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PIERRE MONTAGNON
La
France Coloniale
La gloire de l'Empire
Pierre Montagnon
La France coloniale
La gloire de l'empire, du temps des croissades à la seconde guerre mondiale
Flammarion
Il y a un demi siècle, la France était à Alger, Dakar, Saigon. Plus de 100 millions d'individus vivaient
sous le pli du drapeau tricolore. l'empire coloniale français était le second du monde.
Dans un précédent ouvrage couronné par l'Académie française, LA GUERRE D'ALGERIE, Pierre
Montagnon a retracé l'une des tragédie majeure de la fin de cet empire, puis raconté dans un autre
volume, LA CONQUETE DE L'ALGERIE, son point de depart essentiel.
Fidèle à son objectivité habituelle Pierre Montagnon n'élude rien: héroïsme, sacrifices, actions de
courage des soldats, des missionnaires, des explorateurs, des colons. Mais aussi les erreurs, fautes ou
crimes nés de la passion ou de l'interêt. Gloire des uns, noirceur des autres…
Un livre de référence pour connaitre un passé récent. Un livre pour mieux comprendre le monde
d'aujourd'hui né en grande partie de l'ère coloniale. Un livre pour découvrir les fondements de la
position et du rayonnement de la France sur les cinqs continents.
Pierre Montagnon. Né en 1931. Saint-Cyrien. Depuis vingt ans dans la vie civile, à des postes de
responsabilités. Marié. Père de quatre enfants. Vit et travaille actuellemnt dans le Sud-ouest. Sept fois
cité, deux fois blessé en Algérie, Pierre Montagnon est chevalier de la Légion d'honneur à titre
militaire.
Table des matières
Couverture
Titre
Copyright
Cahier Photos
Avant-propos
12 octobre 1492
LA PAIX AU NORD
LE PROTECTORAT CAMBODGIEN
Chapitre XIV FERRY LE TONKINOIS : La route de Chine Retour au Tonkin (1883-1884) Tuyen Quang (1885) Le «
désastre » de Langson (mars 1885) Indochine française
RETOUR AU TONKIN
LA CONFÉRENCE DE BERLIN (novembre 1884 – février 1885)
TUYEN QUANG
INDOCHINE FRANÇAISE
LA FRANCE DE KOUANG-TCHEOU
LA CONQUÊTE DU SOUDAN
LA GUINÉE
LA CÔTE-D'IVOIRE
LE DAHOMEY
FACHODA
LA MISSION FLATTERS
LA POLYNÉSIE
LA NOUVELLE-CALÉDONIE
LES NOUVELLES-HÉBRIDES
LES COMORES
LES KERGUELEN
LES CROZET
SAINT-PAUL ET AMSTERDAM
LA TERRE ADÉLIE
LES ZOUAVES
LES TIRAILLEURS
LES GOUMIERS
LES SPAHIS
LA LÉGION ÉTRANGÈRE
LES CHASSEURS
LE FRONT MAROCAIN
TOGO-CAMERON
SAHARA
11 NOVEMBRE 1918.
LE PROCONSUL AFRICAIN
28 FÉVRIER 1933
LA TUNISIE
LE MAROC
L'ALGÉRIE
LE LEVANT
L'INDOCHINE
ANNEXES
Chronologie
Bibliographie
Chapitre XI – Faidherbe
Général FAIDHERBE
(1818-1889)
DUPLEIX
(1697-1763)
Émile GENTIL
(1866-1914)
Le maréchal BUGEAUD
(1784-1849)
Le maréchal CLAUZEL
(1772-1842)
Jules FERRY
(1832-1893)
Auguste PAVIE
(1847-1925)
Commandant RIVIÈRE
(1827-1883)
SAVORGNAN DE BRAZZA
(1852-1905)
Capitaine H. GOURAUD
(1867-1946)
MANGIN
(1866-1925)
Francis GARNIER
(1839-1873)
Capitaine VOULET
(1866-1899)
SAMORY
(1837-1900)
Victor LARGEAU
(1842-1897)
Le cardinal LAVIGERIE
(1825-1892)
Fernand FOUREAU
(1850-1914)
Commandant LAMY
(1858-1900)
Le général LAPERRINE
(1860-1920)
EXPANSION COLONIALE DE LA FRANCE de 1683 à 1763
EXPANSION COLONIALE DE LA FRANCE de 1815 à 1903
La
France Coloniale
La gloire de l'Empire
A Marie-Dominique,
Bertrand,
Gaultier,
Renaud
Qu'il me soit permis de remercier,
tout spécialement, outre mon épouse
et ma fille, madame
Madeleine Job.
Dans le très fidèle souvenir de tous
ceux qui, comme son époux, sont
tombés
pour la France et la grandeur
de l'Empire, elle m'a permis de disposer d'une documentation
de grand
prix.
Avant-propos
La guerre d'Algérie, a priori si proche, relève pour mes enfants d'un
autre monde.
Que peut, alors, évoquer pour eux cette époque baptisée l'Empire,
sinon
une formule à l'analogie tristement célèbre : « L'Empire, connais
pas ! »
Et pourtant ! La génération qui gouverne aujourd'hui le pays était à
l'âge
des culottes courtes ou l'avait même largement dépassé, à l'heure
où la
France était encore à Alger, Dakar, Brazzaville, ou Saigon. Oui,
tous ces
temps de l'Empire, des colonies, ne sont pas si lointains. Ils
cernent
l'horizon immédiat de notre passé même s'ils sont oubliés ou
méconnus.
Ah ! certes, domaine colonial, Empire, semblent aujourd'hui des termes
désuets, prononcés parfois avec honte ou restriction ! Ils n'en représentent
pas moins une réalité d'hier bien vivante. Une bonne partie de
l'Afrique,
maints territoires d'Asie, d'Océanie, d'Amérique, furent jadis
ou encore
récemment dans la mouvance française. Le drapeau tricolore
a flotté sur
douze millions de kilomètres carrés. Cent millions d'hommes
et de femmes
ont vécu sous une loi édictée à Paris.
Gommer, d'un revers de main, cette phase de notre histoire serait aussi
puéril que stérile. Cette étape de la vie nationale sous-entend la position
présente de la France dans le monde, son rayonnement politique et
intellectuel, ses intérêts économiques et militaires. Elle explique bien des
problèmes rencontrés : émigration, insécurité, Nouvelle-Calédonie... Elle
explique aussi la situation de nombreux États de création récente.
Cet ouvrage s'adresse donc d'abord à mes enfants et avec eux aux jeunes
de France. Il souhaite soulever pour eux un coin du voile et les aider à
mieux comprendre la France et le monde d'aujourd'hui.
Rendre compte, en quelques centaines de pages, d'une époque aussi riche
en événements que celle de l'Empire ne peut être qu'un raccourci pour ne
pas dire un survol. Ce livre n'est donc que la modeste contribution d'un
« généraliste ». Loin de moi de prétendre aller plus loin. Les excellents
ouvrages de spécialistes ne manquent pas pour approfondir tel ou tel
dossier. Je ne vise qu'à relater l'essentiel, dans son fondement, son
déroulement, ses conséquences.
Est-il trop ambitieux d'espérer, par cet éclairage limité mais substantiel,
apporter aux aînés, aux « honnêtes hommes » de cette fin du XXe siècle, une
meilleure appréhension du passé et du présent ?
Puis-je l'exprimer également ? Le soldat que je fus et qui n'a rien renié
bien au contraire, entend aussi saluer le courage de ceux qu'animait la foi
patriotique et qui partirent bâtir cet Empire. Nombre d'entre eux reposent à
jamais sur ces terres lointaines qu'ils voulurent françaises. Si les fautes et
les erreurs furent parfois leur lot, leur œuvre a assuré la place de la France
dans le monde. N'a-t-elle pas, au premier chef, largement contribué au salut
de la Patrie opprimée par l'occupant nazi ? Les faits d'armes ne manquent
pas sur cette longue route de sueur et de sang. Rapporter, au moins, les
principaux, m'a paru un légitime tribut. Un tribut où il ne saurait y avoir
d'exclusive d'un camp à un autre. La haute carrure d'un Abd el-Kader
suscite le respect.
Pour relater l'élaboration progressive de cet Empire, le déroulement
chronologique paraît le plus simple. Il n'est pas obligatoirement le meilleur.
Chaque théâtre a sa spécificité. D'où la nécessité d'un cloisonnement qui
peut parfois dérouter par ses retours en arrière.
Dans cette histoire, largement dispersée, il est un fil conducteur qui
donne sa signification à l'entreprise. Il s'appelle la grandeur de la France.
Ce sentiment s'affirme particulièrement au lendemain de 1870. Le pays,
vaincu et meurtri, doit se retrouver. Des individualités l'orientent sur la voie
coloniale qui leur paraît celle du renouveau. Hommes politiques comme
Gambetta, Ferry ou Étienne, soldats ou marins comme Garnier, Rivière,
Galliéni, Marchand, Lyautey ou Largeau, personnalités plus difficiles à
classer comme Brazza, Pavie ou de Foucauld, tous n'ont qu'un même but :
relever la France par l'expansion outre-mer.
Leur ardeur entraîne les forts dans une tâche jamais aisée. Précarité des
moyens, discordances politiques en métropole, enthousiasme relatif des
Français à s'arracher de leur sol, rivalité anglaise, s'ajoutent aux embûches
naturelles et aux hostilités locales. L'édifice ne se bâtit que par l'énergie
farouche de quelques poignées de convaincus. Il faut la guerre de 1914-
18 pour démontrer l'intérêt du domaine colonial et son poids dans la
bataille engagée.
Dès lors, l'unanimité se fait. L'Empire est reconnu, admis, célébré. Le
centenaire de l'Algérie en 1930, l'Exposition coloniale internationale de
1931, attestent de l'approbation massive des gouvernants et des citoyens.
Rares sont, en France, ceux qui osent remettre en cause cet Empire
apparemment solide et « porteur de civilisation ». Derrière lui, l'esclavage,
la tyrannie, la barbarie. Grâce à lui, le progrès, l'humanisme.
Plus rares encore sont les cerveaux lucides. Pourtant, dès 1925, Lyautey
prévient :
« Il est à prévoir, et je le crois comme une vérité historique, que dans
un
temps plus ou moins lointain, l'Afrique du Nord évoluée, civilisée,
vivant de
sa vie autonome, se détachera de la métropole. Il faut qu'à ce
moment-là –
et ce doit être le but suprême de sa politique – cette
séparation se fasse
sans douleur et que les regards des indigènes continuent à se tourner
toujours avec affection vers la France. »
Les esprits n'en sont pas encore là. La grandeur et l'unité de l'Empire
sont, dans les années 1930, des données quasi intangibles. Le grand choc
de la Seconde Guerre mondiale, la défaite française de 1940, remettront
l'ensemble en question. Tout devra être repensé. Non sans déchirements.
Chapitre premier
« GESTA DEI PER FRANCOS »
« Dieu le veult ! »
Urbain II a terminé son exorde. La clameur monte et l'accompagne.
Houle impétueuse, elle déferle sur les ruelles de la cité arverne tassée
au
pied de la chaîne des Puys. Manants et hommes d'armes, soulevés
par un fol
enthousiasme, crient leur réponse à l'appel du chef de la
chrétienté.
« Dieu le veult ! »
Oui, ils partiront défendre les Lieux saints menacés par les infidèles.
Oui,
ils s'en iront sauvegarder la terre que le Christ a foulée. Oui, ils
iront
répandre leur sang là où il a versé le sien pour leur salut.
Déjà, ils se « croisent », signe tangible de leur détermination. Déjà,
ils
renoncent à tout, délaissant leurs biens, leurs familles. Déjà, les
premiers
s'engagent sur la longue route qui mène là-bas, à Jérusalem.
Interminable
route, par la péninsule italienne ou la côte dalmate, les
Balkans,
Constantinople, les monts du Taunus, Antioche, la Syrie, la
Galilée et enfin
la Palestine.
Tel est, en ce mois d'octobre 1095, le début d'une incroyable et
héroïque
aventure. Cette aventure, ce temps des Croisades, dureront
deux siècles. Un
long moment de l'Histoire.
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Le 15 juillet 1099, les Croisés, ceux qui ont survécu1, dans une
fureur
vengeresse enlèvent, enfin, Jérusalem. La cité de David tombe
au terme
d'un siège sanglant et d'un carnage bien peu chrétien. Du
plateau d'Anatolie
aux collines de Judée, tout le littoral et une portion
d'arrière-pays sont aux
mains des Francs. L'expropriation peut commencer. Certains ont-ils retenu
quelques propos de l'homélie
d'Urbain II :
Effectivement, ils sont maintenant chez eux ces Poulains, ces « Pieds
Noirs » d'Orient qui s'enracinent et font souche. Ils construisent.
Leurs
forteresses défieront les siècles. Ils cultivent. Ils commercent. Ils
adoptent
un autre style de vie, s'adaptant au climat, apprenant le parler local. Ils
épousent des femmes du pays. Surtout ils côtoient l'Islam,
cet Islam qu'ils
sont venus combattre, qu'ils ont vaincu et qui à son
tour les emportera.
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L'Islam ! Avec les Croisades, le grand choc Islam-Chrétienté,
entamé au
Maghreb et en Espagne, reprend avec plus de force.
Séculaire divorce entre deux religions qui, a priori, ont bien des
points
communs. Même croyance en un Dieu créateur et tout-puissant.
Même
espérance d'un au-delà bienheureux à mériter lors du séjour ici-bas. Même
identification originelle à un homme : Mahomet pour les
uns, Jésus-Christ
pour les autres (mais Jésus-Christ est d'abord le fils
de Dieu pour les
chrétiens).
Les convergences, sommaires, s'arrêtent là. La parole de Mohamed
n'est
pas celle de Jésus-Christ. Mahomet2, le marchand de chameaux
de La
Mecque, a été visité – du moins l'affirme-t-il – par l'archange
Gabriel.
L'envoyé céleste lui a notifié d'être désormais le seul à divulguer la vraie
religion. Celle-ci tient en une courte phrase : « Allah seul
est grand ! » Ce
Dieu unique emprunte bien des traits au Jahvé d'Israël. Comme lui, il est
maître de toutes choses, mais il s'éloigne vite
du Père Éternel de l'Ancien et
du Nouveau Testament. Il écarte les
écueils d'une rédemption, d'un
monothéisme trinitaire ou d'un débat
sur la grâce permettant le salut. Il ne
demande qu'à être reconnu et
obéi. A ce titre, il sera miséricordieux.
Eux aussi verront Dieu, mais un Dieu de bonté qui a envoyé son
fils pour
effacer le péché du monde.
Parole du Christ contre parole du Prophète. Deux conceptions de
l'existence humaine et de la morale s'opposent. En une ère de violence,
la
confrontation ne peut être que violente.
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Tel sont les grands traits de cette France coloniale calquée, en bien
des
points, sur l'image lointaine des Croisades.
Il faut maintenant en dérouler l'histoire.
L'HÉRITAGE D'ADAM
(Seizième siècle)
12 octobre 1492
Elles paraissent bien frêles ces trois caravelles ancrées à une centaine
de
brasses du rivage. A peine une trentaine de mètres de la poupe à
la proue.
Un gaillard qui n'émerge que de quelques pieds au-dessus
des flots.
Pourtant, elles viennent de marquer le début d'une étape
nouvelle dans
l'histoire du monde. Le ressac devant elles meurt sur la
grève des Lucayes1,
sentinelles avancées du Nouveau Continent.
Le chef de l'escadre, le Génois Christophe Colomb a su intéresser
les
puissants « Reyes catolicos » espagnols. Ferdinand d'Aragon et
Isabelle de
Castille se sentaient forts. Ils ont terminé la « reconquista ». Grâce à eux le
Maure ne règne plus sur Grenade et Boabdil2
est parti « pleurant en femme
cette ville qu'il n'avait su défendre en
homme ». Le Génois leur a assuré
qu'en naviguant vers l'ouest, il
arriverait aux Indes, le pays fabuleux de l'or
et des épices. Les souverains séduits lui ont permis de fréter ces trois
caravelles et un matin
d'août 1492, la Pinta, la Nina et la Santa Maria ont
quitté Palos3 et
ont cinglé vers l'ouest, oriflammes de Castille et d'Aragon
au vent.
Colomb voyait juste. Se fiant à l'antique théorie de Ptolémée sur la
rotondité de la terre, il a fini par retrouver la terre. Mais, sur l'essentiel, il se
trompe. Croyant avoir mis pied dans les Indes – le nom
restera aux
habitants du pays, les Indiens – il a découvert le Nouveau
Monde. Ses
successeurs, seuls et très progressivement, prendront
conscience de
l'ampleur de l'événement. Un continent gigantesque se
dresse là où nul
n'avait osé l'envisager. Il barre l'horizon du sud au
nord et on ne sait encore
s'il ménage quelques brèches ou passages
pour pousser plus avant, vers ces
fameuses Indes convoitées.
De suite, une question se pose. A qui appartiendront ces terres nouvelles,
découvertes ou à découvrir. Les Espagnols sont, certes, arrivés
les premiers
mais les Portugais sont aussi à l'ouvrage. Depuis des
décennies, sous
l'impulsion donnée par Henri le Navigateur4, leurs
capitaines et leurs
équipages fréquentent les côtes africaines et s'aventurent de plus en plus
loin vers le sud. Au début du XVe siècle, ils ont
vassalisé Tanger, occupé
Madère puis les Açores (1418). En 1471, ils
ont coupé l'Équateur. L'année
suivante, ils ont atteint l'embouchure
du Congo et en 1485 Barthélémy Dias
a doublé le Cap des Tempêtes,
futur cap de Bonne-Espérance5.
En 1491, Vasco de Gama joindra Calicut sur la côte occidentale du
Deccan dans la péninsule indienne. Plus que vingt ans seulement, et
l'un des
navires de Magellan effectuera le tour du monde6 (1520-1524).
Oui, donc, à qui appartiendront ces terres nouvelles ? Aux Espagnols ou
aux Portugais ? Ils sont les seuls rivaux en lice. Le dilemme
est soumis à
l'arbitrage du chef de la Chrétienté, « Sa Sainteté »
Alexandre VI Borgia.
Mais ce Borgia est un Espagnol. La Bulle pontificale
du 4 mars 1493 avantage par trop son pays natal. Les Portugais protestent.
Le traité de Tordesillas, signé le 7 juin 1494 par les
Rois Catholiques et
Jean II du Portugal, déplace la limite fixée par
Alexandre VI. Les terres
situées au-delà de 370 lieues à l'ouest du
méridien des Açores et des îles du
Cap-Vert seront espagnoles. Jusque-là, elles seront portugaises.
Ce Tordesillas7 est bien lointain. Il s'est effacé lui aussi. Il n'a pas
moins
fait date. On parle portugais au Brésil et espagnol au Mexique
ou au Pérou à
cause de lui.
Et les Français ?
Nul n'a songé à eux dans ce curieux partage entre cousins de la
péninsule
ibérique. Peut-être est-ce aussi un peu leur faute. Fidèles au
passé issu des
Croisades, Charles VII et Louis XI regardaient encore
vers les Échelles du
Levant. Marseille était leur port. Charles VIII s'est
laissé prendre au mirage
italien. Et les soucis internes n'ont pas
manqué : liquider les séquelles du
conflit avec les Anglais, lutter contre
la Maison de Bourgogne, diminuer les
prétentions des féodaux8...
François Ier, nouveau roi très chrétien en 1515, voit plus loin que
ses
prédécesseurs. Le bel Angoumois n'est pas satisfait du duo joué à
Tordesillas. Il ne se gêne pas pour le dire : « Le soleil luit pour moi
comme
pour les autres. Je voudrais bien voir la clause du testament
d'Adam qui
m'exclut du partage du monde. »
Bien entendu, il clame moins haut son arrière-pensée.
Pourquoi ce partage du monde profiterait-il essentiellement à son
principal adversaire : le puissant Charles Quint qui le prend en
tenailles
entre les Flandres, les provinces germaniques et les Pyrénées ?
L'or et les
trésors des Amériques que les galions espagnols ne cessent
de rapporter
doivent aussi se déverser dans la cassette du roi de
France.
Jean Ango le pense aussi. Ce riche et puissant armateur dieppois,
bien
introduit à la Cour, a également intérêt à ce que ses navires
reviennent les
cales bien remplies.
François Ier et Jean Ango commencent à regarder l'Atlantique et à
oublier
Marseille. Ango développe sa flotte. François Ier fonde « Ville
Française »
bientôt « Le Havre » pour avoir un port sur la mer
océane.
Un dessein de départ mûrit peu à peu, mais où aller exactement
porter
l'emblème à fleurs de lys ?
La tradition explique en partie l'avenir. Les pêcheurs dieppois, bretons,
basques même, ont l'habitude de s'en aller pêcher sur les bancs
de Terre-
Neuve. (Ils auraient sans en avoir conscience découvert
l'Amérique du Nord
avant Colomb9.) L'Atlantique nord n'est pas
pour des marins français une
voie tout à fait inconnue. La sécurité,
tout autant, recommande de préférer
les routes nordiques. Au sud,
dans les mers chaudes, Espagnols et Portugais
sont quasiment chez
eux. Les corsaires de Charles Quint guettent les
navires français.
Il y a enfin un traître à la cour de France, le responsable de la
Marine en
personne, l'amiral Brion Chabot. Le roi du Portugal, à
grand renfort d'écus,
en a fait son homme lige. Brion Chabot oriente
les visées françaises là où il
estime ne pas gêner les Portugais.
François Ier est ainsi conduit à diriger ses efforts vers l'Atlantique
nord et
des pays de même latitude que la France. On est en droit
d'escompter y
trouver le même climat. Ce choix sera décisif pour l'avenir.
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UN GRAND SIÈCLE
Le 1er janvier 1600, il n'y a donc rien ou presque rien. Quelques
escales
de pêcheurs sur les côtes de Terre-Neuve. Un comptoir marseillais pour la
pêche au corail au Bastion de France, près de la Calle.
De-çi, de-là,
quelques individualités, commerçants ou flibustiers, qui
bataillent pour leur
compte. La France coloniale n'existe pas.
Un siècle plus tard, le gros de l'ouvrage est réalisé. Ce que l'on
appellera
le premier empire colonial a pris forme. La France tient le
Canada, le cœur
de l'Amérique du Nord, une bonne partie de Saint-Domingue et des
Antilles. Elle est présente au Sénégal, à Madagascar,
en Guyane et apparaît
dans l'océan Indien. Le travail réalisé est
immense, œuvre d'une poignée
d'hommes à Paris et sur le terrain.
Cette histoire, riche d'intelligence, d'héroïsme mais aussi d'erreurs
– pour
ne pas dire plus – ne peut être décrite en quelques pages.
Expliquant
d'autres lendemains, elle mérite d'être rapportée même
sommairement. Du
Saint-Laurent au Canada à Port-au-Prince en
Haïti, il en reste une trace que
le temps n'a pas altérée.
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Christophe Colomb a abordé le Nouveau Monde dans un îlot des
mers
chaudes, au sud de la pointe de la Floride. Ses expéditions ultérieures, ses
successeurs, permettent de découvrir tous ces paradis tropicaux qui
jalonnent la mer des Caraïbes. La température y er douce,
la nature
généreuse.
Et les Français ne sont pas les premiers à les apprécier. Sans doute
est-ce
mieux pour leur mémoire. Encore que...17 ! Les nouveaux venus,
espagnols,
hollandais, anglais, apportent leurs maladies et leurs tares.
La variole
double l'effet des méthodes expéditives. Les populations
indigènes
précolombiennes, les Caraïbes, sont décimées. Les îles se
vident. Elles
devront recevoir un nouveau peuplement.
Les Français ont donc du retard par rapport aux autres Européens.
Ce
n'est qu'en 1625 qu'ils commencent à s'installer à Saint-Christophe,
bien
située à la jonction des grandes et petites Antilles et qui sera une
bonne base
de départ. (Les Anglais sont déjà à la Barbade, à Antigua ; les Espagnols à
Hispaniola – Saint-Domingue – à Porto-Rico.
à la Jamaïque, à Cuba.)
En 1635, Olive et Duplessis, lieutenants de l'Esnambuc, gouverneur
de
Saint-Christophe, prennent possession de la Martinique et de la
Guadeloupe
pour le compte de la Compagnie des Iles d'Amérique.
Progressivement, tout
un archipel devient français avec la Martinique,
la Guadeloupe mais aussi la
Grenade, les Grenadines, Saint-Vincent,
la Dominique, Tobago, Saint-
Barthélémy, Marie-Galante, les Saintes,
Sainte-Lucie, Saint-Martin, Sainte-
Croix, la Désirade18.
A partir de 1674, l'ensemble, tout comme le Canada, passera à la
Couronne.
Serait-ce l'effet du soleil des tropiques ? Le regard découvre des
tableaux
romanesques. Corsaires à pavillon noir frappé d'une tête de
mort. Grands
escogriffes à ceinture de flanelle et bandeau sur l'œil
brandissant de
gigantesques coutelas. Grappins lancés pour l'abordage
de galions ventrus.
Coffres éventrés sur le pont pour le rituel partage
au pied du grand mât.
Capitaines brigands mais gentilshommes
saluant les prisonnières...
La réalité n'est pas si loin de la fiction en l'île d'Hispaniola devenue
Saint-Domingue. Pendant un demi-siècle, flibustiers et boucaniers hantent
les lieux.
En 1629, une poignée de Français ont été chassés de San Cristobal.
L'alizé les a conduits sur une rive de Saint-Domingue. La grande île (près
de 80 000 km2) est quasi déserte. Les Espagnols ont fait le vide et ont
déserté ce sol dépourvu d'or et d'argent. A peine tiennent-ils quelques
positions dans la partie orientale. Seules, des multitudes de
bovins errent en
liberté. Sur cette terre bien arrosée, ces animaux, introduits par les
Castillans, se sont multipliés. La richesse est là. Dans
la chasse pour les uns,
comme elle est dans la flibuste pour les autres.
Les boucaniers traquent les bêtes, les tuent, les dépècent. Ils sèchent
les
peaux. Sur le boucan, sorte de large claie, ils fument les viandes. Dans des
pots de terre, ils conservent les graisses. La vente aux équipages de ces
peaux, viandes et graisses, leur autorise un fructueux
négoce. L'île de la
Tortue, petit promontoire au nord-ouest de Saint-Domingue, est leur base.
Les flibustiers, entre deux équipées, aiment
s'y retrouver.
Tous ces écumeurs de mer où tout se mêle, mauvais garçons et
aristocrates de bonne condition, détroussent les navires espagnols et
anglais,
pillent les rivages. Le brigandage est leur compagne, la surprise leur règle,
la bravoure leur code. Ils ne sauraient se rendre. Une
corde leur est promise
au bout d'une vergue.
Le métier ne doit pas manquer de charme. Boucaniers de terre
ferme,
flibustiers de haute mer, recrutent aisément. Ils sont presque
tous d'origine
française. On se le dit de Nantes à Mortagne. Cette
présence, pendant une
bonne partie du XVIIe siècle, assure une « colonisation » d'un style
particulier. Elle n'est pas moins française de sang
et de langue.
A partir de 1657, un ancien officier du régiment de marine, Bertrand
d'Orego, s'attache à remettre dans le droit chemin tous ces
« coquins » ! Des
orphelines venues de France épousent les rudes boucaniers. Des Bretons,
des Angevins, débarquent. A la mort d'Orego,
en 1677, Saint-Domingue
compte près de 5 000 blancs.
Les flibustiers eux-mêmes se lassent de cette vie de maraude en
marge de
la société. Le roi, de son côté, prend conscience de leur
force. Des officiers
royaux les enrôlent et leur donnent des lettres de
commission. Les terribles
pirates se muent en valeureux corsaires au
service de Sa Majesté. Les îles
leur doivent leur défense dans les
guerres contre Anglais et Espagnols.
Tout se termine presque bien. Le traité de Ryswick qui met un
terme à la
guerre de la Ligue d'Augsbourg, reconnaît, indirectement,
la suzeraineté
française sur la partie occidentale de Saint-Domingue.
Le futur Haïti est en
puissance. Sa richesse contraste bientôt avec la
pauvreté de la partie
orientale de l'île restée espagnole et laissée à
l'abandon. Résidants, dits
« habitants », engagés contractuels, esclaves
noirs africains, mettent le pays
en valeur. En peu d'années, Saint-Domingue s'affirme comme le joyau de
l'empire colonial de la France
monarchique.
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GORÉE, L'ILE AUX ESCLAVES
A moins de vingt minutes de traversée des jetées et des docks de
Dakar
« la moderne », Gorée émerge face à la pointe du Cap Vert.
Quelques
centaines de mètres de longueur. L'îlot n'a pas grande étendue.
Le sable de la petite plage crisse sous les pas. Les pêcheurs y ont
halé
leurs pirogues. Le piéton se sent chez lui dans les venelles aux
vieux noms
français. De-ci, de-là, un balcon de bois évoque une
demeure d'un autre âge.
Au centre de l'île, l'église du XVIIe siècle a la
lourdeur d'un temple grec. Au
faîte de la butte qui domine l'océan,
d'antiques bombardes pointent vers le
couchant en une garde inutile.
Sur la place, devant la mairie, sur le terre-plein prolongeant la jetée,
les
gamins rieurs se poursuivent avec malice. Les filles sont belles et
chaloupent avec grâce. Les hommes, à la haute stature, ont la poignée
de
main avenante et le regard droit.
Gorée est un havre de paix. Nulle voiture ne dépare les lieux. Nulle
cheminée d'usine n'altère le paysage. Le touriste peut s'y croire projeté
des
siècles en arrière. Qui pourrait supposer que cette terre de quiétude
présente
fut jadis, pour beaucoup, synonyme de détresse et de mort ?
Vestiges de ces temps, la Maison des Esclaves1 en porte témoignage.
Dans cette enceinte carrée, dressée en bordure de mer, des centaines
d'infortunés croupissaient dans l'attente du départ. Enchaînés, coupés
de la
lumière du jour, à peine nourris, ils se tassaient sur les quelques
mètres
carrés des cellules ouvrant sur la cour centrale. Beaucoup mouraient avant
même de s'engager dans l'étroit couloir conduisant au
navire amarré au
ponton au pied du bâtiment. Ultimes pas sur la terre
natale avant que le
négrier, les soutes pleines de « bois d'ébène », ne
hisse les voiles, cap à
l'ouest.
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QUELQUES ARPENTS DE NEIGE
Le siècle dit des Lumières s'ouvre sur une disparition.
Le 14 septembre 1715, le Roi-Soleil s'éteint. Son arrière-petit-fils, Louis
quinzième du nom, un enfant de cinq ans, assure une succession difficile.
La France sort de la guerre et elle a souffert.
Ce roi au long règne (1715-1774) a mauvaise presse. La France
oublie
qu'il lui a apporté la Lorraine et la Corse et qu'en dépit des
conflits il lui a
épargné l'invasion étrangère sur le sol métropolitain.
Elle ne se souvient que
d'une rupture de contrat.
La monarchie capétienne et ses grands commis ont tradition et mission de
façonner et de guider le pays. Le sens du devoir et des responsabilités s'est
toujours voulu l'honneur des rois. Louis XV déroge
à cette règle, pacte
tacite entre le prince et son peuple. Tout à ses
plaisirs et à ses insouciances,
il ne paraît plus incarner l'autorité et le
pouvoir. Il n'est plus le timonier qui
barre la nacelle. Il est l'artisan
auquel la conscience professionnelle fait
défaut.
Pour cette raison essentielle et parce qu'il est le chef, Louis XV se
présente donc en responsable numéro un du sort malheureux réservé
au
domaine colonial sous son règne. L'objectivité impose de relever
qu'il n'est
pas le seul coupable. Il est d'autres causes et d'autres responsabilités.
La France des Montesquieu, Voltaire, Diderot n'a plus pour les
colonies
le regard de Colbert ou de Seignelay.
Montesquieu juge en économiste : « L'effet ordinaire des colons est
d'affaiblir les pays d'où on les tire sans peupler ceux où on les envoie1. »
Voltaire, pas toujours inspiré en politique, lui qui préfère le « despotisme
éclairé » à la monarchie traditionnelle2, est plus acerbe : « Je
voudrais que le
Canada fût au fond de la mer glaciale même avec les Révérends Pères
Jésuites de Québec. »
L'abbé Raynal, auteur à succès d'une Histoire philosophique et politique
des Européens dans les deux Indes, s'en prend au colonisateur : « rampant
quand il est faible, violent quand il est fort, pressé d'acquérir, pressé de
jouir, capable de tous les forfaits ».
Il n'hésite pas à écrire du colonialisme : « Toutes les pages en sont
teintées de sang. »
Quant à Bernardin de Saint-Pierre, romancier écologiste à la mode,
il se
croit obligé de surenchérir avec une bonne foi toute patriotique : « Je croirai
avoir rendu service à ma patrie si j'empêche un seul honnête homme d'en
sortir et si je puis le déterminer à y cultiver un
arpent de plus dans quelque
lande abandonnée. »
L'Encyclopédie, pour sa part, prophétise purement et simplement la
fin
des colonies : « L'intérêt des colonies est de se rendre indépendantes. Elles
tâcheront de le devenir toutes les fois qu'elles n'auront
plus besoin à
protection. »
Diderot pose une question qui est déjà une réponse : « Si un Taïtien
débarquait un jour sur vos côtes et si il gravait sur une de vos pierres
ou sur
l'écorce d'un de vos arbres : Ce pays appartient aux habitants
de Taïti, qu'en
penserais-tu ? »
Il ne faut donc pas s'étonner que les Français deviennent réticents
devant
le fait colonial. Ils admettent volontiers que « la France peut
être heureuse
sans Québec », ils sont casaniers et peu motivés pour
s'expatrier et s'en aller
peupler des terres nouvelles. Ils ont, il est vrai,
des circonstances
atténuantes.
Pourquoi déserter la douce France pour la vallée du Saint-Laurent
et son
austère climat ? Le littoral nord-américain, par contre, ne cesse
de recevoir
des flots d'immigrants britaniques qui trouvent, en comparaison, un ciel
beaucoup plus agréable que le leur. Au milieu du XVIIIe
siècle, ils sont ainsi
près d'un million des côtes de Virginie à la Nouvelle-Écosse. Les Canadiens
français sont à peine soixante mille, chiffre
atteint grâce à un taux de
natalité exceptionnel3.
Tout cet ensemble, carence royale, désaffection de l'élite et de la
masse,
serait déjà en lui-même suffisant, s'il n'y avait pas de surcroît
l'environnement international. La France est d'abord une nation
continentale. Le danger surgit en premier lieu de ses frontières du Rhin et
du Nord. Elle doit penser à se défendre avant de songer à secourir ses
possessions lointaines.
Pauvres colonies ! Elles sont bien isolées. La marine de Colbert n'est
plus
là pour les défendre. L'Angleterre protestante de la Maison
d'Orange,
l'Angleterre aux dents longues des marchands de la City,
l'Angleterre de
l'indomptable Pitt4, aspire à l'hégémonie outre-mer et
à la disparition de ses
rivaux en religion et en négoce.
En l'absence de personnalités susceptibles de renverser le cours des
événements, le destin d'une partie de l'empire colonial français, dans
de
telles conditions, apparaît inéluctable.
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En Europe, cependant, les belligérants sont las d'une guerre qui n'a
que
trop duré surtout pour le commerce britannique. La négociation
s'impose.
Hélas, contrairement aux espoirs de la Cour, la guerre continentale n'a été
qu'à demi favorable à la France.
Le traité de Paris, le 10 février 1763, est une des dates noires de
l'Histoire
de France. Il sonne le glas du premier Empire colonial français.
En Europe, l'essentiel est préservé, mais, outre-mer...
Saint-Domingue n'est pas touchée. La Martinique, la Guadeloupe
sont
restituées ainsi que la petite île de Sainte-Lucie. L'opinion est
satisfaite. Les
bons esprits se félicitent. Les colonies qui « rapportent »14 sont sauvées. La
France retrouve aussi Saint-Pierre-et-Miquelon, alors déserts, et des droits
de pêche sur les bancs de Terre-Neuve.
Les ports du littoral de la Manche et
de l'Atlantique pourront poursuivre leur activité.
A quel prix, en contrepartie !
L'Espagne, alliée de la France, reçoit un dédommagement. Elle
abandonne la Floride à l'Angleterre et Paris lui cède la rive droite de
la
Louisiane avec La Nouvelle-Orléans et Mobile. C'est faire vite abstraction
des sentiments des colons français installés là-bas.
L'Angleterre, royalement servie, devient une grande puissance coloniale
au détriment de la France. Elle obtient :
– le Canada y compris l'île Royale (île du Cap-Breton) ;
– la rive gauche du Mississippi avec la Salle des Illinois ;
– la Dominique, Saint-Vincent, la Grenade, Tobago ;
– les comptoirs d'Afrique occidentale (sauf Gorée) ;
tous, terres à peuplement français ;
– les Indes.
Car il y avait aussi les Indes, à plus de 3 000 km à l'est du Cap de
Bonne-
Espérance !
LES INDES – L'INDE FRANÇAISE
Car il y avait aussi l'Inde française.
L'Inde ou les Indes ? On ne sait plus, tant cette histoire est compliquée à
souhait. L'aventure coloniale française y est à l'image du pays.
Tout se mêle.
Tout s'embrouille.
L'Inde, cette gigantesque1 canine plantée dans l'océan Indien, est
un
damier. Ethnies, croyances, langues, États s'y croisent et s'enchevêtrent. La
nature tropicale largement baignée par le flot généreux de
la mousson a de
tout temps drainé des populations prolifiques, aux
civilisations contrastées.
La sagesse du Bouddha s'oppose à la ségrégation du Brahmanisme et de ses
castes, véritable « apartheid » avant
l'heure. L'Islam importé par le
conquérant mongol ou afghan a largement recouvert les bassins du Gange et
de l'Indus. L'Inde, en dépit
de son isolement géographique (la mer au sud, la
montagne au nord),
n'a pas d'unité politique, religieuse ou culturelle quels
que soient ses
trésors artistiques et ses richesses naturelles.
Qu'importe ! L'Inde, et avec elle tout cet Extrême-Orient, de Cathay
à
Cipango2, fascine. Les esprits européens rêvent de ces contrées fabuleuses
d'où proviennent : « rubis de Ceylan, émeraudes de la Perse,
perles
d'Ormuz, muscade de Bantam3, clous de girofle des Moluques,
poivre et
gingembre de l'Inde ».
Pour accéder à cet univers oriental si prometteur, la route terrestre
est
longue, incertaine, interdite même parfois. Les Portugais, les premiers, ont
forcé la voie maritime. Bartholomé Diaz a doublé le cap
de Bonne-
Espérance et en 1498, Vasco de Gama a mouillé devant
Calicut, sur la côte
de Malabar, dans la mer d'Oman. Vasco de Gama,
Albuquerque et leurs
successeurs se regardent chez eux. Ils s'imposent,
par le fer et par le sang, à
l'Espagnol. Gao devient la métropole de
leur nouveau fief qui essaime ses
comptoirs sur tout le pourtour de la
péninsule. Le XVIe siècle, dans l'océan
Indien, est le siècle des Portugais.
Leur déclin4 permet aux autres Européens de s'aventurer progressivement
vers l'Extrême-Orient. Si les Espagnols ont leurs préoccupations
américaines, les Anglais et les Hollandais ont les coudées
franches. Les
premiers s'établissent à Surate, à Madras et sur le pourtour du Dekkan. Les
seconds s'aventurent encore plus loin, par-delà
Sumatra et Bornéo, jusqu'à
Formose, non sans s'être assurés de
bonnes escales à Surate, Cochin et
Ceylan.
Voici enfin les Français ! On l'a dit, dans leur aventure indienne,
tout
s'embrouille, tout se mêle. Le grand fil de l'Amérique du Nord
française
n'existe pas. Là-bas, tout était clair : une implantation sur le
Saint-Laurent
et les Grands Lacs. Une poussée sur le Mississippi jusqu'au golfe du
Mexique. Une rivalité franco-anglaise où la loi du
nombre finit par
l'emporter. Dans cet univers, quelques hautes figures,
personnages de
devoir : Champlain, le père Marquette, Cavelier de La
Salle, Montcalm et
d'autres. Derrière eux, un peuplement héroïque
dans sa modicité et
confronté à des populations de souche, peu importantes et réduites au rôle
d'auxiliaires.
Dans l'Inde, rien de tout cela. L'action est partout et nulle part. La
bataille
paraît perdue et elle reprend. Les chefs n'ont pas la belle carrure de leurs
homologues canadiens. L'élément européen transplanté
est marginal. Les
aventuriers abondent. Les soldats locaux sont les
gros bataillons. De leur
engagement dépend, en bonne partie, le sort
de la lutte. Le profit, plus que
la domination territoriale, en reste la
finalité profonde. Ceux qui l'oublient
le paient. Dans cet écheveau
emmêlé, il n'est guère de trame hormis
l'éternelle constante de l'hostilité anglaise.
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Dupleix est parvenu au faîte de sa puissance. « Souvent, dit Voltaire, les
Indiens le traitent de roi et sa femme de reine... Les plus
grands seigneurs
en Europe n'ont ni autant de pouvoir, ni autant de
splendeur. »
Mais « la roche Tarpéienne est près du Capitole », rappelaient les
Romains.
Les Français sont bloqués devant Trichinopoly19. Appuyés par les
Anglais, Muhammad Ali, le souverain local, refuse l'allégeance à
Dupleix.
Le siège s'éternise (1751-1753), sanctionné en juin 1752 par
un lourd
revers. Law de Lauriston, neveu du trop célèbre financier,
est battu et
capitule en rase campagne avec 35 officiers, 650 Européens
et 300 Cipayes.
Paris s'émeut.
Dupleix n'est pas aux Indes pour faire la guerre mais pour faire de
l'argent. La Compagnie veut des bénéfices et non des dépenses.
Louis XV
et Machault, son ministre, en paix – pas pour longtemps
– avec l'Angleterre,
souhaitent la préserver. Le différend en Inde, par
compagnies interposées,
ne peut qu'envenimer les relations. Le rappel
de Dupleix est décidé.
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1 3 000 000 de km2.
2 Chine, Japon.
3 L'Indonésie.
4 Qui a, est-il à rappeler, deux origines essentielles : la faiblesse intrinsèque de
la population
portugaise (conquêtes et expéditions lointaines vident le Portugal de
sa sève. Il passe d'un million à
cinq cent mille habitants) ; le rattachement du
pays à l'Espagne en 1580.
5 1638 : naissance de Louis XIV. 1643 : mort de Louis XIII.
6 Un village, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Saint-Denis a gardé
ce nom de La
Possession, en souvenir de l'endroit où s'est jadis déroulé l'événement.
7 La Réunion compte actuellement 500 000 habitants, soit une densité très élevée.
8 Elle n'est que la troisième du nom. Des compagnies des Indes, sans grands
lendemains, avaient
déjà existé sous Henri IV et Louis XIII. En 1719, elle sera
absorbée par la compagnie française des
Indes fondée par Law. Elle sera définitivement supprimée par la Convention.
9 L'Ile Maurice – 1 865 km2 – reconnue par les Hollandais, est occupée par
les Français en 1715 et
prend le nom d'Ile de France gardé jusqu'en 1815, date
où elle devient possession britannique. Elle
est indépendante depuis mars 1968.
10 Aurangzeb (1618-1707), regardé comme le Louis XIV indien.
11 Inde péninsulaire au sud de la Plaine indo-gangétique.
12 Ce clivage – pour ne pas dire cette opposition – entre Inde musulmane
et Inde brahmaniste
éclatera en 1947 lors de l'accession à l'indépendance. Non
seulement le pays éclatera (Inde et
Pakistan), mais il se déchirera en massacres
fratricides (de 5 à 7 millions de morts).
13 Un peu au sud de Madras. Principal établissement européen à l'époque.
14 Région littorale couvrant le sud-est de la péninsule indienne.
15 Gouverneur (ou approchant).
16 Arrivé à Pondichéry en 1722.
17 C'est-à-dire commerce non pas avec la métropole mais avec les autres
comptoirs de l'océan
Indien ou l'Indonésie.
18 La Bourdonnais, mis en accusation à son retour, sera envoyé à la Bastille
d'où il ne sera libéré
que peu de temps avant sa mort. Réhabilitation officieuse
ou omission involontaire de la vérité
historique, Paris honorera La Bourdonnais
au même titre que Dupleix. L'un aura son avenue et l'autre
sa station de métropolitain. (... Dupleix aura droit à une caserne de plus dans le XVe arrondissement.)
19 Aujourd'hui, Tiruchirapalli. Dans le delta de la Kaveri, à 200 kilomètres au
sud-ouest de
Pondichéry.
20 Il eut au maximum deux mille soldats européens.
21 Guillaume Ier d'Orange, dit le Taciturne (1533-1584), stathouder de Hollande, auquel on prête
la fameuse maxime rapportée.
22 Rentré à Paris, Dupleix vivra en retrait non sans réclamer à la Compagnie
le remboursement
des sommes qu'il avait avancées sur sa cassette personnelle. Il
tentera quelques coups financiers pour
se « refaire » et mourra ruiné en 1763,
laissant 10 millions de livres de dettes.
23 Qui s'était déjà manifesté devant Trinichopoly.
24 Pondichéry connaîtra de nombreux sièges : en 1693, sous Martin ; en 1744,
sous Dupleix ;
en 1760-1761, sous Lally-Tollendal ; en 1878, sous Bellecombe.
25 Louis XVI, par la suite, cassera la sentence et réhabilitera Lally-Tollendal.
26 En 1757, après la chute de Chandernagor, Jean Law avait pris le maquis,
au sens moderne du
terme, et avait pu tenir quatre ans contre les Anglais dans
la vallée du Gange. Il est le père du
maréchal Alexandre de Lauriston.
27 Ce Bellecombe fut au Canada un soldat particulièrement valeureux, plusieurs fois blessé et
rescapé par miracle.
28 A cette occasion, le roi récupère Lorient et les Iles (Bourbon et Ile de
France), propriétés de la
Compagnie.
29 Ces personnages hauts en couleur reviendront pour beaucoup finir leurs
jours sur leur terre
natale où très souvent les honneurs ne leur manqueront pas.
On peut ainsi lire dans un petit cimetière
breton :
« Ci-gît Madec Colonel
Chevalier de Saint-Louis
Nabab en Asie. »
Belle épitaphe pour un ancien matelot déserteur ! Un cas confirme la règle.
Intègre et patriote, le
colonel Gentil, authentique officier, restera pauvre. La Révolution lui ayant enlevé sa pension, il
mourra dans la misère en 1799.
30 Sous-officier avant la Révolution.
31 Barras avait alors vingt-sept ans. On connaît son rôle sous le Directoire.
Bernadotte, futur
maréchal d'Empire et roi de Suède, avait dix-neuf ans.
32 Les Américains avaient, du reste, exclu cette restitution dans l'accord initial.
Anglo-saxons et
protestants, ils préféraient garder un voisinage à leur ressemblance.
33 Les Argentins devaient être moins heureux devant les Anglais, deux siècles
plus tard.
34 Environ 1 000 km au nord de la Nouvelle-Calédonie.
35 Le sort de La Pérouse ne sera éclairci qu'en 1827 et 1828 par l'Anglais
Dillon et le Français
Dumont d'Urville.
36 Sur une population totale de 800 000 âmes dont 35 000 hommes de couleur
libres
et 700 000 esclaves (500 000 à Saint-Domingue).
37 Bien inférieures toutefois à celles de l'Angleterre au Canada, à Terre-Neuve,
en Inde, en
Australie, en Nouvelle-Zélande, à la Jamaïque, aux Bahamas, en
Afrique, etc.
Chapitre VII
PÉRISSENT LES COLONIES
PLUTÔT QU'UN PRINCIPE !
Au matin frileux du 21 janvier 1793, la tête du citoyen Capet, dit
Louis
XVI, tombe dans le panier de la machine du sieur Guillotin. La
Révolution
française, en quelques mois, balaie près de mille ans de
monarchie. Dans
son sillage, trois principes lancés à la face du
monde : Liberté-Égalité-
Fraternité. De tels préceptes ne peuvent pas
être sans répercussions aussi
bien à Paris que dans les possessions
d'outre-mer. Qui peut, en effet,
affirmer de bonne foi, par exemple,
que la liberté et plus encore l'égalité et
la fraternité s'épanouissent
dans les Caraïbes et les Antilles ?
Les nantis exploitent sans vergogne les mal lotis. Le commerce
triangulaire, bien qu'atténué, persiste et la fortune des Iles repose sur les
plantations sucrières, domaine par excellence de la main-d'œuvre tirée
des
profondeurs africaines.
Le 4 août 1789, la nuit fraternelle de la Constituante a vu l'abolition
des
privilèges. Ce qui est réalisé, en théorie du moins, en métropole,
doit
pouvoir s'effectuer aussi dans la France lointaine. Certains des
fameux
Cahiers des États généraux, rédigés au début de 1789 et censés
exprimer les
revendications et aspirations populaires, faisaient déjà
allusion à
« l'abolition de l'esclavage ». Le Tiers État d'Amiens écrit :
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Au soir du 18 Brumaire an VIII (10 novembre 1799), quelques
escouades
de grenadiers appelés à la rescousse par Lucien Bonaparte,
président des
Cinq-Cents, ont tôt fait d'expulser sans ménagements les
tenants de la loi de
leurs fauteuils. La cause est entendue. Napoléon
Bonaparte impose son
autorité à la France pour quinze ans. Quinze
années qui compteront dans
l'Histoire.
Dans la corbeille de l'héritage du sulfureux Directoire il y a de tout.
En
particulier, une France en guerre. Cette situation n'est pas sans
incidences
sur les colonies, du moins sur ce qu'il en reste. Comment
le petit général
corse pourrait-il les oublier ces colonies, lui qui a pour
femme, une certaine
Joséphine veuve de Beauharnais, née Tascher de
la Pagerie, créole de la
Martinique ?
Bonaparte est un homme d'ordre. Il n'apprécie pas les situations
troubles.
De bons esprits, Joséphine de Beauharnais en premier, ne se
gênent pas
pour lui souffler l'origine des maux qui ont ravagé Antilles
et Saint-
Domingue : la suppression de l'esclavage. Elle seule a permis
la révolte de
la masse noire, l'intronisation du pouvoir de Toussaint-Louverture et par là-
même la disparition des richesses des plantations.
La Constitution de l'an VIII qui intronise le Consulat et les textes
afférents donnent satisfaction à Joséphine et à quelques autres. Les
territoires d'outre-mer retrouvent sensiblement le statut qui était le leur
sous
l'Ancien Régime. L'esclavage n'est plus prohibé. Encore faut-il
pouvoir
l'imposer.
A Saint-Domingue, Toussaint-Louverture poursuit son règne devenu
officiel. Il ne manifeste toujours pas d'hostilité envers la France. Au
contraire. Il accepterait une aide et une alliance à condition de respecter son
autonomie. Sa missive au Premier Consul se veut courtoise
mais explicite :
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PREMIERS JALONS AFRICAINS
(1816-1848)
1815. Le brasier s'est éteint. La flambée révolutionnaire, le tourbillon
impérial, sont retombés. Dans l'escarcelle de la France, outre les
éclopés, il
est surtout de grandes brassées de souvenirs et de légendes
appelés à
reprendre vie.
La France de 1815, celle de l'après-Waterloo, retrouve « un roué »,
le
podagre Louis XVIII, frère du malheureux Louis XVI, et un territoire
ramené à ses frontières de 1789. Des conquêtes des armées de
Sambre-et-
Meuse ou des grognards du Petit Tondu il ne reste rien.
Les frontières
naturelles, vieille ambition des Capétiens, ne sont plus
qu'un rêve perdu.
L'outre-mer est encore en plus mauvais état. La République et l'Empire
ont liquidé le solde de feu la précédente monarchie. De ce qui fut
un
empire, le décompte est tôt fait. Tout est occupé par les Anglais,
les
Portugais ou les Espagnols. Le pavillon français a disparu.
Bon prince (Talleyrand est passé par là), le Congrès de Vienne restitue,
sensiblement, les possessions de 1789 :
– la Martinique et la Guadeloupe,
– la Guyane (occupée par les Portugais),
– les comptoirs de l'Inde,
– Saint-Pierre-et-Miquelon,
– l'île Bourbon devenue île de la Réunion sous la République et
île
Bonaparte sous l'Empire,
– les comptoirs du Sénégal,
– la partie occidentale de Saint-Domingue (mais ce n'est là qu'une
clause
de style devant la réalité de la situation existante).
Ont donc été perdus : Tobago et Sainte-Lucie dans les Antilles,
Rodrigues et les Seychelles et surtout l'île de France (devenue île Maurice).
Les Anglais n'ont pas lâché l'occasion de s'approprier une bonne
rade et un
bon port sur la route des Indes.
Et pour être complet, la France garde ses droits sur Madagascar
ainsi que
ceux de pêche sur Terre-Neuve. Par contre, et le fait n'est
pas sans
importance économique, le congrès de Vienne, sur très ferme
intervention
anglaise, a définitivement prohibé la traite.
L'ensemble paraît bien modeste. Un million d'habitants environ
dont cent
mille Français. Il n'est pas négligeable. Il replace la France
en trois
continents. Il recrée la notion de domaine colonial. Il ouvre
d'autres
horizons que ceux pour lesquels les Français venaient de guerroyer pendant
un quart de siècle. Bref, il peut préparer d'autres lendemains. A condition de
le vouloir et dans un premier temps d'y
reprendre pied.
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C'est donc plus un naufragé qu'un dignitaire qui, le 11 juillet 1816,
se
présente à Saint-Louis pour prendre possession de son fief. L'Anglais le lui
fait bien comprendre. Les palabres et les contestations se
prolongent.
Schmaltz, au nom de la France, ne recouvre Saint-Louis
que
le 25 janvier 1817 et Gorée le 15 février3.
Le Sénégal n'est pas une exception. En Guyane, les Portugais renâclent.
Le gouvernement Louis XVIII doit menacer d'employer la force.
La
réoccupation n'intervient qu'en 1818, traînant derrière elle un litige
qui
durera près d'un siècle pour la propriété du territoire entre le Cap
d'Orange,
l'Oyapock actuel et la rive nord de l'embouchure de l'Amazone (près
de 100 000 kilomètres carrés).
Dans l'océan Indien, le retour dans l'île de la Réunion (rebaptisée
île
Bourbon jusqu'en 1848) s'effectue sans incidents. Par contre, Farguhar, le
gouverneur anglais de l'île Maurice (ex-île de France, est-il
à rappeler),
s'oppose à la réinstallation des Français dans les établissements qu'ils
possédaient à Madagascar en 1792. En bon Britannique,
il a des vues sur la
Grande Ile. Le gouvernement anglais, pressé par
Paris, doit le rappeler pour
lever l'obstacle.
Partout ailleurs, aux Antilles, en Inde, à Saint-Pierre-et-Miquelon,
l'autorité française se rétablit à peu près normalement4.
Il ne reste que le cas douloureux de Saint-Domingue. Pétion, Christophe,
puis Boyer, les chefs noirs de l'île, ne sauraient admettre de
revenir sous la
dépendance française, leurs frères de race tout autant.
Un moment, Paris
songe à une reconquête militaire. Ce serait, peut-être, inquiéter l'Angleterre.
Ce serait, peut-être aussi, mal venu vis-à-vis du voisin américain.
De guerre lasse, Charles X, successeur de son frère Louis XVIII,
s'incline. Le 17 avril 1825, Villèle, son ministre, reconnaît l'émancipation de
Saint-Domingue. En contrepartie, le gouvernement haïtien
s'engage à
verser 150 millions pour indemniser les anciens colons. Chateaubriand et
une partie des Chambres critiqueront cet accord, déniant
au ministre le droit
d'abandonner une partie du territoire national...
Quoi qu'il en soit, à Port-au-
Prince, une page est tournée.
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ALGER OÙ TOUT
A VRAIMENT COMMENCÉ
L'incident s'est déformé. Ses conséquences ont été amplifiées. Le
coup
d'éventail a pris bon rang dans le grand syllabaire de l'Histoire
de France.
Le fait en lui-même n'en demeure pas moins une réalité.
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Bourmont, promu maréchal pour son succès, ne goûte pas longtemps des
satisfactions de sa dignité. Les Trois Glorieuses, les 27-28-29 juillet 1830,
renversent la première Restauration. La monarchie
absolue disparaît une
autre fois. Un prince bourgeois, mais dont les
fils seront de vrais soldats,
monte sur le trône. Louis-Philippe n'est
plus que roi des Français. La Charte
limite ses pouvoirs.
A Alger, créature de Charles X, Bourmont, contraint à l'exil,
s'éloigne. Le
drapeau tricolore remplace la bannière blanche sur la cité
qui n'est encore
que la kasbah aux ruelles étroites et sales.
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Les siens l'ont proclamé leur maître. Ils ne l'ont pas doté pour
autant. Abd
el-Kader, en ses débuts, n'a quasiment rien. D'État, d'armée, de trésor, de
hiérarchie, de structures, point ! Tout au plus peut-il compter sur des
guerriers courageux certes mais plus velléitaires que
disciplinés.
Avec sagesse, Abd el-Kader se donne du temps. Il signe traité avec
le
général Desmichels qui commande à Oran. Le Français, tout heureux, pense
s'être fait un allié de l'émir. Il le reconnaît. Il lui procure
des armes. Cette
trêve dans la guérilla, cette assistance, permettent à
Abd el-Kader de se
structurer. Il ébauche l'ossature d'une armée, fait
de Mascara sa capitale et
son entrepôt.
Une expédition punitive montée contre les Douairs et les Smelas,
alliés
des Français, rallume les hostilités. Trezel, successeur de Desmichels à
Oran, a une haute conception de l'honneur. Il entend protéger ses amis et
châtier leurs ennemis. Trezel est un brave soldat. Il
l'a prouvé. Il le
prouvera14. Le sens tactique lui échappe parfois. Il
lance contre Abd el-
Kader une colonne trop lourde. Le 26 juin 1835,
le long des berges de la
Macta, au sud d'Arzew, il subit un désastre
sanglant.
La frénésie de pillage de ses cavaliers interdit à Abd el-Kader d'exploiter
son succès, mais il tire prestige de cette victoire. Le contrôle
de la majeure
partie de l'Oranie lui paraît acquis.
L'arrivée de Clauzel, nommé une seconde fois en Algérie, remet tout
en
question. Bertrand Clauzel (1772-1842) est un audacieux. Il va de
l'avant. Il
voit grand. Le premier, il prend une vision globale de l'affaire algérienne.
Installé à Alger, Bône et Oran, il compte se servir de
ces bases de départ
pour s'enfoncer dans l'intérieur, abattre les résistances quelles qu'elles
soient, dominer l'ensemble algérien15. La présence à ses côtés du duc
d'Orléans, fils du roi, venu en Algérie
saupoudrer de gloire sa tunique, ne
peut qu'attiser son ardeur naturelle.
A l'automne 1835, Clauzel, avec un solide détachement, s'engage
dans
l'arrière-campagne oranaise. Il défait Abd el-Kader, prend Mascara sa
capitale et ne pouvant la conserver à cause de la saison et de
ses effectifs,
livre la ville aux flammes. L'Émir, vainqueur hier, se
retrouve défait et
abandonné.
Quelques mois plus tard, il subit un autre revers. Envoyé par Louis-
Philippe avec des renforts pour dégager une garnison française bloquée
sur
les plages à l'embouchure de la Tafna, le général Bugeaud lui
inflige une
rude défaite à la Sickack (6 juillet 1836). L'Émir perd la
meilleure partie de
son infanterie. Mais il n'a pas un tempérament à
renoncer. Replié dans
l'intérieur de l'Oranie, il se remet à l'ouvrage
pour se forger une nouvelle
armée. Ainsi sera toujours Abd el-Kader.
Battu mais non abattu, il se relève.
