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Brussels School Journalism & Communication - IHECS

Master en communication appliquée spécialisée


en Education aux médias

Education au cinéma
et à l’image
(LMED2111)

Baptiste Campion & Brieuc Guffens


Partie de Baptiste Campion
Baptiste.Campion@galilee.be - Brieuc.Guffens@galilee.be

Année académique 2023-2024


Table des matières
Introduction .............................................................................................................................. 4

I. Cadre général : les modèles de la communication ............................................................. 7

Le modèle du télégraphe ........................................................................................................ 7

Le modèle de l’orchestre ........................................................................................................ 8

Le modèle relationnel ........................................................................................................... 10

Le modèle inférentiel ........................................................................................................... 11

II. De la linguistique à la sémiotique .................................................................................... 12

La linguistique saussurienne ................................................................................................ 12

A. Langue et parole .......................................................................................................... 12

B. Qu’est-ce qu’un signe linguistique ? ........................................................................... 12

C. La combinaison des signes linguistiques ..................................................................... 13

Sémiologie et sémiotique : la science des signes ................................................................. 14

A. Charles Sanders Pierce et la tradition sémiotique ...................................................... 14

B. La sémiologie structurale ............................................................................................ 15

III. Rapide sémiologie des messages non linguistiques ....................................................... 17

La problématique des codes non linguistiques ..................................................................... 17

Signification des messages non linguistiques : sémiotique de l’image ................................ 17

A. Dénotation et connotation ........................................................................................... 18

B. Métaphores et métonymies dans l’image ..................................................................... 19

C. Rapport texte-image .................................................................................................... 20

IV. Problématique de l’énonciation ...................................................................................... 22

L’énonciation ....................................................................................................................... 22

Enonciation et relation : dispositif d’énonciation et polyphonie.......................................... 24

Les actes de langage ............................................................................................................. 25

1
Enonciation non linguistique ................................................................................................ 28

V. Le registre du récit et les messages narratifs .................................................................. 30

Importance culturelle du récit .............................................................................................. 30

Qu’est-ce qu’un récit ? ......................................................................................................... 31

Les éléments constitutifs du récit ......................................................................................... 33

A. Clarification terminologique ....................................................................................... 33

B. Caractéristiques du texte narratif ................................................................................ 34

La structure du récit et le schéma actantiel .......................................................................... 35

La diégèse et l’univers diégétique : clarification terminologique ........................................ 36

A. La diégèse dans la tradition philosophique ................................................................. 37

B. L’univers diégétique en narratologie .......................................................................... 37

Le système des personnages ................................................................................................. 38

A. Personnages et actants ................................................................................................ 39

B. La notion de point de vue ............................................................................................. 39

C. Le système relationnel des personnages et récit centré/décentré................................ 41

Implications cognitives des récits ........................................................................................ 42

A. Les effets psycho-affectifs du récit ............................................................................... 43

B. Les effets cognitifs du récit .......................................................................................... 44

VI. Analyse des genres médiatiques...................................................................................... 46

La notion de genre(s) médiatique(s)..................................................................................... 46

De quelques genres médiatiques .......................................................................................... 47

VII. Guide d’analyse sémio-pragmatique ............................................................................ 53

Introduction : mode d’emploi ............................................................................................... 53

Question 1 : à quoi a-t-on affaire ? ....................................................................................... 53

Question 2 : quel est le registre d’énonciation dominant ? .................................................. 54

Question 3 : comment est constitué le dispositif d’énonciation ? ........................................ 54

2
Question 4 : comment est constitué le dispositif cognitif ?.................................................. 55

Question 5 : quelles sont les caractéristiques du récit ? ....................................................... 55

Question 6 : comment caractériser le réseau relationnel ? ................................................... 56

Synthèse : quels sont les effets les plus probables du message ? ......................................... 57

VIII. Références bibliographiques ........................................................................................ 58

IX. Compléments et exemples d’applications ...................................................................... 60

3
Introduction
James Anderson définit un média comme « une activité humaine distincte qui organise la réalité
en textes lisibles en vue de l'action » (Anderson, 1988, p. 11). Les médias sont bien plus qu’une
technique (de mise en forme ou de diffusion) ou un secteur d’activité (les « mass-médias », la
presse, etc.) : ce sont des objets culturels qui ordonnent le monde pour lui donner du sens. Sur
bon nombre de sujets, ils constituent même la principale source des représentations que nous
pouvons construire : sans le recours à la média(tisa)tion, que saurions-nous, en tant que citoyens
lambda pas particulièrement spécialistes, des guerres lointaines (dans l’espace ou le temps), des
changements climatiques, des cultures différentes, etc. ? Les médias jouent un rôle de
médiateurs entre des informations, des représentations et des publics, qui peuvent être distants
dans l’espace (ils sont éloignés du lieu où sont élaborés ces contenus) et/ou dans le temps (parce
que le message peut être reçu à un moment différent de celui où il a été élaboré).

Si les médias jouent un rôle de médiateurs, ils ne sont cependant pas neutres. Sans remonter à
la célèbre (et souvent galvaudée) formule de Marshall McLuhan « medium is message »
(1964), il convient de remarquer que ces contenus sont également tributaires de la manière de
les communiquer. Quelle que soit la nature de ces contenus, leur médiatisation implique
différents formats sémiotiques (le texte, l’image, le son…). Ces formats se combinent de
manières complexes. Tous les messages ainsi constitués ne sont pas équivalents : il existe des
genres et des sous-genres, fonctionnant selon des modèles spécifiques (ce qui est acceptable
dans un roman de space opera ne l’est pas nécessairement dans un journal télévisé, et vice-
versa). Selon les cas, le type de relation créée entre les interlocuteurs distants mais reliés
médiatiquement ne sera pas la même : un film n’est pas un mur Facebook, qui se distingue lui-
même d’une publicité, bien que dans tous les cas, « des gens parlent à des gens ».

Le citoyen compétent médiatiquement doit être en mesure d’appréhender la variété des


contenus médiatiques, et en amont les principes qui les fondent, que ce soit sur les plans
technique (comment ils sont faits), informationnel (ce qu’ils racontent) et social (en tant qu’ils
contribuent à l’établissement et à la structuration de relations entre des individus). A fortiori,
c’est une nécessité de l’éducateur aux médias.

L’objectif de ce cours est l’acquisition et la maîtrise de concepts de base permettant l’analyse


des messages et contenus médiatiques. Les médias peuvent être étudiés sous des angles
différents, suivant que l’on s’intéressera aux producteurs ou aux récepteurs des messages, aux
contenus et aux effets de ces derniers, ou encore aux institutions économiques, sociales et

4
politiques qui les portent et en permettent la diffusion. L’angle spécifique sous lesquels les
messages médiatiques sont abordés dans ce cours est celui de l’étude des contenus et des
langages. Plus spécifiquement, il s’agit d’éclairer la manière dont ces contenus sont structurés
et organisés, dans le but de transmettre un message. Cette mise en lumière doit permettre
l’objectivation des processus interprétatifs et l’élaboration d’hypothèses étayées quant aux
effets de ces messages médiatiques sur leurs récepteurs. En effet, les caractéristiques des
langages médiatiques conditionnent, en partie, la manière dont ce message sera reçu, compris,
interprété. Pour ce faire, nous allons nous référer à trois cadres disciplinaires principaux,
décrivant chacun des aspects spécifiques de la construction de ces messages médiatiques. Ces
concepts (sémio-pragmatiques, rhétoriques, narratologiques) fournissent un cadre qui
permettent d’aborder de manière critique et systématique des messages médiatiques variés en
vue d’en éclairer le fonctionnement interne, de formuler des hypothèses étayées quant à leurs
effets les plus probables sur leurs récepteurs, et quant aux représentations du monde qui y sont
véhiculées.

Premièrement, la sémio-pragmatique fournit un cadre général permettant d’envisager les


messages en tant que dispositifs organisés constitués de signes s’inscrivant dans un contexte
donné et cherchant à créer une relation avec le récepteur. En effet, la dimension « sémio »
renvoie à la sémiotique, c’est-à-dire à la science des signes et de leurs règles de combinaison et
de fonctionnement, et la dimension « pragmatique » est issue de la pragmatique linguistique,
envisage les messages en tant qu’ils impliquent des interlocuteurs dans un contexte. La sémio-
pragmatique est donc l’étude des relations (entre interlocuteurs ou à un contexte) créées par des
messages utilisant des signes. Cette approche sera ponctuellement enrichie par la rhétorique,
discipline ancienne s’intéressant à l’argumentation et à la parole, sera convoquée en vue de
mettre au jour les figures (généralement appelées rhétoriques) contribuant à structurer les
messages dans le but de produire des effets cognitifs (susciter l’émotion, l’adhésion, la
conviction, etc.).

Deuxièmement, la narratologie, en tant que discipline étudiant les récits, fournira un cadre
permettant d’aborder le fonctionnement de toute une série de messages structurés
narrativement, comme on en trouve fréquemment dans les médias, de la publicité aux bulletins
d’information.

Enfin, troisièmement, sémio (-pragmatique) et narratologie permettent d’éclairer sous un angle


spécifique ce que nous appellerons ici différents genres médiatiques. Le documentaire, la
fiction, la publicité, le discours d’actualité ou le discours expert, pour ne parler que d’eux, sont

5
des types de messages médiatiques pouvant être caractérisés par leur modes de construction
sémiotique et narratologique ainsi que par le type de rapport au réel construit dans le langage.

Le présent syllabus n’a pas pour ambition d’exposer par le menu l’historique, les écoles de
pensée, les concepts et les nuances de la sémio-pragmatique, de la narratologie et des typologies
des médias. Il s’agit simplement de donner des éléments de base nécessaires et suffisants
permettant à l’étudiant d’aborder de manière rigoureuse, critique et pratique les notions utilisées
par les analystes des contenus médiatiques, le tout de sorte à avoir les ressources nécessaires
pour approfondir les questions qui l’intéresseront plus particulièrement. C’est dans ce but de
permettre l’approfondissement que chaque notion présentée ici est accompagnée d’une ou
plusieurs références bibliographiques1.

Ce syllabus se termine par un guide d’analyse (inspiré de Meunier & Peraya, 2004) dont
l’objectif principal est de proposer une méthode ordonnée et hiérarchisée guidant les questions
à se poser face à un document médiatique à analyser.

Baptiste Campion

1
L’ensemble des références bibliographiques du présent syllabus sont mises en forme selon le style
bibliographique APA (largement répandue aujourd’hui dans l’édition scientifique) obligatoire dans les travaux de
l’IHECS. En ce sens, ce texte constitue un exemple à suivre de la manière de la manière de faire en la matière.

6
I. Cadre général : les modèles de la communication
L’étude des messages médiatiques et de leurs contenus ne peut faire, en amont, l’abstraction de
ce qu’est la communication. La communication est un phénomène complexe et paradoxalement
difficile à définir. La manière dont on l’envisage influence nécessairement la manière d’aborder
les contenus médiatiques. Chaque modèle de la communication la définit en mettant l’accent
sur certaines dimensions de ce phénomène, et par conséquent en faisant l’impasse sur d’autres.
Les concepts étudiés dans le cadre de ce cours ont été élaborés par des auteurs concevant la
communication de différentes manières, qu’il est nécessaire d’avoir à l’esprit en vue de bien
comprendre la signification et la portée de ces outils d’analyse.

Ce bref chapitre introductif vise à donner quelques repères historiques et conceptuels sur les
principaux modèles de la communication, mettant chacun en lumière des aspects spécifiques
de la communication (et de la communication médiatisée), dont les possibilités descriptives et
analytiques ont contribué à structurer les concepts d’analyse des contenus médiatiques. Nous
en avons retenu quatre, développés entre les années 1940 et 1970 : le modèle du télégraphe (ou
du code), le modèle de l’orchestre, le modèle relationnel et le modèle inférentiel.

Le modèle du télégraphe

La conception spontanée et probablement la plus répandue considère la communication comme


un acte de transmission. Communiquer, c’est transmettre un message à un récepteur. La
communication est avant tout une affaire de « tuyaux » et, pendant, de format du message afin
de le faire passer dans ces tuyaux. Cette conception de la communication a été scientifiquement
et systématiquement modélisée dans le cadre de la théorie mathématique de l’information par
des ingénieurs en télécommunication travaillant pour la Bell Telephone (Shannon, 1948).

Pour ces ingénieurs, le problème de la communication est avant tout technique : il s’agit de
permettre un fonctionnement optimal du réseau téléphonique. Les abonnés doivent pouvoir
transmettre leurs messages à leurs correspondants par les lignes téléphoniques : les messages
doivent être techniquement codés de sorte à pouvoir être transmis sur le réseau ; celui-ci, simple
canal de transmission, doit véhiculer ces messages (codés) sans qu’ils ne soient
altérés/déformés (parasites, « friture ») ; un réseau performant est un réseau capable de
transporter la quantité la plus importante possible d’informations, que les auteurs définissent
mathématiquement et mesurent à l’aide d’une nouvelle unité (le bit). La communication est
donc un processus d’encodage (à l’émission) et de décodage (à la réception) d’un message

7
transmis par un canal éventuellement soumis à des perturbations (ce que les scientifiques
appellent « le bruit », c’est-à-dire ce qui rend le signal indistinct). Dans cette conception de la
communication, les interlocuteurs (qualifiés de « fournisseurs d’information ») doivent
nécessairement partager un même code (c’est pourquoi ce modèle est également appelé modèle
« du code ») : sans code commun, ce qui a été encodé d’un côté ne pourra être décodé de l’autre,
et le sens ne se fera donc pas. Le sens est intégralement contenu dans le lexique du code : à
chaque signe transmis correspond une signification particulière précise, exactement comme
chaque signal du code morse transmis par un télégraphe correspond à une et une seule lettre.

Si l’apport principal de ce modèle est la modélisation mathématique de l’information (aspect


que nous n’abordons pas ici, mais qui a largement structuré le développement de
l’informatique), qui peut elle-même sous-tendre une vision de la communication compatible
avec celle développée par la linguistique (pouvant être vue comme l’étude systématique du
code linguistique), sa principale limite réside dans un fonctionnement par trop « mécanique » :
dans une telle conception, les interlocuteurs pourraient aussi bien être des machine. La
signification du message, ses effets ou les intentions des interlocuteurs n’ont pas d’importance
pourvu que la transmission ait bien lieu. Si ce modèle à le mérite de modéliser la dimension
matérielle ou technique sous-jacente à toute forme de communication, cette conception
correspond peu aux interactions humaines dont les codes ne sont pas uniques et univoques, dont
les canaux ne sont pas toujours clairs, et dont l’objet n’est pas nécessairement la transmission
d’une information.

Le modèle de l’orchestre

À peu près à la même époque (début des années 1950) se développe une conception de la
communication radicalement différente, portée par des psychiatres, des psycho-sociologues,
des éthologues, des anthropologues, etc., regroupés sur campus californien de Palo Alto. Cette
« école de Palo Alto », sous l’impulsion de chercheurs comme Gregory Bateson, Don D.
Jackson ou Paul Watzlawick, met au cœur de son approche de la communication l’idée
d’interaction, entendue dans un sens large.

