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Sociétés et jeunesses en difficulté

Revue pluridisciplinaire de recherche

19 | Automne 2017
Varia

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/sejed/8473
ISSN : 1953-8375

Éditeur
École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse

Ce document vous est offert par Université du Québec à Montréal

Référence électronique
Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017 [En ligne], mis en ligne le 15 janvier 2018,
consulté le 07 mars 2024. URL : https://journals.openedition.org/sejed/8473

Ce document a été généré automatiquement le 16 février 2023.

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SOMMAIRE

Temps longs et temps courts dans les parcours de jeunes adultes en situation de précarité
Eddy Supeno et Sylvain Bourdon

Jeunes autochtones et protection de la jeunesse : leur point de vue sur leur prise en charge
Marie-Hélène Gagnon Dion, Jacinthe Rivard et Céline Bellot

Typologie des trajectoires d’insertion sociale des jeunes après un placement à l’enfance dans
le District de Bamako (Mali)
Moriké Dembele et Kawélé Togola

Entrer par les coulisses dans les parcours en protection de l’enfance : une approche par les
pairs
Pierrine Robin

Éducation et cultures en contexte plurilingue : analyse de l’expérience de la jeunesse


guyanaise
Blaise Dit Manga Bitegue

Notes de lecture

Béatrice Brauckmann, Salim Behloul, L’intérêt de l’enfant. Genèse et usages d’une


notion équivoque en protection de l’enfance
L’Harmattan, 2017 coll. Le travail du social.
Michèle Becquemin

Véronique Blanchard, David Niget, Mauvaises filles, incorrigibles et rebelles


ed. Textuel, 2016.
Séverine Depoilly

Vincent Tchen [dir.], L’enfant et le droit. Regards de droit comparé et de droit


international
Institut Universitaire Varenne, Collection Colloques et Essais, Éditions LGDG Lextenso, 2016, 182 p.
Flore Capelier

Nadia Beddiar [dir.], 70 ans de justice pénale des mineurs. Entre spécialisation et
déspécialisation.
L’Harmattan, Paris, 2017, 193 p.
Mostefa Maouene

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Temps longs et temps courts dans


les parcours de jeunes adultes en
situation de précarité
Long term and short term in vulnerable youth’s life courses
Tiempos largos y tiempos cortos en las trayectorias de adultos jóvenes en
situación de precariedad

Eddy Supeno et Sylvain Bourdon

1 Les sociétés dites industrialisées se sont longtemps définies en fonction de cadres


sociaux organisant tant les processus de socialisation que le rythme du parcours de vie
des individus. Or, Sennett (2000) évoque des sociétés désormais productrices
d’hétérogénéité (culturelle, politique, économique, sociale) où les parcours individuels
se délinéarisent, s’écartant des trajectoires typiques. Cette singularisation – relative –
des parcours aux lacis multiples et réversibles leur confère une épaisseur temporelle
inédite qui supplante un temps social homogène en déliquescence 1. Les temps sociaux
s’hétérogénéisent, dissociant le temps social du temps biographique 2 et déploient
plusieurs régimes de temporalité, aux alternances souvent imprévisibles 3. Cette
hétérogénéisation est décelable en particulier chez les jeunes adultes car les
nombreuses transitions (décohabitation, fin des études, insertion professionnelle) qu’ils
rencontrent dans de courts laps de temps4 les placent aux avant-postes des mutations
des temporalités sociales5. Cette situation est particulièrement préoccupante chez les
jeunes adultes vivant en situation de précarité dont le passage à l’âge adulte est souvent
parsemé de problèmes de santé mentale, d’itinérance ou de toxicomanie susceptibles
de limiter leur espace de vie6. Si la précarité peut se définir par des situations de
pauvreté, d’exclusion ou de marginalisation, elle demeure un phénomène pluriel 7 dont
la catégorisation reste sensible aux contextes nationaux et historiques 8. Sous l’angle des
temporalités sociales, la précarité peut se lire comme une difficulté, voire une
impossibilité de dégager devant soi un espace temporel suffisamment long pour se
construire des projets d’avenir9 et qui résulte en une impuissance à s’approprier un
futur qui demeure marqué par l’incertitude10. Faute de pouvoir compter sur un passé