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Clauzel était en France, parti solliciter des moyens, lors des événements
de la Sickack. Rentré à Alger, il reprend son plan. Hélas, pour
lui, il n'a rien
obtenu à Paris. Il agit un peu en franc-tireur avec les
seules troupes dont il
dispose. Unique soutien de marque, le duc de
Nemours, autre fils du roi,
volontaire pour l'accompagner dans sa
marche sur Constantine.
Constantine, l'ancienne Cirta, nichée sur son promontoire dominant
le
Rhummel, est toujours entre les mains d'Ahmed Bey, rescapé du
pouvoir
turc. La position est naturellement forte. Ben Aissa, son gouverneur, est un
chef énergique.
Clauzel a vu trop grand et trop tard. L'objectif est trop loin de sa
base de
départ. La troupe n'est pas suffisamment étoffée. Pluies glacées
ou neiges
de novembre sont au rendez-vous des Hauts plateaux. Une
armée éprouvée
et meurtrie arrive devant Constantine. L'assaut de
nuit échoue. Le repli est
un calvaire. Clauzel a perdu. Il paie le prix
de son échec. Damrémont le
remplace avec des consignes de prudence.
Au printemps de 1837, l'intérêt se transporte, de nouveau, en Oranie,
« fief » d'Abd el-Kader. Bugeaud est de retour en Algérie comme
commandant en titre à Oran. Il connaît les directives ministérielles :
prudence, conciliation. Lui-même ne croit pas en une Algérie française.
Il
renoue avec son adversaire de la Sickack, en élargissant les bases
de
l'ancien traité Desmichels. Le 30 mai 1837, non loin des rives de la
Tafna
d'où le nom du traité signé alors – le lieutenant général
Bugeaud et l'Émir
Abd el-Kader s'engagent mutuellement à amitié et
alliance.
Abd el-Kader a la partie belle. Il administrera la province d'Oran,
celle du
Titteri (Médéa) et une partie de celle d'Alger. Il pourra acheter armes et
poudre dont il a besoin à la France. Quelle reconnaissance éclatante pour
l'Émir hissé en cinq ans au rang des souverains
légitimes !
La France gagne les mains libres dans l'est algérien et obtient la
reconnaissance de la possession d'Oran, Arzew, Mostaganem, Mazagran, et
de la Mitidja16.
Bugeaud qui a agi seul, sans en référer à son supérieur hiérarchique
à
Alger, Damrémont, a-t-il, par ce traité de la Tafna, le traité « inexplicable »,
pensé trouver un statu quo assurant une paix définitive ?
C'est oublier le
djihad d'Abd el-Kader. C'est oublier le désir de gloire
des généraux et des
princes17.
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1 Hussein Dey est né à Smyrne vers 1763. Il a alors un peu plus de 65 ans. Il
mourra en Italie
en 1837.
2 Sidi Hamdan, secrétaire du dey, qui se présentait comme témoin oculaire de
la scène, a confirmé
les assertions de Deval.
3 Propos tenus en avril 1828 au lieutenant de vaisseau Bézard envoyé comme
parlementaire à
Alger. Narration faite ensuite de seconde main, par l'historien
Montgaillard, dans son Histoire de
France, depuis 1825 jusqu'à l'avènement de
Louis-Philippe.
4 Plus au Maroc. Il y a 700 km des Colonnes d'Hercule (Gibraltar) au Draa.
5 Berbères (de barbari, étrangers, c'est-à-dire ceux qui n'étaient pas romains).
Terme générique
pour désigner les habitants originels de l'Afrique du Nord.
6 El Djezair – les Iles – d'où Alger, ainsi nommée à cause de quatre îlots la
jouxtant à quelques
dizaines de brasses.
7 On sait qu'en 1453, ils ont pris Constantinople, ex-Byzance et futur Istanbul.
8 Louis de Bourmont (1773-1846), royaliste, rallié à l'Empire, avait déserté
avant Waterloo. Il fut
désigné comme commandant en chef pour des raisons politiques et sa fidélité au roi.
9 Cf. chapitre VII.
10 Le vocable « Algérie » est apparu pour la première fois dans des ordonnances royales des 1er
et 6 décembre 1831.
11 Ces Turcs sont les anciennes garnisons du bey d'Oran. Les Couloughlis sont
des métis de Turcs
et d'Algériennes. Parmi les tribus ralliées, il faut surtout mentionner les Douairs et les Smelas des
environs d'Oran.
12 Les tribus l'avaient élu sultan. Abd el-Kader avait refusé ce titre pour ne
pas heurter son
puissant voisin, le sultan du Maroc.
13 1808 est sa date de naissance la plus souvent retenue. Il aurait donc alors
vingt-quatre ans.
14 Il avait perdu un œil à Waterloo. Il sera blessé devant Constantine.
15 Clauzel, trop oublié dans l'histoire de la conquête de l'Algérie, est le vrai
précurseur de
Bugeaud, par sa vue d'ensemble et ses méthodes. Le succès ne
récompensera pas ses audaces.
16 La délimitation de la Mitidja française à l'est est floue ; elle sera une source
de conflits.
17 Une clause curieuse et secrète prévoyait le versement par Abd el-Kader à
Bugeaud
de 100 000 boudjouks, destinés à l'entretien des chemins vicinaux du
Périgord. Or, Bugeaud était
aussi député du Périgord...
18 Là sera par la suite, à Constantine, la célèbre place de la Brèche. En octobre
1958, Charles de
Gaulle y annoncera son plan dit de Constantine.
19 Ahmed Bey se réfugiera dans l'Aurès. Ben Aissa se ralliera.
20 A l'exception de la Petite Kabylie et de l'Aurès, ce dernier peu peuplé ne
représentant pas un
danger.
21 L'administration mettra du temps à suivre. Ce ne sera que le 15 avril 1845,
soit près de six ans
plus tard, que Bugeaud verra son titre de gouverneur général
des Possessions françaises dans le Nord
de l'Afrique transformé en celui de gouverneur général de l'Algérie.
22 Cet épisode est sur le fond largement gonflé. La défense de Mazagran, si
héroïque soit-elle, ne
saurait s'assimiler à Camerone ou Sidi-Brahim. Valée avait
besoin d'exploits.
Chapitre X
« ENSE ET ARATRO » – BUGEAUD
Caporal à Austerlitz en 1805, colonel en 1815, le jeune engagé de
1804 avait bien dans sa giberne son bâton de maréchal. Il devra cependant
attendre encore trente ans pour qu'il en soit ainsi.
Les Cent-Jours brisent la première carrière militaire de Thomas
Robert
Bugeaud de la Piconnerie (1789-1849). Trop de fidélité envers
l'échappé de
l'île d'Elbe. Le demi-solde Bugeaud rejoint son Périgord
natal, se marie,
cultive ses terres. Il réussit, devient un notable.
Au lendemain des Trois Glorieuses, il se porte volontaire pour
reprendre
du service. Ayant retrouvé l'uniforme après quinze années
de vie civile, il
est nommé au commandement du 56e de ligne à Grenoble. Le 6 avril 1831,
il est promu général. Simultanément – curiosité de l'époque – il est élu
député par le deuxième collège de
Périgueux. Jusqu'à sa mort, il mènera
double carrière, militaire d'un
côté, politique de l'autre.
Est-ce parce que la monarchie d'Orléans lui a permis de renouer
avec ses
rêves de jeunesse ? Le général Bugeaud se montre un fidèle.
Il accepte
d'être le gardien – certains diront le geôlier – de la
duchesse de Berry
dressée contre le trône. Il brise sans indulgence les
émeutes parisiennes.
Voici le bourreau de la rue Transnonain1.
1836 le voit vainqueur de la Sickack. En 1837, il signe à la Tafna
avec
Abd el-Kader.
A ces dates, il ne croit pas à l'Algérie française, où il a fait deux
séjours :
« Si la Restauration a cru nous gratifier d'un cadeau, je crois
qu'elle s'est
trompée. Il nous en coûtera cher pour garder ce sol
aride ».
Puis, peu à peu, il évolue. Distingue-t-il que l'Algérie peut lui réserver un
grand destin ? Les lenteurs de Valée l'exaspèrent :
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Abd el-Kader est loin de tels honneurs. Il n'a autour de lui qu'une
modeste deira. Mais s'il accepte de voir dans ses défaites la volonté
de Dieu,
il refuse l'abandon. Traqué sur sa terre natale, il se réfugie
au Maroc. Il
œuvre si bien qu'il y dresse le sultan et son frère contre
la France au nom de
la lutte contre l'infidèle. Officiellement, car le
sentiment religieux n'est pas
seul en cause. Le Maroc a des vues sur
l'Algérie occidentale. Les marches
du Tlemcenois sont un vieux rêve
d'expansion des dynasties chérifiennes.
Abd el-Kader pourrait y régner
en féal du sultan.
Au début de l'été 1844, Bugeaud, victorieux en Algérie même, se
retrouve avec une armée marocaine sur sa frontière. Cette menace, il
ne la
craint pas : « Moi, j'ai une armée. Lui, n'a qu'une cohue » affirmera-t-il à la
veille de la journée décisive.
Mais avant d'en découdre, comme toujours, il n'agit qu'à sa guise.
Paris prône la prudence. (A cause de l'Angleterre.) « Surtout pas la
guerre ! » Le gouverneur général la veut pour en finir. Il pousse à
l'action le
prince de Joinville4 envoyé avec une escadre d'intimidation.
Le prince se
laisse volontiers convaincre. Il bombarde Tanger et
Mogador. Durant ce
temps, Bugeaud rassemble les siens, l'élite de ses
lieutenants, Lamoricière,
Bedeau, Morris, Pélissier, Yusuf, Tartas, avec
leurs meilleures troupes. Il
s'avance face aux Marocains. Le gouvernement lui a prescrit de ne pas
pénétrer au Maroc. Il passe outre et
marche sur Oujda.
Dans la nuit du 13 au 14 août 1844, à la lueur d'un feu de camp,
il expose
son plan avec sa flamme coutumière :
« Je vais vous prédire ce qui se passera. Et, d'abord,
je veux vous
expliquer mon ordre d'attaque. Je donne à
ma petite armée la forme
d'une hure de sanglier. Entendez-vous bien ! La défense de droite, c'est
Lamoricière ;
la défense de gauche, c'est Bedeau ; le museau, c'est
Pélissier ; et moi, je suis entre les deux oreilles. Qui
pourra arrêter notre
force de pénétration ? Ah, mes
amis ! nous entrerons dans l'armée
marocaine comme un
couteau dans du beurre.
Je n'ai qu'une crainte, c'est que prévoyant une défaite,
ils ne se dérobent
à nos coups5. »
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Dans cette Algérie que le duc d'Isly et ses compagnons ont péniblement
conquise, tout était à faire. Sur ce sol, avant 1830, en dehors
des vestiges du
génie romain, il n'y avait rien.
Rome avait marqué son passage. La France marquera le sien deux
millénaires plus tard. Entre eux quasiment rien (une tour byzantine,
une
mosquée turque, un rempart marocain). L'Algérie a subi l'Islam.
Elle n'a
rien produit. Aucune œuvre significative. Architecture, sculpture, peinture,
littérature, sont vides. Les hommes eux-mêmes sont
absents. Aucune stature
ne se dresse face à l'immortalité sauf une, celle
d'Abd el-Kader. Pourquoi ce
néant d'une race ? L'historien, l'ethnologue recherchent mais ne trouvent
pas19
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1 Fusillés à bout portant par les émeutiers parisiens, des fenêtres, des lucarnes,
des soupiraux, les
soldats de Bugeaud avaient exterminé sans pitié.
2 Voir du même auteur, chez le même éditeur . La Conquête de l'Algérie.
3 Futur El Asnam.
4 Troisième fils de Louis-Philippe.
5 L'armée française compte 10 500 hommes et 16 canons. Les chiffres sur l'effectif marocain
varient de 30 000 à 60 000 ; 30 000 paraît le chiffre le plus plausible.
6 Du nom de l'oued Isly, affluent de la Tafna et bordant le champ de bataille.
7 150 km, environ, au sud de la côte méditerranéenne.
8 L'article IV de la convention de Lalla Marnia prévoit :
« Dans le Saham (désert), il n'y a pas de limites territoriales à établir entre les
deux pays, puisque
la terre ne se laboure pas et qu'elle sert de passage aux Arabes
des deux empires qui viennent y
camper pour y trouver les pâturages et les eaux
qui leur sont nécessaires. Les deux souverains
exerceront, de la manière qu'ils
l'entendront, toute la plénitude de leurs droits dans le Sahara. Et,
toutefois, si
l'un des deux souverains avait à procéder contre ses sujets, au moment où ces
derniers
seraient mêlés avec ceux de l'autre État, il procédera comme il l'entendra
sur les siens, mais il
s'abstiendra, envers les sujets de l'autre gouvernement.
« Ceux des Arabes qui dépendent de l'Empire du Maroc sont les M'beia
(Mehaia), les Beni Gueil,
les Hamian-Djenba, les Emour-Sahara (Amour) et les
Oues Sidi Cheikh el Gheraba.
« Ceux des Arabes qui dépendent de l'Algérie sont les Ouled Sidi Cheikh el
Cheraga et tous les
Hamian, excepté les Hamian-Djenba susnommés. »
L'article V répartit les ksour (ksar, pluriel ksour, terme berbère désignant un
village fortifié dans le
sud du Maroc et de l'Algérie).
« Les ksour qui appartiennent au Maroc sont ceux de Ich et de Figuig. Les
ksour qui appartiennent
à l'Algérie sont : Aïn Sefra, S'Issila Assala, Tiout, Chellala, el Ebiad, et Bou Sembhoune. »
9 La colonne Montagnac est forte de 425 combattants dont 354 chasseurs et
64 cavaliers. Elle a
deux jours de vivres et un guide indigène. Cavaignac, commandant à Tlemcen et supérieur de
Montagnac, avait recommandé la prudence et le
travail en liaison avec la garnison de Marnia (50 km
au sud).
10 Le massacre des prisonniers pèsera lourd dans les futurs rapports de Paris
avec Abd el-Kader.
Ceux-ci – trois cents environ – avaient été rassemblés dans
la deira, en territoire marocain. Il semble
que dans cette tuerie, la responsabilité
d'Abd el-Kader ne soit pas en cause. Il n'était du reste pas
présent. Son lieutenant,
Ben Thami, personnage cruel et violent, paraît seul à incriminer. Abd el-
Kader
avait toutefois laissé des ordres ambigus sur la conduite à tenir au cas où les
prisonniers
risqueraient de retomber aux mains des Français.
11 Il mourra à Paris le 10 juin 1849 emporté par le choléra qui continuait à
faire de terribles
ravages. Les populations d'Algérie, l'armée d'Afrique, payèrent
un lourd tribut à la maladie.
12 Abd el-Kader se retirera à Brousse d'abord, à Damas ensuite où il protégera
les chrétiens
en 1860. Ami de Napoléon III et de la France, fidèle à la parole
donnée lors de sa reddition, il
achèvera sa vie dans l'étude et la réflexion (il
mourra dans la paix d'Allah en 1883).
L'Algérie indépendante fera ramener sur sa terre natale les restes de celui qui
fut son
Vercingétorix.
13 Aujourd'hui, Sour el Ghozlan.
14 Les Zibans dans la région de Biskra, à la corne sud-ouest du massif de
l'Aurès.
15 Aujourd'hui, El Bayadh.
16 Les Français l'apprendront encore de 1954 à 1962. La Petite Kabylie sera
le siège de la willaya
II.
17 Aujourd'hui, Arbaa Irachen Nait.
18 Le décret Crémieux, en octobre 1870, a octroyé la nationalité française aux
israélites d'Algérie.
19 Anticipant sur l'avenir, il est contradictoire de constater que ce peuple,
avare de talents et de
réalisations, saura se sublimer dans sa lutte pour l'indépendance au milieu du XXe siècle.
20 Les vrais « politiques » sont peu nombreux. Les déportés des journées de
juin 1848 ou du coup
d'État du 2 décembre 1851 ne se fixeront pas. Quelques-uns seulement s'établiront. Les Alsaciens-
Lorrains, après 1870, soucieux de rester
français sur une terre française, seront plus importants
(5 000).
21 Ensembles de gourbis.
22 Alger comptait 30 000 habitants. Oran, Bône, Médéa, Miliana, Tlemcen,
Constantine, moins
de 10 000.
23 Cas après la révolte de Mokrani, en 1871, par exemple.
24 Dans une grande partie de l'Algérie, où l'élevage est la ressource principale,
la propriété
individuelle n'existe pas. La terre, aire de pâture pour les troupeaux,
appartient à la tribu. Le
cantonnement consiste à réduire la propriété tribale estimée trop importante pour ses besoins réels.
25 8 000 esclaves sont dénombrés lors de l'abolition de l'esclavage en 1848.
26 La population indigène fléchira sensiblement de 1850 à 1870 (maladies nouvelles, épidémies,
famine consécutive à des années de sécheresse). Sa courbe remontera dans le dernier tiers du XIXe
siècle pour atteindre quatre
millions en 1900 et six millions en 1930.
Chapitre XI
FAIDHERBE – LE SÉNÉGAL FRANÇAIS
Léon Faidherbe (1818-1889) demeure une énigme. Quel homme est-il
exactement ? Extérieurement, il se silhouette bien. Un corps osseux,
un peu
désincarné, un visage sévère derrière des lunettes à monture de
fer. Pour le
reste ?
La personnalité se perçoit mal. Des colères brutales. Une froideur
qui
n'est peut-être qu'une timidité. Une honnêteté absolue. Une
rigueur extrême.
Une sensibilité quasi maladive. Une insatisfaction de
mal aimé qui tourne à
l'aigreur. Tout se brouille. Attire-t-il la sympathie, l'adhésion, la crainte ? Se
prononcer est difficile.
A défaut, l'œuvre témoigne. Là où ses prédécesseurs n'avaient pas
avancé, il réussit, et sans avoir de plus grands moyens ni de plus
sérieux
appuis. En neuf années de présence effective comme gouverneur, il rend le
Sénégal français, il ouvre l'accès au Soudan. Le premier grand nom de la
France en Afrique Occidentale s'appelle
Faidherbe.
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A son arrivée à Saint-Louis, le capitaine Faidherbe prend officiellement
les fonctions de sous-directeur du génie et de directeur des travaux publics.
Ce poste lui permet de circuler, de découvrir le pays. Au
nord, au sud, dans
l'intérieur, le sapeur Faidherbe bâtit. Il édifie un
fort à Podor à 200 km de
Saint-Louis pour mieux surveiller la navigation sur le Sénégal. Il se bat
aussi à l'occasion et il trouve encore
le temps d'apprendre le Ouolof,
langage couramment parlé entre
Saint-Louis et le Cap Vert. Tout ce travail
le fait connaître et apprécier. Si on le soupçonne d'idées républicaines
(plutôt mal vues après
le rétablissement de l'Empire), on constate son refus
absolu de l'esclavage, sa parfaite maîtrise des hommes et des dossiers.
A l'automne 1854, le capitaine de vaisseau Protet, gouverneur en
exercice, arrive en fin de séjour. Qui lui succèdera ? Les notables de
Saint-
Louis rédigent une pétition :
Ces braves gens n'ont pas tort. Depuis 1816, ils ont vu 27 titulaires
se
succéder à la direction du Sénégal. Dans la logique de leur pensée,
ils
laissent entrevoir que le choix de Faidherbe, récemment promu
commandant, serait bon sous réserve qu'il puisse durer. A Paris,
Ducos,
ministre de la Marine et des Colonies, ratifie leurs vœux. Le
5 décembre 1854, le commandant Faidherbe devient gouverneur du
Sénégal. Qui oserait alors penser qu'il occuperait ce poste jusqu'en
18655.
D'entrée, cet officier des armes dites savantes s'avère un remarquable
chef de guerre, audacieux et avisé. Omniprésent, il frappe vite
et fort. Son
commandement sera une suite d'actions bien menées et
toujours avec de
faibles moyens. Faidherbe, gouverneur et commandant en chef, hormis
quelques renforts épisodiques, ne disposera que
de trois bataillons
d'infanterie de marine, dont deux indigènes, d'un
escadron de saphis6, de
deux batteries d'artillerie et de quelques chaloupes, canonnières ou avisos.
C'est peu pour un territoire où les distances se comptent par centaines de
kilomètres7. L'armement ne sera
pas plus brillant. Pour l'essentiel, des fusils
à silex datant du premier
Empire.
Faidherbe se bat parce qu'il doit se battre pour imposer la loi et la
paix
française. Les instructions ministérielles qui ne sont que les reflets
de ses
propres rapports, lui ont précisé sa mission :
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Lorsque Faidherbe, malade, abandonne définitivement le Sénégal, en
mai 1865, la France domine la rive gauche du Sénégal jusqu'à Médine
sur
une centaine de kilomètres de profondeur. Elle tient une bande
d'une même
largeur le long de la côte, de Saint-Louis à la Gambie,
et s'est implantée à
l'embouchure de la Casamance. L'essentiel est fait.
Seuls, le Ferlo, désert
sans grand attrait, et les abords du Fouta-Djalon lui échappent encore. Ils
sont destinés à lui revenir.
Le vaste triangle du Sénégal moderne se dessine. D'un côté, la mer.
En
angle droit, la Casamance et sensiblement le 13e parallèle. En
hypoténuse,
le Sénégal prolongé depuis Bakel par son affluent la
Falémé25, Faidherbe a
inscrit les contours de ce pays de près de
200 000 km2 avec une population
estimée à 700 000 habitants.
Les Sénégalais ne s'y sont pas trompés. Ils ont reconnu le travail
de
Faidherbe pour l'édification de leur pays. Une des plus importantes
avenues
de Dakar, la capitale de la République sénégalaise indépendante, a pour
nom Faidherbe. Ce nom donné par les Français a été
conservé.
Il a façonné l'unité sous une même férule de tribus hostiles, de
royaumes
adverses, d'ethnies cosmopolites. Un État lui doit la vie.
1 Au plan administratif, Gorée n'est pas encore rattaché à Saint-Louis. L'île
est le chef-lieu de la
Division navale des Côtes occidentales d'Afrique dont dépendent les rivières du sud.
2 Le niveau des eaux varie de plusieurs mètres entre la saison sèche (hiver) et
la saison humide
(été). Aux hautes eaux, le Sénégal devient navigable sur la
majeure partie de son cours pour les
avisos et canonnières de l'époque (trois
mètres de tirant d'eau environ).
3 Les Maures, par la suite, donneront son nom à l'actuelle Mauritanie.
4 Le pays ne porte pas encore officiellement le nom.
5 Avec une interruption de deux ans, de 1861 à 1863.
6 Sa base et son encadrement sont fournis par les spahis algériens.
7 Il y a 900 km de Saint-Louis à Médine.
8 Homme puissant. Terme générique appliqué aux blancs par les noirs du Sénégal et du Soudan.
9 Pratiquement, l'arrière-pays de Saint-Louis sur une petite centaine de kilomètres de profondeur le
long du Sénégal.
10 Le Fouta correspond à la rive sud du Sénégal, entre Dagana et Bakel.
11 Marins noirs de baleinière.
12 Voici les noms de ces braves : M. Sacray, secrétaire de Paul Holle, sergent
Desplats, soldats
Marter, Chaneau, Gravanti de l'infanterie de marine, soldats
Deshayes et Marot de l'artillerie de
marine.
13 Le tata est un mur de défense en pisé protégeant un village. Par extension,
il désigne un village
fortifié et plus particulièrement la partie où se retranche le
chef du village.
14 150 km au nord-est de l'actuel Bamako.
15 Jusqu'à la fin de sa vie, Faidherbe souffrira d'une santé déficiente. Il vivra
ses dernières années
en partie paralysé.
16 Depuis 1837, les Français ont un poste permanent à Sedhiou, port sur la
rive droite de la
Casamance, à une centaine de kilomètres de la mer.
17 Cette campagne et celles qui suivent sont bien significatives de la politique
des traités passés
avec les chefs, les tribus, les villages, pour asseoir progressivement l'autorité française.
La longue liste de ces traités l'illustre clairement :
– Traités des 5, 6 et 19 mai, des 17 et 18 juin 1860 par lesquels les Féloupes
de Thiong, Wagaram,
Cassinol, Carone, Blis et Baïal se rangent sous domination
française.
– Traité du 14 février 1861 avec les chefs du Souna, dans la Haute Casamance.
– Traités du 18 mars 1865 conclu avec les Bagnouls, sur la rive gauche de la
Casamance,
du 20 mars 1865, avec les chefs d'Ououkou et de Soura, sur les deux
rives du Songrogo (affluent rive
droite de la Casamance).
– Traités du 3 janvier 1866 avec les Mandingues de Colimanta et du 16 avril
1865 avec les Volas
de la rive droite de la Casamance.
– Traités de paix avec les village de Guimbéring, 30 avril 1865 ; avec le Forguy, 2 décembre 1865 ;
avec le Yacine, 18 mars 1882 ; avec le Balmadou et le
Souna, 7 avril 1882 ; avec le Pakao,
11 avril 1882.
18 Cette convention permet notamment d'obtenir Zinguinchor, misérable
comptoir portugais sur la
Casamance. L'endroit – l'église en ruine, un hangar,
quelques cases – sera occupé par le capitaine
Brosselard-Faidherbe, le 22 avril
1888. Les Français en feront la capitale de la Casamance.
Zinguinchor (ou Zinguichor) compte aujourd'hui 70 000 habitants.
19 Un siècle plus tard, la décolonisation venue, l'existence d'une enclave étrangère demeure l'un
des problèmes du Sénégal indépendant.
20 En 1857, les rapports franco-anglais sont bons. Les deux pays ont été alliés
en Crimée. Ils le
sont à nouveau face à la Chine. Napoléon III rend visite à la
reine Victoria.
21 Damel : roi. Le Cayor, est-il à rappeler, est sensiblement la région côtière
entre Saint-Louis et
Cap Vert. Les successeurs de Faidherbe auront encore à pacifier le Cayor.
22 Le lieu dit de Dakar est celui d'un misérable village de pêcheurs.
23 La suppression du vieux Pacte colonial, en 1861, procure enfin à la colonie
les possibilités
d'échange qui lui étaient refusées.
24 La mission du lieutenant de vaisseau Mage et du docteur Quintin, d'avril
1864 à 1866, ne fut
qu'un demi-succès. Elle devait se heurter au mauvais vouloir
d'Ahmadou, fils et successeur d'El Hadj
Omar, disparu entre-temps. Pratiquement
prisonniers d'Ahmadou durant deux ans, les deux
émissaires ne purent traiter.
25 Cette délimitation ne deviendra effective qu'avec la définition de l'A.O.F. et
les accords avec la
Gambie britannique et la Guinée portugaise. Une situation de
fait sera alors entérinée.
Chapitre XII
AU PAYS DE GIA LONG
LOINTAINE ET MYSTÉRIEUSE INDOCHINE
L'Union Jack balise la route qui mène au lointain Extrême-Orient.
Les
soldats et marins de Sa Gracieuse Majesté1 veillent avec un soin
jaloux sur
cet axe maritime qui est aussi celui qui mène aux Indes.
On est là sur une
route impériale.
Sur près de 10 000 km, autant d'escales, autant de terres où le Britanique
se sent chez lui et le Français un étranger. L'ouverture du
canal de Suez,
en 1869, n'y changera rien, même en racourcissant un
trajet qui nécessitait
jusqu'alors 30 à 33 jours de traversée. Gibraltar,
Malte, Port-Saïd, Suez. Les
Anglais sont là. Ils sont encore là au
terme de l'étouffante « descente » de la
mer Rouge, aux pieds du
rocher rougeâtre d'Aden. On les retrouve après
l'interminable océan
Indien, gentlemen distingués sur les quais de la
verdoyante Colombo
ou dans la moiteur de Singapour.
Voici enfin des eaux plus libres. Le voyageur a frôlé l'équateur mais
il n'a
pas coupé la ligne. La mer de Chine reste dans l'hémisphère
nord. Il faut
maintenant la « remonter » pour atteindre cet Extrême-Orient vers lequel
tant ont rêvé.
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LE PROTECTORAT CAMBODGIEN
Au nord-ouest de la Cochinchine, de part et d'autres des rives du
Tonlé
Sap24, s'étale la large cuvette du Cambodge. A la saison des
pluies, elle n'est
qu'une gigantesque flaque gonflée par le Mékong. A
la saison sèche, elle
retrouve un sol ferme et durci. Ce va-et-vient du
fleuve et des eaux (qui
montent en quelques semaines d'environ huit
mètres) assure au pays sa
richesse et sa nourriture. Le riz et le poisson
abondent pour nourrir un
peuple de petits paysans accrochés à son
sol.25
Du VIIIe au XVe siècle, la civilisation cambodgienne (ou khmère) fut
brillante. Les vestiges célèbres des temples d'Angkor, au nord du
Tonlé Sap,
en témoignent. Les ambitions siamoises et annamites ont
brisé cet éclat. Le
Cambodge du XIXe siècle vit sous la dépendance de
ses deux voisins et le
monarque doit, en signe d'allégeance, recevoir
sa couronne de l'un et de
l'autre.
Arrivé sur le trône en 1859, le roi Norodom26 souffre de cette ingérence
qui a de surcroît amputé son pays en 1793 et 1814. Le Siam lui
a ravi les
provinces occidentales. Ainsi Angkor est-il en territoire siamois.
Il ne paie pas de mine ce petit homme que l'on imagine volontiers
déguisé en pitre de comique troupier. Un képi de divisionnaire couvre
un
faciès ridé. Les décorations ornent le côté gauche. Une jupe-culotte
tombe
des reins. Des babouches glissent des pieds. Le tout semble
s'appuyer sur
une épée d'opérette. Et pourtant ce prince, souvent indécis dans ses débuts,
fera date27.
La Grandière, à Saigon a vu l'intérêt du Mékong cambodgien,
grand
courant de circulation. Il n'ignore pas, non plus, que les difficultés qu'il
rencontre en Cochinchine proviennent en large partie (surtout dans la
Cochinchine occidentale) de l'agitation provoquée à partir
des régions sous
influence de l'Annam. Le Cambodge est de celles-là.
Il est dans la logique
d'un bon stratège de chercher à « couvrir » sa
Cochinchine et à éliminer les
sources de danger. Installer une présence
française sur le Tonlé Sap répond
à ses perspectives. A cet effet, en
avril 1863, La Grandière délègue sur les
lieux le capitaine de frégate
Doudart de Lagrée28.
Son choix est bon. Doudart de Lagrée allie le courage à l'intelligence et à
la culture. De plus, il aime l'Extrême-Orient. Il se passionnera pour Angkor
et ses richesses.
Doudart de Lagrée manie la souplesse et la fermeté. Il montre largement
son pavillon. Il présente au roi tout l'intérêt d'un allié solide
et sûr, la France
en l'occurrence. Norodom hésite et fait un premier
pas vers les Français. En
juillet 1863, il accepte le traité de protectorat
que La Grandière en personne
est venu lui porter. Puis, il se ravise.
Il se rapproche des Siamois dont il
doit, suivant l'usage, tenir sa couronne. Il se prépare même à partir pour
Bangkok chercher la consécration de sa légitimité.
Doudart de Lagrée force l'événement. Ses matelots investissent le
palais
royal. Le 3 juin 1864, le roi ceint une couronne que lui remet
le chef d'état-
major de l'amiral, gouverneur de la Cochinchine française. Cet acte
symbolique rend compte d'un renversement de situation. Le Cambodge n'a
plus le Siam ou l'Annam comme suzerain mais
la France. La Grandière et
Doudart de Lagrée l'ont emporté et
agrandi, sans combat, le patrimoine
français en Indochine.
Napoléon III acceptera le fait accompli. Le
Cambodge apparaît si
lointain et si petit pour le locataire des Tuileries.
La France s'estime désormais chez elle au Cambodge. Norodom
tout
autant est en droit de se sentir chez lui. Le monarque qui n'est
pas sans
qualités entend rester son maître. La cohabitation s'en ressent. Les réformes
voulues par Saigon passent mal29. En juin 1884, la
France voudra renforcer
encore son autorité. Norodom se rebiffera.
Durant trois ans, il y aura des
troubles ; la sagesse imposera une
marche arrière.
Le Cambodge s'en ressentira. Simple terre de Protectorat, il n'aura
jamais
l'élan économique de sa voisine, la colonie de Cochinchine. Il
restera le
pays d'Angkor Vat30, le temple figé dans les splendeurs d'un
passé révolu
que les Européens viendront étudier, admirer ou piller31.
*
**
Une main qui s'égare n'estompe pas d'autres mains, combien laborieuses.
L'École Française d'Extrême-Orient accomplira sur des sites,
pour certains
millénaires, une grande œuvre qui honore la présence
française. Un long et
minutieux travail d'identification, classification,
restauration, fera resurgir
temples, statues, sculptures, écrasés par la
gangue puissante de la végétation
tropicale. Grâce à lui, des vestiges
de valeur inestimable seront sauvés.
Angkor et ses splendeurs de l'art
khmer seront au premier rang de ces
merveilles rendues à la vie et à
la connaissance des hommes.
UNE FRANCE MEURTRIE
UNE RÉPUBLIQUE PLUS GRANDE
La France de 1871 se réveille meurtrie et choquée. Elle est battue.
Elles
est amputée. Prussiens et Bavarois ont foulé son sol comme aux
temps
terribles des coalitions de 1814 et 1815. Paris a été investie et
a connu la
domination étrangère. Surtout l'Alsace et la Lorraine ne
sont plus terres
françaises. Les deux provinces si chèrement acquises
aux siècles
précédents1 et dont le cœur bat français même si leur dialecte garde le rude
accent germanique ont été arrachées par Bismarck
à la mère patrie.
Strasbourg, la cité de Kléber, Metz, ville française
depuis Le Cateau-
Cambrésis en 1559, voient flotter dans leur ciel le
drapeau de l'empire
allemand.
Cette France amputée est tout autant déchirée. La capitale s'est
dressée
contre la province, l'ouvrier contre le bourgeois. Versailles,
soutenu par la
France rurale, a triomphé dans le sang d'une Commune
ivre de patriotisme
trahi et de passion révolutionnaire. La fureur vengeresse des uns a rejoint
dans l'horreur les exactions des autres.
Le Second Empire qui paraissait si fort2 et si brillant n'a pas résisté
à
Sedan et à la défaite militaire. Napoléon III n'est plus qu'un prince
déchu,
accablé par le destin et par la maladie. Il mourra en Angleterre
le 9 janvier 1873. Le prince héritier trouvera une mort prématurée, en
1879.
Essayant de faire ses preuves, il tombera dans les rangs anglais
dans une
rencontre contre les Zoulous en Afrique du Sud.
Les républicains de Paris ont su saisir l'opportunité. Le 4 septembre
1870,
au lendemain de Sedan, ils ont proclamé une République, troisième du nom,
dont l'avenir, au départ, paraît pour le moins incertain La France profonde
est conservatrice. A défaut d'un régime bonapar tiste discrédité par la
défaite, ne reviendra-t-elle pas à la monarchie de
ses ancêtres ? Le comte de
Chambord, le fils posthume du duc de
Berry, postule ouvertement au trône
de Saint Louis.
La France du début des années 1870 a ainsi mieux à faire qu'à
regarder
outre-mer. Elle doit panser ses plaies, matérielles et morales,
restaurer l'État
et définir ses structures.
Peu à peu, la grande machine se remet à tourner. Le Second
Empire, fort
heureusement, a laissé de bons bas de laine. La France
est riche. Les
indemnités imposées par l'Allemagne sont payées. Le
territoire occupé est
rapidement évacué. La poigne de Thiers3 – le
libérateur du territoire, dira de
lui Gambetta – impose la relance
politique et économique.
L'État républicain s'impose progressivement sous Thiers et Gambetta. En
repoussant le drapeau tricolore, le comte de Chambord ensevelit de ses
mains la monarchie dite légitime. Les dissensions à droite
font le reste.
Le 25 janvier 1875, l'amendement Wallon affermit une
République à
l'audience populaire croissante. En 1879, le vieux maréchal de Mac-Mahon,
soldat de métier, monarchiste de cœur, président
de la République par
devoir, se démet plutôt que de se soumettre. Un
républicain authentique,
Jules Grévy4, accède à la plus haute charge.
Le sort en est jeté. En moins d'une décennie, la France a changé de
visage, œuvre de quelques citoyens convaincus, de ceux-là qui ont,
suivant
le mot de Clemenceau, « la tripe républicaine », les Thiers,
Gambetta5,
Ferry...
En dépit des heurts, des à-coups ou des scandales, la France se
dégagera
des perspectives monarchistes, bonapartistes ou aventuristes
et s'enracinera
de plus en plus dans la République. L'Église elle-même
se ralliera au
nouveau régime, apportant ses gros bataillons.
A partir de 1879, le régime est affermi, l'économie restaurée. Le
fonctionnement régulier des institutions – présidence de la République,
gouvernement, Chambre des députés, Sénat –, la grande
Exposition
de 1878, parfait succès, prouvent l'un comme l'autre.
Un autre état d'esprit s'instaure en politique étrangère. La notion
de
Grande Revanche6 s'atténue. Si la ligne bleue des Vosges garde
toute sa
fascination, l'Alsace et la Lorraine s'estompent des préoccupations
premières. « Pensez-y toujours, n'en parlez jamais ! » devient
la règle. La
séparation prend l'aspect d'un fait irrémédiable, à l'image
d'un aimé disparu
que l'on n'ose plus évoquer.
L'Allemagne, de son côté, fait effort pour panser les plaies. Au
congrès
de Berlin, qui, en juin-juillet 1878, réunit les Européens pour
résoudre les
rivalités balkaniques, Bismarck se veut conciliant. Il aspire
à détourner les
pensées françaises des rives du Rhin. Alors, il se fait
cajoleur : « Je crois
que la poire tunisienne est mûre et qu'il est temps
pour vous de la cueillir. »
Les Anglais, tout autant, ont à se faire pardonner leur intrusion à
Chypre
et surtout en Égypte, chasse gardée de la France depuis
Bonaparte7. « Vous
ne pouvez pas laisser Carthage aux Barbares »,
glisse Lord Salisbury, le
représentant anglais.
Et l'Angleterre, qui se taille un Empire en Afrique et en Asie, a
intérêt à
laisser des reliefs du festin pour étouffer les rancœurs.
Et derrière l'Angleterre et l'Allemagne, en 1880, qu'y a-t-il de par
le vaste
monde ? Rien ! Il suffit de l'examiner un instant pour s'en
persuader.
Les États-Unis d'Amérique, repliés sur eux-mêmes, en continuelle
gestation, s'efforcent d'oublier leur guerre civile et marchent vers
l'Ouest.
Les États latino-américains se perdent en pronunciamentos.
L'Asie n'a pas
pris conscience de sa masse. L'Inde est sujette. La
Chine gît amorphe. Le
Japon ne s'est pas encore réveillé. L'Afrique
pour une bonne part vit
toujours à l'âge de pierre ou tout au moins
de l'arc et des flèches.
En Europe, les préoccupations sont devant le pas de la porte. La
Turquie,
malade, s'efforce de survivre. La Russie se débat entre les
Balkans, la
Sibérie et les anarchistes. L'Autriche-Hongrie n'est plus
qu'un puzzle tiraillé
par des nationalismes divergents. L'Italie balbutie
encore. L'Espagne végète.
Oui, vraiment, seules l'Angleterre et l'Allemagne comptent. Et la
France !
Avec près de 40 millions d'habitants, avec sa puissance industrielle, ses
technologies, son armée, sa présence de l'autre côté de la
Méditerranée, sans
oublier le prestige de son passé, elle fait figure de
grand. Forte du
désistement – relatif – de ses deux principaux adversaires, toutes les
ambitions lui sont encore permises dans la conquête coloniale.
A situation nouvelle, perspectives nouvelles. La France, sortie de la
convalescence, entourée d'un contexte international favorable, peut regarder
ailleurs. Gambetta, le premier, y songe. Dès 1878, il prône une politique
d'expansion : « Conquérir ou gagner par d'habiles neutralités ce que nous
avons perdu. »
Pour ce faire, les séquelles du passé, là encore, ne sont pas toutes si
mauvaises. Il existe une France d'outre-mer.
– La conquête de l'Algérie est définitivement terminée après l'ultime
soubresaut de 1871 et de la révolte kabyle. La colonisation européenne
s'implante avec force.
– Le Sénégal de Faidherbe, la Cochinchine des amiraux, sont de vraies
colonies, possessions reconnues de l'opinion internationale.
Derrière ces pièces maîtresses se profilent tous les territoires demeurés
français au travers des bouleversements du règne de Louis XV ou de la
Révolution : Saint-Pierre-et-Miquelon, Guadeloupe, Martinique, Guyane,
Réunion, comptoirs de l'ancienne Inde de Dupleix.
Il est aussi des nouveaux venus : escales sur la côte africaine, en Côte-
d'Ivoire, au Bénin, au Gabon, à Obock, archipels océaniques des Marquises
ou de la Société, ou terres plus vastes et plus prometteuses comme la
Nouvelle-Calédonie et le Cambodge sous protectorat.
Tout cet ensemble n'est pas négligeable. Il est une large porte ouverte sur
les continents africain et asiatique. Il représente une autre France, à des
milles et des milles de la métropole, de près d'un million de kilomètres
carrés et de dix millions d'habitants environ.
Un demi-siècle plus tard, en 1918, au lendemain de la Première Guerre
mondiale, la France d'outre-mer sera un véritable empire : 12 millions de
km2, 55 millions d'habitants ; le second empire colonial du monde après
celui de la Grande-Bretagne.
Quel bond prodigieux en avant à mettre au compte de cette Troisième
République si souvent décriée !
– Comment ? Pourquoi ? Par qui en est-on arrivé là aussi vite ? A ces
questions répond la trame à dérouler maintenant.
1 L'Alsace est française depuis Louis XIV, au XVIIe siècle ; la Lorraine depuis
Louis XV.
2 Le référendum du 8 mai 1870 lui avait donné 7 358 000 oui contre 1 572 000
non.
3 Adolphe Thiers (1797-1877). Vieux routier de la politique, présent sous tous
les régimes depuis
la Restauration. Homme fort de la jeune Troisième République
dont il sera le chef de 1871 à 1873.
4 Jules Grévy (1807-1891). Président de la République en 1879, il dut démissionner en 1887,
compromis par les agissements de son gendre Wilson engagé dans
un trafic de décorations.
5 Léon Gambetta (1838-1882), opposant républicain au Second Empire, animateur de la résistance
en province durant la guerre de 1870. Personnalité dominante de la Troisième République après la
mort de Thiers.
6 Et aussi d'affrontement. Il y eut des menaces de guerre, en 1873 notamment.
7 La position très forte de la France en Égypte a débouché en 1869 sur la
percée du canal de Suez,
ouvrage gigantesque de par les moyens de l'époque,
accompli par une société française en droit, sous
la direction d'un Français, Ferdinand de Lesseps.
En 1875, le vice-roi d'Égypte, Ismaïl, au bord de la banqueroute, offre à des
banquiers français son
lot personnel d'actions du Canal de Suez. Le gouvernement
s'étant récusé, l'Angleterre se porte
acquéreur et devient propriétaire de 176 000
actions sur 400 000 de la compagnie de Suez. Cet achat
lui permet de participer
activement à la gestion de la compagnie. La France perd en Égypte sa
position
privilégiée.
Il y a en 1880 18 000 Français en Égypte, dans toutes les branches de la science,
de
l'enseignement, du commerce et de l'industrie.
Chapitre XIV
FERRY LE TONKINOIS :
La route de Chine
Retour au Tonkin (1883-1884)
Tuyen Quang (1885)
Le « désastre » de Langson (mars 1885)
Indochine française
L'histoire, cependant, pour présenter une unité, impose de revenir
quelque peu en arrière.
*
**
Ce large fleuve1, dont les origines, à l'époque, sont mal situées, est
bien
propre à enflammer les imaginations. Ne peut-il pas être la voie
naturelle
menant aux richesses chinoises ? Plus d'un l'envisage. S'il en
était ainsi, la
France bien implantée à son embouchure pourrait
détourner à son profit un
trafic commercial qui s'écoule vers Bangkok,
au Siam, ou vers Canton, en
Chine méridionale.
Doudart de Lagrée, toujours en poste au Cambodge et un jeune
officier
de marine, Francis Garnier2, administrateur à Cholon, en parlent. L'amiral
de La Grandière qui aime aussi voir loin prête une
oreille attentive à leurs
propos. Le ministre de la Marine Chasseloup-Laubat ratifie le projet. Une
petite équipe sous la direction des deux
officiers remontera le Mékong.
Mission : pénétrer au Laos encore largement inconnu et reconnaître l'accès
possible à la Chine par le fleuve.
L'expédition – sa désignation officielle est « la commission » – est
modeste. Trois marins : le capitaine de frégate Doudart de Lagrée, le
lieutenant de vaisseau Garnier, un jeune enseigne Delaporte. Deux
médecins : Thorel et Joubert. Un diplomate, le benjamin de l'équipe,
Carné.
Une petite escorte de marsouins européens et de marins annamites. Ces
derniers seront des auxiliaires précieux et dévoués.
Le 5 juin 1866, deux canonnières à vapeur s'éloignent de l'embarcadère
de Saigon. Une épopée de deux années commence avec le
Mékong comme
fil conducteur.
Très vite, le Mékong montre son vrai visage. Au-delà des rapides
de
Préapatang, son cours s'étale en biefs navigables ou se fraye un
torrentueux
passage parmi les défilés. Les sampans, ces longs esquifs
à fond plat qu'une
couverture en bambou protège en partie des
ondées, et qui ont remplacé les
canonnières, doivent être halés à la
main et parfois déchargés3.
Avec les chutes de Khong s'ouvre la haute forêt tropicale. Pendant
plus
d'un an, elle sera le paysage de Doudart de Lagrée et de ses
compagnons.
Avec elle une végétation difficile à pénétrer, une faune
dangereuse, reptiles,
grands fauves, ou hostile, moustiques, sangsues.
Cet univers que doublent
le climat et le relief montagneux accentue
les difficultés de la progression.
Avec les chutes de Khong, également, les explorateurs entrent au
royaume du Laos, que depuis des siècles l'Annam et le Siam se disputent.
Depuis, il n'est plus vraiment le royaume du Laos. Subsistent
le royaume de
Luang Prabang au nord et des principautés étagées le
long du cours du
Mékong. Les Laotiens4, gens paisibles et accueillants, paient tribut à Hué et
Bangkok pour se ménager les uns comme
les autres. Auprès d'eux les
Français trouvent toujours gentillesse et
hospitalité. Mieux qu'un bivouac de
fortune sous le feuillage d'un
banian, une humble paillote ou une pagode au
faîte corné abritent de
la lourde pluie tropicale. A toute heure il y a un bol
de riz avenant.
Dans les villages, au terme d'heures de marche ou de
navigation, les
voyageurs apprécient la veillée qu'égayent quelques
danseuses entraînées par les doigts agiles du joueur de Khen.
Doudart de Lagrée et Francis Garnier sentent qu'en ce pays, morcelé et
tiraillé, la France peut trouver une terre pour elle. Non seulement le Laos
borde l'Annam à l'ouest mais plus encore il jouxte le
Cambodge, le Siam, la
Birmanie, la Chine, le Tonkin. Il est le complément obligé d'une
implantation en Indochine. Politiquement, économiquement, tout est à faire,
à commencer par éliminer l'esclavage,
négoce d'habiles Chinois au
détriment d'incultes populations5.
A côté de son œuvre géographique et scientifique6, l'expédition multiplie
ses contacts avec les souverains locaux et les notables. A Bassac,
à Vien-
Chan7, l'ancienne capitale ruinée et livrée aux hautes herbes,
aux plantes
grimpantes et à la forêt renaissante, à Luang Prabang
surtout, elle rappelle
aux uns et aux autres l'exemple du Cambodge
que le protectorat français a
libéré de la pesante tutelle siamoise. Elle
prépare ainsi le travail d'Auguste
Pavie, vingt ans plus tard.
En octobre 1867, s'ouvre la Chine du Yunnan. Le décor change. La
végétation s'atténue. En altitude, la température se fait plus fraîche,
voire
froide. La présence d'une civilisation, d'un ordre établi s'affirme.
L'accueil,
par contre, se fait plus houleux même si Doudart de Lagrée
et ses
compagnons sont en mission officielle reconnue par le gouvernement
chinois. Cette relative protection renforcée par l'aide des missionnaires
catholiques n'interdit pas les heurts dans une contrée que
la guerre civile
désole. Pourtant, le Yunnan est riche. Les ressources
minières sont l'activité
première d'une région qui n'est pas, non plus,
sans production agricole8.
Doudart de Lagrée et Francis Garnier lancent des « pointes ». Le
premier
s'avance quelque peu en territoire birman. Le second surtout
s'aventure
jusqu'aux frontières du Tonkin, reconnaissant les possibilités du Song-Koi
(Fleuve Rouge). Là est bien la voie la plus rapide
et la plus aisément
navigable menant du Yunnan à la mer par la
Haute Région et le delta
tonkinois.
Dans son rapport à l'amiral de La Grandière, le 6 janvier 1868,
Doudart
de Lagrée écrit :
*
**
Bien curieuse situation que celle existant, au début des années 1880,
entre la France et l'Empire Céleste ! Officiellement, la concorde règne.
De
fait, les deux pays sont en état de guerre larvée. Entre eux, un
vieux
contentieux15 et surtout une pomme de discorde d'actualité : l'Annam et le
Tonkin.
Le traité de 1874 devait faire de l'Annam l'allié de la France. Illusion. Tu
Duc n'a signé que contraint et forcé. Les Français dont il perçoit les
ambitions et qui ont déjà mis la main sur une Cochinchine
qu'il regarde
comme sienne sont loin d'être pour lui des amis. Pour
leur tenir tête, il s'est
rapproché de la Chine, son suzerain de toujours.
Des unités régulières
chinoises sont entrées au Tonkin. Elles occupent
Langson sur la frontière,
Bac Ninh en limite du delta. Motif avoué
de cette présence : s'opposer à une
résurgence de la vieille révolte des
Taiping. Motif réel : s'opposer à la
pénétration française. Dans une
telle complicité, Pavillons Noirs de Lin
Vinh Phoc et Chinois menacent les petits contingents français en place à
Hanoi et à Haiphong.
Ceux-ci pratiquement encerclés sont vulnérables.
Quant au commerce
et à la liberté de navigation que la présence française
devait faire
respecter, ils sont devenus lettre morte.
Le Myre de Vilers, premier gouverneur civil envoyé à Saigon en
1879 par la République pour mettre un terme au règne des amiraux,
décide
d'intervenir. Avec prudence. Les directives ministérielles sont
formelles :
« Éviter les coups de fusil ; ils ne serviraient à rien qu'à vous créer
des
embarras. »
Le commandant Rivière16, à la tête de deux compagnies, débarque
au
Tonkin en avril 1882. Il a pour mission d'imposer l'exécution des
traités et
le droit de commercer, tout en s'abstenant d'action militaire.
Ce marin, doublé « d'un homme de plume17 », a le sang chaud. Il
a bien
l'intention de ne pas se laisser contrer et de refaire, si l'occasion
s'en
présente, le « coup de Garnier ». S'imposer manu militari. L'hostilité
ouverte des mandarins annamites lui en fournit le prétexte. Le
25 avril, à
l'image de Garnier dix ans plus tôt, il se rend maître de la
citadelle d'Hanoi.
Mais, contrairement à son prédécesseur, il ne peut
aller plus avant. Les
Pavillons Noirs, soutenus par les Chinois, sont
trop nombreux et trop forts.
Sontay18, qu'il envisage d'enlever pour
dominer l'arrière-pays, est trop bien
défendu. Rivière, bien malgré lui,
doit se regrouper sur Hanoi dans l'attente
de jours meilleurs.
A Saigon, Le Myre de Vilers, bon prince, couvre son impétueux
subordonné. A Pékin, l'ambassadeur de France, Bourrée, essaie de
trouver
une solution négociée. Pour ce, il n'hésite pas à envisager un
abandon pur et
simple du Tonkin et de l'Annam.
Huit mois s'écoulent ainsi, dans l'expectative et en palabres.
En décembre 1882, Rivière, toujours bien isolé à Hanoi, reçoit
quelques
renforts. Il en profite pour reprendre l'initiative et se donner
de l'air. Il se
dirige sur Nam Dinh19 qu'il occupe le 27 mars 1883.
Profitant de son
absence, plusieurs milliers de Pavillons Noirs assiègent
Hanoi. Rivière
court au danger. Il a maintenant près de 15 000
Chinois et Pavillons Noirs
en face de lui.
Le 19 mai, effectuant une sortie offensive, il trouve une mort glorieuse au
« Pont de Papier ». L'engagement coûte aux Français 26
soldats
et 5 officiers tués dont l'adjoint de Rivière, le commandant
Berthe de
Villers.
Brutalement, l'aventure tonkinoise reprend une dimension dramatique. A
Paris, l'opinion s'émeut. Le Parlement s'inquiète.
En février 1883, Jules Ferry est revenu aux affaires. Ses idées sur
l'expansion coloniale n'ont pas varié, bien au contraire. Depuis longtemps, il
croit à l'avenir d'une France indochinoise. Dès 1873, La
République
Française, le journal de Gambetta et Ferry, écrivait : « L'Annam et le
Tonkin nous sont réservés. Laisserons-nous péricliter
nos droits ? »
Dix années ont passé. Jules Ferry maintient : « Le protectorat français au
Tonkin, c'est la sécurité de la Cochinchine comme Tunis est
la grande
avancée de l'Algérie ».
Il n'y a pas que la sécurité en jeu.
Ferry aspire au Tonkin pour deux raisons essentielles. Il y voit
l'antichambre de la Chine au Yunnan. Là, il n'a pas tort, Garnier et
Dupuis
l'ont démontré. Il y voit aussi une base de la marine française
en Extrême-
Orient.
Ferry le pense, Ferry le dit. Peut-être a-t-il le tort de ne pas le
proclamer
très haut, de ne pas oser agir fort. Le pourrait-il ? Sous la
Troisième
République, l'autorité d'un chef de gouvernement reste relative et éphémère.
L'opposition guette sa proie. Contre Ferry, conservateurs de droite,
républicains de gauche, n'ont guère de répit. Surtout
Clemenceau est là.
Emporté par sa fougue, ses ambitions personnelles,
ses convictions
patriotiques, il ne cesse de harceler le pouvoir20.
Rivé sur la ligne bleue des Vosges, il refuse l'outre-mer :
Tout est clair. La France a reconstitué sous son autorité l'unité des
trois
Ky. Elle détient en droit le pouvoir dans l'ancien Empire d'Annam. Preuve
tangible de la nouvelle situation, le lieutenant-colonel
Reinhardt s'installe
dans la citadelle de Hué comme résident.
Conformément à la convention de Tien-tsin, une petite colonne
française – 700 hommes sous les ordres du colonel Dugenne, chef
brave
mais terrible – se dirige sur Langson pour y prendre position
le long de la
frontière.
A mi-route, à hauteur de Bac Lé, le 23 juin 1884, Dugenne se heurte
à un
fort détachement chinois, qui lui refuse le passage. Les officiers
chinois,
sans doute de bonne foi, affirment ne pas avoir reçu consigne
d'évacuer les
lieux et en bons militaires engagent le combat. Dugenne
doit livrer bataille
et se replier avec des pertes devant le nombre.
En France, le « guet-apens de Bac Lé », comme la mort de Rivière,
crée
une vive émotion. Cette fois, Pékin est directement en cause. Ce
sont bien
ses troupes qui ont ouvert le feu sur Dugenne. Le conflit
France-Chine se
rallume avec force. Jules Ferry, avec indignation,
appelle à la vengeance
contre le « perfide Chinois ». Et il passe aux
actes. Il envoie des renforts
avec un nouveau général, Millot, et
nomme Courbet à la tête de l'escadre de
Chine. A la marine avec ses
navires et ses fusiliers de faire expier l'outrage.
Joignant l'audace à la maîtrise, Courbet s'engage dans la rivière Min
et
détruit le gros de la flotte chinoise qui perd 22 navires et 2 000
hommes.
Poussant son avantage, il détruit l'arsenal de Fou-tchéou.
Une autre partie
de l'escadre occupe les îles Pescadores et les ports
occidentaux de Formose.
Et, pour compléter l'ouvrage, l'énergique
amiral décrète le riz contrebande
de guerre. Il contraint ainsi la Chine
à subir un blocus économique non sans
dommage pour le sud du pays.
Pékin va-t-il plier ? Pas encore. Sur terre, l'avantage des effectifs lui
appartient. Cette poursuite de la guerre conduira au siège de Tuyen
Quang
et au « désastre » de Langson.
*
**
TUYEN QUANG
« Au Tonkin, la Légion immortelle
A Tuyen Quang illustra notre drapeau. »
*
**
Tuyen Quang est un fait d'armes, un beau fait d'armes. Ce titre seul
ne
justifierait peut-être pas de s'étendre longuement sur ce morceau de
bravoure si à des échelles différentes l'expansion coloniale n'était pas
une
suite de Tuyen Quang. Tout au long de cette geste outre-mer, il
est des
légionnaires, des marsouins, des marins, des chasseurs, combattants
héroïques. Il est tout autant des tirailleurs ou des partisans indigènes,
sénégalais, annamites, algériens, compagnons d'armes loyaux et
dévoués.
Tous, ils ont trouvé sur leur route la sueur et le sang. Tous,
ils ont montré
courage et fidélité. Et pour les guider, ils ont devant
eux des Dominé et des
Bobillot, de ces chefs que l'on admire et que
l'on suit.
*
**
Il n'en sera rien. L'affaire de par Ferry était trop engagée. Les apparences
étaient trompeuses.
Le 4 avril, la Chine signe les préliminaires de paix, prélude à un
désengagement total de sa part. Le traité sera ratifié à T'ien-tsin le 9
juin 1885. En Annam et au Tonkin, la France se retrouve seule face
à des
adversaires divisés : souverain annamite à Hué, mandarins dans
l'intérieur,
Pavillons Noirs en Haute Région. Pour en venir à bout,
l'entreprise exigera
néanmoins près de dix années de lutte mais réussira
pleinement :
l'Indochine de 1900 sera unifiée, française et pacifiée.
Pourquoi ?
La réponse est très simple. Il y aura, à Paris, une volonté politique
suivie
d'une action militaire sur le terrain.
Brisson, le successeur de Ferry, a le courage de suivre la route tracée
par
le ministre déchu. Il envoie des renforts et demande des crédits.
En décembre 1885, après les élections législatives d'octobre, sonne
l'heure de vérité. Clemenceau, encore lui, somme la Chambre d'abandonner
« le haillon colonial ». Brisson soutient que « la France ne
déserterait pas
l'Indochine ». Le 23 décembre, enfin, au terme d'âpres
débats, les crédits
réclamés par Brisson sont approuvés par 273 voix
contre 267. Vote
restrictif31 mais vote positif. L'affaire est entendue.
La France restera au
Tonkin. L'œuvre entreprise par Jules Ferry ne
sera plus remise en cause
directement.
*
**
INDOCHINE FRANÇAISE
La conquête militaire, condition première de l'implantation à
demeure,
est poursuivie désormais à visage découvert. L'effort déployé
est
conséquent. Le corps de bataille atteindra 35 000 hommes32.
C'est une force considérable pour un théâtre d'opérations colonial
où la
bataille se jouera sur deux fronts : en centre Annam et dans la
région
montagneuse du Tonkin.
A Hué, dans la nuit du 4 au 5 août 1885, le général de Courcy,
nouveau
commandant en chef (un de plus !), venu présenter ses lettres
de créances
au monarque, tombe dans une embuscade dont il se
dégage avec peine. Le
régent Thuyet et le jeune souverain Nam-Ghi
ont ainsi donné le signal d'une
révolte générale en Annam. Missionnaires et chrétiens sont les premières
victimes33 d'une guérilla difficile
de plusieurs années dans un pays escarpé
et propice à la résistance.
