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Table des matières

1. Réduction de Jordan: cas nilpotent 1


2. Réduction de Frobenius 3

1. Réduction de Jordan: cas nilpotent


Noter que si f ∈ L(E) est nilpotent, la décomposition de Dunford nous dit rien
sur f . On souhaiterait comprendre maintenant les classes de conjugaison des éléments
nilpotents (et plus généralement). La réduction de Jordan va nous aider à énumérer ces
classes de conjugaison, et comprendre leur structure interne.
Proposition 1.1. Soit f ∈ L(E) nilpotent. Alors il existe d1 > d2 > · · · > dr avec
d1 = deg µf , et une base B de E, tel que la matrice de f dans la base B est égale à
diag(J1 , J2 , . . . , Jr ).
Proof. On procède par récurrence sur la dimension n de E. Pour n = 1 le résultat
est clair. Donc on suppose que l’énoncé soit vrai pour tout endomorphisme d’espace
vectoriel de dimension au plus n; on veut le démontrer lorsque E est de dimension
n + 1.
Soit x ∈ E tel que µf,x = µf . Considérons la base B1 = {f d1 −1 (x), . . . , f (x), x} de
Ef,x , où d1 = deg µf,x . Comme deg µf,x = deg µf on en déduit que d1 est l’indice de
nilpotence de f . Ainsi la matrice de l’induit de f sur Ef,x dans la base B1 est le bloc
de Jordan Jd1 .
Par ailleurs, puisque µf,x = µf , le sous-espace cyclique Ef,x admet un supplément
stable F . On peut appliquer l’hypothèse de récurrence à l’induit fF (car dim F 6 n).
Ainsi, il existe des entiers d2 > d3 > · · · > dr , où d2 = deg µfF , et une base B2 de F , tel
que la matrice de fF dans B2 est diag(Jd2 , . . . , Jdr ).
Si B est la base de E donnée par la concaténation de B1 avec B2 alors la matrice de f
dans B est bien diag(Jd1 , Jd2 , . . . , Jdr ). Comme µfF | µf on a d1 = deg µf,x = deg µf >
deg µfF = d2 , ce qu’il fallait démontrer. 
On montrera maintenant que le nombre r de blocs de Jordan, ainsi que leurs tailles
d1 > · · · > dr , ne dépendent que de (la classe de conjugaison de) f . En effet, on a la
proposition suivante.
Proposition 1.2. Soit f ∈ L(E) nilpotent tel qu’il existe une base de E dans laquelle
la matrice de f s’écrit comme dans la proposition 1.1. Alors pour chaque 1 6 k 6 d1 le
nombre de blocs de Jordan de taille k est égal à
2 dim ker f k − dim ker f k−1 − dim ker f k+1 .
Proof. Soit n = dim E. Par la formule du rang, l’expression ci-dessus est égale à
2(n − rg f k ) − (n − rg f k−1 ) − (n − rgf k+1 ) = rg f k+1 + rg f k−1 − 2 rg f k .
Or pour d > 1 et k > 0, le rang de Jdk est max{d − k, 0}. Comme le rang est additif
pour les matrices diagonales par blocs, on en déduit que
X r Xr
k
rg f = rg Jdi = max{di − k, 0}.
i=1 i=1
1
2

On est ramené donc à calculer


Xr
(max{di − k − 1, 0} + max{di − k + 1, 0} − 2 max{di − k, 0}).
i=1

Le i-ième terme vaut



0 + 1 − 0 = 1,
 si di = k;
0 + 0 − 0 = 0, si di 6 k − 1;

2(d − k) − (d − k + 1) − (d − k − 1) = 0, si d > k + 1,
i i i i

ce qu’il fallait démontrer. 