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valorisant ou sur un futur encourageant, de jeunes adultes français non-diplômés sont


ainsi enfermés dans un présent immédiat, seul espace temporel disponible 11. Bourdon
et Bélisle12 font le même constat chez de jeunes adultes québécois pour qui le présent
devient le seul espace temporel saisissable en l’absence de repères temporels
soutenants. L’inconsistance du passé comme celle du futur densifie dès lors le présent
comme unique ressource où tout se joue dans une sorte de magma temporel où
l’impuissance prédomine13.
2 Mais la délinéarisation et l’individualisation des parcours peuvent aussi faire du
présent un moment décisif14. On note un intérêt marqué ces dernières années pour
l’étude des crises, ruptures et réorientations imprévues dans les parcours individuels 15.
L’étude des bifurcations biographiques a constitué en objet sociologique la manière
dont un événement, souvent imprévu, voire imprévisible, relativement soudain et
souvent circonscrit à une sphère de vie, peut avoir des répercussions à long terme, qui
se diffusent dans plusieurs dimensions de la vie des individus 16. Elle a montré comment
ces ruptures et exceptionnalités, loin de constituer des écarts anecdotiques et
négligeables face aux régularités dessinant les contours des faits sociologiques,
contribuent pleinement à la construction du social17.
3 Dans l’étude des populations socialement désavantagées – comme les jeunes adultes en
situation de précarité – on sait que les bifurcations biographiques peuvent constituer
des points de contact dans la dialectique entre structure et individu 18. Entre agentivité
et déterminisme, ces jeunes adultes peuvent, dans certaines circonstances bien
précises, s’extraire de situations difficiles pourtant ancrées de longue date 19. Mais la
plupart des analyses des bifurcations peinent à faire le pont entre une perspective
macrosociologiques où les structures sociales dessinent essentiellement l’univers des
possibles20 et une perspective microsociologique principalement descriptive qui, sans
nier l’influence des structures sociales, propose peu d’arrimages consistants avec ces
dernières.
4 Dans ce contexte, l’objectif de cet article est de faire le pont entre ces deux échelles
d’analyse21, en s’intéressant particulièrement à l’articulation des temps longs et des
temps courts dans les temporalités vécues par les jeunes adultes en situation de
précarité lorsqu’ils sont engagés dans une bifurcation biographique susceptible de les
mener vers une sortie de précarité.

Cadre d’analyse
5 Les temporalités sont les cadres temporels expérimentés et utilisés par les acteurs pour
organiser leurs existences quotidiennes22. Notre approche s’intéresse à l’articulation de
ces cadres temporels au temps « objectif » dans lequel se déploie le parcours de vie.
Pour clarifier le propos, on désignera par « temps court » et « temps long » les pôles des
cadres temporels du temps subjectif alors qu’on référera à l’« événement » et à la
« durée » quand il sera question du temps objectif.
6 L’approche des parcours de vie offre une lecture processuelle des transitions qui
jalonnent le parcours en les conceptualisant comme des processus à la fois
diachronique et synchronique se construisant dans la durée23. Elle conçoit le parcours
comme une combinaison de trajectoires (scolaire, familiale, professionnelle, affective)
en interdépendance, produit d’une construction tant individuelle que sociale 24. En