Là où dans le modèle du télégraphe les interlocuteurs remplissent à tour de rôle la fonction


d’émetteur et de récepteur, la communication s’opérant chaque fois à sens unique, il s’agit ici
de concevoir la communication comme un processus permanent et interactif d’ajustement des
interlocuteurs l’un à l’autre, par de multiples « canaux » : ce qui est dit, mais également toute
la dimension non verbale de la communication de nature à construire et moduler la relation

8
(intonation, attitude, posture, distance physique, etc.). Le cadre de l’interaction apparaît très
important, comme ils peuvent le constater dans leur travail : la prise en charge de malades
mentaux ou de thérapies de couple implique d’interroger la communication dans les familles,
que l’on ne peut réduire à une simple transmission d’information entre membres encodeurs-
décodeurs. Une famille est un système complexe de membres en relation entretenant des
rapports à différents niveaux. Pour ces auteurs, toute communication implique donc deux
aspects interreliés : le contenu (ce qui est dit) et la relation (tout ce qui accompagne ce qui est
dit, dans un contexte donné, donnant des indices sur la manière de comprendre ce qui est dit).
Toute communication implique donc une interaction au cours de laquelle les interlocuteurs ne
cessent d’adapter leur comportement l’un à l’autre de sorte à permettre à l’interaction de se
dérouler, un peu comme les musiciens d’un orchestre s’ajustent sans cesse l’un à l’autre pour
jouer une même partition (voir Winkin, 1981). La notion de communication déborde donc très
largement l’idée de transmission d’information : puisque tout participe de l’interaction, le
comportement est une communication et la communication est un comportement. Watzlawick
et ses collègues identifient un certain nombre d’axiomes de la communication (Watzlawick,
Helmick, & Jackson, 1967 pour la première traduction française), c’est-à-dire un ensemble de
règles invariantes structurant nécessairement toute interaction :

1. « On ne peut pas ne pas communiquer », car la communication est un comportement et


il est impossible de se « non-comporter » ;
2. « Toute communication présente deux aspects : le contenu et la relation, tels que le
second englobe le premier et est par suite une méta-communication », ce qui signifie
que dans tout échange, les interlocuteurs donnent sans cesse des indices (relationnels)
sur la manière dont il convient d’interpréter ce qu’ils disent (le contenu) ;
3. « La nature d'une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication
entre les partenaires », ou, autrement dit, chaque interlocuteur a sa propre conception
de la manière dont a commencé et se déroule l’interaction et agit en fonction de cette
conception ;
4. « La communication humaine utilise simultanément deux modes de communication :
digital et analogique », soulignant notamment la place accordée par cette école de
pensée à la communication non verbale ;
5. « La communication est soit symétrique, soit complémentaire », qui sont deux façons
différentes pour l’interlocuteur de s’accorder l’un à l’autre : ils peuvent adopter la même
attitude en miroir (comme dans un processus de surenchère : c’est la communication
symétrique) ou au contraire prendre le contrepoint (par exemple adopter une attitude
soumise face à une personne autoritaire, c’est la communication complémentaire).
Ces axiomes permettent également aux auteurs de caractériser la communication
problématique, pathologique (ce sont en partie des psychiatres, des thérapeutes), c’est-à-dire

9
des situations dans lesquelles les interlocuteurs ne parviennent pas à « s’ajuster » l’un à l’autre,
ou dans lesquelles la manière de le faire est problématique. Dans cette conception de la
communication, une communication « ratée » est une communication dissonante.

L’intérêt principal de ce modèle de la communication est sa focalisation sur la dimension


profondément humaine du phénomène, et la mise en avant de son aspect « interactif ». Une de
ses limites, notamment pour étudier les contenus médiatiques, est que si ce modèle convient
parfaitement à l’étude de situation de communication quotidienne et en face-à-face, il envisage
peu les interaction simulées, différées ou encore (dans une certaine mesure) décontextualisées
que constituent les messages médiatiques.

Le modèle relationnel

La linguistique et la sémiologie classique qui s’en inspire et la prolonge directement ont


développé, des années 1920 à 1960, une conception de la communication relativement proche
de celle du modèle du télégraphe. La communication y est vue comme un acte de transmission
d’information à l’aide de codes spécifiques que ces disciplines s’attachent à étudier
scientifiquement : la langue ou, pour la sémiologie, les différents « codes » non linguistiques
(l’image, les gestes, etc.). Dans cette tradition classique, la compréhension des phénomènes de
communication repose essentiellement sur la compréhension du code : quels en sont les signes
élémentaires et suivant quelles règles sont-ils combinés ?

Pourtant, cette approche linguistique/sémiotique présente un certain nombre de limites dont les
linguistes et sémiologues sont parfaitement conscients : il est impossible de réduire la
communication à une simple transmission, si sophistiqué soit le code. D’une part, le code n’est
pas porteur de toute l’information transmise. Comment expliquer, par exemple, le fait que nous
nous comprenons dans la plupart de nos interactions quotidiennes, alors que celles-ci sont
pleines d’implicite et de non-dits que ne peut refléter le code linguistique ? D’autre part, dès
que l’on dépasse le cadre strict de la langue, il est très difficile d’identifier les « signes »
élémentaires caractérisant un code linguistique. Par exemple, comment « découper » une
photographie en éléments discrets dont on peut considérer qu’ils renvoient à une signification
univoque, comme ils le devraient dans une perspective linguistique classique ?

C’est dans ce cadre qu’est développée la pragmatique linguistique, discipline qui entend étudier
les échanges sous l’angle relationnel : la langue ne se contente pas de transmettre des
informations, elle contribue également à structurer une relation entre les interlocuteurs, relation
qui fournit un contexte d’interprétation des contenus transmis. Des auteurs, comme Oswald

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Ducrot ou John Austin vont donc envisager la parole en tant qu’elle agit sur autrui (c’est l’idée
d’acte de langage, sur laquelle nous reviendront ultérieurement), amenant à développer une
vision nouvelle de la communication : communiquer, c’est transmettre des contenus et
construire avec l’interlocuteur un contexte relationnel qui permettra l’interprétation des
énoncés. Une bonne communication est une communication qui permet un contexte commun
d’interprétation ; une communication « ratée » est une communication où un tel contexte
commun n’a pu être élaboré, et où l’interprétation correcte des énoncés n’a donc pu se faire.

Prolongation du modèle du code, ce modèle relationnel réintroduit les sujets communicants et


leur rôle actif dans l’échange, ne se limitant pas à des opérations mécaniques d’encodage et de
décodage. Néanmoins, ces linguistes se focalisent sur le contexte linguistique co-construit par
les interlocuteurs, qui ne peut à lui seul expliquer la manière dont fonctionne par exemple
l’implicite.

Le modèle inférentiel

Face aux limites de la pragmatique linguistique, les mêmes auteurs vont développer une
conception nouvelle de la communication, s’éloignant de la référence strictement linguistique.
Pour que les interlocuteurs (co)construisent ce contexte commun d’interprétation, ils doivent
interpréter les indices donnés par l’autre en vue de comprendre le contexte que veut
communiquer celui-ci. L’idée de relation à créer (pragmatique) est conservée, mais celle-ci est
envisagée par Paul Grice ou Dan Sperber dans une perspective inférentielle, c’est-à-dire que
les éléments constituant la relation doivent être interprétés par les interlocuteurs. La parole ne
donne pas tous les éléments : ceux-ci doivent être inférés au départ des indices mis à leur
disposition par l’autre afin de comprendre ce qu’il a voulu dire.

Dans cette perspective, communiquer c’est un échanger des indices supposés permettre à
l’interlocuteur de reconstituer sa propre pensée. Une bonne communication est une
communication pertinente (Sperber & Wilson, 1989), c’est-à-dire donnant tous les indices
nécessaires et suffisants pour permettre à son interlocuteur de reconstituer notre pensée. Une
communication problématique est une communication au cours de laquelle les interlocuteurs
n’ont pas été pertinents, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas donné les indices nécessaires pour
permettre de reconstituer leur vouloir-dire, ou dans laquelle ces indices ont été mal interprétés,
avec le même résultat. Nous sommes ici bien loin de la conception machinique de l’encodage-
décodage du modèle du télégraphe.

11
II. De la linguistique à la sémiotique
La plupart des concepts permettant l’analyse des contenus médiatiques sont directement ou
indirectement issus de la linguistique et de la sémiotique. Ce bref chapitre présente les notions
fondamentales de la linguistique et de la sémiotique utiles à l’étude sémio-pragmatique,
rhétorique et narratologique des contenus médiatiques 2 . Cette introduction ne fait pas à
proprement partie de la matière, mais donne des clefs de contextualisation utiles pour situer,
comprendre et évaluer les concepts d’analyse qui seront étudiés ensuite.

La linguistique saussurienne

Le linguiste suisse Ferdinand de Saussure (1857-1913) est généralement considéré comme le


père de la linguistique moderne avec son Cours de linguistique générale (1913) publié après sa
mort. Saussure y trace les grandes lignes de la linguistique en tant que discipline scientifique.
Il est possible d’en présenter les principes essentiels au départ des éléments suivants.

A. Langue et parole

On distingue en linguistique la langue en tant que système (qui comporte un répertoire, des
signes, des règles…) de la parole (les actualisations singulières de la langue, sous formes
d’énoncés particuliers, divers). Dans le cadre du système de la langue qui est unique (au sens
de : identique pour tous ; par exemple : la langue française), on peut produire une infinité
d’énoncés (en français, on peut potentiellement dire tout ce qu’on veut, bien qu’on se base sur
un nombre relativement limité de mots et de règles). L’objet de la linguistique est bien d’étudier
la langue en tant que système, même si celle-ci n’est observable qu’à travers les manifestations
singulières de la parole.

B. Qu’est-ce qu’un signe linguistique ?

Saussure envisage la langue comme constituée d’un ensemble fini de signes linguistiques. On
peut aborder ceux-ci à deux niveaux : le niveau strictement phonétique et le niveau sémantique.
Au niveau phonétique, chaque langue ne compte qu’un nombre limité de sons. Chaque son se
distingue des autres. Ces sons peuvent être combinés entre eux. Au niveau sémantique (c’est-
à-dire au niveau du sens), chaque combinaison de sons (concrètement : chaque mot) est unique ;

2
Ce cours n’a pas pour objectif l’enseignement de la linguistique et de la sémiotique. L’étudiant cherchant un
exposé plus complet de ces deux disciplines se référera utilement aux références citées dans le texte, ou à des
manuels spécialisés tel celui de Philippe Verhaegen (2010) cité plus loin.

12
elle se distingue des autres combinaisons de sons. Chaque combinaison de son est une unité
élémentaire de sens.

Le signe linguistique présente donc deux caractéristiques fondamentales :

• D’une part, chaque signe présente deux aspects : il est l’association d’une image
acoustique (un son), que les linguistes appellent le signifiant et qui va porter le sens, et
d’une représentation mentale, que les linguistes appellent le signifié, et qui est ce que
le signe représente. Par exemple, le signe linguistique « chat » est l’association de
l’image acoustique [ a] (prononcer : cha : le signifiant) et d’une représentation mentale
renvoyant à un mammifère quadrupède et velu susceptible de ronronner quand il est
content (le signifié). À chaque image acoustique correspond une image mentale
particulière, faisant qu’on peut distinguer les signes entre eux : on ne les confond pas,
chaque signe à sa signification propre. Les signes linguistiques sont des unités discrètes
(au sens mathématique du terme).
• D’autre part, ce signe linguistique est arbitraire. Cela signifie que le lien qui unit le
signifiant et le signifié est conventionnel. Il n’y a pas de rapport de nécessité ou de
ressemblance entre eux. Par exemple, le son [ a] n’a aucun rapport avec l’idée de
l’animal-chat. Le son [ a] ne ressemble pas au chat.

C. La combinaison des signes linguistiques

La langue n’est pas qu’un répertoire consistant à associer des signifiants et des signifiés. Elle
comporte également un certain nombre de règles qui vont dicter la manière d’agencer ces signes
entre eux dans le cadre de la parole. Ces règles peuvent être envisagées sur deux axes :

• L’axe paradigmatique, qui est l’axe sur lequel un signe va être choisi plutôt qu’un
autre : c’est un axe de différenciation des signes entre eux.
• L’axe syntagmatique, qui est l’axe sur lequel les signes vont être combinés entre eux
selon des règles.

Ces deux axes interagissent entre eux. Par exemple, la position dans la phrase (syntagme)
impliquera le choix d’une forme verbale particulière (choix d’un signe spécifique : paradigme),
et réciproquement.

13
Sémiologie et sémiotique : la science des signes

Dans le langage courant, sémiotique et sémiologie peuvent être considérés comme des termes
équivalents. Ils désignent tous deux la science qui étudie les systèmes de signes et leur
fonctionnement. Néanmoins, bien que les deux mots soient largement interchangeables, ils
réfèrent à des traditions intellectuelles différentes, avec leurs nuances propres. On peut rattacher
la sémiotique (de l’anglais semiotics) à une tradition plus anglo-saxonne se référant aux travaux
de Charles Sanders Peirce à la fin du XIX° siècle, alors que la sémiologie est issue d’une
tradition francophone (et même française) étendant aux systèmes de signes non verbaux la
méthode linguistique systématisée par Saussure et les linguistes qui ont continué son œuvre,
notamment dans le cadre du courant structuraliste des années 1950-60. Bien que la suite du
cours n’imposera pas de maîtriser les nuances entre les deux traditions et se référera
principalement à la tradition sémiologique, il est utile d’avoir quelques repères sur ces deux
approches.

A. Charles Sanders Pierce et la tradition sémiotique

Contemporain de Saussure, le britannique Charles Sanders Peirce (1839-1914) est souvent


considéré comme le fondateur de la sémiotique, c’est-à-dire de la discipline étudiant
systématiquement et scientifiquement les différents systèmes de signes et leur fonctionnement.
La pensée de Peirce est riche et complexe, et il serait illusoire de la présenter en quelques
paragraphes. Nous nous contenterons ici de donner quelques repères sur deux aspects
fondamentaux de sa vision du signe sémiotique, utiles à la contextualisation des approches
sémiotiques et, indirectement, pragmatiques : d’une part, le signe comme nécessitant
nécessairement un travail d’interprétation ; d’autre part le signe comme pouvant entretenir des
relations de natures différentes avec son référent (la chose représentée).

Peirce était plus qu’un « simple » sémioticien. Dans la tradition de nombre de savants du XIX°
siècle, il s’intéressait à différentes questions : philosophe et philosophe des sciences, logicien,
il s’est (notamment) intéressé à la connaissance et à la manière dont la pensée s’ancre
nécessairement dans le monde réel (courant pragmatiste en philosophie). La réflexion de Peirce
sur les systèmes de signes se situe donc dans un cadre plus vaste, qui est la volonté d’établir
une théorie de la connaissance. Ce contexte est important pour comprendre l’approche
peircienne : s’intéressant à la connaissance, il ne saurait concevoir le fonctionnement d’un
système de signes sans un sujet connaissant. À l’inverse de la tradition linguistique (et, après
elle, sémiologique) qui envisage le signe comme étant l’association conventionnelle d’une

14
manifestation physique (la partie matérielle du signe, le signifiant) et d’une signification (ce
que veut dire le signe, le signifié) Peirce introduit l’idée d’interprétant : l’association d’un signe
matériel (qu’il nomme le representamen) et d’un objet ne peut faire sens que dans la mesure où
cette association est évaluée dans un processus d’interprétation qui implique un interprétant.
Le signe sémiotique est donc pour lui toujours le résultat d’un processus dynamique, qu’il
appelle processus de semiosis, indissociable du signe lui-même.

À côté de cette intégration du sujet interprétant dans sa conception du signe, un autre aspect
important de la sémiotique peircienne est la mise en évidence du fait que la représentation
matérielle (representamen) et l’objet qui lui est associé peuvent entretenir des rapports de nature
différente, ce qui lui permet d’identifier différents types de signes caractérisés par des modes
de signification différents. Le symbole est un signe dont le rapport entre representamen et objet
est de nature abstraite, arbitraire, comme l’est le lien signifiant-signifié pour le signe
linguistique. Mais à côté du symbole, Peirce identifie l’icône où sans être la chose le signe
entretient un rapport de ressemblance avec l’objet représenté (par exemple, une photo est une
icône au sens peircien), et l’indice se caractérisant par un lien indiciel, symptomatique avec
l’objet représenté (par exemple, la fumée est indice du feu : sans être le feu, elle en est le signe
en raison du lien nécessaire entre le feu et elle).

B. La sémiologie structurale

Parallèlement à la sémiotique peircienne s’est développée la sémiologie, principalement en


France et dans le cadre du courant structuraliste.

Le structuralisme est une école de pensée qui a été très active dans les sciences sociales
(sémiologie, mais aussi anthropologie, philologie, sociologie, philosophie), surtout dans les
années 1950-60, et qui sous l’impulsion de penseurs comme Claude Levi-Strauss, louis
Hjelmslev ou Agirdas-Julien Greimas entendait développer l’ensemble des sciences sociales
sur le modèle de la linguistique saussurienne. Il s’agissait, pour chaque objet étudié par les
différentes sciences sociales, d’identifier les unités élémentaires de signification (comme les
linguistes ont découpé la langue en unités élémentaires) et leurs règles de combinaison, au-delà
de la diversité des situations et des pratiques. L’idée centrale est que la mise en lumière de cette
structure sous-jacente (d’où le nom de structuralisme) permet de mettre au jour les systèmes
de sens profond dont témoignent les objets/activités ainsi étudiés, reposant généralement sur
des systèmes d’oppositions binaires, et qui correspondraient à des constantes fondamentales
des cultures humaines. Par exemple, dans un ouvrage célèbre, l’anthropologue Levi-Strauss

15
(1964) a montré que derrière la diversité en apparence immense des cuisines et habitudes
alimentaires de par le monde, tous les plats se rattachaient à l’une de ces catégories simples : le
cru, le cuit et le pourri (unités élémentaires de sens, si l’on peut dire). La manière dont chaque
société utilise (ou non) ces catégories de mets ou les combine permet de les classer, de les
comparer ou encore d’interpréter leurs mythes.

