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POÉSIES BACHIQUES D'ABŪ NUWĀS: THÈMES ET PERSONNAGES

Author(s): JAMEL BENCHEIKH


Source: Bulletin d'études orientales, T. 18 (1963-1964), pp. 7-84
Published by: Institut Francais du Proche-Orient
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41603270
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POÉSIES BACHIQUES D'ABU NUWAS
THÈMES ET PERSONNAGES
PAR

JAMEL BENCHEIKH
Agrégé de Langue et Littérature arabes

INTRODUCTION

Considéré même de son vivant (1) comme le plus grand poète de son temps, maître de
la jeune école poétique fortement annoncée par l'œuvre de Baššár b. Burd (2), Abù Nuwâs
doit à ses poèmes bachiques la part majeure de son renom. La légende populaire a consacré
ce fait. Elle s'est emparée du récit de ses aventures pour les multiplier et broder à l'envi
autour d'elles mille traits anecdotiques.

La célébrité de ces poèmes relève de causes diverses. La qualité de nombre d'entre eux
d'abord. Leur audace de s'être affranchis souvent des canons littéraires hérités de la jãhiliyya
que le Néo-classicisme des IXe et Xe siècles remettra à l'honneur. Le fait enfin qu'ils étaient
l'expression d'un certain milieu social et surtout d'une forme de civilisation. Car cette œuvre,
par-delà les règles de vie imposées par l'Islam, essaie de renouer avec les traditions millé-
naires de la civilisation persane.

En ce VIIIe siècle, la poésie bachique se détache définitivement des autres thèmes


poétiques de la littérature arabe et voit s'affirmer son indépendance. Abû Nuwâs en fixe les
tendances encore éparses. Il est aux Hamriyyãt ce que 'Umar b. Abï Rabï'a est au gazai et
en retire égale célébrité.

Mais il n'est pas le premier à s'être exercé sur ce thème. Avant l'Islam déjà, au hasard
du développement d'une qasïda , presque tous les poètes de langue arabe chantaient le vin.

Le pieux Labïd lui consacre cinq vers de sa Mu'allaqa (3), {Amr b. Kultüm le chante
en exergue de la sienne (4) et ses ivresses sont célèbres qu'il partageait avec le poète, orateur
et médecin Zuhayr b. Janâb al-Himyarï (5).

(1) Ibn Qutayba, Introduction au Livre de la établie.

poésie et des poètes , éd. -trad. Gaudefroy-Demombynes, (3) Az-Zawzanï, ,^JI olaJUl , 76, vers
52, note 48. 57 à 61.

(2) Nous ne consacrons aucune note aux poètes (4) Ibid., 82, 1 à 8.
très connus dont la bibliographie est abondamment (5) E.I., IV, 1307.

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8 JAMEL BENCHEIKH [2
'Antara traite aussi ce thème (1), Mais toute cette production ne relève pas du véritable
bachisme. Nous n'y glanons guère que des images, quelques procédés descriptifs, un voca-
bulaire qui sont à la base de la littérature bachique arabe. Il reviendra aux grands poètes
du vin de les mettre en valeur, de les élargir, de le préciser pour y insuffler une intention
et une pensée bachiques.

Cette évolution se dessine chez les poètes courtisans des Lahmides, vassaux des souve-
rains persans, dont la cour brillait à Hïra«

Tarafa vécut en ce haut lieu du faste une vie consacrée au plaisir. Les deux Muraqqiš,
l'ancien et le jeune, furent ses oncles et le dernier a chanté le vin (2). Le diwän de Tarafa
ne comprend que 657 vers mais sa Mu'allaqa (3) nous apprend que son amour du vin
l'a fait chasser de sa tribu. Sa philosophie de la vie offre bien des points communs avec celle
d'Abû Nuwãs et nous y trouvons de nombreux éléments d'un comportement libertin. Mais
à côté des thèmes érotico-bachiques, le contexte de sa production et la personnalité de ce
bédouin font qu'il ne relève pas vraiment d'une tradition bachique et qu'il traite du vin
comme un des éléments de la création poétique jâhilienne. Cette observation s'applique
aussi au poète 'Adï b. Zayd.

Ce noble chrétien de Hïra, avant de connaître les plus grands malheurs, avait consacré
une partie de sa production à chanter le vin. Il savait le persan et Reza Mazhari affirme
d'autre part qu'il servira «de modèle par l'intermédiaire d'autres poètes ou directement
aux chantres bachiques de la littérature persane » (4) . Ceci souligne le fait que la tradition
bachique s'amorce chez les poètes aux attaches solides avec le milieu persan.

Et c'est bien le cas d'al-Aťšá, panégyriste des princes de cette même cour de Hïra et
mêlé de près aux épisodes de sa vie politique. Il est en outre chrétien comme le sera al-Ahtal
et professait des opinions qadarites. Il les aurait justement reçues des * Ibâdï de Hïra ou bien,
d'après le Kitãbu-l- Agânï, des évêques de Najrän (5). Il s'est adonné au vin et c'est bien le
premier jâhilï> semble-t-il, qui l'ait chanté pour le plaisir et non par générosité ou pour la
gloire.

Abü Mihjan (6) sera le second. C'est un pur Arabe, converti à l'Islam mais plusieurs
fois châtié pour ivresse. Encore plus qu'al-A'sa c'est bien un poète bachique et une étude
méthodique de son œuvre reste indispensable. Parmi ses contemporains nombre de poètes
et des plus inattendus ont chanté le vin.

Ainsi Hassan b. Täbit qui a consacré sa jeunesse au plaisir et fréquenté aussi bien la
cour des Cassänides de Damas, clients de Byzance, que celle, encore, de Hïra. Mais les vers
consacrés au vin et aux chanteuses sont disséminés dans ses panégyriques et son tempérament
très souple lui fera choisir une autre voie.

(1) Zawzanï, 101, vers 37 à 40. sane jusqu'au XIIe siècle , thèse inédite Paris 1955,
(2) J. Fuck, ť Arabïya , 54, note 76. chap. VII, 77.
(3) Zawzanï, 40, vers 45 à 57. (5) Livre de la poésie , Int. 49, note 34.
(4) L'Inspiration bachique dans la Littérature per- (6) E.I. , I, 102.

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3] POÉSIES BACHIQUES D'ABÛ NUWXS 9
Nous citerons aussi Kaťb b. Zuhayr auteur fameux de Bãnat Su'âd où il compare la
saveur de la bouche de Su'âd à un vin coupé d'eau froide (1).

Mais l'Islam est là, et s'ils boivent toujours, les poètes répugnent à le dire. La poésie
elle-même passe d'ailleurs au second plan. Il faut attendre l'avènement des Umayyades (661)
pour qu'elle retrouve une place prépondérante. Une civilisation s'ébauche dans ce creuset
qu'est l'empire musulman naissant. Et cet air nouveau, les Arabes s'empressent de le respi-
rer. On veut jouir de tout et, ironie du sort, Médine plus que Damas est un lieu de plaisir.

Deux grands thèmes poétiques vont alors acquérir leur indépendance. Le gazai d'une
part et, sur ses traces, la hamriyya. Car il semble bien que le succès du premier ait ouvert
la porte au second genre. Lorsqu'on aura délimité le domaine de la création bachique dans
la littérature arabe, il sera extrêmement intéressant dé dégager les courants qui ont aidé
à son élaboration. Le plus puissant paraît être le gazai .

Parmi les maîtres de cette création d'inspiration bachique nous trouvons: al-Ahtal.
Il est remarquable qu'il ne plaçait au-dessus de lui justement que Tarafa et al-Acsã (2).
Il est chrétien et lui aussi originaire de Hïra. Certes, il est peu courant qu'il consacre au seul
vin toute une pièce. Mais ce thème apparaît dans de très nombreux poèmes de circonstance,
souvent d'une façon importante. Le dépouillement de son œuvre devrait être capital dans
l'étude de l'évolution du genre. A première vue il semble qu'il lui ait manqué seulement
d'en faire un tout indépendant. Mais c'est incontestablement un grand précurseur. Les
anecdotes sur son amour du vin se sont aussi multipliées. Il continue donc la tradition d'al-
A'sa et d'Abû Mihjan mais, plus qu'eux, il introduit des procédés originaux et surtout une
intention. C'est l'époque où Médine, écartée des affaires politiques, se livre aux plaisirs (3).
Le libertinage fait fureur et les poètes, tel al-Ahwas, par exemple, s'adonnent au vin mais
parlent surtout d'amour. Par contre al-Walïd b. Yazïd, calife umayyade, s'est probablement
inspiré des chansons à boire de cAdï b. Zayd dans son œuvre bachique. Beaucoup le consi-
dèrent comme le père spirituel d'Abû Nuwâs. Malheureusement, son œuvre a connu la
désaffection et même l'oubli grâce aux efforts des 'Abbasides au pouvoir.

Car nous arrivons à cette époque fastueuse de l'empire où le raffinement extrême de


la civilisation va donner aux poètes libertins une place de choix dans la littérature. Alors,
les traditions persanes ressurgissent, les formes nouvelles de vie influent sur la production
poétique, le développement considérable du chant et des formes populaires de la métrique
poussent la poésie vers des voies nouvelles.

Un Bassâr b. Burd, libre penseur, y précède Abù Nuwâs persan comme lui. Peu de ses
Hamriyyät nous sont parvenues et les thèmes bachiques sont épars dans ses pièces. En fait,
l'érotisme est maître chez lui et si les convives qu'il nous décrit avec leurs coupes sont ivres,
le poète se soucie surtout de l'esclave chanteuse. Il ne s'est pas encore dégagé du gazai . Le

(1) Sur ce thème amoureux, cf. Blachère, (2) Livre de la poésie, Int. 43, note 14.
Maqãmãt al-Hamadânï, trad. 122, note 16. (3) Livre de la poésie , Int. 52, note 48 sur al-'Aqïq.

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genre affirme déjà mieux son indépendance avec Muslim b. al-Walíd, «la victime de la
coupe pleine »• Il l'acquiert avec Abü Nuwãs.

Nous avons, pour situer ce dernier, cité très rapidement quelques-uns de ses prédéces-
seurs. Pour définir, le plus exactement possible, son originalité et dire en quoi sa création est
magistrale, il convient d'abord de recenser les thèmes qui apparaissent dans sa poésie
bachique. Il faudra, ensuite, faire l'inventaire de ceux de ses devanciers et, parmi eux, les
poètes mineurs. Car, si les chefs de file doivent occuper la première place, c'est souvent à
travers des œuvres moins glorieuses que se dessine l'évolution profonde d'un genre.

Lorsque nous connaîtrons les thèmes, les procédés, le vocabulaire de ses poèmes
bachiques, il restera à replacer cette « matière » dans son contexte littéraire pour une synthèse
et une confrontation fructueuses. Ceci permettra peut-être d'élucider un dernier point.

La thèse de R. Mazhari: L'inspiration bachique dans la littérature persane jusqu'au XIIe


siècle , nous a aidé, nous le noterons au hasard des thèmes étudiés, à percevoir l'importance
des résurgences de la civilisation persane dans l'œuvre d'Abu Nuwãs. Ces « mystères diony-
siaques... canton essentiel du mysticisme universel » (1) ont-ils inspiré les seuls poètes persans,
ou d'ascendance persane, mais de langue arabe, comme le laisse entendre l'auteur (2) ?
La littérature arabe n'a-t-elle pas produit d'œuvres originales qui ont puisé à leurs propres
sources? En d'autres termes, les formes de vie, de civilisation, de pensée arabes offrent-elles
à l'étude une tradition et une création bachiques propres?

Pour apporter une modeste contribution à cette vaste étude, nous nous proposons, pour
l'instant, de nous en tenir à la première partie de cette entreprise: en dehors de tout com-
mentaire d'ordre littéraire, et sans nous attacher aux similitudes que tel ou tel de ses vers
peut offrir avec tel autre d'un autre poète, nous nous bornerons ici à dépouiller et classer
les différents thèmes de l'œuvre bachique d'Abu Nuwãs.

** *

Nous avons utilisé pour notre étude l'édition publiée au Caire en 1953 par Ahmad
ťAbd al-Majid al-Cazâlï. Elle comprend 299 poèmes bachiques que nous avons numérotés
en chiffres romains. 247 sont groupés dans les pages 1 à 226. Les autres, donnés comme d'une
authenticité moins certaine, vont de la page 672 à la page 705. Nous n'en avons tenu compte
que lorsqu'ils sont portés aussi sur la petite édition populaire de Beyrouth, basée sur la re-
cension d'as-Sûlï, qui comprend 138 poèmes bachiques. Son texte est déparé par d'innom-
brables fautes scrupuleusement reprises à chaque tirage.
Celui du Caire utilise les deux principales recensions de l'œuvre: celle d'as-Sûlï et
celle, plus volumineuse, de Hamza-l-Isfahânï. L'édition d'Ahlwardt n'est pas mentionnée.

Si l'effort dans la correction du texte est certain, le commentaire des poèmes ne peut
satisfaire et leur classement semble purement arbitraire. Il ne nous est pas expliqué et ne

(1) Int. II. (2) Chap. VII, 68 à 79.

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paraît répondre à aucun critère. Certes, le traditionnel classement par rimes ne satisfait pas
plus. Mais à défaut d'une disposition chronologique ou thématique, ici impossible, on ne
voit guère pourquoi l'édition du Caire s'en est affranchi.

Nous donnerons, en index, un tableau de concordance comportant: le n° des poèmes


en chiffres romaines, le n° de la page en chiffres arabes ainsi que celui de la page correspon-
dante dans l'édition de Beyrouth.

Nous avons suivi pour l'étude des thèmes l'ordre qui nous paraît le plus logique:

lTe Partie: Préparation - Vieillissement - Crus - Ustensiles.

Le poète s'intéresse en effet à la préparation des différents vins qu'il boit: vin de raisin,
de datte, hydromel. Il la décrit longuement depuis la cueillette du fruit jusqu'au vieillesse-
ment en jarres dans les caves. Il nous donne des indications sur quelques régions vinicoles
de l'Iraq, ce qui pourrait permettre d'établir une petite carte des crus.

Ce vin vieillit dans des jarres, est conservé et vendu dans des amphores ou des outres.
On le sert aux convives dans des coupes, vases, cruchons de toutes sortes. C'est souvent au
début de ses poèmes que le poète nous en parle et, suivant un ordre chronologique qui nous
a paru le meilleur, nous plaçons leur description dans cette première partie.

2e Partie: Les thèmes descriptifs.

Le vin est servi. Un seul poème, voire un ou deux vers (1), traite souvent de plusieurs
thèmes à la fois. Nous avons choisi de les classer suivant l'ordre que suit, irrégulièrement
il est vrai, le poète lui-même:

Le plaisir de l'œil d'abord: Couleur, Éclat, Aspect; puis le Parfum; enfin le Goût et
les Effets.

3e Partie: Le vin, vierge et épousée - Le mélange de l'eau et du vin.

Le poète a déployé toute son imagination dans ces thèmes. Le premier est symbolique,
il reprend sous une forme très particulière de personnification du vin plusieurs des thèmes
rencontrés: mélange surtout, préparation, vieillissement, éclat, aspect.

4e Partie: Lieux de plaisirs et personnages.

Nous citerons les villes, quartiers, couvents et autres lieux où Abu Nuwäs allait boire
seul ou en compagnie. Cette compagnie nous en ferons connaissance, pour autant que l'au-
teur nous la décrive, dans le thème du commensal. Celui du Cabaretier, du Dihqãn et de la
Cabaretière nous conduira dans ce monde équivoque et pittoresque des tavernes.
Le personnage du Mignon et celui de la Femme relèvent souvent de la littérature

(1) Cf. CXI 2 - CXXVIII 4-5.

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érotique. Néanmoins, ils appartiennent à ce même monde et font partie de l'œuvre
bachique étudiée. Nous ne pouvons donc les omettre.

Nous couronnerons cette galerie de portraits par celui de l'auteur lui-même tel qu'il
nous apparaît dans ses poèmes, sans prétendre en aucune façon donner autre chose de lui
que quelques traits.

Chaque thème comprendra ses références en début de chapitre, avec le n° des poèmes
en chiffres romains et celui des vers en chiffres arabes. En outre le n° des poèmes est rappelé
en cours de texte.

Un index des appellations groupera les noms que l'auteur donne plus volontiers au
vin suivant le thème qu'il traite (1).

(1) Nous illustrons ici par trois vers cet enche- à notre classement CXXVIII - 3, 4, 5:
vêtrement des thèmes qu'affectionne le poète. Ils c» „¿»s »
montreront combien notre désir de dénombrer ces
thèmes a eu une réalisation difficile et excuseront, >> 1 WÎ-/* tf*** wîS- ¿1 *3 '¿Jjî û! &
peut-être, ce que Ton pourrait trouver d'arbitraire
«o&ô

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Première Partie

PRÉPARATION - VIEILLISSEMENT (1)


AGE

Nous suivons donc l'ordre normal des choses pour parler, successivement, de la prépa-
ration, du vieillissement, de l'âge du vin enfin, thème sur lequel le poète est revenu à plaisir.

LA PRÉPARATION.

Ce thème a ceci de particulier qu'un très petit nombre de poèmes le traite. Mais ils
lui sont alors, chose rare, presque intégralement consacrés.

Le vin de raisin.

Pour un bon vin, le raisin n'a pas été pressé à la main mais au pressoir, grappe contre
grappe et il vieillira dans des fûts sans avoir été souillé par la main des presseurs :
(XIII). On choisit pour la cueillette des fruits rouges et noirs semblables à des yeux : <3 **->■ .
Le jus coule dans des cuves-citernes : , où il est coupé de safran. On le garde hors
de toute atteinte pendant 50 ans jusqu'à l'extrême vieillesse : 9 pour le servir dans de
grandes cruches : vW" 5 en évitant de le remuer (LV).

Voici encore ces grappes semblables à des têtes d'Éthiopiens : oUU (CXXVIII).
Depuis le jour de la cueillette aucune main ne les a approchées, aucune fumée, aucun
feu ne les a fait souffrir. Leur jus : , coule au fond du pressoir tel un sang
pourpre : çjUll Il . Autour, un gardien:

j j Jlj £cJLP ^ J ¿
...«chauve, au rude caractère,
étranger qui s'affaire vêtu de haillons et d'un caleçon court» (CXXVIII).

(1) I 12 - X 8 9 - XIII 2 à 6 - XXIV 3 - - GLV 5 - CLVIII 5 - GLIX 2 - GLXI 3 -


XXXII 3 - XXXVI 6 à 21 - XXXIX 15 à 16 - GLXV 4- GLXVI 2 à 5- GLXXI V 2 - GLXXVI
XL 2 à 6 - XLI 8 à 10 - LV 2 à 8 - LVIII 8 - 3-4 - GLXXVI I 2 - CLXXVIII 7 - GLXXXV
LX 3-4 - LXVI 2-3 - LXVIII 6-7 - LXX 8-9 6 à 12 - CXGIII 4 - GXGVII 2 à 4 - GXGIX 6
- LXXV 4-7 - LXXX 7 - LXXXII 2 à 4 - - GGXVII 3-5 - GGXXVI 9 - GGXXVII entier
LXXXIX 5 - XGIV 1 - XGV 5 à 7 - XGVII 3 - GGXXXVII 5 - GGLII 2 - CCLXIII 3 -
- CI 3 à 6 - GV 2-3 - GXII 10 - GXVI 3 à 5 - GGXGI 4 à 7 - CCXCIII 1-2 - GCXGIV 7-8 -
CXXIII 2-4 - CXXVIII 5 à 8 - GXXXII 7 à 9 CCXCVIII 9.
GXLI 8àl7 - GXLV 3 - GXLVII 4 - CXLVIII 4

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14 JAMEL BENGHEIKH [8
Il faut pour un bon vin le pays des Banü-1-Ahrär, les Perses bien sûr, que Chosroès (1)
a parsemé de Dasãkir et que ne hante surtout nulle tribu arabe familière de la É Arfaga (2)
étique et du Hutbãn (2) : . Car le vignoble veut, pour donner un vin parfumé, la
fleur de grenadier : 5 la myrthe, la rose et le lis : (CXLI).

Le vin de dattes : (3).


Nous donnerons, exceptionnellement, la traduction de presque toute une qasïda entière-
ment consacrée à la fabrication de ce vin depuis le fruit jusqu'à la coupe. Poème très tra-
vaillé où passe le souffle d'une Muçallaqa tant par le style que par la manière et dont la netteté
du trait mérite d'être signalée. A côté de pièces courtes, passionnées, relâchées, s'affranchis-
sant si bien de toute règle voici au contraire un poème de composition digne de la Jãhiliya
(CCXXVII).
1. - Nous avons un vin qui n'est pas vin d'abeilles mais fruit de hauts palmiers

2. - Nobles dans le ciel, à la taille superbe, dont les fruits sont trop hauts pour les
mains qui les cueillent.

3. - Ils portent à leur faîte de jeunes chamelles (4) dont les pis répandent leur lait
sur la main des trayeuses,

4. - Parfaites, innombrables, on ne les voit jamais tarir les années stériles.

5. - Ils paissent au bord du Mudar et au cœur de Jawhà jusqu'aux rives d'al-Ubulla


et de l'Euphrate (5).

6. - Héritage des plus anciens de nos aïeux, Banü-1-Ahrär (6) à la noble geste

7. - qui nous protègent de leurs bienfaits et supportent les obligations (de leur dimma).

8. - Lorsque t'apparaît le Cancer (7) derrière les astres semblables aux vaches
sauvages pâturant,

9. - Apparaissent au sommet des arbres, parmi leur crinière, des pousses fleurissant,
pareilles à des paumes

(1) Il s'agit probablement de Chosroès II, Jawìià : bourgade des environs de Wâsit.
l'un des derniers rois Sasânides réputé pour son amour Al-Ubulla : canal et ville à 20 km de l'ancienne
du vin et le magnifique cérémonial de ses banquets. Baçra. Cf. sur la construction de ses remparts et la
Cf. sous art. E.I. légende qui l'entoure: ^.j^l * Jâ»bJI , éd. Pellat,
(2) Épineux. «Le domaine arabe produisait Index Noms Propres, p. 43... et art. de Kramers, in
[peu de vin] et de basse qualité, en dehors de Taïf... £./., III, 1036.
Les crus réputés sont à la périphérie. » Blaghère, Baçra moderne a été construite à proximité.
Hist. Litt . Ar., 28 et note 1 avec bibliographie. Tous ces lieux se trouvent dans la grande zone
(3) EJ. , III, 858. de palmeraies du Tigre et du Šatt al-ťArab.
(4) Il s'agit des régimes de dattes. (6) Il s'agit des Persans.
(5) Mudar : semble être une rivière entre Wâsit (7) Donc au début de l'été.
(cf. E.I., IV, 1188) et Basra (£./., I, 690 sq.).

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9] POÉSIES BACHIQUES d'ABÜ NUWÄS 15
10. - qui se déchirent et l'on croirait voir des perles en colliers harmonieux (1)

11. - Sous l'effet du temps qui sans cesse les entoure et de la course changeante des
vents fécondants.

12. - Elles prennent couleur d'émeraude et verdissent, ressemblant à des béliers


chargeant.

13. - Lorsque brilla Canope aux yeux du voyageur de la nuit, peu avant le matin,
à l'heure de l'aurore,

14. - Elles furent, dans leurs couleurs rouges et jaunes si pures, comme une apparition
de jacynthe (2).

15. - Alors, le dernier fruit mêla le rouge et le noir et j'envoyais les hommes les cueillir
avec leurs longs crochets.

16. - Les plus beaux fruits cueillis furent mis dans des jarres à taille d'homme, enduites
de goudron.

17. - Je dis: vite! et ils s'empressèrent de battre les fruits de leurs fouets tressés

18. - Dans la crinière prise au palmier nourricier.


19. - Le fouet fit naître dans le fruit un murmure semblable au cri furieux du cha-
meau mâle.

20. - Lorsqu'il fut dit que le vin était prêt, sur le point de cesser sa fermentation et de
convenir,

21. - Je lui tressais des turbans d'argile mouillée, bien faits et solides

22. - et le protégeais pour la nuit par crainte des atteintes de l'air.

23. - Alors il fut dit: il est à point et nous débarrassâmes de son turban un visage
éclatant.

L'hydromel (XXXVI).

Encore une seule mais belle qasïda qui nous emmène des ruches : , aux grandes
jarres d'hydromel. Ici volettent les ouvrières:

« paissant les fleurs des plaines et des vallées,


buvant à l'eau claire de étangs,
le nez camus, minces, troussées et agiles

-r ti*- * -r ~ ft
, r-~ • "
•'.¿n"* •» *.
les yeux profonds dans la tête... »

j'wLP ° Uy-L Jj õ ¿j! j jLLu-P jl ^


*' wU! ti OUbj-i 2 cJbjLjL* , 2fl
(1) Il décrit les spathes et les inflorescences en (2) Pierre précieuse de toutes les couleurs.
panicules ou spadices du palmier.

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16 JAMEL BENGHEIKH [10
Voici leur va-et-vient la nuit, des pâturages à la ruche, voici la reine, ses courtisans et
voici venu le jour de la récolte du miel des rayons : .

17. - On le transvase mêlé à l'eau du Nil dans un chaudron large, peu profond,
semblable à un puits,

18. - Jusqu'à ce que les ruwãd (1) aient enlevé l'écume et que le feu l'ait purifié.

19. - Ils le déposent dans de grandes jarres enduites de goudron, brunes, ternes et
poussiéreuses.

