceux qui ont
eu des yeux. Le fentiment feul vous
fera découvrir ce qui avoit échappé
aux recherches de votre efprit. Li-
fez les Anciens : imitez-les , fi vous
ne pouvez imiter la Nature.
Quoi ! toujours imiter , dites-
vous y toujours être efclave ? Créez
donc , faites comme Homère, Mil-
ton, Corneille : montez fur le Tré-
pied facré pour y prononcer des Ora-
REDUITS A UN PRINCIPE. TOI

des. Le Dieu eft lourd, il n'écoute


point vos vœux? Réduifez-vous
donc à être , comme nous , Admira-
teur de ceux que vous ne pouvez
atteindre ; & fouvenez-vous , qu'un
petit nombre fuffit pour créer des
modèles au refte du genre humain.
On connoît la nature du Goût
& (es loix : elles font , comme on
vient de le voir , entièrement d'ac-
cord avec la nature & les fondions
du Génie. Il ne s'agit pins que d'en
faire l'application détaillée aux dif-
férentes efpeces d'Arts. Mais qu'on
me permette de m'arrêter ici aupa-
ravant pour
, tirer des conféquences
de ce que nous venons de dire fur
le Goût : elles ne peuvent être étran-
gères ànotre fujet.

G îîj
102 Les beaux Arts

CHAPITRE VIT.

I. Conséquence.

Jg_uilny a quun bon G ont en gé-


néral : ej? qu'il peut y en avoir
plufieurs en particulier.

L A première Partie de cette con-


féquence eft prouvée par tout ce
qui précède. La Nature eft le fcul
objet du Goût: donc il n'y a qu'un
feul bon Goût , qui eft celui de la
Nature. Les Arts mêmes ne peuvent
être parfaits qu'en reprefentant la
Nature : donc le Goût qui régne
dans les Arts mêmes , doit être en-
core celui de la Nature. Ainfi il ne

peut y avoir en général qu'un feul


bon Goût , qui eft celui qui approu-
ve la belle Nature : & tous ceux qui
ne l'approuvent
rement. le Goût, point,
mauvais.ontnéceffai-
iieduits a un Principe. ioj
Cependant Sn voit des Goûts dif-
férens dans les hommes & dans les
Nations qui ont la réputation d'être
éclairées & polies. Serons-nous afTez
hardis, pour préférer celui que nous
avons à celui des autres , &pour les
condamner? Ce feroitune témérité,
& même uneinjuftice ; parce que les
Goûts en particulier peuvent être
tlifFércns , ou même oppoiés, fans
ccfTer d'être bons en foi. La raifon
en eft, d'un côté , dans la richeflé de
la Nature : Se de l'autre , dans les
bornes du cœureft& infiniment
La Nature de l'efprit humain.
riche en
objets, & chacun de ces objets peut
être confideré d'un nombre infini de
manières.
Imaginons un modèle placé dans
une faite de defleing. L'Artifte peut
le copier fous autant de faces , qu'il
y a de points de vue d'où il peut l'en-
vifager. Qu'on change l'attitude Se
la polition de ce modèle : voilà un
Giv
104 Les beaux Arts
nouvel ordre de traits & de coin-
binaifons qui s'offre au Deffinateur.
Et comme cette pofition du même
modèle peut fe varier à l'infini , Se
que ces variations peuvent encore fe
multiplier par les points de vue qui
font auili infinis ; il s'enfuit que le
même objet peut être repréfenté
fous un nombre infini de faces tou-
tes différentes , & cependant toutes
régulières & entièrement confor-
mes àla Nature & au bon Goût.
Ciceron a traité la conjuration de
Catilina en Orateur , & en Orateur-
Conful, avec toute la majefté &
toute la force de l'éloquence jointe
à l'autorité. Il prouve : il peint : il
exagère : fes paroles font des traits
de feu. Sallufte eft dans un autre
point de vue. C'eitun Hiftorien qui
confidere l'événement fans paillon ;
fon récit eft une expoûtion fimple ,
qui lui
n'infpirc
des faits d'autre intérêt que ce-
REDUITS A UN PRINCIPE. I0£
La Mufique Françoife & Tlta-»
lienne ont chacune leur caractère.
L'une n'eft pas la bonne Mufique :
l'autre , la mauvaife. Ce font deux
foeurs , ou plutôt deux faces du mê-
me objet.
Allons plus loin encore : la Na-
ture a une infinité de defieings que
nous connoiffons; mais elle en a aufii
une infinité que nous ne connoif-r
fons pas. Nous ne rifquons rien de
lui attribuer tout ce que nous concc-^
vons comme poiiible félon les loix
ordinaires, là ejt maxime naturale >
dit Quintilien , quodfieri naturel opti-
mè patitur. On peut former par l'es-
prit des Etres qui n'exiftent pas , Se
qui cependant foient naturels. On
peut rapprocher ce qui eft féparé ,
& féparer ce qui eft uni dans la Na-
ture. Elle fe prête, à condition qu'on
faura refpecter fes loix fondamen-
tales; &qu'on n'ira pas accoupler les
ferpens avec les oifeaux , ni les bre*
io6 Les beaux Arts
bis avec les tigres. Les mcnftres
font eflfrayans dans la Nature, dans
les Arts ils font ridicuîcs.U fuffit donc
de peindre ce qui eft vraifemblable ;
on ne peut mener un Poète plus
loin.
Que Théocrîte ait peint la naïve-
té riante des Bergers : que Virgile y
ait ajouté feulement quelques dé-
grés d'élégance & de politelTe ; ce
n'éroit point une loi pour M. de
Fontenelle. 11 lui a été permis d'al-
ler plus loin, &defe divertir par une
jolie mafcarade , en peignant la Cour
en bergerie. 11 a fu joindre la déli-
cateffe & Tefprit avec quelques guir-
landes champêtres , il a rempli fon
objet. 11 n'y a à reprendre dans fon
Ouvrage que le titre , qui auroit dû
être différent de ceux de Théocrite
& de Virgile. Son idée eft fort belle :
fon plan eft ingénieux : rien n'ed fi
délicat que l'exécution : mais il lui
a donné un nom qui nous trompe.
réduits a un Principe. 107
Voilà la richeiïe de la Nature , ce
me femble , aflez établie.
Le même homme pouvoit-il faire
ufage à la fois de tous ces tréfors ?
La multitude nauroit fait que le
diflraire & l'empêcher de jouir. Ceil
pourquoi la Nature , ayant fait des
provisions pour tout le genre hu-
main, devoit, par prévoyance, diflri-
bucr à chacun des hommes en parti-
culier, une portion de goût, qui le
déterminât principalement à certains
objets. C'eit ce qu'elle a fait, en for-
mant leurs organes , de manière qu'ils
fe portalTent vers une partie , plutôt
que furie tout. Les âmes bien con-?
formées ont un Goût général pour
tout ce qui eft naturel , & en même-?
tems , un amour de préférence , qui
les attache à certains objets en par-
ticulier&: c'eil cet amour qui fixe
les talens , & les conferve en les fi-
xant.

Qu'il foit donc permis à chacun


i o8 Les beaux Arts
d'avoir fon Goût : pourvu qu'il folt
pour quelque partie de la Nature.
Que les uns aiment le riant , d'au-
tres leférieux ; ceux-ci le naïf, ceux-
j le grand , le majeftueux, &c. Ces
objei s font dans la Nature,& s'y relè-
vent par le contrafte. 11 y a des hom-
mes allez heureux pour les embraf-
fer prefque tous. Les objets mêmes
leur donnent le ton du lentiment.
Ils aiment le férieux dans un fujet
grave ; l'enjoué , dans un fujet ba-
din. Ils ont autant de facilité à pleu-
rire rerà àla
la Comédie
Tragédie : ,mais
qu'ilsonenne ont
doit?à
point pour cela me faire , à moi , un
crime, d'être refferré dans des bornes
plus étroites. 11 feroit plus jufte dç
me plaindre.
REDUITS A UN PRINCIPE. ÎOp

CHAPITRE VIII.
II. Conséquence.
Les Arts étant imitateurs de là
Nature y ccft par la comparai] ron
' quon doit juger des Arts.
Deux manières de comparer.

S I les beaux Arts ne préfentoient


qu'un fpectacle indifférent , qu'une
imitation froide de quelque objet
qui nous fut entièrement étranger ;
on en jugeroit comme d'un portrait :
en le comparant feulement avec Ion
modèle (a). Mais comme ils font
( a ) On ne veut traits , qui font dire
point dire ici que tout qu'un portrait rciTèm-
ble ; mais encore tout
le mérite d'un portrait
confîfte dans fa rcrTem-
blancc avec (on mo- ce que l'art du Peintre
employé ou peut em-
dèle :à moins que le ployer ,afin que fbiv
mot de rcjfemblance ne ouvrage (oit pris pour
comprenne non-feule- la nature même.
aient les principaux
I lio Les beaux Arts
faits pour nous plaire, ils ont befoîni
du fuffrage du coeur aufïi-bien que
de celui de la raifon.
H y a le beau , le parfait idéal de
la Poëlie, de la Peinture, de tous les
autres Arts. On peut concevoir par
refprit la Nature parfaite & fans dé-
faut de
, même que Platon a conçu
fa République , Xenophon fa Mo-
narchCiccrdn
ie , fon Orateur. Com-
me cette idée feroit le point fixe de
la perfection ; les rangs des Ouvra-
ges feroient marqués par le degré de
proximité ou d'éloignement qu'ils
auroient avec ce point. Mais s'il étoit
neceffaire d'avoir cette idée ; com-
me ilfaudroit l'avoir , non feulement
pour tous les genres , mais encore
pour tous les fujets dans chaque ge ri-
te ;combien compteroit-on d'Arif-
tarqnes ?
Nous pouvons bien fuivreun Au-
teur ou
, même courir devant lui dans
fa matière, jufqu'à un certain points
REDUITS A UN PRINCIPE. III
Le fujet bien connu, nous fait entrer
Voir du premier coup d'oeil certains
traits qui font fi naturels 3c fi irap-
pans , qu'on ne peut les omettre dans
la compofition : l'Auteur les a mis en
oeuvre , & nous lui en fçavons gré.
11 en a employé d'autres, que nous
n'avions pas apperçus : mais nous \e3
avons reconnus pour être de la Na-
ture :& en conféquence , nous lui
avons accordé un nouveau degré
d'eftime. Il fait plus, il nous montre
des traits que nous n'avions pas cru
poilibles , 8c il nous foçce de les ap-
prouver encore , par la raifon qu'ils
font naturels , & pris dans le fujet :
c'eil
il Corneille
avoit qui a peint
des mémoires de fur
fecrets tête la:
fublime Nature : nous avouons tout :
nous admirons. Il nous*\ élevé avec
lui, Remporté dans la fphere qu'il
habite : nous y fommes. Qui de nous
fera afiez hardi pour afTurer qu'il eft
encore des- dégrés au-delà ? que le
ii2 Les beaux Arts
Poète s'eft arrêté en chemin : qu'il
n'a pas eu les ailes allez fortes pour
arriver au but. Il faudroit avoir me-
furé l'efpace au moins des yeux.
Cet Ouvrage a des défauts : c'efl:
un jugement qui eft à la portée de
la plupart. Mais , cet Ouvrage n'a
-pas toutes les beautés dont il eft
fufceptible : c'en eft un autre , qui
n'efl: réfervé qu'aux eiprits du pre-
mier ordre. On fent , après ee qu'on
vient de dire , la raifon de l'un & de
l'autre. Pour porter le premier juge-
ment il
, fuffit de comparer ce qui a
été fait , avec les idées ordinaires qui
font toujours avec nous, quand nous
voulons juger des Arts , & qui nous
offrent des plans,au moins ébauchés,
où nous pouvons reconnoître les
principales toutes de l'exécution. Au
lieu que pour le fécond, il faut avoir
compris toute l'étendue poiTiblc de
l'Art, dans le fujet choifi par l'Auteur.
Ce qui efl à peine accordé aux plus
grands Génies. li
REDUITS A UN PfxINCIFE. I I3
Il y a une autre efpèce de compa-
raisonqui
, n'en1 point de l'Art avec
la belle Nature. C'eft celle des diffé-
rentes impreffions que produifent en
nous lés différens Ouvrages du mê-
me Art, dans la même efpèce. C'efr.
une comparaison qui fe fait par le
Goût fetil : au lieu que l'autre fe fait
par l'eiprit. Et comme la décifion du
Goùt,aufîi-bien que celle de l'efprit,
dépend de l'imitation , & de la qua-
lité des objets qu'on imite ; (a) on
a dans cette décifion du Goût, celle
de l'efprit même.
Je lis les Satyres de Defpréaux. La
première me fait plaifif. Ce fenti-
ment prouve qu'elle eft bonne : mais
il ne prouve point qu'elle foit excel-
lente. Jecontinue : mon plaiiir s'aug-
mente mefure
à que j'avance. Lé gé-
nie de l'Auteur s'élève de plus en
plus, jufqu'à la neuvième : mon Goût
s'élève avec lui. L'Auteur* n'a H pu s'é-
( a) Voyez les çhap. 4. & j.
iî4 Les beaux Arts
lever plus haut : mon Goût eft refté
au même point que fon Génie. Ainfï
le degré de fentiment que cette Sa-
tyre m'a fait éprouver , efî ma régie ,
pour juger de toutes les autres Sa-
tyres.
Vous avez l'idée d'une Tragédie
parfaite. Il n'y a point de doute que
ce ne foit celle qui touche le plus vi-
vement, &le plus long-tems le Spec-
tateur. Liiez le moins parfait de tous
les (Edipes que nous avons. Vous
l'avez lu , & il vous a touché. Pre-
nez-en un autre , & allez ainfi par
ordre , jufqu'à ce que vous foyez arri-
vé à celui de Sophocle , qu'on re-
garde comme le chef-d'œuvre de la
Mufe tragique , & le modèle des ré-
gies mêmes.
Vous avez remarqué dans l'un,des
hors d'oeuvres, qui vous détournent :
dans l'autre , des déclamations qui
vous refroidiflent : dans celui-ci , un
ftyle bouffi & une fauiTe majeité :
REDUITS A UN PRINCIPE. II£
dans celui - là , des beautés forcées
pour tenir place de celles qu'on a
rejettées , crainte detre copifte.
D'un autre côté, vous avez vu dans
Sophocle une aclion qui marche pres-
que feule & fans art. Vous avez fenti
Témotion qui croît à chaque Scène r
le Ityle qui eft noble & fage vous
élevé , fans vous diftraire. Vous êtes
attaché au fort du malheureux Œdi-
pe : vous le pleufez , & vous aimez
votre douleur. Souvenez -vous de
Tefpèce Se du degré de fentiment
que vous avez éprouvé : ce fera do-
rénavant votre régie. Si un autre Au-
teur étoit aiîez heureux pour y ajou-
ter encore , votre Goût en devien-
drait plus exquis Se plus élevé : mais
en attendant , ce fera fur ce degré,
que vous jugerez les autres Tragé-
dies ;Se elles feront bonnes ou
mauvaifes , plus ou moins , félon le
Hij
degré de proximité ou d'éloigne-
fnent qu'elles auront avec ces de-
iiô" Les beaux Arts
grés, & cette fuite de fentimens que
vous avez éprouvés.
Faifons encore un pas : tâchons
d'approcher de ce beau idéal qui eft
la loi fuprême. Lifons les plus ex-
cellens Ouvrages dans le même gen-
re. Nous Tommes touchés de l'en-
thoufiafme & des emportemens
d'Homère , de la fagefie & de la pré-
cifion de Virgile. Corneille nous a
enlevé par fa nobàeffe , Se Racine
nous a charmés par fa douceur. Fai-
fons un heureux mélange des quali-
tés uniques de ces grands Hommes :
nous formerons un modèle idéal fu~
périeur à tout ce qui eft ; & ce
modèle fera la règle fouveraine Se
infaillible de toutes nos décidons.
Ceft ainlî que les Stoïciens avoient
la mefure de la fagelïe humaine dans
le Sage qu'ils imaginoient : Se que
Juvenal trouvoit les plus grands Poè-
tes ,au-deifous de l'idée qu'il avoit
conçue de la Poëfie par un fenti-
REDUITS A UN PRINCIPE- II7
ment que fes termes ne pouvoient
exprimer.
Qjialem nequee monftrare, &fentio tantum,

CHAPITRE IX,
III. Conséquence.
Le Goût de la Nature étant le même
que celui des Arts, il h y a quun-
feulGout qui s'étend à tout , &
même fur les mœurs,

J_ 'Esprit faifit fur le champ la


juftefle de cette conféquence. En
effet , qu'on jette les yeux fur i'hif-
toire des Nations , on verra tou-
jours l'humanité & les vertus civi-
les dont
, elle eit la mère , à la fuite
des beaux Arts. C'eft par-là qu'A-
thènes fut l'école de la délicateffe ;
que Rome , malgré fa férocité Hiijorigi-
naire s'adoucit
, ; que tous les peu-
ïi8 Les beaux Arts
pies , à proportion du commerce
qu'ils eurent avec les Mufes , devin-
rent plus fenfibles & plus bien-
faifans.
Il n'eft pas poiTible que les yeux
les plus groiîiers, voyant chaque jour
les chef-d'oeuvres de la Sculpture
& de la Peinture , ayant devant eux
des édifices fuperbes & réguliers ;
que les Génies les moins diipofés à
la vertu & aux grâces , à force de
lire des ouvrages penfés noblement,
& délicatement exprimés , ne pren-
nent une certaine habitude de l'or-
dre de
, la nobleffe , de la délicatefTe.
Si THiftoire fait éclore des vertus ;
pourquoi la prudence d'Ulyiïe , la
valeur d'Achille n'allumeroient-elles
pas le même feu ? pourquoi les grâ-
ces d'Anacréon , de Bion^ de Mof~
chus n'adouciroient - elles pas nos
moeurs ? Pourquoi tant de fpe&a-
cles, où le noble fe trouve réuni avec
le gracieux, ne nous donneroient-ih
REDUITS A UN PRINCIPE. 1 1£
pas le Goût du beau , du décent, du
délicat ? (*) Nos pères , & nos pères
favans , battoient des mains aux re-
préfentations comiques de nos faints
Myftéres , un Payfan aujourd'hui en
fentiroit l'indécence.
Tel eft le progrès du Goût : le
Public fe laifîe prendre peu à peu
par les exemples. A force de voir ,
même fans remarquer , on fe forme
infenfiblementfur ce qu'on a vu. Les
grands Artiftes expofent dans leurs
(*) Va homme j trie j,que réglé dans
dit Plutarque, qui aura la conduite privée : &
appris dès fon enfance il n'y aura pas une de
la vraie Mufique, telle fes actions , ni de Tes
qu'on doit l'cnfeigner paroles qui ne (oit me-
à Ja jeune (fe ; ne peut
furée,
toutes &lesquicirconftan-
n'ait dans
manquer d'avoir un ces des tems , &. des
goût ami du bon , &
par conféquent enne- lieux , le caraclere de
mi du mauvais , mê- la décence , de la mo-
me dans les choies qui dérationde
, l'ordre.
n'appartiennent point
à la Mufique ; il ne fe Xpa/titvcç à>Hfftaçf c%~
déshonorera jamais £*» ùia *&j xttyi*x«o
par une baiTcfle. Il
fera aufïi utile à fa pa- W Ktc/ntot. de Mufica.
Hiv
120 Les beaux Arts
Ouvrages les traits de la belle Na-
ture :ceux qui ont eu quelque édu-
cation, lesapprouvent d'abord ; le.
peuple même en eft frappé. On s'ap-
plique lemodèle fans y penfer. On
retranche peu à peu ce qui eft de
trop : on ajoute ce qui manque. Les
façons , les difcours , les démarches
extérieures ie fentent d'abord de la
réforme : elle pane jufqu'à l'cfprit.
On veut que les penfées , quand el-
les fortiront au-dehors , paroiiïcnt
jufles , naturelles , & propres à nous
mériter l'eftime des autres hommes.
Bientôt le cœur s'y foumet aufïi , on
veut paraître bon , fimple , droit :
en un mot , on veut que tout le Ci-
toyen s'annonce par une expreÏÏion
vive Se gracieufe, également éloignée
de la groffiereté & de l'affectation :
deux vices auffi contraires au goût
dans la fociété , qu'ils le font dans
les Arts. Car le Goût a par-tout les
mêmes régies. Il veut qu'on ôte tout
REDUITS A UN PRINCIPE. 121

ce qui peut faire une imprefiion fâ-


cheufe , & qu'on offre tout ce qui
peut en produire une agréable. Voir
là le principe général.' C'efc à cha-
cun àl'étudier félon fa portée , & à
en tirer des concîufions pratiques :
plus on les portera loin , plus le
goût aura de fineilè & d'étendue.
Si on pratiquoit la Religion chré-
tienne comme on la croit : elle fe-
roit,en un moment, ce que les Arts
ne peuvent faire qu'imparfaitement,
& avec des années & quelquefois des
fiécles. Un parfait Chrétien efl un
Citoyen parfait. 11 a le dehors de la
vertu, parce qu'il en a le fonds. 11 ne
veut nuire à qui que ce foit , & veut
obliger tout le monde ; & en prend
efficacement tous les moyens pof-
fibles.
Mais comme le plus grand nom-
bre n'ef] chrétien que par l'efprit ;
\\ efl: très-avantageux pour la vie
civile , qu'on infpire aux hommes
122 Les beaux Arts
âes fentimens qui tiennent quelque
iieu de la chanté évangélique. Or
ces fentiniens ne fe communiquent
que par les Arts , qui , étant imita-
teurs de la Nature , nous rappro-
chent d'elle , & nous préfentent pour
modèles, fa (implicite, fa droiture,
fa bienfaifance
à tous qui s'étend également
les hommes.
«assiîacssaB^saffl&'j

CHAPITRE X.

IV. ET DERNIERE CONSEQUENCE.

Combien il efi important déformer


le Goût de bonne heure, & corn*
ment on devroit le former.

j L ne peut y avoit de bonheur pour


l'homme , qu'autant
font conformes que fes
à fa raifon. Un goûts
cœur
qui fe révolte contre les lumières de
Fefprit , un efpiït qui condamne les
îiEduits a un Principe. 123
mouvemens du cœur , ne peuvent
produire qu'une forte de guerre in-
teftine, qui empoifonne tous lésina
tans de la vie. Pour aiTurer le con-
cert de ces deux parties de notre
ame , il faudroit être aufîï attentif
à former le Goût , (a) qu'on l'efl:
à former la raifon. Et même, com-
me celle-ci perd rarement (es droits ,
& qu'elle s'explique prefque toujours
aiTez , lors même qu'on ne l'écoute
point ; il femble que le Goût de-
vroit mériter la première & la plus
grande attention ; d'autant plus, qu'il
eft le premier expofé à la corrup-
tion ,le plus aifé à corrompre , le
plus difficile à guérir, & enfin qu'il a
(a) Nous prenons ici ce qui nous paroît
Je Goût de même que mauvais. En ce fens il
dans le chapitre précé- peut s'appeller, Goût,
dentc'eft-à-dirc,
, dans dans lès commence-
fa plus grande étendue: mens ; Paflîon , dans
comme un fentiment fes progrès ; & Fureur
qui nous porte a ce ou Folie , dans fes ex
ces.
qui nous paroît bon ,
au nous détourne de
124 Les beaux Arts
le plus d'influence fur notre con-
duire.
Le bon Goût eft un amour ha-
bituel de Tordre. 11 s'étend , com-
me nous venons de le dire , fur les
mœurs auûi bien que fur les ouvra-

entr geselles
d'efprit.& ]La fyrnmétrie
avec le tout des
, eftparties
auifï
pséceffaire dans la conduite d'une
a&ïon morale que dans un tableau.
Cet amour eft une vertu de l'ame
qui fe porte à tous les objets, qui ont
raj port à nous , «Se qui prend le nom
de Goût dans les chofes d'agrément,
6c redent celui de Vertu lorsqu'il s'a-r
I es moeurs. Quand cette partie
eft négligée dans l'âge le plus ten-
dre , on fent allez quelles en doi-
vent être les fuites.
Si on jugeoit des goûts ôc des
pallions des hommes, moins par leur
c bjet & par les forces qu'elles font
mouvoir pour y arriver, que par le
trouble qu'elles portent dans l'ame i
REDUITS A UN PRINCIPE. 12 J

on verroit que les âges n'y mettent


pas plus de différence que les con-
ditions. La colère d'un homme pri-
vé n'eit pas , de foi , moins violente
que celle d'un Roi : quoique les ef-
fets extérieurs en foient moins ter-
ribles. Un Père rit des dépits , de
l'ambition , de l'avidité d'un enfant
qui fort du berceau : ce n'en1 qu'une
étincelle , il ei\ vrai , mais une étin-
celleàj qui il ne manque que la ma-
tière ,pour être un incendie. L'im-
prelTïon fe fait fur les organes : le
pli fe prend : & quand on veut le
réformer dans la fuite , on y trouve
une réfiftance qu'on rejette fur la
Nature , & qu'on devroit imputer à
l'habitude.
Que dans les premiers jours de la
vie , l'ame comme étonnée de fa pri-
fon , demeure quelque-tems dans
une efpece de flupidité & d'engour-
diiTement ; ce n'efl" pas une preuve
qu'elle ne s'éveille que quand elle
126 Les beaux Arts
commence à raifonner. Elle s'agîtc
bientôt par les defirs qui naiffent du
befoin :fes
donner les ordres
organes: & l'avertiffent
le commerce de

du corps avec l'ame s'établit parles


impreflions réciproques de l'un fur
l'autre. L'ame reconnoît dès-lors en
filence toutes fes facultés : elle les
prépare & les met en jeu. Elle amafie
par le miniftére des yeux , des oreil-
les du
, tad, & des autres fens , les
connoifTances & les idées qui font
comme les provifions de la vie. Et
comme dans ces acquittions , c'eft le
fentiment qui régne & qui agit feul;
il doit avoir fait déjà des progrès in-
finis, avant que la raifon ait fait feu-
lement le premier pas.
Peuvent-ils être indirTérens ces
progrès , qui font fi fou vent contrai-
res aux intérêts de la raifon , qui
troublent fans cefle fon empire , &
ont aifez de force , ou pour la rendre
efclave , ou pour la dépouiller d'une
"REDUITS A UN PRINCIPE. I27
partie de fes droits ? Et s'ils ne font
rien moins qu'indifférens ; feroit~il
poffible , qu'il n'y eût pas de moyen
pour les régler , ou pour les prévenir ?
On le croiroit prefque, à en juger par
le peu de loin qu'on donne ordi-
nairement aux quatre ou cinq pre-
mières années de l'enfance. Toute
l'attention fe termine aux befoins du
corps. On ne fonge point que c'eil
dans ce tems que les organes achè-
vent de prendre cette conflit ence,qui
prépare les caractères & même les
talens : & qu'une partie de la con-^
formation de ces organes dépend des
ébranlemens & des impreilions qui
viennent de l'ame.
Tant que l'ame ne s'exerce que
par le fentiment , c'eft le Goût feul
qui la mène : elle ne délibère point;
parce que l'impreiTion préfente la
détermine. C'eft de l'objet feul qu'el-
le prend la loi. Il faudroit donc lui
préfenter dans ces tems une fuite
128 Lesbeaux Arts; *
cTobjets,capables de ne produire que
desfentimens agréables & doux, (a)
Se lui dérober la connoiffance de
tous ceux dont on ne pourroit la
détourner, qu'en la jettant dans la
triltefle ou l'impatience : & par-là ,
on formeroit peu à peu dans l'hom-
me dès
, fa plus tendre enfance , l'ha-
bitude dela gayeté, qui faitfon pro-
pre bonheur, & celle de la douceur,
qui doit faire celui des autres.
Quand l'homme commence à for-
tir de cet état de fervitude ou il eft
retenu par les objets extérieurs , Se
qu'il entre en poiTeihon de lui-mê-
me par la raifon Se par la liberté,;
on ne fonge d'ordinaire qu'à lui cul-
tiver l'efprit. On oublie encore en-
( a ) La joie ac- heur dont elle jouît.
compagne toujours un Au lieu que la trifteiTe,
çceur bienfaifant, c'eft qui ronge le cœur , le
par elle que l'ame s'é- porte à fe venger fur
panouit en quelque les autres,de la douleur
forte, & répand, fur ce
qu'il retient.
qui l'environne, lebon-
tiérement
REDUits A un Principe. 12^
tiérement le Goût : ou fi Ton y penfe,
c'eft pour le détruire en voulant le
forcer. On ne fait point que c'eft la
partie de notre amè qui efl la plus
délicate , celle qui doit être maniée
avec le plus d'art. Il faut feindre de
le fuivre lors même qu'on veut le
redreffer : & tout eft perdu, s'il fent
la main qui le réduit :
Tune fa Hère filer s
Appofita intortoi exîenAit régula mores.