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privilégiant la durée de l’existence humaine comme unité fondamentale de mesure, elle


s’inscrit dans une logique causaliste privilégiant un déterminisme modéré. En effet,
pour rendre compte d’aussi longues périodes d’observation, les régimes explicatifs
proposés obligent à mobiliser un grand nombre de variables (âge, genre, statut
socioéconomique, environnement social, contexte historique, etc.). Si l’approche des
parcours de vie constitue une référence théorique forte pour rendre compte de la
complexité des influences et interactions, sa lecture essentiellement balistique peut
surestimer le rôle des événements antérieurs dans la détermination du parcours 25. L’un
des défis actuels de cette approche consiste en outre à proposer un appareillage
théorique capable de refléter empiriquement le haut degré de différenciation des
sociétés industrialisées et l’individualisation des parcours 26. Dans un monde social
pluralisé, l’arbitrage entre éléments sociaux et individuels est un enjeu majeur de la
sociologie des parcours de vie27. Le défi de l’hétérogénéité consiste ici à considérer les
effets variables des transitions sur des parcours individuels s’éloignant des
comportementaux modaux. Par conséquent, si cette approche permet de
conceptualiser les transitions sur la longue durée, elle se révèle conceptuellement
insuffisante pour appréhender les bifurcations autrement que comme des exceptions à
la règle déterministe.
7 Ainsi donc, comment concilier une lecture situationniste, désireuse de rendre compte
d’un social plus contingent, avec une lecture des transitions reposant sur la longue
durée qui vient raboter, en quelque sorte, toute possibilité d’imprévisibilité ? Dans ce
contexte, le présent peut revêtir une dimension particulière et l’approche meadienne
s’avère ici un renfort épistémologique précieux. En posant le présent comme unique
lieu de la réalité sociale, Mead28 subordonne en effet autant le passé que le futur au
présent. Autrement dit, la signification des événements – passés comme futurs – reste
constamment soumise au travail de relecture par l’individu au moment présent 29. Il
n’existe donc chez Mead, en définitive, qu’une réelle temporalité : celle d’un présent
qui reconstruit en permanence passé et futur, ces derniers n’étant jamais
définitivement stabilisés30. Maines, Sugrue et Katovich31 voient une contribution
évidente de Mead en rappelant que l’hétérogénéisation des sociétés industrialisées
aboutit à les considérer comme étant moins déterminées par les événements passés, ce
qui revalorise du même souffle l’espace situationnel du présent et le travail réflexif
individuel.
8 Mais l’approche des parcours de vie apparaît peu compatible avec celle de Mead :
comment concilier un parcours dont l’intelligibilité s’étaye essentiellement sur les
événements passés et une conception où seul le présent n’a de réelle existence ? Il faut
d’abord souligner que toutes deux reconnaissent un individu disposant d’une certaine
marge de manœuvre dans le monde social. Sur cet accord fondamental, il est possible
d’inscrire l’analyse dans un situationnisme considéré dans toute son amplitude. Sans
approfondir spécifiquement cet aspect, Elder32 souligne cependant que si l’intelligibilité
d’une transition est certes fonction des événements antérieurs, elle est également
fonction du contexte et donc, du présent de la personne à ce moment-là dans son
parcours. C’est ici que l’approche elderienne rejoint la temporalité meadienne, en
déconnectant déterminisme et temporalité. Le changement n’est donc pas une
anomalie dont il faudrait atténuer l’importance pour mieux dégager des régularités. Il
contribue aussi à façonner la matière sociale en évitant l’écueil d’une approche finaliste
des phénomènes sociaux33. C’est ce cadre d’analyse que cet article propose de mettre à

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l’épreuve pour explorer l’articulation des temps longs et des temps courts dans les
parcours de jeunes adultes en situation de précarité.

