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29/02/2024, 15:35 Figures du maître - Chapitre IV. Comment passer de l’ignorance à la connaissance ?

- Presses universitaires de Rennes

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Presses
universitaires
de Rennes
Figures du maître | Cristina Noacco, Corinne Bonnet, Patrick
Marot, et al.

Chapitre IV.
Comment passer
de l’ignorance à la
connaissance ?
Une figure du maître manuductor selon Albert le
Grand1

Julie Casteigt
p. 51-65

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29/02/2024, 15:35 Figures du maître - Chapitre IV. Comment passer de l’ignorance à la connaissance ? - Presses universitaires de Rennes

Résumé
Albert le Grand qualifie le rôle du maître par rapport à son disciple de
manuductor (celui qui conduit par la main), notamment lorsqu’il évoque
l’apôtre Paul qui transmet ce qu’il a vu à ceux qu’il guide « en les
conduisant par la main ».
Or, Albert le Grand ne propose pas d’analyse conceptuelle de cette
« manuduction ». La méthode suivie ici pour éclairer cette « figure » de
médiation consiste à suivre le réseau des textes ayant en commun
l’emploi du mot en question ou des termes apparentés. Ces textes
proviennent de diverses parties de l’œuvre d’Albert le Grand, relevant de
disciplines distinctes (philosophie, exégèse, théologie). Quels traits
caractéristiques de la manuductio se dégagent-ils de ces textes à partir
des questions suivantes : en quoi cette figure de la médiation est-elle
nécessaire ? En quoi consiste la manuductio ? Cette médiation du
manuductor est-elle appelée à demeurer ?
Il en ressort que le terme manuductio indique qu’il existe deux raisons
qui rendent nécessaires les médiations sensibles dans la connaissance :
en premier lieu, l’écart entre la fin intelligible de la connaissance et son
processus d’abstraction qui part du sensible et, en second lieu, la
conjonction de l’intellect humain avec le sensible. Il faut donc apprendre
à utiliser les images comme des médiations vers ce qui leur est
incommensurable. Le processus de connaissance consiste, par la suite, à
les dépasser pour conduire à ce dont elles sont signes. Ainsi, toutes les
médiations « manuductrices » ont en commun d’être composées de deux
éléments hétérogènes – sensible et intelligible – et d’être aptes à faire
passer du multiple matériel à « l’un spirituel », du connu à l’inconnu.
Qu’est-ce donc qu’apprendre, à la lumière de la manuductio ? Le
« maître de vérité » est celui que l’on croit au sujet de ce que l’on ne
connaît pas directement, car il sait user des médiations prenant appui
sur « l’analogie corporelle », afin de nous « conduire par la main » vers la
connaissance des choses spirituelles. Ce qui semblait ainsi impossible,
pour le disciple ignorant, devient ainsi, grâce à la médiation du maître,
possible : croire en l’inconnu. Si la médiation manuductrice des images
ou du maître est si liée à la nature humaine qui conjoint le sensible et
l’intelligible, ne doit-elle pas alors nécessairement demeurer ?

Texte intégral
1 « Paul fut […] le maître de Denys et de Hiérothée et ensuite
Hiérothée fut le guide de Denys2 », affirme Albert le Grand.
Que dit-il de cette relation de maître à disciple ? En glosant
le deuxième chapitre des Noms divins3 de Denys
l’Aréopagite, il emploie le terme manuductor : celui qui
« conduit par la main » :

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Intelligeant de manière supra-naturelle, c’est-à-dire par une


inspiration divine qui est au-dessus de la raison naturelle,
celui qui nous « conduit par la main », nous et notre guide,
Hiérothée4.

2 Autrement dit, le maître, ici l’apôtre Paul, est décrit par deux
caractéristiques : il est doté d’une intuition de ce qui est
inaccessible à la raison par ses propres moyens, d’une part,
et, d’autre part, il transmet ce qu’il a vu à ceux qu’il guide en
les « conduisant par la main ». C’est à cette fonction
« manuductrice » du maître que je voudrais m’attacher
maintenant. Albert le Grand, frère prêcheur, maître en
théologie de l’université de Paris, né entre 1193 et 1206, mort
en 1280, ne développe pas de manière thématique ce qu’il
entend par manuductio. Pour s’en enquérir, le lecteur doit
donc parcourir les occurrences de ce terme dans l’œuvre
albertienne et repérer, à travers les différents champs
d’expérience et registres de discours dans lesquels ce terme
est transféré, une structure commune de la « manuduction »
qui pourrait s’en dégager. Autrement dit, manuductio ne
relève pas précisément du registre conceptuel, mais plutôt de
ce que l’on pourrait appeler une figure qui ne s’éclaire que
par et dans le réseau de textes dans lequel elle s’inscrit, à
condition que le lecteur ait l’audace de rapprocher des
contextes parfois hétéroclites.
3 En partant d’un texte tiré du commentaire de l’Évangile
selon Matthieu qui nous servira de fil conducteur, nous
parcourrons des textes qui ont en commun le fait qu’y
apparaissent le terme manuductio ou les termes qui lui sont
apparentés. Ils sont tirés de parties différentes de l’œuvre
albertienne – les commentaires d’Aristote, de Denys
l’Aréopagite, des Écritures, sa Somme de théologie
notamment – et, par suite, relèvent de disciplines distinctes
– philosophie, exégèse, théologie. Ainsi font-ils circuler le
terme de manuductio à travers des contextes et
problématiques variés, de telle sorte que nous chercherons à
y discerner les traits caractéristiques de la manuductio à
partir des questions suivantes. Pourquoi la médiation de
celui qui « conduit par la main » est-elle nécessaire ? En quoi

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consiste la manuductio ? Enfin, la médiation du manuductor


est-elle appelée à demeurer ?

