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LES INITIATIONS

ET [INITIATION MAÇONNIQUE

HAPPY
IRÈNE MAINGUY

LES INITIATIONS
ET
LINITIATION MAÇONNIQUE

Orné de 66 illustrations

jean-Cyrille Godefroy
© Jean-C yrille Godefroy 2008
ISBN: 978 2 86553 206 3
Site imcrnct: http://www.editionsjcgodefroy.fr
À mon compagnon de route Henri-jean,
dit« Vtmnetais Le Hardi ».

Jeton de p résence représentant le.fi"onton dim temple,


surmonté d'un triangle rayonnant, avec deux colonnes Jet B,
et' un rmtel portant un comp11s.
Pièce en argent, 29 mm. Collccrion privée.
Photo Marc Labourer.

7
André Alciat, Emblèmes, Lyon, Macé Bonhomme, 1549.

Les sages.

PROBLÈME

Janus a deux têtes, le passé et l'avenù;


Qui voient vers l'arrière comme en fll){lnt.
Pourquoi as-tu quatre yeux et un double visrzge?
fit-ce pour cela que tu fus un homme sage ?

La Sagesse est dtms /t; tête. Et parce que L'homme a deux têtes,
il représente le Sage qui possède Ili mémoire du passé
et L'intelligence de L'avenir.
Préface

Mircea Eliade écrit dans son livre « Naissances mystiques »


que<< d'un point de vue philosophique, l'initiation équivaut à une
modification ontologique du régime existentiel». Ce projet initia­
tique comprend un changement radical du penser et de !'agir de
ceux qui choisissent de parcourir le chemin qui mène des
ténèbres vers la lumière, de ceux qui acceptent, consciemment,
une more symbolique suivie d'une renaissance spirituelle non
moins symbolique. Cependant, c'est lors de la cérémonie initia­
tique que le vieil homme disparaît pour laisser la place à un autre
être: l'homme nouveau. Un nouvel être qui s'efforcera inlassa­
blement dans une quête de la perfection en ayant recours pour
cela à son expérience vitale, à son propre vécu.

Afin de définir le concept d'initiation et, plus concrètement,


d'initiation maçonnique, il convient de se référer aux docu­
ments issus de l'Assemblée des Grands Maîtres Européens de
1952 qui déclarent que « la franc-maçonnerie est une institu­
tion d'initiation spirituelle au moyen de symboles ». En effet,
la franc-maçonnerie tâche de répondre à toutes les questions à
travers des symboles énigmatiques qui invitent à la réflexion.
Les réponses, qu'elles soient spirituelles ou matérialistes,
dépendent de la mentalité de chacun des adeptes. Car il faut
savoir qu'il ne s'agit pas dans l'initiation maçonnique de com­
muniquer des mystères ayant trait aux sciences occultes; la tra­
dition initiatique de la franc-maçonnerie n'a rien à voir avec
leur étude ou leur pratique. Au contraire, le parcours initia­
tique du franc-maçon essaie de transformer l'homme nouveau
en un être capable de découvrir et d'apprécier à sa juste valeur

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LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

sa propre spiritualité, de pratiquer ce qu'Oswald Wirch a


appelé !'Art de Vivre.

L'initié qui fait ses premiers pas dans la voie menant vers la
Lumière s'engage à route une série d'obligations telles la stricte
observance de la loi morale (moralité), la discrétion (engagement
de ne pas révéler des secrets en présence de profanes), la disci­
pline, le silence et la solidarité. Ces obligations forment indubi­
tablement la pierre angulaire de la vraie initiation.

Il va sans dire que le cheminement sera long et sinueux.


René Guénon distinguait enrre l'initiation virtuelle, la cérémo­
nie en soi, simple point de départ vers un travail d'inrrospec­
tion et de réflexion, et l'initiation réelle, c'est-à-dire l'effort
constant du Maître maçon. Parce que la quête de la perfection
si ardemment désirée par l'être humain suppose de dépasser
des obsracles, d'aborder avec patience, confiance et humilité les
différentes étapes de ce parcours, le franc-maçon, matière pre­
mière vivante, s'engage à se cailler lui-même, à ajuster sa pierre
à l'édifice, à ce lèmple de la Beauté universelle qui ne sera
jamais terminé.

Pendant ce trajet, que décrie d'une façon très détaillée le livre


d'Irène Mainguy, l'initié devra apprendre à soupeser différentes
opinions, à respecter des convierions autres que les siennes, à dis­
cerner l'erreur, à être tolérant et surtout conscienr des limites
propres à l'être humain. En effet, si pour les profanes la sagesse
équivaut à la possession de la Vérité, pour le franc-maçon elle
représente une recherche permanence. La Vérité est son bue,
même s'il est conscient que ce but est inatteignable.

Le rravail de l'initié aura pour références la Sagesse, la Force et


la Beaucé, les trois piliers du temple maçonnique. La Sagesse est
tout ce qui nous aide à concevoir et donner forme dans l'univers
des idées; la Force est l'élément actif, créateur, et la Beauté
l'amour qui doit régner sur le monde. N'oublions pas que
10
PRfr-ACE

l'initiation nous apprend à aimer sans égoïsme. Le franc-maçon


aime pour aimer et non pour être aimé.

Toue au long de l'ouvrage, Irène Mainguy nous rappelle les


détails qui jalonnent le parcours de l'initié, son désir de suivre la
voie de la Sagesse, d'atteindre - encore que partiellement - cette
perfection que recherchent cous les francs-maçons. Louable
effort, parce que difficile, décrit dans les pages de ce livre par un
auteur érudit qui a en outre l'expérience du vécu initiatique.

Adrian Mac Liman 33c


Grand Maître de la Grande Loge Confédérée d'Espagne
Président du Centre ibérique d'Écudes maçonniques (CIEM)
Madrid (Espagne).
Julius Wilhelm Zincgrej.' Emblcmatum erhico-policicorum œnruria, 1664.

Changement perpétuel

Il n'y a rien du tout de constant m ce monde,


Ainsi le temps se change, et nous avec le temps.
Avant-propos

I.:iniriarion, en tant que rire de passage d'un monde à un


autre, d'un état à un autre, a une vocation universelle visant à
faciliter les possibilités de réalisation de tout être (homme ou
femme) qui a la volonté de favoriser l'épanouissement harmo­
nieux de ses potentialités physiques, psychiques et spirituelles,
de recréer en lui (ou en elle) un prototype d'être parfait, créé à
l'image de Dieu, comme il est écrit dans la Genèse.

I.:iniciation est un sujet très vaste qu'il est impossible de traiter


de manière exhaustive, c'est pourquoi il est proposé de publier ici
une synthèse documentaire établie par une professionnelle de la
documentation. Cette formule permet de prendre en compte
objectivement coutes les thèses en présence, qu'elles soient diver­
gences ou nettement antithétiques. Il est essentiel, si possible, que
cous les aspects du sujet soient abordés, qu'ils soient ethnolo­
giques, philosophiques ou métaphysiques, par des spécialistes
s'étant exprimés avec leurs points de vue parfois opposés, mais
néanmoins complémentaires. Cette publication a pour objectif
de permettre aux lecteurs de suivre un fil d'Ariane dans le dédale
des centaines d'études publiées sur la question.

La synthèse documentaire est l'art d'exercer par excellence la


technique du rassemblement de ce qui est épars, après une col­
lecte scrupuleuse autant qu'érendue d'informations, puis de pré­
senter un condensé de celle-ci, émanant de divers documents
(livres, articles, photos, vidéos, etc.)
Elle a pour but de faire le point sur l'état d'une question à
partir d'une sélection de documents fiables, rassemblés en un
ensemble structuré et cohérent. Les renvois constants aux
données bibliographiques doivent permettre aux lecteurs

13
LES INIT'-1\TIONS ET I}INITIAllON .rvlAÇONNIQUE

d'approfondir tous les aspects qui retiennent le plus leur atten­


tion sur le sujet.

En Occident, on peut constater que l'auteur qui sert d'axe à


coute approche de l'initiation est René Guénon (I 886-1951 ),
métaphysicien de grande envergure, entre autres franc-maçon,
dont les ouvrages « Aperçus sur l'initiation » (paru en 1946) et
« Initiation et Réalisation spirituelle» (recueil d'articles réunis à
titre posthume, paru pour la première fois en 1952, avec un
avant-propos de Jean Reyor) sont des références en ce domaine,
que ce soir pour en développer certains aspects ou les contester.
La parution de ces deux ouvrages est à l'origine d'une abondante
littérature, sous la forme de livres ou d'articles de périodiques.
Les travaux de Jean Reyor apportent également de précieux éclai­
rages, notamment l'ensemble de ses articles rassemblés sous le
citre : « Pour un aboutissement de L'œuvre de René Guénon, les aper­
çus sur L'initiation », publié en 1998.

Le dépouillement de quelques centaines de données a permis


de faire le point sur les valeurs, les buts et la finalité de l'initiation
après en avoir examiné les constantes dans ses diverses catégories :
facteur de sociabilisation et d'intégration de l'individu dans une
communauté, notamment sur un plan ethnologique, techniques
d'éveil de l'être humain en général. La spécificité de l'initiation
occidentale sous sa forme maçonnique se présente sous deux
aspects différents, que certains qualifieronc de traditionnel et spiri­
tualiste, d'autres d'humaniste et rationaliste. En réalité, ces deux
approches doivent être considérées comme complémentaires. Tour
dépend de la direction dans laquelle la recherche est entreprise,
orientée soit vers une transcendance (verticale), soir vers un per­
fèctionnemenr humaniste (horizontale).

Si l'initiation apparaît depuis les temps les plus reculés, elle


est néanmoins coujours d'actualité. Elle s'est pérennisée en
traversant le temps et les générations. Elle est un moyen qui
a permis depuis l'aube de l'humanité à d'innombrables

14
louis G'uiflemain de Sllint- Victor
Histoire critique des Mystères de l'Anriquiré, I 788.

« En réfléchiss(lnt sur les connaissances hum(lines, il semble qu'elles pourmient être


comparées auxfiots de l,1 mer qui sëlèvent, se brisent et St' perdent dans lïrnmensité
de l'eau; puis se reforment, s'amoncèlent et se brisent sans cesse: ainsi, les systèmes
des philosophes, formés les uns des autres, brillent et sëdipsent successivement en
s'amoncelant tkms nos vastes bibliothèques. Un firit bien constrmt, c'est qu'il n'y a
peut-être pas une seule phrase des Anciens, qui, à jàrce d'êtr e expliquée, analysée,
commentée, ne nous ait produit un in-fàlio. Lesfictions des poètes et des romanciers
sont entrées dans les ouvrages les plus sérieux. l'histoire des nations, qui devrait ne
renferma que des 11irités authentiques. et par conséquent être le monument le plus
précieux de !t1 littérature; l'histoire, dis:je, est remplie defàbles ridicules, N defirits
déguisés par la jl,ttterie et la superstition : enfin la chronologie du monde est un
chaos obscur, dans lequel il est impossible de pénétm: En vain une infinité de
SfllJ{lnts ont prétendu l ëdaircir; leurs immenses écrits, qu'un homme ne pourrait
lire en soix(lnte ans, n'ont servi qu'à augmenta les d[fjimltés en multipliant les
assertions et les opinions particulières ».

15
LES INITIATIONS ET l!NITIATION MAÇONNIQUE

« cherchanrs » de trouver des éléments de réponses aux ques­


tions existentielles.

Cette approche parciculière du sujet amène à poser quelques


éléments de problématiques très actuelles qui relèvent d'un débat
complexe:

1) Est-il nécessaire d'être reçu dans une Voie initiatique pour


réaliser toutes ses potentialités?
2) Dans le monde contemporain, qui se caractérise par un
matérialisme croissant, quelle place reste-t-il à la voie initiatique
et à son idéal ?
3) Doit-on considérer aujourd'hui l'initiation maçonnique
comme un mythe ou une réalité?
4) La franc-maçonnerie esr-elle une école de rationalisme ou
de spiritualité?
5) Que peut apporter l'initiation maçonnique à l'homme ou à
la femme d'aujourd'hui en ce XXI" siècle?

Concernant cette question de l'initiation, on remarque que


les plus importantes obédiences françaises ont montré un regain
d'intérêt à son endroit ces cinquante dernières années. En effet,
une réflexion approfondie sur ce point fur proposée pour les
questions à l'étude de l'ensemble des loges de plusieurs de ces
obédiences.

La plupart des illustrations qui agrémentent cette étude sont


empruntées au vivier des emblèmes de la Renaissance, porteurs
d'une philosophie existentielle percutante.
Jacques de Zettre, Emblèmes nouveaux, 1627.
La Jv!ort tient entre tous une égale mesure,
Rien ne vit d'immortel sur la terre.
S'en vont tous pêle-mêle engloutis du destin
Lim pèse t!Ulllllt que /autre étant IIU poids de Mort.
Tous se trouvent égaux quand la mort l'a ravie.
Heureux celui qui prend bien garde à tout ceci.
Use d'honneurs et de biens avec un cœurfidèle,
Et t1ssiste ton prochain pttr 11mourf1ctternel.
André Alciat, Emblematus Libellus, 1531.

/.({ pauvreté entrave /11 progression des plus grands trdents


Alors que les plumes me soulèvent, un lourd poids m'entraine vers le bas
Avec mon intelligence, je pourrais monter sur les plus hauts sommets,
Si la pauvretéjalouse ne me tirait point vers le bas.
En guise d'introduction

Très tôt, l'homme a pris conscience de ce que le monde qui l'en­


tourait présentait deux aspects: l'un physique, l'autre immatériel.
Comment expliquer cette énigme de l'existence qui se pose à tout
être humain sous la forme de ces trois questions fondamentales:
D'où venons-nous? Qui sommes-nous? Où allons-nous?

Anton Ginther, Mater Amoris et Doloris, 171 1.


Consideratio III.
To11te portefèrmée demande d'être ouverte
'fout se11ilfim1chi est un nouveau commencement.

Depuis la plus lointaine Antiquité, en se référant à l'Égypte, puis


aux Mystères d'Eleusis en Grèce, on trouve trace de cérémonies

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LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

initiatiques qui permettent d'apporter des commencements de


réponses à ces questions.
En Afrique les rites de passage et d'agrégation marquent, pour
le néophyte, la séparation du groupe social des femmes et des
enfants, afin d'accéder à celui des adultes.
De même dans le Compagnonnage, les secrets de métier et
l'Arc de bâtir étaient conservés et transmis par l'initiation.
Il convient de s'interroger sur l'initiation, sur sa finalité, sa
nature, ses modalités et sur la signification qu'elle peut revêtir
pour l'homme de notre temps.
La franc-maçonnerie, à l'instar de certaines sociétés secrètes,
est une société initiatique, ce qui implique que pour en devenir
membre, il faut subir une initiation.
L'initiation maçonnique intrigue dans un monde désacralisé,
ce qui amène à préciser quelques questions:
Se concente-t-elle de mettre en œuvre un rite d'agrégation ou
bien conduit-elle ses membres, à force de recherches et d'expé­
riences, à de nouvelles connaissances �
En quoi alors, l'initiation ouvre+elle sur la connaissance de soi?
Enfin, quel sens donner à l'initiation maçonnique en ce
XXI" siècle ?
Dans un monde matérialiste, quelle place accorder à l'idéal
initiatique?
L'initiation maçonnique, avec l'initiation compagnonnique,
sont aujourd'hui les seules voies initiatiques en Occident. S'agit­
il d'une initiation plus virtuelle qu'effective?
L'initiation demande que la transformation symbolique
esquissée, le jour de la réception de tout candidat au grade
d'apprenti, devienne par la suite réelle et soit source d'un conti­
nuel renouvellement, d'une régénération du corps, de l'âme et de
l'esprit, dans une force de constructivité qui permet de faire éclore
en soi ce qui est authentiquement vrai, positif et lumineux.
Otto Vttenius, Emblemata Horatiana, n ° 103, 1684.
La mort est la fin de toutes choses

C'en est fitit, tout est consommé.


Voici l'achèvement des choses:
Mort ilfmt que ttt te reposes
Et hrises pour jamais ton dard envenimé.
Mais, oh! qu'en un moment ta fortune est changée!
Tu cèdes à ton tour à ta jàtalité;
Ei la Nature humaine heureusement vengée,
Sëfève par ta mort à l'immortalité.
, , ._.,,

·"'-

i
!'
i.

En ,ne rffj ardant tu te vou . 1�,

Alhert f1r1men, Devises et emblèmes d'amour moralisés, 1648.


Que reflète le miroir? Que réfléchie-il ? Et à quelle méditation amène+il ?

Normalement, un miroir est susceptible de recevoir les images et de les réfléchir


telles quelles. Celui donc qui 11011dm le remettre en état devm s'acquitter de deux
besognes :_fotter et polir, c'est-à-dire éliminer /11 rouille qui ne devrait pas
exister; disposer le miroirfoce à l'objet que l'on veut reproduire.
Ainsi, l'âme humaine est apte à devenir un miroir qui, en toutes ocC11sions,
pourmit être disposéfizce rm Vli:li. A l'insttlr de l'image et du miroù;
eflt· recevmit l'empreinte du V,,zi au point de sy identffier dans un sens,
bien qu'elle en restât distincte dans un autre... (Ghazâlî).
Chapitre 1

Approche lexicographique de l'initiation

Le mot initiation est postérieur au mot initié. Seul ce dernier


est mentionné dans le Dictionnaire Universel d'Antoine Furetière
(xvu c). Ladjectif initié est défini comme « entré dans la clérica­
ture», ce que confirme le Dictionnaire étymologique de la lrmgue
française: initier dace du XIV e siècle alors que le mot initiation
était rare avant le XVIII" siècle, mais initiateur est attesté. Le mot
initiation est un terme actif alors que le terme initié désigne un
état constaté.

1- Origine latine

Sens de commencer

Le mot initiation provient d'un mot latin lié aux Mystères


antiques et dont il a gardé la signification : initiatio. On trouve
dans la même famille de mors le verbe initio qui signifiait initier
(aux Mystères) et prie aussi le sens de commencer ainsi que le sub­
stantif initium signifiant commencement, et aussi, au pluriel, mys­
tères. Ces mots sont à rapprocher du verbe inere: entrer dans,
commencer, entreprendre.
Ainsi, l'initiation est véritablement un commencement, une
mise sur la voie, sur le chemin. Elle est le commencement d'une
progression qui doit favoriser le développement constructif et
harmonieux du candidat en vue de l'amener aussi près que pos­
sible d'un état de perfection.

23
LES INITIATIONS ET 1:1NITIATION MAÇONNIQUE

On pourrait parler aussi d'une« renaissance», à condition de


donner à ce terme un sens rigoureusement ontologique. En effet,
l'initiation présuppose fondamentalement que la condition
humaine, avec les limites qui définissent l'individualité com­
mune, peut être dépassée. Il s'agit d'un changement d'état, du
passage d'un mode d'être à un autre mode d'être au sens le plus
objectif.

À la suite de René Guénon, Julius Evola' considère que:

« la base de la notion d'initiation, c'est donc la doctrine des


états multiples de l'être, l'état humain n'étant qu'un de ces
états. Mais il ne faut pas envisager seulement des états de
l'être supérieurs à la condition humaine commune; il y a
aussi des états inférieurs. De sorte qu'une double possibilité
d'ouverture, vers le haut et vers le bas, est concevable pour
l'homme: on doit donc distinguer un dépassement "ascen­
dant" (conforme au sens étymologique rigoureux du mot
transcendance "aller au-delà en s'élevant") d'un dépasse­
ment "descendant" ».
L'Encyclopédie Quiller définit l'initiation comme une
« admission à la connaissance de certaines choses secrètes, révéla­
tion. Cérémonie par laquelle on étaie initié à la connaissance et à
la participation de certains mystères. Cérémonies accompagnant
l'admission d'un nouveau membre dans une société secrète ».

Il - Origine grecque

Sens de mourir / renaître

Cette idée de perfection, de rendre parfait, est très visible dans


le mot grec qui désignait l'initiation aux Mystères : té/été. Ce
mot, dérivé d'une racine dont on peut rendre la signification par

1. Evola Julius, L'arc et la massue, Paris, Éd. Trédaniel, 1984, pp. l 08 et 109.

24
APPROCHE LEXJCOGRA!'HIQUE DE 1:1N!TIA110N

se mettre en route vers un endroit, vers un but, est à rapprocher des


deux mots grecs télos et téleuté qui désignent cous deux la fin, le
terme, mais aussi la réalisation, l'achèvement, l'accomplissement, ce
qui est en parfait accord avec l'idée exprimée par l'initiation.
Si en plus on remarque que les anciens Grecs exprimaient
l'idée de mourir par achever sa vie, en employant le verbe de
même racine téleutaô, on voit que l'initiation est assurément une
mort symbolique qui permet d'accéder à une nouvelle vie, à une
nouvelle façon de vivre.
Il paraît légitime de considérer que notre terme actuel initiation
réunit les idées incluses dans l' initium latin et dans le télété grec,
car l'initiation est à la fois un début, un projet et un processus.
Il convient en effet de distinguer le terme réception, qui fut
d'usage courant en franc-maçonnerie, du terme initiation plus
chargé de signification symbolique.
Conformément à l'étymologie du mot qui la désigne, l'initia­
tion exprime le commencement d'un état, commencement qui
doit favoriser un développement constructif et harmonieux en
vue d'amener le candidat à un état de perfection. Une image
classique décrit bien le processus de l'initiation : de même que la
graine meurt pour renaître dans la plante, le néophyte est une
nouvelle plante, qui vient de germer et va se développer sous une
nouvelle forme.

À ce sujet, Alec Mellor2 considère que c'est une erreur d'attri­


buer à l'initiation, prise au sens de réception dans la franc­
maçonnerie, une portée qui correspond à télété plutôt qu'à
initiatio, alors qu'au contraire « l'initié » c'est l'homme placé,
OL1tils en main, instruit, devant son futur travail. li est mis dans
les conditions nécessaires et suffisantes pour le poursuivre.

2. Mellor Alec, Dictionnaire de /11franc-mrzçonnerie et des francs-maçons, Paris,


Éd. Belfond, 1971. pp. 142 et l 43.

25
LES INITIATIONS ET LINITIMION MAÇONNIQUE

Clrtude Pamdin, Les devises héroïques, 1557.

Quand plusieurs personnes dans !'Antiquité,


Chez les l:,gyptiens venaient à part,tger un banquet ensemble,
/,11 coutume était que pendant le repas,
/.'un d'entre eux portant une im11ge ou simulacre de J'v!ort,
S'en venait la montrer à chacun de tous les assistants:
En leur disant l'un après l'autre, Vois-tu ?
Reg1trde donc bien ce que c'est,
Ftlis 1mt1tnt bonne chair que tu voudras.
Car ainsi il te Jàut devmù:

Ces deux conceptions de commencement et de fin ne corres­


pondraient pas à deux idées opposées sur l'initiation et encore
moins à deux réalités différenres, mais plutôt à deux points de
vue incomplets sur la même réalité, caractérisé par un processus
dont ils désignent le terme initial et le terme final.

26
Épreuves initiatiques par les éléments pratiquées
lors de l'initiation :i Memphis, en Égypte,
Clavel, Histoire de ill frrmc-mt1çormerie et des sociétés secrètes t1nciennes et
modernes, 1843.
LES INITIATIONS ET llNITlATION MAÇONNIQUE

Ill - Rapports avec les mystères de !'Antiquité

À propos des initiations, le dictionnaire Larousse précise qu'il


s'agit de cérémonies par lesquelles le récipiendaire était admis à
la connaissance de certains Mystères dans les religions anciennes
et qui accompagnent encore l'admission dans_différentes sociétés
secrètes. Initiation, initié: ces mots rappellent la cérémonie par
laquelle les anciens recevaient un candidat qui était amené à
prendre part à tel ou tel culte en l'honneur de telle ou telle divi­
nité. Ces cérémonies éraient appelées« mystères» parce que seuls
les initiés avaient le droit d'y assister.
Placon3 disait au sujet des mystères d'Eleusis:
«Celui qui viendra chez Hadès sans avoir pris parc à
l'initiation et aux Mystères sera plongé dans le bourbier;
au contraire, celui qui aura été purifié et initié vivra avec les
dieux.»

Armand Bedarride-1 remarque que :


«depuis l'Anriquité, toutes les associations initiatiques one
visé à créer chez l'homme cette vie nouvelle, donc les étages
nous sont visibles, mais donc le sommer reste conjectural,
puisqu'il ne peur être atteint que par l'expérience intime de
chaque homme; la descente en soi-même du cabinet
de réAexions n'est pas aurre chose que la concentration de
l'esprit à l'abri de toutes les influences extérieures, la purifi­
cation intellectuelle, prélude de la purification morale; les
symbol.es maçonniques sont des fixateurs d'idées, et ensuite
des générateurs».

3. Plaron, Phédon, 13.


4. Bcdarridc Armand, /,'idéalisme de /11 MaçonnerÎt' in l'Acacia n ° 57,
mars 1929, p. 390.

28
Candidar admis aux Mystères d'une cérémonie initiatique
de I' Ancienne Égypte.
Excr:iir de The C,'meml Ahimtm Rezon rmd Freemason's Guitle,
New York, 1882.
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

Crata Repoa 5 ou fnitùitions aux anciens mystères des prêtres


d'Egypte fait le récit des épreuves subies par le néophyte:
« En Egypte, du moment où le néophyte mettait le pied
dans les souterrains, il n'en sortait plus qu'il n'eût complété
coures ses études. Cinscicurion de cerce société éraie un haut
collège, où l'on formait des hommes d'État, c'était en
même temps un séminaire OLJ l'on disposait les sujets desti­
nés au sacerdoce».

« Le récipiendaire dans les mystères hellénistiques était


conduit à travers différences salles figurant le domaine des
enfers. De même pour son passage dans les éléments: tour
à tour élevé dans les airs, poussé dans de grands bassins
pleins d'eau, etc. Laissé seul un long moment dans J' obscu­
rité, on l'introduisait dans une salle oü la flamme aveu­
glante d'un foyer brillait soudainement devant ses yeux: il
avait l'impression de percevoir la clarté du soleil au milieu
d e 1 a 11UIC. 6 » ...
Le symbole est on ne peur plus clair, le récipiendaire passe du
monde enténébré oü règnent passion et ignorance à la Lumière.
Celle-ci représente la libération qu'apportent la Connaissance, la
Vérité et la Paix.

IV - Ethnologie des rites de passage

D'un point de vue ethnologique, l'initiation fait partie des


pratiques de la plupart des sociétés humaines depuis les temps
les plus anciens. Elle avait généralement ec a encore, dans bien des
cas, pour vocation de faire passer un individu d'un état psycholo­
gique ec social à un autre, d'un statut à celui immédiatement

5. Cra ta Repoa ou !nititztions rtux anciens n�ystères des p rêtres d'Égy pte, traduit
dt· l'allemand, publié par Balland, Paris, 1821, avertissement.
6. Bricm, O.E. les sociétés secrètes de mystères, Paris, Payoc, 1951, p. 367.

30
Stephan Michelspacher, Cabale, Miroir de l'arc er de la nature en Alchimie,
figure consacrée à la conjonction, c'est-;1-dire aux noces chimiques des deux
principes purifiés.

Sur cette figure, sept marches portant Les noms des sept opérations alchimiques
mènent au temple qui 11hrite les noces chimiques. Sous un toit orné d'un soleil et
d'une lune, coumnné p(lr un phénix. se trouvent les époux. /,'ensemhlc s, t trouve lr
lïmérieur d'une montagne qui s'élève comme une Île au milieu de /11 gr1md,· mer
du monde. La rnontagne est entourée de la couronne du zodiaque qui indique les
correspondances entre influences célestes et mét,rux. Les planètes qui symbolisent
également les sept mét,wx akhimiques sont régies prtr un dim qui S<' timt sur
cette mont11gne sacrée. Mercure est ,tu sommet. Aux qw1tn' rnins de fa gravure
sont représmtés Ù?s quatre éléments dans un cercle, l'e11u, la tern', l�1ir l't le jèu.
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

supérieur, par exemple d'adolescent à adulte, d'homme à guer­


rier. Pour ce faire, des rituels considérés comme sacrés ainsi que
des épreuves physiques, devaient tester les capacités des préten­
dants et confirmer ou infirmer leur admissibilité.
D'une façon générale, les rites féminins se caractérisent par
leur individualisme. La nubilité n'est pas une question de
période de la vie mais d'un moment précis, lié à un phénomène
physiologique, qui transforme la fillette en femme et engendre
souvent une mise à l'écart. Les initiations féminines ont une
place à part car elles n'observent pas un rituel de mort, mais des
rires de fécondité, liés à l'apparition de la première menstruation.
La durée de cette ségrégation varie beaucoup d'une civilisation à
l'autre: quelques jours en Australie ou dans l'Inde ancienne,
vingt mois ou plusieurs années dans le sud-est asiatique.
Les éléments de cette initiation féminine sont universels. La
claustration, généralement motivée par un interdit de voir le
soleil, faisait prendre conscience à la jeune fille de son affinité
lunaire.

V - Différentes formes d'initiation en Occident

Le cérémonial d'initiation, sous le couvert du rite de mort et


de résurrection, donna lieu à une multitude de versions plus ou
moins singulières, dont la bizarrerie apparente relève de l'image
du monde que se faisaient les sociétés qui le pratiquaient. En
pénétrant dans le sacré, l'homme archaïque accédait à la signifi­
cation secrète des choses, du moins le croyait-il, et il assurait
ainsi sa puissance sur elles. li lui fallait donc « lire le monde »
afin de le comprendre dans sa réalité intrinsèque, une attitude
qui l'amena à vouloir découvrir les « origines » et tout d'abord
« l'origine absolue »7•

7. Doré André, Vérités et légendes de l'l,istoire mnçonnique, É<l. Edimaf, 1991,


p. 21.

32
APPROCHE LEXICOGRAPHIQUE DE LINITIATION

« Comme un prisonnier jeté dans un cachot touche les murs de


sa prison, l'âme humaine mesure à tâtons, dans la nuit de l'initia­
tion, les limites de sa prison de chair par la douleur et les priva­
tions. Lhomme exprime ainsi sa volonté d'oublier sa naissance de
chair pour renaître d'un ventre d'étoiles. Cette vie nouvelle, seule
ambition de l'humanité, est l'accomplissement sur le plan humain
du renouveau cosmique. Chaque matin, le soleil se lève et le
monde régénéré ressuscite après l'angoisse de la nuit. Lhomme
fait de ce cycle le signe de son espérance, plus force que l'épreuve
matérielle, plus forte que l'expérience quotidienne de la matière8• »
En Occident, il existe différents courants initiatiques, la kab­
bale pour le judaïsme, l'hésychasme pour le christianisme et le
soufisme pour l'Islam.
Le judaïsme est la forme la plus ancienne parmi les trois
branches de la tradition abrahamique. La tradition ésotérique
des Hébreux est la kabbale; ce mot signifie « tradition ».
« Comme routes les traditions régulières et complètes, la
kabbale n'est pas seulement une doctrine métaphysique et
cosmologique, elle comprend également tout un ensemble
de sciences et de méthodes de réalisation spirituelle,
notamment des techniques d'invocation des Noms divins
et des Noms angéliques. » Jean Reyor9 observe qu'« il est
arrivé que cette "théurgie" dégénère en magie, par suite
d'une incompréhension de la partie purement métaphy­
sique de la doctrine, et chez des hommes plus ou moins
animés de la volonté de puissance qui est bien ce qu'on
peur imaginer de plus opposé à la poursuite d'une réalisa­
tion spirituelle ».
La kabbale distingue quatre mondes dominés par l'En-Soph
ou Infini, en dessous duquel se trouve celui de !'Emanation (acsi­
louth), puis le monde de la Formation (yesirah) et enfin le
monde des corps ou de l'Action (assia).

