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Billet de Québec

Islam, politique et chercheurs Arabo-berbères d’Occident

- Quand Iran et chiisme remplacent Israël et sionisme –

Le 22 mars 2017, l’enseignant-chercheur franco-tunisien Mourad Chaabi (IEP


Grenoble et IRSEM Paris), professeur invité au département de science politique
de l’université Laval, Québec, devait traiter des "implications politiques et
stratégiques de la fracture chiite/sunnite dans la région du Moyen-Orient".

En guise d’ « implications stratégiques et politiques » on a eu droit à une (trop)


longue présentation de l'histoire de l'islam en général et, en particulier, de
genèse de la scission découlant des problèmes de succession califale
(assassinats d’Othman puis d'Ali, montée en puissance de Mouâwiyya, etc.).
S’en est suivi un exposé censé décrire la réalité contemporaine du Moyen-
Orient.

Que retenir de ce trop long exposé, véritable cours d’introduction à l’islam?

Une série d’occultations de réalités faussant l’analyse

- Pas la moindre allusion à la réalité historique quant à la nature politique, dès le


départ, du schisme, lequel n'est devenu chiisme que plus tard, s'appuyant sur la
théorie de la légitimité de l'exercice du pouvoir – exclusivement dans la famille du
prophète – via le couple Ali et Fatima et leur descendance.

- Confusion entretenue entre islam (religion) et Islam (réalité civilisationnelle et


sociale), sans la moindre référence à une telle dichotomie d’importance pourtant
capitale. L’orateur est même allé plus loin par moments, montrant sans nuances
ni avertissements un tableau reprenant confusément sectes, obédiences chiites
et écoles juridiques sunnites. Il s’est gardé de rappeler le décalage entre islam et
musulmans.

- Rien sur le fait que la famille Saoud en Arabie, et les autres monarchies de la
région ne s’accrochent à un pouvoir sans partage que grâce à leurs suzerains
occidentaux qui avaient créé des Émirats vassaux de toute pièce sur la côte
orientale de la péninsule arabique. Le tout axé sur le pétrole en contrepartie de la
pérennité de dictatures monarchiques ignorant le moindre droit de l’homme, de la
femme, de l’enfant ou des étrangers, dont la personne est pourtant sacrée en
islam, réduits à un odieux asservissement, exception faite des Occidentaux,
soignés avec zèle servile et rémunérés en conséquence.
- Aucune référence à la création sanglante d’Israël, au drame palestinien et
encore moins la pression sioniste dans la région, sauf très accessoirement au
sujet de bombardements sporadiques de positions syriennes en fonction, selon
le conférencier, de l'intérêt du moment.

- Il n'a jamais été question durant cette causerie de l'impérialisme américain dans
la région, mise à feu et à sang, ni des forces occidentales d’agression présences
en Syrie et en Irak, ni de l’aide incessante du « monde libre » aux mouvances
islamistes rebelles de toute nature, ni de la volonté de démantèlement et de
balkanisation de ces États.

Un épais brouillard essentialiste de faits sélectionnés et assenées à un


public peu informé

- Tout cela se comprend aisément, s'agissant d'une tentative grossière de


manipulation, sous couvert de recherche universitaire en sciences politiques,
pour faire accréditer et renforcer la thèse voulant que les problèmes affligeant le
Moyen-Orient, voire l’Islam, découlent de la "fracture chiite/sunnite",
consubstantielle à l'islam des origines. En d'autres termes, le mal est en nous,
musulmans, et la géopolitique – qui cache mal l'impérialisme américano-israélien
– n'est que, fatalement, la conséquence de déchirures religieuses radicales fort
anciennes, non seulement entre Iran et Arabie Saoudite, mais aussi à l'intérieur
des différents pays des alentours. Bien entendu, le conférencier se garde bien,
en évoquant la Libye, État en voie de démantèlement aussi, de parler de
fractures religieuses, les Libyens étant tous sunnites…