Méthodologie
9 L’analyse exploite un corpus d’entretiens collectés dans l’Étude longitudinale de jeunes
adultes en situation de précarité34 menée par une équipe du Centre d’études et de
recherches sur les transitions et l’apprentissage (CÉRTA). Amorcées en 2006, cinq
vagues annuelles d’entretiens ont été réalisées auprès d’un échantillon de jeunes
adultes (n =45) ayant interrompu leur scolarité sans avoir obtenu de diplôme d’études
secondaires. Les participants ont été recrutés sur une base volontaire dans trois
Carrefours Jeunesse-emploi (CJE)35. Ils avaient alors entre 18 et 24 ans, avaient tous
connu un passage à l’aide sociale et se trouvaient en situation de précarité (faible
revenu, instabilité) au début de l’enquête36.
10 Chaque vague d’enquête s’appuie sur une instrumentation comprenant notamment un
calendrier qui répertorie les états et événements dans plusieurs trajectoires ou sphères
de vie (résidentielle, emploi, formation, amour, ménage, relations, accompagnement),
un inventaire du réseau social, un inventaire de « moments importants » et un guide
d’entretien semi-directif destiné à explorer les transitions survenues depuis la vague
précédente. Le suivi des différents états du parcours permet de documenter, pour toute
la période d’observation considérée, la durée de chaque état se succédant dans chaque
sphère de vie du jeune adulte. Autrement dit, c’est avoir accès non seulement aux
sphères de vie investies par le jeune adulte (en formation ou non, en emploi ou non,
etc.), mais aussi à la durée de cet investissement (durée de la formation, de l’emploi,
etc.). En raison de la perte de personnes participantes au fur et à mesure de l’enquête –
et pour conserver le caractère ininterrompu des états – la période d’observation
s’étend sur deux années (trois entretiens)37. Une comptabilisation de ces états a donc
été réalisée pour chaque jeune adulte sur les trois vagues.
11 Le calendrier des cycles de vie répertorie également les changements d’état dans
chaque sphère de vie, c’est-à-dire les événements objectivement observables qui
ponctuent le parcours (ex. : obtention d’un emploi, interruption d’études, etc.). Cette
seconde comptabilisation donne accès à la densité événementielle dans le parcours en
fournissant des indications sur le nombre de déménagements, de retours ou
d’interruptions de formation, de débuts ou de fins d’emploi, etc.
12 Les bifurcations biographiques potentielles sont identifiées en analysant les relations
entre les événements, à la fois quantitativement (comptabilisation des changements au
cours des vagues) et qualitativement (types de changement selon les sphères de vie). À
titre d’exemple, si l’obtention inattendue d’un emploi (événement/sphère de l’emploi)
met un terme à une période de chômage (état/sphère de l’emploi), elle peut inciter le
jeune adulte à vivre en résidence de manière autonome (événement/sphère
résidentielle). Cette méthodologie découpe les parcours en configurations de relations
qui sont autant de séquences temporelles reconstruites inductivement en fonction de
l’évolution de ladite configuration. Toute séquence temporelle est donc aussi une
séquence d’action car elle reflète, en un instant donné, un agencement spécifique de
ressources et de contraintes mais aussi de choix et de décisions qui structurent l’action
du jeune adulte.

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13 La séquence temporelle est ensuite réinscrite dans l’ensemble du parcours observé :