Pourquoi la médiation de celui qui


« conduit par la main » est-elle
nécessaire ?
4 Le terme de manuductio apparaît relié à la question du
maître, dans le commentaire du chapitre 13, verset 13 de
l’Évangile selon Matthieu. Albert le Grand y examine les
conditions de l’apprentissage de ce qui est spirituel, c’est-à-
dire de ce qui n’est pas matériel, au sens de ce qui n’est pas
lié au temps et au continu, en d’autres termes, à la division
quantitative. Comment, lorsqu’on est ignorant de ce qui est
spirituel, autrement dit de ce qui est un et simple, lorsqu’on
ne possède pas les capacités de connaître adaptées et qu’en
outre, n’ayant pas l’expérience de ce que le maître dit, on
doute de l’enseignement reçu, sortir de l’état d’ignorance ?
Telle est la question que pose Albert le Grand. En d’autres
termes, passe-t-on de l’expérience du multiple dans laquelle
nous sommes à la connaissance de l’un par un saut
qualitatif ? Entre ces deux domaines hétérogènes, y a-t-il
solution de continuité, de telle sorte que, lorsqu’on est dans
le multiple, on ne puisse jamais connaître l’un ? Face à cette
tension extrême qui rend presque intenable la position de
l’ignorant désirant, cependant, connaître, Albert le Grand
propose une solution : la manuductio. Il s’agit de se laisser
« conduire par la main ». Telle est la fonction du « maître de
vérité » qu’il mentionne dans le commentaire de l’Évangile
selon Matthieu.
« C’est pourquoi <je leur parle> en paraboles. » Seconde
partie à laquelle il retourne en montrant que la parabole
convient à de tels sujets. Pour comprendre cela, à savoir que
ceux qui viennent ainsi vers le maître de vérité, en ne
connaissant pas les choses spirituelles et en ayant des doutes
au sujet de l’enseignement, mais viennent, parce qu’ils
admirent et ont la seule admiration, en soi louable, bien
qu’elle appartienne à celui qui ne sait pas, mais qui désire
déjà fuir son ignorance5.

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5 Pourquoi une telle méthode est-elle nécessaire ? Tout se


passe comme s’il y avait une incompatibilité entre ce que
l’ignorant désire connaître et cet objet de connaissance, à tel
point que si cet objet lui était directement présenté, il en
serait comme aveuglé. La raison en est que son intellect n’a
pas la capacité de recevoir ce qui est un et simple, selon la
figure augustinienne du chassieux6 aveuglé par la claire
lumière. Voilà, telles qu’elles sont invoquées dans ce texte,
les raisons qui rendent la médiation du maître
« manuducteur » nécessaire.
C’est pourquoi aussi, si les choses spirituelles lui sont
proposées de manière nue, il n’en a pas de capacité et recule,
comme le chassieux est aveuglé par la claire lumière7.

6 En d’autres lieux, Albert le Grand fait plutôt appel à l’image,


empruntée à Aristote, de la chauve-souris qui ne peut voir la
lumière du soleil. Comment comprendre l’alliance des deux
images du chassieux et de la chauve-souris, toutes deux
relatives à la vision, pour rendre compte de la nécessité de la
manuductio ? Voici comment Albert le Grand l’emploie dans
le cadre de la manuductio :
Notre intellect est conjoint au continu et au temps et il se
rapporte à ce qui est le plus manifeste comme l’œil de la
chauve-souris8 qui ne saisit (comprehendit) la lumière que
mêlée aux ténèbres9.

7 En Métaphysique, α, 1, 993 b 9-11, le Stagirite utilise la


comparaison de l’intellect humain avec les yeux de la
chauve-souris pour mettre en question la possibilité de la
métaphysique en tant que connaissance des étants séparés
auxquels nos facultés de connaître ne sont pas naturellement
adaptées. Le contexte noétique et épistémologique de la
citation d’Aristote nous indique le lieu dans lequel nous
pouvons chercher les raisons qu’Albert le Grand invoque
pour justifier la nécessité de la manuductio. Il s’agit du
corpus aristotélicien dans lequel le maître de Cologne
commente, notamment, la Métaphysique et le traité De
l’âme. Les occurrences du terme manuductio renvoient à
trois thèses majeures. La première est que l’intellect humain
est conjoint au sensible qu’il caractérise par « le continu et le
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temporel10 ». Il s’ensuit – c’est la deuxième thèse – que toute


notre connaissance se fait à partir des sens11 et par
l’intermédiaire d’eux et de l’imagination12. C’est pourquoi –
voici la troisième thèse – la méthode la plus sûre pour
atteindre les réalités spirituelles est l’induction13 à partir des
réalités sensibles plutôt que la déduction à partir de
principes par soi premiers et plus manifestes.
8 Or, les raisons qui rendent la manuductio nécessaire
proviennent d’une décision d’ordre anthropologique
concernant la nature de l’homme. Il y a, en effet, comme un
paradoxe dans la nature de l’intellect humain qui existe
conjoint à ce qui est matériel. Ce paradoxe réside en ceci
qu’en raison des conditions de l’existence conjointe de
l’intellect humain avec ce qui relève du sensible, sa
connaissance doit commencer à partir des sens. Mais, d’un
autre côté, tout se passe comme si elle s’accomplissait dans
ce qui est hétérogène au sensible. Sinon, comment expliquer
que, conjoints à ce qui est corporel, nous désirions quelque
chose de différent de lui, à savoir l’un et le simple ? C’est
pour rendre compte de la conjonction du sensible et de
l’intelligible en nous qu’intervient la décision albertienne
concernant la nature de l’homme. La continuité avec le
sensible est « plus connaturelle » à l’âme, dit-il, que sa
parenté avec l’un et le simple. L’expression peut sonner
étrangement. Il y aurait donc, aux yeux d’Albert le Grand,
dans notre nature composée un élément qui serait plus
conforme à nous. Et ce serait non pas l’un et le simple que
nous désirons connaître, mais plutôt la conjonction avec le
sensible.
On peut dire autrement que, dans l’âme, il y a deux parties :
celle qui reçoit ce qui est simple lui-même en soi, comme
l’intellect simple, et, d’autre part, celle qui reçoit à partir des
phantasmata. Et celle-ci est plus connaturelle à l’âme selon
sa nature et nous sommes plus fréquemment dans son acte,
parce que nous recevons les sciences à partir des sens. Mais,
selon la première partie, elle atteint les intelligences. C’est
pourquoi aussi, quand les réalités divines elles-mêmes ont
été reçues sans symboles, pour que nous puissions mieux les
examiner, nous sommes reconduits aux sensibles qui nous

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sont habituels et qui sont connaturels à notre


connaissance14.
9 Cependant, Albert le Grand ne nie pas pour autant notre
attrait pour l’un et le simple. Au contraire, il lui fait place
comme l’orientation que prend le processus de connaissance
qui nécessairement commence par les sens. Mais la fin de la
connaissance ne doit pas, à ses yeux, abolir le moyen et le
milieu dans lequel elle s’effectue, à savoir les sens et
l’imagination.
10 Revenons donc à la question de l’apprentissage de ce qui est
disproportionné aux facultés humaines que pose Albert le
Grand. Comment passer de l’ignorance de ce qui est
immatériel à la connaissance, lorsque ce qui précisément
correspond plus à notre nature est la conjonction avec le
corporel ? Albert le Grand, plutôt que d’indiquer uniquement
la nature de l’âme en elle-même et l’acte par lequel elle
connaît les réalités séparées, insiste sur l’âme en tant qu’elle
est conjointe au corps et, par suite, sur les conditions
d’existence dans lesquelles se trouve celui qui désire
connaître ce qui est différent de lui. Telle est la raison
anthropologique et noétique pour laquelle il forge cette
théorie de la manuductio. Celle-ci apparaît, dès lors, comme
la méthode pour établir une continuité noétique, là où surgit
une hétérogénéité ontologique ou plutôt comme la pédagogie
pour relier deux états discontinus : l’ignorance et la
connaissance. En quoi consistent les médiations qui
permettent d’instaurer la continuité entre ce qui apparaît
comme discontinu ?

