Vous êtes sur la page 1sur 6

« Parabole », (premier extrait de L’Organisateur) Henri de Saint-

Simon

Si Bernard Arnault s’en allait à Bruxelles, serait-ce si grave ? Si les chefs d’entreprise
et les étudiants les plus ambitieux sont nombreux à songer à s’expatrier dans des pays où
s’enrichir n’est pas un crime et où l’impôt est conçu pour financer les services publics, non
pour punir la réussite individuelle, faut-il s’en émouvoir ? Dans cet article du journal Valeurs
actuelles, intitulé « La parabole de Saint-Simon1 », nous pouvons très clairement voir le ton et
l’idéologie derrière cet article – renforcé par l’idéologie grandement libérale de ce journal.
Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825), est certainement une des plus
importantes personnalités de ces penseurs qui ont donné naissance au « socialisme utopique ».
La doctrine qu’il a développée, désignée par le saint-simonisme a posteriori, a cependant
inspiré tant les idéologies socialistes que libérale – et c’est pour cela que différents journaux
contemporains, allant de Médiapart à Valeurs Actuelles, se réfèrent à la figure de Saint-
Simon. Il publie cette parabole en 1819 sous la première Restauration Française dans sa
propre revue « l'Organisateur ». Saint Simon est né dans une famille noble, devient militaire
et se bat pendant la Guerre d'Indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Il participe ensuite à
la Révolution française et en profite pour s'enrichir. Toutefois, en 1792, il décide de liquider
ses affaires et de se servir de sa fortune afin de mener à bien son projet encyclopédique qui
vise à récapituler les sciences et les techniques. Saint-Simon apparaît tout d'abord comme un
libéral mais semble finalement rompre avec ce courant. Il vit à la fin de sa vie grâce au
mécénat de ses amis industriels et meurt autour de ses disciples en 1925. Ce qu’il nous
explique dans sa Parabole, extraite de l'Organisateur écrit entre novembre 1819 et février
1820, c’est que celui qui ne produit pas est un oisif dont la société subit le coût sans en retirer
de bénéfice ; en outre, il oppose les conséquences économiques de la disparition des savants
et industriels à celle des princes et hommes politiques. Afin de mettre en exergue ce qui est
invisible – et indispensable, il utilise ce qu’on pourrait qualifier de « technique de la
disparition ». Dans notre extrait, première partie de cette Parabole, il ne fait que, selon ses
termes, « j’expose[r] avec toute franchise l’état présent de la société », donc, de présenter
l’état dans lequel se trouve la France après la Restauration, tout en portant un avis tranché sur
celui-ci. Notons que ce sont les 10 premières pages que OL. Rodrigues a publiées en 1832,

1
David Victoroff, « La parabole de Saint-Simon », Publié le 13 septembre 2012 à 6h00, Valeurs Actuelles,
disponible en ligne : https://www.valeursactuelles.com/societe/la-parabole-de-saint-simon/.
sous le titre de « Parabole de Saint-Simon », et que, comme l’indique l’auteur, ce n’est qu’un
extrait de sa pensée.
Dans un premier temps, si l'on reprend la structure de cet extrait nous pourrions discerner 3
voire 4 parties bien distinctes. La première étant l'introduction de ce que Saint-Simon nomme
ses « trois extraits » - le nôtre étant le premier de cette série. Cette introduction s’intitule donc
« L'auteur à ses concitoyens » ; ensuite nous avons le premier extrait de l'Organisateur qui a
été nommé « Parabole » et dans cet extrait-là nous pouvons discerner 3 parties distinctes : la
première étant la supposition dans laquelle Saint-Simon imagine un monde sans les personnes
les plus importantes de la nation, qui font avancer un pays. Ensuite, dans une construction en
miroir, Saint-Simon use d'une supposition inverse, qui est celle dans laquelle l’Etat
conserverait toutes ces personnes « de génie » mais perdrait toute sa noblesse, son clergé et sa
justice ; enfin dans la dernière partie de ce texte qui, sous couvert de description de l'état
actuel des choses, présente une critique directe puisque Henri Saint-Simon s’appuie sur ses
suppositions précédentes afin de justifier de sa conception : « ces suppositions font voir que la
société actuelle est véritablement le monde renversé » (p. 10).
Nous verrons donc comment, à travers cet extrait, Saint-Simon nous délivre déjà sa doctrine, à
travers une envie de renversement envers l’ordre établi.
Nous montrerons d'abord que Saint-Simon décrit une hiérarchie des inutiles et des utiles puis
et enfin, que sa conception du monde est que la France vit dans un « monde renversé ».

