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Les transformations de l'islam en Afrique noire

LES adeptes sud-sahariens de l'islam représentent aujourd'hui une population d'environ


cent millions de sujets, soit vingt fois celle de l'Arabie Saoudite (1). Pourtant, cette masse
imposante de croyants, plus importante que celle de la frange méditerranéenne du continent,
est souvent considérée avec condescendance par divers doctrinaires, orientalistes ou
islamologues et le commun des musulmans d'autres parties du monde. Ce dédain s'enracine
dans des modèles qui se sont constitués à l'époque où les "Noirs" méridionaux constituaient
l'essentiel de la classe servile orientale ou occidentale. Il s'inscrit dans un corps de préjugés
dont l'effet est de marginaliser l'Afrique sud-saharienne. Selon cette perspective, la religion
islamique a dû affronter, au sud des déserts qui séparent l'Afrique "profonde" du monde
méditerranéen, les ténèbres d'une "âme nègre" impénétrable. Elle s'est heurtée aux masques et
aux fétiches et s'est trouvée marquée par ce terrain particulier. Tout au plus excepte-t-on de ce
constat certains pays membres de la Ligue arabe, comme le Soudan, la Somalie ou Djibouti.

Certes, on rencontre bien, au sein de la région considérée, des particularismes conférant aux
pratiques populaires des musulmans des traits hétérodoxes (2). Mais de telles spécificités se
retrouvent sous d'autres cieux. En outre, elles ne concernent pas tous les croyants et varient
selon les groupes ou les lieux. Par ailleurs, elles s'expliquent davantage par les effets de
conjonctures historiques particulières que par l'existence de dispositions psychiques, ou même
biopsychiques propres aux habitants de cette région ou par le poids d'une unique culture
originale, comme certains ont pu le croire. D'un autre côté, les pratiques locales subissent une
transformation en profondeur. Elles se rapprochent des normes en usage en d'autres parties du
monde islamique. Les études réalisées à l'époque coloniale portent la marque des temps où
elles ont été effectuées et ne rendent compte que d'une conjoncture exceptionnelle.
L'évolution actuelle exige d'autres analyses.

La rupture coloniale

AU moment où les empires européens se sont étendus au sud du Sahara, au terme d'une
longue période préparatoire marquée par le développement de la traite côtière, l'islam était
implanté depuis des siècles dans les zones de sahel et de savane qui bordent le Sahara, la mer
Rouge et l'océan Indien. Il y avait été introduit par des commerçants, des immigrants, des
missionnaires. D'une manière générale, cependant, l'Afrique sud-saharienne n'avait pas connu
d'invasion arabe massive et les populations locales avaient pris en main leur propre
islamisation, en conservant leurs langues et certaines de leurs traditions. La vision du monde
islamique s'était diffusée dans le cadre de grands Etats en relation avec le monde oriental, de
réseaux commerciaux de plus en plus larges, de mouvements de "guerre sainte" et grâce au
prosélytisme inlassable de petits lettrés : les "marabouts". Depuis des siècles, des érudits, des
aristocrates, des marchands effectuaient des voyages en terre arabe, dans le cadre du
pèlerinage à La Mecque, et possédaient une double culture arabe et africaine.

Lorsque les Européens ont pénétré dans ces régions, ils se sont heurtés à des Etats ou à de
vastes mouvements politico-religieux qui leur ont opposé le plus souvent une résistance
efficace. A cette époque, les domaines du religieux et du politique étaient inséparables et les
conquérants étaient avant tout considérés comme des "infidèles". Une fois ces "nations
islamiques" brisées ou soumises, les populations musulmanes locales ont connu une situation
nouvelle. Elles ont perdu toute initiative politique et se sont trouvées dominées par un
pouvoir étranger lié à la religion chrétienne. Un clivage artificiel a dissocié le religieux du
politique. A la même époque, l'ensemble du monde islamique connaissait une situation
identique.

Les populations, vaincues et dépendantes, se sont alors repliées sur leurs écoles coraniques,
leurs tribunaux, leurs mosquées. Elles se sont fermées en grande partie à la modernité. Ce
retrait n'a pas empêché leur expansion au sein de régions nouvelles, du fait du développement
des échanges. L'ordre colonial a favorisé ce mouvement, en développant un marché en partie
contrôlé par les musulmans, en associant à sa gestion des cadres islamiques ou en favorisant
la venue de musulmans originaires de différents continents et en intégrant des sujets islamisés
à son appareil.