En quoi consiste la manuductio ?


L’admiration, mouvement vers la
philosophie et l’image, proportion du
disproportionné
11 La première médiation que mentionne Albert le Grand, dans
le texte que nous avons pris pour point de départ, son
commentaire de l’Évangile selon Matthieu, pour mener
l’ignorant vers le maître et lui permettre de passer à la
connaissance, est l’admiration. Elle est, à ses yeux, la racine
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de l’élan de la recherche qui conduit à la mise en image – ou


« mythologie » –, avant d’aboutir à la recherche
philosophique proprement dite. Telle est, du moins, sa
manière d’interpréter l’affirmation d’Aristote, en
Métaphysique, I, 982 b 12-1615 : « Qui doute et admire
reconnaît qu’il ignore » (982 b 16).
L’admiration est, en effet, le mouvement de l’ignorant qui
procède vers la recherche, afin de connaître la cause de ce
qui l’étonne. Le signe en est que celui qui aime le mythe
selon ce mode est philosophe, parce qu’il construit sa fable à
partir de ce qui étonne. […] Dans cette partie de la logique
qui est la poétique, Aristote montre que le poète forge une
fable, pour exciter l’admiration et que l’admiration excite
ensuite à la recherche et en cela consiste la philosophie16.

12 Le point de départ d’Aristote, dans ce texte, est le suivant :


c’est en raison de l’admiration que les hommes commencent
à philosopher, puis passent peu à peu de l’admiration des
choses douteuses au doute. L’interprétation qu’en donne
Albert le Grand prend trois décisions quant à ce texte. Elle
souligne et développe tout d’abord, davantage qu’Aristote, le
rôle de l’admiration dans le passage de l’ignorance à l’élan de
la recherche. Elle nomme ensuite explicitement la
progression de la connaissance, anonyme dans le texte
aristotélicien, comme une recherche des causes. Elle ajoute,
enfin, un développement sur la production du mythe. Ainsi
l’admiration, élan qui fait sortir de l’ignorance celui qui,
pourtant, y demeure encore, apparaît-elle d’emblée comme
philosophique, puisque le regard admiratif témoigne d’une
première recherche de la cause de ce que l’on admire. De
plus, l’amour de l’image et de la fable appartient au
processus de connaissance philosophique qui jaillit de
l’admiration, comme son signe. En effet, fabriquer une fable,
produire un discours de l’image – ou une « mythologie » –,
est présenté comme l’instrument poétique qui permet de
susciter, dans le destinataire, l’admiration qui, à son tour,
excite la recherche philosophique.
13 Mais pourquoi le geste interprétatif d’Albert le Grand
conduit-il, à partir du texte d’Aristote et au-delà de lui, à un
tel enchaînement – de l’admiration à la production des
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muthoi et des images à la recherche des causes ? Mon


hypothèse est la suivante : ce qui importe au Doctor magnus
est de souligner que notre connaissance ne peut se passer
des images, que ce lien avec le sensible et l’imaginaire est à la
fois l’origine, le milieu de notre connaissance et la trame
rémanente de notre désir de connaître. Autrement dit,
l’admiration productrice d’images est déjà la preuve d’une
recherche philosophique des causes. Inversement, les
dispositifs de mise en images qui sont inhérents aux
processus de recherche et d’expression, dans les différentes
sciences, constituent les traces et les indices de la nature de
l’ardeur qui fait passer de l’ignorance à la recherche en vertu
même de l’admiration.
14 Mais que sont ces images ? Et quelle est la fonction de
l’image dans la manuductio ? Du corporel au spirituel, Albert
le Grand propose un passage. Revenons aux termes du
commentaire du treizième chapitre de l’Évangile selon
Matthieu au sujet des paraboles. Si nous ne pouvons pas voir
ce qui est spirituel « en sa vérité nue », alors il sera possible
de le voir « dans la similitude de ce qui est corporel ». Il en
ressort que la nudité de la vérité s’oppose à la similitude,
comme medium ou milieu dans lequel est vu ce qui est
spirituel et irréductible aux catégories des étants sensibles.
C’est pourquoi Albert le Grand affirme que la fonction du
maître consiste à proposer des médiations « selon
l’analogie17 », c’est-à-dire selon la proportion qui convient à
l’intellect humain. Et la proportion qui est connaturelle à
notre intellect est, aux yeux d’Albert le Grand,
principalement celle du sensible auquel il est conjoint.
Il faut qu’elles <les choses spirituelles> soient proposées
dans la similitude des choses corporelles qu’il a apprises par
la vue, de telle sorte qu’à partir des choses corporelles, les
choses spirituelles reçoivent la probabilité qu’il en soit ainsi
que le maître dit et qu’ainsi celui qui ne sait pas et qui
admire, étant introduit plus facilement, croie. Et c’est ce qui
est dit : « C’est pourquoi je leur parle en paraboles18. »
Et c’est ce qui est dit : « parce qu’en voyant » en similitudes
corporelles, « ils ne voient pas » les choses spirituelles elles-
mêmes, dans la vérité nue, mais ils mépriseraient plutôt ce
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qui ne leur est pas proposé selon l’analogie. La similitude


corporelle persuade, en effet, qu’il en est ainsi qu’il est dit à
partir de ce qui est possible pour nous. « Et, entendant, ils
n’entendent pas19. »
15 Ce qui est en jeu ici, dans la nature de l’image, est qu’elle
apparaît précisément comme ce qui tient ensemble deux
éléments hétérogènes, sans commune mesure l’un avec
l’autre. Face à la disproportion naturelle de notre faculté de
connaître par rapport à ce qui ressortit à l’unité et à la
simplicité de l’esprit, Albert le Grand ne conclut, en effet, ni
à l’aporie de tout effort de connaître, ni à la nécessité d’un
mystérieux saut, discontinuité qui caractérise la mystique.
Au contraire, il en appelle à la médiation des images.
Il s’agit ici de la vérité évangélique quant à la forme de la
doctrine qui nous est proportionnée. <Le mode> est tout
entier parabolique. L’intellect de l’homme, conjoint au
continu et au temps, n’intellige pas bien, en effet, comme dit
Denys20, ce qui n’est pas adapté aux similitudes des corps. Il
ne saisit pas, en effet, ce qui est purement spirituel, à
l’exception de l’intellect des esprits « parfaits » « qui » –
selon qu’il est dit en He 5, 14 – « par l’habitude ont le
jugement exercé au discernement du bien et du mal21 ».