La matrice de f dans la proposition 1.1 est appelée sa matrice réduite de Jordan.
La proposition 1.2 nous assure que cette matrice est unique. Ainsi on a une application
bien définie qui associe à tout endomorphisme nilpotent dans L(E) sa forme réduite
de Jordan. Or, tout endomorphisme conjugué à f possède la même forme réduite de
Jordan. Ainsi cette application descend à une application bien définie entre les classes
de conjugaison des éléments nilpotents de L(E) et les formes réduites de Jordan. Cette
application est
(a) surjective: un préimage d’une forme réduite de Jordan N serait la classe de conju-
gaison de l’unique endomorphisme n ∈ L(E) dont la matrice dans la base cano-
nique est N . Un tel n est nilpotent car N l’est.
(b) injective: si deux endomorphismes nilpotents f et g ont la même forme réduite
de Jordan N , ils sont tous les deux semblable à l’endomorphisme n de (a). Par
transitivité, f et g sont semblables.
Corollaire 1. Les classes de conjugaison des éléments nilpotents de L(E) sont en
bijection avec les matrices nilpotentes en formes réduites de Jordan.
1.3. La recherche de bonnes bases. Comment peut-on trouver une base B dont
l’existence est garantie dans la proposition 1.1?
La preuve elle-même nous indique qu’il faut d’abord chercher un vecteur x tel que
µf,x = µf . Il est facile de voir que, si d1 = deg µf est l’indice de nilpotence de f , alors
tout vecteur x appartenant à un supplément de ker f d1 −1 dans E satisfait à µf,x = µf .
En effet, dans ce cas chaque f k (x) pour 0 6 k 6 d1 − 1 serait dans un supplément de
ker f d1 −k−1 dans ker f d1 −k . Ainsi les vecteurs f k (x) pour 0 6 k 6 d1 − 1 seraient tous
non nuls et linéairement indépendants. On en déduit que la dimension de Ef,x serait d1
et donc deg µf,x = d1 = deg µf .
On peut penser à itérer cet argument. Faisons ça donc maintenant. On obtiendrait
ainsi une preuve alternative de la proposition 1.1.

Preuve constructive de la proposition 1.1. Soit p > 2 l’indice de nilpotence de f . On


commence par remarquer que pour tout 1 6 k 6 p, il existe un supplément Fk de
ker f k−1 dans ker f k tel que, pour tout 2 6 k 6 p on ait f (Fk ) ⊂ Fk−1 . En effet, si on
prend n’importe quel supplément Fp de ker f p−1 dans E, on construirait Fp−1 en com-
plétant f (Fp ) en n’importe quel supplément de ker f p−2 dans ker f p−1 . On continuera
ainsi de suite dans les noyaux itérés, en utilisant le fait que ker f k−1 ( ker f k pour
1 6 k 6 p.
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La base B recherchée sera une base qui respecte la construction ci-haut. On commence
par prendre n’importe quelle base de Fp , disons {ej,p }16j6mp . On applique f à cette base
pour trouver une famille de vecteurs {ej,p−1 }16j6mp , où on a posé ej,p−1 = f (ej,p ). On
constate que les vecteurs ej,p−1 sont libres; en effet, la restriction de f à Fk pour chaque
2 6 k 6 p est injective, car Fk ∩ ker f = 0. On peut donc compléter cette famille libre
en une base {ej,p−1 }16j6mp +mp−1 de Fp−1 , en rajoutant mp−1 = dim Fp−1 − dim Fp > 0
vecteurs linéairement indépendents. (Que dim Fk−1 soit au moins dim Fk , pour tout
1 6 k 6 p, est conséquence du fait que les écarts entre les noyaux itérés forment une
suite décroissante.)
On continue ainsi de suite. On obtient à la fin une base ej,k de E. On ordonne les
éléments selon l’ordre lexicographique pour obtenir une base de Jordan B de E comme
décrite dans la proposition. 
1.4. Tableaux de Young. Soit n > 1 et p1 > p2 > · · · > pk avec p1 + p2 + . . . +
pk = n une partition de n. Le Tableau de Young associé à cette partition, notée
TY(p1 , . . . , pk ) est un tableau à k lignes (alignées à gauche), constituées de cases dont
le nombre est p1 , p2 , . . . , pk .
A toute forme réduite de Jordan diag(Jd1 , . . . , Jdr ) on peut associer le tableau de
Young TY(d1 , . . . , dr ). L’intérêt des tableaux de Young dans notre context est le résultat
suivant, qui est une simple reformulation du corollaire 1.
Corollaire 2. Les classes de conjugaison des éléments nilpotents de L(E) sont en
bijection avec les tableaux de Young.

2. Réduction de Frobenius
On arrive maintenant à l’analogue chez les endomorphismes de la décomposition d’un
groupe abélien fini en facteurs invariants. Rappelons l’un des exemples de l’introduction
du cours. On a un isomorphisme
(Z/2Z × Z/4Z) × (Z/3Z)2 × Z/5Z ' Z/60Z × Z/6Z.
La décomposition à gauche est celle des diviseurs élémentaires (analogue à la réduction
de Jordan) et celle à droite est celles des facteurs invariants (analogue à la réduction
de Frobenius).