- Le professeur-chercheur ne dit mot du résultat auquel on arrive subrepticement


au Moyen-Orient – grâce aux pétrodollars et à un battage médiatique
savamment entretenu dans la région et à travers la planète – à "changer" du tout
au tout l'identité et la nature-même de l'adversaire, l'Iran et le chiisme ayant
remplacé Israël et le sionisme. Or, de nos jours, il ne reste du fameux "front du
refus" au Moyen-Orient que des mouvements chiites révolutionnaires incarnés
par le Hezbollah et les Houtis. En dépit de ses dérives, le régime Al-Assad a pu
résister à la domination américano-sioniste et de tous ses valets régionaux. Seul
l'Iran est resté sur les rangs, non pas au non d’un chiisme sectaire, mais d’une
exigence éthique, musulmane et universelle, de justice et ce, même si elle n’est
pas dénuée d’arrière-pensées politiques en concurrence avec l’adversaire
saoudien. Cette opposition aura été le fil conducteur de la conférence.

Une servilité au service du néo-orientalisme

Finalement, loin de nous éclairer sur la situation du Moyen-Orient, ce cours


imprévu sur l’islam et ses divisions relève d’un essentialisme délibérément
assumé par un certain Occident majoritaire dont des élites influentes justifient la
haine et la peur de l’islam et des musulmans. C’est à croire que ces derniers ne
pourraient quitter leur statut de sous-hommes qu’au prix du rejet de la foi qui les
habite. Et ce, malgré le fait que ladite foi est innocente de ce qui peut être
perpétré d’odieux en son nom, de la même manière que Jésus est innocent de
l’inquisition et de la conquête tragique du monde et de nombreux génocides.

M. Mourad Chabbi fait partie de cette élite d’origine musulmane qui met son
savoir au service des idées d’un Occident qui n’a de cesse de poursuivre sa fuite
en avant guerrière en guise de politique étrangère. L’OTAN et ses États
membres ont ouvert leurs portes à ces précieux collaborateurs qui apportent un
éclairage de l’intérieur de l’Islam tout en contribuant au raffermissement de la
pensée dominatrice de cet Occident judéo-chrétien – mal habillé de
sécularisation et de laïcité – qui n’a de cesse de combattre l’islam et l’Islam, et
les musulmans depuis 14 siècles.

Cet impérialisme a besoin d’assises intellectuelles, de constructions théoriques


comme le « clash des civilisations », le « creuset du terrorisme islamique » ou
l’« arc infernal chiite » pour consolider et justifier sa domination. Il s’est donc doté
d’une armée de chercheurs, dont des personnes d’origine musulmane. Il suffit
de savoir que M. Chabbi exerce au sein de l’Institut de recherche stratégique de
l’École militaire (IRSEM), à Paris, relevant du ministère français de la Défense.
Des centres affiliés à l’OTAN et des instituts très à droite recrutent des
chercheurs Arabo-berbères musulmans trop heureux d’y gagner leur vie après
avoir été adoubés, quitte à y laisser une partie de leur âme.

En vérité l’orientalisme, après avoir justifié et fait perdurer le colonialisme,


poursuit son long chemin tranquille en Occident, mais sanglant en Orient, sous
des formes modernes, vers les mêmes objectifs suprématistes en multipliant les
instituts de recherche, les Think-Tanks, les focus-groupes multidisciplinaires, les
panels de spécialistes, l’appel à des experts, universitaires et autres consultants
en sécurité/sûreté. Ernest Renan doit jubiler dans sa tombe, ravi de la modernité
de ce néo-orientalisme qui se nourrit allègrement aux sources des sciences
sociales. Mais, en dépit de l’hostilité réelle ou avérée de certains à l’égard de
l’islam et de l’Islam, les orientalistes classiques étaient de vrais grands savants,
non des experts auto-proclamés ou des intellectuels cathodiques et de salons
universitaires ou autres.

Touhami Rachid RAFFA,


Québec, le 24 mars 2017

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