On retrouve bien entendu cette méthode chez les sémiologues, qui entendent aborder
l’ensemble des systèmes de signes avec la même méthode que Saussure a étudié la langue. Il
s’agit donc d’identifier, pour chaque système spécifique (le son, l’image, etc.), les systèmes
d’oppositions fondamentales (comme le fait par exemple Greimas avec son carré sémiotique)
permettant de définir des identités élémentaires de sens fonctionnant sur le modèle du signe
linguistique, c’est-à-dire donnant des signes associant un signifiant et un signifié. Ce projet
n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés (cf. infra, chapitre suivant).

16
III. Rapide sémiologie des messages non linguistiques

La problématique des codes non linguistiques

Le projet sémiologique, au moins dans sa tradition structuraliste, entend donc aborder


l’ensemble des systèmes de signes, et donc l’ensemble des messages possibles, avec la méthode
linguistique. Le principal défi de ce projet réside donc dans la capacité à transposer aux codes
non linguistiques les bases du code linguistique : identifier les différents codes existant et, au
sein de chacun de ceux-ci, les unités signifiantes fondamentales et leurs règles de combinaison.
Ce projet très ambitieux pose toutefois un certain nombre de difficultés.

Différents auteurs identifient et étudient le fonctionnement de codes non linguistiques : codes


de l’image, chromatique, photographique, typographique, narratif, etc. Une première difficulté
réside dans la difficulté à distinguer, dans un certain nombre de fois, ce qui relève de l’un ou
l’autre code. Par exemple, codes photographique et chromatique se recoupent : faut-il
interpréter les couleurs d’une photographie en tant qu’éléments de la construction de celle-ci,
dans un sens strict, ou comme relevant d’un code chromatique plus large régissant la
signification des couleurs dans un contexte culturel donné ?

Une deuxième difficulté est bien plus importante : à l’inverse du code linguistique qui est
digital/discret3, il est très difficile d’identifier des unités élémentaires non-ambigües dans les
codes analogiques. Quelles sont, par exemple, les « unités élémentaires » constituant une
photo ? Comment procède-t-on à son « découpage » ? Cette difficulté amène bon nombre de
sémiologues à se distancer, au moins partiellement, du modèle linguistique durant les années
1970 afin de rendre compte le plus justement possible du fonctionnement de ces codes
analogiques, qu’Umberto Eco (1976) qualifie de codes faibles (c’est-à-dire peu définis, comme
l’image), par opposition aux codes forts comme le langage, caractérisés par un haut degré
d’arbitraire et de conventionalité.

Signification des messages non linguistiques : sémiotique de l’image

On peut dès lors se demander comment les messages non linguistiques peuvent véhiculer du
sens s’ils n’obéissent pas nécessairement à des codes associant une signification aux signes

3
C’est-à-dire au sein duquel on peut identifier des unités élémentaires précisément délimitées, par exemple les
phonèmes (sons élémentaires constituant une langue) ou les monèmes (combinaison de ces sons élémentaires
constituant une unité de sens élémentaire).

17
employés. Si ces messages ne véhiculent pas une signification univoque, ils peuvent par
exemple signifier par évocation : susciter des significations par ressemblance, association.

A. Dénotation et connotation

Dans le code linguistique, chaque signe a sa signification littérale, sa signification première. La


signification dénotée est simplement le sens associé au signe (la signification du dictionnaire).
À cette signification peuvent s’ajouter des significations nouvelles : les connotations. Celles-ci
sont « l’ensemble des significations secondes provoquées par l’utilisation d’un matériau
linguistique particulier et qui viennent s’ajouter au sens conceptuel, fondamental et stable, qui
constitue la dénotation » (Larousse). Par exemple, le Larousse cite les termes cheval, destrier
et canasson qui ont le même sens dénoté (chacun de ces termes désigne l’animal), mais des
sens connotés différents : destrier aura une signification plus poétique ou évoquera un cheval
fougueux, tandis que canasson sera plus familier voire péjoratif. La connotation ne s’oppose
donc pas à la dénotation : elle la complète, l’enrichit.

À noter que ces significations secondes, connotées, peuvent s’institutionnaliser, se stabiliser, se


conventionnaliser et acquérir avec le temps/l’usage le statut de sens premier (dénoté), auquel
pourront s’ajouter de nouvelles significations connotées4. Par exemple, le « panier à salades »
—véhicule destiné au transport des prisonniers— était à l’origine une expression véhiculant des
connotations négatives (soulignant l’inconfort de l’engin, les prisonniers y étant secoués
comme des salades dans un panier) qui a progressivement perdu son sens connoté pour
désigner, au premier degré, le véhicule quel que soit son niveau de confort (dénotation).

Si on s’éloigne des codes linguistiques, ceux-ci peuvent communiquer du sens en évoquant des
significations secondes. L’image, par exemple, peut présenter un sens dénoté et un sens
connoté. Le sens dénoté est, tout simplement, ce qu’elle montre, ce qu’elle représente. Le(s)
sens connoté(s) est (sont) l’ensemble des significations complémentaires, potentiellement
évoquées par cette image pour par certains éléments de celle-ci (tel le rouge évoquant le luxe
et l’italianité, dans une publicité pour une marque de pâtes analysée par Barthes (1964)).

4
C’est sur ce principe que Roland Barthes avait décortiqué ce qu’il nommait des « mythes » contemporains, c’est-
à-dire un système de significations et croyances véhiculées par les médias et la culture populaire dominante, et
reposant sur des significations secondes institutionnalisées et à leur tour porteuses de nouvelles connotations
(Barthes, 1957).

18
Par exemple, l’image ci-contre représente simplement un
homme moustachu et un enfant mal habillé assis dans une
entrée (sens dénoté). Mais cette image peut évoquer d’autres
choses que simplement deux personnages assis : la pauvreté,
la solitude (ou, au contraire, la solidarité), la Grande
Dépression, ou encore, les débuts du cinéma ou la comédie
burlesque. Toutes ces significations ne sont pas directement
présentes dans l’image, pourtant celle-ci les véhicule (ou peut
les véhiculer). Il s’agit de significations secondes, ajoutées
Charlie Chaplin, The Kid, 1921 aux premières : des sens connotés.
Ces significations connotées ne sont, cependant, pas absolues et univoques : elles sont
susceptibles de varier d’un individu à l’autre (en fonction de son expérience, de ses
connaissances : p.ex suivant qu’on aura ou non reconnu Charlot dans l’exemple ci-dessus), mais
surtout d’une aire culturelle à l’autre. Un même objet, une même image ne connoteront pas
nécessairement les mêmes significations partout, ce qui explique notamment que les publicités
pour un même produit sont parfois différentes d’un pays à l’autre. Par exemple, en France, une
bouteille de vin couverte de poussière connotera un vin ancien donc excellent, alors qu’au Japon
cela évoquera la saleté (et donc la piètre qualité). Pour faire passer au Japon cette idée d’un vin
excellent car ancien, on représentera une bouteille très propre posée sur des meubles en bois
blanc.

B. Métaphores et métonymies dans l’image

Le langage verbal permet de véhiculer des significations grâce à des figures de style, c’est-à-
dire des manières de s’exprimer s’écartant ouvertement du langage courant, de sorte à donner
au propos une expressivité ou une signification particulière. Parmi ces figures de style (ou
figures rhétoriques), certaines reposent sur un mécanisme d’analogie ou de substitution : il
s’agit d’établir une comparaison entre des termes, ou encore de substituer un terme par un autre
de sorte à provoquer une comparaison implicite ou une signification (connotée) particulière.
Les figures rhétoriques d’analogie ou de substitution les plus connues sont la métaphore et la
métonymie.

La métaphore consiste à associer un terme à un autre appartenant à un champ lexical différent


de sorte à prêter au premier terme des propriétés du second. Par exemple, lorsque l’on dit « cet
homme est un ours », il s’agit de référer des termes renvoyant à deux univers différents

19
(l’homme d’un côté et l’animal de l’autre), mettant en avant chez l’homme des qualités
spécifiques empruntées à l’animal : un homme qui est un ours est sans doute massif, bourru,
peu bavard et malpoli.

La métonymie consiste à remplacer un substantif par un autre avec lequel il entretient une
relation de contiguïté, par exemples une relation contenant-contenu, partie-tout, cause-effet,
etc., auquel on prête la même signification. « Le coupable est désormais derrière les barreaux »
est une phrase construite sur une métonymie : la prison est désignée par un substantif n’en
désignant qu’un élément mais entretenant un lien direct avec celle-ci (les barreaux).

L’intérêt de ces figures pour la sémiologie des messages non linguistiques est qu’elles ont des
équivalents visuels. Autrement dit, une image peut être métaphorique ou métonymique.
Toutefois, une image ne comportant pas à proprement parler d’unités signifiantes discrètes
comparables à des mots et qu’on pourrait aisément substituer l’un à l’autre, les métaphores
visuelles s’ancrent dans les mécanismes de perception (autrement dit : elles jouent sur nos
façons de voir) et fonctionnent selon des logiques plus proches de la condensation ou du
déplacement identifiés par les psychanalystes dans des mécanismes du rêve que selon une
logique purement rhétorique.

Dans les messages médiatiques visuels, la métaphore va jouer sur les ressemblances, profitant
de celles-ci pour faire apparaître autre chose, telles les peintures d’Arcimboldo faisant
apparaître des visages au départ d’assemblages de fruits et légumes.
Certains mécanismes peuvent favoriser la projection
métaphorique, comme le fondu-enchaîné dans le
montage cinématographique, qui permet parfois de
littéralement superposer l’espace d’une fraction de
seconde les deux termes mis en rapport. (Par
exemple : le fondu-enchaîné entre l’os tournoyant
lancé par l’homme préhistorique qui « devient » le
Arcimboldo, Corbeille de fruit réversible, vers
vaisseau spatial au début de 2001 A Space Odyssey
1560
de Stanley Kubrick (1968).)

C. Rapport texte-image

Dans la plupart des documents médiatiques, image et texte ne signifient pas tous seuls,
isolément. Au contraire, ils se voient la plupart du temps associés l’un à l’autre dans la publicité,

20
la bande dessinée, les fiches pédagogiques ou encore la presse. Il convient d’identifier le type
de rapport qu’entretiennent texte et image dans un document donné. Barthes identifie deux cas
de figure : l’ancrage et le relais.

Une image peut prendre plusieurs significations (Barthes dit qu’elle est polysémique : porteuse
de plusieurs sens, en une chaîne potentiellement infinie d’interprétations). En fait, la
signification « finale », stable, qu’on lui attribuera dépendra notamment des éléments de
cotexte/contexte qui sont à notre disposition et qui contribuent à nous indiquer « ce qu’il y a à
y voir ». Lorsque le texte permet de mieux identifier les éléments de la scène montrée (au niveau
de la dénotation), ou de percevoir les significations secondes véhiculées par l’image et de
choisir « la bonne » parmi l’ensemble de toutes les significations possibles (au niveau de la
connotation), on dira que le texte joue un rôle d’ancrage par rapport à l’image.

Lorsque le texte ne sert pas à ancrer le sens de l’image, mais qu’au contraire image et texte se
situent dans un rapport de complémentarité, apportant chacun leur part de signification au
message, on dira que le texte joue un rôle de relais par rapport à l’image.

« La fonction de relais est plus rare (du moins en ce qui concerne l'image fixe) ; on la trouve surtout
dans les dessins humoristiques et les bandes dessinées. Ici la parole (le plus souvent un morceau de
dialogue) et l'image sont dans un rapport complémentaire ; les paroles sont alors des fragments d'un
syntagme plus général, au même titre que les images, et l'unité du message se fait à un niveau
supérieur : celui de l'histoire, de l'anecdote, de la diégèse (…) » (Barthes, 1964, p. 45)
Notons toutefois que cette distinction de Barthes, pour opérationnelle qu’elle soit, est quelque
peu artificielle quand il s’agit d’aborder des messages médiatiques complexes. Elle présuppose
en effet que texte et image ont dans ces messages des rôles distincts clairement identifiables, le
texte prédominant toujours quelque part sur l’image, alors que de nombreux messages
médiatiques sont conçus sans envisager cette « hiérarchie » entre les différents éléments
sémiotiques qui le composent. Dans le cadre de ce cours, on utilisera ces notions d’ancrages et
de relais comme des guides à l’analyse permettant de montrer comment sont agencés les
différents éléments d’un même message, sans prétendre qu’il y aurait nécessairement primauté
d’un élément sur l’autre en raison de leur nature sémiotique.

21
IV. Problématique de l’énonciation
Un message médiatique ne signifie pas « tout seul ». S’il existe, c’est qu’il est nécessairement
produit par quelqu’un à destination de quelqu’un. Un message médiatique présuppose donc
l’établissement d’une relation entre un destinateur et un destinataire. Toutefois, cette relation
peut prendre des aspects divers selon les types de messages : une affiche publicitaire
interpellant directement son récepteur pour l’inciter à acheter le produit qu’elle vante et un film
de fiction classique, par exemple, fonctionnent très différemment sur ce plan.

L’énonciation

Pour exister, un message doit être énoncé : il est nécessairement le résultat d’une énonciation,
c’est-à-dire d’un acte de production des énoncés (qu’ils soient verbaux ou d’une autre nature :
images, sons, etc.) qu’il contient, dans un contexte/des circonstances donnés. En bref,
l’énonciation, c’est l’acte par lequel quelqu’un dit quelque chose à quelqu’un d’autre dans un
contexte spécifique.

Si énoncé et énonciation sont étroitement liés (l’un n’existe pas sans l’autre), la manière dont
ils se répondent l’un à l’autre peut toutefois être différente. Certains énoncés peuvent faire
référence à la situation d’énonciation, tandis que d’autres n’en gardent aucune trace.

- « Monsieur, vous êtes assis à côté de la sortie de secours, avec la commande ici.
Pourriez-vous prendre connaissance de son fonctionnement avant le décollage ? » est
un énoncé qui contient des références explicite à la situation d’énonciation. L’énoncé
pose l’existence de deux interlocuteurs (l’allocutaire est un homme), en interaction dans
un lieu donné (selon toute vraisemblance un avion ; l’allocutaire est assis à une place
spécifique de cet avion), dans un contexte spécifique (l’avion va décoller, le locuteur
occupe manifestement une place impliquant des responsabilités dans l’avion : pilote,
hôtesse), et fait référence à des objets spécifiques (la commande est ici) qu’il est difficile
de percevoir sans se référer au contexte d’énonciation de cet énoncé. Comprendre
pleinement cet énoncé implique donc de prendre en compte sa situation d’énonciation.
- « Hoffmann remonta jusqu’à la rue de Berne. Elle était miteuse et interminable, mais
au moins il y avait du monde —deux rangées de trams s’y croisaient—, et cette idée le
rassura. »5 est, inversement, un énoncé qui ne contient aucune trace de son énonciation :
si l’on sait ce qui est dit, on n’a aucun indice permettant d’identifier qui le dit et à qui,

5
R. Harris, L’indice de la peur, 2011, p. 205.

22
dans quel cadre. Les événements semblent se raconter d’eux-mêmes, l’énoncé peut
parfaitement être compris indépendamment de la situation d’énonciation.

Sur le plan linguistique, la différence entre ces deux énoncés tient à l’usage, dans le premier
cas, de mots spécifiques qui n’ont pas de sens propre en-dehors de la situation d’énonciation
car ils servent à la désigner. Par exemples, « vous » qui désigne l’allocutaire ou « ici » qui
désigne un lieu que nous ne pouvons identifier sans connaître la situation d’énonciation. Ces
termes contribuent à ancrer l’énoncé dans la situation d’énonciation : marques de personnes et
adjectifs possessifs (je, tu, vous, votre, mon, etc., désignant émetteur et récepteur), certains
adverbes de temps et de lieu (ici, là, demain, etc., qui n’ont du sens que relativement à la
situation d’énonciation). On appelle ces termes des embrayeurs 6 . Selon le linguiste Emile
Benveniste (1902-1976), ces termes « délimitent l'instance spatiale et temporelle coextensive
et contemporaine de la présente instance de discours contenant je » (Benveniste, 1966, p. 253).

La présence (ou l’absence) de ces embrayeurs (et déictiques) permet de distinguer des registres
différents d’énonciation (Benveniste, 1966) suivant que l’énoncé fera ou non explicitement
référence à la situation d’énonciation.