D'une part, Saint-Simon justifie son texte dans son introduction, « l'auteur à ses
concitoyens », par une menace de guerre civile qui planerait au-dessus de la France, de
l'Angleterre, de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne, donc de l'Europe occidentale. Nous
sommes dans un contexte Européen dans lequel les retombées de l’Empire napoléonien se
ressentent encore, puisque la « Sainte-Alliance », composée de la Prusse, l’Autriche et la
Russie, sont encore présents sur la monarchie française restaurée jusqu’en 1818. Il semble
trop tôt pour penser que Saint-Simon entrevoyait déjà la période du « Printemps des peuples »
de 1848, néanmoins, des tensions entre peuple, intelligentsia et dirigeants européens étaient
présentes. Nonobstant, deux catégories de personnes se trouveraient en France : ceux qui
permettent la prospérité de la France, et les oisifs qui ne sont que parasitaires.
Ce sont certains corps de métiers qui font avancer un pays : « nous supposons que la
France perde subitement ses 50 premiers physiciens, ses 50 premiers chimistes, ses 50
premiers physiologistes, ses 50 premiers mathématiciens, ses 50 premiers poètes » (p. 4) et il
continue son énumération durant toute une page : cette supposition imagine donc la perte des
quelques milliers de personnes qui finalement sont les plus importantes de France, et qui
permettent à celle-ci de s'améliorer, de fonctionner et de prospérer. Comme énoncé
précédemment, Saint-Simon écrit dans un contexte de Restauration en France, bien après la
période des Cent-jours quatre ans plus tôt et la totale abdication de Napoléon Bonaparte, et la
mise sur le trône de Louis XVIII. Donc, dans ce premier mouvement, cette grande
accumulation, qui reprend une grande partie des corps de métiers, sert à donner une liste
exhaustive des « hommes de génie » (p. 6) dans les sciences d'une part, dans les beaux-arts de
l'autre et dans les arts et les métiers de manière plus générale. Ces corps de métiers qui
permettent de faire avancer le pays dans le sens du savoir et donc, de la science, dans les
développements scientifiques, techniques et industriels, mais également un développement
culturel puisqu'on a également les artistes. Les artisans, les intellectuels et les artistes sont
donc présentés comme des figures utiles à la nation, « qui la rendent productive » (p. 6), sont
les personnes les plus importantes du pays, donc il ne peut se défaire au risque de perdre « son
âme » : « ils sont réellement la fleur de la société française » (p. 6). Ici, nous pourrions voir un
retour à une conception organique de la société, conception antique que nous pouvons
remonter à Tite-Live, qui avait cette idée que la nation était tel un corps et qu'on avait besoin
de tout ses éléments, et chacun est distinct mais permet au corps de fonctionner normalement.
Ces corps de métiers sont donc plus qu’un membre fonctionnel de ce corps, mais ce serait
« l’âme » de celui-ci, ce qui lui permet donc de penser, d’avancer, de vivre et d’avoir une
personnalité propre.
Ensuite, Saint Simon change de supposition, comme en miroir, et imagine que toutes ces
personnes qui composent l’âme de la nation ne disparaissaient pas, mais au contraire, que