L'hydromel va s'y reposer sous le bouchon d'argile après avoir invectivé et grondé:
j UgJL*« 4~« ¿

LE VIEILLISSEMENT.

Le fruit est cueilli, pressé, le jus enjarre entreposé dans quelque sombre réduit: j J
¿ (CLXXIV). Il va rester là, bouillonnant, sans que la flamme l'atteigne. Sa fermen-
tation : jm , ressemble aux litanies que dit à voix basse un moine devant la croix (X).
Il se couvre d'une écume blanche : (XL) et vieillit loin des regards pendant
99 ans. A l'abri de l'atteinte du soleil comme de la rigueur du froid, il mûrit entre la myrthe
et le palmier, entouré des soins vigilants d'un préposé qui veut lui donner la richesse de
l'éternité (CLXXXV).
Parmi le narcisse et le poivrier, il séjourne mille mois sans feu dans des jarres qu'enve-
loppent bientôt poussière et toiles d'araignées (CXCVII). Le poète insiste: le vin ne doit
pas connaître le feu, la chaleur seule du soleil qui excite le simoun et qui est contenue en lui
suffit (CXLV - CI). Car il y a incompatibilité entre le feu et cette fille de la « nuit », le raisin
(CCXCIII), Majüsiyya que seule son aversion pour la flamme a séparé des siens (CXXXII).
Depuis le pressoir il n'a vu ni flamme ni lueur de lampe (LX) et les trépieds du chaudron
qui contient le jus restent blancs (2) : (CLXI). D'ailleurs le poète refuse avec
hauteur du vin cuit : (CXXIII).
Cette condition remplie, le hammãr ou le dihqãn se charge de faire vieillir la boisson
et de la purifier dans les jarres (CCXVII - CCLII). Elle va y séjourner de longues années
et perdre la moitié de sa virulence. Lorsqu'on fait sauter les bouchons d'argile, elle n'a plus
qu'un souffle de vie : j , toute proche de la mort. Le vin respirera alors et exhalera son
parfum (LXVIII). oli J^j¡' (CLXV), les jours ont passé sur lui tuant son
corps (matérialité) pour ne laisser que sa force vitale. C'est un esprit qui se dégage de sa
gangue et le buveur sentira vivre en lui cette âme pure et limpide (XXXII - LVIII), car
toute souillure : J-O , disparaît avec l'âge : (LXXV - XCIV - CXLVII). C'est
presque là déjà le langage que les poètes mystiques tiendront.
Le vin vieillit donc comme une vieille fille : C-.^Lp 9 enseveli dans un cercueil d'où
on l'extrait avec précaution (XXXIX). Étés et hivers se succèdent (CXCIX) sans que les

(1) Éléments précurseurs de la tribu. (2) De n'avoir pas rougi au feu.

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11] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÃS 17

¿„'
ans lui portent tort (CCLXII), au contraire le temps reçoit l'héritage de sa quintessence:
, et l'améliore (GCXGI).

Alors, ayant atteint l'âge de la décrépitude, ce précieux nectar qui pourrait nous conter
l'histoire des nations tellement il est vieux, va renaître le jour de la mise en perce, trouvant
dans son vieillissement les qualités mêmes de sa jeunesse (XL).

L'AGE DU VIN.

Ce vin si vieux que le temps garde son secret (I), qui « a têté à la mamelle des siècles »:
' j-a j (LXVI), et dont les aïeux du tavernier ne se souviennent plus de la
* * * ii'
fabrication (LXXX), le poète insiste à plaisir sur son âge immémorial. Il a été choisi :
, « alors que les étoiles étaient encore figées » (LXXV). Il a précédé la création d'Adam
lorsque: « rien n'existait hormis la terre et les cieux ». Il a vu le temps à son aube puis dans
sa vieillesse (XLI - LXXXII).

Plus vieux que la création, il est aussi contemporain de personnages bibliques :

Il fait partie des réserves : S jj->o 9 d'Adam, d'Ève et Noé (GCXGI V - CCXCVIII).
Il a vieilli dans le giron de ce dernier (CLV) et se trouvait sur son arche pendant le déluge:
ùQjk (GXLI). Cette vierge et vieille Femme : jy*-* (1), qui a grisonné et vieilli:
*1. b « A , a même été témoin des siècles avant Noé (CLXXVIII). Il a été mis enjarre
sous" Saül (XXXIX).

Il a vécu aussi les âges de l'histoire: les plus jeunes de ses pères sont Chosroès et Sâbur;
depuis, le temps l'a enveloppé de ses jours et le Destin s'est aveuglé pour le laisser vieillir et
se purifier (XIII). Il est passé alors, héritage précieux, de père en fils (LXX). Ce vin de
Babylone né des vignes de Chosroès (LX - CXVI) a eu son raisin cueilli sous César (CXII).
Il a été glorifié par les Satrapes : vbj-4 (XLI) et ne peut dire combien il compte de
pèlerinages car, témoin des Tamüd, il a assisté à l'avènement de cAmr b. 'Ãmir fondateur
de la dynastie gassanide (CCXXVI).

Au fil des siècles, le temps a passé sur les ruines des villes disparues alors que cette vierge:
, s'est purifiée dans ses jarres tirant profit de la lumière du soleil et de la fraîcheur de
l'ombre (CV). Et voici maintenant: «présentées au buveur une coupe de vin vieux, une

* jJi ! ¿j I JLA ^ ^ J
autre de vin plus jeune l'un chamelon sevré, l'autre mâle adulte» (CXVI) :

' * " 5- ^Oj-mS


{J»ÍJ ^ o. ^O5 «■
J-A0.¿o-
5 ^o.9 °3^ *
Signalons enfin que le poète utilise des appellations propres à ce thème par exemple;

que nous retrouverons dans l'index des appellations.

(1) Cette double qualification par deux subs- fougue d'une vierge. Il y allie la maturité que lui
tantifs sert à désigner deux qualités essentielles du lèguent de nombreuses années.
vin: il a la pureté préservée de tout contact et la

B.E.O. - 2

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18 JAMEL BENGHEIKH [12
LES GRUS

Abü Nuwãs, nous le verrons, ne nous renseigne pas sur la qualité et les caractéristiques
des vins de l'époque. Mais il indique parfois leur origine, ce qui pourrait nous permettre
d'établir une petite carte géographique des crus.

Longeons d'abord les vignobles des riches rives de l'Euphrate.

Vins de cÃna (1) : ÃJLp .

Sur la rive droite, 'Ãna ou cÄnät était une halte pour les caravanes se dirigeant vers la
Syrie du Nord. « Elle était connue des voyageurs pour sa prospérité, ses vergers et ses palme-
raies fertiles, et la renommée de ses crus» (2).

Vins de Hït (3) : .


A 148 km au sud-est de 'Ana, elle aussi sur la route d'Alep, Hït fut célèbre au Moyen-
Age pour ses fruits, son blé et ses vins dont les fûts étaient transportés par voie fluviale à
Bagdad. Les pressoirs y étaient nombreux. Ón y formait aussi des musiciens réputés.

Vins d'al-Anbär (4) : .


Elle était sise dans une plaine fertile, à 63 km à l'ouest de Bagdad, sur la rive gauche
et à proximité du canal 'Isa. Elle fut capitale des Abbasides jusqu'en 762. Ses ruines sont
proches de l'actuelle al-Fallüja. Ses vignobles s'étendaient dans la plaine bordée par une
boucle du fleuve et sur les coteaux intérieurs.

Vins de Bäbil (5) : J-A .


Bâbiliyya est donné trois fois dans l'index des appellations et nous trouvons: ¿r» ,
en CXGIX 4. Ce nom s'applique d'ailleurs plus à la région que traverse la route Bagdâd-
Hilla, bordée par certaines boucles hautes de l'Euphrate, qu'au petit village qui survécut
un temps aux ruines de Babylone.

Vins de Hïra (6) : SjJ- 1 .

La glorieuse capitale des La^mides, toujours sur la rive droite, à 6 km au sud de Kûfa
et au sud-est de l'actuelle Najaf, faisait suite à cette file d'oasis, de plateaux, de plaines
ou de coteaux irrigués au milieu desquels le fleuve déroulait ses boucles.

Descendons maintenant le cours du Tigre.

(1) LXXVIII 6. CXXXVIII 3. GLXXIX 8. E.I. , II, 342.


GLXXXVII 9. GGXGIV 4. (4) LXXVI 4. - E.I., I, 352.
(2) E.I. , I, 349. (5) E.I. , I, 559.
(3) LXXVI 4. CLXXIX 8. GLXXXVII 9... (6) GXXX 10.

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13] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÃS 19
Vins de Takrït (1) : .
Sur la rive droite, au nord de Samarra, c'était un centre chrétien, bourgade de culti-
vateurs sédentaires ou semi-sédentaires sur la route de Mossoul. On y entretenait vergers
et vignobles le long du fleuve et sur les premières collines des contreforts avancés du Zagros.

Vins de Karhî : .
Karhiyya est parfois utilisé comme appellation (cf. 7 références en index). Al-Karh (2)
était le quartier occidental de Bagdad. Très actif centre commercial et artisanal, al-Mansur
y installa les marchés de la Ville Ronde vers 773. De riches jardins s'étendaient, au sud, sur
les vallonnements qui bordaient la ville et rejoignaient le Tigre. Le poète ne nous précise pas
si le vin était effectivement préparé à al-Karh ou s'il s'y vendait seulement. Cela semble plus
probable et nous retrouvons ce quartier parmi les lieux de plaisir fréquentés par Abü Nuwäs.

Autres crus.

Comparant les vignobles à un troupeau de chameaux, il écrit (CXIII, 4) :

cjlJ o ¿¿s
Qatrabbul produisait du vin (CXLII 2) mais était surtout une ville célèbre pour les
plaisirs qui s'y prenaient, nous la retrouverons avec al-Karh dans un autre thème (cf. Lieux
de plaisir).

As-Sälihiyya désigne deux agglomérations en Syrie, une au Liban, plusieurs en Égypte.


Il semble cependant qu'il s'agisse ici d'un camp des faubourgs est de Bagdad.

Al-'Aqr est, peut-être, l'actuelle ťAqra, ville et province du liwď de Mossoul sur le
Tigre. Mais ce nom était porté aussi à l'époque par un petit village des environ de Kusa
sur l'Euphrate.

Sarsar (3) est le nom d'un village, dédoublé en deux parties haute et basse, des environs
de Bagdad, que traversait le canal 'Isa. A deux parasanges de la capitale, la grande route
du pèlerinage y passait, l'animant de ses caravanes.

Il est d'autre part certain, en effet, que tous ces vignobles étaient un legs de la civili-
sation iranienne (4).

Nous trouvons encore un vin d'as-Sïb (LXXVIII 6) qui est une petite rivière passant
à al-Basra et se jetant dans le « šatt al-arab ». Un village d'agriculteurs portait le même nom.

Nous finirons avec un vin vieux : aJLjlp y longtemps cloîtré dans les églises de Dãbiq (5)

(1) XXXIX 4. note 3, cite un passage d'un article de J. Auboyer sur


(2) E.I., article Bagdãd I, 574, E.I., IV, 663. l'expansion de la viticulture dans la province syrienne
Art. al-Karh, II, 808. de l'empire persan.
(3) Yäqüt, Buldãn , III, 350. (5) E.I., I, 907.
(4) La thèse de R. Mazhari, chap. VI, 64,

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20 JAMEL BENCHEIKH [14
(GCXXXVII 5), village du nord de la Syrie, à l'ouest d'Alep entre Manbij et Antãkiyã,
dans les marais de la petite rivière Quwayq. Les monastères, où le poète allait si souvent
boire (1), fabriquaient du vin. Malheureusement, nous n'avons aucune précision dans son
œuvre à ce sujet. Un poème de l'édition de Beyrouth nous parle du vin que préparaient
les Juifs à Sûr (Tyr, p. 121) (2). Car, étant donné l'interdiction coranique, on chargeait le
plus souvent chrétiens et Juifs des soins du pressoir et de la mise en fût (CXXXII 8) :

Q,jÇJl (S JÛCJl '¿-.Ci i/jJlJI 'CjLI. vC^ÍI

(1) Cf. thème des noms de lieux de plaisir. (2) Sur ce très riche port commercial, situé sur
une île en face d'une côte fertile, cf. E.I.y IV, 584.

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15] POÉSIES BACHIQUES D'ABI! NUWÃS 21

LES USTENSILES (1)

Aiguières, coupes, verres et autres vases, jarres de toutes tailles, outres, Abu Nuwãs a
décrit les ustensiles utilisés pour servir ou conserver le vin. Nous recueillons ainsi des éléments
qui peuvent être utiles. Et lorsque les notations sont trop fragmentaires ou imprécises pour
fournir une documentation réelle, l'intérêt littéraire demeure. Car le poète se borne souvent
à des citations ou bien utilise de fort belles métaphores d'ordre général. Les descriptions
précises et presque techniques sur la matière, le travail, la forme sont plus rares. Nous
retrouvons ici la large influence de la civilisation persane sur le mode de vie abbasside.
Il est évident encore une fois que, pour discerner les attaches profondes de l'œuvre d'Abü
Nuwãs, la connaissance du fond persan qui lui est sous-jacente est indispensable.

»» O } - • } #
L'aiguière.

L'échanson sert d'ordinaire le vin dans l'aiguière : ôij-iï (LV - LXI - LXXXI),
tantôt dressé : i-wa-s-.-« , s'il est rempli, tantôt couché comme un chameau : <S , s'il #
est vide (XXVlf).
Il y a d'ailleurs ici un sens érotique précis. Cette aiguière ressemble lorsqu'on l'incline
sur le verre à «un vieillard marmottant et suffoquant»: O j-* (LV), ou
encore à « un faon posté sur une hauteur » (XCIV) :
LÖJLÄJI (ja JÚUI <3 (JP IJÛL jj>' ùtlS"
Nous retrouvons là le chasseur, car, devant une approche, la gazelle, effectivement,
allonge et baisse le cou pour se redresser brusquement et s'enfuir.

Le long bec de l'aiguière ressemble au cou de la grue : ^ , qui suit les évolutions
du faucon (CXXXVIII). Ces comparaisons, remarquables d'exactitude, ont déjà été
employées avant Abü Nuwãs (2). «Les aiguières et autres vases... affectaient... souvent la
forme d'animaux comme les aquamaniles andalous» (3) et sont d'époque sassanide.
Malheureusement, le poète ne nous donne pas de détails plus précis à ce sujet. La compa-
raison avec une gazelle et des grues se retrouve en CXCVII, 9 et 10.

Voici des aiguières à couvercle et filtre : ¿»t-* , se prosternant devant les verres
(CLXXIX), et une autre dont:
« le roucoulement verseur ressemble au chant des flûtes

tlil-i j] • J-® J-® ûtjS"


ou aux balbutiements d'un bègue» (CGXCIV).

(1) III 16. 19 à 24. XXVI 1-2. XXVII 4. CXLVIII 4, 5. CLIII 4. CLVIII 5, 6. CLXV 6, 7.
XXXII 6-7. XXXIV 1. XXXVIII 6-8. XLIII 2. CLXVI 4, 5. CLXVIII 10. CLXXII 1 à 4. CLXXIX
LI 8. LV 2, 4, 5, 7, 13, 14. LVIII 3-4. LX 3. LXI 4. 5, 6, 16, 17. CLXXXIV 6, 10. CXCV 2. CXCIX
LXVI 8-9. LXXIX 7 à 9. LXXXI 5-10. XCII 5. 5, 7. CC 7. CCVIII 10. CCXXXIV 2. CCXXXVI 2
XCIII 5-6. XCIV 2. CX 5. CXI 7-10. CXV 1, 2, 3. 4 à 6, 10. CCXCIV 5. CCXCVIII 8.
CXXI 2. CXXXI 10. CXXXIII 3. CXXXV 4. (2) Ed. Caire, p. 123, note 5.
CXXXVIII 5. CXLIII 5. CXLV 8, 9, 12 à 15. (3) G. Marçais, L'art de l'Islam, 42.

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22 JAMEL BENCHEIKH [16
La matière ne nous est précisée que rarement: aiguières de verre : (LX), ou
d'argent: ¿^*3 , (GXGVII 8).

Coupes, Verres, Vases a boire.


La coupe ou le verre : , est très souvent cité (CLXV-CLXXXIV-CCXXXVI
par ex.) et devient simple synonyme de vin (CXV). On boit dans un (LV - LXI)
qui est une coupe, grande ou petite, ou un gobelet. Coupe ou vase, le (CXXI) désigne
aussi un vin couleur de safran. Le ou est un vase à boire peu profond
(CCXXXIV). On se sert encore du qui est un gobelet et du coupe en verre
ou en métal (XXVI; XLVI,3; CCXV, 4) (1).
Lorsque la jarre a été percée, ou mis en perce son bouchon d'argile, le vin circule dans
des coupes d'or et d'argent : ^ 3 , dont le métal se confond avec la couleur dorée
du vin. Elles sont polies et lisses : 9 ou gravées d'images de prêtres lisant l'évangile de-
vant la croix. Le vin leur fait un ciel dont les étoiles, brillantes comme des perles, sont les
bulles d'eau (III).
Autre description célèbre, celle d'une coupe d'or fin : õ , qu'un graveur persan
a ornée de motifs : xjwaJ , sur le fond Chosroès et, sur les flancs, des vaches sauvages pour-

3-jû" 4-j
o " (j"29-1^11 IjwpLp jl
suivies par des Persans armés d'arcs (XXXVIII) :

0 " "* s 0 * o y
C^j SJ 0 C$J (jj o C^Jjlj-5
AwsILp o ji ¿ L« j AwsILP Ojj C «
pour dire que le vin affleure à la poitrine des chasseurs et l'eau à leurs bonnets, ce qui est
plus joli qu'exact.
Voici un verre gravé : S ^CS" , enrichi sur le fond et les parois d'un décor, pro-
bablement émaillé, de motifs persans: Chosroès est représenté à cheval sur le fond de ce
vase appelé aussi : jJ* . Son armée immense : 5 lui arrive à hauteur d'étrier. Les
soldats sont vêtus de tuniques courtes : , et portent la masse d'armes : S 'sJLc-' (LXXIX).
Dans la demeure de l'échanson circulent des « vases de topaze façonnés au tour sous
la surveillance de Chosroès », et le vin, rougissant les doigts qui tiennent le verre, les fait
ressembler à « des Indiens... penchés sur leur monture (CLIII) :

"a - - ^ - - Q-îûi 'Sý>- jjlai jGrj "S'y ...


Ce sont, maintenant, des gobelets : (CLXXII), en or ou en argent : ,

}(J -U->- ^. o¿Lu ^pLp


gravés de motifs et représentant des Sassanides (2) (CLXXII) :

O jjkj (J <woLl5 jj» (y^0 if-


»" •.* •*» * * w® 0 j5
« ...pareils à des légions qui sombrent sous les flots» (CLXXII).

(1) Sur la «Royale coupe de Jãm», cf. la 244 et 250.


thèse de Mazhari, chap. IV, 35 et 38, et chap. XVIII (2) Banï Bäbak, E.I., I, 867.

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17] POÉSIES BACHIQUES d'ABU NUWÄS 23
C'est bien constamment des traces de la civilisation iranienne que nous retrouvons
en ces objets d'art qui ont rehaussé les fastes de l'empire abbässide.

Ce ne sont plus des descriptions aussi précises que nous rencontrons maintenant, mais
des métaphores littéraires.

Les verres apparaissent comme des étoiles dont les mains des buveurs sont les stations :
• Elles filent aux mains de l'échanson et disparaissent dès le vin bu (XXXII). Ce
sont des astres gravitant autour d'outrés de cuir (CC).

Ailleurs, cette coupe se plaint à l'aiguière du trop long sommeil des convives (XLIII).
Là « les verres ressemblent à de blanches épousées que le vin revêt de pourpre » (CXI) :
> o y i* ° f 0 * m " ® *" 0 "'" * " '" 0 " ♦ #ti " '" ^ ti *"• t "s*

Au cours d'une course de chevaux organisée par al-Amïn, le poète organise, lui, une

c-i jjr i j oi a "


course de plaisir: (CCXXXVI).

oliO ^Xp 0 3
Jarres, Cruches, Outres et Fioles.
> ,0.. 0 > . r - o - *2. - - tf-. ® - • -
jt-j-ijj ^làj' <£jjJ r j 0 j J
(CXLV). o Jj C-ÕCJI ou ^ olí jl- *
Ces Abyssins et ces Byzantins sont des outres noires et des jarres rouges qu'Abù Nuwâs
décrit ainsi dans l'antre d'un cabaretier. Toutes sortes de jarres trouvent place dans ses
poèmes, simplement citées ou décrites :

Le dann : ù , est une jarre ventrue, basse, à col étroit, dont le bas est arrondi ou en
forme d'ovale ce qui oblige à creuser une cavité dans le sol pour la faire tenir debout (LV
par ex.). Cette jarre a «deux cuirasses» (XXXIV): une de goudron: jû , l'autre,
d'argile : ùj-k . Le goudron servait à obtenir une meilleure fermentation et à garder la
fraîcheur du vin. Une fois le jus de raisin versé, on bouchait l'orifice avec de l'argile et le
vin y vieillissait comme dans des fûts (LXVI - CXLV).

La hãbiya : > à huile ou à vin, est de forme plus élancée. Elle a un large goulot,
des flancs légèrement renflés, un fond rétréci et plat qui lui permet de se tenir droite (CX -
CCVIII).

Le räqüd : , est une jarre à col évasé, munie de fausses anses faisant corps
(CCXCVIII). Enduite aussi de goudrons à l'intérieur, elle peut être plus grande que 1 g dann
et sert à conserver le vin ou l'hydromel (XXXV l). Le terme désigne aussi un vase à servir
ou une coupe.

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24 JAMEL BENCHEIKH [18
La jarra: 9 toujours en terre cuite, est munie de deux anses et d'un large col. On
en trouve de tailles différentes.

A côté de cette batterie de jarres nous avons les cruches: la bätiya: 5 presque aussi
haute, avec des anses (CXXXIII - CXCV) ; le habb : v*" > est plus petit mais désigne aussi
une jarre. Le habãb : , est un porte-jarre fait de quatre bâtons ou roseaux formant

^ ». >
brancard.

Le dawraq : <Jjj * , ou duräq : <j'> ». * , est un vase en terre à goulot long et étroit
(LI - CXXXI - CXLV) . Le ziqq : ó j , est une outre à poil coupé ras contenant le vin
prêt à être servi ou vendu.

Enfin nous trouvons les hiyãd ( ahwäd ) : , qui sont des cuves ou des fûts où
vieillit le vin (LV) alors que le mirjäl: J £>■ j** , est un grand chaudron.

C'est le dann qu'Abü Nuwäs décrit le plus volontiers. Dans une taverne tenue par un
Juif (LXVI) :

" " " > * ~ y"


¿1 OLeJLx-^ Ol JLCmw« ji

"*rpi- 'jjJ.
"a-
Les jarres, appuyées contre la tonnelle, sont marquées à l'encre pour distinguer les

y * i" " 0 " * *" "• • "


crus et leur âge. La blessure de la mise en perce ressemble à l'ouverture d'un sac à provision.
Car on ne débouchait pas ces jarres, on les perçait à l'aide d'un bizäl : Jl>. , ou mibzal (I) :
J y i" La et le vin • coule, tel une veine sur « sa poitrine », en un filet tressé
comme un bracelet de pied : (CLVIII) à cause des rugosités de l'argile. L'expres-
sion : ûs j-a>- çoj , est courante pour: trancher, percer sa taille (CXLVIII - CGXXXVI),
ou encore: 9 pour cette «fille de cabaret» qu'il a choisie (III). Cette der-
nière appellation de la jarre se retrouve en LV : S ï Cuu ° .

Voici encore un dann: SjCl* JJl3"


«Semblable à la bosse d'un chameau de bonne race» (XCII).

La vendeuse de vin a de vieilles jarres, aux marques effacées comme des ruines, qu'enve-
loppent des toiles d'araignées (CXLV). Cet autre vin est soutiré de profondes jarres d'argile
cuite aux parois intérieures enduites de goudron (CLXVI) :

jli~.uIÄ

O®*XmJ
"♦ * • * *
ç"-rt
wLî° o,-
S J-*-*®
o. fio,-- - ß
jL>0 ÜLuj üy AJUUau "-rt jJL>JI
Nous ne savons pas bien quel est cet ustensile « couvert de poussière, le dos enveloppé,
ceint d'une couronne, aux vêtements poudreux» que le poète décrit dans ce joli vers

^ J ' jJL}' 0 «-L ^


(CXI) :

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19] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 25

"-&
C'est probablement une fiole : î-xxi (CGVIII) dont il ne nous parle qu'une autre fois
(CLXVIII) : ... ùGÏ (CLXVIII).
«flacons au goulot cerclé d'un fil de cuivre formant bracelet».