La pacification prend tout son sens au Tonkin. La zone montagneuse qui
ceinture pratiquement le delta est une véritable zone refuge
pour les bandes
qui harcèlent les détachements et les chantiers français
ou qui rançonnent
les villages ralliés. Elle est, en 1887, divisée en
quatre territoires militaires :
Mao-Kay, Langson, Yen Bay, Tuyen
Quang. Le colonel Gallieni, le
marsouin du Soudan, assisté du
commandant Hubert Lyautey, s'illustre, une
fois encore, à la tête du
2e territoire militaire34 à Langson de 1893 à 1896. Il
détruit le repaire
de Ba-Ky, le chef pirate et disperse les bandes de Dé-
Tham, autre
adversaire fameux35. Il a surtout l'occasion d'appliquer ses
méthodes
de pacification et de pratiquer sa méthode de la « tache d'huile »,
chère à Hubert Lyautey, son élève36.
Cette pacification militaire menée par les Gallieni, Joffre, Vallière,
Lyautey, aura exigé dix ans. On peut, au passage, s'interroger...
Un demi-siècle plus tard, l'armée française, tout aussi valeureuse,
sera
moins heureuse. A priori son adversaire n'a pas changé. Dans un
cas comme
dans l'autre, il n'est que le nhaqué de la rizière mué en
combattant. Alors,
pourquoi l'échec après le succès ? La réponse,
encore, est fort simple.
Le colonialisme de la fin du XIXe siècle est un fait patent, reconnu,
licite.
L'homme blanc est à l'apogée de sa puissance. L'indigène asiatique est seul.
Même la Chine s'est retirée du conflit. Qui irait épauler
un peuple désuni,
peu motivé, animé davantage par la xénophobie que
par un sentiment
national diffus. Signe de cette léthargie, de cette
absence d'idéologie,
l'absence de véritables chefs. Le Viet-minh37, d'après 1945, aura un autre
souffle et un autre soutien international. (Cette observation ne saurait inciter
à conclure que les campagnes
d'Annam et du Tonkin ne furent qu'une
promenade militaire. Le prix
payé fut élevé. Le commandement l'avait bien
perçu et avait instauré
la médaille du Tonkin pour récompenser les plus
braves.)
L'action politique suit ou précède l'action militaire.
On a vu le jeune souverain Nam-Ghi déclencher la révolte à Hué
en
août 1885. Une telle attitude ne saurait être de mise de la part d'un
« Protégé » de la France. Paris impose le monarque qu'il s'efforce,
pour
sauver la face, de choisir dans la dynastie traditionnelle des
N'Guyen38.
L'Empereur sera la porcelaine de Chine plantée sur un
guéridon pour
colorer le décor. Facilement déplacée, facilement
renversée39, elle ne pourra
être que figuration.
En 1887, est créée l'Union Indochinoise, regroupant la « vieille »
colonie
de Cochinchine et les trois protectorats d'Annam, Tonkin et
Cambodge. A
sa tête est placé un gouverneur général, proconsul tout-puissant. On y relève
de grands noms : Paul Bert, Piquet, Lanessan,
Paul Doumer. Ces hauts
fonctionnaires qui sont souvent des hommes
politiques, se consacrent avec
passion à leurs fonctions. Paul Bert
mourra à la tâche.
L'ordre des gouverneurs généraux ne peut être qu'un ordre français,
républicain et jacobin. Le Myre de Vilers, le premier, l'avait défini
avec
franchise :
*
**
*
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LA FRANCE DE KOUANG-TCHEOU
Les Portugais sont à Macao, les Anglais sont à Hong Kong. Pourquoi les
Français, à leur tour, ne prendraient-ils pas pied dans le
Céleste Empire ? La
Chine est l'homme malade de l'Asie et de toutes
parts on se presse. Sa
défaite devant le Japon, en 1895, l'a affaiblie
encore un peu plus. Elle a
perdu, entre autres, la Corée et Formose
(Taiwan).
Harmand, le ministre de France à Pékin, peut écrire crûment en
août 1897 : « La Chine est appelée à subir la férule de la race européenne. »
Après le Japon, les Russes, les Allemands, les Anglais se servent.
La
France demande sa part. En 1906, elle obtient la concession, à
bail, pour
quatre-vingt-dix-neuf ans, du territoire de Kouang-tcheou-Wan. Dans
l'esprit de plus d'un, ce n'est là qu'une étape vers l'annexion de l'île d'Hainan
pour s'assurer le domination complète du
golfe du Tonkin.
Ce territoire d'un millier de kilomètres carrés pour 200 000 habitants est
situé sur la côte est de la presqu'île chinoise de Lou-Tcheou
qui forme avec
l'île d'Hainan le golfe du Tonkin. Ce plat pays de
salines et de rizières
n'offre pas grande richesse. Il a pour lui sa rade
hospitalière et sa position
entre le Tonkin et Hong Kong. Une garnison prend possession de son chef-
lieu rebaptisé Fort Bayard. En 1900,
la concession est annexée à l'Union
Indochinoise.
Les Français espèrent bien faire de leur acquisition un nouvel Hong
Kong
et détourner à leur profit une partie du commerce de la Chine
méridionale.
Mais Hong Kong est trop bien implanté, le trafic maritime et commercial
britannique trop bien assuré. Kouang-tcheou ne
répondra jamais aux
espérances. Mais il est bien la marque de ces
temps où l'homme blanc venu
des rivages européens entend s'imposer
partout43.
1 Le Mékong (4 200 km) prend sa source au Tibet. C'est l'un des plus grands
fleuves du monde.
2 Francis Garnier (1839-1873). Ancien de l'École Navale. A fait la campagne
de Chine et de
Cochinchine en 1860 et 1861.
3 Cette conclusion première, de l'époque, est à nuancer. Les Français, par la
suite, au prix de
quelques transbordements, utiliseront largement le Mékong
comme voie navigable, en particulier de
Luang Prabang à Vientiane.
4 La population du futur Laos français est alors estimée à environ
500 000 habitants.
5 L'esclavage est encore pratiqué à large échelle. Des groupes d'habitants sont
emmenés vers
Phnom Penh et le Cambodge pour être vendus comme esclaves.
L'arrivée des Français fera cesser ce
honteux trafic.
6 Francis Garnier assure les relèvements topographiques. Les docteurs Joubert
et Thorel étudient la
flore et la géologie.
7 Plus connue sous le nom de Vientiane. C'est alors une petite cité d'environ
15 000 habitants.
8 Étain surtout mais aussi fer, cuivre et zinc.
9 En 1865, un sultanat musulman autonome s'est constitué au Yunnan occidental autour de la ville
de Tali.
10 Bulletin de la Société de géographie, février 1872.
11 On se souvient que Gia Long, l'ami de Pigneau de Béhaine, avait réalisé
sous son autorité
l'union des trois Ky (Cochinchine, Annam, Tonkin). Le Tonkin
n'est donc plus qu'une province de
l'empire d'Annam, administrée, parfois sans
douceur, par les mandarins annamites.
12 Cette révolte et la répression firent, estime-t-on, 20 millions de morts.
13 Il est marié à une Annamite et passe pour très « orientalisé ».
14 Le malheureux, complètement dépouillé, se battra durant cinq ans pour
obtenir une indemnité.
15 Palikao, le sac du Palais d'Été en 1860.
16 Dans la marine, un « Pacha », c'est-à-dire le maître à bord, est baptisé
« commandant » quel que
soit son grade. Rivière (1827-1883) est capitaine de
vaisseau (équivalent de colonel dans l'armée de
terre).
17 Il écrit des romans, des nouvelles pour La Revue des deux mondes.
18 Sontay, 50 km au nord-ouest d'Hanoi sur le fleuve Rouge.
19 Nam Dinh, 100 km au sud-est d'Hanoi.
20 La France, à juste titre, se souvient du « Tigre », du « Père la Victoire »
du 11 novembre 1918.
L'autre facette du personnage, avec ses incartades, ses
intrigues, ses haines publiques et privées, s'est
estompée.
21 Les Français ont 83 tués, les Pavillons Noirs un millier.
22 Provisoirement. Par la suite, elle fera obstacle aux approvisionnements charbonniers des navires
de guerre français.
23 La Rivière Claire descendue du Yunnan est un affluent de la rive gauche
du Fleuve Rouge.
24 Le capitaine de Borelli qui était poète évoquera par la suite en un long
poème la mémoire de ses
soldats. S'y trouvent les vers célèbres sur la Légion
Etrangère :
« Jamais garde de roi, d'empereur, d'autocrate...
N'alla d'un air plus mâle et plus superbement. »
25 8e Compagnie du 1er régiment de tirailleurs tonkinois.
26 Marc Edmond Dominé (1848-1921), officier aussi honnête que courageux.
Écœuré par les jeux
politiques, le colonel Dominé refusera le poste de directeur
du cabinet du ministre de la Guerre et
quittera l'armée à quarante-trois ans brisant
ainsi une carrière prometteuse. Durant l'époque des
« fiches », il refusera la cravate de commandeur de la Légion d'honneur.
27 Qui s'est promu général pour la circonstance.
28 Des décennies plus tard, d'autres légionnaires diront aussi : « Ça pue le
Viet ! »
29 Il mourra un mois plus tard à Hanoi des suites de ses blessures. Jules
Bobillot (1860-1885),
soldat mais aussi écrivain, a sa statue à Paris.
30 Les Annamites l'ont baptisé « Maolen » (vite) à cause de son impétuosité.
31 Brisson démissionnera peu après devant la faiblesse de sa majorité, mais le
résultat sera acquis.
32 De tels effectifs n'ont été atteints que durant la conquête de l'Algérie.
Bugeaud eut plus
de 100 000 hommes sous ses ordres.
33 9 missionnaires européens, 40 000 chrétiens annamites sont massacrés.
34 Le 2e territoire militaire s'étendait le long de la frontière de Chine, bordant
la province chinoise
du Kouang-Si. Il comprenait les cercles de Langson et de
Caobang et comportait la protection de la
ligne du chemin de fer, en exploitation
ou en construction, de Phy-Lang-Thuong à Langson (ligne
Hanoi-Langson).
35 Dé-Tham, battu, ne renoncera pas. Nationaliste avant l'heure, il fomentera,
à nouveau, des
révoltes contre la domination étrangère de 1905 à 1908. Pour en
venir à bout, une coûteuse opération
militaire sera nécessaire en 1909 (100 tués
côté français). Finalement Dé-Tham, irréductible proscrit,
sera trahi par les siens
et assassiné le 9 février 1913.
36 Gallieni a défini, lui-même, sa conception de la conquête et de la pacification coloniale et sa
méthode de la « tache d'huile » : « Il faut nous rappeler que
dans les luttes coloniales nous ne devons
détruire qu'à la dernière extrémité et,
dans ce cas encore, ne ruiner que pour mieux bâtir. L'officier
colonial ne doit pas
perdre de vue que son premier soin, la soumission des habitants obtenue, sera de
reconstruire le village, d'y créer un marché et d'y établir une école. Il doit donc
éviter avec le plus
grand soin toute destruction inutile.
On ne gagne du terrain en avant qu'après avoir complètement organisé celui
qui est en arrière.
C'est la méthode de la tache d'huile. » (Colonel Gallieni, Trois colonnes au
Tonkin, 1894-1895.)
37 Le contraste est frappant entre la motivation du combattant vietminh de
1950 et celui de 1895.
Gallieni qui est foncièrement honnête écrit : « Il faudra
donc qu'il (l'indigène) surmonte sa paresse et
se mette résolument au travail. »
(Colonel Gallieni, Trois colonnes au Tonkin.)
38 Dong Khanh, fils adoptif de Tu Duc, est mis sur le trône à la place du
révolté. Après la mort
subite de Dong Khanh, celui-ci sera remplacé par un jeune
prince de la famille de Tu Duc, Thanh
Than, père du futur Duy Than.
39 Ce sera ainsi le cas en 1916. Profitant de la guerre européenne, Duy Than
essaiera de relever la
tête. Il sera immédiatement remplacé par Khai Dinh (1885-1925), père du futur Bao Dai, né
en 1913 et dernier empereur d'Annam en exercice. Le Vietminh dénommera le souverain « Le
Fantoche ».
40 L'application de la loi française, par-delà ses contraintes et ses inégalités
liées à un racisme de
fait, n'est pas sans heureux effets. Elle supprime l'esclavage
et le code pénal annamite avec ses
raffinements de cruauté. « Le code annamite,
calqué sur le code chinois, ne reconnaît pas l'égalité
devant la loi ; les pénalités
varient selon le rang du coupable et celui de la personne lésée. Le
châtiment
rigoureux est la mort lente ; viennent ensuite, par ordre de gravité, la décapitation,
la
strangulation, l'exil, la prison avec la cangue au cou et la bastonnade. Parfois
les juges ont recours à
des supplices exceptionnels : sous le règne de Minh-Mang,
les coupables d'adultère étaient foulés aux
pieds des éléphants. Pour les crimes de
lèse-majesté, la mort lente est appliquée sous des formes
variées : le condamné
peut avoir la bastonnade à raison de cent coups par jour, jusqu'à ce que la mort
s'ensuive, ce qui dure de huit jours à un mois, suivant la vigueur de l'individu ;
ou bien la victime est
coupée en morceaux qui sont exposés dans une grande jarre
à la porte de sa maison ; parfois on le
jette dans un trou garni de bambous
pointus, où son corps est lacéré de mille blessures ; on emploie
aussi, comme
instruments de supplices, des tenailles froides ou brûlantes, des chaînes garnies de
clous pointus, des couteaux rouillés, des socs de charrue rougis au feu, etc. »
(Edouard Petit, Le
Tonkin, pp. 232-233.)
41 Trois villes, Hanoi, Haiphong, Tourane, échappent au régime général et
rappellent un peu la
situation, des quatre communes françaises du Sénégal (Dakar,
Saint-Louis, Gorée et Rufisque). Une
ordonnance de l'empereur d'Annam du
3 octobre 1888 les a érigées en concessions et les a cédées en
toute propriété au
gouvernement français. Leurs habitants ont qualité de citoyens français.
42 Gallieni entretenait les meilleures relations avec son homologue chinois, le
maréchal Sou,
commandant des troupes de la province du Koung Si jouxtant le
deuxième territoire militaire de
Langson. Les deux hommes se tenaient en haute
estime.
43 Kouang-tcheou sera restituée à la Chine en 1943.
Chapitre XV
PAVIE ET LE LAOS
Cet Extrême-Orient ne prend-il pas dans ses rets tous ceux qui osent
l'approcher ? Depuis Pigneau de Béhaine, bien des générations de
missionnaires, de soldats, de civils ont été envoûtées. Auguste Pavie (1847-
1925) est de ceux-là. Il a succombé à l'appel d'une terre nommée le
Laos.
Le pays du « Million d'éléphants » l'a conquis. A son tour, il
l'a conquis et
rendu français. Mais ce conquérant n'est pas de l'étoffe
d'un Cortès ou d'un
Pizarre1. Ce grand gaillard barbu est un homme
de bien. Il aspire à l'amitié
et à la justice. Au couchant de sa vie, il
pourra écrire en toute sincérité :
*
**
L'ALGÉRIE COUVERTE À L'EST
LE PROTECTORAT TUNISIEN
Passé Constantine, l'ancienne Cirta, calée sur son dièdre rocheux, le
voyageur qui chemine vers l'est perçoit un peu plus à chaque pas
l'empreinte du lointain maître des lieux. Il a laissé derrière lui Djemila,
ses
ruelles et ses marchés, Sitifis et son camp militaire. Au hasard de
sa route, il
découvre maintenant Tagaste, la patrie de saint Augustin,
Madaure, celle
d'Apulée, Timgad, la Pompéi africaine figée dans son
damier millénaire.
Rome est là, partout présente. La pierre qui défie le temps la rappelle
sans cesse même si le saccage des générations l'a renversée, brisée
ou
dispersée.
Suivant le cours de la Medjerda, longeant la côte ou parcourant les
pistes
qui s'enfoncent vers le sud, Rome est toujours là. Voici Dougga
et ses
temples, Carthage et ses statues, El Djemm dressant vers le ciel
la
gigantesque corolle de son amphithéâtre.
Mêmes vestiges, mais aussi même paysage. Les chênes-lièges et les
bruyères recouvrent du même manteau de verdure l'arrière-pays côtier
de
Djidjelli aux approches de Bizerte. Plus avant, alors que, peu à
peu, les
oliviers ou les pins rabougris cèdent la place, la steppe s'étale
monotone et
fade des hauts plateaux du Constantinois aux limites du
Djerid. Les
chaînons montagneux qui se dressent de-ci, de-là, présentent la même
orientation, les mêmes falaises en partie éboulées, les
mêmes pentes
ravinées et dénudées. Tout à l'arrière-plan, les crêtes du
Rhifouf et du
Mandra barrent l'horizon, d'un même trait rougeâtre,
de Négrine à Redeyef
et Metlaoui.
Le relief tout autant que le climat voulait faire de ce vaste ensemble
des
Bibans et du Hodna au golfe des Scythes un seul et unique pays.
Aucune
limite naturelle, aucune barrière bien marquée. L'échange, les
communications sont toujours aisés, toujours possibles. L'unité était
inscrite
dans la géographie. Rome l'avait prouvé comme bien d'autres
conquérants.
Sa trace l'atteste, puis l'histoire en a décidé autrement.
Aujourd'hui, une
frontière barre les oueds, les pistes et la steppe, laissant d'un côté l'Algérie,
de l'autre la Tunisie1. De Tabarka, elle file
vers le sud, par Souk-Ahras et
Tébessa, jusqu'à l'immensité de l'erg.
Pourquoi une frontière se dresse-t-elle là où elle n'aurait sans doute
pas
dû ?
L'historien l'explique mal. Dans sa recherche et se référant à l'Algérie
qu'il a déjà rencontrée sur sa route, il est frappé par deux faits
nouveaux :
– la richesse du patrimoine d'un pays dont le destin se confond
souvent
avec celui d'une ville. A la différence de l'Algérie où, pratiquement, entre
Rome et la France il n'y a rien, la Tunisie présente
l'image d'une nation
s'élaborant peu à peu avec son autonomie et sa
culture ;
– l'intérêt séculaire des Français pour cette terre aujourd'hui Tunisie, hier
appelée Ifriqiya, Africa, Carthage ou Numidie.
*
**
*
**
Pour bien des Français, Jules Ferry, c'est surtout un nom au fronton d'une
école. Pour quelques-uns, c'est l'enseignement obligatoire.
Pour quelques
autres, plus rares, c'est une évocation : « Ferry le Tonkinois » et pour les
jeunes écoliers instruits de la fin du XXe siècle, il
est parfois celui qui « a
inventé l'école ».
Ce clair-obscur rend mal l'identité profonde d'un homme largement
décrié de son vivant et tout autant respecté après sa mort.
Le personnage, par lui-même, n'aide pas à se faire connaître. Ce
grand
corps, au port altier, au masque sévère renforcé par une barbe
imposante, au
verbe mesuré et volontiers doctrinal, n'incite pas à l'effusion. Serait-il
« Ferry-cactus » ?
« Mes roses poussent en-dedans », déclare-t-il, sans rire, à son ami
Gambetta.
Ses proches, sa femme, son frère Charles, compagnon inlassablement
fidèle et dévoué, le voient tel qu'il est – peut-être – au fond de lui-même :
honnête, sensible, généreux, fraternel. Pour les autres, ses
pairs, ses
partisans, ses adversaires – et ceux-là sont légion, de Déroulède à
Clemenceau – il est le républicain, anticlérical, aussi convaincu
qu'ambitieux, politicien habile, si ce n'est retors.
Qui a raison des uns comme des autres ? La politique est là, avec
ses jeux
perfides, ses compromissions, ses bassesses. Ferry, en bon professionnel, ne
peut y échapper ; d'où la difficulté de l'appréhender honnêtement. Homme
de conviction, il reste fidèle à ses options. Homme
d'ambition, il est en
perpétuelle quête d'honneurs et de pouvoirs13. A
partir de là, tous les
jugements sont possibles.
Le père, grand bourgeois libéral et libre penseur, croyait aux vertus
de la
République. Le fils partage ses idéaux. Jeune avocat, il s'affirme
un
opposant irréductible d'un Second Empire dans lequel il voit la
source de
tous les maux. Ses pamphlets sont redoutables. La notoriété
acquise lui
procure, en 1869, un siège de député de Paris. Une carrière
nationale
débute.
Membre du gouvernement de la Défense Nationale, puis maire de
Paris,
Jules Ferry fait l'apprentissage de l'impopularité qui sera pour
lui une
compagne fidèle. Paris assiégé a faim. Ferry, par force, lui
impose la
rigueur. Les cris montent ;
« Ferry la honte ! Ferry famine ! »
A la veille de la Commune, il ne doit son salut qu'à la fuite.
L'animosité parisienne, le calme revenu, n'empêche pas le politique
de
gravir les échelons. Dans le sillage de Gambetta, il est le républicain
obstiné
et mimstrable. 1879 : Jules Ferry est nommé ministre de l'Instruction
publique. Sonne l'heure de la laïque, gratuite et obligatoire.
Le 23 septembre 1880, il accède enfin à la dernière marche. Avec l'aval
de
Gambetta, il devient président du Conseil.
Avec lui et durant ses deux ministères – de septembre 1880 à
novembre 1881 et de février 1883 à mars 1885 – la politique coloniale
de la
France prend une orientation décisive. Calmant le jeu avec l'Allemagne, ce
qui lui vaut une nouvelle épithète : « Ferry le Prussien »,
il engage
résolument la France dans l'expansion outre-mer. Il est sur
cette voie le cas
politique unique et extrême de la grande aventure
coloniale du XIXe siècle14.
Ses prédécesseurs, ses successeurs, tolèrent
ou subissent les décisions sur le
terrain de leurs généraux, amiraux,
administrateurs ou simples capitaines.
Ferry, lui, impose sa marque.
Même s'il manœuvre et dissimule, il avance,
prend des risques et, en
final, joue et brise sa carrière.
Pourquoi un tel comportement d'un enfant des Vosges normalement
plus
préoccupé par Metz et Strasbourg que Tunis ou Hanoi ?
Par réalisme politique, ambition nationale et sentiment personnel.
En Europe, la France est dans l'impasse. Ses moyens ne l'autorisent
pas à
tenter l'aventure de la Grande Revanche à laquelle aspirent tant
de patriotes.
L'armée française n'est pas assez puissante pour se mesurer seule à l'armée
allemande. Les alliances formelles font défaut. La
France de 1880, comme
celle de 1870, ne peut compter sur personne.
Les grands rapprochements
avec l'Angleterre et la Russie ne sont pas
encore esquissés.
Et Ferry veut la grandeur de son pays. L'expansion coloniale doit
lui
apporter des marchés, des clients, des bases, bref assurer le développement
industriel et économique. C'est aussi bien une question de
fierté nationale,
déclare-t-il en juillet 1885 :
Tout est clair. Jules Ferry est bien le premier colonialiste de France
même
si quelques esprits chagrins le déplorent pour la mémoire du
fondateur de
l'école publique. Qu'ils n'oublient pas que ce républicain
austère voulait
ignorer tout racisme primaire, lui qui réclamait, par
exemple, en 1884,
« d'asseoir notre influence en Algérie grâce à une
véritable assimilation de
l'élément indigène ».
*
**
*
**
Le souverain tunisien n'a pas grand choix. Ses interlocuteurs lui font
vite
comprendre qu'ils ne lui laissent ni délai ni possibilité de discussion.
A 21 heures, l'affaire est entendue. Saddok Bey signe le traité
connu dans
l'Histoire sous le nom de traité du Bardo.
Le 12 mai 1881, la France, par une manœuvre politique et militaire
rapide, s'est assuré la maîtrise de la Tunisie. Si le terme de Protectorat
n'est
pas encore officiellement prononcé, il est sous-jacent. La Turquie,
puissance tutélaire en titre depuis trois siècles, est définitivement écartée.
La Tunisie, indépendante de fait, redevient vassale. Le bey doit
désormais
passer par la volonté du Résident, représentant de la
France.
L'Europe se tait. Elle avait approuvé par avance. L'Italie, seul obstacle
déclaré, est en pleine crise ministérielle qui la paralyse et lui
interdit toutes
réactions. Elle qui ne cachait pas ses ambitions sur la
terre carthaginoise se
trouve prise de vitesse et évincée.
Le 23 mai, à Paris, la Chambre ratifie le traité du Bardo à l'unanimité
sauf un18. Clemenceau, la droite et l'extrême gauche s'abstiennent. Ferry a
partie gagnée et la France avec lui. Dix ans après la
terrible défaite, elle
renoue avec le succès.
En Tunisie même, tout serait-il terminé ? Officiellement, oui.
Roustan est désigné pour occuper le nouveau poste, prévu par le
traité, de
Résident de France. Les vainqueurs sont discrets. Pour
ménager Saddok
Bey et sur sa demande, ils ne se montrent pas dans
Tunis, et très vite, ils
prennent le chemin du retour. Seules quelques
garnisons restent en place le
long de la frontière algérienne ou en pays
khroumir que le général Bréart
reçoit mission de pacifier complètement.
Ferry a voulu cette esquive accélérée. Il prétexte l'été trop dur pour
faire
campagne. Ce n'est pas faux, mais les tirailleurs venus d'Algérie
sont des
enfants du soleil. Ils ont l'habitude de marcher lorsque le ciel
se voile de
gris, que l'horizon se noie de poussière et que la canicule
oppresse les
hommes et les bêtes. L'été tunisien est bon prince. Il évite
à Ferry de trop
risquer en ces mois proches des élections et de ne pas
inquiéter son opinion
publique.
La discrétion ne paye pas toujours. « Montrer sa force pour ne pas
avoir à
s'en servir », dira Lyautey. Tel n'est pas le cas et les rumeurs
circulent
portées par le mystérieux « téléphone arabe » qui vole de
mechta en
mechta. Les Français auraient été battus, d'où leur repli.
Une armée turque
arriverait à la rescousse de Tripolitaine. Le fanatisme religieux, une fois
encore, double la xénophobie et un certain
sentiment national. Des clameurs
montent des médinas :
« Djihad ! Djihad ! »
En quelques semaines, le centre et le sud du pays bougent et se
lèvent. A
Sfax, un certain Ali Ben Khalifa déclenche la révolte. La
ville tombe entre
ses mains. Le consul de France, les Européens, à la
hâte, cherchent refuge
sur les navires ancrés dans la darse.
La Tunisie paraissait soumise et brutalement tout est remis en question.
Ferry, habile manœuvrier, avance la date des élections législatives,
mettant ainsi la Chambre en congé. Il évite les questions délicates et
se
donne du champ pour intervenir sur le terrain. La situation l'impose. Les
ports de la côte orientale, Sousse, Gabès, Sfax surtout, Kairouan, le sud,
sont en rébellion ouverte contre les Français. La vague déferle jusqu'aux
abords de Tunis.
La marine se manifeste la première. Le 15 juillet 1881, l'escadre mouille
devant Sfax que tient Ali Ben Khalifa. A longue distance, les batteries
ouvrent le feu, déconcertant les défenseurs. Le lendemain, les troupes
débarquées livrent un farouche combat de rues pour s'emparer de la
Médina. A la fin de la journée, la ville a changé de mains. Les Français ont
douze tués, les Tunisiens plusieurs centaines.
Le général Saussier, promu commandant en chef, a rassemblé
50 000 hommes. La Tunisie, contrée sans reliefs majeurs à l'exception de la
partie septentrionale, se prête mal à une longue résistance et à la guérilla.
En outre, l'adversaire est mal armé, mal organisé. Mais il faut compter avec
la chaleur estivale pour des unités qui n'ont pas toutes l'expérience des
tirailleurs algériens. La prudence commande d'attendre un peu. Déjà, une
colonne envoyée à la légère sur Hammamet19 a dû se replier avec des pertes
sensibles. Saussier s'organise et attend l'automne.
La fraîcheur revenue, la puissance des moyens mis en œuvre permet de
frapper fort. Le 19 octobre, Tunis est occupée. Le 26 octobre, c'est le tour
de Kairouan. Gafsa est pris le 20 novembre, Gabès le 26 novembre. Les
accrochages contre les tribus révoltées ont été rares et rapidement menés.
Ali Ben Khalifa, le principal meneur, s'est enfui vers l'extrême sud investi à
son tour. Au bilan de cette seconde campagne de Tunisie, le chroniqueur
militaire20 dénombre très exactement 782 morts côté français, tués au
combat ou morts de maladie.
Amère victoire pour celui qui a osé risquer le pas tunisien. La Chambre,
enfin élue, lui réclame des comptes, et elle n'est pas tendre. Gambetta se
porte au secours de celui qu'il regarde comme son ami. « L'indignation,
écrit-il, m'a poussé à la tribune : je leur ai fait ratifier une politique de fierté
nationale. »
Ferry l'emporte. De justesse. Amer, le 10 novembre, il présente sa
démission. Il appartient à Gambetta investi pour former son « grand
gouvernement » de terminer l'ouvrage.
Les troupes françaises arrivent à Foum Tataouine au début de 1882.
Tataouine ! Ce lieu-dit, perdu dans la rocaille au pied d'une falaise à la porte
du Grand Sud, ignore encore qu'il deviendra un jour le « paradis des
casseurs de cailloux ». Un peu à l'est, les monts des Matmata sont pacifiés
en avril.
La conquête se finit là. Mais il subsistera longtemps de par la proximité
de la Tripolitaine turque et les menées des Senoussis un « Sud tunisien »
comme il y aura un « Sud marocain ». Dans ces contrées, aux frontières
imprécises21, à la propriété tout aussi indécise, l'immensité autorise bien des
libertés et des audaces où la foi pour le nomade rejoint l'appât du pillage.
Ces marches méridionales n'influent pas sur l'évolution d'un pays
dont les
destinées se sont toujours jouées et se jouent dans le nord.
Le 28 octobre 1882, Ali Bey succède à son frère Saddok décédé.
Plus
souple ou plus fataliste, le nouveau souverain accepte l'inéluctable : le
pouvoir lui glisse des mains. Paul Cambon qui a remplacé
Roustan assure,
peu à peu, l'autorité de fait. Ministre des Affaires
étrangères de S.A. le Bey,
chef des armées, président du conseil des
ministres, le résident de France
représente la véritable autorité.
Le 8 juin 1883, Jules Ferry, revenu à la tête du gouvernement, officialise
par la convention de la Marsa, additif au traité du Bardo, le
protectorat
effectif. Celui-ci dissimule une administration directe qui
refuse son nom.
Du sommet à la base de l'État, ministres français à
Tunis ou contrôleurs
civils dans le bled dirigent tout « en contrôlant »
même si la hiérarchie
locale des caïds, khalifas et cheiks demeure en
place. L'ensemble permet de
réaliser les réformes indispensables.
La déconfiture financière est à l'origine de l'immixtion européenne
dans
les affaires tunisiennes. Là se situe donc la tâche première du
protectorat.
Garantissant la dette extérieure, la France peut assainir
les finances
publiques et rééquilibrer le budget. Le Trésor remis en
ordre, tout redevient
possible et en particulier la mise en valeur économique. De grands travaux,
œuvre à mettre largement à l'actif de la
France, s'engagent : édification du
port de Bizerte, développement des
chemins de fer, exploitation des
ressources minières (phosphates de
Gafsa et de Metlaoui), programme
agricole (plantation d'oliviers dans
la région Sousse-Sfax)... A défaut du
fellah dont le sort varie peu, la
bourgeoisie tunisienne compte parmi les
bénéficiaires de ce développement.
Les créanciers de la Régence sont et seront remboursés. Ils le doivent à la
France. Par contrecoup, charbonnier étant maître chez lui,
la puissance
protectrice entend bien éliminer les séquelles du passé. La
commission
internationale disparaît. Les tribunaux consulaires dont
relèvent les
ressortissants, de même. Au plan économique, la France
s'octroie en Tunisie
le statut de la nation la plus privilégiée. Les idées
de Jules Ferry trouvent
justification devant ce nouveau marché acquis
à l'industrie française par
l'expansion coloniale. Mises devant le fait
accompli, les deux nations les
plus intéressées, l'Angleterre et l'Italie,
se taisent.
De par les conditions mêmes de la conquête qui n'a pas vu des
expropriations identiques à celles intervenues en Algérie, Jules Ferry a
prévu une colonisation de capitaux plus qu'une colonisation de peuplement.
De grosses sociétés, à l'exemple de la Société Marseillaise
acquéreur de
l'Enfida en 1880, investissent en Tunisie et font un appel
de main-d'œuvre.
De nombreux émigrés italiens de petite condition
débarquent. Siciliens,
Napolitains, paysans pauvres de la Calabre ou
des Pouilles affluent, rejoints
par des Maltais, non sans faire concurrence au prolétariat indigène.
En 1901, la Tunisie compte 71 000 Italiens contre 24 000 Français. Elle
apparaît presque comme une colonie
italienne gouvernée par la France.
Certains s'en émeuvent. Un appel
plus large à de petits propriétaires
français, le recours à des lois systématiques de naturalisation permettront,
seuls, au fil des années, d'atténuer et transformer cet écart (notamment
en 1923).
La Tunisie française gardera les marques de ces temps originels, qui
ne
seront pas sans lui créer de très sérieux problèmes après la Première
Guerre
mondiale22. Quelle est vraiment l'identité réelle d'un pays où
la souche
coloniale, étrangère à la France, est largement majoritaire ?
La France de 1890 n'en n'est pas encore là. Elle a couvert l'Algérie
à l'est.
Elle a devancé l'Italie. Elle s'est assuré avec Bizerte une solide
escale pour
sa marine face au détroit de Sicile. Elle a agrandi son
champ d'action
économique. Un Ferry vieillissant est en droit de s'estimer satisfait.
L'AFRIQUE, UN CONTINENT
À PRENDRE
Tandis que la France s'installe à Tunis et à Hanoi, l'essentiel a
commencé
à se jouer en Afrique. En une trentaine d'années, de 1880
à 1914, la France
sur ce sol se taille la majeure part de son empire
colonial.
Certes, elle y avait déjà planté de solides jalons : l'Algérie, le Sénégal,
des comptoirs de Gorée à Libreville, Obock au débouché de la
mer Rouge.
Elle aurait pu s'en tenir là. Il n'en est rien. Dans le grand
élan du
redressement, bénéficiant d'un contexte international favorable, ces
positions acquises, loin de la satisfaire, lui servent de base
de départ.
D'Alger, de Saint-Louis, des ports gabonais, la France s'enfonce dans un
continent qui est à prendre. A défaut de pouvoir le
couper en deux à son
profit en reliant Saint-Louis à Djibouti, elle
réussit, du moins, débouchant
du nord, du sud, de l'ouest, une spectaculaire convergence. Le Tchad,
épicentre symbolique de l'Afrique,
est à elle. Tout autour, les pièces
1
s'emboîtent pour former, finalement,
un empire de 11 200 000 km2 ,
dépassant celui des Britanniques2.
Aventure et réalisation exceptionnelles d'une poignée d'hommes au
cœur
suffisamment trempé pour défier les distances, le climat, la maladie,
l'adversaire issu de tous les horizons.
*
**
Pour les Européens, l'Afrique de 1880 reste encore très largement la
« terra incognita » des cartes antiques. Sa géographie, son histoire, ne
sont
qu'une vaste énigme. Avec une seule exception : le pourtour
méditerranéen.
Celui-ci, des Colonnes d'Hercule aux sables des pharaons, a toujours vécu
au contact du monde occidental3. Au-delà, le
mystère commence. Qu'en est-
il de l'intérieur du pays ? Quelle est l'importance de sa population ? Quelles
sont ses structures, ses mœurs, sa
civilisation ? Autant de questions
auxquelles il n'est apporté que de
timides réponses.
Cette méconnaissance s'explique. L'insularité massive du continent
africain est difficile à aborder et à pénétrer. De gigantesques obstacles
barrent son accès. L'immensité saharienne, l'épaisseur de la forêt
équatoriale dressent des murs. La côte occidentale est franchement
inhospitalière avec sa barre et son absence de ports naturels. Le climat est
hostile. Et pourquoi s'enfoncer dans une terre dont la richesse n'apparaît
pas ? La grande loi de l'intérêt n'a motivé nul conquistador.
Il est cependant une exception notoire à cette désaffection européenne :
l'Afrique australe. Au milieu du XVIIe siècle, les Hollandais
ont pris
possession du Cap dit de Bonne-Espérance et puis progressivement de son
arrière-pays. Ils ont trouvé là une douceur méditerranéenne et un sol fertile.
A partir de 1802, les Anglais les ont relayés
provoquant l'exode massif des
premiers colons vers l'intérieur (le
grand Trek du XIXe siècle). Avec
ses 400 000 habitants de souche européenne, l'Afrique du Sud est ainsi une
solide mais unique enclave
blanche en pays noir4.
Pays noir ?
L'Afrique n'est pas que le continent de la négritude. Celle-ci ne
débute
vraiment qu'au sud de la zone désertique.
Curieusement, cette limite chevauche à peu près, en la débordant
parfois,
la frontière religieuse. L'Afrique blanche islamisée a atteint
l'autre
peuplement sur une ligne allant sensiblement du Sénégal à Djibouti par le
Haut-Niger et le Tchad. Et l'Islam continue à gagner vers
le sud. Des ethnies
typiquement négroïdes ont été converties par les
disciples de Mahomet :
ainsi, par exemple, les Peuls, peuplade noire
du Fouta-Djalon aux sources
du Sénégal.
Noire ou blanche, l'Afrique reste peu peuplée. Par-delà la traite, les
épidémies, l'absence d'hygiène, déciment une population clairsemée,
estimée à 120 millions d'individus. Ses richesses reconnues, ce pays
vide –
4 habitants au km2 – ne peut qu'attirer les convoitises5.
Les structures, assez ténues en maints endroits, s'y prêtent.
L'Afrique
centrale relève surtout d'un cercle tribal ou familial étroit.
La loi de l'âge,
l'expérience, une certain règle démocratique entraînent
l'autorité. Par contre,
au Soudan – et il faut entendre par là l'Afrique
occidentale – ont existé
d'authentiques et puissants Etats (royaumes
du Mali, du Ghana, du Bénin,
etc.). Ils ont bien périclité. Les Français
les retrouveront devant eux à des
degrés divers et souvent tombés
entre les mains d'autocrates sanguinaires.
Cette Afrique a souffert : la traite, chrétienne à l'ouest, musulmane
à l'est,
a drainé les plus vigoureux de ses enfants. Ponction terrible,
difficilement
appréciable, aux chiffres contestés. Combien de noirs
sont-ils partis vers
« les Amériques » ? 15 ou 40 millions ? Le tragique
débat n'est pas clos. Au
moins autant ont été entraînés vers les pays
arabisés dans un flux qui,
en 1880, n'est pas mort.
La vie profonde du pays a été marquée par ce fléau, Plus d'un
royaume
s'est formé avec pour unique ambition – et ressource –
l'approvisionnement
des négriers. Le bétail humain étant devenu la
seule marchandise digne de
troc, la vie économique s'est effondrée.
Populations en fuite, villages
dépeuplés, cultures raréfiées. L'Europe
du XIXe siècle s'est ressaisie.
L'esclavage n'est plus de mise. Anglais et
Français pourchassent les derniers
contrebandiers de l'odieux trafic.
Alors, pour compenser peu à peu le
manque à gagner de la disparition
de l'ancien négoce, l'agriculture se
développe. L'Afrique occidentale se
lance dans la culture de l'arachide et la
récolte de l'huile de palme.
Par contre, en Afrique occidentale, les caravanes
continuent d'écouler
ivoire et esclaves.
L'ensemble de ces activités n'a pas enrichi le continent. L'Afrique
reste
pauvre et archaïque. Chaque ethnie a son idiome. Il n'est pas
vraiment de
culture et d'instruction dans une civilisation purement
orale mais non
dépourvue d'esprit artistique. La masse suit ses
meneurs et applaudit ses
griots, ces ménestrels africains pleins de verve
et de fantaisie bon enfant. Le
cannibalisme, les sacrifices humains
n'ont pas disparu en certaines régions
de l'Afrique centrale. L'animisme mué en fétichisme règne là où l'Islam n'a
pas pénétré. L'évangélisation, pour sa part, se limite aux franges portuaires.
Cette Afrique plus que moyenâgeuse ne saurait mieux se défendre.
La
flèche et la sagaie sont encore les armes de la multitude. Rares
sont ceux
qui arborent de vieux fusils à pierre monnayés jadis à
quelques trafiquants
d'esclaves.
Une évidence éclate au terme de ce bref survol : le continent dit
noir ne
saurait être regardé comme un bloc cohérent et soudé. La
pigmentation
spécifique de la majeure partie de sa population dissimule une trompeuse
illusion d'unité. Dès lors, s'approprier de larges
parcelles de cette terre
vulnérable relève de la loi du plus fort ou du
plus audacieux. La Conférence
de Berlin l'autorisera en « toute
liberté ».
LA CONFÉRENCE DE BERLIN
(15 novembre 1884 – 26 février
1885)
L'essor industriel, un impérialisme grandissant, ont conduit l'Europe, à
partir de 1870, à s'intéresser, enfin, à une Afrique dont les
explorations
commencent à lever le voile.
Cette Europe, elle-même, est à regarder dans un sens restreint. La
Russie
a ses difficultés internes, ses rivalités balkaniques et avec la
Sibérie ne
manque pas d'espace pour s'étaler. L'Empire austro-hongrois, disparate et
continental, se replie sur lui-même. L'Espagne n'est
plus qu'une ombre
derrière l'écran des Pyrénées.
Les États européens intéressés sont donc peu nombreux. A défaut,
ils
sont actifs :
– l'Angleterre, première puissance industrielle et maritime du
monde ;
– l'Allemagne que sa victoire sur la France autorise à regarder
loin ;
– l'Italie, encore mal affermie, mais attirée de tous temps par la
rive
africaine ;
– la France aux mobiles déjà évoqués.
Derrière ces quatre ténors, deux plus modestes se faufilent. Le Portugal
rappelle sa présence plus que centenaire. La Belgique se laisse
entraîner par
le dynamisme de son souverain, le roi Léopold II.
Ce cercle est limité. Il n'en n'est pas moins dominant de par son
poids
politique, économique et militaire. La fin du XIXe siècle lui
appartient.
*
**
GALLIENI, LE MAÎTRE
Gallieni ! Un nom appelé à revenir souvent dans l'histoire de l'expansion
coloniale française. Gallieni, le premier et le plus grand de
tous les
coloniaux français ! Il les domine tous. Il est leur maître à
tous. Quels que
soient leurs mérites, leurs talents, leurs réalisations,
les grands noms,
malgré l'acier dont ils sont trempés, ont toujours un
point faible : Lyautey
est comédien, Faidherbe insatisfait, Bugeaud
douteux, Brazza fragile,
Mangin personnel, Marchand inconstant. Et
ceci en ne citant que les plus
notoires.
Gallieni, seul, échappe à la terrible règle. On gratte sans vraiment
trouver
une faille. Chez lui, tout se complète, tout s'additionne. L'intelligence à
l'imagination, l'enthousiasme au bon sens, le caractère à
la pondération, la
réflexion à la décision, le courage à l'autorité, l'ambition à l'intégrité. Il sait
être un guerrier et un diplomate, un conquérant et un pacificateur. Il mêle le
loyalisme républicain au culte de la
patrie, l'esprit de justice à l'humanisme,
le sens du devoir à la
conscience professionnelle.
L'individu est un tout. Une carrière honorable ne saurait justifier
une
existence dissolue. Mari attentionné, père affectueux, ami fidèle,
Joseph
Gallieni honore l'homme dans sa vie publique comme dans sa
vie privée.
Clemenceau, bien mal placé pourtant pour distribuer des
prix de bonne
conduite, dira de lui qu'« il était la vertu sous les
armes ».
Sa modestie, sa mort prématurée l'ont, en partie, écarté du Panthéon des
grandes gloires militaires françaises et en particulier de celles
de la
Première Guerre mondiale. Il est pourtant le meilleur de tous,
ce maréchal à
titre posthume qui, après avoir servi son pays outre-mer trente ans durant,
est venu pour le défendre lui consacrer ses
ultimes forces. Le moins connu
eût mérité d'être le plus illustre.
*
**
Né à Saint-Béat le 22 avril 1849
Mort à Versailles le 27 mai 1916
Bazeilles 1870
Soudan 1877 – 1881 ; 1886 – 1888
Tonkin 1891 – 1895
Madagascar 1896 – 1905
1914 Gouverneur militaire de Paris :
« J'ai reçu mandat de défendre Paris contre l'envahisseur.
Ce mandat, je le remplirai jusqu'au bout. »
Sauveur de Paris 3 septembre 1914
Bataille de l'Ourcq 4-10 septembre 1914
Ministre de la Guerre 1915-1916
LA CONQUÊTE DU SOUDAN
La recherche de la clarté impose, durant les vingt dernières années
du
XIXe siècle, de délaisser l'ordre chronologique. Les événements sont
trop
riches et se succèdent de trop près sur des théâtres bien distincts.
Il faut
regrouper.
Par-delà donc les enchevêtrements et les interférences, la pénétration
française sur le continent africain peut ainsi se décomposer en grands
centres d'intérêt :
– Afrique occidentale (Soudan – Guinée – Côte-d'Ivoire – Dahomey).
– Sahara. Afrique équatoriale (Gabon – Congo – Tchad).
Et, pour être complet, il restera à évoquer la Grande Ile, Madagascar, à la
vie et à l'histoire autonomes en dépit de sa proximité d'avec
l'Afrique.1
Les héros en eurent-ils conscience ? Les plus avertis, certainement.
Les
autres, non, assurément. Une manœuvre globale se dessine, opération
gigantesque en deux temps.
Du Sénégal, à l'ouest, du golfe de Guinée, au sud, les Français
convergent sur Tombouctou. Ils sont ainsi bien arrimés en Afrique
occidentale.
Puis, n'ayant pu avec Marchand couper le continent d'ouest en est
à leur
profit, d'Algérie par le Sahara, du Soudan par le Niger, du
Congo par
l'Oubangui-Chari, ils s'avancent pour se retrouver sur le
Tchad. Leurs
possessions africaines sont enfin soudées.
Ce double schéma est trop brutal pour être totalement exact. Il n'en
demeure pas moins le fil conducteur dans le dédale des actions locales.
La procédure de cette marche en avant, à quelques variantes près,
est
toujours sensiblement la même. Sur le terrain, des officiers, voire
des
administrateurs, souvent de leur propre initiative, avancent leurs
pions. Au
fil de leurs incursions, ils font signer des traités de protectorat aux
souverains locaux. En quelques années, ces traités de protectorat se
transforment en annexion pure et simple. L'administration
civile complète
ou remplace l'autorité militaire à l'origine de la
conquête. Une nouvelle
colonie est née.
A Paris, on a entériné, accordé des budgets avec plus ou moins de
largesse. Parfois même, mais plus rarement, on a incité à l'action. (Un
groupe de pression, quelques hommes politiques, ont suscité une
exploration, une intervention.)
Les diplomates, enfin, achèvent l'ouvrage. Des conventions passées
avec
les autres gouvernements européens délimitent les zones d'influence et les
frontières entre les territoires des uns et des autres.
L'Afrique de la seconde
moitié du XXe siècle se façonne ainsi de 1880
à 1914.
*
**
LA CONQUÊTE DU SOUDAN
2
1880 – Le capitaine Gallieni, de l'infanterie de marine, l'intéressé
tient à
ce titre, vient d'arriver au Sénégal. Brière de l'Isle a tôt fait de
remarquer ce
jeune officier si appliqué à la tâche. Il lui confie une
mission qu'il estime
essentielle : reconnaître l'itinéraire Kayes, sur le
Sénégal, Bamako, sur le
Niger, et s'entendre avec Ahmadou, fils d'El
Hadj Omar, roi de Ségou et
héritier de l'Empire toucouleur.
Le gouverneur entend bien, par là, prendre les Anglais de vitesse.
Les
sujets de Sa Majesté débouchent de Gambie, de Sierra Leone, de
l'embouchure du Niger. En reliant le Sénégal au Niger (Brière de l'Isle
songe déjà au chemin de fer) et en signant un traité d'alliance avec
Ahmadou, la France s'assure la primauté sur la route qui mène à
Tombouctou.
Et Tombouctou – bien à tort, l'avenir le démontrera – garde toute
sa
séduction. Le proverbe arabe ne présente-t-il pas la cité comme « le
point
de rencontre du chameau et de la pirogue » ? L'image dans sa
simplicité
rend bien la réalité du quotidien devant Tombouctou.
Le 20 mars 1880, le capitaine Gallieni quitte Médine à la tête d'une
colonne légère3. Il compte se présenter à Ahmadou en ambassadeur.
L'expédition s'enfonce dans un pays bien mal connu. De misérables
populations végètent sous la coupe de féodaux. L'esclavage n'a pas
cessé. Il
reste une activité florissante pour plus d'un. On troque des
barres de sel
contre des esclaves. Ces malheureux de tout âge et de
tout sexe, entravés les
uns aux autres, trottinent sous le fouet de leurs
vigiles vers de lointaines
destinations4. Gallieni, Vallière, s'indignent.
Mais que faire ? Trente fusils,
même bien servis, ne sauraient régenter
un pays.
L'accueil des villageois n'est pas mauvais et de petits cadeaux amadouent
les visages. Il est des soirées d'étapes sous des toits hospitaliers.
Mais, aux
approches du Niger et du royaume d'Ahmadou, tout
change.
Le souverain toucouleur, transplanté sur les rives du fleuve, ne s'est
pas
créé que des amitiés. Il s'est imposé par le sang. Se présenter en
allié
potentiel d'un despote n'est pas la meilleure des cartes de visite.
A Dio, les
Bambaras se montrent plus qu'hostiles. Ils se ruent sur le
convoi. Tirailleurs
et spahis prouvent leur courage et leur fidélité. Le
petit détachement a des
tués, des blessés, perd la majeure partie de ses
impedimenta, mais tient bon.
Rebrousser chemin serait toutefois dans
la logique. Vivres, munitions,
médicaments font défaut. Gallieni
démontre sa fermeté devant l'adversité. Il
galvanise les énergies et
décide de poursuivre. La mission avant tout.
Non sans mal, le capitaine et sa troupe gagnent le Niger. Résolument ils
s'orientent au nord-est, vers Ségou, la capitale d'Ahmadou.
Ce dernier ne paraît pas disposé à recevoir les émissaires français.
Gallieni est bloqué à Nango, un peu avant Ségou, et les palabres
commencent. Est-il un otage, un prisonnier, un parlementaire ? Une
fois de
plus, le jeune capitaine a besoin de toute son énergie pour
dominer l'ennui,
les fièvres, les dérobades d'Ahmadou
Les échos de l'arrivée de la troupe du lieutenant-colonel Borgnis-
Desbordes, débouchant à son tour par l'itinéraire emprunté par Gallieni,
apprennent peut-être à Ahmadou qu'il doit ménager les Français.
Plus que
des fusils, ils possèdent des canons.
Le 5 avril 1880, Gallieni peut, enfin, repartir vers les siens. A priori,
il ne
repart pas les mains vides. Ahmadou a signé un traité de protectorat avec la
France. Mais comme pour le lointain accord Desmichels-Abd el-Kader, il y
a équivoque. Les deux textes sont bien
dissemblables.
Le document français annonce :
*
**
Mamadou Lamine, Ahmadou, Samory, tels sont donc ceux que les
Français trouvent devant eux à partir de 1885. Habilement, les chefs
militaires battront successivement les uns et les autres de par la supériorité
de leur armement et par les rivalités qu'ils sauront exploiter.
L'armée
française trouvera toujours des alliés et non des moindres face
aux grands
Africains.
Gallieni, le premier, illustre cette situation.
Il sait fort bien que ses moyens – qui se sont renforcés, Paris ayant
fait un
effort – ne lui permettent pas de tout régler. Il compose.
Ahmadou n'est pas
immédiatement dangereux. Son empire est tiraillé
par les prétendants, ce
qui diminue d'autant le pouvoir du maître de
Ségou. En 1881, le capitaine
Gallieni a noué des liens avec celui-ci. Le
colonel Gallieni les renoue,
s'assurant de ce côté une neutralité qui
sera, à l'occasion, une complicité.
Samory, après des années d'escarmouches transformées parfois en
batailles rangées, vit en paix avec la France. Tout comme la France,
il ne
peut se battre sur deux fronts et son ennemi de l'heure s'appelle
Tieba, roi de
Sikasso13. Depuis des mois, Samory l'assiège, en vain,
dans sa capitale. Il
accueille donc favorablement l'envoyé de Gallieni,
le capitaine Peroz.
Le 23 mars 1887, le traité dit de Bissandougou
assure une concorde
(certainement provisoire). Samory reconnaît aux
Français la rive gauche du
Niger ainsi qu'un protectorat exclusif –
mais théorique – sur son empire. En
outre, le commerce national
serait libre dans les possessions de l'Almamy.
Gallieni a les mains libres. Il ne cache pas ses arrière-pensées :
Mamadou Lamine s'est enfui vers l'ouest avec les débris de son
armée. Il
s'est retranché dans Toubakouta18 dont il a fait sa nouvelle
capitale.
Mais le marabout est bien isolé. Les tribus se dressent contre lui.
Moussa
Molo et ses 2 000 guerriers se joignent aux Français engagés
pour en finir
dans une campagne d'hiver (novembre-décembre 1887).
Le 8 décembre, le
capitaine Fortin enlève Toubakouta après un rude
assaut. Une fois encore,
Mamadou s'esquive. Blessé, traqué, il est rattrapé par Moussa Molo et
succombe à ses blessures. Sa dépouille a la
tête tranchée par un griot qui
rapporte fièrement son macabre trophée.
C'en est fini de Mamadou Lamine et de son empire. Gallieni peut
écrire19 :
*
**
*
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*
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*
**
*
**
GUINÉE, CÔTE-D'IVOIRE, DAHOMEY
S'implanter sur les rives du Sénégal et du Niger, vaincre El Hadj
Omar,
Mamadou Lamine, Ahmadou et Samori ont été de rudes entreprises.
Les Faidherbe, Gallieni, Borgnis-Desbordes, Archinard ou Trentinian,
ont dû s'engager sans relâche et non sans peine.
L'installation sur ce qui deviendra, par la suite, les trois colonies de
la
Guinée, de la Côte-d'Ivoire et du Dahomey apparaît, à première
vue,
beaucoup plus aisée et beaucoup plus rapide.
N'est-elle pas le résultat d'accords locaux avec les chefs indigènes et
de
compromis avec les autres puissances européennes : Angleterre,
Allemagne,
Portugal ? Les affrontements armés semblent mineurs.
Vision superficielle. La conquête de la Guinée et de la Côte-d'Ivoire,
si
elle ne connaît pas les grands affrontements avec les Ahmadou ou
Samory,
est, en bien des cas, une guérilla ingrate et prolongée. Réfugiées dans la
jungle – on dit plutôt la brousse – les populations
locales refusent
longtemps la subordination étrangère.
Il est une exception à cette règle : le Dahomey. L'armée française
doit
livrer une véritable guerre, brève mais coûteuse, contre un adversaire de
taille, le fameux Behanzin. Pour vaincre, le commandement
est dans
l'obligation de faire appel à des troupes blanches et à « faire
donner sa
garde », la Légion Étrangère.
Toutes ces actions, politiques et militaires, ne sont pas sans incidences
sur la grande manœuvre de marche au Tchad et d'encerclement
du Soudan
et de Samory. Elles n'en ont pas moins un caractère spécifique qui permet
de mieux les isoler.
*
**
Cette spécificité est d'autant plus vraie que le paysage se modifie.
La
steppe, la savane, la forêt sèche des immensités soudanaises disparaissent.
Au sud du 8e parallèle, la haute forêt tropicale domine,
nivelant les formes,
limitant les vues, étouffant les bruits. Elle ne s'estompe en partie qu'à
hauteur du futur Dahomey, remplacée, dans
cette large échancrure de la
zone boisée, par les palmiers à huile, les
manguiers ou les bananiers.
L'eau, souvent si rare au Soudan, abonde. Des cataractes tombent
du ciel
en saison des pluies. Conakry, en Guinée, particulièrement bien
arrosée,
reçoit annuellement plus de 4 000 millimètres d'eau (Paris,
457 mm).
Lagunes et marigots sont les premiers bénéficiaires de ces
déluges amenant
avec eux fièvres et épidémies.
Chaleur et humidité portent leurs fruits. La végétation prolifère.
Lianes,
hautes herbes encombrent les futaies. Hors des pistes, l'avance
se fait à pas
lents, au coupe-coupe dans ce monde que Baratier a bien
connu :
*
**
LA GUINÉE
2
Doit-on déjà parler de la Guinée ? En 1880, l'usage ne retient que
le
vieux vocable, bien évocateur, des Rivières du Sud. Elles sont, en
effet, bien
au sud du Sénégal, toutes ces rivières aux larges estuaires
visités au fil des
siècles par les négriers ou les négociants européens.
Rio Compony, Rio
Nunez, Rio Pingo, Konkouré, Mellacorée3... Elles
sont autant de portes
ouvertes sur le pays. Les Français les ont utilisées. Ils ont des postes
permanents, militaires et commerciaux, à Boffa
(sur le Rio Pingo), à Boké
(sur le Rio Nunez) et à Benky (Mellacorée).
Ces modestes implantations
ont déjà joué leur rôle. De Boké, en 1828,
René Caillié est parti pour son
périple jusqu'à Tombouctou4.
En février 1880, un gentilhomme fortuné et aventureux, Olivier de
Sanderval, s'engage vers l'arrière-pays. La quête de l'or semble guider
ses
pas. Sur sa route, le Fouta-Djalon le séduit. Pour le voyageur, le
Fouta-
Djalon, ce massif de 80 000 kilomètres carrés, apparaît comme
un petit
paradis. Ce n'est plus la monotonie des plaines soudanaises.
Ce n'est plus la
brutalité de la forêt tropicale. Voici des montagnes
couronnées de villages,
des vallées boisées, des pâturages fertiles, des
orangers par milliers couverts
de fruits. Ombrages, cascades, fleurs,
égaient et reposent. Deux populations
cohabitent : les Peuls, conquérants et maîtres du sol ; les Malinkés, plèbe
docile et craintive.
Sanderval s'installe dans cet éden. Il organise avec succès fermes
modèles et armées privées. Véritable monarque, il n'hésite pas à battre
monnaie, et envisage la construction d'une voie ferrée pour relier ses
domaines à la côte. Patriote, il fait reconnaître par la hiérarchie locale
–
assez complexe – le protectorat français. Il n'a pas tort, même si
les accords
passés en son nom présentent un caractère privé.
Les Anglais ne sont pas loin. (La Sierra Leone est plein sud5 et la
Gambie, à l'ouest, est proche.) Le Fouta-Djalon les intéresse eux aussi.
En 1881, le docteur Bayol, l'ancien compagnon de Gallieni dans sa
marche vers Ahmadou, est délégué sur place pour ratifier officiellement
le
traité passé par Sanderval. Après les signatures, pour frapper les
esprits, il
emmène en France des émissaires. Ceux-ci seront reçus à
Paris par Jules
Grévy, le président de la République en exercice.
Ainsi s'amorce la liaison directe et combien plus courte entre le Soudan
et la mer. Le Niger et Bamako sont derrière le Fouta-Djalon.
Les Français
n'auront cesse de développer et d'acquérir cette voie
rapide.
En octobre 1882, les Rivières du Sud reçoivent leur premier gouverneur
général : le docteur Bayol qui a eu plus que l'occasion de faire
ses preuves.
Il sera avec son successeur, le docteur Ballay, le grand
organisateur de la
Guinée française6.
En 1885, il doit faire face à une insurrection dans le Rio Nunez. Le
8 juillet 1889, il fait l'acquisition de la presqu'île de Timbo, revendiquée
également par les Anglais. Sur son site, au milieu des tamariniers,
des
palétuviers et des hauts palmiers à huile, s'élèvera Konakry, appelée à
devenir la plus coquette des capitales de l'Afrique Occidentale
Française.