2.1. Énoncé et preuve. Notons que le théorème suivant n’exige aucune hypothèse que
l’existence d’un polynôme annulateur scindé. Ainsi, on peut l’appliquer à tout f ∈ L(E)
défini sur tout corps K. En anglais, cette décomposition est parfois nommée “rational
canonical form”.
Théorème 2.1 (Réduction de Frobenius). Soit f ∈ L(E). Alors il existe une unique
suite finie de polynômes unitaires Pr | Pr−1 | · · · | P1 dans K[T ] (appelés facteurs
invariants ou facteurs de similitude) et une décomposition en sous-espaces cycliques
stables
E = E1 ⊕ · · · ⊕ Er ,
tels que le polynôme minimal de Ei est Pi .
Autrement dit (en vue du chapitre sur les espaces cycliques), il existe une unique
suite finie de polynômes unitaires Pr | Pr−1 | · · · | P1 dans K[T ] et une base de E dans
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laquelle la matrice de E (appelée matrice réduite de Frobenius) est diagonale par


blocs diag(CP1 , . . . , CPr ) où chaque bloc CPi est la matrice compagnon du polynôme Pi .
Notons que
µ f = P1 et χ f = P1 · · · P r ,
ce qui est analogue au fait que l’exposant d’un groupe abélien fini est son premier
facteur invariant et (bien évidemment) son ordre est le produit des facteurs invariants.
On en tire la conséquence que deux endomorphismes dans L(E) sont semblables si,
et seulement si, ils ont les mêmes invariants de similitudes.
Passons à la preuve.
Proof. Récurrence sur la dimension. Vrai pour n = 1 (clair). Supposons le résultat vrai
pour tout morphisme en dimension n et prenons f ∈ L(E) où dim E = n+1. Soit x ∈ E
tel que µf,x = µf et posons F un supplément stable de Ef,x . On obtient le résultat pour
E en concaténant la base {x, f (x), . . . , f d−1 (x)} de Ef,x avec la base de F donnée par
l’hypothèse de récurrence. Ici d = deg µf,x = deg µf . Si on désigne par P2 | · · · | Pr les
facteurs de similitude de F , il est clair que P2 | P1 = µf , puisque P2 est le polynôme
minimale de fF et µf annule F .
Pour l’unicité, supposons qu’on dispose de deux suites distinctes Pr | Pr−1 | · · · |
P1 et Qs | Qs−1 | · · · | Q1 de polynômes unitaires et des décompositions en sous-
espaces cycliques associées E = F1 ⊕ · · · ⊕ Fr et E = G1 ⊕ · · · ⊕ Gs . En déduisons une
contradiction.
Bien que les deux suites soient distinctes, elle commencent avec P1 = Q1 = µf . Mais
remarquer qu’il existe j minimal dans [[2, min(r, s)]] tel que Pj 6= Qj . En effet, si r = s
cela découle de l’hypothèse que les deux suites soient distinctes. Et si s > r, disons, et
que Pj = Qj pour tout j ∈ [[2, r]], ce ne serait pas compatible à l’égalité des degrés
r
X s
X
deg Pi = deg χf = deg Qi .
i=1 i=1