16 Mais qu’est-ce, au juste, qu’une telle image ou mise en


proportion sensible de ce qui lui est disproportionné ? C’est,
pour le Doctor magnus, selon les termes qu’il emploie dans
la Summa Theologiae sive de mirabili scientia dei, tr. 1, q. 5,
chap. 1, une formation « imaginaire et sensible de ce qui est
le plus simple et le plus manifeste ». Ou bien c’est une
peinture « figurative et pour ainsi dire matérielle dans les
sens et l’imagination » dans laquelle « resplendit la lumière
immatérielle ».
C’est pourquoi il forme de manière imaginaire et sensible ce
qui est le plus simple et le plus manifeste, de telle sorte qu’à
partir de cela, comme « conduit par la main » et élevé de
manière anagogique, il atteigne aussi ce qui est invisible et le
plus simple et qu’il en reçoive une certaine connaissance
selon le mode qui lui est possible22. En tout cela, en effet,
comme dit Augustin dans le Super Genesim ad litteram
XII23, ce qui est dépeint de manière figurative et comme

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matérielle dans les sens ou dans l’imagination resplendit par


la lumière immatérielle et dans une intelligence figurale24.
17 Albert le Grand propose ainsi une conception dynamique de
l’image qui reconduit de manière « anagogique » vers ce qui
lui est hétérogène et que, pourtant, elle contient, à savoir le
simple, le plus manifeste, l’immatériel. Or, l’opérateur de
cette remontée vers le simple à partir du multiple est ce
qu’Albert le Grand appelle « une intelligence figurale ».
Quelles sont les opérations auxquelles l’image convie une
telle « intelligence figurale » ?

Que produit la manuductio ?


18 L’opération propre d’une image « manuductrice » est, selon
Albert le Grand, la métalepse. Il développe ce mode
opératoire de l’image notamment en théologie
sacramentaire, par exemple, à propos du deuxième chapitre
du De ecclesiastica hierarchia25, où se trouve une occurrence
du terme manuductio. Il y apparaît que la pédagogie propre
au sacrement relève de la manuductio, dans la mesure où,
d’une part, elle consiste en ce que la matière du sacrement
n’est pas seulement une chose pour elle-même – l’eau –,
mais un signe sensible, une figure qui met en image ce vers
quoi elle conduit, et où, d’autre part, cette finalité du
sacrement n’est pas seulement le signifié26 « baptême », par
exemple, mais bien l’acte insaisissable, disproportionné par
rapport à tout concept, par lequel la grâce divine opère le
salut.
Comme il faut discuter ouvertement, c’est-à-dire largement,
dans cette action, c’est-à-dire dans ce traité27, qui traite à la
fois des invisibles et des sensibles, livre que nous n’avons
pas, certaines choses saintes de manière sensible, c’est-à-
dire les choses saintes sensibles, sont des mises en images
(imaginationes), c’est-à-dire des figures, des choses
invisibles, quant à la matière du sacrement, et des
« conduites par la main » vers celles-là, c’est-à-dire vers les
choses invisibles, quant à la totalité du sacrement, et sont la
voie, quant à la réalité du sacrement, qui conduit déjà vers
les choses invisibles. Or, les choses invisibles et, c’est-à-dire
aussi, le principe de ce qui est hiérarchique et qui est selon

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les sens, c’est-à-dire <le principe> des symboles sensibles, en


tant que les choses sensibles sont recherchées en vue des
choses invisibles, et sont la science des choses, en tant
qu’elles sont reçues par leur intermédiaire comme la science
des conclusions à partir des prémisses28.
19 Ce type de signe particulier est désigné par le terme
symbolon dans le texte dionysien. Quelle en est la propriété ?
Dans la deuxième question du premier traité du De
Sacramentis, elle est appelée « métaleptique ou
symbolique » (transsumptive29sive symbolice). Elle consiste
en ce qu’un élément matériel, accompagné d’une parole
instituée, tienne lieu d’un acte qui est le signe d’une réalité
spirituelle incommensurable à toute représentation. Cette
propriété s’appuie sur l’identité de la qualité de l’eau et de ce
à quoi elle « conduit par la main », à savoir la grâce. Leur
qualité commune est la capacité purificatrice par lavement.
Selon ce mode, la purification (par lavement) de l’eau et la
purification (par lavement) de la grâce sont dites une seule
qualité, parce que la purification (par lavement) de l’eau
conduit de manière métaleptique ou symbolique vers la
purification (par lavement) de la grâce. C’est pourquoi
Denys30 dit, dans la Hiérarchie céleste, chap. 1 : « Il n’est pas
possible pour notre âme de s’élever vers cette imitation et
cette contemplation non-matérielle des hiérarchies célestes,
si elle ne fait pas usage d’une “conduite par la main” pour ce
qui est selon elle <l’âme>, prenant les formes certes visibles
pour des mises en images (imaginationes) de la beauté
invisible et les douceurs sensibles pour des figures de la
distribution invisible31. »

20 Autrement dit, pour qu’un signe puisse fonctionner comme


un symbolon susceptible de « conduire par la main » vers ce
qui est ce que Denys nomme « la beauté invisible », il faut
savoir si une même qualité – la capacité de purification (par
lavement) – peut se dire de deux manières : soit au sens
propre, soit « par translation ou de manière symbolique »
(per translationem sive symbolice32). Si cette seconde
manière est possible, alors s’ouvre le champ du symbolon
comme signe sensible d’un intelligible irréductible aux
catégories du sensible, distinct de tout signe linguistique.

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21 Donc l’image « manuductrice », qu’elle soit appelée


symbolon, dans les textes dionysiens, parabole, d’après les
Écritures, similitude ou analogie, selon le vocabulaire
d’origine aristotélicienne, a la fonction spécifique de
« conduire par la main » vers un signifié irréductible à tout
concept. C’est cette disproportion essentielle qui le distingue
de toutes catégories adéquates aux étants sensibles ou de
signes linguistiques ayant un signifié déterminé. Le passage
du sensible à un intelligible « au-dessus de notre
proportion » repose sur l’opération de la métalepse.
22 Mais, précisément parce que les signes « manuducteurs » ne
semblent pas nécessaires et universels, comme les
médiations conceptuelles de la science, la médiation qu’ils
constituent est-elle appelée à rester l’élément de la
connaissance propre à une « intelligence figurale » ?