8. Scrvier Jean, l'homme et l'invisihle, Éd. Robert Laffont, 1964, p. 119.


9. Reyor Jean, Pour un aboutissement de l'œuvre cle René Guénon, Études sur
f ësotérisme chrétien, É<l. Archè, 1991, p. 95.

33
LES INITIATIONS ET 1:1N1TIATION MAÇONNIQUE

Le Sepher yetsirah explique la création du monde à l'aide des


32 voies, qui correspondent. aux 10 sephirah et aux 22 lettres de
l'alphabet. Il est à noter que chaque lettre correspond à un
nombre et est le symbole de quelque chose.
Louis Jacolliot 10 précise que les écrivains de la kabbale ne nous
ont point dévoilé les secrets de leur discipline intérieure, mais il
est hors de doute que l'initiation hébraïque a compté, elle aussi,
plusieurs catégories d'initiés.
On sait, d'après le Talmud, que les anciens Hébreux possé­
daient crois noms pour exprimer l'idée de Dieu. Le premier,
composé de quarre lettres, était enseigné à tous les adeptes du
temple. Le second, composé de douze lettres, n'éraie transmis
qu'aux plus discrets d'encre les prêtres. Quant au troisième, de
quarante-deux lettres, voici ce qu'en dit Maïmonide:
« Le nom de quarante-deux lettres était le plus sacré de
tous les mystères, il renfermait le grand secret de l'âme uni­
verselle et représentait pour ainsi dire l'iniri:uion complète.
On ne l'enseignait qu'à un homme d'une discrétion recon­
nue, d'un âge mûr, inaccessible à la colère et à l'intempé­
rance, étranger à la vanité, plein de douceur dans ses
rapports avec ses semblables. »

.L:union avec le Principe est le but suprême du kabbaliste.


Hami Oz 1 1 précise qu'<• il exige une technique qui passe par la
vision dans le miroir, le visage extérieur et intérieur, l'intuition,
l'amour et l'extase.
La progression vers le trône divin se préparait durant de
longues années de méditation et d'études, suivies de jeûne durant
douze à quarante jours. I..:âme pouvait ainsi prétendre traverser
les sept palais qui correspondent aux sept cieux traditionnels.

1 O. Jacolliot Louis, Lt, spiritisme dttns le monde, l'initiation et les sciences


occultes d,ms l'Inde et chez tous les peupft>s de /'Antiquité, Éd. Slatkine, Genève,
1981, p. 186 et 187.
1 1. Oz Hami, Diverses initiations jirce à La trtiditùm maçonnique, in Alpina,
1986, p. 105.

34
APPROCHE LEXICOGRAPHIQUE DE LINITIATION

À chaque étape un sceau, ou lien, était brisé, et l'initié parvenait


à la septième station, celle de l'Adam Kadmon, de la lumière
de Gloire».
Si les voies ésotériques sont connues et clairement définies
pour le judaïsme avec la kabbale et pour l'islam avec le soufisme,
la question de l'ésotérisme chrétien est beaucoup plus complexe.
S'inscrivant dans le droit fil de René Guénon, Jean Reyor 12 a
écrit plusieurs études sur le sujet. Celles-ci prennent pour point
de départ certaines traces relevées dès l'origine même du christia­
nisme ainsi que plus tard, notamment en liaison avec les Tem­
pliers, Dante, Dürer, la Renaissance... Il affirme que
« la structure du christianisme, comporre bien un
domaine ésotérique à côté du domaine exotérique et que,
dans le christianisme comme ailleurs, les deux domaines sont
bien distincts, parfaitement délimités et ne comportent
aucune opposition de principe. »
L'hésychasme fait vraisemblablement partie de l'ésotérisme
chrétien. [I peut être défini comme « un système spirituel
d'orientation e�senriellemenr contemplative, qui place la perfec­
tion de l'homme dans l'union à Dieu par la prière ou l'oraison
perpétuelle. Mais ce qui le caractérise, c'est précisément l'affir­
mation de l'excellence, voire de la nécessité de l' hésychia, ou de la
quiétude au sens large pour atteindre à cette union.
Dans le grec profane, le mot hésychia, désigne « l'état de
calme, paix, repos, tranquillité, quiétude, qui résulte de la cessa­
tion des causes extérieures de trouble (bruits, affaires, guerres) ou
de l'absence cl'agitation intérieure dans une âme oü l'équilibre
hiérarchique des facultés est établi et maintenu 13 ».
Le soufisme, ésotérisme de la tradition islamique, a pour
objectif de conduire tout être à la délivrance, en lui donnant les
moyens de se détacher du monde physique et de toutes ses
attaches sensibles, par une transformation progressive, qui lui

12. Reyor Jean, op.cit.. p. 34.


13. Dictiormflire de Spiritualité, ascétique et mystique, romc VII, I "' parcie,
Paris, Éd. Bcauchesne, 1969, pp. 382 et 383.

35
I.ES INITIATIONS ET ÙNITIATION MAÇONNIQUE

permettra d'accéder à la fusion spirituelle avec le Principe. Pour


opérer cette mécanoïa, pour accéder à cet état de perfection, le
soufi doit suivre un itinéraire spirituel, dom la méthode propose
des variantes selon chaque voie. Lessentiel de cette méthode est
basé sur l'invocation, la méditation, la garde du cœur, la préser­
vation du lien avec le maître (ou scheikh).

johrmnes Sambucus, Emblem ara, 1566.

les Soujis uoiem dflns le corps, non seulement le terrain nourricier des passions,
mais aussi son aspect spirituellement positif,'
c'est-à-dire une image ou un résumé du cosmos.

« La constitution interne du soufisme, comporte toujours,


comme éléments indispensables, une doctrine, une initiation
et une méthode spirituelle. La doctrine est comme une préfi­
guration symbolique de la connaissance qu'il s'agit d'atceindre,

36
APPROCHE LEXICOGRAPHIQUE DE L'INITIATION

et elle est aussi, dans sa manifestation, un fruit de cette


connaissance 14 ».
Le Soufi ne cherche pas à vivre en dehors du monde, il
accepte sa destinée qui est de se réaliser ici et maintenant, dans
les circonstances oü il vie, s'il le faur « au milieu de la foule }>, il
s'efforce de développer ses qualités spirituelles en tant que« Fils
de l'instant ».
« Pour intuitive qu'elle soit, l'expérience soufie repose sur des
règles et des méthodes éprouvées . Loin de ressortir à quelque
"mystique naturelle", elle s'appuie sur une initiation. Sous la
direction d'un maître, l'aspirant suit un périple intérieur qui doit
l'amener à gravir l'échelle de la hiérarchie universelle de l'être 15• »
Le soufisme est une voie de connaissance et d'amour. Lamour
divin y occupe une place prépondérante. « Il est aussi des expres­
sions qui, sans relever de l'attitude amoureuse, évoquent cepen­
dant l'amour, parce qu'elles reflètent une beauté intérieure qui
est le sceau de !'Unité dans l'âme. C'est de cette Unité que
découlent la clarté ec le rythme, tandis que mute crispation men­
tale, mure vanité du discours contredisent la simplicité, et par­
tant la transparence de l'âme à l'égard de l'Esprit 16 • »
Le plus grand des maîtres soufis, Ibn 'Arabi, considérait que
l'amour occupe la station spirituelle suprême, ce qui lui faisait
dire:
« Mon cœur est devenu capable de mutes les formes,
c'est une retraite ec un pâturage pour les gazelles, un
monastère pour les moines chrétiens, un Temple pour les
idoles, une Kaaba pour les pèlerins. Mon cœur: c'est
les tables de la loi avec le livre du Coran. Je professe la reli­
gion de l'Amour en quelque direction que me conduise ma
monture, l'Amour reste ma religion et ma foi. »

14. Burckhardt Titus, Introduction aux doctrines ésotériques de f1sl11m, Éd.


Dcrvy, 1977, p. 21.
15. Geoffroy Éric, Initiation 111, soiifisme, Éd. Fayard, 2003, p. 19.
16. Burckhardt Ticus, op.rit., pp. 40 cc 41.

37
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

VI - Extension du mot initiation dans le sens actuel le plus


courant: commencer à apprendre quelque chose

Par extension, le mot initiation désigne acmellemenr l'action


de donner à quelqu'un les premières notions d'un art, d'une
science, d'un sport, etc. C'est ainsi par exemple qu'il est dit d'un
diplomate qu'il est << initié aux secrets de la politique». On peut
comprendre cette dérive sémantique puisque par essence et éty­
mologiquement, le mot « initiation » exprime le commence­
ment, le début d'un nouveau cycle, l'apprentissage d'un savoir
nouveau. Dans un long article, I' Encyclopedia Universalis précise
que l'emploi du terme « initiation » s'est généralisé aujourd'hui
pour signifier le fait d'informer, d'apprendre à un individu aussi
bien une science ou un arr qu'une profession.

Le terme initiation est l'un de ceux qui one été presque totale­
ment vidé de leur sens originel, c'est ainsi, qu'il est courant d'en­
tendre parler d'initiation à l'informatique, ou à l'astronomie, à la
philosophie, et même au golf ou à la planche à voile. Concer­
nant cette extension dégénérescente, on peut constater que des
milliers de sites sur Internet proposent un nombre exorbitant de
références traitant de prétendues initiations qui correspondent,
de fait, à l'apprentissage d'une matière ou d'une activité profane.

Julius Evola 17 remarque qu'il est aussi difficile aujourd'hui de


donner une idée exacte de ce qu'il faut entendre par initiation
que de définir ce qu'est un « initié ». Parmi les extensions falla­
cieuses de ce mot, certains sont allés jusqu'à se servir de l'univers
initiatique pour l'assimiler au monde des << mages » et des
« voyants>> .

17. EvolaJulius, op. cit., pp. 107 à 126.

38
Otto Vaenius, Emblemata Horatiana, 11
°
82, 1684.
Ne regrette point le temps passé

Sans te plaindre du temps qui coule comml' l'onde.


Use bien de celui que tu tiens en ta main.
Tu nàs qu'un jour à toi. Car peut-être demain,
L11 mort teforcent t't abandonner Il' monde.
Le sage qui utilement consomme le temps,
Ne voit jamais que sont passés les ans.
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

VII - Le bizutage : vestige des rites de passage

Le dictionnaire Hachette développe cette extension en par­


lant des cérémonies d'accueil des nouveaux étudiants par les
anciens dans une université, marquées par des jeux et des bri­
mades, ce qui rappelle la notion de rites de passage et d'initia­
tions tribales dont le bizutage est une des survivances lointaines.
Le bizutage provient d'une décision collective d'élèves de
seconde année des grandes écoles, pour soumettre et humilier
les nouveaux arrivants. Il est fréquemment présenté par ceux qui
le pratiquent comme une tradition d'intégration à un groupe.
En fait, sous couvert de cette justification, il s'agit souvent en
réalité d'une atteinte grave à la dignité de la personne humaine.
Les bizuteurs étant d'anciens bizutés, on peut s'inquiéter de la
mentalité des cadres en charge de la formation des élites de
la société qui accréditent ce passage de soumis à dominant.
Au Moyen Âge, l'usage de brimades graves existait chez les Stein­
metzen (tailleurs de pierre en Allemagne). Ainsi « quand un compa­
gnon ou un apprenti avait gâté une pièce, celle-ci était hissée sur un
brancard et portée en procession au rebut, et jetée parmi les
décombres. Le maladroit auteur du mal suivait en premier,
endeuillé, et tous ses camarades derrière lui. La cérémonie faite, le
cortège rentrait à la loge où le délinquant étaie vigoureusement
fouetté avec les fils à plomb. Un terme fut mis à ces brimades par
l'ordonnance de 1563 enjoignant« qu'à l'avenir, dans aucune loge
et pour quelque cause que ce soie, personne ne devait être battu
sans la connaissance et la permission du maître d'œuvre 18 ».

Bernard Defrance 1 9 constate que


<< dans le passé, effectivement tous les groupe humains

quels qu'ils soient, instituent des rituels par lesquels ceux qui ne

18. Heron Lepper John, les Sociétés secrètes de !'Antiquité à nos jours, Payot,
1933, p. 83.
19. Dcfrancc Bernard, À propos du bizutage, Entretien du 10 septembre
1991, publié dans la revue Panoramique, n° 6, 1992.

40
APPROCHE LEXICOGRAPHIQUE DE LINlTlATION

font pas encore partie du groupe devront passer pour y être


intégrés ...
Linitiation autorise et sacralise le passage à l'état adulte, l'éga­
lité avec les pairs - et les pères! - alors que le bizutage achève
l'infériorisation, consacre l'inscription dans les hiérarchies maf­
fieuses, implacables, contraint le « bizut » à entrer dans le jeu
prosticutionnel des << plans de carrière » et la jungle des rivalités
professionnelles et des ambitions... Le bizutage n'est plus du
cout destiné à faire prendre conscience au jeune de ses limites et
de ses pouvoirs dans le groupe ou plus largement dans la société
dans laquelle il entre, mais tout au contraire à lui faire définitive­
ment intérioriser sa propre impuissance. Le bizutage est autant
destructeur pour les acteurs que pour les victimes (ce sont les
mêmes, avec un an de décalage); c'est en quelque sorte le point
final de l'infantilisation à laquelle nous réduit le fonctionnement
ordinaire des institutions, et notamment !'École.
Dans les sociétés traditionnelles, il s'agit de« passages» ritualisés,
réglés par les adultes, alors que dans le bizutage, c'est cour le
contraire... Le carnaval du bizutage sert peut-être de conditionne­
ment pour faire accepter la suite comme une sorte de défouloir. Ce
qui expliquerait la complicité, implicite ou explicite, des administra­
tions et des enseignants:« pendant qu'ils s'amusent, ils ne songent pas
à remettre en cause les structures et les contenus de leurs formations. »
On observe que le bizutage qui est un vestige dévoyé des rites
de passage dans les sociétés traditionnelles, est le plus souvent
une forme de violence traumatisante pour celui qui l'a subie.
Cette pratique barbare du bizutage a pris une forme plus per­
verse à l'ère numérique. Cette coutume avilissante d'atteinte à la
dignité et à la liberté humaine est présentée comme facteur
d'agrégation au groupe sous forme de cyber-bizutage. Ces acres
d'humiliation, de violences comportent fréquemment des agres­
sions sexuelles dont sont victimes de nouveaux étudiants, et les
images de celles-ci circulent en toute impunité sur Internet.
À défaut d'avoir su conserver des rites de passage, le bizutage
est une forme de régression sociale qui ne permet pas aux jeunes
de progresser dans la connaissance d'eux-mêmes.
Otto Vaenius, Emblemata Horariana, n ° 46, 1684.

La vie cachée est la meilJeure


Cèss,· de te ron ger pour des desseins mnbitieux;
Foule aux pieds les grandeurs qu'en vain tu te proposes:
Ceux qui fuient lfl grandeur courtisane, ceux-là sont presque Dieu.
Qui n'ont besoin d'aucune chose.
CHAPITRE Il

L'initiation spirituelle

1- Le dépassement de la condition humaine

Serge Hutin 1, reprenant de nombreux auteurs, dont René


Guénon, définit l'initiation comme un processus destiné à réali­
ser psychologiquement chez l'individu, soie le passage d'un état
réputé inférieur de l'être à un état supérieur, soit la transforma­
tion de« profane» en « initié>>, et ce par une série d'actes sym­
boliques, d'épreuves morales ec physiques. Il s'agit de donner à
l'individu la sensation qu'il « meurt » pour « renaître» à une vie
nouvelle, comme par une seconde naissance.

Julius Evola2 considère que « l'initiation présuppose fonda­


mentalement que la condition humaine, avec les limites qui défi­
nissent l'individualité commune, puisse être dépassée. Ce
changement d'état permet à l'initié d'accéder à un plan olym­
pien, ayant acquis ainsi comme une seconde nature, contraire­
ment au surhomme, qui appartient au plan prométhéen. Ce
dernier reste le même, mais cherche, par prévarication, à acquérir
une dignité et des pouvoirs supérieurs )>.

:Cethnologue Jean Servier 1 pense que « l'initiation ouvre à


l'homme les horizons intérieurs de ses possibles métamorphoses ».

1. Hurin Serge, Les Sociétés secrètes, Puf, Que sais-je? 11 515, 197 3, pp. 5 à 15.
°

2. Evola Julius, L'arc et fa massue, Paris, Éd. li·édaniel, 1984, pp. 107 à 127.
3. Servier Jean, L'homme et l'invisible, Paris, Robert Laffonc, 1964, pp. 98 cr 105.

43
LES INITIATIONS ET l'.INIT!ATION MAÇONNIQUE

Il constate que l'homme ne se contente pas de naître et de


mourir:« Celui-ci cherche l'approche de l'invisible au plus près,
tout au long de son existence terrestre. Dans toutes les civilisa­
tions, d'un bout à l'autre de l'humanité, les rites d'initiation sont
considérés bien souvent plus importants que les rires de nais­
sance, aussi lourds de significations que les rites de la more qu'ils
préparent».

L'« initiation », en premier lieu, prépare et ouvre au candidat


l'accès à une connaissance. Toutes les initiations en effet culmi­
nent au moment particulier oü le néophyte reçoit la révélation
d'une science sacrée, la clé de tous les symboles employés dans la
société, le sens de sa présence sur terre.
Par la connaissance, l'initié est mis en présence de l':Ëtre, de
!'Essence, entité d'une continuité homogène, invisible mais pré­
sence à travers les modalités de la création. II saie voir l'objet non
pas comme une chose en face de lui, séparée des autres, mais
comme doué d'une certaine autonomie dans un cadre pourtant
fixé, comme un acteur jouant une pièce qui peut ajouter des jeux
de scène ou même des répliques pourvu qu'il s'applique à rendre
de son mieux la pensée de l'auteur. On l'a compris, l'initiation
procure, entre autres, une vision globale du monde.
Depuis les origines de l'humanité, des sociétés et des civilisa­
tions, on trouve trace de nombreuses initiations motivées par la
volonté d'hommes et de fommes désireux de mieux comprendre
leur présence en ce monde, de trouver leur raison d'être. Il s'agit
de trouver une réponse à leurs conditions existentielles, ce qui
correspond à cette quête de sens de tour être qui cherche sa place
encre le relatif er l'Absolu.

Certains, comme Christian Pozzo di Borgo4 , doutent que la


dimension initiatique fasse partie de l'essence maçonnique. Il en
doute, car pour lui, la franc-maçonnerie est avant tour fondée

4. Pon.o di Borgo Christian, Initiation et connaissance de soi, Actes du col­


loque du G.0.0.F., 1995, pp. 39 à 46.

44
llNITIATION SPIRITUELLE

sur une volonté de sociabilité, un rêve fou d'union, un désir de


vaincre la violence et le chaos.

Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile, 1546.


f
Le moti des trois portes est un lieu commun llilégorique de lr1 Renaissanœ.
Cïu>ix entre la vie contemplative et l.tt 11ie active et voluptueuse,
figuré par le jugement de Pâris.

45
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

Par contre, René Guénon5 considère que l'initiation concerne


bien l'individualité humaine, mais dans le développement inté­
gral de ses possibilités, donc, au-delà de la modalité corporelle
dont l'activité s'exerce dans le domaine qui est commun à tous
les hommes.

Il - Le passage du profane au sacré

I..:initiation fait apparaître la notion de sacré, de connaissance


du sacré que l'on retrouve dans toutes les traditions. En péné­
trant dans le sacré, l'homme archaïque accédait à la signification
secrète des choses, assurant ainsi sa puissance sur elles.
On peut se demander ce qu'est le sacré. N'est-il pas nécessai­
rement du domaine du secret? Ce à quoi Mircea Eliadé
répond : « le sacré est radicalement opposé aux profanes par les
rites, les sacrements, l'enseignement des mythes. Si le sacré n'est
pas accessible à cour le monde, c'est par un secret qu'il peut et
doit faire partager à certains, ce qu'il se transmet. Remarquons
d'ailleurs, que dans les faits, avant toute initiation, le profane
doit être purifié de quelque manière, et que cette purification
fait déjà partie du sacré. La ligne de parcage encre profane ec
sacré est plus subtile qu'on ne le croit généralement. »

Une synthèse de la question nationale (posée en 1992 à la


Grande Loge Féminine de France) ayant pour sujet: « l'Inicia­
cion, quelle responsabilité vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis des
autres », souligne le caractère polysémique du mot « initiation »
qui peut être à la fois :
la cérémonie de réception à l'initiation
- le cheminement initiatique de l'individu

5. Guénon René, Aperçus sur l'initiation, Paris, Éd. Traditionnelles, 1973,


pp. 24 à 34.
6. Eliade Mircea, Initiation et monde moderne, in Villard de Honnecourr
n ° 1 (2< série), 1980, p. 27.

46
1:tNlTlATION SPIRITUELLE

le respect d'un mode de conduire


l'observance des lois d'une rradicion (maçonnique ou autre)
le terme initiation peut être défini en termes de passage, de
rires de passage d'un monde à un autre.

Jean Servier7 pense que le sacré peut être créé par l'homme
alors que l'invisible s'empare de lui.

Ill - La voie des ancêtres

Dans les sociétés dites primitives, il existerait deux degrés


d'initiation :
1) une initiation commune à tous les membres de la tribu,
appelée rite de passage, qui marque la mutation brusque
de l'enfance à l'état adulte.
2) une initiation liée à d'authentiques sociétés secrètes, de
sorciers, de féticheurs, qui possèdent un système de signes
secrets de reconnaissance, une mythologie particulière et
des cérémonies distinctes.

André Doré8 précise que


<< l'initiation engage sur deux voies divergentes: la première est

celle des ancêtres. Elle relève d'une ascèse rigoureuse comportant


réclusion souterraine et mort initiatique. Cette ascension spirituelle
symbolise les niveaux de conscience successifs nécessaires pour
aboutir à la transe extatique, la voie des chamanes. La deuxième
repose essentiellement sur les mythes: descente aux enfers, puis
accès au sacré par l'ascension d'une montagne sacralisée».

7. Servier Jean, op. cit., 1964, p. 98.


8. Doré André, Vérités et légendes de l'histoire nwçonnique, Paris, Edima(
1991, p. 23.

47
LES INITIATIONS ET. L'INITIATION MAÇONNIQUE

ll fault 1tller,011 Dieu nous appelle.

André Alciat, Emblèmes, Lyon, Macé Bonhomme, 1549.

tri tout acte, iljitttt prendre la Providenœ pour guide.

IV-La voie évolutive

Jean-Pierre Bayard9 rappelle que selon les livres sacrés de


toutes les religions, l'homme est initié dès son origine. Adam, en
communication avec Dieu, participe de son esprit, de sa recon­
naissance, et, à ses enfants, il parle du paradis perdu. Mais il ne
peut en transmettre qu'un reflet, car sa parole ne saurait révéler
tout ce qu'était cet état initial; ses enfants transmettront de plus
en plus difficilement ce message; au fil des générations les

9. Bayard Jean-Pierre, S11cres et couronnanents royaux, Éd. Trédaniel, 1984,


p. 24.

48
t!tNITIATION SPIRITUEi.LE

paroles deviendront vides de sens. Ainsi, d'après la tradition des


livres sacrés, l'humanité rayonne à partir d'un foyer primordial
unique, l'ancêtre, l'être universel. La connaissance diverge à
partir de ce point initial; elle s'altère au cours du temps; l'initia­
tion tente de faire retrouver cette source où la compréhension
était alors rotale.
Il semble bien que, depuis des temps immémoriaux, des cou­
rants initiatiques ainsi que des enseignements ésotériques se sont
transmis encre les hommes; c'est pourquoi on peut considérer
qu'une étroite relation existe entre l'initiation et l'évolution de
l'humanité. Évolution constructive ou dégénérescence? Il semble
qu'à notre stade de conscience ce soit la gestion du libre arbitre
de chacun qui oriente cette évolution.

V - L'éveil de la conscience

En se référant à son étymologie, le mot initiation, qui veut


dire commencement, se présence comme le passage d'un état
« profane» de torpeur à un état« de veille », à partir duquel l'ini­
tié accède à un éveil de la conscience qui progressivement
s'éclaire. Cela correspond à une nouvelle naissance, à la vie de
l'esprit.
L'initiation est donc l'éveil de l'homme à la conscience,
d'abord de son identité propre, et ensuite de la place qu'il occupe
dans le cosmos. Et cela parce que, même devenu prisonnier de la
matière, il reste au fond de l'être l'étincelle lumineuse de l'esprit.
Par l'effet d'une chute dans la matière, l'homme se trouve
placé encre l'être et le non-être, encre !'Unité et la multiplicité,
encre la Lumière et les ténèbres. Soit il occulte la Lumière, soit il
s'en fait un serviteur conscient.

49
LES INITIATIONS ET L:INITIATION MAÇONNIQUE

Daniel Cramer, Em blemata Sacra, 161 7.


Cet emblèm<', une croix d11r1s un cercle, pmt symbolisa
l'homme qui se redresse, prenttnt conscience que le chaos ,tpparent s'ordonne
autour de lui dans les quatre directions de l'espace dont il est le centre,
et l'axe autour desquels le rouleau de parchemin de sa vie
s'écrit t't s'ejfàce au fil desjours.

Paul Naudon 10 définit l'initiation comme étant l'accession de


la conscience au plan des vérités primordiales, de la connaissance
de l'Absolu, par voie immédiate et suprarationnelle, grâce à une
ascèse transmise par filiation traditionnelle.
Linitiation, par l'effet de déclencheur qu'elle génère, peut être
comparée, à un niveau individuel, au « Fiat Lux » de la Genèse.

1. Naudon Paul, Lll j,,mc-mttçonnerÙ! chrétù:nne, Paris, lJcrvy, 1970, pp. 13 à


15.

50
LINITIATION SPIRJTUELLE

André Doré 11 définit l'initiation comme une transm1ss10n


de pouvoir qui engage celui qui le reçoit dans un processus
évolutif destiné à acquérir des états de conscience successifs de
plus en plus subtils devant le conduire à la Connaissance, voire
à l'Illumination.

Plus pragmatique, René De Vrieze 1 2 rappelle des paroles


convergentes d'un philosophe, d'un poète et d'un politicien:
Marx, Rimbaud et Che Guevara, qui par leur approche spéci­
fique retrouvent les grands thèmes de l'initiation spirituelle:
« Changer le monde », disait Marx, « Changer de vie », disait
Rimbaud,« Changer l'homme>>, disait Che Guevara.
Enfin Claude Guerillot 13 pense que les cérémonies d'introni­
sation dans les voies initiatiques ne confèrent rien en elles­
mêmes, elles «éveillent». Elles suggèrent de nouveaux horizons,
de nouvelles interrogations, de nouvelles méditations, de nou­
veaux devoirs. C'est parce qu'elles ne sont pas à considérer
comme des « rites de passage » ou des <( sacrements » que bien
des hommes et des femmes, après les avoir subies, n'en ont retiré
aucun bénéfice, parce qu'ils n'avaient pas compris que tout le
travail restait à faire.

VI - Contes et légendes, moyens de transmission de la quête


initiatique

Le récit des contes et légendes est un important moteur de


l'imaginaire. Selon Jean Rousset 14 . « entrer dans une œuvre, c'est

11. Doré André, Petit lexique maçonnique, Paris, Edimaf, 1986, p. 54.
12. De Vrieze René, le sens du sacré d,ms l<�s initiations in Les Cahiers du
Pélican, 1991, n° 24, p. 12.
13. Guérilloc Claude, De la porte basse à la porte étroite: une approche de l'ini­
tiation, Paris, Dervy, 1998, pp. 15 à 17.
14. Rousset Jean, Forme et signific,uion. Essai sur les structures littémirtts de
Corneille à Claudel, Paris, Corci, 1962, Il et III de l'introduction.

51
LCS INITIATIONS ET LINITIATION MA�:ONNIQUE

changer d'univers, c'est ouvrir un horizon. L'œuvre véritable se


donne à la fois comme révélation d'un seuil infranchissable
et comme pont jeté sur ce seuil interdit. Un monde clos se
construit devant moi, mais une porte s'ouvre., qui fait partie de la
construction. Lœuvre est tour ensemble une fermeture et un
accès, un secret er la clé de son secret. Mais l'expérience première
demeure celle du "Nouveau monde" et de "l'écart"; qu'elle soit
récente ou classique, l'œuvre impose l'avènement d'un ordre en
rupture avec l'état existant, l'affirmation d'un règne qui obéit à
ses lois et à sa logique propre. »
Les contes de fées er les légendes s'inscrivent dans l'intemporel
par la formule « il était une fois » où il n'est jamais précisé une
époque déterminée, si ce n'est il y a très longtemps, en remon­
tant à des temps immémoriaux. Ils relatent une quête, la
recherche de l'tmiré, du bonheur, d'une délivrance qui s'opère

Claude Paradin, Les devises héroïques, 1557.

Pour parvenir à quelque Ji!licité,


Le chemin est difficile et mal aisé.

52
1:INITIATION SPIRITUELLE

après que le héros ait triomphé de multiples épreuves qui lui per­
mettent de trouver sa vérité et d'affirmer ses vertus. Il sore victo­
rieux de coures ses épreuves initiatiques grâce à la mise en
pratique de celles-ci. Il peut être question de la recherche d'un
objet caché, d'une fiancée disparue ou de la recherche d'un pays
inconnu. Il se révèle que la noblesse du cœur, le courage et la
détermination, les sentiments élevés, notamment de compassion,
sont les éléments indispensables pour mener couce quête à son
terme. Le héros doit toujours accomplir une série de travaux
souvent surhumains, mener à bien des tâches réputées impos­
sibles, ou réaliser des exploits périlleux pour lesquels il reçoit le
plus souvent un objet magique, un outil, une arme ou un talis­
man qui lui permettent de triompher des épreuves. Grâce à ces
appuis surnaturels, il réussit à les surmonter toutes et à parvenir
au terme de son voyage qui en retrace le processus initiatique.

Mais qu'est-ce que la Vie Initiatique? demande Amélie


Gedalge 15 •
« En quoi diffère-c-elle de notre ordinaire mode de vie, où nous
nous consacrons à des tâches habituelles ? Cette vie a de grands
rapports avec la vie intérieure, avec le jardin secret, qui pour
quelques humains est le bien le plus précieux; démarche solitaire,
perfectible qui tend vers une forme d'existence ayant seule une
réelle valeur; la seule capable de transformer, de "transmuter" nos
sensations, nos pensées, de les purifier, de les affirmer, nous
conduisant vers un bien exceptionnel : la liberté. Elle nous permet
de nous sentir riche de trésors incalculables, inaliénables et
d'apprécier la Nature dans sa beauté et l'Univers dans sa bonté. La
vie initiatique serait la réussite de la vie intérieure.
Cette conquête ne va pas sans difficultés. Il faut lutter, par ois
f

jusqu'à la limite de ses forces. Le prix à payer est d'autant plus


grand que l'objet désiré est plus précieux. Il ne faut pas s'étonner
si la possession que confère la réelle initiation coûte fort cher à

15. Gedalgc Amélie, Des contes de jèes a l'opéra: une voie royale. Dervy, 2003,
pp. 84 ec 85.

53
LES INITIATIONS F:r L'INITIATION MAÇONNIQUE

celui qui l'a acquise par des efforts constants. Étant plus pré­
cieuse que toutes choses, cette "fin", cette limite de l'évolution
humaine doit évidemment recevoir son juste prix.
La vie initiatique c'est une longue, patiente et persévérance
suite d'efforts, souvent si peu comprise dans sa dure réalité.
Drame sacré, passion, c'est le vécu du récipiendaire; c'est sa
rencontre des "sept et douze tortures". Il est à la fois le conqué­
rant, le conquis et le champ du combat. Ainsi dans l'épopée
Mahâbhârata, et spécialement dans la Bhagavad-Gîca (le cpanc
du bienheureux) sont dépeintes, sous formes de combats, de
luttes de l'âme humaine, ses souffrances, ses triomphes. Le réci­
piendaire est le héros tueur de monstres, et le monstre rué par le
héros; c'est en lui que se situent la caverne et l'enfer; aussi
le jardin d'Éden et le paradis. »

Luc Benoist 16 observe qu' « au lieu d'avoir à rechercher un


trésor ou une fiancée, il arrive que le héros doive ou ait à se
retrouver lui-même, lorsqu'il a subi une métamorphose ani­
male, et la transformation n'en est là que plus parlante. Ou
bien, il a seulement perdu une partie de son corps ou une
faculcé spéciale, généralement la voix, la vue, l'incelligence, la
jeunesse, la beauté. Mieux encore, il est parfois en quête de son
cœur ou de sa lumière.
Le héros n'est jamais abandonné à ses seules forces et il jouit
d'une aide surnaturelle, soit qu'il reçoive le secours de person­
nages puissants ou de génies représentant une influence spiri­
tuelle. Cette influence est quelquefois attachée à un objet
magique, eau de Jouvence, eau de vie ou de mort, qui représente
la boisson d'lmmorcalité.
Il est souvent question dans les contes d'un « langage des
oiseaux » donc la connaissance révèle au héros les choses cachées.
Ce langage esc proprement la langue poétique, unifiante et paci­
fianre, celle des dieux et des anges. Comprendre la langue
des oiseaux signifie connaître les secrets de la nature révélés par

16. Benoist Luc, l'É'sotérisme, Paris, Puf, Que sais-je n° 1031, pp. 21 à 25.

54
l!NITIATION SPIRITUELLE

elle-même. Sigurd après avoir vaincu le dragon, c'est-à-dire les


forces inférieures, comprend le langage des oiseaux ».