- Pour Benveniste, le registre du discours (ou énonciation-discours) est un registre


d’énonciation maximisant les références au contexte d’énonciation, avec des énoncés
difficilement compréhensibles sans la prise en compte de ce contexte. Les énoncés
seront embrayés, c’est-à-dire qu’ils contiendront de nombreuses marques référant à ce
contexte.
- Le registre du récit/de l’histoire (ou énonciation-récit) est, au contraire, un registre
désembrayé, c’est-à-dire avec très peu de marques désignant la situation d’énonciation.
« Les événements sont posés comme ils se sont produits à mesure qu'ils apparaissent à
l'horizon de l'histoire. Personne ne parle ici ; les événements semblent se raconter eux-
mêmes. Le temps fondamental est l'aoriste7, qui est le temps de l'événement hors de la
personne du narrateur. » (1966, p. 241)

6
Au cours, nous avons utilisé un terme plus spécifique pour désigner ces derniers : les déictiques, c’est-à-dire
étymologiquement des termes qui servent à désigner (p. ex : celui-ci, à côté de, le précédent, etc.). S’il n’est pas
incorrect d’utiliser le terme d’embrayeur pour désigner, comme le font certains linguistes, l’ensemble de ces mots
ancrant un énoncé dans la situation d’énonciation, il semble intéressant analytiquement de conserver des termes
distincts suivant qu’il s’agit de mots référant aux interlocuteurs (embrayeurs) ou à la situation spatio-temporelle
d’énonciation (déictiques). Un déictique est donc un embrayeur spécifique, renvoyant au contexte spatio-temporel.
7
Temps existant dans certaines langues, comme le grec ancien auquel se réfèrent souvent les linguistes car il a
contribué à structurer notre langue, et correspondant plus ou moins au parfait (passé simple) ou au passé composé.
C’est le temps privilégié utilisé pour relater un événement de manière descriptive. Cela ne signifie pas, pour autant,
qu’il ne puisse exister d’énonciation-récit avec un temps grammatical différent.

23
Enonciation et relation : dispositif d’énonciation et polyphonie

La distinction entre les registres du discours et du récit est intéressante pour analyser les
contenus médiatiques, car elle permet de mettre au jour des messages de différents types.

Certains énoncés médiatiques, caractérisés par des embrayeurs et des déictiques, c’est-à-dire
relevant de l’énonciation-discours, cherchent explicitement à créer une relation avec le
récepteur. Dans les médias audio-scripto-visuels, cette relation est créée par différents éléments
visant à construire le récepteur comme partie prenante de la relation : le jeu des regards (le
personnage de l’affiche qui semble nous regarder droit dans les yeux), l’usage d’embrayeurs
(« Votez pour moi », « Rejoignez-nous », « I need you », etc.), de déictiques (« Cliquez ici »)
sont autant de manières de « faire rentrer » le récepteur dans le simulacre de relation créé par
le document médiatique.

Créer une relation, c’est une chose ; la caractériser, c’est-à-dire en définir le type, les
interlocuteurs, la nature de la relation qui les lie, en est une autre. Ce sont d’autres indices, liés
au contexte (par exemple, l’identité du locuteur) ou au mode d’énonciation (comment il le dit),
qui permettent de caractériser cette relation. Par exemple, sur le plan linguistique, les temps et
modes employés sont un moyen important de créer et caractériser une relation : l’usage de
l’impératif crée de fait une relation inégalitaire entre deux interlocuteurs (entre celui qui a le
droit de donner un ordre et celui qui doit l’exécuter), alors que l’usage de l’interrogatif tendra
à faire du récepteur un acteur du message (en y répondant), etc. Les pronoms personnels sont
une autre façon de caractériser une relation : le tutoiement ne crée pas le même type de relation
entre interlocuteurs que le vouvoiement. Sur le plan non-linguistique, la mise en scène d’une
figure d’autorité (morale, politique, scientifique, etc.) venant supporter le message renforcera
par exemple une relation verticale, alors que la représentation de personnes « lambda »
auxquelles peut s’identifier le récepteur favorisera, dans certaines configurations, une relation
égalitaire.

On regroupe l’ensemble de ces facteurs qui contribuent à créer un simulacre de relation sous le
terme de dispositif d’énonciation (Verón, 1983), c’est-à-dire tous les éléments de l’énoncé
(verbal ou non verbal) au service de l’établissement d’une relation, ou à tout le moins de la
« mise en scène » de celle-ci (les interlocuteurs d’un message médiatique n’étant par définition
pas en face-à-face réel). Cette « mise en scène » d’une relation au sein d’un dispositif
d’énonciation peut prendre plusieurs formes, à commencer par la construction et la
représentation d’interlocuteurs.

24
Côté énonciation, un document médiatique peut mettre en scène un ou plusieurs locuteurs qui
vont porter le message. C’est un procédé très classique : le politicien qui sur son affiche
électorale nous regarde droit dans les yeux, l’acteur célèbre qui semble s’adresser à nous tout
en nous vantant un café, le mannequin qui va porter un message humanitaire, le client lambda
malin pour avoir choisi le produit X auquel tout un chacun pourra s’identifier, etc. Dans chacun
de ces cas, bien qu’il existe un émetteur réel clairement identifié (un parti politique, une grande
marque de café, etc.), les éléments du dispositif d’énonciation sont au service de la construction
de cette relation particulière avec la figure présentée dans le document : c’est (en apparence)
cet acteur connu qui me parle, pas la marque de café qui a fait appel à lui.

On constate que ces dispositifs d’énonciation peuvent être assez complexes. On peut par
exemple mettre en scène non un locteur portant le message, mais plusieurs locuteurs portant
tout ou partie du message. Dans ce dernier cas, la relation créée lie ces différents locuteurs au
récepteur. On parle alors de polyphonie : un message porté par plusieurs voix.

De la même manière, et symétriquement qu’il peut construire plusieurs voix le supportant, un


message peut mettre en scène plusieurs interlocuteurs différents. Un exemple simple est celui
d’une lettre ouverte rédigée par un groupe d’intérêts adressée à un ministre mais publiée dans
la presse. Un tel message construit deux destinataires différents : formellement, il y a le ministre
(la lettre l’interpellera peut-être, usera de pronoms le désignant ou de formules de politesse lui
étant destinées), mais il y a également l’ensemble des lecteurs du journal qui sont pris à témoin
de l’interpellation du ministre (on n’écrit d’ailleurs pas une lettre ouverte comme on écrit une
lettre privée : les arguments sont organisés de sorte à toucher aussi les lecteurs auxquels la lettre
ne s’adresse pas en apparence).

Lorsqu’un message construit ainsi plusieurs interlocuteurs (un énonciateur s’adressant à


plusieurs énonciataires, plusieurs énonciateurs s’adressant à un énonciataire, ou plusieurs
énonciateurs s’adressant à plusieurs énonciataires), on dira que ce message comporte plusieurs
plans d’énonciation, chaque plan « reliant » une catégorie d’énonciateur et une catégorie
d’énonciataires, avec une signification particulière.

Les actes de langage

Un énoncé implique nécessairement une énonciation. Dès lors, dire c’est faire, pour reprendre
l’expression de John Austin (1970) : lorsqu’on dit quelque chose, on accomplit plusieurs
actions. C’est ce que les linguistes appellent les actes de langage, c’est-à-dire les actes

25
accomplis en disant, par le fait de dire. Austin identifie trois catégories d’actes qui sont
accomplis par toute énonciation :

- Acte locutoire : c’est l’acte de dire, l’acte d’énonciation (sans lequel aucun énoncé
n’existerait) ;
- Acte illocutoire (ou illocutionnaire, selon d’autres auteurs) : c’est l’acte accompli en
disant, par le fait de dire, réalisé dans le langage, et qui confère à la parole une certaine
force (qu’il appelle force illocutoire : on prétend agir sur le comportement d’autrui en
ordonnant, on s’engage en promettant, on transforme la réalité en baptisant, etc.) ;
- Acte perlocutoire (ou perlocutionnaire) : c’est l’acte opéré sur les pensées ou sur le
comportement des interlocuteurs, et qui, s’il est réalisé par le langage, se réalise (ou
non) hors du langage. Par exemple, si un ordre cherche à orienter le comportement de
quelqu’un d’autre, l’acte ne sera accompli que si la personne obéit (accomplissement
indépendant de l’ordre en tant qu’énoncé et énonciation).

L’acte locutoire est nécessairement posé ; dans le cas de l’analyse des messages médiatiques,
nous n’avons pas accès à l’acte perlocutoire, à moins d’aller observer chez les gens les effets
des contenus médiatiques qu’ils consomment. Par conséquent, dans la perspective d’analyse
des contenus médiatiques qui est la nôtre, le seul acte de langage accessible à l’analyse et
véritablement intéressant est l’acte illocutoire : celui qui est accompli par la parole.

Il existe différentes typologies des actes illocutoires. Toutes tendent à distinguer les actes qui
renvoient à un constat sur le monde et ceux qui prétendent le transformer à travers le langage,
mais en nommant les cas de figure un peu différemment selon les approches spécifiques. Nous
retenons celle de François Recanati (1981), qui est très opératoire et reprise dans la plupart des
manuels8. Cette typologie repose sur deux grandes distinctions :

- D’une part, savoir dans quelle mesure l’acte véhicule ou non un contenu propositionnel ;
- D’autre part, dans le cas où l’acte véhicule un contenu propositionnel (c’est-à-dire qu’il
est essentiellement représentatif), identifier le type de relation entre la parole et le
monde : soit la parole s’ajuste à l’état du monde (actes constatifs), soit elle prétend au
contraire ajuster le monde aux mots (actes performatifs). Dans ce dernier cas, la parole
a une force performative, c’est-à-dire qu’elle prétend transformer un état du monde.
C’est ce qui se produit avec une formule comme lorsque le président du pays hôte

8
Notamment Meunier et Peraya (2004) et Verhaegen (2010) que nous avons recommandés comme ouvrages de
référence du cours.

26
annonce « je déclare les jeux olympiques ouverts » : les jeux étaient fermés, et par la
parole du président, les voici ouverts à l’instant suivant. La parole a transformé le
monde.

Cette typologie peut être résumée dans le schéma suivant9 :

Toutefois, les choses ne sont pas nécessairement si simples. Prenons l’exemple d’un professeur
disant à ses étudiants : « Il est 17 heures ». Il s’agit incontestablement d’un acte illocutoire
essentiellement représentatif constatif (le professeur fait un état du monde : il donne l’heure).
Pourtant, au lieu de simplement enregistrer l’information, les étudiants rangent leurs affaires et
s’en vont. En donnant l’heure, le professeur a simplement signifié que le cours était fini. C’est
ce que John Searle appelle un acte de langage indirect (1975), c’est-à-dire un acte de langage
accompli en en accomplissant formellement un autre. Ces actes indirects contribuent à
structurer le caractère implicite de bon nombre de messages.

Dans une perspective d’analyse des contenus médiatiques, et en particulier dans l’étude de
l’énonciation et du registre du discours, les actes de langage sont intéressants à identifier dans
la mesure où ils contribuent à structurer les relations sociales entre les interlocuteurs. Si nous
avons vu que l’usage d’embrayeur permettait de désigner les interlocuteurs d’une relation je-
tu, la nature de cette relation va fortement dépendre des actes de langage (illocutoires)
accomplis. En effet, l’acte de langage va situer le locuteur par rapport au monde te par rapport
à son interlocuteur. La place que s’arroge le locuteur ne sera pas la même suivant le type d’acte
posé. Par exemple, dans le cas d’un ordre (acte performatif prescriptif), le locuteur s’arroge une

9
Il est à noter que cette typologie ne prend pas en compte les interrogations. L’identification des actes de langage
liés aux interrogations est plus complexe. Pour faire simple, dans le cadre du cours, nous pouvons considérer que
les interrogations revêtent un caractère performatif : l’énonciation d’une interrogation « transforme le monde » au
sens où elle place l’interlocuteur en position d’y répondre, modifiant par conséquent les relations entre
interlocuteurs.

27
place supérieure à l’interlocuteur : il se place dans la position de celui qui peut exiger,
commander. Inversement, dans le cas d’un acte performatif promissif, il s’engage par rapport à
l’interlocuteur qui aura dès lors le droit de juger le locuteur sur la base de la promesse tenue ou
non. Les actes de langage structurent ce que certains appellent des transactions
communicationnelles, c’est-à-dire les relations symboliques qui s’établissent entre
interlocuteurs par la médiation du langage. On ne parle pas à sa femme comme on parle à son
patron, parce qu’on n’a pas la même relation avec sa femme qu’avec son patron : les actes de
langage posés contribuent à structurer l’interaction.

Enonciation non linguistique

Les notions d’énonciation et d’embrayeurs sont des notions venant spécifiquement de la


linguistique. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il n’y aurait d’énonciation que linguistique,
et qu’il n’existe pas d’équivalent non linguistique du registre du discours. N’importe quel
message médiatique, quel que soit son format sémiotique, présuppose une forme d’énonciation,
même si celle-ci est peut-être plus complexe et plus difficile à situer exactement10, parce qu’il
doit être produit et doit parvenir à son récepteur.

En-dehors du langage verbal, la forme sémiotique la plus courante dans les messages
médiatiques est probablement l’image. Par nature, l’image est probablement plus proche du
registre du récit défini par Benveniste : elle montre les choses et les événements, elle sert à
raconter. Cela ne signifie pas pour autant qu’on ne puisse y trouver des formes remplissant un
rôle équivalent à celui des embrayeurs et déictiques, à savoir ancrer l’énoncé dans la situation
d’énonciation.

La posture des personnages ainsi que leur regard peuvent par exemple contribuer à désigner
des interlocuteur : le présentateur tourné vers la caméra, semblant chercher le contact oculaire
avec le récepteur, la mise en image du journal télévisé est un dispositif qui désigne clairement
des interlocuteurs, le présentateur s’affirmant comme locuteur (je) s’adressant aux
téléspectateurs désignés comme allocutaires (vous) (Verón, 1983). Nous avons bien là un
équivalent imagé du mécanisme d’embrayage linguistique. Il en est de même avec le principe
de la « caméra subjective » qui nous fait voir l’action à travers les yeux d’un personnage donné,
contribuant à l’affirmer en tant que je à l’origine de l’image qui nous est montrée.

10
Par exemple, qui « énonce » un film ? Le réalisateur ? Le scénariste ? Le cadreur ? Pour complexe que soit la
question, il n’en demeure pas moins que le film en tant qu’énoncé est le résultat d’actes que l’on peut qualifier
d’énonciation. (Gaudreault, 1989. Pour approfondir spécifiquement la problématique de l’énonciation filmique,
voir p.ex Gaudreault & Jost, 1990)

28
Sur le plan spatio-temporel, certains cadrages et angles de vue peuvent contribuer à ancrer
l’image dans son contexte d’énonciation. Le cadrage en plongée ou en contre-plongée, par
exemples, situe exactement la prise de vue (et par extension, le récepteur qui voit à travers elle)
par rapport à la situation montrée. Il ne s’agit pas que de voir la scène en la dominant ou en
étant dominé par elle, il s’agit également de manifester la position de la caméra par rapport à
celle-ci : nous avons l’équivalent imagé d’un déictique. De même, les angles de vue au ras de
terre, mouvementés et parfois éclaboussés de sable, d’eau ou de sang de la scène du
débarquement dans Saving Private Ryan (Steven Spielberg, 1998) ancrent très fortement
l’énoncé imagé dans la situation d’énonciation (Hanot, 2002) : la prise de vue ne se veut pas
simple spectatrice d’une bataille qui se déroulerait indépendamment d’elle, mais met au
contraire en avant les conditions dans lesquelles ces images sont supposées avoir été tournées,
à savoir au plus près des soldats, avec eux et au milieu d’eux, au cœur de l’action.

29
V. Le registre du récit et les messages narratifs
Nous l’avons vu, Benveniste définit le récit comme un registre d’énonciation caractérisé par
une minimisation des embrayeurs et déictiques, par opposition au registre du discours.
L’énonciation-récit ne réfère pas à la situation d’énonciation :

« Les événements sont posés comme ils se sont produits à mesure qu'ils apparaissent à l'horizon
de l'histoire. Personne ne parle ici ; les événements semblent se raconter eux-mêmes. Le temps
fondamental est l'aoriste, qui est le temps de l'événement hors de la personne du narrateur. »
(Benveniste, 1966, p. 241)
Il serait toutefois réducteur et hasardeux de limiter le récit à un registre de l’énonciation. Les
récits se caractérisent par bien d’autres propriétés structurelles et formelles (c’est-à-dire la
manière dont ils sont faits), pragmatiques (c’est-à-dire relationnelles) et culturelles (c’est-à-dire
en tant qu’ils véhiculent des représentations et des valeurs). Pour cette raison, les récits sont des
objets étudiés par d’innombrables auteurs sous de multiples angles, et ce au moins depuis Platon
si l’on ne considère que la tradition occidentale, donnant lieu à une littérature très abondante.