cette mise en perspective permet de déceler l’influence potentielle de la séquence sur la
suite du parcours. Cette influence peut prendre la forme d’une stabilisation ou
déstabilisation de l’agencement entre les sphères de vie susceptible de réorienter
significativement le parcours. Cette réorientation peut s’apparenter à une sorte de crise
qui exige l’exploration de solutions, par le jeune adulte, pour la résoudre 38 qui permet
d’identifier une bifurcation biographique.
14 La prochaine étape consiste, à l’aide d’une fiche synthèse, à la mise en récit de manière
narrative du parcours pour avoir accès aux temporalités vécues par le jeune adulte
avant, pendant et après la bifurcation. Cette transition, comme moment décisif, peut en
effet ouvrir sur une nouvelle intelligibilité du parcours39, et amener le jeune adulte à
une modification importante à ce moment précis de ses temporalités 40. L’objectif ici est
de voir comment les temps longs et courts sont conçus, appréhendés et s’organisent
dans les pensées du jeune adulte. L’approche meadienne de la temporalité permet ainsi
de travailler les temps « vécus » et d’analyser comment ces temps viennent influer sur
les choix, décisions et comportements des jeunes adultes pour, éventuellement,
modifier leurs parcours. Autrement dit, il s’agit d’analyser comment leurs
représentations dans le temps peuvent se transformer et les aider à transformer leurs
actions sur leur parcours.
15 Les temps courts renvoient aux actions, décisions et choix énoncés dans le discours du
jeune adulte pour s’emparer du temps présent, dans le moment décisif que constitue la
bifurcation. Parmi les indicateurs mis à profit pour tenter de saisir les représentations
des temporalités courtes, on retrouve notamment des éléments du discours sur la
nature et l’importance des décisions prises ou des actions posées pendant ou peu après
la bifurcation sur lesquelles cette dernière a influé (ex. : épuration du réseau social
après une rencontre amoureuse significative) ainsi que sur l’impact, au sens large, de la
bifurcation sur le parcours (ex. : état d’esprit, sentiments ressentis, remises en
question, etc.).
16 Les temps longs renvoient, quant à eux, aux projections du jeune adulte, autant vers
son futur que vers son passé. Parmi les indicateurs utilisés pour saisir les
représentations des temps longs, on compte notamment les comparaisons du
traitement d’un thème avant et après la bifurcation qui lui est associée (ex. : discours
sur les projets de vie avant et après l’obtention d’un emploi), la disparition ou la
reformulation d’anciens projets ou l’énonciation de nouveaux projets après la
bifurcation (de formation, de travail, de fondation d’une famille.) ou les traces de
changement de signification attribuée à des situations ou événements antérieurs après
la bifurcation (ex. : changement de perception face à l’expérience scolaire après un
retour en formation).
17 Si la bifurcation représente, dans le temps objectif, une rupture dans le parcours, elle
peut constituer une opportunité, pour le jeune adulte, de reconstruire une continuité
dans ce même parcours en faisant interagir ses temporalités par la redéfinition de son
passé et de son futur (temps long) à la lumière du moment présent (temps court). Cette
méthodologie met ainsi en dialogue l’influence des structures sociales (par les états et
événements objectivement observables) et une perspective microsociologique par la
mise en mots du travail de restructuration de ses temporalités par le jeune adulte.

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Résultats
18 Cette partie présente les analyses issues de la méthodologie à partir de trois
bifurcations biographiques dans autant de parcours de jeunes adultes.