Jean Servier 17 de son côté remarque qu'au travers des grands


thèmes mythiques, nous reconnaissons sans peine les vestiges de
nos propres traditions. Dans la .fillette apeurée, séquestrée au
fond de la jungle, nous devons savoir reconnaître le visage de
nos princesses captives, enfermées dans des tours inaccessibles
par d'impitoyables marâtres et condamnées à tisser des orties ou
à faire de la dentelle avec des toiles d'araignées : c'est-à-dire ini­
tiées au tissage et à la procréation. L'interdit de voir le soleil est
représenté chez nous par Barbe-Bleue ordonnanr à voix ronnanre
de ne point ouvrir la petite porte. Cette petite porte, celle de
toutes les initiations, par où filtre un clair rayon de soleil ; près
d'elle, d'un bout à l'autre du monde, soupirem des jeunes filles
de coures couleurs ayant appris ce que signifie le sang qui a taché
la clé volée. Toutes ont des visages de princesses lointaines atten­
dant l'heure d'être inexorablement délivrées par des princes char­
manrs, c'est-à-dire initiées à la vie sociale: mariées.

Bernard Roger 18, faisane une analyse alchimique des contes et


légendes remarque: Celui qui désire passer des travaux du « pre­
mier œuvre » à ceux du« second œuvre » doit traverser ce rideau
de feu, en cout point semblable à la porte d'un temple jusqu'où
s'étend le parvis et derrière laquelle commence le domaine rituel
de la pratique sacrée. En deçà de la porte, le temps est fuite per­
pétuelle d'un présent insaisissable entre ce qui n'est plus et ce qui
ne sera que pour disparaître en apparaissant. Au-delà de la porte
est le rythme de l'harmonie encre le« ciel» et la« terre ».

17. Servier Jean, op. cit., p. 1 12.


18. Roger Bernard, À fil découverte de l'alchimie, [:cl. Danglcs, 1988, pp. 92
ec 93.

55
LES INITIATIONS ET 1:INITIATION MAÇONNIQUE

VII - Transmission et conditions de l'initiation

Dans coures les traditions, l'initiation est conférée par un maître


reconnu comme quaJifié, sorte de père spirituel appelé « gourou »
chez les Hindous, « géron » chez les orthodoxes, et « sheikh » chez
les musulmans. Le processus de l'initiation est essentiellement
actif, car c'est à l'individu qu'appartient l'initiative de se réaliser
pleinement selon la méthode qui lui est proposée, et qui consiste
en des rites comportant des gestes symboliques accomplis par l'ini­
tiateur agissant en tant qu'anneau d'une chaîne de transmission 19•

Michel Viot20 considère que « parce qu'il est un homme de


tradition, un maçon sait qu'il doit remonter à ses sources pour
retrouver force et vigueur. Il saie aussi qu'une nation et même un
groupe de nations n'échappent pas non plus à cette règle. Er
comme, en outre, nos rires, ainsi que nos symboles, sont d'origine
judéo-chrétienne, nous savons fort bien que nous aurions de plus
en plus de mal à les pratiquer et à les transmettre dans des pays
donc la civilisation se couperait de plus en plus de ces traditions-là.
C'est, hélas! ce que nous vivons et ce à quoi notre initiation nous
rends peut-être plus attenrifa que d'autres. Rendus par elle particu­
lièrement conscients face à la crise de civilisation que nous traver­
sons, nous nous considérons comme mobilisés et nous savons et
nous sentons que notre action est utile, là où se situe notre espace
spirituel, culturel, politique et professionnel. »

Linitiation se caractérise essentiellement comme étant une


transmission; celle-ci pouvant avoir deux facteurs différents:

1) transmission d'une influence spirituelle.


Linitiation n'est pas seulement la transmission d'une
influence spirituelle mais aussi l'action qu'opère cette influence

19. Benoisr Luc, op. ât.. pp. 2 l à 26.


20. Vior Michel, L'initiation maçonnique, conférence prononcée le 26 fevricr
1983 à la GLDE

56
LINITIATION SPIRITUELLE

spirituelle sur celui qui la reçoit. Elle permet à une personne


qualifiée qui a, à l'état lacent, des possibilités de réalisation dans
cette voie, de les manifester grâce à la seconde naissance provo­
quée par la réception dans une confrérie initiatique

2) transmission d'un enseignement traditionnel.


La transmission de l'enseignement traditionnel (en franc­
maçonnerie par exemple) est liée à l'approfondissement et à la
compréhension des rites et des symboles. Tour symbole fait appel
au langage analogique, témoignage visible de l'invisible ; il est
un signe concret perçu, visible et compréhensible, qui évoque ce
qui ne l'est pas. De la sorte, il permet de situer tout être dans sa
dimension métaphysique.

« Cidée d'initiation et l'idée du symbolisme sont complémen­


taires en ce sens que le symbole veut suggérer ce qui ne peut être
positivement représenté, qu'il est l'image visible de l'invisible,
donc postule une certaine réalité de l'invisible. Quant à l'initia­
tion, elle est justement ce mouvement de l'âme cout entière qui
doit l'amener à reconnaître la réalité de l'invisible, de ce qui est
informulé parce qu'informulable mais qui cependant est21 • »

La transmission se fait de maître à disciple, et en franc­


maçonnerie de maître à apprenti et compagnon. Celle-ci est plei­
nement efficace lorsqu'elle est faite à quelqu'un de réceptif à la
Règle de la Voie et donc la conscience est apte à l'éveil. La trans­
mission est celle des rites, des symboles et des outils. La compré­
hension de cette transmission par celui qui la reçoit le rend à son
cour capable de transmettre à d'autres. Toute transmission réus­
sie est liée à crois qualités du maître: éveil de sa conscience à la
Lumière, réalisation par un travail personnel, clarté des éléments
de transmission de la Tradition.

2 I. Torr-Nouguès Henri, le temple mttçonnique symbolisme et initiation,


conférence du I 6 mars 1985, p. l 1.

57
LES lNITli\TlONS ET 1:tNITIAT!ON MAÇONNIQUE

Paul Naudon22 considère que « la haute prétention de la


franc-maçonnerie, comme de toutes les initiations, à atteindre
l'Absolu se justifie par l'appel à la Tradition, dom les symboles
constituent la clef ec le mode de transmission ».
li remarque qu'en effet, le terme Tradition revêt deux sens dif­
férents. Il désigne d'une part la source de la Connaissance et
d'autre part son mode de transmission. La première est
immuable et absolue. La seconde est le résultat syncrétique de la
quête mulcimillénaire vers la Connaissance des différentes parties
de l'humanité et de ses civilisations successives. Elle ne peut
donc subir d'altération, mais elle peur sans cesse s'adapter pour
se faire entendre selon les temps et les milieux et s'accroître de
sédiments nouveaux. C'est en ce sens aussi - en plus de la valeur
méthodologique de l'initiation - que la franc-maçonnerie est
vraiment évolutive et progressive.

Françoise des Ligneris23 fair mention d'une forme coure parti-


culière d'initiation :

« Celle qui a lieu dans le plus incime de l'être, sans le point


d'appui d'aucun homme, d'aucun rite, d'aucun livre. Une
sorte de fulgurance envahit en un instant la zone ténébreuse
d'un homme, celle où se perpétue la chute. Cette expérience
rare est une conversion ou métanoïa [ ...] Lhiscoi re des
saines est jalonnée de récits de ce genre où l'homme
connaît instantanément la deuxième naissance. »

22. Naudon Paul, l'humanisme rrutçormique, Dcrvy, 1963, pp. 71 et 72.


23. Des Ligncris Françoise, L'initiation, in Renaissance traditionnelle, n° 36,
p. 273.

58
!.'INITIATION SPIRITUELLE

Johamus S11mbucus, Emblcmara, 1 566.


Le cœur est maintenu par le ciel et /11 terre
Dont Le nœud consentant jamais ne se dessetre.
Ainsi en est-il de l'flmitié
Conduite ptlr un sentiment de.fraternité.

Dans le même esprit, Marie-Madeleine Oavy2/4 considère que


« l'initiation peut, en dehors de toure transmission d'une société
initiatique, résulter simplement d'un approfondissement de
l'intériorité, d'une descente dans le mystère du dedans qui
s'effeccue par grâce.
Ainsi le roman « Noble voyageur)) est pourvu d'une dimen­
sion cosmique telle qu'il répand sans distinction son amour sur
coutes les créacures. « Éternel voyageur, il ne cesse de parcourir
l'immensité du dedans. »

24. Davy Marie-Madeleine, L'homme intéril'ttr l't ses métmnorphos,is, Paris,


Éd. Epi, 1983, p. 36.

59
LES INITlAT!ONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

VIII - Initiation et religion

Il ne faut pas confondre religion et initiation, Françoise des


Ligneris25 s'interroge :
« L'initié qui appartient à une confrérie noblement et
régulièrement constituée, peur-il se passer d'une religion?»
et elle observe que: « coutes deux peuvent coïncider chez le
même homme. Mais il existe des initiés qui ne pratiquent
aucune religion et bien des hommes qui pratiquent une
religion ne sont pas des initiés... Tomes les grandes reli­
gions ont une histoire extérieure, l'une apparente, l'autre
cachée. La lettre est là pour servir de support au symbole.
L'exotérisme, c'est la lettre, la loi, la scholastique. Réduite à
elle-même, la lettre « confond la luminosité et la lumière». L'éso­
térisme prend appui sur le symbole. Le penseur ésotérique met
l'accent sur l'église intérieure: c'est l'union des hommes de désir
pratiquant la tolérance, c'est l'attente de l'église invisible. C'est la
reconnaissance de l'étincelle de connaissance spiriruelle et de la
Révélation qui a un caractère perpétuellement inachevé, [ ...]
Cesprit du Christ est cout entier dans l'Évangile. Mais lui­
même nous a prévenus qu'il y avait un voile à déchirer, si nous
voulons que la vérité nous apparaisse.
C'est à l'oubli de ce divin précepte que les docteurs de la loi
ont dû de n'entendre guère mieux l'Évangile du Christ qu'ils
n'ont compris les Prophéties- d'Isaïe ou d'Ézéchiel ou celles
de !'Apocalypse. Ils ont pris, et souvent prennent encore les
textes sacrés au pied de la lettre morte. S'attachant au récit lit­
téral, l'interprète oublie d'en dégager le sens latent vivant et
intemporel ».

25. Des Ligneris Françoise, op. cit. pp. 272 à 275.

GO
Otto Vaenius, Emblemara Horariana, 11 ° 79, 1684.
Philosopher, c'est apprendre à mourir
Ce qui n'est pas en ta puissance,
Ne doit point troubler ton repos.
Ne paie d'un vain espoir ton âme ttmbitieuse,
Ne soumets ton courage à la servile peu,;
Ainsi d'une égale main prend le blâme et l'honneur,
De vivre ainsi toujours,
Comme si chaque jour,
Llternel peut muper lefil de ta vie.
C'est la vmie philosophie.
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

Selon Julius Evola26 :


« il y a en effet des religions qui possèdent une initiation, et
du point de vue de l'histoire des religions, le fait est que cer­
taines religions se sont développées à partir d'un moyen originel
initiatique er ont connu un processus de vulgarisation, d'affadis­
sement et d'extériorisation des pratiques et des enseignements
originels. À cet égard, un exemple caractéristique nous est fourni
par le bouddhisme: il existe un véritable abîme encre ce que l'on
peur appeler la pure « doctrine de !'Éveil », la pratique du
bouddhisme des origines, d'une part, et le bouddhisme reli­
gieux qui s'est répandu par la suite, de l'autre. Mais on peut
admettre que dans un système traditionnel complet, religion et
initiation sont deux degrés ordonnés hiérarchiquement, dont le
rapport s'est exprimé dans le domaine doctrinal par l'exoté­
risme et l'ésotérisme, la simple foi et la gnose, la dévotion et la
réalisation spirituelle, le plan des dogmes et des mythes et le
plan métaphysique ».

Sur un plan traditionnel, on distingue avant tom, le monde


de la religion du monde de l'initiation. Si quelques religions pos­
sèdent une initiation (voie intérieure: ésotérisme), cette concep­
tion dérive des croyances d'origine sémitique, c'est-à-dire du
judaïsme, du christianisme et de l'islam. Ces courants initia­
tiques détachés de l'orthodoxie religieuse, comme la kabbale
pour le judaïsme et le soufisme pour l'islam, font complètement
défaut dans le catholicisme oü l'on trouve une simple mystique à
la place de l'expérience initiatique.

René Guénon27 précise que: « La religion (ou exotérisme)


considère l'être uniquement dans l'état individuel humain et ne
vise aucunement à l'en faire sortir, mais au contraire à lui assurer
les conditions les plus favorables dans cet état même, tandis que
l'initiation a essentiellement pour but de dépasser les possibilités

26. Evola Julius, op. ât., pp. 1 10 cr 1 11.


27. Guénon René, op. cit., p. 27.

62
LINITIATION SPIRITUELI.F.

de cet état er de rendre effectivement possible le passage aux états


supérieurs, et mêmes, finalement de conduire l'être au-delà de
roue état conditionné quel qu'il soit. Si l'initiation s'adresse à une
élite, la religion s'adresse à tous. »

Contrairement à René Guénon, Claude Guérillot28 ne pense


pas que les voies religieuse et initiatique s'excluent mucuelle­
menc, mais qu'il est tout à fait possible à celui qui professe une
foi religieuse de suivre aussi la voie initiatique, bien qu'il ne soit
nullement nécessaire qu'un initié soie d'abord un croyant.

28. Guérillot Claude, op. cit., p. 260.


Gilles Corrozet, Hecacomgraphie, 1540.
Cheure incertaine de la mort

Sur Le cadran où n'esr tracé aucun signe


l'aiguille tourne et ne se fixe pas lt demeure.
Pottr mourir, aurnn jour elle n'assigne.
De la mort est incerMine l'lm,re.
l'homme ne sait pas
L'heure et le jour de son mortel trépas
Où, de son corps, Les vers jèront repas.
La mort est certaine,
Mais l'heure de mourir est bien incertaine,
En une région proche ou bien lointaine.
Aussi il convient
D'êtr1· bim prêt quand le MaÎlrt' revient
Du grand banquet: de nous il se souvient.
vous ne savez.
Dit-il. le jour où vous devez mourir.
Soyez soigneux, et cessez de dormit;
Car vous serez
Surpris alors que point nj, penserez
Et le dur seuil de La mort passerez.
CHAPITRE Ill

Similitudes et constantes entre les diverses


initiations en tant que rite de passage

1- Pérennité et continuité de l'initiation

L'initiation existe depuis les origines du monde sous des


formes diverses. Ainsi la trouvait-on en Egypte, en Grèce et chez
les Celtes, pour rester en Occident. Elle s'est maintenue aujour­
d'hui dans certaines régions du globe, notamment en Afrique et
d'une manière générale, chez les peuples qui one gardé un
contact étroit avec le sacré et les forces de la nature.

René De Vrieze 1 a étudié longuement les rites d'une ethnie


d'Afrique noire, les Senoufos, ce qui l'a amené à constater des
similitudes stupéfiantes entre le Poro (nom de l'initiateur dans
cerce ethnie), l'initiation aux mystères d'Eleusis, et l'initiation
maçonnique. [initiation poro révèle à l'homme qui vient de
naître le sens de l'univers et sa participation à celui-ci. Assumant
sa place et sa tâche dans la collecciviré, il participe dès lors à la
création continue de l'univers en prolongeant l'œuvre du Grand
Ancêtre mythique et des ancêtres réels. La finalité cosmique de
l'initié poro est de refaire le monde.

l. De Vriezc René, Le sens du stlcré dtlns les initiations in Les Cahiers du Péli­
can, 1991, n ° 24, pp. 9 à 1 1.

65
LES IN!TlATlüNS ET 1:1N!Tll\TlüN MAÇONNIQUE

Prince Burunda 2 constate que « ce que le Tibet est à l'Asie, le


Gabon l'est à l'Afrique, c'est-à-dire qu'il en est le centre spirituel
d'initiation religieuse. La doctrine secrète de l'Afrique Équato­
riale revêt deux aspects, selon qu'elle est destinée aux hommes ou
aux femmes, pour les hommes, elle est appelée « Bouicy », cr
« Nyemba » pour les femmes. La différence de ces deux enseigne­
ments réside surtout dans la forme, mais leur but est le même.
Le Bouiry, initiation des hommes, comporte quarre stades
successifs et progressifs d'initiation: Admission, Théorie, Exer­
cice et Pratique, ainsi que trois grades principaux: bandsi (néo­
phyte), Nima (initié), Nima Na Kombo (adepte).
Cerre initiation (ou Bouicy) exige du néophyte la connais­
sance parfaire de soi-même ; sans ignorer la difficulté que chacun

André Alcitu, Emblèmes, Lyon, 1558, p. 175.


L 'omnger porte des pommes de couleur d'o,� de saveur intérieure austère
mais avec de la douceur, et d'écorce amère.

2. Prince Buruncla, l'inititrtion afrirnine, Les Éclirions du Prieuré, 1995,


pp. 27 à 34.

66
SIMILITUDES ET CONSTANTES ENTRE LES DIVERSES INITIATIONS

_peut éprouver à l'analyse profonde de la connaissance de soi.


Elle apporte une méthode et des principes capables de confé­
rer cette connaissance, de celle sorte qu'il ne reste plus qu'à la
développer dans les proportions dont chacun est personnelle­
ment capable.
Le Bouiry compare l'homme, comme coures les autres créa­
tures, à un arbre, l'oranger par exemple. Il die que !'infiniment
petit est l'expression de !'infiniment grand. En effet, si nous pre­
nons l'exemple de l'oranger, nous verrons d'abord que la sève est
l'origine, la cause première de l'oranger; l'arbre lui-même n'est
que la somme des propriétés de la sève; chaque partie de l'arbre
n'étant qu'une manifestation de la sève, ne peut être autre chose
que cette sève elle-même.
Prenons seulement une graine et comparons cette semence
minuscule à l'arbre toue entier, dans cous ses aspects: nous ver­
rons que la graine contient, en puissance, cous les aspects, coutes
les parties de l'arbre. Elle est !'infiniment petit ; l'oranger est
!'infiniment grand.
De même ·que la graine peut reproduire l'oranger, car elle
contient, en puissance, roue l'oranger en potentiel de l'être, chaque
entité de l'Univers porte en elle la reproduction de celui-ci.
Cerces toutes les graines ne réussissent pas à reproduire
l'arbre. Il s'en faut.
Le Bouiry rient compte de cet état de choses; son rôle est jus­
tement d'aider les graines à reproduire l'arbre et, avant roue, de
veiller à ce que rien ne vienne entraver leur croissance, trouver le
terrain favorable à la germination: éviter que les intrus ne dété­
riorent la tige féconde, surveiller la maturation des fruits, procé­
der à leur récolte au moment opportun, etc. »
L'initiation tribale est marquée par un caractère de continuité
et de pérennité dans le temps. Son initiation montre à l'homme
sa vraie place dans l'univers conçu par sa tribu, sa situation par
rapport à ses semblables, à son milieu naturel et à ses dieux. Elle
montre aussi la somme des expériences reçues des générations
antérieures, expériences adaptées à la situation actuelle, mais
maintenues conformes à la cradicion dans la mesure du possible.
67
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

Il esc ainsi dévoilé au néophyte que le monde a une signification


cachée, révélée et expliquée par les anciens3.
De nos jours encore, c'est par un rite initiatique collectif que les
jeunes sont admis de plein droit à faire partie de la communauté.

Parmi les différences initiations existantes, il y a les rires


Vaudou\ Vaudou provient du mot« vaudoun» de la langue afri­
caine des tribus Fon et Ewé. Il signifie « inspiration divine, force
de vie, esprit». Le Vaudou, c'est le culte des esprits.
L'enseignement du vaudou est généralement transmis sous
forme d'apologues comme celui-ci5 : « la feuille est emportée par
le vent, là Olt il veut, rel est sans douce son "destin". Mais
l'homme, avec l'aide du venc et d'un morceau de toile convena­
blement disposé, peut aller, pratiquement, contre le vent, et dans
une large mesure, devenir maître de sa route. »
Ainsi l'initié apprend-t-il que si Dieu est inaccessible et les
lois de l'univers immuables, il n'est pas impossible de les infléchir
en sa faveur, en cour cas d'en apprendre la maîtrise partielle et,
par voie de conséquence, le maniement.
La plupart des cérémonies vaudou, coures celles qui revêtent
une certaine importance, débutent par le tracé des« vévé», c'est­
à-dire des symboles des esprits qu'on désire plus parciculièremenc
invoquer. Le « vévé » est d'ordinaire rracé à même le sol, au
centre du« hounfor» (ou Temple). Pour le réaliser, le« hougan6»
procède en se plaçant debout, jambes largement écartées, le
corps penché en avant. De la main gauche, il tient un récipient
contenant de la farine de maïs. De la main droite, il saisit des

3. Cusin Alexandre, Rites initiatiques et cultes secrets australiens, Alpina n ° 3,


1992, pp. 81 à 83.
4. Owusu Heike, Rituels et symboles vaudou, Éd. Guy Trédaniel, 2001, p. 13.
5. Planson Claude, Vaudou, un initié parle... , Jean Dullis Éditeur, 1974,
pp. 29 à 61.
6. Aux Antilles, roue comme au Bénin, le Hougan est le plus haut dignitaire
religieux du cuire vaudou, organisateur des cérémonies, celui par lequel pas­
sent les esprits qui désirent rransmerrrc un message au monde des vivanrs.
Son équivalent féminin esc la Mambo.

68
SIMILITUDES ET CONSTANTES ENTRE LES DIVERSES INITIATIONS

petites pincées de cette farine qu'il laisse couler entre ses doigts,
avec la régularité d'un sablier. De la même manière qu'un artiste
travaillant au crayon ou au pinceau, il trace les lignes de son
dessin. Ce travail requiert une parfaite coordination des mouve­
ments, une grande souplesse, le sens de l'utilisation de l'espace et
une sûreté de trait d'autant plus difficile à obtenir que la main
reste toujours à une certaine distance du sol et ne dispose
d'aucun appui.

Vévé, symbole vaudou, symbolisant l'esprit de l'amour.


Chaque c,1rre1111 et chaque point représente une jàrce en puissance prête à
se rmmifeste1: Au-dessus sont représentés lëtoile vaudou, surmontée de deux
croissants de lune, de chaque côté de la crosse de legba, esprit solaire qui est
lirxe.
l'amour est représenté par la réunion des principes masculin et feminin
qui correspond aussi à !tz fusion des extrêmes, l'eau et lefèu.
les grandes boucles qui dépassent sur les côtés rappellent la nécessité de
lëquilibre, aucun élément ne devant prédominer.
À l,1 b11se de ce symbole sont figurées, inversét!S, les « cornes du bélier »,
signe de possession.

69
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

Le « vévé » est toujours exécuté de mémoire, sans copier un


modèle visible. Lare est d'abord dans le trait, ce qui n'est pas
sans ressemblance avec l'exécution du tracé des tableaux de Loge
en franc-maçonnerie.
Pour évoquer « Erzulie », l'esprit de l'amour, il doit exécuter
un cœur, immédiatement identifiable par tous. C'est ce qu'il
fera, sans rien oublier de l'enseignement de ses maîtres, mais ce
cœur sera aussi son cœur. Les « vévé » sont donc les symboles des
esprits. Ils sont des symboles où t0ut est expliqué.

Il - Constante des différents rites de passage : rites de sépa­


ration, de marge et d'agrégation. Initiations tribale, reli­
gieuse et magique.

Van Gennepï propose plusieurs classifications des rites céré­


moniels. Celle qui fur universellement retenue distingue rires de
séparation, rites de marge et rites d'agrégation

I..:initiation tribale est une sorte de seuil qui sépare deux étapes
de la vie courante et s'inscrit à côté de la naissance, de la puberté,
du mariage et de la mort parmi les jalons qui déterminent les
cycles de vie. Elle distingue dans ces cérémonies une phase où le
récipiendaire est isolé et séparé du milieu antérieur, du groupe
social de l'enfance et des femmes: c'est le rire de séparation.
Dans la seconde phase il est mis en marge du groupe ; ce sont là
des moments de véritable apprentissage qui représentent le côté
docrrin;1) de l'initiation primitive, c'est le rite de marge. Enfin la
troisième phase permet de passer à l'état adulte, de s'intégrer au
groupe qui lui livre le secret de la vie. Ce rite d'ag régation scelle
la rentrée dans la société, de l'individu transformé, initié. Cette
réintégration sociale se fait publiquement. Elle clôt une période
marquée par le rite d'attribution du nom.

7. Van Gennep Arnold, Les ritt·s dr pt1ss11ge, Paris, ÉJ. Picard, 1987, pp. 93 :i
139.

70
SIMILITUDES ET CONSTANTES ENTRE LES DIVERSES INITIATIONS

<1 En Afrique, la traversée de l'adolescence est accomplie avec


l'aide d'un mentor, afin que le jeune puisse devenir un adulte
mature qui remplira sa fonction. Un mentor n'est pas un ensei­
gnant au sens strict du terme, mais plutôt un guide qui montre
la voie à suivre, intervenant respectueusement et avec l'accord du
jeune, et faisant appel aux connaissances innées de celui-ci. Aux
yeux du mentor, l'élève n'est pas un ignorant. Il est le dépositaire
d'un savoir avec lequel le mentor est familiarisé et auquel il est
très intéressé, un savoir qu'il détient déjà et qu'il connaît fore
bien. Le mentor perçoit à l'intérieur de l'élève une présence frap­
pant à une porte et il accepte la tâche de trouver ou de devenir la
clef qui ouvrira cette porte. Se développe alors une relation de
confiance entre le mentor et l'élève, motivée par l'amour, et sans
laquelle la réussite serait peu probable.
Une crise spirituelle peut survenir dès la naissance, si, au lieu
d'être accueilli par l'amour de toute une communauté, un enfant se
retrouve face au silence de la technologie et d'une froide bureaucra­
tie. Dans ce cas, sa mission réprimée refera brusquement surface à
l'adolescence sous forme d'impétuosité et d'insubordination.
I.:initiation consiste en des rituels et des épreuves qui aident
les jeunes à se souvenir du but de leur existence et fait en sorte
que leur génie unique soit reconnu par la communauté. De la
naissance à la puberté, chaque membre de la tribu est sous la
responsabilité de tout le village, d'où le proverbe africain qui dit
qu'il faut tout un village pour élever un seul enfant. Cette atten­
tion collective prépare l'enfant à offrir le don ou les talents parti­
culiers qu'il possède. Pour les indigènes, la maturité correspond à
l'épanouissement des talents de l'individu et à son investissement
dans le bien commun. Une personne mature est donc celle qui a
été initiée, qui fait preuve de responsabilité, qui est pleinement
consciente des raisons, pour lesquelles elle vit en ce monde et qui
s'est engagée à remplir sa mission avec le soutien inconditionnel
du village. Le rituel d'initiation reflète donc, en le complétant, le
passage à la vie, qui a débuté à la naissance8• »

8. Malidoma Patrice Sorné, Sagesse aji-icaine, Éd. Ariane, 2005, pp. 340 er 344.

71
LES INITIATIONS ET L'INIT!Kf10N MAÇONNIQUE

La cérémonie d'initiation en tant que rite de passage marque


la transition d'un état à un autre. Le passage est double dans la
mesure où, d'une part, le néophyte doit passer de la vie infantile
à la société des hommes et d'autre part, passer de la vie profane à
la vie sacrée. Ce qui est sacralisé dans l'initiation, c'est ce que la
société tient pour essentiel dans la condition humaine, c'est l'acte
de l'assumer.

Les ethnologues qui one étudié les multiples aspects de l'ini­


tiation près de bon nombre de tribus et de peuples ont déter­
miné trois types généraux d'initiation : l'initiation tribale,
l'initiation religieuse, l'initiation magique.

L'initiation tribale, rituel collectif obligatoire pour cous,


arrache l'individu à l'éducation familiale pour le projeter de plein
droit dans le monde adulte.
L'initiation religieuse, qui intègre l'individu dans le monde
restreint du sacré, lui permet de franchir le seuil qui sépare
le profane du sacré. C'est une vie d'acquisition graduelle de
connaissances concernant les rapports entre l'homme et le
monde divin. Elle comprend toutes les espèces de rites d'entrée
dans une société secrète, une confrérie. Elle n'a pas un caractère
obligatoire contrairement à l'initiation tribale.
L'initiation mag ique. Ces rires que l'on trouve notamment
pratiqués par les sorciers et les chamanes mettent l'accent sur
l'expérience religieuse personnelle et l'expérience extatique.
« Concernant le vaudou haïtien, les forces magiques de ses
adeptes reposent en général sur des initiations. C'est-à-dire
qu'elles sont transmises aux générations suivantes par un magi­
cien ou par un prêtre. Cela suppose chez le candidat sorcier ou
magicien qu'il ou elle fasse un pas important dans son dévelop­
pement personnel, condition indispensable pour une utilisation
responsable des forces magiques.

72


Sl,\-IILITUDES ET CONSTANTES ENTRE LES DIVERSES INITIATIONS

Le Vaudou connaît deux formes de pratiques. Pour l'exercice


de la première, on crée, comme dans beaucoup d'autres systèmes
magiques, des événements en modèle réduit afin qu'ils devien­
nent réalité en grandeur nature, c'est-à-dire dans notre monde
matériel. La deuxième forme de pratique du Vaudou haïtien est
de faire entrer les participants dans des états de possession
consentis pendant les grandes cérémonies. Ces pratiques sont
censées favoriser un contact direct avec les divinités.
La religion chrétienne a du mal à comprendre le cuire du
Vaudou. La raison essentielle en est que dans le vaudou, coutes
les entités les plus influentes ont un statllt de divinité, et même
les plus négatives et les plus cruelles ne sont jamais considérées
comme des diables au sens chrétien. Au lieu de cela, chaque divi­
nité a ses attributions propres et est vénérée en conséquence. Les
démons les plus dangereux ne sont pas particulièrement aimés,

Pierre Cousteau, Le Pegme, 1560.


En vain t'efforces-tu de foire remonter
La vérité cachée au fonds du puits.
Force lui fia de sëloigner de nous,
Les hommes étant toujours fiîchés avec elle.