Le 1er août 1889 est une date importante. Les Rivières du Sud se
voient
accorder leur autonomie administrative à compter du 1er janvier
1890. La
tutelle du Sénégal disparaît et la levée de cette mainmise
signe l'acte de
naissance d'une nouvelle colonie. Trois années plus
tard, celle-ci reçoit son
appellation définitive. Les Rivières du Sud
deviennent la Guinée française.
Parallèlement, les établissements de la
Côte de l'Or se transforment en
Côte-d'Ivoire et ceux du golfe du
Bénin en Bénin, bientôt Dahomey
français.
En 1896, la guerre éclate dans le Fouta-Djalon. Guerre civile surtout
mais
également opposition à l'influence française. Pour en finir et rétablir l'ordre,
Ballay, aidé de Sanderval et de sa milice, investit le massif
et place une
garnison à Tombo.
Désormais, la Guinée, par le jeu des protectorats et des annexions,
est
pratiquement constituée. En 1899, elle se voit attribuer la frange
soudanaise
du Haut Niger tandis que débutent les travaux du chemin
de fer Konakry-
Kankan devant relier la côte au Niger. Des accords
préalables avec
l'Espagne au nord, avec l'Angleterre à l'est et au sud-est, avaient établi un
cadre qui ne bougera plus7.
Ce croissant de 250 000 kilomètres carrés est le résultat type de
l'action
des colonisateurs. Aucune unité géographique. Aucune unité
politique.
Plaine littorale, massif montagneux du Fouta-Djalon, savane
septentrionale,
haute forêt tropicale de l'est, abritent des populations
que la race et la
religion séparent autant que les modes de vie. De cet
agrégat, il
appartiendra à la France de dégager un État et une
nation8.
LA CÔTE-D'IVOIRE
Le carré presque parfait de l'actuelle Côte-d'Ivoire, création aussi
artificielle que celle de la Guinée, s'encastre entre le Libéria et le
Ghana.
Derrière le cordon de lagunes qui bordent le rivage s'étale la
haute forêt
tropicale, bien difficile à pénétrer. La Sassandra, la Bandama, la Comoé ne
sont navigables que sur la partie inférieure de leur
cours. Au-delà, passé ce
front de 200 à 300 kilomètres de profondeur,
la forêt sèche, puis la savane
soudanaise reprennent leurs droits.
Une telle nature ne pouvait engendrer l'unité. Peuplades ou tribus
vivent
en marge les unes des autres. Elles apparaissent arriérées,
anthropophages
parfois, presque toujours hostiles au monde extérieur
et en particulier à
celui des Européens.
Ceux-ci sont restés en bord de mer, là où se font les échanges. La
traite a
cessé, mais l'or, l'ivoire, l'huile de palme assurent encore aux
courageux de
sérieux profits. Le commerçant rochelais Verdier n'y a
pas renoncé
en 1871 en dépit du retrait des petites garnisons françaises
de Grand
Bassam et Assinie suite à la guerre franco-allemande. Il est
resté fidèle au
poste, assurant également la permanence du drapeau
tricolore. A Paris, on
lui a tenu compte de sa fidélité. Il a reçu le titre
de résident.
Depuis 1883, son agent Marcel Treich-Laplène (1861-1890) assure
sur
place la défense de ses intérêts. Ce jeune homme, aussi courageux
qu'actif,
ne se contente pas de faire du commerce. Il reconnaît l'arrière-pays. C'est
ainsi que le 5 janvier 1889, il retrouve Binger à Kong.
Son action se solde
par des traités assurant pratiquement le littoral
atlantique à la France, de la
Sassandra à la Comoé9. Ces résultats lui
valent, à son tour, le titre de
résident mais, épuisé, Treich-Laplène
meurt à vingt-neuf ans sur le navire
qui le ramène en France.
Binger, qui connaît bien le pays et qui a opté pour le corps des
administrateurs civils, est de 1893 à 1900 le premier gouverneur de la
colonie constituée en 1893 comme entité de la Côte-d'Ivoire
française10.
Il a d'abord à se battre. Tout autour de Grand Bassam, à l'époque
le point
d'amarre de la colonisation, les révoltes grondent et explosent.
La sécurité
n'existe plus. En 1895, le colonel Monteil se voit confier
le commandement
de la fameuse colonne de Kong, déjà évoquée, pour
aller lutter contre
Samori. Il doit auparavant faire face aux insurrections locales. Monteil le
reconnaît lui-même dans une dépêche :
*
**
Le 30 août 1892, la colonne Dodds, forte de 4 000 hommes dont
800 légionnaires, s'ébranle. Objectif : Abomey. Itinéraire : la vallée de
l'Ouémé. Obstacles : la forêt, les marais, le climat et surtout
Behanzin17.
Ce dernier ne tarde pas à se manifester. Le 19 septembre, il attaque
en
force à Dogba. Les Français ont 45 tués, dont le commandant
Faurax, le
patron de la Légion18. Devant leurs positions, ils dénombrent 832 cadavres
ennemis.
Les engagements se poursuivent, à Akpa, à Koto, à Ouakou, à Diokoul,
toujours aussi violents. La puissance de feu, la supériorité dans
la
manœuvre et le commandement, font la différence en faveur des
Français.
Le 6 novembre, Dodds entre à Kana, la ville sainte des fétichistes.
Dix
jours plus tard, Abomey, en partie en flammes et désertée par
nombre de ses
habitants, est à lui.
Les soldats français y font d'étranges découvertes. Au cœur de la
cité, le
palais royal est ceinturé d'une grande muraille couronnée de
crânes
humains. Des crânes humains encore de part et d'autre des
portes d'entrée.
Des crânes humains toujours pour supporter le trône
de Behanzin. Quant à
l'immense parasol blanc de ce dernier, il est
orné sur son pourtour de
cinquante mâchoires inférieures ayant appartenu, elles aussi, à des êtres
humains.
Cette arrivée de la France à Abomey signifie la fin d'un régime
reposant
en bonne partie sur la guerre19, l'esclavage et le massacre,
chaque année, de
milliers de malheureuses victimes.
Si la campagne a été relativement brève – moins de trois mois –
elle s'est
révélée coûteuse. La colonne Dodds a perdu 15 officiers et
70 hommes de
troupe et a eu 440 blessés (La Légion compte près de
la moitié de son
effectif hors de combat). Behanzin aurait dans les
4 000 tués
et 8 000 blessés. Son armée ne représente plus une force
constituée.
Il en est réduit à se retrouver un homme traqué comme l'avaient
été avant
lui Mamadou Lamine et Samori. Poursuivi sans relâche
durant
l'année 1893, il essaie de traiter, mais les Français ne cèdent
pas. Il se
résigne enfin à l'inévitable et le 25 janvier 1894 effectue sa
reddition. Avec
cinq de ses femmes et deux de ses enfants préférés, il
part pour l'exil, en
Martinique tout d'abord, en Algérie ensuite. Il
mourra à Blida en 1906. Sa
dépouille sera ramenée au Dahomey en
1928.
Behanzin en fuite, Dodds a les mains libres. Il annexe une partie du
royaume d'Abomey et proclame le protectorat sur le reste. Le
15 janvier 1894, avec l'accord des notables, il intronise sous le nom
d'Ago
Li Agbo le frère de l'ancien monarque. (Homme de paille, Ago
Li Agbo
sera déchu en 1900.)
Le 24 juin 1894, la paix assurée, les civils peuvent reprendre le pas.
Ballot est nommé gouverneur de ce que l'on dénomme désormais
« Dahomey et dépendances »20.
Le danger Behanzin écarté, la seconde manche peut s'engager, ou
se
poursuivre. Il s'agit cette fois des rivaux européens. Anglais du
Nigéria,
Allemands nouvellement venus au Togo21, ne cachent pas
leurs ambitions.
Ils entendent s'approprier les rives du Niger pour les
premiers, l'arrière-pays
du Dahomey pour les seconds, toute cette
région au nord du neuvième
parallèle. Dans la logique de la Conférence de Berlin, la terre sera au
premier occupant. Longue histoire,
assez confuse même, d'explorations, de
traités, de combats où chacun
défend ses couleurs nationales.
Fidèle aux instructions de Delcassé, ministre des Colonies, Ballot
entame
la course de vitesse. Dès août 1894, sur le site du modeste
village
d'Agbassa, à 300 km de Cotonou, il crée Carnotville. Ce poste,
au nom
aujourd'hui disparu, sera sa base d'opérations vers le Niger
et l'intérieur.
Qui désormais distinguer le plus ? Ils sont toute une équipe à se
dépenser
sans compter : Decœur, Vermeersch, au Gourma22, Toutée
et Bretonnet sur
le Niger, Ganier au Borgou23. Mais deux noms
reviennent sans cesse :
Ballot, Baud.
Constamment sur la brèche, payant de sa personne, le gouverneur
Ballot
est partout. Il traite avec les uns, palabre avec les autres, écartant même, à
l'occasion, les rivaux allemands par la persuasion (région
de Bafilaet et de
Kinikri).
Le lieutenant, puis capitaine Baud, est tout aussi infatigable. En
1895,
venant du Dahomey, il s'est efforcé de rallier la colonne Monteil
marchant
sur Kong. Le danger Samori l'en a empêché mais il est le
premier à avoir
relié le Dahomey à la Côte-d'Ivoire. Par la suite, il
entre à Say, sur le Niger,
tend la main à Voulet dans le Mossi, pacifie
le Gourma. Son action, en cette
région clé, assure à la France le lien
entre possessions du Dahomey et du
Soudan. Il ne sera qu'un
ensemble d'un seul tenant.
Tous ces efforts, ponctués de discussions, de combats avec les potentats
locaux, ne s'avèrent pas inutiles. Le 23 juillet 1897, Français et
Allemands
signent à Paris une convention. Un an plus tard, ces mêmes
Français et les
Anglais se mettent à leur tour d'accord par la Convention du 14 juin 1898.
Ces deux dates font référence.
La France garde le Mossi, le Gourma, le Borgou ainsi qu'un accès
au
Niger. Les limites septentrionales du Dahomey sont ainsi fixées.
Les
frontières occidentales et orientales sont plus faciles à matérialiser,
les
positions de chaque partie étant déjà définies au départ de la côte.
Le
Dahomey français est constitué dans les limites de l'actuel État
indépendant,
étroit couloir de 500 kilomètres de long sur 100 de large.
Avec le temps, l'organisation du territoire se précise. En 1900, le
Gourma
et le cercle de Say sont rattachés au Soudan. Le royaume
d'Abomey est
définitivement annexé. L'intégralité du pays passe sous
administration
directe. Fait notable, le Dahomey qui fut une terre de
sang, connaît aussitôt
une quiétude parfaite.
LE « PARTI COLONIAL »
Ces officiers, ces soldats, ces administrateurs, ces explorateurs, tous
ces
hommes qui se dépensent pour gagner des terres à la France, il
faut bien les
entretenir, les nourrir, les payer. Il faut même, en certains
cas, leur donner
des instructions. Ils partent parfois avec des missions
précises. Qui est donc
derrière ? Qui est donc à l'origine de cette
marche en avant qui frappe l'Asie
et surtout l'Afrique ?
La réponse n'est pas simple.
Des individualités, seules et sans grands moyens, réalisent des
prouesses.
René Caillié est le précurseur de cette lignée des Mollien,
des Largeau, Say,
Soleillet, Charles de Foucauld et autres.
Sur le fond, ils restent peu nombreux et le Sahara est la terre de
prédilection de ces solitaires. A défaut d'une incidence politique
sérieuse,
leurs exploits apportent une connaissance de terres inconnues
et préparent
d'autres lendemains.
Il y a les cas flagrants où les initiatives ont largement dépassé les
directives. Certains en ont même pris à leur aise avec les prescriptions
reçues. Garnier, Rivière outrepassent les ordres. Trentinian, Joffre les
oublient. Pein se les crée. Marchand les provoque. Lyautey les escamote. Le
résultat immédiat ne couronne pas toujours l'entreprise mais
l'impulsion est
donnée. Garnier disparu est à l'origine du Tonkin français. Lyautey, plus
heureux, voit son Maroc se réaliser.
Par conviction personnelle, quelques responsables politiques de haut
niveau se sont, parfois, résolument engagés, entraînant par là-même la
France dont ils avaient la charge. Ferry a tenu à bout de bras la
Tunisie et
l'Indochine.
Gabriel Hanotaux1 s'est battu pour que la France obtienne, face à
l'Algérie, les meilleurs partages en Afrique. Eugène Étienne2 tout
autant.
Ceci posé, la source de bien des initiatives génératrices de décisions
–
sous la Troisième République s'entend – émane de groupes d'influence et
de pression retenus sous le nom de parti colonial. Ce terme
ne saurait
évoquer un parti au sens moderne du terme, avec une doctrine, une
organisation structurée. Le Parti colonial de la Troisième
République est un
courant de pensée se manifestant concrètement par
des associations à
l'audience et à l'efficience certaines.
Ce courant de pensée axé sur l'intérêt et l'importance de l'expansion
coloniale regroupe des aspirations aussi diverses que contradictoires.
L'idéalisme pur y côtoie l'affairisme outrancier.
Il serait hypocrite de le contester. La loi du profit sous-tend l'entreprise
coloniale dès son origine. Les marins dieppois naviguent jusqu'au
golfe de
Guinée afin d'y commercer. Les comptoirs africains, les possessions outre-
Atlantique, se justifient par la traite et le fameux
« commerce triangulaire ».
Celui-ci nourrit les ports de l'Atlantique,
Nantes, La Rochelle, Bordeaux.
Cette constante économique du profit trouve un nouveau souffle à
la fin
du XIXe siècle. La disparition de la traite, origine de fructueux
bénéfices, a
enfin compensation. Le développement industriel prend
son essor, en
France, sous le Second Empire. Il impose la création de
nouveaux marchés.
Les colonies répondent à cette exigence.
Il n'est donc pas étonnant que le monde dit des « Affaires » s'intéresse à
l'outre-mer. Plus d'un y pressent un client potentiel et certains,
dans le
même temps, espèrent y voir un nouvel Eldorado se lever vers
les mines du
Yu Nan ou du Congo. Maires et notables de Nantes,
Bordeaux, Marseille
seront au premier rang des personnalités composant ou appuyant les
Comités coloniaux à partir de 1880. En
novembre 1881, Gambetta détache
les Colonies du ministère de la
Marine et crée un sous-secrétariat des
Colonies rattaché au ministère
du Commerce3. Ce rattachement signifie
bien le rapprochement effectué par bon nombre entre les notions de
colonies et de débouchés
commerciaux.
L'argent n'explique pas tout. L'impérialisme colonial répond aussi
à une
donne permanente. Les Cartier, Salle travaillaient pour leur roi
et la
grandeur française. Richelieu, Colbert œuvraient dans le même
sens. Cet
état d'esprit renaît avec force après 1870, on l'a vu. La
France, abattue,
escompte retrouver outre-mer la puissance perdue en
Europe.
Le théoricien premier de ce nouvel impérialisme est un jeune et brillant
sujet, Leroy-Beaulieu, révélé en 1870, à l'âge de vingt-trois ans,
par un
mémoire intitulé Le système colonial des peuples modernes.
Reprenant et étoffant son texte, en 1874, dans son livre De la
colonisation chez les peuples modernes, il écrit :
Et il ajoute aussi :
Lyautey est sincère, non sans raisons. Il n'a pas à se plaindre des
colonies.
Elles l'ont tiré de la routine des garnisons métropolitaines,
lui ont ouvert des
horizons sans fin, apporté la renommée. Il a pu
vivre et s'épanouir
pleinement. Quel jeune officier à l'âme bien trempée
ne penserait pas
comme lui ? L'Afrique, l'Asie, sont ces immensités où
il pourra servir, se
dépenser et peut-être, sur un champ de bataille,
croiser Dame la Gloire.
L'expansion coloniale, sur le terrain, est d'abord et surtout venue
de tous
ces lieutenants, capitaines, commandants : Rivière, Garnier,
Gallieni,
Marchand, Mangin, Gouraud, Baud, Binger, Bretonnet,
Lamy, Largeau,
Baratier, Germain, Voulet, Chanoine, Joalland, Meynier, Monteil, Decœur,
Toutée, Ganier... dédaigneux de leur peine et
de leur sang et que la gloire
émoustille.
L'esprit des croisades qui n'est pas dépourvu de charité chrétienne
n'est
pas mort dans la France du XIXe siècle. Le renouveau de la foi
et de la
pratique religieuse au lendemain de la tourmente révolutionnaire a engendré
la création de multiples œuvres missionnaires. Prêtres,
religieux,
religieuses, sont à pied d'œuvre en Asie comme en Afrique.
La colonisation
avec ses perspectives élargies d'évangélisation du
monde païen ne peut
donc que trouver l'aval des milieux catholiques.
Ils ne le cacheront pas.
Monseigneur Lavigerie sera le chef de file de
ceux qui optent pour la
grandeur de l'Église et de la République française troisième du nom.
*
**
Non, ce n'est pas mai 1958 à Alger. L'auteur de ces propos est bien
Jean
Jaurès, l'illustre tribun socialiste.
Parallèlement à toutes ces associations, une presse spécialisée rapporte et
soutient. Certaines publications présentent encore un indéniable intérêt
historique. Le Tour du Monde, volumineuse série en
principe semestrielle,
relate, comme son nom l'indique, les derniers
voyages dans le monde
jusqu'alors inexploré. Il insiste sur le travail
des Français. On y lit, par
exemple, de longs récits de Francis Garnier
ou de Gallieni sur leurs
expéditions respectives au Laos et au Soudan.
Véritables reportages avant
l'heure, écrits de la main même de ceux
qui ont vécu l'événement, ils
éclairent d'un jour vif les détails d'une
exploration ou d'une conquête.
*
**
*
**
BRAZZA ET LE CONGO
Il faut, momentanément, abandonner Sénégambie, Soudan et
Rivières du
Sud pour descendre plus au sud et rejoindre la région qui
sera, durant un
temps, dénommée l'Ouest africain1.
L'équateur est là. Avec lui, les lourdes chaleurs humides qui persistent et
étouffent. Les nuées qui crèvent en fin de journée. Les vapeurs
qui montent
du sol. La végétation qui gagne partout. La haute forêt
qui dresse à plus de
cinquante mètres de haut ses fûts d'ébène, d'acajou ou d'okoumé. Les
rivières qui se précipitent et s'étalent. Des populations peu nombreuses2,
spécifiquement négroïdes, qui vivent repliées
sur elles-mêmes, arriérées
souvent, anthropophages parfois. Tout un
univers qui, par son climat, ses
fièvres, ses obstacles, semble se liguer
pour barrer la route à l'Européen.
Celui-ci ne s'y est pas trompé. Il n'a pas encore osé aborder de
front cette
nature brutale. Portugais, Français, Anglais, sont restés sur
le rivage
atlantique à Boma, Louango, Libreville, Cabinda ou Saint-Paul de Louanda
encore plus au sud.
Tout est à découvrir, tout est à faire au cœur de l'immense forêt
équatoriale3. Pour y accéder, il n'est guère que la voie fluviale. La
rivière,
« ce chemin qui marche », est la seule trouée valable pour
s'enfoncer dans
l'arrière-pays. C'est celle que les Français, comme
d'autres, emprunteront.
Dans cette pénétration vers l'intérieur de
l'Afrique, des noms comme
toujours émergent :
– Pierre Savorgnan de Brazza pour les futurs Gabon et Moyen-Congo^
(Congo-Brazzaville),
– Émile Gentil pour l'Oubangui-Chari et surtout le Tchad.
Tout se jouera en vingt-cinq ans, de 1875 à 1900. La marche au
Congo
sera le premier temps. Celle au Tchad, le second. La première
s'effectuera
sans effusion de sang. La seconde, par contre, débouchera
sur une lutte
sévere contre le maître des lieux, le puissant Rabah.
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En 1877, l'Américain Stanley7 est rentré, lui aussi, d'Afrique, porteur
d'une nouvelle exceptionnelle. Renouvelant l'exploit de
Cameron8, il a
traversé le continent africain d'est en ouest et rapporté
des informations
bouleversant les données admises. Le Congo qu'il a
redescendu est le fleuve
de l'Afrique centrale9. Loire africaine, mais
sur une autre échelle, il effectue,
comme sa cadette européenne, une
vaste boucle avant de s'orienter
franchement sud-ouest pour déboucher dans l'Atlantique. Navigable sur de
larges biefs – l'un d'eux
mesure 1 700 km – il s'élargit, peu avant son
embouchure, en un
vaste lac auquel l'explorateur a donné son nom, le
Stanley Pool. Après
quoi, il se précipite dans des gorges et des rapides qui
entravent la
navigation. Ces obstacles expliquent que nul n'ait pu encore
remonter
son cours au départ de l'Océan.
Pour Brazza, tout s'éclaire. Cette étendue d'eau dont lui parlaient
les
riverains de l'Alima est le Congo. Il n'en était qu'à cinq ou six
journées de
marche. Son dur voyage prend une tout autre importance.
La voie de
l'Ogooué débouche sur le Congo. Elle offre un axe de
pénétration pour
l'exploration et la prise de possession de l'Afrique
centrale.
Les convoitises internationales prennent elles aussi, dans le même
temps,
une tout autre dimension devant les révélations de Stanley. Une
immense
région est accessible. Elle appartiendra au premier occupant
(européen
s'entend).
Un nouveau venu a déjà pris rang dans cette compétition.
Léopold II, le
souverain du jeune État belge10, a des ambitions et des
possibilités
financières. Intelligent, énergique, autoritaire, cupide aussi,
disent ses
détracteurs, il aspire à donner à son pays au cadre modeste
l'envergure d'une
grande nation. Le Congo brutalement révélé, lui
offre une occasion unique
qui sera l'affaire de sa vie.
Les récits de Stanley ne peuvent que confirmer ses projets qui
commencent à s'ébaucher.
Du 12 au 14 septembre 1876 – un an avant le retour de Stanley
– il a
réuni chez lui, à Bruxelles, une conférence internationale. Il ne
vise,
affirme-t-il que des buts scientifiques et humanitaires : explorer le
centre de
l'Afrique, faire disparaître la traite des noirs. Qui ne saurait
souscrire à ces
vues généreuses ? Sous l'impulsion de Léopold II et
pour répondre à ses
objectifs, il a été créé une Association Internationale Africaine (A.I.A.)
comprenant divers comités nationaux dont un
belge bien évidemment.
(Ferdinand de Lesseps préside le comité français.) Ces organismes ainsi mis
en place doivent permettre au roi des
Belges d'agir en toute quiétude et
légalité en Afrique centrale.
La situation en était là au retour de Stanley.
Celui-ci, passé les clameurs saluant son succès, recherche un parrainage
pour exploiter sa découverte. L'Angleterre, sollicitée, se récuse.
Léopold II,
plus opportuniste, ne laisse pas échapper l'occasion. Il a
de suite compris ce
qu'un Stanley pouvait lui apporter.
Entre les deux hommes tout aussi résolus, l'accord est vite conclu.
Un
« Comité d'études du Haut Congo », exclusivement belge, charge
Stanley
de remonter le Congo et de reconnaître le pays afin d'y constituer un État
noir (dont Léopold II, sous-entendu, est appelé à devenir
le souverain).
A l'automne 1879, Stanley bien pourvu en hommes et en matériel
– les
banques belges sollicitées par le roi ont financé – parvient à
l'embouchure
du Congo. Sa mission est précise : forcer une route, le
long du fleuve, de la
mer au Stanley Pool ; arrivé là, mettre ses
bateaux démontables à l'eau et
prendre possession des rives. Un tel
projet implique d'être le premier au
Stanley Pool. Mais Stanley est
confiant. Nul n'a osé avancer des prétentions
identiques et nul ne dispose de moyens comparables au siens.
Il a compté sans Savorgnan de Brazza. Le Français n'a pas perdu
son
temps.
Il sait parfaitement, personne ne le dissimule, ce que prépare Stanley. A
la hâte, il regroupe quelques fonds : cent mille francs votés par
le
Parlement, des subsides de la Société de Géographie de Paris11. Le
début de
l'année 1880 le revoit au Gabon, à nouveau explorateur quasi
solitaire avec
une maigre escorte. Stanley, de son côté, a entamé sa
marche depuis
quelques semaines.
Brazza, comme prévu, renoue avec les paysages de l'Ogooué et
commence ce qui sera appelé sa deuxième mission. Au terme de sa
navigation, il établit une base. Franceville est née. Renonçant à la route
de
l'Alima, il pique directement plein sud-est et descend en partie le
Léfini,
belle rivière affluent du Congo. Les Apffourous, si hostiles
auparavant,
laissent passer l'explorateur et sa petite suite. Ils ont
compris qu'il était un
homme de bien.
Enfin, un soir tard, après une longue marche sur un plateau inhabité, il
découvre à ses pieds l'immense étendue d'eau du Congo, à
l'éclat argenté
sous le firmament étoilé.
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1 Sur une carte, les distances de cet Ouest africain paraissent modestes (région
comprise entre le
Congo et le littoral, soit pratiquement Gabon et Congo actuels),
et pourtant il y a :
– 1 200 km (à vol d'oiseau) de Libreville à Pointe-Noire
– 600 km de Brazzaville à la mer
– 1 800 km de Brazzaville à Bangui
– 1 500 km de Fort-Lamy (N'Djaména) à Bangui.
2 En 1980, le Congo-Brazzaville (ex-Congo français) comptait 900 000 habitants, le Gabon
environ 500 000. C'est dire la faiblesse de la population un siècle
plus tôt.
3 « La forêt vierge », est-il écrit dans les manuels scolaires. Le terme est significatif.
4 Navire-école de la Royale. A formé de nombreuses générations d'officiers de
marine.
5 L'Ogooué, qui se jette dans l'Atlantique par un large delta à hauteur du cap
Lopez, a
environ 970 km de longueur.
6 Sensiblement parallèle à l'Alima, 150 km plus au nord.
7 John Stanley (1841-1904) Américain d'adoption, naturalisé anglais en 1872.
8 V.L. Cameron (1844-1894). Explorateur anglais. A le premier, de 1873 à
1875, traversé l'Afrique
centrale d'est en ouest.
9 Le Congo (Zaïre 4 500 km) prend sa source aux abords des grands lacs,
monte vers le nord-ouest
puis s'incurve vers la mer à hauteur du 2e parallèle.
10 La Belgique, faut-il le rappeler, s'est dégagée de la tutelle hollandaise en
1830. La couronne du
nouvel Etat a été confiée à la maison de Saxe-Cobourg-Gotha. Léopold II (1835-1909) est le second
souverain régnant de cette dynastie.
11 Il puisera aussi toujours largement sur sa fortune personnelle pour couvrir
ses expéditions.
12 Makoko est un titre (identique à celui de roi). L'usage, à tort, en a fait un
nom propre.
13 En principe, les deux rives du Congo, des cataractes jusqu'au confluent avec
l'Oubangui. Ce
traité sera, le 1er octobre, ratifié par les vassaux de Makoko.
14 Brazzaville, capitale de l'actuel Congo-Brazzaville, compte maintenant plus
de 300 000 habitants.
15 Les reconnaissances, effectuées par la suite, confirmeront cette perspective.
Le Kouilou-Niari
sera l'itinéraire emprunté pour se rendre de Brazzaville à la mer.
16 Prosper Augouard (1852-1921). Évêque de Brazzaville de 1890 à sa mort.
17 1 275 000 francs en janvier 1883 puis 780 000 francs en août au titre des
ministères de
l'Instruction publique, des Affaires étrangères et de la Marine.
– 30 fonctionnaires civils.
– 30 militaires ou marins.
– 150 laptots dont Malamine revenu de Brazzaville.
18 Le Congo englobe encore à l'époque le Gabon, le Congo, l'Oubangui-Chari
(future
Centrafrique).
Chapitre XXIII
LA COURSE AU NIL
SOUFFFLET A FACHODA
FACHODA
Fachoda. Un nom au relent amer pour la fierté nationale française.
Un
coup bas supplémentaire de la « perfide Albion » à la France pour
s'emparer
d'une place courageusement acquise par ses vaillants coloniaux. Un genou
mis à terre devant les exigences d'outre-Manche.
Cette présentation, si sommaire soit-elle, n'est pas absolument
fausse ;
mais l'événement Fachoda n'est pas si simple. Derrière le
camouflet
incontestable, il y avait aussi les dividendes tirés d'une situation analysée
avec réalisme, les contreparties en Afrique même, l'Entente cordiale. Bref,
un dossier complexe, péripétie importante de la
France coloniale.
Mais avant de relater le déroulement et les conséquences de cette
affaire,
baptisée à l'époque « l'incident de Fachoda », il convient d'en
préciser les
données initiales par un « point » rapide de la situation en
1885.
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Dakar – Djibouti.
Le Caire – Le Cap.
Deux grandes diagonales, l'une ouest-est, l'autre nord-sud. Les
extrémités
de la première sont françaises ; celles de la seconde sont
anglaises.
L'idée surgit tout naturellement : joindre par une chaîne de maillons
continus les points extrêmes de ces deux diagonales. Celui qui, le premier,
réalisera le dessein, coupera l'Afrique en deux à son profit.
La carte, d'un seul regard, éclaire cette large vision de géopolitique.
Elle
montre plus. Ces transversales Dakar-Djibouti, Le Caire-Le Cap,
se coupent
quelque part sur les bords du Nil supérieur à la partie
méridionale du
Soudan égyptien. Près de ce véritable épicentre de
l'Afrique, un nom, celui
d'une localité jusqu'alors dédaignée par l'Histoire : Fachoda1. Fachoda, voilà
le cœur de l'Afrique, le point de
rencontre non seulement d'invisibles
diagonales mais surtout de bien
réelles ambitions.
Pour l'Angleterre, il ne saurait y avoir simplement ambition. Si la
France
prend pied avant elle à Fachoda, elle la menace doublement.
Elle jouxte les
riches plateaux du Kenya et de l'Ouganda où les
Anglais viennent de
s'installer. Elle prépare peut-être une revanche
égyptienne en prenant pied
sur ses arrières dans ce Soudan pour
l'heure en rébellion ouverte contre le
pouvoir britannique du Caire.
En 1885, les Anglais ont subi là une rude défaite. Khartoum, la
capitale
du Soudan égyptien, est tombé aux mains des Mahdistes
(appelés aussi les
Derviches). Gordon Pacha, le commandant en chef
anglais, a été tué. Si la
France s'installe sur le Haut Nil, la reconquête
du Soudan n'est plus possible
et l'Égypte britannique elle-même a tout
à craindre.
Bref, pour un Anglais, le drapeau tricolore à Fachoda n'est pas
concevable. Tout se tient et tout s'éclaire. Fachoda, cité perdue, est
destinée
à entrer dans l'Histoire. Encore faut-il que la volonté humaine
rejoigne la
géographie. Celle-ci, brutalement, en 1895, se présente sous
le képi d'un
jeune officier français.
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1 Aujourd'hui, Kodok. Fachoda est bâtie sur la rive gauche du Nil blanc.
2 Si les grands, les Gallieni, les Lyautey, Mangin, Gouraud, sortent de Saint-Cyr, l'École de Saint-
Maixent permettant aux sous-officiers d'accéder à l'épaulette
a donné également des coloniaux
fameux : Marchand, Largeau, Voulet...
3 Forte d'une centaine de tirailleurs sénégalais, de plusieurs centaines de porteurs, la mission, outre
Marchand, sera encadrée au départ par :
– le capitaine Germain, adjoint de Marchand ;
– le capitaine Baratier ;
– les lieutenants Mangin, Largeau et Simon (Mangin commande l'escorte des
tirailleurs) ;
– l'enseigne de vaisseau Dyé ;
– le médecin de la marine Emily ;
– l'interprète Landerouin et quatre sous-officiers.
4 Du persan sirdar, titre attribué au commandant en chef de l'armée égyptienne.
5 Le port de Loango, au Gabon, est, à l'époque, la porte d'accès au Congo et
à l'Afrique
équatoriale. Il sera par la suite abandonné au profit de Pointe-Noire
offrant un cheminement plus aisé
vers Brazzaville.
6 On sait que le Nil blanc et le Nil bleu se réunissent à hauteur de Khartoum
pour former un fleuve
unique, le Nil.
7 Fachoda est située par 9o56'16" de latitude Nord et 29o58'52" de longitude
ouest.
8 Par la suite, le dessinateur Forain, le Jacques Faizant de l'époque, devait
reprendre ce thème à la
Une du Figaro. Marchand, debout, les bras croisés, semble
protéger le drapeau tricolore. A ses côtés,
Kitchener s'interroge : « Comment
décourager ce brave ? » Quelqu'un de son entourage lui glisse :
« Je vais essayer...
en lui faisant lire quelques journaux français. » Les Anglais avaient effectivement
communiqué à Marchand cette décevante lecture, bien propre à saper le moral.
La détermination du
Français et de ses compagnons n'en avait en rien été altérée.
9 Paradoxalement, la liaison avec Marchand est assurée par les Anglais,
maîtres de la navigation
sur le Nil du Caire à Fachoda.
10 Par la suite, Delcassé regrettera cette parole malheureuse et se montrera
magnanime devant
Marchand et ses officiers qui n'auront pas mâché leurs mots
11 Faux. Marchand n'avait demandé qu'une relève au profit des éléments les
plus affaiblis.
12 Marchand, par la suite, affirmera que militairement, à Fachoda, il n'était
pas battu d'avance. Les
Soudanais de l'armée britannique auraient été prêts à
changer de camp. Cette hypothèse eût été à
démontrer et rien ne prouve qu'elle
se fût avérée fondée.
13 La mission rentrera en France par mer où elle sera reçue avec éclat par les
uns, avec plus de
retenue par les autres (le pouvoir politique notamment). Fait
exceptionnel, une promotion de Saint-
Cyr sera baptisée Commandant Marchand.
Celui-ci, déçu et amer, quittera l'armée en 1905 et ne
reprendra l'uniforme qu'en
1914 pour défendre son pays. Commandant de brigade, puis de division, il
se
couvrira de gloire.
14 Par rapport au lac Tchad : le Baguirmi se situe au sud, le Kanem au nord-est, et l'Ouadaï à l'est.
Chapitre XXIV
L'OUBANGUI-CHARI
ET LA MONTÉE VERS LE TCHAD
Maistre, Clozel, Mizon, Dolisie, Crampel, Gentil et d'autres sont de
ces
enfants que la France a oubliés. Et pourtant ! Ne lui ont-ils pas
ouvert le
Tchad, donné l'Oubangui-Chari, futur Empire centrafricain
et par là-même
procuré cette version moderne du Collier de la Reine1,
les diamants de
Bokassa ?
Ils se présentent tous en disciples de Brazza, abordant, comme lui,
l'Afrique centrale les mains nues et la paix au cœur. De cette cohorte
généreuse et passionnée, un premier nom se détache : Paul Crampel
(1864-
1891). Peut-être parce qu'il est tombé encore jeune à son poste.
Plus
certainement parce qu'il est l'initiateur d'une grande idée.
A vingt-trois ans à peine, Paul Crampel est au Congo auprès de
Brazza.
Une mission en pays pygmée d'où il revient grièvement blessé
ne le
décourage pas. Bien au contraire. Convalescent, il ébauche et
mûrit ce qui
sera le grand dessein des coloniaux français :
« La réunion sur les bords du Tchad de nos possessions de l'Algérie-
Tunisie, du Soudan, et du Congo... »
Le Tchad ! Contrairement au Congo révélé brutalement par Stanley, il est
l'un des repères africains depuis longtemps dans les esprits.
L'explorateur allemand Nachtigal, enfant, rêvait : « Que de fois, jadis,
aux heures fastidieuses de la classe, j'avais regardé les contours de ce lac,
qui, seul alors, avec les Monts fabuleux de la Lune, mouchetait sur les
cartes géographiques l'immense blanc de l'Afrique centrale. »
Il ne se doutait pas alors que sa destinée le mènerait, un jour, sur ces
berges couvertes de roseaux, de papyrus et de nénuphars.
Le Tchad, cette étendue lacustre, largement marécageuse, de 25 000 km2,
vestige d'une vaste mer intérieure, s'affirme de toute antiquité un carrefour
connu et disputé. De là, partent ou convergent les grandes voies
commerciales vers le Niger, le Soudan, Tripoli ou le Nil. Ses berges sont
une étape quasi obligée pour les sultanats voisins du Baguirmi, du Bornou
ou du Ouadaï. Propagé par les grands nomades chameliers, l'Islam s'y est
fortement enraciné et y assure une relative continuité de pensée et de
civilisation avec les pays du nord.
Connaissant son existence par les récits des marchands et des pèlerins
musulmans, les explorateurs européens ont aspiré à l'atteindre. En 1823,
trois Anglais, Benham, Cudney, Clapperton, y accèdent par la Tripolitaine.
L'Allemand Berth y arrive à son tour en 1853. Son compatriote Nachtigal
l'explore plus méthodiquement en 1870-1871. Le premier, il découvre le
Chari2. Mais tous ces pionniers sont en gros venus du nord. La route du sud
reste à défricher.
A priori, pour accéder au Tchad, à partir du Congo, il existe deux voies
majeures : l'Oubangui et la Sangha. Ces affluents, importants, de la rive
droite du Congo, au cours sensiblement parallèle, remontent plein nord (du
moins jusqu'à Bangui pour l'Oubangui). Sur ces deux axes vont se
concentrer les efforts. Sous Brazza d'abord, sous Gentil ensuite,
explorateurs et militaires, fidèles à la pensée de Crampel, n'auront de cesse
durant la décennie 1890-1900 d'atteindre et d'occuper le Tchad.
En 1889, Dolisie fonde un poste à Bangui, au coude de l'Oubangui.
L'emplacement est bien situé. Les rapides, en amont, en font le terminus de
la navigation à vapeur. Mais la région est peu sûre. En mars 1890, le chef de
poste, Albert Musy, est massacré avec sa poignée de tirailleurs.
Cette mort ne dissuade pas Crampel. Fin décembre 1890, il quitte à son
tour Bangui. Il suit l'Oubangui dans un premier temps, puis l'abandonne
pour piquer vers le nord. Il arrive dans le Baguirmi et aborde le bassin du
Chari.
Le jeune homme connaît mal le danger Rabah à l'origine de la disparition
de Musy. Il se garde peu. Le 9 avril 1891, il est assassiné non loin de
l'actuelle frontière entre Tchad et République centrafricaine. Il n'avait pas
encore vingt-sept ans. Son compagnon Biscarrat
connaît le même sort peu
après.
Ce désastre pourrait porter un coup d'arrêt aux tentatives vers le
Tchad. Il
n'en est rien. A Paris, le temps des incertitudes, des hésitations, s'éloigne.
Le Comité de l'Afrique française3 s'est créé en 1890.
En 1890 également,
le 5 août, a été signée entre la France et l'Angleterre la déclaration
définissant la fameuse ligne Say-Barroua. Say est
sur le Niger, Barroua sur
le Tchad. Si le Niger commence à être bien
connu, le Tchad demeure
mystérieux. Il faut donc y aller. Les expéditions, côté français, s'amplifient.
Monteil part de Say en août 1891. En mars 1892, il sera au Tchad.
Dybowski, en novembre 1891, venge Crampel et disperse une partie
de la
bande qui l'a assassiné. En 1894, Maistre et Clozel reconnaissent
la Haute
Sangha et la ligne de partage des eaux entre les bassins du
Congo et du
Tchad. De son côté, empruntant le Niger et la Bénoué,
le lieutenant de
vaisseau Mizon atteint Yola en août 1893. Il est là, à
environ 500 km au
sud-ouest du Tchad. Liotard, commissaire de la
République dans le Haut
Oubangui, gagne Tamboura. Il s'est ainsi
aventuré bien à l'est, ayant rejoint
le bassin du Nil. Celui-ci est à
moins de 500 km. Mais pour y parvenir, il
reste à franchir le Bahr el
Ghazal, immense cuvette marécageuse.
Toutes ces missions et reconnaissances présentent un double intérêt.
Elles
améliorent les connaissances géographiques. Elles positionnent la
France
dans des régions convoitées par les Allemands, les Anglais et
les Belges.
La route pour atteindre le Tchad se dessine : remonter le Congo,
l'Oubangui, puis un affluent de celui-ci. Après quoi, franchir à pied
les
modestes croupes et retrouver le Chari. Ce fleuve navigable mène
au
Baguirmi, vieil État riverain du lac. Son sultan paraît favorable à
la France
pour faire face aux adversaires qui l'enserrent.
Parallèlement, on discute en Europe. Une série d'accords, que les
années
à venir renforceront, déterminent les limites internationales. La
convention
du 18 août 1894, passée avec le roi des Belges Léopold II,
établit la ligne
Oubangui-M'Bomou4 comme limite nord de l'État
indépendant du Congo.
Cet accord a l'avantage de laisser, dans l'immédiat, l'accès ouvert aux
Français vers le Nil. Vers l'ouest, les Allemands du Cameroun se montrent
envahissants. Pourtant les postes de
Carnot et Berberati, créés par Clozel,
marquaient une prise de possession de la région. Le traité franco-allemand
du 4 février 1894 reconnaît
la propriété de la France mais l'écarte de la
Haute Bénoué et du
Bornou attribués au Niger anglais. Un peu plus tard,
le 15 mars 1897,
un nouveau traité abandonnera à l'Allemagne l'Adamoua
et le Mouri,
c'est-à-dire le nord de l'actuel Cameroun.
Ainsi, peu à peu, les frontières se figent, encore que, en 1895, le
Tchad ne
soit pas véritablement atteint. Le Nil inférieur non plus. Qui
y gagnera la
partie ?
Marchand se battra pour l'emporter sur le Nil. Il échouera bien
malgré
lui.
Gentil se battra et l'emportera au Tchad au terme de plusieurs
années de
lutte.
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1 En 1785, espérant s'attirer les bonnes grâces ou les bontés de Marie-Antoinette, le cardinal de
Rohan avait envisagé de lui offrir un collier de diamants (il
savait que la reine y tenait). Le donateur,
trop crédule, avait été berné par un
couple d'aventuriers. L'affaire, divulguée, avait fait grand bruit et
largement discrédité la monarchie.
2 Le Chari : 1 100 km (Nachtigal ignore encore son importance réelle). Il est
avec le Logone, plus
à l'ouest, l'un des principaux cours d'eau alimentant le lac.
3 Cf. chapitre XXI : « Le Parti colonial ».
4 Le M'Bomou, affluent de la rive droite de l'Oubangui, coule d'est en ouest
sur plus de trois cents
kilomètres. Il marque, aujourd'hui, avec l'Oubangui, la
frontière du Zaïre (ex-Congo belge) avec la
République centrafricaine.
5 Pierre Gentil (1866-1914).
6 Rabeh ou Rabi ou Rabah (1845 ?-1900)
7 120 km à l'ouest de l'actuel N'Djamena (Fort-Lamy).
Chapitre XXV
LA MISSION FOUREAU-LAMY
Quinze années ont passé depuis la mort de Flatters. Le Sahara
demeure
toujours inviolé en dépit de quelques actions isolées.
En deux ans, de décembre 1890 à décembre 1892, le capitaine Monteil,
pratiquement seul, depuis le Sénégal a rallié Tripoli par Ségou,
Ouagadougou, Say, Barroua, Bilma et Mourzouk. Magnifique exploit
personnel sans grand retentissement.
En 1892, cependant, El Goléa a été occupé. Les forts Mac-Mahon,
Miribel, El Inifel, flanquent la position au sud. Le coin s'est ainsi
enfoncé
un peu plus au cœur du Sahara entre le grand erg oriental et
le grand erg
occidental. De là, les Français menacent In Salah et le
Touat.
De l'autre côté du désert, les militaires ont encore progressé. En
1894,
Joffre a définitivement occupé Tombouctou. Plus au sud encore,
venant du
Congo de Brazza, les missions, par l'Oubangui et le Chari,
remontent vers le
Tchad.
Le Tchad ! Quel colonial ne saurait y rêver ? Il représente l'objectif
idéal,
la clé de voûte de l'expansion nationale au centre du continent
africain.
Converger de toutes parts vers le Tchad, du nord, du sud, de
l'ouest1, voir
les possessions françaises s'y accoler, l'idée fait son chemin. Le Tchad, de
surcroît, est une proie vulnérable. Les petits royaumes du Kanem, du
Baguirmi, de l'Ouadaï, du Bornou sont en
pleine décadence. Le négrier
égyptien Rabah leur porte l'estocade, ravageant le pays pour se tailler son
propre fief. Hormis ce Rabah,
aucun chef local ne peut heureusement
s'opposer à une incursion française.
Étienne, la Société de Géographie, le Comité de l'Afrique française,
militent en ce sens. Des hommes de terrain, bien au fait du problème,
se
battent pour, bien décidés à devenir les réalisateurs des projets qui
mûrissent. Ils se nomment Foureau, Lamy, Voulet, Gentil, ceux-là qui
deviendront la vie même de la marche au Tchad. Les deux premiers,
surtout, sont à Paris les vrais démarcheurs d'une idée qu'il faut bien
faire
accepter en haut lieu. Leurs noms sont indissolublement liés dans
cette
grande aventure.
Fernand Foureau (1850-1914) est le civil2. Autodidacte, colon installé à
Touggourt, il ne cesse depuis des années de pénétrer le Sahara.
Il s'est ainsi
mérité une solide réputation d'explorateur et de scientifique averti. La
cinquantaine ne freine pas son dynamisme. Il brûle de
réaliser enfin cette
traversée complète du Sahara qu'il n'a pu jusqu'alors mener à bien3.
Amédée François Lamy est le militaire. Cet ancien de La Flèche et
de
Saint-Cyr a connu le Sénégal, le Tonkin, Madagascar, le Sahara.
Il a été
chef de poste à El Goléa. Ses états de service éloquents l'ont
mis en avant et
fait désigner comme officier d'ordonnance du président
de la République,
Félix Faure. Cette affectation lui permet de côtoyer
les milieux politiques
parisiens et de débattre du dessein qui lui tient
à cœur depuis longtemps :
planter définitivement le drapeau tricolore
au Tchad.
Un legs conséquent à la Société de Géographie de Paris, destiné à
accroître le développement de l'influence française au Sahara, fournit
à
point nommé l'indispensable nerf de la guerre4. Au début de 1898,
Foureau
et Lamy obtiennent l'agrément des pouvoirs publics sur un
large
programme. Trois missions convergeront vers le Tchad :
– La mission Foureau-Lamy, dite Saharienne, au départ de l'Algérie.
– La mission Voulet-Chanoine, dite Afrique centrale, au départ du
Sénégal.
– La mission Gentil, dite Chari, au départ du Gabon.
*
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La mission Foureau-Lamy
Lamy, soldat avisé, n'entend pas renouveler l'erreur de Flatters.
Passé le
grand erg oriental, il aura contre lui les Touaregs. Au-delà,
sur quel potentat
indigène ne risque-t-il pas de tomber ? Il n'ignore
pas, en particulier, qu'un
certain Rabah esclavagiste et xénophobe
notoire sévit aux abords du Tchad.
La mission Foureau-Lamy sera donc d'abord une expédition bien
charpentée, avec une solide escorte5.
La petite équipe civile qui comporte un photographe et un député,
Charles Dorian, sera à l'abri des rezzous. En contrepartie, la colonne
sera
alourdie (ravitaillement, munitions, équipements scientifiques).
Au départ, elle ne comprendra pas moins de 1 000 chameaux. Les
guides
seront des Chaambas et Lamy n'oublie pas leur fidélité douteuse à l'égard de
Flatters.
Foureau, le civil, a le commandement nominal de la mission. Face
aux
réalités, souvent militaires, parfois politiques, toujours logistiques,
du
terrain, Lamy sera l'animateur premier et le chef incontestable.
Le 27 juillet 1898, la mission saharienne voit les palmiers de Biskra
s'effacer sur l'horizon des Zibans. Elle n'atteindra Zinder au Soudan
(2 700 km au sud-est d'Alger) que le 2 septembre 1899 – quatorze
mois de
route pour la traversée du Sahara !
Une route par Touggourt, Timassine6, le Tassili, le Tanezrouft,
l'Air,
Agadès.
Une route à la recherche perpétuelle d'un point d'eau suffisant, d'un
itinéraire convenable, dans l'expectative d'une attaque éventuelle ! Lamy est
partout. Infatigable, il se mêle aux reconnaissances à la
recherche des puits.
Arabisant et diplomate, il palabre avec une infinie
patience pour obtenir des
renseignements des Touaregs rencontrés.
Chef responsable, il veille
constamment à la sécurité de sa colonne et
de ses bivouacs. L'âme de
l'expédition, c'est lui.
Dans cette longue marche, la faim, la soif7, la maladie, le désespoir
sont
souvent au rendez-vous. Des chameaux affaiblis s'abattent pour
ne plus se
relever. Le 29 novembre, le caporal Receveur meurt de
dysenterie. Des
tirailleurs se suicident. Certains s'égarent et disparaissent à jamais.
Il y a toutefois, en plein désert, des découvertes insolites, tel ce petit lac
de cent mètres sur dix et d'un mètre de profondeur. Une bonne pêche est
possible et égaie l'ordinaire.
Et les semaines après les semaines défilent.
Le 1er janvier 1899, huit clairons et la nouba fêtent la nouvelle année par
une danse allègre et une sonnerie « Au drapeau ».
Le 9 janvier, la Croix du Sud se profile pour la première fois au
firmament. La mission saharienne a abandonné le versant méditerranéen
pour le bassin soudanais.
Le 20 janvier, Lamy, Foureau et Dorian se lancent dans un raid
d'hommage à Flatters. En quatre jours ils effectuent 300 km pour aller
reconnaître et saluer les lieux où est tombé le lieutenant-colonel le
16 février 1881. De ce périple du souvenir ils rapportent quelques
ossements et quelques vestiges.
Le 25 janvier, la colonne réceptionne son ultime convoi de ravitaillement
en provenance du nord. Elle est désormais définitivement coupée des
territoires contrôlés. Elle ne peut compter que sur elle-même dans un
univers quasi inconnu. Il reste à affronter le Tanezrouft, le pays de la soif, et
le plateau granitique de l'Aïr.
Les Touaregs durcissent leur hostilité. Deux hommes partis en
reconnaissance, sont assassinés. Le 3 mars, 400 guerriers attaquent de nuit
le campement. Ils laissent 4 tués et un prisonnier. Le 19 juin, le caporal
Billotet est tué. Plusieurs tirailleurs sont blessés.
Avec le printemps et l'arrivée de l'été la température augmente et atteint
dans la journée 45-46o. Les hommes, les bêtes souffrent de plus en plus. A
In Azaoua, Lamy a dû ordonner une longue halte et organiser une navette
jusqu'à l'Aïr. L'expédition a déjà perdu
250 chameaux et l'hécatombe se
poursuit. Tous ces transbordements, toutes ces rotations exigent du temps.
Envers et contre tout Lamy tient ferme. Il marque le 14 Juillet par un tir
d'artillerie pour impressionner les populations.
Cependant, le pays, peu à peu, change d'aspect. Il retrouve de la verdure.
Les ombrelles des gommiers, les touffes d'épineux, annoncent une terre
moins ingrate. Des orages éclatent. Le type négroïde des habitants s'affirme.
Le 28 juillet, un an presque jour pour jour après le départ de Biskra,
Lamy et ses compagnons aperçoivent la haute pyramide du minaret de la
Messeldgé. Agadès ! Agadès enfin ! Pour la première fois, des Français ont
réalisé la traversée nord-sud du Sahara. Le Tchad se devine au bout de leur
peine.
1 De l'est ? La France est à peine à Djibouti et n'a pas pénétré dans l'intérieur.
Elle buterait du reste
sur l'Abyssinie. Et puis la porte orientale se ferme avec
l'affaire de Fachoda.
2 Après avoir été un combattant valeureux au siège de Paris en 1870.
3 Il compte à son actif onze explorations géographiques et scientifiques.
4 300 000 francs offerts par M. Renoult des Orgeries. Somme considérable
pour l'époque.
5 L'escorte militaire, sous les ordres du capitaine Reibell, comprend 9 officiers,
2 médecins,
15 sous-officiers et 306 hommes de troupe. Le 1er Régiment de tirailleurs algériens de Blida a fourni
l'ossature : 212 tirailleurs (5 de ceux-ci deviendront officiers et seront tués en 14-18). Il y a aussi :
13 spahis algériens, 29 spahis
sahariens, 51 tirailleurs sahariens. Deux petits canons Hotchkiss
de 42 mm constituent l'artillerie.
6 Futur Fort Flatters. Aujourd'hui, Zaouia el Kahla.
7 L'eau reste évidemment le problème crucial. Les puits sont rares, espacés et
souvent comblés par
le sable. Il faut les creuser, les déblayer et attendre qu'ils se
remplissent pour pouvoir puiser et
remplir les guerbas (outres de peau) d'une eau
à la propreté et au goût douteux.
Chapitre XXVI
LA MISSION VOULET-CHANOINE
La mission Voulet-Chanoine dite Afrique centrale, qui deviendra
par la
suite la mission Joalland-Meynier, est l'un de ces épisodes dramatiques sur
lesquels une bonne partie de l'historiographie coloniale
a jeté un voile
pudique.
Les faits n'en sont pas moins là, graves et douloureux. Deux officiers
français en sont directement responsables. Ils ne sauraient être
les seuls
coupables. On ne lance pas à la légère une colonne aux
moyens limités dans
un univers hostile. Le pire risque de déboucher
de la nature humaine livrée
à elle-même.
Cette mission Afrique centrale en direction du Tchad, un homme
l'a
passionnément voulue : le capitaine Paul Voulet. Lui aussi, comme
Foureau
et Lamy, il a compris l'intérêt du Tchad :
1 Et d'un petit canon servi par l'artilleur Joalland, également chargé de dresser
une carte
au 1/200 000.
2 Que certains, comme Brazza, ne pratiquent pas. Plus d'un, faute d'y recourir,
succombera.
3 A Zinder donc qui apparaît comme la cité des merveilles.
4 Le lieutenant Meynier fera une belle et courageuse carrière. Blessé à Dankori,
blessé encore à
Koucheri. Mutilé durant la Grande Guerre, commandant militaire
du territoire des Oasis en 1915-
1916. Général, directeur des territoires du Sud en
1930.
Chapitre XXVII
LA CONQUÊTE DU TCHAD
Automne 1899
Foureau et Lamy, depuis Zinder, progressent vers le Tchad.
Joalland et Meynier, les nouveaux chefs de la Mission Afrique centrale
(ex-Voulet-Chanoine), les précèdent d'un mois sur les rives du
lac.
Gentil, commissaire du gouvernement et chef désigné de l'ensemble,
arrive du Congo par le Chari.
La manœuvre de conquête du Tchad aborde sa phase finale. Elle
comprendra trois temps. Elle connaîtra trois chefs.
– Gentil conquiert les bases, du Congo au Chari.
– Lamy défait Rabah (22 avril 1900).
– Largeau assure l'extension et la pacification de l'actuel Tchad
(1903-
1915).
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Les propos de Largeau, le 31 décembre 1913, trouvent toute leur
justification :
« C'est moi, le colonel de Fort-Lamy, qui vous écris
cette lettre ; je
commande au nom de la République française, dans les pays du
Logone, du Chari, du Tchad, du
Baguirmi, du Selamat, du Rouanga, du
Sila, du Tama,
de l'Ouaddaï, du Batha, du Kanem, du Mortcha, du
Djebel et du Borkou16... »
L'ARGENT ET LE CRIME
Décidément, l'élégance n'est pas vertu ministérielle. Baratier l'a
appris à
ses dépens. Lyautey le découvrira. Brazza en fait l'expérience.
En congé de convalescence, suite à une menace de bilieuse hématurique,
il reçoit, sans préavis, une lettre du ministre des Colonies dont
l'Histoire n'a
pas retenu le nom1 :
« Monsieur le Commissaire général, j'ai l'honneur de vous informer
que
par arrêté en date du 2 janvier 1898 je vous ai placé dans la
situation de
disponibilité avec traitement à compter du 13 janvier
1898, date à laquelle
prendra fin le congé de convalescence dont vous
êtes titulaire. Signé : Le
Ministre des Colonies. »
Exit, par la petite porte, l'homme qui a donné à la France le Congo,
le
Gabon, l'Oubangui-Chari et ouvert le Tchad.
Un ministre ignore l'acte gratuit. Celui des Colonies n'a pas agi sans
sollicitations. Le commissaire général gênait. Sa générosité, son
humanisme, sa défense de l'indigène, son hostilité aux grosses entreprises
mercantiles, heurtaient trop d'intérêts. Beaucoup d'argent était en jeu.
Brazza, de son côté, n'a pas toujours fait preuve d'habileté. Sa gestion
pouvait laisser à désirer. Ses comptes pouvaient prêter à discussions même
s'il avait puisé largement dans sa cassette personnelle pour
couvrir les frais
de ses missions. Son aide à la mission Marchand avait
été relative. Sa
réserve devant le héros national de Fachoda avait
déplu. Plus d'un lui en
avait fait grief. Bref, Brazza pour beaucoup
avait fait son temps. Mais rien
ne justifiait une mise à pied aussi
brutale.
Brazza parti, le Congo s'offre à toutes les cupidités. Ses successeurs,
Gentil en particulier à partir de 1902, se soucient trop de leur carrière
pour
faire obstacle à tout ce qui peut de près ou de loin toucher la
gens politique
parisienne.
Les voies sont donc libres. En mars et juillet 1899, le ministre des
Colonies concède pour trente ans l'exploitation de 550 000 km2 (la
superficie de la France) à une quarantaine de sociétés. Le budget de
l'Etat
devrait être gagnant. Ces concessions sont accordées en contrepartie de
l'entretien des voies de communications et du paiement d'une
redevance
de 15 pour 100 sur les bénéfices.
En fait, la loi du profit l'emporte. La délégation n'a pas prévu de
contrôles. Les sociétés concessionnaires peuvent agir sans retenue.
Elles ne
s'en privent pas. Des milices privées, recrutées en Afrique
occidentale,
encadrées par des « petits blancs » sans scrupules, se
livrent à la chasse aux
travailleurs pour assurer les beaux jours des
Compagnie Française du Haut
Congo, Compagnie de la Lobaye,
Compagnie de Setté-Cama, Sagha-
Oubangui, Kouilou-Niari, etc.
Pour produire, toujours produire et vendre2, l'intolérable est vite
dépassé.
Femmes et enfants sont retenus en otages pour interdire aux
hommes de
s'enfuir dans la brousse. Des camps de travail sont organisés. Mauvais
traitements, maladies, déciment les malheureux requis
de force pour les
labeurs forcés. « La terre qui tue »... écrira Georges
Toqué, pourtant peu
innocent dans l'affaire.
Les sociétés sont coupables mais l'administration civile porte ses
responsabilités. Elle a tous les pouvoirs. Gentil a exigé qu'il en soit
ainsi.
Si l'armée règne au Tchad, territoire militaire où la conquête n'est
pas
terminée, elle n'est rien en Oubangui et au Congo.
Les administrateurs locaux règnent en maîtres, nantis d'une autorité
sans
partage. Le règlement autorise un agent, dit inférieur, à appliquer
les peines
suivantes :
– la chicotte3
– l'amende
– la barre de justice
– la prison.
Le commandant de cercle4 a droit :
– de déportation
– de mort.
Des mains parfois trop jeunes ou peu qualifiées5, des cerveaux
déséquilibrés par le climat et l'isolement, ont latitude d'user ou d'abuser
de
ces prérogatives léonines.
Gentil, par ses propres directives, a amplifié les possibilités d'arbitraire :
« Je ne vous cacherai pas que je me baserai, pour vous
noter, surtout
sur les résultats que vous aurez obtenus au
point de vue de l'impôt
indigène, qui doit être pour vous
l'objet d'une constante préoccupation. »
1 Il s'agit en fait d'André Lebon, cas type de ces parlementaires promus pour
équilibrer un cabinet
ministériel mais parfaitement ignorants des problèmes relevant de leurs ministères.