Ç'étoit le grand & très-rare talent


de celui que Perfe avoit eu pour
maître.
Auflitot qu'un enfant ouvre les
yeux de l'efprit , & qu'il voit l'Uni-
vers le
; Ciel , les Affres , les Plan-
tes les
, Animaux , tout ce qui l'en-
vironne lefrappe , il fait mille quê-
tions il
: veut favoir tout. C'eft. *I la
Nature qui le pouffe, qui le guide :
& elle le guide bien. 11 eft jufle que
le nouveau Citoyen qui arrive dans
t}0 Les beaux Arts
le monde , connoiffe d'abord fà de-
meure, & ce qu'on y a préparé pour
lui. 11 faudroit fuivre ce rayon de
lumière , fatisfaire cette curiofité ,
la piquer de plus en plus par le fuc-
cès. Mais on l'arrête , on l'étouffé
en naiflant , pour lui fubftituer une
trifte contrainte qui jette l'efprit dans
des travaux que le dégoût rend in-
fructueu&x , qui éteignent quelque-
fois pour toujours , cette curiofité
que la Nature avoit deftinée à être
l'éguillon de l'efprit & le germe des
fciences.
On met à l'entrée des études pré-
cifément ce qui peut en détourner
les enfans , ou les en dégoûter: des
régies abfïraites , des maximes fé-
ches , des principes généraux , de la
métaphyfique. Sont-ce là les jouets
de l'enfance ? Les Arts ont deux par-
ties :la Spéculation & la Pratique,
l'une peut aller avant l'autre , pour-
vu qu'on ne les fépare point pour
REDUITS A UN PRINCIPE. I 3I
toujours. Que ne leur donne-t/on
d'abord celle qui eil le plus à leur
portée , qui eft ]a plus conforme à
leur caraclère & à leur âge : celle
qui a le plus d'objets ienfibles , qui
donne le plus de jeu & de mouve-
ment àTefprit , en un mot celle qui
promet le moins de peine & le plus
de fuccès ?
Car c'eft le fuccès qui nourrit le
goût : & le fuccès & le goût an-
noncent le talent. Ces trois cho-
fes ne fe féparent jamais. De for-
te que fi après avoir effayé d'une
route pendant quelque-tems , ïc[-
prit ne s'y plaît pas ; c'eft une mar-
que qu'elle neft point faite pour le
mener à la gloire. Envain employé-
iroit-on la contrainte ; elle ne feroit
que diminuer encore le goût , & en-
laidir les objets. La feule reflburce,
ii on ne veut point y renoncer ab-
folument , c'elt de les préfenter fous
une autre face. Et sus ne plaifent

I
t^i Les beaux Arts
point encore , il vaut beaucoup
mieux les abandonner pour toujours,
que d'occaflonner par l'obftinatioii
une fuite de fentirrîens qui pourroit
faire perdre à Famé fa gayeté «Se fa
douceur , deux vertus qu'aucun ta-
lent de l'efprit ne fauroit payer.
On peut tenter un autre voye.
Les taïens font aufli variés que les
befoins de la vie humaine ; la Nature
y a pourvu : & en mère bienfaifan-r
te , elle ne produit aucun homme ,
fans le doter de quelque qualité uti-
le, qui lui fert de recommandation
auprès des autres hommes. C'eft cet-
te qualité
cultiver , fiqu'il fautvoir
on veut reconnoître &
fructifier les
foins de l'éducation. Autrement, on
va contre les intentions de la Nature
qui réfifte conflamment au projet,
Sç le fait prefque toujours échouer*
LES BEAUX ARTS
REDUITS

A UN PRINCIPE.

Troisième Partie.
Ou LE PRINCIPE D F. LIMITATION
EST VERIFIE* PAR SON APPLICA-
TION AUX DIFFERENS ArTS.

P Et te Partie fera divifée en


V; "trois Se&ions , dans lefquelles
on prouvera que les Régies de la
ï 34 Les beaux Arts
Poeiîc , de la Peinture , de la Mu-
fique & de la Danle , font renfer-
mees
mées dans l'imitation de la belle
Nature

SECTION PREMIERE.

j?Art
DANS Poétique
lI M IT ATest
1 ON renferme'*
DE LA
belle Nature.

CHAPITRE I.

Ou on réfute les opinions con-


trairesmitation.
au principe de l'i-

O I les preuves que nous avons don-


nées jufqu'ici ont été trouvées fuffi-
fantes pour fonder le principe de
l'imitation ; il eft inutile de nous
arrêter à réfuter les différentes opi-
nions des Auteurs fur Teifence de la
keduîts a un Principe. 135
Poëfie : & fi nous nous y arrêtons
un moment , ce fera moins pour les
combattre en régie , que pour en
donner un court expofé , qui furrîra
pour lever tous les fcrupules qu'elles
auroient pu faire naître dans refpric
du Ledeur.
Quelques-uns ont prétendu que
l'effence de la Poëfie étoit la fi&ion.
Il ne s'agit que d'expliquer le terme,
& de convenir de fa lignification. Si
par fiëlion , ils entendent la même
chofe que findre, ou fing ère chez
les Latins ; le mot de fiction ne doic
fignifier que l'imitation artificielle
des caractères , des mœurs , des ac-
tions desdifeours,
, &c. Tellement
que feindre fera la même chofe que
refrefenter , ou plutôt contrefaire ;
alors cette opinion rentre dans celle
que nous avons établie.
S'ils refferrent la lignification de
ce terme , & que par ficiion , ils en-
tendent lemïniftere des Dieux que
I iv
136 Les beaux Arts
le Poëte fait intervenir pour mettre
en jeu les reiïbrts fecrets de fon Poè-
me ;il e(t évident que la fiction n'efl
pas eiïentielle à la Poèïie ; parce
qu'autrement la Tragédie, la Comé-
die la
, plupart des Odes cefferoient
d'être de vrais Poèmes , ce qui feroit
contraire aux idées les plus univer-
Tellement reçues.
Enfin fi yai fiftion on veut ligni-
fier les figures qui prêtent de la vie
aux chofes inanimées , & des corps
aux chofes infenfibles , qui les font
parler & agir , telles que font les mé-
taphores &les allégories ; la fi&ion
alors n'efl plus qu'un tour poétique ,
qui peut convenir à la Profe même.
C'eft le langage de la pafîion qui
dédaigne l'exprefïion vulgaire : c'efl
la parure & non le corps de la
Poëfie.
D'autres ont cru que la Poëfie
confiftoit dans la vérification.
Le Peuple frappé de cette mefure
REDUITS A UN PRINCIPE. l^J

fenfible qui cara&érifc l'expremon


poétique & la fépare de celle de la
Profe , donne le nom de poëme à
tout ce qui eft mis en vers : Hifloire,
Phyfique, Morale, Théologie, tou-
tes les Sciences , tous les Arts qui
doivent être le fonds naturel de la
Profe , deviennent ainfî des fujets de
Poëme. L'oreille touchée par des
cadences régulières , l'imagination
échauffée par quelques figures har-
dies & qui avoient befoin d'être au-
torifées par la licence poétique ,
quelquefois même Fart de l'Auteur
qui, né Poète, a communiqué une
partie de fon feu à des matières lè-
ches ,& qui paroiiïbient réfifter aux
grâces , tout cela féduit les efprits
peu inftruits de la nature des cho-
fes ; Se dès qu'on voit l'extérieur
de la Poëfie , on s'arrête à l'écorce ,
fans fe donner la peine de péné-
trer plus avant. On voit des vers ,
§c on dit 3 voilà un Poëme ; parce
I3& Les beaux Àkts
«nie ce n'eu* point de la profe.
Ce préjugé e(t auflî ancien que h
Foëfie même. Les premiers Poèmes
furent des Hymnes qu'on chantoît ,
Se au chant dçfquels on affocioit la
Danfe, Homère & Tite - Live en
donneront la preuve, (a) Or pour
former un concert de ces trois ex-
yreflions, desparoles , du chant , Se
de la danfe ; H falloit neceffaire-
ment qu'elles eu lient une mefure
çomrnune qui les fit tomber toutes
trois été
eût enfemble : fans quoi
déconcertée. l'harmonie
Cette mefure
étoit le coloris : ce qui frappe d'a-
bord tous les hommes. Au lieu que
limitation qui en étoit le fonds 6c
comme le deiîeing , a échappé à la

CaJ ... IIoXvs ê'vp't)izct(&' opatptt y


Ko~fot à'àpx^S^ss tJma» h à clpec toum ,
A'uÀet QtpftiyyfS 7t /3«>iv t%e», Iliad. îS,
Et Tir. Liv. lib. t. I. Dec Ver urbem ire e&*
nentes carmina cum tripudtis folemnie^tte faltxtsé
jtiflit.
réduits A un Principe. 130
plupart des yeux qui la voycnt , fans
la remarquer.
Cependant cette mefure ne con-
ftitua jamais
Poëme : ce qu'on appelle un vraî

. . . Neque enhn concludere verfum P


Dixeris ejfe fatis.

Et fi cela fuffifoit , la Poëfie ne fe-


roit qu'un jeu d'enfant , qu'un frivole
arrangement de mots que la moin-
dre tranfpofition feroit difparoître :
Eripias ft
Temporel certa wodofque & quod prius ordine
verbum eji 3
Poflerius facias , pr&ponens ultimaprimis.

Alors le mafque eft levé : on recon-


noît la Profe toute fimple & toute
nue , le Poëte n'eft plus.
Il n'en eft pas ainfi de la vraîc
Poëfie. On a beau renverfer l'ordre,
déranger les mots3 rompre la mefure:
elle perd l'harmonie , il eft vrai ;
mais elle ne perd point fa nature,
140 Les beaux Arts
La poëfie des chofes refte toujours,
on la retrouve dans fes membres
dïfperfés,
Inventas etiatn disjecîi membra To'ét*.

Cela n'empêche point qu'on ne


convienne qu'un Poème fans véri-
fication ,ne feroit pas un Poème,
Nous i'avons dit, les mefures & l'har-
monie font les couleurs , fans lelquel-
les la Poëfie n'eft qu'une efiampe. Le
tableau repréfentera , fi vous le vou-
lez ,les contours ou la forme , Se
tout au plus les jours & les ombres
locales ; mais on n'y verra point le
coloris parfait de l'Art.
La troifiéme opinion ert celle qui
met l'effence de la Poëfie dans l'En-
thoufiafme.
Nous l'avons défini dans la pre-
mière Partie , & nous en avons mar-
qué les fonctions, qui s'étendent éga-
lement àtous les*beaux Arts. Il
convient même à la Profe ; puifque
REDUITS A UN PRINCIPE. T4I

la paillon avec tous l'es degrés ne


monte pas moins dans les tribunes
que fur les théâtres. Ciceron veut
que TOrateur foit ardent comme la
foudre , véhément comme un orage ,
rapide comme un torrent, qu'il fe
précipite , qu'il renverie tout par fon
impétuofité. Vthtmms ut procelia,
excitants ut torrens , incenjus ut fui-
men , tonat , fulgurat , & rapidis
eloquentiœ fluflibus cunHa -promit
& proturbat : l'Enthoufiafme poéti-
que a-til rien de plus emporté ou
de plus violent ? £t quand Periclés

"Tonnoit & foudroyoit & renverfoit la Grèce ,

l'Enthoufiafme régnoit-il dans (es


difeours avec moins d'empire que
dans les Odes Pindariques ?
Mais ce grand feu ne fe fontienc
pas toujours dans l'Oraifon : fe fon-
dent-dans
1 la Poëfie ? Et s'il falloir:
qu'il fe foutînt , combien de vrais
Poèmes ceiléroient d'être tels ?
1^2 Les beaux Arts
On cite en faveur de l'Enthoufiai^
me le fameux paflage d'Horace :
Ingenium eut fit , eut mens divinior atque os
Magna fonaturum , des nomints hujus honorent.

Ce paflage ne décide point la que-


ftion : il ne s'y agit point de la na-
ture de la Poëfie j mais des qualités
d'un Poète parfait. Deux chofes aulïi
différentes que le font le Peintre &
fon tableau. En fécond lieu,fuppofé

que ces vers doivent s'entendre de


la nature de la Poëfie , ils n établit-
fent pas néceflairement l'opinion
dont il s'agit. Ariftote , qui fait
confifter l'elïence de la Poëfie dans
l'imitation , n'exige pas moins qu -*
Horace , ce Génie, cette fureur di-
vine (a).
Horace n'avoit pas deflein dans
cet endroit de définir exa&ement la
Poëfie. Il a pris une partie fans vou-
(b) E<w» hiatus * imÀ-nx-n w p.*n*w. Voit.
cap. 17.
EEDU1TS A UN PRINCIPE. 143
ioir embrafler le tout. C 'ell une de
ces définitions qui ne font ni toutes
vraies ni toutes faillies , & qu'on
employé quand on veut fermer la
bouche à ceux qu'on ne daigne pas
réfuter férieufement
cifément le cas où :fe& trouvait
c'étoit pré-
le
Poëte Latin.
Quelques Cenfeurs d'un mérite
médiocre , que l'intérêt perfonnel
avoit, peut-être , animés contre fes
Satyres , lui avoient reproché d'être
un Poëte mordant. Horace leur ré-
pond la
à manière de Socrate, moins
pour les infîmire que pour leur
montrer leur ignorance. 11 les arrête
dès le premier mot : & veut leur
faire entendre -qu'ils ne favent pas
même ce que c'eft que Poëfie ; &
pour cela , il en trace un portrait qui
ne convient nullement à ce qu'ils
avoient appelle Poëfie mordante*
Pour confirmer cette idée & aug-
menter leur embarras 3 il cite l'opi-
i44« "Lxs beaux Arts
nion de quelques-uns qui ont mis eiï
queftion , fi la Comédie étoit un jujts
Poëme , quidam quœfivêre. Cela po-
fé : il eft clair qu'Horace ne penfoit
à rien moins qu'à définir rigoureufe-
ment la Poëfie ; mais feulement à
marquer ce qu'elle a de plus grand
& de plus éblouiiTant , & qui conve-
noit le moins kics Satyres : & qu'ain-
fi , ce feroit s'abufer que de vouloir
mefurer toutes les efpeces de Poè-
mes fur cette prétendue définition.
Mais, dira-t'on , rEnthoufiafmc
& le fentiment font une même cho-
fe , & le but de la Poëfie eft de pro-
duire lefentiment , de toucher , de
plaire. D'ailleurs le Poëte- ne doit-il
pas éprouver lui-même le fentiment
qu'il veut produire dans les autres l
Quelle conclufion tirer de-là ? Que
les fentimens & rEnthoufiafmc font
le principe & la fin de la Poëfie : en
fera-ce l'efTence ? Oui , fi l'on veut
que la caufe & l'effet , la fin & le

moyen'
REDUITS A UN PRINCIPE. I4Ç
moyen foient la même chofc ; car il
s'agit ici de précifion.
Tenons -nous- en donc à l'imi-
tation, qui eft d'autant plus proba-
ble, qu'elle renferme l'enthouiiaf-
me, la ficlion , la verfification même ,
comme des moyens néceiTaires pour
imiter parfaitement les objets. On
l'a vu jufqu'ici , & on le verra de
plus en plus dans le détail qui va
fuivre.

CHAPITRE II.

Les Divifions de la Poèfiefe trou -


nient dans £ Imitation.

LA vraie PoeTie confiflant efTen-


tiellement dans l'Imitation ; c'efl
dans l'Imitation
fe trouver même queDivifions.
fes différentes doivent
Les hommes acquièrent la con-
noiiïancc de ce qui eft hors d'eux-
t^6 Les beaux Arïs
mêmes , par les yeux ou par les oreil-
les : parce qu'ils voyent les chofes
eux-mêmes , ou qu'ils les entendent
raconter par les autres. Cette dou-
ble manière de connoître , produit
la première divifion de la Poëfie,
& la partage en deux efpèces , dont
Tune eft. Dramatique , où nous
voyons les chofes repréfentées de-
vant nos yeux , où nous entendons
les difeours directs des perfonnes qui
agiffent ; l'autre Epique , où nous ne
voyons ni n'entendons rien par nous-
mêmes directement , où tout nous
eft raconté :
Attt agitur res in [cents , aut acîa refertur.

Si de ces deux efpèces on en forme


une troifiéme qui foit mixte , c'eft-
à-dire, mêlée de l'Epique & du Dra-
matique où
, il y ait du fpectacle Se
du récit ; toutes les régies de cette
troifiéme efpèce feront contenues
dans celles des deux autres.
REDUITS A UN PRINCIPE. I47

Cette Divifion , qui n'eft fondée


que fur la manière dont la Poëfie
montre les objets, efl fuivie d'une
autre , qui ell prife dans la qualité
des objets mêmes que traite la Poëfie.
Depuis la Divinité jufqu'aux der-
niers infectes , tout ce à quoi on peut
fuppofer de Faction , tout efl fournis
parce qu'il l'eft à l'imi-
tation. Ainfi, , comme il y a des Dieux,
à la Poëfie
des Rois , de fimples Citoyens , des
Bergers , des Animaux , & que l'Art
s'ett plu à les imiter dans leurs ac-
tions vraies ou vraifemblablcs ; il y
a aufîi des Opéra , des Tragédies ,
des Comédies , des Pafiorales , des
Apologues. Et c'eft la féconde divi-
fion ,dont chaque membre peut
être encore fousdivifé , félon la di-
verfité des objets , quoique dans le
même genre.
Toutes ces efpèces ont leurs ré-
gies particulières , que nous Ki) exami-
nerons en détail par rapport à nos
148 Les beaux Arts
vues. Mais comme il y en a aufîï cmï
leur font communes , foit pour le
fonds des chofes , foit pour la forme
du flyle poétique ; nous commence^
rons parles générales, & nous prou-
verons qu'elles font toutes renfer-
ture. mées dans l'exemple de la belle Na-

CHAPITRE III.

Les Règles générales de la Poe fie,


des chofes font renfermées dans
l'Imitation.

^ I la Nature eût voulu fe montrer


aux hommes dans toute fa gloire, je
veux dire , avec toute fa perfe&ion
poilible dans chaque objet ; ces ré-
gies qu'on a découvertes avec tant
de peine , & qu'on fuit avec tant de
timidité , & fou vent même de dan-
ger ,auroient été inutiles pour la for-
REDUITS A UN PRINCIPE. 145?
mation & le progrès des Arts. Les
Artiftes auroient peint fcrupuleufe-
ment les faces qu'ils auroient eues
devant les yeux , fans être obligés de
choifir. L'imitation feule auroit fait
tout l'ouvrage , & la comparaifon
feule en auroit jugé.
Mais comme elle s'eft fait un jeu
de mêler fes plus beaux traits avec
une infinité d'autres ; il a fallu faire
un choix. Et c'erl pour le faire , ce
choix , avec plus de fureté , que les
régies ont été inventées & propo-
fées par le Goût. Nous en avons
établi les principes dans la féconde
Partie. Il ne s'agit ici que d'en tirer
les conféquences , & de les appli-
quer àla Poëfie.
I. Règle générale de la Poésie,

Joindre rutile avec l'agréable.


En effet , fi dans la NatureKii&j dans
les Arts les chofes nous touchent à
150 Les beaux Arts
proportion du rapport qu'elles ont
avec nous; (a) il s'enfuit que les
ouvrages qui auront avec nous le
double rapport de l'agrément & de
l'utilité , feront plus touchans que
ceux qui n'auront que l'un des deux.
C'eft le précepte d'Horace :
Omne tulit punclum qui mi [cuit utile dulci ,
Lecîorem deleciando , pariterque monendo.

Le but de la Poëfie efl: de plaire : &


de plaire en remuant les pallions.
Mais pour nous donner un plaifu
parfait & folide ; elle n'a jamais dû
remuer que celles qu'il nous eft im-
portant d'avoir vives , & non celles
qui font ennemies de la fagelTe. L'hor-
reur du crime , à la fuite duquel mar-
chent lahonte, la crainte , le repen-
tir fans
, compter les autres fuppli-
ces : la compaffion pour les malheu-
reux ,qui a prefque une utilité auflî
étendue que l'humanité même : l'ad-
( a ) Voyez le chap, 3 . de la %. part.
REDUITS A UN PRINCIPE. Ifl
miration des grands exemples , qui
laiffent dans le coeur l'aiguillon de
la vertu : un amour héroïque, & par
confequent légitime : voilà , de l'a-
veu de tout le monde , les pallions
que doit traiter la Poéfie , qui n'efl
point faite pour fomenter la corrup-
tion dans les coeurs gâtés ; mais pour
être les délices des âmes vertueufes,
La vertu placée dans de certaines (i-
tuations , fera toujours un fpeclacle
touchant. 11 y a au fond des coeurs
les plus corrompus une voix qui parle
toujours pour elle , & que les honnê-
tes-gens entendent avec d'autant
plus de plaifir , qu'ils y trouvent une
preuve de leur perfeclion.
Aulli les grands Poètes n'ont-ils
jamais prétendu que leurs Ouvrages,
le fruit de tant de veilles Se de tra-
vaux fuiTent
, uniquement deftinés à
amufer la légèreté d'un efprit vain ,
ou à réveiller l'aiToupiiTement d'un
Midas defoeuvre. Si c'eûtKivété leur
î<y2 Les beaux Arts
but ,feroient-ils de grands Hommes ?
On doit avoir une bien autre idée
de leurs vues. Les Poëfies Tragiques
6c Comiques des Anciens , étoient
des exemples de la vengeance terri-
ble des Dieux, ou de la juflc ceniurc
des hommes. Elles faifoient com-
prendre aux Spectateurs que , pour
éviter l'une ôc l'autre , il falloit non
feulement
en effet. paroître bon , mais l'être
Les Poëfies d'Homère & de Vir-
gile ne font point de vains Romans ,
où l'efprit s'égare au gré d'une folle
imagination. Au contraire , on doit
les regarder comme de grands corps
de doefrine, comme de ces Livres de
Nation , qui contiennent lTiiftoire
de l'Etat , l'efprit du Gouvernement,
les principes fondamentaux de la
morale , les dogmes de la Religion ,
tous les devoirs de la fociété : & tout
cela , revêtu de ce que l'exprelTion
& l'art ont pu fournir de plus grand,
réduits A un Principe. 153
de plus riche , & de plus touchant à
des Génies prefque divins.
L'Iliade & l'Enéide font autant
les tableaux des nations Grecque &
Romaine , que l'Avare de Molière
eft celui de l'avarice. Et de même
que la fable de cette Comédie nciï
qu'un canevas préparé pour rece-
voir ,avec un certain ordre , quan-
tité de traits véritables pris dans la
fociété : de même auffi la colère
d'Achille, & l'établifTement d'Enée
en Italie, ne doivent être confidé-r
tés que comme la toile d'un grand
& magnifique tableau , où on a eu
l'art de peindre des moeurs, des ufa-
ges , des loix , desconfeils, &c. dé-
guifés tantôt en allégories , tantôt
en prédictions , quelquefois expofés
ouvertement : mais en changeant
quelqu'une des circonftances , corn-;
me le lieu , le tems , l'Acteur, pour
rendre la chofe plus piquante , &
donner au Lecteur le plaifir de cher-
1^4 Les beaux Arts
cher un moment, & de croire que ce
n'elr blequ'à
de fon lui-même qu il eit redeva-
inilruction.
Anacréon, qui étoit favant dans
îrArt de plaire , & qui paroît n'avoir
jamais eu d'autre but , n'ignorait
pas combien il efî important de mê-
ler l'utile à l'agréable. Les autres
Poètes jettent des rofes fur leurs pré-
ceptes ,pour en cacher la dureté.
Lui , par un rafinement de déliea-
telle , met toit des leçons au milieu
de les rofes. Il favoit que les plus
belles images , quand elles ne nous
apprennent rien , ont une certaine
fadeur , qui lahTe après elle le dé-
goût : qu'il faut quelque chofe de
folide pour leur donner cette force ,
cette pointe qui pénétre : & enfin ,
que fi la fageffe a befoin d'être
égayée par un peu de folie; la folie ,
à fon tour , doit être afiaifonnée d'un
peu de fagefîe. Qu'on life Y Amour
-piqué par une abeille 9 Mars perce
BEDUITS A UN PRINCIPE. IJf
d'une fiêche de l'Amour , Cupid m
enchaîné par les Mufes , on fent
bien que le Poëte n'a point fait ces
images pour inftruire : il y a mis de
Linltrucîion pour plaire. Virgile efl:
affurcment plus grand Poète qu'Ho-
race. Ses tableaux font plus beaux
& plus riches. Sa vérification eft
admirable. Cependant nous lifons
beaucoup plus Horace. La princi-
pale raifon eft, qu'il a le mérite d'ê-
tre aujourd'hui plu.-; inflruclif pour
nous, que Virgile , qui , peut-être l'é-
toit plus que lui autrefois pour les
Romains.
Ce n'eft pas cependant que la
Poefîe ne puiffe fe prêter à un aima-
ble badinage. Les Mufes font rian-
tes, &furent toujours amies des Grâ-
ces. Mais les petits Poèmes font plu-
tôt pour elles des délaffemens , que
des Ouvrages. Elles doivent d'au-
tres fervices aux hommes , dont la
vie ne doit pas être un amufemçnl
%<yG Les beaux Arts
perpétuel. Et l'exemple de la Na-
ture qu'elles
, fe propofent pour mo-
dèle, leur apprend à ne rien faire de
confidérable , fans un deffein fage ,
& qui tende à la perfe&ion de ceux
pour qui elles travaillent. Ainfi de
même qu'elles imitent la Nature
dans (es principes , dans ks goûts ,
dans (es mouvemens : elles doivent
aufii l'imiter dans les vues , & dans
la fin qu'elle fe propofe.
IL Règle.