73
LES INITIATIONS ET llNITIATION MA�:ONNIQUE

mais on leur témoigne du respect et on leur apporte de temps en


temps des offrandes pour les amadouer.
L'initiation volontaire est généralement déclenchée par une
rencontre inattendue avec une divinité ou un esprit. Ce change­
ment d'état vibratoire est la condition pour entrer en lien avec
d'autres formes d'existence et de conscience. Une possession n'a
donc pas toujours lieu avec l'assentiment conscient de la per­
sonne concernée.
Si une personne entre dans un état de conscience modifié,
l'entité lui apparaît et se présente à elle comme un esprit protec­
teur. Désormais, l'esprit revendiquera un certain droit de posses­
sion sur le corps du candidat - volontaire ou involontaire - à
l'initiation. Cela confère à la personne une certaine protection
car elle ne peut être possédée par une autre enciré sans l'assenti­
ment de son esprit protecteur. D'un aurre côté, il en résulte aussi
une dépendance à la vie, et la personne ne peut pas progresser
au-delà du degré de développement de l'entité qui l'accompagne.
Pour celui qui aspire sérieusement à la perfection, l'initiation
n'est pas un acte souhaitable. Toute liaison trop étroite avec une
divinité ou un esprit conduit à une dépendance et empêche le
libre développement de l'esprit propre.
Au plus haut niveau de l'initiation, l'appelé accomplit une
renaissance symbolique destinée à le libérer de tous ses anciens
schémas de pensée et de comportemenc9• >>

Claude Guérillot 10 considère que, « s'il paraît évident selon les


apparences extérieures que les crois groupes de cérémonies peu­
vent avoir des ressemblances dans l'expression vague de« rite de
passage » qui sont en fait des « séquences cérémonielles )), ces
trois catégories, différant profondément, ne devraient pas être
désignées par le même mot ».

9. Owusu Heikt!, op.cit., r.<1. Guy Trédaniel, 2001, pp. 16, 61 et 62.
1 O. Guéri Ilot Claude, De /11 porte bnsse i't û1 porte étroite: une 11pproche de lïni­
titttion, Paris, Dervy, 1998, p. 258.

74
SIMILITUDES ET CONSTANTES ENTRE LES DIVERSES INITIATIONS

Vévé, symbole du Vaudou représentant l'esprit de l'initiation


Les deux V entrecroisés de litndrogyne dont chaque hranche est soulignée
par les « cornes du bélier ». Au centre est une jèuille de ptdmier qui signifie
pour l'adepte du Vaudou, l'union des hommes avec /11 nature. Ce symbole est
censé répondre aux questions suivantes:
- Comment les hommes se relient-ils à l'ordre végétal?
- Comment les initiés se rattachent-ils ,m tronc de la Tradition initia-
tique?
- Quelle est l'étendue du libre arbit1·e et comment bien l'utiliser pour
maintenir lëquilibre de l'univers?

Le tableau suivant, établi par Pierre Carnac 11 , résume claire­


ment les trois grands types d'initiation existants. En haut sont
précisés les différents sites d'épreuves initiatiques utilisés (forêt -
désert - sanctuaire, etc.)

11. Carnac Pierre, 7Î1ble11u des cruégories d'initiation, in revue l'Autre monde,
n" 120.

75
LES INITIATIONS ET l;INITIATION MAÇONNIQUE

L'initiation et ses rites

Candidat
à lïni1iation

Rites de
Forêt Île Sanctuaire lcmple
séparation

Endroit
D�ert Mer Église
choisi

Rites
de marge

Rites
d'agrégation

Initiation Initiation Initiation


tribale religieuse magique

Initié

Ill - Facteur général de sociabilisation et d'intégration

Mircea Eliade 12 mentionne que dans l'ensemble des sociétés


traditionnelles, cous éraient initiés, hormis les étrangers et les
malades. Les femmes aussi étaient initiées. C'était donc une
société hiérarchisée et non pas une société élitiste.

12. Eliade Mircea, lnitit1tion et monde moderne, in travaux Villard de Hon­


necourt, n ° 1 (2" série), pp. 21 à 29.

76
Vévé de « Guédé », esprit de la mort, symbole Vaudou.

les G'uédés sont les esprits de la mort dans le v11udou. Ils sont généralement
menés par Baron Samedi ou son épouse Maman Brigitte, esprit de la mort et
de la résurrection.
Contrairement aux apparences, ce symbole avec fil croix n'est pas un sym­
bole chrétien, ses croix représentent la croisée des chemins. Sur l'axe vertiC(ll
sont figuré deux V entrecroisés. Ils rappellent l'union des contraires des deux
poltlrités masculine et féminine, constituant l'androgyne primordial.
Les trois marches sur lesquelles se dresse cette croix correspondent aux degrés
de l'initiation. la première est celle de la vie ordinaire, décorée d'outils de tm­
vail (haches et pioches) et de phallus.
la seconde reproduit un mouvement tracé dans L'air par I'« asson ».
L'asson, dans le vaudou haïtien est l'insigne du pouvoir de la prêtresse
(Mambo) ou du prêtre (Hougan). If se présente sous forme de hochet. If est
creusé dans une calebasse et contient de petits objets comme des os de serpents,
des graines ou des perles.
La troisième, La plus élevée, symbolise le « secret » que seuls détiennent Les
meilleurs parmi ceux qui ont accédé au plus haut degré de l'initiation.
« L'amour sans la connaissance, c'est comme un torrent qui emporte tout
sur son passage: une calamité. La connaissance sans L'amom; c'est comme Le lit
d'une rivière desséchée: un tas de pierre 13• »

13. Planson Claude, op. cit., p. 67.


LES INIT!J\TIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

li est indéniable que l'initiation tribale a un caractère de


sociabilité et d'intégration au groupe, car elle marque principale­
ment le statut des jeunes passant à l'âge adulte, cérémonie qui les
reconnaît aptes à se marier, à fonder une famille, à participer aux
activités sociales et permettant aux hommes comme aux femmes
de remplir leur rôle et leur responsabilité collective et indivi­
duelle dans la société.

La littérature ethnologique désigne aussi ces cérémonies de


rites de passage à caractère collectif par les termes de « rites
de puberté» ou« initiations de classe d'âge». À l'origine tous les
membres du groupe participaient au cérémonial d'initiation qui
devait conduire à l'extase. Il apparut très vice que tous les indivi­
dus n'avaient pas la même aptitude; rapidement une sélection
s'opéra séparant ceux qui« savaient» de ceux qui« ne pouvaient
pas savoir».
Ces « sachants» furent de par leur prestige considérés comme
les ancêtres du clan. De par leurs diverses fonctions, ils assumè­
rent celles d'initiateurs.

IV - Caractéristiques des rites de passage

La douleur est un des éléments essentiels des rites de passage.


Cette douleur acceptée voloncairemenc correspond à un refus de
prendre la vie celle qu'elle est donnée. Souffrir sans autre raison
que de vouloir supporter la douleur est une des manières d'affir­
mer qu'on transcende la nature.

« La maturité sexuelle est l'un des symboles de l'achèvement


de l'enfance. C'est à ce cirre que la puberté est souvent l'indice
que l'on choisir pour décider qu'il est temps de procéder à l'ini­
tiation. Mais cela ne veut pas dire qu'elle soit l'objet même de la
sacralisation. C'est pourquoi l'indice en question peut être aussi
bien la puberté masculine, la puberté féminine, ou la capacité de

78
Otto Vrtenius, Emblem.Ha Horatiana, I 684.
I..;homme n'est rien qu'un p eu de boue

Ton beau teint se ternit, t,1 richesse est ravie,


7ès honneurs sont passés, ton paltûs abattu,
Que sont devenus tes plus riches trésors ?
Que sont-ils? Un reste des cendres,
Que la flamme 11 jtiit de leurs corps.
Quand la mort II coupé l,1 ligne dt' ta vie,
Elle te ravit tout ce que le monde ctiresse.
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

porter les armes. Ces variances mêmes, montrent que l'objet de


la sacralisation, ce n'est pas le sexe, le courage guerrier ou le sang,
mais bien plutôt la condition humaine générale, dont la posses­
sion par un individu se révèle à tel ou tel signe. Ce qui reste
invariable, c'est le fait même de la sacralisation 14• »

Linitiation s'accompagne de certaines mutilations physiques


du type circoncision, ou encore par l'ablation d'une dent pour
que l'initié conserve coute sa vie une marque irrécusable de sa
sacralisation qui le distingue des non-initiés. Tous les rires initia­
tiques sont empreints du symbolisme de la mort et de la résur­
rection. C'est aussi dans cette perspective que la séparation et les
épreuves visent à réprimer les désirs incestueux et à punir les pul­
sions agressives de l'initié envers son père. Le moment de la
résurrection est celui de la réconciliation.

Si les multiples formes d'initiation offrent chacune une interpré­


tation distincte du schéma descence/remoncée, more/résurrection,
il est un thème sur lequel elles sont toutes d'accord : c'est celui de
la sagesse perdue. Ce caractère obligatoire et irréversible est à
mentionner. Une fois devenu homme ou femme, l'individu ne
retourne plus ou pas à l'enfance.

V - Épreuves initiatiques probatoires

Dans toutes les cultures et routes les initiations primitives,


l'éveil de l'homme a paru comme un passage, un saut, pour accé­
der à une autre vie. Le candidat à l'initiation devait subir des
épreuves probatoires pour donner la preuve de sa détermination
et de ses aptitudes initiatiques.
« Crata Repoa » ou initiations aux anciens mystères des prêtres
d'Egypte donne le récit d'une initiation égyptienne où bon

14. Cazeneuve Jean, Sociologie du rite, Puf, 1971, pp. 247 à 28 l.

80
SIMILITUDES ET CONSTANTES ENTRE LES DIVERSES INITIATIONS

nombre d'éléments symboliques et initiatiques dépassent large­


ment le cadre de la maçonnerie égyptienne et se retrouvent sous
une forme ou sous une autre dans différents rites maçonniques.
C'est donc un élément important de compréhension de la cradi-
. .
non maçonnique.

Lorsqu'un aspirant aux mystères avait le désir d'encrer dans la


société antique et mystérieuse de Crata Repoa 1 5, « il devait se faire
recommander par un des Initiés ... On le mettait à un régime par­
ticulier; on lui interdisait l'usage de certains aliments, même du
vin, jusqu'à ce qu'il eùt obtenu, dans un grade supérieur, la per­
mission d'en boire de temps en temps. On l'obligeait à passer plu­
sieurs mois, comme un prisonnier, dans un souterrain, oü on
l'abandonnait à ses réflexions; il jouissait de la faculté d'écrire ses
pensées. Elles étaient ensuite examinées attentivement, et servaient
à faire connaître le degré de son intelligence.
Lorsque le temps de quitter le souterrain était arrivé, on le condui­
sait dans une galerie entourée de colonnes d'Hermès, sur lesquelles
étaient gravées des sentences qu'on lui faisait apprendre par cœur.
Dès qu'il les savait, un membre de la société ayant le nom de
Thesmosphores, s'approchait de lui, tenant à la main un grand
fouet, pour contenir le peuple devant la porte dite des profanes,
par laquelle il introduisait le Récipiendaire dans une grotte.
Là, on lui bandait les yeux, et on lui attachait les mains avec
des liens élastiques».

Pour être initié, die Court de Gébelin 16 :

« Il fallait réunir la pureté des mœurs, au courage et à


l'élévation de l'âme: on s'obligeait, par un engagement
solennel, à commencer une vie nouvelle, suivant les règles
les plus étroites de la Vertu. Soumis à des institutions si

15. Crata Repoa ou initiations aux Anciens Mystères des prêtres d'Egypte, tra­
duit de l'allemand et publié par Bailleul, Paris 1821, pp. 17 à 19.
16. Court de Gebelin, le monde primitif arutfysé et comparé avec le monde
moderne, Paris, 1776, p. 312.

81
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

belles, animés par de si grandes espérances, les .Initiés


éraient regardés comme les seuls hommes heureux. »

Chez les Druzes, il est incontestable que l'initiation est réser­


vée à une élire. C'est souvent vers guaranre ans qu'un D ruze
choisir la voie spirituelle, il consacre alors la seconde tranche de
sa vie à la recherche de la Connaissance. Le sage s'abstient de
boire et de fumer, modère son alimentation, limite ses plaisirs,
vie simplement.
Il y a trois épreuves probatoires chez les Druzes, qui récla­
ment du candidat une maîtrise suffisance pour être admis dans la
confrérie. Voici un descriptif de la préparation à l'iniciacion :
« Les Druses, sont demeurés de purs unitaires. Une dis­
tinction bien nette se remarque dans le vêtement et les
coutumes de l'ordre religieux des "Akils" ou anciens, et de
la classe guerrière des "Jakils". Tous les Druses participent
aux services religieux, mais seuls les Akils sont admis aux
mystères. Ceux-ci consistent probablement en rires sym­
boliques, formules et litanies récitées encre initiés, bien
qu'on ne sache rien de précis sur ce point. Les Akils sont des
hommes de grande probité qui ont assumé des obligations
et prononcé des vœux: ils sont tenus à la monogamie et
engagés à prêter assistance matérielle et morale à cout frère
de race qui les en requiert. JI leur est défendu de fumer, de
boire, de témoigner de la colère ou de l'orgueil, de se
plaindre de la faim ou de la soif. Leur allure doit toujours
être noble et digne, ils ne doivent ni courir ni hâter le pas;
ils ne doivent pas se mêler à des querelles de famille ou à des
luttes de tribus, ils ne doivent se battre que pour la défense
commune. Le candidat au titre d'Akil est soumis à crois
sévères épreuves. Il doit d'abord jeùner trois jours et deux
nuits. La troisième nuit il assiste au repas des Akils sans
pouvoir approcher lui-même aucun mets de ses lèvres. Le
banquet terminé, on le laisse coure la nuit en tête-à-tête
avec les meilleurs plats. On ne le surveille ni ne l'épie, on

82
T
SIMILITUDES E CONSTANTES ENTRE LES DIVERSES INITIATIONS

s'en rapporte à son sentiment de l'honneur; à lui de


confesser s'il a succombé à la tentation et goûté d'un de ces
mets. S'il a résisté, commence le second stage. Dans celui­
ci, il doit parcourir le désert à cheval sous le soleil, sans eau,
crois jours durant ; le troisième soir il s'assied, un gobelet à
la main, parmi les Akils qui boivent des rafraîchissements et
des sorbets. Une fois de plus il est laissé seul une nuit entière
avec de l'eau à portée de sa main. S'il sort vainqueur de
cette deuxième épreuve, il se repose et répare ses forces
durant une semaine, puis aborde la troisième. Il prend part
à un somptueux repas et est enfermé dans une pièce où
l'attend une femme jeune et belle, nue sur un divan. Il pas­
sera la nuit avec elle ; elle connaît cous les préceptes de l'art
d'aimer, et emploiera coutes les subtilités de la chair suscep­
tibles d'éveiller son désir. S'il sort triomphant des tenta­
tions de la volupté comme il a vaincu l'appel de la faim et
de la soif, il est Akil et les mystères lui sont révélés. Sur ces
mystères, on ne sait rien de précis, on suppose seulement
qu'ils contiennent beaucoup de magie.
Si le novice succombe à l'une des épreuves, il n'encourt
aucun ridicule ni aucun reproche. Les Akils se bornent à
dire: "Ce n'est pas une mince chose que de devenir Akil
(lion)", et le candidat est renvoyé dans les rangs de guerriers
moins ascétiques 17• »
Chez les soufis, on retrouve aussi l'idée que le néophyte doit se
purifier à travers la souffrance pour accéder à la Vérité. Dans la
confrérie des derviches tourneurs de Mawlana, la préparation spi­
rituelle du candidat est axée sur deux grandes idées directrices:
« Selon la première, la créature humaine, arrachée, de sa
patrie originelle, doit s'employer à reconquérir celle-ci; en
conséquence elle doit mourir et renaître spirituellement. La
seconde idée s'appuie sur une vision cosmologique du

17. Heron Lepper John, Les Sociétés secrètes de !'Antiquité à nos jours, Payor,
1933, p. 83.
83
Ll�S INITIATIONS ET LINITIA110N MAÇONNIQUE

monde: l'unité du monde est dissimulée derrière la multi­


plicité de ses formes illusoires. Ainsi, pour atteindre la vérité,
reconquérir sa patrie originelle et réaliser son unité, l'homme
doit, dans un premier temps, passer par une période
d'épreuves et de souffrance afin de se purifier. La souffrance
lui fait prendre conscience de la séparation avec l'Un18• »

George Wither, A Collection of Emblems Ancient and Modern.


London, 1635
De la naimmce à la mort
Tout être est emporté dans un courant d'ondes mouvantes
Où les grands cycles des années, des saisons
Et des jours déterminent la courbe de sn vie.
Le temps n'attend plus,
Chaque instant est précieux
Pour faire les bons choix
Afin d'avoir appris à 11i11re avrmt de mourir.

18. Fabio Ambrosio Alberto, Feuillcbois Ève, Z,irconc Thierry, Les derviches
tourneurs, doctrine, histoire et pratiques, Éd. du Cerf, 2006, pp. 100 à 109.

84
SIMILITUDES ET CONSTANTES ENTRE LES DIVERSES INITIATIONS

Un des principaux rites préparatoires est la purification, par la


pratique de la retraite, généralement de quarante jours, par réfé­
rence aux quarante jours de jeûne imposés par Dieu à Moïse
(Coran, S.7, V. 142) ou aux retraites de Muhammad dans la
grotte Hirâ.
Le premier cérémonial est celui de la tonsure qui symbolise
différentes formes de renoncement: à l'amour du monde, à soi,
à cout attachement hormis Dieu (les quatre tonsures sont celles
des cheveux, de la barbe, des moustaches et des sourcils).
Le second type de réception, selon les confréries, est la remise
du manteau (k.hirqa, en arabe) ou froc de la piété. Celui-ci sym­
bolise un mode de dépouillement et de more à soi. La remise de
la coiffe ou bonnet par le maître (ou shaykh) est associée au
manteau en tant que « vêtement » sacré et rituel. Elle symbolise
le renoncement et l'ascèse. La coiffe fait référence à l'idée de
sceau, de marque, de symbole. Celui qui la reçoit est pris pour
disciple. Ces deux éléments vestimentaires rattachés à la more
initiatique sont définis par Oivane Mehmed Çelebi ainsi : « Le
manteau est ma tombe, la coiffe ma pierre combale 19 ».

VI - Points de Convergence entre les différentes réceptions


initiatiques

Toutes les cérémonies initiatiques sont différentes de par le


monde et selon les groupements qui les confèrent. Si de grandes
différences peuvent être le plus souvent constatées, en fin de
compte les objectifs, la signification et l'impact des rituels sont
les mêmes.
André Issler2° observe que « Sur toute la surface de la terre, les
fondements et le but de l'initiation sont semblables, il n'y a que
les formes qui diffèrent et qui s'adaptent également aux époques
et aux hommes auxquels on s'adresse. Si à première vue leur

19. Fabio Ambrosio AJbcrro, op. ch, pp. 100 à 109.


20. Issler André, La vôie initiatique, in Alpina n° 2, février 1981, pp. 33 et 34.

85
LES INITIATIONS ET L'INITIATION i\1AÇONNIQUE

déroulement semble différent et peut varier forcement, nous


constatons qu'il va toujours s'agir de coucher aussi bien le phy­
sique que le psychisme du candidat.
Le continent africain est très riche en sociétés secrètes
anciennes qui poursuivent un but semblable aux écoles antiques,
gnostiques et pythagoricienne».

La cérémonie de réception se caractérise premièrement par un


isolement, la privation de sommeil ou de nourriture, par des
menaces ou des périls mis en scène. Cerre première phase signifie
une purification de l'esprit et du corps.
La deuxième phase donne l'illumination qui est la communi­
cation de secrets souvent voilés.
Enfin le récipiendaire doit subir, allégoriquement ou symboli­
quement, une naissance, une vie, une more et même souvent
une résurrection.
Une autre caractéristique, commune à toutes les voies initia­
tiques, est la transmission de signes de reconnaissance, de mors
de passe et attouchements.

Encre routes les formes d'initiation, il existe une sorte de soli­


darité structurelle qui fait qu'on peur considérer qu'elles se res­
semblent toutes.
Toures les catégories d'initiations ont une structure analo­
gique, un même scénario, qu'il s'agisse de celles donnant accès à
des sociétés secrètes ou de celles des initiations chamaniques.
Cilles Corrozet, Hccacomgraphic, 1540.

Tro p esp érer déçoit

Qui II un espoir trop ardent,


Souvent se met en grand dangn;
À la raison il sefait étranger,
Et devient sot et imprudent.
Ce qu'il est licite dejitire,
ILjàut le mettre it exécution,
Et espérer de le parfaire
Par une bonne disposition.
Et prends grzrde que ton intention
À un espoir trop ardent ne soit pas attaché,
Comme quelqu'un qui sans réflexion
Se jette à l'eau dans sr, fôlie.
Guillaume de lt1 Perrière, Le Théâtre des bons engins, 1544.
Si le soleil luit droit au-dessus de ta tête,
l'ombre de ton corps sera nulle ou bien petite.
S'il advient que, par haine pour toi, l'on t'agresse,
7a gmnde vertu te gardera de tout mal.
Ltl vertu luit sous les myons qui sont sans nombre,
Et annihile l'obscurité de la haine.
Malgré les infortunes, un cœur vertueux
Gàrdera honneur, louange et sou/11gement,
Et quand il arrivem qu'il quitte le monde,
Sa gloire restera vivante après sa mort.
CHAPITRE IV

Valeurs de l'initiation

1- Valeur d'enseignement moral et de vertu

Bien que des initiations n'aient pu être que des fictions, elles
ont toujours véhiculé une valeur d'enseignement moral et de
vertu, utile à l'humanité, parce que cette valeur remet fonda­
mentalement en question le matérialisme, qui peut être consi­
déré comme une source de désespérance pour l'humanité, autant
que de subversion pour cour ordre social. Dès leurs premiers pas,
toutes les initiations proposent aux postulants une méthode pour
vaincre les vices et les passions.

Michel Viot 1 observe que les mauvais effets des rituels d'ini­
tiation, leur incompréhension par certains maçons, leur méta­
morphose, leur caricature, leur abandon ne doivent pas pour
autant faire douter de leurs vertus.

Voici des éléments du discours adressé à celui qui venait d'être


initié, à la fin du XVIII" siècle, rapportés par Guillemain de Sc.
Victor2 :
« [Le néophyte] Semblable à une pierre brute, dont la
forme plus ou moins précieuse dépend des coups que

l. Viot Michel, l'initiation maçonnique. Conférence du samedi 26 février


1983, p. 9.
2. Guillemain de St. Victor Louis, Histoire critique des Mystères de !'Anti­
quité, Hispahan, 1788, pp. 152 et 153.

89
LES INITIATIONS ET ÙNITIATION MAÇONNIQUE

l'Arrisre lui donne. Clnitiation est la fin de cette vie pro­


fane, que nous regardons comme vie animale. Lamour de
la vertu et des devoirs prend la place de routes les passions
dans celui qui le reçoit: son être, ou plutôt le principe qui
l'anime, est renouvelé. Oui, sans doute, substituer les
connaissances et les vertus à l'ignorance et aux préjugés,
c'est faire passer l'âme dans un autre corps (c'est une image
utilisée par l'auteur sans qu'il s'agisse de la métempsycose
de Pythagore).
Cinirié doit réfléchir sur son existence, se rendre raison
de ses intentions et de ses actions, être toujours en garde
contre lui-même, et travailler sans cesse à se perfectionner.
Il doit plaindre les socs en tâchant de les instruire, fuir les
méchants, secourir les malheureux, et mettre au nombre
des faiblesses humaines l'orgueil, l'intérêt et l'envie. Dans
quelque rang qu'il se trouve placé, soit par la naissance ou
la fortune, il ne doit s'y croire établi que pour être utile,
faire le bien de l'humanité en général: enfin il doit étudier
la nature, respecter ce qu'il ne peut approfondir, et pénétrer
son âme des vérités les plus sublimes. »

Rappelant la parole de Matthieu (X, 39) : « Celui qui


conserve sa vie la perdra et celui qui perdra sa vie pour l'amour
de Moi la retrouvera », Jean Reyor3 pense que parmi les qualifi­
cations requises pour l'initiation, la plus importante est« le cou­
rage» et que le courage nécessaire dans ce cas peut être considéré
comme la forme suprême de cette vertu. En effet, la Voie initia­
tique peur exiger coutes les formes de sacrifices requises par
coures les autres formes de courage, mais en toue cas, à l'une des
étapes de la Voie, doit se consommer in fine, d'une manière ou
d'une autre, le sacrifice intégral de l'individualité.

.3. Rcyor Jean, Pour un aboutissement de l'œuvre de René Guénon, les 11perçus
sur iïnitiation, Milano, Éd. Archè, 1998, p. 1 15.
90
VALEURS DE LINITIATION

Il - Valeur de récompense et de couronnement d'un effort

Dans l'Amiquité, l'initiation n'était pas considérée comme un


point de dépare, mais comme ayant la valeur d'une récompense
pour le candidat qui avait suffisamment fait preuve de volonté,
d'intelligence, de force, de réflexion pour méditer, d'altruisme
pour ses semblables et de désintéressement des biens matériels.
L:iniciation, axée sur les valeurs spirituelles, avait la valeur d'un
couronnement, d'un effort persévérant, destiné à réaliser le perfec­
tionnement individuel physique, intellectuel, moral et psychique.

Ill -Valeur spirituelle

Toue homme est confronté à des limites spatio-temporelles.


La voie de l'initiation est une voie de réalisation qui ouvre une
fenêtre sur l'infini, permettant d'accéder à la plénitude de l'être,
ce en quoi elle a une profonde valeur spirituelle. Cecce valeur du
cheminement initiatique passe par la réception de la Lumière,
mais ce qui importe le plus est le ressenti intérieur de celle-ci, qui
doit permettre d'être éclairé par elle du dedans.

Raoul Berteaux4 considère que« l'initiation contribue à la spiri­


tualisation en faisane prendre conscience par l'expérience vécue, de
la réalité de l'être. Elle a valeur d'acte de création dans la mesure
où elle amène l'initié à découvrir les potentialités qu'il porte en lui
et à les actualiser en les amenant au niveau de la conscience. Lacte
créateur consiste à mettre en forn1e ce qui était informulé».

Linitiarion est la recherche de valeurs spirituelles : Demandez


et vous recevrez ... Marjorie Debenham 5 retrace poétiquement
ce chemin en disant:

4. Berceaux Raoul, La Voie symbolique, Paris, Edimaf, 1984, pp. 91 et 92.


5. Debenham Marjorie Cecily, Demandez et vous recevrt'Z ... traduit de
l'anglais par René Désagulicrs, in Renaissance Traditionnelle, n ° 36,
octobre 1978, p. 275.

91
T
LES INITIATIONS E LINITIATION MAÇONNIQUE

« Il n'y a pas de chemin pour ceux qui ne cherchent pas.


Tomes les portes sont closes à ceux qui ne frappent pas.
Nous n'entendons pas la réponse si nous n'écoutons pas en
silence.
La Quête est vaine si le cherchant reste inconnu à lui-
même.
La porte ne s'ouvrira pas si l'on ne sait pas l'ouvrir.
Lorsque le moi se vide, le cœur s'emplit.
Lorsque nous nous tournons vers le centre, nous trouvons
le chemin.
La porte s'ouvre sur l'intérieur lorsque nous acceptons
l'inconnu.
Alors entrez et gardez le lieu Saint, la lampe sur l'autel,
La lumière dans le cœur. Ici règnent toujours la paix et
l'union,
Et dans ce lieu sacré nous nous assemblons,
Nous travaillons et nous nous séparons,
Pour que parmi nous demeure la bénédiction. »

IV-Valeur active

L'initiation est un combat permanent avec soi-même pour


permettre aux énergies vitales de triompher des énergies destruc­
trices. Elle exclut toute passivité car elle correspond au passage de
la puissance à l'acte. Elle demande de faire un effort personnel
de recherche de la vérité.
C'est pourquoi l'initiation n'est pas une voie mystique. Le
mysticisme étant du domaine spécifiquement religieux, c'esc-à­
dire exotérique ; il ne propose pas de méthode particulière et se
caractérise par une attente passive d'un phénomène de prove­
nance surnaturelle.
« La connaissance initiatique n'est pas un savoir mental mais
un vécu, alors que la science se limite trop souvent à une des­
cription extérieure du réel. L'initiation ne consiste pas à "savoir"

92
VALEURS DE LINITIATION

les symboles, mais à les connaître, à naître avec eux. Celui qui sait
tout sur le vin ne le connaîtra pas tant qu'il ne l'aura pas bu6• »

Dans la même optique, Amélie Gedalge7 considère « qu'il est


souhaitable de commencer par vivre en maçons véritables (et
non en maçons théoriques), de pratiquer toue ce qu'un degré
exige, moralement, de chacun ; on peut ensuite, assez facilement
et sans grand danger, étudier le symbole maçonnique; mais
mieux vaut n'être jamais entré au temple, mieux vaut ne rien
comprendre à l'ésotérisme des grades, plutôt que d'oublier cette
règle absolue.
Souvenons-nous de cette autre maxime ancienne :
On n'est pas fàit initié, on peut le devenir.
Cela signifie que l'initiation conférée symboliquement ne
peut devenir réelle que si l'on veut fermement s'en donner la
peine. C'est pourquoi on ne peut recommander que la pratique
constante des vertus qui sont celles de l'apprenti maçon: le
silence, le contrôle des idées, des résolutions, des paroles, des
actes, la patience, la persévérance, le courage, l'équilibre moral et
mental, l'amour du travail, la fraternité et surtout la vertu
maçonnique par excellence: la tolérance ».

V -Valeur ésotérique et élitiste

Lésocérisme est défini par Mircea Eliade8 comme « la trans­


mission initiatique de doctrines et de pratiques réservées à un
nombre restreint de personnes, ce qui est attesté dans toutes les
grandes religions à l'époque hellénistique et aux alentours de

6. Reyor Jean, op. cit.


7. Gedalge Amélie, Des contes de fées à l'opéra: une ¼ie royale, Éd. Dervy,
2003, pp. 78 et 79.
8. Eliade Mircea, lnùùrtùms et monde moderne, Travaux Villlard de Honne­
court, 1980, n ° 1 (2• série), p. 22.

93
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

l'ère chrétienne, que ce soit chez les Esséniens, les Samaritains,


les Pharisiens ainsi que dans l'Évangile de Marc. Le mot« ésoté­
risme» vient du grec, il signifie « je fais encrer». Sa signification
ressort immédiatement de son étymologie: « faire encrer», c'est
ouvrir une porte, donner une ouverture, offrir aux hommes de
l'extérieur de pénétrer dans l'intérieur symboliquement, c'est
donner accès à une vérité cachée, à un sens profond.

Jean Clerbois9, à l'instar de René Guénon, affirme aussi que


l'initiation est en principe réservée à une élite, tandis que la reli­
gion s'adresse à cous. Si ceci est exact pour les initiations qui relè­
vent d'un engagement individuel volontaire de type religieux et
magique, cela ne l'est pas concernant les initiations tribales qui
ne sont pas élitistes, puisqu'elles représentent une voie de passage
commune, obligée, que cous les membres de la tribu ont subie,
ou auront à subir à leur cour.

Barthélemy Ane,ru, lmaginacion poériquc, 1552.


Tout don pmfàit d'origim· première
Vient de L'esprit du Père de Lumière.

9. Clcrbois Jean, Qu'est-ce que lïnitiation ?, in le Symbolisme, n ° 370-371,


1965, pp. 331 à 344.
94
VALEURS DE LINITI.J\TION

VI - Valeur de secret

La notion de « secret initiatique » est très souvent évoquée.


À des degrés variés, on observe que les rites initiatiques sont liés
à la pratique du secret et du silence.
Pour Jean Scroun 10 , ce secret serait de quatre ordres: secret
d'appartenance, secret de délibération, secret de rites, secrets de métier.
Détenir un secret, c'est être investi à la fois d'une confiance et
d'une responsabilité, être séparé de ceux qui ne savent pas, pour
se rapprocher de ceux qui savent. C'est pourquoi secret et initia­
tion entretiennent des rapports étroits et intimes, des liens privi­
légiés qui contribuent à la fraternisation. En même temps ces
liens exigent une réflexion sur le choix des personnes avec les­
quelles partager ce secret, et demandent d'exercer notre faculté de
discernement et d'appréciation de notre encourage.