Voici enfin les outres. Celles du poète précèdent toutes les autres dans la course au
meilleur vin chez le tavernier (LVIII). L'outre ressemble à un nègre;, fils de Hâm, aux avant-
bras dressés (XXVI). Enduite aussi de goudron, ses pieds sont semblables à «des mains
coupées sans espoir de talion » (XCIII) :

-•-s
CS" j ¿ T* jj V 'kjJiaJk.A wL- -¿I 4-P jS"'
*x„
Cette image est contenue dans le terme : , qui désigne l'outre, car la peau de
l'animal, lorsqu'elle est pleine et tendue, fait se dresser les pattes qu'on lui laisse
(CLXXIX) :
- - m +> - • > m *-
L*>» ó

oGÛ C* (S CÁXj
"O G"Cp&¿j-^3" {j^»
--
Et encore:

j-4 Jaii s jj 4

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Deuxième Partie

LIMPIDITÉ ET COULEUR (1)

Ce thème n'est traité que dans des hémistiches épars. Les procédés descriptifs sont assez
limités. Abü Nuwãs se contente, la plupart du temps, d'une énumération d'adjectifs tels
que: , *1 ¿j**? , qui ont pris valeur d'appellation sans notation précise. Il est
rare que le poète nous décrive la chaleur d'un ton, le chatoiement d'une teinte ou le jeu
de couleurs. D'autre part, les comparaisons sont toujours rapides.

Mais quelle que soit sa couleur, le vin est toujours pur et limpide. Aussi commencerons-
nous par ce thème.

La limpidité du vin.

ÃliU > ¿LaJI (XXXVI - CLXVI) c'est une des comparaisons favorites du
poète. Le vin est clair aussi comme une larme versée par un œil sans kuhl : (CLXXXI -
CCLXXXV - CCXCIII). Dans le premier de ces poèmes, il consacre trois vers à la descrip-
tion d'une larme suspendue entre les cils d'une belle femme.

Le vin est aussi limpide que la cornaline : ¿-5-* (CLXC - CCL), pur qu'un parfum
d'aromates : (éd. Beyrouth, p. 183), transparent que les rayons du soleil:
(CXXX). Et nous en arrivons aux notations de couleur, qui sont plus nombreuses.

La couleur.

Un seul adjectif est parfois employé: nous avons noté plusieurs d'entre eux qui ont pris
valeur d'appellation dans l'index dressé in fine à cet effet. Le vin est jaune doré : 5
rouge: - . Il est couleur d'or: (CCXXXVII) ou d'huile et d'or : ÃJôj (LXIII).
Du blanc peut aussi se mêler à sa couleur, lors du mélange par exemple. Il est alors
«grisonnant» : (CCLXXVI).
A chacune de ces couleurs se rattachent quelques comparaisons où la notation descrip-
tive se précise. Le vin est jaune comme des rayons de soleil (LXXXI). Il a la couleur

(1) III 22. XIX 3. XX 4. XXXI V 3. XXXVI 3. CLXXXI 4-6-7-8. CXCIII 2. CCI 4. CCIII 8.
2-3. LV 9. LVIII 7. LXIII 11. LXXXI 3. LXXXIX CCVII 4 CCIX 9 CCXVI 1 CCXVII 3 - 5
9. LXXXVIII 2. XCIV 1. XGVII 5. CXII 2. CXXI CCXXXV 8. CCXXXVII 7. CCXLVI 2. CCL 1.
2. CXXX 10. CXLVI 6-7. GXLVII 5. CXLVIII 5. CCLII 3. CCLX 5. CCLXXVI 3-8. CCLXXXI 8.
CLIX 4. CLXI 3. CLXV 4-6. CLXVIII 9. CLXXIV CCLXXXV 3. CCXCIII 11.

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21] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 27
des manteaux de femme couleur de safran : 1 (CXII), celle d'un miel doré :
(CLIX), d'un lingot d'or (CLXXXI), ou du wars ( 1) pressé (CCXXXV).
*'j?- (CCLXXXI) ou: CyÛCT (CCXVI), qui semble saigner sur la main, le vin
rouge est très souvent comparé au sang.

Il coule de la jarre comme ruisselle le sang d'une veine jugulaire tranchée (XXXIX).

• 9 Ý * *"• "
C'est du sang: j (LV), semblable à celui d'un faon égorgé : ù (CXLVI - CCIII),
ou à celui plus noir des entrailles: (CXLVII - CLXV). Ailleurs il surgit de
l'outre comme «une langue dont la salive serait du sang qui s'écoule»:

jXp oCäJ ùt3" (CXLVIII) ou s'écoule pareil à une saignée: ¿Caí (CLXVIII).
^ e t.
Parfois encore le vin s'habille d'une chemise noire : ¿p ^ a (CCLII) ou se pare
de la pourpre d'un œil de coq: J CajJLo ¿L o!l (CXCIII).
Mais on en trouve aussi d'une teinte si fine qu'elle en devient invisible (LVIII) ou de
la blancheur d'une lame de sabre (LV) pour prendre enfin dans la coupe toutes les couleurs
de l'arc en ciel: ¿J-i jïyi (CXXI).
Le reflet de cette couleur nous est décrit aussi et, parlant d'un sãqi , A. Nuwâs nous dit
(LXXXIX) :
Ol J
« Le teint de l'échanson prend au vin de son feu
Et leurs feux se joignant sur sa joue se confondent ».

Lorsqu'elle brille dans le verre la liqueur teint de henné les doigts du buveur (XGVII -
CCI) et la chaleur de sa couleur rend pâle l'échanson par comparaison (CCLX).
Le vin, recevant la lumière, s'éclaire et son rouge, lorsqu'il brille, prend des teintes de
jaune (CCXLVI). Ce genre de notations, très recherchées et dignes de l'œil d'un peintre,
sont, il est vrai, assez rares.

Enfin le mélange introduit des variations de couleur et le vin doré devient blanc ou
prend des tons de bleu au contact de l'eau (XIX - XXXVI) :

0} 'Q9Jj cJJÎJJ u

Le vin semble alors comme « une mer d'or fondu trouée d'yeux de poissons » qui sont

jllJ-l A JLU ùfc" j


les bulles nageant en surface (CCVIII) :

(1) ^ jj « Memecylon Tinctorium »: Plante tinctoriale, teint en jaune.

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28 JAMEL BENGHEIKH [22
L'ÉCLAT (1)

Éclat et luminosité du vin constituent l'un des thèmes majeurs de l'œuvre bachique
d'Abù Nuwãs. Moins d'une centaine de vers mais répartis en de nombreux poèmes lui sont
consacrés. Le procédé descriptif le plus courant ici est la métaphore. Car, contrairement
à ce que nous trouvons dans le thème de la couleur par exemple, la notation se réduisant
à un adjectif est rare {musa* ša6 a, XCIV). Nous pouvons classer les métaphores utilisées,
ou créées peut-être par le poète, sous quatre grandes rubriques.

Le vin est un feu.

fxfù Jj. tXDl X-j jûll C|itjT (LXXXI).


Hémistiche dont un vers d'Appolinaire est presque l'exacte traduction:

«Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme» (2).

Ce vin est semblable à un feu (CXCII), il brûle dans l'air (LV) et prend la couleur
rouge de la flamme (CCLXII). Dès la mise en perce il apparaît tel une langue de feu
(«J+3, HI) surgie d'un briquet (CLXVIII). Mr ou qabas (CXLVII - CCLII) qui brille
doucement (CLXXVI), il projette des étincelles: « J jJ » (CI - CXLVII - CCL -
CCIII), semblables à une pluie d'étoiles filantes lancées par les Anges contre les démons
lapidés (XXXIX). Mais nous touchons là au thème du mélange dont l'importance est
telle que nous consacrerons un paragraphe spécial à l'éclat qu'il fait naître.

Il a l'éclat de tisons ardents: (CLXIV) et:


« telle est la lumière de ses rayons que le buveur,
semble boire dans la nuit aux lueurs d'un brasier» (CXVIII).
jCjla Cl- ¿ Jlílb C C¿jCi Vür'j
Car, comme le feu, le vin illumine les lieux : il répand sa lumière : dans la
chambre (CCXCV) et éclaire même la nuit la plus sombre (LVIII - LXXX - CI - CCXCV).

Il apparaît dans les coupes comme un flambeau : g} j (CLXXVII), tient lieu de


lampe : (I) que les buveurs portent à leurs lèvres (CCLXVIII). Le poète écrit tout
un quatrain (XLV) où une caravane perdue retrouve son chemin grâce à l'éclat de ce vin
que sont en train de boire de joyeux compagnons (3) :

Ç jli * IaIjC«*
(1) I 7-15. III 19. V 7. VIII 5. XXII 3-4-5. CLXVIII 6. CLXXVI 5. CLXXVII 1. CLXXXIV
XXIV 3. XXXVI 22-23. XXXIX 12-13-14. XLV 4-5. CXCI 4. CXCII 1. CCIII 9-10-11. CCV 3.
les 4 vers. LV 12-13-15. LVIII 5. LXV 7. LXVI 10. CCXVII 3. CCXXXIV 1. CCXXXV 5. CCL 1.
LXXII 7. LXXVI 5-6. LXXIX 4-5. LXXX 9. CCLII 4. CCLX 3-6. CCLXII 2. CCLXVIII 4.
LXXXI 2. LXXXIX 1 -6. CI 5-6. GX 2-4. CXVIII 5. CCXCI 9-10-11. CCXCIV 2. CCXCV 5.
GXIX 2. CXXVIII 12. CXXX 10. GXXXII 10- (2) Nuits de Rhénanie,
12-19. CXXXIII 3. CXLVII 3. CLVIII 7. CLXI 5. (3) Même image en CLXVI 12.
CLXIV 4. CLXV 5. CLXVI 10. CLXVII 1-2-3.

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23] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 29
Le poète personnifie même le vin dont la lueur jalouse n'a de cesse que les convives
ordonnent d'éteindre la lampe qui l'effraie.

Le vin est un astre.

Feu, flamme, flambeau le vin est souvent comparé à un astre et le poète puise ses mé-
taphores dans tout le système planétaire et les signes du zodiaque (LXXVI) :

> " O», * », , Ä - -•«,-* « o " »,| * " >" 0 f


jiL*Jl " O», J W.AJ », , - J -•«,-* L« 1 ì| « J o J-jJl " »,| Sjl " >" ¿ 0 j' f

c'est d'abord un soleil (GLXI) qui annonce le matin. Il est le matin lui-même: (I).
Lors de la visite au harem d'un hammãr , Abû Nuwäs affirme avoir été guidé par « le matin
apparaissant entre les maisons» et ce matin n'est autre que la lumière du vin (LXXIX). Il
nous décrit un hydromel: La wL*LJ ^ J
qui, touché par l'eau, apparaît comme un feu brûlant dans un fourré de roseaux (XXXVI).
Pareil à l'astre qui gagne l'occident, il vous enveloppe de sa lumière (CLXXXIV), brillant
du même éclat que lui(XXXIX-CLXVI)et le surpassant même en beauté(VIII-CCXXXV).
Ce vin d'Iraq projette ses rayons: , au sortir de l'aiguière (CCIII) et leur éclat fait
naître des flammes dans le verre (GXXX - CLXVII). Ailleurs la liqueur est «comme un
soleil captif dans une jarre» (CXXXIII).

Et nous voici la nuit avec un vin aussi lumineux qu'un halo de pleine lune (LXXVI
cité). Il est l'astre montant (CCIII) qui éclipse toutes les autres planètes: j-Q Ã-4I ail
(CCLX). Dans la main du serveur la coupe pleine a l'éclat des cinq étoiles du Taureau:
(LXXXIX) ou de la constellation de l'Aigle: (CX) et les perles,
qui semblent y briller, lui donnent la lumière de Saturne : J->-j (éd. Beyrouth, p. 183).
Parfois enfin la métaphore ne désigne pas l'astre:

i J °p v cjcr ¿iß
1

« Lorsqu'une lèvre y plonge et l'aspire à grands traits,


on la croit baisant l'astre d'une profonde nuit.
Où qu'il soit dans ces lieux s'illumine un levant,
qu'il vienne à disparaître et y règne la nuit » (XXII).

Plus loin (CXCI), ce sont les cils du buveur qui paraissent bordés de l'éclat des étoiles
et cet astre brillant: (CLXVII) chasse les ténèbres de la nuit.
Il serait extrêmement intéressant d'étudier la signification mystique ou magique de
ces métaphores qui vont certainement prendre leur source dans la littérature et les croyances
persanes. Il sera possible même d'y trouver d'inconscientes résonances religieuses qui
passent, semble-t-il, dans ce vers où, parlant d'un vin, il dit (CXXXII) :

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30 JAMEL BENGHEIKH [24
Le vin a l'éclat de l'éclair.

Abü Nuwäs se souvient certainement du verset 43 de la sourate XXIV pour trouver


au vin la force de l'éclair «dont les regards sont presque aveuglés» (CXXXII). Dans la
jarre, ce vin : , est en effet tel «l'éclat aveuglant de l'éclair» : ó
(GXIX - CXVIII).

Le vin et les pierreries.

La comparaison du vin avec l'or ou les pierres précieuses est surtout utilisée dans le

e>>s>"
thème du mélange. Nous la trouvons cependant quelquefois ici.

Le vin est si lumineux que l'on croirait voir de l'or fondu : ¿X ^ (XXIV). Or faisant
naître des perles : b J V* J (LXXII), il brille sur les bords du verre comme des perles

í 0* 0 ^ ft
(CXXVIII) ou se pare d'une couronne de coraux et de perles (CLXXXIV) :
jùùrï'çùCë
Et ce vin vieilli rit: 9 de tout l'éclat de ses pierres et de ses parcelles d'or :
(CX - CLVIII) que les convives disposent entre eux (CGV).
Le poème (CGXCI) nous offre en trois vers une fort jolie comparaison entre le vin et
la lumière du collier : ¿LA j 9 que porte à son cou une säqiya :

J. Zi> " ¿¡J* j m çf J'


jjJ

Le vin et les reflets lumineux.

Le jeu des reflets n'est qu'effleuré par AbüNuwäs pourtant très sensible à la luminosité:
A yS' J jl jjî J
La lumière se reflète donc dans le vin en feux qui l'illuminent. Lui-même parsème de
pierreries les yeux des commensaux (GCXCIV) et allume dans le regard du säqi des éclairs
qui ont l'éclat du sabre (GLXV).
Nous voyons donc combien en ce thème l'imagination et l'ingéniosité du poète se dé-
ploient. Il nous resteràit à savoir si toutes ces métaphores sont véritablement une création
personnelle.

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25] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 31
L'ASPECT (1)

.0 -£__^U
- m A-Aw>waJI
ft * > ~ ~ft •j-io
II-J •II-> jj*Iß
«Et doucement le regard passe sur le vin,
comme sur une chair pure, lumineuse, lisse...» (XLI).

Cette chair: ¿¿î , qui se refuse au contact (CGLXXVI), a l'aspect d'une pelure
L-. . ■* <£ j^r (LXXXVIII -CXX), et la trame délicate d'une fine chemise:
L-. ■* <£ j^r Z i* S mß

JC^Ul ÃJLi j (LXIV - CV). Elle est aussi pure et immatérielle que l'insaisissable poussière
qui danse dans un rayon de lumière: (XXXXIII - CCXXXV), légère, impalpable
(CCIII),
LT J VLT
« Comme si, dans le verre, naissait le mirage
d'un désert aride, immense et sauvage» (LXXV).

Dégagé de toute matérialité, le vin devient pur esprit, décrit dans un langage presque
philosophique qui s'apparente à la terminologie mystique et peut prêter aux mêmes inter-
prétations (XIII) :
> 0 > 0 «- f <°t ~ 9 " 9 * 0 "t * " ° " '"
j jJ Jl 4
C'est « une âme libérée de l'écorce charnelle » (LXXXII) :
G oil j ii jû çjj
qui pénètre le buveur de sa douceur (CCLXXVI) et l'habite:

«Je ne cessais de soutirer doucement l'âme de mon amphore,


De m' abreuver du sang de son corps blessé,
Jusqu'à ce que, dédoublé, je me sente deux âmes
Devant l'amphore gisant corps privé de son âme» (XCVI).

Le vin a, aussi, les vertus de la vie, frissonnant : (XCVII), arrogant et


superbe: Oli (CIV), joyeux et bondissant (CXXV), si vif qu'il rattraperait dans
leur course la gazelle et l'autruche mâle: (CXC). Il a «la voix douce d'un homme
grisé et la pâleur d'un amoureux » (CLXXXIV) :
& r 0 'ß " - r 0 k"' * 9 ""
J-*

Et nous retrouvons enfin la comparaison familière du poète pour rendre la pureté, la


limpidité et l'éclat de cet aspect: «semblable à l'œil d'un coq» : ¿X -vil (LXXVIII-
LXXXIX - CXXVIII - CLXXIII).

(1) XIII 7. XXXII 4. XLI 12. LXIV 5. CXX 7. CXXV 1-5. CXXVIII 2. CLXXIII 4.
LXXV 8. LXXVIII 6. LXXXII 5. LXXXVIII 1. CLXXXIV 5. CXC 7-8. CCIII 9. CCXXXV 9.
LXXXIX 1. XCVI 1-2. XCVII 4. CIV 3. CV 1. CCLXXVI 8-9.

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32 JAMEL BENCHEIKH [26
LE PARFUM DU VIN (1)

Abü Nuwãs est plus sensible au parfum du vin qu'à sa couleur ou à son goût. Nous
retrouvons là un peu de cet amour des fleurs qu'il exprime si souvent dans ses poèmes.
Cependant il ne cherche pas à préciser les nuances de ce parfum, reconnaître un bouquet
ou distinguer un cru. Il procède soit par une notation générale et vague soit par une
comparaison avec un autre parfum.

Le vin est un parfum : (GXXXIX), son souffle est une essence (CLXI) et lorsque
le cabaretier met en perce la jarre son bouquet se répand et le poète demande : y* » j-k-* I ¿I
, lui est-il répondu (CXI). Parfois il se contente de nous dire que le vin répand sa brise:
, sur les convives (CGXGV) et tel est son âge que son seul parfum vous enivre (XX).

Le vin a parfum de musc.

C'est parfois une simple notation : ¿L-dCT (LXXVI - GCXCIII),


(CLXI), ¿¡-»¿JI ¿il- ollCf £* ISoJI ' xÎL>~ (CCXXIII), mais souvent le poète
file la comparaison. Le vin répand, en s' exhalant, un parfum de musc (XXXIX) plus
fort encore que celui qui s'échappe du cachet : « - jl* , contenant le musc du parfumeur
(CXCII). Il vous distille le souffle délicat et pénétrant du musc et la douce fragrance du
safran (CXLV). Parfois aussi son odeur est si forte qu'elle contracte les visages (GCLII) ou
que les mains et les coupes en restent imprégnées (CCXCVIII). Elle se répand alentour
(CCIV), riant au visage des convives avec l'exhalaison du musc (CCXXXIV) :

Le vin et la pomme.

Car la pomme est souvent prise dans ce thème comme objet de comparaison, de même
que la « salutation des pommes » est un thème courant du gazai (2) probablement inspiré
de la littérature persane.

Dès la mise en perce le parfum du vin vous semble une pomme offerte. La liqueur dorée
a souffle de musc mêlé à celui d'une pomme (CXXII) et, dans le verre, en a l'odeur
(GXXIV). Lorsque l'eau vient s'y mélanger on dirait une exhalaison de pommes du Liban
(CXXVIII).

Le vin et les fleurs.

C'est un basilic : oCxlj 9 qui a plus d'éclat que la giroflée : çSj-r*- , et que la
myrthe: (CXIX). Dans ce poème d'ailleurs le poète traite parallèlement le parfum

(1) I 10. XX 3. XXXIX 12. LV 8. LXVIII 8. CCII 2. CCIV 2. CCXXIII 7. CCXXXIV 4.


LXIX 9. LXXVI 4. CXI 8. CXIX 4. CXXII 2. CCXXXVII 5. CCXLVI 3. CCLII 5. CCLXVIII 5.
GXXIV 5. GXXV 16. CXXVIII 3. CXXXIX 15. CCXCIII 11. CCXCV 5. CCXCVIII 8-9.
CXLII 4. CXLV 4. CLXI 1-3. CLXVI 6. CXCII 2. (2) Kitãb aš-šťr, Int. p. 72, note 89.

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27] POÉSIES BACHIQUES Ü'ABÜ NUWÃS 33
du vin et celui de la bouche du guläm dans cet enchevêtrement qui lui est familier des thèmes
éròtiques et bachiques (cf. thème du goût). Mélangé à l'eau, le vin laisse échapper un parfum
de fleur : j , comme une vie retrouvée qui a été contenue pendant un long vieillis-
sement (LXVIÏI). Son odeur imprègne la main : C-a-;.g , comme si les buveurs « se dispu-
taient un collier de giroflées ou ď œillets» (LXIX). Elle est si douce que le buveur croit
sentir un nuage d'essence de giroflier (CXLII). Lorsque le hammãr découvre le vin son
bouquet répand une brise chargée du parfum de toutes les aromates (GXXV) et plus suave
encore que l'haleine des roses (CCXLVI). Enfin le vin mêle au parfum du musc la fragrance
du laurier: jte (CLXVI).

Le vin et les parfums.

A ces exhalaisons de musc, de pommes et de fleurs, Abù Nuwãs aime mêler le sou-
venir odorant du , qui est un parfum au safran (LV - GGXXXVII - CCLXVIII),
de l'ambre (CCII) et même du camphre : (p. 131, éd. Beyrouth).

B.E.O. - 3

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34 JAMEL BENCHEIKH [28
LE GOÛT DU VIN (1)

5/#
Quelques vers seulement effleurent ce thème. Encore se bornent-ils à dire du vin qu'il
est agréable au goût ou aigrelet : (CXI - CXII - CXXVIII - CXXXV - CLXI), ou
à le trouver amer: S y (GXIX - GGXXXIV). La description # est parfois plus imprécise
encore :

(LVIII) jTlJCJl Jp

(cxxviii) ^ acx. (cxviii) cfyû


Abù Nuwâs s'est attaché aux effets du vin sans décrire ce que le palais d'un dégustateur
sait retirer d'un grand cru. D'ailleurs la notion même de cru reste assez vague dans l'œuvre
(cf. ce thème) et s'il nous donne souvent l'origine géographique des vins, il n'en différencie
jamais les qualités.

Il trouve au vin le goût d'une pomme à la chair tendre, rendu plus savoureux lorsque

Lj <L>*L JLj 'J


s'y mêle le souffle de l'aimé (GXX) :

*y*

Le thème du goût rejoint celui du parfum mais, surtout, érotisme et bachisme se mêlent
étroitement, images et adjectifs s'appliquant à la fois au vin et au gulãm. Ge traitement paral-
lèle se trouve de façon identique en CXIX.

¿-a jJo ¿ I SLoJ 1 j L$jü j (CCIX) et ce goût est si léger qu'il en devient impercep-
tible lorsqu'il se mêle à la salive (LVIII - XLI). Mais ailleurs le vin pique comme du poi-
vre (LXIX) :
JJ-.LÜI ¡y» aS CJL ¿ I Is 0 ' - IfJ t£ d iLw«
C'est à ces notations brèves et imprécises que se limite le poète (2).

(1) XLI 10. LVIII 6-7. LXIX 7. CXI 4. CXII tirer une intéressante conclusion sur un aspect d'une
1. CXVIII 7. CXIX 5-8. GXX 7-8-9. CXXVIII civilisation. Pellat note au contraire chez öähiz des
10-11. CXXXV 1. CLXI 1. CCIX 7. CCXXXIV 1. notations dignes de « dégustateurs modernes », Milieu
(2) Il faudrait vérifier si ce fait est général dans Basrien, 248.
la littérature arabe. On pourrait, s'il se confirme, en

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29] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 35
LES EFFETS DU VIN (1)

« Le vin chemine dans les os et a sur les membres


la même emprise que le sommeil» (LXIX).
Il contracte le visage et le fait se renfrogner tant sa force est grande (GXLVII). Il
répand dans le corps une tiède langueur (Beyrouth, 121, 3e poème, vers 4), et «monte
à la tête » (LV) :
- # > 0, • * -
j^LMJ (J ¿ L$J
Il empourpre les joues des buveurs, gagne leur cœur (LXXX) et alourdit leurs yeux

1 ' 4 j Û J~*
de sommeil (GCXGIV).
Mais Abü Nuwãs s'attache surtout aux effets psychologiques et affectifs de la boisson:
1 ' - ' II" vit ' V ° ' > > > s - - .. >. >
Le vin est source de joie:

« Il détourne notre âme du malheur qui l'afflige,


Et lui prête la force afin qu'elle soit sans cesse compagne de l'ivresse» (XIX).

Il dispense la gaieté (LX), délivre de tous les soucis (V - LV - GXLV - CCXVII) et


chasse même ceux de l'homme qui en a eu «les ailes brisées» (GCXVI). Il «revêt» le
cœur du manteau de la joie» (CCXCV) et provoque sa liesse (XLIII).
Le vin est aussi un remède qui guérit les corps blessés et les âmes souffrantes. « Il pro-
gresse dans les membres comme la guérison dans le corps d'un malade» (XL) et:

«donne à l'infirme l'illusion de la santé» (XXV).

« *1 aJI ^-a», «c'est le remède», écrit le poète (V), le seul contre la peine, contre
les maux (XXX - IX - CX - CCLVIII), celui qui « tire le malade de son évanouissement»
(LV). Sa force envahit le corps «plus agréable et douce que le poison des guêpes» (B. 123,
4e poème, 5e vers).

Le vin guérit le corps et procure à l'âme un moyen d'évasion. Il « préserve le dernier


«-*0>„-
souffle de vie » : « ß - (LVIII) . C'est une deuxième âme qui vous pénètre de sa
douceur et vous habite (LXXX - GCLXXVI). Il dégage l'esprit de l'écorce charnelle:
-O-~9 0 f V-
^ 1-3 ,0 »„ O>1J<X«Lj
J J „<-I*.sAw*!
"m f
« L'ivresse de leurs verres fait périr leurs âmes,
Mais l'âme reprend vie tandis que gît le corps» (CXXXII).