L’opportunité d’emploi : fil d’Ariane entre passé, présent et futur

19 Au premier entretien en janvier 2007, Mégane41 a 20 ans, est en raccrochage scolaire


pour compléter ses études secondaires et occupe un emploi d’animatrice dans un projet
de radio communautaire. Son parcours est émaillé depuis plusieurs années de
problèmes de toxicomanie, de dépression et de conflits familiaux. Mais le conflit avec sa
mère, de qui elle subit de la violence verbale et physique, se démarque : « […] je suis
allée rester en famille d’accueil à cause de ma mère. […] Je suis allé en centre
d’hébergement aussi. » Après une autre rechute dans la consommation, à bout de
ressources et épuisée, elle se résout à demander l’aide d’un organisme : « Je l’ai fait
pour ma mère au début. Mais après, c’était pour moi que je le faisais. » Lors de
l’entretien, elle choisit d’évoquer son expérience de participante à un programme
d’aide à la réinsertion qui lui fait vivre plusieurs activités : bénévolat, atelier sur les
droits des jeunes, photo, informatique, écriture. Ce programme constitue un moment
significatif : « Je pense que ça c’est le projet qui m’a rendu la plus différente dans toute
ma vie […] qui m’a aidée le plus dans tout ce que j’ai vécu jusqu’à maintenant. »
S’amorce alors un lent travail de prise en charge d’elle-même parsemé de prises de
conscience : « J’ai réglé bien des affaires avec ce projet-là parce que j’ai travaillé sur
moi-même, pas parce qu’eux [les intervenants] ils ont travaillé sur moi, mais parce
qu’eux, ils m’ont aidée à travailler sur moi. » La toxicomanie, la dépression et les
conflits familiaux ont particulièrement mis à mal son estime de soi. Mais le programme
suscite un travail sur soi : « […] j’ai appris à m’exprimer, puis à m’affirmer aussi. Puis à
dire ce que j’ai à dire quand c’est le temps, de ne pas garder ça en dedans. » Sa
participation au programme de réinsertion à ce moment-là installe, de manière fragile,
des appuis (confiance en soi, vie en appartement). Elle cesse sa consommation de
drogues et prends des médicaments pour gérer ses crises de panique avec l’aide d’un
médecin et d’une psychologue : « Je me suis reprise en main autrement dit. Je suis allée
faire une détox. […] Depuis ce temps-là, je n’ai pas refait de rechute. […] je suis rentrée
en thérapie […] c’est sûr que je vais dans les bars puis je prends un verre une fois de
temps en temps. Mais je ne suis pas dans les drogues, puis dans les trucs comme ça. »
Ces actions et décisions contrastent avec la représentation qu’elle avait de son présent
et de son avenir avant de participer au programme : « Moi, dans ma tête, c’était comme
ça. Partout où j’allais, ce n’était pas normal si ça allait bien. […] quand j’ai donné mon
CV [pour m’inscrire au programme], je ne pensais pas que ça aurait changé ma vie à ce
point-là. »
20 Au second entretien en janvier 2008, elle aborde la fin du projet de radio
communautaire qui l’a obligé à trouver une solution pour subvenir à ses besoins : « […]
le projet radio a fini. J’étais bien contente sauf que là, fallait me trouver un emploi. J’ai
commencé à fouiner un peu partout. » Trois jours après, elle déniche dans le journal
une offre d’emploi en travail de rue dans l’organisme qui l’a aidée : elle contacte
aussitôt le directeur pour soumettre sa candidature. Ce dernier hésite en raison de son
âge : « […] au début, il me disait qu’il n’était vraiment pas intéressé. Parce qu’il trouvait