toute la noblesse, le clergé, l’administration et les représentants de la justice disparaissait, ceci
serait sans conséquence pour la France. En somme, ce sont toutes les personnes qui dirigent
l’Etat qui sont visée : la noblesse, « Monsieur, frère du roi, Monseigneur le duc d’Angoulême,
Monseigneur le duc de Berry, Monseigneur le duc d'Orléans, Monseigneur le duc de Bourbon,
Madame la duchesse d’Angoulême, Madame la duchesse de Berry, Madame la duchesse
d'Orléans, Madame la duchesse de Bourbon et Mademoiselle de Condé » (p. 6), incarnée par
toute la famille royale autour de Louis XVIII, son frère, cousins et neveux et leurs épouses ; le
gouvernement, le clergé (« cardinaux, archevêques, évêques, grands-vicaires et chanoines » p.
7), les fonctions administratives et les juges, dans tous leurs représentants les plus élevés
hiérarchiquement. Bien sûr, Saint-Simon estime qu'il y a un attachement sentimental entre la
population et ces personnes-là, donc le peuple français serait très certainement triste de cette
perte voire serait touché, mais néanmoins cela n’empêcherait pas la nation de continuer à
grandir et à prospérer - de vivre. Nous pourrions voir, dans la conception de Saint-Simon,
deux manière de voir ces personnes ; oisives, remplaçables, elles pourraient être un élément,
si l’on reste sur la conception organique de la nation, qui se remplace facilement, comme des
cheveux qui repoussent après la perte des précédents. Seulement, nous pourrions si l’on se
tourne du côté de la dernière partie de ce texte, ces personnes qont même présentées comme
des parasites, qui pompent l’énergie et l’argent des véritables personnes qui font vivre la
France. En outre, Saint-Simon va même plus loin en disant que toutes ces personnes-là et
donc, les nobles, le clergé et les personnes de l'administration et de la justice ne sont que des
êtres oisifs et qui n'aident pas au progrès ou à la prospérité dans le domaine des sciences, des
beaux-arts, ou des arts et métiers et même, à l'inverse « loin d'y contribuer, ils ne peuvent qu’y
nuire, puisqu'ils s'efforcent de prolonger la prépondérance exercée jusqu'à ce jour par les
théories conjecturales sur les connaissances positives ; ils nuisent nécessairement à la
prospérité de la nation en privant, comme ils le font, les savants, les artistes et les artisans
[…] ; ils y nuisent puisqu'ils emploient leurs moyens pécuniaires d'une manière qui n'est pas
directement utile aux sciences, aux beaux-arts, et aux arts de métier » (p. 8-9). Ils sont donc
présentés comme parasitaires, et, dans la mesure où Saint-Simon est présenté comme
socialiste utopiste, nous aimerions presque reprendre les termes marxistes, ils exploitent la
force de travail de ceux qui la produisent.
Donc travers ces quelques informations nous voyons clairement que, d'une part selon Saint-
Simon il y a donc des personnes essentielles à la nation qui apportent la productivité de celle-
ci et qui représente tout ce qui permet à la nation pour prospère et de l'autre on a donc les
oisifs qui sont finalement les personnes qui détiennent tout le pouvoir et qui gèrent la vie des
personnes réellement utiles à la société et qui en profite notamment en prenant l'argent ainsi
que le mérite à la place de ceux qui représentent la force de production.