Chez les Compagnons, Émile Coornaerc 11 constate que le mot


« secret » est entendu dans des sens différents et distingue deux
aspects : « l'un, que l'on pourrait qualifier d'objectif, se rapporte­
rait à des formules, mieux encore à une doctrine, une révélation ;
l'autre serait une sorte de qualité personnelle, une manière d'être
des compagnons eux-mêmes et de leurs communautés ». Caché
et réel, le secret commandait leur attitude et leur action au milieu
du monde où leurs sociétés menaient leur vie particulière.
Ce secret peur être aussi d'ordre pratique; il s'agie alors de préser­
ver des secrets de métier comme il y est fait allusion dans des chan­
sons compagnonniques: « Er nous gardons le secret du Devoir».

Lors de la réception, les candidats en effet jurent de garder le


« secret du Devoir» et, au cas où ils l'enfreindraient, ils appellent
sur eux la more.

10. Scroun Jean, Secret et initntion, Alpina 11 ° 3, 1991, p. 79.


11. Coornaerr Émile, Les compagnonnages en France du Mo_yen Âge /t nosjours,
Les f:dirions Ouvrières, 1966, pp. 249 à 254.

95
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

D'après une des légendes des origines, Maître Jacques (cout


comme Maître Hiram en franc-maçonnerie) aurait été assassiné
parce qu'il refusait de livrer le secret à ses assassins. Il leur aurait
dit : « j'ai gagné mon secret par ma sagesse et mes talents ; efforcez­
vous de faire de même ec soyez assuré que vous l'obtiendrez. »

À l'image de nombreuses confréries traditionnelles, la franc­


maçonnerie donne à la notion de « secret » une valeur initia­
tique. Il existe différences formes de secrets. Thierry Zarcone 12
analyse l'aspect complexe de cette notion en observant que
« l'une des premières« divulgations» de la franc-maçonnerie, en
1736, présence le secret des francs-maçons comme « impéné­
trable», ec d'une« celle nature que jusqu'à présent personne n'a
osé le violer >>. Mais en 1744, un autre ouvrage, Le Secret des
francs-maçons, révèle que celui-ci consisr.e dans la façon donc les
francs-maçons se reconnaissent.
La franc-maçonnerie est donc à la fois une« société à secrets »
- qui dissimule des secrets pouvant être révélés - et une« société
initiatique » dont le secret, à l'image de celui des cultes à mys­
tères, est d'un caractère indicible, compris, mais jusqu'à quel
degré, par celui-là seul qui en a communication en loge à l'issue
de la cérémonie qui le fait franc-maçon.
C'est ce que suggère par exemple ce célèbre quatrain extraie
d'une chanson maçonnique:
Pour le public, un franc-maçon
Sera toujours un vrai problème
Qu ïl ne pourra résoudre à fond
Qu'en devenant maçon lui-même.
Toujours en ce qui concerne la franc-maçonnerie, la réception
au grade d'apprenti est donc une cérémonie d'initiation puisque
le récipiendaire reçoit communication des « secrets » de son
grade, ce qui lui fait découvrir la méthode maçonnique. Celle-ci

12. Zarcone Thierry, Secrets et sociétés secrètes en Islam, Fmnc-maçonnerie,


Carboneria et Confréries sou.fies, Milano, É.d. Archè, 2002, p. 42.

96
VALEURS DE LINITIATION

est faite d'un lent travail de soi sur soi, par contacts et références
constantes au groupe que constitue la loge.

VII - Valeur hiérarchique

Dès le commencement de l'Église on distinguait trois degrés


dans la communauté: ,, les commençants», << les progrcssants»
et « les parfaits », présupposant un apprentissage initiatique .

.Jean }ttcques Boisst1rd, Emblèmes, 1595.


Le monde est à l'image du Grand Géomèu·e de l'Univers,
Rien n'est en l'univers, qui doive être initié,
fifizut pour y venir contempler la bettuté,
L'!Jtat et l'entretien de /11 machine immense:
On y verra des traits de s,r toute puissance,
Et comme en un tableau, s,1 sagesse et bonté,
Car cette grande œuvre porte en cht1que partie,
Lïrnage de celui qui de rien l'a bâtie.

Toue apprentissage prend du temps. C'est pourquoi les « pas­


sages de grades » ne s'effectuent qu'au moment oü un franc­
maçon est censé avoir intégré leur enseignement symbolique.

97
LES INITIATIONS ET IilNITIATION MAÇONNIQUE

Cette réalisation personnelle basée sur la méditation, la compré­


hension des symboles et l'intégration du rire, est variable en
fonction du travail personnel et des capacités d'entendement de
chacun.

En se référant à son sens étymologique, l'initié est celui qui


est placé au début de quelque chose, d'une voie. Cette progres­
sion se poursuit à travers les divers degrés où chaque fois une
nouvelle cérémonie rituelle viendra compléter son savoir sur la
signification essentielle de la vie.
La réception des grades conférés par les rituels correspond aux
principales étapes indispensables à tout cheminement initia­
tique. Il appartient à chaque récipiendaire, tour au long de ces
passages de grades, de discerner la pluralité des sens contenus
dans les symboles et dans les récits légendaires des rituels. Il
s'agit, là comme ailleurs, de dépasser le formalisme de la lettre
pour percevoir l'esprit de la tradition. Toute démarche initia­
tique vise à guider par étapes progressives tour cherchant vers la
Lumière, pour le faire passer du mystérieux à l'intelligible.
Le chemin de la Connaissance est parsemé de repères hiérar­
chiques qui sont autant de changements d'état, de nouveaux
regards, de transformations intérieures, qui appellent de nouvelles
exigences envers soi-même et envers ses Frères, de nouvelles res­
ponsabilités, afin d'entretenir l'énergie spirituelle d'un atelier.

À la suite de René Guénon, Jean Reyor 13 développe l'idée que


toute société traditionnelle est essentiellement hiérarchique, alors
que la démocratie correspond à une conception anti-cradition­
nelle. Il ajoure que si certains maçons ont été séduits par l'idéo­
logie démocratique, la maçonnerie est demeurée dans une large
mesure hiérarchique, puisqu'un apprenti ou un compagnon
n'ont en aucun cas les mêmes droits qu'un maître et ne peuvent
participer aux travaux spécifiques de ces derniers.

13. Rcyor Jean, Pour ttll 11boutisscmcnt de l'œ1111rt' dt René Guénon: l.tt fi,mc­
maçonnail' tt f 'J:,gfise catholique, Milano, Éd. Archè, vol. 2.

98
Gravure représentant un tableau de loge au Rite Angltlis de Style !:mulation
retraçant la montée des grades par crois. cinq et sept marches.
E-.:tmit du Manual of the Lodge of Monitorial Instructions
d'Albert G'. Macke } New York, 1870.
1
LES INITIATIONS ET L INITIATION MAÇONNIQUE

Ayant un œil critique sur la hiérarchie en franc-maçonnerie,


Jules Boucher 14 considère que tous les grades et décors sont pué­
rils, que l'initiation est toute intérieure et qu'un grade, si élevé
soie-il, ne signifie absolument rien en lui-même. Les hauts grades
sont conférés trop souvent comme une marchandise avec des
versements de plus en plus élevés, et il rappelle que les mystères
d'Eleusis périclitèrent quand l'initiation ne fut plus gratuite.

Il faut d'ailleurs bien distinguer la hiérarchie administrative


des obédiences, que certains qualifient de mesquinerie caractéri­
sée, des « possesseurs » du pouvoir maçonnique s'y accrochant
comme à un hochet dérisoire, alors que la hiérarchie de la Loge
est censée être le reflet, sur terre, d'une harmonie universelle ne
se fondant que sur les devoirs des Frères 15•

VIII - Valeur virtuelle ou effective

L'initiation exige un rituel dont la mise en œuvre nécessite la


présence d'un certain nombre d'initiés. Ce rituel initiatique n'est
que la mise en route d'un processus chez le récipiendaire. Il ne
donne accès qu'à une initiation « virtuelle », qui ne peut devenir
effective qu'à la suite d'un long travail personnel.

René Guénon 16 pense que l'initiation comme voie d'accès à la


Connaissance signifie deux choses distinctes: l'initiation for­
melle, qui est l'admission à la pratique des rites initiatiques, et
l'initiation réelle, qui est accès à la Connaissance de l'.Ê.cre par la
voie qui y conduit.

I 4. Boucher Jules, De lïnitiation, in le Symbolisme, n° I 0/254, pp. 299 à


304.
15. Une loge révèle: Franc-maçonnerie ou initiation? Faux-francs-maçons ou
vrais initiés, Paris, Éd. du Rocher, 1985.
I 6. Gm:non René, Aperçus sur l'initiation, Paris, Éd. Traditionnelles, I 973,
pp. 198 ;1 201.

100
VALEURS DE 1.'tNITIATION

En d'autres termes, le fait de recevoir l'initiation ne signifie pas


pour le postulant qu'il est aussitôt initié. I.:iniriation n'étant que
virtuelle, cela signifie qu'elle doit être valorisée par le travail per­
sonnel du néophyte, celui-ci portant« en lui, son propre maître».

Dans le même esprit, Marius Lepage 17 énonce ainsi les trois


phases dans l'initiation:
1) I.:initiation potentielle qui correspond à la possibilité
d'initiation: celle-ci est déterminée par la notion de « qua­
lification )), d'ordre physique et moral,
2) I.:initiacion virtuelle, transmise par la cérémonie d'initiation,
3) I.:initiation effective.

Sur un plan traditionnel, l'initiation ne peut devenir effective


que lorsqu'elle remplie trois conditions: une qualification com­
plète, une réception régulière, une réalisation personnelle.
On peut constater qu'un grand nombre de ceux qui entrent
dans la voie rescem sur le seuil, à la porte du Temple, non pas
toujours parce qu'eux-mêmes sont incapables d'aller plus loin,
mais surcout en raison des conditions matérielles de l'existence
occidentale, qui ne laisserait aucun loisir pour la méditation et
encore moins pour la concentration.

À la question: l'initiation a-t-elle une valeur virtuelle ou effec­


tive? René Guénon 18 répond qu'entrer dans la voie, c'est l'initia­
tion virtuelle, suivre la voie, c'est l'initiation effective. De plus, il
considère que beaucoup confondent le fait même de l'initiation,
entendue au sens strictement étymologique, avec le travail à
accomplir ultérieurement pour que cette initiation, virtuelle au
départ, devienne par la suite plus ou moins pleinement effective. Il
conclut que tant qu'on ne fait que « spéculer », même en s'en
tenant au point de vue initiatique, on s'enferme dans une impasse,
car on ne saurait en rien dépasser par là l'initiation virtuelle.

17. Lepage Marius, Les degrés de l'initiation, in le Symbolisme n" 1 /300,


1951, pp. 23 à 27.
18. Guénon René, op. cit., p. 198.

101
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

Guillt1ume de !.a Perrière, Théâtre des bons engins, 1544.


ltt poire verte, ,wx mis du chaud soleil,
Change de goût et prend bonne savmr.
Semblablement lejeune, gr✠aux conseils,
Avec le temps, amende s,1foreur. Le temps corrige et change toute erreur.
Li' temps est chefde hons apprentissages.
Ceux qui sont sots peu11ent de11enir sages,
Et leurs misons trouver belles et bonnes.
Si le soleiljàit mûrir lesfruits,
Aussi Les ans mûrissent les personnes.

Jean Reyor 19 pense que pour passer de l'iniciacion virtuelle à


l'initiation effective, plusieurs conditions sonc requises: roue
d'abord, pour chacun, la conscience de la nature et du bue de l'ini­
tiation et le désir d'atteindre ce buc ; ensuite, un enseignement ini-

19. Rcyor Jean, Pour un aboutissement de l'œuvrt· de René Guénon, Milano,


Éd. Archè, p. 126.

102
VALEURS DE 1:1NITIATION

tiatique extérieur et transmissible dans des formes qui peuvent être


le discours ou le symbole ou l'un et l'autre; enfin une méthode
« opérative » qui saisit l'individu à chaque moment de son exis­
tence, non seulement dans son mental mais dans rous les éléments
constitutifs de son individualité. La première condition n'étant
plus remplie par l'immense majorité des maçons du monde entier
depuis deux siècles et demi. Jean Reyor conclut que, pour cette
raison, leur initiation est destinée à demeurer purement virtuelle.
Lacre maçonnique de réception, sous forme de consécration
lors de la cérémonie d'initiation, n'est pas qu'un symbole, car
cette consécration est de nature à modifier profondément la
nature spiriruelle de celui qui la reçoit. Elle remplie une fonction
d'éveil de la conscience.

jean-Jacques Boissard, Emblèmes, 1588.

Dans une course incertaine coule et se perd


le train de cette vie. Et tout ce qu'elle honore
Dt( b,·au, de grand, de riche, et de pompeux mcore,
A ftt vicissitude t't l'inconstance sert.
Elle meut, attachée à son instable roue,
Tout le clinquant de ce siècle et elle s'en joue.
Aussi, tournez le dos à son inœrtitude
Pour en.fù1 accéder 1't la bétttitude.

103
LES INITIATIONS ET 1:1NITIATION MAÇONNIQUE

IX - Valeur individuelle

Linitiation a une valeur individuelle dans la mesure où, quelle


que soit la forme d'initiation reçue, elle s'adresse à une personne
en particulier. Elle ne peut être actualisée par le néophyte qu'à la
condition de faire un travail personnel considérable de remise
en question de soi, suivi d'une authentique métanoïa. Considé­
rée sous l'aspect de la Connaissance de soi et de la recherche de
la Vérité et de la Lumière, l'initiation est une démarche person­
nelle que favorise en outre une meilleure connaissance des autres.
Le travail initiatique individuel s'inscrit dans la durée; c'est
pourquoi il nécessite une volonté de perfectionnement personnel
de tous ceux qui choisissent cette Voie.
La transmission initiatique, lors de la réception du candidat, les
épreuves subies, marquent à jamais la vie d'un homme ou d'une
femme, l'amenant à s'investir plus profondément et plus
consciemment dans la vie qu'il ou elle ne l'aurait fait auparavant.
Il existe autant d'initiations que d'initiés.

X - Valeur universelle

Le caractère collectif du travail en Loge se caractérise par


l'aide indispensable de cous les assistants pour les rituels d'ouver­
ture et de clôture des travaux. On ne saurait trop souligner que
cout président de Loge, appelé Vénérable maître en chaire, agie
en tant qu'investi d'une fonction, et jamais en son nom propre.
La meilleure preuve est qu'il n'est jamais appelé par son nom
personnel, mais par l'intitulé de sa fonction. Il en va de même
d'ailleurs de tous les autres officiers d'une Loge.

La connaissance de soi, qui est d'abord individuelle, permet


une meilleure connaissance des autres et de roue ce qui existe;
c'est par là que commence l'universalisme ec la découverte des
lois générales de l'Univers. Linicié crée sa propre harmonie en
104
VALEURS DE L'INITIATION

s'harmonisant avec les êtres, les choses et le monde. Il s'enrichit à


l'universel rom en y accédant.
« Pour les sociétés traditionnelles orientales, le sacré est ce qui
est absolument réel, d'origine crans-humaine et crans-terrestre,
avec des dieux, des déesses, des esprits donc l'origine est excra­
humaine, appartenant donc à une réalité plus réelle que la réalité
existante. Cette origine liée à la fertilité donne un sens à la vie.
On voie pourquoi, dès lors, l'essence du sacré est universelle, elle
est originelle. Elle place l'universel à l'origine20• »
L'existence de courants initiatiques différents dans leur appa­
rence, mais possédant un fonds commun, permet de dire que si
l'initiation a une valeur individuelle; elle tend aussi à une
recherche de la Vérité à caractère universel.
La réception de l'iniciacion fait de quelqu'un un maçon qui sera
reconnu et qualifié comme tel par ses Frères, car à la question:
<< Êtes-vous franc-maçon ? », il ne répond jamais : « Je suis franc­
maçon », mais donne la réponse traditionnelle: « Mes Frères me
reconnaissent comme rel», ce qui signifie que c'est l'ensemble des
francs-maçons qui attestent de cette nouvelle qualification.

XI-Valeur sacrée

Dans routes les traditions, l'initiation fair passer du monde


profane au monde sacré. À la différence de la mort réelle, par
l'initiation, l'homme, roue en gardant sa forme manifestée et en
continuant à vivre dans le monde, accède à la connaissance du
sacré. On pem considérer qu'il n'existe ni une vie sacrée ni une
vie profane, mais une conception profane et une conception
sacrée de la vie.
Le sacré, radicalement opposé au profane, est accessible aux
profanes par les rites, les sacrements et l'enseignement des
mythes. Si le sacré n'est pas accessible à tout le monde, il l'est par

20. Eliade Mircea, lnititttion et monde moderne, in Travaux Villard de Hon­


necourt, n° l (2< série), 1980, p. 27.

105
LES INITIAllONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

un secret partagé et transmis encre quelques-uns, d'où la Tradi­


tion. Avant toute initiation, le profane doit être purifié de
quelque manière et cette purification fait déjà partie du sacré.

Sacré, secret, sacrement: ces crois mots proviennent d'une


même racine et ils one fondamentalement le même sens. Le
sacré, en effet, ne peut se communiquer que dans le secret, et
cette communication a valeur de sacrement. Le sacré amène
nacurellement les hommes vers une vie en esprit, une vie où ils
épanouissent l'ensemble de leurs facultés, et pas seulement leur
raison ou leur désir de possessivité21•

Jean Cazeneuve 22 observe que si « le but des cérémonies d'ini­


tiation est de consacrer la condition humaine, c'est-à-dire de
faire participer la sicuation donnée à un modèle archécypique
numineux, il est bien évident que les variations de ce rituel doi­
vent correspondre aux différentes conceptions que chaque
société humaine peut se faire de la condition humaine elle­
même, et, en particulier, de ce qui, en elle, lui semble rituel.
Le culte des ancêtres réels est évidemment, dans bien des cas,
inséparable du culte des morts ou s'en distingue assez mal. En
fait, la sacralisation des ancêtres se heurtait à un grave obstacle:
l'ancêtre-mort est un cadavre, donc un être impur. Il fallait
qu'un rituel adéquat ôtât d'abord au mort ce caractère pour qu'il
pût devenir un être sacré.
Tandis que la première réaction de l'homme devant le cadavre
était commandée par l'horreur que lui inspirait l'impureté de ce
symbole de l'anéantissement irrémédiable de coute stabilité dans
la condition humaine, un courant se manifestait qui portait les
sociétés à chercher dans la voie de la sublimation un moyen de
transfigurer en symbole sacré l'homme qui abandonnait la

21. Une loge révèle, j7-anc-maçonnerie ou inititztion ? fimx frimes-maçons ou


vrais initiés, Paris, Éd. du Rocher, 1985.
22. Cazeneuve Jean, Sociologie du rite, Puf, 1971, p. 266.

106
VALEURS DE 1:1NITIATION

condition humaine, mais dont les liens avec les vivants éraient
durables dans les cœurs de ceux-ci ».

De même, le mythe d'Hiram utilisé en franc-maçonnerie,


marque dans le même esprit l'abandon de l'univers humain par
celui qui sacrifie sa vie par idéal et devoir du sacrifice. De la sorte
le récipiendaire à la maîtrise a accès à un autre monde oü l'ordre
s'associe à une puissance extra-humaine.

XII - Valeur irréversible

Si, d'une société profane quelqu'un peur sortir comme il y est


entré, au contraire dès qu'une personne a été admise dans une
organisation initiatique, elle ne peut jamais, par aucun moyen,
cesser d'y être attachée, puisque l'initiation, conférée une fois
pour toutes, possède un caractère ineffaçable.
Si un franc-maçon ayant démissionné de !'Ordre, demandait
plus tard à être réintégré en franc-maçonnerie, il ne serait pas de
nouveau initié, ni ne repasserait par les grades qu'il a déjà reçus.
Pareillement, dans les initiations tribales d'âge, le passage d'un
état à un autre est irréversible.
De même l'organisation initiatique, par sa nature même,
échappe aux contingences. Aucune force extérieure ne peur la
supprimer. Elle est véritablement insaisissable. La qualité de ses
membres ne pouvant jamais se perdre, elle conserve une exis­
tence effective tant qu'un seul d'entre eux demeure vivant, et
seule la mort du dernier entraînerait sa disparition, ce qui
démontre bien le caractère indélébile des grades reçus.
Julius Wilhelm Zincgrej,' Emblemacum echico-policicorum cencuria,
Heidelberg, 1664, emblème n° 87.
Ayant sondé, pousséjusqu'au plus pr<>Jond,
Lecteur. veux-tu savoir ce que peut être l'homme?
Rien que plis et replis, et pour te dire en somme,
Un dédale en c<>ntours, un abîme sans fond.
CHAPITRE V

Anthropologie des buts


et finalité de l'initiation

1 - Donner un sens et une cohérence à la condition humaine

Une question essentielle est de déterminer ce que peut recher­


cher le candidat à l'initiation. Une réponse est fournie par le cui­
lage au grade d'apprenti:
- Pourquoi vous êtes-vous fait recevoir .fi"anc-maçon?
- Parce que j'étais dans les ténèbres et que je désirais recevoir la
lumière.

Et au Rite Anglais de style Émulation, une autre réponse est


donnée, de nature à éclairer la précédente :
Où avez-vous été tout d'abord préparé à être reçu Maçon?
Dans mon cœur.
Il s'agit donc bien de la réception d'une lumière intérieure, de
nature à illuminer le cœur et à éveiller la conscience, permettant
ainsi au récipiendaire de faire une complète métanoïa.

Le but des cérémonies d'initiation est de donner un sens à la


condition humaine en la sacralisant ou en retrouvant le sens de
vivre dans le sacré. Le mythe, qui structure route initiation, a
une double fonction : conférer un sens au monde, conférer un
sens à la vie de l'homme et à la légitimité de son comportement.
Dès l'aube de l'humanité, l'histoire apprend que l'être humain

109
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

s'est posé la question, toujours actuelle, du sens de la vie toute


entière en général et de la sienne en particulier.

Le but de l'initiation est de rassembler ce qui est épars, de


dégager un dénominateur commun entre les éléments à assem­
bler dans une cordiale fraternité. L'initiation ouvre la porte de
l'universalisme par une more et une renaissance, une ouverture
de la conscience, un dépassement de soi, une gestation perma­
nente, une découverte de possibilités ignorées, une transmission
et une libération possible.

Il - Création d'un homme nouveau

Dans les sociétés dites traditionnelles, l'initiation préparait


chacun aux épreuves de transformation de la personnalité et
l'aidait à les surmonter en exaltant les qualités idéales présumées
d'un héros mythique.
L'initiation n'est pas seulement « théorique » mais pratique,
disons « éthique » ; elle a pour objectif de générer un homme
nouveau en suscitant une nouvelle naissance.

On peut considérer que le cérémonial du rituel initiatique est


un moyen, tandis que l'expérience de l'éveil et de la transforma­
tion de l'être est le bue.

Dans cous les cas étudiés, l'ethnologue Jean Servier constate


« qu'il y a un retour de l'être au noyau le plus intime de la per­
sonne humaine, un processus que les alchimistes traduisaient
par V.I.T.R.I.0.L. qui signifie, dans l'esprit: Descend dans les
entrailles de la terre, au plus profond de toi-même et trouve le
noyau insécable sur lequel tu pourras bâtir une autre personna­
lité, un homme nouveau ».

110
ANTHROPOLOGIE DES BUTS ET FINAITIÉS DE 1:1NITIATION

George Wùher. A Collection of Emblerns Ancienr and Modern.


London, 1635
L'ouverture de l'œil du cœur permet à tout adepte
d'être illuminé intérieurement par les clczirs myons
de la lumière tle lrt conscience et de la vérité.

Ill - La quête de la liberté intérieure

Depuis toujours, l'initiation serait un psychodrame vécu et


joué par Je récipiendaire. Les épreuves symboliques subies au
cours de « voyages » représentent les obstacles qui se dressent
devant celui qui veut retrouver son intériorité profonde et sa
liberté intérieure.

111
LES INITIJ\TIONS ET LINITIA110N MAÇONNIQUE

Daniel Béresniak' considère que si le but de la franc-maçon­


nerie est de former des initiés, le chemin de l'initiation est le
moyen pour devenir un homme libre.

Gilles Corrozet, Hécaromgraphie, 1540.


Ne pas cacher la vérité

Veuille, sous le tonneau, ne pas cacher


La belle et écl,tirante chllndefle.
On a constamment besoin d'elle
Pour tfï.11Jt1il!er ou pour marcher.
La vérité ne veut être cachée.
Avec le temps, elle se montre et se découvre
Et s11 clarté ne veut être empêchée,
Que ce soit par bonne ou par nuzuv,zise œuvre.
Car, quand on met la vérité en arrière,
Tout marche mal et par un chemin oblique.

IV - La reconquête de l'Unité perdue et de la Vérité

Le bue de l'initiation effective est de passer de l'extérieur à


l'intérieur, de la multiplicité à l'unité, de la circonférence au

1. Bcrcsniak Daniel, La franc-mflçonnerie, Réponses flux questions d'Anne­


Sophie Schoeffir, C.D. Éi Décrad.
112
ANTHROPOLOGIE DES BUTS ET FINALTIÉS DE LINITIATION

centre, point unique oü il est possible à l'être humain de se


connaître lui-même, de s'élever à des états supérieurs, afin de
réaliser ce qu'il est potentiellement de toute éternité.
« La recherche de la Vérité dans coutes les traditions est particu­
lière. Si l'Inde sublime le sacrifice, le bouddhisme exalte la charité,
le christianisme l'Amour, le judaïsme et l'islam célèbrent l'Unité, le
taoïsme et le zen prônent la pureté et la simplicité, la franc-maçon­
nerie recherche la Vérité et la Lumière. Néanmoins toute philoso­
phie, toute religion et toute initiation visent à résoudre cette triple
question: « D'où venons-nous? Qui sommes-nous? Oü allons­
nous ? 2 » Il s'agit d'une quête dont l'objet est la vérité, quête
encouragée par la fameuse exhortation: « Cherchez et vous trou­
verez, frappez et l'on vous ouvrira, demandez et vous recevrez».
Paul Naudon3 considère que « la franc-maçonnerie, par l'ini­
tiation à laquelle elle prétend, enseigne l'art de penser. Mais cet
art ne suffie pas. Il faut se demander à quel objet, à quelle fin il
s'applique. Cet objet est le problème même de la connaissance
de l'homme, c'est-à-dire de son origine et de sa destinée... La
Vérité est une si les aspects en sont multiples et l'Absolu exclut
les formes et les apparences. C'est pourquoi la voie initiatique,
par l'emploi de ses symboles, vise non seulement à apprendre
l'an de penser, mais aussi à révéler cette vérité absolue. »

V - Le rejet des pouvoirs dans l'initiation tribale et reli­


gieuse. - La recherche des pouvoirs dans l'initiation magique
(sorciers et chamans).

René Guénon4 constate que la recherche de << pouvoirs » ou


de « magie » n'a absolument rien de spirituel, ni d'initiatique,
mais relève uniquement du domaine psychique:

2. Oz Hami, Diverses initiations face à la tradition maçonnique, in Alpina,


1986, p. 106.
3. Naudon Paul, L'humanisme maçonnique, Éd. Dcrvy, 1963, pp. 63 ec 64.
4. Guénon René, Aperçus sur l'initiation, Éd. Traditionnelle, 1972, p. 157.

113
Théodore G'allée, Figure de l'Occasion ot1 sonr proposés sous une forme
masquée les avanrages de saisir l'occasion ec les désavantages de la négliger,
Anvers, 1603.
fl.S l'OURSUIVEJY-/' u: Tt.ï'vfPS l'ERUU t.T ÙJCCASION SANS LES l?ATTRA/>/:R.

A. Hé camarades! Pour autant que je vois, tout espoir ne nous est pas enlevé.
Une nouvelle image de ceux que nous avons laissé passer nous fait signe.
B. Arrête ton pas, TEMPS! Où te précipites-tu de tes ailes si agiles?
A. Rflientis, je tim prie, regarde-nous et présente-toi!
B. Ah ! Iffuit.
C Hélas avec vélocité /'OCCASION passe, détournant ailleurs son visage.
D. Aux, malheureux, que reste-t-il en fin de compte?
C Qu'est-ce qui nous empêche de mettre la mtlin sur elle
et de retenir celle quifùit?
D. Portez la main sur elfe!
C. Vc>yez! Elle nous a échappé en abandonnant son vêtement.
Saisis sa chevelure, et retiens-!tt par sa propre muselière!
E. Hélas! Nous sommes sages trop tard!
F APRf"S, L'OCCASION EST CHAUVE

114
ANTHROPOLOGIE DES BUTS ET FINALTIÉS DE LINITIATION

« L'initiation ne saurait aucunement avoir pour but


d'acquérir des "pouvoirs" qui, rout comme le monde
même sur lequel ils s'exercent, n'appartiennent en défini­
tive qu'au domaine de la "grande illusion"; il ne s'agit
point, pour l'homme en voie de développement spirituel,
de se rattacher encore plus forcement à celle-ci par de nou­
veaux liens, mais, tout au contraire, de parvenir à s'en libé­
rer entièrement. »
Linitiation magique chez les chamans et sorciers vise à échap­
per à la condition humaine pour obtenir des pouvoirs surnatu­
rels tels que le contrôle de la transe, l'art des poisons, etc. Cette
finalité de l'initiation magique diffère fondamentalement, sur ce
point, des initiations tribales ou religieuses.
René Guénon prend pour exemple la lucre de Moïse et des
magiciens de Pharaon ; à son sens, elle représente la lune respec­
tive des puissances de l'initiation et de la contre-initiation. On
peut considérer que la lutte de Moïse correspond à un processus
de libération, alors que celle des magiciens correspond à de l'es­
clavage par le pouvoir.
Gérard Galtier5 insiste sur le fait que le but de l'échelle initia­
tique n'est pas de correspondre à une hiérarchie de pouvoirs,
mais à des degrés de perfectionnement et de maîtrise de soi.

VI - Dépasser, voire transcender l'état humain

Dans le meilleur des cas, on peut espérer que l'initiation a


pour résultat, en rattachant l'homme aux archétypes sacrés, de
lui permettre de communiquer avec une puissance extra
humaine ou supra humaine.
Le véritable initié n'obéit cependant à aucun impératif exté­
rieur à lui-même autre que sa seule conscience. Ce qui l'amène à

5. Galtier Gérard, l'initiation maçonnique face 1111 trttditiorutfisme guénonien,


Autre Monde n° 120, pp. 51 à 59.

115
LES INITIATIONS ET l!INITIATION MAÇONNIQUE

se dégager de cour dogmatisme, qui ne débouche que sur l'into­


lérance, elle-même génératrice de cous les excès.

Selon Luc Benoisc6, le bue de l'initiation serait « une


conquête active des états supérieurs, définie aussi comme com­
munion avec le Soi, accès à un état d'harmonie profond de l'être,
d'équilibre complet de tous les éléments de l'individualité ».
Claude Guérillor7 considère que « l'initiation présence tou­
jours des bues, le premier, connu de cous, utilitaire, souvent égo­
centrique, en un mot exotérique: assurer son salue, alors que le
second consiste par degrés à rejoindre le « supra humain » par
une élévation spirituelle continue».

Le dénominateur commun des grandes traditions orientales:


hindouisme, bouddhisme, taoïsme, zen est la connaissance de soi
qui permet dans sa réalité profonde et véritable d'accéder à l'expé­
rience vécue de l'immortalité, d'échapper à l'espace et au temps.
Une autre approche de l'initiation est de réaJiser la plénitude
des possibilités de l'état humain dans son intégralité. Cerce perfec­
tion de l'état humain constitue la restauration de l'état primordial,
antérieur à la chute évoquée par la tradition judéo-chrétienne.