JZuil y ait une action dans un


roeme.
Les chofes fans vie peuvent en-
trer dans laPoëfie. Il n'y a point de
doute. Elles y font mêmeanffi eflen-
tielles , que dans la Nature. Mais elles
ne doivent y être que comme accef-
foires , & dépendantes d'autres cho-<
fes plus propres à toucher. Telles
font les actions , qui étant tout à la
REDUITS A UN PRINCIPE. 1 57

fois l'ouvrage de l'efprit de l'hom-


me , de fa volonté , de fa liberté, de
fes pallions , font comme un tableau
abrégé de la nature humaine.
C'eil pour ceia que les grands
Peintres ne manquent jamais de jet-
ter dans les payfages les plus nuds,
quelques traces d'humanité; ne fut-
ce qu'un tombeau antique, quelques
ruines d'un vieil édifice. La grande
raifon
hommes.> c'efl: qu'ils peignent pour les
Toute a&ion eft un mouvement:
par conféquent fuppofe un point
d'où l'on part , un autre où l'on
veut arriver , & une route pour y
arriver : deux extrêmes Se un milieu :
trois parties , qui peuvent donner à
un Poëme une julte étendue , félon
fon genre , pour exercer aûez l'ef-
prit, & ne pas l'exercer trop, (a)
La première partie ne fuppofe rien
avant elle; mais elle exige quelque
{a ) y oyez le chap. j. de la -s., part.
158 Les beaux Arts
ehofe après : c'eftce qu'Ariftote ap-
pelle lecommencement. La féconde
ïuppofe quelque chofe avant elle ,
& exige quelque chofe après : c'eil
le milieu. La troiiiéme fuppofe quel-
que chofe auparavant , & ne deman-
de rien après : c'eil la fin. Uneentre-
prife , des obftacles , le fuccès mal-
gré les obftacles. Voilà les trois par-
ties d'une a&ion intércffante par
elle-même. Voilà laraifon d'un pro-
logue, ou expofition du fujet, d'un
nœud , & d'un dénouement. C'eft la
mefure ordinaire des forces de notre
efprit , & la fource des fentimens
agréables.
III. R E G L E.

iJ action doit ètrefingtilierc , une >


/impie , variée.
Pour ne nous offrir que des ac-
tions ordinaires , il n'étoit point né-
eeflaire que le Génie appellât la Poe-
REDUITS A UN PRINCIPE. I Jp
fie au fecoms de la Nature. Toute
notre vie n'efl: qu'action : toute la
fociété neft qu'un mouvement con-
tinuel de perfonnes, qui fe remuent
pour quelque fin.
Ainfi , fi la Poëfic veut nous atti-
rer ,nous toucher , nous fixer ; il faut
quelle nous préfente une adion ex-
traordinairentre
e, mille qui ne le
font point.
La fingularité confifle , ou dans
la chofe même qui fe fait ; comme
quand Auguftc dans Corneille déli-
bère avec Cinna & Maxime , tous
deux conjurés contre lui , s'il quit-
tera l'Empire : ou dans les reflbrts
qu'on employé pour arriver à fon
but ; comme quand le même Au-
gufte pardonne à (es ennemis pour
les défarmer. Ces reflbrts font de
grandes vertus , ou de grands vices ,
une finefle d'efprit , une étendue de
génie extraordinaire , qui fait pren-
dre aux évènemens un tour tout-à-
160 Les beaux Arts
fait différent de celui qu'on de voit
attendre. Cette fingularité nous pi-
que &, nous attache , parce qu'elle
nous donne des imprefîions nouvel-
les&, qu'elle étend la fphère de nos
idées.
Ce n'efr pas affez qu'une a&ion
foit finguliere , le Goût demande en-
core d'autres qualités. Si les refTorts
font trop compliqués, comme dans
Heraclius , l'intrigue nous fatigue.
D'un autre côté , s'ils font trop (im-
piesTefprit
, languit , faute de mou-
vement :comme dans la Bérénice
de Racine. Il faut donc que l'aclion
foit fimple , & en méme-tems qu'elle
ne le foit pas trop. Si les fituations,
les caracleres , les intérêts avoient
trop de conformité , ils cauferoient
le dégoût ï d'un autre côté , fi l'ac-
tion étoit traverfée par un incident
abfolument étranger , ou mal coufu
avec le relie , fut-il un lambeau de
L'ame
pourpre ; le plaifir feroit moins vif.
déduits a un Principe. i6t
L'ame une fois mife eh mouvement ,
n'aime point à être arrêtée mal-à-
propos , ni éloignée de fon but. Il
faut donc que Tadion foit en même-
tems variée, & une, c'eft - à -dire ,
que toutes fes parties , quoique dif-
férentes entre elles , s'embraiTenf
mutuellement , pour compofer un
tout qui paroiffe naturel.
Ces qualités fe trouveroient dans
Une action hiftorique , fi on la fup-
pofoit avec toute fa perfection pof-
fible ; mais comme ces adions ne fe
trouvent prefque jamais dans la Na-
tureil, étoit réfervé à la Poëfie de
nous en donner le fpectacle & le
plaifir.
IV. Règle.

"touchant les caractères , la con~


duite dr le nombre des Acteurs*
* L
Il y a dans la Nature , ou dansl
la fociété commune , ce qui efl: ici
%6i Les beaux Arts
la même chofe , des actions où les
Acteurs font multipliés fans befoin.
Ils s'embarraifent plus qu'ils ne s'en-
traident : ils agiffent fans concert :
leurs caracleres font mal décidés ,
ou plutôt ils n'en ont point : leurs
opérations font lentes & ennuyeu-
fes : leurs penfées communes & fauf-
fes : leurs difcours impropres , ou
foibles , ou remplis d'inutilités. De
forte que fi c'elt un Tout , c'eft un
Tout bizarre , irrégulier , informe ,
où la Nature eft plutôt défigurée ,
qu'embellie. Que diroit - on d'un
Peintre qui repréfenteroit les hom-
mes, petits , maigres , bolTus , boi-
teux ,&c. comme ils font fouv^nt
dans la Nature.
Les premiers Artiftes eurent be-
foin de la raifon des contraires pour
tirer de tant de défauts,les principes
du beau, de Tordre , du grand , du
touchant : & peut-être qu'il leur fut
plus aifé de procéder par cette mé-
REDUITS A UN PRINCIPE, ï6%
tliode,que par le choix du meilleur ;
nous fentons plus diftindement le
mauvais que le bon.
En conféquence de ces obferva-
tions , il a été décidé , i °. que le nom-
bre des Adeurs feroit réglé furie be-
foin , je ne dis pas de la pièce , mais
de l'action, (a) Le befoinde la piè-
ce eft fouvent celui du Poëte , qui ,
pour remplir un vuide , ou écarter
urt obftacle , fait paroître ou difpa-
roître un Acleur , fans que la vrai-
femblance de Taftion l'exige. C'efl:
Virgile qui fait emporter Creiïfe par
Un prodige , pour donner lieu à un
fécond hymen , fans lequel tomboit
tout l'édifice de fon poëme. 'C'elT:
quelque Poëte moderne , qui > pour
(a) Pour faire fèntir Le befoin de TAÛioQ
la différence qu'il dey laa fe bornoit à trois Ac-
entre le befoin tes , ou à quatre tout
Pièce &- le befoin de au plus 5 & le befoin
de la Pièce a conduis
l'Action, il furfit de
jetter les yeux fur les
Horaces de Corneille. le Poëte jufqu'à ciaq.
M
364 Les beaux Arts
éviter de trop longs ou de trop fré-*
qliens monologues, introduit tan-
tôt un confident inutile au mouve-
ment de l'action , tantôt une autre
petite action épifodique , pour ra^
mener ou attendre les Acteurs de
l'action principale , dont l'intérêt fe
trouve ainfi partagé , & par confé-
quent affoibli.
2°. Les Acteurs auront des carac*
teres marqués , qui feront le prin-
cipe de tous leurs mouvemens : ver-
tus ou vices , il n'importe à la Poè-
fie. Agamemnon fera orgueilleux ,
Achille fier , UlyfTe prudent ; & s'ils
pèchent , ce fera plutôt par excès ,
que par défaut. Agamemnon ira juf*
qu'à l'outrage ; Achille , jufqu'à la
fureur; & UlyfTe touchera prefque à
la fourberie.
3°. Us feront ce qu'ils doivent
faire , & ne feront que ce qu'ils doi-
vent. Ils'agifToit d'aller à la décou-
verte dans lecampTroyen. Il falloir
réduits a un Principe. 165:
y envoyer des hommes munis de pru-
dence & de courage pour prévoir
les dangers, &fe tirer de ceux qu'ils
nauroientpas prévus. Ulyffe &Dio-
mede font choifîs : l'un voit tout ce
que peut voir la prudence humaine :
l'autre exécute tout ce qu'on peut
attendre
Chacun faitd'un
fon courage héroïque.
rôle. On reconnoît
les A&eurs à leurs a&ions , c'ell: la,
belle manière de les peindre.
4°, Enfin , les caractères feront
contraires : c'efi-à-dire , que chacun
aura le lien , avec une différence fen-
fible ; & qu'on les montrera , de forte
que la comparaifon les falTe fortir
mutuellement. Il y a mille exemples
du contrafle dans tous les Poètes,
& dans tous les Peintres. Ce font
deux frères , dont l'un eft trop indul-
gent l'autre
, trop dur : c'ell le père
avare vis-à-vis un fils prodigue : c'eft
L iij
le mifantrope vis-à-vis l'homme du
monde , qui pardonne au genre hiH
i66 Les beaux Arts
main : c'efl le vieux Priam aux pieds
du jeune Achille , & qui lui baife les
mains . teintes encore du fang de fes
fils. Si les cara&eres ne différent
point par Tefpèce, ils doivent diffé-
rer par les dégrés. Horace & Curiace
font deux Héros , dont le caraclere
eft la valeur ; mais l'un eft plus fier ,
l'autre plus humain.
* h i i

CHAPITRE III.

Les règles de la To'èfie dufiylefont


renfermées dans r imitation
de la belle Nature.

I . A Poëfie , qu'on appelle du ftyle,


par oppofîtion à celle des chofes ,
qui confiftc dans la création & la
difpofitiondes objets, contient qua-
tre parties : i °. les penfées. 20. les
mots. 30. les tours. 40. l'harmonie.
Tout cela fe trouve dans la profe
KEDUITS A UN PRINCIPE. l6j
même ; mais comme dans les Arts
il s'açit non feulement de rendre la
nature , mais de la rendre avec tous
{es agrémens & (es charmes poffi-
bles ; la Poëfie , pour arriver à la fin ,
a été en droit d'y ajouter un degré
de perfeftion , qui les élevât en quel-
que forte au-deffus de leur condition
naturelle.
Ceft pour cette raifon que les
penfées , les mots , les tours ont dans
la Poëfie une hardieiïc , une liberté ,
une richefle qui paroîtroit excefîive
dans le langage ordinaire. Ce font
des comparaifons foutenues , des
métaphores éclatantes, des répéti-
tions vives , des apoflrophes fingu-
lieres. Ce 11: Y Aurore fille du matin ,
qui ouvre les portes de l'Orient avec
Je s doigts de rofes. Cefr. un fleuve
appuyé fur fon urne -penchante >
qui dort au bruit flatteur de [on
onde naijfante : ce font les jeunes
Zephirs qui folâtrent dans les prau
L iv
i£8 Les beaux Arts
ries èmaïllêes , ou les Nayades qui
je jouent dans leurs palais de cry-
ftal. Ce neft point un repas , c'en;
yne fête :
Qji&Jitique décent cuit us mugis atque colores
lnfoliti}nec erit t/into ars deprenfa pudori.

Cette licence eft cependant réglée


parles loix de limitation : ceft l'état
$c la fituation de celui qui parle , qui
marque le ton du d'tfcours :
Si dicentis erunt fortunis abfonct diSttt^
Romani tollent équités peditefque cachinnutn.

L'Ode même dans fçs écarts , & l'E-


popée dans fo.n feu , ne font auto-
riféesque par ryvreije dufentiment „
ou par la force de l'infpiration , dans
lefquelles on fuppofe le Poëte : fans
cela , l'Art fe feroit tort à lui-même,
& la Nature feroit mal imitée.
Nous ne nous arrêterons pas da-
vantageces
à trois parties de la Poë-
fie du ftyle ; parce qu'il eft aifé d«
REDUITS A UN PRINCIPE. 1^9

s'en former une idée jufte par la feule


lecture des bons Poètes : il n'en eft
pas de même de la quatrième , qui
eft l'harmonie :
Non quivis videt immodulata poemata judex»

L'Harmonie , en général , eft un


rapport de convenance , une efpèce
de concert de deux ou de plufieurs
chofes. Elle naît de l'ordre, & pro-
duit prefque tous les plaifirs de l'efr
prit. Son refTort eft d'une étendue
infinie ; mais elle eft fur-tout l'ame
des beaux Arts.
Il y a trois fortes d'Harmonie dans
la Poëfie : la première eft celle du
ftvle , qui doit s'accorder avec le fu-
jet qu'on traite , qui met une jufte
proportion entre l'un & l'autre. Les
Arts forment une efpèce de républi-
que , où chacun doit figurer félon
fon état. Quelle différence entre le
ton degédieParcourez
l'Epopée
! , &toutes
celui de
les laautres
Tra-
170 Les beaux Arts
efpèces , la Comédie , la Poëfie ly-
riquela
, Paftorale , &c. vous fen-
tirez toujours cetre différence, (a)
Si cette Harmonie manque à quel-
que Poëme que ce foit , il devient
une mafearade : c'eft une forte de
grotefque qui tient de la parodie.
Et fi quelquefois la Tragédie s'ab-
bailTe , ou la Comédie s'élève ; cefr.
pour fe mettre au niveau de leur
matière , qui varie de tems en tems;
& l'objection même fe tourne en
preuve du principe.
Cette Harmonie eft effentielle :
mais on ne peut que la fentir , &
malheureufement les Auteurs ne la
fentent pas toujours affez. Souvent
les genres font confondus. On trou-
ve dans le même ouvrage des vers

(a) Itaque <& in îrct- que certus fonus , &


gœdiâ comicum vitio~ qu&dam intelligentibus
fum ejl , & in coms.diâ nota, vox. Cic. de in-
turpe tmgicum , & in vent, cap. 1.
(4teris [hus efi cH]uf~
REDUITS A UN PRINCIPE. 171
tragiques , lyriques , comiques , qui
ne font nullement autorifés par la
penfée qu'ils renferment. Pourquoi
donc vous mêlez vous de peindre ,
puifque
loris ? vous n'entendez rien au co-

Defcriptas fervare vices operumque colores


dur ego fi nequeo ignoroque , Poeta falutor.

Une oreille délicate reconnoît pref-


que par le cara&ère feul du vers ,
le genre de la pièce dont il eft tiré.
Citez-nous Corneille , Molière , la
Fontaine , Segrais,RoufTeau , on ne
s'y méprend pas. Un vers d'Ovide fe
reconnoît entre mille de Virgile. Il
n'efl:
Auteurspas :néceffaire de nommer
on les reconnoît les
à leur
Ityle , comme les Héros d'Homère
à leurs aftions.
La féconde forte d'Harmonie con-
fiée dans le rapport des fons & des
mots avec l'objet de la penfée. Les
Ecrivains en profe même doivent
172 Les beaux Arts
s'en faire une régie : à plus forte rai-
fon (*) les Poètes doivent-ils Tobfer-
ver ! Auflî ne les voit-on pas expri-
mer par des mots rudes, ce qui eft
doux ; ni par des mots gracieux , ce
qui eft défagréable & dur :
Carminé non levi dicenda efl feabra creftdo.

Rarement chez eux l'oreille eit en


contradiction avec l'efprit.
La troifiéme efpèce d'Harmonie
dans la Poëfie peut être appellée ar-
tificiel epar
, oppofition aux deux
autres qui font naturelles au dif-
cours & qui appartiennent égale-
ment la
à Poëfie & à la Profe. Celiez
ci confifte dans un certain Art , qui ,
outre le choix des expreilions & des
fons par rapport à leur fens , les af-
fortit entr'eux de maniere,que toutes
(a) Aures,vel animus longioraQp brevioraju-
tturiitm nuncio,natura dicat. ■ . . Mutila fentit
lem quandam iufe con - quidam quafi deeurta
tinet vocttm omnium j ta , &c. Cic. in ora~
mmfionem. Itaque & \ tore.
REDUITS A UN PRINCIPE. 175
les fyllabes d'un vers , prifes enfem-
ble , produifent par leur fort, leur
nombre , leur quantité , une autre
forte d'expreihon qui ajoute encore
à la lignification naturelle des mots.
Chaque chofe a fa marche dans
l'Univers. Il y a des mouvemens qui
font graves & majeflueux : il y en a
qui font vifs & rapides : il y en a
qui font fimples & doux. De même,
la Poëfie a des marches de différentes
efpèces, pour imiter ces mouvemens^
& peindre à l'oreille par une forte
de mélodie , ce qu'elle peint à Tefprit
par les mots. C'efr une efpèce de
chant mufical, qui porte le caractère
non-feulement du fujet en général ,
mais de chaque objet en particulier.
Cette Harmonie n'appartient qu'à la
Poëfie feule : & c'eft le point exquis
de la verfification.
Qu'on ouvre Homère & Virgile ,
on y trouvera prefque partout une
exprefTion îmifïcale de la plupart des
i74 ^ES beaux Arts
objets. Virgile ne l'a jamais manquee?
on la fent chez lui , lors même qu'on
ne peut dire en quoi elle confifte.
Souvent elle eft fi fenfible qu'elle
frappe les oreilles les moins atten-
tives :
Continuo venus furgentibus , aut fréta ponti
Incipiunt agitata tumefeere , ©> aridus altis
Montibus audiri fragor } aut refonantia longé
Littora mifeeri , & nemorum increbrefeere
murmur.

Et dans TEneïde , en parlant du trait


foible que lance le vieux Priam :
Sic fatus fenior : telumque imbelle fine iBu
Conjecit , rauco quod protinus Are repulfum
Et fummo clypei nequicquam umbone pe-
pendit.
Je ne puis omettre cet exemple tiré
d'Horace :
Ouâ pinus ingens t attaque populus
Umbram hofpitalem confociare amant
Ramis y & obliquo laborat
Limpha fugax trepidar* riveê
keduits a un Principe. 17 j
Au relie , s'il y a des gens à qui la
Nature a rcfufé le plaifir des oreilles,
ce n'eft point pour eux que ces
remarques ont été faites. On pour-
roit leur citer les autorités des Grecs
&des Latins, qui font entrés dans le
plus grand détail par rapport à l'har-
monie du langage ; (*) mais je me
bornerai à celle de Vida ; d'autant
plus , qu'il donne en même-tems le
précepte & l'exemple :
llaud fatis efi Mis (poetis) utcumque claudert
•verfum ,
Et res -verborum propriâ vi reddere cloras.
Omnia fed numeris vocum concordibus aptant j
Atque fono quxcunque canunt imitantur 3 &
apta
Verborum facie , & quarto carminis orc.
Ham diverfa opus efi veluti date verfibus ora

{a) Voyez Ciceron des mots. Quintilien


dans Ton Orateur & liv. 9. & Vofïîusdans
dans (on dernier Liv. fes Inftitutions Ora-
de Orat. Denis d'Ha- toires, &dans fon trai-
licarnafTe dans Ton trai- té de la Grammaire.
te de l'Arrangement
176 Les seaux Arts
J)iverfofque habitus : ne qualis prirhus & alter i
Talis & inde aller vultUque incedat eodem.
Hic melior motuque pedum & pernicibus alis 3
Molle z/iam tacito lapfu per levia radit.
llle autem membris ac mole ignavius ingens
Jncedit tardo molimine fnbfidendo.
Ecce aliquis fubit egregio pulcherrimus ore ,
Qui Utum membris Venus omnibus afflat hs-
norem.
Contra alius riidis informes ojlendit & artus ,
Hirfutùmque fupercilium , ac caudamfinuofam ,
Ingratus x-ifu fonitu UUtabilis ipfo :
JSlec verb h&fine lege data. ,fine mente figurt
Sed faciès fua pro meritis , habitufque fonuf-

is e m imine y
Cunfi cuiqu fuus vocu difcr certo &c*
que

La fuite en eft aufîi agréable qu'in-


ftrudive , & elle forme pour nous
une preuve fans réplique.
dansTelle efl l'harmonie
les Poètes qui régne
Grecs & Latins.
Cette harmonie peut-elle fe trou-
ver dans nos Poètes ? Il y a une opi-
nion établie en faveur des Anciens
REDUITS A UN PRINCIPE, fff
& entièrement contraire aux Mo-
dernes. Voyons fur quoi elle eiî fon-
dée &, fuppofé qu'elle foit injufte,
ofons prendre modeflement ce qui
nous appartient.
Les Langues ne fe font point faites

fource dans : &la dès


par fyflême qu'elles
nature ont leur
même des
hommes , il e(t néceffaire qu'elles fé
relTemblent toutes par bien dts en-
droits.
Si e'eftmonieladansMefure qui latins
les Vers produit; l'har-
nous
avons le même avantage dans les nô-
tres. L'Alexandrin a douze tems, de
même que l'Hexamètre des Latins.
Le vers de dix fyllabes en a dix , de
même que le Pentamètre. Nous
avons ceux de huit & de fept : nous
en avons au befoin de plus petits ,
qui répondent au vers Gliconique
& Adonique , Se qui fe prêtent à la
* A*
Mufique aufii bien qu'eux.
Si c'eft le ion même des mots Se
178 Lis beaux Arts
des fyllabes dont les vers font com-
pofés : n'avons-nous pas auili bien
que les Anciens des fons , graves &
aigus , doux Se rudes , éclatans &
fourds , fimples , nombreux , maje-
ftueux ? Cela n'a pas befoin de
preuves. Y a-t'il moins d'harmonie
dans quelques-uns de nos bons Ecri-
vains en profe , que dans les Ora-
teurs & dans les Kiftoricns Grecs
ou Latins ï
Ce font les brèves , dira-t'on ,
& les longues qu'avoient les Latins ,
& que nous n'avons pas. Il cft vrai
que nous faifons prefque toutes nos
fyllabes égales dans la converfation.
Cependant , fi on y prend garde , on
trouvera que , fuppofé même que
nous les falTions toutes brèves dans
le difeours familier , il y en a au
moins que nous faifons plus brèves;
& en comparaifon defqueiles les
autres font longues. Et il y a appa-
rence que les Latins en ufoient à peu
réduits A un Principe. 179
près de même que nous , dans Tufage
ordinaire des converfations. Et li
dans la prononciation foutenue , ils
marquoient davantage les longues &
les brèves ; nous ne le faifons pas
moins qu eux. M. l'Abbé d'Olivet Ta
démontré dans fon Traité de la Pro-
fodie Françoile. 11 ne faut que lire*
pour s'en
avec quelque
convaincre. Nousattention
avons des longues,
des plus longues , des brèves , des
plus brèves , & des muettes qui font
très-brèves , dont le mélange peut
produire & produit réellement , dans
les bons Verfificateurs , le même effet
pour une oreille attentive & exercée ,
que dans la vérification latine. On
en peut juger par quelques vers qui lui-
vent , & qu'on regarderoit peut-être
dansles Anciens comme des exemples
frappans de l'harmonie poétique :
Mij
Cadences marquées four V Imitation.
Ses murs dont le fommet le dérobe à la vue-
iSo Les beaux Arts
Sur iâ cime d'un roc s'allongent dans la nue. . . .
Ses aïs demi pourris que l'âge a relâchés ,
Sont à coups de maillets unis & rapprochés.
Sous les coups redoublés tous les bancs reten-
tiflent.
Les murs en font émus , les voûtes en mu-
gi lient.
' Et l'orgue même en poufle un long gémif-
fcment.
Que fais -tu Chantre hélas ! dans ce trille
moment.
Tu dors d'un profond fomme :

On admire le procumMt de Virgile,


cette chute eil-elle moins heureuiè?

