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Anvers à la Renaissance (1567)

Anvers a un beau môle ou port de la rivière, appelé werf, avec sa place très spacieuse appelée
vulgairement crane, ainsi nommée pour un ingénieux instrument ou machine qui y est avec lequel tous
navires sont facilement déchargés. Cette place est toute pavée et sur le bord de la rivière bien relevée,
où les navires principalement se viennent décharger de toutes portées ; de sorte que, entre grands et
petits, il y en a toujours grand nombre qui vont et viennent, lesquels rendent une vue vraiment
plaisante et admirable : découvrir en une œillade si grands espaces d’une telle rivière avec marée
perpétuelle, voir aller et venir à toute heure et en tout endroit navires de toutes nations et pays avec
toutes sortes d’hommes et de marchandises, voir tant de manières de navires, tant d’instruments et
moyens pour les manier que toujours s’y voit choses nouvelles. Anvers a huit principaux canaux qui
descendent de la rivière, par lesquels entrent navires, bateaux et grosses barques chargées par la ville
[…].
Communément les bourgeois et manants d’Anvers font profession mercantile et sont certes grands
marchands et trafiqueurs moult riches, et aucuns1 très riches, voire jusques à 400 000 écus pour tête
et davantage. Ce sont personnes humaines civiles, ingénieuses, promptes à imiter l’étranger et faciles
à faire parentage avec lui. Ils sont fort fréquentant le monde. Et la plupart d’eux – jusques aux femmes
– combien qu’ils n’aient été hors du pays2, sont doués de trois ou quatre langues, sans [compter] ceux
qui en suivent cinq, six et sept, chose vraiment commode et admirable. Il y a artisans de toutes sortes
d’arts et métiers fort excellents […].
C’est la raison [pour laquelle] nous nous arrêtons un peu sur le trafic, affaires et manières de faire qui
sont entre les marchands étrangers trafiquants et cette ville, vu mêmement que son principal
fondement consiste en la marchandise, et qu’elle s’est illustrée et agrandie et enrichie par les étrangers.
En premier lieu donc, je dis qu’en Anvers, outre les gens du pays qui en très grande multitude y
affluent et habitent, et outre les marchands français desquels en temps de paix y vient grande
affluence, il y a six nations principales, lesquelles font le nombre de plus de mille marchands, y compris
leurs principaux facteurs et ministres […].
Et quant au reste, chacun vit, se vêt et maintient librement à sa fantaisie. Et à dire vrai, les étrangers
vivent en plus grande liberté ici en Anvers et par tous ces Pays-Bas, qu’on ne fait en quelque autre
pays que ce soit de tout le monde. De sorte que c’est un cas merveilleux de voir un tel mélange
d’hommes, de si diverses humeurs et qualités, et plus encore d’ouïr une telle variété de langages, et si
différents l’un de l’autre, tellement que sans voyager, en une seule ville, vous pouvez voir et, s’il vous
plaît, imiter le naturel, façon de vie et coutume de plusieurs nations lointaines […].
Tous ces marchands font un commerce incroyable tant en échange qu’en dépôt de marchandises. Et
pour ce, nous deviserons brièvement du moyen qu’ils y observent, qui est tel que s’ensuit : et soir et
matin, ils vont à heure certaine à la bourse des Anglais, et là, l’espace de plus d’une heure à la fois, par
le moyen de truchements de chacune langue (desquelles il y a en grand nombre) ils traitent sur l’achat
et la vente de toutes sortes de marchandises ; et après, un peu plus tard, ils vont à la nouvelle bourse,
qui est la place principale, et là, l’espace d’une heure, et par les mêmes interprètes des langues, ils
parlent et traitent particulièrement des dépôts et des changes.

Lodovico Guicciardini, Description de l’ensemble des Pays-Bas autrement appelés Germanie inférieure, Anvers,
Christophe Plantin, 1567.

1 Certains.
2 Même s’ils n’ont pa quitté le pays.

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