C'est René Guénon8 qui établie une distinction hiérarchique


dans les rites initiatiques encre les Petits mystères et les Grands
mystères. Les premiers conduisent à la perfection de l'état
humain en rappel de « l'homme primordial ou véritable ». Ils
correspondent aux initiations chevaleresques et artisanales, alors
que les Grands mystères, qui correspondent aux initiations sacer­
dotales, conduisent à « la délivrance finale }>, appelée également
« identité suprême».

6. Benoist Luc, Lësotérisme, Paris, Puf, 1993, Que sais-je?, n° 1031, pp. 21 à
25.
7. Guérilloc Claude, De la porte basse à la porte étroite: une rtpproche de l'ini­
tùttùm, Paris, Dervy, 1998, p. 16.
8. Guénon René, op. cit., pp. 248 à 253.

116
ANTHROPOLOGIE DES BUTS ET FINALTIÉS DE L'INITIATION

À cela, Gérard Galtier 9 objecte que la perspective guénonienne


est une conception typiquement sacerdotale, qui n'a rien à voir avec
la philosophie artisanale du compagnonnage et de la maçonnerie.

Georgette de Montenay, Emblèmes et devises chrétiennes, 1571.


Comme lefer est attiré par l'aimant,
L'homme est par la providence tiré aussi.
Ne fàis donc rien sans présumer
De tesforces, car rien n'a sa nrtture ici.

Jules Evola 10 précise que parfois les Petits mystères sont présen­
tés comme une phase préliminaire et les Grands mystères comme
un accomplissement. Selon la forme d'initiation, ils ne sont pour­
tant pas forcément présentés comme des phases successives, mais
peuvent être au contraire distingués et même opposés, renvoyant à
des orientations, des vocations et des contenus différents.

9. Galricr Gérard, op. cit., p. 51.


l O. Evola Julius, l'Arc et la massue, Paris, Éd. Trédaniel, 1984, p. 11 O.
Rc:cueil Précieux de la maçonnerie Adonhiramite, Philadelphie, 1787.
Cette gmvure, représentt1tive de son époque,
attire l'attention sur fa tenue vestimentaire du récipiendaire, nt nu, ni vêtu.
Les colonnes, ornées dtr miroir,
se trouvmt à l'extérieur du temple,
en référence tlU Temple de S,domon.
CHAPITRE VI

Spécificité de l'initiation maçonnique

1 - Origine présumée de l'initiation maçonnique

I.:initiation a revêtu de multiples formes au cours des âges. La


franc-maçonnerie fut l'une d'elles et même la principale, en
Occident, pendant ces trois derniers siècles.
I.:origine lointaine de la cérémonie d'initiation maçonnique
remonterait à la réception des maçons opératifs dans le métier.
Cette cérémonie comportait, dès le Moyen âge, la lecture d'un
texte des « Old Charges » contenant l'histoire légendaire du
métier, et des devoirs spécifiques ainsi que des préceptes moraux
que l'impétrant prêtait serment d'observer.
Dans le cas particulier de la franc-maçonnerie, il est difficile
d'apporter la preuve de la non-interruption de la chaîne de trans­
mission et la continuité de la pleine efficacité du -rite. Depuis que
la maçonnerie a cessé d'être opérative pour devenir spéculative,
elle a subi de considérables altérations et modifications.
Pierre Noël I considère que « la lecture des anciens rituels
révèle le lent processus par lequel des dépôts successifs vinrent
recouvrir le noyau originel. Ce qui n'étaie que l'accueil dans une
société réservée devint une cérémonie complexe et lourde de
sens. Le développement du symbolisme, les emprunts à la litur­
gie (la« consécration» du récipiendaire, par exemple), la sacrali­
sation enfin du vécu maçonnique sont autant de particularités

1. Noël Pierre, !:.preuves ou purifications? Â propos d'un rnornnlt privilégié dl'


lïnitiation, in Acta Masonica 11° l, pp. 27 à .50.

119
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

nouvelles que cultivèrent les francs-maçons (continentaux), de la


deuxième moitié du XVJUC siècle et que n'auraient pas reconnues
les maçons (britanniques) des premières décennies dudit siècle».

Le mot « initié >> ne fur pas employé dans son sens maçon­
nique avant 1728. C'est en 1730, dans la maçonnerie disséq uée de
Samuel Prichard, que l'on trouve pour la première fois qu'il fur
procédé à « l'initiation » de manière régulière. En 1756, la page
de titre d'Ahiman Rezon de Laurence Dermott mentionne aussi
le terme. Le mot « initié » lui-même apparaît dans une autre
divulgation: le Sceau rompu, en 1745.

Hadrian le jeune, Emblemata, 1565.


Cet emblème rappelle l'ambiance du cabinet de réflexion. Il a pour thème
« La vie esr une veille dans la nuit, le berceau jouxte la tombe »
avec cc commentaire :
Rester éveiller sur Les Livres, organiser son temps pour Lëtude,
Sont choses essentielles dans ltz vie: lt1 vie Jùit l'inaction.
f
Le succès attend celui qui est éveillé, lïnactis'enterre dans l'oubli:
Voilà la signification du livre ouvert, du sablier, de la ltzmpe.

120
SPÉCIFICITÉ DE L'INITIATION MAÇONNIQUE

En France, durant cout le XVJW siècle, la cérémonie au grade


d'apprenti est appelée « réception >>. Le mot « initiation » ne
devient « officiel » qu'en 1826, lorsqu'il fait son apparition dans
l'article 217 de la Constitution du Grand Orient de France
(seule obédience maçonnique de l'époque).
À l'origine, la réception au grade d'apprenti comportait essen­
tiellement le serment de garder les secrets du métier, la commu­
nication de (( mors » de reconnaissance et la remise du tablier.

On peut remarquer que chez les Steinmetzen 2 (corporation


des tailleurs de pierre allemands au Moyen âge), une distinction
éraie faire encre « maçon du mot » (Worcmaurer) et « maçon de
l'écrit» (Schriftmaurer). Le maçon du mot n'avait d'autre preuve
à fournir de sa formation dans le bâtiment que le mot et les
signes ; le maçon de l'écrit avait à présenter un contrat d'appren­
tissage. Jusqu'à la fin du XVIW siècle, une règle communale enjoi­
gnait aux maîtres de fournir de l'ouvrage aux ouvriers de passage
qui donnaient le mot et le signe.

Certains rires initiatiques spécifiques à la franc-maçonnerie


latine peuvent être datés approximativement :
le « dépouillement des métaux » apparaît en 17 40.
le<( tableau de Loge» est mentionné dès 1745.
- le « cabinet de réflexion >>, appelé« chambre obscure » encre
1765-1770.
les « voyages » apparaissent vers 1730, associés aux élé­
ments, vers 1780.
- I..:épreuve du sang, vers 1770.
La coupe ou calice d'amertume, vers 1785.

Le << serment », assorti de menaces pour les parjures, était


prêté sur la Bible en Angleterre, sur l'Évangile de Jean en France.

2. Heron Lcpper John, Les Sociétés Secrètes de !'Antiquité à nos jours, Éd.
Payoc, 1933, p. 82.

121
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

En 1786, le Grand Orient de France demande qu'il soit prêté sur


les statuts de !'Ordre maçonnique et sur le glaive, symbole de
l'honneur.
Prenant l'exemple du récipiendaire introduit dans le temple la
première fois, les yeux bandés, devant baisser la tête, Amélie
Gédalge3 observe que cette recommandation, « peu comprise par
nombre d'apprentis, correspond à nombre d'images symboliques
données dans les initiations les plus diverses en apparence. Ses
équivalents sont probablement la voie étroite et basse des Égyp­
tiens et des Esséniens, le pont coupant de Zarachustra; le fil
d'araignée , employé par le Bouddha pour sauver un homme
tombé dans un abîme. Cet abîme symbolise, en un sens, le
monde profane. Après cette première épreuve, le récipiendaire
était, dans l'Antiquité, encore libre de reculer, de renoncer à l'ini­
tiation pour rentrer dans le monde profane ; et c'est seulement
s'il persistait qu'il lui était défendu de reculer ».

Il - Caractéristiques générales de l'initiation maçonnique

La franc-maçonnerie est une forme collective d'initiation du


type de celles qui sont pratiquées dans les mystères antiques. Elle
s'apparente à l'initiation des Confréries religieuses et des sociétés
secrètes à mystères.

Jean Reyor1 définit la maçonnerie comme étant essentielle­


ment un mode particulier de perfectionnement spirituel (et pas
seulement moral), basé sur le symbolisme du métier, et condi­
tionné par la réception d'une « grâce» particulière attachée aux
rites d'initiation. La maçonnerie est un « ordre » au sens ancien
du mot, comme la chevalerie.

3. Gedalge Amélie, Des contes de jèes à l'opéra: une voÙ' roy1.tle, Paris, Éd.
Dervy, 2003, p. 71.
4. Reyor Jean, Pour un aboutissement de l'œuvre d,, René Guénon: la jj,mc­
maçonnerie et l'Église catholique, Milano, F,d. Archè Milano, vol. 2.

122
SPÉC!f!CITÉ DE LINITIATION MAÇONNIQUE

Elle est définie à la fois comme « une institution d'initiation


spirituelle au moyen des symboles » et aussi comme « un ordre
initiatique traditionnel et universel » fondé sur la fraternité. Le
caractère sacré de !'Ordre maçonnique est lié à la présence d'une
initiation, à la pratique d'un rituel, à la communication de cer­
tains «secrets» et à la prestation d'un serment.
Jean Verdun5 considère que « le voyage initiatique ne vise pas
à révéler le déjà révélé, mais à exercer l'incelligence du caché ». La
voie initiatique incitant à passer du manifesté au non manifesté,
du visible à l'invisible.
Tout le cursus maçonnique se cantonne dans un contexte
légendaire biblique, parfois christique, enrichi d'éléments emprun­
tés au vaste réservoir d'archétypes communs à coure l'humanité.

Johann Mannich, Sacra Emblemaca, Nuremberg, 1624.


je suis muet et silmcieux, je me tais loin de !t1 joie,
Et je porte en moi ma sm�fjjnnce.
Mon cœur est enflammé au-dedans de moi;
Quand j'y pense, lefeu me consume.
Que mon cœur s'embrase da1111ntage ?t l'Amour de /'Unique.

S. Verdun Jean, la réalité maçonnique, Paris, Éd. Flammarion, 1983, p. 47.

123
LES INITIATIONS ET 1:1NITIATION MAÇONNIQUE

I.:iniriarion maçonnique se caractérise par:


son caractère volontaire et non pas obligatoire comme dans
les initiations tribales,
son caractère sélectif individuel, qui suppose la reconnais­
sance préalable chez l'impétrant de certaines dispositions
psychologiques, morales et intellectuelles,
son caractère d'évolution individuelle qui permet au vieil
homme de laisser place à un homme nouveau, meilleur,
œuvrant pour une société plus harmonieuse.

Extrait de Das Enrdeckce Geheimnis des Anti-Absurclen Gesellschafc,


Cologne, 1759.
Gravure représentrmt un projtme qui denutnde
son admission en ft11nc-maçonnerie.

124
SPÉCIFICITÉ DE 1:tNlTlATlON MAÇONNIQUE

La formation maçonnique est de crois ordres: un maître, une


méthode, une structure.
a) la Loge est le maître qui guide le nouvel initié
b) la méthode est constituée par le symbolisme, la dialec­
tique, le secret
c) la structure comprend un élément humain: la Loge ; un
élément intellectuel: !'Obédience; un élément spirituel:
l'Ordre.

Initier, c'est faire mourir en tant que profane pour pouvoir


mieux renaître. C'est provoquer un choc de non-retour pour
permettre de recommencer dans un monde différent et d'accéder
à un niveau supérieur. La mort initiatique ne concerne pas le
corps, mais l'esprit et l'âme même.
I..:impétrant reçoit par l'initiation une « influence spirituelle»
qui ne produit ses effets qu'à terme, en proportion des propres
efforts de l'intéressé pour faire germer et éclore les possibilités
latentes qu'il porte en lui.

On peur s'interroger sur la valeur exacte d'une transmission


initiatique qui n'a pas d'origine historique précise. A cette ques­
tion, on peut répondre qu'elle est un anneau de la chaîne de
transmission donc le point de départ est en dehors de l'humanité
et que le transmetteur agit au nom de l'organisation à laquelle il
est rattaché, qui elle-même détient ses pouvoirs du Principe
qu'elle représenté.

6. Clerbois Jean, Qu'est-ce que l'inititttion ?, in le Symbolisme, 1965, n° 370-


371, pp. 331 à 344.

125
SPÉCIFICITÉ DE L'INITIATION MAÇONNIQUE

La gravure ci-contre esc extraite d'un ouvrage anonyme inti­


tulé Les coutumes des .francs-Maçons dans leurs assemblées, début
1745.
Elle représente l'enr.rée d'un candidat à l'initiation le jour de
sa réception en Loge. Le récipiendaire a une préparation vesti­
mentaire particulière : il a les yeux bandés, le sein gauche et le
genou droit dénudés, et il est introduit par le deuxième
Surveillant.
Le tableau de Loge est clairement identifiable. Le modèle
représenté est très proche de celui décrie par Pérau. Il est sobre,
avec ses deux colonnes portant les lettres J et B, ainsi que les
mots Force er Sagesse. Ces colonnes encadrent un escalier semi­
circulaire à sept marches, en haut duquel se trouve un pavé
mosaïque qui recouvre cour le sol. Au centre du tableau il y a une
éroile flamboyante (sans lettre G), sous laquelle on peuc lire le
mot Beaucé.
Trois fenêtres y sont aussi dessinées. De part et d'autre de la
fenêtre d'Orient se trouvent une perpendiculaire et un niveau.
Au-dessus de ces outils, on peur voir respectivement une pierre
brute et une pierre cubique à pointe fendue en son sommet par
une hache. En dessous, se trouve une devise: « Fidelitas moribus
umcas ».
Une équerre a été placée au centre, à l'Orient, les branches
rournées vers l'Occident. Il n'y a pas de compas visible. La lune
se trouve en haut à l'angle nord-est et le soleil à l'angle sud-est.
La corde à nœuds n'a que deux lacs d'amour. Elle est terminée
par une houppe, de chaque côté.
Les crois piliers sont représentés par de grands et hauts chan­
deliers, disposés aux angles nord-est, sud-est et sud-ouest du
tableau de Loge.
Le Vénérable Maître en chaire est le seul membre de la Loge à
porter un couvre-chef Il est assis sur une chaise et devant lui se
trouve une petite table sur laquelle est ouvert un livre, celui des
Évangiles. Devant cette table, sur un agenouilloir, on distingue
une équerre et un poignard. Les assistants portent tous un grand
tablier à bavette rabarrue, et quelques-uns portent une épée.

127
LES INITIATIONS E.T LINITIATION MAÇONNIQUE

Ill - Critères des conditions d'admission en franc-maconnerie

À l'instar de René Guénon, Marius Lepage considère que la


possibilité d'initiation est soumise à la notion de « qualifica­
tion », qualifications physiques aussi bien que morales.

Les qualifications exigées pour être admis en franc-maçonnerie:


« être né libre », être un homme de désir et être de bon renom.
Il n'est peut-être pas inutile de mieux définir de quel type de
liberté il s'agit, puisqu'une des finalités de l'initiation est d'aider
le récipiendaire à conquérir sa liberté intérieure. On peur donner
plusieurs sens à ce terme : libre d'empêchements psychiques,
n'avoir aucune infirmité physique selon la règle des<< b »: n'être
ni bègue, borgne, boiteux ou bossu, et n'être soumis à rien ni à
personne socialement ou intellectuellement.
Le fait de demander l'initiation suppose aussi une disposition
intérieure de réalisation active, et enfin il est impératif d'être de
bonne renommée, formule qui condense les qualités morales
indispensables comme base de la réalisation spiricuelle, ce que
Marius Lepage appelle << être un honnête homme ».

Jean Clerbois7 constate que l'admission d'éléments non« qua­


lifiés » en franc-maçonnerie est un des facteurs qui contribuent à
la dégénérescence de l'initiation maçonnique, par ailleurs déjà
très discréditée parmi les non francs-maçons.

Un candidat à l'initiation dans une obédience maçonnique


doit formuler une demande écrite, à la suite de quoi, si celle-ci
est retenue, il rencontre crois personnes chargées d'approfondir
ses motivations, sa personnalité et son mode de vie; ensuite, le
candidat est auditionné devant cous les membres de la Loge.
C'est seulement en cas d'acceptation qu'il est admis à subir les
épreuves de l'initiation.

7. Clcrbois Jean, op. cit., pp. 331 à 344.

128
SPÉCIFICITÉ DE L'INITIATION MAÇONNIQUE

IV - Validité et régularité de l'initiation

Jean Reyor8 fait une distinction entre deux aspects touchant


l'initiation qui sont souvent confondus, à savoir validité et régula­
rité. La validité implique que l'influence spirituelle soir transmise,
alors que la régularité correspond à une notion beaucoup plus
vague. On distingue la régularité administrative, conférée par une
Loge formée selon les conditions posées par une obédience donnée,
et une régularité initiatique, au sujet de laquelle Oswald Wirrh
considère qu'une l'initiation conferée par coure Loge composée de
sept Maîtres maçons « ritueliquemenr » assemblés, même en dehors
de coute Obédience, peut être valable et même régulière.

jeton dt' présence de /11. Loge Saint-Antoine du Parfair Contcnrcmcnt


le soleil t't !tt lune entourent les 7àbles de la Loi. Une épét' t'St posée
horizontalement sur l'tmtel des serments. Une équerre et un compllS sont sur
le haut des mrirch,·s devrmt l'autel entouré par deux branches d'rtmcitz. Un coussin
est posé sur les marches à lïntentùm du récipiendaire qui v,1 prêtt:r son serment.
Pttris, 1785. Face revers, argent, 32 mm.
Collection particulière, photo Marc Labourer.

8. Rcyor Jean, À 1(/ suite dt· Rmé Guénon. Sur 1(/ rowe des MaÎtres Maçons,
Paris, Éd. Trédaniel, 1989.

129
LES INIT'1\TIONS ET LINITIAl10N MAÇONNIQUE

Jean Reyor pense qu'en tenant compte des variations consta­


tées dans divers rituels depuis le XVIIIe siècle, la validité de l'ini­
tiation peut se résumer à trois moments successifs :
1) la demande du profane qui se traduit par l'alarme lorsqu'il
frappe à la porte du Temple,
2) le pacte, engagement, serment ou obligation,
3) Linvesticure ou la consécration, comportant les gestes et
les paroles ricuels par lesquels le Vénérable, au nom de
l'organisation initiatique, accepte définitivement le candi­
dat et le rattache à l'Ordre.

René Guénon précise, et c'est très important, que l'efficacité


du rite accompli par le Maître de la Loge est indépendante de la
valeur propre de cette personne et de sa compréhension person­
nelle, dans la mesure où il est régulièrement investi de la fonc­
tion de transmetteur.

V - L'initiation des femmes en franc-maçonnerie

La question de l'initiation des femmes en franc-maçonnerie est


encore sujette à de nombreuses controverses. Robert Amadou 9
résume ainsi les arguments souvent avancés :
« La femme est-elle capable de l'initiation? Si l'on tient, afin
de prévenir des critiques impertinences, à poser cette question
en préalable, la réponse sera : évidemment oui.
Aussi bien, le phénomène de l'initiation et des sociétés initia­
tiques, de statut officiel, est-il universel dans l'histoire et la géo­
graphie des hommes, à l'exception de la société occidentale
moderne dont la menralicé insrauratrice rend à s'étendre uni­
versellemenc.

9. Amadou Robert, L'initiation mflçonnique t't les fèmmes in l'Esprit des


Choses 1995, n° 12, pp. 27 et 28.

uo
SPÊCIFICITÊ DE LINIT!ATION MAÇONNIQUE

Or, l'histoire et la géographie des communautés tradition­


nelles y montrent des sociétés initiatiques masculines et des
sociétés initiatiques féminines, avec leur symbolisme respectif
et analogue (exception peut-être: les mystères d'Eleusis furent
mixtes, après avoir été réservés aux femmes. Mais peut-on encore
parler d'une société initiatique à propos d'un groupement si vice
changeant dans sa constitution ?)
La bonne question est donc: la femme est-elle capable de
l'initiation maçonnique?
La franc-maçonnerie est une société initiatique, quoique
l'Occident (pour parler bref) ne lui reconnaisse aucun statut
spécifique. Et c'est une société initiatique réservée aux hommes,
par des raisons de trois ordres :
l. Rllisons traditionnelles. Le caractère traditionnel est inhé­
rent à la franc-maçonnerie, comme à coure société initiatique.
Or le recrutement exclusivement masculin est un des princi­
paux landm11rks. I..;histoire de la Franc-Maçonnerie en confirme
le respect (nonobstant deux ou crois cas de réception motivés
par la nécessité d'astreindre une femme au secret, mais le cheva­
lier d'Eon étaie de sexe mâle). La première obédience mixte est
celle du Droit humain, en 1893, la première obédience maçon­
nique féminine est née en 1946-1958 par la métamorphose de
Loges d'adoption - voir ci-dessous.
2. Raisons juridiques. Sous le régime des Grandes Loges
(depuis 1717), le respect des landmarks constitue une obligation
juridique pour l'ensemble des frères qui se reconnaissent comme
reis, c'est-à-dire qui appartiennent à des Grandes Loges dires
régulières (les obédiences, les Loges et les frères qui ne s'estime­
raient pas concernés par les raisons du présent ordre ne peuvent
en tirer argument contre les raisons précédentes ni contre les
raisons suivantes.)
3. Raisons S)'mboliques. Le caractère symbolique de la Franc­
Maçonnerie ne lui est pas moins inhérent que son caractère tradi­
tionnel. Or, le symbolisme maçonnique est conforme à la

131
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

spécificité masculine, dans le genre humain : depuis le contact


de la lumière avec la peau, au premier degré, jusqu'au
mythe/rite de mort et de résurrection qui convient à la renais­
sance initiatique de l'homme, tandis que l'initiation de la
femme consiste symboliquement en la découverte de sa parti­
cipation au pouvoir d'enfantement essentiel à la nacure. Le
symbolisme de la chevalerie n'est pas moins masculin en son
fond. Surtout, en confondant - en prétendant unifier par la
confusion - les deux sexes, s'abolit la coopération de l'homme
et de la femme sur la voie initiatique, le rôle de chacun étant
défini et favorisé par le symbolisme propre de leurs initiations
respectives. Hermaphrodite anéantit Tamino et Tamina, appe­
lés à s'aider mutuellement, chacun à sa façon (que le symbole
aide à penser et à vivre), en vue de l'androgynac ésotérique qui
est le bue de cout homme et de coure femme initiés.
La maçonnerie dite d'adoption est la solution française élabo­
rée au xvme siècle, et pourvue d'un symbolisme adéquat, afin de
faire participer la femme, en vérité, à l'initiation maçonnique.
D'autres sociétés initiatiques féminines, sans rapport formel,
même d'adoption, avec la Franc-Maçonnerie sont convenables,
que pourraient servir pratiquement des systèmes de mythes et de
rites relevant de symbolismes très différents.
Enfin le point d'orgue. Un seul Régime maçonnique tradi­
tionnel - ô combien - est mixte sans réserve: l'ordre des chevaliers
maçons Élus Coëns de l'univers. (Même la Haute Maçonnerie
égyptienne de Cagliostro n'admettait les femmes qu'au titre de
l'adoption.) Pourquoi? Serait-ce parce que le vêtement maçon­
nique des Coëns ne suffit pas à faire de !'Ordre une maçonnerie
pure et simple, ni même une maçonnerie? (Mme Provensal ec
Mme de Lusignan, par exemple, sonc-elles passées par les crois
grades bleus, auxquels Martines de Pasqually attachait peu
d'importance, mais qu'il exigeait des futurs frères - par principe
ou par politique maçonnique ?) Pourtant, il semble que des rap­
ports intrinsèques rattachent la Franc-Maçonnerie à !'Ordre des
élus Coëns et, par conséquent, !'Ordre des Coëns à la Franc­
Maçonnerie. Mais cette démarche ne vient-elle pas noyer la

132
SPÉCIFICITÉ DE L'INITIATION MAÇONNIQUE

Franc-Maçonnerie dans le Saine Ordre, via l'écossisme? l. .:affaire


a de quoi stimuler nos réflexions ».
Robert Amadou qui accrédite l'initiation martiniste en faveur
des femmes donne des arguments qui j ustifient tout autant leur
admission dans l'Ordre maçonnique :
« La tradition, qu'illustre l'histoire, le droit dit par
l'ordre originel, le symbolisme qui n'a d'autre signification
que la doctrine enseignée par Louis Claude de Saint­
Martin ( de même que l'ordre est d'autant plus fidèle à soi­
même qu'il l'est au Philosophe inconnu) ne semblent
laisser place à aucune discussion. La femme est aussi
capable que l'homme de l'initiation par l'interne et )'Ordre
martiniste dom le but est d'aider paradoxalement à cette
initiation par des formes appropriées (et, par conséquent,
minimales) ne peut recevoir que selon des mythes ec des
rites dont le symbolisme, analogue à l'initiation selon
Saint-Martin, ne peur que convenir aux femmes comme
aux hommes[... ]
Il n'en reste pas moins que sur la différence entre
hommes et femmes, quant à la sensibilité et quant à la
pensée, donc quant à la manière dont les uns et les autres
vivront l'initiation martiniste, Saine-Martin nous instruit,
autant que son enseignement habilite d'avance hommes et
femmes au marcinisme, et aux ordres qui y sont astreints. »
En 2002 un concours10 fur proposé par les obédiences belges
sur un sujet quasiment tabou: « les Rires maçonniques sont-ils
spécifiquement masculins? ». Ce concours eut un tel succès
qu'un numéro spécial fur publié en français proposant entre
autres études: « bretelles et porte-jarretelles ... structures de
l'imaginaire et conceptualisme des symboles », sujet insolite qui
en die long...

1 O. Les Rites Maçonniques sont-ils spécifiq uement masculins? Numéro Hors


série des Annales de Trigonum Coronatum Belgique, 2003.

133
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

Parmi les nombreux clichés antiféministes qui continuent à


faire florès, du rype le soleil est masculin, la lune estféminine, vou­
lant ainsi justifier le caractère spécifiquement masculin des
rituels maçonniques, on découvre dans l'étude très pertinente de
Jean-Pierre Bouyer que dans de nombreux pays dont le Japon,
dans les langues sémitiques ec, dans coures les langues indo-euro­
péennes anciennes, le soleil est féminin et la lune masculine. De
plus, en polonais, si la lune est du genre masculin, le soleil est
neutre! Voilà de quoi faire réfléchir cous les partisans du
machisme fermement convaincus que la franc-maçonnerie est
leur chasse gardée. De tels arguments font perdre de vue le carac­
tère universel du symbolisme maçonnique et amènent certains à
affirmer en s'appuyant sur cet exemple du soleil et de la lune:
« qu'il ne pem être question d'offrir aux femmes un rituel solaire,
alors qu'elles sont lunaires».
Parmi les nombreuses questions abordées, il y a le référent au
métier de la construction. À ce sujet, le même ameur observe fort
justement que selon l'afllrmation « Ici, tout est symbole: si cout
doit être symbole et rien que symbole, le référent opéracif de la
franc-maçonnerie spéculative ne peut lui-même qu'être symbo­
lique. Nous ne reproduisons pas les usages de la franc-maçonnerie
opératives, ils ne sont pas reproduits, mais seulement figurés. De
même que le tranchant des épées des francs-maçons n'est pas
aiguisé, que l'étoile n'est flamboyante que par la grâce de l'énergie
électrique, que la porte n'est basse que par l'artifice de la règle, que
le sang ne coule pas ... li ne s'agit que de figurations - dont les
rituels maçonniques ne sont que la théâtralisation », au sens du
théâtre sacré traditionnel.
Enfin, parmi les perles qui circulent sur l'initiation des
femmes, on trouve encore « la femme n'a pas besoin d'être ini­
tiée, puisqu'elle est l'initiation ». Suprême argument qui se veut
argument d'autorité en se référant à la tradition. Là encore, la
tradition a bon dos, puisque l'argument néglige l'existence
immémoriale des traditions initiatiques féminines.
Dans la mesure où l'exercice effectif du métier a disparu, il
semble bien que le fait d'exclure les femmes de l'initiation

U4
Sl'ÉCll'ICITÉ DE LINITIATION MAÇONNIQUE

maçonnique a perdu sa raison d'être et ce depuis les débuts de la


franc-maçonnerie spéculative. La méthode symbolique propose
une voie universelle de réalisation sans aucune forme de ségréga­
tion. Il en est de même de la pratique des rites qui font appel à
une gestuelle en relation avec la géométrie.
Une autre question d'actualité se pose: Pourquoi tous les
métiers inclus dans le Compagnonnage sont-ils exclusivement
masculins et pourquoi aucun métier féminin ne paraît-il avoir
donné lieu à une semblable initiation ?
René Guénon 11 apporte une réponse intéressante: « les
métiers appartenant au Compagnonnage ont toujours eu la
faculté d'affilier tels ou tels autres métiers et de conférer à ceux-ci
une initiation qu'ils ne possédaient pas antérieurement, et qui est
régulière par là même qu'elle n'est qu'une adaptation d'une ini­
tiation préexistante: ne pourrait-il se trouver quelque métier qui
soit susceptible d'effectuer une celle transmission à l'égard de cer­
tains métiers féminins ? »

VI - Nature des épreuves contenues dans l'initiation


maçonnique

Bien que quelques différences de formes puissent apparaître


d'une obédience à une autre, l'initiation maçonnique se déroule
généralement en plusieurs phases donc l'enchaînement est
immuable en fonction du rite pratiqué.

Au Rite Écossais Ancien et au Rire Français, les épreuves de


l'initiation consistent d'abord à isoler le candidat dans un lieu de
médication, appelé « cabinet de réflexion », où il rédige son tes­
tament philosophique et abandonne ses métaux. Puis, les yeux
bandés, il est introduit dans le Temple OLJ il effecrue « trois
voyages » ou « épreuves » par les éléments de l'air, de l'eau et du

11. Guénon René, ttudes sur la fi'11nc-maçonnerie et le compr1gnonnrtge, (�d.


Traditionnelles, 1976, romc Il, p. 24.

135
l.ES INITIATIONS ET ÙNITIATION MAÇONNIQUE

feu. Ces épreuves sont dites de purification. Sur la gravure ci­


dessous, datanc du XVJW siècle, on voit le candidat à l'initiation
au grade d'apprenti (premier degré), les yeux bandés. Il va subir
les épreuves qui viennent d'être décrites.

CÏHzmbn? de réception.
COrdre des francs-maçons rrahi et le secret des Mopscs révélé,
Amsccrdam, 1745.

136
SPÉCIFICITÉ DE lINITIATION MAÇONNIQUE

Le temple maçonnique se présence comme l'image de l'uni­


vers, et nous avons vu que le Président de la Loge y est appelé
« Vénérable Maître». Au terme de la cérémonie, le Président de
la Loge consacre par trois coups d'épée la réception finale au
grade d'apprenti franc-maçon: le récipiendaire est alors consi­
déré comme résolument more à sa vie profane et désormais
reconnu comme Frère.
Dès !'Antiquité, la théorie des quatre éléments est exposée par
Platon dans le Timée. Cette suuccure quaternaire est commune à
de nombreuses traditions.
Pierre Noël 12 rappelle que « ces purifications renvoient à un
très ancien symbolisme alchimique: la more et la renaissance ini­
tiatiques passent par la destruction puis par la restructuration de
l'être dans ces quatre « éléments » traditionnels ... Lusage de

..
,. ,.,...,,,... 'J,lti•.=! JJ, ,,.,,,,.....
1
l'\;'Tt,k.lOll OF ,\ f,Of)ca'.-FHt'.f.MAS0:\ 5 AT \VOKt-;.