L’image est-elle appelée à demeurer ?


23 Tantôt Albert le Grand ne doute pas de la réussite de la
manuductio pour conduire, par une opération métaleptique,
au-delà de ce qui nous est proportionné, tantôt il fait preuve
de davantage de prudence quant à son efficacité, puisque
cette méthode de la médiation des images est
essentiellement liée à notre capacité de recevoir (secundum
modum sibi possibilem).
À partir de cela <avoir formé de manière imaginaire et
sensible ce qui est le plus simple et le plus manifeste>,
comme « conduit par la main » et élevé de manière
anagogique, il atteint aussi ce qui est invisible et le plus
simple et il en reçoit une certaine connaissance selon le
mode qui lui est possible33.

24 Cependant, la fin de la manuductio ou ce dans quoi


s’accomplit le processus noétique est la vision directe de la
vérité nue qui, précisément au commencement du chemin,
selon les termes du texte que nous avons pris pour point de
départ du parcours, exigeait d’être vue dans des similitudes
corporelles, de peur qu’elle n’aveuglât l’ignorant.
« J’écouterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi34 », non plus
par similitudes, mais par la vérité nue. Et qu’il soit fait alors
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29/02/2024, 15:35 Figures du maître - Chapitre IV. Comment passer de l’ignorance à la connaissance ? - Presses universitaires de Rennes

annonciateur des merveilles de Dieu35.


Et il n’aura plus alors besoin de paraboles, parce qu’alors il
est imbu de la vérité elle-même36.

25 Ainsi les figures « manuductrices » ont-elles, selon l’image


que le commentaire de l’Évangile selon Matthieu emprunte
au livre de l’Exode, une fonction comparable à celle de la
sandale que Moïse délace, « se dépouillant peu à peu du sens
charnel et animal » avant de recevoir « la vision révélée de
Dieu37 ». La fin de la manuductio consiste donc dans la
suppression des médiations sensibles qui ont conduit jusqu’à
l’un et au simple.
26 S’il suggère que « les philosophes qui sont « conduits par la
main » à partir des autres sciences terminaient leur vie
entière dans ces <spéculations divines>38 », cependant, ne
s’agit-il pas, pour nous, d’une sortie rêvée hors de la
conjonction de notre intellect au sensible ?
La lumière des intelligibles de cette sagesse rassemble donc,
en tous les autres étants particuliers, ce qui est plus
naturellement proportionné à notre intellect qui est conjoint
au continu et au temps. Peu à peu, il reçoit donc de plus en
plus de lumière à partir de la reconduction des intelligibles
physiques et mathématiques aux choses divines. C’est
pourquoi aussi, quant à nous, cette science commence à
partir des étants physiques et mathématiques et se termine
aux spéculations divines. Pour cette raison, elle est enseignée
en dernier ; et les philosophes qui sont « conduits par la
main » à partir des autres sciences terminaient leur vie
entière en celle-ci. Or, seulement après avoir été introduits et
instruits à partir d’elles, nous commencerons par le mode
contraire, en prenant comme point de départ de la doctrine
le genre le plus haut des causes et des principes39.

27 Ainsi n’est-il pas contingent qu’à propos d’un passage de


l’Épître IX40 soit réservé au caractère divin de la sagesse
christique de parler ouvertement, sans paraboles, des
réalités divines.
De plus, en Jn 16 (29-30) les disciples disent à Jésus :
« Voici, maintenant tu parles ouvertement et tu n’emploies
pas de langage figuré (proverbium) ; maintenant nous
savons que tu sais tout ». Et en Mt 13 (11), le Seigneur dit aux

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disciples : « Il vous a été donné de connaître le mystère du


Royaume de Dieu, aux autres, en revanche, c’est en
paraboles ». Il semble donc que ces paroles proférées
ouvertement sans figures « conduisent » davantage « par la
main » vers la connaissance de Dieu, parce qu’après la
présentation de la vérité nue ils <les disciples> confessent
qu’il sait tout41.
28 Dès lors, ce qui incomberait à la condition humaine serait-il
justement de ne pouvoir approcher « les choses invisibles »
que par des images « manuductrices » ? « L’homme sans
péché a besoin de la “conduite par la main” effectuée par les
signes qui montrent le salut42 ».
29 Tant que nous vivons, nous vivons dans les images et
connaissons « la lumière insaisissable » à travers elles. Ainsi
la manuductio peut-elle être étendue de manière
hyperbolique à tous les étants, en tant que signes du bien qui
est la cause première universelle.
Cette bonté se trouve donc en toute créature de Dieu. Mais
cette bonté ordonne et « conduit » à la fois « par la main »
vers Dieu. Ce bien est, en effet, un vestige de la Trinité43 et
de l’unité : de l’unité, parce que c’est en une seule chose
qu’elles <les personnes de la Trinité sous l’aspect de l’espèce,
de la mesure et du poids> se trouvent ; de la Trinité, parce
qu’elles sont trois qui sont considérées en chaque chose44.

30 Dans cette conception dynamique du signe sensible de ce qui


nous est disproportionné, la méthode de la manuductio est
ainsi confiée à toute créature, dans la mesure où elle est
bonne, précisément par le principe divin vers lequel elle a
pour vocation de mener celui qu’elle « conduit par la main ».