2 Du caoutchouc, des bois, de l'ivoire, etc.
3 Fouet à lanières nouées (Larousse).
4 Il y a quatre cercles en Oubangui-Chari.
5 Les meilleurs éléments de l'École Coloniale préfèrent les pays de vieilles civilisations ou au
climat moins dur : Indochine, Maghreb.
6 Georges Toqué (1879-1920) sera fusillé en 1920 pour intelligences avec l'Allemagne.
7 Documents refusés, transports retardés, télégrammes interceptés.
8 Paul Bourde.
9 Les Belges connurent de très graves scandales dans l'Abir et la Mongale
(Congo) ; les indigènes,
pour acquitter 5 francs d'impôts, fournissaient plus de
700 francs de caoutchouc.
10 Jusqu'à la fin de ses jours, Thérèse de Chambrun, son épouse, crut au
meurtre par
empoisonnement de son mari.
11 Lanessan, ancien gouverneur général de l'Indochine. Beau, gouverneur en
exercice à Hanoi.
Roume, gouverneur général de l'A.O.F.
Chapitre XXIX
MADAGASCAR
LA GRANDE ILE
Au-delà de 1815, en grattant bien, les bonnes consciences trouvent
toujours quelques justifications ou quelques prétextes fortuits dans les
conquêtes coloniales : piraterie, esclavage, massacres de chrétiens,
tyrannie,
terres inoccupées...
Madagascar échappe à la règle. L'île est le cas d'espèce, presque le
cas
d'école, de l'impérialisme colonial pur : lutte d'influence entre deux
grands,
la France et l'Angleterre, volonté de puissance, conquête militaire difficile
en butte à l'hostilité des populations. Le tout assorti d'intérêts matériels
conséquents.
Madagascar, la Grande Île, ce bloc isolé, vaste comme la France1,
est un
monde en marge. On le dit africain. Il ne l'est pas. Ses populations viennent
d'ailleurs. D'Indonésie pour l'essentiel. De l'Afrique
toute proche il n'a ni les
coutumes, ni la civilisation, et, encore moins,
les balbutiements. Bien au
contraire. Loin du séparatisme tribal,
Madagascar, au milieu du XIXe siècle,
est un État structuré. Il se présente comme un royaume bien établi, avec son
gouvernement, son
administration, sa juridiction, son armée, ses finances. Il
a sa langue,
le malgache, parlé par ses trois à quatre millions d'habitants2.
Le tableau n'est pas à idéaliser. Madagascar est loin de constituer
un
modèle. Le despotisme est maître. Il ne se prive pas pour éliminer
ses
adversaires. Être mis à bouillir vivant n'est pas le moindre des
supplices.
L'épreuve du poison, véritable ordalie, est coutumière. En
trente-trois
années de règne, Ranavalona aurait fait exécuter 200 000
de ses sujets.
Même si le chiffre est excessif, il rend compte de la réalité
sanguinaire du
régime.
L'esclavage sévit. Les populations sont plus soumises qu'intégrées.
Celles
du sud, encore archaïques, échappent à l'autorité centrale.
Celles de l'ouest
la contestent ouvertement. Bref, rien n'est exemplaire,
bien au contraire.
De la à s'approprier le pays au nom de l'humanisme ! Et pourtant,
l'Angleterre et la France convoitent la Grande Île. Dans leur rivalité
sans
relâche, Madagascar apparaît aussi disputée que n'importe quelle
autre
portion du globe.
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La France, pour une fois, ne lésine pas sur les moyens. Elle n'a pas
le
droit de perdre. Évincée, l'Angleterre prendrait sa place. Le parti
colonial ne
saurait tolérer un tel camouflet.
Le général Duchesne, commandant en chef désigné, dispose donc de
15 000 hommes en deux brigades. Toute l'armée française a donné15.
Chasseurs à pied, fantassins métropolitains, tirailleurs algériens, malgaches,
légionnaires, sont au coude à coude. Huit batteries d'artillerie,
quatre
compagnies du génie, sept compagnies du train, les appuient.
7 300 Kabyles, 1 143 Abyssins ou Somaliens, 270 Comoriens, ont été
recrutés comme coolies ou conducteurs des fameuses voitures
Lefebvre16.
Duchesne, débarqué le 15 avril 1895 à Majunga, prend ainsi la tête
d'une
colonne solide mais lourde. Par la vallée de la Betsiboka, il se
dirige vers
son objectif normal : Tananarive, la capitale Hova.
Les épreuves commencent. La piste, ou ce qu'il en est, ne saurait
offrir
une voie carrossable pour les voitures Lefebvre acheminant le
ravitaillement. Il faut donc construire une route, d'où perte de temps.
La
troupe, les recrues métropolitaines surtout, n'ont pas toujours l'endurance
requise. Le paludisme, la dysenterie font des ravages. L'adversaire, bien que
mal armé, entrave la progression par ses
harcèlements.
Début septembre, Duchesne se rend compte des difficultés encore à
surmonter. Il reste 200 km à parcourir jusqu'à Tananarive. La saison
des
pluies approche. Le commandant en chef décide de laisser le gros
de ses
forces à Andriba et de former une colonne légère, dite volante,
de 5 000 hommes. Il ne se cache pas de tenter là un véritable coup de
dés.
Le 15 septembre, il enlève le défilé de Trinaimanbry. Le 20, il force
le
passage des Ambohimena. Le 4 octobre, il entre dans Tananarive.
Une salve
d'artillerie tombée sur le palais royal a décidé la reine Ranavalona III à
hisser le drapeau blanc. La campagne s'achève sur un
succès militaire qui
doit déboucher sur une victoire politique.
Elle a coûté quelques centaines de tués au combat et surtout 6 000
morts,
victimes du paludisme et d'anémie. Un millier de malades
mourront encore
durant la traversée du retour vers la France. Les
chroniqueurs ne
manqueront pas de relever l'énergie du commandant
en chef réparant par un
coup d'audace les conséquences désastreuses
des erreurs17 qui avaient
présidé à l'élaboration de l'expédition de
Madagascar.
Avant d'entrer dans Tananarive, Duchesne, le 1er octobre 1895, a
signé
avec Ranavalona III un protocole rétablissant le traité de 1885
tout en
l'affermissant. Théoriquement, du moins, le principe du protectorat doit
trouver à Madagascar une application identique à celle
réalisée en Tunisie.
En France, les pertes de la campagne ont été douloureusement ressenties.
L'opinion publique réclame que les sacrifices consentis ne
l'aient pas été en
vain. Sans le préciser nettement, elle souhaite autre
chose qu'un vague
protectorat. Une décision un peu symbolique
semble lui donner une relative
satisfaction. Madagascar passe du
contrôle du ministère des Affaires
étrangères à celui des Colonies.
La suite immédiate ne paraît pas en accord direct.
En occupant Tananarive, les armes à la main, le corps expéditionnaire a
accompli la mission qui lui était impartie. Il appartient aux
civils de prendre
le relais. Le préfet de Haute-Garonne, Hippolyte
Laroche, est envoyé sur
place comme résident. Et ses directives entrent
bien dans le cadre d'un
protectorat : « Éviter avec soin tout acte de
nature à affaiblir sans nécessité
l'autorité de la reine auprès des populations qui lui sont soumises. »
L'équivoque commence.
Entré en fonctions au début de 1896, Laroche, libéral de tempérament,
joue le jeu. Loyalement, il entend respecter les prérogatives
royales.
Les difficultés ne tardent pas. Les troubles éclatent attisés par un
fort
sentiment xénophobe et des maladresses à tous niveaux. Le
18 janvier 1896,
le gouvernement français décrète la « prise de possession » de Madagascar.
La réaction est immédiate. L'Imérina se soulève. De forts groupes
d'insurgés tiennent la campagne. A Antsirabé,
les Européens évitent le pire
en se barricadant. Tananarive est pratiquement encerclé. Les
communications entre la capitale, Tamatave et
Majunga sont régulièrement
coupées. Le cycle infernal de la répression
s'enclenche dans la mésentente
et la dualité du commandement : administration d'un côté, armée de l'autre.
Laroche reproche aux militaires leurs coups d'épée stériles et leurs
opérations punitives. Il n'a pas tort. Les militaires reprochent à
Laroche son
aveuglement et sa faiblesse. Ils n'ont pas tort.
La situation ne saurait s'éterniser.
Les décisions se précipitent. Le 6 août 1896, la Chambre vote l'annexion
de Madagascar. La Grande Île devient une colonie. Le 10 août,
Gallieni, à
peine rentré du Tonkin, nommé général, est convié à prendre le
commandement du corps d'occupation. Homme de devoir, Gallieni
s'exécute. Il n'a sollicité en renfort qu'un bataillon de Légion
« pour si
besoin mourir correctement ».
Le 7 septembre, il débarque à Tamatave. Le 14 septembre, une
dépêche
lui annonce sa nomination au poste de résident18 qui double
sa fonction
militaire. Paris a confiance en lui. Paris se décharge sur
lui. Laroche
s'éloigne. Désormais, Gallieni sera pendant neuf ans seul
maître à bord de la
nef malgache.
Gallieni a tôt fait de juger le cadeau qu'on lui remet :
« Une population entièrement soulevée. Une capitale
de 100 000 habitants à garder. Deux lignes de communications à
couvrir, à travers un pays plus difficile que le
Tonkin, une influence
anglaise sérieuse à combattre, des
effectifs insuffisants19. »
UN CAÏD NOMMÉ HUBERT LYAUTEY
L'épisode est bien connu.
Le 9 septembre 1903, le colonel Lyautey, chef de corps du 14e Hussard à
Alençon, reçoit un télégramme officiel, laconique et sans appel :
« Colonel Lyautey se présentera demain matin au ministre de la
Guerre. ».
L'officier, anxieux, s'interroge. Quelle infraction grave a-t-il pu
commettre pour devoir aller en rendre compte à son plus haut supérieur ?
La lumière se fait vite jour en son esprit. Quelques jours auparavant, le
colonel en uniforme et à la tête de ses cadres a assisté à un
office religieux à
la mémoire du pape Léon XIII. En ces temps d'anticléricalisme où l'affaire
des fiches bat son plein, c'est là une faute qui
ne pardonne pas. Le
sectarisme du général André, le ministre de la
Guerre, est bien connu.
Le brigadier du colonel, avisé par son subordonné, le sait :
« Mon pauvre ami, nous ne nous reverrons pas. »
Sans illusions sur son sort, le colonel passe son commandement à
son
adjoint, dit un adieu définitif à son entourage et prend le train
pour Paris. Le
Mont Valérien, au régime des arrêts de rigueur, sera
sa prochaine étape
avant son exclusion de l'armée.
Arrivé à Paris, au terme d'une nuit fiévreuse, Lyautey se dirige vers
le
ministère. En avance sur son horaire, il s'arrête à une terrasse et
commande
un café et un journal.
En première page du quotidien, un titre attire son regard : « Le
colonel
Lyautey nommé au commandement de la subdivision d'Ain-Sefra. »
Un coup d'œil sur un autre quotidien le convainc de la véracité de
l'information. Même en-tête.
Lyautey respire. D'un pas plus alerte, il aborde le boulevard Saint-
Germain et la rue Saint-Dominique, siège du ministère de la Guerre.
Il
connaît le pourquoi de sa brutale convocation.
Le ministre lui confirmera cette nomination inattendue dans le Sud
Oranais, que la personnalité de l'intéressé a pressentie et que les
circonstances ont précipitée1. Hubert Lyautey entre dans l'histoire pour
un
destin exceptionnel appelé à s'accélérer.
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A l'aube du XXe siècle, le Maroc vacille. Ce vieux pays qui eut ses
heures
fastes sous les Almoravides, les Almohades ou les Mérinides,
est malade.
La dynastie Alouite10 qui règne depuis 1640 et qui eut ses
grands noms n'a
donné comme prince que l'instable et fragile Abd el
Aziz. Il faudrait une
autre poigne pour tenir les rênes d'un royaume
difficile.
Le Maroc, en lui-même, manque d'unité et par sa géographie et par
son
peuplement. Ce vaste parallélogramme, bien que bercé par la mer
sur deux
façades, reste essentiellement terrien. Au nord, le Rif l'isole
de la
Méditerranée. A l'ouest, la côte atlantique est inhospitalière, sans
ports
naturels et, surtout, d'un accès rendu difficile par une barre dangereuse à
franchir. En son centre, les longs alignements des chaînes de
l'Atlas11 coupent les régions côtières de l'intérieur qui prend très vite
un
aspect saharien. Tous ces reliefs élevés – le Haut Atlas dépasse
4 000 mètres – et difficiles d'accès y constituent autant de zones
refuges
accentuant les contrastes ethniques : arabes (ou arabisés) en
plaine, berbères
dans le djebel12.
Le Maroc, fort heureusement pour lui, possède un liant très fort : sa
religion. L'Islam unit les hommes et les soumet – théoriquement
du moins –
à l'autorité du souverain, successeur reconnu du prophète. Son emprise
spirituelle rejoint et souvent dépasse son pouvoir
temporel. L'unité et la
grandeur marocaines reposent ainsi en grande
partie sur le prestige et la
valeur de son prince. Moulay Mohamed
(1640-1664), Moulay
Ismail13 (1677-1712), Moulay Hassan Ier (1873-1894) en portent
témoignage.
Le Maroc, ainsi, n'a pas une Histoire mais des tronçons d'Histoire.
Il est.
Il n'est plus. Il grandit. Il dépérit. Rien de commun avec la
progression
régulière de la France.
Le présent monarque est trop falot pour le rôle imparti. De surcroît,
il est
impopulaire. Il s'entoure d'Européens, s'écartant de la vie traditionnelle dans
un pays xénophobe et refermé sur lui-même. Il y a
moins de vingt ans,
Charles de Foucauld devait se déguiser en israélite
pour explorer le Maroc..
Le double pouvoir politique et religieux
d'Abd el Aziz glisse de ses mains.
Le « Bled Maghzen »14, le pays de
l'impôt15, lui obéit vaille que vaille. Par
contre, le « Bled el Siba »
échappe à toute contrainte. Cette division,
devenue une constante
depuis le XVIIIe siècle, recèle une réalité. Les chefs
des tribus des
contrées montagneuses du « Bled el Siba » n'entendent
recevoir
d'ordres de personne.
Faute d'autorité, le rezzou s'avère une institution. On part piller le
voisin.
Les plus téméraires se hasardent loin. Pour certains jusqu'en
terre
française...
Cette fragilité du trône s'est encore aggravée d'une crise interne
alors qu'il
n'est déjà pas aisé à une dynastie arabe de s'imposer à un
peuple de souche
berbère. Moulay Hafid est en révolte ouverte contre
son frère Abd el Aziz.
Il n'est pas le seul. Un Rogui (un prétendant),
un certain inspiré du nom de
Ben Amara, lève les masses entre Taza
et Oujda.
Un tel état de semi-anarchie, doublé d'une faillite financière, n'a pas
échappé aux convoitises européennes. Si les Portugais ont progressivement
perdu leurs ports de la côte atlantique et se tiennent en marge,
les
Espagnols, eux, ne dissimulent pas leurs ambitions sur le Nord.
Dès la fin
de la Reconquista – 1492, prise de Grenade – ils ont mis
pied sur la rive
africaine avec plus ou moins de bonheur16. Ils tiennent
Ceuta, Melilla et
quelques îlots : Le Penon de Velez, Alhucemas, les
Zafarines. Forts d'une
position privilégiée, ils entendent bien s'approprier Tétouan, le Rif et plus
jusqu'à une ligne Rabat – Taza – Oujda.
Les Anglais sont discrets.
Officiellement, en contrepartie de Fachoda,
ils ont laissé les mains libres à
la France. Ils n'ont que des agents, à
Tanger surtout, tout comme les
Allemands. Ces derniers se montrent
sans cesse plus voyants, à la grande
irritation des Français enclins à
regarder le Maroc comme leur chasse
gardée.
Il y a là bien des raisons. La logique, le sentiment, conduisent tout
naturellement, étant présent à Alger et à Tunis, à dominer toute
l'Afrique du
Nord et à recréer l'unité du Maghreb réalisée sous l'égide
romaine puis
almohade.
Caillaux résumera, par la suite, cette vision :
Les sources de litiges sont là. Raisonnant sur les données de vassalité
supposée des tribus, les négociateurs ont bâti sur l'instable. Les
tribus vont,
viennent, refusant allégeance aux uns comme aux autres.
Qui doit les
contrôler ? Où passent les limites de responsabilités. Les
dispositions : « Il
procédera comme il l'entendra sur les siens », ne
sous-entendent-elles pas
un droit de suite donc de poursuite après les
factieux ?
Rien ne pouvait empêcher les incidents de frontière. Depuis 1845,
ceux-
ci n'ont pas manqué de se succéder avec plus ou moins de violence et
d'accord réciproque entre Français et Marocains pour y
mettre fin.
Au fil des années, la France s'est regardée chez elle à Ain-Sefra,
Djenien
Bou Zreg et Beni Ounif. En vis-à-vis, Figuig est terre marocaine. Le traité
de Lalla Maghnia le précise, mais le saillant de Figuig
s'avance comme un
coin. Il menace la route d'Ain-Sefra à Béni Abbès
et In-Salah, la voie des
oasis sahariennes23. De ce saillant – et d'ailleurs – les pillards marocains
peuvent surgir à tout moment pour
rançonner les populations œuvrant dans
la paix française. Depuis deux
décennies, le fameux Bou Hamama, entre
autres, y prépare ses incursions sur le Sud Oranais.
Une telle guerre larvée, Lyautey en a connu de semblables au Nord
Tonkin. Les pirates lançaient leurs raids contre les nha-qués des
rizières et
se repliaient sur leurs sanctuaires chinois. Du moins, là-bas,
à 10 000 kilomètres de Paris, Gallieni et Lyautey pouvaient-ils guerroyer en
toute liberté. La situation est bien différente à Ain-Sefra.
Au-dessus de lui, le brigadier Lyautey a un divisionnaire à Oran et
un
commandant de corps d'armée à Alger, sans évoquer l'omniprésence des
services (la toute-puissante intendance) ! Pour travailler,
Lyautey entend
avoir les mains libres. Ses relations parisiennes, la
confiance de Jonnart, lui
autorisent un statut jamais vu. Le commandant de la subdivision d'Ain-
Sefra ne relève plus que du ministre de
la Guerre. Le voici seul maître à
bord. « Déjà Napoléon perçait sous
Bonaparte... »
Lyautey a vu évoluer Gallieni. Il est trop cultivé aussi pour ignorer
les
méthodes de son illustre ancien sur ce même sol d'Algérie. Pour
Bugeaud,
pas de petits postes vulnérables, difficiles à ravitailler, gloutons en effectifs.
Des points forts d'où rayonnent des colonnes très
mobiles pour traquer
l'adversaire et rassurer les populations.
Les compagnies montées de la Légion Étrangère24, les goums, les
spahis,
les chasseurs d'Afrique, fournissent l'ossature de ces colonnes
que jadis
Bugeaud confiait à ses mousquetaires, les Lamoricière,
Bedeau, Pélissier ou
Saint-Arnaud. Avec de telles troupes, Lyautey
tient en main une force de
frappe redoutable. Muni de ses pleins pouvoirs, en maître du jeu, il frappe à
l'Ouest, en territoire supputé marocain. Surprises, les bandes qui
s'aventuraient en Algérie, doivent
commencer par se protéger avant, le plus
souvent, de devoir chercher
refuge loin de la zone frontalière.
Poussant son avantage, Lyautey occupe le terrain et s'y maintient.
Il
s'installe à Béchar auquel il donne le nom d'un officier blessé à cet
endroit,
le capitaine de Colomb. Béchar, oasis perdue, devient
Colomb-Béchar25.
Plus au nord, il s'implante à Forthasa et surtout à
Berguent26 (Ras El Ain à
l'époque).
Vers Colomb-Béchar la carte est imprécise, mais à Forthasa et surtout à
Berguent, les positions sont bien définies. Berguent se situe à
une
cinquantaine de kilomètres à l'ouest du Teniet El Sassi.
Lyautey, de son propre chef, a pris pied au Maroc. De Berguent, il
devine
au couchant la trouée de Taza et la voie qui a mené tous les
conquérants
vers Fez, Meknès et Rabat. Se laisse-t-il, parfois, entraîner à rêver ?
Dans l'immédiat, il est peut-être allé trop vite en besogne. Le sultan
proteste de cette violation. Paris s'inquiète et réagit. Les instructions
tombent : « Évacuer Berguent ! »
Évacuer Berguent ! Pour Lyautey, il n'en est pas question. Le général se
montre mauvais militaire. Oubliant que la discipline fait la force
principale
des armées27, il dédaigne d'exécuter l'ordre reçu.
Un télégramme arrive sur le bureau du ministre de la Guerre :
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LE PROTECTORAT MAROCAIN
LYAUTEY INSTALLE LA FRANCE
AU MAROC
Le peuple marocain se rend bien compte que l'Etranger profite du
délabrement du pouvoir et de ses divisions pour s'incruster sur son
sol. Le
téléphone arabe, par-delà l'Atlas, a divulgué l'avance française
sur la
frontière algérienne. Dans les villes, en bord de mer surtout, la
présence
européenne se fait chaque jour plus voyante. Financiers, marchands,
techniciens, aventuriers, s'affirment, bousculant coutumes et
traditions.
A Casablanca, ils édifient un port en engageant les travaux de
construction d'un chemin de fer. A Tanger, les diplomates de toutes origines
constituent une communauté importante et bruyante...
Les réactions violentes contre les personnes et les biens sont inéluctables
de la part de populations encore mal policées. Elles ne peuvent
qu'accélérer
une intervention des puissances incriminées et à l'affût,
sous couvert de
protection de leurs nationaux. Cette intervention est
d'autant plus inévitable
que le Maghzen (le gouvernement marocain)
est bien incapable de rétablir
l'ordre et d'assurer la sécurité.
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Lyautey est reparti avec un bon rapport : d'Amade se bat et se bat
bien.
Le commandant du corps expéditionnaire gardera son poste
grâce à la
rectitude de son camarade de promotion. Le Maroc n'en
est pas pour autant
quitte de son interrogation quant à son avenir.
Trois partenaires sont face à face, s'observent et se neutralisent en
partie.
Français et Allemands opposent leurs intérêts politiques et économiques.
Les Marocains se perdent dans leurs divisions et leurs luttes
intestines. Qui
sortira vainqueur de cette étrange mêlée ? Certes, Paris
aspire toujours à
occuper le Maroc mais n'ose pas accomplir le pas
décisif. Les contraintes
d'Algésiras, la crainte d'une réaction allemande, entravent les initiatives.
Alors, pendant des mois, voire des
années, la sinusoïde des heurts, des
compromis, des accords, des pas
en avant, des marches arrière, est destinée
à se poursuivre.
En 1908, Moulay Hafid l'emporte enfin sur son frère contraint de
s'enfuir
à Tanger. Sournois, cruel, débauché, le nouveau souverain est
vite rejeté par
une partie de son peuple en droit également de s'interroger. Est-il l'ami ou
l'adversaire des Français ? D'une main, il leur
demande de l'aide, de l'argent,
des instructeurs pour son armée. De
l'autre, il dénonce leur ingérence.
Au plan militaire, la guérilla anti-française se poursuit un peu partout.
Dans la Chaouia, des incidents éclatent de-ci, de-là. Des isolés,
des
officiers, sont assassinés. Le Tafilalet, surtout, bouge. Les Beraber
lancent
des razzias sur les zones françaises. En mai 1908, Lyautey,
toujours à Oran,
occupe Bou Denib pour y mettre fin. Il tient ainsi
la haute vallée du Guir6.
Quelques mois plus tard, éclate un incident lourd de lendemains. Le
25 septembre 1908, six légionnaires déserteurs, dont trois d'origine
allemande, sont arrêtés dans le port de Casablanca après une sérieuse
échauffourée, alors qu'ils allaient s'embarquer sur un vapeur germanique, le
Cintra. L'enquête révèle la responsabilité du consulat d'Allemagne,
véritable filière de désertions. Le fait divers se transforme
vite en conflit
diplomatique. Paris, preuves à l'appui, accuse le consulat allemand. Berlin
exige la libération des légionnaires, sujets allemands. La crise ne se
dénouera que par un arbitrage international
accordant un relatif avantage à
la France. La preuve est faite, s'il en
était encore besoin, que désormais tout
est susceptible de mettre le feu
aux poudres entre les deux pays.
Curieusement, en février 1909, les opposants d'hier se retrouvent
pour
chercher « à associer leurs nationaux dans les affaires dont ceux-ci
pourraient obtenir l'entreprise ». Un an plus tard, on reparlera
encore argent
pour mettre sur pied un syndicat d'affaires. La priorité
serait-elle accordée à
l'économie ?
Il semblerait. En mars 1910, les Français signent avec le sultan un
accord
d'évacuation de la Chaouia, de Casablanca, d'Oujda et des
postes de la
frontière algéro-marocaine. Il n'y a pas de suite hormis
l'envoi d'officiers
instructeurs à l'armée marocaine. On peut même s'interroger sur la suite.
En juillet 1910, Lyautey, nommé haut-commissaire dans les confins,
s'accorde quelque indépendance. Il réalise son vieil objectif en bordant
enfin pratiquement tout le cours de la Moulouya.
Enthousiaste, il écrit à Jonnart : « Le traité de 18457 est virtuellement
aboli et nous tenons la Moulouya pour toujours. »
Les militaires de la Chaouia, eux, s'organisent pour durer. La
Chambre
des budgets vote des crédits pour construire des chemins de
fer stratégiques
à voie étroite :
Casablanca – Settat,
Marnia – Oujda.
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SUR LA TRACE DES SAHARIENS
Mars 1904. Sur la piste sableuse, deux Européens cheminent côte à
côte.
Leurs méhara progressent du pas égal des montures habituées
aux longues
étapes. Plus de 100 km séparent Akbili, le point de
départ, d'In-Salah, la
prochaine destination.
Ces deux hommes qui n'échangent, par intermittence, que de brefs
propos
se connaissent bien. Ils furent ensemble, vingt ans plus tôt,
lieutenants au 4e
Chasseurs d'Afrique dans le Sud oranais. Ils guerroyaient alors pour
préserver la sécurité. Leurs routes ont divergé et
se sont retrouvées. Les
voici réunis à nouveau pour un destin similaire.
Ils vivent, ils mourront sur
cette terre saharienne qu'ils ont librement
choisie.
Le plus petit, celui à la longue tunique blanche frappée d'un cœur,
surmontée d'une croix pectorale, s'appelle Charles de Foucauld. Le
noceur
de jadis a trouvé la lumière et la certitude. Dieu est devenu
son maître.
Frère Charles de Jésus, ordonné prêtre en 1900, à quarante-deux ans, mène
une existence d'ermite rayonnant sa foi et
l'amour de son prochain.
Le second est le commandant Henri Laperrine, le chef militaire des
Oasis. Ce Saint-Cyrien, comme Charles de Foucauld, est un soldat
non de
Dieu mais de la France. Avec lui s'avance la paix française au
Sahara.
Cette paix, il veut la repousser encore plus loin. C'est pourquoi il a
demandé au frère Charles de Jésus de se joindre à lui. L'homme de
Dieu, le
marabout pour les musulmans, l'aidera à témoigner de sa
volonté de
concorde. Laperrine dénomme ce genre de voyage une
tournée
d'apprivoisement. Apprivoiser, c'est-à-dire habituer à vivre
ensemble. La
démarche s'inscrit dans cette aventure engagée depuis
près d'un demi-siècle,
que certains appellent la pénétration saharienne
et à laquelle les noms de
Laperrine et du père de Foucauld sont éternellement liés. Si une image doit
rester de ce que fut jadis, en ses
premiers temps, le Sahara français, c'est
bien celle de ce moine et de
cet officier œuvrant la main dans la main.
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LA MISSION FLATTERS
Le traumatisme de la défaite de 1870 s'estompe. La fierté nationale
se
relève. L'Algérie est devenue une colonie prospère, terre d'accueil
pour les
Alsaciens-Lorrains qui ont voulu rester fidèles à leur patrie
de naissance. A
des milliers de kilomètres de là, la mainmise sur le
Sénégal est acquise. Le
regard sur le Soudan se précise. Pourquoi ne
pas relier ces ensembles ?
La France de la seconde moitié du XIXe siècle connaît l'essor
extraordinaire du chemin de fer. L'Algérie française n'échappe pas au
phénomène. Dès 1860, est inaugurée la ligne Alger-Blida, premier tronçon
d'un projet ambitieux. Progressivement, le rail relie Alger à Oran,
Constantine, Bône, Philippeville6 et se ramifie vers l'intérieur. Support
de
l'expansion économique, il assure tout autant la sécurité en permettant
d'acheminer, très rapidement, des renforts militaires en cas de
besoin. Il s'en
ira ainsi jusqu'à Mecheria puis Ain-Sefra avant finalement d'atteindre
Colomb-Béchar en 1904 pour permettre de faire face
aux rezzous venus du
Maroc.
La France joue aussi le rail en Afrique centrale. Les travaux du
Saint-
Louis-Dakar (263 km) débutent en 1881. Quatre ans plus tard,
la liaison
sera achevée. De Dakar, on envisage de gagner le lointain
Soudan7. Des
portions de voie sont mises en chantier ; certaines sont
réalisées. En 1886,
le lieutenant-colonel Gallieni, rejoignant une
colonne, effectuera après
Kayes une partie de son trajet par chemin
de fer.
En 1880, relier les possessions françaises entre elles par le rail et
plus
particulièrement l'Algérie au Niger ne saurait donc apparaître
comme une
idée singulière. Elle est d'une parfaite logique politique,
militaire,
économique.
L'ingénieur des Ponts et Chaussées Duponchel se distingue dans
cette
perspective. En 1875, il préconise la construction d'un chemin de
fer
d'Alger à Tombouctou par le Touat. Trois ans plus tard, au lendemain d'un
voyage à Laghouat, il publie un ouvrage remarqué et
intitulé : Le chemin de
fer transsaharien. Études préliminaires du projet
et rapport de mission.
L'heure de ce Transsaharien aurait-elle sonné ? Le ministre des Travaux
publics, le polytechnicien Freycinet, personnage au sérieux incontesté,
estime que oui. En 1878, il décide la création d'une commission,
pensant
« que l'heure était venue de relier par chemin de fer l'Algérie
et le Sénégal
où cent millions de consommateurs offraient un immense
débouché à nos
produits ».
Pour reconnaître le tracé de ce futur rail, trois missions sont dépêchées
sur place, dans le Sud oranais, le Sahara central et le Sahara
oriental. A la
tête de la dernière et la plus importante est désigné le
lieutenant-colonel
Paul Flatters alors âgé de quarante-huit ans.
Ce choix n'est qu'à demi heureux. Certes, ancien officier des
Bureaux
arabes en Algérie, longtemps en poste à Laghouat, Flatters
passe pour un
homme d'expérience. Mais le chef est nerveux, facilement irritable.
Emporté par le désir du succès, il gomme trop vite les
obstacles et accorde
trop aisément sa confiance. Lui accorde-t-on aussi
les moyens suffisants ?
Pour s'aventurer si avant en pays inconnu et
hostile, il faudrait une équipe
homogène, habituée aux risques de la
vie du désert, et une forte escorte. Ce
ne sera pas le cas. La mission
Flatters se voudra une mission scientifique et
non militaire. C'est prématuré.
Le 5 mars 1880, Flatters quitte Ouargla. Arrivé à hauteur du Tassili
des
Ajjer sur le 26e degré de latitude, après avoir parcouru 900 km, la
pénurie
de vivres, le comportement de sa troupe, la rigueur du climat
l'obligent à
rebrousser chemin. Il n'en revient pas moins riche de renseignements
topographiques.
A son retour à Paris, Flatters est le héros du moment, un héros qui
ne
songe qu'à repartir pour acquérir une gloire définitive. Il sera celui
qui le
premier assurera la liaison entre les possessions africaines de la
France.
Il se prépare donc à reprendre la route avec une équipe tout aussi
légère
et des compagnons manquant souvent d'expérience, ingénieurs
civils aussi
bien qu'officiers. Le capitaine Masson assisté du lieutenant
Dianous
commandera une modeste escorte8 de tirailleurs algériens.
Le 26 novembre 1880, la seconde mission Flatters part cette fois de
Laghouat et emprunte la vallée de l'oued Nya. Un mois plus tard, elle
est
à 330 km au sud-ouest d'Ouargla et pique vers Amgud. Les conditions sont
bonnes en dépit de la fraîcheur nocturne. Si la température
s'élève à 25-26o
dans la journée, elle tombe à moins cinq dans la nuit.
Plus Flatters s'avance vers le sud, plus il s'engage dans un pays mal
connu et a priori hostile. Confiant malgré tout, le colonel compte jouer
la
conciliation et s'entendre avec les Touaregs. Il espère obtenir aide
et
protection de leur chef, l'Amménokhal du Hoggar. Pourtant déjà
celui-ci
l'avait mandé sans ménagements : « Vous nous avez dit d'ouvrir la route,
nous ne vous l'ouvrirons pas9. »
A l'hostilité des lieux, s'adjoint aussi l'hostilité des hommes. Celle-ci déjà
se manifeste dans l'ombre. Obligatoirement Flatters doit se fier
à ses guides
indigènes qui de point d'eau en point d'eau ont charge
de le mener au
Soudan. Ils s'égarent mais la boussole, elle, ne trompe
pas. Peu à peu,
Flatters se rend compte que l'axe de marche s'oriente
plus vers l'est-sud-est
que vers le sud-ouest. Il s'en inquiète mais ses
guides s'obstinent et se
veulent rassurants. Flatters ne peut que faire
confiance.
L'expédition fête la nouvelle année 1881 à hauteur de Hassi Messeguem
aux approches du Tassili des Ajjer. Comme toujours, il a fallu
pour trouver
de l'eau déblayer le puits de cinq à six mètres de sable
et de terre. La vie au
désert n'est jamais une sinécure.
Ces solitudes, pourtant, sont moins vides qu'il ne paraît. La mission
croise des chameliers revenant de Ghadamès où ils avaient convoyé de
la
poudre d'or, des plumes d'autruche et surtout des esclaves. Ce
marché reste
toujours aussi fructueux en ces régions insoumises.
La nature se durcit. Aux étendues planes succèdent des chaos sans
fin.
Les passages sont si étroits que deux chameaux ne peuvent progresser de
front.
Flatters maintenant s'inquiète. Une sciatique qu'il traîne depuis le
départ
le fait souffrir de plus en plus. Son caractère s'en ressent. Le
chef devient
rapidement irritable. Un chef qui s'interroge, ne serait-il
pas prudent de
rebrousser chemin ? L'eau se raréfie. Hommes et bêtes
sont fatigués. Les
guides sont douteux. Les Touaregs aperçus de loin
ne manifestent que
défiance.
Le 29 janvier, Flatters est à 25o 31 minutes de latitude nord. Déjà
il se
croit sauvé. Tel le navigateur, il lui semble apercevoir le rivage à
l'horizon.
Et ce rivage est pour lui le Soudan (en fait, le Niger). Or
Agadès, la porte de
ce Soudan, est à plus de 700 km. Flatters n'est
encore qu'entre les deux
massifs du Hoggar et des Ajjer. Il décide de
poursuivre.
16 février 1881. Il fait chaud. L'eau commence à manquer. Les deux
guides déclarent s'être égarés mais connaître néanmoins un puits
proche. La
situation impose de s'y rendre. Flatters scinde sa troupe
en deux. Laissant
Dianous à la garde du campement, il part de l'avant
avec quelques
compagnons dont Masson. Effectivement le puits existe
au lieu dit Bir el
Gharama10. Il se dessine au centre d'une gorge, lieu
idéal pour une
embuscade. Flatters, néanmoins, s'engage avec sa petite
troupe et
s'approche du point d'eau convoité.
« Colonel, tu es trahi ! » s'écrie soudain Bou Djemaa, l'un des deux
guides. Remords ou avertissement ?
De toutes parts, des ravins, des crêtes, à pied, en méhari, des Touaregs
surgissent menaçants. Flatters qui n'est pas sans courage fait
front. Il est
frappé le premier. En vain, il vide son revolver et tombe
pour ne plus se
relever. Ses compagnons européens connaissent le
même sort. Quelques
chameliers indigènes réussissent à briser l'encerclement et à regagner le
campement.
Dianous alerté veut essayer de porter secours à son chef. Il n'a
qu'une
quarantaine d'hommes. Ils sont plusieurs centaines en face et
il est trop tard.
Flatters est mort. La mission s'est achevée avec lui. Pour les vivants, il n'est
qu'une ressource : remonter vers le nord.
Lentement l'odyssée commence. Il faut se battre. Il faut trouver de
l'eau
et des vivres. Au fil des jours, la colonne s'amenuise. Les harcèlements
réduisent les rangs. Des dattes achetées à des Touaregs se
révèlent
empoisonnées à la jusquiame. Des hommes deviennent à demi
fous.
Un ultime combat a pratiquement raison de tout l'effectif. Dianous
est
tué11. Il ne reste plus qu'un Européen, le maréchal des logis Poléquin. Il est
victime des siens qui l'abattent pour le dévorer. La faim,
la soif, ont
transformé les tirailleurs survivants en bêtes furieuses ; les
valides mangent
les morts pour survivre.
Finalement, ils ne seront qu'une petite douzaine à être, un peu
miraculeusement, récupérés par le Maghzen d'Ouargla. La mission Flatters
s'est achevée dans l'horreur et la tragédie.
La France ressent douloureusement l'événement. On oublie la faiblesse
des moyens mis en œuvre, les erreurs humaines. On ne retient
que la cruelle
réalité. Le Sahara se présente en milieu hostile et ingrat,
aux populations
dangereuses. Il n'est plus une mer tranquille à traverser. Il devient une
barrière redoutable. Tout est à repenser12.
Par contrecoup, l'issue dramatique de la mission Flatters remet ainsi
en
question la pénétration saharienne et la retarde de plus de quinze
ans. Elle
ajourne, en particulier, le projet, bien dans le goût du temps,
de
Transsaharien qui cependant continuera, longtemps, à hanter les
esprits.
Sur place, le massacre de la mission Flatters est regardé comme une
défaite, voire un aveu d'impuissance de la France. Il autorise une série
d'incidents contre un pays trop faible apparemment pour venger ses
nationaux.
En 1881, trois pères blancs sont assassinés au sud de Ghadamès, les
pères
Richard, Mor et Pouplard.
La même année, l'insurrection de Bou Amana, marabout de la tribu
des
Ouled Sidi Cheick – prolongeant celle de 1864 – ravage le Sud
oranais. Des
ouvriers espagnols travaillant sur des chantiers d'alfa sont
massacrés près de
Saïda. Des renforts militaires importants doivent
être envoyés.
En 1886, un officier est tué. En 1889, l'explorateur Douls connaît le
même sort.
Cette insécurité a en 1882 provoqué l'annexion définitive du M'Zab
souhaitée par du Barral trente ans plus tôt. La France, présente à
Ghardaia,
à 200 km au sud de Laghouat, tient la porte ouverte vers
El-Goléa, In-Salah,
le Hoggar. L'enchaînement y conduira obligatoirement.
Les diplomates ne peuvent qu'y songer. Les militaires, les Archinard, les
Gallieni ont atteint le Niger à Ségou et ne cachent pas leur
intention de
pousser plus avant. Tombouctou n'est qu'à 300 km. Ils
bornent ainsi
pratiquement le Sahara à son midi.
Le 5 août 1890, pour clarifier la situation sur ce point, la France et
l'Angleterre signent une convention :
C'est placer une bonne partie de la rive droite du Niger sous l'autorité
britannique qui y constituera sa colonie du Nigeria et laisser le
nord à la
France.
Lord Salisbury, le Premier ministre de la reine Victoria, ne pensait
pas
faire un grand cadeau. Il se gaussera : « Ce sont là des terres
légères où le
coq gaulois trouverait de quoi gratter. »
Il ne croyait pas si bien dire. Soixante ans plus tard, sous ses ergots,
le
coq gaulois fera jaillir gaz et pétrole, nouveau pactole du
XXe siècle15.
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1 Si le Sahara central et méridional est peuplé par les Touaregs, le Sahara
septentrional est occupé
par les Chaambas eux aussi pasteurs et de tout temps
ennemis de leurs voisins du Sud. A la fin du
e
XIX siècle, la population globale du
Sahara est estimée à environ 500 000 personnes.
2 Le M'Zab, 180 000 palmiers et 25 000 habitants environ à l'époque,
comprend sept villes :
Ghardaia, Melika, Beni-Isguen, Bou-Noura, El-Ateuf, Berryan, Guerrara. Ses habitants, les
Mozabites, sont de remarquables commerçants.
3 René Caillié (1799-1838). Cf. chapitre VIII.
4 Henri Duveyrier (1840-1892). Un poste militaire, en Algérie, entre Ain-Sefra
et Colomb-Béchar,
un peu à l'est de Figuig, portait son nom.
5 L'oasis de Ghat est à 1 000 km au sud-ouest de Tripoli, à la corne sud-est
du Tassili des Ajjer.
Clé du Sahara oriental, elle était alors occupée par une petite
garnison turque.
6 Alger-Oran est achevé en 1868, Constantine-Philippeville en 1870. Alger-Constantine, plus
délicat de par le passage des portes de Fer, ne sera complètement terminé qu'en 1887.
7 La liaison complète Dakar-Niger sera achevée en 1923.
8 47 tirailleurs algériens – 31 civils arabes chambas du nord du Sahara pour
convoyer le
ravitaillement – 7 guides.
9 Lettre du 7 mai 1880.
10 Foureau, passé sur les lieux quelques années plus tard, parlera du puits de
Tadjemout.
11 Pour honorer le lieutenant Dianous dont l'héroïsme fut certain, un village
de colonisation en
Algérie portera son nom. Il périclitera très vite et disparaîtra
de la carte.
12 Anticipant sur l'avenir, on est en droit de penser que le massacre de la
mission Flatters est la
cause première que ce Transsaharien n'ait jamais vu le jour.
Si Flatters avait relié l'Algérie au Soudan,
les travaux auraient certainement été
engagés, le chemin de fer étant le grand moyen de déplacement
du moment.
Auraient-ils été menés à leur terme ? On peut s'interroger devant les difficultés qui
n'auraient pas manqué.
Le Transsaharien, finalement, ne dépassera jamais Touggourt dans le Sud
constantinois, Colomb-
Béchar dans le Sud oranais. L'État français du maréchal
Pétain, en 1941-1942, reprendra le projet. La
loi du 22 mars 1941, validée par
l'ordonnance du 2 novembre 1945, après la Libération, autorisera la
construction
d'un réseau Méditerranée-Niger (nouveau nom du Transsaharien) reliant l'Algérie
au
Niger par Colomb-Béchar, Béni Abbès, Adrar, In-Tassit. 90 km seront mis en
service en 1948 de
Colomb-Béchar à Abdala, terminus actuel. Les études, très
poussées, ont confirmé qu'aucun
problème technique majeur n'interdisait une réalisation que les dissensions politiques entre les pays
africains concernés rendent
aujourd'hui plus qu'aléatoire (sans parler de sa justification économique).
13 Say : 50 km sud-est de l'actuel Niamey.
14 Barroua, sur les bords du Tchad, à environ 250 km nord-ouest de N'Djamena (ex-Fort-Lamy).
15 Faut-il le rappeler : les puits de pétrole d'Hassi-Messaoud sont à l'est
d'Ouargla. Ceux d'Edjelé
et d'In Amenas sont au nord du Tassili des Ajjer. Le
gisement de gaz naturel de Hassi-R'Mel estimé
à 3 000 milliards de mètres cubes
est un peu au nord de Ghardaia. L'Algérie indépendante doit cela à
la France.
16 Henri Blet, La France d'outre-mer, o.c., tome III, p. 127.
17 Théodore Pein, « le conquérant des oasis ». Tué en Artois le 9 mai 1915, à la tête de la première
brigade de la division
marocaine, alors qu'il venait de quitter le commandement du 2e Régiment
étranger.
18 Y a-t-il eu un ou plusieurs coups de feu ? Une étincelle suffit à allumer un
incendie qui ne
demandait qu'à s'embraser.
19 Gascon relatif. Henri Laperrine est né en 1860 à Castelnaudary. Par sa
mère, il descend du
fameux général d'Hautpoul tué à Eylau.
20 Le chef de bataillon Cottenest sera tué sur la Marne le 28 septembre 1914.
21 La compagnie méhariste comprend 6 officiers, 36 sous-officiers, caporaux et
soldats européens
et 300 hommes de troupe indigènes. Ceux-ci, engagés pour deux
ans, perçoivent une solde qui doit
subvenir à leurs besoins. Le problème de l'intendance ne se pose plus. Le méhariste vit sur un pays
qu'il connaît bien.
22 Les unités des Territoires du Sud ne relèvent pas des Troupes coloniales
mais des Troupes dites
métropolitaines de l'Armée d'Afrique.
23 Mauritanie : appellation romaine pour désigner le pays des Maures (Berbères de l'Afrique du
Nord). Les Romains distinguaient la Mauritanie Tangitane
(Tanger), Césarienne (Cherchell),
Sétifienne (Sétif).
24 Il est une vieille tradition de présence espagnole sur le continent africain
(l'esprit de la
Reconquista n'est pas mort en 1492 avec la prise de Grenade).
L'Espagne, prenant parfois le relais du
Portugal, occupe des places fortes (Présides), Ceuta, Melilla... Occupant en particulier Mogador
(Essaouira), l'Espagne
tire profit du commerce montant du Soudan par Tindouf, Goulimine et le
Sous.
Une guerre hispano-marocaine en 1859 s'est terminée par le traité du 26 avril 1860
concédant à
l'Espagne à perpétuité un territoire de pêche sur la côte sud du
Maroc.
25 Selon l'accord du 27 juin 1900.
26 L'Espagne ne prendra, en fait, possession d'Ifni que le 7 avril 1934.
27 Il apparaîtra par la suite, avec la création des escales aériennes sur la route
de Dakar (Cap Juby,
Villa Cisneros) et les découvertes minières.
28 Historiquement et juridiquement, le Touat en 1900 relève du Maroc, même
si l'allégeance est
des plus ténues.
29 Détermination indécise et remise en question. Les rivalités algéro-marocaines
au Sahara
occidental ont conduit à la présente guerre du Maroc avec le Front
Polisario soutenu par l'Algérie.
30 Littéralement, « La liqueur des yeux ».
31 150 kilomètres est-sud-est de l'actuel Elayoun.
32 300 km au nord de Saint-Louis.
33 500 km à l'est de Nouakchott.
34 Cotonnade anglaise de mauvaise qualité.
35 Joseph Frèrejean est un personnage. Indochine, Soudan avant la Mauritanie
où il séjourne une
dizaine d'années et se fait un grand nom. Ernest Psichari l'a
approché maintes fois et a servi sous ses
ordres. Frèrejean revit sous sa plume :
« Véritable chef de bande, sorte de condottiere africain, il est illustre en Mauritanie où, je crois, nul
Maure ne l'ignore. C'est lui qui, en 1905, a tué Bakar, roi
de Dovich, notre vieil ennemi. C'est lui qui
a soutenu le célèbre et homérique
combat de Tincheiba, qui a conduit la terrible et meurtrière colonne
de l'Inchiri.
Certes, pas un intellectuel, mais un brave et bon soldat. Et, en plus, très brave
homme. »
Lettre d'Ernest Psichari à sa mère, M'Bout, le 2 avril 1910.
« C'est un homme extraordinaire que ce Frèrejean. Je n'ai jamais vu de ma vie
un homme aussi
dépourvu d'intellectualisme. Mais quel riche caractère ! franc,
hardi, actif. Enfin, c'est un soldat, et
c'est la première fois que je marche avec un
soldat. Frèrejean n'est pas un saint. Je l'ai vu à Saint-
Louis ivre comme un Polonais. C'est un soldat comme devaient l'être ceux de l'Empire. C'est un Soult
dépourvu de toute nervosité et constant d'humeur. Combien je préfère ce genre à
tous nos
polytechniciens de l'artillerie, gens savants à lorgnons et à crâne dénudé ! Maintenant, j'ai une
conviction : s'il se fait quelque chose d'intéressant en Mauritanie ces années-ci, c'est lui qui le fera.
Non qu'il soit fort bien vu en haut lieu
où ses intempérances de langage, ses idées paradoxales et
violentes heurtent le
caractère rassis des gouvernants. Mais, d'abord, il est indispensable. C'est le seul
qui connaisse bien le pays et qui puisse agir utilement près d'eux. Et puis il a la
hardiesse, l'audace
nécessaire, en un mot l'allant – comme on dit dans l'armée
– et de plus, le besoin et la volonté
d'agir. »
Fou Adjar, le 23 avril 1910. Lettre à sa mère.
Ces lignes sont instructives. Elles éclairent autant sur Psichari que sur Frèrejean.
36 La colonne Gouraud, un peu plus étoffée, regroupe un millier de combattants (sénégalais,
spahis, partisans maures).
37 Terre de soleil et de sommeil, 1908.
L'Appel des armes, Les voix qui crient dans le désert, 1912.
Le Voyage du Centurion, 1913.
Chapitre XXXIII
DANS LES MERS LOINTAINES
Elles sont bien lointaines toutes ces possessions de l'Océanie, de
l'Afrique australe ou de l'Antarctique ! Pour y accéder, des milliers et
des
milliers de kilomètres à parcourir, des journées et des journées de
navigation à affronter.
Entre elles, à première vue, bien peu de points communs. Soleil
brûlant,
bourrasques glaciales, pluies torrentielles, aridité extrême,
sont, au gré des
latitudes, le lot des unes et des autres dans des paysages de rocaille, de
glace, de verdure, ou de désert. Ah, si, toutefois,
une première
convergence ! Partout, aux prémices de la colonisation,
des communautés
aux civilisations archaïques
Mais leur lien essentiel est ailleurs. Il est dans le drapeau tricolore,
planté, un jour, par une poignée de cœurs aventureux, partis de leur
terre
natale, en quête de découvertes, de richesses, de grandeur ou de
don de soi.
Cette absence d'unité originelle rend l'étude fragmentaire. L'ordre
chronologique n'est pas obligatoirement le meilleur même s'il rend
compte
de la progression. La spécificité impose beaucoup plus d'avoir
recours à
l'analyse particulière de ces territoires des antipodes : Océanie, Djibouti,
Comores, Nouvelle-Calédonie, Nouvelles-Hébrides, îles
des mers australes,
Antarctique.
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LA POLYNÉSIE
« Mes enfants iront sauver des âmes. Je les vois partir pour des îles
lointaines », confie le père Coudrin, fondateur des Picpusiens.
« Propager l'Église romaine par les Missions jusque sur les plages
les
plus reculées de la terre », assigne le pape Grégoire XVI aux
Maristes1.
Les deux ordres seront fidèles à ces prescriptions. Leurs disciples se
montreront les grands évangélisateurs catholiques du Pacifique. Mais,
leur
œuvre ne sera pas que spirituelle. Partout, dans l'Archipel de la
Société, aux
Marquises, à Touamotou, aux Gambier, à Wallis et
Futuna, en propageant
leur foi, en contrant le protestantisme anglais,
ils prépareront et favoriseront
l'implantation française.
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LA NOUVELLE-CALÉDONIE
Grande Terre hier. « Caillou » aujourd'hui. Nouvelle-Calédonie
depuis
deux siècles.
Telle une sentinelle avancée, cette longue langue de terre de 400 km
sur 507 semble monter une garde vigilante à 1 500 km au nord-est du
continent australien. Le capitaine Cook, le célèbre navigateur anglais,
est le
premier Européen à la découvrir le 5 août 1774. En fidèle sujet
de Sa
Majesté britannique, il la dénomme la Nouvelle-Calédonie8. Le
nom
subsistera.
Les horizons, sur la mer et la montagne, sont beaux. La nature
encore
vierge. La chaleur et l'humidité tropicale favorisent une végétation
généreuse. Les indigènes, Polynésiens cuivrés ou Mélanésiens
plus foncés,
encore sous la préhistoire, profitent de l'éternel printemps.
Volontiers
nonchalants, ils vivent d'un peu de pêche ou de cueillette,
voire d'ignames
ou de reliefs humains. L'anthropophagie subsiste.
Après Cook, la Nouvelle-Calédonie retombe dans l'oubli. Peut-être
La
Pérouse, en 1788, y fait-il escale ? Très certainement, l'amiral
d'Encastreaux, parti à sa recherche, s'y arrête-t-il à son tour quelques
années
plus tard.
L'île entre vraiment dans la vie française le 21 décembre 1843. Cinq
pères maristes venus de France débarquent en la rade de Balade.
Répondant
au souhait du pape Grégoire XVI d'évangéliser l'Océanie,
ils ont l'intention
de s'installer à demeure pour christianiser les
Canaques, les indigènes des
lieux.
Le jour de Noël, leur chef, Monseigneur Guillaume Douarre, célèbre
la
première messe en terre calédonienne9.
Quelques jours après, les cinq prêtres se retrouvent seuls. Le
commandant de la corvette Bucéphale qui les a convoyés leur a laissé
trois
sacs de farine et un baril de salaison. Il leur a aussi confié le
pavillon
national. Ils en feront bon usage.
Les missionnaires, comme toujours, n'ont pas choisi une tâche aisée.
Ils
sont loin de tout, coupés du monde dit civilisé. Leur apostolat se
heurte
souvent à l'hostilité. En 1847, l'un d'eux est tué. Ils doivent
durant une
année renoncer.
Monseigneur Douarre est un Auvergnat patriote. Il œuvre pour son
Dieu.
Il voudrait aussi que cette terre qu'il s'efforce de rendre chrétienne lie son
sort à celui de la France. Profitant du passage d'un
navire, il se rend à Paris
pour plaider sa cause. Louis-Philippe n'a pas
l'âme audacieuse. Il ne veut
pas heurter l'Angleterre qu'il sait hanter
les eaux néo-calédoniennes.
L'affaire Pritchard lui suffit. Monseigneur
Douarre, à son grand désespoir,
se heurte à un refus.
Les années passent. Napoléon III remplace le roi bourgeois. Les
missionnaires, après une courte absence, ont repris leur apostolat. Ils
sont à
Balade, à Pouibo et dans l'île des Pins. La Croix et le pavillon
national se
dressent au-dessus de leur mission.
Monseigneur Douarre se montre toujours aussi pressant. Il n'a pas
renoncé. D'autres pensent comme lui. Les marins se hasardent sur les
côtes
et dans l'intérieur. Non sans risques. Douze hommes de l'équipage de
l'Alomène, aventurés dans la forêt, sont massacrés et promptement utilisés
comme festin.
Il faut en finir. Les missions sont vulnérables. La menace d'une
mainmise
anglaise se précise. En 1853, Napoléon III se décide. L'amiral Febvrier-
Despointes est chargé de passer aux actes.
Le 24 septembre 1853, l'amiral est à Balade sur le site de la mission
créée
dix ans plus tôt. Derrière lui, ses officiers. Sur ses côtés, des
détachements
en armes. Face à lui, 150 Canaques chrétiens et les missionnaires français.
Le rituel peut s'exécuter :
« Aujourd'hui, vingt-quatre septembre mil huit cent
cinquante-trois, à
trois heures de l'après-midi, moi,
Auguste Febvrier-Despointes, contre-
amiral commandant
en chef des forces navales françaises dans la Mer
Pacifique, agissant en vertu des ordres de mon gouvernement,
je prends
officiellement possession, au nom de l'Empereur
et pour la France, de
l'île de la Nouvelle-Calédonie et de
ses dépendances, sur laquelle je fais
arborer le pavillon
national – à ce moment le drapeau est hissé en tête
de
mât à la mission – et je déclare à tous qu'à partir de ce
jour cette terre
est française. »
*
**
Les débuts sont modestes. En 1858, les colons ne sont encore qu'une
centaine. Nouméa n'est qu'un fortin du nom de Port-de-France11. Les
Canaques se montrent souvent dangereux. Des blancs sont assassinés
et
mangés.
Cependant, la colonisation continue à se développer, passablement
anarchique. Des permis d'occupation sont donnés sans grand contrôle.
Des
tribus sont dépossédées de terres productives. Peu à peu, elles sont
refoulées
dans les parties ingrates de l'île. Les troupeaux des nouveaux
arrivants ont
besoin d'espace, d'où cette marche en avant. Les natifs
de leur côté n'ont
qu'un goût modéré pour le travail. Il est fait appel
à une main-d'œuvre
asiatique. La Nouvelle-Calédonie reçoit un autre
peuplement. Elle connaît
le métissage. Les célibataires prennent femme
au grand mécontentement
des Canaques perdant des bras et des cœurs
dans un pays où la population
féminine est minoritaire.
Mais l'orientation de l'avenir pour la seconde moitié du XIXe siècle
se
décide à Paris.
En 1854, est instituée en France la peine dite de transportation,
condamnation de droit pénal dont le but est « de rendre plus humaine
la
répression et de la moraliser, en l'utilisant au profit de la colonisation
française12 ». Une telle décision s'inscrit bien dans l'esprit d'un
Napoléon III
généreux et utopique.
En 1863, la Nouvelle-Calédonie est désignée comme lieu de
transportation des individus de race blanche, condamnés à plus de huit ans
de travaux forcés. Le 7 mars 1864, un premier convoi de 250 forçats
arrive
à Nouméa, à bord de l'Iphigénie. Dix ans plus tard, ils seront
6 000,
plus 1 300 libérés astreints à résidence.
Entre-temps, sera intervenu un autre événement essentiel pour les
destinées de l'île. En 1867, un nickel à haut rendement (15 %) est
découvert
au Mont d'Or. La richesse future est assurée. Le 1er janvier
1880, la société
Le Nickel est créée avec participation de la banque
Rothschild.
Dans l'immédiat, l'irruption des forçats demeure le fait premier. A
ses
débuts, il s'avère bénéfique. Cette chiourme peut être utilement
exploitée
dans les travaux publics ou la colonisation agricole. La
population
européenne s'accroît. Nouméa s'affirme port et capitale. La
ville, bien située
au fond d'une belle rade entre l'île Nou et la presqu'île Ducos,
compte 6 000 habitants en 1870.
Tout n'est pas heureux. Deux pour cent seulement des anciens
condamnés
demeurent sur les concessions octroyées. Les méthodes et
les personnels de
l'administration pénitentiaire ne sont pas toujours
exemplaires. La
Nouvelle-Calédonie se crée mauvaise réputation en
métropole. Elle est le
pays du bagne. Ce discrédit s'amplifie avec les
lendemains de la Commune.
La révolution bourgeoise de Thiers a tremblé devant la révolte née
d'un
patriotisme exacerbé par la défaite et de la misère des quartiers
ouvriers.
Elle sanctionne sans pitié. Un grand nombre parmi ceux qui
ont échappé
aux salves vengeresses de la chute de la Commune sont
condamnés à la
déportation en Nouvelle-Calédonie13. Ils seront loin.
Ils ne troubleront plus
l'ordre public.
Ils se retrouvent ainsi 4 220 hommes et 23 femmes à débarquer sur
la
jetée de Nouméa entre 1872 et 1878. Dans leurs rangs, des noms
célèbres :
Henri de Rochefort14, Jean Allemane, Francis Jourde, Paul
Rastoul, Henry
Bauer, Louise Michel. Pour tous ces exilés : « Quand
reviendra le temps des
cerises ?... » dix pour cent d'entre eux ne reverront jamais la France et
mourront victimes des maladies et des conditions précaires de détention.
Après les mesures de grâce et surtout l'amnistie générale du
11 juillet 1880, quelques dizaines seulement de ces déportés resteront
en
Nouvelle-Calédonie. Il ne déplaît pas à un Caldoche de la fin du
XXe siècle
de se présenter en lointain descendant de l'un de ces politiques de la
Commune...
L'Algérie, en 1871, a vécu la révolte « kabyle ». Mokrani et certains
des
siens découvrent, eux aussi, l'île des Pins, l'île Nou15 ou la presqu'île Ducos,
principaux lieux de détention.
Leurs rapports sont bons avec leurs autres compagnons.