Sa croupe le recourbe en replis tortueux. Rxc.


Un jour fur fes longs pieds alloit je ne fais où,
Un Héron au long bec emmanché d'un long
cou :
Il côtoyoit une rivière. Lnïont.

Cadence frejfée.

Le Prélat & fa troupe à pas tumultueux


Le Prélat hors du lit , impétueux s'élance. Boit
KEDU7TS A UN PRINCIPE. l8l

Cadence dottce.

II eft un heureux choix de (ons harmonieux B.


Source délicieufc en mi 1ère féconde. Corn.
Cadence dure.

Cardez qu'une voyelle à courir trop hâtée


Ne ibit d'une voyelle en Ion chemin heurtée...
D'une fubite horreur fes cheveux fe hérifTent.
Cadence grave.

Quatre bœufs attelés d'un pas tranquille & lent


Promenoient dans Paris le Monarque indolent.
Traçât à pas tardifs un pénible iîllon. Boil.
Cadence légère.
Tient un verre de vin qui rit dans la fougère...
Il fait jaillir un feu qui pétille en fortant . . .
Qu'à fon gré déformais la fortune me joue ,
On me verra dormir au branle de fa roue.

Cette cadence fi marquée ne fe fou-


tient pas toujours dans nos meilleurs
Verfifîcateurs , il cft vrai : mais fe
foutient-elle davantage dans les La-
tinsIls
? fe font un plaifir Miij
, de même
182 Les beaux Arts
que nous d'exprimer avec foin cer-
taines penfées auxquelles les mots
de leur langue paroifTent fe prête i
de meilleure grâce ; mais dans les
autres occafions , ils fe contentent
d'une cadence fimple & ordinaire ,
qui confifte à rendre le vers coulant,
& à écarter avec foin tout ce qui
pourrait choquer une oreille déli-
cate.
Quand on dit que les Vérifica-
teurs fe font un plaifir de faire cer-
taines cadences plus fenfibles ; ce
n'efl: pas qu'on veuille dire que Def-
préaux , Racine, ni les autres, ayent
compté , pefé , & mefuré chacune
de leurs fyllabes. „ Je ne les en foup-
„ çonne pas , dit M. l'Abbé d'Oliver,
„ non plus qu'Homère ni Virgile ,
„ quoique leurs Interprètes foient en
„ polleiïion de le dire. Mais ce que
„ je croirois volontiers , c'efl: que la
„ Nature , quand elle a formé un
,, grand Pocte , le dirige par des ref-
REDUITS A UN PRINCIPE. 18?
„ forts cachés , qui le rendent docile
„ à un Art dont il ne le doute point ;
„ comme elle apprend au petit en-
„ faut du Laboureur, fur quel ton il
„ doit prier , appeller , carelfer , fe
„ plaindre.
C'eft par cet infrincl: que nos Poè-
tes lyriques employent à propos les
grands & les petits vers , qui font le
môme effet , & peut-être plus heu-
reufement & plus conftamment que
dans le Latin. Le grand vers a plus
de majefté : le petit a ordinairement
plus de feu ou de douceur. Qu'on
faife attention à Tufage que nos
Poètes lyriques en.ont Içu faire:

Ont-ils
fiere rendu I'efprit , ce n'eft plus cjueponf-
Que cette Majefté fi pompeufe & fi fiere
Dont l'éclat orgueilleux ctonnoit l'Univers,
Et dans ces grands tombeaux où leurs âmes
hautaines
Font encore les vaines ,
Ils font mangés des vers. M/ilher&e.

Miv
184 Les eeaux Arts
Et Rouffcau :

Conti n'cfl: plus : ô Ciel ! Tes vertus , fan cou-


rage ,
La fublime valeur , le zèle pour Ton Roi
N'ont pu le garantir au milieu de Ton âge
De la commune Loi.

Il n'eft plus : & les Dieux en des tems fî fu-


neftes

N'ont fait que le montrer aux regards des


mortels.
Soumettons nous : allons porter ces triftes reftes
Au pied de leurs Autels.
Elevons à fa cendre un monument célèbre ,
Que le jour de la nuit emprunte les couleurs :
Soupirons , gémifïbns fur ce tombeau funèbre
Arrofé de nos pleurs, (a)

II faut fe fouvenir dç ces vers de


M. de la Mothe.

( a ) On vante ce I fe du verbe rejette à


vers de Virgile, à eau- I l'autre vers :
Extincïum Nympha crudeli funere Dapbnim
^lebant.
Réduits A un Principe. ï8j
Les vers font enfans de la Lyre:
On doit les chanter , non les lire.

A peine aujourd'hui les lit-on.

Examinons maintenant fi c'étoît


un avantage pour la Poëfie des An-
ciens ,que les pieds fuiTent mefurés
& réglés pour chaque efpcce de vers :
Car dans les langues modernes ils
ne le font point. Et lorfque les dac-^
îyles& les fpondées font employés;
ce n'eft point la loi du vers , mais
le goût de l'oreille qui l'ordonne,
Il efl certain que dans ce vers :
Nemorum increbrefeere murmur ,
ce n'efl point le daclyle , mais le fon
même des fyllabes qui en fait la
beauté harmonique. Portez le dac-
tyle fur d'autres mots : quant un-
gala campum , ce n'eft plus forage
qui frémit. Ce ne font point non
plus les brèves qui expriment mieux
que les longues : murmur efl auiï?
exprefîif que increbrefeere.
ïS6 Les beaux Arts
D'ailleurs fi le dadyle & les au-
tres pieds produiraient l'harmonie
du vers ; comme il paroît certain
que cette harmonie n'eft qu'un con-
cert des fons avec la penfée qu'ils
c ; pi iment, (à moins qu'on ne veuille
dire que des fons rapides expriment
bien ce qui cil lent ) il s'enfuivroit
que c'étoit un inconvénient dans la
poofic des Latins , que d'y avoir ré-
glé la place des brèves & des longues:
& qu'il devoit en réfuker néceffai-
rcment autant de défauts que de
beautés» Si ce n'eft encore, qu'on
prétende que la penfée pouvoit être
chez eux toujours conforme à la
marche réglée de la Verfification.
Je fuppofe j par exemple , une
pièce en vers Alcaïques ou Afcle-
piades , dont toutes les fyllabes font
réglées : fi on veut que la beauté
harmonique qui réfulte de l'accord
des fons avec la penfée , s'y trouve
d'un bout à l'autre ; il eft néceiTairo
keduits A un Principe. 187
que le même caractère des objets y
régne du commencement à la fin: &
û elle ne s'y trouve point dans quel-
ques endroits ; c'elt un défaut , par
la raifon
ceux que fe
où elle c'eft une beauté dans
trouve.
Les Grecs & les Latins ont (1 bien
fenti cette difficulté , que dans les
Ouvrages de longue haleine , ils ont
réglé plutôt les tems que les pieds.
Dans les vers hexamètres , de fix
pieds , il y en a quatre qui font libres.
Et c/elt de cette liberté que ce vers
tire prefque toutes les beautés qu'il
a, du côté des longues & des brèves :
& la contrainte du cinquième & du
fixiéme pourroit bien n'être qu'une
beauté arbitraire , qu'une efpece de
rime de quantité, qui répond à la
rime de fons , dans nos vers Fran-
çois. De forte que dans les vers he-
xamètres &alexandrins , les chofes
font à peu près égales : & que dans
les Lyriques , les Grecs & les Latins
i $8 Les beaux Art?
avoient peut-être moins d'avantage
que nous n'en avons.
Me permettra-t'on de le dire pour
nous juitifier en quelque forte ? L'o-
reille afes préjugés aufli-bien que
Fçfprrt. Et pour peu que l'habitude
s'y mêle , Terreur a autant de cré-
dit qu'une vérité démontrée.
La première fois qu'on nous par-
la d'harmonie ; ce fut à propos de
vers latins. On nous fit connoître
les pieds : enfui te on nous fit fcander :
Ouadrupedante putrem fonitu quant ungttlo.
campum.

Et pour nous en faire mieux fentrr


la cadence , on la compara avec
celle-ci :
Olli inter fcfe magna vl brachia toïïunt.

Et on nous fit entendre que les vers


étoient plus ou moins harmonieux ,
félon qu'ils approchoient plus ou
moins , de ce cara&ère mufical 3
réduits a un Principe. i'8$
qui a tant de rapport avec l'objet
de la penféc. On nous laiiTa croire
en même-tems , que cette beauté
venoit des dactyles «Se des fpondées ,
plutôt que des longues & des brè-
ves. Allez long-tems après , quand
nous entrâmes dans nos Poètes,
fans nous être préparés à cette lec-
ture par aucune réflexion fur les
loix de notre Grammaire ni fur le
génie de notre Langue ; ne voyant
plus ni dactyles ni fpondées , ne
foupçonnant même ni longues ni
brèves ; il n'eft point étonnant que
nous ayons fait & que nous fatfions
encore fi peu de cas de notre bien,
que nous ne connoiffons pas ;& que
nous eftimions tant celui des étran-
gersdont
, nous nous fommes nour-
ris uniquement, & occupés depuis
notre enfance. 11 étoit bien permis
d'avoir ces idées dans le tems de la
renaiiïance des Lettres ; lorique la
Langue Françoifc étok encore in-
ipo Les beaux Arts
forme. Mais aujourd'hui qu'elle efl
devenue une des plus polies & des
plus belles Langues du Monde ; &
qu'elle a produit des chef-d'oeuvres
dans tous les genres ; cette queftion
mérite au moins d'être examinée ;
& c'eil être doublement injufte , que
de décider pour la négative , fans y
avoir auparavant mûrement réfléchi.
Il relie une objeélion à réfoudre :
Quand le vers François auroit ,
dit-on , les longues & les brèves
comme le Latin , il ne pourroit-les
faire fentir dans la prononciation :
parce que , ayant autant de fyllabes
que de tems , douze fyllables par
exemple , pour douze tems dans le
vers alexandrin ; il faudrait ou pro-
noncer toutes les fyllabes égales , ou
fi on les prononce inégales , la régie
du mouvement fera rompue.
11 y a un milieu qui réfout la dif-
ficultéCeft
: qu'il fe fait , en pro-
nonçant régulièrement , une corn-
REDUITS A UN PRINCIPE, ïpl
penfation entre les brèves & les lon-
gues. Comme nous avons des lyl-
labes longues , & de très-longues ,
des brèves & de très-brèves ; les lon-
gues, fur lefquelles on appuyé en
prononçant, portent une partie de
la durée des brèves. Et afin que cette
compenfation , le fafie à peu près
dans le lieu où doit être la meiure
du tems ; on a voulu que dans les
grands vers , il y eût un hemiiliche ,
lequel féparât en quelque forte les
intérêts communs des fix premiers
tems ; defonduspeur qu'ils
avec ceux desnefîxfuflènt
autres.con-
Et
par là on a trouvé le moyen de con-
ferver la mefure du vers , & la quai>
tité fyllabique , fans que l'un lalîè
le moindre tort à l'autre.
Je me garderai bien de croire, que
tout ce que je viens de dire , foit fans
difficulté pour bien des perfonnes :
mais au moins , û on veut fe donner
la peine d'y faire attention , je puis
192 Les beaux Arts
aÎTurer que ce ne fera qu'à l'avantage
& à devons
nous la gloire d'une
aimer , nouslangue que,
fur tout
puifqu elle fait les délices des autres
Peuples.
PafTons maintenant aux régies
particulières de chaque efpèce de
Poëfie.

CHAPITRE IV.

fes régies dans


toutestion*
I] Epopée alimita

J^ E terme à'Evofée pris dans fa


plus grande étendue convient à tout
récit poétique : & par conféquent
à la plus petite Fable d'Efope , S7roç
figriifie récit, &7roiïa>, faire ,feindre,
créer.
Mais félon la fignification ordi-
naireSe, qui eft établie par Tufage ;
il ne fe donne qu'au récit poétique
de
REDUITS A UN PRINCIPE. ip£
de quelque grande adion , qui inté-
reOb toute une Nation , ou même
tout le Genre humain. Les Homeres
& les Virgiles en ont fixé l'idée ,
jufqu'à ce qu'il vienne des modèles
plus accomplis.
L'Epopée eft le plus grand ou-
vrage que puiiTe entreprendre refprit
humain. C'eft une efpèce de créa-
tion qui demande en quelque forte
un Génie tout-puiffant. On embraffe
dans la même aclion tout l'Univers :
le Ciel qui régie les deftins , & la
Terre où ils s'exécutent.
On peut la définir : Un récit en
vers d'une adion vraifemblable , hé-
roïque&, merveilleufe. On trouve
dans ce peu de mots , la différence
de l'Epopée avec le Romanefque ,
qui eft au-delà du vraifemblable ;
avec l'Hiftoire , qui ne va pas juf-
qu'au merveilleux \ avec le Dra-
*
, n'eft pas un récitN ; avec
matiquequi
les autres petits Poèmes , dont les
fi*V-'?

194 Les beaux Arts


fujets ne font pas héroïques.
Il s'agit de trouver toutes les ré-
gies de chacune des ces parties dans
l'imitation.
Le merveilleux , qui paroît le plus
éloigné de ce principe , coniilte à
dévoiler tous les refïbrts inconnus
des grandes opérations. Le Poëte
n'a pour cela d'autre moyen que le
vraifemblable. C'efl: ici fa régie ,
comme ailleurs : & le Lefteur intel-
ligent ne manque point de l'y ra-
Tousmener ,quand il s'en font
les hommes écarte.
naturelle-
ment convaincus qu'il y a une Divi-
nité qui régie leur fort. C'efl de cette
convi&ion que part le Poëte, homme
comme nous , ayant les germes des
mêmes idées que nous. Il fe déclare
infpiré par un Génie , qui aflifte au
confeil des Dieux ; où il a vu le prin-
cipe & les caufes fecretes des chofes ,
que les hommes ne connoiffent que
quand elles font arrivées.
jreduits A un Principe, ip£
Voilà donc deux moyens de nous
faire croire le Merveilleux quJilnous
annonce : le premier , c'eft qu'il nous
préfente des chofes qui reiîemblent
à celles que nous croyons. Le fé-
cond , qu'il nous les dit d'un ton
d'autorité & de révélation. Le ton
d'Oracle rnebranle , & la vraifem-
blânce des chofes me convainc. J'en-
tends une voix fublime : je fens un
feu divin qui m'embrafe : je recon-
nois les idées que j'ai de la conduite
de la divinité par rapport aux hom-
mes je
: vois outre cela des Héros,
des aftions , des mœurs peintes fous
des traits que je connois : j'oublie
la fi&ion t je l'embrafle comme là
vérité , j'aime tous ces objets : s'ils
nexiftent point , ils méritent dJé-
xifter : & la Nature y gagneroit ; fi
elle étoit auffi belle que l'Art. Ainfi
je crois volontiers que c'eft: Nijla Na-
ture elle-même : & ne puis-je pas dire
que c'eft elle , puifque je le crois ?
ip6 Les b e a ux A rt s
En effet ce Merveilleux plairoit-il ,
s'il n'étoit point conforme au vrai
& qu'il ne fut que l'ouvrage d'une
imagination égarée ? Rien n'ejl beau
que le vrai. Homère m'enchante ,
mais ce n'eft point quand il me mon-
tre un fleuve qui fort de fon lit pour
courir après un homme , & que Vul-
cain accourt en feu pour forcer ce
fleuve à rentrer dans fes bords. J'ad-
mire Virgile , mais je n'aime point
ces Vaiifeaux changés en Nymphes.
Qu'ai-je affaire de cette Forêt en-
chantée du Taffe , des Hippogriffes
de l'Ariofte , de la Génération du
Péché mortel dans Milton ? Tout
ce qu'on me préfente avec ces traits
outrés & hors de la Nature , mon ef-
prit le rejette : incredulus odi. La
Nature n'a pas guidé le pinceau.
Cependant j'aimerois mieux ces
écarts , pourvu qu'ils fuffent d'un
moment ; que la retenue toujours
glacée, & la trille fageffe d'un Auteur
réduits A un Principe. 197
qui n'abandonne jamais le rivage &
qui y échoue par timidité. Eji quodam
prodire tenus , Ji non datur ultra.
Quand on a lu les chef-d'oeuvres
de la Mule épique ; chacun , félon
fa portée , a fenti un degré de fen-
timent , au-deiïbus de quoi tout ce
qui refte , eft cenfé médiocre; parce
qu'il ne remplit pas la mefure , je ne
dis pas du parfait, qui n'a peut-être
jamais exifté , mais de ce qui nous
en tient lieu , eu égard à notre ex-
périence.
L'Epopée doit donc être merveil-
leufe : puifque les modèles de la
Poëfie épique nous ont émus par ce
refïbrt. Mais comme ce Merveilleux
doit être en même-tems vraifembla-
b!e , & que , dans cette partie com-
me dans les autres , le vraifemblable
& le pofîible ne font point toujours
la même chofe ; il faut que ce Mer-
veilleux foit placé dans des avions
& dans des tems , où il foit en quel-
que forte naturel, N iij
IpS Les beaux Arts
Les Payens avoient un avantage :
leurs Héros étoient des enfans des
Dieux
relation, qu'on pouvoit
continuelle avecfuppofer en
ceux dont
ils tçnoient la naiiTance. La Religion
Chrétienne interdit aux Poètes mo-
dernes toutes ces refîburces. Il n'y a
gueres que Milton , qui ait fu rempla-
cer le Merveilleux de la Fable , par le
Merveilleux de la Religion Chrétien-
ne.La fcéne de fon Poëme eft fou vent
hors du monde , & avant les tems. La
révélation lui a fervi de point d'ap-
pui &: de-là, il s'eft élevé dans ces fic-
tions magnifiques , qui réunifient le
ton emphatique des Oracles , & le
fublime des vérités chrétiennes.
Mais vouloir joindre ce Merveil-
leux de notre Religion avec une his-
toire toute naturelle , qui eft pro-
che de nous : faire defcendre des
Anges pour opérer des miracles ,
dans une entreprife dont on fait
tous les noeuds Se tous les dénoue-
réduits A un Principe. ip£
mens , qui font (impies & fans myf-
teres ; c'eft tomber dans le ridicule,
qu'on n'évite point , quand on man-
que le merveilleux.
Pour faire un Poème épique , il
faut donc commencer par choifïrun
fujet qui puiife porter le Merveilleux:
6c ce choix fait , il faut tellement
concilier les opérations de la Divi-
nité avec celles des Héros , que fac-
tion paroiife toute naturelle , & que
le fpeftacle des caufes fupérieures
& celui des effets , ne faffent qu'un
Tout. I/a&ion eft une. Ce n'eft pas
aifez : il faut que les A&eurs y
jouent des rôles variés , chacun fé-
lon leur dignité , leur état , leur in-
térêtleurs
, vues. Ce qui demande
du jugement , de Tordre , & un Gé-
nie fécond en refforts.

Il s'agit de plaire par un naturel


bien choifi, bien ordonné, bienpré-
fenté. Les idées que nous avons de
la Divinité guident le Poëte pour le
Niv
200 Les beaux Arts
Merveilleux. L'Hiftoire , la Renom-
mée ,les préjugés , les obfervations
particulières du Poète , fon cœur ,
pour la conduite des Héros. Tout
eft réglé dans le Ciel : tout eft in-
certain fur la Terre. C'eft un jeu de
théâtre perpétuel pour le Lecleur. (a)
Ajoutez à cela l'intérêt des noeuds,
& l'ignorance des moyens pour arri-
ver au dénouement. C'eft fur ce plan
qu'on doit dreiïer ce qu'on appelle
la Fable , ou , fi je lofe dire , la char-
pente de l'Epopée.
Pour établir l'ordre , il faut qu'il
y ait un but , où tout fe porte com-
me à fa fin. Le Père le Bolfu pré-
tend qu'on doit prendre une maxi-
me importante de morale , la revêtir
d'abord d'une aftion chimérique ,
dont les Aéteurs foient A & B : cher-

(*) Il y aune forte


de Jeu de théâtre qui paife, jouit de l'erreur
ou de l'ignorance d'un
eft , quand le Specta- Acteur qui ne le fait
teurTachant
, ce qui fe

pas.
réduits a un Principe. 201
cher enfuite dans l'Hifloirc quelque
fait intéreiïant , dont la vérité mife
avec le fabuleux , puifTe ajouter un
nouveau crédit à la vraifemblan-
ce ', & enfin impofer les noms aux
A&eurs
Minerve ,, Tancrede
qu'on appellera
, Henri , leAchille
Grand. ,
Ce fyftême peut s'exécuter : per-
sonne n'en doute. De même qu'on
peut dépouiller un fait de toutes Tes
circonftances , & le réduire en ma-
xime ; on peut auffi habiller une
maxime , & la mettre en fait. Cela
fe pratique dans l'Apologue , & peut
fe pratiquer de même dans tous les
autres Poëmes. Je crois même que
ce fyftême , tout métaphyfique qu'il
eft , ne doit être ignoré d'aucun
Poète , & qu'on peut en tirer de
grands fecours pour l'ordre & la
diftribution d'un ouvrage. Mais que
dans la pratique , il faille commencer
par le choix d'une maxime ; cela efl
d'autant moins vrai , que l'efTence
202 Les beaux Arts.
de l'action ne demande qu'un but ,
quel qu'il foit. Ce fera, fi Ton veut,
de mettre un Roi fur le Trône , d'éta-
blir Enée en Italie , de gronder un
Fils défobéiiTant. La maxime de mo-
rale ne manque point de fe trouver
au bout ; puifqu'elle fort naturelle-
ment de tout fait, hiitorique ou fabu-
leux ,allégorique ou non. (<*)

(a) Il y a deux for- fervent de celle - ci


tes d'Allégorie : l'une quand ils veulent louer
ou blâmer avec fînelle.
qu'on peut appel 1er
Morale , & l'autre Ils changent les noms
Oratoire. La première, des choies , les lieux ,
cache une vérité , une les perfonnes } & lail—
maxime : tels font les fent au Lecteur intelli-
Apologues : c'eft un gent lever
à l'envelop-
corps qui revêt une
pe ,& à s'inftruire
même. lui-
La première
ame : L'autre eft un
mafcjue qui couvre un elpèce d'allégorie peut
être mife enufagedans
corps ; elle n'eft point
deftinée à envelopper l'Epopée; mais elle eft,
une maxime ; mais feu- comme nous l'avons
lement une choie qu'on dit , peu vrailcmbla-
ne blc & peu conforme
demi , oumontrer
veut qu'à
au travers
àhumain.
la natureLade féconde
l'efprit
d'une teurs
gaze.& les Les Ora-fe
Poètes
efpèce entre avec beau-
REDUITS A UN PRINCIPE. 203
La première idée qui fe préfente
à un Poète , qui veut entreprendre
un Poëmè épique , c'eil de faire un
Ouvrage qui immortalife le Génie
de l'Auteur : voilà la difpofition du
Poète. Elle le conduit naturelle-
ment au choix d'un fujet qui inté-
relïe un grand nombre d'hommes ,
Se qui foit en même-tems fufeepti-
ble de toutes les grandes beautés de
coup de grâce dans ble pîaifir aux fpecla-
un Poème ; mais elle
teurs qui en anioif-
fenr les modelés : mais
n'eft point de fon cC-
fence. C'eft un me. ne ils ne laiflent point
qui tient à l'Ouvrier d'en faire , comme ta-
plutôt qu'a l'ouvrage , les connoillcnt bleauxà, ceux qui ne
pas ;
& qu'on reconnoît par
THiftoire , plutôt que
par le Poème même. pourvument labelle qu'ilsNature.
expri-
Il en eft de même de
Enée ne feroit pas l'i-
mage d'Augufte, que l'a-' k'goric dans l'Epo-
Ton tableau n'en (eroit pée :Elle y jette un a-
pas en foi moins beau. gremenc de plus, mais
Tous les jours les Pein
très nous donnent des elle n'en fait point l'ef-
(entiel. L'épopée n'eft
portraits dans leurs ta- eiTentiellement, que le
bleaux d'biftoire. Ces récir d'une grande ac-
portraits font un dou- tion & de fes caufes.
204 Les beaux Arts
l'Art. Pour dreffer ce fujet , & le ré-
diger en un feul corps , il fait com-
me les hommes qui agiffent : il fe
propofe un but , où aillent toutes les
parties de fon ouvrage , & tous les
mouvemens de fon Action. Ce but
fera , fi on veut , une maxime im-
portantemais
; beaucoup mieux , un
événement extraordinaire , dont ,
par réflexion , on tirera une maxime.
Ces préparatifs étant faits :
Le Poë'te,qui fait que c'eftune ac-
tion qu'il va peindre, & qu'il doit la
montrer auffi parfaite , qu'il eft pof-
iïble qu'elle le foit dans fon genre ,
fait valoir fur fon fujet tous les pri-
vilèges de fon art. 11 ajoute : il re-
tranche il
; tranfpofe : il crée : il
dreiTe les machines à fon gré : il pré-
pare de loin des reiforts fecrets, des
forces mouvantes : il deffine d'après
la belle Nature les grandes parties :
il détermine les caractères de (es per-
fonnages : il forme le labyrinthe de
REDUITS A UN PRINCIPE. 20J
1-intrigue : il difpofe tous Tes ta-
bleauxfélon
, l'intérêt général de
l'ouvrage : & , conduifant fon Lec-
teur de merveilles en merveilles , il
lui laifle toujours appercevoir dans
le lointain , une perfpective plus char-
mante ,qui féduit fa curiofité , &
l'entraîne , malgré lui , jufqu'au dé-
nouement & à la fin de la pièce.
Voilà , ce femble , la manière dont
on peut drelïer la fable , ou le plan
de l'action épique,
C'eit la nature même qui propofe
ce plan. Ce font fes idées qu'on fuit.
C'cfl elle qui demande , comme des
qualités eiTentielles , l'importance ,
l'unité , l'intégrité : c'eil elle qui
donne l'exemple du beau dans les
caractères, dans les mœurs, &dans
les fituations : ceit elle qui fe plaint
des défauts , & qui approuve les
beautés : elle enfin , qui eft le mo-
dèle ,Se le juge , ici , comme dans
tous les autres Arts.
2o6 Les beaux Arts
Il elr vrai cependant que ni l'Hîf-
toire , ni la Société n'offrent point
aux yeux , des Touts (1 parfaits & fî
achevés. Mais il fuffit qu'elles nous
en montrent les parties, &que nous
ayons en nous-mêmes les principes
qui doivent nous guider dans la com-
pofitionduTout.
teur a deux chofes L'Artifte obferva-
à confidérer , nous
l'avons (a) dit, ce qui eft hors de lui, &
ce qu'il éprouve en lui. Il a fenti que
l'unité, la proportion, la variété, l'ex-
cellence des parties étoient laiburce
de ion plaifir ; c'eft donc à l'Art à
arranger tellement les matériaux que
la Nature lui fournit , que ces quali-
tés en réfultent ; on attend cela de
lui , & on ne le quitte pas à moins.
Nous avons dit que l'Epopée em-
ployoit deux moyens pour nous tou-
cher :la vraifemblance des chofes
qu'elle raconte , & le ton d'oracle
qui annonce la révélation : nous ne
(a) Voyez le chap. 4. t.part»
REDUITS A UN PRINCIPE. 2O7
nous
ce arrêterons
fécond article. qu'un moment fur
Dans les autres Poèmes , la Poëfie
du flyle doit être conforme à l'état
des Acteurs : dans l'Epopée elle doit
l'être à l'état du Poste : quand il par-
le jc'ell un efprit divin qui l'infpire :
Cui taliafanti
. . . fubito non vultus , non color unus ,
Et rabie fera corda tument } majorquevideri
Nec mort aie fonans,afflata eft numine quando
Jampropriore Dei . . . Tros Anchifiade ....
La Mufe épique efi autant dans
le Ciel que fur la Terre. Elle paroit
toute pénétrée de la Divinité; & ne
nous parle qu'avec un enthoufiafme
célefte , qui , fe précipitant par les
détours d'une flclion hardie , relTern-
ble moins au témoignage d'un His-
torien fcrupuleux ,qu'à l'extafe d'un
Prophète : Non enim res geftœ ver-
fibus comprehendendœ funt .... fed
per ambages , deorumque minifferia,
& fabulofum Jententiarum tormen-
2o8 Les beaux Arts
tum pracipitandus efl liber fpiri*
tus , ut potiùs furentis animi va-
ticinatio appareat , quam religions
oratïonh fub tejlibus fides. Elle ap-
pelle par leurs noms les chofes qui
n'exiftent pas encore : hœc tum no-
mma erunt. Elle voit plufieursfiécles
auparavant la Mer Cafpienne qui
frémit , & les fept embouchures du
Nil qui fe troublent dans l'attente
d'un Héros.
C'efl pour cette raifon que,dès le
commencement,le Poëte parle com-
me un homme étonné , & élevé au~
defïus de lui-même. Son fujet s'an-
nonce enveloppé de ténèbres myfté-
rieufes , qui infpirent le refped , Ôc
difpofent à l'admiration : ** Je chante
•„ les combats , & ce Héros , que les
„ Deftins ennemis forcèrent d'aban-
„ donner le rivage Troyen : il fut
„ long-tems expofé à la vengeance
,, des Dieux , &c.
La Lyrique a une marche libre &
déréglée :
réduits A un Principe. 209
déréglée : ce (ont des élans du cœur,
des traits de feu qui jailliffent. L'épi-
que a un ton toujours fou tenu , une
majefté toujours égale à elle-même:
c'eft le récit que fait un Dieu , à des
Dieux comme lui. Tout s'annoblit
dans fa bouche, les penfées, les ex-
prelhons , les tours , l'harmonie :
tout eiï rempli de hardiefié & de
pompe. Ce nefi point le tonnerre
qui gronde par intervale , qui éclate ,
& qui fe tait. C'eft un grand fleuve
qui roule fes flots avec bruit, & qui
étonne le voyageur qui l'entend de
loin dans une vallée profonde. Le
murmure des ruiiTeaux n'ell bon que
pour les Bergers. Comparez le cha-
lumeau deVirgile avec fa trompette:
Tityre tupatuh recubans fub tegmine fagi
Sylveflrem tenui mufatnmeditftris àvenâ.