(1) I 11. V 1-2. VII 1 à 5. VIII 6. XV 10. GXXXVII 8 sq. GXLII 3. CXLIII 7 à 15. GXLV 1.
XVII 7. XIX 5. XX 1 à 3 . XXV entier. XXX-XL CXLVI 8 sq. GXLVII 5. GLXX entier. GXCIX
9. XLIII 4. LV 9 à 1 1. LVII 7 à 13. LVIII 2. LX 5. 9 à 17 GGXVI entier. GGXVII 5. GGXX entier.
LXI 10. LXV 5-6. LXVIII 5. LXIX 8. LXXX 10 CGXXXII 1 à 3. CCXLIII entier. CGLV 9. CCLVII
à 12. XGVII 8. GX 5. GXII 3. GXXIV 3. GXXII 1. GCLXXVI 9-10. CCLXXXVIII 4. GGXCIV 6.
11 à 13. GXXV4. CXXVIII 15-16. GXXX 3 à 7. GGXGV 3-8-9. CCXCVIII 12.

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36 JAMEL BENCHEIKH [30
Cette nouvelle âme répand en vous sa vigueur, vous fait abandonner toute matérialité
et fait naître un autre homme:

jCJi c- Lí Jl ilûJ (£
« Il prête au cœur de l'humilié le rêve du courage,
et adoucit l'âme de l'orgueilleux à la poitrine saillante» (CXLII).

Le vin circonvient la raison et l'égaré. L'avare en devient généreux (GCXVI -


CCLXXXVIII), le poltron reprend courage, le faible a l'illusion de la puissance (XXV).
Le buveur se sent enlevé dans les airs et y perd la raison (CXXV). Trouvant dans le vin ce
dont la vie le prive, l'homme nourrit tous les espoirs (LXV). L'existence lui apparaît sans
nuage et sans trouble (XX). Les jours lui donnent l'illusion de s'écouler très vite.

Mais c'est l'ivresse totale qu'Abü Nuwãs recherche et qu'il décrit le plus volontiers. Il
faut que le vin règne en maître sur les corps et les esprits. Il trouve pour la dépeindre des
vers saisissants et souvent pleins d'humour:

jlÍ (J Ur, W« ' a Jjjl j 1 ; 'a¿ $ i JJ^_P ^jQâll LJL>-


« nous avons pris, en nous levant, l'autruche mâle pour un chameau
et la butte déprimée pour une montagne» (CXXVIII).

L'ivrogne «prend le vendredi pour le samedi et le jour pour la nuit» (CXXXVII).


Cet autre, avant de tomber ivre-mort : 5 prend les mains des buveurs pour
des coupes et tous les convives pour des échansons (CCXX). L'âme, débordant, s'abreuve
à la mer de l'ivresse (CXXIV) et les buveurs deviennent ses prisonniers (CXXXII) :

CäCp 3 j-3 NjÎ 1 ^ A 1 «J


« nous la soumettons d'abord puis elle nous soumet,
d'abord ses cavaliers nous tombons en victimes» (VII).

Le vin déchire leurs âmes «et les laisse blessées dans la torpeur de l'ivresse (I). C'est
un thème essentiel ici que celui du vin réduisant l'homme, balayant ce qu'il est pour le faire
s'évader vers un monde mystérieux. Il s'y délivre des entraves et se retrouve doué de
qualités nouvelles. Plus encore, Abü Nuwãs semble particulièrement attiré par l'anéantis-
sement total qui ne laisse plus de conscience à l'homme terrassé par l'alcool. La torpeur
l'envahit, il vacille, balbutie d'une façon incohérente puis s'abat (CXLIII).

Voici le poète:

«Traînant l'outre tandis que son compagnon, traînant les pieds,

j Cfj J J-AJ j->"'


sous le poids du sommeil titube et se redresse» (LVII).

Ou bien:

« gorgé de vin, ballotant de la tête, il s'écroule sur un lit » (CXCIX) :


cPO cPk (S i (il ô SJ ¿rr*

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31] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 37
Le poète se plaît, ensuite, à décrire le réveil de son commensal : « Les simandres des
églises annoncent le matin qui blanchit la nuit... Les colombes roucoulent cherchant leurs
petits... », il appelle son ami, le secoue et l'adjure de boire encore pour éteindre le feu du
vin (CXCIX).

« Sa langue se plaignit à moi de son ivresse


avec les balbutiements d'un bègue» (CGXGV).

Les yeux alourdis de sommeil, la langue pâteuse et maladroite, le compagnon s'ébroue,


secoue sa tête pesante. Puis, la vie chemine de nouveau dans ses membres avec le vin qu'il
boit (CXCIX). Il retrouve la joie et se met à chanter des vers amoureux (CXLIII), ou d'au-
tres de Dö-r-Rumma. Cette idée de résurrection par le vin est chère au poète (XX) :
A > ť ôjLJ
o - . vM" |-V^-
Cj j-a Ü . '"S °f ('•0( "^"'"
JIL> J
Cette scène du réveil de l'ivresse se répète souvent: LVII - CXLIII - CXXX - CCXLIII
- CCXCV - CCXCVIII.

Nous trouvons encore ici un langage amoureux appliqué au vin:

jllüi Yjü J£1j' '


« Lorsque l'homme y pose les lèvres,
il s'enivre de la volupté de ce baiser» (CCLV et CXIX).

Souvent, la description de l'ivresse aboutit à des notations d'ordre purement érotique.


Délivré de toute obligation, ne se souciant plus ni des règles ni des lois, le poète laisse le
champ libre à tous ses désirs. Alors, c'est l'éternité qu'il atteint ainsi (VIII) (1), ce paradis
où aucun frein n'est mis à ses passions (cf. entre autres, CXIX).

C'est, semble-t-il, ce besoin d'évasion qui le pousse à l'ivresse:

«comme si je poursuivais un beau «rêve»,


encore obscur devant moi» (XVII).

Et c'est le plus recherché des effets du vin que ce moyen d'atteindre le bonheur insai-
sissable (2).

(1) Cf. plus bas dans le «Personnage d'Abü (2) D'ailleurs le vin n'exalte, dit-il, que les
Nuwäs» le passage sur son sentiment religieux. hommes de qualité ne donnant aux sots qu'une
piètre ivresse, (GCXXX 1-2-3).

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Troisième Partie

LE VIN, VIERGE ET ÉPOUSÉE (1)

Abù Nuwãs s'est adonné sans limite au vin et cette passion s'est souvent exprimée en
termes d'amour humain (CIX). Reprenant un thème déjà utilisé, il fait du vin une femme
chantée par son amant. Mais il semble bien qu'il ait accentué dans une large mesure le
côté érotique de cette personnalisation. Nous retrouvons le symbolisme sexuel si nettement
exprimé dans le thème du mélange, il serait intéressant d'en dégager les données. Pour ce
personnage d'inverti assez complexe, la femme symbolise d'ailleurs l'objet de tout désir bien
plus qu'elle ne représente une personne physique.

♦ym
Le thème que nous traitons n'est donc pas indépendant, car le poète fait du vin une
vierge ou une épousée dans la préparation, le vieillissement, l'éclat et surtout le mélange.

La préparation et le vieillissement.

Cette vierge : , ne s'est montrée à aucun époux. Elle a été cloîtrée : , dans
ses appartements, loin des regards, pour Chosroès couronné (L) . Vierge, elle n'a pas encore
revêtu le voile de la mariée: (CXLIII). Aucun prétendant n'a pu approcher de cette
princesse: S j^l , cachée avec un soin jaloux, et aucun entremetteur: j>.î , n'a conduit
à elle d'amant (GLXXXV). Vierge: , plantée à l'âge de Noé (CCLXXXVIII), ou
vierge prisonnière de Babylone, le cachet de sa jarre n'a pas été brisé et rien ne l'a blessée
au sein des chaudrons: (GXGIX).

La demande en mariage.

Le vin est prêt et digne d'être bu. Les commensaux vont au Harem du cabaretier
(LXXIX - XXXIX) pour présenter leur demande et lui, méfiant, répond : la dot d'abord
(CCXCIII) :
J-A jJl Jü Çj « 1g >-î J! cJL Sj
Ce dihqãn leur accorde la main de l'une de ses filles : ji , après n'avoir cessé d'en
augmenter la dot (CXXXII - CXXXIX). Et c'est vers un «beau prétendant portant

(1) VIII 7. XVII 11. XXXIV 1. XL 2. XXXIX 6 à 8. CLXXXVIII 5 à 8. CXCIII 3. CXCVII 5-6.
5. L 6-7. LV 8. LXIV 6. LXXIX 3. XCV entier. CXCIX 4-5. CCII 2. CCIX 6. CCXXXI 3.
CV 3. CIX 1 à 5. GXXIV 6. CXXVIII 12. CXXXII CCXXXIV 2. CCL 2-3. CCLII 3. CCLXVIII 3.
4-5. CXXXIX 10. CXLIII 4. CLX 3-4. CLXVI 16. CCLXXXVIII 3. CCXCIII 1-9. CCXCV 6.
CLXXII 1. CLXXIII 5. CLXXVII 2. CLXXXV

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33] POÉSIES BACHIQUES D'ABÖ NUWÃS 39
collier et izãr » que le vin est « conduit dans ses pantalons et sa ceinture », ce qui décrit
l'outre (CXGVII) :
JÌ-H J * * ' * 1 ^ ufl-*
jÙ j!i J J Spi ^ J ^ ^-$-*-11
Le dialogue s'engage même entre le vin et le poète prétendant : *UlfUl! S
Ca . La «vierge», inquiète, craint le soleil, la lumière, s'enquiert de l'époux qui lui
est destiné: J^. ; ce sera l'eau, du lieu où elle séjournera et de la qualité des commensaux
dont elle se montre très soucieuse dans ce poème fort original (XGV).

La rencontre.

Le vin quitte ses appartements tel une épousée : (CCIX), « conduit à


l'époux dans une chemise noire, paré comme une jeune fille le jour de ses noces»:

(CCLII) d'cJjj
(CCXXXI) Vj ') Q_¡Ú¿ JJ1 tliij
Dans le verre il a la douceur d'une jeune épousée (CLXXIII), et éprouve, lorsqu'on
le regarde, la même gêne (CCXCV) :
f>[) wûJl C*JL¿C sj

Mais la métaphore va s'inscrire dans un contexte érotique plus précis. Nous assistons
à l'union physique de l'eau et du vin (CLX) :
^ > 0 # 0 > 0. - ~ ~ * "t. 0 * I " '*
/» c-aJ 2-j ¡y* « j^Ji # L? j-J 3
"jLc' ' sc¿ T'jÜL U> 'J^ü
Le mélange.

C'est bien dans ce sens qu'est employée la racine: (CLXXII - CXCIII). Dans
le verre, la «vierge» « est sans force puis violente et rétive» (GIX). Ou:
ùUali d>-î Q13-P cILLP ÙÌJ >• :> 1 ¿1
« C'est une épousée si tu la cajoles en la mélangeant,
une sœur de Satan si tu lui fais violence» (CXXVIII).
Car le vin est rebelle et ne désire pas cette union (CLXXVII).
«Je l'ai mariée à l'eau pour qu'elle se soumette,
Mais elle s'exaspère au contact du mâle comme une jeune fille pudique...» (CCL).
« qui a d'abord l'irritable vivacité...
d'une vierge puis la douceur d'une épousée » (XVII) :
ù! Jl* Ili j H JJß 3 ÜIp JjlìÙ
En plusieurs poèmes, enfin, le poète parle, à propos de l'outre, de : jî
(XVII - LV - CXXIV - CLXXXVIII - CCXXXIV).

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40 JAMEL BENGHEIKH [34
Nous trouvons une métaphore moins érotique avec « ces bijoux que le mélange répand
sur le vin comme sur la têtç d'une épousée », il s'agit, bien sûr, des bulles (CIX) :

J-Ï J íyb- '


Toutes ces notations s'accompagnent de l'emploi de termes réservés d'ordinaire au
langage amoureux. Abü Nuwãs nous parle ainsi de son amour ardent : 5 pour le vin
(VIII). Il est lui-même un époux : j* (LXIV), qui aime passionnément (CIX) :

(J-A ' $ ä
Les appellations.

Ici encore, le vocabulaire s'adapte au thème traité. L'index nous fournit les références
des poèmes où les substantifs : *'j£s> , , désignent le vin.

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35] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÃS 41
LE MÉLANGE (1)

Nous avons donc vu le vin personnifié, doté d'un comportement humain, dans ce thème
symbolique de la vierge et de l'épousée. Ce symbolisme apparaît tout particulièrement, nous
l'avons noté au passage, dans le thème du mélange.

Abü Nuwãs a consacré à celui-ci son attention, nous allons maintenant approfondir son
étude. Rapports de l'eau et du vin, description minutieuse des bulles qui naissent de leur
contact, effets de toutes sortes occupent une large place dans de nombreux poèmes. A cette
occasion, se trouve abondamment développé le thème de l'éclat nouveau que donne le
mélange au vin.

De tout temps, le mélange des boissons est chargé de symboles multiples qui vont cher-
cher leur origine dans la très lointaine conscience pré -religieuse. L'éthnologie nous en fait
part: nous les trouvons dans le cérémonial religieux des grandes civilisations extrême-orien-
tales et sud-américaines, comme dans le rituel magique des sociétés primitives d'Afrique
et d'Australie.

Les rites orgiaques des Dionysies d'Attique leur font place. Reza Mazhari nous signale,
dans sa thèse, « les survivances de la mythologie dite pré-hellénique dans les rites Zoroastriens
et la tradition persane» (2). Sacrifices et libations s'accompagnaient d'un mélange de vin
et de lait, ou de vin et de miel. Ce symbolisme a, d'après l'auteur, joué un rôle important
dans l'inspiration bachique persane. « Le mélange du vin et du lait symbolise l'union idéale
avec la bien-aimée» (3)... «Il personnifie la solidité de l'attachement amoureux» (4)...
« Dans la foi islamique... le lait, le miel et le vin représentent les forces animales et végétales
de la nature, les nourritures bienfaisantes, le labeur utile et les plaisirs humains... » (5).

Notre but, qui est essentiellement un dépouillement de thèmes, limitera notre sujet.
Nous n'essaierons donc pas de dégager la signification symbolique du mélange dans l'œuvre
d'Abü Nuwãs, sauf dans les cas où elle se révèle d'elle-même. Cette recherche trouvera
mieux sa place dans un travail de synthèse ayant pour objet de définir l'inspiration et
l'expression bachiques dans la littérature arabe.

Nous pouvons avancer, cependant, que chez Abu Nuwãs ce thème du mélange, se
bornant à celui du vin et de l'eau, nous est apparu comme déchargé d'une partie de

(1) I 9. III 24-25. V 6. XIII 3. XIX 1 à 6. CLXXXIV 6. CXCIII 3. GGXXV 2. CCXXXIII 4.


XX 4. XXIV 4. XXXII 4. XXXVI 4-5-23 à 25. CCXXXIV 23. CGXXXV 6 à 9. CGL 2-3. CCLV
XXXIX 20. XL 10-11. XLI 12 à 14. LIV 9. LV 13- 11 à 13. CGLXII 4 à 6. CGLXXXI 9. CCLXXXV
14. LX 2. LXI 11. LXVI 10. LXXVIII 8. LXX 11. 4-5. CCXC 1 à 5. CCXCIV 3-4. CGXCV 1 à 4.
LXXII 5-6. LXXIV 3-4. LXXXI 10. LXXXIX 7. (2) Chap. II, 13, note 1 et pour cette question
XCIII 7. XGVII 2. XCIX 3. GIX 5. CXI 11 à 13. chap. XIV, 228 à 232.
CXXV3. CXXVIII 13. GXXXII 2 1 -22. CXXXVIII (3) Ibid. p. 229.
4. GXLI 7. CLIII 2. CLVIII 9. GLXV 7-8. CLXVI (4) » p. 230.
14 à 18. GLXXII 1. CLXXIII 3. GLXXIV 3 à 5. (5) » p. 231.
CLXXVI 6 à 8. GLXXVII 2-3. CLXXIX 20.

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42 JAMEL BENGHEIKH [36
ce symbolisme religieux ou magique que nous signalions. Au contraire, le symbolisme
sexuel s'y exprime avec netteté.

Rapports de l'eau et du vin.

Nous avons vu, dans le précédent chapitre, le mélange présenté comme l'union phy-
sique du vin et de l'eau personnifiés. La racine , est employée dans ce sens
(GLXXII - CLXXVII - CXCIII).
Le vin refuse tout d'abord cette union. Telle est sa délicatesse que le contact lui ré-
pugne (V).

'»CJl C fil *jí£j '¿lïj fallii


« Entre le vin et l'eau est une haine
et le vin courroucé se déchire à l'atteinte» (CCXV).

L'eau elle-même, d'ailleurs, s'en trouve mal à l'aise, car le vin est une ombre :
(CXXV), un produit éthéré qui va cheminer dans les membres, et cette «vierge pudique»
s'exaspère de son approche (CCL). Il arrive d'ailleurs au poète de réclamer «un vin doré
et pur, non souillé par le mélange» (LX).

Le contact.

Le vin bondit sous l'eau:

«comme un cheval rétif au jour de la course» (XCIX).

ùCftj ^ c/'O' C-*-? jJ (j JJLP L-J jJ


Voici décrit le mouvement des deux liquides en présence au moment de leur mélange:

ji jJ ' 4 ; A «-CJij ij-A *CJI (j^4 iVitjT


• ".°.i * * " r * ^ ß ß ». * "••i" . *. '~ . ť •»!
j' • ".°.i a >IJ r j j ¿Lw* v.. $ *M ». oLL>- "••i" . ¿)L>- '~ . ť •»! (J
« Le vin saisi d'angoisse à l'atteinte de l'eau,
sous cette eau impatiente comme du mercure,
Ressemble dans sa course à la monture baie que presse un gris coursier
et qui, dans son effroi, se hâte effarouchée» (CLXVI).

Le vin ne veut pas de ce mariage:


« Il lance au front des convives des traits
Qui ne font saigner ni ne blessent» (CLXXVII).

" " - -- * "


G^L>c-i " 3 J «-U ^a' jjjl A
Mais bientôt sa colère s'apaise, il prend la douceur d'une épouse : ùl (XVII),
et le mélange va produire les plus heureux effets.

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37] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÃS 43
Les effets du mélange.

Abü Nuwãs va, à cette occasion, reprendre plusieurs des thèmes étudiés: le mélange

^ ^ $ (XIX).
dompte le vin et l'adoucit. Il change sa couleur:

ou cûrjl. *òl 'cXp G ''JjL* (XXXVI).


Il lui fait exhaler un parfum de fleur qui se répand à travers la chambre (LXVIII).
Il y fait naître aussi des voix:

(J JÜ 1, $ '.v. >• jIâJI C.- >-■« ^1 î


¿ t»UJÎ j txjî j-« £JÛ it C. wLIj
« Fis-tu saigner son front avec de l'eau pure
pour ouïr au cœur des coupes son gémissement?
Tu peux entendre alors pendant qu'il se mélange
soupirs et mélodies répondre à son murmure» (CLIII).

Mais le vin chante aussi de joie (CCXCIV).

Les bulles.

L'eau fait naître, sur les bords de la coupe ventrue, des bulles pareilles à celles d'une
petite mare sous la pluie : (CCXXXIV). Ces bulles : 5 bondissent
« comme les sauterelles d'un pré ou de lieux ombragés » :

«traînant leurs queues (1) d'or natif


dans la lumière d'orient ou l'ombre du couchant»

C¿¿JL7 ÙCL^I ^ C^l


î-LowLUj j u ¿ jlü' (j
ou s'agitent comme «un cheval qui frappe du pied lorsqu'on le calme»:
G>rl*j i ¿1 C$-pLÛ>- ¿J-* LfcJ jtlf J
et sautent au visage:
«comme des criquets qu'une pluie fine
et douce excite dans les bas fonds» (CXXVIII).
ùl^uJL <L5>-LA j]! JJL« LfjjLS» *->■ j (J L$-ouj>- J yJS

Elles ont encore les mouvements vifs des sauterelles à la méridienne (CCLXXXV et
LXVI). Elles remontent à la surface avec un frémissement de queues (CLXXXIV) pour
y crever «en un jet continu de flèches parties de près» (LXXIV), ou comme éclatent les
étincelles d'un soufflet de forge: j <s*J (XIII).

(1) Il s'agit probablement des ailes rabattues.

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L^¡'
44 JAMEL BENCHEIKH [38
Après le mouvement de ces bulles, le poète a déployé toute son imagination dans leur
description.

Il les compare surtout à des perles:

« ... sous un ciel de vin étoilé de bulles


Semblables à des perles qu'essaiment de leurs mains
des Vierges emportées par le jeu» (III).

Ou encore:

jaJLl**» ¿ JJJ ' 1 yj>- j-P jly


« Comme si des pierres de hyacinthe étaient disposées tout autour
et que le bleu d'yeux de chats cerne (le blanc) de leurs prunelles» (XIX).

Mêlé à l'eau d'un nuage blanc: ù >• , le vin prend l'aspect «de
filets de perles sur fond de soie brodée de hyacinthes » :

^ j ¿ ill - JVj-j CgJLlS*'


ou d'un parterre de perles sur fond d'or (LXXIV). Il se pare d'un «collier de pierreries:
(LXXXIX et XXIV), d'une «constellation de perles» (XCIII), et l'on dirait
les bijoux dont on orne la tête d'une épousée (GIX). Car les bulles sont semblables à des
bijoux «de corail incrusté de pépites d'or: (CXI), ou encore à des perles et des
parcelles d'or natif: (CXLI).

Ce vin couleur de sang noir « sourit », lors du mélange, de tout l'éclat des perles nacrées
qui en naissent : ^ j ¿-p . . . J JzXs (CLXV), et dont certaines seules sur-
nagent. Taftarru donne l'image de dents éclatantes qui rehaussent l'éclat du sourire (même
image en CCLXII).
jC*jî j Ju vídají ywto o^iCJI (J^A J SJ>- jS>
j ¿ ^ I? a ^ Q3 c^-yA Iii ^Lk-p Gû jwUJ
» O O O - o J Ät ti * * " " ^ *.t *V
jU-M^ ô-if-i (r 3 ¿-LL**» J-a-P ¿J . ».T.,.*,. 4 ^JaJl ti (J

« ... le mélange lui tresse deux fils de perles semblables à ceux d'un trieur de monnaie,
L'on disait des grêlons montés en colliers ... » (CLXVI).

Toutes ces pierres rendraient riche si on pouvait les réunir dans la main (XXXII).
Grâce à elles, le vin se revêt d'un , collier (I), et se pare « du manteau d'une femme
riche ou des ornements d'un brodeur» (CCXCIV).

Outre ces comparaisons des bulles d'eau avec des perles, des bijoux ou des broderies,
le poète puise dans sa verve toutes sortes de rapprochements:

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39] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 45
Il voit en elles des:
« prunelles nous fixant d'un regard
que nulle paupière ne voile» (LXXII).
. > .> * * - -v "t r 0 -~r i J.9 f»** -
-3 vJLaJ} i J-j j-i M XJ>-

II reprend la même image dans trois beaux vers consacrés au mélange (XXXVI) :
¿¡-a jj jj ¿ JL>- (j ^ JL«JI C¿i
Les gouttes d'eau : j , parent le vin d'yeux semblables à des perles, « qui glissent
comme des larmes» (CGLV) et remontent se presser au bord du verre (GCXG).
Elles ont l'aspect de «moitiés de cloches» : (CLXXIC).
Le mélange habille le vin:
« ...de bulles semblables aux clochettes d'un bracelet de pied
Qui crèvent et laissent des traces, comme une écriture
que dessineraient des fourmis marchant sur le sable
Deux lignes de lettres isolées ou formant des mots
dénués de points diacritiques et de voyelles » (XLI) :
QlôlJÎ '»CJl fil»
^ 1 ®'3I®.-*.
,v •»»,-' C--:< " 0 -) "«■»
Sí- o • -
j-4 J-i-p {j?-** ¿/ý
Cette comparaison avec une écriture est familière au poète (1):
^ j-iJI jlIw- o GUI LAJJJJ ¿JUL« *1 j-Âvf
« doré, dont les grains de perles en cordon
(ressemblent) aux alif du secrétaire du Roi des Perses» (GGXXXV).
Ailleurs, elles sont semblables à des wäw (CCLXXXV), ou à des «lignes d'écriture
persane : jû jj Jal* (LXX), ou bien :
*' õLl5" JJL« ç JUua
« Le mélange dessine au front de sa couronne
deux lignes semblables à l'écriture des gauchers» (GCXCV).
Nous trouvons une autre comparaison des bulles avec « des têtes de clous de cuirasse » :
(XX). Telle est la rapidité de leur nouvement, l'agitation du vin mélangé, qu'il
semble naître dans le verre des « langues de vipères » (CXXXVIII et GLXXIX) :

cAjJ¿' ¡j-** «-C4JI ^ jLj-j


oLP>Ji

(1) Blachère, Hist, de la Littérature arabe , I, 86, The use of the writing for the preservation of Ancient Arabic

87 et 88, note 1 relève l'emploi poétique d'images Poetry , in Or. St. to Browne; Cambridge, 1922. -
nées des «ressemblances entre des faits de graphie Abü Nuwãs s'est certainement inspiré de cet effort de
et des traces de pas ou des vestiges de campements ». création poétique dont il a utilisé les inventions dans
Ex. rassemblés par Krenkow, 265 dans son article son œuvre bachique.