Dans la mesure où, tous genres médiatiques confondus, bon nombre de contenus médiatiques
sont des récits ou sont narrativement structurés, la maîtrise de leurs codes fondamentaux est
essentielle à l’analyste des contenus médiatiques, tout comme pour l’élaboration d’hypothèses
quant à leurs effets sur leurs récepteurs. Sans prétendre, pour cause, faire un inventaire exhaustif
de la question, ce chapitre vise à présenter un cadre structurant suffisant pour permettre une
première approche des messages médiatiques narratifs.

Importance culturelle du récit11

Les récits sont très présents dans toutes les cultures : mythes fondateurs, épopées, récits
historiques, contes et légendes, histoires pour enfants, récit d’actualité, arts narratifs (théâtre,
roman, cinéma, bande dessinée, …) ; etc. Cette caractéristique a, en grande partie, justifié
l’attention portée au récit par les philosophes, les philologues et les analystes de la culture.
Jerome Bruner note que les histoires sont si courantes et que nous en sommes tellement friands
qu'elles qu’elles nous semblent aussi naturelles que le langage lui-même (Bruner, 2002). Dans
son Introduction au numéro de Communication fondateur de la narratologie structurale, Roland
Barthes affirme avec emphase l'universalité du récit :
« sous ses formes presque infinies, le récit est présent dans tous les temps, tous les lieux,
dans toutes les sociétés ; le récit commence avec l'histoire même de l'humanité ; il n'y a pas,
il n'y a jamais eu nulle part de peuple sans récit ; toutes les classes, tous les groupes humains

11
Ce point, de même que le suivant, est directement adapté de Campion (2012, p. 57‑60).

30
ont leurs récits, et bien souvent ces récits sont goûtés en commun par des hommes de culture
différente, voire opposée (…) » (Barthes, 1966, p. 1)

Au-delà du fait que le récit est quelque chose de très commun, Bruner l'envisage comme un
phénomène symbolique produit par l'homme, et à ce titre faisant intégralement partie de la
culture (Bruner, 2000, p. 5‑9). La culture constitue elle-même un ensemble de façons de penser
et d'agir considérées comme normales dans un contexte donné. Ce faisant, « outil culturel », le
récit occupe une place centrale dans la construction de l'identité, guidée —même si ce n'est bien
entendu pas de manière rigide et déterministe— par les modèles culturels du soi sous-tendus
par ces histoires (Bruner, 2004, p. 4). Dans cette perspective, les histoires que nous racontons
et écoutons sont la principale manière de permettre à nos esprits de se conformer aux contraintes
de nos expériences culturelles (Bruner, 2006, p. 119).

Cette conception rejoint la vision de Barthes considérant le récit comme catégorie fondamentale
de la vie culturelle de l'humanité : au niveau de l'identité collective (fonction du mythe), et au
niveau de l'accession des individus à une identité subjective. Le récit, à travers ce que certains
nomment l'acte de configuration narrative (Paul Ricœur) ou la « capacité narrative » (Bruner),
est une manière essentielle pour l'homme d'organiser son rapport à l'expérience, et donc de
construire son identité (Bruner, 2006, p. 119; Ricœur, 1983, 1984). Jean-Marie Schaeffer fait
le « constat que notre identité subjective est constitutivement une identité construite (ou auto-
construite) narrativement » (Schaeffer, 2010, p. 215).

Qu’est-ce qu’un récit ?

Chacun sait intuitivement ce qu'est un récit : on peut le reconnaître lorsqu’on en voit un.
Pourtant, le définir précisément n’est pas chose facile. A tel point que le philosophe anglais
David Rudrum pointe ce paradoxe : seuls, les critères de définition qui font habituellement
consensus ne permettent pas de distinguer à coup sûr ce qui intuitivement relève clairement du
récit de ce qui n'en est pas un, nécessitant l'adjonction de propriétés supplémentaires, comme
la « narrativité » difficile à cerner (Rudrum, 2005) ! Cette difficulté de définition tient en partie
au fait que le récit, en amont de tout critère de définition, n'est pas un objet facile à localiser.
Est-il ou non propre à certains genres, se situe-t-il dans l'échange, dans la narration, dans le
texte et la représentation, dans le statut qu'on lui donne ou encore dans une structure mentale
préexistante ? Le terme s'est largement répandu dans toute une série de domaines, en particulier

31
en sciences humaines12. Le narratologue, le sémioticien, le philologue et le psychologue (pour
ne parler que d'eux) parlent-il réellement de la même chose ?

Ce point ne prétend donc pas épuiser la question, mais donner quelques repères permettant de
mieux cerner cet objet, afin de pouvoir en cerner les ressorts principaux et, de là, les effets
recherchés ou probables sur le récepteur. Il existe un consensus selon lequel un récit est,
basiquement, la représentation d'une séquence d'événements temporellement organisée (voir
entre autres Genette, 1966; Prince, 1982; Bal, 1985; Kafalenos, 2006). Des divergences
apparaissent toutefois très vite quant il s'agit de savoir si un seul événement suffit, quelle est la
nature de celui-ci, etc. D’où l’idée d’ajouter des critères supplémentaires. Par exemples : la
nécessité d’un agent ou patient doté d’états mentaux (Schaeffer, 2010, p. 217), le rapport
nécessaire entre l’attendu et la surprise (Bruner, 2002), etc.

La singularité du récit se situe au croisement de l'énoncé et de l'énonciation (c’est ce qu’on y


dit et le fait de le raconter), de l'histoire et de la narration (ce qu’on raconte et comment on le
raconte), le tout prenant place dans un contexte culturel (dans lequel le récit va prendre sens) et
de communication (entre un énonciateur qui raconte et des énonciataires à qui l’on raconte).
Rares sont les définitions tentant de prendre en compte ces différents aspects simultanément.
Nous retiendrons celle de David Herman, basée sur quatre propriétés distinctives qu'il appelle
les « basic elements of narrative », c’est-à-dire les éléments basiques constitutif du récit
(Herman, 2009).

(1) Le récit est un mode de représentation situé (et devant être interprété) dans un contexte
spécifique ou occasion à la narration : même s’il se présente comme tel, le récit « ne
tombe pas du ciel » mais structure une relation entre des interlocuteurs (basiquement :
celui qui raconte et celui à qui on raconte).
(2) Ce mode de représentation relate des événements suivant un parcours temporel
particulier, ce qui contribue à le distinguer clairement d'autres types de texte, comme la
description, l'explication ou le discours scientifique, même lorsque ceux-ci comportent
des passages narratifs ou partagent d'autres caractéristiques avec le récit.
(3) Ces événements sont représentés de sorte à rompre une situation d'équilibre dans un
univers diégétique donné, que celui-ci soit présenté comme réel ou fictionnel, présent
ou passé.
(4) Enfin, le récit, en tant que représentation, procure au récepteur une dimension
expérientielle spécifique, c’est-à-dire qu’il provoque des « effets » spécifiques sur son

12
La littérature savante anglophone n'hésite pas à parler de « narrative turn in humanities » tant le terme est à la
mode dans des domaines variés allant de la littérature à la psychanalyse en passant par l'ethnographie ou le droit
(voir notamment Herman, 2009, p. 24; pour une synthèse : Kreiswirth, 2005).

32
récepteur : notamment l’identification aux personnages, une forme de plaisir, la
surprise, le fait de mener des expériences par procuration, etc.
Cette définition présente deux aspects. Les propriétés 1 à 3 sont assez facilement
opérationnalisables à travers la définition d'indicateurs observables directement dans le texte
narratif. La propriété numéro 4 présuppose une investigation au niveau du destinataire, de ses
représentations, de son expérience.

Les éléments constitutifs du récit

A. Clarification terminologique

Pour analyser concrètement les éléments de définitions du texte narratif, il faut d’abord
s’entendre sur le sens exact des mots employés. En effet, dans le langage courant, récit,
histoire, narration (voire d’autres termes comme fable, roman, etc.) sont plus ou moins
synonymes. Dans une perspective systématique, scientifique, ils ne le sont pas, dans la mesure
où ils renvoient à des aspects différents mais liés des messages narratifs. En effet, tout message
narratif implique des événements à raconter, un « texte » 13 qui les raconte, et la nécessité de les
raconter d’une certaine manière.

Nous pouvons, pour clarifier cela, partir de la terminologie de Gérard Genette, qui a le mérite
de préciser les choses tout en évitant les dénominations susceptibles d'entrer en conflit avec le
langage commun (Genette, 1983, p. 72). Genette nomme :

(1) Histoire : le signifié ou contenu narratif (ce qu’on raconte, les événements racontés) ;
(2) Récit : le signifiant, énoncé, texte narratif lui-même (la face matérielle du récit raconté) ;
(3) Narration : l'acte narratif producteur et, par extension, l'ensemble de la situation réelle
ou fictive dans laquelle il prend place (le fait de raconter, la manière de raconter).
La distinction entre les événements racontés (histoire) et le récit en tant que signifiant est
importante : indissociables l’un de l’autre, ils ne se confondent pas pour autant. Comme le
montre par exemple Genette, la temporalité des événements de l’histoire n’est pas
nécessairement celle du récit (1972). Les événements se sont déroulés dans un ordre donné,
mais ils peuvent être racontés dans un ordre différent. L’exemple le plus connu est le flash back,
consistant à raconter après des événements qui se sont déroulés avant. À titre d’information,
on notera que Genette identifie toute une série de « distorsions » temporelles possibles entre le
temps de l’histoire et celui du récit : les prolepses (raconter avant des événements qui se sont

13
« Texte » est ici considéré dans une acception large : le récit en tant que manifestation matérielle de ce qui est
raconté. Une bande dessinée, un film, etc., sont ainsi considérés comme des « textes ».

33
déroulés après ; flash forward), les analepses (raconter après des événements qui se sont passés
avant ; flash back), l’anisochronie (c’est-à-dire que la durée du récit ne correspond pas à la
durée des événements de l’histoire), comme c’est par exemple le cas dans l’ellipse (la durée du
récit est plus courte que la durée des événements de l’histoire, sur lesquels il fait l’impasse ;
« 15 jours plus tard »), ou encore différents types d’itérations (c’est-à-dire de cas de figure où
le récit répète plusieurs fois un événement de l’histoire qui s’est passé une seule fois, ou à
l’inverse raconte une seule fois des événements qui se sont passés plusieurs fois), etc.

B. Caractéristiques du texte narratif

Ayant précisé ces différences entre histoire, récit et narration, il est possible d’envisager les
caractéristique du récit comme texte narratif. Les six critères énoncés par le linguiste Jean-
Michel Adam, bien qu’assez restrictifs (certains auteurs proposent des critères plus larges), ont
l’avantage d’être faciles à opérationnaliser dans l’analyse (Adam, 1999, p. 92‑110) :

(1) Succession temporelle d'actions organisées en fonction d'un but : il ne suffit pas de faire
se succéder des événements, encore faut-il qu’ils le soient dans un but précis, par
exemple pour en dégager du sens.
(2) Unité thématique, c’est-à-dire qu’il faut que les événements « parlent de la même
chose », ils doivent avoir un rapport les uns avec les autres.
(3) Transformation de prédicats, qu'on peut résumer par une évolution entre une situation
initiale et une situation finale.
(4) Processus : une situation initiale voit son équilibre rompu par une complication initiant
un processus menant à une résolution et une situation finale.
(5) Causalité-consécution narrative d'une mise en intrigue : des liens de causalité et des buts
vont au-delà d'un simple enchaînement successif des faits, les faits sont liés entre eux
de manière logique et/ou causale.
(6) Evaluation finale : le texte se termine sur une « morale » évaluant le résultat des actions
qui se sont succédées.
Ces critères sont à utiliser avec intelligence : le but n’est pas de s’assurer que les messages
remplissent bien tous les critères de sorte à distinguer bon et mauvais récits, mais d’utiliser ces
critères pour distinguer les messages qui sont « plus » narratifs de ceux qui ne seraient
« moins ». Un texte qui remplit tous les critères sera plus narratif, aura un « gradient de
narrativité » (Adam, 1997) plus élevé qu’un texte qui n’en remplit que certains. Plus un message
répond à une définition stricte du récit, plus cela a du sens de l’analyser avec des outils
spécifiques à l’analyse des messages narratifs (par oppositions aux outils utiles à l’analyse des
discours tels que définis plus tôt).

34
La structure du récit et le schéma actantiel

Il existe une grande variété de récits. Un film de science-fiction semble a priori très éloigné
d’un roman psychologique, de même qu’un grand reportage est très différent d’un clip de
prévention routière. Mais au sein d’un même genre, un récit n’est pas l’autre : la Belle au bois
dormant n’est pas Blanche-Neige. Pourtant, malgré leurs différences, ces récits partagent un
certain nombre de similarités. Par exemple, on y retrouve systématiquement un début qui ouvre
le récit, un « milieu » (le cœur du récit, avec ses multitudes de péripéties), et une fin qui le
clôture.

À la suite du folkloriste soviétique Vladimir Propp (1895-1970) qui avait montré que les contes
folkloriques russes étaient tous construits de manière similaire (le conte comprend
nécessairement un certain nombre d’étapes, qu’il nomme fonctions du conte; Propp, 1970), de
nombreux auteurs (notamment au sein du courant structuraliste14) ont cherché à théoriser cette
structure fondamentale du récit. Il existe différents modèles, le plus connu étant sans doute le
modèle actantiel (« schéma actantiel ») d’Algirdas-Julien Greimas (Greimas, 1966) enseigné
dans les écoles (schéma ci-dessous). Ces modèles structuraux ont en commun la démarche
consistant à mettre au jour la structure sous-jacente commune à de grands ensembles de récits,
« cachée » sous une diversité d’éléments « de surface » (comme les noms ou les caractéristiques
individuelles des personnages). Les récits seraient tous, peu ou prou, bâtis sur un même modèle,
chacun relevant d’une combinaison spécifique au départ d’un ensemble de possibilités
restreintes (Eco, 1981), se distinguant par des détails quant à l’objet de la quête, les
caractéristiques du héros ou encore l’espace-temps de l’action. Par exemple, un récit implique
nécessairement un anti-héros, un « méchant » s’opposant au héros, peu importe qu’il prenne
l’apparence d’un chevalier rival, d’un loup ou d’un dragon : il incarne dans tous ces cas le rôle
actantiel de l’opposant, nécessaire à la dynamique du récit. Dans la perspective structuraliste,
cette structure sous-jacente doit être mise au jour afin de révéler le sens profond des récits,
qu’ils interprètent conformément à la méthode structurale dans le cadre de d’oppositions
signifiantes fondamentales.

14
Voir la présentation succincte de l’approche structuraliste, p. 11.

35
Sans entrer dans les détails et nuances des différents modèles structuraux et les interprétations
culturelles qu’ils sous-tendent, on retiendra que la plupart des récits sont structurés autour de
quelques étapes fondamentales, que l’on peut résumer à un schéma narratif de base :

(1) La situation initiale, qui met en place le cadre dans lequel se déroulera l’histoire et qui
donne les éléments nécessaires à la compréhension du récit. C’est dans la situation
initiale que sont posées les bases de l’univers diégétique (cf. point suivant, p. 37).
(2) L’élément déclencheur ou perturbateur, c’est-à-dire le bouleversement qui modifie la
situation initiale et appelant à une (ré)action. Cet élément déclencheur enclenche
véritablement le récit.
(3) Le déroulement (ou le nœud de l’intrigue), c’est-à-dire les péripéties provoquées par
l’élément perturbateur et/ou les actions entreprises par le héros pour tenter de rétablir
l’équilibre initial. C’est véritablement le cœur du récit.
(4) Le dénouement, qui conduit à la situation finale en mettant un terme à l’action : le récit
bascule et peut se clôturer. On parle parfois de climax : le moment le plus intense du
récit, à la suite de péripétie d’une intensité croissante. C’est, par exemple, l’affrontement
final entre James Bond et le chef des méchants, intervenant à la fin du film après que
James Bond ait eu à affronter toute une série de seconds couteaux.
(5) La situation finale, c’est-à-dire le résultat de l’action, qui se caractérise généralement
par une nouvelle stabilité : soit le déséquilibre initial a été réparé, soit un nouvel
équilibre a été trouvé. En fonction du type de récit, cette situation finale sera positive
(« ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ») ou négative (tout le monde est mort,
ou le héros est battu, ou en prison) pour le héros.
L’identification de ces moments-clés et de leurs protagonistes (le héros, l’anti-héros, leurs
adjudants et opposants) permet assez facilement et rapidement d’objectiver la manière dont est
construit un récit.