Cette expansion s'est effectuée en compétition avec les missions chrétiennes, lesquelles se
sont efforcées de s'implanter dans les régions situées jusqu'alors hors du Dar al Islam.

Parallèlement, un fossé s'est creusé entre les sociétés musulmanes locales, ainsi repliées sur
elles-mêmes et le monde oriental. Cette rupture relative a résulté du déclin des échanges trans-
sahariens ou maritimes directs entre l'Afrique et celui-ci, de la vigilance des administrations
européennes, redoutant la "contagion" du nationalisme arabe ou l'influence germano-turque,
du repli parallèle des Arabes sur leur identité ethnique, comme du déplacement des aires de
développement économique.

Les nouveaux cadres africains formés par l'école européenne ont été le plus souvent recrutés
dans les régions les moins touchées par l'islam, du fait, notamment, du retrait des musulmans
par rapport à l'enseignement occidental. La plupart ont reçu une formation chrétienne. Ils ont
été davantage attirés par les idées occidentales que par celles qui passionnaient à la même
heure leurs homologues arabes, auxquels ils reprochaient leur exclusivisme ethnique ou leur
hégémonisme. S'il existait une élite réformiste musulmane africaine, formée à l'école arabe,
celle-ci constituait une minorité à qui tout accès aux avenues du pouvoir était interdit et qui
détenait une faible audience sur des masses fortement encadrées ou bien se crispait sur des
positions régionalistes.

A l'heure des indépendances, les élites occidentalisées ont pris la tête des nouvelles
constructions nationales, fondées sur les partages coloniaux européens du dix-neuvième
siècle. Les dirigeants ont adopté, en général, une optique laïque, inscrite dans les
Constitutions locales. Compromis avec l'ancienne puissance coloniale ou confinés dans un
conservatisme défensif, les cadres traditionnels étaient, souvent, éliminés de la scène
politique. Il n'était nulle part question de bâtir les nouvelles nations sur les bases des Etats
islamiques du passé, ni d'en édifier de nouveaux, sinon dans le cadre de mouvements
sécessionnistes réactionnels à caractère plus stratégique que décisif, au Soudan et au Nigéria
du Nord. En revanche, les dirigeants modernes avaient à tenir compte, dans certains pays, de
l'existence d'électorats musulmans encadrés par des notables détenant encore une certaine
influence fondée sur la religion. Ils devaient se méfier d'ingérences extérieures prenant appui
sur ces réalités et de tentatives de manipulation du fait religieux, notamment dans les Etats
confessionnellement mixtes. Aussi, certains d'entre eux étaient-ils portés à désamorcer la
charge politique explosive que continuait à véhiculer l'islam, en valorisant les traits
spécifiques de la pratique populaire attaqués par les réformistes ou les musulmans de
l'extérieur. C'est dans ce contexte que s'est développé le mythe mobilisateur de la "négritude",
qui a connu une certaine expansion au sein de quelques Etats francophones. Tout
naturellement, les promoteurs de cette doctrine, dont la plupart se recrutaient parmi la
nouvelle élite occidentalisée et chrétienne, ont été conduits à mettre en avant le thème d'un
"islam noir" opposable, par divers caractères, à un "islam blanc" identifié au modèle censé
correspondre à la conduite du commun des musulmans "pâles".

Cette optique négligeait l'existence de phénomènes comparables au sein d'autres parties du


monde islamique, omettait de distinguer les pratiques populaires usuelles de celles de l'élite
islamique africaine qui vivait depuis des siècles à l'heure des grands centres religieux arabes
et ignorait, en grande partie, la diversité islamique sud-saharienne. Elle répondait cependant à
une sensibilité des élites en question et de certaines populations locales à l'égard de diverses
attitudes arabes perçues comme des manifestations de mépris ou de paternalisme perpétuant
un modèle de conduite hérité de l'époque esclavagiste.