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46 JAMEL BENGHEIKH [40
L'écume.

Avec la naissance des bulles et leur éclatement, il se forme, à la surface du vin, de


l'écume. Le mélange a brisé la violence contenue dans la boisson et pare le verre d'une
couronne blanche: -ûj (LXXXI).

*Cx_iî j 3 jl* C jllf


Ou encore :

« Comme si celui qui le mêle à l'eau lui faisait un collier


de la peau rejetée d'un serpent et d'une vipère» (XXXVI).

Car, sous l'eau versée en borborygmes ^


: , ^le ^cercle
m 0* f Oa «l'éclatante
d'écume
blancheur d'une peau de serpent», rejetée lors de la mue: J-aj *-?>• -U- >■ (LV). Alors,
l'échanson chrétien:

«... se signe sur le front avec un peu d'écume» (LIV).

L'éclat.

A l'occasion du mélange, le thème de l'éclat est abondamment repris. L'union de l'eau


et du vin a, comme plus heureux effet, de donner à celui-ci une lumière nouvelle. Peut-être
s'agit-il là d'un symbole amoureux. Comme dans le thème de l'éclat, déjà étudié, le feu joue
ici un rôle important:

»1 ^ ^>Xjs jú Lg-p^JL *C*JI QjUr


« Le vin, lorsque la langue d'eau vient le frapper,
ressemble au feu brûlant un fourré de roseaux» (XXXVI).

C'est cet éclat qui fait apparaître les bulles dans le vin:

«comme si les astres de la nuit y étaient figés» (CXI),

j ' { >T cJûJÎxll L^j ç j_>«J


suspendant au-dessus de cette terre «un ciel aux étoiles éclatantes» (CCXC, cf. aussi
CCXXV et CCLXII).

Après le mélange, la lueur du vin s'élève « comme fait le matin dans la nuit » et guide
le voyageur nocturne aussi sûrement que des signaux lumineux (XL). Elle est:

«comme une langue de feu brûlant dans les airs» (LV),

" " ť* " ...


iS J*-*
ou un flambeau ç} j-* (XCVII), et allume des flammes dans le regard des convives (CXI).

Tumultueux, le vin « rit » en produisant ces « bulles à forme de cloches », et les coupes
des buveurs ressemblent dans la nuit:

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41] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÃS 47
«à des flambeaux brûlant sur l'autel d'un diacre» (CLXXIV).

^03 vi <j '¿t. ÛJC.12- sùt3-


Rétif enfin, il lance au contact de l'eau des rayons:

¿2* ¿3S
«étincelants comme un éclair qui brille» (CCXXXIII).

Les buveurs, nous rapporte le poète, boivent le vin pur ou mélangé (CCLXXXI). Mais
pour donner au vin sa beauté (CCXXV), il faut respecter les règles de cet art qu'est le
mélange: briser la force du vin, mais, dès qu'il se soumet, cesser et lui laisser une âme
semblable à celle des vivants (CCXCV).

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Quatrième Partie

LIEUX DE PLAISIR

Seul ou en compagnie parfois nombreuse, toujours pittoresque, Abu Nuwäs courait les
tavernes, les cabarets, les boutiques sombres des marchands de vin, et a rendu célèbres par
ses chansons plusieurs de ces lieux de plaisir. Hauts personnages, poètes, éphèbes et truands
goûtaient avec lui aux divertissements nocturnes de la capitale ou des villes de l'intérieur.
Des soirées d'agapes dans les palais aux promiscuités équivoques des tavernes les plus mal
famées, il savait se montrer l'égal des princes ou des truands des bords du Tigre.

Toutes les villes productrices de crus offraient leurs cabarets aux amateurs: 'Äna, Hit,
al-'Anbãr (1) encore florissante, Takrït accueillaient le poète au cours de ses voyages. Les
Ahbãr fourmillent d'anecdotes sur ses aventures en ces lieux.

ri ^
Mais c'est Qatrabbul (2) qu'il préférait:

Jlj j 'a a i Si} V


« O mes amis, pour Dieu, point ne creusez
ma tombe ailleurs qu'à Qatrabbul...
Peut-être entendrai -je de mon tombeau
le tumulte des pieds qui foulent» (XVI).

Yäqüt nous rapporte son dialogue, à ce sujet, avec un célèbre cabaretier juif de Hims
alors qu'il revenait d'Égypte (3). Les tavernes de Qatrabbul ont pour lui plus d'attrait
que celles de Syrie et de Mésopotamie (4) . L'agglomération était située au nord de Bagdad,
« entre cette ville et 'Ukbara », et produisait un cru célèbre. Un autre village du même
nom dans le district de Diyär Bakr (5) fut chanté aussi pour son vin (6).

(1) GLXXV 1. nières de Qatrabbul fort connus dans le thème de


(2) III 10. XVI entier , XXVIII 5. LXXX 3. ces personnages.
GLXXX 2. GGLXXXV 1. (5) E.I., I, 1009. C'est aujourd'hui le nom de
(3) Yäqüt, Buldãn, IV, 121 sq. Ge cabaretier la ville d'Âmid, sur la rive gauche du Tigre.
se nommait Lévi. (6) Yäqüt, Buldãn , IV, 121 sq.
(4) Gf. le nom de quelques taverniers ou taver-

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43] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 49

¿Gir òGYÌ Gî
Le poète nous cite couramment dans un ou deux vers toute une liste de noms de villes
où il avait coutume de se rendre festoyer (CLXXX) :

¿I J-Jto ¿ C« ¿1 ¿I JLà ^Jl ^ A-jjäJCÄJÜ


s>

Al-Firk (1) était un village à proximité de Kilwãdã. £--211 désigne ici probablement
un cabaret-tente ambulant. Nous retrouverons ce terme mieux expliqué dans un vers
faisant allusion à Tízanãbãd. Kilwãdã (2) était située dans le Sawãd de Bagdãd, sur les
bords d'une petite rivière du nom de Büq. Yäqüt place ses ruines à un parasange en aval
de la capitale, donc à l'est.

Nous sommes toujours dans les faubourgs de la grande cité. Le plus fréquenté est incon-
testablement al-Karh, qui «rassemblait les solitaires de Bagdãd» (CLXXX 6). Quartier
commerçant, riche, animé tard dans la nuit par une foule pittoresque de négociants, de
porteurs, de passants, truands ou princes en cortège, son territoire comprend «toute la
moitié sud de la partie de Bagdad située à l'ouest du Tigre» (3). Il est peuplé en majorité
de chrétiens et son vin est fort recherché.

Ses tavernes sont nombreuses (4) où l'on va « adorer Satan» (CCXVII). Elles donnent
parfois sur de beaux jardins qui ajoutent au plaisir d'y boire en agréable compagnie
(CCXCIII). Al-Karh est aussi un lieu de rendez-vous et le poète y eut maintes aventures
galantes.

De Tízanãbãd (5), entre Küfa (6) et al-Qâdisïya (7), à un mile de cette dernière,
Yäqüt n'a connu que des ruines. Il ne restait de la ville « entourée de vignes, d'arbres, de
cabarets et de pressoirs » (8) que les fameuses ^ • La qubba , qui est aussi
une tente servant à la vente ambulante, désigne ici une taverne au toit arrondi en coupole.
L'appellation a probablement un sens ironique et fait allusion à l'adoration quasi religieuse
du poète pour le vin. Il prit part dans cette bourgade à des orgies retentissantes. C'est dans
l'une de ses tavernes, tenue par un chrétien nommé Sarjïs (Sergius), qu'il se réfugia pour
échapper au pèlerinage qu'il ne voulait pas accomplir (9).

Il allait boire aussi à as-Sùs (CCXVII 1), ville du Huzistän: ji , qui « sous l'Islam,
resta certainement pendant plusieurs siècles encore une ville très peuplée et florissante »(10).
Et c'est en pèlerinage qu'il se rend sur les ruines d'un cabaret persan « à l'est de Sãbãt »(11).

(1) Yäqüt, Buldãn, III, 367. (8) Yäqüt, Buldãn , III, 79. Ses vignobles étaient
(2) Yäqüt, Buldãn , IV, 276 sq., notamment entretenus par des Mazdéens, Huart, Litt. 73.
sur Fé tymologie de ce nom. XXVIII 5 - CLXXX 2. (9) Le poème XXVIII date de ce séjour. Cf.
(3) E.I. , II, 808, cf. aussi le thème des crus. éd. Caire, 26, note 1, utilisant l'ouvrage d'A. Sidqï,
(4) III 10. GLXXXV 3 à 5 - CCXVII 2 - ûUll , largement utilisé par A. Chalaq dans sa
CCXXXVIII 1 - CCXCIII 3. thèse: La poésie érotique d'Abü-Nuwäs , 50 à 52 et 108sq.
(5) XXVIII 1 - CLXII 1 - CLXXX 5. (10) E.I., IV, 592 .
(6) E.I. , II, 1170. (11) Faubourg de Ctésiphon, Cap. des Parthes
(7) E.I. , II, 651. Sur la rive droite du Tigre, puis des Sassânides, à 26 km S.-E. de Bagdad. Aujour-
au S.-O. de Kùfa, station sur la route du pèlerinage. d'hui al-Madâ'in.

B.E.O. - 4

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50 JAMEL BENGHEIKH [44
Cinq jours durant, il célèbre le souvenir d'une civilisation disparue dans un poème très
admiré par al-Jãhiz (XXXVIII, cf. thème des ustensiles, la description d'une coupe).

Nous ne trouvons aucune description précise de ces cabarets. Abü Nuwãs réserve
son talent au tavernier et ne nous dit que peu de choses de sa taverne. Elle est souvent au
milieu des vignes, à l'ombre de tonnelles (LXVI 7 - CLXXXII 6). Pour y attirer la clien-
tèle, le maître des lieux entretient un fort beau jardin orné de fleurs les plus variées:

(jpl Ju sxJl JL Jj WÛ ) 4
wLp '
«Dans la demeure d'un cabaretier attenant à une taverne,
à Qatrabbul, parmi les jardins et les vergers
Donnant sur des champs de course, bordés
de bassins couronnés d'anémones...» (GLXXXIV 1-2).

A al-Karh, c'est au milieu d'un verger dévalant d'une colline qu'ils boivent. Des cous-
sins ont été disposés sous une tonnelle et « l'ombrage des branches vous couvre de son man-
teau» (CLXXXV 3 à 5). Ailleurs c'est «le tendre narcisse, la rose blanche musquée et la

""""""&"-
myrthe » qui bordent le Majlis (CCXXVIII 2) :

Familier de la cour, le poète était reçu par les Princes dans leurs châteaux de l'intérieur.
A Qufs (1), région de crus renommés, « au milieu des cabarets et des ruisseaux qui coulent»
(LXXXI entier), il séjourne sept jours chez le prince abü cIsà, fils d'abü Ja'far al-Mansür,
deuxième calife 'abbäside et fondateur de Bagdad.

Dans une élégie aux compagnons disparus (III), il se souvient avec mélancolie des
lieux qu'il fréquentait dans sa jeunesse, notamment du Mirbâd de Basra, et de Lubab. Le
Mirbâd était un marché sous les murs ouest de la ville, surtout connu pour les enquêtes
philologiques que l'on y menait auprès des Bédouins (2). Mais à l'occasion de l'arrivée des
caravanes et le jour des grandes foires, les jeunes gens en bande venaient s'y amuser. Lubab
était un faubourg de la ville.

Les couvents (3).

«Jusqu'à la fin du Xe siècle, et peut-être après, des couvents d'Iraq et de Syrie étaient
fréquentés par le monde des libertins musulmans qui pouvaient s'y procurer du vin et
d'autres plaisirs » (4) . Situés près des agglomérations ou isolés aux bornes du désert et sur

(1) Yãqôt, Buldãn , IV, 134 sq. Beyrouth, p. 94, CCVIII 8 à 11.
(2) E.I., I, 690 sq. Revue Ibla , 1957, n« 80, (4) Blachère et Masnou, «trad. choix de
pp. 369-379, article d'O. Scemama et surtout Pellat, Maqãmãt d'al-Hamadânï », 122, note 20 avec une
Milieu Basrien et nouvel article Basra , in E.I., I, 1117. bibliographie sur cette question et E.I. , I, 920 sur
(3) LXXVII 1 - LXXXV 1 à 8 - LXXXVI quelques-uns de ces monastères.
entier - CXXXVI entier - GXLI 13 - 18 et éd.

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45] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 51
les pentes montagneuses, ces monastères se trouvaient souvent sur la route des caravanes.
Les voyageurs venaient parfois s'y reposer et les moines prirent l'habitude d'accueillir ces
hôtes, comme le faisaient les religieux des cloîtres d'Europe. Ils offraient du vin qu'ils pré-
paraient : le poète nous parle d'un vin vieilli dans le monastère d'un diacre : j-± * ó
(LXXVII). Ils en faisaient aussi commerce pour assurer leur subsistance à la façon, plus
tard, des Bénédictins en France par exemple. On prit donc l'habitude de s'y rendre pour
boire en toute liberté. Parfois, quelques maisons se groupaient autour de l'un de ces couvents
pour former un village et bientôt une ville: Dayr al-cAqül, par exemple ( E.I. , I, 920).

Nous ne sommes pas arrivés à situer exactement le Dayr Bahrädän dont nous parle
le poète (1). Il le visite en compagnie joyeuse le Dimanche des Rameaux : .
Le couvent est entouré de jardins garnis de fleurs de toutes sortes, «de tendres narcisses
et de roses». Servis par un jeune et délicat échanson, ils vont boire jusqu'à l'ivresse
(LXXXVI).

Au nord de Kufa se trouvait le Dayr Hanna : ^ ^ (2) (CXXXVI et


p. 94, éd. Beyrouth). Des ermites au corps sculpté par l'ascèse «y font retentir le bruit
répété des sonnettes au-dessus des Psaumes de David ». Aucun appel à la prière musulmane
ne vient troubler la conscience des buveurs, car « on n'y entend que les Évangiles et l'invo-
cation du Messie ». Un jeune garçon « aux hanches arrondies, àia taille fine, vêtu de l'aube:
ã-pj O-« 5 par-dessus la cilice : 4 , sert le vin dans de larges coupes. C'est un enfant de
chœur qui tient l'office d'échanson:

¿ jJ c-i 9 jl J.
Le poète en ressent un vif plaisir, mais nous ne notons ici aucun trait franchement éro-
tique (CXXXVI et éd. Beyrouth, p. 94). C'est d'une église aussi dont parle le poète sans
la situer:

« La simandre t'a annoncé l'aurore


et le moine a chanté dans l'église...» (LXXXV).

Il s'agit probablement d'une abbaye entourée d'un parterre multicolore de fleurs, « de


lavande et de nénuphars» (ol ¿ >^). Au milieu de prairies paissent des veaux. Ici le poème
tf i c

se termine sur une prière à boire adressée à un religieux ceint du zunnãr , ju y' (LXXXV).

ãjGOi J jüjil "jJCp C


j ^ ó o'jlJUÎ LJCp J, cli" V
, désigne une synagogue ou la fête juive de Pourim. Il ne s'agirait plus alors
d'une église: , et le zunnãr , ceinture portée en principe par les moines, ferait aussi

(1) L'éd. du Caire, 83, note 1, cite un passage vaguement dans le sawãd.
à9 Alhãnu-Alhãn , d'A. Sidqï, 84, qui le situe assez (2) : cellule d'ermite.

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52 JAMEL BENCHEIKH [46
partie du vêtement des religieux juifs. En fait, cette confusion semble être due à l'évocation
poétique dans un même poème (LXXXV) de soirées passées en deux endroits différents.

Certaines tavernes se trouvaient à proximité des couvents dont les cloches réveillent
les convives :

l)La_A j AJLPUÄ-J V -LJ GLJU ...


« Nous fîmes profession la nuit entière de notre soumission à Satan
jusqu'à ce qu'un moine eut annoncé la mort de la nuit en sonnant» (GXLI) (1).

<jl jî <j V
Ailleurs le « doux son des cloches » vient se mêler à la voix des « luths » aux pleurs d'une
jarre et au rire des bouteilles» (CCVIII).

¿CJ j liJUaJ jî

(1) Nâqûs : dans le Livre de la Couronne , attri- le rôle de nos cloches, celles-ci étant d'usage stricte-
bué à Gâhiz, et traduit par Pellat, collection UNESCO ment européen occidental. »
celui-ci souligne 201, note 1 : L'étymologie EÝ)jxavTpa peut, à ce sujet, être une
«Le mot arabe nâqûs qui désigne les instruments indication utile. Il reste que les sons émis par une
servant aux chrétiens pour appeler les fidèles peut simandre peuvent difficilement paraître mélodieux.
se traduire par simandre ou hagiosidère, crécelle Peut-être faudrait-il essayer de préciser le sens exact
liturgique, rotelle et tartarelle. » de nâqûs. Quoiqu'il en soit, très tôt la proximité des
Sauvaget, Historiens Arabes , glossaire s.v. Siman- couvents et des ermitages a inspiré certains thèmes
dre , 188, précise: « Planchette de bois dur, suspendue aux poètes arabes. Leurs images en sont devenues
à une corde, que l'on frappe avec un maillet de bois... clichés. Blachère a relevé ce fait, Hist. Litt . Arabe , I,
Dans tout l'Orient, le (sic) simandre jouait autrefois 55, note 8.

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47] POÉSIES BACHIQUES d'ABU NUWÄS 53
HAMMÃR - DIHQÃN (1) et HAMMÃRA
SjL^ÛÎ - jLLa jJÎ - jLoicJI

De tous les lieux de plaisir qu'il fréquente avec ses commensaux, c'est vers les cabarets:
, qu'Abü Nuwãs se dirige le plus volontiers. On les trouve en ville, dans
les faubourgs ou même en dehors des agglomérations. Ces tavernes, surveillées par la
police, sont très fermées et ne s'ouvrent, avec précaution, qu'aux habitués. Le poète ne nous
décrit pas les lieux, l'atmosphère de ces antres, les individus que l'on y côtoie. Aussi ne pou-
vons-nous qu'imaginer ce qu'elles pouvaient être. C'est bien regrettable, car nous aurions
pu avoir de la vie nocturne d'al-Karh ou de Qatrabbul de très intéressants tableaux.
Néanmoins Abù Nuwãs excelle dans la description du hammär ou de la hammära . Les
portraits qu'il nous en donne sont parmi les plus vifs, les plus pittoresques, les mieux saisis
de ceux qui animent ses poèmes. Ses dialogues avec le tavernier sont vivants et parfois pleins
d'humour.

La visite se déroule presque toujours de la même façon. Par crainte sans doute de la
police ou parce que le quartier est mal famé, la bande frappe à la porte de la taverne par
une nuit noire:

(L) J WLW-L« J-jwJIIj


(LU) vÇLr 'JÄ
( cLxxi ) d ^jCûcr'^Li!^
« alors que les oiseaux sont encore dans leur nid» (CLXXI) (2).

Les compagnons se font reconnaître en clamant haut leur générosité pour décider le
tavernier à entrebailler sa porte.

Le hammãr : .
Ce peut-être un simple vendeur de vin : , dont la boutique est si étroite
qu'on ne peut y rester. Aux coups frappés à sa devanture, il se réveille mi-craintif,
mi-appâté par l'espoir du grain. Il rit aux éclats ( en voyant la compagnie et s'affaire
bientôt avec un chandelier (L).
zi
Mais voici Samuel, un vrai cabaretier, dimmi porteur de la ceinture des chrétiens : jLj' jil .
Il se fait donner un prénom musulman, 'Arar, par nécessité et à contrecœur (3). Le poète

(1) XIX 7. XXX 7. XXXIV 2. XXXIX 7-11. CCXVII 3-4. CCXXVI 1 à 7. CCLII 2. CCLXII
L 2 à 7. LI 1 à 14. LVI 1. LXIII 1 à 10 .LXIV 2 à 8. 8-9. CCXCIII 6 à 11. CCXIV 7.
LXVI 5 à 8. LXIX 1 à 6. LXXII 1-11. LXXIX 1 à 6. (2) Cf. aussi LXIV - LXIX - XCVII - CXXV.
LXXX 4 à 10. LXXXI 3. LXXXII 1. LXXXIX (3) Pourtant, Gähiz nous signale, Bayãn, éd.
2-3. XC entier. XCII 1 à 6. XCVII 1 à 7. CXI 3-4. Sandûbï, I, 92, que les cabaretiers sont des dimmi- s
CXXV 5 à 14. CXXVIII 5. CXXXII 4. CXXXIX qui doivent porter un nom à consonance étrangère;
entier. CXLI 10. CXLV 5 à 21. CXLVIII 1 à 5. relevé par Pellat, Milieu Barrien, 232, note 3.
CLIX 2-3. CLXXI 2. CLXXV 1. CLXXXII 4 à 8.

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54 JAMEL BENCHEIKH [48
a conduit les montures des fityãn à sa taverne, mais lui voit d'un mauvais œil ces musulmans
et les accueille fort mal. Il est fier de sa religion et de caractère ombrageux: il se cabre lors-
qu'on lui demande du bon vin, car il n'en vend pas d'autre (LXIII).
Marchand de vin encore celui-ci, grisonnant, les moustaches noircies d'avoir soufflé
dans les outres : JL-J1 . Le sommeil l'a surpris la tête appuyée sur la paume de
sa main gauche. Il sursaute effrayé par les appels, court allumer les lampes, se rassure
et bêle de rire: . Le poète lui remet mille dinars pour boire un mois sans
se soucier du compte (LXIV).
Entrons dans ce cabaret-hostellerie : oG- . Le patron s'est endormi tout habillé:
. Les chiens reconnaissent ces visiteurs du soir et s'écartent. La bande a couru
1st " ~ *

de taverne en taverne avant d'arriver à ce lieu secret qu'Abü Nuwãs reconnaît grâce

J (LXIX).
« à la calvitie du hammãr qui brille dans la nuit et à sa barbe blanche » :

Dans cet autre, le cabaretier, effrayé par cette visite nocturne, feint de dormir, crai-
gnant une ruse de la police, et son cœur bat la chamade. Mais lorsqu'il entend son nom,
il s'empresse d'ouvrir, assuré du profit : j «JjÚ ¿Ip JiÙAli 9 multipliant cour-

" - » " «s ^
bettes et salutations, éclairant les lieux et préparant le vin (CXXV).
C'est toujours de ce réveil en sursaut qu'il nous donne des images saisissantes:
t>«J j-* C«. 'í'? >• j
«vacillant, ivre, titubant» mais, courtois comme un jeune homme bien éduqué, cP ?

"ô "* "¿r*


" - 3" j- ¿" *'£¡
il se lève servir (GXLVIII).

a'
« Il s'arrache du creux de son lit, la mèche en bataille,
titubant d'ivresse, somnolent. »

Bienveillant mais âpre au gain, il exige la dot avant d'accorder son vin (CCXCIII). Le poète
d'ailleurs n'est pas moins difficile. A Qatrabbul, un 'ilj (1) disert qui tresse des louanges à
son vin se voit répondre:

ç»'J' $ JjLú V
Il le fera alors goûter par trois fois aux convives (LXXX).

C'est parfois au terme d'un long voyage que le poète arrête, la nuit, ses jeunes cha-
melles : 5 épuisées par le trajet. Il est probable qu'il s'agit alors d'une taverne
ambulante ou de ces refuges que l'on trouvait sur le parcours des grandes caravanes (cf.
thème des lieux). Le cabaretier marmotte : , les yeux remplis de sommeil comme
un ivrogne (LXXIX).
Ailleurs le poète conduit les montures fourbues de ses compagnons en pleine canicule
à des hãnãt, à l'ombre du pampre des tonnelles. Un hammãr s'y affaire, obséquieux, qui s'em-
presse, salue et apporte le vin. Mais il est lettré aussi et récite des vers de Jarîr (CLXXXII).

(1) Cf. note 1, p. 55 [49].

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49] POÉSIES BACHIQUES d'ABÜ NUWÄS 55
Presque tous ces taverniers emploient de jeunes et beaux échansons que le poète nous
décrit abondamment. Il les fréquentait probablement dans ce seul but d'y trouver des éphèbes.
Ces tavernes étaient donc assez spéciales. Nous verrons, dans l'étude du personnage de la
femme, que d'autres cabarets attiraient surtout par les qiyãn qui y étaient engagées. Nous
trouvons d'ailleurs un exemple curieux de hammãr assez équivoque, lui-même « mignon »
qui se meut dans une atmosphère erotique: nous sommes chez Sâbà, dimmi surnommé Šamr
que la bande vient réveiller. Il porte un habit aux boutons brillants qui traine à terre et
« sa croupe fait plier sa taille ». Son beau langage subjugue la compagnie et il vend dans
une amphore pour cinq dinars de vin. L'ivresse le gagne et il chante une qaslda de
Dù-r-rumma (CXXXIX).
Nous avons quelques noms: Ibn Adïn de Qatrabbul qui chante des vers de Yazïd b.
Mu'âwiyya (LXXII). Ibn Adhamâ que l'on prie de chanter en persan et surtout pas
en arabe: ... ¿Ipj (LXXXII). Ce qui fait penser que certains chanteurs
célèbres tenaient leurs propres cabarets comme cela se fait de nos jours ou bien étaient en-
gagés pour un tour de chant dans les lieux de plaisir en renom.