Gravure extraite de: The Pe,jèct Sign s and Grips ofCraft Masonry.
Lectures for the Three Degrees and the Ceremony oflnstai!ation.
Privately printed, 1872.

12. Noël Pierre, op. cit., pp. 27 à 49.

137
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

préparer le candidat dans une chambre obscure est attesté dès le


début de la maçonnerie française. Il souligne le passage des
ténèbres à la lumière. Par contre, l'assimilation de cette étape à
un séjour souterrain est un héritage romantique (comme
d'ailleurs l'inscription VITRIOL, l'exposition du sel et du soufre
ou encore les maximes murales) ».

En 1843, Clavel u atteste des épreuves par les éléments : « Pro­


fane, dü le Vénérable, vos voyages sont heureusement terminés;
vous avez été purifié par la terre, l'air, l'eau et le feu ».

En 1887, Louis Amiable supprima les purifications, citées


précédemment et remania le rituel du Grand Orient de France
en ces termes (p. 45): « I.:initiation se faisait fort simplement dans
les Loges françaises du dix-huitième siècle. On l'a beaucoup com­
pliquée au dix-neuvième, en y mêlant des particularités que l'on
croyait empruntées aux initiations de !'Ancienne Egypte. On cher­
chait à éprouver le courage du récipiendaire par des moyens terri­
fiants. On simulait la quadruple purification par les quarre
éléments des anciens, c'est-à-dire par la terre, l'air, l'eau et le feu.
Le récipiendaire était à moitié dévêtu. Parfois il étaie introduit
dans le temple, couché dans un cercueil. On lui trempait les mains
dans l'eau, parfois le bras jusqu'au coude. On le faisait passer au
milieu des Aammes ... Vous ne devez pas vous étonner s'il vous
arrive de vous trouver en présence de quelques pratiques de ce
genre. Vous n'en serez pas troublé, non plus, sachant que le pro­
grès est lent et que l'évolution humaine est complexe. »

VII - Rôle de la cérémonie d'initiation

Son rôle consiste à ouvrir les yeux du profane à la lumière.


Lumière spirituelle, bien sûr, autre qu'une lumière physique.

13. Clavel F.TB., Histoire pittoresque de la Jhmc-m,tçonnerie et des sociétés


st·crètes anàmnes et modernes, Paris, 1843, p. 17.

138
SPÉCIFICITÉ DE L'INITIATION lv!AÇONNIQUE

C'est alors que commence pour le néophyte le travail de sup­


pression en lui de wus les obstacles qui s'opposent à la pénétra­
tion de cette lumière. Ce travail censé éclairer son intelligence et
le transformer dans tour son être, est considéré comme le proces­
sus même de l'initiation. Un franc-maçon étant censé chercher la
lumière en Loge, la question se pose de ne pas la laisser sous le
boisseau lorsqu'il se retrouve en dehors de la Loge.

La connaissance initiatique est indéfinissable puisqu'elle est


fonction du niveau de prise de conscience de chacun et d'ouver­
ture de son entendement. Elle se manifeste le plus souvent,
d'une manière tangible, comme un épanouissement de la per­
sonne, qui semble évoluer réconciliée avec elle-même, et comme
libérée, vers ce qui lui est devenu essentiel.

À chaque passage de grade se pratiquent des voyages. Chaque


étape correspond à une facette de l'expérience initiatique du réci­
piendaire. Lensemble de routes les déambulations initiatiques
provoque des prises de conscience du sens de la vie qui produi­
sent peu à peu une transformation intérieure profonde. Chaque
voyage est une progression vers une connaissance plus authen­
tique de soi et un détachement de plus en plus subtil de cour ce
qui est factice et vain.

La qualité d'initié signifiait dans l'Anciquiré que l'homme


commençait une vie nouvelle. Celle-ci correspond à une trans­
formation complète de l'homme, celle que ce n'est plus son œil
qui voit ou son oreille qui entend, mais que c'est tout son être
intime er vrai qui s'est assimilé et intégré à l'essence même des
choses. Ceci signifie qu'il est parvenu à s'extraire du labyrinthe,
de l'entrelacs des vices et des passions, des ténèbres et des illu­
s10ns, trouvant son fil d'Ariane, tel I'<< esprit de Vérité » qui
pourra le guider.

Par l'initiation, l'être se réalise donc d'une manière authen­


tique, fait passer ses possibilités latentes de la puissance à l'acte.

139
LES INITIATIONS ET LINIT!Al1ON MAÇONNIQUE

Une fois atteinte, l'initiation devient permanence, demeure un


état acquis une fois pour coures et que rien ne saurait effacer. ..
C'est ainsi que pour René Guénon, il est absurde de parler d'un
«ex-maçon», puisque cette qualité acquise est inamovible (les
Anglais désignent d'ailleurs de manière appropriée un franc­
maçon exclu ou démissionnaire par l'expression de inattached
mason) 14•

VIII - Franc-maçonnerie opérative et spéculative

Pour beaucoup, à l'origine la franc-maçonnerie était opéra­


cive dans la mesure où autrefois le rattachement à un métier étaie
indispensable. Cerce opérarivicé remonterait au temps révolu des
bâtisseurs de cathédrale, mais on peur aussi penser qu'il y a une
filiation probable avec les Steinmetzen allemands (ou tailleurs de
pierre) du Moyen âge.
La plupart des historiens pensent que c'est à partir du
XV111 ° siècle que la franc-maçonnerie de métier devint progressi­
vement une franc-maçonnerie d'idées et de réflexions, qui d'opé­
rative est devenue spéculative.

Pierre Prévost 15 considère que c'est une vaine querelle que


celle de vouloir opposer la maçonnerie opérarive à la maçonnerie
spéculative, celle d'autrefois à celle d'aujourd'hui. Opératif s'en­
tendant surcout ici dans le sens du travail intérieur qui trans­
forme l'initiation de « virtuelle » en « effective », le support du
métier ne se suffit pas à lui seul. Spéculatif signifiant « miroir »
en latin, ne donnerait qu'un reflet, qu'une image, de l'initiation,
qu'une connaissance indirecte. La pratique de la maçonnerie spé­
culative conduit à approfondir le sens des aspects virtuels et
effectifs de l'initiation.

14. Hurin Serge, les Sociétés secrètes, Puf, 1973, p. 8.


15. Prévost Pierre, Initiation et instruction initiatique in Renaissance Tradi­
tionnelle, 1977, n° 32, pp. 298 à 304.

140
SPÉCIFICITÉ DE 1:1NITIAllON MAÇONNIQUE

IX- Initiation virtuelle et effective

À commencer par les milieux maçonniques, on entend dire


fréquemment que les francs-maçons d'aujourd'hui sont des ini­
tiés virtuels et non des initiés effectifs et que vouloir devenir un
initié effectif est quasiment impossible, d'où l'appellation de
franc-maçonnerie spéculative qui désigne une rhétorique de
métier sans application opérative. Les maçons se réfèrent aux
outils du métier, ils analysent leurs potentiaJicés et le symbolisme
donc ils sont porteurs sans plus les utiliser pour réaliser un chef­
d'œuvre artisanal. La matière vivante est, pour eux, l'homme qui
doit se perfectionner au point de faire de lui-même un chef­
d' œuvre par le moyen de quelque métier que ce soit, qu'il devra
finir par pratiquer ou tenter d'approfondir jusqu'à la perfection.

jeton de présence de /11 Loge la Philanthropie


à l'Orient de Saint Quentin, 5799. 28 mm, argent.
Il représente un franc-maçon en tablier prêtant serment
sur un ttutel près du quel pousse un 1zetzcia,
le tout au milieu d'un cercf,, entouré dëtoiles.
Collection p articulière, photo Marc Labouret.

141
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

À ce sujet, Jean Reyor 16 constate « Quand on dit que la


Maçonnerie moderne est une organisation authentiquement ini­
tiatique et qu'on ajoute qu'elle est "spéculative", cela signifie
qu'elle transmet une influence spirituelle, ce qui constitue l'ini­
tiation virtuelle ou initiation proprement dite ; cela signifie
qu'elle possède des rituels valables d'initiation aux différents
degrés à l'intérieur de son domaine propre; la transmission dans
ce cas particulier s'effectuant en plusieurs étapes. Pour passer de
l'initiation virtuelle à l'initiation effective, plusieurs conditions
sont requises: cout d'abord, pour chaque initié pris en particu­
lier, la conscience de la nature et du but de l'initiation et le désir
d'atteindre ce but; ensuite un enseignement initiatique « exté­
rieur et transmissible dans des formes» qui peuvent être, le dis­
cours ou le symbole ou l'un et l'autre; enfin une méthode
"opérative" qui saisit l'individu à chaque moment de son exis­
tence, non seulement dans son mental mais dans cous les élé­
ments constitutifs de son individualité.
Il ne paraît pas contestable que la première condition n'est
plus remplie par l'immense majorité des maçons du monde
entier depuis deux siècles et demi, et, par cela même, leur initia­
tion est destinée à demeurer purement virtuelle».

Aucune organisation ésotérique, celle la franc-maçonnerie, ne


confère l'initiation effective, c'est-à-dire un changement réel et
permanent.

À cela, Marius Lepage 17 objecte que la cérémonie initiatique


peur provoquer un état de surfusion spirituelle et qu'il suffit d'un
déclenchement spécial pour que, de l'état d'initiation virtuelle,
l'être passe à celui d'initiation effective, de même qu'une par­
celle de vérité initiatique projetée par un maître spirituel, dans
les conditions requises, provoquera chez le disciple, ce passage.

16. Reyor Jean, op. cit, p. 126.


°
17. Lcpagc Marius, Les Degrés de lïnititttion, in le Symbolisme, 11 l /300,
1951, p. 26.

142
SPÉCIFICITÉ DE L'INITIATION MAÇONNIQUE

Cerre effectivité peut cependant être forcement mise en


douce, compte tenu de ce que l'initiation maçonnique, ou plutôt
l'influence spirituelle qu'elle transmet, est donnée à des individus
ordinaires, à des candidats qui n' one subi aucune préparation
intérieure.

Pierre Prévost 18 s'interroge: « cerces la maçonnerie d'aujour­


d'hui est spéculative, mais n'est-elle que cela, ne peur-elle pas
permettre à l'initié de dépasser le stade spéculatif? La transmis­
sion initiatique subsiste puisque la chaîne traditionnelle est inin­
terrompue d'avec la maçonnerie opérarive d'autrefois>>.

En fait, seule est acquise une initiation virtuelle lors de l'en­


trée en franc-maçonnerie. Si celle-ci ouvre la voie, beaucoup
d'initiés, hélas, en restent là, sur le seuil, sans jamais véritable­
ment le dépasser.

X - Initiation et secret maçonnique

Il est fait ici rappel des différents sens attribués au secret


maçonnique. Daniel Ligou met en évidence pour la franc­
maçonnerie spéculative trois secrets objectifs (secret d'apparte­
nance, de délibération et des rites) ; il en ajoure un quatrième pour
la franc-maçonnerie opérative, celui « de métier». On trouvera là
encore, en forme conclusive sur le sujet, d'après Collaveri, que
« chacune de ces formes du secret, peut se justifier par des argu­
ments purement rationnels compréhensibles même par un pro­
fane, puisqu'ils ne font à aucun moment intervenir des concepts
maçonniques et qu'ils seraient probablement applicables à de
nombreuses organisations )>.

18. Prevost Pierre, initiation et instruction initiatique, in Renaissance Tradi­


tionnelle, 11 ° 32, 1977, pp. 298 à 304.

143
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

Dans le Zohar, il est écrit : « Le monde ne subsiste que par le


secret». Ce qui revient à dire que, depuis l'aube de l'humanité,
des courants ésotériques se sont transmis de génération en géné­
ration et que le secret de toutes ces transmissions se situe dans
celle des rites et dans la valeur et la cohérence des symboles.

Citinéraire initiatique est défini comme une expérience per­


sonnelle qui ne peur être dissociée de la pensée, du vécu, du
conceptuel et de l'existentiel, ce en quoi l'initiation est au sens
propre indicible et intraduisible. La dire, la raconter, c'est tou­
jours la dénaturer, c'est en trahir l'esprit. C'est aussi en ce sens
que, par définition, route initiation est secrète.

Ailleurs, Jean Scroun 1 'J s'inrerroge: « si le secret est incommu­


nicable, à quoi rime la sérieuse et dramatique exigence du secret
imposée par le rituel à l'impétrant aux diverses étapes de son ini­
tiation?» Se référant à l'étymologie latine« secrecus »et« secre­
cum», termes qui signifienc, le premier« séparer» ec le deuxième
« secret >>, et du verbe « secernere >> qui signifie « écarter », il en
conclue que détenir un secret, c'est prendre conscience d'être
investi à la fois, d'une confiance et d'une responsabilité. Pour
quiconque, « être à part », n'est-ce pas le début d'une prise de
conscience de soi, donc d'un éveil?

XI - Différences entre religion et initiation maçonnique

Les domaines religieux et initiatiques ne sont pas à confondre.


En effet, la religion se préoccupe de conduire l'être humain à
faire son salue, à positiver sa dualité, alors que l'initiation pro­
pose de dépasser l'état humain et de le délivrer de toutes les
contingences pour accéder à la libération de l'être. Par ailleurs, la
religion est pour cous, alors que route voie initiatique, que ce

19. Stroun Jean, Secret et initiation, in Alpi na n ° 3, 1991, p. 79.

144
Sl'ÉCfflCITÉ DE LINITIAT!ON MAÇONNIQUE

soie d'Occident ou d'Orient, a un caractère fermé, car elle


demande aux postulants de se remettre en question et de pro­
gresser. Elle a donc un recrutement restreint.

Piem· Cousttiu, Le Pegme, 1 560.

laisse ce roc, il ne t'est pas possible


De vaincre du poing fa dureté de b1 pierre.
Si une puissance ne vainc p11s leur esprit,
Tu ne peux vaincre les préjugés des ignorants.

René Guénon20 définir cette différence ainsi :


« Cintérieur ne peur être produit par l'extérieur, non
plus que le centre par la circonférence, ni le supérieur par
l'inférieur, non plus que l'esprit par le corps, pas plus qu'un
fleuve ne remonte vers sa source».

La religion considère l'être dans son état humain, alors que


l'initiation a pour bue de dépasser cet état.

20. Guénon René, Aperçus sur l'initiation, Paris, Éditions ·1radicionnellcs,


1972, p. 75.
145
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

René Guénon fait une distinction entre religion et initiation,


parallèle à celle qui existe encre exotérisme et ésotérisme. Il consi­
dère que la religion (exotérisme) est complémentaire de l'initia­
tion (ésotérisme) et non opposée. La religion est pour tous et vise
le « Salut », alors que l'initiation est réservée à une minorité et
vise la délivrance.

À cela, Gérard Galrier 21 répond qu'il est malaisé de discuter de


l'initiation selon René Guénon, dans la mesure oü celui-ci prend
soin de la distinguer de la religion. Il trouve que cette conception
de l'initiation est religieuse et non initiatique et qu'il s'agir en fait
d'une forme élitiste et plus approfondie de la religion.

Armand Bédarride 22 considère que « la maçonnerie entend


que ses adeptes nourrissent leur intelligence de la connaissance
de soi-même et des grandes lois de l'Univers, comme le prescri­
vaient déjà les Sages de l'Antiquité; et cela, non pour se cristalli­
ser dans l'admiration béate des résultats matériels de la science et
des avantages égoïstes que l'homme en peur cirer, mais pour
donner un point d'appui, réaliste et rationnel à la fois à un idéal
moral, intellectuel er humanitaire, qui sera, pour le maçon, l'ob­
jet d'un sentiment aussi pieux que le sentiment religieux, et
entretenu comme lui par des formes matérielles (rires, gestes,
mots, pratiques, etc.)
Religion, c'est ce qui relie. Notre idéal est un lien entre nous, et
aussi nos symboles et nos règles traditionnelles ; il nous enseigne à
engrener notre vie et la conduite de l'individu dans le Plan d'en­
semble de la Vie Universelle, comme le grain de la grenade ou la
pierre de l'édifice ; il nous enseigne à nous considérer comme
frères, et par la chaîne d'union, représente pour les yeux dans
l'étreinte des mains la communion des cœurs et des volontés ».

21. Galcicr Gérard, Llnititition maçonnique jàce au traditionalisme guéno­


nien, in Autre Monde, n ° 120, p. 53.
22. Bcdarride Armand, L'initiation mttçonniquc, in le Symbolisme n° 134,
novembre 1929, p. 291.

146
SPÉClrlCITÉ DE llNITIATION MAÇONNIQUE

« Les églises ont pour règle d'enseigner la morale en fonction


du dogme et de tenir pour suspecte la vertu qui ne professe pas le
"credo". Nos fondateurs, au contraire, ont regardé le problème
par l'autre bouc de la lorgnette: pour eux, c'est l'éthique qui sert
d'étalon au sentiment religieux, et rour idéal moral vivant est
moteur exprime le Divin. S'ils déconseillent l'athéisme sans insé­
rer dans leur texte l'obligation de la croyance en Dieu, c'est que,
devançant les protestants d'avant-garde de notre époque, ils
considèrent qu'un honnête homme "athée" a un Dieu sans s'en
rendre compte2\»

XII- Différences entre secte et franc-maçonnerie

On trouve de nombreux avertissements bibliques qui meccenc


en garde contre la prolifération des sectes, entre autres exemples :
« Il y a eu parmi le peuple de faux prophètes, et il y aura
de même parmi vous de faux docteurs, qui introduiront
sournoisement des sectes pernicieuses et qui, reniant le
Maître qui les a rachetés, accireronc sur eux une ruine sou­
daine. Plusieurs les suivront dans leurs dissolutions, et la voie
de la vérité sera calomniée à cause d'eux » (II Pierre 2 : 1-2).
« Les sectes agissent avec dissimulation pour faire des
esclaves de leur système» (Galates 2: 4).
« Les temps actuels sont favorables à l'éclosion de nou­
velles sectes» (I Timothée 4: 1-3).
La question est souvent posée: une Loge maçonnique ne
s'apparenterait-elle pas à une secte ? Le mot secte provient du
latin << seco », « secare » « couper, diviser». Selon les différences
versions de la Bible, celles-ci donnent comme synonyme de
« secte » : parti, hérésie, groupe divergent, dissidence, scission.

23. Bedarride Armand, M11çonnerie et sectrtrisme, in !'Acacia n ° 99,


mai 1933, p. 516.

147
LES INITIATIONS ET I.'INITIATION MAÇONNIQUE

Ce en quoi une secte coupe et brise les êtres, les isole, les soumet
à des règlements, une discipline de fer, des doctrines et des
dogmes qui one pour objectif de les mettre en état de dépen­
dance complète physique er mentale par rapport aux dirigeants.
Dans une Loge maçonnique qui a une vocation initiatique il
n'existe ni gourou, ni maître spirituel qui aie un ascendant sur les
autres, ni des pratiques destinées à briser la volonté ou à endoc­
triner. La franc-maçonnerie propose une méthode graduelle
d'éveil de la conscience et de libération de l'être.
Pour finir, deux petites remarques : Les dépenses occasionnées
par la maçonnerie sous forme de cotisations sont insignifiantes
par rapport aux dons imposés par les sectes à leurs membres. Si
les démarches pour encrer en franc-maçonnerie sont longues, il
est possible à tout franc-maçon d'en sortir, à cout moment, par
une simple lettre. Il n'en est certainement pas ainsi des sectes où
il est facile d'encrer, mais beaucoup plus difficile de sortir.

Nos contemporains sont avides de changement, de neuf, de


mouvements, d'activisme, c'est pourquoi roue ce qui esr nouveau
leur paraît séduisant, beau et vrai, spécialement et d'autant plus
quand des groupes spirituels proviennent d'autres cultures, orien­
tales ou extrême-orientales, porteuses d'un exotisme qui fait rêver.
La période de confusion actuelle sur fond de climat d'insécu­
rité sociale, amène beaucoup de personnes, particulièrement des
jeunes en mal de repères, à foncer tête baissée dans telle ou celle
secte où ils aliènent à leur insu leur liberté. Il esr prouvé que
ceux qui ont eu une éducation laxiste accepteront une discipline
plus exigeante dans une secte, comme un facteur nécessaire pour
couper les liens avec leurs précédentes attaches.
Le pasteur Gérard Dagon24 considère qu'il est important de
faire la différence encre la secte en ranr qu' organisation et ses
membres, souvent aveuglés er prisonniers. Il est nécessaire de
savoir prendre du recul par rapport aux sectes, car la Vérité n'est

24. Dagon Gérard, Parlons sectes, Éd. Barnabas, pp. 7 à 3 l.

148
SPÉCIFICITÉ DE LINITIATION MAÇONNIQUE

ni la propriété, ni le monopole d'un mouvement. Citer la Bible


n'est pas une garantie de vérité, car même le diable saie la citer
avec habileté (Matthieu 4 : 6). Les doctrines des sectes évoluent.
Elles prêchent non seulement des erreurs manifestes, mais aussi
des demi-vérités. C'est d'autant plus subtil et séduisant.
Le pasteur Dagon propose un essai de classement en quarre
catégories des sectes de notre hexagone :
1 - Les secres bibliques fermées qui sont dans un repli identi­
taire, seules détentrices d'une vérité selon la personnalité dictato­
riale de leur dirigeant.
2 - les sectes semi-bibliques qui cirent abondamment la
Bible, mais mettent sur le même plan, ou même au-dessus de
la Bible, les autorités ecclésiastiques, des traditions ou des révéla­
tions particulières.
3 - Les secres non bibliques : elles enseignent exclusivement
les idées des fondateurs ou d'un faux prophète contemporain de
la secte.
4 - Les sectes non doctrinales : Ces secres n'aiment pas les
querelles doctrinales. I..:essenciel de leur message est l'amour,
malgré leur différence de doctrines. Ces mouvements paraissent
séduisants par leur syncrétisme.
C'<mozet Gilles, Hecacomgraphic, 1 540.
Service dommageable
Enfizisant à autrtû service,
Pttr Le vrfli droit de mon offi'ce,
Ptzuvre chm1defle que je suis,
je me consume et me détruis.
Qui sert un bon maître en attend un bon loye,;
A un tel service on se doit de s'employer.
Puis qu'il en provient un profitable salaire,
Mais celui qui veut sous un mauvais se ployer
li lui convient de pleurer et de larmoyer.
IL s'en 11,1, dépouillé d'honneur et de bienfàire,
Car en fi1isant à quelqu'un mauvrtis service
On ny apprend uniquement péché et vice
Et l'on n'acquiert maintes fois que des coups.
Et bien souvent la jeunesse de l'homme,
Sous tel seigneur. périt et se consomme.
l:'t puis enfin on est moqué de tous.
CHAPITRE VII

Que peut apporter l'initiation maçonnique


en ce xx1 e siècle ?

1 - Chemin d'amélioration individuelle et de perfectibilité

Benjamin Conrayon I considère que « l'intérêt de l'initiation


serait de dégager l'individu de toue dogmatisme sclérosant, des­
séchant, retardataire, ne débouchant que sur l'intolérance, géné­
ratrice elle-même de heures allant, par le fanatisme jusqu'au
crime individuel ou collectif Cinitiation aurait pour objectif de
dépouiller l'individu de la gangue des préjugés et des erreurs qui
l'encourent, de faire apparaître en lui un homme réellement« en
phase » avec la grande mission maçonnique définie comme mis­
sion d'amour universel, dégagé des obstacles dressés par les pas­
sions, les élans, les castes, les chapelles, les religions ou les races,
et communiant dans un même désir, une même appétence
d'amélioration de l'humanité toue entière».

Joannis Corneloup2 constate que les maçons one conscience


de l'insuffisance des résultats de l'initiation. Une des raisons
avancée est liée à la médiocrité du recrutement. Parmi d'autres
arguments, il en est un qui n'est pas des moindres, à savoir que si
le recrutement pêche, alors que ce sont les Maîtres maçons qui

1. Contayon Benjamin, Initiation et après? in Alpi na n" 5, 1995, pp. 140 à


142.
2. Corneloup Joanis, Se connaître, in Annales du GODF. 1975, pp. 25 à 31.

151
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

Georgette de Monten,1; Emblèmes et devises Chrétiennes, 1571.


1,

Ce pèlerin peu à peu s'achemine


Pour ctrriver à la cité céleste.

ont la possibilité du choix, c'est qu'eux-mêmes one peu progressé


sur la voie initiatique.

Certains constatent qu'autrefois, lorsqu'un Maître d'œuvre ou


un compagnon initié passaient dans un village, les habitants
s'attendaient à rencontrer un être exceptionnel et n'étaient pas
déçus, alors qu'on ne peut pas en dire autant des profanes d'au­
jourd'hui qui abordent le franc-maçon moyen.

L:initiation a traversé des millénaires, elle est encore très sou­


vent incomprise et dédaignée, voire méprisée. André Doré3
considère cependant qu'elle ne peut disparaître, car elle est partie
intégrante de la psyché de l'homme dans son éternité. t:initia­
tion réelle entraîne l'être humain dans un tête-à-tête permanent

3. Doré André, Vérités et légendes de l'histoire maçonnique, Paris, Edimaf,


1991, p. 26.

152
QUE PEUT APPORTER 1:1NITIATION MAÇONNIQUE EN CE xx1 < Slf�CLE?

avec l'univers, avec lui-même, son passé, son présent et son avenir.
Tous les courants d'idées peuvent être admis er discutés en franc­
maçonnerie. La vérité étant Une, et ses aspects multiples.

jan Luyken, De Bykorf des gemoeds, Amsterdam, 1735.


Pour l'amour des choses spirituelles,
1',tites donc mourir vos membres dans ce qu'ils ont de terrestre.
Ne vous mentez pas mutuellement,
car vous avez dépouillé le vieil homme avec ses manières
pour revêtir l'homme nouveau, qui ne cesse de se renouveler,
lt l'image de Celui qui lit créé,
en vue diuuimlre à la pmjiTiœ connaissrma.

153
T
LES INITIATIONS ET LINITIA ION MAÇONNIQUE

La franc-maçonnerie esr pour tout Maître maçon la recherche


de la Voie du milieu, d'où le terme de réunion « la Chambre du
milieu ». À ce sujet, Armand Bedarride4 rappelle que « !'Invaria­
bilité dans le milieu de Confucius et la doctrine de Bouddha,
recommandait de ne tomber ni dans l'ascétisme, ni dans la sen­
sualité; routes deux évoquant l'idée de la sérénité dans l'action,
de la maîtrise de soi-même, de la domination de la pensée sur le
corps, de la raison sur les passions, et, par là, se produit une sorte
d'apparentement avec l'idéal que ]'Hellénisme définissait par
l'Économie et la Tempérance ».
Jules Boucher 5 conçoit la franc-maçonnerie comme une école
d'initiation et non pas comme une simple association fraternelle
dont la pratique et les effets lui paraissent pourtant discutables.
Beaucoup déplorent que l'initiation maçonnique ne reste que
très virtuelle, ce qui l'amène à interpeller les francs-maçons
ainsi : « L'initiation vous a-t-elle apporté quelque chose de nou­
veau? Vous a-t-elle permis d'accéder à des plans surhumains?
Vous conduisez-vous en "initié" dans la vie commune? Avez­
vous cerce rectitude et cette droiture de pensée qui doit caractéri­
ser l'initié? En un mot, êtes-vous initiés ou n'êtes-vous que des
pseudo-initiés? »

li -Approfondissement d'une tradition vivante

Paul Naudon6 remarque que le terme tradition revêt deux sens


différents :
« Il désigne d'une part la source de la Connaissance et
d'autre pan son mode de transmission. La première est
immuable et absolue. La seconde est le résultat syncrétique

4. Bedarride Armand, L'initiation maçonnique, in le Symbolisme n° 134,


novembre 1929, p. 289.
5. Boucher Jules, De l'initiation et d,, quelques vérités nécessaires, in La Chaîne
d'Union, 1945-1946, n ° 1, p. 24.
6. Naudon Paul, L'humanisme maçonnique, Éd. Dervy, 1963, pp. 72 et 75.

154
QUE PEUT APPORTER L'INITIATION MAÇONNIQUE EN CE XXI e SIÈCLE?

de la quête mulcimillénaire vers la Connaissance des diffé­


rences parties de l'humanité et de ses civilisations succes­
sives. Elle ne peut donc subir d'altération, mais elle peut
sans cesse s'adapter pour se faire entendre selon les temps
et les milieux et s'accroître de sédiments nouveaux. C'est
en ce sens aussi - en plus de la valeur méthodologique de
l'initiation - que la franc-maçonnerie est vraiment évolu-
. .
nve et progressive.
En fait, pourquoi vouloir greffer l'initiation et l'ésoté­
risme qui en est le support sur un culte quelconque?
Puisque le rattachement à la Tradition constitue l'essence
même de l'initiation maçonnique, il n'est pas nécessaire
d'invoquer une origine surnaturelle, ni à l'inverse d'exclure
une Révélation intemporelle du Principe Premier et
Absolu, auquel l'homme aspire à être réintégré. li suffit de
reconnaître que cette Tradition - et les traditions ésoté­
riques qui l'expriment - constitue un fait d'ordre histo­
rique et sociologique, qui, au travers du sceau de chaque
civilisation, répond au problème de la connaissance abso­
lue ec de la vérité métaphysique. L'erreur est en effet ce qui
passe, alors que la vérité demeure. »

Théodore de Bèze, Les vrais portraits des hommes illustres, Genève, 1581.

Comme le libre oismu devient se�/en lr1 cag,:,


Et dereche/est libre en romprtm sa prison.

155
LES INITIATIONS ET L'INITIATION MAÇONNIQUE

Ill - Facteur d'intégration à une œuvre commune

Camille Giudicelli7 rappelle que c'est à partir de 1882, avec


l'initiation de Maria Deraisme que l'exclusion de la femme de la
franc-maçonnerie fut considérée comme surannée et injurieuse.
Elle considère qu'il n'y a pas d'initiation, masculine ou féminine,
de personnalités stéréotypées, mais rassemblement des idées, et
que les francs-maçons, femmes et hommes, sont des voyageurs
initiatiques qui, à travers l'espace et le temps ne construisent pas
en différence mais en osmose, l'œuvre de l'Humanité: son bon­
heur a besoin de tous, sans distinction. Tradition et progrès sont
sous le signe de l'internationalisme et de l'universalisme.

La démarche initiatique de perfectionnement individuel est


une ouverture aux autres, une nouvelle relation à soi et aux
autres, animée par la volonté d'ériger le temple de l'Humanité en
rassemblant ce qui est épars. Cerre projection allégorique est à la
fois une reconstruction de soi et une participation active à un
monde meilleur, plus fraternel et plus juste. La chaîne d'union,
qui relie solidairement cous les maçons physiquement et spiri­
tuellement dans le temps et l'espace, est une illustration force de
cecce œuvre élaborée en commun.

« En étant intégré dans une loge, et par cecce loge dans un


autre organisme plus puissant, l'obédience ou Grande Loge, le
candidat est introduit dans la sphère d'influence d'un être spiri­
tuel plus élevé. Il n'est plus une pierre sur le bord du chemin,
mais il est transformé en Temple. C'est-à-dire, s'il répond à
l'appel, que son niveau personnel se trouve graduellement élevé
et enrichi8 • »

7. Giudicelli Camille, Quel sens donner à L'initiation maçonnique à L'aube du


xxr siècle: la femme, L'homme et l'initiation, Actes du colloque du GODF,
n" 3, pp. 89 à 94.
8. Specularivc mason, De l'initiation maçonnique in le Symbolisme, 11° l /300,
septembre-novembre 1951, p. 20.

156
QUE PEUT APPORTER LINIT!ATION MAÇONNIQUE EN CE XXI ° Slt,CLE?

IV - Élément de construction du citoyen dans la société par


l'engagement républicain et la défense de la laïcité

L'initiation maçonnique serait une protection contre l'effon­


drement des valeurs, qu'elles soient spirituelles, intellectuelles,
politiques, sociales et morales.