En partant de ces suppositions et du constat qu’il en tire, Saint-Simon estime donc


qu’il vit dans un « monde renversé », puisque ceux qui ne sont rien gouvernent ceux qui sont
tout. En outre, ceci est un monde renversé, par le système fiscal mis en place, ainsi que par le
système politique qui régit la France.
Saint-Simon écrit en 1819, sous la seconde Restauration, qui essaya un compromis
entre acquis de la Révolution et régime monarchique et donc, même si le roi dispose seul du
pouvoir exécutif et d’une grande partie du pouvoir législatif, deux chambres sont prévues, et
ce sont elles qui s’occupent du vote de l’impôt. C’est ce pouvoir fiscal qui est en grande partie
critiqué par Saint-Simon : Ce pouvoir fiscal revient à ces oisif qui n’ont eu, comme mérite,
« la prépondérance [grâce] au hasard de la naissance, qu’à la flatterie, qu’à l’intrigue ou à
d’autres actions peu estimables » (p. 9). Ces personnes qui n’ont rien fait de spécial ou de
moralement bon pour être aux commandes du pays sont présentés comme des personnes qui
ne s’occupent que de l’argent qu’ils prennent à ceux qui produisent de l’argent afin de se
partager la moitié, mais ne sachant même pas convenablement employer l’autre moitié afin de
profiter aux « administrés », et donc, les gouvernés.
Par ailleurs, le système judiciaire, et plus généralement, le système politique est également
critiqué. C’est même une critique de la société entière, puisque même les « administrés »,
ceux qui se laissent être gouvernés par des « incapables » se laissent être gouvernés par eux ;
en effet, en partant de ses suppositions, Saint-Simon estime que « elles prouvent clairement,
quoique d’une manière indirecte, que l’organisation sociale est peu perfectionnée ; que les
hommes se laissent encore gouverner par la violence et par la ruse, et que l’espèce humaine
(politiquement parlant) est encore plongée dans l’immoralité » (p. 11). Il lui semble donc que
le système politique est encore archaïque, et régit par la loi de la ruse et de la force ; et même,
au-delà, ce monde est « renversé », car ce sont les personnes incapables qui gouvernent les
capables (les nobles et administrants), les personnes immorale qui dictent la moralité aux
personnes morale (clergé). De plus, ceux qui s'occupent de la politique seraient les plus
corrompus, ceux qui s'occupent de la justice sont également les plus corrompus ceux qui
s'occupent de créer ce qui est censé être le bon dans le pays sont en fait ceux qui sont le pire et
ils pompent l'argent sur ceux qui le crée. La thèse complète de Saint-Simon c'est que, dans
une société qui serait malade, et il faudrait donc la guérir puisque cette maladie n'est pas
incurable et donc, Saint-Simon, après cette exposition des éléments qui font que cette société
va mal, annonce qu’il donnera les clefs de ce remède, dans l’extrait celui que nous
commentons ici.

Finalement il semblerait que Saint-Simon ici dévoile une grande partie de sa pensée ; avant
même de donner les remèdes à tout ce qui lui semble représenter le mauvais dans cette
société. Ce monde est « renversé », dans le sens où ce qui compose « l’âme » de la France, et
par extension, de toute nation, est gouverné par des parasites, qui n’ont comme mérite d’être
né dans la bonne famille, ou bien d’avoir su user de la ruse, afin de faire partie des personnes
qui ont le pouvoir exécutif ou législatif entre leurs mains, alors même qu’ils sont remplaçables
par n’importe qui, contrairement aux meilleurs dans les domaines des sciences, de l’art et de
l’artisanat. Et même si cette ces politiques et ces pensées s'inscrivent dans un moment
particulier de l'histoire de France qui est donc celui de la Restauration, lorsque Louis XVIII
est remis sur le trône -c’était donc un roi qui gouvernait, retour de la monarchie – qui était
plus proche de la monarchie parlementaire, c'est en cela que nous pourrions expliquer le fait
que la doctrine du saint-simonisme est, tant par la doctrine socialiste - puisqu'il est considéré
comme le premier socialiste utopique, il a donc autant inspiré les socialistes que les libéraux,
comme présenté dans l’introduction, puisque ce texte permet que tout de même plusieurs
interprétations à partir de quel moment une personne fait partie de la force de travail et à partir
de quel moment on fait partie des personnes « oisives », des parasites qui n’ont comme seul
mérite d’être né dans la bonne famille.
Ajoutons cependant que cette vision organique de la société, déjà existante par Tite-Live,
reprise de manière sous-jacente ici par Saint-Simon, est celle également de la doctrine
marxiste.

Vous aimerez peut-être aussi