Ces taverniers étaient la plupart des étrangers: chrétien lisant l'Évangile en s'affairant
autour des jarres (LXXXIX), Juifs (LXVI), Kurde qui fait vieillir le vin dans les jardins
au flanc des montagnes (CLIX), Hlj plus généralement (1) (XXXIV- LXXX). La rencontre
d'ailleurs ne s'accompagne parfois d'aucune description physique du cabaretier. Après les
salutations (LXXX), le dialogue est simple prétexte pour lui de faire l'éloge de ses crus et
d'en servir plusieurs rasades avant l'achat (XCVII).

Le dihqãn : oC¿a jí' .

Un dihqãn est un chef de canton rural lui-même propriétaire et agriculteur. Les allu-
sions fréquentes à ses vignes (CXXVIII, p. ex.) et au vin qu'il prépare (CXI - CXLI) laissent
à penser que, propriétaire des vignobles probablement les plus importants de son canton,
il était fournisseur de vin. Ainsi ce dihqãn au toupet blanc d'al-Karh (CCXVII) :
-sr<S „ -s S „ J. £ ß ^ ß 9 ^ ß ß ° " fi ^ ti" *
J j li iL j ^ wU ^ <uJlj i CjL¿ wii ¿/ wül fi

C'est donc un Zoroastrien chef religieux de son village ou de son quartier (cf. sur son
rôle religieux thèse Mazhari, chap. IV, 31-34) (2).

Ce qui nous fait placer ce personnage à la suite du hammãr , c'est d'abord qu'on allait
directement chez lui acheter du vin (CXXXII). Il en faisait donc commerce de détail et
tenait une réserve d'amphores à emporter.

D'autre part nous trouvons une dihqãna vendeuse de vin dans le cabaret d'un riche

(1) 31Í& : ce terme est employé avec le sens (2) Ces notables, cultivés, ont probablement
de « cabaretier juif ou chrétien ». Ces chrétiens étaient été les gardiens et les défenseurs des traditions de la
souvent originaires d'Abyssinie ou de l'ancien empire grandeur persane. Pellat, Milieu Barrien, 140 et
byzantin. Cf. R. Blachère, trad. Maqãmãt d'al- note 3, rapporte un trait à ce sujet. Leurs demeures
Hamadânï, 21, note 13. ont pu servir de lieux de rendez -vous aux su'ûbites.

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56 JAMEL BENGHEIKH [50
tavernier nègre. Au milieu des outres, des jarres, des amphores et des cruches, elle siège
devant une balance «fort injuste avec les clients». Le poète lui remet un dinar d'or, em-
brasse respectueusement sa tête et la prie de lui tirer le vin de ces vieilles jarres « aux marques
effacées comme celles d'un campement ». Elles viennent de la réserve d'un dihqän , dit-elle,
qui ne s'en est débarrassé que pour ne pas attirer la convoitise du collecteur de fyarãj. Ce
cabaret était situé au bord d'un fleuve ou d'un canal . Car le poète nous dit « qu'il a retroussé
ses vêtements» et s'est embarqué sur son ójjj (1). Il y reviendra pour boire avec des
fityãn (CXLV).

Enfin, un poème nous décrit trente jours passés dans le logis : J , d'un dihqãn en
compagnie de commensaux de grande race et de noble lignée (CCXXVI) :

tf " " ¡S " "


jjir j-fcUi CÛ>«UI ^ 'iLiíL LJůjj CaGILG» ÙXÎ
J jLÛ»- (31 <wJî!S" ja-J Jljj 3 O
c'est donc un dimmi aux vêtements reconnaissables. Le mot : ¿S , fait allusion à la croix
qu'il portait au cou.

Ces chefs de canton, producteurs et marchands de vin, allaient donc en vendre dans
les cabarets, mais ils avaient aussi une pièce qu'ils devaient mettre à la disposition des bu-
veurs de passage pour déguster leurs crus. Il n'y a chez eux aucun échanson et aucune trace
d'érotisme n'apparaît dans les poèmes qui en parlent.

LA HAMMÃRA :

Nous avons de ces tavernières, souvent fort célèbres, des portraits hauts en couleur
et parmi les meilleurs que nous présente Abü Nuwãs.

En voici une aux cheveux poivre et sel: , qui se traîne péniblement pour soutirer
le vin (XIX). Une autre : S grisonnant, à l'aspect dévot, au maintien grave : j ,
voudrait bien ne servir qu'au matin. Mais, devant l'insistance des compagnons, elle se résoud
et décrit longuement son vin (XXXIX).
Entrons avec les habitués chez Hanün : bý l>- 5 par une nuit noire «où l'on ne voit
ni homme ni diable ». Elle vend son vin 9 dirhams les trois verres. C'est une redoutable ma-
trone qui, lorsque la nuit s'achève, vient avec une balance vérifier le poids des pièces et
promet la mort du poète si son or n'est pas de bon aloi (LI).

Suivons celui-ci maintenant à Qatrabbul chez Umm Husayn : fi . C'est une


Juive, élégante, qui, sous couvert de cabaret tient une maison de mignons. Notre homme
s'est nanti «de bon argent et d'or»:

j ¿j->* J Loo
80 beaux dïnârs qu'il a réunis en vendant chemise de soie, robe et manteau. La tenancière

( 1 ) Petite barque à fond plat, assez large, munie gouvernail. Conduite par un passeur : , elle ser-
de deux ou trois bancs, équipée de rames et d'un vait au transport particulier des passagers.

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51] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 57
le soulage sans vergogne de ses écus et il repart salué par le tavernier goguenard, peut-être
le mari:

Jl -LÍ j A_pl ^ j *VJLP Jlû3


0 - ¿ J - >• J 0 ¿ 0 J - © "#f 0 " • . v»f

« Et je repartis de chez elle réduit à la misère, sans argent, ayant acquis la ruine pour
deux cents dinars... le vin m' ayant chaussé des sandales de Hunayn...» (XG) (1).
Dans cette taverne tenue par un hammär , une femme s'occupe donc spécialement du
rôle de matrone (cf. XXX un personnage identique réveillé « alors que les Gémeaux ont
disparu et qu'apparaît la constellation de l'Aigle»).

C'est à al-Anbâr que nous trouvons un dernier portrait de cabaretière (CCLXII) :


(J, f^jlj yjLxJj »Li? >0. t* S J I ) o jJÍf OwA_j (J
õpj 'V>
« Dans la demeure d'une incroyante, commerçante en vin,
grisonnant, insolente et rusée, s'honorant de la présence du wãll (2).
La visiter est un péché, l'entendre un plaisir,
Chaque mesure de son vin est juste comme une sentence» (3).

Un échanson de toute beauté sert chez elle.

Ces tavernières sont donc toutes des chrétiennes ou des Juives, la plupart de petite
vertu et probablement retirées de la carrière amoureuse. L'Espagne andalouse connaîtra
aussi ces cabaretières au Xe ou XIe siècle (4).

(1) Proverbe bien connu qui correspond à celui hauts personnages ne dédaignaient pas ce genre de
du français: lâcher la proie pour l'ombre. Hunayn soirées.

est un savetier qui réussit à subtiliser la chamelle d'un (3) La fin de ce poème est censurée sur le Caire,
bédouin, lui laissant une paire de sandales qu'il n'avait cf. Beyrouth, 182.
pas voulu acheter. (4) Blachère, trad. Maqãmãt al-HamaçJânï,
(2) Ce peut être le gouverneur de la Province 121, note 11.
ou le chef de la police. Ce qui laisse penser que les

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58 JAMEL BENGHEIKH [52
LE PERSONNAGE DE LA FEMME (1)

Le rôle de la femme dans la société ummayyade puis abbasside surtout a été extrême-
ment important. Elle a souvent su imprimer sa marque à l'activité littéraire et même
politique de son temps. Les esclaves chanteuses : üUJ c 3 formées à Médine notamment,
ont pris un ascendant remarquable sur certains grands personnages de l'époque, notamment
sur les Khalifes. Le nom de certaines d'entre elles est célèbre, celui de Habâba et de Sallãma,
esclaves de Yazïd b. Malik est passé en proverbe (2). Le Kitãb al-Agãrã rapporte de nombreux
récits à leur sujet (3). Il serait très intéressant de déterminer l'importance qu'ont eu leurs
9 véritables salons où se déployaient le talent et les connaissances souvent étendues
de ces professionnelles de YAdab. Bien sûr, un autre aspect de leur métier est moins
recommandable. Mais il est certain que l'étude approfondie de leurs activités littéraires et
sociales fourniraient bien des lumières sur les différents milieux de ces siècles brillants.

C'est justement parce qu'Abù Nuwâs se dégage de l'érotisme pour tracer dans ses
poèmes le portrait de certaines de ces femmes que nous traitons de ce thème. Inverti notoire,
il les juge la plupart du temps en esthète ou en amateur de belle société. Ainsi, dépouillé du
contexte purement physique, ou plus précisément sexuel, le personnage de la femme trouve
place dans notre étude avec ses aspects artistiques et sociaux souvent fort intéressants.

Il n'est, parfois, qu'effleuré. Le poète nous dit ainsi qu'il passe tout un mois en com-
pagnie de deux vierges: le vin et une jeune fille, sans autre précision (XV). Ailleurs il incite
sans plus à jouir des belles femmes: «j^JI , des qaynãt et du vin (CXLIV) ou parle de la
compagnie des qiyän (CLXXV). Mais ces notations sont surtout de circonstance et nous
avons avec la Sãqiya un portrait déjà bien plus précis.

La sãqiya (4) : *iCJI .

La voici : î-iQ* jJL» 5 vêtue de la tunique : ß , badinant avec les convives, jãriya
à la taille bien prise qui sert le vin en même temps que l'ivresse de son regard (XXIX).
Pareille à une gazelle blanche : f-tJ^ (XXXVI), c'est, ailleurs, une Juive belle comme
l'astre qui verse la liqueur d'une main aussi blanche que la mœlle du palmier : 9 et
dont l'ivresse est impétueuse (LVI). Plus loin ce sont des vierges : ¿ , vêtues du qutruq ,
la taille ceinte d'une ceinture. Ce sont donc des esclaves chrétiennes (CLXVI). Une autre

(1) V 3-4. VII 9 à 12. XV 6. XXIV 6-7. XXIX (3) Cf. olxT , p. 64, note 68. Pellat donne
3-4. XXXVI 2. LVI 2-3-4. LXVIII 10 à 14. une abondante bibliographie relative à ces deux
LXXXIII 3. LXXXIV 5 à 11. LXXXVII 6-7. chanteuses dans la trad, du Kitãb at-TarbV , s.v., Index
CXVI 8-9. GXVII 3. CXVIII 6. GXXV 17-18. Noms Propres.
CXXX 9 à 19. CXLII 5. CXLIV 1. CLXVI 11. (4) Nous n'essaierons pas de traduire les termes
CLXXV 3. CLXXIX 23 à 29. CLXXX 4. CLXXXI de sãqiya , qiyãn, gãriya, gulãmiyya. Certains n'ont pas
6-7-8. CCIV 4 à 18. CCXXVIII 4. CCXXXI 4. d'équivalent précis en français. Nous avons craint,
CCXXXIII 2. CCXLII 12 à 17. CCXLIV 12. d'autre part, d'en restreindre le sens souvent imprécis
CCLXVIII 6-7. CCXCI 9 à 13. CCXCIII 12. et complexe. Nous avons désiré, enfin, indiquer
(2) J. Fuck, ť Arabïya , p. 198. exactement le terme employé dans le vers cité.

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53] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 59
a les hanches minces : ¿>- , ses yeux sourient avec sa bouche (CCXXXI) et telle est son
intelligence qu'elle saisit toutes les allusions badines des convives (CCXXXIII).

Et voici une Copte (CCLXVIII) :


G-IjLjL* S jJ y* Qž.-C
Gv-1-iiNi V «ÄL ^ j_I_U Jj-Ä-J
qui incite les buveurs à vider vivement leurs coupes. Il arrive même que le vin soit servi par
un säql et une sãqiya, , frère et sœur, aux grands yeux noirs, dont le nom est Ma'n et Nu'm
(CXVI) ; ou le poète nouso >dit encore que le vin est servi soit par une muqartaqa soit par un
mince échanson :• <J" a-a
& j-* .
Il y avait probablement donc un métier d'échanson que l'on apprenait à de très jeunes
enfants. Les plus doués devenaient plus tard des gulãm ou des qiyän fort prisés.

Et c'est ce dernier personnage que nous abordons maintenant. Il est, pour nous, plus
intéressant car les portraits qu'Abü Nuwãs en donne sont plus détaillés et plus vivants.

La qayna : ãjlJí!! .

Il est donc probable que les qiyän commençaient très jeunes leur éducation artistique
et amoureuse en tenant l'office d'échanson, à la façon des geishas japonaises. Le poème
(LXXIV) nous le confirme. On y voit apparaître une sãqiya élégante et cultivée, apparte-
nant à un maître d'esclaves chanteuses qui est aussi entremetteur : ^ . Jeune
järiya , elle porte les messages de ses aînées à leurs amants. Puis son corps s'est formé et elle
se lance à son tour dans la carrière galante.

"•0•
Nous avons toute une galerie de ces portraits. Les uns à peine esquissés : musmïa qui
chante à la demande (LXXIII) ou gãniya pleine de zèle (CXVII). Mais les autres sont mieux
dessinés.
O}

C'est une svelte chanteuse: , qui accompagne au luth la mifallaqa d'al-A'sà avec
une voix digne de passer en proverbe (LXXXVII). Cette autre joueuse • de luth : j* ,
à la taille flexible surmontant des hanches arrondies comme une dune, fait naître les soupirs
de l'assistance pendant qu'un gulãm sert à boire (CXXV).

Dans le fameux poème du majlis littéraire (CXXX), la sãqiya nommée Qubal chante,
le verre à la main et d'une voix parfaite, la même mifallaqa d'al-A'sà suivie d'une qasida
d'al-Qutâmï (1). Le commensal d'Abü Nuwãs s'éprend d'elle, le vin la gagne et elle récite
des vers amoureux de Jarïr. Lorsque le poète la complimente elle rougit de honte et la cou-
leur des roses « rit » sur ses joues.
i5 ß ß v
Et voici notre homme entrant chez des jawãrin bien formées et sans voile: v .
Elles l'accueillent souriantes, épanouies, et il prend part aux délices de leur conversation
(CXLII).

(1) Cf. Huart, p. 53.

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60 JAMEL BENCHEIKH [54
C'est la fête du Printemps : j jj$' 9 un beau gulãm remplit les coupes et une musmťa
vient avec un luth : <1)CJ ^ jjA . Ses doigts, teints de henné pincent les cordes
et, tandis que le vin coule, elle chante des chansons d'amour (CCXLIII). Il y a enfin
dans les jardins de Karh le logis d'un tavernier où une blanche et belle fcâ'ib (1) récite des
vers d'A. Nuwãs (CCXCIII).
Ainsi une description physique toute en nuances ou à peine esquissée nous emmène
loin de l'érotisme parfois léger, souvent emporté jusqu'à l'obscénité qui accompagne l'appa-
rition du gulãm . Et l'on imagine fort bien ces réunions élégantes et raffinées où l'on faisait
assaut, quelque temps, de courtoisie et de savoir.

La gulämiyya : .
Équivoque et cerné de touches éro tiques, ce personnage, s'il prend place dans le milieu
des qiyãn säqiyät , s'en différencie nettement. Le poète nous dit crûment que cette femme a
l'allure d'un garçon et sert de gulãm (V). Cette sãqiya porte le qutruq : <i , et a des yeux
de « veau sauvage apeuré » : <3 j->- j ¿j->* . Son cou a la grâce du faon, sa démarche est
balançante (LXVIII). Nous insistons sur cette description parce que le poète y emploie le
même vocabulaire et les mêmes images que pour un gulãm . Lorsqu'il ne précise pas, il est
difficile de savoir s'il décrit une garçonne ou un mignon. Ainsi de cette amie: , dont
il nous dit qu'elle se refuse et s'abandonne (CXVIII). Et c'est pourquoi nous pouvons à
coup sûr distinguer la gulämiyya de la qayna tant par les termes de la description que par les
gestes qu'il lui prête:

«23. Je souffre de l'amour de gulãmiyyãt


24. Aux accroche-cœurs sur les tempes enlacés,
25. A la taille droite effilée,
26. Vêtues de chemises boutonnées,
27. Aptes aux deux amours.
28. Je désigne ainsi ma maîtresse,
29. Celle qui tient ma vie entre ses mains» (CLXXIX).
I- C *
ÛCj-L<.,4 Oi j ¿
$*J
CA
0.-o-

Cette autre jeune servante: waslfa, souple comme un rameau et prête à tout amour,
drape étroitement ses formes dans un qutruq à la façon des femmes du líurãsãn. Des

(1) Jeune fille à la poitrine formée.

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55] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 61
accroche-cœurs embellissent ses joues. Elle abreuve le poète qui nous rapporte longuement
leur entretien et leurs gestes dans le style des dialogues amoureux de cUmar b. abï Rabï'a.
Les galanteries ordinaires s'y mêlent à l'érotisme le plus précis qui apparaît justement
parce qu'il relève chez l'auteur de l'érotisme gulâmï.

Même si cette pièce (CGIX) est plagiée (1) ou écrite en état d'ivresse elle illustre par-
faitement, qu'à la vérité, cette gulãmiyya ne représente plus guère aux yeux du poète un
personnage vraiment féminin.

Ce personnage nous le retrouvons pour finir dans deux poèmes où il sert simplement
de prétexte littéraire à la description du vin. En CLXXXI où un vin de Karh a la pureté
du visage d'une masüqa et la limpidité d'une larme qu'elle retient suspendue entre ses cils.
Et en CCXGI il compare l'éclat lumineux du vin aux feux scintillants du collier : , de
la säqiya (2).

(1) D'après as-Sûlï, éd. Caire, p. 191, note 1. L'ouvrage de Nasir ad-dîn al-Asad : 'LâîIj ùUÎI
(2) Sur Péducation, les talents, l'influence mo- g , Damas 1960, s'appuie sur une biblio-
rale et sociale des qiyãn, cf. Pellat, Milieu Barrien, graphie importante. Il est indispensable pour une
249 à 255, avec abondante bibliographie et analyse étude d'ensemble du personnage de l'esclave chan-
de la ùUûl SJL-j de ôâhiz qui est un document de teuse dans la société et la littérature arabes.
premier plan.

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62 JAMEL BENGHEIKH [56
LES PERSONNAGES MASCULINS (1)

Alors que les personnages féminins trouvent aisément leur place dans une étude de
l'œuvre bachique d'Abù Nuwãs, il n'en est plus de même pour les personnages masculins
de l'échanson : ¿C* 5 de l'éphèbe : , et du chanteur. L'attirance sexuelle marquée du
poète les place, en effet, dans un contexte purement érotique qui les fait déborder de notre
sujet. Souvent même, ils occupent une place si importante que le partie proprement bachique
du poème n'est plus qu'une introduction à une suite érotique. Le chant du vin provoque
la verve amoureuse qui se dégage bientôt avec netteté.

Il est, d'ailleurs, difficile sinon impossible de distinguer un personnage d'échanson, un


autre de mignon ou de chanteur. Le même individu remplit, suivant le cas, l'un ou l'autre
de ces offices.

Une partie de l'œuvre bachique d'Abü Nuwãs trouve donc place dans une étude de son
érotisme, thème qui a d'ailleurs fait l'objet d'une thèse (2). Nous ne pouvons ici qu'en
donner des traits généraux et marquer, ainsi, que la passion amoureuse se mêle intimement
à l'amour du vin, l'un et l'autre se provoquant, s'exacerbant et trouvant matière à déve-
loppement.
L'érotisme bachique du poète n'est pas différent de celui qui prend place dans la partie
proprement amoureuse de son œuvre. Ici et là, il n'obéit en rien aux règles de la poésie
galante en honneur à son époque. Il s'exprime d'une façon beaucoup plus directe, avec une
aisance, un mordant et une crudité incomparables.

Certains poèmes commencent même par un prélude amoureux (LXXVI - CXXXII -


CXLI - CLXXXVII - CCX, p. ex.) développant les thèmes de la séparation ou des souf-
frances de l'amour. Mais c'est le plus souvent après le chant du vin et en fin de poème,
qu'entre en scène l'échanson. Il est l'occasion d'une description physique très directe qui
ne varie guère, d'ailleurs, d'un poème à l'autre.

L'échanson est un adolescent, sinon un enfant, mince, svelte et souple. Il est coquet,
séduisant, gracieux comme une jeune fille. Ses yeux sont noircis au collyre: , ornés
du cerne des veillées et, semblables à ceux d'un faon, ils remplissent d'ivresse les convives.
Sa chevelure est abondante, parfumée à l'ambre gris et orne son front et ses tempes
d'accroche-cœurs en forme de scorpions ou de «nûn allongés» (CLXXXIV). Son visage a

(1) X 10 à 15. XIII 8 à 10. XV 8 à 12. XXX GLXXXII - CLXXXIV 7 à 10. CLXXXVII -
6 à 10. XXXII 9. XXXIV 4 à 6. XXXIX 21 à 26. CLXXXIX entier. CXG 1 à 5. CXCI-CXCVII 11
XL VI -XL VII 7. L-LVIII 10 à 13. LX-LXVIII- à 14. CXG VI II 7 à 9. GXCIX 3. CCI-CCX-CCXVII
LXXVI 1 à 3. LXXXI 4. XCIII 2 à 4. XGIV 3 à 8. 6-7. GCXXXV 10 à 17. CCXLI-CCLII 4. CCLVIII
CI 8 à 10. GX 3. GXV 7 à 9. CXVIII 6. GXIX 4 à 1. GCLX 4 à 7. GCLXII 4-7-10 à 12. CCLXXVI
13. GXX-GXXV 19 à 22. GXXXI entier. GXXXII 5-7. CCLXXX 3-4. CCLXXXI 5 à 11. GCXG 8.
14 à 18. CXLI-CXLIII 6-CXLVI-CXLVIII 6 à 9. CGXCIV 10 à 16. GCXGV 8 à 10. Et aussi :
GXLIX entier. GLV 5 à 8. CLVIII 4 sq. GLIX 5 à 8. LXXII 8-9. CXVI 8-9. CCII 4 à 9. CCIII 1 à 5.
GLXI 5. GLXIV 5 à 11. GLXXII 6 à 9. GLXXIV (2) Ali Chalaq , La poésie érotique d'Abü Nuwãs ,
7 sq. GLXXV 3. GLXXVII 4 à 9. CLXXVIII 3 à 8 Paris, 1952.

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57] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 63
l'éclat et la rare beauté d'un astre, ses dents sont aiguisées, ses joues rouges, sa voix limpide
et légèrement nasillarde. Un léger vice de prononciation trahit son origine étrangère et
ajoute à son charme (CGLXXXI).
Ses doigts fins et délicats sont teints au henné. Il porte une tunique: , qu'il
retrousse pour servir, ou le qutruq : à , du Hurãsãn. Dans ses vêtements qui le moulent,
sa démarche est ondulante et légère. Il pare sa tête d'une couronne de fleurs, porte des
boucles d'oreilles et parfois un collier d'amulettes.
Il est souvent cultivé et chante des poèmes célèbres (XCV - LXXXIX - CGXXXV -
CCLXXXI, p. ex.) accompagné au luth par une musicienne (CXXV).
Certaines de ces descriptions physiques ne s'accompagnent pas de notations sexuelles.
Mais c'est tout à fait insuffisant pour nous permettre de distinguer l'échanson du mignon.
Le personnage physique de ce dernier est strictement identique au portrait que nous venons
de dessiner. Nous devons donc nous borner à appeler l'échanson mignon lorsque l'érotisme
se fait plus agressif, que la description esthétique laisse place aux gestes de l'assouvissement
physique exprimé parfois en des termes et des images les plus obscènes. Cet éphèbe esclave
verse aussi à boire, chante, s'enivre et offre l'occasion au poète d'écrire des vers où les thèmes
du vin et de l'amour s'imbriquent étroitement. L'ivresse des convives donne naturellement
lieu à des scènes d'orgie.
Cependant, certains poèmes (LVIII - CLXXII, p. ex.) mettent seulement en scène
des jeunes gens avec lesquels le poète a rendez-vous, qu'il rencontre dans les lieux de plaisir,
et dont il nous conte les aventures amoureuses. Mais ceci constitue l'exception.
Échanson ou mignon, ces personnages sont des adolescents, formés dès leur jeune âge
à ce métier et dont certains cabarets avaient la spécialité. Ce sont, en général, des esclaves
chrétiens ceints du zunnãr { 1) (XL VII - CXLVIII - LCXXV - CCXXLVI). Le poète
précise parfois leur origine, tel ce Hbâdï de Hïrâ (CLXXVIII) ; ou Persans (LX - CXXXII -
CCXVII) la plupart du temps originaires du Hurãsãn.
L'auteur fait volontiers de ces personnages des créatures équivoques, mi-hommes mi-
femmes (L - CCXCIV), et se plaît à parer ces garçons de toutes les caractéristiques fémi-
nines ou vice versa (V).
Tout cela fait baigner de nombreux poèmes bachiques dans une atmosphère très parti-
culière. Parfois, l'érotisme reste léger, en demi-teinte. Il rehausse le thème du vin ou lui sert
d'accompagnement discret. Mais, souvent, la description de ces garçons, leurs dialogues,
leurs gestes occupent une place fort importante. L'érotisme fait alors partie intégrante du
plaisir bachique. Il complète le chant du vin dans un ordre logique et naturel au poète. On
en vient même à se demander, parfois, si le bachisme n'est pas, ici, prétexte à développement
du thème de l'amour contre-nature. Le vin deviendrait alors un moyen d'atteindre l'érotisme
le plus cru (2).