Sur un plan plus stratégique, elle visait à limiter l'influence des pays arabes et des réformistes
locaux hostiles à ces errements et favorisait le rapprochement des musulmans locaux, des
chrétiens et des adeptes de cultes ancestraux. Elle atténuait l'impact du thème de la "nation
islamique", risquant de contrarier les nouvelles identités "nationales" et contribuait à écarter le
spectre d'une mobilisation des musulmans autour de l'idée d'un rassemblement islamique. Elle
facilitait également le développement de compromis entre dirigeants et cadres musulmans
traditionnels menacés par les partisans d'une orthodoxie plus poussée. Rappelons, toutefois,
que cette perspective n'a eu d'impact réel que dans quelques pays francophones. Dans
plusieurs pays anglophones, notamment au Soudan, au Nigéria du Nord, à Zanzibar, les
populations musulmanes se sont montrées plus actives ou se sont repliées sur des positions
insulaires à fondement historique.

Une ouverture à la modernité

DANS la plupart des nouveaux Etats, les adeptes de l'islam se sont fondus dans les
"constructions nationales" locales, acceptant de coopérer avec des adeptes d'autres
confessions. A l'encontre de la situation qui prévalait à l'époque de la conquête européenne,
l'islam ne représentait plus, en tant que tel, une force politique décisive, sinon dans le cadre
de mouvements sporadiques motivés par des conjonctures locales diverses. Handicapés par un
refus antérieur de l'école occidentale, les musulmans étaient souvent distancés dans l'accès
aux leviers de commande par les adeptes d'autres confessions. La vision du monde islamique
était rarement perçue comme un modèle de modernité. La règle laïque l'emportait un peu
partout, compte tenu de certaines tolérances favorisant, en particulier, le maintien du règne de
la loi islamique à titre de législation "coutumière".

Vingt ans après, la situation de l'islam et des musulmans au sud du Sahara s'est
considérablement transformée. En premier lieu, l'essor de la scolarisation, le brassage des
couches sociales, l'urbanisation, les politiques de participation populaire menées avec plus ou
moins de rigueur par les gouvernements locaux, ainsi que leurs stratégies de solidarité ou de
réconciliation nationale ont favorisé la formation d'une nouvelle génération de musulmans
ouverts à la fois à la modernité et à un modèle islamique conciliable avec celle-ci, illustré par
certains pays arabes. Ces nouveaux musulmans cherchent à conformer leurs pratiques aux
textes sacrés, auxquels ils ont, désormais, un accès plus aisé. Beaucoup prônent une
arabisation plus approfondie que celle qui s'effectuait dans les écoles coraniques du passé.
Ecoles, collèges, universités ou institutions islamiques nombreux développent des
programmes d'arabisation et de formation islamique. Les milliers d'anciens étudiants de retour
des universités arabes s'emploient à éliminer les vestiges d'hétérodoxie hérités du passé et
l'influence de "marabouts" ignorants, accusés d'exploiter la crédulité des masses. Peu à peu,
un nouvel encadrement musulman, éduqué à l'école moderne ou arabe, se substitue aux
anciens cadres formés sur le tas. Ou bien, ces derniers sont conduits à épouser le mouvement,
par conviction ou stratégie.

En même temps, on assiste à l'expansion rapide de la religion islamique dans des régions qui
l'ignoraient ou la combattaient jusqu'ici. Cette évolution est favorisée par le développement de
la mobilité démographique et sociale et des grandes concentrations urbaines. Elle bénéficie de
l'éclatement des anciens cadres traditionnels de vie, de l'efficacité de l'encadrement islamique
moderne, de l'infrastructure mise en place par les donateurs arabes et de l'impact des moyens
de communication de masse, largement utilisés par les prosélytes modernes. Elle profite,
également, d'un certain repli du christianisme, handicapé par ses attaches occidentales.

Autres facteurs d'évolution décisifs : les interventions des pays arabes, notamment pétroliers,
et le développement de la coopération arabo-africaine. Dès la période d'accession à
l'indépendance, certains pays arabes avaient déployé, à des fins diverses, des politiques
africaines actives qui n'eurent pas les résultats escomptés. Israël s'est, alors, solidement
implanté au sud du Sahara, y compris dans des pays majoritairement musulmans. Après la
"guerre du pétrole" de 1973, en revanche, les échanges arabo-africains ont connu des
développements spectaculaires, souvent à la demande des pays sud-sahariens menacés par la
crise économique.