En conclusion
31 Les images « manuductrices » sont-elles appelées à
demeurer ? Oui, semble-t-il, tant que nous vivons dans les
conditions de conjonction de l’intellect avec le sensible. Ce
sont ces conditions d’existence qui rendent nécessaires les
médiations sensibles et la méthode de la manuductio. En
voici deux raisons. Du point de vue noétique, Albert le Grand
ne considère pas seulement la fin intelligible de la
connaissance, mais son processus. Du point de vue
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anthropologique, sa décision le porte à considérer que notre


nature est davantage apparentée à sa connexion avec le
sensible qu’avec l’intelligible qu’il trouve dans les figures,
symboles et paraboles ou autres moyens proportionnés à
notre intellect. Tout l’accent de cet aspect de sa théorie
noétique porte sur le poids anthropologique des sens et de
l’imagination.
32 Il s’agit alors d’apprendre à user des images comme
médiations qui conduisent vers ce qui est hétérogène à elles,
donc à en user comme ce qui doit être dépassé vers ce dont
elles sont signes. Paradoxalement, nous demeurons dans ces
médiations qui, pourtant, ne sont là que pour nous
« conduire par la main » vers ce qui leur est
incommensurable. L’attention portée par Albert le Grand
aux sens et à l’imagination, dans sa noétique, telle que nous
la dévoilent les textes qui mentionnent le terme de
manuductio, est-elle l’indice qu’à ses yeux, à la phantasia,
nous n’échappons jamais ? Pourtant, il nous est promis de
contempler la « vérité nue ». Mais le docteur universel
souligne la dynamique qui nous conduit des images vers ce
qu’elles ne peuvent ultimement saisir. Peut-être les figures
« manuductrices » ouvrent-elles le champ d’un mode de
connaissance de ce qui, se trouvant « au-dessus de notre
proportion » et ne pouvant être subsumé sous la
détermination d’un concept, se donnerait précisément dans
l’acte par lequel nous sommes « conduits par la main » de la
similitude sensible à ce qui lui est incommensurable et que,
pourtant, elle contient d’une certaine façon. N’est-il alors pas
vrai que celui qui est « conduit par la main » par de telles
figures « atteint ce qui est invisible et le plus simple et en
reçoit une certaine connaissance selon le mode qui lui est
possible45 » ?
33 Qu’en est-il, alors, du maître manuductor, tel qu’Albert le
Grand le rencontre dans le livre dionysien des Noms divins ?
Ce parcours de textes, en suivant le fil conducteur des
occurrences de manuductio, nous a conduits à le concevoir à
partir de ce qu’il a en commun avec d’autres figures qui
« conduisent par la main » – images, similitudes, analogies,

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symboles, paraboles, allégories. Elles ont en commun non


seulement d’être composées de deux éléments hétérogènes –
sensible et intelligible –, mais aussi d’être métaleptiques.
C’est en vertu de cette fonction dynamique qu’elles sont
aptes à faire passer du multiple matériel à « l’un spirituel »,
du connu à l’inconnu.
34 Ce parcours à travers les signes « manuducteurs » vers « ce
qui est invisible et le plus simple » nous permet de revenir,
pour finir, au problème de l’apprentissage. Comment passer
de l’ignorance à la connaissance, du multiple dans lequel
nous sommes à l’un que nous désirons connaître, mais qui
est hétérogène à nos catégories ? Le « maître de vérité46 »
est, aux yeux d’Albert le Grand, celui qui assure une
continuité pédagogique entre des états ontologiques
hétérogènes. Le « maître de vérité » est celui que l’on croit
au sujet de ce qu’on ne connaît pas directement. La
médiation sensible des images dont il fait usage permet
d’assister à la genèse de la confiance indispensable à tout
apprentissage en procès. Comment croire, en effet, ce qui est
disproportionné à nos facultés d’appréhender et qu’au début
nous n’apercevons d’aucune façon ? « La similitude
corporelle persuade, suggère Albert le Grand, qu’il en est
ainsi qu’il est dit à partir de ce qui est possible pour nous47 ».
Et « à partir des choses corporelles, les choses spirituelles
reçoivent la probabilité qu’il en soit ainsi que le maître dit et
qu’ainsi celui qui ne sait pas et qui admire, étant introduit
plus facilement, croie48 ». Voici comment advient le passage
de l’ignorance à la connaissance à travers la confiance dans
le maître qui « conduit par la main ». Ce qui nous est
proportionné aux conditions d’existence de notre intellect
nous apparaît naturellement comme possible. Dès lors,
persuadés par ce qu’Albert le Grand nomme l’analogie
corporelle, il nous est, à ses yeux, possible de croire à ce qui,
d’abord, nous parraissait impossible.

Notes
1. En raison des conditions éditoriales du volume, ce texte représente
une version abrégée de la communication prononcée lors du colloque.

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2. Albertus Magnus, Super Dionysium De divinis nominibus, c. 2, n. 87,


éd. P. Simon, Éd. Colon. XXXVII/1, Monasterii Wesfalorum in Aedibus
Aschendorff, 1972, p. 99, l. 85-100, l. 1.
3. Dionysius, De divinis nominibus, c. 2, PG III, éd. J.-P. Migne, Paris,
1857, 649A ; Dionysiaca I, Recueil donnant l’ensemble des traductions
Latines des ouvrages attribués au Denys de l’Aéropage, tome 1, éd. Ph.
Chevallier, Bruges, Desclée de Brouwer et Cie, 1937, p. 111 (désormais
Dionysiaca I).
4. Albertus Magnus, Super Dionysium De divinis nominibus, c. 2, n. 87,
op. cit., p. 99, l. 83-85. Les caractères en italiques indiquent les citations
de l’auteur commentées par Albert le Grand pour les distinguer du
commentaire albertien lui-même.
5. Albertus Magnus, Super Matthaeum, c. 13, v. 13, éd. B. Schmidt, Éd.
Colon. XXI/1, Monasterii Wesfalorum in Aedibus Aschendorff, 1987,
p. 400, l. 70-77.
6. Sur cette image, cf. Albertus Magnus, Metaphysica, II, c. 2, éd. B.
Geyer, Éd. Colon. XVI/1, Monasterii Wesfalorum in Aedibus
Aschendorff, 1960, p. 92, l. 64-67; Super Mattheum, c. 11, v. 26, Éd.
Colon. XXI/1, op. cit., p. 360, l. 75-79. Cette proposition se trouve chez
Alexander de Hales, Glossa in quatuor libros sententiarum Petri
Lombardi, l. 1, d. 2, n. 10, éd. P. P. Collegii S. Bonaventurae, t. 1,
Florentiae, Quaracchi, 1951, coll. « Biblioteca Franciscana Scholastica
medii aevi, t. 12-15 », p. 31, l. 10-13 où, prise du De doctrina christiana,
prol., n. 3, Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum (CSEL)
LXXX, éd. G. M. Green, Vindobonae, Hoelder/Pinchler/Tempsky, 1963,
p. 4, l. 5-11 ad sensum, elle est alléguée pour l’interprétation de la
proposition d’Augustin extraite du De trinitate, l. 1, c. 2, n. 4, CCSL L,
cura et studio W. J. Mountain, auxiliante Fr. Glorie, Turnhout,
Typographi Brepols, 1968, p. 31 à laquelle se réfère Petrus Lombardus, I
Sent., d. 2, c. 3, in Magistri Petri Lombardi Parisiensis Episcopi
Sententiae in IV libris distinctae, Editio tertia, t. 1, Grotta Ferrata
(Romae), Editiones Collegii S. Bonaventurae ad Claras Aquas, 1971,
« Spicilegium Bonaventuranium 4 », p. 63, l. 9-17.
7. Albertus Magnus, Super Matthaeum, c. 13, v. 13, op. cit., p. 400, l. 77-
79.
8. Aristoteles, Metaphysica, a, 1, 993 b 9-11 inAlbertus Magnus, Summa
theologiae sive de mirabili scientia dei, prol., éd. D. Siedler P. A.
collaborantibus W. Kübel & H. G. Vogels, Éd. Colon. XXXIV/1,
Monasterii Wesfalorum in Aedibus Aschendorff, 1978, p. 3, l. 29-40.
9. Albertus Magnus, Summa theologiae, tr. 1, q. 5, c. 1, op. cit., p. 16, l.
67-69.
10. Albertus Magnus, Metaphysica, l. 1, tr. 2, c. 1, Éd. Colon. XVI/1, op.
cit., 18, 26 ; l. 1, tr. 2, c. 8, Éd. Colon. XVI/1, 25, l. 27-28 ; l. 1, tr. 4, c. 9,