(1) Sur le zunnãr, E.I. , IV, 1321, art. Tritton. restent encore à définir d'une manière précise. Gela
(2) Ce qui montre, si le soin était, combien éclairerait plusieurs aspects de la création poétique
gazai et hamriyya sont des genres dont les relations arabe.

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64 JAMEL BENCHEIKH [58
Il nous semble bien, en réponse à cette question, et sur le vu de l'ensemble des poèmes
bachiques, que l'amour du vin chez Abü Nuwãs, tout en étant très lié à l'érotisme, ne lui
est pas subordonné. Le poète a sacrifié à ses deux passions avec la même ferveur. Il satisfait
l'une et l'autre et les chante au hasard de l'inspiration. Aussi bien trouvons-nous dans la
partie de son œuvre consacrée à l'amour de nombreuses notations bachiques.

Nous avons remarqué qu'échansons et jeunes esclaves de plaisir chantaient. La mise


en musique des œuvres poétiques connaissait à cette époque une vogue considérable. Le
chant eut ses célébrités, et exerça une grande influence sur les genres littéraires et l'évolution
de la langue (1).

Le poète nous donne très peu de portraits de ces chanteurs professionnels. Nous ne
trouvons guère qu'un merveilleux musicien de Hït (2) qui récite des poèmes en s'accom-
pagnant d'un instrument et remplit les auditeurs d'admiration (XXXIX 22 à 25). Ce rôle
est tenu, pour le restant des poèmes, par des chanteuses ou des éphèbes.

Nous avons porté en référence la liste des poèmes consacrés en tout ou en partie à ces
personnages masculins. Le nombre des vers relevant de ce thème montre quelle importance
il convient de lui accorder dans une étude de l'érotisme d'Abû Nuwãs (3).

(1) J. Fuck, Arabïya, chap. IV, 73-86. Thèse à préciser. L'historien Ibn al-Atïr (Hist. Or. I, 561,
A. Ghalaq, p. 191 à 195 avec des référ. sur le chant ligne 8 du texte) nous dit que Quräsa as-Sâqï mit en
et les instruments de musique. Thèse Mazarí, chap. déroute Patâbek Zankï b. Aqsunqur en 526/1 1 3 1 - 1 1 32.
VIII, 71 sq. sur les ménestrels et échansons dans la Certains d'entre eux ont donc pu jouer un rôle poli-
civilisation persane. tique. Formant un corps d'officiers du souverain, ils
(2) Cf. thème des noms de lieux et les notes ont souvent été mêlés aux intrigues de la cour. L'étude
2, 3, p. 67 et 2, p. 71. de ce milieu spécial pourrait fournir de précieux
(3) L'importance sociale des échansons reste renseignements.

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59] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 65

LES COMMENSAUX (1)

C'est en des lieux de plaisir peuplés d'échansons, d'esclaves chanteuses, de mignons


et de musiciens qu'Abù Nuwâs allait se divertir. Il s'entourait de toute une compagnie de
jeunes gens, de poètes, de familiers de la cour, ces Fityãn dont il nous parle avec tant de
plaisir ou de regret. Ce terme n'avait pas encore ce sens de truand qu'il prit au IXe siècle (2).
Il désigne, ici, des adolescents ou de jeunes hommes, souvent issus des hautes couches de la
société, joyeux compagnons qui passaient le plus clair de leur temps à s'enivrer et à lutiner
chanteuses et mignons. Rien ne permet, en effet, de les qualifier de truands, au contraire.
Abû Nuwâs fréquente les grandes familles de Bagdad, il est précepteur d'al-Amïn, fils du
Calife Hârûn ar-Rasïd, qui partage ses orgies. Aussi est-il exigeant sur le choix de ses com-
mensaux. Il veut trouver en eux les qualités d'une élite. Cet homme, qui nous décrit crûment
les scènes les plus osées, ne peut nous avoir menti à ce sujet.

Les descriptions physiques des commensaux proprement dits sont rares et vagues. Ils
sont jeunes, beaux, sveltes (L) et resplendissent comme des flambeaux ou des astres dans les
ténèbres (XXXIX - CCIXXXI). Mais c'est à leur portrait moral que se consacre le poète.

Le commensal : , est de haute lignée et de bonne race. Son éducation très soignée
(LU) fait de lui un homme fin, délicat et cultivé:

rlw? Ã- ijUáLP *1 •>


«Combien de compagnons purs, généreux,
rieurs, illustres et gracieux...» (CLXXXII).

0 A-àLiCxJ! IjjG-
«alliant en eux la courtoisie, la bonté et la générosité» (CCXLV).

Leurs paroles sont des « perles en colliers » qu'ils égrènent dans une atmosphère d'élé-
gance et de raffinement (CCXLV).
En voici un dont la beauté saisit d'admiration:

íř '"'
-V>**r*5J
a jS 1
«parfait, au noble caractère, généreux» (CLI).

à l'image de tous ces jeunes gens, amis sincères, doués de toutes les vertus de l'homme du
monde, se conduisant dans le plaisir comme des seigneurs:

(1) III entier. VII 7. XV 1 à 5. XXIII-XXX 3. GLXXXIV 3. GXGIX 9 à 17. GGI entier. CCIII
8. XXXII 8. XXXVIII-XXXIX entier. XL 7-8. entier. GGV 6-7. GGVI - GGXX - GGXXXIX -
L 1-2. LU 10 sq. LV 10 à 17. LVI 1. LVII 7 à 13. CCXLII 9. CCXLIII-CCXLV-CCLXXXI 2 à 4.
LXXI 7-8. LXXII 8-9. LXXXI-GI 7. GUI entier. CCXCVIII 1.
GXV 8 à 10. GXVIII 7. GXX 4-5. GXXX entier. (2) Cf. choix de Maqãmãt d'al-Hamadânï.
CXXXI-CXLIII entier. GLI entier. CLX 5 à 9. Trad. Blachère et Masnou, p. 10, note 5, sur l'évo-
CLXIII 6-7. CLXVIII 12-13. GLXIV 3. GLXXXII lution du sens de ce mot.

B.E.O. - 5

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66 JAMEL BENGHEIKH [60
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(J ¿I J-*-!! <J y-*1-1 (J-AJJ S JG jy (J ** JCJI i_JLÍ * j ^ " i
«méprisant le soin de la dépense pour toute volupté
et sourd au blâme du censeur» (GXCIX et LVII).
Des vers entiers d'adjectifs laudatifs leur sont consacrés (LV - CLXXXIV). On les
voit, dans des jardins fleuris par le printemps, dégustant un vin royal, une anémone derrière
l'oreille («là où se place la plume», LXXI), C'était en effet la coutume des convives de se
parer de fleurs, comme cet échanson vêtu « d'une robe de jasmin », une anémone à l'oreille
(LXXII). Cette bande de «mauvais garçons» : ^ (XXX - LV - LXII - CXLIII),
au sens moral du mot, se réunit sous l'auvent d'un cabaret (LVI), dans un couvent, sous
une fraîche tonnelle (LXVI - CLXXXV), au milieu de parterres fleuris (VII), parmi les
ruisseaux, les jardins et les vignes (CCV), ou bien, mise en déroute par le soleil de midi,
elle se réfugie sous la tente d'un gardien de vignobles: (XV).
Après une nuit d'ivresse, lorsque les étoiles quittent le matin, ils vont se réveiller, se
remettre à boire et réciter des vers célèbres. Leurs réunions se prolongent parfois longtemps,
cinq (XXXVIII), sept jours (LXXXI) et même tout un mois. Ces fitya: 5 ont fait
du vin leur Sunna . Insouciants, ils luttent à qui boira le plus, répandant le vin sur la tête de
quiconque refusera de le faire davantage.

Difficile sur le choix de ses commensaux (CLXIV), Abü Nuwäs en est venu à établir
de véritables règles de savoir-vivre : ^ ¿I .
ç j £JI ojà JL ô| Ç
«choisis, si tu bois, un compagnon aux nobles vertus» (CLX).
L'homme intelligent doit savoir s'entourer (CCXXXIX). Rien n'est plus pénible
qu'un ivrogne qui, ne se contrôlant plus, est cause de scandale : • H faut se
hâter de le faire boire et le coucher lorsque l'ivresse l'a abattu.

La réunion de plaisir : u^- , a ses règles qui doivent régir les réunions des francs
compagnons. Un poème porté sur l'édition de Beyrouth (p. 123), codifie même ces lois en
cinq points, ùUaJl j :
- Être élégamment habillé et avoir une attitude digne.
- Se montrer bien élevé envers ses convives et faire preuve de bon caractère.
- Bannir toute vanité et ne pas se targuer de ses origines quelles qu'elles soient.
- Les commensaux n'étant réunis que pour boire, être bref et ne pas garder
la parole.
- Se monter noble et généreux - oublier au matin tout ce qui a pu se faire
ou se dire la nuit.

Ce savoir-vivre va devenir, au Xe siècle, la règle d'or des salons, temples de la muhãdata


et de la musämara (entretien et veillée littéraires). Finesse, éducation reflètent un milieu
social élevé. Mais il ne faut pas oublier, cependant, que le poète se meut avec autant d'ai-
sance dans l'orgie et la débauche.

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61] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÃS 67
Il faut souvent reconnaître al-Amïn dans ce personnage du commensal qu'il décrit
sans le nommer (XXIII - CXXX - CXLIII) Il aime en effet beaucoup la compagnie de
ce prince qu'il débauche et relate maintes fois leurs scènes d'ivresse.

Abù Nuwãs a composé deux élégies célèbres dédiées aux fiers compagnons de ses plaisirs
(III - XXXIX). Il évoque tristement, dans la première, les lieux de plaisir qu'animaient de
leur présence ces fitya « minces comme des sabres » que le temps a dispersés à jamais. Devenu
vieux, il pleure, dans la seconde, à leur souvenir:

dXai! iyA j ¿.K 4


a
«Nobles compagnons pareils aux flambeaux des ténèbres,

fiers, princes ardents

Se jetant sur le temps armés de leurs plaisirs...» (XXXIX).

Ces vers rendent fidèlement l'avidité de ce jouisseur et cette espèce de course qu'il mène
contre le temps pour en charger de volupté chaque seconde.

Il ne manque même pas à ce tableau la préférence du poète pour la société des Persans.
Il nous les décrit parlant entre eux, à voix basse, la langue chère à son cœur. Ils font assaut
de courtoisie, d'élégance et de belles manières et savent arrêter leur ivresse à temps

f (P«J JU Li ...
(CCVI) :

Ç (J ¿LP jJÜU ^j' ¿I J Jl


Ils ne font montre d'aucune vanité alors que la conversation des Arabes se tourne vite
vers le souvenir de la gloire des Tamïm et des Qays. Les voici, ailleurs, célébrant le Nürüz (1),
la fête du nouvel an (GGXLII 9).
Et, en définitive, à travers tous ces jeunes gens, c'est son portrait idéal qu'Abü Nuwãs
nous trace et que nous allons essayer de dégager.

( 1 ) Sur le cérémonial du nürüz décrit par Sur les coutumes royales pendant cette fête,
'Umar Hayyäm dans son Livre du nouvel an, cf. thèse cf. Öähiz, le Livre de la Couronne , trad. Pellat, 165
Mazhari, chap. VII, 76 sq. à 169, 176 et 179; E.I., III, 949.

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68 JAMEL BENGHEIKH [62
LE PERSONNAGE BACHIQUE D'ABÜ NUWÄS (i)

Abü Nuwäs nous parle souvent de lui-même. Il se dépeint, se justifie, et veut rallier
à son idéal. De tous ces personnages qu'il fait revivre dans son œuvre, il est le mieux dessiné,
le plus vivant et nous disposons d'assez d'éléments pour dégager les principaux de ses traits.
Il est, malheureusement, très difficile de dater ses poèmes. Nous aurions pu, alors, essayer
de déterminer l'importance de cet aspect particulier du personnage dans le comportement
d'ensemble de l'homme, surtout vers la fin de sa vie. Nous nous bornerons donc à montrer
le poète tel qu'en son œuvre bachique il a voulu apparaître.

L'amour de la vie.

C'est ce qui frappe dès l'abord: passionnément, Abu Nuwâs aime la vie et se précipite
vers toutes les joies de l'existence. Il est ouvert à toute sensation agréable, à toute jouissance,
en un mot au plaisir de vivre.

C'est à cette philosophie que se rattache son amour de la nature. Il chante, dans ses
poèmes bachiques, les jardins, les fleurs, la vie des plantes (2). Leur couleur, leur parfum,
le jeu de la rosée sur les pétales, la parure nouvelle du paysage au printemps l'enchantent.
Le renouveau et la splendeur de la nature retentissent en lui et dictent sa joie de vivre. Une
fraîcheur exquise traverse alors ses poèmes. Le plaisir qu'il recherche n'est plus seulement
une forme d'évasion mais une participation harmonieuse aux joies profondes de l'univers.

C'est d'ailleurs une nature raffinée qu'il aime, celle que goûte un citadin de Bagdad.
Il aime les arbres, les vergers où le chant des oiseaux console de tout souci (XXXIX) . Tout
ce qui est désert aride le repousse. Il n'a rien du poète bédouin et préfère le narcisse (3)
et la myrthe à tous les épineux des sables (CXLI - CLXIX 3). Aussi les fleurs jouent-elles
un rôle important dans ses thèmes descriptifs.

Au cœur de cette nature charmante, il goûte par-dessus tout une compagnie agréable
qui jouit du spectacle au son d'instruments de musique:

<^->eZksäJf jtjjVlj ¿WU- 1 ¿ jJ'


ß f.i" ® ï * * 9 "wLIj* |S u"

«les fleurs sourient, les cordes mêlent leurs chants


les flûtes pleurent parfois et sanglotent » (4) (CCV).

(1) Nous donnerons quelques références en GGLXXVI - CCXCIII.


cours de texte seulement. Les éléments de ce chapitre (3) Qui est sa fleur préférée, cf. en LXX une
étant très épars et souvent répétés sous une forme à très belle description de cette fleur, et en GG 3-4
peine différente, leur énumération intégrale n'offri- une autre de jardins.
rait guère d'intérêt. (4) Gf. GLXVI 19 à 26, remarquable descrip-
(2) Cf. pour les descriptions de la nature: tion du luth et en LXXXIV - GLXXV - GCXXXVI
XXXIX 27-28. XL VII - LXV - LXX - GXIX - rénumération d'autres instruments.
GLXI - GLXXV - GLXXXIV - GG - GGXXXV -

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63] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 69
L'amour du plaisir.

J 1 Xi öl xl* J {jfiS jî ¡j* Jj ^Qi


« avec des jours, sous moi, coursiers de mes passions,
je galope sur le champ de course de mes plaisirs» (1).

Car, à côté de l'amateur de plaisirs délicats, apparaît un jouisseur effréné, cynique,


insolent, qui recherche délibérément l'orgie (CCLVIII). Le vin est sa passion. Qu'il décrive
les réunions joyeuses, qu'il se défende contre les censeurs et adjure de laisser le thème des
ruines pour celui du vin, ou qu'il invoque même le pardon de Dieu (CXGV), c'est toujours
cette injonction répétée: «bois».

Il n'a pas de plaisir qui lui soit plus cher, même celui de la chasse et du tir(CCXXVIII 3)
et (XLII 1) :
¿wâ! jÜJl Cj ù'^ ^ J wLAUI V j jL>J V
« Ce n'est ni la crosse, ni le champ de courses qui m'émerveillent,
et le cri de l'épervier ne m'attendrit pas. »

Mais boire modérément est signe d'impuissance. Il lui faut l'ivresse « qui met toutes
choses à la portée de nos désirs et fait s'incliner le temps devant nous » (CCLVII). Il ne voit
la vie que dans l'ivresse et le crie dans son fameux poème (XXX) :

. . . 'jLÛJi ^ J, • jï, ¿jU¡ Nt


« or donc verse-moi du vin et dis-moi: c'est du vin. »

(Cf. aussi GXII 3 - CCLXXX etc.). Et l'ivresse ne lui suffit pas, il lui faut afficher sa
débauche en public. Certaines pièces (CXCII - CCLXX - CCLVII) (2) sont autant de
défis nés dans une véritable frénésie du scandale. Le poète s'emporte et veut aller jus-
qu'aux plus grossières manifestations:

CÚJ¿L¡ 'jí^r ~ù cr G ofjûil LllU


« les plus douces voluptés se prennent au grand jour
et dans le scandale» (CCLXXII 3).

«J'ai remis mon sort aux mains de la débauche, et n'en ai plus de cesse» nous dit-il
(CLXXVIII 2). «Je boierai tous mes biens, présents et à venir... malgré la désapprobation
des envieux» (CLXXXI 5). En fait, la «philosophie» de ce jouisseur est souvent simple:
jouir de tout jusqu'à l'épuisement (LXXXVII, par ex.). Tout le poème VIII est une
défense passionnée de sa conduite :

C« (J ¿jj li
(1) Éd. Beyrouth, 80, 2e poème. audacieux sont souvent classés dans l'éd. du Caire
(2) Il nous faut remarquer, sans pouvoir en parmi les pièces d'authenticité mal établie.
tirer encore de conclusion, que les poèmes les plus

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70 JAMEL BENGHEIKH [64
D'ailleurs, affirme-t-il, il boit pour se dégager de ce qui est trouble dans la vie et n'en
garder que ce qui est pur (CXXXV). Le plaisir, pris comme fonction vitale, fait atteindre
alors le stade de la pureté et de la liberté, à l'égard de soi-même comme des autres.

C'est cette liberté qu'il s'acharne à défendre. Dans ses «adresses» aux censeurs (1),
en des vers très soignés et, souvent, de belle venue, prennent place ses considérations « phi-
losophiques ». Il ne juge pas ses gestes blâmables et sa générosité justifie ses actes. Il ne fait
pas de demi-mesure:

'fjjůl &UL : ol'JÙ) I Op clü


« et je ne me mesure pas les plaisirs
au jour le jour comme fait le débiteur» (LVII 5).

C'est en seigneur qu'il fait ce qu'il lui plaît, comme il l'entend. Aussi insiste-t-il sur
le fait qu'il ne se cache pas. Il étale au grand jour ses gestes comme ses désirs secrets et le
jugement de l'opinion le laisse indifférent:

Ji JjL. £>Clj cSXiVj ýwJl OLĎI JG-


«Je suis allé de grand matin à mes plaisirs, déchirant le
voile qui me cacherait et mes secrets intimes apparurent au jour» (CLV 1).

Et il n'a l'intention de demander aucune excuse. L'idée de la vie qui passe, de l'éphé-
mère, exaspère son désir. Il veut arracher la vie au temps, lui ravir les moments d'oubli et
de plaisir:

- - ** * - "
'äj'iCl. JfJû c/j'iCI» J'jLJ ^ Qll
«J'ai vu les nuits surveiller mes jours
et j'ai couru à mes plaisirs aussi vite que le temps» (CLV 3).

Il ne tient donc compte ni de la dépense ni du blâme (CXCIX). Il ne saurait suivre


l'exemple de ceux qui s'écartent des voluptés par crainte ou par espoir d'une récompense
céleste (CIV). Il ne peut concevoir une privation due aux règles de la société ou aux inter-
dictions religieuses auxquelles sa morale du plaisir devait forcément se heurter.

Le sentiment religieux chez Abu Nuwãs.

Abü Nuwãs rejette les prescriptions coraniques, souvent de la manière la plus violente.
Il en a été souvent puni et plusieurs poèmes font allusion à l'interdiction que lui avait signi-
fiée le Calife de boire du vin (XXI - XXII - XXXII - LVIII - LXVIII). Mais si, contraint,
il obéit quelque temps, à aucun moment il ne ressent de remords ou de repentir. C'est alors
un véritable amoureux qui parle de sa belle disparue. Il en est triste et douloureux. Tout
cela devient prétexte à longue description du vin et il apparaît vite que sa soumission sera
courte.

(1) Les poèmes bachiques d'Abü Nuwãs débu- les ruines mais à chanter le vin, adresse au censeur,
tent généralement par l'un des quatre thèmes sui- réminiscence d'un lieu de plaisir ou de compagnons
vants: Injonction à boire, incitation à ne plus pleurer de joie.

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65] POÉSIES BACHIQUES D'ABÜ NUWÄS 71
Le poète s'en prend à toutes les prescriptions de la loi islamique:

Le pèlerinage (XXVIII - CLXXX) : il ne veut le faire qu'après avoir épuisé les voluptés
de Bagdad. Il n'en reprend pas pour autant, ensuite, le droit chemin:

«mon cœur ne croit pas au salut» (XXVIII 3).

I il wUC-j p ÃJL * ùCi


Il semble, presque, que son plaisir de boire naisse du fait de fouler aux pieds les inter-
dictions. Cette liberté d'expression est tout de même remarquable, elle lui a valu bien des
déboires. Le vin devient pour lui un symbole de non-croyance et de liberté au nom duquel
il rejette les interdits. Il pleure à la nouvelle de l'ordre du Prophète de s'abstenir de boire,
mais il ne s'y soumettra pas:

«Je le boirai pur et je sais que mon dos en sera puni


de 80 coups» (XXXVII 4 et GCLXI 4).

Il réclame tout ce qui est ^ , interdit, et n'a que répulsion pour le 9 licite
(LXIV 7-8 - LXIX 5 - CCLXXX).
Le Ramadan lui est particulièrement odieux:

« cherche dans le vin des jarres refuge centre lui et passe sawwâl
dans la ripaille et le chant des exclaves» (CCVII).
Ce mois l'accable:

(S jC*>î jt- $JJ ^ ¿ LXJIaj J


« et nous restâmes dans les geôles du jeûne captifs de la peine» (CCXIX 2).

Il a, heureusement, toute la nuit pour boire:


1 ¿L jJI y- *.**„>• I I jJ

« verse-moi à boire jusqu'à ce que tu me vois prendre le coq


pour un âne» (CCXIX 6).
Il proteste contre le jeûne et la prière quotidienne, il ne respectera ni l'une ni l'autre
(CCXI - CCXXII - CCXXIV). Avec ses compagnons il savoure le vin jusqu'à ce que
l'heure de la prière soit passée (LXIII 14).
Aucune prescription n'est oubliée. Un poème très célèbre (CCXIV) parodie un efatwa,
consultation jurídico -religieuse, qu'il va demander à un savant. Celui-ci prend le contrepied
de tous les points du culte. Il les paraphrase, les ridiculise et conseille les actes les plus
blâmables.

Il rend son culte à Iblïs (CXLI 18) et invoque son nom à la vue d'un beau vin
(CLVIII - CLXIV - CCXVII). Il tient avec lui un dialogue non moins célèbre
(CCXLIV) où le diable, dans une sorte de tentation de Saint-Antoine, lui offre tous les
plaisirs de la chair. Le poète les refuse, mais personne ne se méprend sur cette résolution
d'un instant, Iblïs moins que quiconque.

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72 JAMEL BENGHEIKH [66
Mais s'il concède hardiment son dû au diable, Abü Nuwãs n'en éprouve pas pour
autant le moindre sentiment d'adoration. Il refuse toute soumission et eut probablement
rejeté toute autre religion: s'il a presque envie de se convertir au christianisme, c'est pour
mieux approcher un mignon chrétien et par amour de lui (CCXXXVII 12 et 14)!

La croyance au pardon divin.

Chez cet être irréligieux, livré sans retenue à ses passions, nous trouvons cependant un
attachement presque instinctif à la personne divine et la croyance en son pardon:
¿il JULP

«car pour les grands péchés il est en Dieu pardon» (CXLI 6).

jS> u£«jl J l ii t£ ÒS ¿ll o k Û JULP <J jJ


« On nous voit faire tout ce que Dieu réprouve
sauf de lui associer, lui le Miséricordieux, une autre divinité... » (CGXXVI 13).

Par-delà les règles de la religion, il croit en la clémence divine. Si l'on doit revenir de
l'égarement, dit-il, il faut le faire pour Dieu et non pour ce qu'en auront dit les hommes
(CXVIII8). Partant de cet espoir, sincère semble-t-il, il se sert d'une logique presque
ironique mise au service d'une casuistique simpliste: le pardon divin n'a pu être créé que
pour les pêcheurs, buvons donc avec ardeur pour qu'il trouve à s'employer (CXCV 3-4).
Et le voici mettant un Coran près d'une jarre, buvant et récitant le texte sacré, s'aidant de
la sainte lecture pour chasser le péché de l'ivresse (CXXXV) :

l- i j->$ iil ¿ JJtlj Î-Î^Û I ¿


L£p J
I j I i j IS L _1>CA ° ¿¡^ jü °jQXi
Peut-être est-ce plus audacieux dans la forme que réellement blasphématoire. Peut-être
qu'une réelle croyance en Dieu s'affranchit-elle, chez lui, du formalisme de l'interdiction
religieuse. Mais on voit à quel point, même pour des esprits peu orthodoxes, Abû Nuwãs
est agressif. Est-ce bravade d'un esprit incapable de mesure ou simple délire d'ivrogne?
Cependant, l'ironie n'est pas toujours perceptible et il se peut qu'il ait vraiment cru
en Dieu.

Il faut noter, sans en tirer de conséquences, qu'il donne parfois à son amour du vin
une forme d'adoration religieuse: il le pare «des plus beaux noms» dans un vers d'allure
coranique (XII), «allusion audacieuse, et dans un sens qui, ici, ne semble pas mystique,
aux beaux Noms et Attributs divins» (1). Le vin est la Sunna des compagnons (CXX 5),

(1) Dermenghem, Les plus beaux textes arabes , p. 39 et p. 542, notes 23, 24.