Diverses institutions islamiques internationales ont accordé une aide substantielle aux Etats
sud-sahariens. Les accords économiques, sociaux, culturels se sont multipliés. Certains pays
arabes ont, également, développé des stratégies d'intervention au sud du Sahara, parfois
contradictoires dans l'immédiat, mais dont les effets se sont conjugués sur un plan supérieur.
En particulier, elles ont fortement joué en faveur de l'expansion et de la standardisation de
l'islam dans ces régions. La plupart des pays arabes assortissent, en effet, leur aide
économique de mesures en faveur de la langue arabe et de la religion : ils offrent des
mosquées, des centres culturels, des écoles, des universités islamiques, financent des
programmes de radio, accordent des milliers de bourses à des étudiants qu'ils accueillent dans
leurs propres universités. Ceux-ci reviennent ensuite dans leurs pays nantis d'une perspective
nouvelle. Le pèlerinage à La Mecque se développe également rapidement : les pèlerins sud-
sahariens étaient au nombre de 172 906 en 1978.

Du fait de ces divers facteurs, la religion islamique ne cesse de développer son influence et de
gagner en cohérence. Elle s'impose comme une vision du monde moderne et se transforme
qualitativement. Une certaine désaffection se manifeste à l'égard des cadres islamiques
traditionnels. Cette tendance est toutefois relative, davantage développée dans certains pays,
notamment dans ceux qui font partie de la Ligue arabe (Mauritanie, Soudan, Djibouti,
Somalie) et dans ceux qui sont plus islamisés ou disposent d'un encadrement islamique
moderne ouvert sur l'extérieur (Niger, Mali, Nigéria). Ailleurs, et dans certaines couches
populaires, les valeurs islamiques définissent un secteur de repli, constituant parfois un
contre-pouvoir, pour des populations qui s'estiment délaissées ou exploitées par leurs
dirigeants notamment lorsque les élites sont recrutées principalement parmi les non-
musulmans ou lorsque les adeptes de l'islam sont confinés dans des régions pauvres. Comme
par le passé, le modèle religieux se trouve indissolublement mêlé à des réactions spontanées
d'un tout autre ordre. Cette position est facilitée par la persistance du règne de la shari'a,
accepté par les gouvernements et de l'autorité dont continuent à jouir les anciennes
aristocraties islamiques ou confrériques, en dépit de leur éviction des fonctions d'autorité
officielles. Fréquemment, les "marabouts" conservent aussi une audience que n'ont pas les
nouveaux cadres, jugés trop distants du commun. Dans ces sanctuaires, des vestiges de
pratiques témoignant de compromis avec des aspirations peu orthodoxes se maintiennent ou
se développent. Les autorités officielles ferment les yeux sur ces usages, de peur de provoquer
des réactions excessives, telles les émeutes de Kano, en décembre 1980, au Nigéria, qui
auraient fait des milliers de victimes, ou de donner prise aux stratégies d'agitateurs liés à des
puissances extérieures. Certains problèmes explosifs, comme la question de l'instauration de
la loi islamique comme loi officielle du Sénégal, en 1972, la création d'une Cour d'appel de la
shari'a au Nigéria, en 1979, ou le projet d'Etats-Unis Islamiques du Sahel du colonel Kadhafi,
inquiètent des dirigeants qui s'efforcent de maintenir des équilibres précaires avec ces
"pouvoirs islamiques" diffus. Ici ou là, des émeutes, des pogroms, des crises plus ou moins
sanglantes témoignent de la persistance d'un courant sous-jacent de violence, enraciné dans
des modèles populaires anciens. Comme partout dans le monde, également, la grande tradition
populaire des "prophètes" et autres "mahdis" inspirés se perpétue, suscitant, çà et là, des
rassemblements plus ou moins importants, venant ponctuer des crises économiques, ethniques
ou politiques à l'échelon local. Les notables réagissent au défi qui leur est porté par une
"purification" de leurs pratiques.