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Éd. Colon. XVI/1, 59, l. 25-34 ; l. 2, c. 13, Éd. Colon. XVI/1, 104, l. 57-59 ;
l. 11, tr. 2, c. 30, Éd. Colon. XVI/2, p. 522, l. 59-67.
11. Albertus Magnus, De anima, l. 1, tr. 1, c. 2, éd. Stroick, Éd. Colon.
VII/1, Monasterii Wesfalorum in Aedibus Aschendorff, 1968, p. 2, l. 38-
39.
12. Albertus Magnus, Metaphysica, l. 2, c. 13, Éd. Colon. XVI/1, op. cit.,
p. 104, l. 57-59.
13. Ibidem, l. 1, tr. 2, c. 10, Éd. Colon. XVI/1, 27, 84-28, 11 ; l. 3, tr. 3, c. 3,
Éd. Colon. XVI/1, p. 142, l. 82-p. 143, l. 3.
14. Albertus Magnus, Epistula IX, in Super Dionysii Mysticam
theologiam et epistulas, éd. P. Simon, Éd. Colon. XXXVII/2, Monasterii
Wesfalorum in Aedibus Aschendorff, 1978, p. 539, l. 3-13.
15. Cf. Aristoteles, Metaphysica, I, 982 b 10-16 inAlbertus Magnus,
Metaphysica, Éd. Colon. XVI/1, op. cit., p. 23, l. 79-82.
16. Ibidem, I, tr. 2, c. 6, Éd. Colon. XVI/1, p. 23, l. 41-46 ; l. 49-53.
17. Sur le lien entre manuductio, « analogia » et « similitudo », cf.
également Albertus Magnus, Super Matthaeum, c. 13, l. 11, Éd. Colon.
XXI/1, op. cit., p. 400, l. 33-38.
18. Albertus Magnus, Super Matthaeum, c. 13, v. 13, Éd. Colon. XXI/1,
op. cit., p. 400, l. 79-84.
19. Ibidem, p. 401, l. 2-8.
20. Dionysius, De caelesti hierarchia, c. 1, § 3, PG III, op. cit., 121C,
Dionysiaca II, éd. Ph. Chevallier, Bruges, Desclée de Brouwer et Cie,
1950, p. 735 (désormais, Dionysiaca II).
21. Albertus Magnus, Super Matthaeum, c. 13, Éd. Colon. XXI/1, op. cit.,
p. 394, l. 2-11.
22. Albertus Magnus, Summa Theologiae, tr. 1, q. 5, c. 1, Éd. Colon.
XXXIV/1, op. cit., p. 16, l. 70-74.
23. Augustinus, De Genesi ad litteram, XII, c. 12, n. 25 ; c. 23, n. 49,
CSEL XXVIII/1, éd. J. Zycha, Pragae/Vindobonae/Lipsiae, F. Tempsky –
G. Freytag, 1894, p. 395, l. 18-28 ; p. 414, l. 22-28 ad sensum.
24. Albertus Magnus, Summa Theologiae, tr. 1, q. 5, c. 1, Éd. Colon.
XXXIV/1, op. cit., p. 17, l. 6-9.
25. Dionysius, De ecclesiastica hierarchia, c. 2, Patristische Texte und
Studien (PTS) 36, éd. G. Heil & A. M. Ritter, Berlin/New York, De
Gruyter, 1991, p. 2 ; Dionysiaca II, op. cit., p. 1132.
26. Cf. É. Benvéniste, Problèmes de linguistique générale, I, Paris,
Gallimard, coll. « Tel », 1966, notamment aux p. 51 sqq. : « La
communication ».

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27. Cf. Albertus Magnus, Super Dionysium De ecclesiastica hierarchia,


c. 1, éd. M. BURGER, commentariis a P. Simon & W. Kübel preaparatis
usa, Éd. Colon. XXXVI/2, Monasterii Wesfalorum in Aedibus
Aschendorff, 1999, p. 10, l. 57. Le traité de Denys l’Aréopagite De
invisibilibus et sensibilibus ne nous est pas Parvenu.
28. Albertus Magnus, Super Dionysium De ecclesiastica hierarchia, c. 2,
Éd. Colon. XXXVI/2, op. cit., p. 41, l. 68-42, l. 11.
29. À propos de l’élaboration médiévale de la notion de métaphore et de
son mécanisme de translatio ou transsumptio, cf. Rhetorica ad
Herennium, IV, 25, éd. et trad. G. Achard, Paris, 1989, p. 17-188 ; Marcus
Fabius Quintilianus, Inst. Orat., VIII, 6, 14-18, éd. J. Cousin, t. V, Paris,
Les Belles Lettres, 1978, p. 104-105 ; Aelius Donatus, Ars grammatica
(Ars maior), III, 6, éd. L. Holtz, Donat et la tradition de l’enseignement
grammatical, Paris, CNRS, 1981, p. 667. Cf. G. Dahan, L’Exégèse
chrétienne de la Bible en Occident médiéval (XIIe-XIVe s.), Paris, Cerf,
1999, coll. « Patrimoines christianisme », p. 426-435 ; « La métaphore :
notamment sur la notion de “translatio en actio ” dans les œuvres de
Thomas d’Aquin : G. Dahan, « Saint Thomas et la métaphore. Rhétorique
et herméneutique », Medioevo, 18, 1992, p. 85-117 ; pour un tableau
général de la métaphore médiévale, voir U. Krewitt, Metapher und
tropische Rede in der Auffassung des Mittelalters,
Ratinger/Kastellaun/Wuppertal, Henn, coll. « Mittellateinisches
Jahrbuch Beiheft 7 » 1972, et notamment, sur l’exégèse biblique, p. 443-
456.
30. Dionysius, De caelesti hierarchia, c. 1, PG III, op. cit., 121C ;
Dionysiaca II, op. cit., p. 735.
31. AlbertusMagnus, De Sacramentis, tr. 1, q. 2, éd. A. Ohlmeyer, Éd.
Colon. XXVI, Monasterii Wesfalorum in Aedibus Aschendorff, 1958, p. 4,
l. 26-36.
32. Albertus Magnus, De Sacramentis, tr. 1, q. 2, Éd. Colon. XXVI, op.
cit., p. 4, l. 24.
33. Albertus Magnus, Summa theologiae, tr. 1, q. 5, c. 1, Éd. Colon.
XXXIV/1, op. cit., p. 16, l. 70-74.
34. Ps 84, 9.
35. Cf. Ps 70, 17.
36. Albertus Magnus, Super Matthaeum, c. 13, v. 13, Éd. Colon. XXI/1,
op. cit., p. 401, l. 37-41.
37. Ibidem, p. 401, l. 49-50. Cf. Ex 3, 3-5.
38. Albertus Magnus, Metaphysica, l. 1, tr. 2, c. 10, Éd. Colon. XVI/1, op.
cit., p. 28, l. 7-8.
39. Ibidem, p. 27, l. 84 - p. 28, l. 11.