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67] poésies bachiques d'abü nuwãs 73
ils se prosternent devant lui (LXIII 11) et l'on peut se demander si les fréquentes compa-
raisons de la boisson avec un soleil (cf. VIII, p. ex. et tout le thème de l'Éclat) ne recouvrent
pas de lointaines réminiscences religieuses.

Aussi bien, si les récompenses de l'au-delà doivent lui être refusées, il trouvera son
éternité dans le vin:

Sij ail j ú jlL>. C +.J p


«Et même si pour nous l'éternelle demeure ne s'ouvre dès demain,
Le vin seul, ici-bas, généreux et limpide nous donnera l'éternité»
(VIII 6; cf. aussi CXXXIII 2).
Pas plus que les prescriptions religieuses, Abu Nuwãs ne respecte les règles morales com-
munément admises par toute société. Non seulement le scandale fait partie de son plaisir,

A ¿ USL; V
mais il semble bien qu'il ait été parfaitement incapable d'éprouver des scrupules moraux:

4 , îC M L*1Ä Loi

« ne te contente pas d'une ivresse sans la faire suivre d'une autre,


laisse la pudeur et l'hypocrisie, elles ne sont pas mon fait» (CL) (1).

L'estime qui entoure les hommes de vertu lui paraît coûter trop cher (CLVIII 2). Il
affirme cyniquement que la richesse peut tenir lieu de morale et d'honneur (XV 13 à 17 -
CLVIII 3). Aussi est-il décidé à se la procurer «comme commensal du Calife... ou comme
coupeur de routes » s'il le faut. Cet anti-conformisme religieux et moral, nous le retrouvons
pour finir, s'exprimant sur le plan social.

Le non-conformisme du poète bachique et la société arabe.

Le vin en est le symbole, comme il est celui de son incroyance et de son immoralité.
Abü Nuwãs se sent à l'étroit dans la société arabe. Il fait preuve d'une inimitié résolue envers
ses coutumes, son genre de vie et les formes de sa poésie. C'est un de ses grands procédés
de commencer un poème par: «ne pleure pas les ruines...» (2), contrairement au thème
qui ouvrait obligatoirement toute qasïia classique. Il se moque sans retenue de la gloire des
grandes tribus arabes « qui ne sont pas les seules élues de Dieu ». Il attaque cet esprit de race,
cet orgueil tribal si important dans la poésie arabe et dont s'armait un Farazdaq, peu de
temps auparavant encore, pour fustiger ses adversaires (CXLI 11). Il est aussi bien un
frondeur qui affiche ses beuveries qu'un fils de Persane qui refuse de se plier aux mœurs
barbares du bédouin « mangeur de lézard et buveur d'eau de puits dans les outres » (CXV 1 1
et XL VII). Sa critique est sévère pour «cette terre aride peuplée d'hyènes et de chacals»

(1) Cf. XXX: «Or çà verse -moi du vin et - CXIX - CXXV - CXXVIII - CXXXIII - CXLI
dis-moi : c'est *du vin », pièce qui résume très bien - CXLVII - CLXIV - CLXV - CLXIX - CLXXII
toute sa «philosophie». - CLXXIX - CLXXXI - CLXXXV - CCIX -
(2) Cf. IX - X - XXI - XL VII - LIV - LXX CCXXXV - CCLV - CCLXI - CCLXII - CCLXXX

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74 jAMEL bencHeikhé [68
(X 1 à 6) et plantée d'épineux (X 14-CL 18). Il ne voit que misère, fatigue, avarice dans
l'existence de l'Arabe; c'est tout à la fois sa race, sa terre, sa religion qui lui sont étrangères.
Et c'est avec un humour grinçant et cynique qu'il engage un dialogue parodié avec un véri-
table amoureux des campements déserts, pour se plaindre à lui de l'interdiction du vin par
l'Islam (CCLX). Il préfère l'aube d'une beuverie « à celle des guerres et du danger», « au

... !l Ji} G fil ^ ...


champ de bataille, au galop des chevaux» (CLXXVI 10-11).

« mon souci lorsque leurs guerres l'emportent


est de savoir laquelle des deux routes j'aurai pour m' enfuir» (CCXXIX5).

Car il reste étranger à cette civilisation de guerres et de conquêtes. Dans l'armée qu'il
forme, les lis tiennent lieu de flèches, les luths de tambours, les escadrons chargeant sont de
giroflées multicolores et les balistes armées de pommes du Liban. L'ivresse reste maîtresse
du champ de bataille dans ce magnifique poème (CCXI) :
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... C^Ul çí/' jldl Ã
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ÚC^-4^ ¡J* yJL J1 J-*J J (jj wLjÎ jÜÄJI LüC*->-
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... L-JGlaJ Cú
... Úl J^s. JL¿ I ij l
C'est sur cet aspect attachant de son personnage que nous terminons le portait d'Abü
Nuwäs tel qu'il nous est apparu dans ses poèmes bachiques. Tour à tour grossier et délicat,
cynique, violent ou aimable, par-dessus tout soucieux de prendre le meilleur de la vie et de
préserver sa liberté. Est-ce à dire qu'il est épicurien ? Nous ne le pensons pas. Épicure, certes
représente l'art de vivre, l'art de saisir tout plaisir, mais il reste maître de lui-même. Sa
règle est de ne s'engager à rien et de n'être engagé par rien. Sa liberté, c'est son équilibre:
il ne clame pas son plaisir, il ne se complaît pas dans cette fureur de l'interdit: «je fais ce
qui est blâmable, je piétine la morale, regardez-moi... » Il obéit aux lois d'une véritable
physique du plaisir et, pour ne se laisser jamais condamner à l'emportement, il reste maître
de ses passions. A. Nuwäs, lui, s'est livré à une passion et l'a vécue jusqu'à l'épuisement.

Tout cela pose la question de la réalité de son repentir. Trois poèmes seulement de
son œuvre bachique font allusion à sa vieillesse. Dans un premier (XV), où passent des
accents d'un François Villon, il nous dit ce que lui valaient la jeunesse, la beauté et son don
de la parole. Maintenant il est vieux, « ses pas se font rapprochés » sous le poids de l'âge,
ses ressources ont diminué, mais il reste l'amoureux passionné du vin et, à la fin du poème,

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69] POÉSIES BACHIQUES D'aBÜ NUWÄS 75
en donne une de ses plus belles descriptions (XV). Dans un autre il se défend d'avoir vieilli
et de devoir cesser de boire. D'ailleurs « ma main n'a pas assez vieilli pour ne plus pousser
le verre à ma bouche» (CXVIII).
Mais sa grande élégie à ses compagnons disparus se termine sur l'aveu de sa vieillesse
et l'imploration du pardon divin:

O^JI >'+p ¿-P : G ů j-i-p ...


«Je t'implore, gloire à toi, ô mon Dieu, pardonne comme
tu as pardonné, Très Grand, à Jonas» (XXXIX).

C'est le seul trait de la sorte que nous avons relevé dans tous les poèmes bachiques
étudiés (1).

(1) Le vers 26 de CLXVI: Nuwãs, une analyse de trois de ses poèmes, une étude

j3é '0vJ¿ ^7j IÎÎ50 ukip ^xh' J/j5 'áüS de certaines des caractéristiques de sa poésie qui
ne peut être retenu dans ce sens. Il ne laisse percer traite de quelques-uns de ses thèmes.
aucune émotion et le contexte montre bien qu'il s'agit Essai de vulgarisation honorable bien que peu
là d'une de ces girouettes dont le poète est coutumier. serein, il ne peut satisfaire ni dans sa conception, ni
Il nous faut signaler un ouvrage intitulé : ¿5 dans ses méthodes pour une étude critique sérieuse
par Iliya Häwy paru en 1960, dans la d'un sujet aussi vaste qui nécessite un travail prépa-
collection : Xs> ïcpvt û yjtfl . Il étudie dans ratoire considérable et minutieux. Des conclusions
l'ordre: al-A'sà, al-Ahtal et Abü Nuwãs auquel il valables sont à ce prix. La question du repentir du
consacre la plus grande part. poète exigerait des développements trop longs pour
L'étude de ce poète se divise en trois parties: cette étude. Nous comptons l'aborder dans un
une analyse psychologique du comportement d'Abù autre article.

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INDEX DES APPELLATIONS DU VIN

I. - Termes d9 appellation générale.

o- (coup du soir) CCLXXXVIII 1.


-»-
XII 1-6. XIV 3. XVIII 2. XXI 1. XXIX 3-4.
XXXIII 2. XXXV 5. XXXVIII 8. XLVIII 1. LI 8. LUI 2. LXXVIII 6. LXXXV 2-4. CXIX 3.
LXIV 6. LXV 2. LXVII 1-10.LXXVIII 6. LXXXIV
4. LXXXV 10. LXXXVIII 1. LXXXIX 1. XC 9.
Cíl 1. CIII 2-6. GVI 3. CVIII 2. CXI 1. CXIII 3. LXXI 2. CLVII 6. CLVIII 8. CXCIII 3. CXCIV 4.
CXVII 4. CXXIII 2. GXXX 6-16. CXXXII 2.
GXXXVII 5. GXLVII 6. GXXXIX 3. CLI 2.
CLVI 2. CLIX 1-6. CLXIX 4-5. CLXXXII 8.
II. - Termes désignant un vin d9 âge,
CXCVII 2. CXCVIII 3. CCIII 1-11. CCXI 12.
"
CCXIII 1-4. CCXVII 2. CCXXII 4. CCXXVI 1-9.
<j" ÍJ
CCXXXII 1. CCXXXVI 10. CCLXII 8-12.
CCLXXX 2. CCXCIII 1-9. CCXCVIII 8.
XCIX 5. CXXVII 3. CLVIII 5. CLXIII 3.
CLXVI I 1. CLXXVII 2. CCXXXIII 7.

VIII 2. IX 3. XXXV 1. XXXVIII 6. XLI 7. XXIV 3. LXVII 3. LXXI 4. XCVII 3. CXVI 2.


XLIV 1. LX 3. LXII 2. LXX 7. LXXIII 7. CCLX 2.
LXXXIV 3. XCV 2. C 1. CIII 3. CXI 9. CXIV 3. 9"*
CXVIII 6. CXXII 1. CXXIV 4-10. CXXVI 1-2. C-ju

CXXVII 9. CXXVIII 1. CXXIX 1. CXXXVI 6. XLIV 4.


CXXXVII 13. CXLIV 1. CXLVI 8. CLXVI 8.
CLXXXII 11. CXCIV 3-5. CCIV 1. CCXV 4. yo Cju
CCXVI 6. CCXVII 3. CCXX 1. CCXXII 2. CXLVII 4.
CCXXX 3. CCXXXIII 3. CCXLVII 2. CCLXI 4.
CCLXXII 1. CCXCI 10. CCLXVIII 1.
CLIX 1.
»"J?" *
I 9. IV 3. VIII 5. XXV 3. XL V 3. Lil 14. LV 11.
LXXII 3. LXXVI 4. LXXVII 1. LXXVIII 6. XXVI 3. CXLVI 2. CCXCIII 2.
XCIV 1. XCV 1-13. CIV 3. CXX 4. CXXXIX 8.
CXL 2. CXLV 2. CLXV 4. CLXVI 2. CLXXIV 6.
CLXXVI 3. CCIX 5. CCXXXIV 1. CCXL 2. XCII 1.
CCXLVI 1. CCL 1. CCLII 2. CCLXXVI 3.
CCLXXXVIII 2. CCXCIII 11. JJ*

>-
CXVI 3.

IX5.LXXX 1. LXXXVII 1. CLX 2. CXIX 1-14.


CCVI 6. CCXXI 6. CCXXXV 5. CCLXXXVIII 1. CLXXVI 4.

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78 JAMEL BENCHEIKH [72
III. - Termes désignant Vorigine du cru . úyL
4^ XIII 2. XXXIV 1. CIV 1. LXXXII 2. CXCIX 4.
CCVII 1. CCXXXVIII 3. CCLX 2-8.
XII 3. XXVI 6. XXVII 3. LXV 5. CXIX 7.
CXLVII 3. CLXXXI 6. CCLXXVI 9. CGXCI 8.

jQ
en XXXVI 2 est employé pour désigner l'hy-
dromel.
CXII 1. GXXV 2. CXLV 2.
.-*
Oîf-J
VIII 6. CXV 4. CXXXII 6. CXXXVIII 3.
IV. - Termes descriptifs de la couleur , âfc /¿z limpidité
CXLII 1. CXCIX 1. CCXXXIII 6. - Rahïq dé-
et adjectifs employés substantivement.
signe un vin généreux et pur. La forme ruhãq n'est
pas employée par A. Nuwâs.

XV 6. XVII 15. XIX 1. XXVII 3. LIX 5. LX 2.


LXIV 1. XCI 6. XGVII 2. CXVIII 1. CXIX 7.
CXXV 15. CXXX 9. CXLIII 4. CCI 5. CCXX 1. désigne un vin frais. LXX 8. LXXV 12. CXLVIII 9.
CCV 3. CCXXXVIII 2. CCXLIII 6. CCXCV 1. m>

XVII 11. CXII 1. CLXI 1.

V 2. XLI 8. CLII 1. CLXXIV 3. CLXXXI 4.


CCIX 9. CCLXII 2. CCXCV 3.
désigne «un vin très doux, qui a du velouté, des-
cend facilement dans le gosier et se digère bien»
LXXXIX 5. CCXXXI 2.
XXIX 1. CXXVI 3. CCXVI 1. CCLXXXI 8.

-V ûUj
V- <i » J
CXIX 8.
LXVII 2. LXXIII 5. CLXXXVIII 3. CXCV 2.

vin bonifié et rendu doux par son séjour dans ime


XIX 7. CCLXXVI 8.
jarre enduite de goudron. XXXIX 4. CXXVIII 10.

(vin de couleur rouge d'or) : CLIX 4. VI. - Termes désignant un vin produisant un effet parti -
culier .
¡JC j j
(vin de couleur noire) : XL VI 3. jULp
désigne un vin qui coupe les jarrets et exténue.
ZlJU*
XVII 8. XXIV 3. LXVI 2. LXXV 1. LXXIX5-6.
V 5. X 7. CLXXIII 3. CCXXIX 6. CCXCIV 2. Cil 4. CIX 1. CXII 2. CXXI 1. CXXVIII 2.
CXXXII 9. CXXXIII 3. CXXXVII 7. CLXIX 1.
CLXXVII 1. CLXXXVIII 3. CLXXVI 10.CXCIII
V. - Termes désignant un vin de qualité ou adjectifs 1. CC 6. CCX 9. CCIX 1. CCXIV 4-5. CCXXXIII
employés substantivement 3. CCXLII 4-17. CCLX 3.

désigne le premier jus du raisin pressé mais surtout (*) Sur ce terme cf. Blaghère, Hist. Litt. Ar.,
la meilleure partie du vin et la plus claire. XXII 3. 28 et note 1 avec une indication bibliographique sur
XXXII 2. XXXVI 2. LV 2. XCVIII 1. CXXVIII 3. son étymologie et sur sa signification initiale de
CLXXIV 2. CXCVII 2. « lointain », « d'importé ».

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73] INDEX DES APPELLATIONS DU VIN 79
>,
r*

désigne un vin aux effets durables: XXIV 1-2. CXI 5. CLXVI 16.
XXV 1. XXVI 1. XXXI 1. LXXI 7. LXXVII 9.
LXXX 6. XGII 7. GV 5. CVI 2-4-5. CXXV 5. CLI
7. GLIV 4. CLV 5. GLVI 5. GLX 1-5-9. CLXII 3.
CLXVI 6. GLXXVII 6. CCIII 7. CCVIII 6. GGXV VIII. - Appellations métaphoriques.

1-3. CGXVI 6. GCLX 5. CCXCI 7. CCXG 1.

Ã-*! LIX 1. XCIII 5. GXIX 1. CXXIV 5. CXLIII 4.


CLXXXI 5. CLXXXVIII 1. CXC 7. CXCI 1. CCX
désigne un vin «qui s'empare du buveur au point
7 CCLXXXV 2.
de lui ôter l'usage des jambes et de le faire tourner
sur lui-même». Le poète n'emploie pas la forme
mudawwama. - XI 4. XX 1. XLIV 4. LXI 9.
LXVIII 5. CXXXVIII 3. GL VIII 9. CXGI 1. XV 6. CLX 6.
CXCVIII 1. GGXXXVII 5. GGXXXIX 1. CCLX
6. CCXCI 4.

CXCIX 5.
jJ

vin qui cause un frisson après qu'on en a bu.


XXXIX 4. CXI 4. GXXXV 1. CLXXXIX 1. f/!l^
XCI 6.
CXCIX 4. GGX 9.

désigne le cep de vigne et le sarment LXXII 1.


vin capiteux qui donne une ivresse rapide. GXC 6.
CLXXXVIII 3. XLVIII 3. Zarajün désigne aussi un vin doré.

On trouve, parfois, ses appellations en apposition ïj-J-Ï-


ou en annexion:
LXIX 6.

XXXIX 4.
CXCIII 4.
jUL*l!
GXXVII 1. Vali õl
CI 1.
jUJI cJaí jj¿'
GGX 9.

CCXXV 1.

VII. - Termes relevant du thème du vin vierge et


épousée .

CCXCVIII 9.

L 7. LXIV 8. CIX 4. CXLIII 4. CLXXX V 13.


jLywJI AÃJj
GXGIX 4. CCXXXVIII 3.
CV 1.

ä àji 3i£t
XXXIV 1. XL 2. CXI 4. CLXVI 1. CCLXVIII 3.
On trouve en CXXIV 6 et CLXXVIII 6, bikr 'ajüz. XXVI 1.

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80 JAMEL BENGHEIKH [74
jil
Notons que le « sirãbu-s-$ãlihín » désigne le
nabîd(*): XXXVIII 4 et que fïlà est employé en:
LIX 3.
XLIX 1 - GXXII 1 - CXXIII 1.
» js
Lv^ul 5 J ï
Pour désigner un vin de très haute qualité,
XV 6. Abü Nuwãs le qualifie de : husrawãni ou de husrawï .
Cet adjectif s'emploie avec des appellations diverses :

SU~I ^-4-4
CLXXIX 14.
jUp (XVII 12), jilJLi (LXXI 7), (XGII 1)
Ui/i (CI 2), (GXV 4). Il est employé subs-
tantivement en GLVII 2.

XXXIX 10.

(*) Ce terme a souvent été employé « pudique-


ment » pour désigner le vin.

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TABLEAU DE CONCORDANCE

Les poèmes sont numérotés en chiffres romains de 1 à 299.


Le premier numéro en chiffres arabes désigne la page du poème dans
l'Édition du Caire.
Le deuxième numéro en chiffres arabes désigne la page du même
poème dans l'Édition de Beyrouth.

III 12 93 XXXVII 36 121 LXXIII 71


192 XXXVIII 37 131 LXXIV 72
III
IV 3571XL XXXIX
41 20338 81 LXXV 74
LXXVI 73 81
V
VI 6 59
78XLIIXLI 42
4344 179
164 LXXVII
LXXVIII 75
76
VII
VIII XLIII
9 XLV
164 XLIV 95 LXXIX
44LXXXI
LXXX 79 77
78 105
106
IX
X 10
11 73 45
XLVI 205
45 LXXXI I 80
XI
XII1213XLVII
XLVIII46 104
47 LXXXIII
LXXXIV 81
81
XIII
XIV 14 223
15178 XLIX
L LI
4849 47 LXXVI
LXXXVII 84 83187
XV
XVI 16
17 192 LU 51LXXXVIII
LXXXIX 84
85 231
XVII 18 LUI 51 XC 86
XVIII 19LVLIV5352162
103XCII
XCI 88
87
XIX
XX 20
21 224 LVI 54 XCIII 89 171
XXI 21 224 LVII 55 203 XCIV 90 159
XXII
XXIII2223
62 LIX
LVIII 57
56 161
XGVIXCV92 91
XXIV
XXV 23
24171 LX59
LXI 58 XCVIII
86 XCVII 93
93 87
XXVI 24 95 LXII 60 192 XCIX 94
XXVII 25 LXIII 61 118 C 94
XXVIII 26 108 LXIV 62 181 CI 95 119
XXIX 27 LXV 63 218 Cil 95
XXX 28 117 LXVI 64 102 CHI 96
XXXI 29 LXVII 65 CIV 96 234
XXXII 30 213 LXVIII 66 146 CV 97 180
XXXIII
XXXIV 31 LXIX
32 214 67
LXX 179 CVI 97
XXXV 33 LXXI 69 68 CVII9898231
CVIII
XXXVI 34 LXXII 70 CIX 99
B.E.O. - 6

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82 JAMEL BENCHEIKH [76
GX 99 119 CLXII 145 CGXIV 200
CXI 100 CLXIII 146 GCXV 202
CXII 101 123 CLXIV 147 187 CCXVI 202
CXIII 102 CLXV 148 151 CCXVII 203 133
CXIV 102 CLXVI 149 CCXVIII 203
CXV 103 214 CLXVII 152 CCXIX 204
CXVI 104 CLXVIII 153 CCXX 204 165
CXVII 104 GLXIX 155 CGXXI 205
CXVIII 105 131 CLXX 156 CGXXII 205
CXIX 106 135 CLXXI 156 CCXXIII 206
CXX 107 133 CLXXI I 157 161 CCXXIV 207
CXXI 107 CLXXI 1 1 158 CCXXV 207 119
CXXII 108 120 CLXXIV 159 CCXXVI 208
CXXIII 108 CLXXV 160 120 CCXXVII 209 83
CXXIV 109 CLXXVI 161 CCXXVIII 211
CXXV 110 226 CLXXVII 163 88 CCXXIX 212
CXXVI 111 CLXXVIII 164 230 CCXXX 212
CXXVII 112 CLXXIX 165 CCXXXI 213
CXXVIII 113 CLXXX 167 108 CCXXXII 213
CXXIX 114 CLXXXI 168 231 CCXXXIII 214
CXXX 115 186 CLXXXII 169 CCXXXIV 214 231
CXXXI 117 163 CLXXXIII 170 CCXXXV 215 134
CXXXII 118 62 CLXXXIV 171 163 CCXXXVI 217
CXXXIII 119 221 CLXXXV 172 103 CCXXXVII 218
CXXXI V 120 CLXXXVI 173 CCXXXVIII 220 97
CXXXV 120 147 CLXXX VII 174 79 CCXXXIX 221
CXXXVI 121 CLXXXVIII 175 CCXL 221
CXXXVII 122 CLXXXIX 176 147 CCXLI 221
CXXXVIII 123 CXC 177 204 CCXLII 222
CXXXIX 124 CXCI 178 CCXLIII 223 63
CXL 125 CXCII 179 123 CCXLIV 224
CXLI 126 CXCIII 180 CCXLV 225
CXLII 128 CXCIV 181 CCXLVI 226 230
CXLIII 129 183 CXCV 181 139 CCXLVII 226 230
CXLIV 130 230 CXCVI 182 CCXLVIII 672
CXLV 131 CXCVII 183 CCXLIX 673
CXLVI 133 CXCVIII 184 185 CCL 673 122
CXLVII 134 132 CXCIX 185 181 CCLI 674
CXL VIII 135 185 CC 187 CCLII 675 132
CXLIX
CL 136 136 CCI 188
220 CCII 189 CCLIII
CCLIV 676
676
CLI 137 CCIII 190 CCLV 677
CLII 137 CCIV 191 220 CCLVI 677
184
CLIII 138 CCV 192 75 CCL VII 678 123
CLIV 138 CCVI 193 CCLVIII 678 122
CLV 139 233 CCVII 194 CCLIX 678
CLVI
CLVII 140
141 CCVIII 195 CCLXI
CCIX 196 CCLX 679
679 204
185
CLVIII 142 188 CCX 197 CCLXII 680 182
CLIX 143 189 CCXI 198 CCLXIII 680
CLX 144 CCXII 199 CCLXIV 681
CLXI 145 121 CCXIII 199 CCLXV 681

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77] TABLEAU DE CONCORDANCE 83
CCLXVI 682 CCLXXVIII 689 CCXC 696 60
CCLXVII 683 CCLXXIX 690 CCXGI 697 232
CCLXVIII 684 CCLXXX 691 180 GCXCII 698
CCLXIX 684 94 CCLXXXI 691 146 CCXCIII 700 59
CCLXX 684 123 CCLXXXII 692 CCXCIV 701 61
CCLXXI 685 CCLXXXIII 692 CCXCV 702 61
CCLXXII 685 229 CGLXXXIV 693 CCXCVI 703
CCLXXI 1 1 686 CCLXXXV 694 80 CCXCVII 704
CCLXXIV 686 CCLXXXVI 694 CCXCVIII 704 170
CCLXXV 687 CCLXXXVII 695 CCXCIX 705
CCLXXVI 688 122 CCLXXXVIII 695 95
CCLXXVII 688 CCLXXXIX 696

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction Pages

Première Partie
Les Crus
Préparation - Vieillissement - Age du vin

Les Ustensiles
Deuxième Partie
L'Éclat
Limpidité et Couleur
L'Aspect
Le Parfum du vin
Le Goût du vin
Les Effets du vin
Troisième Partie
Le Mélange
Le Vin, Vierge et Épousée

Quatrième Partie
Lieux de plaisir
Hammär , Dihqãn et Hammãra
Le Personnage de la Femme
Les Personnages masculins
Les Commensaux
Le Personnage bachique d'Abù Nuwäs
Index des Appellations du vin
Tableau de concordance des éditions du Caire et Beyrouth

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