Tous ces déportés, politiques ou de droit commun, se trouvent
confrontés,
avec leurs compatriotes européens, à ce qui sera appelé la
grande révolte
canaque de 1878.
Les Canaques, les indigènes de la Nouvelle-Calédonie, sont estimés,
à
l'époque, à environ 40 000 personnes. Certains ont été christianisés
et
côtoient la colonisation. D'autres vivent de plus en plus repliés dans
l'intérieur. Il y a à leur égard des abus, des atteintes à la propriété, à
la
dignité, les ravages des troupeaux, les mesures dites de cantonnement des
tribus (analogues à celles pratiquées en Algérie), le comportement du
directeur de l'administration pénitentiaire, organisme tout-puissant16.
Les esprits s'échauffent. Les chefs se rebiffent.
Le capitaine de vaisseau Olry, gouverneur de l'île, visite la tribu du
chef
Ataï. Celui-ci est coiffé d'un képi d'officier de marine. Le dialogue
situe les
positions :
« Lorsqu'on se trouve devant le gouverneur, représentant de la
France, on
se découvre.
– Quand toi retirer ta casquette, moi retirer mon képi ! »
L'insurrection éclate le 19 juin 1878 par le massacre d'un forçat
libéré,
Chêne, de sa popinée17 et de leur enfant.
Les gendarmes intervenus pour arrêter les coupables sont massacrés
à
leur tour. Une guerre impitoyable s'engage. D'un côté, une multitude
armée
de casse-tête et de tamioc18. De l'autre, les Européens assistés
par les tribus
fidèles.
Les insurgés tuent et pillent sans pitié. Forçats, déportés, femmes,
enfants, vieillards, tout ce qui a un visage blanc, tombent sous leurs
coups.
Trente-sept personnes, dont six enfants, sont tuées à La Foa.
Le colonel
Galli Passeboc est assassiné. Plusieurs politiques sont assaillis sur leur lieu
de travail. La tuerie se termine parfois en cannibalisme.
La situation devient vite critique. Pour faire face, l'administration
n'a que
peu de moyens et doit avoir recours à tout. Colons, militaires,
prennent les
armes. Les politiques – ils sont nombreux – choisissent
leur camp. Ils
offrent leurs services à l'exception de quelques individualités comme Louise
Michel : « Moi, je suis avec eux, comme j'étais
avec le peuple de Paris,
révolté, écrasé, et vaincu... »
Le capitaine de frégate Rivière, le futur héros du Tonkin, est alors
en
poste à Nouméa. Il prend la direction des opérations dans le nord
de l'île où
l'insurrection est la plus sérieuse. Il autorise son adjoint, le
lieutenant de
vaisseau Servan, à armer certains politiques. Ensemble,
ils viennent à bout
de la révolte. Ataï, l'interlocuteur du gouverneur,
est tué l'un des premiers19.
En mars 1879, les combats tirent à leur fin. Les principaux meneurs
sont
morts. Les Européens ont eu 200 victimes, les Canaques, 1 200
(officiellement du moins). Armée, tribus loyalistes, transportés de la
Commune, Algériens déportés, ont eu raison de la révolte20.
La Nouvelle-Calédonie retrouve son calme. Elle perd ses politiques
mais
garde ses bagnards. Elle s'endort un peu, victime de sa mauvaise
réputation.
Les Canaques révoltés paient. Les tribus éclatent. Elles se
tassent dans les
réserves, principalement dans la partie orientale de
l'île. Leur démographie
se ressent du contact avec les Européens, leurs
tares – l'alcoolisme – et leurs
maladies. Elle fléchit sérieusement
durant plusieurs décennies.
Un nouveau départ survient avec le gouverneur Paul Feillet (1894-1902).
Enthousiaste, il s'assigne deux objectifs : arrêter la colonisation
pénale,
développer la colonisation libre. Il obtient de Paris l'arrêt de
l'envoi de
nouveaux condamnés aux travaux forcés et met le bagne en
extinction (la
suspension définitive n'interviendra qu'en 1921). Surtout
il attire de
nouveaux immigrants. Ceux-ci doivent répondre à trois
exigences : être
agriculteur, disposer de 5 000 francs-or, avoir les qualités morales requises.
Feillet s'assure ainsi d'un potentiel humain de
qualité.
Les « colons Feillet » se dispersent dans l'intérieur, cultivent le café,
s'efforcent d'avoir de bons rapports avec les Canaques, donnent une
heureuse image de la France. Le succès n'est pas le même pour tous.
Cinq
cents familles persévèrent et réussissent. En brousse, descendre
« d'un colon
Feillet » reste encore un titre de gloire.
Parallèlement, Feillet fait appel à une main-d'œuvre susceptible de
stimuler l'économie. Tonkinois, Indiens, Javanais (un petit millier)
optent
pour l'agriculture, Japonais (2 500) pour les mines de nickel.
La Nouvelle-Calédonie serait-elle condamnée à connaître de longues
périodes de basses eaux ? Après Feillet, elle doit attendre Joseph
Guyon
(1925-1930) pour une nouvelle relance et une politique de
grands travaux.
Mais, déjà, elle n'est plus ce qu'elle était. L'élément
européen tend à
équilibrer le peuplement canaque. Celui-ci s'est
éloigné de ses mœurs
primitives et largement christianisé. Les étrangers, asiatiques ou
polynésiens, jouent un rôle économique de plus en
plus important. Une
société multiraciale semble prendre forme.
Terre de peuplement, terre de christianisme, terre d'intérêts (avec le
nickel) puissants21, la Nouvelle-Calédonie n'est plus une colonie au
vrai
sens du terme, du moins pour la majorité de ses habitants. Elle
est la France
océanique.
*
**
LES NOUVELLES-HÉBRIDES
Non loin, au nord-est de la Nouvelle-Calédonie, sur 1 200 km, s'étirent
les 80 îles des Nouvelles-Hébrides22. Non loin est une formule à
l'échelle du
Pacifique. Que représentent 400 km devant l'immensité de
ce dernier ?
Cette proximité, de même, autorise la Nouvelle-Calédonie
à regarder
comme relevant de sa mouvance la série d'archipels des
Nouvelles-
Hébrides.
Ces archipels, un Portugais, Fernandes Quieres, les a découverts en
1606.
Bougainville, en 1768, en a pris possession au nom de la France,
possession
bien aléatoire faute de suivi. Cook, en 1774, leur a donné
leur nom définitif.
Ils seront les Nouvelles-Hébrides23.
A l'arrivée des premiers pasteurs protestants (1824), la population
de ces
îlots volcaniques noyés sous une épaisse végétation tropicale ne
se
différencie guère de ses voisines de Nouvelle-Calédonie ou Nouvelle-
Guinée. Son existence est celle de primitifs. Les missionnaires ne peuvent
avancer que pas à pas.
Les Nouvelles-Hébrides ne sont pas dépourvues de richesses. A partir
de 1840, des audacieux viennent s'y hasarder au trafic du bois de
santal. Des
baleiniers y font escale. Des colons anglais et français,
français surtout, y
tentent leurs chances après 1870. Leurs plantations
se jouxtent et se
recoupent. L'un d'entre eux, un certain John Higginson, commerçant néo-
calédonien naturalisé français, prend de l'importance. Son activité
commerciale lui procure une position en vue. Il en
profite pour réclamer le
rattachement pur et simple des Nouvelles-Hébrides à la France. Les
exploitants français ne sont-ils pas, de loin,
les plus nombreux ?
Une telle solution ne saurait plaire à Londres. La France n'est déjà
que
trop présente en Océanie. Un modus vivendi s'établit toutefois
par la
création d'une commission navale mixte, le 24 octobre 1887.
Français et
Anglais, au coude à coude, prennent en charge la gestion
des Nouvelles-
Hébrides. Leur expérience s'avérant à peu près
concluante, ils signent
le 20 octobre 1896 un protocole instaurant un
condominium, c'est-à-dire
une cosouveraineté franco-anglaise sur les
Nouvelles-Hébrides.
La formule est originale. L'Entente cordiale l'autorise. L'intérêt
commun
lui assure vie24. Elle durera jusqu'après la Seconde Guerre
mondiale. Elle
permet à cette partie du monde jusqu'alors arriérée
d'accéder à la
civilisation et au développement, même si les grosses
sociétés et le millier
de colons européens en sont les premiers
bénéficiaires25.
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LES COMORES
« Pistolet braqué sur Madagascar. » Certains historiens ne craignent
pas
les réminiscences pour qualifier les Comores32.
C'est sans doute aller trop loin, même si la position des intéressées
dans
le canal de Mozambique, entre Afrique et Grande Ile, en fait un
bon relais
entre ces deux mondes.
Les Comores, comme les Trois Mousquetaires, sont quatre : Grande
Comore, Anjouan, Mohéli, Mayotte33. Bien que la rive africaine ne
soit qu'à
trois ou quatre cents kilomètres, elles sont loin de présenter
le même visage
que leur imposant voisin. Le vieux fond cafre a été
laminé par l'apport
arabe. Par contrecoup, la région s'est islamisée et
intégrée dans le périmètre
commercial Somalie-Zanzibar-Colombo. Les
autres arrivants – esclaves
d'origine malgache pour l'essentiel – ont
dû se rallier à la loi d'Allah. La
religion donne ainsi aux Comores un
caractère propre que la présence de
petits sultanats et l'activité maritime renforcent.
La France, depuis longtemps, a des vues sur Madagascar. Les
Comores,
étape sur la route de Majunga ou de Tamatave, l'intéressent
donc. Les
bonnes occasions seront exploitées.
Un ancien roi sakalave, Andrian Souli, doit, en 1840, se réfugier à
Mayotte pour fuir l'hégémonie des Hovas. Devenu sultan de l'île, mais
se
sentant toujours menacé, il fait appel aux Français (présents, est-il
à
rappeler, à la Réunion). Le 10 février 1842, il leur cède son territoire
moyennant une rente annuelle de 5 000 francs. Mayotte est ainsi la
première
des Comores à tomber dans la mouvance française.
Des circonstances, sensiblement analogues, conduisent à un résultat
identique sur Mohéli. Un beau-frère de Radama Ier, rescapé du massacre de
toute sa famille, trouve lui aussi refuge dans les Comores. De
1828 à 1842,
il règne sur Mohéli. Sa fille, conseillée par une Française
de Pondichéry,
Mme Drouet, se rapproche de la France. Un protectorat
relatif s'établit. Mais
la souveraine commet l'erreur d'épouser un vindicatif qui la confine dans le
harem et pressure ses sujets au point
d'être chassé par une révolte en 1860.
La reine reprend son pouvoir
et ses anciennes alliances. Lambert, le
Lambert de Madagascar,
expulsé de Tananarive en 1867, s'installe à Mohéli,
contribue à sa mise
en valeur, et renforce l'influence française. Tout se
termine par un
traité de protectorat signé le 26 avril 1886.
Les deux autres Comores ne sont plus qu'un fruit mûr. En 1892,
Said
Abdallah accepte également le protectorat sur Anjouan. La partie
dans la
Grande Comore se joue au départ entre deux hommes unis
par l'intérêt : le
sultan Said Ali et le naturaliste Léon Humblot. Humblot s'est bâti un empire
économique. Le pouvoir de fait lui appartient. Said Ali est à la fois son
obligé et sa façade. Les sujets de Said
Ali se révoltent contre leur prince.
Une intervention militaire française
est nécessaire. En 1892, la Grande
Comore connaît elle aussi le régime
du protectorat.
Désormais, le drapeau tricolore flotte sur l'ensemble de l'archipel.
La
fiction du protectorat disparaîtra en 1912 et 1914. Les Comores
sont alors
rattachées à Madagascar, colonie française sans équivoque.
*
**
DANS LES MERS FROIDES
Un peu de géographie n'est peut-être pas inutile, car où situer exactement
les Kerguelen ou Saint-Paul ?
L'archipel des Kerguelen surgit dans l'extrême sud de l'océan
Indien.
Madagascar est à 3 000 km. Le continent antarctique à
2 000 km. Les îles
Saint-Paul et Amsterdam en sont distantes de
1 200 km en remontant vers le
nord. L'archipel des Crozet est à 1 800
km à l'ouest. Quant à la Terre
Adélie, elle est sensiblement sur le
méridien de Melbourne en Australie34.
Ses rivages sont eux-mêmes à
2 500 km du pôle Sud.
Voici le pays du froid. Adieu les mers chaudes, les lagons aux eaux
toujours tièdes. Aux Kerguelen, la température de la mer oscille de
5 degrés
en été à 1 ou 2 degrés en hiver. La banquise est le domaine
de la Terre
Adélie. Les vents soufflent avec violence. Les journées
calmes sont rares.
Manchots en terre Adélie, cormorans, albatros,
pétrels, « oiseaux des
tempêtes », manchots encore, sont les principaux
locataires de ces lieux
déshérités.
Il n'est pas étonnant que les visiteurs soient rares et ne s'attardent
pas.
Pourtant, ces sites doivent présenter un intérêt puisque la France
en a pris
possession de ces Kerguelen, Crozet, Saint-Paul, Amsterdam
et autres Terre
Adélie.
*
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LES KERGUELEN
35
Au début de la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'idée est largement
admise de l'existence d'un continent austral. Une « Terra Australis
incognita » est supposée se situer dans la partie méridionale de l'océan
Indien.
A la tête d'une petite flottille, les flûtes la Fortune et le Gros Ventre, le
Breton Yves de Kerguelen-Tremarec est parti dans cette perspective
d'un
autre monde à découvrir. Le 12 février 1772, il aborde un rivage
inconnu,
longe ses côtes durant une semaine et repart vers le nord,
persuadé d'avoir,
enfin, découvert ce continent attendu.
Deux ans plus tard, revenu sur les lieux, il doit se rendre compte
de son
erreur. Il n'a en face de lui qu'un archipel montagneux en
partie recouvert
par des neiges éternelles. Il renouvelle la prise de possession, effectuée à
son précédent voyage, et fixe sur un rocher une
bouteille renfermant l'acte
sur lequel est écrit :
Ludovico XV Galliarum
Rege et D (A) de Boynes
régi. A Secretis A.D. Rex
Maritimus annus 1772
at 1773
Louis XV, roi de France, est ainsi déclaré propriétaire des lieux.
Et l'oubli se fait. Il se passe tellement de choses sous le ciel de
France !
En 1868, une maison de commerce anglaise envisage de demander
à la
France l'autorisation d'y établir un dépôt de charbon. La guerre
de 1870 interrompt le projet.
Avec les années 1890, l'intérêt colonial s'accroît. L'Angleterre s'intéresse
à ces îles désertes que l'on nomme maintenant Kerguelen en
souvenir du
marin breton. A titre préventif, sur les instances d'un
sénateur de la
Réunion, un navire de guerre, l'Eure, reprend une fois
encore possession de
l'archipel le 1er janvier 1893.
Désormais, les Kerguelen entrent dans la vie économique et scientifique.
Des pêcheries s'installent. Des expéditions se penchent sur la
flore, la faune,
la géologie de l'archipel.
Les Kerguelen appartiennent au patrimoine national.
*
**
LES CROZET
36
L'archipel des Crozet n'a pas dans la conscience française l'écho des
Kerguelen. Il est moins connu, moins cité. Peut-être parce qu'il est
plus
modeste de taille, plus à l'écart encore des grandes voies maritimes.
Toujours à la recherche du continent austral, le Malouin Nicolas
Marion
Dufresne découvre, le 13 janvier 1772, deux îles montagneuses.
Poursuivant sa route, il rencontre un autre archipel étalé sur environ
150 km. Son second, Crozet, en prend possession toujours par un
manuscrit
fiché cette fois au sommet d'une pyramide de pierre.
Quelques mois plus tard, Marion et vingt-huit de ses matelots seront
massacrés et dévorés par les Maoris de Nouvelle-Zélande. Crozet rendra
compte du voyage et des découvertes. L'honneur lui en reviendra.
L'archipel
découvert porte son nom.
Il était et restera inhabité, visité, à l'occasion, par des navigateurs,
des
équipages de navires de guerre ou des chasseurs de phoques. Des
naufragés
y vécurent en Robinson dans l'attente d'un secours.
*
**
SAINT-PAUL ET AMSTERDAM37
Connues depuis longtemps de par leur position plus septentrionale
que
les îles précédentes, Saint-Paul et Amsterdam38 offrent surtout des
curiosités
naturelles.
Saint-Paul est un volcan mais où la chaleur sort du sol. Le lac de
son
cratère s'ouvre sur la mer par un goulet étroit. Amsterdam, à
l'encontre, est
une pyramide tronquée dressée sur l'Océan. Marais et
tourbières occupent
son plateau central.
Ces îlots, sans grande valeur, la France en a pris possession en
juillet 1843. Le site intéressait des pêcheurs de la Réunion. Il fallut
cependant dépêcher un navire de guerre. Toujours les desseins anglais
si
prompts à contrarier les visées françaises.
Depuis, la pêche réunionnaise y poursuit ses activités.
Toutes ces îles, Kerguelen, Crozet, Saint-Paul et Amsterdam, comme
la
Terre Adélie, ont été, en 1924, rattachées au gouvernement général
de
Madagascar.
*
**
LA TERRE ADÉLIE
L'honneur revient à Dumont d'Urville39 d'avoir bourlingué aussi
bien dans
les mers chaudes que dans les mers froides. Ce marin sut
être complet.
Ses campagnes en Océanie lui valent d'être remarqué par Louis-Philippe.
Le roi, en 1837, lui confie la charge d'un voyage scientifique
avec mission
de reconnaître l'univers austral encore inconnu :
*
**
La France, pour sa part, se regarde chez elle entre le pôle Sud et
les
méridiens 136 et 132 est de Greenwich42.
1 La congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, fondée en 1800 par
le père Coudrin,
s'est installée en 1805 rue de Picpus, d'où le nom de ses disciples.
La Société de Marie, créée par le père Colin dans le Lyonnais, reçut l'approbation pontificale
en 1836. De là encore le nom donné à ses membres.
2 Aristide Dupetit-Thouars (1760-1798), commandant du Tonant, trouva une
mort héroïque à
Aboukir.
Abel Dupetit-Thouars (1793-1864). Vice-amiral.
3 L'enseigne de vaisseau Bruat avait été fait prisonnier par les Barbaresques,
peu avant la prise
d'Alger, lors d'un débarquement. Il avait fait preuve d'une
grande fermeté.
4 Même s'il doit être entériné par Paris.
5 Lettre de Lord Aberdeen, du Cabinet britannique, à Lord Cowley, ambassadeur d'Angleterre à
Paris.
6 Cet autoritarisme, pas toujours nuancé, du père Laval donnera prétexte à
questions, enquête et
même débats au Parlement. Sur le fond, rien ne poura être
véritablement reproché à ce prêtre à la
rigueur parfois d'un autre âge.
7 La Nouvelle-Calédonie couvre 16 750 km2, soit une superficie d'environ deux
fois la Corse.
Avec l'Archipel des Loyauté, 100 km à l'est, l'île des Pins au sud-est, les minuscules îlots des
Chesterfield au nord-ouest, l'ensemble néo-calédonien
atteint 19 103 km2.
8 On sait que « Calédonie » était l'appellation romaine pour désigner la région
correspondant,
sensiblement, à l'Écosse.
9 Magnifique aventure que celle de ces serviteurs de Dieu. L'un d'entre eux
passera plus d'un
demi-siècle en Nouvelle-Calédonie. Le père Rougeyron, arrivé à
Balade le 21 décembre 1843, y
mourra le 14 novembre 1902 à quatre-vingt-cinq
ans, dans la soixantième année de sa vie sacerdotale
en Océanie. Monseigneur
Douarre mourra jeune, à quarante-trois ans.
10 La petite histoire rapporte que le commodore anglais, en poste en Australie,
qui avait retardé
l'exécution des ordres qui prescrivaient de s'emparer de la Nouvelle-Calédonie, fut emporté par un
coup de sang en apprenant l'opération réalisée
par les Français. Quant au chef canaque de l'île des
Pins, reçu avec des honneurs
royaux à bord de l'Herald, il fut proprement jeté à la mer lorsqu'il
annonça avoir
déjà traité avec les Français. Il dut regagner son rivage à la nage. Le fair-play
n'est pas
toujours britannique.
11 Le nom de Port-de-France sera abandonné au profit de Nouméa pour éviter
une confusion avec
Fort-de-France en Martinique.
12 Les Français, en la matière, n'ont rien inventé.
Les Anglais pratiquaient la transportation depuis 1787. Leurs convicts étaient
envoyés en
Australie. Le pays actuel y puise ses origines. Ainsi fut fondée la ville
de Sydney. (160 000 bagnards
ont été déportés en Australie jusqu'en 1867, date
de la suppression de la transportation.)
13 Elle était auparavant, rattachée à Tahiti. Les îles Loyauté ont été occupées
en 1864.
14 Qui, plus libre et disposant de moyens financiers, parviendra à s'échapper
en 1874.
15 L'île Nou a été achetée à l'Anglais Paddon qui s'y était installé en 1851
après l'avoir acquise aux
Mélanésiens.
16 Le rapport du général de Trentinian, envoyé sur place enquêter après la
révolte, sera accablant.
(Ce général de Trentinian est le père du général de Trentinian du Soudan.)
17 Concubine indigène.
18 Hachette.
19 Sa tête sera envoyée dans un bocal au Muséum d'histoire naturelle de
Paris... Elle se trouve sans
doute encore dans quelque réserve.
20 L'attitude des uns et des autres libéralisera leur régime et accélérera les
mesures de libération et
d'amnistie.
21 L'exploitation, dans les années 1980, fournit une centaine de milliers de
tonnes annuelles en
moyenne.
22 14 700 km2, peuplés d'environ 70 000 habitants en 1900.
23 On sait que les Hébrides sont un archipel britannique au nord-ouest de
l'Écosse.
24 Les Nouvelles-Hébrides exportent du bois : santal, bois de rose, teck, acajou, et des produits
tropicaux : coprah, cacao, coton.
25 800 Français et 200 Anglais.
26 L'anecdote pourrait prêter à rire.
En 1840, un navire français est envoyé en mer Rouge pour prendre possession
de l'îlot inoccupé de
Perim. Il fait escale à Aden. Bien reçus et bien traités, les
marins français ne cachent pas leur mission
devant leurs collègues britanniques.
Ceux-ci appareillent au plus vite. A l'arrivée des Français,
l'Union Jack flotte sur
Perim.
27 Voyant cette ouverture, en 1868, des commerçants marseillais achètent l'îlot
de Cheikh Said qui
commande le détroit de Bab el-Mandeb contre 80 000 talari
en vue d'y constituer un dépôt de
charbon. La transaction, jamais intégralement
payée, sera une source de contestations avec
l'Angleterre et le Yémen.
28 Le talara (pluriel talari) vaut à l'époque 5,25 francs.
29 Ras : cap.
30 Le canal mesure 161 kilomètres et demi, de Port-Saïd à Suez
31 La population de la Côte française des Somalis est estimée au début du
XXe siècle à
environ 50 000 habitants sur 30 000 km2.
32 Allusion à la fameuse expression :
« Anvers, pistolet braqué au cœur de l'Angleterre. »
33 Les Comores : 2 000 km2, 47 000 habitants en 1900 (chiffre appelé à doubler
sous la présence
française).
34 Pas exactement. La Terre Adélie s'évase depuis le pôle Sud entre les
méridiens 134 et 139 est
de Paris. Melbourne est sensiblement sur le méridien 142.
35 Les Kerguelen se composent d'une île principale entourée d'environ 300 îles
ou îlots.
L'ensemble a une superficie de 6 500 km2. Le mont Ross, le plus haut
sommet, culmine
à 1 860 mètres.
36 Crozet : environ 500 km2.
37 Elles sont aujourd'hui érigées en parc national.
38 Saint-Paul est un triangle de 5 km sur 3, d'une superficie de 7 km2. Amsterdam couvre
environ 50 km2.
39 Jules Dumont d'Urville (1790-1842).
On lui doit notamment d'avoir retrouvé en 1828 les vestiges du naufrage de La
Pérouse à Vanikoro.
40 Instructions en date du 26 août 1837 du vice-amiral Rosamel, ministre de
la Marine et des
Colonies.
41 Encore qu'il y ait là aussi polémique.
Est-ce bien le Français Dumont d'Urville ? Ou n'est-ce pas plutôt l'Américain
Wilkes ? Wilkes
aurait découvert la terre ferme un jour plus tôt. Mais le doute
subsiste sur l'identification et même sur
la date.
42 Anticipant, on peut rappeler les Expéditions polaires françaises en Terre
Adélie en 1950 et la
création des bases permanentes de Fort-Martin puis Dumont
d'Urville.
Il faut aussi signaler le traité de Washington de 1958 conclu pour une durée de
trente ans
entre 12 grandes puissances et attribuant une portion du Continent
antarctique à chaque signataire.
Chapitre XXXIV
LA CROIX ET LE DRAPEAU
MONSEIGNEUR LAVIGERIE
L'évangélisation appartient aux racines mêmes de l'Église catholique.
Le
Christ n'avait-il pas dit :
« Allez enseigner toutes les nations et baptisez-les. »
Les Apôtres furent les premiers missionnaires à partir à la conquête
des
âmes de ceux que saint Paul appelait les païens. Leurs disciples, après
eux,
poursuivirent. Le résultat est connu. L'Europe, l'Afrique du Nord
durant un
temps, deviennent chrétiennes.
L'ouverture du Nouveau Monde offre un autre champ d'apostolat. Le
païen a simplement changé de nom. Il est le sauvage. Ce sauvage-là est
lui
aussi à baptiser.
La logique d'une foi encore nourrie d'une sève militante conduit donc
les
religieux à emboîter le pas des Conquistadores. La Croix accompagne
l'épée. En certains endroits, elle la précède même.
La France, sortie de ses guerres fratricides, s'intègre, on l'a vu, à ce
vaste
mouvement de conquête et d'apostolat. Le XVIIe siècle, grand siècle
colonial
d'une France rayonnante, est tout autant un grand siècle missionnaire.
Au déclin de l'esprit religieux du XVIIIe siècle, au creux absolu – en
apparence du moins – de la Révolution et de l'Empire, succède avec la
Restauration un nouvel essor missionnaire lié au renouveau de la foi. Le
mouvement s'accroît avec l'extension du domaine colonial. Le XIXe siècle
est le siècle missionnaire par excellence. Des ordres nouveaux surgissent.
Les volontaires se pressent avides d'apostolat et même de martyre. Alors
que peu à peu la France se déchristianise, des vocations nouvelles se
lèvent
pour porter l'Évangile outre-mer.
Ces Français, hommes ou femmes, qui partent propager leur foi
délaissent-ils ainsi leur sentiment national, abandonnent-ils leur
attachement à
la patrie de leur enfance ?
A cette question, le cardinal Lavigerie, le grand nom de l'action
missionnaire coloniale, apporte une réponse catégorique :
« Dispersé sur tous les points du monde habité et jusqu'au fond des
contrées les plus barbares, le clergé des Missions françaises garde
partout à la France un amour
ardent. En la quittant, il renonce à tout ici-
bas, au sol
natal, aux affections des siens, à la vie même, car il en fait,
par avance, le sacrifice ; mais il conserve pieusement,
comme un dernier
et plus cher trésor, avec le culte de Dieu,
le culte de la patrie. Chargé de
perpétuer ses traditions les
plus pures, sa charité, sa foi, ses inspirations
généreuses, il
compte, parmi les jours les plus fortunés, ceux où, en
servant la religion et l'humanité, il peut servir et honorer le
nom de la
France1. »
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Il faut conclure.
Des forêts québécoises à la brousse soudanaise, par les rizières
indochinoises, les coraux océaniques ou l'erg saharien, le même phénomène
s'est reproduit. Compagnons de Jacques Cartier ou de Champlain, émules
de la mère Javouhey, disciples de Lavigerie ou de Charles de Foucauld,
oubliés pour le plus grand nombre, des clercs en répandant la parole de
leur
Dieu se muent en serviteurs de leur patrie.
Certains reprocheront à ces gens d'Église d'avoir « emporté leur patrie
à
la semelle de leurs souliers24 » et d'avoir débordé de leur domaine
propre.
C'est un autre débat.
Il ne saurait éclipser un fait historique : l'influence politique, humanitaire,
culturelle de ces hommes et de ces femmes. Elle a contribué au
développement, même indirect, de l'expansion coloniale. Elle a apporté
une
dignité et une justice valorisant l'image de la France ternie par la
cupidité de
plus d'un. Elle a assuré un développement intellectuel porteur
d'avenir. La
Francophonie, cette communauté de langue et de culture, a
pris naissance,
bien souvent, face au tableau noir de fortune, dressé
devant une cabane
canadienne ou une case africaine. Qui, en toute bonne
foi, pourrait le
contester25 ?
Pour le reste, hors des sentiers de l'Histoire, chacun a le droit de
s'interroger.
1 20 mai 1882. Réponse à Jules Grévy, président de la République.
Le fait n'est pas propre à la France. Les missionnaires européens n'oublient pas
leur drapeau. Le
cas est particulièrement net avec les missionnaires anglais (protestants de surcroît).
2 L'action des Picpusiens dans les îles océaniques est identique. Cf.
chapitre XXXIII.
3 Les indigènes l'avaient surnommé Diata-Diata (Vite-Vite).
4 La longue liste des martyrs de la foi, victimes de leur apostolat mais aussi,
très souvent, de leur
nationalité française, mériterait d'être évoquée.
5 Monseigneur Pavy était le successeur de Monseigneur Dupuch, premier
évêque d'Alger.
6 Il y a environ 220 000 Européens en Algérie à cette date.
7 Lettre du 6 avril 1866 à l'Œuvre des Écoles d'Orient.
8 Monseigneur Lavigerie repose maintenant en la maison mère des Pères
blancs, via Aureli, à
Rome, la cathédrale de Carthage ayant été transformée en
musée après l'indépendance de la Tunisie.
9 Effectivement. Les statistiques, à caractère officiel, des Pères blancs donnent
en 1931 :
– 83 chrétiens à Saint-Cyprien et 11 catéchumènes,
– 82 chrétiens à Sainte-Monique,
– environ 600 chrétiens en Kabylie et une cinquantaine de catéchumènes.
C'est infime par rapport à l'effectif scolarisé et surtout à celui des malades
soignés annuellement
(environ 180 000).
Les Sœurs blanches, de leur côté, soignent :
– 180 000 malades en Kabylie,
– 250 000 malades dans le restant de l'Algérie,
– 180 000 malades au Sahara.
Chiffres extraits de Missions des Pères blancs, Anthony Philippe, o.c., 1931.
10 Lettre au duc de Fitz-James, 1912.
11 Cf. Le testament d'un berbère, o.c., d'Augustin Ibazizen. Le cas d'Augustin
Ibazizen illustre
aussi l'extrême rareté d'une telle situation.
12 Ceux qui avaient fait la guerre du Mexique quinze ans auparavant, sous
Napoléon III.
13 Général Laperrine, « Étapes de la conversion d'un houzard ». Revue de la
cavalerie, Paris,
octobre 1913.
14 Sur la côte, à l'extrême ouest de l'Algérie. Actuellement, Djemma Ghazaouet.
15 Son œuvre littéraire, outre sa correspondance, apparaît particulièrement
riche :
– Dictionnaire Touareg-Français,
– traduction de Poésies touarègues (575 très exactement), etc.,
– ainsi que de très nombreux écrits spirituels.
16 Fort Motylinski fut même édifié bien après l'implantation du père de Foucauld à Tamanrasset
(juin 1908).
17 Lettre à Henri de Castries, 10 décembre 1911.
18 Lettre à Monseigneur Jalabert, évêque de Sénégambie, à Dakar.
19 Lettre à sa cousine, madame de Bondy, le 15 septembre 1914.
20 Fondée en 1843 par Mohammed Ibn Ali es-Senoussi, la confrérie des
Senoussis et son
idéologie puritaine réformatrice se sont étendues rapidement sur
le Sahara oriental. Avant et pendant
la Première Guerre mondiale, les Senoussis
entrent en conflit contre Français de Tunisie et Italiens de
Tripolitaine.
Après la Seconde Guerre mondiale, leur chef devient roi de Libye (détrôné en
1969). Le rigorisme
religieux du senoussisme continue d'inspirer le nouveau chef
de l'État libyen, le colonel Kadhafi.
21 Lettre à madame de Bondy, 11 janvier 1916.
22 Charles de Foucauld repose aujourd'hui dans le cimetière des Pères blancs
à El Goléa.
Longtemps près de lui, son compagnon et ami, François Laperrine,
mort lui aussi en plein Sahara
le 5 mars 1920 à la suite d'un accident d'avion, a
été ramené en France en 1963.
23 Lambaréné, sur l'Ogooué, site cher à Brazza, est pratiquement sous l'équateur.
24 Danton, pourtant menacé, refusait de s'exiler, déclarant « qu'on n'emportait pas sa patrie à la
semelle de ses souliers ».
25 Un tableau statistique de la situation des Missions catholiques dans les Colonies françaises
(établi en 1930) permet de mieux situer le travail effectué...
ARMÉE COLONIALE
Conquérir, surveiller, défendre un empire implique des effectifs. Pour
trouver ces bras et ces poitrines, les grands conquérants ont toujours
su
gonfler leurs rangs en puisant hors de leurs nationaux. Les contingents
barbares montent la garde le long du « limes » romain face à
d'autres
barbares. Les Arabes envahissent l'Espagne et la France méridionale avec
les Berbères nord-africains levés sur place. Les croisés
aux garnisons
squelettiques enrôlent des Syriens, des Arméniens. Les
exemples abondent
jusqu'à la Grande Armée de Napoléon Ier qui
s'ébranle, plus étrangère que
française, pour la campagne de Russie.
L'Empire français n'échappe pas à cette règle. Officiers et administrateurs
recrutent largement sur place pour trouver les hommes que la
métropole
leur mesure. De là l'Armée d'Afrique et les Troupes Coloniales.
*
**
LES ZOUAVES
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LES TIRAILLEURS
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**
« Et pourtant on dit qu'au feu ils vont bien ! » écrivait à leur sujet
le
colonel Montagnac, héros malheureux de la tragédie de Sidi-Brahim.
Certes. Ils ont à se racheter. Leur passé n'est pas blanc. « Ils », ce
sont les
« Zéphyrs », sortis des ateliers et des compagnies de
condamnés. Capables
du meilleur comme du pire, ils défendent Mazagran avec énergie mais
massacrent sans vergogne les malheureux fellahs passant à leur portée.
Troupe difficile, les Bataillons d'Infanterie légère d'Afrique, créés
officiellement en 1832 et 1833, à défaut d'être un exemple, sauront,
comme
l'annonçait Montagnac, se battre courageusement. Ils le prouveront en 14-
189.
*
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LES GOUMIERS
*
**
LES SPAHIS
Les spahis algériens ont un parrain, Yousouf14, esclave, mamelouk
et
général de l'Armée d'Afrique, leur fondateur.
Quelle destinée ! Né très certainement italien et chrétien, enlevé
encore
enfant par des corsaires, élevé près du Bey de Tunis, il se
retrouve à vingt
ans, en juillet 1830, à la solde des Français pénétrant
en Algérie.
Le jeune Yousouf est téméraire, intelligent, parfait connaisseur du
milieu
ambiant et peu regardant sur les principes. Ses talents de
sabreur, son
autorité naturelle le poussent en avant. Clauzel lui confie
le soin de mettre
sur pied un escadron de mamelouks dans la tradition
napoléonienne15.
Promu capitaine à titre provisoire, Yousouf enrôle une centaine de
cavaliers de sac et de corde, prêts à toutes les aventures. Ils deviendront les
spahis16. Spahis réguliers d'Alger, Oran et Bône d'abord,
régiments de
spahis en 1845.
Yousouf, et avec lui Marey, Thorigny, mais surtout Yousouf insufflent
l'esprit spahi : Audace, Vitesse. Panache.
Déboulant sans retenue, les spahis font les beaux jours de la
conquête.
Yousouf les mène à la prise de la smala d'Abd el-Kader, à
la bataille d'Isly.
Les têtes volent sur leur passage. Leur chef n'est pas
un tendre. Mieux vaut
un ennemi mort que vivant.
De charges en charges, de coups de yatagan en coups de yatagan,
Yousouf est promu général et grand officier de la Légion d'honneur.
Aussi
beau que brave, ses succès d'alcôve n'ont d'égal que ses
prouesses
guerrières. Sous le Second Empire, décrié par les uns, courtisé par les
autres, Yousouf est un personnage en vue. Revenu à la
religion de son
enfance, marié à une héritière de bonne famille, il est
nommé commandant
de la division d'Alger puis de celle de Montpellier. La maladie seule, à
cinquante-huit ans, a raison de ce trompe-la-mort perpétuel. Sur son lit
d'agonie, il lance son dernier cri : « En
avant ! »
En avant ! Les spahis s'en souviendront.
Sur leurs drapeaux : Taguin, Isly – Zaatcha – Extrême-Orient –
Maroc –
Aisne – Artois – Champagne – Somme – Vosges 1944
– Rome 1944 –
Indochine 1949-195417.
*
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LA LÉGION ÉTRANGÈRE
« Quand chasseurs et marsouins, ces héros de légende,
Reviennent des combats, par le feu décimés,
Un grand chef dit toujours : Pour que tombe l'obstacle,
Envoyez la Légion ! La Légion passera ! »
Capitaine de Borelli20
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LES CHASSEURS
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Les Troupes coloniales sont le fruit d'un vif débat, pour ne pas
écrire
d'une belle querelle. L'Empire doit être défendu et chacun s'en
dispute
l'honneur. La Marine le revendique au nom de l'antériorité et
du rôle joué.
La Guerre n'oublie pas sa propre participation et entend
bien couvrir tout ce
qui relève de la Défense nationale. Le ministère
des Colonies, créé en 1894,
ambitionne de superviser aussi bien les
troupes que les populations
dépendant de son administration.
Le vote de la Chambre, le 7 juillet 1900, trouve une médiane qui a
l'avantage de préserver la spécificité des vieilles troupes de Marine.
Dénommées Troupes coloniales, autonomes et distinctes de l'Armée
métropolitaine, elles passent à la Guerre mais dépendent outre-mer du
ministère des Colonies. La Marine, évincée, se voit accorder une
satisfaction toute morale : les Troupes coloniales garderont l'ancre, vestige
de leur filiation.
Pratiquement, les Troupes coloniales s'organisent et se scindent en
deux
corps d'armée. Le premier, à trois divisions, stationne en Métropole et
Afrique du Nord. Il a mission de recruter, instruire et assurer
les relèves.
Cherbourg, Brest, Toulon, sont ainsi le creuset des Régiments d'Infanterie
coloniale fournissant la noria des contingents régulièrement désignés pour
ce qu'on appelle le « séjour colonial ». Le
second corps d'armée est plus
hétérogène. Tout y contribue : l'éparpillement, le recrutement indigène local
pourvoyeur essentiel des
effectifs30. Ceux-ci s'élèveront en 1930 pour
l'ensemble des forces stationnées outre-mer (Armée d'Afrique comprise)
à 7 800 officiers et
198 000 sous-officiers et hommes de troupe,
dont 58 000 Européens
(aux postes d'encadrement et de techniciens
essentiellement), renforcés
par 24 000 indigènes des Troupes auxiliaires.
C'est beaucoup. C'est
peu eu égard aux étendues à couvrir et à protéger.
Madagascar n'est
tenue que par 4 000 militaires, dont moins d'un millier
d'Européens.
Sans doute est-ce la preuve que, la conquête achevée, la paix
française
est devenue réalité.
La Coloniale (la « Colo », petit nom vite adopté), forte de ses traditions,
de sa présence outre-mer, de l'autonomie que lui accorde la
loi, présente de
suite la physionomie et les caractéristiques d'une armée
originale. Elle a un
état-major particulier, des cadres propres, des régiments levés en dehors du
classique appel du contingent. Elle a surtout
son esprit. Marsouins et Bigors
se veulent une caste à part. A eux les
horizons lointains faits de couleur, de
chaleur, d'exotisme et d'action.
Le jeune Mangin, à vingt-deux ans, écrit :
« Je suis venu ici pour faire quelque chose et je ferai ce quelque
chose
encore inconnu. »
Ernest Psichari31 le rejoint avec plus de mysticisme :
« L'Afrique est un des derniers endroits où nos meilleurs sentiments
peuvent encore s'affirmer, où les dernières consciences fortes ont l'espoir de
trouver un champ à leur activité tendue. »
L'action, ressort profond de ceux qui, comme Mangin et Psichari,
ont
choisi de partir.
Les coloniaux ont eux aussi une vie qui offre d'autres satisfactions
que la
routine des garnisons métropolitaines. (Quel marsouin n'a pas
à Hanoi ou
Saigon sa conghaie32 gracile et attentive ?)
Par-delà ce quotidien, la discordance est plus sérieuse.
Un grand débat s'engage. Une grande confrontation se lève.
D'un côté, ceux qui, par l'étude et la réflexion, préparent la Grande
Revanche. D'un autre, ceux qui, par l'action immédiate, optent pour
une
France élargie, Foch, Pétain, d'un bord, Gallieni, Lyautey, d'un
autre.
Ah, ils auront certains jours la partie belle, ces aventuriers de la
« Colo ».
La guerre, ils ne l'apprennent pas dans un manuel, ils la
vivent. Ils la vivent
même en grands seigneurs, maîtres de leur art. Les
anecdotes sont
instructives. Le fils de Louis Mangin rapporte :
LA FORCE NOIRE
2 AOÛT 1914. 10 HEURES 20
*
**
Cette guerre monstrueuse, les plus lucides l'ont vue monter à l'horizon.
Politiques ou militaires, ils savaient que le rapport des nombres ne penchait
pas en faveur de la France. Il n'est pas étonnant que d'aucuns aient
songé à
tirer profit de la puissance acquise outre-mer.
*
**
Il est en haut, à droite, sur la photo. Petit, courtaud, solides moustaches,
faciès de bouledogue. Devant lui, son patron, Marchand. Le
groupe
d'officiers ainsi rassemblés sur le cliché marche vers Fachoda.
Vingt ans ont passé. Les étoiles sur les manches ont remplacé les trois
modestes galons. Il est toujours le même, visage aussi carré, menton en
galoche aussi volontaire, le képi crânement planté sur un chef au cuir
basané par le soleil d'Afrique.
Il, c'est ce « bougre » – comme aurait dit Clemenceau1 – de Mangin. Un
dur à cuire. Pour lui et pour les autres.
Mangin. A lui seul, un raccourci de l'aventure coloniale. Le Soudan,
à la
sortie de Saint-Cyr. Fachoda avec Marchand. Le Tonkin ensuite. Le
Maroc
avec Lyautey. Partout où il y avait des coups à donner et le
drapeau tricolore
à planter, il était là, avec de l'allant, de la hargne, du
courage à revendre. Le
petit lieutenant de l'infanterie de marine qui allait
la canne d'une main, le
revolver de l'autre, a eu tôt fait de se forger un
nom.
Ce meneur d'hommes, derrière son masque altier de condottiere, n'est
pas
aveugle. Il sait discerner plus loin que la lisière des baobabs. Il a fait
ses
comptes. L'Allemagne de Guillaume II annonce 52 millions d'habitants. En
temps de guerre, elle peut aligner 5 millions d'hommes. Son
allié,
l'Autriche-Hongrie, fort de 41 millions de sujets, peut en apporter
1 200 000. En face, la France, amputée de l'Alsace et la Lorraine, n'a
que 39 millions d'âmes. Les chiffres sont implacables. Le potentiel
humain
de la France est de loin dépassé par celui du bloc Allemagne-Autriche-
Hongrie. Même si les Français ont des alliances, que peuvent-ils espérer ?
L'Angleterre n'a pas d'armée de terre2. La Russie est bien
loin et ce colosse
offre une force plus apparente que réelle.
Pour étoffer ce camp français par trop étriqué, Mangin l'Africain
connaît
un solide réservoir : celui où il a puisé les contingents de ses
campagnes,
l'Afrique.
Son ouvrage, La Force noire, paraît en 1910. La faiblesse de la
population française, la crise de la natalité en sont le préambule. S'il désire
sur ce point une autre politique3, il s'exprime surtout en militaire. Les
troupes noires représentent déjà 20 000 hommes. Il préconise d'enrôler
20 000 tirailleurs supplémentaires en quatre ans. Son but est de pouvoir
disposer de 70 000 combattants en cas de guerre. Il prévoit de surcroît
de
placer des tirailleurs sénégalais en garnison en Afrique du Nord pour
relever des tirailleurs algériens à envoyer en France. La sécurité intérieure
de l'Afrique du Nord française ne pourrait, selon lui, qu'y gagner.
Il est aussi, dans La Force noire, un passage prémonitoire. Charles de
Gaulle, non sans raison, relèvera qu'il aurait pu davantage être médité
par
les gouvernements et les chefs militaires en 1940.
EFFORT FOURNI PAR LES COLONIES FRANÇAISES DURANT LA GUERRE 1914-
1918 (1)
A cet apport militaire s'adjoint l'effort humain et financier. Afrique
du
Nord, Indochine, Madagascar, envoient plus de deux cent mille
travailleurs
dans les usines ou sur les chantiers métropolitains. Le soutien économique
n'est pas moins considérable (un million et demi de
francs-or souscrits aux
emprunts nationaux ; six millions de tonnes de
fournitures en matières
premières et denrées alimentaires).
*
**
1 « Ce bougre nous a tirés de là », disait Clemenceau évoquant Foch au lendemain de la victoire et
exprimant la sympathie malicieuse qu'il éprouvait pour
l'intéressé.
2 La conscription n'existe pas en Grande-Bretagne.
3 Mangin, père de famille, aura neuf enfants.
4 Le général Mangin, o.c., p. 98.
5 Le front d'Orient est le grand sous-estimé ou oublié de la guerre 1914-1918.
Pourtant il prenait
l'Autriche-Hongrie sur ses arrières. L'offensive victorieuse de
Franchet d'Esperey, à l'automne 1918,
confortera le succès général. La route de
Vienne et de l'Allemagne s'ouvrait devant elle.
6 Une conscription partielle existait déjà en Algérie depuis 1912.
7 Le bilan de cette insurrection reste incertain. L'administration française
annoncera 38 tués
européens et 200 à 300 morts algériens. Ce dernier chiffre est
certainement sous-estimé. De tels
mouvements laissent des traces. En 1954, la cinquantaine passée, un ancien insurgé
de 1916 reprendra les armes et tiendra le
djebel durant quatre ans.
8 Il y en eut d'autres, au Soudan, dans la région de Bamako, en Haute-Volta,
près de Dédougou, en
Nouvelle-Calédonie.
9 Certains toutefois sont envoyés au Maroc. Ils soulagent d'autant Lyautey
obligé de faire
réembarquer la majeure partie de ses effectifs.
10 Sur ce nombre, on compte 80 000 appelés, 57 000 engagés, 33 000 déjà sous
les drapeaux
en 1914.
11 325 seront tués.
12 400 tués, 1 200 blessés.
13 Dans ces vieilles possessions, Réunion, Antilles, Guyane, ces chiffres
comprennent les
Européens.
14 Cf. tableau ci-après extrait de La Mise en valeur des colonies françaises,
Albert Sarraut, o.c.
15 Lieutenant Boukabouya au printemps 1915 (il aurait entraîné 78 sous-officiers et tirailleurs).
16 L'attaque est menée le 26 octobre 1916 par le 8e R.T.S. et le R.I.C.M. (régiment d'infanterie
coloniale du Maroc). Marsouins du R.I.C.M. et Sénégalais sont
en première ligne.
17 Neuf et dix citations à l'ordre de l'armée pour ces deux régiments. Si le
R.M.L.E. est
exclusivement européen, le R.I.C.M. compte des éléments indigènes.
18 Cité par Ferhat Abbas, Le jeune Algérien, Éditions Garnier.
19 Les Algériens bénéficient du statut dit coranique.
20 Discrédité par son alliance politique avec les communistes et des problèmes
financiers
personnels, l'émir Khaled renoncera et finira ses jours en exil.
Chapitre XXXVII
LES FRONTS COLONIAUX :
MAROC
TOGO-CAMEROUN
SAHARA
Pour la grande majorité des Français, la guerre de 1914-1918, la
Grande
Guerre, évoque la Marne, la Somme, Verdun. Quelques-uns,
plus avertis,
peuvent mentionner les Dardanelles, Salonique, le Front
d'Orient. C'est vrai.
Les combats les plus âpres se sont déroulés sur
ces hauts lieux où le sang a
coulé avec tant de générosité. La primeur
de l'action y est incontestable et le
sort des armes s'y est joué.
Il n'en est pas moins vrai que des hommes, sous le drapeau tricolore, se
sont battus aux quatre coins du monde pour « Veiller au salut
de l'Empire ».
Au Maroc, au Sahara, en Afrique équatoriale, au
Moyen-Orient, des
combattants, métropolitains ou indigènes, ont participé activement à la
grande mêlée. Plus d'un est tombé, soldat oublié,
à des milliers de
kilomètres de la mère patrie.
Cette guerre de 1914-1918 met essentiellement aux prises le bloc
franco-
anglais regroupant à ses côtés la Russie, l'Italie, puis les
U.S.A.1, face à
l'Allemagne assistée de l'Empire austro-hongrois et de
la Turquie.
La France, l'Angleterre qui possède le premier empire colonial du
monde,
sont des puissances coloniales affirmées. L'Allemagne s'est
efforcée, avec
plus ou moins de succès, de se créer un empire en
Afrique. Elle possède ces
contrées qu'on dénomme Togoland, Cameroun, Afrique orientale, Sud-
Ouest africain. L'ensemble n'est pas à
négliger. Il représente une belle
convoitise même pour de mieux lotis2. La Turquie, « l'homme malade de
l'Europe », reste présente en Tripolitaine et dans l'ensemble de la péninsule
arabique. Surtout, le
maître de l'Empire turc, le sultan de Constantinople, se
présente en
chef religieux du monde islamique. Fort de l'héritage spirituel
de
Mahomet, il peut proclamer la guerre sainte contre l'infidèle français
ou
anglais et entraîner ses coreligionnaires qui peuplent une bonne
partie de
l'Afrique, dont l'Afrique du Nord française.
Hors d'Europe, les principaux points de conflit se localiseront partout où
les nationaux des pays engagés se trouveront face à face.
Colonies
allemandes, provinces turques sont ainsi destinées à devenir
d'autres
champs de bataille. Parallèlement, les menées des uns et des
autres
s'efforceront de créer des ennuis à l'adversaire sur ses propres
terres.
Tripolitaine, Sahara, Maroc verront leur pacification – parfois
relative
comme au Maroc – remise en cause par des séditions locales
soutenues par
l'extérieur.
La France connaîtra ces deux situations. Face aux possessions
allemandes ou turques, elle passera le plus souvent à l'offensive avec son
allié anglais et s'efforcera d'agrandir son empire. Contre les actions
subversives, elle devra par contre se protéger, menant une lutte défensive où
la riposte ne sera pas absente.
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LE FRONT MAROCAIN
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TOGO-CAMERON
Le 4 août 1914, à l'aube, deux croiseurs allemands faisant route vers
Constantinople bombardaient l'Est constantinois. A Bône (Annaba),
le
Breslau lançait 140 obus sur le cours Bertagna, la gare et les docks.
Il y
avait un tué. A Philippeville (Skikda), les salves du Goebben
étaient plus
meurtrières. On dénombrait 16 morts et une vingtaine de
blessés. En
Océanie, d'autres croiseurs allemands sillonnaient le Pacifique, bombardant,
peu après, Papeete, la capitale de Tahiti. Ils occasionnaient aussi quelques
dommages.
Il s'agissait là des seules incursions spectaculaires contre le domaine
colonial français11. La suprématie navale de la Grande-Bretagne et de
la
France interdisait de voir ce genre d'action se renouveler. Elle permettait
surtout, d'isoler les colonies allemandes. Noyées au milieu de
territoires
français ou anglais, celles-ci s'avèrent vulnérables.
Le Togo, étroite bande de terre de 50 à 150 km de large sur 600 km
de
profondeur, était le premier visé. Il n'avait pour le défendre qu'une
milice
locale mal armée et peu encadrée. Conscient de sa faiblesse, le
gouverneur
allemand von Doering proposait à ses collègues anglais et
français de la
Côte de l'Or (actuel Ghana) et du Dahomey (actuel
Bénin) une sorte de
pacte de neutralité réciproque. Cette formule, trop
facile, était évidemment
rejetée. Si Français et Anglais étaient en
guerre contre l'Allemagne en
Europe, ils l'étaient également aux quatre
coins de l'univers. Leurs colonnes
marchaient sur Lomé et Anecho.
La campagne était rapidement menée au
prix de pertes relativement
légères12. Le 26 août, von Doering capitulait
sans conditions. Ce
succès remettait entre les mains de la France et de
l'Angleterre une
nouvelle colonie.
Une convention provisoire, conclue à Lomé le 2 septembre 1914
entre les
vainqueurs, partageait les responsabilités territoriales en
attendant une
solution définitive. Celle-ci n'interviendrait qu'à la paix
avec la mise sous
mandat, par la Société des Nations, des anciennes
possessions allemandes.
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SAHARA
Lamy a conquis les rives du Tchad. Largeau a agrandi le territoire
aux
dimensions du Tibesti et du Borkou. La guerre ne remet rien en
question.
Tirailleurs sénégalais venus du Congo, méharistes de recrutement local,
contrôlent les sables et les oasis.
Le danger, en Afrique centrale, se situe au Sahara oriental. Celui-ci
sur
un bon millier de kilomètres jouxte la Tripolitaine. Cette immensité
essentiellement désertique relève encore de la dépendance nominale
des
Turcs, alliés des Allemands dans le conflit international. Les Turcs
ne sont
que des maîtres théoriques. Les Italiens ont été évincés de
Tunisie. Leur
désastre à Adoua en 1896 les a écartés de l'Éthiopie. Ils
cherchent à
compenser ces échecs sur un rivage proche du leur. En
guerre contre les
Turcs, ils ont occupé depuis 1909 une partie de la
Tripolitaine. Succès
éphémère. Les senoussistes, soutenus par Turcs et
Allemands, leur ont pris
Ghadamès et Ghat. Le butin récupéré les a
armés. Renforcés, ils menacent
désormais les postes français du Sud
tunisien et du Sahara. La situation est
devenue sérieuse. Djanet16,
après une belle résistance du maréchal des logis
Lapierre, est tombé.
Fort-Polignac, plus au nord, a été abandonné.
La mort de Charles de Foucauld en décembre 1916 aggrave encore
la
position de la France. Le père, par son rayonnement personnel,
était le
meilleur garant de sa présence. Moussa ag Amastane, notre
allié,
s'interroge. Son loyalisme jusqu'alors exemplaire faiblit. Le
commandement
lui-même, qui redoute le pire, envisage d'évacuer Fort
Motylinski et Fort
Flatters. Ce serait reconnaître la perte du Hoggar
et du Sahara oriental. Déjà
certains croient cette heure venue. Khaoussen, le chef senoussiste, assiège
Agadès. Si la capitale de l'Aïr tombe,
la route du Niger et du Tchad, par
l'est, celle de Foureau et Lamy,
est coupée.
Lyautey est pour quelques semaines ministre de la Guerre. Mieux
que
quiconque, il connaît l'influence d'un homme en pays africain.
Il décide en conséquence. Le 12 janvier 1917, Laperrine reçoit le
commandement des territoires sahariens de Tunisie, Algérie et Afrique
occidentale. Sage mesure. Les Sahariens de Tunisie relevaient du résident
général à Tunis. Donc du ministre des Affaires étrangères. Ceux
d'Algérie
du gouverneur général à Alger. Donc du ministre de l'Intérieur. Ceux
d'Afrique occidentale française du gouverneur général à
Dakar. Donc du
ministre des Colonies...
Les unités de l'Armée d'Afrique et des troupes coloniales se retrouvent
sous un même chef. Un chef qui depuis vingt ans pratique le
Sahara et les
Sahariens.
Diplomate, Laperrine se montre, parle et sait convaincre. « La
France est
et restera. » « Fort Flatters, Fort Motylinski ne seront pas
évacués. »
Moussag ag Amastane reprend confiance.
D'autres aussi. Le Hoggar ne lâchera pas la France.
Soldat, Laperrine prend l'offensive. Ayant reçu des renforts, il lance
trois
colonnes vers Agadès assiégé : colonne Berger au départ de Gao,
colonne
Depommier-Lehureaux depuis In-Salah et colonne Mourin à
partir de
Zinder. Agadès dégagée, Djanet est réoccupé. Les senoussistes étrillés en
plusieurs rencontres se replient bien au-delà de la frontière de la
Tripolitaine.
En 1918, le Sahara a retrouvé le calme17.
Laperrine, une poignée d'Européens et les troupes d'autochtones y
ont
préservé les positions françaises. Ils ont par là-même préparé le
développement de cette présence qui suivra l'après-guerre18.
1 D'autres aussi, mais combien valeureux si l'on songe, par exemple, à la Belgique et à la Serbie.
2 L'Allemagne domine aussi le nord-est de la Nouvelle-Guinée et plusieurs
archipels du Pacifique
(Marshall, Palaos, Bismarck, Salomon, Carolines,
Mariannes). L'empire africain allemand est le
troisième du monde après ceux de
la France et de l'Angleterre.
3 Et 2 500 Marocains.
4 Cet Abd el Malek est un fils d'Abd el-Kader. Il recevra de l'Allemagne plus
de seize millions de
pesetas pour mener la guerre contre la France.
5 Lamothe poussera même jusqu'à Tiznit, 100 km au sud d'Agadir.
6 Aristide Briand, vieux routier de la politique française, sera onze fois président du Conseil. (Ce
terme désigne à l'époque le Premier ministre.)
7 Gouraud a été très grièvement blessé aux Dardanelles et amputé du bras
droit.
8 Si le glorieux R.M.L.E. (Régiment de marche de la Légion Étrangère) se bat
sur le front français,
dans le cadre de la division marocaine, et revient avec le
drapeau le plus décoré de l'Armée française
(avec celui du R.I.C.M., Régiment
d'infanterie coloniale du Maroc), la Légion a mis sur pied pour le
Maroc deux
régiments de marche et deux compagnies montées. De nombreux ressortissants
allemands servent en ses rangs.
9 Un petit tableau est significatif :
Kilomètres exploités (chemin de fer militaire)
Ce chemin de fer à voie étroite sera par la suite élargi aux normes traditionnelles.
10 De 1914 à 1918, 45 000 Marocains partent pour le Front français.
11 Les actions des senoussistes au Sahara oriental passeront relativement inaperçues de l'opinion
publique, bien que provoquant de sérieuses opérations militaires.
12 Deux officiers français et quarante tirailleurs indigènes.
13 On se souvient que par le traité de Berlin du 4 novembre 1911 la France
avait abandonné la
basse vallée de la Sangha et un couloir le long de la Loubaye.
Elle avait certes reçu le « Bec de
canard ».
14 Environ 150 kilomètres au sud-ouest de Fort-Lamy (N'Djamena).
15 Les unités françaises étaient à base d'engagés des divers territoires de
l'A.E.F. Le Tchad,
récemment conquis, avait aussi fourni des volontaires.
L'Allemagne perd aussi ses autres colonies africaines. Le Sud-Ouest africain est
occupé par
l'Afrique du Sud. L'Afrique orientale allemande (futur Tanganyika)
résistera durant toute la guerre et
ne sera occupée qu'en 1918.
16 Djanet, face à Ghat de l'autre côté de la frontière, est à environ 600 km au
sud de Ghadamès.
17 A l'exception du Sahara dit marocain qui devra attendre la fin de la pacification dans les années
trente.
18 Le général Laperrine y trouvera alors la mort. Devenu commandant de la
division d'Alger, il
participe à un raid aérien Alger-Tombouctou. Son avion
s'écrase. Il meurt victime de ses blessures
le 5 mars 1920, un peu au sud de
Tamanrasset. Une promotion de Saint-Cyr (1956-58) porte le nom
de ce grand
Saharien mort, comme Charles de Foucauld, sur la terre qu'il aimait.