Posons π = Pj (f ).
Or chaque Fi est stable par f , et donc par π, car polynôme en f . Ainsi
π(E) = π(F1 ⊕ · · · ⊕ Fr ) = π(F1 ) ⊕ · · · ⊕ π(Fr ).
De la même façon,
π(E) = π(G1 ⊕ · · · ⊕ Gs ) = π(G1 ) ⊕ · · · ⊕ π(Gs ).
Notons, par contre, que pour tout i ≥ j on a Pj (fFi ) = 0, car Pi = µfFi et Pi | Pj .
Cela implique π(Fi ) = Pj (fFi )(Fi ) = 0E pour i ≥ j et donc, en fait,
π(E) = π(F1 ) ⊕ · · · ⊕ π(Fj−1 ).
Par ailleurs, pour tout i = 1, . . . , j − 1, on a une égalité Pi = Qi . Pour ces indices, les
induites fFi et fGi sont semblables, car des endomorphismes cycliques avec les mêmes
polynômes minimaux. Par conséquence, Pj (fFi ) et Pj (fGi ) sont semblables – et en par-
ticulier, dim π(Fi ) = dim π(Gi ) – pour i = 1, . . . , j −1. On en déduit que dim π(Gi ) = 0,
c’est-à-dire π(Gi ) = 0, pour tout i ≥ j.
En particulier, π = Pj (f ) annule Gj , ce qui veut dire que Qj divise Pj . Par symétrie
Pj divise Qj , et donc Pj = Qj , une absurdité. 
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2.2. Passage entre les deux formes canoniques. Expliquons maintenant comment
passer de la forme canonique de Jordan à celle de Frobeunius, et réciproquement.
Exemple 2.2.1 (De Frobenius à Jordan pour les nilpotents). On commence par les
endomorphismes nilpotentes. Soit f ∈ L(E) nilpotent d’indice p1 . Ainsi µf (T ) = T p1
et il existe une base de E dans laquelle la matrice de f est diag(CX p1 , CX p2 , . . . , CX pr ),
où p1 ≥ p2 ≥ · · · ≥ pr et p1 + p2 + · · · + pr = dim E. En remarquant que le transposé
de CX k est Jk , on voit qu’en inversant l’ordre de la base, on obtient la forme canonique
de Jordan diag(Jp1 , Jp2 , . . . , Jpr ).
Exemple 2.2.2 (Le passage dans les deux sens pour les cycliques). Inspirons-nous du
cadre des groupes abéliens finis. Un groupe de la forme
Z/pr11 Z × · · · × Z/prkk Z,
où les pi sont deux à deux distincts, est isomorphe à Z/nZ avec n = pr11 · · · prkk . De la
même façon, la matrice en forme de Jordan réduite
A = diag(λ1 Ir1 + Jr1 , . . . , λk Irk + Jrk ),
où les λi Qsont deux à deux distincts, est sembable à la matrice compagnon CP avec
P (T ) = i (T − λi )ri . En effet, χA (T ) = P (T ) = µA (T ), donc A est cyclique. En
tant que matrice cyclique, elle est semblable à matrice compagnon de son polynôme
caractéristique. Réciproquement, si on se donne CP la forme réduite de Jordan est
décrite ci-dessus.
Ces exemples nous aideront à formuler une stratégie générale.
(1) Supposons donnée une matrice A en forme réduite de Frobenius, qui admet un
polynôme annulateur scindé. Trouvons sa forme réduite de Jordan.
On a donc A = diag(CP1 , . . . , CPr ) avec Pr | · · · | P1 , et comme P1 = µA et
que A est supposé admettre un polynôme annulateur scindé, on en déduit que
µA est scindé, et du coup chaque Pi est scindé. Pour chaque bloc CPi on peut
appliquer l’exemple ci-dessus pour trouver une matrice sembable en forme réduite
de Jordan.
Disons que les facteurs de similitude de A sont P1 = X 2 (x−2)2 , P2 = X(X −2),
et P3 = X. Alors les blocs de Jordan seraient
J2 , 2I2 + J2 , J1 , 2I1 + J1 , J1 .
(Même si J1 = 0, on l’écrit ci-dessus pour clarté.)
(2) Supposons donnée une matrice A (admettant un polynôme annulateur scindé) en
forme réduite de Jordan. Posons λ1 , . . . , λr les valeurs propres. Pour chaque valeur
propre λi soit d1,i la taille du plus grand bloc de Jordan associé à λi . Formons la
matrice cyclique
diag(λ1 Id1,i + Jd1,i , . . . , λr Id1,r + Jd1,r ).
L’exemple ci-dessus montre que cette matrice est semblable à CP1 , où
Y
P1 (T ) = (T − λi )d1,i .
i

On continue avec d2,i , pour trouver P2 | P1 , etc.


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Disons que
A = diag(2I3 + J3 , 2I3 + J3 , I3 + J3 , I3 + J3 , I1 + J1 , J2 , J1 ).
Les valeurs propres sont donc 2, 1, 0 avec les blocs (3, 3), (3, 3, 1), (2, 1). Les inva-
riants de similitudes seraient donc
P1 (T ) = (T − 2)3 (T − 1)3 T 2 , P2 (T ) = (T − 2)3 (T − 1)3 T, P3 (T ) = T − 1.

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