Ces courants interfèrent avec un autre phénomène important : la constitution et la


multiplication d'associations islamiques "nationales" regroupant tous les adeptes locaux de
l'islam. Ces nouvelles institutions brisent les anciennes appartenances confrériques, les
obédiences plus vastes, les regroupements ethniques et associent des sujets d'orientation
diverses. Elles sont dirigées par des membres de l'élite moderne. Les gouvernements
favorisent cette évolution, dans le but de mieux encadrer les musulmans, de les associer à
leurs politiques et de réduire l'emprise des cadres traditionnels. Ils espèrent ainsi atténuer le
risque de constitution de contre-pouvoirs incontrôlés.

Les leaders musulmans d'origine étrangère sont exclus des postes d'autorité ou renvoyés dans
leurs pays. La communauté islamique sud-saharienne se trouve ainsi "balkanisée" au même
niveau que les Etats. En revanche, cette situation favorise l'avènement d'élites islamiques
locales, conforte leur position au sein des instances de pouvoir et favorise leur intégration.

Les musulmans dans leurs Etats

SUR un autre plan, la situation des musulmans sud-sahariens varie considérablement d'un Etat
à l'autre. Dans les pays en majorité islamisés, comme la Somalie, Djibouti, la Mauritanie ou le
Niger, l'appartenance religieuse comporte peu de conséquences politiques. En revanche, dans
ceux qui associent des populations de confessions différentes, le moindre conflit régional,
ethnique, politique ou linguistique peut déboucher sur des affrontements religieux spontanés,
parfois violents, ainsi qu'on a pu le constater à plusieurs reprises au Nigéria, au Soudan, au
Tchad, en Ethiopie, en Ouganda. Le fait d'être musulman peut avoir des répercussions
tragiques. Il n'en est pas ainsi partout, ou à tout moment, et l'on ne saurait généraliser des
situations purement conjoncturelles, d'autant que les dirigeants, conscients de ces faits, ont
mis au point des stratégies appropriées. Les manoeuvres non officielles de manipulation de la
religion sont surveillées et dénoncées comme des complots antinationaux. Bien souvent, le
consensus national apparent repose, en fait, sur le maintien de compromis tacites entre
dirigeants et cadres islamiques, comme on a pu l'observer à plusieurs reprises au Sénégal, au
Nigéria ou au Soudan, par exemple. D'autant que les solidarités confessionnelles
internationales jouent dans tous les conflits de ce genre, limitant la capacité de décision des
régimes au pouvoir et renforçant la position des négociateurs religieux.
D'une manière générale, les musulmans sud-sahariens contemporains, comme leurs
coréligionnaires d'autres parties du monde, sont écartelés entre leur appartenance à l' oumma
islamique et leurs identités nationales modernes. La plupart du temps, cependant, ces
différentes identités jouent à des niveaux distincts. Il semblerait totalement utopique
d'envisager l'éventualité d'une partition de l'Afrique en fonction de clivages religieux. Au
demeurant, celle-ci serait difficile à établir, en raison du caractère mouvant des frontières
confessionnelles. A un niveau global, l'éducation moderne, les influences occidentales,
l'impact du marxisme, le réalisme des élites, les habitudes nées de longues périodes de
coexistence, la peur du chaos, les divisions entre croyants ou le poids du modèle national, plus
facile à critiquer qu'à mettre en cause aussi bien au sein du monde arabe qu'au sud du Sahara,
semblent favoriser un processus de dépolitisation des religions et une généralisation des
positions de compromis impliquant une stratégie de tolérance. Toutefois, un tel mouvement
d'ensemble n'exclut pas le maintien de courants souterrains pouvant produire des éruptions
inattendues, en Afrique comme ailleurs, ni le maintien de particularismes liés au génie propre
de chaque peuple autochtone. Dès son origine, le monde islamique n'a cessé de connaître des
phénomènes de convergence et de divergence agissant constamment les uns sur les autres.
Ces particularismes peuvent être fluctuants et admettre des accommodements asymptotiques,
et l'on ne saurait les figer dans des modèles intangibles. Ils s'inscrivent dans le large éventail
mondial des spécificités islamiques locales, lesquelles témoignent du caractère vivant d'une
vision du monde qui s'efforce de concilier un universalisme fondamental, prescrit dans la
révélation coranique, et les héritages et sensibilités des différents peuples musulmans.

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