Rien n'cfl fi doux : Tharmonie 8c le


* oforce :
ton de l'Enéide ont une autre
Arma virum^ue «*no , &c.
2io Les beaux Arts
Vix e confpeclu SicuU tellur'ts in altum
Vêla dabant Uti , & fpumas faits &re ruebttnt.

Chacun peut fentir par la feule lec-


ture, cette différence. On la trouvè-
rent encore plus fenfiblc, fi on com-
paroit Théocrite avec Homère. La
langue Grecque, plus riche que les
autres , a pu fe prêter avec plus de
facilité à la nature des fujets , & pren-
dre plus ou moins de force , félon-
ie befoin des matières. J'en appelle
à ceux qui ont lu les deux Poètes
par comparaifon.

CHAPITRE V.

Sur la Tragédie.

LATragédie partage avec l'Epopée


îa grandeur & l'importance de Fac-
tion :& elle n'en diffère que par le
Dramatique feulement. On voit l'ac-
tion tragique , & celle de l'Epopée
fe raconte.
REDUITS A UN PrINCIFE. 211

Mais comme il y a dans l'Epopée


deux fortes de grands : le Merveil-
leux & l'Héroïque ; il peut y avoir
aufïi deux cfpèces de Tragédie , Tune
héroïque, qu'on appelle Amplement
Tragédie: l'autre merveil!eufe,qu'on
a nommée Speftacle Lyrique ou O-
pera. Le merveilleux eft exclus de la
première efpcce , parce que ce font
des hommes qui agifient en hom-
mes ;au lieu que dans la féconde ,
les Dieux agi fiant en Dieux , avec
tout l'appareil d'une puiiïance fur-
naturelle ; ce qui ne feroit point
merveilleiiXjCefleroit en quelque for-
te d'être vraifemblable. Ces deux
cfpèces ont leurs régies communes :
& fi elles en ont de particulières ;
ce n'eft que par rapport à la condi-
tion des Afteurs qui eft différente.
Un Opéra eft donc la repréfenta-
tion d'une acïion merveiîleufe. (a)
( a ) On ne définit f oppofiàon à la Tra-
Opcra c uc par] gédie. Oii
2i2 Les beaux Arts
C'eft le divin de l'Epopée mis en
fpe&acle. Comme les Acteurs font
des Dieux , ou des Héros Demi-
dieux ; ils doivent s'annoncer aux
Mortels par des opérations, par un
langage , par une inflexion de voix,
qui furpaflent les loix du vraifembla-
blc ordinaire. i°. Leurs opérations
refiembicnt à des prodiges. C'en1 le
Ciel qui s'ouvre ,une nue lumineuie
qui apporte un Etre céleife : c'eil un
Palais enchanté , qui dilparoît au
moindre ligne , & fe transforme en
défert, Sec. 2°. Leur langage eft en-
tièrement lyrique : il exprime Tex-
tafe , l'enthoufiafme , ryvrefîe du
fentiment. 30. C'eiî la Mufique la
plus touchante qui accompagne les
paroles , & qui par les modula-
tions, les cadences, les inflexions,
les accens , en fait fortir toute la for-
ce Se tout le feu. La raifon de tout
cela eft dans L'imitation. Ce font des
Dieux qui doivent agir Se parler en-
HEDUITS A UN PRINCIPE. 21 3
Dieux. Pour former leurs caractères ,
le Poète choifit ce qu'il connoît de
plus beau & de plus touchant dans
la Nature , dans les Arts , dans tout
le genre humain ; Se il en compofe
des Etres qu'il nous donne , Se que
nous prenons pour des Divinités.
Mais ce font toujours des hommes :
c'eft le Jupiter de Phidias. Nous ne
pouvons fortir de nous-mêmes , ni
cara&érifer les choies d'imagination
que par les traits que nous avons
vus dans la réalité. Ainfl c'en1 tou-
jours l'imitation qui commande Se
qui fait la loi.
L'autre efpèce de Tragédie ne
fort point du naturel. Ce qu'elle a
de grand, ne va que jufqu'à l'héroïf-
me. C'eft une repréfentation de
grands hommes , une peinture , un
tableau ; ainfi fon mérite confiite
dans fa reffemblance avec le vrai.
De forte que pour trouver toutes les
régies de la Tragédie, il ne faut que
Oiii
214 Les beaux Arts
fe mettre dans le parterre, &iuppo
fer que tout ce qu'on va voir fera
vrai: mais le plus beau vrai poiïible
dans ce genre, & dans lefujet choifi.
Tout ce qui concourra à me perfua-
der , fera bon : tout ce qui aidera à
me détromper, fera mauvais.
Si on change le lieu où fe paffc
Faction , tandis que le Spectateur efr.
toujours refté au même endroit : il
reconnoît l'art : l'imitation efl faufife.
Si l'action que je vois dure un an ,
un mois, plufieurs jours : tandis que
je fens que je l'ai vue commencer 8c
finir, à peu près en trois heures : je
reconnois l'artifice. A peine peut-on
me faire croire que j'aye été Specta-
teur pendant un jour entier ; & la
chofe iroit beaucoup mieux , fi l'ac-
tion ne duroit qu'autant de terris
qu'il eii faut , pour la repréfenter : il
feroit plus aifé de me tromper.
Je vois des Acteurs qui agifîcnt
pour être vus , qui fe préfentent da
REDUITS A UN PRINCIPE. 21 J

manière qu'ils paroiiTent adreffer la


parole au parterre. La Nature ne s'y
prend pas de la forte : elle agit pour
agir. Ici la
connois on Comédie.
a d'autres vues , je re-
On joue une Tragédie Romaine :
je connois par Hiiftoire un Brutus ,
un Caiïius, ces fiers Conjurateurs,
que la Renommée me montre dans
réloignement des tems , comme des
Héros d'une taille plus qu'humai-
ne :je vois , fous leurs noms , une
figure médiocre , une taille pincée ,
une voix grêle & forcée , je dis fur
le champ : Non , tu n'es pas Brutus.
Je ne parle point des Epifodes
inutiles , des caractères équivoques ,
ou mal foutenus , des fentimens foi-
bles ou guindés Tantôt c'eft
un étalage de phrafes dans le goût
de Séneque ; quelquefois une def*
cription plus qu'épique ; une autre-
fois ,c'en1 un enthoufiafme plus que
lyrique. C'efl un Hiilorien que j'en-
Oiv
i\Ç> Les beaux -Arts
tends , un Philofophe , un Orateur ;
le Théâtre le change en Tribune.
Ici , c'eit un Acleur qui prend feu
tout à coup , & ians préparation :
là , c'en eft un autre qui écoute une
confidence importante , avec un air
diftrait. 11 elt fàr de fa réponfe. En
un mot , ce fera le gefte , la parole ,
le ton de la voix , une de ces trois
expreffions , qui ne s'accordera pas
avec les deux autres , & qui démaf-
quera l'art en déconcertant l'har-
monie.
Les Chœurs amenèrent autrefois

la Tragédie fur le Théâtre ; & ils s'y


maintinrent long-tems avec elle. Us
étoient fondés fur l'ufage , & auto-
rifés par l'exemple dugouvernement,
qui étoit démocratique. Mais les
grandes affaires , dans la fuite , ne fe
décidant plus en public ; ils furent
obligés d'en defeendre. D'ailleurs ,
comment allier cette publicité théâ-
trale avec les refforts des grandes
REDUITS A UN PRINCIPE. 217
pâmons , qui font ordinairement ic-
crets ? Phèdre pouvoit-elle avouer à
tout un peuple , ce qu'CEnone ne
pouvoit lui arracher qu'avec effort?
Mais peut-être audi , que (I l'Art y a
gagné en rendant l'imitation plus
exacte , !e Spectateur y a perdu du
coté des fentimens.Le chant lyrique
du Choeur exprimoit dans les En-
tractes les mouvemens excités

par l'Acle qui venoit de finir. Le


Spectateur ému en prenoit aifément
TuniiTon , & fe préparoit ainfi à re-?
cevoir l'impreilion des Actes fui-
vans ; au lieu qu'aujourd'hui le vio-
lon ne femble fait que pour guérir
l'amc de fa bleiïure , & éteindre le
feu qui s'allumoit. On guérit un in-
convénient par un autre. Il y a pour-
tant des fujets où tout pourroit fe
concilier.
Si on demande maintenant pour-
quoi les pafTions doivent être ex-
traordinles
aires , caractères toujours
2i8 Les beaux Arts
grands , le nœud prefque infolubïe,
le dénouement l'impie & naturel ?
Pourquoi on veut que les feenes ail-
lent toujours en croiilant , fans lan-
guir? Ceft quec'eft la belle Nature
qu'on a promis de peindre , & qu'on
doit; lui donner tous les dégrés de
perfection connus : c'eft que l'Art
fait uniquement pour le plailir , eft
mauvais, dès qu'il cil médiocre. En-
fin, c'elt que le cœur humain rieil
pas content , quand on lui lailTe de
quoi délirer.

CHAPITRE VI.
Sur la Comédie.

X A Tragédie imite le beau , le


grand : la Comédie imite le ridicule.
L'une élevé l'ame , & forme le cœur :
l'autre polit les mœurs , & corrige
le dehors. La Tragédie nous huma-
nife par la compaffion , & nous re-
HEduits h un Principe. 119
tient par la crainte , <&q£oç nj \Xtoç :
la Comédie nous ôte le mal'que à
demi , & nous préfente adroitement
le miroir. La Tragédie ne fait pas
rire , parce que les fotifes des Grands
font des malheurs :
Ouidquid délirant Txcgcs , plccîuntur Achivi,

La Comédie fait rire , parce que les


fotifes des petits ne font que des fo-
tifes ;on n'en craint point les fuites.
On définit la Comédie : Une ac-
tion feinte , dans laquelle on repré-
fente le ridicule à deifein de le cor-
riger. L'Action tragique tient le plus
fouvent à quelque chofe de vrai. Les
noms, au moins , font hifloriques ;
mais dans la Comédie , tout y efl
feint. Le Poète pofe pour fonde-
ment la vraifemblance : cela furHt :
il bâtit àfon gré : il crée une AcYion,
des A&eurs , il les multiplie félon Ces
befoins , & les nomme comme il juge
àmauvaise
propos , fans qu'on puiiTe le trouver
220 Les beaux Arts
La matière de la Comédie efl la
vie civile , dont elle elt l'imitation :
„ elle efl comme elle doit être , dit
„ le P. Rapîn , quand on croit fe
„ trouver dans une Compagnie du
3, quartier étant au Théâtre , & qu'on
„ y voit ce qu'on voit dans le mon-
„ de. 11 faut ajouter à cela , qu'elle
doit avoir tout i'affaifonnement pof-
fîblc, & erre un choix de paifante-
rics fines & légères , qui présentent
le ridicule dans le point le plus pi-
quant.
Le ridicule confifte dans les dé-
fauts quicaufent la honte , fans eau-
fer la douleur. C'eit , en général , un
mauvais aflbrtiment de choies qui
ne font point faites pour aller en-
femble. La gravité ftoïque feroit ri-,
dicule dans un enfant , & la puéri-
lité dans un Magiftrat. C'elt une dif-
eordance de l'état avec les moeurs.
Ce défaut ne caufe aucune douleur
où il elt : & s'il en caufoit , il ne pour-

M
REDUITS A UN PRINCIPE. 221
roit faire rire ceux qui ont le cœur
bien fait : un retour ïecret fur eux-
mêmes leur feroit trouver plus de
charmes dans la compafiion.
Le Ridicule dans les mœurs eft
donc Amplement , une difformité qui
choque la bienféance, l'ufage reçu,
ou même la morale du monde poli.
C'eft alors que le Spectateur caufîi-
que s'égaye aux dépens d'un vieil
Harpagon amoureux, d'un Monfieur
Jourdain Gentilhomme * d'un Tar-
tuffe mal caché fous fon maique.
L'amour-propre alors a deux plaï-
firs : il voit les défauts d'autrui , &
croit ne point voir les fiens.
Le Ridicule le trouve par tout j
dit La Bruyère : il eft fouvent à côté
de ce qu'il y a de plus férieux : mais
il eft rare de trouver des yeux qui
fâchent le reconnoître où il eft , &
plus rare encore de trouver des Gé-
nies qui fâchent l'en tirer avec déli-
cateffe , & le preienter de manière
2.22 Les beaux Arts

qu'il plaife & qu'il inftruife , fans que


l'un fe faffe aux dépens de l'autre.
La Comédie fe divife félon les fu-
jets qu'elle fe propofe d'imiter.
Il y a dans la fociété , un ordre
de Citoyens, où régne une certaine
gravité , où les fentimens font déli-
cats ,& les converfations afîaifon-
nées d'un fel fin : où eft , en un mot ,
ce qu'on appelle le ton de la bonne
compagnie, C'eft le modèle du haut
comique , qui ne fait rire que l'ef-
prit : tels font les principaux Carac-
tères des grandes pièces, de Simon,
de Chrêmes dans Terence , d'Or-
gon , de Tartuffe , de la Femme fa-
vantedans Molière.
11 y a un autre ordre plus bas :
c'eft celui du peuple , dont le goût
efl conforme à l'éducation qu'il a
reçue. C'eft l'objet du bas comi-
que qui convient aux Valets , aux
Suivantes, & à tout ce qui fc remue
par l'imprcff on des perfon nages fu-
BEDUITS A UN PRINCIPE. 22 3
jpérieurs. Cet ordre ne doit point
admettre la groifiereté , mais la naï-
vetéla
, /implicite ; & s'il admet l'ef-
prit; il faut qu'il l'oit naturel, &ians
aucune étude. C'eft la qu'on par-
donne les petits jeux de mots , les
tours de îbupleffe , les proverbes ,
Sec. parce que tout cela eiî autorifé
par la condition de ceux qu'on imite.
On pourroit compter une troisiè-
me efpèce de comique, s'il méritoit
ce nom : ce l'ont les farces , les gri-
maces, Sztout ce qui n'a, pour alfai-
fonnement } qu'un burlefque grof-
fier , quelquefois mêlé d'ordure.
Mais ces imitations, qui charment la
vile populace , ne font point du goût
des honnêtes-gens.
Offenduntur enzm quilus ejl equus & pœtcr
& rcs.

Il efl évident, par ce précis de la


nature delà Comédie, que l'imita-
tion fait fon cllence & fa régie. Et
224 Les beaux Arts
le mot feul de miroir qui lui con-
vient fiparfaitement , fait une dé-
monllration : Mac confiëîa arbitrer
à Po'éîis efje , lit efficlos nqfiros mores
in alienis -perfonis , exfrejfamque
imaginem nofira vita quotidiana vi-
deremus.. Cic. pro Sext. Rofc.

CHAPITRE VIL
Sur la Taft orale*

A Poeïie Paftorale peut être mife


en fpectacle ou en récit : c'eft une
forme indifférente pour le fonds.
Son objet effehtiel eft la vie cham-
pêtre, repréfentée avec tons (es char-
mes pofïibles. Ceft la fimplicité des
mœurs , la naïveté , Tefprit naturel,
le mouvement doux & paifible des
paffions..Ceft l'amour fidèle & ten-
dre des Bergers , qui donne des foins,
& non des inquiétudes , qui exerce
allez
REDUITS A UN ^RINCIPE^ 2.2$
aflcz le cœur, & ne le fatigue point.
Enfin , c'efl: ce bonheur attaché à la
franchife , & au repos d'une vie qui
ne connoît ni l'ambition, ni le luxe,
ni les emportemens , ni les remords :
Heureux qui vit en paix du lait de fes brebis ,
Et qui , de leur toifon voit filer fes habits j
Et bornant fes defirs au bord dé fon do-
maine ,

Ne connoît d'autre mer que la Marne ou la


Seine. Raarn.

L'homme aime naturellement la


campagne ; & le Printems y ap-
pelle les plus délicats. Les prés fleu-
ris ,l'ombre des bois , les vallées
riantes , les ruifleaux , les oifeaux ,
tous ces objets ont un droit na-
turel fur le cœur humain. Et lors-

tionqu'un Poëte fait, nous


intérefTante , dans
offrirune ac-
la fleur
de ces objets , déjà charmans par
eux-mêmes, & nous peindre, avec
des traits naïfs , une vie femblablé à
celle des Bergers j nous croyons * P jouir
226 Les beaux Arts
avec eux. Qu'on nous peigne leurs
trifteffes , leurs foucis , leurs jalou-
fies , leurs dépits ; ces partions font
des jeux innocens , au prix de celles
qui nous déchirent. C'eft le fiécle
d'or qui fe rapproche de nous ; Se
la comparaifon de leur état avec le
nôtre, fimplifie nos mœurs , &nous
ramène infenfiblement au goût de la
Nature.
Dans ce genre , comme dans les
autres , il y a un point au-delà & en-
deçà duquel on ne peut trouver le
bon. Ce n'eft point allez de parler
de ruifleau , de brebis , de Tityre ; il
faut du neuf & du piquant dans l'i-
déedans
, le plan , dans l'action , dans
les fentimens. Si vous êtes trop doux
& trop naïf , vous rifquez d'être fa-
de ;&: fi vous voulez un certain dé-
gré d'affaifonnement , vous fortez
de votre genre, & vous tombez dans
TarTeclation. Ne donnez à une Ber-
gère d'autres bouquets que ceux de
KEDUITS A UN PRINCIPE. 22?
fes prés ; d'autre teint , que celui
des rofës & des lis ; d'autres miroir
qu'un clair ruifîeau. Regardez la Na-
ture &, choiiifîez : c'eit l'abrégé des
préceptes. Lifez les grands Maîtres :
liiez Théocrite , il vous donnera le
modèle de la naïveté; Mofchus ôc
Bion , celui de la délicateffe. Vir-
gile vous dira , quels ornemens on
peut ajouter à la (implicite. Lifez
Segrais, & Madame Des-Houlieres ,
vous y trouverez une exprefîïon
douce & continue des plus tendres
fentimens : mais fi vous lifez M. dé
Fontenelle , fouvenez-vous que fon
Ouvrage fait un genre à part , &
qu'il n'a rien de commun que lé
hom,avec ceux que je viens de citer.

oj^Jr ^rfo

ÎUj
£•28 Les beaux Arts
^fc— — — ^— — — — — ■^t»

CHAPITRE VIIL

Sur V Apologue,

L/A P o l o g u e eft le fpedacle des


Enfans. Il ne diffère des autres que
par la qualité des A&eurs. On ne
voit , fur ce petit Théâtre , ni les
Alexandres , ni les Céfars ; mais la
Mouche & la Fourmi , qui jouent les
hommes à leur manière , & qui nous
donnent une Comédie plus pure, &
peut-être plus inflruciive , que ces
Acteurs à figure humaine.
L'imitation porte (es régies dans
ce genre , de même que clans les au-
tres. On fuppofe feulement que tout
ce qui eft dans la Nature , eft doué
de la parole. Cette fuppofition a
quelque chofe de vrai ; puifqu'il n'y
a rien dans l'Univers qui ne fe faffe
au moins entendre aux yeux,& qui ne
réduits a un Principe. 229
porte dans refprit du Sage des idées
aulli dreclaires , que s'il fe faifoit enten-
aux oreilles.
Sur ce principe , les inventeurs de
1 Apologue
feroit ont cru
de donner des qu'on leur& paf-
difcours des
penfées aux Animaux d'abord , qui,
ayant à peu près les mêmes orga-
nes que nous , ne nous paroilfent
peut-être muets, que parce que nous
n'entendons pas leur langage : en-
fuite aux Arbres , qui , ayant de la
vie , n'ont
aufTi pas eule fentiment
des Poètes de peine à :obtenir
& enfin
à tout ce qui fe meut, ou qui exifte
dans l'Univers. On a vu non feule-
ment leLoup & l'Agneau, le Chêne
& le Rofeau , mais encore le Pot de
fer Se le Pot de terre jouer des per-
fonnages. Il n'y a eu que Dom Juge-
ment Se Demoifelle Imagination ,
& tout ce qui leur reffemble , qui
n'ont pas pu être admis fur PceiijThéâ-
tre ,parce que , fans doute , il eft
a 30 Les beaux Arts
plus difficile de donner un corps ca-
ra&énfé à ces Etres purement lpiri-
tuels , que de donner de l'ame & de
l'efprit à des corps qui paroiiTent
avoir quelque analogie avec nos or-
ganes.
Toutes les régies de l'Apologue
font contenues dans celles de l'E-
popée & du Drame. Changez les
noms , la Grenouille qui s'enfle , de-
vient le Bourgeois Gentilhomme ,
ou , 11 vous voulez , Céfar , que fon
ambition fait périr , ou le premier
homme , qui eft dégradé , pour avoir
voulu être femblable à Dieu :
. . . . Mutato nomine , de te
fabula narratur.

Il ne faut point s'élever au-dejfus


de fon état : voilà une maxime qu'il
falloit apprendre aux Enfans , au
peuple , aux Rois , à tout le Genre
humain. La Sageffe, par le fecours
de la Poèiie , prend toutes les for-

— "«■»«"»=
réduits a un Principe. 23?
mes néceflaires pour s'infirmer : ôc
comme les goûts font différens , fé-
lon les kgcs ôc les conditions; elle
veut bien jouer avec les Enfans :
elle rit avec le Peuple : elle parle en
Reine avec les Rois , & diftribue ainfi
fes leçons à tous les hommes : elle
joint l'agréable à l'utile , pour atti-
rer àelle ceux qui n'aiment que le
plaifir, & pour récompenfer ceux,
qui n'ont d'autre vue, que de s'in-
ftruire.
L'Apologue doit donc avoir une
adion, de même que les autres Poè-
mes. Cette a&ion doit être une , in-
téreffante : avoir un commencement,
un milieu, une fin ; par conféquent
un prologue , un nœud, un dénoue-
ment : un lieu de la fcène , des Ac-
teurs ,au moins deux , ou quelque
chofe qui tienne lieu d'un fécond.
Ces A&eurs auront un caractère éta-
bli foutenu
, , ôc prouvé par les dif-
cours ôc par les moeurs ; ôc tout cela
Piv
£32 Les beaux Arts
à l'imitation des hommes , dont les
Animaux deviennent les copiftes , Sç
prennent les rôles chacun , iuivant
une certaine analogie de caractères :
Un Agneau fê défalteroit
Dans le courant d'une onde pure :
Voilà un Afteur avec un caractère
connu, & en même-tems le lieu de
la fcène. :
Un Loup (ùrvint à jeûn , qui chcrchoic
avanture ,
Et que la faim en ces lieux attiroit :

Voilà l'autre A&eur , aufïï avec fon


caractère , & outre cela , fa difpofi-
tion aduelle. L'avion & le nœud
commencent :
Qui te rend fi hardi de troubler moiî
breuvage ,

Dit cet animal plein de rage,


Tu feras châtié de ta témérité.