La diégèse et l’univers diégétique : clarification terminologique

Un terme communément utilisé en analyse des récits est celui de diégèse. Ce terme est ambigu
dans la mesure où il peut désigner deux choses différentes. Ce point a pour objet d’expliciter

36
les deux significations du terme de sorte à vous permettre de l’interpréter lorsque vous êtes
confrontés.

A. La diégèse dans la tradition philosophique

Dans une tradition philosophique héritée de l’antiquité classique (Platon et Aristote,


notamment), la diégèse s’oppose à la mimésis. Ces philosophes avaient identifié deux manières
possibles de relater les événements : les raconter, comme dans la poésie (diegesis ou diégèse
en français : décrire ce qu’il se passe à l’aide de mots), ou les mimer, les imiter, les rejouer
(mimesis, comme au théâtre). Il n’est pas utile d’entrer ici dans les nuances qui existent entre la
conception de Platon (qui les oppose dans leur nature) et celle d’Aristote (qui considère que ce
sont deux modes de représentation). Retenons simplement que dans cette acception, la diégèse
est le fait de raconter les événements et peut, plus ou moins, être comprise comme étant la
narration.

B. L’univers diégétique en narratologie

En narratologie, la diégèse désigne plus communément l’univers d’une œuvre narrative, c’est-
à-dire le monde dans lequel prennent place les événements de l’histoire, et dont le récit nous
présente une partie. On parle également de monde (ou univers) diégétique, c’est-à-dire créé,
mis en place, présenté par le récit, doté de certaines caractéristiques et de certaines propriétés
qui ne sont pas nécessairement les mêmes que dans notre univers réel, ou d’un univers
diégétique à l’autre15. Par exemple, le monde diégétique de La guerre des étoiles est immense
et s’étend dans toute la galaxie dans laquelle abondent les planètes et races extraterrestres
exotiques, à une époque où la technologie permet les voyages interstellaires, la matérialisation
de lasers ou la maîtrise de « la force », dans un contexte politique de conflits entre la république
et l’empire. Le monde diégétique que nous présente un reportage d’actualité est, par contre, le
monde dans lequel nous vivons et dont le reportage prétend être une représentation fidèle.

Dans cette acception, l’identification de l’univers diégétique et de ses propriétés est un élément
important pour comprendre le fonctionnement d’un récit. L’acceptation de l’univers diégétique
et des règles qui le sous-tendent est d’ailleurs un élément important du contrat de lecture
implicite qui lie l’auteur du récit à son récepteur, c’est-à-dire des conditions dans lesquelles le
récepteur acceptera de croire (au moins provisoirement, s’il s’agit d’un récit fictionnel) à la

15
Par exemple, dans un conte fantastique, la possibilité de voler, de rencontrer des animaux qui parlent ou
l’existence de la magie ou de fantômes sont normales (ce genre de propriétés de l’univers diégétique contribue à
définir le genre narratif), alors qu’on ne l’acceptera pas dans un polar ou un roman sentimental.

37
réalité des événements racontés, pour autant que ceux-ci se déroulent dans un univers
diégétique dont la cohérence interne ne met pas à mal sa crédibilité.

Cette acception du terme permet également, indirectement de comprendre l’expression rupture


de diégèse (ou rupture diégétique). La diégèse définit un cadre, un espace-temps donné, dans
lequel se déroulent les événements du récit. Se produit une rupture de diégèse lorsqu’« il est
demandé au spectateur (au lecteur) de “sauter” d’un cadre diégétique défini par un espace-temps
à un autre » (Sohet, 2011, p. 167). Marie-Laure Ryan parle de coupure référentielle (1987, p.
62). C’est ce qui se produit par exemple dans le film de Terry Jones Monty Python’s Live of
Brian (1979) se déroulant dans une Palestine (humoristique) de l’époque du Christ, et dans
lequel le héros tombe brusquement dans une bataille spatiale entre vaisseaux extra-terrestres
dans le plus pur style Star Wars : on passe d’un cadre diégétique donné à un autre. C’est
également ce qui se passe lorsque le personnage d’une pièce de théâtre ou d’un film cesse,
subitement, de parler aux autres personnages pour s’adresser directement aux spectateurs. La
rupture est encore plus « brutale », puisqu’on ne se contente pas de passer d’un cadre diégétique
à l’autre au sein du récit, mais on passe carrément de l’énonciation-récit au discours : on change
de registre dominant. Une rupture diégétique, de par ces changements de référentiels, contribue
à impliquer le récepteur dans la fiction, soit en l’obligeant à une activité de réflexion pour
évaluer et interpréter la situation qui lui est présentée (comme dans le premier exemple), soit
en le plaçant en position directe d’interlocuteur alors qu’il n’était jusque-là que simple
spectateur (comme dans le second exemple). Dans ce dernier cas, la rupture diégétique fait
pleinement partie du dispositif d’énonciation (voir p. 24) mis en place dans le document.

Le système des personnages

Nous l’avons vu (voir p. 35), un récit présuppose l’existence de personnages : ce sont les
moteurs du récit, et permettent en outre l’investissement psychologique et affectif du récepteur.
Ce sont eux qui permettent que le récit présente un intérêt humain.

Les personnages sont les protagonistes des récits, c’est-à-dire qu’ils participent aux événements
de l’histoire. Claude Bremond (1966) montre que les personnages peuvent être agents ou
patients du récit, c’est-à-dire qu’ils peuvent être à l’origine de l’action/des transformations
opérées dans le monde de l’histoire (agent), ou au contraire être affecté par celles-ci/les subir
passivement (patients). Il est à noter qu’un même personnage peut successivement se retrouver
dans les deux positions : lorsque Tintin part dans les Andes à la recherche du professeur
Tournesol, affrontant bêtes sauvages ou Incas dans des actions volontaires et courageuses, il est

38
agent du récit ; mais lorsqu’au cours de la même aventure il est emporté par la neige, par un
condor ou par un fleuve en furie dans des évolutions dont il n’est pas à l’origine, il est dans la
posture du patient.

Les personnages sont également des marqueurs de l’univers diégétique et du genre narratif : à
chaque genre de récit ses personnages-types. Le personnage du détective séducteur, quelque
peu asocial et désabusé (et, si possible, fumeur et un peu alcoolique) est caractéristique du polar,
tout comme le personnage de guerrier courageux sans peur et sans reproche accompagné par
un faire-valoir un peu lâche, un peu paresseux et un peu artiste (ou, selon les cas, d’une grosse
brute peu subtile mais très puissante) sont des marqueurs de l’heroic-fantasy.

A. Personnages et actants

Comme le montre Greimas (1966, 1973), les récits peuvent être analysés en identifiant le
système d’oppositions entre différents actants (le destinateur et le destinataire, le héros et le
anti-héros, les adjuvants et les opposants ; cf. supra). Personnages et actants sont des notions
proches, mais à ne pas confondre. Si ces rôles actantiels sont généralement incarnés par des
personnages, les actants ne sont pas des personnages. Les actants sont des forces agissantes que
l’on trouve dans tous les récits, mais sous des formes différentes. Par exemple, la plupart des
récits traditionnels opposent un héros et un anti-héros, un « gentil » et un « méchant », alors
que d’un récit à l’autre, ces rôles actantiels seront tenus par un chevalier, un dragon, un
détective, un chien, un extra-terrestre, une jeune fille, un cheval intelligent ou un vengeur
masqué.

Un même personnage peut remplir plusieurs rôles actantiels simultanément (Tintin est souvent
à la foi son destinateur et le sujet-héros ; les Dupondt sont souvent à la fois adjuvants et
opposants), tout comme plusieurs personnages peuvent remplir le même rôle actantiel (Milou
et Haddock sont par exemple tous deux adjuvants).

Enfin, il convient de noter que si dans beaucoup de récits traditionnels les rôles actantiels sont
incarnés par des personnages, ce n’est pas une obligation. Des qualités ou des valeurs peuvent
ainsi remplir un rôle actantiel : la loyauté, le courage, la lâcheté… Si « le courage » peut aider
le sujet-héros dans sa quête (rôle actantiel d’adjuvant), il n’est pas un personnage.

B. La notion de point de vue

Les personnages constituent un point d’entrée privilégié dans les événements de l’histoire
relatés par le récit. C’est à travers leurs actions, leurs émotions, leurs pensées que le récepteur

39
en prend connaissance. En ce sens, les personnages ont des points de vue et, de ce fait,
constituent des foyers cognitifs (c’est-à-dire qu’ils sont un point d’ancrage de l’information
communiquée au récepteur), et des foyers visuels (notamment dans les récits
cinématographiques, dans la mesure où ce qui nous est donné à voir peut ou non correspondre
à ce que voit le personnage).

Dans ses analyses de la littérature, Genette a forgé le concept de focalisation (1972, 1983) pour
interroger la manière dont le lecteur prend connaissance des événements de l’histoire. La
connaissance des événements de l’histoire peut être indépendante de la connaissance qu’en ont
les personnages, ou au contraire dépendre de celle-ci.

Dans le premier cas, Genette parle de récit non focalisé (ou de focalisation zéro) : nous avons
connaissance de tous les événements de l’histoire indépendamment de ce qu’en savent les
personnages grâce à un narrateur omniscient qui peut tout nous expliquer. Il n’y a de
focalisation sur le point de vue de personne, d’où le terme de récit non focalisé.

Dans le second cas, ce que le récepteur connaît des événements de l’histoire est lié à la
connaissance qu’en ont les personnages. Il y a donc focalisation sur un (ou plusieurs) points de
vue. Genette parle de focalisation interne : nous savons la même chose que le personnage, nous
prenons avons la connaissance des événements qu’en a le personnage. C’est généralement le
cas des récits à la première personne : le personnage principal parlant en je communique de fait
toute sa connaissance (et rien que sa connaissance) des événements.

Enfin, Genette envisage une troisième possibilité, dans laquelle le récepteur en sait moins que
le personnage. Il parle alors de focalisation externe : « externe » car nous n’avons pas accès
aux pensées, au point de vue du personnage.

Si la notion de focalisation fonctionne très bien en littérature (c’est dans ce cadre qu’elle a été
forgée), elle est plus difficile à appliquer16 dans d’autres formes de récit, et notamment dans les
récits cinématographiques, où il est plus difficile de communiquer les pensées des personnages,
mais dans lequel la question du regard est fondamentale : le cinéma « simule » un regard porté
sur les événements de l’histoire. Mais de qui est-ce le regard ? François Jost (et André
Gaudreault) analyse(nt) les cas de figure potentiels avec la notion d’ocularisation (1989;
Gaudreault & Jost, 1990). Pour déterminer le type d’ocularisation, il faut répondre à la
question : à travers les yeux de qui voit-on les événements du récit ?

16
Quoiqu’applicable.

40
Il y a ocularisation zéro lorsque l’image (donc la caméra) est indépendante des personnages :
elle peut passer de l’un à l’autre, elle n’est pas liée à un personnage particulier. Si on parle bien
ici de regard et non de cognition, il s’agit d’une situation assez similaire (et souvent liée) à celle
de la focalisation zéro caractérisée par un narrateur omniscient. De la même manière, le
« monstrateur » (au sens de Gaudreault) est omnipotent et montre à sa guise les événements de
l’histoire.

Il y a ocularisation interne lorsque ce qui est vu est lié à la vision d’un personnage donné : le
récepteur voit à travers l’œil du personnage. Cela peut s’envisager de deux manières. Soit ce
qui est vu correspond exactement à ce que voit le personnage, comme dans un film en caméra
subjective. On parle alors de ocularisation interne primaire. Soit la caméra « accompagne » le
personnage, montrant plus ou moins ce qu’il voit, sans prétendre qu’il s’agit subjectivement de
son regard. Cette situation, plus répandue que la précédente, est appelée ocularisation interne
secondaire.

En utilisant et combinant ces notions de focalisation et ocularisation, il est possible de


caractériser le (ou les) points de vue donné(s) au récepteur du récit, de même que la position
qui lui est donnée : surplombe-t-il les choses ou est-il invité à s’attacher à un (ou plusieurs)
personnage(s) ? Comment ? Quels personnages ? Avec quelles conséquences sur
l’appréhension du message ?

C. Le système relationnel des personnages et récit centré/décentré

Une autre caractéristique des récits est qu’ils mettent en scène des réseaux intersubjectifs : les
personnages, protagonistes des actions de l’histoire, entretiennent des relations entre eux. Il est
intéressant d’analyser ce réseau intersubjectif, c’est-à-dire la manière dont ces personnages se
positionnent les uns par rapport aux autres, dans une perspective différente que celle
traditionnellement utilisée en analyse narrative (p.ex, l’approche actantielle).

Jean-Pierre Meunier et Daniel Peraya empruntent au psychologue du développement Jean


Piaget (1896-1980) la notion de centration (Meunier & Peraya, 2004). Pour Piaget, la centration
est une des caractéristiques de la pensée intuitive, seule que possède le jeune enfant, et
consistant à se concentrer sur les seuls aspects saillants d’une question tout en négligeant les
autres. Un des enjeux du développement de la psychologie de l’enfant consiste à dépasser cet
état de centration afin de pouvoir prendre en compte la complexité des choses, et la multiplicité
des points de vue qu’on peut adopter dessus. S’appuyant sur les travaux d’autres auteurs
(notamment en psychanalyse ainsi que les travaux de René Girard sur le désir mimétique),

41
Meunier et Peraya transposent cette notion à l’analyse des messages médiatiques, en particulier
ceux comportant des images : l’image appelle naturellement à une certaine centration, c’est-à-
dire à se concentrer sur un motif principal. Lorsqu’elle met en scène des personnage, elle
s’accompagne généralement d’un effet d’adhésion, d’identification à celui-ci. Confrontés à une
figure, nous nous identifierons à celle-ci, nous voudrions quelque part être cette personne. Ils
identifient différentes formes de centration : l’adhésion à un modèle proche et semblable à soi
(égocentrisme), ou l’adhésion à un modèle relativement distant mais présenté comme enviable
(par exemple, une vedette à laquelle s’identifier, tout en sachant que nous ne sommes pas une
vedette ; sociocentrisme : modèle social). Tous les documents médiatiques ne fonctionnent
toutefois pas comme cela : certains peuvent à l’inverse amener le récepteur non à se focaliser
sur une figure unique, mais à s’identifier successivement à des figures différentes présentant
des points de vue distincts, nécessitant de sa part l’élaboration d’une synthèse (un point de vue
« méta » : métacognitif) de sorte à retirer du sens du message (si je suis confronté à une
multiplicité de points de vue sur une question, quel sera le mien ?). C’est ce qu’ils appellent la
décentration (ou décentration cognitive).

Si ce couple centration-décentration permet d’analyser différents types de messages (et


notamment les publicités qui proposent en grand nombre d’adhérer à un modèle présenté
comme idéal), il est particulièrement intéressant pour étudier le réseau relationnel des
personnages d’un récit. Un récit présentera un réseau relationnel de personnages centré lorsque
celui-ci sera focalisé sur un personnage idéal et autosuffisant. A l’inverse, ce réseau sera
décentré lorsque ce réseau ne se caractérise pas par un personnage central, mais au contraire
par l’existence d’une multitude de personnages occupant à tour de rôle cette position centrale
(Meunier & Peraya, 2004, p. 315). Les notions de focalisation et d’ocularisation, vues plus haut
(voir p. 39) fournissent des indices utiles pour identifié le caractère centré ou décentré du réseau
des personnages d’un récit.

Implications cognitives des récits

Le récit a été défini comme un texte (au sens large) produit dans un contexte de narration et
racontant des événements réputés s’être passés (les événements de l’histoire). Mais la définition
d’Herman (voir p. 31 et sv.) comporte une dimension supplémentaire : le récit se caractériserait
par des effets spécifiques sur son récepteur. Cette question des effets du récit nécessiterait un
ouvrage entier (Bortolussi & Dixon, 2003 est une base intéressante, mais très spécialisée). Nous
nous contenterons ici de donner quelques repères de base sur deux grandes catégories d’effets :

42
le récit implique une dimension psycho-affective, et le récit peut servir de base à des opérations
cognitives.