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40. Dionysius, Epistula IX, PG III, op. cit., 1108B ; Dionysiaca I, op. cit.,
p. 641.
41. Albertus Magnus, Epistula IX, in Super Dionysii Mysticam
theologiam et epistulas, Éd. Colon. XXXVII/2, op. cit., p. 538, l. 44-52.
42. Albertus Magnus, De Sacramentis, tr. 1, q. 3, Éd. Colon. XXVI, op.
cit., p. 5, l. 37-40. En ce qui concerne le contexte, dans la troisième
question du premier traité, relative à l’institution des sacrements, la
première objection produit l’argument selon lequel l’homme sans péché a
besoin d’être « conduit par la main » par des signes, afin d’établir que les
sacrements ont été institués avant le péché.
43. Cf. Augustinus, De Genesi ad litteram, l. 4, c. 3, 7, traduction,
introduction et notes par P. Agaësse et A. Solignac, Bruges, Desclée de
Brouwer, coll. « Bibliothèque augustinienne », 1972, XLVIII, p. 288.
Albertus Magnus, De Sacramentis, tr. 1, q. 3, éd. A. Ohlmeyer, Éd. Colon.
XXVI, Münster, Aschendorff, 1958, 5, p. 37-40 ; De bono, tr. 1, q. 11, a. 3,
éd. H. Kühle, C. Feckes, B. Geyer et W. Kübel, Éd. Colon. XXVIII,
Monasterii Wesfalorum in Aedibus Aschendorff, 1951, p. 27, l. 70-28, l.
10.
44. Albertus Magnus, De natura boni, éd. E. Filthaut, Éd. Colon. XXV/1,
Monasterii Westfalorum in Aedibus Aschendorff, 1974, p. 1, l. 57-61.
45. Albertus Magnus, Summa theologiae, tr. 1, q. 5, c. 1, Éd. Colon.
XXXIV/1, op. cit., p. 16, l. 72-74.
46. Albertus Magnus, Super Matthaeum, c. 13, v. 13, éd. B. Schmidt, Éd.
Colon. XXI/1, Monasterii Wesfalorum in Aedibus Aschendorff, 1987,
p. 400, l. 72-73. Cf. supra, note 5.
47. Albertus Magnus, Super Matthaeum, c. 13, v. 13, Éd. Colon. XXI/1,
op. cit., p. 401, l. 6-7.
48. Ibidem, p. 400, l. 80-83.

Auteur

Julie Casteigt
Maître de conférences en
Philosophie médiévale à
l’université de Toulouse 2-Le
Mirail, elle est l’auteur d’un
ouvrage intitulé Connaissance et
vérité chez Maître Eckhart. Seul le
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juste connaît la justice (Paris,


Vrin, coll. « Études de philosophie
médiévale », no 91, 2006) et
d’études sur la philosophie de
Maître Eckart et d’Albert le Grand,
notamment.
Du même auteur

Chapitre VIII. Le Livre des


paraboles de la Genèse de
Maître Eckhart : des images
dans l’écriture à une théorie
métaphysique de l’image in La
mythologie de l'Antiquité à la
modernité, , 2009
D’Albert le Grand à Maître
Eckhart : transformation du
genre du commentaire
exégétique à propos des versets
Jn 1, 6-9 in Les genres
littéraires en question au
Moyen Âge, , 2011
Denys, Abel et Melchisédech :
l’ombre des figures ou l’art de
signifier le principe à partir de
deux figures eucharistiques
https://books-openedition-org.janus.bis-sorbonne.fr/pur/56009 22/23
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selon Albert le Grand in Le


Sublime, , 2018
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés)
sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Référence électronique du chapitre


CASTEIGT, Julie. Chapitre IV. Comment passer de l’ignorance à la
connaissance ? Une figure du maître manuductor selon Albert le Grand
In : Figures du maître : De l’autorité à l’autonomie [en ligne]. Rennes :
Presses universitaires de Rennes, 2013 (généré le 29 février 2024).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org.janus.bis-
sorbonne.fr/pur/56009>. ISBN : 978-2-7535-5736-9. DOI : https://doi-
org.janus.bis-sorbonne.fr/10.4000/books.pur.56009.

Référence électronique du livre


NOACCO, Cristina (dir.) ; et al. Figures du maître : De l’autorité à
l’autonomie. Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses universitaires
de Rennes, 2013 (généré le 29 février 2024). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org.janus.bis-sorbonne.fr/pur/55995>.
ISBN : 978-2-7535-5736-9. DOI : https://doi-org.janus.bis-
sorbonne.fr/10.4000/books.pur.55995.
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Figures du maître
De l’autorité à l’autonomie

Ce livre est cité par


Gisler, Priska. Shehu, Drilona. (2017) Autonomie der Kunst?.
DOI: 10.1007/978-3-658-10406-1_16
Olçomendy, Argia. (2020) Jean Etxepare eta Eskola (1901-1926).
Fontes Linguae Vasconum. DOI: 10.35462/flv.130.3

https://books-openedition-org.janus.bis-sorbonne.fr/pur/56009 23/23

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