Le cara&ère duLoup fe foutient dans


réduits A un Principe. 23$'
te difcours , de même que celui de
l'Agneau dans le fuivant.
Sire , répond l'Agneau , que votre Majefté
Ne fe mette point en colère,
Mais plutôt qu'elle confîdére ,
Que je me vas défaltérant
Dans le courant ,

Plus de vingt pas au-deflbus d'elle ;


Et que par conféquent , en aucune façon
Je ne puis troubler fa boiiïbn.

On remarque allez le contraire des


caractères & des mœurs exprimées
par le difcours ; l'action continue :
Tu la troubles , reprit cette bêce cruelle &c.
Là-deflus au fond des forets
Le Loup l'emporte , puis le mange
Sans autre forme de procès.

Le dénouement eft arrivé : &il eft,


tel qu'il devoir être , pris dans le
principe de l'action même , qui eft
l'injuftice & la cruauté qui accom-
pagnent laforce. Cette petite Tra-
234 Les beaux Arts
gédic excite à fa manière la Ter-
reur ocla Pitié. On plaint l'Agneau ,
on dételle TAiTamn. Le ftile eft con-
forme au caractère & à l'état des
deux Acteurs. Ceft la matière qui
donne [c ton. Quand c'eft le Chêne
orgueilleux qui parle , il dit :
Cependant que mon front au Caucafe pareil ,
Non content d'arrêter les rayons du Soleil ,
Brave l'effort de la tempête &c.
La Cigale va crier famine
Chez la Fourmi fa voifine.

Le Villageois fe plaint de l'Auteur


de tout cela, & prétend,
Qu il a bien mal placé cette Citrouille là.
Hé parbleu je l'aurois pendue
A l'un des Chênes que voilà.
Ainfi du refte. La Fontaine a fenti
toutes les différences : il a faifi par-
tout le riant , le gracieux , le naïf,
l'enjoué. Et comment ? en imitant
la Nature : en fe mettant précifé-
réduits A un Principe. 23 f
ment à la place de fes Adeurs s &
en parlant pour eux & comme eux.
Ccft ainfi qiiïl a beaucoup mieux
peint que tous fes Maîtres , & qu'il
s'efl: rendu peut-être beaucoup plus
grand homme en fon genre , que
plufieurs autres que nous admirons,
& que la grandeur de leur matière
nous fait paroître plus grands que
lui.

CHAPITRE IX.

Sur U Po'éfie lyrique.


V^Uand on examine fuperficielle-
ment la Poëfie lyrique , elle paroît
fe prêter moins que les autres efpèces
au principe général qui ramène tout
à l'imitation.
Quoi ! s'écrie-t'on d'abord ; les
Cantiques des Prophètes , les Pfeau-
mes de David , les Odes de Pindare
236* Les beaux Arts
& d'Horace ne feront point de vrais
Poèmes ? Ce font les plus parfaits.
Remontez à l'origine. La Poèfïe
n'euVelle pas un Chant , qu'infpire
la joie , l'admiration , la reconnoif-
fance ? N'eft-ce pas un cri du coeur,
un élan , où la Nature fait tout , &
l'Art , rien ? Je n'y vois point de
tableau , de peinture. Tout y eft feu,
fentiment , yvreffe. Ainfi deux chofes
font vraies : la première , que les
Poëfies lyriques font de vrais Poë-
mes :la féconde , que ces Poëfies
n'ont
tation. point le cara&ère de l'Imi-

Voilà
toute l'objection propofée dans
fa force.

Avant que d'y répondre , je de-


mande àceux qui la font , fi la Mu-
fique , les Opéra , où tout eft ly-
rique contiennent
, des partions réel-
les , ou des pallions imitées ? Si les
Choeurs des Anciens , qui retenoient
la nature originaire de la Poëfie a
REDUITS A UN PRINCIPE. I37
Ces Chœurs qui étoient l'exprefïîon
du feul fentiment , s'ils étoient la
Nature elle-même , ou feulement la
Nature imitée f Si Roufïeâu dans {es
Pfeaumes étoit pénétré auflî réelle-
ment que David? Enfin,fi nos A cteurs
qui montrent fur le Théâtre des paf-
fions fi vives , les éprouvent fans le
fecours de l'Art , & par la réalité de
leur fituation ? Si tout cela eft feint,
artificiel , imité ; la matière de la
poefie lyrique , pour être dans les
fentimens , n'en doit donc pas être
moins foumife à l'Imitation.
L'origine de la Poëfie ne prouve
pas plus contre ce principe. Chercher
la Poëfie dans fa première origine ,
c'eft la chercher avant fon exiflence.
Les Elémens des Arts furent créés
avec la Nature. Mais les Arts eux-
mêmes , tels que nous les connoif-
fons , que nous les définiffons main-
tenantfont
, bien différcns de ce
qu'ils étoient, quand ils commen-
538 Les beaux Arts
cèrent à naître. Qu'on juge de la
Poëfie par les autres Arts , qui 1 en
naiiTant , ne furent ou qu'un cri in-
articulé où
, qu'une ombre crayon-
née ,ou qu'un àtoît
les reconnoître ces étayé. Peut-on
définitions ?
Que les Cantiques facrés foient
de vraies Poëfies fans être des imi-
tations ;cet exemple prouveroit-il
beaucoup contre les Poètes , qui
n'ont que la Nature pour les infpirer !
Etoit-ce l'Homme qui chantoit dans
Moyfe , n'étoit-ce point l'Efprit de
Dieu qui dicloit ? Il eft le maître : il
n'a pas befoin d'imiter , il crée. Au
lieu que nos Poètes dans leur yvrefle
prétendue , n'ont d'autre fecours que
celui de leur Génie naturel , qu'une
imagination échauffée par l'Art ,
qu'un enthoufiafme de commande.
Qu'ils ayent eu un fentiment réel de
joie : c'eft dequoi chanter , mais un
couplet ou deux feulement. Si on
Veut plus d'étendue ; c'eft à l'Ait à
heduits A un Principe. 239
coudre à la pièce de nouveaux fen-
timens quireffemblent aux premiers.
Que la Nature allume le feu; il faut
au moins que l'Art le nourriile ôc
l'entretienne. Ainli l'exemple des
Prophètes, qui chantoient fans imi-
ter , ne peut tirer à conféquence
contre les Poètes imitateurs.
D'ailleurs , pourquoi les Canti-
ques facrés nous paroiilent-ils , à
nous , fi beaux ? N'eft-ce point parce
que nous y trouvons parfaitement
exprimés les fentimens qu'il nous
femble que nous aurions éprouvés
dans la même fituation où étoient
les Prophètes ? & fi ces fentimens
netoient que vrais , & non pas vrai-
femblables,nous devrions les refpec-
tef ; mais ils ne pourroientnous faire
rimprefïion du plaifir. De forte que,
pour plaire aux hommes, il faut, lors
même qu'on n'imite point * faire
comme fi l'on irnitoit , & donner à la
Vérité les traits de la vraifemblance,
240 Les beaux Arts
La Poëfie lyrique pourroit être
regardée comme une efpèce à part ;
fans faire tort au principe où les au-
tres fe réduifent. Mais il n'eft pas
befoirt de la féparer : elle entre na-
turel ement &même néceflairement
dans l'imitation ; avec une feule dif-
férence qui
, la cara&érife & la dif-
tingue : c'eft fon objet particulier.
Les autres efpèces de Poëfie ont
pour objet principal les Actions : la
Poëfie lyrique eft toute confacrée
aux fentimens , c'eft fa matière , fon
objetme unefTentiel. Qu'elle ens'élève
trait de flamme com- ,
fréiniffant
qu'elle s'infinue peu à peu , & nous
échauffe fans bruit > que ce foit un
Aigle , un Papillon , une Abeille ;
c'eft toujours le fentiment qui la
guide ou qui l'emporte.
Il y a des Odes facrées , qu'on
appelle Hymnes, ou Cantiques : c'efl
l'expreiTion du cœur , qui admire
avec tranfport la grandeur 5 la

toute-
BEDUITS A UN PRINCIPE. 141
toute-puifïancc , la bonté infinie de
l'Etre fuprême , & qui s'écrie dans
renthoufiafme : Cœli enarrant glo~
riam Dei , & opéra ejus annuntiat
firmamentiim %
Les Cieux inftruifenc la Terre
A révérer leur Auteur }

7'out ce que leur globe enferre


Célèbre un Dieu Créateur.
Quel plus fublime Cantique
Que ce concert magnifique
De tous les céleftes Corps î
Quelle grandeur infinie !
Quelle divine harmonie
Réfulte de leurs accords ï

11 y en a qu'on appelle Héroïques ,


qui font faites à la gloire des Héros :
Le Poëte
Mène Achille fanglant aux bords du Simoïs,
Ou fait fléchir l'Efcaut fous le joug de Louis.
Telles font les Odes de Pindare , &
plufieurs
Malherbe de
6c decelles d'Horace , de
KoufTeau.
çl%i Les beaux Arts
Il y en a une troifiéme forte quî
peut porter le nom d'Ode philofo-
phique ou morale. Ce font eelles où
le Poëte épris de la beauté de la
vertu , ou effrayé de la laideur du
vice, s'abandonne aux tranfports de
l'amour ou de la haine que ces ob-
jets font naitrc.
Fortune , dont la main couronne
Les forfaits les plus inouis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis? &c.

Enfin la quatrième efpèce ne doit


éclore que dans le fein des plaifirs :
Elle peint les feftins , les danfes &. les ris.

Telles font les Odes Anacréonti-


ques , & la plupart des Chanfons
Françoifes.
Toutes ces Efpèces , comme on
le voit , font uniquement confacrées
au fentiment. Et c'eft la feule diffé-
rence ,qu'il y ait entre la Poëfie ly-
réduits \ un Principe. 24.3
rîque & les autres genres de Poëfie.
Et comme cette différence eft toute
du côte de l'objet , elle ne fait au-
cun tort au principe de l'imitation.
Tant que l'a&ion marche dans le
Drame ou dans l'Epopée , la Poëfie
èft épique ou dramatique ; dès qu'elle
s'arrête , & qu'elle ne peint que la
feule fituation de l'ame , le pur fcn-
liment qu'elle éprouve , elle efl de
foi lyrique : il ne s'agit que de lui don-
ner la forme qui lui convient , pour
être mife en chant. Les monologues
de Polieuéte , de Camille, de Chi-
mene , font des morceaux lyriques :
& fi cela eft ; pourquoi le fentiment
qui eft fujet à l'imitation dans un
Drame , n'y feroit-il pas fujet dans
une Ode ? Pourquoi imiteroit-on la
paillon dans une Scène , & qu'on ne
pourroit pas l'imiter dans un Chant ?
Il n'y a donc point d'exception.
Tous les Poètes ont le même objet ,
& ils ont tous la même méthode à
iuivre. Q ij
244 Les beaux Arts
Ainfi , de même que dans la Poefie*
épique & dramatique , où il s'agit
de peindre les a&ions, le Poëte doit
fe repréfenter vivement les chofes
dans l'efprit , & prendre auflitôt le
pinceau ; dans le lyrique , qui eft
livré tout entier au fentiment , il
doit échauffer Ton cœur, & prendre
auffitôt fa lyre. S'il veut compofer
un Lyrique élevé , qu'il allume un
grand feu. Ce feu fera plus doux ,
s'il ne veut que des fons modérés.
Si les fentimens font vrais & réels ,
comme quand David compofoit ies
Cantiques , c'eft un avantage pour
le Poëte : de même que c'en efl un ,
lorfque dans le Tragique, , il traite
un fait de l'Hiftoire tellement pré-
paré ,qu'il n'y ait point , ou qu'il y
ait peu de changemens à faire, com-
me dans l'Either de Racine. Alors
l'imitation Poétique fe réduit aux
penfées , aux expreffions , à l'har-
monie qui
, doivent être conformes
réduits A un Principe. 24.J
au fonds deschofes. Si les fentimens

ne font pas vrais & réels , c'eft-à-


dire , Ci le Poète n'en1 pas réelle-
ment dans la fituation qui produit
les fentimens dont il a befoin ; il
doit en exciter en lui , qui foienç
femblables aux vrais , en feindre qui
répondent à la qualité de l'objet. Et
quand il fera arrivé au jufte degré de
chaleur qui lui convient;qu'il chante:
il eft infpiré. Tous les Poètes font
réduits à ce point : ils commencent
par monter leur Lyre : puis ils en ti-
rent des fons.
C'eft ainfi que fe font faites les
Odes facrées , les héroïques , les mo-
ralesles
, anacréontiques ; il a fallu
éprouver naturellement ou artificiel-
lementles
, fentimens d'admiration ,
de reconnoiflance , de joie , de trif-
teflfe , de haine , qu'elles expriment :
& il n'y en a pas une d'Horace ni de
Rou fléau , fi elle a le véritable ca-
ractère de l'Ode 3 dont on ne puifle
aâfi Les beaux Arts
le démontrer ; elles font toutes un
tableau de ce qu'on petit fentir de
plus fort ou de plus délicat dans la
fituation où ils étoient.
De même donc que dans la Pocfie
épique & dramatique on imite les
actions &les moeurs , dans le lyrique
on chante les (entimens ou les paf-
fions imitées. S'il y a du réel , il fe
mêle avec ce qui efr. feint , pour faire
un Tout de même nature : la fiction
embellit la vérité , & la vérité donne
du crédit à la fiction.
Ainfi que la Poëfie chante les
mouvemens du coeur, qu'elle agiffe ,
qu'elle raconte , qu'elle fafie parler
les Dieux ou les Hommes ; c'elt
toujours un portrait de la belle Na-
ture, une image artificielle, un ta-
bleaudont
, le vrai & unique mérite
confifte dans le bon choix, la difpo-
fition , la reiTemblance : ut PiBura
Boefis.
REDUITS A UN PRINCIPE. 247

Section Seconde.
Sur la Teinture.

Ç^ Et article fera fort court , parce


que le principe de l'imitation de la
belle Nature, furtout après en avoir
fait l'application à la Poëfïe , s'ap-
plique prefque de lui-même à la
Peinture. Ces deux Arts ont entr'eux
une fi grande conformité ; qu'il ne
s'agit , pour les avoir traités tous
deux à la fois , que de changer les
noms , & de mettre Peinture , Def-
feing , Coloris , à la place de Poëfie ,
de Fable , de Verfification. C'eft le
même Génie qui crée dans Tune Se
dans l'autre : le même Goât qui di-
rige l'Artifte dans le choix , la dif-
pofition , l'ailortiment des grandes &
des petites parties : qui fait les group-
pes & les contrafr.es : qui pofe , & qui

Qiv
248 Les beaux Arts
nuance les couleurs : en un mot , qui
régie laCoinpolition , le Defïeing , le
Coloris. Ainfi , nous n'avons qu'un
mot à dire fur les moyens , dont Je
fert la Peinture pour imiter & expri-
mer la Nature.
En iiippoiant que le tableau idéal
a été conçu félon les régies du Eeau ,
dans l'imagination du Peintre : fa
première opération pour l'exprimer,
ou le faire naître , efl le trait : c'eft
ce qui commence à donner un être
réel & indépendant de l'efprit , à
l'objet qu'on veut peindre , qui lui
détermine un efpace jufle , & le ren-
ferme dans tes bornes légitimes :
c'eft le DeiTeing. La féconde opéra-
tion ,eft de pofer les ombres & tes
jours , pour donner de la rondeur ,
de la faillie , du relief aux objets ,
pour les lier eniemble , les détacher
du plan , tes approcher , ou les éloi-
gner du Spectateur : c'eft le Clair-
obfcur. La troifiéme eft d'y répan-
recuits A un Principe. 245)
idre les couleurs, telles que ces objets

, dela les
nir ces couleursdans
les porteroicnt nuancerd'u-,
Nature,
de les dégrader félon le befoin, pour
les faire paroître naturelles : C'eft le
Colons. Voilà les trois dégrés de
l'expreiTion pittorefqne : & ils font
fi clairement renfermes dans le prin-
cipe général
laiffent lieu àdeaucune
l'imitation , qu'ilsmê-
difficulté ne
me apparente. A quoi fe réduifent
toutes les régies de la Peinture ? à
tromper les yeux parla reiTembîance,
à nous faire croire que l'objet eft
réel , tandis que ce n'eft qu'une
image. Cela eft évident. Paiïons à
la Mufique & à la Danfe. Nous
traiterons ces deux Arts avec un peu
plus d'étendue ; mais cependant fans
fortir de r)otre objet, qui eit de prou-
ver que la perfection des Arts dé-
ture. pend de l'imitation de la belle Na-
2$o Les beaux Arts

Section Troisième,
Sur la Musique et sur la Danse.

J A Mufique&voit autrefois beau-


coup plus d'étendue , qu'elle n'en a
aujourd'hui. Elle donnoit les grâces
de l'Art , à toutes les efpèces de Tons,
& de geftes : elle comprenoit le
Chant , la Danfe , la Vérification ,
la Déclamation ; Ars decoris in vo-
tibm & notibus. Aujourd'hui , que
la Verfification & la Danfe ont for-
mé deux Arts féparés , & que la Dé-
clamation,abandonnée {a) à elle-mc-
( a ) Nous avons a- le feul gefle pouvoit
bandonné l'Art de la faire chez eux un dif-
déclamation. Scroit-ce cours fuivi. O.n fçait
parce que nous nous fe- l'hiftoirc des Panto-
rions crus allez riches mimes. Quand on (e
du côté du langage ? plaint de la foiblclle
Si cela étoit, les Grecs de notre éloquence,on
& les Latins auraient la rejette quelquefois
dû, à plus forte rai Ton, fur la forme des Gou-
la négliger. Cependant vernemens. Mais fi
réduit.'; a un Principe. 2^1
me, ne fait plus un Art, la Mufique
proprement dite fe réduit au feul
les matières d'Etat ne mation; quifeule con-
font plus traitées au- tenoit prefque les deux,
jourd'hui parnos Ora- tiers de l'expreflion : je
veux dire , le ton & le
teurs , n'ont-ils point
celles de la Religion ? gefte. Démofthène y
Bourdaloue avoir.- il réduifoit même touc
moins d'avantage du l'art Oratoire , & il
côté de la matière , en parloit fur fa pro-
que Démoithène ? La pre expérience. On
crainte d'une éternité demande où rOraifon
eft l'en-
malheureufe cft-elle droit dans
moins vive que celle pour Ligarius , qui fit
d'un Tyran? Nos Ora- tomber l'arrêt des
mains de Céfar. On
teurs n'ont-ils point de
tems en tems des Mi- ne le demanderont pas ,
Ions à défendre , des fi on a voit pu nous
Verres à attaquer , des transmettre fes tons &
Ce fars à louer ? N'a- lès geftes , de même
vons nous pas des Dif- que les paroles. Mais
cours dont la ledure
nous n'avonsde ce Dis-
nous fait autant de cours que le corps ,
plaifir , que ceUe de l'amc n'y e-t plus : &:
quelques-uns des An- nous ne jugeons de ce
ciensCependant
? nous
qu'elle pouvoit être ,
croyons ceux des An-
que par notre expé-
ciens fupéricurs à tous rience & notre foi-
ceux que nous avons. bleffe. Quelle confian-
Us ne rétoien't peut- ce que celle d'un jeune
jetre que par la décla- Orateur,qui paroiflanc
H

252 Les eeaux Arts


chant ; ceiT: l : faïence des Sonx.
Cependant comme la réparation
cfl venue plutôt des Artiftes , que
des Arts mêmes , qui font toujours
relLs intimement liés entreux ; nous
traiterons ici la Mufique & la Danfe
fans les féparer. La comparaifon ré-
ciproque queTon fera de Tune avec
l'autre , aidera à les faire mieux con-
noître : elles fe prêteront du jour
dans cet Ouvrage , comme elles fe
prêtent des agrémens fur le Théâtre.
en public avec des ce qui peut être tantôt
mots. & des phrafes bon , tantôt mauvais >
préparées , simagiûe a beloin de régies ^
que les tons & les gef- & quelque heurcule
tes qui doivent accom- qu'onture ,elle
itippofe la Na-
pagner & animer ces a toujours
befoin du (ccours de
phrafes , kù lêront te-
nus tous prêts, dans le TArtte : nihil
pour credimus
être parfai-
degré exquis de force cjfs
& de grâce que cha- ferfecium , nifi ubi na~
que penfée exige. Tout tura, cura juvetur-,
REDUITS A UN PRINCIPE. 2$$

CHAPITRE L

On doit connoîtYe la nature de la


Mujique & de la Danfe 9par
celle des Tons & des Gejles,

JL Es Hommes ont trois moyens


pour exprimer leurs idées & leurs
fcntimens ; la Parole , le Ton de la
voix , & le Gefte. Nous entendons
par Gefre, les mou vemens extérieurs,
Se les attitudes du corps : Gejtus t
dit Ciceron , eji conjormatio quœdam
Ù 'figura totius oris & corjoris.
J'ai nommé la Parole la première,
parce qu'elle ell en poïTeiTion du pre-
mier rang ; & que les hommes y font
ordinairement le plus d'attention.
Cependant les Tons de la voix & les
Celles , ont fur elle plufieurs avanta-
ges :ils font d'un ufage plus natu-
rel :nous y avons recours quand les
2^4- Les beaux Arts
mots nous manquent ; plus étendu :
c'efl: un Interprète univerfel qui nous
fuit jufquaux extrémités du monde,
qui nous rend intelligibles aux Na-
tions les plus barbares , & même aux
animaux. Enfin ils font confacrés
d'une manière fpéciale au fentiment.
La parole nous initruit , nous con-
mais levainc ,c'eft
Ton l'organe de la
& le Gefte fontraifon
ceux :
du coeur : ils nous émeuvent, nous
gagnent , nous perfuadent. La Pa-
role n'exprime la paftion que par le
moyen des idées auxquelles les fen-
timens font liés , & comme par ré-
flexion. (<*)Le Ton & le Gefte ar-
rivent au coeur directement & fans
fentiment. Au lieu
(a) Les Paroles peu-
vent exprimer les paf- qu'un mouvement , un
fions en les nommant :
regard montre la paf-
on dit , je vous aime , fion elle - même fur
je vous bai s\ mais il on le champ. Qu'on life
n'y joint ni le Ton ni froidement l'impréca-
tion de Camille _, fans
le Gefte , on exprime
aucune inflexion de la
une idée , plutôc qu'un
REDUITS A UN PillNClPE. 2, 5 J
aucun détour. En un mot la Parole
efl: un langage dmflitution, que les
hommes ont fait pour fe communi-
quer plus diitin&ement leurs idées :
les Celles & les Tons font comme
le Dictionnaire de la limple Nature ;
ils contiennent une langue que nous
favons tous en naifTant , & dont
nous nous fervons pour annoncer
tout ce qui a rapport aux befoins 5c
à la confervation de notre être : aulli
eft-elle vive,courte, énergique. Quel
fonds pour les Arts dont l'objet eil
de remuer Pâme , qu'un langage dont
toutes les expreiîïons font plutôt
celles
celle desdehommes
l'humanité
! même , que
La Parole , le Gefle & le Ton de
voix & fans aucun pagner ces Paroles
gçfle ; le cœur demeu- dans une perfonne fu-
rera froid , ou s'il s'é- rieufe. Affeaits vmn et
chaufte, ce ne fera que languefcant nccejfe ,
parce qu'on&i imaginera nijî'voce , vultu, iotïui
les Tons les Geftes prope habitu corporii
qui dévoient accom- inardercant.
2^6 Les beaux Arts
la voix ont des dégrés , où ils ré-
pondent aux trois eipèces d'Arts que
nous avons indiqués. (■<) Dans le pre-
mier degré , ils expriment la Nature
fimple , pour le befoin feul : c'eft le
portrait naïf de nos penfées & de nos
îentimens : telle cft , ou doit être
la converfation. Dans le fécond dé-
gré , c'elt la Nature polie par le fe-
i cours de l'Art , pour ajouter l'agré-
ment à l'utilité : on choifit avec
quelque foin , mais pourtant avec
retenue & modeftic , les mots , les
tons , les geftes , les plus propres &
les récit
Je plus agréables : c'efllel'Oraifon
foutenu. Dans troifiéme &,
on n'a en vue que le plaifir : ces
trois expreilîons y ont non-feule-
ment toutes les grâces & toute la
force naturelle , mais encore toute
la perfedion que l'Art peut y ajou-
ter je
, veux dire la mefure , le mou-
nie
, modulation & l'harmo- 3
vementla
(aj Chap. i . de la première Partie.
KEEUITS A UN PRINCIPE. i$J
rie , & c'efl: la Verfifïcation , la Mu-
fîque & la Danfe , qui font la plus
grande perfection pofïible des Paro-
ks , des Tons de la voix , & des
Celles, (a).
( a) Il fuit de ce jugé ,car la vrai-fcm-
principe , que dans les blauce n'y perdroit
Arts qui font faits pour
Je plailir , tout devant rien ,, la
côté parce
belleque d'ane
Natur
demande non - feule-
être dans l'a plus gran-
de perfe&ion pollible , ment une action par-
les tons 8ç les geltes faite ,mais encore un
de la Déclamation
langage & une pro-
théâtrale devraient e- nonciation quiayent
tre mefurés , de même toute leur beauté pof-
eue la parole, & notés fible , eu égard à la
par un Compofiteur. condition des Acteurs
Les Anciens àvoient & à leur fituation ; 8c
été jufqu'à cette con- que
Danfede &l'autre côté uela
la Mufiq
{équence
ctoie nt fait, & une
ils s'en
ré- déclamatoires , pren-
gie dans la pratique. droient le caractère
Voyez la fçavanteDif- même & l'expreflion
ienation de M. l'Abbé de la déclamation na-
Vatry fur cette matiè- turelle. La mefurc ne
re Tom. 8. des Mém. détruit tien , elle ne
de lAcad.des Infcript. fait que régler * Rce qui
Mais parmi nous,l'ha- ne l'était pas , en le
bitude & le préjugé s'y laiffant tel qu'il étoit
oprofent. Je dis le pré- auparavant. Nos plus
258 Les beaux Arts
D'où je conclus i°. Que l'objet
principal de la Mufique ôc de la
Danfe doit être l'imitation des fen-
îimens ou des pallions : au lieu que
celui de la Poëfie elr. principalement
l'imitation des aclions. Cependant,
comme les pallions ôc les actions font
prefque toujours unies dans la Na-
ture, &qu'elles doivent ■aufîï fe trou-
ver enfemble dans les Arts ; il y aura
cette différence pour la Poëiie , &
pour la Mufique ôc la Danfe : que
dans la première , les pallions y fe-
ront employées comme des moyens
ou des relions qui préparent l'action'
ôc la produifent ; & dans la Mufique
ôc îa Danfe, l'action ne fera qu'une
efpèce de cannevas defîiné à porter,
beaux Récitatifs en prioit quelquefois la
Chammcfîé de lui en
Mufique n'ont pour déclamer les paroles :
bafe ik pour fonde-
ment de leur chant , il prenoit rapidement
eue la déclamation fes tons , & enluite il
naturelle. Quand Lulli les réduifoit aux ré-
eompoCoh les usas } il
gies de l'Art.