A. Les effets psycho-affectifs du récit

Le récit de fiction, présuppose de la part de son récepteur une suspension volontaire de son
incrédulité (suspension of disbelief), pour reprendre une expression attribuée au poète
britannique Samuel Coleridge (1772-1934) : il s’agit d’accepter de vivre la fiction comme si
elle était la réalité. Octave Mannoni a formulé cette idée par la formule célèbre « je sais bien,
mais quand même » au sujet de l'expérience théâtrale (1969) : je sais bien que ce n’est pas vrai,
mais quand même j’accepte d’y croire le temps de la pièce. Car sans accepter de prêter une
part de vérité à ce qui est présenté, l’expérience du récit de fiction devient impossible : ce ne
sont que mots, actions et sentiments simulés, personnages inexistants ou acteurs faisant
semblant. Il faut pouvoir « entrer » dans le récit.

Le récepteur qui accepte d’entrer dans le récit s’ouvre alors potentiellement à différentes
expériences de réception : le rire, la surprise, le suspense, des sentiments envers les
personnages, le vécu d’expériences humaines par procuration. On a peur avec les personnages,
on affronte les mêmes épreuves qu’eux, on se met à leur place, on se réjouit de leurs réussites
et pleure pour leurs échecs (ou inversement). Le récit se caractérise par une posture affective
que l’on ne rencontre pas dans d’autres types de textes (description, explication, démonstration,
etc.).

Les personnages sont donc une des clefs de ces effets psycho-affectifs, en tant que points
d’ancrage du récepteur dans le récit. C’est la raison pour laquelle les personnages doivent être
crédibles, posséder une « épaisseur ». Vincent Jouve montre que dans le roman, de nombreux
procédés sont utilisés de sorte à produire un « effet-personnage » (1992), c’est-à-dire permettre
son appropriation par le lecteur. Mais les personnages et leur épaisseur psychologique ne sont
pas la seule manière par laquelle les récits produisent des effets affectifs. Le rapport à la
connaissance (ce que Genette nomme la focalisation, voir p. 39) permet ainsi d’expliquer la
différence que faisait Alfred Hichcock entre la surprise et le suspense. Lorsqu’il se produit une
chose à laquelle le récepteur ne s’attend pas, c’est la surprise (un personnage entre dans un
restaurant, s’assied à une table, passe commande et lorsqu’on lui apporte son plat, celui-ci lui
explose à la figure). Lorsque le récepteur en sait plus que les personnages, on a affaire à du
suspense (dans L’homme qui en savait trop, le spectateur sait qu’un attentat va avoir lieu
pendant le concert et à quel moment, à l’inverse du héros ; Hitchcock peut alors montrer une

43
longue séquence de concert durant laquelle la tension monte chez le spectateur, celui-ci sachant
ce qui va arriver et attendant le moment fatidique, sans pouvoir l’empêcher ou prévenir le héros
qui essaie de l’empêcher). Si dans l’un et l’autre cas l’effet est différent, il y a chaque fois une
implication psycho-affective forte du récepteur dans le récit.

Si les théories sur les effets psycho-affectifs du récit ont, pour la plupart, été élaborées dans le
cadre de l’étude de différents types de récits de fiction (littérature, cinéma, …), ceux-ci ne sont
pas pour autant limités à ceux-ci. Un récit factuel peut impliquer le récepteur : nous pouvons
nous identifier aux protagonistes d’un reportage d’actualité, éprouver leurs sentiment, « vivre
leur vie » par procuration.

B. Les effets cognitifs du récit

Le récit a besoin d’un lecteur, d’un récepteur. C’est une évidence : sans récepteur pour
interpréter le récit, celui-ci ne peut avoir de signification. Ce n’est pas qu’une question de
logique : tout ce qu’il faut savoir n’est pas donné dans le récit, qui est une « machine
paresseuse » pour reprendre l’expression d’Umberto Eco (1985), nécessitant un travail
interprétatif et inférentiel du récepteur. Auteur et récepteur doivent quelque part « coopérer »
pour que le récit fonctionne. L’auteur dont donner au récepteur les éléments nécessaires et
suffisants pour lui permettre de formuler progressivement les bonnes hypothèses
interprétatives, et le récepteur doit y mettre de la bonne volonté, et surtout mobiliser un certain
nombre de ses compétences et connaissances pour parvenir à une interprétation qui tienne la
route.

Les horizons d’attente, c’est-à-dire les éléments raisonnables auxquelles le récepteur peut
raisonnablement s’attendre en fonction du genre narratif et des indices qui lui sont donnés (par
exemple, le genre policier implique l’horizon d’attente suivant quant aux éléments qu’on va
trouver dans le récit : commission d’un crime, enquête d’un détective, identification du
coupable suite à une réflexion rationnelle), sont au cœur de ce « jeu » coopératif entre auteur et
récepteur. Ces horizons d’attente, culturellement construits et/ou forgés par l’expérience (et
qu’on peut considérer qu’ils correspondent à une sorte de code : les « codes » du roman policier,
du fantastique, du reportage, de l’autobiographie, etc.), donnent le cadre dans lequel le récepteur
va formuler ses hypothèses interprétatives ; l’auteur peut jouer avec ces attentes, soit pour
donner des indices utiles à l’orientation du lecteur, soit au contraire pour déjouer ses hypothèses
et le surprendre (un bon roman policier, pour convenu qu’il soit, est un roman dont le lecteur
n’avait pu imaginer la solution de l’énigme).

44
Il existe une multitude de modèles présentant les actions du récepteur en vue de produire du
sens au départ du texte narratif (pour une présentation synthétique des modèles sémiotiques du
lecteur, voir notamment Campion, Carion, & Marion, 2003). Nous pouvons nous baser sur
l’important travail de synthèse produit par Herman (principalement dans Herman, 2002; celle-
ci est schématisée dans Campion, 2012, p. 139‑140) pour en retracer la logique. L’interprétation
du récit passe par la compréhension de celui-ci, de ce qui y est raconté. La compréhension du
récit nécessite, de la part du récepteur, l’élaboration d’un modèle mental de situation
(storyworld) représentant le monde diégétique et ses propriétés, ainsi que le déroulé des
événements de l’histoire au sein de ce monde diégétique. Ce modèle est élaboré sur la base des
indices (spatiaux, temporels, stylistiques, etc.) donnés dans le texte du récit.

Ce modèle mental de situation peut également constituer une ressource cognitive, c’est-à-dire
servir de base à des opérations de raisonnement non nécessaires à la compréhension du récit
lui-même, mais rendues possibles grâce au récit. L’opération la plus simple que le récit favorise
est la mémorisation : la structure du récit favorise l’enregistrement en mémoire des
informations communiquées par celui-ci (Mandler, 1984). Mais les chercheurs ont identifié
d’autres opérations, plus complexes, qui seraient favorisées par le récit : la résolution de
problèmes, l’attribution de liens de causalité, le séquençage des interactions, l’identification de
situations typiques, etc. (pour une présentation synthétique et accessible, voir Herman, 2003,
première partie de l’article). En ce sens, le récit peut, à certaines conditions (notamment la
manière d’intégrer les connaissances au propos narratif), constituer un vecteur favorisant
l’acquisition de connaissances (Campion, 2012).

45
VI. Analyse des genres médiatiques17

La notion de genre(s) médiatique(s)

Si dans le langage commun on parle souvent « des médias » pris globalement, il convient de
constater qu’il existe de grandes différences entre un journal, un film, une bande dessinée et un
jeu vidéo. De même, au sein d’un journal, l’éditorial n’est pas exactement comparable à un
reportage qui n’est lui-même pas une interview. Le film de fiction n’entretient pas le même
type de rapport à la réalité que le reportage. L’essai universitaire ne poursuit pas les mêmes
objectifs que la publicité.

Dans le langage commun, ces formats médiatiques sont souvent associés à un ensemble
spécifique de techniques de diffusion. On parlera ainsi de genres télévisuels, radiophoniques,
cinématographiques, etc. Au sein de ceux-ci, on peut identifier des sous-genres, faisant le
constat que tout ce qui est diffusé au sein d’un moyen de diffusion donné n’est pas comparable.
C’est-ainsi qu’on identifie assez spontanément des sous-genres télévisuels comme le journal
télévisé, le talk-show ou la téléréalité. Le western, la comédie sentimentale, le thriller, le drame
social sont des sous-genres du genre cinématographique, etc.

Une définition en termes techniques et de mode de diffusion n’est donc guère satisfaisante pour
comprendre les genres médiatiques : non seulement elle regroupe des choses potentiellement
très différentes (le journal télévisé et Les anges de la téléréalité, par exemple), mais en plus elle
distingue des productions qui présentent des caractéristiques communes évidentes (le film et le
téléfilm, le reportage télévisé et le reportage de presse écrite, etc.). Les messages médiatiques
diffèrent les uns des autres, mais aussi se ressemblent, dans leurs formes, leurs formats, les
techniques employées, leurs intentions, etc. Il semble donc plus pertinent de chercher à les
caractériser non par des critères strictement techniques, mais bien selon des critères
pragmatiques (c’est-à-dire de relation, d’intention) et langagiers (c’est-à-dire suivant les
langages et codes utilisés).

Charaudeau et Maingueneau (2002) identifient dans la littérature deux grands critères récurrents
de classification des médias : le type de rapport à la réalité et le type de configuration
langagière et énonciative. Ainsi, on peut par exemple distinguer le reportage du roman de
fiction car l’un prétend refléter l’état du monde tel qu’il est alors que l’autre fera référence à

17
À l’inverse des chapitres précédents, celui-ci n’expose pas une « matière » d’étude mais fixe quelques balises
pour alimenter une réflexion sur les genres médiatiques qui sera menée transversalement dans le cadre du cours.

46
des événements imaginaires, et ce même si tous deux peuvent par exemple se traduire par un
récit écrit rédigé à la première personne. On dira que deux messages médiatiques appartiennent
à des genres médiatiques différents dès lors qu’ils se distinguent sur l’un ou l’autre de ces
critères et que cette distinction est culturellement stabilisée dans des genres identifiables
occupant des « cases » spécifiques dans le paysage médiatique. À ces exemples, il convient
d’ajouter l’existence de genres « expérimentaux », non totalement stabilisés formellement ou
institutionnalisés dans le paysage médiatique, et qui caractérisent certains pans de la création
médiatique contemporaine.

De quelques genres médiatiques

Dans le cadre de ce cours, nous aborderons les grandes caractéristiques de quelques genres
communs et clairement identifiés, rapidement présentés ci-dessous18. Chacun est caractérisé
selon les deux dimensions de Charaudeau et Maingueneau.

L’information

L’information, en tant que genre médiatique, regroupe toutes les formes médiatiques visant à
transmettre des représentations sur l’état présent du monde. Les messages d’information
prétendent entretenir un rapport étroit avec la réalité du monde telle qu’elle est (le discours
d’information se présente en quelque sorte comme étant le miroir du monde), dans un temps
court : l’information médiatique acquiert son statut « d’information » d’autant plus que
l’événement relaté est proche, voire simultané (logique de l’actualité, voire du direct). Le média
d’information prétend présenter le monde tel qu’il est, tel qu’il évolue. Le genre médiatique va
donc privilégier les dispositifs langagiers de nature à renforcer l’authenticité de ce qui est
(re)présenté, et à effacer le média en tant que tel par une énonciation relevant plutôt du registre
de l’énonciation-récit (sauf dans certaines configurations très spécifiques, comme la
présentation du journal télévisé, où un présentateur assure le relais et la médiation entre les
événements du monde et le téléspectateur à travers un dispositif d’énonciation-discours très
nette).

18
La présentation qui en est faite ici donne des repères, définit des idéaux-types qu’il convient de confronter à la
variété des messages médiatiques, d’éprouver, de questionner. L’étudiant qui souhaite approfondir la question est
invité à se référer en priorité aux séances de cours sur ces questions, et ensuite aux compléments bibliographiques
en fin du présent syllabus ou qui seront donnés en séance.

47
Le documentaire

Le documentaire partage la caractéristique de l’information de représenter le réel, et à ce titre


va aussi mettre en avant la question de la vérité, de l’authenticité. S’il est parfois difficile à
distinguer du reportage d’information, on peut néanmoins identifier quelques caractéristiques
plus fréquentes dans le documentaire. Premièrement, le propos se déploie généralement dans
des formats plus longs que ceux de l’information immédiate, entraînant un travail formel parfois
plus sophistiqué. Le montage, la mise en scène ou encore l’utilisation de musiques (quasi
inexistante en information) participent de cette construction formelle. Celle-ci peut être au
service d’un point de vue assumé sur le monde construit par un énonciateur. Il est dès lors plus
fréquent de rencontrer de l’énonciation-discours ou une mise en scène du locuteur dans le
documentaire. Enfin, si le documentaire s’appuie généralement aussi sur des documents
présentés comme « authentiques », la reconstitution, la mise en scène, l’évocation voire la
fictionnalisation peuvent se rencontrer dans certains documentaires (p.ex les documentaires
historiques) alors que le procédé serait considéré comme plus discutable dans l’information au
sens strict. Si ce n’est pas son objet ou son objectif, le documentaire est un genre qui se
caractérise (aussi) par la rencontre de caractéristiques spécifiques de l’information et de la
fiction.

La fiction

La fiction est un genre médiatique qui se caractérise avant tout par la présentation de messages
feignant (origine étymologique du mot fiction) le monde, c’est-à-dire présentant des
événements imaginaires par divers procédés langagiers et sémiotiques. Elle n’entretient donc
pas le même rapport à la réalité que l’information ou le documentaire : les événements présentés
ne sont pas réputés être vrais. Par contre, si le récepteur sait généralement, par convention, que
ce n’est pas la réalité, il est nécessaire qu’il puisse croire en la réalité de ce qui est représenté,
au moins le temps de la réception de cette fiction. En effet, cette suspension temporaire de
l’incrédulité est nécessaire au plaisir procuré par la fiction : on ne trouverait que peu d’intérêt
à la relation d’événements qu’on sait ne pas avoir existé si, dans notre esprit, nous n’acceptions
pas l’idée qu’ils puissent potentiellement être « vrais », au moins un moment (c’est ce que
traduit la célèbre expression « je sais bien [que c’est faux], mais quand même [j’accepte d’y
croire] » rendant compte de la réception théâtrale ; Mannoni, 1969).

Sur le plan formel, la fiction n’est pas nécessairement narrative, mais la plupart des fictions se
présentent néanmoins sous forme de récit, avec les caractéristiques du récit (univers diégétique,

48
structure spécifique, mise en intrigue, personnages, etc.). Le texte de fiction (compris dans un
sens large : images, sons, etc.) a recours à des éléments reflétant cette double nature de « vrai »
et « faux » en même temps. D’une part, il comporte des balises conventionnelles et génériques
de nature à souligner le statut fictionnel des événements relatés (le récit de fiction est balisé,
borné, clôturé dans le texte —du célèbre « il était une fois » des contes au mot « fin » qui clôture
le film— et dans le paratexte —par l’identification du message comme relevant de la fiction :
« roman », « film d’aventures », « toute ressemblance avec des événements et personnes ayant
existé serait fortuite », dévoilement du fait que les protagonistes sont des acteurs jouant des
rôles, etc.). D’autre part, en son sein, il comporte de nombreux éléments de nature à rendre le
propos crédible (descriptions, images, ancrage dans un univers similaire au nôtre, mention
éventuelle d’événements ou personnages réels, etc.).

La publicité

La publicité est un genre médiatique qui se situe également à cheval entre information et fiction.
De l’information, elle conserve la nécessité de rendre compte de l’existence d’un produit ou
service et de ses caractéristiques essentielles. De la fiction, elle reprend l’idée de mettre en
scène ce produit/service dans des situations généralement imaginaires, de sorte à le magnifier.
D’autre part, et peut-être surtout, la publicité est un genre tourné vers la persuasion : il s’agit de
convaincre le récepteur de la qualité du produit/service, de l’amener à en retenir le nom, de le
pousser à lui attribuer des qualités autres que celles des concurrents. La publicité se caractérise
donc beaucoup plus fortement que d’autres genres par la création d’une relation pragmatique
avec le récepteur, qu’il faut interpeller, toucher, émouvoir, influencer. Cela se caractérise
souvent par une quasi-omniprésence de l’énonciation-discours (au moins dans les slogans), par
l’usage de déictiques et embrayeurs, par la création de simulacres de relation je-tu, ou encore
par des actes de langages directs et indirects (p.ex la prescription sous le couvert d’information).

Les discours scientifiques et « experts »

Les discours scientifiques et « experts », s’ils ne constituent traditionnellement pas un genre


médiatique en tant que tels, peuvent être considérés sous cet angle19. L’expertise (c’est-à-dire

19
Notons que différents auteurs distinguent le discours scientifique du discours de l’expertise, le premier étant un
discours participant de l’avancement de la science, le second assurant une forme de médiation entre la science et
la société (p.ex à travers des aides à la décision, des préconisations, etc.). Dans le cadre de ce syllabus, qui se veut
une base de réflexion pour des étudiants en éducation aux médias, nous ne distinguerons pas explicitement les
deux, retenant leur point commun essentiel : ils sont produits par des professionnels du domaine qui les formulent
suivant des règles objectivables.