Chapitre XXXVIII
RETOUR EN TERRE FRANQUE
11 NOVEMBRE 1918.
*
**
1 En connaissant, surtout sous la férule d'Ataturk, une complète transformation. L'islamisme est
rejeté. Le pays s'occidentalise, s'ouvre au progrès et au
modernisme.
2 Ainsi qu'en Océanie.
3 La France, surtout après 1940, aura peut-être trop tendance à oublier cet
anticolonialisme des
États-Unis qui se manifestera plus d'une fois à ses dépens.
4 L'Afrique du Sud a participé plus qu'honorablement à la première Guerre
mondiale. Ses
combattants se sont bien battus sur le front de France.
5 La Société des Nations, S.D.N., est entre les deux guerres, est-il à rappeler,
la première mouture
de l'O.N.U.
6 En fait, l'Angleterre reçoit la frange occidentale du Togo (Togoland) à l'ouest
des monts du Togo.
Cette région s'intégrera par la suite à la Côte de l'Or, futur
Ghana. Au sud, elle reçoit la région de
Victoria et du mont Cameroun au sud
ainsi qu'un petit territoire entre Fort-Lamy (N'Djamena) et
Dikpa, au nord. L'ensemble est rattaché au Nigeria.
7 Le vieil air de la reine Hortense, « Partant pour la Syrie... », détrône alors
La Marseillaise.
8 Cette armée anglaise comprenait également un détachement français d'environ 7 000 hommes, le
« Détachement français de Palestine-Syrie ». Le régiment
mixte de cavalerie de ce Détachement
(spahis et chasseurs d'Afrique) participe
activement à la prise de Damas.
9 Gouraud, rétabli, s'était illustré à nouveau à la tête de la IVe armée, en Champagne, sur la Somme
et lors de l'offensive de juillet 1918.
10 Évincé par les Français de Damas, Fayçal, toujours soutenu par les Anglais,
deviendra, peu
après, roi d'Irak. Témoignage manifeste du double jeu mené par
la Grande-Bretagne, traitant avec la
France d'un côté et appuyant son protégé
d'un autre. L'Entente cordiale n'a pas fait taire toutes les
rivalités coloniales. On
s'en apercevra encore par la suite.
11 Comprenant la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine.
12 Parallèlement, l'armée française se bat très durement depuis novembre 1919
en Cilicie,
province initalement détachée de la Turquie. En dépit des succès militaires, le traité d'Ankara
(octobre 1921) rend la Cilicie aux Turcs, à l'exception
du sandjak d'Alexandrette qui demeurera sous
contrôle jusqu'en 1939.
13 Les Tcherkess, Caucasiens musulmans, se sont réfugiés dans l'Empire ottoman à la fin du XIXe
siècle pour fuir la colonisation russe. Certains ont essaimé
en Syrie. Ils fourniront les redoutables
escadrons levés par Collet.
14 Compagnon de la Libération, le général Collet quittera la Syrie en 1943 et
mourra à Toulouse
en 1945.
15 Le 1er Régiment étranger de cavalerie, créé en Tunisie en 1921, comprend
en bonne partie des
rescapés des armées russes blanches de Denikine et Wrangel.
Cette nouvelle unité de la Légion
Étrangère fait ses premières armes au Maroc et
s'illustre ensuite en Syrie. Le chant de tradition du
régiment le rappelle : « Les
Druses s'avancent à la bataille... » (Le lieutenant Paul Gardy, futur
général en
chef de l'OAS à Oran au printemps 1962, est alors grièvement blessé en ses rangs.)
Chapitre XXXIX
DERNIERS BAROUDS
LE PROCONSUL AFRICAIN
1922. Lyautey est depuis dix ans au Maroc. Il a bien œuvré. Tel le
bon
serviteur de l'Écriture, il ne se contente pas de sauvegarder le
talent confié
par le maître. Il le fait fructifier.
La pacification se poursuit sans relâche. Le général Aubert a fini de
réduire la partie nord de la tache de Taza. Le général Poeymirau, « Le
Poey », a reçu la soumission des fils d'Habi ou Hammou qui ont
égorgé
devant lui le taureau de targuiba1. Les guerriers Zaians se
montrent
désormais des alliés valeureux et fidèles. La fameuse
« Besace », c'est-à-
dire le bloc montagneux du Moyen Atlas, s'est ainsi
considérablement
amincie. Encore quelques lignes de crêtes à dominer
et il ne restera plus que
le Grand Atlas, le sud, le Saghro, le Tafilalet,
les abords du Draa, à occuper.
Déjà, plus des quatre cinquièmes du
Maroc reconnaissent l'autorité du
sultan... et de la France2.
Un autre bilan est incontestable.
Casablanca est devenu un vrai port, Rabat une vraie capitale. La
route, le
chemin de fer – souvent encore à voie étroite – relient Fès,
Tanger, Oujda,
Rabat, Marrakech. Les liaisons postales sont une réalité. L'agriculture se
modernise, l'industrie surgit, l'artisanat revit, le
phosphate s'exporte.
L'instruction se développe, la santé s'améliore.
L'État a été restauré. Le « Bled siba » recule sans cesse devant le
« Bled
Maghzen ». L'unité marocaine se forge à nouveau officiellement
sous
l'égide de Sa Majesté le Sultan. Les dahirs3 sont ratifiés par le
prince et
promulgués en son nom. Le trône a gagné un nouveau lustre.
Les
Marocains sont trop fins pour ne pas avoir compris que les Français sont les
vrais maîtres et qu'ils imposent leur loi. Qu'importe et
même au contraire !
Ce souverain, jadis bien mal obéi et bien peu
respecté, n'est pas sans
évoquer un monarque à l'« anglaise ». Sa personne est un emblème. Pour le
peuple marocain, elle représente sa
religion, sa race, ses coutumes, sa fierté
nationale. Demain, un demain
qui viendra très vite, elle représentera et
personnifiera son Indépendance.
De ces résultats, qui n'aurait pas conscience, le Résident général le
premier ? Le maître des lieux est à l'apogée de sa gloire. Membre de
l'Académie française, maréchal de France depuis le 19 février 1921, il
est
un monument national et il ne lui déplaît pas de le rappeler. Lyautey joue
Lyautey. Un rôle qu'il connaît pas cœur et qu'il déclame avec
brio.
Il a maintenant soixante-huit ans. Le grand seigneur, ami du faste
et du
panache, a gardé le port altier et le geste royal. Il aime chevaucher, seul de
l'avant, suivi de ses trois porte-fanions chamarrés d'or et
de pourpre.
L'homme est resté étonnamment jeune. Un de ses officiers
le peint d'une
plume vigoureuse :
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*
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Le front rifain n'a pas craqué et le Maroc français n'a pas été
ébranlé. Ce
succès, Lyautey le doit d'abord à lui-même, capitaine
tenant la barre d'une
main ferme. Il le doit aussi à la valeur de sa
troupe.
Tirailleurs sénégalais, légionnaires, goumiers, combattants de tout
rang,
ont été exemplaires. A leur tête, généraux et colonels, minutieusement
choisis, dominaient leur art. Vétérans trempés par l'expérience
récente, ils
étaient rompus à appliquer des feux ou à engager une
manœuvre. Et au-
dessous d'eux, il y avait la relève. Et quelle relève !
Les Juin, Guillaume, de Lattre, de la Tour, de Montsabert et leurs
émules
ne sont pas là pour faire de la figuration. Ils se pressent avides
d'occuper les
places de choix au festin de la gloire. Et dans leurs rangs
il est un nom entré
plus encore dans la légende que dans l'histoire : Bournazel.
La démarche de ce grand corps bien charpenté est un peu lourde.
Le
visage massif aux yeux clairs dissimule mal une certaine insolence.
Le képi
volontairement cabossé et planté comme pour défier la verticale comme la
hiérarchie accentue cette désinvolture apparente. La
culotte bleu pâle, la
veste rouge des spahis sont portées avec une élégance bien cavalière.
Ah, cette veste rouge ! Henri de Bournazel (1898-1933), « Bou vista
hamina ». L'homme à la veste rouge, disent les Marocains. Et cette
veste
rouge, quel repère ! Quelle étoile au firmament du baroud rifain !
Toujours
de l'avant, toujours en tête ! Au galop de charge ou dans
une course folle,
elle mène l'attaque.
En quelques mois, le lieutenant du 16e goum, puis du 33e goum,
immortalise sa fameuse veste rouge, témoignage d'une vitalité, d'une
audace
et d'un ascendant exceptionnels, servis par une baraka miraculeuse. La mort
s'écarte de ce guerrier qui semble l'ignorer. Il est
invulnérable. Ses
compagnons, ses adversaires s'en persuadent. Et les
exploits du lieutenant
de Bournazel entraînant les siens par son
exemple et sa présence ne se
comptent plus. Postes secourus en forçant
l'encerclement, crêtes enlevées de
haute lutte, coups de main réussis
derrière les lignes ennemies sont le
quotidien de ce baroudeur hors
rang. Sa renommée remonte jusqu'à
Lyautey. Le maréchal goûte les
destins hors du commun. Mangin, Gouraud,
Poeymirau ont été ses
hommes.
Il voudrait Bournazel près de lui. Mais Bournazel aime la poudre,
les
chevauchées, la gloire des vainqueurs. Il restera au combat.
Bournazel, pratiquement seul officier français au milieu de ses goumiers
et de ses partisans, est un peu le symbole du Maroc que conçoit
Lyautey.
Aux Marocains, épaulés, conseillés par la France, de travailler à
l'élaboration de leur destin. Un destin qui commence par la sauvegarde de
leur patrimoine.
Le Sultan n'est pas contre cette vision. Bien au contraire. Son trône
peut
vaciller devant ce nouveau Rogui – un de plus – levé contre
lui. Moulay-
Hafid a plus à perdre qu'à gagner si l'aventure d'Abd el-Krim se prolonge.
Le monarque, qui n'est point sot, le comprend. Il
est aussi sensible à la
sollicitation, discrète, du résident général, personnage qu'il tient en haute
estime. N'a-t-il pas, toujours, été éminemment respectueux de sa personne ?
Moulay Hafid s'engage. Il fait
appel aux tribus les plus fidèles pour fournir
des contingents. La
Méhalla chérifienne, forte de plus de 6 000 cavaliers,
prend la direction
du front rifain. Le prince Moulay Mahmoun, frère du
sultan, est à sa
tête, assisté du pacha de Fès et de hauts dignitaires20.
Français de souche, Marocains, tirailleurs algériens, ou sénégalais,
légionnaires « devenus fils de France par le sang versé », se retrouveront
ainsi fraternellement unis dans la bataille. Une bataille qui, maintenant,
prend un cours nouveau. Sortant de sa léthargie, alors que le
péril premier
est écarté, Paris prend conscience du danger.
Le gouvernement dépêche sur place, investi d'une mission d'observation,
un maréchal de France pour étudier les faits et gestes d'un
autre maréchal de
France. L'Histoire se renouvelle. En 1908, Hubert
Lyautey devait rendre
compte de son camarade d'Amade. En 1925,
Philippe Pétain doit statuer sur
son pair, Hubert Lyautey. L'issue,
cette fois, sera différente.
Pétain et Lyautey. Deux hommes qui n'ont qu'un seul point
commun :
l'excellente opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. Pour le reste,
Pétain, c'est un
peu l'anti-Lyautey. La prudence à la place du risque,
la réserve contre
l'exubérance. Ce fantassin, sans grand génie, que la
Grande Guerre a tiré de
l'anonymat définitif21, a pour lui une extrême
rigueur et un solide bon sens.
On ne lui en compte pas. Oh, il n'aurait
jamais de son seul fait « vidé la
langouste pour ne garder que la carapace ». Par contre, il sait tenir. Il l'a
prouvé à Verdun. Mais il a aussi
besoin de la « poussette » d'un Foch pour
s'engager plus avant.
Pétain débarque à la mi-juillet 1925. En quelques semaines, il
obtient
deux choses : des renforts et une lettre de commandement. Est-il pleinement
responsable de cette dernière ? On ne sait. Lyautey avait
sauvé d'Amade.
Pétain n'a pas sauvé Lyautey
*
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La blessure est sévère pour celui qui se voit retirer la direction des
opération militaires. Dans ce pays où les armes continuent de parler,
il se
veut d'abord le chef de ceux qui combattent. Avec dignité, Lyautey tire la
conclusion du camouflet qui lui est infligé. Il sollicite une
relève que son
état de santé, à soixante et onze ans justifie largement22.
Le 24 septembre, il écrit en ce sens et sa requête est acceptée. Pétain
est
seul, commandant en chef militaire. Un civil, Théodore Steeg,
devient
résident général. Il sera bien falot ce nouveau représentant de
la France !
Lui et les autres ! Peut-il en être autrement ? Comment
briller dans l'ombre
portée d'un Lyautey ? Comment s'imposer, en
complet-veston, face à des
hommes qui ne tolèrent que les hommes de
poudre ? Comment aussi,
fonctionnaire ou politique de tradition jacobine, ne pas vouloir tout régenter
et refuser de déléguer ? Avec les
résidents civils, l'administration directe
refusée par Lyautey (même s'il
l'appliquait) et si contraire à l'idée du
protectorat imposera sa loi et
ses mécomptes.
Après avoir salué une dernière fois Sa Majesté le Sultan, le 10
octobre 1925, le maréchal et son épouse embarquent sur l'Anfa,
modeste
paquebot de la Compagnie Paquet. Sur les quais, une foule
« dense »,
respectueuse, émue23. L'hommage des Marocains, des Européens nouveaux
venus.
C'est fini. Le rénovateur du Maroc regarde s'éloigner cette terre
pour
laquelle il a tant œuvré. Un murmure dans sa voix :
« Ma vie et mon bonheur étaient ici ».
A Gibraltar, deux navires de guerre anglais saluent et font escorte.
Fair-
play britannique.
A Marseille, le débarcadère est vide, hormis quelques intimes. Pas
de
troupes. Pas d'officiels si ce n'est un retardataire embarrassé. Si,
pourtant,
une gandoura blanche se détache. Un visage rude au regard
d'oiseau de
proie s'approche. Tami el Glaoui, pacha de Marrakech.
Le fier Marocain,
lui, n'a pas oublié.
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28 FÉVRIER 1933
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L'attaque sur le Bou Gafer a échoué. Partout, les Ait Atta ont tenu.
De
leurs tirs précis, à l'arme blanche parfois, ou bien faisant dévaler
des blocs
de rochers, ils ont brisé toutes les tentatives. Les Français,
ce 28 février, ont
eu 64 tués.
Réaliste, le 1er mars, le général Huré ordonne l'arrêt d'assauts aussi
coûteux que stériles, et décide le blocus de l'ensemble Saghro-Bou-Gafer.
La guerre d'usure commence. On se fusille, on s'injurie d'une
murette à
l'autre.
On palabre aussi. Les officiers des Affaires indigènes46 sont passés
maîtres en cet art où ils étaient à bonne école. Le lieutenant Lecomte,
le
lieutenant Lazennec jouent de la lassitude, légitime, de l'adversaire
et de son
manque d'eau. Ils n'oublient pas sa fierté. Habilement, ils
démontrent que
reconnaître le Maghzen47 n'est pas s'humilier. L'action – qualifiée deux
décennies plus tard de psychologique – paye.
Asso ou Baselham, le « Vercingétorix berbère »48, accepte de négocier.
Le 25 mars, les derniers insoumis du Bou Gafer mettent bas les
armes49.
Fièrement, regardant le général Huré droit dans les yeux,
Asso ou Baselham
fait hommage :
« J'ai eu des torts envers le Maghzen. J'en demande pardon au
Maghzen. »
Le général lui répond :
« Tout cela est du passé. Le Maghzen ne t'en veut plus. »
Une amnistie générale tourne une page douloureuse de cette amère
victoire : 1 000 morts (dont 8 officiers) côté franco-marocain ; 1 200
morts
côté berbère. Ce fut du un pour un avant que le Saghro et le
Bou Gafer ne
retrouvent le silence et la paix.
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1 De soumission.
2 Si l'on excepte la zone espagnole.
3 Décrets. Nom arabe d'une disposition législative prise par l'autorité chérifienne.
4 Colonel Maire, Souvenirs, o.c., p. 273.
5 Jean de Lattre de Tassigny, futur maréchal de France, sera de ceux-là. Il
aura, lui aussi, le verbe
cru, les propos à l'emporte-pièce, les caprices d'une diva.
Il se montrera aussi injuste que cruel, mais
comme son illustre modèle il rayonnera
et s'imposera. « Vous serez commandés ! » lance-t-il
débarquant au Tonkin aux
lieutenants et capitaines. Un souffle nouveau embrase le corps
expéditionnaire
groggy par le désastre de Cao Bang. Jean de Lattre, un bon élève de l'écurie
Lyautey.
6 Le maréchal Juin, orfèvre en la matière, l'a parfaitement reconnu et justifié
devant Vincent
Auriol, alors président de la République : « Il a instauré la gestion
directe. Il a mis l'administration
régionale, il a mis les directeurs, il ne pouvait
pas faire autrement... Tous auraient fait comme
Lyautey. Il fallait d'abord créer
l'État chérifien. » Vincent Auriol, Journal, 5 octobre 1950.
7 Lettre à Ormesson (Lyautey, o.c., p. 405).
8 Général Spillman, Le Protectorat, p. 26.
9 En 1921, le Maroc espagnol est pratiquement coupé en deux : Melilla à l'est,
Larache-Tétouan à
l'ouest. S'implanter en force à Alhucemas est préparer l'unité
de la zone (Alhucemas est
à 40 kilomètres ouest de Melilla).
10 Le Tercio, la Légion Étrangère espagnole, a été fondé en 1920 par le lieutenant-colonel Milan
Astray, secondé par le commandant Franco. Cette troupe,
conçue à l'origine sur le modèle de la
Légion Étrangère française, est essentiellement espagnole. A elle non plus le courage ne fait pas
défaut.
11 Le futur Caudillo doit sa première fortune à ses campagnes marocaines.
12 Il est en pays berbère où les coutumes sont démocratiques.
13 Fils d'Abd el-Kader et adversaire résolu de la France.
14 60 kilomètres au sud de Tétouan. Centre commercial et religieux.
15 Il n'a, à l'époque, que 75 000 hommes pour tenir tout le Maroc.
16 Selon les témoignages des anciens du Rif, les chiens n'aboyaient pas à l'approche de l'homme
nu.
17 Béni Derkoul, 60 kilomètres au nord de Fès. La garnison commandée par
le sous-lieutenant Pol
Lapeyre, forte de deux officiers et 40 tirailleurs sénégalais,
tenait depuis 40 jours. Le sous-lieutenant
se fit sauter au moment où les Rifains
pénétraient dans la position.
18 Les noms de baptême des promotions de Saint-Cyr sont de bons repères de
l'expansion
coloniale. Ils témoignent surtout de l'intérêt porté par les jeunes élèves
officiers et le milieu militaire
aux événements d'outre-mer. On avait vu la promotion Marchand après Fachoda.
Il y avait eu ou il y aura :
1837-1839 Promotion de Constantine ; 1839-1841 Promotion de Mazagran ; 1843-1845 Promotion
d'Isly ; 1849-1851 Promotion de Zaatcha ; 1850-1852 Promotion
de Kabylie ; 1856-1858 Promotion
de Djurdjura ; 1880-1882 Promotion des Kroumirs ; 1882-1884 Promotion des Pavillons Noirs ;
1883-1885 Promotion de Madagascar ; 1885-1887 Promotion de l'Annam ; 1887-1889 Promotion de
Tombouctou ; 1889-1891 Promotion du Dahomey ; 1891-1893 Promotion du Soudan ; 1892-
1894 Promotion du Siam ; 1895-1897 Promotion de Tananarive ; 1898-1900 Promotion Marchand ;
1899-1901 Promotion d'In-Salah ; 1900-1902 Promotion du Tchad ; 1902-1904 Promotion du Sud-
oranais ; 1907-1910 Promotion
du Maroc ; 1908-1911 Promotion de Mauritanie ; 1909-
1912 Promotion de Fès ;
1924-1926 Promotion du Rif ; 1925-1927 Promotion de Maroc et Syrie ;
1926-1928 Promotion du sous-lieutenant Pol Lapeyre ; 1931-1933 Promotion du Tafilalet ; 1932-
1934 Promotion de Bournazel.
De même, par la suite, lors des guerres de décolonisation, il y aura :
1950-1952 Promotion Extrême-Orient ; 1952-1954 Promotion Union Française ;
1953-
1955 Promotion Ceux de Dien Bien Phu ; 1957-1959 Promotion Terre
d'Afrique ; 1959-
1961 Promotion Colonel Jeanpierre.
19 L'oued Ouerrha, flanqué au nord par quelques postes, marque pratiquement
la limite entre la
zone française et celle d'Abd el-Krim.
20 Engagée pendant trois mois, elle aura au combat 32 tués et 51 blessés.
21 Philippe Pétain (1856-1951). Maréchal de France en 1918. Chef de l'État
français (1940-1944).
En 1914, à cinquante-huit ans, le colonel Philippe Pétain, atteint par la limite de
son grade, allait
prendre sa retraite. Il avait alors, sous ses ordres, comme jeune
sous-lieutenant, au 33e d'infanterie à
Arras, un certain Charles de Gaulle.
22 En 1923, il avait été gravement malade. On avait craint pour ses jours.
Pendant dix jours, il
avait été entre la vie et la mort. Fait unique, le sultan avait
ordonné que des prières publiques soient
dites dans toutes les mosquées pour sa
guérison. A Fès, le conseil municipal et les corporations
avaient récité le Ia-el'Attif, la prière du Prophète que l'on dit uniquement en l'honneur du sultan.
23 Dans l'ombre de Lyautey (o.c., p. 223).
24 Le premier, avant la Grande Guerre, et devant l'engouement général pour
l'offensive à tout prix,
Philippe Pétain avait dénoncé le danger du « feu qui tue ».
L'expérience devait lui donner raison.
25 Le contingent marocain n'est pas négligeable. Six nouveaux goums ont été
constitués. Des
partisans ont été recrutés. On a vu la mise sur pied de la Méhalla
chérifienne. Enfin, de nombreux
Marocains servent dans les régiments de tirailleurs.
26 Tanger, où les Européens s'étaient installés en nombre avant le protectorat,
avait fait l'objet d'un
accord entre les Français et les Espagnols en 1923. Le sultan
en reste le suzerain nominal, mais la
ville bénéficie d'un statut d'internationalité.
Elle est pratiquement administrée par les résidents de la
communauté européenne
(Anglais, Français, Espagnols, puis avec eux Italiens à partir de 1928). Ce
statut, à quelques détails près, restera en vigueur jusqu'en 1957, le Maroc y
retrouvant alors ses
droits.
27 En 1947, Abd el-Krim, ramené en France, profitera de l'escale de Suez pour
s'évader. Il sera
jusqu'à sa mort, survenue en 1963, un nationaliste farouche, profondément hostile à la France,
exigeant l'indépendance totale du Maghreb et le
retrait de la monarchie marocaine.
28 A quelques réserves près : Haut Atlas, Druzes.
29 L'Angleterre, secrètement, avait fourni des armes et s'était entremise pour
la reconnaissance de
l'« État du Rif » par la Société des Nations.
30 L'Avant-garde du 16 septembre 1924.
31 Paul Vaillant-Couturier, membre du comité directeur du P.C.F. et futur
rédacteur en chef de
L'Humanité.
32 Jacques Doriot (1898-1945). A l'époque, secrétaire général des jeunesses
communistes et
député de Saint-Denis. Futur chef du P.P.F. et militant actif de
la collaboration avec l'Allemagne
durant la Seconde Guerre mondiale.
33 Cf. chapitre XL : La Fête coloniale
34 Le Tafilalet, 150 kilomètres ouest-sud ouest de Colomb-Béchar, est un ovale
d'une cinquantaine
de kilomètres de long comptant environ 50 000 habitants
répartis entre 200 et 300 Ksour. Jadis
prospère, étape des caravanes venant du
sud avec des esclaves (René Caillié arrivant de Tombouctou
y avait séjourné), le
Tafilalet s'appauvrissait. Il souffrait de son isolement dû à l'arrivée des Français
et surtout du bayoud, maladie ravageant les palmiers. Il restait sous l'emprise des
djouch
environnants dirigés par Bel Kacem.
35 Le 2 août 1918, un bataillon de Sénégalais avait été décimé à Gaouz, au
cœur du Tafilalet. Les
Français avaient dû se replier sur Erfoud au nord et s'y
retrancher.
36 Rissani est la principale bourgade du Tafilalet.
37 Les petites oasis du Ferkla et du Tadra sont à l'ouest du Tafilalet.
38 Zagora et la boucle du Draa. Environ 150 km sud-ouest du Tafilalet et
250 km sud-est de
Marrakech.
39 On se souvient qu'en berbère « Ait » veut dire fils. Les Ait Atta sont donc
les descendants d'un
certain Atta.
40 Il y a aussi des éléments de cavalerie, d'artillerie et de l'aviation.
41 De fait, la seconde compagnie (compagnie Fourré) n'est forte que d'un peloton aux ordres du
lieutenant Brincklé.
42 Les principaux sommets objectifs du Saghro et du Bou Gafer ont reçu un
numéro d'ordre.
43 Certains légionnaires poursuivront et atteindront l'objectif final. On y
retrouvera, par la suite,
leurs cadavres.
44 Le général Raoul Salan appartenait à cette promotion. Bournazel était de la promotion 1917-
1918 de Sainte-Odile et de La Fayette.
45 La promotion 1932-1934 de Saint-Cyr portera le nom d'Henri de Bournazel.
46 Les officiers des Affaires indigènes – les A.I. dans le jargon du temps –
tiendront un grand rôle
dans le Maroc français. Administrateurs, sans en avoir le
titre, ils régenteront une grande partie du
bled.
47 Maghzen qu'il faut ici entendre en son sens premier de Gouvernement
marocain.
48 A une réserve importante près, il ne sera pas sacrifié par le vainqueur. Asso
ou Baselham
deviendra, peu après, Amghar (caïd en berbère) supérieur des
Ait Atta.
49 Elles seront recensées et leurs propriétaires pourront les garder.
50 Le lieutenant Olié, futur chef d'Etat-Major de l'armée, et commandant le
8e goum, est
grièvement blessé le 3 septembre lors des derniers affrontements.
51 Cet Atlas central représente un rectangle d'environ 80 kilomètres sur 40
(nord-est du Saghro et
plein est de Marrakech). L'altitude y dépasse souvent 3 000
mètres, d'où la nécessité d'une campagne
d'été.
52 Donc berbères pures.
53 L'Histoire des goums, o.c., p. 430.
54 Qui sera, par la suite, rattaché au Sahara algérien, donc à l'Algérie.
55 Si l'on excepte Tanger et la zone espagnole.
56 Qui sera bientôt défini par les Français comme la limite méridionale du
pays.
57 Cinquante ans après, la dynastie alaouite, l'État marocain, célèbrent les
combat du Saghro,
symbole officiel de la lutte contre le colonisateur. Le résultat premier de cette bataille entre
Marocains fut pourtant d'amener à
l'obédience du pouvoir central et du sultan cette contrée qui de
tout temps la
refusait.
Chapitre XL
LA FÊTE COLONIALE
Les échos de la fusillade se sont à peine éteints dans les gorges du
Djebel
Druze. Ils se prolongent dans les sables du Tafilalet. Le Saghro
demeure
inviolé et Bournazel n'est pas encore tombé sur les pentes du
Bou Gafer.
Paris est bien loin de cette geste guerrière. La France aspire à la
paix.
Elle goûte sa victoire. Sa fierté éclate, devant sa force et ses
succès. Il est
dans la logique de cette autosatisfaction qu'elle glorifie
son empire colonial.
Celui-ci n'est-il pas un témoignage manifeste de
sa puissance et de sa
renommée mondiale ?
Marseille a donné l'exemple en 1922. Il n'y a pas à s'en étonner.
La cité
phocéenne vit en regardant le large. L'Afrique lui fait face.
Madagascar,
l'Extrême-Orient sont au départ de ses compagnies maritimes. Son
exposition coloniale répondait à une vocation et à une
situation. Strasbourg,
curieusement, a emboîté le pas. La patrie de
Kléber, il est vrai, possède la
fibre patriotique et l'on veut gommer les
décennies de l'annexion
germanique.
La capitale, le pays tout entier, ne sauraient être en reste de la
province,
pour exalter le sentiment général. De là, les deux grandes
manifestations
nationales.
En 1930, la France entière commémore officiellement le centième
anniversaire de la conquête de l'Algérie. On abrège. Par pudeur peut-être.
On biffe le terme « conquête ». 1930 est l'année du centenaire de
l'Algérie.
Quelques mois plus tard, s'ouvre, à Paris, l'Exposition coloniale
internationale. Un semestre d'immense spectacle. Après l'Algérie, voici
l'Empire saisi dans son ensemble.
En Algérie, en métropole, ces événements, par leur éclat et leur
importance, ont un retentissement considérable. Voulus par les pouvoirs
publics, approuvés par l'opinion, ils s'intègrent parfaitement dans
la pensée
impériale et coloniale du temps.
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Robert Randau14, d'une plume plus acerbe, le suit sur l'Algérie. Les
Tharaud évoquent Lyautey et le Maroc, Pierre Benoit le Levant et le
désert15. Les historiens, les géographes, Charles-André Julien,
E F. Gautier,
le général Azan, Jean d'Esme, Gabriel Hanotaux multiplient leurs études.
Le septième art naissant ne craint pas d'aborder le sujet. Pépé le
Moko est
tourné en bonne partie dans les ruelles de la kasbah d'Alger.
Trois de Saint-
Cyr (un peu plus tard, en 1939) relate le sacrifice de
Pol Lapeyre durant la
guerre du Rif...16
La France coloniale de 1930 se présente ainsi comme un très grand
courant populaire forgé de bonne conscience. Il n'est pas non plus
dépourvu
de fierté. Devant le nombre et la diversité de ces possessions
qui ressortent
si bien en rose-violet sur les atlas de géographie, devant
leurs richesses
découvertes à l'Exposition, devant ce drapeau tricolore
ainsi planté aux
quatre coins du monde, quel Français ne ressent-il
pas au fond de lui-même
un sentiment de « fierté nationale » ?17
Très certainement aussi, cet empire provoque confiance et sécurité.
La
France de 40 millions d'habitants, saignée par l'hécatombe de
14-18,
s'élargit à un ensemble de 100 millions d'individus susceptibles
de se lever
pour la défendre. Ne viennent-ils pas de le montrer ?
Dans ce courant général, il est certes quelques discordances. Les
communistes récusent le colonialisme de l'Empire. (Ils évolueront avec
la
montée du nazisme.) Des intellectuels condamnent. André Gide, une
nouvelle fois, dénonce les abus commis au Congo par les représentants
d'une compagnie d'exploitation forestière à l'égard des indigènes18. Le
philosophe Félicien Challaye est plus sévère encore. Celui auquel
Péguy
avait ouvert ses Cahiers de la Quinzaine pour une légitime
réprobation des
excès est devenu un procureur sans appel du colonialisme.
Ces voix ne sauraient être oubliées et étouffées. En aucun cas, elles
ne
couvrent la rumeur qui monte de la masse.
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Mais quel est donc exactement, en 1930, cet empire tant glorifié ?
1 A l'époque, 4 pour 100 des Algériens seulement ont un niveau de vie identique à celui des
Européens. Ce dernier est d'environ 15 pour 100 – du moins
est-il admis – inférieur à celui des
métropolitains.
2 Cahiers du Centenaire de l'Algérie, « La pacification du Sahara ».
3 Naturellement la dénomination de plateau des Glières n'existe pas encore.
Édouard Laferrière
(1841-1901) fut gouverneur général de l'Algérie en 1898.
4 Un quart de siècle plus tard, on dira sur le même thème : « La Méditerranée
traverse la France
comme la Seine traverse Paris. »
5 L'Illustration du 24 mai 1930.
6 Guy Dervil, « Témoignage sur le père de Foucauld », dans Les Grands Africains, p. 56. Le père
s'est du reste plusieurs fois exprimé verbalement et par écrit
sur ce thème. Il avait pleine conscience
de l'impossibilité de cohabitation entre les
deux religions.
7 Futur président de la Chambre et futur protagoniste des « Ballets roses ».
8 Un chemin de fer circulaire de 5 kilomètres et demi fait le tour de l'exposition.
9 Le bœuf, comme la vache dans les Indes, tient une place essentielle à Madagascar. Il est mêlé à
la religion, aux superstitions. Il est source de richesse.
10 Ces chiffres correspondent à une augmentation spectaculaire. En 1908-1913,
12,8 pour cent
pour les exportations, 10,9 pour cent pour les importations.
11 Grandeurs et servitudes coloniales, 1931, o.c.
12 Pour 12 959 prêtres missionnaires, il y aurait 4 304 prêtres indigènes dans
l'Église catholique
(chiffres de 1931). Par contre, les 402 évêques ou vicaires apostoliques sont presque tous des
Européens. Il faut relever le rôle de la France qui
se situe au premier rang. 35, 76 pour 100 des
missionnaires sont des Français.
13 La L.M.C. est née en 1921 de la fusion de la Ligue maritime et de la Ligue
coloniale française.
14 Robert Arnaud, dit Robert Randau (1873-1950).
15 La Châtelaine du Liban, L'Atlantide, par Pierre Benoit. Marrakech ou les
Seigneurs de l'Atlas
(1920), Fez ou les bourgeois de l'Islam (1930), etc., par les
frères Tharaud.
16 Un tourisme, encore réservé à une clientèle aisée, voit le jour au Maghreb
et au Sahara. La
Compagnie Générale Transatlantique édifie des hôtels de luxe
dans des sites choisis (Rabat, Fez,
Marrakech, Bou-Saada, Laghouat, Ghardaia,
Biskra, Tozeur, Dougga) et organise des « auto-
circuits » pour découvrir les paysages nord-africains.
17 Sur ces sentiments des Français, il existe un sondage instructif réalisé en
1939. Interrogées pour
savoir s'il était « aussi pénible de voir céder un morceau
de notre empire colonial qu'un morceau du
territoire de la France », 53 pour 100
des personnes répondent oui et 43 pour 100 non.
Parallèlement, à la question posée à ces Français s'ils croyaient opportun et justifié
de se battre pour
défendre le moindre bout de possession coloniale, 44 pour cent
répondent non mais 40 pour cent oui.
Cet attachement à l'outre-mer explique les drames nés de la colonisation et les
engagements pris
par beaucoup.
18 Voyage au Congo est publié en 1927.
Chapitre XLI
L'EMPIRE
A l'apogée de l'empire, avant que n'éclate la Seconde Guerre mondiale, il
n'est pas inutile de faire le tour du propriétaire et de dresser
l'inventaire. Les
Français de l'an 2000 n'ont pas à ignorer ce que fut
le patrimoine de leurs
aînés. Il explique tant de choses ! Il éclaire
tellement le présent !
*
**
S'il s'éparpille sur les cinq continents3, le gros de cet empire est en
Afrique. La superficie du domaine africain couvre plus de 80 pour 100
de
l'ensemble. Ce pourcentage, énorme, se ressent dans l'impression
générale.
L'empire colonial français est marqué par l'Afrique, même si
le continent
noir a une population clairsemée. La densité humaine ne
se trouve qu'en
Extrême-Orient. Avec 23 millions d'habitants sur
736 000 km2, l'Indochine
est le grand vivier, riche d'une main-d'œuvre
intelligente et laborieuse.
L'Afrique du Nord avec 16 millions d'individus reste en retrait.
Le climat, l'éloignement, la baisse de la démographie en France,
expliquent la faiblesse du peuplement européen. Il n'est vraiment
conséquent qu'au Maghreb (950 000 en Algérie, 210 000 en Tunisie,
200 000 au Maroc). Partout ailleurs, la colonisation européenne
demeure
marginale (sauf en Nouvelle-Calédonie où elle équilibre avant
de le
dépasser l'élément indigène). Quelques milliers de Français seulement,
militaires, fonctionnaires, commerçants, colons, planteurs, missionnaires,
représentent la France dans ses possessions outre-mer.
*
**
Chef-lieu
le Sénégal 201 000 km2 1 400 000 hab. Saint-Louis
la Mauritanie 835 000 » 300 000 » Saint-Louis
le Niger 1 320 000 » 1 300 000 » Niamey
la Côte-d'Ivoire 315 000 » 1 700 000 » Bingerville
la Guinée 251 000 » 2 000 000 » Konakry
française
le Soudan 1 464 000 » 2 600 000 » Bamako
français
la Haute-Volta4 293 000 » 3 200 000 » Ouagadougou
le Dahomey 122 000 » 1 000 000 » Porto-Novo5
Il est à Brazzaville, dirigeant l'A.E.F., l'Afrique Équatoriale Française, de
création plus récente (1908) et constituée du :
Chef-lieu
Gabon 275 000 km2 400 000 » Libreville
Moyen Congo 240 000 » 700 000 » Brazzaville
Oubangui-Chari 500 000 » 750 000 » Bangui
Tchad 1 300 000 » 280 000 » Fort-Lamy6
Il est à Tananarive, dans les mêmes conditions pour la Grande Ile
(3 800 000 habitants) et les Comores voisines.
Il est à Hanoi, pour l'Indochine française. Celle-ci regroupe une
colonie,
la Cochinchine, et quatre protectorats (Tonkin, Laos, Cambodge, Annam).
Ce sont là des pays bien peuplés :
Capitale
Cochinchine 56 965 km2 4 500 000 hab. Saigon
Tonkin 103 450 » 8 000 000 » Hanoi
Laos 214 000 » 1 000 000 » Vientiane7
Annam 150 000 » 5 000 000 » Hué
Cambodge 175 000 » 2 500 000 » Phnom Penh
La situation dans les deux pays de protectorat n'est guère différente,
même si la présentation varie. Le gouverneur général porte le titre de
résident général. Un pouvoir local est censé subsister. Le sultan à
Rabat, le
bey à Tunis sont reconnus chefs civils et religieux. Le premier dirige le
Maghzen chérifien ; le second, le gouvernement de la
Régence. Dans la
pratique, tout émane des autorités françaises pour
diriger :
Capitale
le Maroc 415 000 km2 6 300 000 hab. Rabat
la Tunisie 125 000 » 2 600 000 » Tunis
Dans les États sous mandat, confiés depuis peu à la France,
l'administration doit tenir compte de l'évolution des populations. Le haut-
commissaire, à Damas, délègue à des gouvernements locaux en Syrie
et
République libanaise. L'État des Alaouites et celui du Djebel Druze
sont,
par contre, administrés par un gouverneur français. Dans les
deux cas,
Affaires étrangères et Défense sont entre les mains de la
France8...
Capitale
le Cameroun 431 000 km2 3 700 000 hab. Yaoundé
le Togo 52 000 » 730 000 » Lomé
anciens pays coloniaux, sont regardés comme tels. Les gouverneurs,
commissaires de la République, retrouvent les prérogatives de leurs
pairs de
Dakar ou Brazzaville.
Les petites ou vieilles colonies (Antilles, Guyane, Inde, Nouvelle-
Calédonie, Océanie, Saint-Pierre-et-Miquelon) ne sont administrativement
pas très éloignées de la Métropole. Les gouverneurs généraux
peuvent
s'assimiler à des préfets.
La France a donc mis en place des gouverneurs généraux véritables
proconsuls, recevant directement leurs instructions de Paris. Lieutenants
gouverneurs dans les chefs-lieux, administrateurs dans les cercles
et
subdivisions, prolongent cette action et cette autorité. A tout
moment, Paris,
par ses décrets (le sénatus-consulte du 3 mai 1854 est
toujours en
application), se réserve le droit d'imposer sa décision. A
peine certains
organismes consultatifs sont-ils là pour donner l'illusion
d'une approbation
populaire. Ils ne peuvent guère émettre que des
vœux pieux. Seule,
l'Algérie, depuis 1900, connaît-elle les Délégations
financières, assemblées
territoriales appelées, comme le nom l'indique,
à débattre du budget. Forum
où les Algériens commencent à siéger à
côté des colons européens, elles
autorisent une confrontation sur les
problèmes internes de la colonie.
Quant à la justice, elle est l'émanation pure et simple du droit français, en
respectant les statuts dits personnels ou coutumiers, le plus
souvent à la
base des préceptes islamiques.
Dans cette toute-puissance de l'administration, il ne saurait exister
véritablement d'autonomie indigène. Caïds, pachas, mandarins, ne sont
que
des auxiliaires subalternes, voués aux tâches ingrates (impôts,
renseignements), des administrateurs issus pour beaucoup de l'École de la
France coloniale fondée en 1889 – et future École de la France
d'outre-mer.
Même si certains le souhaitent, la décentralisation n'existe
pas. Le quotidien
est loin de Gallieni et de Lyautey, apôtres des hiérarchies en place et de leur
célèbre formule : « Ne pas donner le coup
de pied au mandarin ! »
Mais Lyautey, lui-même, si respectueux des formes vis-à-vis du sultan et
des grands caïds, ne pratiquait-il pas l'administration directe
qui lui
permettait d'œuvrer à sa guise ?
*
**
Et les populations ?
Les Européens, ceux qui sont français de souche ou par naturalisation,
disposent de leurs droits civiques. Citoyens comme leurs
compatriotes
métropolitains, ils participent à la vie politique. C'est le
cas, par exemple, en
Algérie. Parlementaires, conseillers municipaux
dans les communes dites
de plein exercice9 sont normalement élus.
Les habitants des vieilles colonies connaissent le même régime, lointain
héritage de la Seconde République et de l'abolition de l'esclavage.
A leurs
côtés, il est des cas spécifiques. Quatre communes du Sénégal
(Dakar,
Saint-Louis, Rufisque et Gorée) bénéficient du même privilège.
Leurs
résidents sont citoyens français. En 1914, ils ont envoyé à la
Chambre le
premier député africain : Blaise Diagne, un enfant de
Gorée10.
Partout ailleurs existent des similitudes, liées à des cas personnels et
nées
pour l'essentiel des lendemains de la guerre. Anciens combattants
décorés,
fonctionnaires, diplômés, ont accès au bulletin de vote. C'est
en quelque
sorte un régime censitaire, basé non sur l'argent mais sur
l'élitisme. Il
intéresse quelques milliers de personnes.
Les autres, tous les autres autochtones, Algériens, Tunisiens, Marocains,
Africains, Malgaches, Indochinois... sont sujets français. Ils doivent
sujétion à la France. Leurs prérogatives s'arrêtent là. Le grand
courant qui
amènera à créer des collèges électoraux, même secondaires, ne s'est pas
encore levé (sauf en Algérie avec les délégations
financières).
Il reste, il est vrai, sur cette route des obstacles de taille : les Européens,
l'Islam, l'obscurantisme, l'état d'esprit de la Métropole. Les
Européens – le
cas est surtout vrai au Maghreb – ont peur d'un
bouleversement du système
électoral qui les submergerait. Leurs voix
pèsent près des politiques.
Plus de 20 millions de sujets français sont musulmans (au Maghreb,
en
Mauritanie en quasi-totalité et pour une part importante en A.O.F.
et au
Tchad, sans parler du Levant). Là où est l'Islam, avec sa xénophobie et son
fanatisme, le christianisme ne pénètre pas, et la civilisation occidentale avec
lui. Les musulmans ne sont pas prêts à
s'intégrer aux valeurs françaises
(position de la femme, par exemple)
même s'ils ne s'interdisent pas d'en
profiter.
L'obscurantisme, le sous-développement demeurent dans de nombreuses
colonies. Les analphabètes emplissent encore les cases africaines. Cette
réalité conforte l'opinion générale. La France a une
mission civilisatrice qui
n'est qu'engagée. Elle est le tuteur. Ses administrés ne sont, en terme
juridique, que des mineurs en état d'incapacité.
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Cet empire, que plus d'un envie, présente-t-il quelques lézardes ? Oui
et
non.
L'ordre français règne d'Alger à Dakar, de Brazzaville à Saigon.
L'édifice
paraît puissant et bien organisé. Gouverneurs, résidents, généraux, tiennent
les rênes d'une main ferme. L'État impose sa loi républicaine. Troupes
coloniales, armée d'Afrique, garde indigène, milice,
forces de police sont là
pour la faire respecter.
Qui oserait, du reste, s'en prendre à la domination française devant
cet
appareil en place ? Qui même pourrait y songer ? Le fellah dans
son djebel,
l'Africain dans sa brousse, le nhaqué dans sa rizière, vivent
encore en plein
Moyen Age. Leur cadre de vie, leur niveau intellectuel,
ne sauraient les
conduire à aspirer à d'autres perspectives politiques
que celles présentement
offertes par l'horizon français.
Certes, puissance du colonisateur, passivité du colonisé favorisent
l'état
de fait. Elles n'empêchent pas certains de le remettre en question.
Parfois –
même si le cas est rare – avec violence.
A Paris, alors, la Chambre évoque ces incidents. Le Parti communiste se
lève en accusateur. Il reste pratiquement seul. La grandeur de
l'empire, la
mission colonisatrice de la France sont des principes
immuables. La
présidence de la République, le gouvernement, tout
l'aréopage politique,
proclament haut et fort ce credo de la France de
l'entre-deux-guerres. Il en
sera ainsi jusqu'au douloureux réveil de juin
1940.
Quoi qu'il en soit du discours officiel, il est cependant des frémissements.
A Tunis, à Alger, à Fez, à Hanoi, à Damas.
*
**
LA TUNISIE
Les Tunisiens sont gens pacifiques mais, à la différence de leurs
voisins
algériens, ils ont un passé. Lointains héritiers de Carthage, ils
ont
conscience de leur histoire. Ils eurent un prince, un État, une vie
économique, un rayonnement intellectuel. Leur civilisation scellée dans
le
moule islamique et turc demeure avec l'originalité propre à ce
peuple
industrieux et commerçant. L'université d'Al Zaytuna de Tunis
poursuit son
enseignement. Kairouan est toujours la quatrième ville
sainte de l'Islam.
L'élite tunisienne n'oublie pas ce qui fut et ce qui est. Si la France
a su
profiter des faiblesses du régime beylical pour prendre possession
du pays,
un esprit national subsiste. Entretenu par la bourgeoisie lettrée, il ne saurait
mourir même s'il ne se dresse pas les armes à la
main. D'ores et déjà, il
souhaite des réformes apportant aux Tunisiens
plus de responsabilités et
d'autonomie.
Ce courant, si modeste soit-il, ne tarde pas à manifester son existence.
En 1919, un mémoire est adressé à Wilson, ce président américain qui a
repris à son compte la formule du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes.
En 1920, un pamphlet est publié à Paris : « La
Tunisie martyre. Ses
revendications. » Le président des États-Unis ne
répond pas. « La Tunisie
martyre », au titre excessif, ne rencontre
guère d'écho.
Cependant, une structure prend forme. Derrière Abd el Aziz, Thahabli,
elle réclame un Destour (Constitution). Le terme a du succès. Il
donne son
nom à un parti. Le Destour se présente en tenant de l'idéologie nationale.
Ce qui n'était encore que le fruit d'un petit groupe, prend, en 1928,
un
autre visage. Arrive un jeune avocat, Habib Bourguiba.
Habib Bourguiba a alors vingt-cinq ans15. Des études sérieuses à
Tunis et
Paris lui ont fait découvrir les valeurs du monde occidental.
Il les a adoptées
et se révolte de ne pas les retrouver appliquées dans
sa terre natale, sous
l'emprise coloniale.
Désormais sa vie sera liée à l'histoire de l'évolution de son pays. Il
y
consacrera toute la force d'une personnalité qui sait associer la souplesse à
la fermeté, la sincérité à l'ambition, la persuasion à l'autorité.
Avec Habib Bourguiba une autre génération, plus jeune que celle
des
notables du Destour, entre dans la bataille politique.
Elle peut d'abord compter sur un courant populaire né de la nature
même
de la colonisation. Le prolétariat tunisien ressent durement la
concurrence
des colons d'origine italienne16. Ce petit peuple latin
accapare les emplois
modestes que bien des indigènes pourraient se
voir attribuer.
Bourguiba et son aîné, le docteur Materi, ont tôt fait de s'appuyer
sur
cette masse miséreuse et rurale dans son ensemble. Se détachant,
en 1934,
du vieux Destour figé, le Néo-Destour de Bourguiba s'affirme
résolument
moderne, laïc et démocratique.
Son chef ne tarde pas à ressentir les foudres du Protectorat. Arrêté,
il est
exilé à bordj Le Bœuf17 dans le Sud tunisien. Le succès du Front
populaire
en 1936 laisse espérer une libération. Bourguiba peut
reprendre son
opposition et son combat en faveur de l'indépendance.
Mais les tentatives,
réciproques, de rapprochement entre le résident
général et le Néo-Destour
n'aboutissent pas. La colonie européenne
récuse l'évolution. Paris n'est pas
mûr pour se décharger d'une partie
de ses prérogatives.
L'agitation se développe, coupée par des incidents18 et la rupture
définitive entre le vieux Destour et son cadet le Néo-Destour. Le
9 avril 1938, les manifestations tournent mal. Tunis connaît l'émeute.
Habib
Bourguiba, les dirigeants néo-destouriens, sont poursuivis et
incarcérés en
métropole. Le mouvement paraît brisé.
Le contexte international dessert les nationalistes. L'Italie fasciste
réclame avec force clameurs et gesticulations la Tunisie, la Corse et
Djibouti. Les Tunisiens, et ils ne s'en cachent pas, préfèrent la France
synonyme d'une autre grandeur. Les menées de Benito Mussolini et
des
siens estompent celles du Néo-Destour. A la veille de la Seconde
Guerre
mondiale, les rangs se serrent derrière le drapeau tricolore.
*
**
LE MAROC
La sève marocaine est vigoureuse. Elle donne des hommes forts et
fiers.
Le Marocain, à l'image de l'Atlas dominant la plaine, se dresse inflexible,
dédaigneux des nuances. Il est d'une fidélité extrême ou
d'une hostilité
farouche. Les Français l'ont découvert et appris à leurs
dépens. La conquête
a exigé vingt années de lutte, mais entraîné aussi
d'indéfectibles
dévouements.
Elle n'est pas totalement achevée qu'elle se voit déjà remise en
cause. La
guerre du Rif a eu plus de retentissement que soupçonné.
L'armée française,
un moment, a été mise à mal. Elle y a perdu de
son lustre. Abd el-Krim a
fait figure de héros national. Le départ de
Lyautey a laissé un vide. Ses
successeurs, des civils à l'air faussement
martial en dépit des bottes bien
cirées et des casquettes à large visière,
ne sauraient prétendre au prestige de
l'illustre soldat19. Ces nouveaux
résidents favorisent la colonisation
européenne, politique que Lyautey
s'était bien gardé d'adopter. Les places
de plus en plus nombreuses
occupées par des fonctionnaires ou des colons
provoquent rancœur et
mécontentement.
Plus encore qu'en Tunisie, la fronde naît de la jeunesse. Derrière
Allal El-
Fassi à Fez, derrière Ahmed Balafrej à Rabat, les étudiants,
à partir de 1930,
relèvent la tête. Les compagnons de Bourguiba se
réclament du peuple et de
la justice. Ceux d'Allal El-Fassi et de Balafrej, de par leurs origines
familiales20 et leur formation, mettent en
avant, surtout pour le premier,
l'Islam et la patrie marocaine.
Au Maroc, comme dans tout le Maghreb, la loi islamique régit le
droit.
Celui-ci devrait donc être le même, partout. Il n'en n'est rien.
Les Berbères
du Bled es Siba ont toujours vécu leur religion à leur
guise. Par conséquent,
leurs coutumes, leur organisation judiciaire,
s'écartent largement de celles
du Bled el Maghzen contrôlé par le sultan.
Cette originalité n'a pas échappé au colonisateur. Il s'en est servi.
La
politique des grands caïds voulait opposer Maroc berbère à Maroc
arabe.
Diviser pour régner. Le principe reste immuable.
Il ne déplairait pas, non plus, à certains de voir le pays berbère se
détacher de l'Islam et se rapprocher du catholicisme. Il y aurait des
convergences entre les deux pratiques. La conversion et l'entrée au
séminaire en France de Mohammed Ben Abd el Jalil, fils d'une bonne
famille de Fez, suscite des illusions.
Répondant à cet ensemble, le 16 mai 1930, le résident général
Lucien
Saint présente au sultan Mohammed V un dahir reconnaissant
et accentuant
le particularisme judiciaire berbère. Le prince, peu
informé et encore
novice21, paraphe le texte. L'affaire dite du « Dahir
berbère » commence.
Manifestement, ce « Dahir berbère » porte brèche dans l'unité législative.
De là à en déduire qu'il porte atteinte à l'intégrité du Maroc,
le pas est aisé à
franchir. Le « Dahir berbère » offre un bon sujet pour
exalter la patrie
marocaine.
L'entreprise, au départ, n'a pas grande possibilité d'action. La religion en
offre une. Les prières prévues lorsqu'un péril menace la
communauté
musulmane sont récitées dans les mosquées, à Rabat
d'abord, puis à Salé et
Fez. Elles marquent le vrai début d'une agitation appelée à prendre de
l'ampleur. Celle-ci n'en reste pas moins
limitée. A peine regroupe-t-elle
quelques centaines d'étudiants et de
notables. La masse n'est pas encore
concernée. Du moins, les jeunes
nationalistes – car nationalistes ils sont –
se sont-ils manifestés. Ils
ont le sentiment d'une victoire. La Résidence, à
Rabat, le comprend
dans le même sens.
Forts de ce succès22, Mohammed el Ouezzani, Ahmed Balafrej et
leurs
amis développent leur action. Appuyés par quelques hommes
politiques
français de gauche, ils lancent deux revues, Maghreb (juillet
1932) à Paris,
Action du Peuple (août 1934) à Rabat. Ces périodiques
aux destins
incertains leur permettent de colporter leurs idées.
Habilement, ils s'efforcent d'établir une analogie entre Maroc et
Territoires sous mandat. Le protectorat ne serait qu'un moment transitoire,
étape devant très rapidement s'achever par l'indépendance.
Tout aussi habilement, ils se rapprochent du sultan. Le jeune prince
est
encore un personnage un peu falot à la traîne du résident général.
Il n'en
n'est pas moins le chef religieux du pays. A cet égard déjà, il
représente le
Maroc. Les étudiants l'ovationnent à chacune de ses sorties. Ils le saluent du
titre de roi, de préférence à celui de sultan jugé
désuet. Le monarque, s'il ne
le manifeste pas encore, découvre, peu à
peu, qu'il peut être mieux qu'une
potiche déplacée au gré de la volonté
du protecteur. Le futur artisan de
l'indépendance marocaine ne l'oubliera pas.
Le 1er décembre 1934, le « Comité d'action marocaine » créé par
Allal
El-Fassi et El Ouezzani présente au sultan, au résident général
et au chef du
Gouvernement français, Pierre Laval, un plan de
réformes marocaines.
S'appuyant sur l'esprit du traité du 30 mars
1912, ce plan condamne
l'administration directe et réclame une plus
large participation des
Marocains à la gestion de leur pays. Au-delà
du plan doctrinal, il propose
un certain nombre de réformes, politiques, judiciaires, sociales,
économiques et financières. L'ensemble,
épais document de 134 pages, vise
à redonner aux Marocains l'égalité
des droits et des chances. A défaut d'une
efficacité immédiate – le
gouvernement français, la Résidence ne donnent
pas de suite, le sultan
se tait – il élargit le débat. Des intellectuels, des
commerçants, des
artisans, font connaître, par télégramme, leur accord.
Progressivement,
une couche populaire, arabe essentiellement, se sent
concernée.
1936 est une année de campagne nationaliste. Réunions, congrès,
dénoncent le Protectorat dans le nord du Maroc. Mais le mouvement
n'échappe pas aux rivalités personnelles. Les compagnons du départ
se
séparent. El Ouezzani regroupe le courant traditionaliste23. Allal
El-Fassi
entraîne derrière lui la majorité. En avril 1937, il fonde le
parti National –
appelé par la suite, sous le nom d'Istiqlal (Indépendant), à devenir le fer de
lance de la lutte. Il est à même de susciter
grèves et manifestations.
Le 2 décembre 1937, à Meknès, une échauffourée connaît un bilan
tragique : 13 morts, une centaine de blessés. Le service d'ordre,
débordé, a
tiré. Un cycle de violence est engagé : 16 blessés à Khemisset, gros bourg
entre Meknès et Rabat, le 22 octobre ; deux manifestants tués à Port-
Lyautey (Kenitra), le 27 octobre.
Paris ne peut plus tolérer le désordre. Le général Noguès reçoit
l'autorisation d'agir. Les meneurs sont arrêtés. Certains sont assignés
à
résidence dans le Sud marocain. Allal El-Fassi est condamné au
bannissement dans le lointain Congo, où il restera jusqu'en 1946.
Comme en Tunisie, le nationalisme, faute de chefs, est provisoirement
bridé. Son bilan immédiat reste modeste. Il ne s'est pas appuyé
sur une
grande assise populaire. Il s'est localisé dans le nord, dans les
cités à haute
emprise religieuse, Fez, Meknès, Salé, Taza. Il n'a pas
touché la montagne
berbère. Le sultan n'a pas pris parti.
Dès la fin de 1937, le Maroc connaît un calme qu'il conservera
jusqu'à la
guerre. Mais les exilés du nationalisme ne sont pas décidés
à renoncer. Ce
qui sera demain leurs atouts essentiels, l'Islam et le
Trône, n'a pas été
affaibli. Bien au contraire.
*
**
L'ALGÉRIE
L'Algérie est calme, mais... Les temps de la conquête, ceux de
l'insurrection de Mokrani, ne sont pas si lointains. Il y a eu la révolte
des
Ouled Sidi Cheikh dans le Sud oranais en 1881. Des colons ont
été
assassinés à Marguerite, près de Miliana, en 1901. Il y eut l'Aurès
en 1916.
Les Européens le savent. Ils vivent dans une certaine méfiance de
l'Arabe. Ce sentiment les conduit à refuser toute évolution, car ils
savent
aussi que la loi du nombre ne joue pas pour eux. A défaut
d'une stricte
tutelle des Algériens, leurs existences, leurs biens, pourraient être menacés.
Chez les musulmans, la grande masse est amorphe. Les Français
sont les
maîtres. « Mektoub ! » C'était écrit. Cette attitude n'interdit
pas les regards
de convoitise du pauvre vers le mieux loti. Il est des
amis sincères de la
France, anciens combattants, dignitaires, avantageusement traités. De l'autre
côté, un mouvement se dessine. Dix ans
après la fin du premier conflit
mondial, grâce aux mesures qui ont
accordé à certains l'accession aux droits
civiques, trois tendances prennent forme.
Derrière le docteur Bendjelloul et surtout Ferhat Abbas, le pharmacien de
Sétif, les élus du Constantinois réclament l'assimilation pure
et simple à la
patrie française. De sang algérien mais de culture française, Ferhat Abbas,
futur Premier ministre du G.P.R.A.24, écrit dans
l'Entente25,
le 23 avril 1936 :
*
**
LE LEVANT
En Syrie, la répression de la révolte druse n'a rien résolu, bien au
contraire. Le nationalisme syrien demeure vivant.
En 1922, l'Angleterre a accordé son indépendance à l'Égypte tout
en
gardant la haute main sur le canal de Suez. Elle a agi de même
vis-à-vis de
l'Irak en 1930 en s'assurant de solides bases militaires et
le contrôle de la
production pétrolière. L'Irak a obtenu un siège à la
Société des Nations
en 1932.
Ces exemples proches sont contagieux. A Damas, on s'interroge.
Qu'attend la France pour résilier son propre mandat ? Les assemblées
élues
en 1928 et 1930 ne cachent pas leurs sentiments. Grèves et incidents
éclatent en 1936.