BAlUilMfe;
réduits À un Principe. 2J9
foutenir , amener, lier, les différen-
tes paillons que TArtifle veut expri-
mer.
Je conclus 20. Que il le Ton de
la voix & les Geiles avoient une fi-
gnification avant que d'être mefurés ,
ils doivent la conferver dans la Mufi-
quc & dans la Danfe , de même que
les Parolesconferventlaleur dans la
Verfification ; 3c par conféquent ,
que toute Mufique 3c toute Danfe
doit avoir un fens.

30. Que tout ce que l'Art ajoute


aux Tons de la voix Se aux Gefles ,
doit contribuer à augmenter ce fens ,
& à rendre leur expreffion plus éner-
gique. 11ne paroît pas que la pre-
mière conféquence ait befoin d'être
prouvée , nous allons développer
les deux dernières dans les Chapi-
tres qui fuivent.

M
260 Les beaux Arts

CHAPITRE IL

Toute Mujtque é* toute Danfe doit


avoir une figniji :cation y un Je;? s.
JN O u s ne répétons point ici que
les chants de la Mufique & les mou-
vemens de la Danfe ne font que des
imitations , qu'un tifîii artificiel de
Tons & de Geftes poétiques , qui
iVont que le vraifemblable. Les par-
iions font
y aufii fabuleufes que les
a&ions dans la Poëfie : elles y font
pareillement de la création feule du
Génie & du Goût : rien n'y eft vrai ,
tout eft artifice. Et fi quelquefois il
arrive que le Muficien , ou le Dan-
feur, foient réellement dans le ien-
timent qu'ils expriment ; c'eft une
circonftance accidentelle qui n'eft
point du deiïein de TArt : c'eft une
peinture qui fe trouve fur une peau
REDUITS A UN PkINCIPE. 2<>I
vivante, Se qui ne devroit être que
fur la toile. L'Art n'eft fait que pour
tromper , nous croyons l'avoir allez
dit. Nous ne parlerons ici que des
expreiïions.
Les expreflîons , en général , nç
font d'elles-mêmes, ni naturelles,
ni artificielles : elles ne font que des
(ignés. Que l'Art les employé , ou
la Nature , qu'elles foient liées à la
réalité , ou à la fiftion , à la vérité ,
ou au menfonge , elles changent de
qualité, mais fans changer dénature
ni d'état. Les mots font les mêmes
dans la converfation & dans la Poë-
fie ; les traits & les couleurs , dans les
objets naturels & dans les tableaux ;
& par conféquent , les tons & les
gefles doivent être les mêmes dans
les paffions , foit réelles , foit fabu-
leufes. L'Art ne crée les expreflions ,
ni ne les détruit : il les régie feule-
ment les
, fortifie , les polit. Et de
Riij
même qu'il ne peut fortir de la Na^
262 Les beaux Arts
ture pour créer les chofes; il ne peut
pas non plus eu fortir pour les ex-
primer :c'eft: un principe.
Si je difois que je ne puis me plaire
à un Difcours que je ne comprends
pas , mon aveu n'auroit rien de fin-
gulier. Mais que j'ofe dire la même,
chofe d'une pièce de mufique; vous
croyez-vous , me dira -ton , affez;
connoiiTeur pour fentir le mérite
d'une mufique fine & travaillée avec
foin ? J'ofe répondre : oui, car il s'a-
git de fentir. Je ne prétends point
calculer les fons , ni leurs rapports ,
foit entre eux , foit avec notre or-
gane je
: ne parle ici , ni de trémouf-
femens, ni de vibrations de cordes,

ni de proportion
bandonne aux favans ThéorisesJ'a-,
mathématique.
ces fpéculations , qui ne font que
comme le grammatical fin , ou la
dialectique d'un Difcours , dont je
puis fentir le mérite , fans entrer dans
ce détail. La Mufique me parle pat

nm
réduits a un Principe. 263
des tons : ce langage m'eil naturel :
fi je ne l'entends point , l'Art a cor-
rompu lanature , plutôt que de la
perfectionner. On doit juger d'une
d'un tableau. Je
vois dans, comme
mufique celui-ci des traits & des
couleurs dont je comprends le fens;
îl me flatte , il me touche. Que di-
roit-on d'un Peintre , qui Te conten-
teroit de jetter fur la toile des traits
hardis , & des maiTes des couleurs
les plus vives , fans aucune reflem-
blance avec quelque objet connu ?
L'application fe fait d'elle-même à
la Mufique. II n'y a point de difpa-
rité ; & s'il y en a une , elle fortifie
ma preuve. L'oreille , dit -on , eft
beaucoup plus fine que l'œil. Donc
je fuis plus capable de juger d'une
mufique, que d'un tableau.
J'en appelle au Compofiteur mê-
me :quels font les endroits qu'il apr
prouve le plus , qu'il chérit par pré-
férencauxquels
e, il revient fans cefTe
Riv
■—■——

264 Les beaux Arts


avec une complaifance fecrete ? Ne
font-ce pas ceux où fa mufique efl ,
pour ainli dire , parlante , où elle a
un fens net , fans obfcurité , fans
équivoque ? Pourquoi choiiit-on cer-
tains objets, certaines pafTions, plu-
tôt que d'autres ? C'eft parce qu'el-
les font plus aifées à exprimer, &
que les Spectateurs en faififfent avec
plus (Je facilité rexprefïion. (a)
Ainfi , que le Muficien profond
s'applaudiffe , s'il le veut , d'avoir
(a) Nqus avons in hominurn more &
comparé la Mufique fer mon e ver fat ur : ut
avec le Difcours ora- in c&teris id maxime
toire. Or voici ce que excellât , quod longif-
Ciceron dit de celui- finie fil ab imperitorum
ci : Hoc etiam mira- intelligentiâ ,fenfuque
bilius débet videri ( in
disjunEbum : indicen-
do autem vitium vel
eloquentiâ ) quia c&-
ierarum Attiuinfiudia , maximum fit à vul-
fere reconditis , atque gari génère orationis
abditis è fontibus h.iu- atque a. confuetudine
riuntur : dicendi an- communis fenfus ab-
tem omnts ratio in me-
horrere. L'application
dio pofita , commuai . eft aifée.
quodam in ufu, atque
UEDUITS A UN PRINCIPE. 2.6$
concilié , par un accord mathémati-
, fons qui paroifloient ne de-
quedes
voir fe rencontrer jamais ; s'ils ne
Signifient rien , je les comparerai à
ces geftes d'Orateurs , qui ne font
que des (ignés de vie; ou à ces vers
artificiels , qui ne font que du bruit
mefuré ; ou à ces traits d'Ecrivains ,
qui ne font qu'un frivole ornement.
La plus mauvaife de toutes les mu-
fiques ell celle qui n'a point de ca-
raclère. Il n'y a pas un fon de l'Art
qui n'ait fon modèle dans la Nature,
& qui ne doive être , au moins , un
commencement d'expreflion , com-
me une lettre ou une fyllabe l'eil
dans la parole, (a)
(a) Cela eft égale- i cft comme un Dit-
ment vrai & du Chant |cours adrefïe au peu-
fimple , & du Chant j ple ,& qui ne fuppofe
harmonique : ils doi- I point d'étude pour être
vent avoir l'un & l'au- jcompris •■> au lieu que
tre un fens , une figni- | le Chant harmonique
fîcation : avec cette
demande rudition
une muficale
forte ,d'é-
des
différence cependant ,
que le Chant fïmple i oreilles inftruit.es &
266 Les beaux Arts
11 y a deux fortes de Mufique :
l'une qui n'imite que les fons & les
bruits non-paiTionnés : elle répond
au payfage dans la Peinture : l'autre
qui exprime les (ons animés , & qui
tiennent aux fentimens : c'eft le ta-
bleau àperfonnage.
Le Muficien n'en1 pas plus libre
que le Peintre : il e(l par-tout , &
coniïamment fournis à la comparai*-
fon qu'on fait de lui avec la Nature.
S'il peint un orage , un ruiiïeau, un
Zéphir; (es tons font dans la Natu-
re, ilne peut les prendre que là. S'il
peint un objet idéal , qui n'ait jamais
eu de réalité , comme feroit le mu-
gilTement de la Terre , le frémilTe-
rrtent d'un Ombre qui fortiroit du
exercées. C'eft pref- feroient point en état
qiie un Difcours fait de juger de fon mé-
pour des Sa vins , il rite. Reftcà fçavoir G.
fuppo-iè dans (es Audi-
teurs certaines con- un Difcours qui n'eft
que pour les Savans
Jioi (Tances acquifès , peut être vraiment é-
fans lefqucllcs ils ne
loquent.
REDUITS A UN PRINCIPE. 1^

tombeau; qu'il falTe comme le Poëte:


Aut fzmtun fequere } aut fibi convenientia

jmge.
Il y a des fons dans la Nature qui
répondent à fon idée , fi elle efl mu-
ficaie ; & quand le Compofiteur les
aura trouvés , il les reconnoîtra fur
le champ : c'eft une vérité : dès qu'on
la découvre , il femble qu'on la re-
çonnoiiïe , quoiqu'on ne Tait jamais
vue. Et quelque riche que foit la.
nature pour les Muficiens . fi nous
ne pouvions comprendre le fens des
exprefiions qu'elle renferme , ce ne
feroit plus des richeffes pour nous.
Ce feroit un idiome inconnu, & par,
conféquent inutile.
La Mufique étant fignificative
dans la fymphonic, où elle via qu'une
demi-vie , que la moitié de fon être ,
que fcra-t'elle dans le chant , où elle
devient le tableau du cœur humain l
Tout fentiment , dit Ciceron 3 a un
■——■■■■■—■

26% Les beaux Arts

ton y un gefte propre qui l'annonce,"


e'efî comme le mot attaché à l'idée :
Omnis motus animi fuum quem-
dam à naturâ babet vultum & fo-
mern & çreflum, Ainfi leur continui-
té doit former une efpèce de dif-
cours fuïvi : & s'il y a des ex pre fiions
qui m'embarraffertt , faute d'être pré-
parées ou expliquées par celles qui

f précèdent ou qui fuivent , s'il y en a


qui me détournent, qui fo contredis
fent; je ne puis être fatisfait.
Il cil vrai , dira-t'on , qu'il y a des
paflions qu'on reconnoît dans le
chant muiical , par exemple , l'a-
mourla, joie , la triftefte : mais pour
quelques expreflions marquées , il y
en a mille autres , dont on ne fçau-
roit dire l'objet.
On ne fauroit le dire, je l'avoue;
mais s'enfuit-il qu'il n'y en ait point ?
il fuffit qu'on
néceflaïre de lele nommer.
fente , il Le
n'eftcœur
pas
a fon intelligence indépendante des
fcEBOTTS a un Principe. z6$
mots ; & quand il efi touché , il a
tout compris. D'ailleurs , de même
qu'il y a de grandes chofes, auxquel-
les les mots ne peuvent atteindre ;
il y en a aufli de fines , fur lefquelks
ils n'ont point de prife : & ceA fur-
tout dans les fentimens que celles-ci
fe trouvent.
Concluons donc que la Mufique
la mieux calculée dans tous lès tons,
îa plus géométrique dans tes ac-
cords, s'ilarrivoit , qu'avec ces qua-
litéselJe
, n eut aucune lignification ;
on ne pourroit la comparer qu'à un
Prifme , qui préfente le plus beau co-
loris&, ne fait point de tableau. Ce
ièroit une efpèce de clavecin chro-
matique , qui offriroit des cou-
leurs & des palfages , pour amufer
peut-être les yeux , & ennuyer fûre-
Jment Y efprit.

«K>
270 Les beaux Arts

CHAPITRE III.

Des qualités que doivent avoir Us


cxj,re fjions de la Mufique , &
celles de la Danfe.

J L y a des qualités naturelles qui


conviennent aux tons Se aux .^cftes
confédérés en eux-mêmes , & feule-
ment comme expreilions : il y en a
qûeTArt y ajoute pour les fortifier
& les embellir. Nous parlerons ici
des unes & des autres.
Puifque les fons dans la Mufique ,
& les geftes dans la Danfe , ont une
lignification , de même que les mots
dans la Poëlle , Texpreflion de la
Mufique & de la Danfe doit avoir
les mêmes qualités naturelles , que
TElocution oratoire : & tout ce que
nous dirons ici , doit convenir égale-
mentà, la Mufique , à la Danfe : &
à l'Eloquence.
REDUITS A UN PniNCItÈ. 2JÏ

Toute expreffion doit être con-


forme aux chofes qu elle exprime :
c'eft l'habit fait pour le corps. Ainfi
comme il doit y avoir dans les fu-
jets poétiques ou artificiels de l'u-
nité & de la variété , l'expreflion
doit avoir d'abord ces deux qualités.
Le cara&ère fondamental de Tex-
preilion eft dans le fujet : c'eft lui
ftyle le degré d'élé-
vation ou deaufimplicité , de douceur
qui marque

ou de force qui lui convient. Si c'eft


la joie que la Mufique ou la Danlè
entreprennent de traiter, toutes les
modulations , tous les mouvemens
doivent en prendre la couleur rian-
te ;& fi les chants & les airs qui fe
fuccédent , s'altèrent & fe relèvent
mutuellement, ce fera toujours lans
altérer le fonds, qui leur cil commun :
voilà l'unité, (a) Cependant com-
( m ) Souvent nos Expreffion de l'amc
Muiickns facriaent ce ! qui doit être répandue
Ton général , cette j dans tout un morceau
a~j2. Les beaux* Arts
me une pafîion n'efl jamais feule , 8c
que , quand elle domine , toutes les
autres font , pour ainfi dire , à fes
ordres , pour amener , ou repoufler
les objets qui lui font favorables ,
ou contraires; le Compofiteur trou-
ve dans l'unité même de fon fujet , les
moyens de le varier. Il fait paroitre
tour à tour , l'amour , la haine , la
crainte , la triflefle , l'efpérance. 11
imite l'Orateur , qui employé toutes
les figures & les variations de fon
Art , fans changer le ton général de
fon ftyle. Ici , c'eft la dignité qui ré-
gne ,parce qu'il traite un point gra-
ve de morale , de politique , de droit.
de Mufique , à une doivent rentrer dans
idée accefîbire & pref- le Sujet : Se fi elles y
que indifférents au Su- confervent leur ca-
ractère propre , il
jet principal. Us s'ar-
rêtent pour peindre un faut que ce foit en fe
Ruilleau , un Zéphir , fondant , pour ainfi
dire , dans le caractère
ou quelqu'autre mot
qui fait image mufi- général du fentmient
cale. Toutes ces ex-
qu'on exprime.
prefîîons particulières
REDUITS A L'N PrÎNCÎPE. Ù.j^
Là . c'efl: l'agrément qui brille, parce
qu'il fait un payfage , & non un ta-
bleau héroïque. Que diroit-on d'une
Oraifon, dont la première partie fe-
roit bien dans la bouche d'un Magif1
trat ; & l'autre , dans celle d'un va-
let de Comédie ?
Outre le ton général de l'expref-
fion , qu'on peut appeller comme le
ftyle de la Mufique & de la Danfe 5
il y a encore d'autres qualités , qui
regardent chaque expreiïion en par-
ticulier.

Leur premier mérite efî d'être


claires : Prima virtus perfpicuitas.
Que fice
m'importe
dans cette qu'il
valléey ait
, fiunla bel
nuitédi-
le
couvre ? On n'exige point qu'elles
préfentent , chacune en particulier ,
un fens : mais elles doivent chacune
y contribuer. Si ce n'efl: point une
période ; que ce foit un membre ,
* S ton
un mot , une fyllabe. Chaque
chaque modulation , chaque reprife ,
274 Les beaux Arts
doit nous mener à un fentiment, ou
nous le donner.
2°. Les expreffions doivent être
juftes : ii en eit des fentimens, com-
me des couleurs : une demi-teinte
les dégrade , & leur fait changer de
nature , ou les rend équivoques.
3 °. Elles feront vives , fouvent fi-
nes & délicates. Tout le monde con-
noît les pallions , jufqu'à un certain
point. Quand on ne les peint que
jufques-là , on n'a guéres que le mé-
rite d'un Hiftorien , d'un imitateur
fervil. Il faut aller plus loin , fi on
cherche la belle Nature. Il y a pour
la Mufique Se pour la Da nfe , de
même que pour la Peinture , des
beautés , que les Artiftes appellent
fuyantes Se paiTagèrcs ; des traits fins,
échappés dans la violence des paf-
fîons , des foupirs , des accens , des
airs de tête : ce font ces traits qui
piquent , qui éveillent , Se qui rani-
ment Tefprit.
m on

réduits À un Principe. 27^


40. Elles doivent être aifées &
fimples : tout ce qui fent l'effort nous
fait peine & nous fatigue. Quicon-
que regarde , ou écoute , ëft à l'unif-
fon de celui qui parle , ou qui agit :
& nous ne fommes pas impunément
les Spéculateurs de fon embarras , où
de fa peine.
50. Enfin j les exprefîions doivent
être neuves , fur-tout dans la Mufi-
que. Il n'y a point d'Art où le Goût
foit plus avide & plus dédaigneux :
Judicium aurium fuperbïfjimum. La
raifon en eft , fans doute , la faci-
lité que nous avons à prendre l'im-
prefîion du Chant : Naturâ ad nu-
méros ducimur. Comme l'oreille
porte au coeur le fentiment dans
toute fa force ; une féconde impref-
fion eft prefque inutile , & laifTe no-
tre ame dans l'inaclion & l'indiffé-
rence. Delà vient la nécefïité de va-
rier fans ceffe les modes, le mou-
vement, lespallions. Heureufement
2.-j6 Les beaux Arts
que celles-ci fe tiennent toutes en-
tre elles. Comme leur caufe eft tou^
jours commune , la même paffion
prend toutes fortes de formes : c'efl:
un lion qui rugit : une eau qui coule
doucement : un feu qui s'allume &
qui éclate , par la jaloulie , la fureur,
le défcfpoir. Telles font les qualités
naturelles des tons de la voix & des
geftes , confiderés en eux-mêmes ,
& comme les mots dans la proie.
Voyons maintenant ce que l'Art peut
y ajouter dans la Mufique , & dans
la Danfe proprement dites.
Les Tons & les Geftes ne font pas
aufli libres dans les Arts , qu'ils le
font dans la Nature. Dans celle-ci,
ils n'ont d'autres régies qu'une forte
d'inftincl: , dont l'autorité plie aifé-
ment. C'efl: lui feul qui les dirige,
qui les varie , qui les fortifie , ou les
affoiblit à fon gré. Mais dans les
Arts , il y a des régies auftères , des
bornes fixes, qu'il n'eit pas permis de
•:''''y

réduits A un Principe. 277


pafTer. Tout eft calculé , i°. par la
Mefure , qui régie la durée de cha-
que ton & de chaque gefte; 20. par
le Mouvement , qui hâte ou qui re-
tarde cette même durée , fans aug-
menter ni diminuer le nombre des
tons , ni celui des geftes , ni en chan-
ger la qualité ; 30. par la Mélodie
qui unit ces tons & ces geftes , &
en forme une fuite; {a) 40. enfin ,
par l'Harmonie qui en régie les ac-
cords ,quand pluficurs parties diffé-
rentes fejoignent pour faire un Tout.
Et il ne faut point croire que ces
régies puiffent détruire ou altérer la
lignification naturelle des tons &
des geftes : elles ne fervent quJà la
fortifier en la poliffant , elles aug-
mentent leur énergie en y ajoutant
des grâces : Cur ergo vires ipfas

(a) La mélodie eft ne fignifie qu'une fuite


piife dans un fens Me- : concertée & harmont-
taphorique par rap- I que des mouvemens.
port à la Danfe ; elle | S iii
■tf-^;<t'sr->-;-(>v-'^'

278 Les beaux Arts


fpecie Jolvi putent , quando nec ulla
res fine artefatis valeat (a) ?
La Mefure , le Mouvement , la
Mélodie , l'Harmonie , peuvent ré-
gler également les mots , les tons ,
les geftes , c'eft-à-dire , qu'elles con-
vien entlaà Verfification, à la Dan-
fe, à la Mufique. Elles conviennent à
la Verfification ; nous l'avons (b)
prouvé. Elles conviennent à la Dan-
ie : qu'il n'y ait qu'un Danfeur , ou
qu'il y en ait plufieurs, la mefure efl:
dans les pas : le mouvement dans la
lenteur ou la vîteffe : la mélodie
dans la marche ou la continuité des
pas : & l'harmonie dans l'accord de
toutes ces parties avec rinftrument
qui joue , & fur-tout avec les autres
Danfeurs : car il y a dans la Danfe
des Solo , des Duo , des chœurs ,
des reprifes,des rencontres, des re-
tours, quiont les mêmes régies, que
le concert dans la Mufique.
(#) Quintil.ix. 4. {b) Chap. 5. de la ?.. part.
REDUITS A UN PRINCIPE. 2J$
LaMefure& le Mouvement don-
nent lavie. pourainfidire,àla com-
pofition muficale : c'eft par là que le
Muficicn imite la progrefTion & le
mouvement des fons naturels , qu'il
leur donne à chacun rétendue qui
leur convient , pour entrer dans l'é-
difice régulier du chant mufical : ce
font comme les mots préparés &
mefurés,pour être enchalTés dans un
vers. Enfuite la Mélodie place tous
ces fons chacun dans le lieu & le voi-
fmage qui lui convient : elle les unit,
les fépare , les concilie , félon la na-
ture de l'objet , que le Muficien fe
propofe d'imiter. Le ruifïeau mur-
murele
: tonnerre gronde : le papil-
lon voltige. Parmi les pallions, il y
en a qui foupirent , il y en a qui éclat-
tent , d'autres qui frémiflent. La Mé-
lodie ,pour prendre toutes ces for-
mes, varie à propos les tons, les in-
tervales , les modulations , employé
avec art les diifonances mêmes. Car
S iv
28© Les beaux Arts
les diffonances, étant dans la nature,
auffi-bien que les autres tons , ont
le même droit qu'eux , d'entrer dans
la Mufique. Elles y fervent non-feule-
ment d'aflaifonnement & de fel ; mais
elles contribuent d'une façon parti-
culière cara&érifer
à l'expreflîon mu~
ficale. Rien n'eft fi irrégulier que la
marche des paffions, de l'amour, de
la colère , de ladifeorde : fouvent,
pour les exprimer, la voix s'aigrit &
détonne tout-rà-coup : & pour peu
que l'art adoucifle ces défagrémens
de la nature , la vérité de l'expref-
fion confole de fa dureté. C'eft au
Compofiteur à les préfenter avec
précaution, fobriété, intelligence.
L'Harmonie enfin , concourt à
i'expreffion mufiçale. Tout fon har-
monique elc triple de fa nature. Il
porte avec lui , fa Quinte & fa Tier-
ce-majeure :ceft la doclrine com-
mune de Defcartes, du Père Mer-
fenne , de M. Sauveur, & de M. Ra~
SEDUITS A UN PRINCIPE. 28 1
meau qui en a fait la bafe de fon
nouveau fylïême de Mufique. D'où
il fuit qu'un (impie cri de joie a ,
même dans la Nature , le fonds de
fon harmonie & de Ces accords. C'efl
le rayon de lumière qui , s'il efl: dé-
compofé avec le prifme , donnera
toutes les couleurs dont les plus ri-
ches tableaux peuvent être formés.
Décompofez de même un fon , de la
manière dont il peut l'être ; vous y
trouverez toutes les parties diffé-
rentes d'un accord. Suivez cette dé-
compofition dans toute la fuite d'un
chant qui vous paroît fimple, vous
aurez le même chant multiplié 6c
diverlîfié en quelque forte par lui-
même : il y aura des Dellus & des
BafTes, qui ne feront autre chofeque
le fonds du premier chant dévelop-
pé , & fortifié dans toutes (es par-
ties féparées , afin d'augmenter la
première exprciîîon. Les différentes
parties , qui s'accompagnent réci-
2$z Les beaux Arts
proquement , reffemblent aux gef~
tes , aux tons , aux paroles, réunies
dans la déclamation : ou , fi vous
voulez , aux mouvemens concertés
des pieds , des bras , de la tête , dans
la Danfe. Ces exprefïïons font diffé-
rentescependant
, elles ont la même
lignification , le même fens. De forte
que fi le chant fimple eft Texpref-
fïon de la Nature imitée , les Baffes
& les Deffus ne font que la même
expreffion multipliée, qui, fortifiant
& répétant les traits , rend l'image
plus vive , & par conféquent rimi-
tation plus parfaite.