49
un discours amenant la science dans l’espace public , par exemple en vue de prendre une
décision politique) est une thématique importante dans la variété des messages médiatiques ou
médiatisés produits dans nos sociétés : qu’il s’agisse d’éclairer une situation sociologique et
géopolitique complexe (« les migrants »), une question d’actualité qui implique un éclairage
scientifique particulier (l’éruption d’un volcan), une découverte scientifique majeure (le boson
de Higgs, une découverte médicale), ou un phénomène global (le réchauffement climatique, les
risques d’addiction au numérique), le recours à une expertise spécifique, c’est-à-dire à une
personne que le statut et les travaux placent dans une position de compétence particulière d’aide
à la connaissance/compréhension/décision, s’impose. L’analyste des médias est forcément
confronté, dans son travail, des discours se rattachant plus ou moins fort à ce modèle de la
science ou de l’expertise, c’est pourquoi il est intéressant de chercher à le caractériser, au même
titre que l’information, la fiction ou encore la publicité. Il convient toutefois de distinguer ces
discours scientifiques/experts dans leur « milieu naturel », et la manière dont ils sont reflétés
dans d’autres genres médiatiques (p.ex l’information).

Le discours scientifique et expert, considéré dans le milieu scientifique, doit être compris dans
le cadre du fonctionnement des sciences dont il participe pleinement. La science telle que nous
la concevons actuellement20 progresse par confrontation et mise à l’épreuve d’hypothèses qui
n’acquerront le statut de faits scientifiques qu’une fois celles-ci prouvées, ou non réfutées. La
manière dont ces hypothèses et le résultat des tests de mise à l’épreuve sont communiqués entre
scientifiques est donc un élément fondamental du fonctionnement la science : sans
communication, pas de science possible ; la science actuelle est, bien plus qu’elle ne l’a jamais
été, une activité collective reposant sur la diffusion d’informations. Cette diffusion peut prendre
plusieurs formes (colloques, articles scientifiques, rapports, etc.), mais obéit toujours à un
certain nombre de principes caractéristiques du discours scientifique et pouvant être décrits
dans les termes de genre médiatique :

• D’une part, ces discours entretiennent un rapport de correspondance à la réalité, mais


pas n’importe comment. Il ne s’agit pas de la réalité telle que tout un chacun peut la
percevoir, mais la réalité telle qu’elle est décrite et comprise par les
spécialistes/scientifiques de la question. Le référent du discours expert est, sur ce plan,
très spécifique et obéit à des cadres régis par la science et/ou par la loi. Ces discours ne

20
Précisons que la description qui est faite ici est celle du modèle de la communication scientifique telle que
pratiquée depuis le XX° siècle. L’histoire ou la sociologie des sciences montrent, toutefois, que si ce modèle peut
nous paraître évident, il est le résultat d’une longue évolution qui est historiquement et géographiquement
contextualisée.

50
sont toutefois pas exclusivement factuels (description de la réalité), mais peuvent
impliquer un rapport à l’incertain, à l’hypothétique : des hypothèses, des projections,
des modélisations. Celles-ci ne sont toutefois pas comparables à l’hypothétique
fictionnel dans la mesure où elles sont méthodologiquement très cadrées, et dans la
mesure où ce qui est mis en jeu n’est pas la croyance mais au contraire le doute (il s’agit
de vérifier, d’éprouver ces hypothèses, et ce n’est qu’après vérification 21 qu’elles
deviendront une vérité scientifique).
• D’autre part, ces discours obéissent à des caractéristiques formelles très précises
reflétant ce rapport à la réalité constituée à la fois de l’objet de connaissance et de
l’ensemble des connaissances acquises sur cet objet. Sous des apparences très neutres,
le texte scientifique est en réalité construit sous forme d’une argumentation très codifiée
de nature à étayer chacune des affirmations (pour un aperçu de la rhétorique du texte
scientifique, voir Latour, 1989). Un discours scientifique est nécessairement
contextualisé dans un ensemble de connaissances antérieures (la littérature), il est
construit selon une énonciation-récit stricte (la nature semble se décrire d’elle-même, le
locuteur s’efface en tant que tel), les termes employés sont en principe spécifiques
(jargon) et univoques (sans ambiguïté) dans un paradigme quasi-codique (à chaque
signe correspond une unique signification). Sur le plan pragmatique, ces discours
s’adressent avant tout aux pairs (les autres scientifiques, les autres experts) et non au
grand public, dont il est présupposé qu’ils partagent les mêmes codes.

Par contre lorsque ces discours scientifiques ou experts sont évoqués dans le cadre d’autres
genres médiatiques (p.ex dans le cadre de la vulgarisation), si le rapport à la réalité dans lequel
ils s’inscrivent est inchangé (prétention à refléter le monde tel qu’il est compris par les
scientifiques), les choses sont par contre très différentes sur le plan langagier. Sur le plan
pragmatique, la relation est différente : le discours n’est pas propre au monde des spécialistes,
mais impose un passage entre le monde des spécialistes et celui de ceux qui ne le sont pas. Alors
que le discours scientifique est adapté à son objet et à sa discipline, l’évocation de la science
dans d’autres genres médiatiques est, elle, adaptée à son public. Ceci implique notamment des
registres de vocabulaire et sémiotiques différents (peu ou pas de jargon, adaptation du niveau
de langue au public, recours à d’autres formes sémiotiques ou langagières comme l’image, la

21
Il convient de savoir que les publications scientifiques, écrites par des scientifiques spécialistes de la question,
sont en principe évaluées, expertisées par d’autres scientifiques spécialistes de la question avant leur publication.
Cette procédure est destinée à garantir la recevabilité des travaux présentés, tant sur le fond que sur le respect des
normes propres au langage scientifique.

51
métaphore, le récit, etc.) : c’est l’idée de traduction transsémiotique du discours scientifique
(Jacobi cité par Jeanneret, 1994, p. 31‑32).
Il est à noter que cette idée de « traduction » présuppose l’idée qu’il y aurait un discours
scientifique initial, éventuellement décliné dans d’autres formes (souvent présupposées moins
rigoureuses) dans le cadre de discours de vulgarisation. Dans cette perspective, la vulgarisation
constitue une dégradation du discours scientifique. Mais d’autres auteurs récusent cette vision,
et considèrent que les discours non scientifiques traitant de science constituent un genre en soi :
« la vulgarisation s'inscrit donc dans la diversité des discours spécialisés », avec la grande
diversité (formelle et générique) qu’elle peut prendre (Delavigne, 2003, p. 82).

52
VII. Guide d’analyse sémio-pragmatique

Introduction : mode d’emploi

Comment analyser les contenus médiatiques ? Comment appliquer les différents outils
d’analyse de sorte à déboucher sur des conclusions fondées et opératoires ? Quand utiliser
quelle notion ? Sur les bases présentées dans les chapitres précédents, s’attachant surtout à une
description analytique des notions essentielles, il s’agit de structurer l’étude de cas concrets.

L’objectif de ce chapitre est de proposer une méthode s’appuyant sur un guide d’analyse
(inspiré de celui proposé par Meunier & Peraya, 2004) permettant de prioriser et hiérarchiser
le questions à (se) poser face à des contenus médiatiques à analyser. Nous parlons bien de guide
et non de grille d’analyse dans la mesure où il ne s’agit pas d’appliquer uniformément toutes
les notions à tous les messages analysés mais, au contraire, au départ d’un nombre restreint de
questions, d’identifier les concepts pertinents pour comprendre le fonctionnement d’un
message médiatique donné. En effet, tous les messages ne sont pas narratifs, ou métaphoriques,
ou instaurant une relation je-tu avec le récepteur, ou caractérisés par un acte de langage
performatif, etc. Dans cette perspective, le bon analyste n’est pas celui qui parviendra à
mobiliser toutes les notions vues au cours pour « faire parler » un message (quitte à utiliser un
chausse-pieds), mais au contraire celui qui parviendra à limiter son approche aux concepts
essentiels et véritablement utiles de sorte à soutenir des conclusions synthétiques mais fondées.
L’expert est celui qui ne s’encombre pas d’éléments inutiles, tout en n’oubliant rien d’essentiel.

Question 1 : à quoi a-t-on affaire ?

Cela peut paraître évident, mais avant de se lancer dans toute forme d’analyse, il convient
d’abord de prendre du recul afin de savoir ce qu’on va analyser, mettre les choses à plat avant
de mobiliser quelque notion que ce soit. Quel est ce message ? Que sait-on de lui ? D’où vient-
il ? Quel est son but ? Quelle en est la signification immédiate ? Et surtout, comment se
présente-t-il ? De quoi est-il constitué ? Quelles en sont les principales caractéristiques ?
Quelles en sont les parties essentielles ? Bien que cela ne relève pas de ce cours, toutes les
notions d’analyse purement descriptive des documents médiatiques sont potentiellement utiles
à cette phase : identification des échelles de plans, des montages, des genres médiatiques, des
typographies, etc.

Cette phase « d’approche », purement descriptive, n’a rien de compliqué, mais elle est
indispensable dans la mesure où la capacité d’identification correcte des éléments de base du

53
message va conditionner la suite de l’analyse. Analyser correctement présuppose en effet savoir
regarder.

Question 2 : quel est le registre d’énonciation dominant ?

Il s’agit de se demander, globalement, comment fonctionne le document analysé. Son


énonciation relèvent-elle plutôt du registre du discours, c’est-à-dire qu’elle vise à intégrer le
récepteur à une relation dont il est partie prenante (l’allocutaire), ou du registre du récit, c’est-
à-dire tendant à présenter le déroulé des événements sans particulièrement chercher à construire
une relation avec le récepteur.

L’énonciation-discours se caractérise par l’existence d’un discours embrayé et de nombreux


déictiques, ou par leurs équivalents non-linguistiques (par exemple : un regard tourné vers le
récepteur, un cadrage spécifique, etc.), faisant référence à la situation d’énonciation et tendant
à y situer le destinataire.

L’énonciation-récit se caractérise par l’absence d’embrayages et de déictiques (ou de leurs


équivalents non-linguistiques), plaçant le récepteur en situation d’observateur externe aux
événements qui se déroulent indépendamment de lui.

Question 3 : comment est constitué le dispositif d’énonciation ?

Dans le cas où le registre d’énonciation dominant est celui du discours (question 2), il s’agit
d’identifier les éléments qui participent à la création d’une relation avec le récepteur, c’est-à-
dire les éléments constitutifs du dispositif d’énonciation. Pour ce faire, plusieurs éléments
doivent être identifiés :

- Identifier les plans d’énonciation, c’est-à-dire les différentes « couches » de discours


qui se superposent dans un document, et qui impliquent un (ou plusieurs) énonciateur(s)
s’adressant à un (ou plusieurs) énonciataire(s).
- Identifier, pour chacun de ces plans, le ou les énonciateurs construits dans le document,
ainsi que leurs énonciataires : qui parle à qui ? Les indices utiles sont :
- Les embrayeurs (marques de personnes) ;
- Les marques d’adresse, verbales ou visuelles (accroche du regard, posture) ;
- Dans une certaine mesure, l’échelle des plans et les cadrages, en particulier en
ce qui concerne les personnages.

54
- Identifier la position des interlocuteurs les uns par rapport aux autres (proximité,
distance, complicité, etc.) et le type de relation initiée entre eux, à l’aide de différents
indices :
- Les actes de langage (que produisent ou entendent produire les locuteurs comme
effets sur les allocutaires ?), eux-mêmes en partie identifiables grâce aux modes
grammaticaux ;
- Les marques de personne (inclusion-exclusion) ;
- La typographie (connotations véhiculées par la typographie) et le
positionnement des textes (position surplombante ou inférieure, etc.) ;
- L’intonation (dans le cas d’un document audio)

Question 4 : comment est constitué le dispositif cognitif ?

Un message médiatique peut également nécessité un travail actif de décryptage,


d’interprétation. Le sens n’est pas immédiatement donné, mais doit être (re)construit par le
récepteur au départ des indices qui lui sont donnés. Si cela ne se limite pas à ces messages, c’est
particulièrement vrai pour les messages visuels, du fait du pouvoir évocateur de l’image. Il
s’agit alors d’identifier les opérations cognitives spécifiques nécessaires à l’interprétation du
message. Ces opérations peuvent être détectées grâce à différents indices :

- Les figures rhétoriques, en particulier métonymies et métaphores ;


- Toute caractéristique support potentiel à des connotations, en particulier les
caractéristiques des personnages (qui peuvent connoter une époque, un métier, un
caractère, etc.), les décors (qui peuvent connoter un environnement, un contexte, etc.),
les jeux de couleurs (dont les connotations sont généralement culturellement
construites) ;
- Les analogies et comparaisons effectuées dans le document ;
- Les « problèmes », incohérences et « énigmes » posés par les documents, et qui
nécessitent une résolution.

Question 5 : quelles sont les caractéristiques du récit ?

Dans le cas où le registre d’énonciation dominant est celui du récit (question 2), il s’agit d’en
identifier les caractéristiques principales, c’est-à-dire les éléments centraux constitutifs du
« texte » narratif qui vont en guider l’interprétation. Ces éléments sont :

55
- Qu’est-ce que ça raconte ? Qui le raconte ? Comment est-ce raconté ? Il s’agit
d’identifier les événements relatés et les caractéristiques de la manière de le faire. Les
notions utiles sont : histoire, récit et narration.
- Les « déformations » éventuelles du temps de l’histoire dans le récit : flash back, flash
forward, répétitions, etc.
- La structure basique du récit : les grandes « étapes » qui structurent le parcours narratif
(schéma narratif).
- Les grands systèmes d’opposition impliqués par le récit, à travers sa structure
actantielle.
- Les personnages et leurs caractéristiques : nom, caractéristiques, apparence, genre
narratif auquel ils renvoient
- Point de vue :
- Par qui connaît-on les événements (focalisation) ?
- A travers les yeux de qui découvre-t-on les événements (ocularisation) ?
- Les indices utiles sont : la personne à laquelle est rédigée le récit (récit écrit), le
passage d’un personnage à l’autre, l’accès ou non aux pensées, le type de caméra
et les mouvements de caméra…

Question 6 : comment caractériser le réseau relationnel ?

Lorsqu’un document (notamment narratif) met en scène des personnages, ceux-ci peuvent être
insérés dans un réseau relationnel. Ce réseau relationnel peut être qualifié :

- Réseau relationnel centré lorsqu’il converge sur un personnage (ou un groupe de


personnages) unique dont le point de vue sera présenté de manière privilégiée ou mis
en avant de façon particulière, que ce personnage ressemble aux destinataires présumés
(égocentrisme : centration sur soi-même), ou présenté comme un modèle ou un anti-
modèle lointain par rapport auquel se positionner (sociocentrisme).
- Réseau relationnel décentré lorsqu’il ne converge pas sur un seul personnage, mais
confronte successivement le récepteur à une multiplicité de points de vue entre lesquels
celui-ci doit construire sa propre synthèse.

Les indices utiles à la caractérisation d’un réseau relationnel sont (entre autres) les points
de vue présentés et la manière de le faire (focalisation, ocularisation), mais aussi

56
potentiellement les actes de langage (qui contribuent à structurer les relations), les
caractéristiques de la mise en images…

Suivant qu’on a affaire à un réseau relationnel (ou plus généralement un message) centré
ou décentré, les effets cognitifs du message seront potentiellement différents : la
décentration est supposée favoriser la prise de recul critique.

Synthèse : quels sont les effets les plus probables du message ?

Analyser un message médiatique ne consiste pas uniquement à identifier les notions utiles à la
compréhension du document et les cas de figure que celui-ci présente. Il s’agit, surtout, de
mener cette analyse dans le but d’arriver à une conclusion : au final, que peut-on dire/retenir de
ce document ? Une telle analyse doit déboucher sur quelque chose, sinon elle ne constituerait
qu’un exercice intellectuel. Sur la base des caractéristiques du document relevées grâce aux
questions 1 à 6, il convient donc de formuler une conclusion globale répondant (au moins) aux
questions suivantes :

- Comment « fonctionne » le document considéré, de manière dominante ?


- Comment implique-t-il (ou n’implique-t-il pas) le récepteur ?
- Quels sont les effets relationnels, psycho-affectifs et cognitifs les plus probables sur le
récepteur, compte tenu des caractéristiques du message ?

57
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