Jules Boucher9 déplore que les buts de l'initié soient souvent


des bues profanes, certains espérant pouvoir se servir de l'Ordre
maçonnique pour parvenir à des fins matérielles ou politiques.
Il considère que ce grief imputé est un grief justifié qui mérite
l'exclusion.

Bernard Gillard10 déclare que le franc-maçon est un homme


qui a choisi de ne pas être indifférent aux actes de la vie quoti­
dienne, pour lui, pour sa famille ec pour les autres, oü qu'il se
trouve dans le monde; grâce à l'initiation maçonnique, le maçon
sera coute sa vie un élément qui participera à sa propre construc­
tion et à la construction de la société.

Le sénateur Caillavet11 , défendant le point de vue de la franc­


maçonnerie rationaliste, considère que c'est la raison qui rap­
proche les individus, rassemble les peuples et respecte la diversité
des cultures. En cela, la raison et son corollaire, la laïcité, se
confondent avec la paix, la maçonnerie proposant de rechercher
ce lieu de dialogue et cet espace de rencontre.
Il pense aussi que la morale laïque tend à l'universel, car elle
est une philosophie existentielle, une règle de conduite ouverte,
fondée sur le respect porté à autrui. C'est pourquoi, dans les

9. Boucher Jules, op. cit., p. 26.


l O. Gillard Bernard, L'initiation maçonnique: un élément de construction de la
société, Actes du colloque du GODF n ° 3, pp. 69 à 77.
11. Caillavet Henri, L'initiation maçonnique: un élément de construction de &1
société, in Acces du Colloque du GODF, pp. 63 à 68.

157
LES INITIATIONS ET 1:INITIATION MAÇONNIQUE

débats concernant le temple extérieur, l'engagement laïque répu­


blicain, les francs-maçons furent toujours les avocats lucides et
généreux de ces avancées progressistes (par exemple concernant
l'interruption volontaire de grossesse, le tribunal de l'informa­
tique, l'euthanasie, etc.)

V - La franc-maçonnerie, est-elle une école de rationalisme?

Jules Boucher 12 pense que la maçonnerie se doit de guider ses


membres vers l'initiation, vers la transcendance ec non pas vers
un rationalisme stérilisant. Il s'interroge encore sur la raison qui

Georg e Wither. A Collecrion of Emblems Ancienc and Modem.


London, 1635
li n'y ,1 rien du tout de constant en ce Monde,
Ainsi le temps se change, et nous avec le temps.
Alors que tout est dllns !tt main du Grand Géomètre.

12. Boucher Jules, op. àt.

158
QUE !'EUT Af'l'ORTER L'INITIATION MAÇONNIQUE EN CE XXf SIÈCLE?

fait que beaucoup de francs-maçons sont des hommes rationa­


listes, préoccupés surtout par des problèmes sociaux dont la
vanité est immense.

Jean Reyor u considère que la franc-maçonnerie moderne, de


quelqu'obédience que ce soie, est fort loin de représenter intégra­
lement ce que doit être une organisation initiatique, mais qu'elle
a, malgré cous ses défauts, le mérite d'exister.

Pour Gérard Galtier 14 , le fait que la franc-maçonnerie


(notamment celle du Grand Orient de France) se soit occupée
ou s'occupe de politique, n'est pas le signe d'une dégénérescence,
comme le considérait René Guénon, mais la conséquence
logique du caractère social et spirituel de la société.

Claude Salicetti 15 se demande si les termes de ce vieux débat,


franc-maçonnerie rationaliste ou spiritualiste, ne pourraient pas
enfin évoluer.
« Quand on voie la physique, pilier des sciences dires exactes,
se mettre à douter qu'il soit possible d'atteindre une réalité vrai­
ment objective et commencer à imaginer des théories qui n'ou­
blient plus l'observateur. C'est pourquoi, il demande s'il n'est
pas temps pour certains d'encre nous, de s'interroger davantage
sur les pouvoirs qu'ont la seule Raison et le seul témoignage des
sens de cerner la Vérité. Et n'est-il pas temps pour d'aucres de se
demander s'ils one intérêt à ignorer le dynamisme de la pensée
scientifique et rationnelle? Sont-ils vraiment sûrs que l'inven­
taire précis du manifesté, et l'effort de clarification rationnelle ne
sont pas des stimulants indispensables à leur démarche
intuitive et si la sclérose ne les guette pas à vouloir s' en priver? »

13. Reyor Jean, Pour un 11boutissement de l'œuvre de René G'uénon: !t, j,'flnc-
maçonnerie et l'J:.glise catholique, Milano, Éd. Archè, vol. 2.
14. Galtier Gérard, L'initiation maçonnique face au traditionalisme guénonien,
Autre Monde, 11 120, p. 55.
°

15. Salicctti Claude, L'initiation m11çonnique: myth,· ou réalité? in Bullerin


du Grand Collège des Rites 11 94, septembre 1980, p. 59.
°

159
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

VI - La franc-maçonnerie est-elle une école de spiritualité?

Bernard Besret 1 c. considère que la spirirnalité renvoie à l'inti­


mité personnelle, les religions à l'appartenance sociale, la spiri­
tualité étant de l'ordre de la conscience de soi et les religions de
l'ordre de l'identité politique; c'est pourquoi il considère que
l'initiation est une introduction utile aux mystères de la vie,
étroitement imbriqués au mystère de la mort.

Jules Boucher 17 déplore que les spéculations de ceux qui se


croient initiés ne quittent pas le plan mental, plus ou moins phi­
losophique ou universitaire, elles ne peuvent être transcendantes.
Il remarque:
« N'a-t-on pas trop souvent vu les maçons des divers rites
et obédiences s'excommunier mutuellement et discuter leur
"régularité"? N'assistons-nous pas à de mesquines rivalités
de chapelle ? Peut-on construire un Temple avec des pierres
gui, au lieu de se poser bien à plat, s'ingénient à se poser sur
une pointe afin de pouvoir mieux érafler leurs voisines avec
leurs autres angles ? Oü est l'initiation dans cout cela? ...
Quels que soient les groupements, les fraternités, l'initiation
est une. Les chemins qui y mènent diffèrent et chacun peut
choisir la voie qui lui convient le mieux. »
Jean Reyor 18 constate avec espoir que, dans certaines des orga­
nisations maçonniques des pays latins, en France notamment et
jusque dans !'Obédience qui passe pour la moins « spiricualiste »,
l'idée de la nécessité d'un retour à une maçonnerie traditionnelle

16. Iksrct Bernard, Initiation maçonnique et spiritualité, in Actes du colloque


du GODF, n° 3, op. cit., p. 50.
17. Boucher Jules, op. cit., p. 25.
18. Rcyor Jean, Â ftt suite de rené Guénon, sur la route des Maîtres maçons,
Paris, Éd. Tradicionnellc, 1989, pp. 63 à 77.

160
QUE PEUT APPORTER ÙN!TIATION tvlAÇONNIQUE EN CE XXJ' SIÈCLE?

fair son chemin, lentement certes, mais sûrement, divers indices


récents le prouvent.

Claude Salicetti 19 note que la permanence d'une coupure


continue à partager la franc-maçonnerie, dont le Grand Orient
de France, en deux courants. D'une part, ceux qui sont les
tenants d'une initiation par la connaissance objective et la
réflexion morale et d'autre part, les tenants d'une initiation éso­
térique au sens le plus traditionnel et guénonien du terme. Il
conclut que l'heure vient peut-être où l'opposition de ces deux
démarches apparaîtra moins antagoniste que complémentaire,
dans l'approche sans fin d'une Vérité sans douce inaccessible.

VII - Dans un monde matérialiste quelle place accorder à


l'idéal initiatique?

À cette interrogation, certains répondent que l'initiation ne


doit rien nier, mais toue intégrer, et que la vie initiatique consti­
tue la seule clé d'un progrès qui ne mette pas l'homme en désé­
quilibre avec lui-même. L'initiation propose un progrès global
qui n'élimine aucune dimension de l'être et l'invite à rechercher
une harmonie encre l'esprit et la matière. Les effets pervers du
progrès engendrent de faux besoins qui masquent les véritables
possibilités de réalisation humaine. Une loge initiatique a pour
devoir de s'interroger en permanence sur le rôle de l'homme
dans l'univers, sur la fonction qu'il y exerce.

19. Salicecti Claude, op. cit., pp. 53 à 59.

161
Johannes Smnbucus, Emblem.na, 1566.

Sllns loi rien ne peut dure,;


Cèlle-ci impose de s'armer,
,. Et en paix de se gouverne,:
Ce que tu voudras entreprendre,
Bientôt sa fin viendra l'interrompre,
Si sans règle tu le fitis.
En temps de guerre ou de paix,
Suis les voies de !ti Providena.
En guise de conclusion

L'initiation maçonnique: mythe ou réalité?

I.:homme du XXI c siècle s'est-il vraiment amélioré? Le progrès


technique et matériel lui a-t-il permis vraiment de se perfection­
ner? De plus en plus nombreux sont ceux qui, de nos jours, ne
veulent et ne savent ordonner leur vie qu'à la détention de pou­
voir, de l'avoir et du paraître.
Sous le choc de la technologie où se généralise l'utilisation du
numérique, celle-ci est la cause d'une accélération vertigineuse
des rythmes de vie. Toutes les sociétés sont ébranlées, en mal de
repères cohérents. La transformation des conditions de travail et
du cadre de vie génère des désarrois, des peurs et inquiétudes de
coures sortes, concentrés d'ailleurs en un seul mot « le stress ». Il
faut noter aussi les dangers de la standardisation et de l'unifor­
misation de l'être qui accompagnent ces mutations: chacun est
considéré comme un individu interchangeable.
Ce malaise face à une évolution matérielle et technologique
accélérée qui entretient doutes et instabilité permanents est
aggravé par la perce des valeurs morales, politiques et sociales,
intclleccuelles et spirituelles.
La crise de civilisation actuelle, étendue à l'échelle mondiale,
ne permet pas de déterminer clairement le devenir des sociétés
dans les décennies à venir, ce qui ne peut que renforcer un
malaise individuel ec collectif généralisé.
Il semble que l'homme du XXJc siècle soit devenu en grande
majorité un voyageur dispersé, sans espérance et sans but, à
l'image du vagabond errant sur les routes. La vocation de
l'homme n'est-elle pas au contraire de devenir un pèlerin de

1.63
Lf.S INITIATIONS ET 1:1NITLATION MAÇONNIQUE

lumière, qui donne un sens à son che_min animé par l'espérance,


au cœur d'une Lumière qui le guide sur la Voie du Beau, du
Bien et du Vrai, pour l'Amour de la Vérité, avec l'idéal de voir
un jour ce qui aujourd'hui est devenu une société anonyme se
transformer en une communauté fraternelle vivant en bonne
harmonie dans le respect de chacun.
Si le pire provient d'une mauvaise gestion du pouvoir et de
l'avoir de l'être humain soumis aux pulsions de la cupidité et de
l'intérêt égoïste individuel, le meilleur se trouve aussi potentielle­
ment dans l'homme qui est apte à trouver le remède à tous les
maux qu'il a générés.
Dans la République, Platon rapporte que Socrate nous fait
imaginer des hommes enchaînés au fond d'une caverne obscure,
tournant le dos à la lumière. Ces hommes sont semblables à la
plupart de nos contemporains. Ces prisonniers sont nos frères
humains et, à leur image, nous sommes prisonniers du monde
dans lequel nous vivons, prisonniers de l'obscurantisme, de nos
passions, de nos préjugés, de notre aveuglement et de notre igno­
rance. Nous sommes prisonniers de notre condition humaine et
de notre situation sociale. Néanmoins, devons-nous continuer à
tourner le dos à la Lumière, comme les prisonniers de la caverne,
ne sachant pas ou ne voulant pas nous retourner vers elle,
l'étouffant par là même sous le boisseau ?
Dominer ces contradictions internes à l'échelle humaine
réclame l'éveil individuel et collectif de la conscience, à son pro­
chain, à !'Universel. La voie initiatique permet de susciter un
être nouveau acceptant de s'extraire progressivement de sa
gangue, prêt à affronter les contradictions dramatiques de la
société moderne pour tenter de les résoudre en essayant de trou­
ver sa place, en fonction de ses capacités et de ses aptitudes.
Selon Arthur Koesrler 20 : « Loriginalité créatrice oblige tou­
jours à désapprendre et à réapprendre, à défaire et à refaire. Elle
comporte la rupture de structures mentales pétrifiées, le rejet des
matrices inutiles, le regroupement d'autres matrices dans une

20. Koestler Archur, }rmus, Éd. Calmann-Lévy, l 979, pp. 156 et 158.

164
EN CUISE DE CONCLUSION

synthèse nouvelle... La cogitation, au sens créatif, est une co-agi­


tation, une manière de secouer et mêler ensemble ce qui était
séparé auparavant. »

]. A. Siebmacher, La « pierre aqueuse des philosophes », 1618.


Il jiwt chercher l,1 lumière
et devenir des pèlerins de la lumière,
Mais elle est à ce point immatérielle et spirituelle,
que nous ne pouvons la saisir,
Et c'est pourquoi il nous fimt découvrir s,t demeure.

165
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

Cette voie d'amélioration individuelle et de perfectibilité


permet à tous ceux qui l'empruntent de trouver des réponses aux
questions existentielles dans une quête de Vérité et de Lumière.

Comment situer l'initiation maçonnique avec ce qui la carac­


térise par rapport à d'autres formes d'initiation ? Sans doute en
apprenant à harmoniser à bon escient les oppositions apparentes,
que l'on découvre nécessaires, pour qu'elles deviennent fécondes,
sachant marier le cœur et la raison, ce qui est un aspect prépon­
dérant de la maîtrise maçonnique et, somme toute, un de ses
objectifs. Dans la mesure où l'initiation maçonnique paraît être
un processus probanr en cane que transformation de l'humain,
on peut répondre. Si l'initiation maçonnique peut paraître un
mythe, elle peut devenir cependant réalité en vertu de la bonne
volonté et du désir de perfection authentique de tout être admis
en franc-maçonnerie. On peut penser qu'il est urgent qu'une
prise de conscience de la valeur de la vie et de l'être se fasse chez
la plupart de nos contemporains, afin qu'ils puissent donner une
réponse cohérente à leur échelle individuelle et collective, et du
sens à la réalité de leur existence sur terre. En Occident, les voies
initiatiques traditionnelles se limitant au compagnonnage et à la
franc-maçonnerie, il est un devoir pour tous ceux qui l'emprun­
tent de veiller à ce qu'elles demeurent l'une et l'autre l'arche
d'une tradition vivante, sachant témoigner de leur nécessité par
l'exemplarité de leur vie.
CONTE INITIATIQUE

LES TROIS BOUGIES DE LA SAINT JEAN


Philalèthe Eyrénée, Lumen de lumine, 1651.

Il nous fi1ut cht'rcher la lumière, mais elle est à ce point spirituelle et


irmnatérieffe, qu'il est difficile de fa saisù; et c'est pourquoi if nous faut
découvrir sa demeure au centre de notre cœm:
La région fa plus sombre représente les fiiusses doctrint'S où ft1 plupart des êtres
errentjusqu'à ce qu'ils décèlent la céleste et invisible(< lumière de l'univers».
Le drttgon 11t·rt, c'est le « mercure des sages ».
Ïi'ésor que seuls découvriront ceux qui sont redevenus purs
comme de petits enfants.
Conte initiatique

Les trois bougies de la saint Jean

Il était une fois un certain << Maître Janus» qui se tenait debout,
dissimulé par une grande cape noire, sur le parvis de l'église du vil­
lage de Pérennité. Au moment où la nature et les êtres semblent
s'enfoncer dans le froid et l'opacité, on pouvait le trouver derrière
un étal de chandelles de toutes les couleurs, stoïque, dans la
rigueur de ce climat si propice aux doutes et à la peur.

Un soir, une petite fille s'arrêta face à l'étal de ce personnage


énigmatique et sombre, mais aux yeux luisants de lumière.
I.:enfant, cout de blanc vêtue, demanda avec curiosité : « Pour­
quoi n'allumez-vous pas une bougie pour vous réchauffer?
- Impossible, répondit-il, ces bougies sont précieuses, car
ce sont des bougies-étoiles.
Des bougies-étoiles ?
Mon enfant, sais-tu que j'ai réalisé ces précieuses bougies
grâce au laborieux travail de milliers d'abeilles et lorsqu'on les
allume, elles scintillent comme des étoiles. Elles ne doivent donc
pas être consumées à la moindre occasion. »
Sans quitter la petite des yeux, il choisie une grosse bougie
coute blanche à la rondeur chaleureuse et sympathique.
« Je te l'offre. C'est une vraie bougie-étoile. Emporte-la et
prends-en soin. De coute cette table, c'est la seule bougie qui
s'éveille à la flamme d'une allumette. Allume-la chaque fois que
eu ressentiras une grande tristesse ou une grande joie. Tu contem­
pleras sa Aamme et tu réaliseras alors qu'aucune tristesse ni joie
n'est intense au point d'allumer une flamme. Seule l'intensité de

169
LES INITIATIONS ET llNITIJ\TION MAÇONNIQUE

ta médication lui donnera l'importance souhaitée. Entre roi et la


flamme s'établira un lien à la mesure de la force et de la profon­
deur de ta réflexion. Apprends à économiser l'énergie de cette
bougie-étoile et efforce-coi de ne pas la consumer de plus de la
moitié d'ici le prochain solstice. Les jours les plus coures vont
progressivement se rallonger. Notre terre régénérée retrouvera
force et vigueur. Sa maturité sera à son apogée à la Saine-Jean
d'été. Le Baptiste reprendra la flamme pour la transmettre
six mois plus tard à l'Évangéliste. D'une vie à une more,
d'une mort à une vie, chacune puise et se prolonge l'une dans
l'autre pour la dépasser et se dépasser. L'éternel cycle en retour
s'accomplir.
Au prochain solstice d'hiver, je t'attendrai pour te donner une
nouvelle bougie. Mais, comme au cours de ces douze prochains
mois, ru auras grandi, la bougie sera d'une autre couleur, plus
grande et plus dense. À présent, va ec prends pour compagne
cette bougie-étoile. Souviens-toi de mes recommandations si tu
veux que sa Hamme puisse susciter la lueur de la prochaine. »

Serrant contre elle la grosse bougie blanche, la petite fille dis­


parut, emportée et enveloppée par un tourbillon de flocons. Une
année s'écoula avant que l'enfant ne revienne voir Maître Janus.
De sa main bleuie par la froidure, elle lui remit timidement un
minuscule morceau de cire, cour en l'interrogeant du regard:
« Cerre minuscule relique suffirait-elle à allumer une bougie­
étoile plus importance? »
Attendri, Maître Janus la rassura avant même qu'un son n'aie
pu sortir de ses lèvres: « Tant qu'il reste une petite mèche elle est
suffisance pour transmettre la flamme.
As-eu éprouvé beaucoup de joies ec de peines durant cette
année?»

La petite fille réfléchit un moment avant de confier: « Écoute,


je ne sais pas, je ne sais plus. Je sais que j'ai été de plus en plus
attentive à cerce Aamme, la désirant er la redoutant à la fois. Je
l'ai redoutée parce que j'ai compris que chaque instant de cette
170
CONTE INITIATIQUE

lueur devait entamer sa force de transmission pour la nouvelle


bougie espérée. Chaque fois que je l'ai allumé, j'ai senti sa fragi­
lité. Plus je l'observais et plus j'en oubliais joie ou tristesse. Je me
trouvais plus riche, car c'était mon espérance dans cette Aamme
qui était la plus force. Le moindre soufRe qui la faisait vaciller me
remplissait d'inquiétude mais chaque fois qu'elle se redressait, je
reprenais courage. »
Après avoir longuement regardé l'enfant, Maître Janus prit
solennellement une grande bougie de teinte rouge vif, plus grande
et plus volumineuse que la première. Il la lui remit en disant:
« Voici une nouvelle bougie. Bien que celle-ci ne soir pas iden­
tique, je sais que tu en prendras autant soin que de la précédente.
C'est la meilleure manière dont tu puisses me remercier. Allu­
mons-la ensemble. Elle puisera sa force dans la pureté des atten­
tions que tu lui prodigueras et jamais plus elle ne s'éteindra. Nul
vent ne pourra faire vaciller sa flamme. Elle ne s'usera que par ces
voyages et découvertes sur le chemin de la vie. Elle sera ton flam­
beau et ton guide dans tes pérégrinations. Tu la trouveras parfois
pesante. Elle ne s'allégera que lorsque tu auras achevé une œuvre
ou fait une découverte.
Cette bougie-étoile est en réalité la bougie du cœur, car on ne
voit bien qu'avec l'œil de son sanctuaire intérieur. Lorsqu'une
année sera écoulée, tu pourras venir me trouver si tu ressens une
grande paix intérieure sans avoir à en demander la raison. Si tu
ne viens pas, je t'attendrai à la Saint-Jean suivante. »
La petite fille s'en alla, la bougie contre son cœur, allumée
pour toujours, en quête de Vérité. Les solstices se succédèrent
sans que l'enfant revienne. S'était-elle égarée sur les chemins
escarpés de la Connaissance ? Sa perception de l'univers ne se
limitait-elle encore qu'au visible?

Maître Janus dut encore attendre cinq autres années avant que
la petite fille ne puisse se rendre au rendez-vous. A présent, elle
était devenue une jeune fille. Un sentiment de joie et de sérénité
émanait de sa personne.

17l
LES INITIATIONS ET LINITIATION MAÇONNIQUE

Pensif, le Maître du Temps s'adressa à elle en ces termes: << Les


lueurs qui one consumé ta bougie se sont-elles transformées en
connaissance ec one-elles ouvert con entendement?
- Je l'ignore. Je sais seulement que je ne suis plus la même
depuis que j'ai reçu cerce bougie. Un certain nombre de mes
douces se sonc estompés, cependant je n'ai pas pour autant
acquis des certitudes. J'ai progressé en conscience et en discerne­
ment. Mon cœur a appris à voir ce que mes sens ne pouvaient
percevoir et m'a enseigné comment soulever le voile des appa­
rences.»

Un grand sourire de satisfaction éclaira la face du Maître du


Temps. On pouvait lire une joie indicible dans ses yeux. Il tendit
à l'adolescence une troisième bougie toute noire, en lui disant:
<< Cette bougie est la dernière que tu recevras. Désormais nos

routes ne se croiseront plus. Ce n'est pas cela qui importe. Nos


cœurs seront dorénavant unis dans }'Invisible. C'est l'approfon­
dissement de ta quête personnelle et la persévérance de con che­
minement qui m'ont remercié au-delà des espérances que j'avais
mises en mes crois bougies mystérieuses. »

La jeune fille regarda perplexe sa nouvelle bougie et finit par


dire: « Comment puis-je l'allumer? Elle n'a pas de mèche.
Pouvez-vous m'en donner une autre? »

Maître Janus secoua la tête en souriant: « Non, eu n'en auras


pas d'autres. Celle-ci est la dernière car. eu as découvert ta propre
étoile de lumière intérieure. Le soufAe de l'esprit se vivifie à
chaque instant en coi. Dans l'obscurité du quotidien, eu perce­
vras plus clairement la raison des choses cachées. Cette bougie
apparemment éceinre représente une partie importante de ta
conscience libérée de ces passions et de tes désirs. Elle n'a plus
besoin d'être allumée, car tu es sa flamme. Tant que eu seras
conscience, tu n'éprouveras plus ni inquiétude, ni tristesse,
même dans les ténèbres. Avant de nous séparer, permets-moi de
ce donner un dernier conseil emprunté à la spiritualité orientale:
172
CONTE INITIATIQUE

Dieu est la Lumière des Cieux et de la Terre. Le symbole de Sa


Lumière est une niche dans laquelle se trouve un flambeau, placé
dans un cristal, cristal qui est comme une étoile brillante; le flam­
beau est allumé avec l'huile d'un arbre béni, un olivier qui n'est ni
d'Orient, ni d'Occident, et dont l'huile brille d'une lumière écla­
tante sans que le feu y ait été mis. Lumière sur Lumière ! 1

Comprends que le cristal est ton cœur, la niche dans lequel il


est placé est ton corps, le flambeau est ta conscience, illuminée
par la lumière de !'Esprit, ce que signifie « Lumière sur Lumière».

Ainsi s'achève ce conte des trois bougies de la Saint Jean.

1. Coran, S.24, V. 35.


Corrozet Gilles, Hecatomgraphie, 1 540
Espérance en adversité

Dans la mer de l'adversité,


Cette jèmme prend l'espémnce
De venir à convalescence,
En terre de prospérité.
La mer est très bien comparée
À l'adversité égarée,
Parce que br me1; par coutume,
ést toute pleine d'amertume,
Et que, par les vents, elle se trouble,
Et vagues contre v,zgues, redouble.
Ur il n'y a point de sûreté.
Ainsi est-il de l'adversité,
Càr elle est amère et fàcheuse,
Trouble, et obscure, et périlleuse,
Elle ne vient guère seule
Et StlflS amnu:r une autre infortune,
De même que les vagues vont ensemble.
C'est donc à bon droit qu'elle lui ressemble.
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1985, Société démocratique et ordre initiatique.
1988, Tous les hommes sont frères. En quoi la démarche initiatique
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d'une tradition?

Questions à l'étude des Loges de la Grande Loge Féminine de France

1987, !.:initiation, chemin individuel et collectif.


1992, l'initiation : quelle responsabilité vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis des
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2007, Spiritualité du chemin initiatique et engagement citoyen
André Alciat, Emblèmes, 1549.
De la vie humaine.

APOSTROPHE.
Pleure, Héraclite, la vie de cc monde,
Car plus que j,imais, en mal elle abonde.
Ris Démocrite, si tu risjamais,
Cf.Ir il y a plus à moquer que jamais.

En voyant cela je ne sais ce que je dois faire : rire avec toi, ou bien pleurer avec
toi. Héraclite perdit Les yeux à force de pleurer les calamités du monde. Démo­
crite sefèndit l,1 gueule /sic/jusquiwx oreilles
à force de rire des jolies du monde.
Or il y subsiste encore un doute :
faut-il plutôt pleurer ou plutôt rire des maux et des folies du monde,
qu'est-ce qui est le plus sage ou le plus fou des deux?
Johannes Sambucus, Emblemara, 1566.
Pourquoi nous plaignons-nous de ne pas avoir assez?
D'où vient que notre faim ne se peut apaiser?
La mort vient nous surprendre avant que de la richesse
Nous en ayons ,mt,mt que nous pouvons le désirer.
Même si en chacun de nous la vérité veut se fizire entendre
Nous nous enfùyons et la richesse s'en va aussi.
Ne t'en jàche donc point, mais plutôt désire
De passer bien vivant le reste de tes ans.
Table des matières

Préface de Adrian Mac Liman 33<, Président du Cemre


Ibérique d'Êtudes maçonniques (CIEM), Madrid (Espagne) ........................ 9

Avant-propos ................................................................................................ 13

En guise d'introduction................................................................................. 19

CHAPITRE!
Approche lexicographique de l'initiation

1. Origine latine............................................................................................. 23
Il. Origine grecque........................................................................................ 24
III. Rapport avec les mystères de l'Antiquité .................................................. 28
IV. Ethnologique des rites de passage............................................................. 30
V. Diflerenres formes d'initiation en Occident .............................................. 32
VI. Extension du mot initiation dans le sens actuel le plus courant:
Commencer à apprendre quelque chose .................................................. 38
V II. Le bizutage: vestige des rites de passages ................................................ 40

CHAPITRE II
I..:iniciation spirituelle

I. Le dépassement de la condition humaine ................................................... 43


II. Le passage du profane au sacré.................................................................. 46
III. La voie des ancêtres................................................................................. 47
IV. La voie évolutive ..................................................................................... 48
V. I.:éveil de la conscience ............................................................................. 49
V1. Contes et légendes, moyen de transmission de la quête initiatique........... 51
V II. Transmission et conditions de l'initiation .............................................. 56
V III. Initiation et religion.............................................................................. 60

185
CHAPITRE Ill
Similitudes et constantes entre diverses initiations
en tant que rite de passage

1. Pérennité et continuité de l'initiation......................................................... 65


II. Constante des différenrs rites de passage rites de séparation, de marge et
d'agrégation. Initiations tribale, religieuse et magique ............................... 70
III. Facteur général de sociabilisation et d'intégration .................................... 76
IV Caractéristiques des rites de passage......................................................... 78
V Épreuves initiatiques probatoires............................................................... 80
VI. Points de convergence entre les différents cérémonies initiatiques............ 85

CHAPITRE IV
Valeurs de l'initiation

1. Valeur d'enseignement moral et de vt:rtu .................................................... 89


Il. Valeur de récompense et de couronnement d'un effort ............................ 91
III. Valeur spirituelle ..................................................................................... 91
IV. Valeur active............................................................................................ 92
Y. Valeur ésotérique et élitiste ........................................................................ 93
VI. Valeur de secret .................................................................................... ... 95
VI. Valeur hiérarchique ..... ....... .......... ...... ......................... ... ......................... 97
VTII. Valeur virtuelle ou effective................................................................... 100
IX. Valeur individuelle................................................................................... 104
X. Valeur universelle...................................................................................... 104
XI. Valeur sacrée............................................................................................ 105
XII. Valeur irréversible................................................................................... 107

CHAPITRE V
Anthropologie des buts et finalité de l'initiation

1. Donner un sens et une cohérence à la condition humaine .......................... 109


Il. Création d'un homme nouveau ................................................................ 110
lll. La (!Uête de la liberté intérieure ............................................................... 111
IV. La reconquête de !'Unité perdue cr de la Vérité........................................ 112
V. Le rejet des pouvoirs dans l'initiation tribale cr religieuse.
La recherche des pouvoirs dans l'initiation magique (sorciers et chamans) 113
Vil. Dépasser, voire transcender l'état humain............................................... 115

186
CHAPITRE VI
Spécificité de l'initiation maçonnique

1. Origine présumée de l'initiation maçonnique............................................. 119


11. Caractéristiques générales de l'initiation maçonnique ............................... 122
111. Critères des conditions <l'admission en franc-maçonnerie........................ 128
IV. Validité et régularité de l'initiation........................................................... 129
V. Linitiation des femmes en franc-maçonnerie............................................. 130
VI. Nature des épreuves contenues dans l'initiation maçonnique................... 135
VII. Rôle de la cérémonie d'initiation............................................................ 138
VIII. Franc-maçonnerie opérative et spéculative ............................................ 140
IX. Initiation virtuelle et effective.................................................................. 141
X. Initiation et secret maçonnique................................................................. 143
XI. Différences entre religion et initiation maçonnique ................................. 144
XII. Différences encre secte et franc-maçonnerie............................................ 147

CHAPITRE VII
Que peut apporter l'initiation maçonnique, en ce xxi< siècle?

1. Chemin d'amélioration individuelle et de pcrfccribiliré .............................. 151


Il. Approfondissement d'une tradition vivante .............................................. 154
Ill. Facceur d'incégracion à une œuvre commune........................................... 156
IV. Élément de construction du citoyen dans la société par l'engagement
républicain et la défense de la laïcité......................................................... 157
Y. la franc-maçonnerie est-elle une école de rationalisme?............................ 158
VI. La franc-maçonnerie esr-clle une école de spiritualité?............................ 160
VII. Dans un monde matérialiste, quelle place accorder à
l'idéal initiatique?.................................................................................. 161

EN GUISE DE CONCLUSION

Linitiation maçonnique: mythe ou réalité? ................................................. 163

Conte initiatique .......................................................................................... 169

Orientation ihliographiquc ......................................................... ... ........... .... 177


lëchelle deJacoh ou lt1 montée graduelle vers les sphères célestes
Gravure cirée de The Gcneral Ah iman Rczon and Frccmason's Guide,
1882.

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