CHAPITRE IV.

Sur r\}nïon des beaux Arts.

O U o i q u e la Poèfie , la Mufique
& la Danfe fe fcparcnt quelquefois
pour fuivre les goûts & les volontés
réduits a un Principe. 283
des Iiommes ; cependant comme la
Nature en a crée les principes pour
être unis , & concourir à une même
fin , qui eft de porter nos idées &
nos fentimens tels qu'ils font , dans
l'efprit & dans le cœur de ceux à
qui nous voulons les communiquer;
ces trois Arts n'ont jamais plus de
charmes , que quand ils font réunis :
Cumvaleant multùm verba per fe,
& vox propriam vim adjiciat ré-
bus, & geftus motufque fignificet
alicjuid , profeèld perfeâïum quid-
dam , cum omnia contint fieri ne-
cejfe efi. Quintil. x. 3.
Ainfi lorfque les Artiftes féparè-
rent ces trois Arts pour les cultiver
& les polir avec plus de foin , cha-
cun en particulier ; ils ne durent ja-
mais perdre de vue la première infti-
tution de la Nature , ni penfer qu'ils
piaffent entièrement fe palier les uns
des autres. Ils doivent être unis , la
Nature le demande, le goût l'exige :
284 Les beaux Arts
mais comment : & à quelle condi-
tion C'en1
? un traité dont voici la
bafe , & les principaux articles.
11 en eft des différens Arts , quand
ils s'unifient pour traiter un même
fujet , comme des différentes parties
qui fe trouvent dans un fujet traité
par un feul Art : il doit y avoir un
centre commun , un point de rap-
pel ,pour les parties les plus éloi-
gnées. Quand les Peintres & les Poè-
tes représentent une action ; ils y
mettent un Acteur principal qu'ils
appellent le Héros , par excellence.
C'eft ce Héros qui eft dans le plus
beau jour , qui eft Tarne de tout ce
qui fe remue autour de lui. Quelle
multitude de Guerriers dans l'Ilia-
de !que de rôles différens dans Dio-
mede, Ulyfle , Ajax , Hector, &c.
il n'y en a pas un qui n'ait rapport à
Achille. Ce font des dégrés que le
Poëte a préparés , pour élever notre
idée jufqu'à ta fublime valeur de fou
enduits A un Principe. 28$
Héros principal : Tintervale eût été
moins fenfible , s'il n'eût point été
mefuré par cette efpèce de grada-
tion de Héros , & Tidée d'Achille
moins grande & moins parfaite fans
la comparaifon.
Les Arts unis doivent être de même
que les Héros. Un feul doit excel-
ler ,& les autres refier dans le fé-
cond rang. Si la Poëfie donne des
Spectacles ; la Mufique & la Danfe
(a) paraîtront avec elle ; mais ce
fera uniquement pour la faire va-
loir, pour lui aider à marquer plus
fortement les idées & les fentimens
contenus dans les vers. Ce ne fera
point cette grande Mufique calcu-
lée ,ni ce gefte mefuré & caden-
cé qui offufqueroient la Poëfie , &
lui déroberoient une partie de l'at-
tention de(es Spectateurs ; mais une
(a) La Danfc ne fi- i efl: pris dans fa plus
gnific
Gefte jiciainfi
que cel'Arc du JI grande étendue.
terme
m

286 Les beaux Arts


inflexion de voix toujours fimple, Se
réglée fur le feul befoin des mots ;
un mouvement du corps toujours
l'Art. , qui paroît ne rien tenir de
naturel

Si c'eft la Mufique qui fe montre ;


elle feule a droit d'étaler tous fes
attraits. Le Théâtre eft pour elle.
LaPoëfie
la Danfe n'a que le fécond
le troifiéme. Ce rang , Se
ne font
plus ces vers pompeux & magnifi-
ques ices deferiptions hardies , ces
images éclatantes ; c'eft une Poëfie
fimple , naïve , qui coule avec mo-
leffe Se négligence * qui laiffe tom-
ber les mots. La raifon en efl , que
les vers doivent fuivre le chant , Se
non le précéder. Les paroles en pa-
reil cas , quoique faites avant la Mu-
fique ne
, font que comme des coups
de force qu'on donne à l'expreiïion
Muficale , pour la rendre d'un fens
plus net Se plus intelligible. C'eft:
dans ce point de vue qu'on doit
;'-v'-,",-; " fît!?!*.. i>--&;v'

kïduits A un Principe. 287


juger de la Poëfie de Quinaut ; & fî
on lui fait un crime de la foiblefTe
de {es vers , c'eft à Lulli à l'en ju-
ftifier. Les plus beaux vers ne font
point ceux qui portent le mieux la
Mufique , ce font les plus touchants.
Demandez à un Compofiteur lequel
de ces deux morceaux de Racine efl
le plus aifé à traiter : voici le pre-
mier :

Quel carnage de toutes parts !


On égorge à la fois les enfans, les vieillards,
Et la fille & la mère , & la fecur & le frere ,
Le hls dans les bras de ion père:
Que de corps entafles ! que de membres épars
Privés de fépulture !

Voici ment
l'autre
dans la qui
mêmele fuit
fcéneimmédiate-
:
Hélas ! fî jeune encore,
Par quel crime ai je pu mériter mon malheur?
Ma vie à peine a commencé d'éclorc ,
Je tomberai comme une fleur

Qui n'a vu qu'une Aurore.


288 Les beaux Arts
Hélas ! fi jeune encore ,
Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur ?

Faut-il être Compoliteur pour îen-


tir cette différence ?
La Danfe eft encore plus modefte
que la Pocfie : celle-ci au moins eft
mefurée , mais le Celle ne fait pref-
que pour la Mufique que ce qu'il
fait pour les Drames ; & s'il s'y
montre quelquefois avec plus de
force , c'eft qu'il y a plus de pailiou
dans la Mufique que dans la Poéfie;
& par conféqilent, plus dé matière
pour l'exercer ; puifquè , comme
nous l'avons dit , le Geft e & le Ton
de la voix font confacrés d'une fa-
çon particulière au fentiment.
Enfin fi c'eft la Danfe qui donné
une fête; il ne faut point que la Mu-
fique brille
y à fon préjudice ; mais
feulement qu'elle lui prête la main ,
pour marquer avec plus de précifion
fon mouvement & fon caractère. Il
faut
REDUITS A UN PRINCIPE. 289
faut que le violon & le Danfeur
forment un concert ; & quoique le
violon précède ; il ne doit exécuter
que l'accompagnement. Le fujet ap-
partient dedroit au Danfeur. Qu'il
foit guidé ou fuivi ; il a toujours le
principal rang , rien ne doit l'obf-
curcir : & l'oreille ne doit être oc-
cupée, qu'autant qu'il le faut, pour
ne point caufer de diftra&ion aux
yeux.
Nous ne joignons point ordinai-
rement laParole avec la Danfe pro-
prement dite ; mais cela ne prouve
point qu'elles ne puifTent s'unir : elles
ï'étoient autrefois , tout le monde en
convient. On danfoit alors fous la
Voix chantante , comme on le fait
aujourd'hui fous rinfirument , & les
paroles avoient la même inclure que
les pas.
*T
C'eft à la Poëfie, à la Mufique,
à la Danfe , à nous préfenter l'image
des a&ions & des paffions humai-
2po Les beaux Arts
nés ; mais c'eft à l'Archite&ure , à la
Peinture , à ïa Sculpture , à préparer
les lieux & la fcéne du Speclacle,
Et elles doivent le faire d'une ma-
nière qui réponde à la dignité des
A&eurs Se à la qualité des fujets
qu'on traite. Les Dieux habitent
dans l'Olympe , les Rois dans des
Palais , le Ilmple Citoyen dans fa
maiion , le Berger cil aflis à l'ombre
des bois. C'eli à l'Architeclure à
former ces lieux , & à les embellir par
le fecours de la Peinture Se de la
Sculpture. Tout l'Univers appar-
tient aux beaux Arts. Ils peuvent
difpofer de toutes les richeiTes de
la Nature. Mais ils ne doivent en
faire ufage que félon les loix de la
décence. Toute demeure doit être
l'image de celui qui l'habite , de fa
dignité, de fa fortune , de fon goût.
C'eft la régie qui doit guider les Arts
dans la conilru&ion Se dans les or*
nemens des lieux. Ovide ne pouvoit
WSBmm Rn '$?^a '^fiïp MWr*

REDUITS A UN PRINCIPE. 2pl


rendre le Palais du Soleil trop bril-
lant , ni Milton le Jardin d'Eden
trop délicieux : mais cette magni-
ficence feroit condamnable même
dans
defïus linde Roi , parce qu'elle
fa conditon : eft àu-

Singulu qH&c[ue locum tene/mt fmitn dtcwtef,

FIN.

ïïi
TABLE
DES MATIERES.

A CTTON, nécefTaire dans un Pocme. i$6


Combien clic doit avoir de parties. ibid.
Elle doit être fînguliere , fîmple , variée.

Allégorie } n'efl: pas efïèntielle à l'Epopée. 102.


Anacréon donne des leçons dans fes Odes ,
pourquoi. ij4
Apologue y fpeétacle des enfans. 2x8
A Tes régies contenues clans celles de l'E-
popée & du Drame. 130
Doit avoir une action , un commencement ,
un milieu , &c. 2.32.
Son iîyle réglé par les loix de l'imitation.
Architecture , comment elle s'eft annoblie. 45
Architecture , Peinture , Sculpture , doivent
orner les lieux où les beaux Arts doivent (c
montrer , & comment. 190
Art de la Déclamation , abandonné. 150
Eft cependant nécefTaire. ibid.
Art j fert quelquefois de modèle à la Nature.

A quelle condition. 44
45
TABLE DES MATIERES.
Arts de trois efpcccs. 6
Arts inventés par les hommes & pour les hom-
mes ,quelles conféquences tirer de ce prin-
cipe. S
Arts , doivent choiiîr les exprefïïons aufîï- bien
que les objets. 40
Leurs définitions. 41
Arts , en naiflànt avoient befoin d'éducation ,
de même que les hommes. 70
Comment ils périiTent. 7J
B

ÏEan idéal de la Poèïîe. iro


Difficile à atteindre. ibid.
Comment on peut en approcher. 116
Beaux Arts , ont tous un même principe qui
eft fimple. Avant propos
Sont faits pour être unis. i.x%
A quelle condition Hs doivent l'être. ï8j
Belle Nature , félon le goût, préfente i«\ des
objets intérefTans , iQ. parfaics en eux-
mêmes. 79
Pourquoi. 80
Comment. 8z
Elle renferme le beau & le bon. S7
Bon Goût exifte. 55
Eft difficile à définir. 34
Les anciens l'avoicnt. 55
Lui feul peut faire les beaux ouvrages, ibid.
Sa comparaifon avec l'intelligence. 56
Sa définition. Tiij 58
11 eft toujours précédé d'une idée. cj>
TABLE
ïl s'appelle vertu dans ce qui regarde les
maurs & goût amplement dans les Arts,

Il triomphe tôt ou tard. 6f

\^J Antiques Jarres , ne nous paroi n'en t beaux


que parce qu'ils ont le caiaetère de l'imi-
tation. 2-39
Caraftè>es , feront marqués dans la Toëfie. 164
prouvés par la conduite. • ibid.
Contraftés. 16 y
Chœurs autrefois en ufage, pourquoi. x\6
Pourquoi ils n'y font plus aujourd'hui. %ij
Comédie , fa différence avec la Tragédie. 1 19
Sa, définition < ibid.
Sa divifion félon les fujets qu'elle fe pro.
pofe d'imiter. !*•*<
Contrainte , ne peut donner du goût. 1 31
D

X^jEfauts affedés dans les Arts , pourquoi.


n s t s.
it i o
Défin des Ar 4Z
Différences principales des Arts. 3?
Différence de la Poëfie avec l'Hiftoire. 2. 3
Différence du ton de l'Epopée avec celui de
l'Ode. ^ 108
Difficulté qu'ont eu les Inventeurs à fe faire S»1
une idée nette de ce qu'ils cherchoient. 70
Dijfonances } ont droit d'entrer dans la Mu-
{ique 2-So

M
DES MATIERES. »47
jyivifioK I, de fa Poe'fic en Epique & Dra-
matiquefur
, quoi fondée. 1+6
Divijion II. fondée fur le même principe.

%$

XZ-> Curt y ce que c'eft. 44


Eloquence , s'ell annoblfe , & comment.
Doit cacher le deïîein de plaiie. 4*
Quand elle doit s'élever.
Emhonfî'ifme
Souvent mal, n'ell pas toujours préfent.
défini. 195
Comparé avec celui des guerriers. I94
N ce/ ta ire à tous les Aniftes. Î4
Epopée y fa définition.
Elle a toutes fes réçles dans l'imitation. 46

Son met vei lieux doit être vraifemblable. 30


ibid.
Comment il Peft. 206
Manière d'établir Tordre dans l'Epopée, zoo
Exemple' de la Nature , a inftruit les pre-
miers Artiftes. 68

Exprejftons , en général ne (ont d'elles-mêmes


ni naturelles , ni artificielles. z6i
Exprejfion muficale , doit les mêmes qualités
naturelles que lelocution oratoire. 270
Unité, 271. variété, 272. clarté, 27 j. juf-
telle , 274. vivacité & délicatcfïe , ibid.
fimp'icité & aifance 275. nouveauté;, ibid.
Ses qualités artificielles. 277
La Mefure , ibid le mouvement, 278. la mé-
lodie ,279. l'harmonie. 280
Tiv
TABLE

VX Iclionen Vrofe , hiftoire en vers : ce que


139

c'eft. 50
Fonds de Vo'éfie , fubhfte fans Vérification.

G Ente , Pcre des Arts.


Ne crée que par imitation. 10
Ne peut lortir de la Nature fans fe dé-
grader, u
Eft femblable à la Terre , & en quoi. ibid.
Eft lié étroitement avec le Goût. 11
Goût, Juge des Arts. 52,
Eft la man ère la plus fine de connoître 5i
les régies. 97
Son objet. 60
Pourquoi donné par la Nature. 6i
A quelle condition il approuve les Arts. ibid.
Eft le même pour les mœurs & pour les
Arts , 5ç comment. 117
Commence avec la vie. 115
S'exerce avant la raifon. \i6
Eft aifé à corrompre. 113
Comment le difpofer de loin à la vertu. 118
Il guide bien les enfans. 1 z$
Eft nourri par le fuccès. 131
Annonce le talent. ibid,
S'élève avec les Ouvrages. 11j
Coûts , bons quoique differens: pourquoi. 105
Richcfle de la Nature : I. raifon. ibid.
ic7
DES MATIERE S.
Bornes du coeur & de l'cfpriï humain :
II. raifon.
Grecs , formèrent les beaux Arts.

H ■irmonie , ce cjue c'eiï en général. \6$


Trois fortes d'harmonie dans Ja Poçfie. ibid.
7?

i. Du ftyle avec le fujet. 170


EiTciuiclle. ibid.
Rarement obfervée. 171
1. Des Ions avec les objets. ibid.
3. Artificielle : e(l le point exquis delà Véri-
fication. 17}
Exemples cités 175
Même harmonie peut Ce trouver dans les
Poe'tes détaillées
Preuves Français que dans les Latins 177
178
Exemples cités. 17?
Objection réfutée. 190
Harmonie , dans les vers Latins n'efl pas pro-
duite par les pieds. i8£
Pourquoi fi peu connue dans les vers Fran-
çois. 188
Horace cité. 168 & 17t.

I De'e de l'Iliade & de l'Enéide. ijr


Imitation, objet unique des beaux Arts, ij
Eft une des principales fources du plaifir
dans les Arts. 1 8.
Doit être parfaite : pourquoi. 89
Comment. ibid.
117

T A B L E
Imiterde, ceTf que zoo
}etc é, re,c'efL
Jtrvenal y ci-té.
M

<3Uere 3 ché pour exemple. a?

M'
Mafujue , contenait autrefois la Dante , la
Vérification, L» Déclamation. zjo
Elle doit toujours avoir un fens. r6x
Elle a des exprefïiorre qu'on ne peut nom-
ma. i-6g
On h peut comparer au drfeours. i f, j
Deux fortes de Mufique. %66
Toutes deux comparées à la Peinture: i&id.
Mefître , Mouvement _, Mendie , Harmonie ,
s'uniiTent également sv%c les paroles , les
tons, les geftes , & forment la Veriïfïca-
tion , la vraie Mufique & la Danfe. j£
N

N ttare , part erre divifée en deux pâmes


par rapport aux Arts. 37
Nombre des Acteurs. 165

o
o
B/ets désagréables dans la Nature ,
plaifent pins dans les Arts , que les ob-
jets agréables : pourquoi. 97,
Occajton , qui fît naître les Arts, £7
Opéra, ce qu'il doit être. m
^M $M& p^-Ml ;£*££

DES MATIERE S.
Ouvrages des Arts , ne font que des re/îem-
blanccs. 14
P

X Afftons , objet principal de la Mufiquc &


de la Danfe. 1 58
Elles (ont Goût , dans leurs commcncc-
mens ; & fureur ou folie , dans leurs
excès. 111% }+
Elles ont leurs caufes communes. 276 2-47
Tarolc } eft l'organe de la raifon.
Vaftorale , quel eft fon objet.
Quels en font les modèles.
Teinture , femblable à la Poe'fie. : !c
'??
Elle a trois moyens pour exprimer
Deffeing , le Clair-oblcur, le Coloris.148
Tere le Boffus }- réfuté. 210
Vlaute , cité. 34
iJ5
To'efie , qu'on décrit plutôt qu'on ne définit. 5
Elle ne confifte point dans la fiction piïfe
dans !e fens ordinaire.
Ni dans la Vérification. 167
140
Ni dans l'Enthoufiafine.
\66
To'ejîc dn ftyle , en quoi elle confifte 137
Sur quoi elle eft fondée.
Sa licence reconnoît des régies. 168

To'tjie lyrique , a pour objet les lsmimens


240
Elle ne fubfiffe que par l'imitation
Différentes
Odes fanées.efpèces d'Odes. 249
14c
Héroïques ,
Philofophiques ou morales ,
Bjttgg BBaB
■i

TABLE
Anacréomïques. ibid,
Pourquoi Virgile a fait emporter Creufe par an
prodige, 16}
T'rjj'e , définie par oppofition à la Poe'fic. 147
87
Q

\_jfV alités de la belle Nature.


Z70
De i'expreflion mufîcale.
R

R Egles des Arts , pourquoi néceflaircs. 4S


I. Régie générale de la Poè'fie.
Joindre l'utilité a, l'agréable. 149
La raifon de cette régie. ibid.
II. Régie 3.4. #v. & la raifon de ces régies.
1 f ? <&c.
"Rime de quantité' chez tes Latins , répond à la
rime des fans chez les François. 187

I Erence cité. .• r
Tout lié dans les Arts comme dans îa Nature.

Ton de ta voix <&> Gcfte 3 organes du fenti-


ment. iJ4
Devraient être mefurés dans la déclama-
tion Théâtrale. M 7
Tragédie , ne diffère de l'Epopée que par le
Dramatique. 4io
Deux fortes de Tragédies. ibid.
DES MATIERES.
La i. merveilleufe , c'eft l'Opéra, m
La r. héroïque , nommée Amplement Tra-
gédie. 2.13
*7
Régies de l'une & de l'autre dans rimita-
tion. xix <& 1J4-

V Ida , cité. 168... 171 *5


Virgile , cité. 3y
Frai , peut être objet des Arts , & comment.

JLu Euxts.

APPROBATION.

J'A 1 lu par ordre de Monfeigneur le Chan-


celier un Manufctit qui a pour titre : Les
leaux Arts réduits a un même Principe , il m'a
paru que cet Ouvrage contenoir les vrais Prin-
cipes desêtre
pouvoit beaux
trèsArts ; & A qu'ainn"
-utile. la lecture
Paris , ce n. Marsen
174*.
Y A T R Y.
PRiyiLEGE DU ROI.
TO U I S , par la Grâce de Dieu , Roi fie
^ France & de Navarre -, A nos Ames &
Féaux Confeillers les Gens renans nos Cours
de Parlemcns , Maîtres des Requêtes ordinai-
res d: notre Hôtel , Grand Confeil , Baillifs ,
Sénéchaux , leurs Lieutenans-Civils , & aurres
nos tre
Justiciers qu'il appartiendra
Amé Laurent Durand, ; SalutLibraire
: No-

à Paris , Nous a fait ex; ofer qu'il defireroie


faire imprimer & donner au Public un Ouvrage
qui a pour titre : Le: beaux Arts réduits a un-
même Principe , s'i' nous plaifoit 'ui accotder
nos Lettres de Privilège pour ce néceflaires :
A ces Causes , voulant favorablement
traiter l'Expofant , Nous lui avons permis Se
permettons par ces Préfentes, de faire impri-
mer ledit Ouvrage en un ou plufieurs volumes,
& autant de fois que bon lui feinblera , & de
le vendre , faire vendre & débiter par tout no-
tre Royaume pendant le tems de fix années
confécutives , à compter du jour de la datte des
Préfentes ; faifons défenfes à toutes perfonnes ,
de quelque qualité & condition qu'elles foienr,
d'en introduire d'imprefïîon étrangère dans
aucun lieu de^ notre obéiiïance , comme auffi
â tous Libraires & Imprimeurs d'imprimer ou.
faire imprimer , vendre , faire vendre , débi-
ter ni contrefaire ledit Ouvrage , ni d'en faire
aucun Extrait , fous quelque prétexte que ce
foit , d'augmentation , changement , ou au*
m

très , fans la penniffion exprefTe & par ècrk


«dudic Fxpofànr , ou de ceux qui auront drok
de lui , a peine de conrifeanon des Exemplai-
res contrefaits , de trois nulle livres d'amende
contre chacun des Contrevenans , dont un tiers
à Nous , un tiers a l'Hôtel- i". ieu de Paris , Se
l'autre tiers audit Expo fa ne , ou à celui qui aura
droit de lui , oc de tous dépens , dommages &
intérêts, a 1a charge que ces Préfentes feront
enregiftrées rcut au long fur le Regiftre de la
Communauté' des Libraires & Imprimeurs de
Paris dans trois mois de la datte d'iceiles uue
l'impreflion dudit Ouvrage fera faite dans no-
tre Royaume & non ailleurs en bon papier &
beaux caractères, conformément à la feuille
imprimée & attachée pour modèle fous ie co:'-
tre-Scel des Préfentes , qmj l'Impétrant fe con-
formera en tout aux Keglemens de la Librairie,
et notamment à celui du 10. Avril 171 \. qu'a-
vant de l\xpofer en vente , le Manufcrk qui
aura fervi de copie à j'impreffion dudir Ou-
vrage ,fera remis d.ins le même état cri l'Ap-
probation yaura été donnée es mains de no-
tre très cher &. féal Chevalier le Sieur Da-
fueffeau , Chancelier de France , Commandeur
e nos ordres, & qu'il en fera enfuite remis
deux exemplaires dans notre Biblicthcque pu-
blique, un dans celle de no.ie Château du
Louvre , & un dans celle de notre très-cher &.
féal Chevalier le Sieur Dagueflc-u , Chance-
lier de France ; le tout à peine de nul i té des
Pïéfentes , du contenu defquclles vous man-
dons & enjoignons de faire jouir ledk Expo-
tant & fcs ayans caufcs pleinement & paift-
blement , fans fourïrir quil leur foit fait au-
cun trouble ou empêchement ; Voulons que la
copie des Préfentes , qui fera imprimée tout
au long au commencement ou à la fin dudit
Ouvrage , foit tenue pour duëment fignifice,
& qu'aux
amés féauxcopies collationnées
Confeillers par l'un, foi
Se Secrétaires de nos
(oit
ajoutée comme à l'original. Commandons au
premier notre Huiflicr ou Sergent fur ce re-
quis de faire, pour l'exécution d'icel es , tous
actes requis & néceflaires , fans demander au-
tre permifiion , & nonobftant Clameur de Ha-
ro Chartre Normande , & Letues à ce con-
traires. Car tel eft notre plaifir. Donne' à
Paris , le vingtième jour du mois de Mai , l'art
de Grâce mil fept cent quarante- fil , & de no-
tre Règne le trente-unième. Par le Roi en fou
Confeil. ■
S A I N S O N.

Regifîré fur le Repftre 11. de la Chambre


Royale des Libraires <& Imprimeurs de Paris 3
N . 6 z 6. fol. 553. conformément aux anciens
Réglcmens confirmés par celui du xi. février
17x3. A Taris ce 18. Mai 1746.
Vincent, Syndic i

De l'Imprimerie de Ch. J. B. Delesïini,


Imprimeur-Libraire ord. du Roi.
MiEAIMJÊLjaBa

EXPLICATION
DU FRONTISPICE
et des Vignettes.

frontispice.
PHedre & Socrate aiïîs fous un plane ,
lifent une Diflertation fur le Beau ïiift
x*mv. Suie: tiré de Plat. Dial. Phcdr.
FLEURON.

Deux Enfans qui fe regardent dans un mi-


roir avec des fentimens dirFérens. Fable 8. tic.
Phèdre , Liv. j .
J. VIGNETTE, pag. i.
La Sculpture qui regarde avec complaifancc
ïe.Ealtc d'un jeune Héros qu'elle vient de finir.
II. VIGN.ETTE. pag. 51.
Horace dans les Jardins de Prenefte , écrit
i. Lollius, qu'Homère enfeigne mieux ce que
c'eft que le bon Goût , que les Philofophes :
Plenihs ac meliùs Chryfippo.
III. VIGNETTE. p*g. iji.
Callioppe chante des vers 5 un petit Génie
en marque la cadance.
eBKBWBHHB BfHBHB9
«•..%

* XV

< à
rMan-
m
Mb
loir,

THej.PAMLGETTycaWF^
UBRARY
R A II X
A K 1 S

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