Le gouvernement de Front populaire comprend qu'il doit agir. Le
9 septembre 1936, un accord est signé entre Paris et Damas. La Syrie,
au
terme d'une période probatoire, obtiendra son indépendance, dans
les trois
ans. La France conservera deux bases militaires. Ses intérêts
économiques
et culturels seront préservés. Un texte identique est également paraphé à
Beyrouth, prévoyant de surcroît des facilités militaires élargies pour les
troupes françaises.
La France semblerait ainsi s'engager vers une issue honorable à ses
responsabilités de mandataire au Levant. Semblerait... Le gouvernement
français ne fera pas ratifier des traités condamnés, par là-même,
à demeurer
lettre morte. Pourquoi ? Le pétrole n'est certainement pas
étranger à certains
comportements. Tripoli, en Syrie française, est le
terminus du pipe-line de
l'Irak Petroleum Company. 27,5 pour 100 de
sa production passent ainsi
entre les mains françaises.
En 1939, le retour à la Turquie du sandjak d'Alexandrette, territoire
habité par des Turcs, mais revendiqué par les nationalistes syriens, ne
pourra qu'accroître les mécontentements. On en sera là à la déclaration de
guerre.
*
**
L'INDOCHINE
L'Indochine est toujours bien lointaine. La route maritime, la seule
véritablement utilisée, reste longue, très longue. L'écho des événements
survenus en Extrême-Orient n'arrive qu'avec retard et en partie affaibli.
L'opinion métropolitaine ne le reçoit pas. Pourtant, les incidents
survenus
en Annam et au Tonkin sont graves, très graves. Ils dépassent de très loin
tout ce qui a pu advenir dans les autres parties de
l'Empire.
Les événements d'Indochine ont deux origines immédiates. Une crise
sociale : le petit peuple souffre. Un mouvement nationaliste : le
V.N.Q.D.D., créé en 1927 à Hanoi. A partir de 1930, on verra apparaître un
agitateur politique connu par la suite sous le nom d'Hô Chi
Minh27, et qui
jouera un rôle d'une importance considérable.
Le Viet Nam Quoc28 Dan Dang, Parti national du Viet Nam, est
un peu
l'émule du Kuomintang chinois. Sa doctrine, s'inspirant de Sun
Yat-Sen,
s'appuie sur trois grands principes : démocratie, nationalisme,
bien-être du
peuple. Se réclamant du Komintern, il s'imprègne profondément de
marxisme. Résolument révolutionnaire, il compte sur l'action directe.
L'agitation débute en février 1929 par un meurtre. Le recruteur
général de
la main-d'œuvre Bazin est assassiné à Hanoi. Un tract, sur
son cadavre,
revendique les mobiles du crime : « Vampire qui suçait
le sang des
Annamites, nous avons eu le tien à notre tour. »
Les coupables seront vite appréhendés. Des élèves de l'École d'Arts
appliqués d'Hanoi.
Un an plus tard, l'affaire prend d'autres proportions. Dans la nuit
du 9 au 10 février 1930, 50 tirailleurs (sur 600) de la garnison de Yen-Bay,
au Tonkin, se révoltent. 5 sous-officiers européens, 2 tirailleurs
indigènes,
sont tués. Une véritable opération militaire doit être engagée
pour venir à
bout des mutins. D'autres exactions se produisent. Un
instituteur indigène et
son épouse sont assassinés. La maison d'un
sous-préfet (annamite) est
incendiée. Des bombes sont lancées contre
des locaux de la gendarmerie ou
de la police à Hanoi.
Au début du mois de mai 1930, des manifestations populaires
secouent le
Ben-Thuy, région misérable, en limite du Tonkin et de
l'Annam. La garde
indigène, débordée, tire : 21 manifestants sont tués.
Des soviets s'installent
dans les villages. Règlements de comptes, liquidations, saccages, se
succèdent devant une administration de prime
abord dépassée. La
répression est brutale. L'aviation bombarde les
villages révoltés. La Légion
intervient. La révolte ne s'éteint qu'en septembre 1931.
Le calme revenu, la justice sévit. L'affaire de Yen-Bay, regardée
comme
très grave, entraîne 58 condamnations à mort. (Il y aura
quatre exécutions
capitales.) Des centaines de militants condamnés à
l'emprisonnement se
retrouvent à Poulo Condor et dans d'autres pénitenciers moins connus. Ces
bagnes deviennent le creuset d'un ferment
révolutionnaire.
Cette agitation réveille cependant les gouvernants locaux. Un effort
réel
est engagé en faveur des coolies, en particulier ceux des plantations. Un
Code du travail est promulgué le 30 décembre 1936. La
scolarisation se
développe. L'amnistie du Front populaire, en 1936,
vide les prisons.
Sur le fond encore rien n'est résolu. Le nationalisme reste sous-jacent.
Les cellules communistes, peu nombreuses, mais déterminées,
poursuivent
leur action.
*
**
ILS ONT SEMÉ LA FRANCE
Il est de bon ton, à la fin du deuxième millénaire, de fustiger
l'époque
coloniale.
On prête à un récent président de la République des propos
péremptoires :
« La colonisation est le plus grand crime du XIXe siècle. »
Ses prédécesseurs, cinquante ans plus tôt, affirmaient le contraire.
Les
présidents changent. Les idées varient. Ainsi va le vent de l'histoire. Le
centenaire de l'Algérie, l'Exposition coloniale internationale
le voyaient
souffler dans un autre sens qu'aujourd'hui.
Soit, mais cette époque coloniale fut un moment de l'histoire de la
France ; au même titre que le temps des Croisades ou la période
révolutionnaire. Elle mérite, par là-même, une analyse objective, sans a
priori.
Il est une évidence première. Des Français, durant des décennies,
s'en
sont allés troubler le pré carré des natifs d'outre-mer. S'ils ne
furent point les
seuls, ils n'en restent pas moins justiciables pour avoir
été se mêler des
affaires d'autrui. Qui pourrait, de bonne foi, le contester ?
L'ambition personnelle, le patriotisme, l'esprit missionnaire, d'autres
mobiles encore – peut-être moins avouables, comme l'appât du gain
– ont
guidé les pas de ceux-là qui débarquèrent sur les côtes lointaines. Il leur
fallait un courage à toute épreuve pour affronter ces
horizons inconnus.
L'adversité, l'inconfort, la maladie, la mort, étaient
constamment au rendez-
vous de ces vaillants.
Qu'ont-ils trouvé encore, le plus souvent, en ces paysages nouveaux ? La
tyrannie, l'obscurantisme, la barbarie, l'esclavage. Ces obstacles ne leur ont
pas interdit de continuer. En moins d'un siècle, ils
ont rebâti un second
empire effaçant les ruines du premier.
Sur cette route, il y eut des hommes forts. Il y eut des chefs. Des
chefs
qui surent créer l'événement et forcer le destin. Il n'est de colonie
qui ne
porte la marque d'un Bugeaud, d'un Faidherbe, d'un Brazza,
d'un Lyautey,
d'un Gallieni, d'un Lagarde... On ne peut à leur endroit
qu'évoquer la
remarque fameuse :
« Ce ne sont pas les Romains qui ont envahi la Gaule, c'est César. »
Ces hommes de terrain furent les vrais bâtisseurs. En de rares occasions,
ils furent soutenus par des politiques. Ferry, qui a voulu le
Tonkin et la
Tunisie, est au premier rang de ceux-là.
Eux et leurs compagnons étaient de bonne foi.
Devant les tombes de ses soldats tombés pour la prise de Galakka
(Tchad), Largeau, après avoir salué la mémoire des disparus, ajoute :
*
**
*
**
Il resterait pour conclure à dresser un premier bilan alors que l'Empire est
à l'apogée de sa gloire.
N'est-ce point prématuré ? La route ingrate et souvent douloureuse
de la
décolonisation est encore à parcourir. Le temps a-t-il apporté le
recul
suffisant et, avec lui, la sérénité, gage d'objectivité ? C'est douteux.
Le fléau de la balance est condamné à osciller avant que les esprits
admettent que, dans le fait colonial, il n'est de manichéisme absolu.
Ils
doivent, devant lui, apprendre à raison garder.
Il y eut conquête, domination, exploitation parfois. Il y eut apport
aussi.
Les colonisés eux-mêmes l'expriment et le reconnaissent.
« Sans l'aide de la France, le Maroc était perdu ; grâce à elle, l'autorité
chérifienne a été rétablie », proclame Moulay Youssef.
« L'héritage de la France était magnifique », écrit Ferhat Abbas.
Juste évocation des États créés, des cités bâties, de la médecine et
de
l'instruction répandues, du progrès technologique introduit, des
économies
développées, des valeurs transmises dont la démocratie n'est
pas la moindre.
Il y eut surtout, dominant le tout :
« Le merveilleux outil trouvé dans les décombres du
régime colonial :
la langue française » (Léopold Sédar
Senghor, 1962).
1986-1988
814 Avant Jésus-Christ Fondation de Carthage
146 Avant Jésus-Christ Chute de Carthage
632 Mort de Mahomet
1095 Urbain II prêche la 1re Croisade
1099 Prise de Jérusalem par les Croisés
1270 Mort de saint Louis devant Tunis
1291 Chute de Saint-Jean-d'Acre
1492 Prise de Grenade par les Rois Catholiques
Christophe Colomb découvre le Nouveau Monde
1494 Traité de Tordesillas
1514 Barberousse maître d'Alger
1534 Premier voyage de Jacques Cartier au Canada
1536 François Ier signe les Capitulations
1552 Les frères Lenche s'installent au Bastion de France
XVIIe siècle
Les ouvrages consacrés à l'Empire Colonial français sont trop
nombreux pour pouvoir être tous rapportés. Il ne sera donc
mentionné
que les titres principaux ou ceux plus particulièrement
exploités par
l'auteur.
Par souci de clarté, ils seront présentés en référence des sujets
évoqués.
Ouvrages d'intérêt général
BLET H., France d'outre-mer, Arthaud, 1950 (trois tomes).
DELAVIGNETTE R. et JULIEN Ch.-A., Les Grands Constructeurs
de la
France d'outre-mer, Corréa, 1946.
HANOTAUX G., Histoire des Colonies françaises, Plon, 1930 (six
volumes).
HARDY G., Histoire de la Colonisation Française, La Rose, 1928.
RAMBAUD A. et COLIN A., La France Coloniale, 1886.
RECLUS O., La France et ses colonies, Hachette, 1889.
SÉDILLOT R., Histoire des Colonisations, Fayard, 1958.
YACCONO X., Histoire de la Colonisation Française, P.U.F., 1969.
L'Illustration, Atlas Colonial Français, 1938.
Le Domaine Colonial Français, Éditions du Cygne,
1929 (quatre tomes).
Hommes et Destins, Dictionnaire biographique d'Outre-Mer, Académie
des Sciences d'Outre-Mer (huit tomes parus).
Revue Historique de l'Armée.
Vert et Rouge, Revue de la Légion Étrangère.
Chapitre I. – « Gesta dei per Francos »
DANIEL-ROPS, L'Église de la Cathédrale et de la Croisade,
Fayard,
1952.
GROUSSET R., L'Empire du Levant, Payot, 1979.
MAALOUF Amin, Les Croisades vues par les Arabes, J.-C. Lattès,
1983.
Le Coran (traduction D. Masson), Gallimard, 1967.
Chapitre II. – L'héritage d'Adam
LA RONCIÈRE C. de, Jacques Cartier, Lavauzelle, 1984.
MARTIN G., Jacques Cartier et la découverte de l'Amérique du Nord,
Gallimard, 1938.
Chapitre III. – Un grand siècle
HENRY A., La Guyane, Guyane presse diffusion.
Les Colonies et la Vie Française, Firmin-Didot, 1931.
Chapitre IV. – Gorée l'île aux esclaves
RENAULT F., DAGET S., Les Traites négrières en Afrique, Karthala,
1985.
Chapitre V. – Quelques arpents de neige
BOSSU J.-B., Nouveaux Voyages en Louisiane, Aubier-Montaigne,
1980.
LEMONNIER L., Histoire du Canada Français.
J.C.B., Voyage au Canada, Aubier-Montaigne, 1978.
Chapitre VI. – Les Indes
GLANCHANT R., Histoire de l'Inde des Français, Plon, 1965. Suffi en.
France-Empire, 1976.
VAISSIÈRE Pierre de, Dupleix, Plon, 1931.
Chapitre VII. – Périssent les colonies
BESSON M. et CHAUVELOT R., Napoléon colonial, Éditions
géographiques, maritimes et coloniales, 1939.
JARAY G.-L., COLON A., L'Empire Français d'Amérique, 1938.
Chapitre IX. – Alger où tout a vraiment commencé
D'ESTAILLEUR-CHANTERAINE P., Abd el-Kader le Croyant,
Fayard,
1959.
GAUTHEROT G., La Conquête d'Alger, Payot, 192 ?.
HAMIDANI Amar, La Vérité sur l'Expédition d'Alger, Balland,
1985.
JULIEN C.-A., Histoire de l'Afrique du Nord, Payot, 1956.
JULIEN C.-A., L'Algérie contemporaine, P.U. F.
MERLE J.-T., JONQUIÈRES Henri, La Prise d'Alger, 1930.
MONTAGNON P., La Conquête de l'Algérie, Pygmalion/Gérard
Watelet,
1986.
Chapitre X. – « Ense et aratro » Bugeaud
ADRIEN H., Le Père Bugeaud, Plon, 1951.
AZAN P. (général), Sidi-Brahim, Charles Lavauzelle, 1930.
GOINARD P., Algérie. L'Œuvre Française, Robert Laffont, 1984.
D'IDEVILLE, Le Maréchal Bugeaud, Firmin-Didot, 1855.
Émile Paul frères, Éditeur, Lettres inédites du maréchal Bugeaud,
1922.
Chapitre XI. – Faidherbe
BIONDI J.-P., Saint-Louis du Sénégal, Denoël, 1987.
DEMAISON A., Faidherbe, Plon, 1932.
ROCHE, Histoire de la Casamance, Karthala, 1985.
VILLARD A., Histoire du Sénégal, Ars Africae, 1943.
Chapitre XII. – Au pays de Gia Long
FRANCHINI P., Les Guerres d'Indochine, Pygmalion/Gérard Watelet,
1988.
TRUNONG VINH KY P.J.B., Cours d'histoire Annamite, Imprimerie du
Gouvernement, 1879.
Chapitre XIV. – Ferry le Tonkinois
BARRAL P., Jules Ferry, Éditions Serpenoise, 1985.
BERNARD F. (capitaine), L'Indochine, Eugène Fasquelle Éditeur,
1901.
DESCHANEL Paul, Gambetta, Hachette, 1919.
IBOS (capitaine), Le chemin de fer du fleuve Rouge, Charles
Lavauzelle.
Jules Ferry fondateur de la République, Éditions de l'École des
Hautes
Études es Sciences, 1985.
Chapitre XVI. – L'Algérie couverte à l'est
ARNOULD François, Tunisie 1881, Éditions Calendal, 1985.
CAMBON Paul, Correspondance, Grasset, 1940.
PIQUET V., Campagne d'Afrique, Algérie-Tunisie-Maroc, Charles
Lavauzelle.
La Nation française en Tunisie (1577-1835), Éditions du Recueil,
Sirey, 1955.
Chapitre XVII. – L'Afrique, un continent à prendre
CORNEVIN Robert, Histoire de l'Afrique – l'Afrique pré-coloniale,
Payot, 1976.
GUERNIER E.-L., L'Afrique champ d'expansion de l'Europe,
A. Colin,
1933.
KI-ZERBO Joseph, Histoire de l'Afrique Noire, Hatier, 1978
WELCH G., L'Afrique avant la colonisation, Fayard, 1970.
L'Afrique Occidentale Française, Encyclopédie coloniale et maritime,
1949.
Centenaire de la Conférence de Berlin, Présence africaine, 1987.
Chapitre XVIII. – Gallieni, le maître
DIDELOT Roger-Francis, Gallieni, Éditions Paul Dupont, 1947.
GHEUSI J.-B., Gallieni, Charpentier, 1922.
GHEUSI J.-B., La vie prodigieuse du maréchal Gallieni, Plon, 1939
LYAUTEY Pierre, Gallieni, Gallimard, 1959.
Les Carnets de Gallieni, Albin Michel, 1932.
Gallieni au Tonkin, Berger-Levrault, 1941.
Chapitre XX. – Guinée, Côte-d'Ivoire, Dahomey
D'ALMEIDA TOPOR Hélène, Les Amazones, Éditions Rochevignes,
1984.
BARATIER (colonel), Épopées Africaines, Fayard, 1912.
BARATIER (général), A travers l'Afrique, Fayard. 1942
BIARNES Pierre, Les Français en Afrique Noire, A. Colin, 1897
GAFFFAREL P., Les Colonies Françaises, Félix Alcan, 1899
HANIN Charles, Occident Noir, Alsatia, 1946.
RICHARD-MOLARD J., Afrique Occidentale Française Berger-Levrault,
1949.
Chapitre XXI. – Le Parti colonial
AGERON Charles-Robert, France Coloniale ou Parti Colonial,
P.U.F.,
1978.
GIRARDET R., La société militaire dans la France contemporaine
(1815-1939), Plon, 1953.
La France Colonisatrice, Liana Levi, 1983.
Chapitre XXII. – Brazza et le Congo
AUTIN J., Pierre Savorgnan de Brazza, Perrin, 1985.
COMTE G., L'Empire triomphant, Denoël, 1988.
CRISENOY Maria de, Pierre Savorgnan de Brazza, S.P.E.S., 1946.
Chapitre XXIII. – Fachoda
BARATIER (général), Fachoda, Grasset, 1941.
DELEBECQUE J., Vie du général Marchand, Hachette, 1936.
LA BATUT Guy de, Fachoda, Gallimard, 1932.
LEYGUES Jacques-Raphaël, Delcassé, Encre, 1980.
Chapitre XXV. – Mission Foureau-Lamy
CHAMBRUN René de, Général Comte de Chambrun, sorti du rang,
Julliard, 1980.
REIBELL (général), Carnet de route de la mission saharienne Foureau-
Lamy, Plon, 1931.
Chapitre XXVI. – Mission Voulet-Chanoine
JOALLAND (général), Le Drame de Dankoli, Nouvelles Éditions
Argo,
1930.
ROLLAND J.-F., Le Grand Capitaine, Grasset, 1976.
Chapitre XXVII. – La conquête du Tchad
FERRANDI J. (lieutenant-colonel), Le Centre Africain Français, Charles
Lavauzelle, 1930.
Chapitre XXVIII. – L'argent et le crime
SURET-CANALE, Afrique Noire – L'Ère coloniale, Terrains, 1962.
TOQUE Georges, Les Massacres du Congo, la Librairie Mondiale,
1907.
Chapitre XXIX. – Madagascar
TAHON (général), Avec les bâtisseurs de l'Empire, Grasset, 1947.
Chapitre XXX. – Un caïd nommé Hubert Lyautey
BOISBOISSEL (général de), Dans l'ombre de Lyautey, André Bonne
éditeur, 1954.
LE RÉVÉREND André, Lyautey, Fayard, 1983.
LYAUTEY (colonel), Du rôle colonial de l'Armée, A. Colin, 1900.
LYAUTEY, Paroles d'action, A. Colin, 1938.
MAUROIS A., Lyautey, Hachette, 1939.
TARD Guillaume de, Lyautey, Gallimard, 1959.
Chapitre XXXI. – Lyautey installe la France au Maroc
HASSAN II, Le Défi, Albin Michel, 1976.
JULIEN Charles-André, Le Maroc face aux impérialismes, Éditions
J.A., 1978.
REZETTE Robert, Le Sahara Occidental et les frontières marocaines,
Nouvelles Éditions latines, 1975.
TERRASSE Henri, Histoire du Maroc, Éditions Atlantides, 1952.
Chapitre XXXII. – Sur la trace des Sahariens
DERVIL Guy, Lyautey – Laperrine – Foucauld, J. Susse, 1946.
GAUTIER E.-F., La conquête du Sahara, A. Colin, 1925.
GERMAIN J., FAYE S., Le général Laperrine, Plon, 1922.
HÉRISSON Robert, Avec le père de Foucauld et le général Laperrine,
Plon, 1937.
LEHURAUX Léon, Le conquérant des oasis, Plon, 1935.
POTTIER René, Flatters, Éditions de l'Empire Français, 1948.
PSICHARI E., Lettres du Centurion, Louis Conard, 1933.
Chapitre XXXIII. – Dans les mers lointaines
AUBERT DE LA RUE E., Terres françaises inconnues, Société Parisienne
d'Édition, 1930.
AUBERT DE LA RUE E., Saint-Pierre-et-Miquelon, Éditions de
l'Arbre,
1944.
BARONNET J. et CHALOU J., Communards en Nouvelle-Calédonie,
Mercure de France, 1987.
GUILLOU J. (amiral), Dumont d'Urville, France-Empire, 1986.
Chapitre XXXIV. – La croix et le drapeau
BAZIN René, Charles de Foucauld, Plon, 1921.
CUSSAC (Père), Le cardinal Lavigerie, Librairie Missionnaire,
1940.
DU MESNIL (chanoine), Les Missions, Éditions Marcel Daubin,
1948 (trois tomes).
FOUCAULD Ch. de, Lettres à Henry de Castries, Grasset, 1938.
GROFFIER V., Héros trop oubliés, Librairie Catholique Emmanuel
Vitte,
1928 (trois tomes).
PICCIOLA A., Missionnaires en Afrique, Denoël, 1987.
DE VAULX B., Histoire des Missions Catholiques Françaises,
Fayard,
1951.
Chapitre XXXV. – Armée coloniale
BLOND G., La Légion Étrangère, Stock, 1964.
JOUHAUD (général), Yousouf, Robert Laffont, 1980.
WEYGAND (général), Histoire de l'Armée Française, Flammarion,
1953.
Historique des corps de troupes de l'Armée Française (1569-1900),
Berger-Levrault, 1900.
Livre d'or de la Légion Étrangère, Lavauzelle, 1958.
L'Armée d'Afrique, Lavauzelle, 1977.
Chapitre XXXVI. – La force noire
MANGIN Louis, Mangin, 1987.
Chapitre XXXVIII. – Retour en terre franque
ANDRÉA (général), La Révolte Druze, Payot, 1937.
COLLET Anne, Collet des Tcherkesses, Corréa, 1949.
Chapitre XXXIX. – Derniers barouds
BORDEAUX H., Henry de Bournazel, Plon, 1935.
DUMAS Pierre, Abd el-Krim, Le bon plaisir, 1927.
SAULAY Jean, Histoire des Goums Marocains, La Koumia, 1985.
VIAL J. (médecin-capitaine), Le Maroc héroïque, Hachette, 1938.
Chapitre XL. – La fête coloniale
GIRARDET R., L'Idée Coloniale en France, La Table Ronde, 1972.
Cahiers du Centenaire de l'Algérie, 1930.
L”Exposition Nationale Coloniale de Marseille, 1922.
Exposition Coloniale Internationale, Guide Officiel, Éditions
Mayeux,
1931.
Le Livre d'or de l'Exposition Coloniale, Librairie ancienne Honoré
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Chapitre XLI. – L'Empire
ABBAS Ferhat, Autopsie d'une guerre, Garnier, 1980.
ABBAS Ferhat, Le Jeune Algérien, Garnier, 1981.
DAUFES E., La Garde indigène de l'Indochine, Imprimerie D.
Seguin,
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DEMANGEON A., L'Empire Britannique, A. Colin, 1925.
DURAND Pierre, Cette Mystérieuse Section Coloniale, Éditions
Messidor, 1986.
LE TOURNEAU R., Évolution politique de l'Afrique du Nord
Musulmane, A. Colin, 1962.
MEYNIER Gilbert, L'Algérie Révélée, Librairie Droz, 1981.
RAHMANI Abdelkader, L'Affaire des officiers algériens, Le Seuil,
1959.
SARRAUT A., La Mise en valeur des Colonies Françaises, Payot,
1922.
Les Mémoires de Messali Hadj, J.-C Lattès, 1982.
Index sélectif des noms des principaux personnages
cités
Abbas Fehrat,
voir Fehrat Abbas
Abd el Aziz, 315, 316, 317, 470
Abd el-Fadil, 262
Abd el-Kader, 104, 105, 106, 107, 108,
109, 112, 113, 114, 116, 117, 118,
120, 122, 129, 130, 159, 185, 211,
222, 369, , 395, 399, 412, 415, 435
Abd el-Krim, 435, 436, 437, 438, 439,
441, 442, 443, 471
Abd el-Malek, 415, 416, 417, 435
Aberdeen Lord, 360
Adam Juliette, 239
Ago Li Agbo d', 234
Ahmadou, 129, 132, 136, 210, 211,
212, 213, 214, 215, 218, 219, 220,
221, 225, 228, 283, 284
Ahmed Bey, 106, 108, 185, 393
Akbar, 64
Albuquerque, 62
Alexandre, 86
Alexandre VI Borgia, 22
Ali Ben Khalifa, 193, 194
Ali Bey, 195
Allah, 16, 183, 215
Allaire, 380
Allal el-Fassi, 471, 472, 473
Allasanne, 211
Allemane Jean, 365
Allenby (général), 426
Almamy, 213, 214
Alphonse Jean,
voir Fonteneau Jean
Alphonse
Amade d', 327, 328, 330, 333, 439,
440
Andrianampoimerina, 301
André (général), 311
Ango Jean, 23, 24
Angoulvant, 230
Annibal, 182
Apulée, 181
Aragon Ferdinand d', 21
Aragon Louis, 230
Archinard, 135, 216, 217, 218, 219,
220, 225, 280, 455
Armand, 230
Aroudj, 100
Arragon, 134
Asso ou Baselham, 446, 449
Ataï, 366
Atta, 446
Aubaret (lieutenant de vaisseau), 145
Aubert (général), 431
Audéoud, 221
Augagneur, 309
Augouard, 295, 380
Aumale duc d', 112, 114, 118, 453
Aurangzeb, 64
Auriol Vincent, 433
Aymcrich (général), 419
Aynès, 248
Azan, 459
Baba, , 403
Babemba, 221
Babur, 64
Bacri , 98
Badaire, 218
Bakar (roi), 355
Ba ky, 171
Balafrej Ahmed, 471, 472
Balfour, 426
Ballay (médecin), 227, 228, 248, 253,
254
Ballot, 227, 232, 233, 234
Bao Daï, 408
Barail du, 343
Baratier, 220, 221, 226, 259, 261, 265,
293
Barberousse
voir Kahair es Din
Barras Paul comte de, 73
Barrès Maurice, 457
Bart Jean, 34
Barthélémy, 82
Bataillon, 361
Baudelaire, 63, 416
Baudichon, 358, 360
Baudin, 380
Baudiougou Diara, 218
Baudouin IV, 18
Baud, 227, 234
Bauer Henry, 365
Baumgarten, 337, 339
Bayet, 457
Bayol, 227, 228
Bazin, 477
Beauvoillier, 65
Beau, 297
Bedeau, 112, 115, 320, 396, 453
Behagle Ferdinand de, 285
Behanzin, 130, 225, 231, 232, 233, 234
Bellecombe, 69, 70, 72
Bel Kacem, 444
Ben Aissa, 106, 107, 108
Ben Amara, 317
Ben Badis, 475
Ben Ghana, 108
Ben Thami, 117
Bendjelloul, 474, 476
Benoit Pierre, 458, 459
Benoît XV, 458
Benyoski, 300
Berger, 421
Bernadotte, 73
Bernardin de Saint-Pierre, 52
Bernelle , 396
Bernez-Cambot, 437
Bernier, 64
Berryer, 57
Berry duc de, 150
Berry duchesse de, 111
Bert Paul, 172, 244
Berth, 270
Berthelot, 259
Berthe de Villers, 161
Berthezène, 104
Bertrand Louis, 459
Bessieux Mgr, 379
Bessireh, 428
Béthencourt Jean de, 23, 42
Bézard, 98
Bienville, 54
Billaud-Varenne, 82
Billotet, 278
Binger, 217, 218, 221, 227, 229, 297,
402
Biscarrat, 271
Bismarck, 149, 164, 186, 200, 201
Blanc Louis, 241
Blic Mme de, 386
Blum Léon, 475
Boabdil, 21
Bobillot, 166, 167, 168
Boigne de, 72
Boiteux, 219
Bonaparte Lucien, 82
Bonaparte Napoléon, 83, 84, 85, 86,
87, 151, 185, 320, 368, 391, 395
Bondy Mme de, 386, 387
Bonnard, 143, 144, 145
Bonnier, 219
Bordeaux capitaine, 119
Borelli de, capitaine, 165, 167, 398
Borgnis-Desbordes, 211, 212, 216, 225
Boscawen, 66
Boualam Said, 400
Bou Amama, 319, 384
Boucabeille, 307
Bouddha, 61, 140
Bouetz-Willaumez, 95
Boufflers de, 45
Bougainville, 56, 57, 73, 367
Bouillé, 71
Boukabouya, 410
Bouneau Deslandes, 65
Bourde Paul, 296
Bourguiba Habib, 470, 471, 478
Bourmont Louis de (maréchal), 102,
103, 104, 112, 381, 393, 452, 453
Bournazel Henri de, 326, 337, 438,
439, 441, 444, 446, 447, 448, 450,
451
Bourrée, 161 162
Bouthel, 284, 288
Boutin, 86, 87, 102
Boyer, 93
Braddok, 56
Bratières, 222
Braulot, 221
Brazza Jacques de, 253
Brazza Pierre Savorgnan de, 171, 200,
203, 275, 280, 293, 294, 295, 296,
297, 380, 463, 482, 483
Bréart (général), 191, 193
Bretonnet, 234, 286, 289
Briand, 416
Brienne Jean de, 14
Brincklé, 446
Brion Chabot, 23
Brisson, 170
Brissot, 78
Brière de l'Isle (général), 165, 167,
168, 169, 210
Brosselard, 133
Bruat, 360
Brué André, 44
Brulard, 335 415
Bugeaud, Thomas Robert de la Piconnerie, 104, 106, 107, 109, 110, 111,
112, 113, 114, 115, 116, 117, 120,
121, 122, 123, 203, 310, 318, 320,
397,
453, 463, 482
Busnach, 98
Bussy, 64, 67, 69, 72, 73
Béthencourt Jean de, 43
Bézard, 98
Cabot, 26
Caillaux, 317, 330, 331
Caillié, 95, 96, 219, 227, 444
Cambon Paul, 195
Cambon Jules, 330
Cameron, 230
Canh, 142
Canrobert, 120
Cappé, 400
Carco Francis, 458
Caret, 358, 359, 360
Carignan-Salières, 38
Carné de, 154, 156
Caron, 64
Carpentier François, 33
Cartier Jacques, 24, 25, 26, 27, 29, 36,
37, 389
Caspar Mgr, 380
Casse du, 43
Castelnau (général), 404
Castries Henri de, 386
Catherine de Médicis, 28
Caton, 183, 186
Catroux, 446
Caudrelier, 221
Cavaignac, 112, 117, 453
Cavelier de La Salle, 18, 36, 38, 62,
67, 85
Cazemajou, 283
Chabane Mohammed ben Slimane,
411
Chailley, 310
Challaye Félicien, 296, 297, 460
Challe Maurice (général), 321
Chaillu Paul de, 248
Chambord comte de, 150
Chambrun Thérèse de, 297
Champlain, 25, 36, 37, 62, 389
Chaneau, 130
Chanel, 361
Changarnier, 112, 113, 119, 483
Chanoine, 223, 276, 279, 280, 281,
282, 285, 453
Charbonnel, 408
Charbonnier Mgr, 380
Charcot, 374
Chardin, 64
Charles d'Anjou, 184
Charles d'Orléans, 27
Charles Quint, 23, 26, 29, 86, 87, 184,
425
Charles VII, 23
Charles VIII, 23
Charles IX, 28
Charles X, 93, 98, 101, 102, 103, 188
Charlet (capitaine), 352
Charnet Léopold (amiral), 143, 144,
145
Charras, 114
Chartres Foucher de, 15
Chasseloup-Laubat, 145, 154
Chassepot, 232
Chassériau, 453
Châtillon Renaud de, 14
Chateaubriand, 93
Chêne, 366
Choiseul, 41, 58, 71, 74
Christophe, 84, 93
Churchill, 53
Claperton,
Clauzel, 104, 105, 106, 107, 112, 185,
392, 453
Clemenceau, 150, 161, 169, 170, 187,
193, 203, 317, 326, 327, 328, 406,
412, 442
Clermont-Tonnerre, 101, 102
Clive , 69
Clémentel, 295, 296
Clozel, 230, 271
Cointet, 286, 287, 288, 289
Colbert, 31, 32, 33, 34, 35, 37, 47, 49,
51, 52, 63, 71, 74, 94, 140, 467
Coligny amiral, 28, 29
Colin, 358
Collet des Tcherkess, 428
Collot d'Herbois , 82
Colomb Christophe, 21, 39
Colomb de, 320
Combes, 108, 396
Condorcet, 78
Confucius, 140
Conti, Mlle de, 316
Cook, 74, 362, 367
Coppolani, 352
Corap, 441
Corbin, 108
Cornevin Robert, 47
Cortès, 177, 280, 281
Coudrin, 358
Courbet (amiral), 162, 163, 456
Courcel, 164, 189
Courcy (général), 170
Courteheuse Robert, 14
Courteline, 312
Cowley Lord, 360
Crampel Paul, 243, 269, 270
Crémieux, 121
Crozet, 373
Cudney, 270
Cupet, 178
Cuverville (amiral), 380
Cyprien (saint), 184, 455
Damrémont (ou Danremont), 106,
107, 453, 483
Danton, 78, 389
Dariès (capitaine de vaisseau), 143
Daumas, 206
Decaen, 85, 87
Decœur, 227, 234
Delacroix, 453
Delaporte, 154
Delcassé, 234, 321, 322
Delvigne, 398
Denis (roi), 95
Depommier-Lehureaux, 421
Déroulède Paul, 187, 239
Dervil, 455
Deschanel Paul, 245
Deshayes , 130
Desmichels (général), 105, 106, 211
Desplats, 130, 131
Dessalines, 84
Deval Pierre, 97, 98, 99
Diagne, 466
Diaz (ou Dias) Bartholomé, 22, 62
Dianous Théophile, 346, 347
Diderot, 51, 52
Didon, 99, 182
Dieskau, 56
Dillon, 74
Dirkhyé, 428
Djoudi Mohammed, 411
Dobell, 419
Dodds, 135, 227, 232, 233, 234
Dominé, 166, 167, 168
Domogay, 24
Donnacona, 24
Don Carlos, 396
Dordillon, 358
Dorgelès Roland, 411, 458
Dorgère (père), 231, 232, 380
Dorian Charles, 277, 278
Doriot Jacques, 443
Douarre Mgr, 362, 363, 379
Doudart de Lagrée (capitaine de vaisseau), 146, 147, 153, 154, 155, 156,
174, 178
Doumer Paul, 172, 173, 245
Doumergue Gaston, 453, 454, 456
Doury, 417
Dreyfus, 297, 322
Driant, 384
Drouet d'Erlon. , 104
Drouet Mme, 371
Drude (général), 326, 327, 328, 394
Dubois, 408
Duchesne (général), 304, 305, 306
Dufresne, 373
Dugenne, 163
Dumas, 65
Dumont d'Urville, 74, 374, 375
Dumouriez, 78
Duperré, 87, 102, 143, 453, 454
Dupetit-Thouars, 359, 360
Dupleix, 63, 64, 65, 66, 68, 69, 70, 73,
152, 401
Duplessis, 39
Duponchel, 345
Dupont de Nemours, 78
Dupré (amiral), 143, 157, 158
Dupuch Mgr, 381
Dupuis, 156, 157, 158, 159, 161, 174
Duquesne, 185
Duranton (capitaine de frégate), 95
Durelle, 57
Duroy de Chaumareyx Hugues, 92
Duval de Leyrit, , 68
Duvivier, 392
Duy Than, 408
Déroulède Paul, 187
Dé-Tham, 171
Dông-Khan, 408
Dye (enseigne de vaisseau), 259, 261
Eberhard Isabelle, 324
Ebermayer, 419
El Hadh Thami, 336
El Hadj Omar, 128, 129, 130, 131,
132, 135, 136, 210, 212, 213, 218,
225
El Hadj Thami, 416, 441
El Hadj, 129
El Hiba, 336, 337, 415, 416, 417
El Madani Ag Soda, 388
El Ouezzani, 473
Encastreaux d' (amiral), 362
Esme Jean, 459
Enée, 182
Estaing d', 71
Estrées d' (vice-amiral), 42, 43
Etienne, conte de Blois, 14
Etienne Eugène, 276, 304, 317
Eugénie (impératrice), 142, 369
Eyséric, 230
Fabvier, 86
Fadel Allah, 288
Faganda-Toukara, 222
Faidherbe, 44, 95, 112, 119, 125, 126,
127, 128, 129, 130, 131, 132, 133,
134, 135, 136, 152, 203, 225, 379
401, 456, 463, 482
Farguhar, 93, 301
Farrère Claude, 458
Faucheux, 447
Faurax, 233
Faure, 276
Fayçal (émir), 426
Fayolle, 404
Febvrier-Despointes (amiral), 363
Feillet, 366, 367
Ferhat Abbas, 411, 474, 475, 476, 478,
479
Ferrand (général), 84
Ferré (dit le Grand Ferré), 131
Ferry Charlers, 187
Ferry Jules, 150, 153, 161, 162, 163,
164, 169, 170, 186, 187, 188, 189,
190, 193, 194, 195, 196, 201, 212,
303, 463
Feth Ali Shah, 86
Fiegenschub, 290
Filet dit La Bigorre (caporal), 300
Fitz-James, 384
Flambeau Jean Seraphin, 73
Flandin, 245
Flatters Paul, 275, 277, 278, 345 et
passim
Flaubert Gustave, 458
Flick (adjudant), 312
Foch (maréchal), 403, 404, 406
Fonteneau Jean-Alphonse, 27
Forban, 34
Formengol, 190
Fortin, 216
Foucauld Charles de, 314, 315, 316,
324, 380, 384, 385, 386, 387, 388,
389, 420, 421, 455, 483
Foulque d'Anjou, 14
Foureau-Lamy, 275, 276, 277, 278,
279, 285, 286, 289, 393
Fournier (capitaine de frégate), 162
Fourré, 446
France Anatole, 240
Franchet d'Esperey, 335, 336, 404,
407
François Ier, 23, 24, 26, 28, 29, 32, 33,
85, 425
Franco Francisco Bahamonde, 435
François-Joseph (empereur), 369
Frèrejean Joseph, 355
Freycinet, 232
Froger Amédé, 454
Froment-Coste, 399
Formentin, 453
Frontenac, 36, 37, 38
Gabriel (Archange), 16
Gaillard, 335
Galland, 288
Gallieni Joseph (maréchal), 112, 135,
139, 171, 174, 203, 204, 205, 206,
207, 210, 211, 212, 214, 215, 216.
218, 225, 228, 280, 290, 297, 301,
306, 307, 308, 309, 310, 313, 314,
319, 320, 328, 333, 402, 403, 404,
456, 463, 466
Gallieni Gaetan, 204, 211
Galliffet de (général), 344
Galli Passeboc, 366
Gambetta, 150, 152, 161, 187, 189
194
Gamelin, 427
Ganier, 234
Gaourang, 286
Gardane (général), 86
Gardy, 429
Garnier Francis, 18, 154, 155, 156,
157, 158, 159, 160, 161, 174, 178
Gaspar, 380
Gaud, 295, 297
Gaulle Charles de, 407, 440
Gaultier de Varennes de La Vérendrye
Pierre, 54
Gautier E.F., 459
Gautier, 14
Gentil, 72, 276, 285, 286, 287, 288,
294, 295, 296, 297, 402
Gérard Auguste, 174
Gérard (général), 307
Gereaux (capitaine), 147
Géricault, 92
Ghézo, 231, 233
Gia Long, 137, 14. 42
Gide André, 460
Girardet Raoul, 317
Giraud (général), 438, 442, 444, 445,
446, 447
Gléglé, 231, 232
Godefroy de Bouillon, 14
Godeheu Charles, 68
Gouraud Henri Eugène, 221, 222, 335,
337, 339, 415, 416, 426, 427, 439
Gourgues de, 28
Gras, 232
Grasse de, 71
Graventi, 130
Grosgurin, 179
Grégoire XVI, 358
Grévy Albert, 189
Grévy Jules, 150, 186, 228, 378
Gruss, 307
Gua de Monts du, 36
Guesde Jules, 189
Gueydon de Dives, 415
Guichen, 71
Guillaume Ier d'Orange, 68
Guillaume II, 321, 406, 415, 423
Guillaume (général), 337, 394, 438
Guizot, 110
Guyon Joseph, 367
Habi ou Hammou, 431
Haidar Ali, 71, 72
Hanotaux Gabriel, 304, 309, 455, 459
Harmand (médecin), 162, 174
Hassan II, 315, 336, 472
Haussez baron, 102
Hauteclocque Philippe de,
voir Leclerc
Hautpoul (général), 425
Henri II, 28
Henri III, 28
Henri IV, 29, 31, 32, 35, 36, 63, 204
Henri VII, 26
Henri le Navigateur, 22, 43
Henrys, 415, 416
Herbinger, 168
Higginson John, 368
Holle Paul, 130, 131, 132
Hortense (la reine), 425
Hostains, 230
Hugues (amiral), 72
Hugo Victor, 240
Humblot, 371
Huré, 446
Hussein Dey, 97, 98, 101
Hussein Ibn Ali, 183
Hussein, 393, 425
Huvelin, 385
Hô Chi Minh, 477
Ibazizen, 384
Ibein Bahan d', 18
Iberville, 36, 38, 54
Ibn Ali es-Senoussi Mohamed, 387
Ibn Séoud, 426
Ibrahim Abou Betz. 369
Ibrahim, 393
Isabelle de Castille, 21, 396
Isly duc d', 121, voir Bugeaud
Ismaïl (vice-roi d'Égypte), 151
Jacquin, 222
Jalabert Mgr, 387
Jansen Florentin, 361
Jauréguiberry (capitaine de frégate),
143
Jaurès Jean, 297, 317, 328, 333, 442,
457
Javouhey, 379, 389
Jésus-Christ, 342
Jean II du Portugal, 22
Joalland, 279, 280, 283, 284, 285, 286,
287, 288
Joffre (maréchal), 171, 219, 223, 275,
307, 404
Joinville, prince de, 115
Joliet, 36, 38, 378
Jonnart Charles, 314, 315, 320, 321,
329
Joséphine de Beauharnais, 82, 83
Joubert (médecin), 154
Jourde Francis, 365
Juin (maréchal), 433, 438
Julien, 286
Julien Charles André, 459
Kenell Lord, 370
Kerguelen-Tremarec Yves de, 372
Khair es Din (Barberousse), 28, 100,
183
Khai Dinh, 408
Khaled (émir), 412
Khaoussen, 420
Khayr al-Din , 100
Kieffer, 380
Ki-Zerbo, 213
Kitchener (général), 260, 262, 263
Klems, 436
Klobb Arsène, 282, 283
Kléber, 149, 451
Kobès Mgr, 380
La Dauversière, 37
Laborde Jean, 301, 302, 303
Laferrière, 454
Lagarde Léonce, 369, 370
La Haye de, 64
Laing Major, 96
Lally-Tollendal , 69, 70
Lambert Thomas, 43, 369, 371
Lamoricière, 108, 112, 114, 115, 118,
123, 206, 320, 392, 453
Lamothe (capitaine), 286
La Motte-Picquet, 71
Lamy Amédée François, 276, 277,
278, 279, 285, 287, 288, 289, 393,
420
Lanessan, 172, 245, 297
Landerouin, 259
La Pérouse, 362, 374
Laperrine Henri, 315, 384, 385, 386,
387, 388, 421
Lapierre, 420
Largeau Victor Emmanuel Etienne,
237, 242, 285, 289, 290, 291, 344,
419, 420, 483
Laroche Hyppolite, 306, 307, 308
La Rocques Jean-François de, seigneur de Roberval, 26, 27, 29
Lartigue, 221
Lastelle, 302
La Tour de, 438
Lattre de Tassigny Jean de (maréchal), 432, 438
Lauriston Alexandre de (maréchal), 70
Lauriston Law de, 68
Lauzun, 71
Laval Pierre, 291, 473
Laval, 358, 359, 361
Laveaux (général), 80
Laveloua, 361
Laverdure, 415, 416
Lavigerie Henri, Mgr, 378, 380, 381, 382, 383, 384, 389
Law, 53, 63, 65, 68, 70
Lawrence d'Arabie, 425, 426
Lazennec, 448
La Bourdonnais Mahé de, 66, 69
La Bretonnière, 101
La Fayette, 71
La Fontaine, 338
La Grandière, 143, 145, 146, 147, 154,
155
La Pérouse François de Galoup,
comte de, 74, 362, 374
La Ravardiére, 41
La Salle, 38
La Touche, 67
La Tour de, 450
Lebon André, 293
Lebrun Albert, 455
Leclerc, 83, 84
Leclerc (Philippe de Hauteclocque dit)
maréchal, 289, 337, 444, 450
Lecomte, 448, 450
Lefebvre, 305
Le grand Moghol, 64, 66, 67
Lelièvre , 109
Lemprière (chirurgien), 316
Lenche , 28
Léon XIII, 311, 314, 383
Léopold II, 200
Leroy Beaulieu Paul, 239, 243
Lescarbot Marc, 32
Lesseps Ferdinand de, 151, 185, 244,
250, 369
Lesseps Mathieu de, 185
Levis (chevalier), 57
Le Myre de Vilers, 160, 172, 304, 309
Le Trocquer André, 455
Le Vacher Jean, 185
Livingstone, 257
Logerot (général), 191
Loisel, 47
Londres Albert, 458
Loubet Emile, 295
Louis (roi), 95
Louis Napoléon, 118
Louis-Philippe, 103, 110, 118, 119, 185, 359, 361, 362, 374, 379, 396,
398, 399
Louis VII, 14
Louis XIII, 32, 33, 62, 63
Louis IX,
voir Saint Louis
Louis XIV, 32, 38, 63, 149, 300, 316
Louis XI , 23, 445
Louis XVIII, 91, 93, 94, 95, 98
Louis XVI, 41, 71, 74, 77, 81, 91, 170
Louis XV, 51, 68, 149, 152, 372
Loustai, 443
Louisy Mathieu, 119
Lusignan Guy de, 14
Lyautey Hubert (maréchal), 112, 116,
171, 193, 203, 206, 293, 307, 308, ,
311, 312, 313, 314, 315, 319, 320,
321, 323, 324, 325, 326, 327, 328,
329, 333, 334, 335, 336, 337, 338,
339, 403, 406, 408, 414, 415, 416,
417, 421, 431, 432, 433, 434, 436,
438, 439, 440, 445, 455, 456, 458,
459, 463, 466, 471
Ma el Ainin, 354, 356
Mabille (pasteur), 389
Maccio, 186
Machault, 68
Mackau, 94
Mac-Mahon, 120, 150, 358, 381, 382,
396
Mac Orlan Pierre, 458
Madani, 218
Madec, 72
Magellan, 22
Mage, 136
Mahdi, 213
Mahomet, 16, 17, 198, 315, 414
Maillard Auguste, 207
Maillard (commandant), 290
Maintenon Mme, 205
Maire, 432
Maisonneuve Paul de, 37
Makoko, 25, 253
Malamine (sergent), 130, 380
Malglaive, 178
Malraux André, 147
Mamadou Lamine, 213, 214, 215, 216,
225, 234
Mangin Louis (général), 203, 218, 221,
222, 335, 336, 337, 339, 403,
404,
406, 407, 411, 439
Marchand Jean-Baptiste, 18, 135, 203,
209, 218, 220, 221, 230, 290, 294,
402, 406, 411, 437
Marche Alfred, 248
Marco Polo, 24
Mardochée, 384
Marey, 395
Marie-Antoinette (reine), 73, 269
Marie de l'Incarnation, 378
Marion, 373
Marot, 130
Marquette, 36, 38, 378
Marter, 130
Martin François, 64, 65, 69
Massignon Louis, 388
Masson (capitaine), 346, 347
Materi, 470
Mauchamp, 326
Maudave comte de, 300
Maulnier Thierry, 88
Maurois André, 458
Maurras Charles, 297, 457
Mayer, 405
Ménard, 230
Mennesson (lieutenant), 448
Messali Hadj, 475, 476, 478
Messimy (ministre), 245, 414
Metzinger (général), 304
Meynier (général), 279, 282, 283, 284,
285, 286, 287, 453
Michel Louise, 365, 366
Milan Astray, 435
Milius baron, 94
Mizon (lieutenant de vaisseau), 253,
269, 271
Millerand (président), 333, 457
Millot (général), 163, 165, 288
Mirabeau, 78
Mocquet Jean, 41
Modave, 72
Mohamed, 16
Mohammed Ben Abd el Jalil, 472
Mohammed Bou Khouia, 118
Mohammed el Habib, 128, 129
Mohammed el Ouezzani, 472
Mohammed es Saddok Bey, 185
Mohammed V, 445, 471, 472
Moha ou Hammou, 415, 416, 417
Moha ou Said, 415, 417
Moinier (général), 330
Moïse, 342, 368
Mokrani, 108, 121, 123, 365, 382, 474
Moll, 290
Mollien, 95
Mondevergue, 300
Monnier, 230
Montagnac, 116, 117, 393, 394
Montagnon (abbé), 82
Montcalm (marquis de), 56, 57, 62,
401
Montchrestien, 32
Monteil Adhemar de, 14
Monteil Louis, 218, 220, 230, 234,
275, 290
Montenay (capitaine), 167
Montesquieu, 48, 49, 51
Montgaillard, 98
Montlaud (général), 80
Montmorency Mgr, 36, 37
Montsabert de (général), 438
Mor, 348
Mora, 420
Morand Paul, 458
Moreau, 380
Morris, 114, 115
Moulay Abd el Hafid, 316, 329, 330,
331, 336, 435, 439, 445
Moulay Hassan Ier, 316, 446
Moulay Ismail, 316
Moulay Mahmoun, 439
Moulay Mohamed, 316
Moulay Youssef, 336, 339
Moulinay, 165
Mouret (colonel), 355
Mourin, 421
Moussa Ag Amastane, 386, 420, 421
Moussa Molo, 216
Muhammad, 16
Muhammad Ali, 68
Mun Albert de, 312
Munro, 72
Musy Albert, 271
Mussolini, 196, 291, 471
Mustapha Ben Ismail, 186
Méhemet Ali, 110
Ménélik, 369
Nachtigai (explorateur), 269
Nam-Ghi, 171, 172
Napoléon
voir Bonaparte
Napoléon III 118 133, 142, 145, 147,
149, 185, 302 363, 364, 382, 384,
425
Nelson, 263
Nemours duc de, 106, 110
Neuville Alphonse de, 205
Nguyen-Anh, 141
Nguyen-Tat-Thanh voir Hô Chi
Minh, 477
Nicolon, 178
Niebé, 288
Noailles François de (évèque), 28
Noguès (général), 471, 473
Norodom Ier, 146, 147
Norodom Sihanouk, 146
Négrier de (général), 168, 169
N'Guyen, 172
Olive, 39, 284
Olié (général), 337, 449, 450
Olier (abbé), 37
Ollone d', 230
Olry, 365
Orégo Bertrand d', 40
Orléans duc d', 399
Ormesson, 433
Orvilliers, père, fils et petit-fils, 42
Otman (cheikh), 344
Pacha Ahmed, 28
Paddon, 365
Page, 143, 144
Palanca, 143
Pallier, 280, 283, 284
Pallu Mgr, 140
Papillon, 230
Papka, 295, 297
Parlange, 450
Passot, 302
Pateau, 280
Patenôtre, 162
Pavie Auguste, 155, 177, 178, 179
180, 354, 483
Pavy Mgr, 381
Pein, 237, 315, 349, 350
Peguy, 242, 291, 403
Pélissier, 115, 320
Peltier, 415
Pennequin, 307
Pépin Anne, 45
Perisse, 204
Pernot, 178
Peroz, 214
Perron, 72
Peugeot (caporal), 405
Peyriguère, 380
Phan-Than-Giang, 144, 145
Philastre, 158, 159
Philippe Auguste, 14, 18
Philippe Anthony, 383
Pichegru, 82
Picquart (général), 328
Pierre André, bailli de Suffren, 72
Pierre l'Ermite , 14
Pietri, 211
Pie XI, 458
Piguel, 140
Pigneau de Behaine, 74, 140, 141, 142,
177
Pineau, 221
Pinet-Laprade, 133
Piquet Victor, 172, 194
Pitt, 53, 69
Pizarre, 177, 280, 281
Pobéguin, 320
Poeymirau, 417, 431, 439
Poincaré Raymond, 245, 331, 427
Pol Lapeyre, 437, 459
Poléquin, 347
Pomaré IV (reine), 359, 360
Pomaré V, 360
Pompadour Mme de, 57
Poncharra, 398
Ponty William, 309, 468
Portal, 94
Possel, 289
Poulains Franj, 18
Pouplard, 348
Primo de Rivera (général), 441
Pritchard (pasteur), 110, 359, 360, 362
Pronis, 63, 300
Protet (capitaine de vaisseau), 127,
134
Psichari Ernest, 242, 355, 386, 403
Ptolémée, 22
Pygmalion, 182
Péguy, 297, 403, 460
Pélissier, 115, 117
Pétain Philippe, 384, 403, 404, 439,
440, 441
Pétion, Christophe, 93
Quieres, 367
Quintin, 136
Quiquerez, 230
Rabah, 213, 276, 277, 285, 286, 287,
288, 289
Rabezavana, 308
Radama I, 301, 371
Radama II, 302
Radolin (ambassadeur), 322
Rahmani, 400
Raimu, 72
Raisouni, 415, 417, 435
Ranavalona I, 300, 301, 302
Ranavalona II, 302, 303
Ranavalona III, 303, 305, 306
Randau Robert, 459
Randon, 120
Rasoherina, 302
Rastoul Paul, 365
Raynal (abbé), 52
Receveur, 277
Reclus Maurice, 458
Regnault, 331, 333
Reibell, 277, 287, 288
Reinhardt, 163
Renan Ernest, 240, 386
Renoult, 276
Repoux (capitaine), 354
Reynaud Paul, 457
Rhodes Alexandre de, 140, 370
Rhodes Cecil, 267
Ribault Jean de, 28
Ribot, 245
Richard, 348
Richard Toll, 95
Richelieu (cardinal), 31, 32, 33, 34, 35,
36, 49, 63, 239, 401
Rigault de Genouilly (amiral), 142,
143, 145
Rigault, 63
Rimbaud, 369
Rivière (lieutenant), 178
Rivière (commandant), 160, 161, 163,
366
Roberval
voir La Rocques Jean-François, seigneur de Roberval
Robespierre, 78
Rochambeau, 71, 84
Rochefort, Henri de, 365
Roches Léon, 185
Rodillot, 286, 287, 288, 289
Roger, 95
Rollet, , 397
Roques, 307
Rosamel, 374
Rostand Edmond, 87, 338
Rothschild, 364
Rougeyron, 362
Roume, 297
Rousset, 285
Roustan, 186, 189, 190, 191, 195
Rouvier, 322
Roux Charles, 243
Roux Sylvain, 300
Sacray, 130
Sadi Carnot, 259
Saddok Bey, 185, 190, 192, 193, 195
Said Abdallah, 371
Said Ali, 371
Saint Antoine, 342
Saint Arnaud, 112, 120, 320, 396
Saint Augustin, 100, 181, 381, 455
Saint Aulaire, 335
Saint Bernard, 14
Saint Gilles de, Raymond, 14
Saint Hilaire, 189
Saint Lucien (général), 445
Saint Louis, 14, 150, 184
Saint Léger, 388
Saint Paul, 377
Saint René Tallandier, 321
Salabet Jang, 67
Salan Raoul, 321, 448
Salisbury Lord, 151, 217
Salomon Goubert, 63
Samba Ball, 288
Samory Touré Almamy, 212, 213,
214, 217, 220, 221, 222, 223, 225,
226, 230, 234
Sanderval Olivier de, 227, 228
Sarrail, 384, 427
Sarraut, 409, 457, 469
Sartine, 71
Saulay, 337, 394
Saussier (général), 194
Savary, 104, 483
Savorgnan de Brazza,
voir Brazza
Saxe, maréchal de, 66
Schmaltz, 92, 93, 95
Schoelcher, 119
Schweitzer, 388
Scibillion, 380
Scipion l'Africain, 183
Sébastiani, 85
Segonzac, 230
Seignelay, 51
Sellier (caporal), 405
Sémard, 443
Senes (enseigne de vaisseau), 165
Senghor Léopold, 484
Servan (lieutenant de vaisseau), 366
Seybou, 214, 215
Shakespeare, 313
Shelley, 313
Si Abdelmalek M'Tougui, 337
Sidi Ahmed Oujemaa, 449
Sidi Ali, 449
Sidi Hamdan, 98
Sidi Mohammed Ben Youssef, 472
Sidi Okba Ibn Nah, 183
Siegfried Jules, 243
Si el Madani Glaoui, 337
Silvestre (général), 435, 435
Si Mohammed, 445
Simon (lieutenant), 259
Si Tayeb el Goundafi, 337
Sliten el Khamlichi, 443
Smuts (général), 424
Solages Mgr, 302
Soliman le Magnifique, 425
Solleillet, 369
Sombre, 72
Sou, 174
Souli Andrian, 370
Soult (maréchal), 355, 399
Souyri (médecin), 261
Spillman, 434, 450
Stanley, 130, 200, 249, 250, 251, 252,
253, 269
Steeg Théodore, 440
Streibler Thiebold, 167, 397
Suffren Pierre-André, 72
Sully, 32
Sumbala (roi), 131
Surcouf, 87
Susbielle, 315
Sébastiani, 85
Taignoagny, 24
Talleyrand, 91, 98
Talon, 36, 37, 38
Tartas, 115
Tascher de la Pagerie Joséphine, 456
Tavernier, 64
Tavernost de, 230
Thanh Than, 172
Theveniaut (capitaine), 352
Tharaud, 336, 459
Thiers Alphonse, 150, 365
Thomann, 230
Thorel (médecin), 154, 156
Thorigny de, 395
Thuyet, 171
Tieba (roi), 214, 221
Tippou, 72, 73
Toffa II, 231
Toqué, 294, 295, 297, 483
Tournemire de, 444
Tour de, 450
Toussaint-Louverture, 79, 80, 81, 83
Toutain (docteur), 211
Toutée , 234, 242
Treich-Laplène, 218, 227, 229
Trentinian, 217, 223 225, 365
Trezel, 86, 105
Trézelec, 58
Tsiomeko (reine), 302
Tu Duc 142 144 145, 157, 158, 160,
162
Urbain II, 13, 14
Vadibe, 301
Vaillant-Couturier, 443
Valée, 107, 108, 109, 110, 112, 114,
120, 211, 453
Vallière (lieutenant), 211, 215
Vasco de Gama, 22, 62
Vaudreuil, 57, 71
Vercingétorix, 118
Verdier, 229
Verdier (cardinal), 458
Vergennes, 71
Vermandois Hugues de, 14
Verrazzano, 24
Vermeesch, 234
Vialar de (mère Amélie), 380
Vial, 448
Victoria (reine), 131, 133, 360
Vienot, 397
Villaret de Joyeuse (amiral), 87
Villèle de (ministre), 93
Villèle de, 380
Vimont, 378
Vinh Phuoc Leou, 166
Violette Maurice, 457, 475, 476
Vismes de, 448
Vogue, Eugène Melchior de, 242, 243
Voirol, 104
Voituret, 230
Voltaire, 51, 52, 57, 58, 67, 70
Voulet Paul, 223, 234, 276, 279, 280,
281, 282, 283, 285, 290, 483
Voyron (général), 305
Von Doering (gouverneur), 418, 419
Weygand, 427
Wilkes, 374
Wilson, 424
Woelffel, 221, 222
Yousouf, 394, 395, 453
Zimmermann, 419, 420