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que j’étais jeune, puis que oui, j’en avais de l’expérience, mais j’étais quand même
jeune. » Mais elle le convainc finalement de l’embaucher.
21 Cette opportunité professionnelle imprévue, qui constitue une bifurcation
biographique dont elle se saisit à bras-le-corps, arrive « au bon moment » dans son
parcours. Ses efforts de stabilisation, évoqués au premier entretien grâce au
programme d’aide à la réinsertion, se voient ici couronnés par l’obtention de cet
emploi ; son autonomie naissante peut ainsi prendre une forme plus concrète : « Le fait
de ne plus consommer, d’être à l’emploi, avec du monde que j’aime, le fait de réussir à
payer mon auto, mon loyer, c’est juste énorme. […] Pour beaucoup de monde, c’est
petit, mais pour moi, c’est tellement gros, que même encore aujourd’hui, j’ai de la
misère à croire ça. Je trouve ça extraordinaire ! » Cet emploi a alors deux effets
significatifs dans son parcours : non seulement il consolide ses efforts de stabilisation
déjà entrepris et évoqués dans le premier entretien mais vient également atténuer
l’influence d’états ancrés depuis longtemps (toxicomanie, dépression, etc.). L’effet de
contamination de l’emploi – d’abord localisé dans la sphère de l’emploi – se propage à
l’ensemble de ses sphères de vie, non seulement dans le présent (ex. : pouvoir payer son
loyer et son auto ; la fierté de son père de la voir se prendre en charge) mais aussi dans
le futur. Car partant de cet emploi, c’est l’avenir de Mégane qui se « réécrit », en
cohérence avec ce nouveau présent. S’ouvre désormais la possibilité pour elle de se
construire des projets, notamment sur le plan scolaire en visant un retour en formation
reliée à son emploi : « […] j’ai pris quelques informations pour aller chercher mon
certificat en toxicomanie […] d’ici l’année prochaine, j’aimerais bien ça m’inscrire à
l’université. » Sur le plan relationnel, elle épure son réseau social pour le conformer
davantage à ses aspirations dans ce nouvel avenir en construction : « […] c’est sûr que
les nouvelles personnes que j’ai rencontrées sont intéressantes dans le sens que ce sont
des personnes saines, pour moi. J’ai beaucoup d’amis qui consomment encore
extrêmement, je vais les voir, mais je me respecte. […] je dirais que les nouvelles
personnes que j’ai rencontrées, c’est du monde qui sont bien pour moi. » C’est une
nouvelle perception d’elle-même dont elle en mesure l’évolution : « Ça me permet de
voir dans quelle situation j’étais avant […] j’ai comme un aperçu opposé de qu’est-ce
que j’étais avant, puis aujourd’hui, ce que je suis. »
22 L’emploi revêt par ailleurs une forte dimension symbolique pour Mégane : travailler
comme intervenante dans l’organisme qui l’a aidé fait écho à une partie de son passé
qu’elle réécrit à la lumière du présent. Pour elle, devenir intervenante auprès de jeunes
en difficulté était inévitable, voire inéluctable : « J’ai toujours voulu m’en aller
travailler avec les jeunes, intervenante ou dans l’entraide […] ça a tout le temps été ça,
dans ma tête. Que je voulais m’en aller dans l’entraide, mais je ne pensais pas que c’était
pour venir aussi vite que ça. » Elle identifie, dans ce passé revisité, une période
charnière dont son présent est l’aboutissement – professionnellement du moins :
« C’est quand j’étais au secondaire. J’avais beaucoup de problèmes familiaux, puis je suis
resté chez des intervenants de l’école… Juste le fait de m’avoir fait aider comme ça a
comme déclenché sûrement quelque chose dans ma tête qui a fait que je voulais
devenir intervenante. Je pense que ça part vraiment de là. » Certains éléments
spécifiques du passé sont ainsi explicités pour rendre compte de sa trajectoire
professionnelle actuelle : « […] j’observais les profs, les intervenants […] Je pense que
c’est à partir de là. Puis le fait aussi qu’il y ait autant de profs puis d’intervenants qui

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m’ont aidée dans toutes mes années scolaires au secondaire, je pense, qui a fait que je
veux m’en aller [intervenante]. »
23 Par ailleurs, lorsque Mégane souligne que c’est en raison de ses efforts quotidiens pour
trouver sa dose de drogue qu’elle a développé sa persévérance et sa détermination -
notamment pour convaincre son employeur de l’embaucher – une partie plus sombre
de son passé de toxicomane trouve ici, pour la première fois dans son discours, grâce à
ses yeux : « […] je pense que ça vient de mes anciens comportements de
consommatrice. Quand je consommais beaucoup, j’étais un peu comme ça, très
orgueilleuse : “Non, moi, c’est tout le temps capable”. »
24 L’opportunité professionnelle, évoquée au second entretien, agit ici comme un
catalyseur. Premièrement, l’emploi permet de réorganiser des éléments spécifiques de
son passé (souvenirs du secondaire et son désir de devenir intervenante un jour).
Deuxièmement, l’emploi, par les ressources financières et la confiance qu’il lui procure,
refaçonne non seulement son avenir professionnel mais aussi scolaire, relationnel et
éventuellement amoureux. En effet, contrairement à la densité événementielle
constatée dans les deux premiers entretiens, le troisième entretien en mars 2009 est
placé sous le signe de la stabilisation. Mégane occupe toujours le même emploi, évoque
un voyage réalisé dans la dernière année avec des amis et démontre plus que jamais
une détermination à compléter ses études secondaires (en y apposant une échéance
précise). Cette stabilisation à l’œuvre dans son parcours fait en sorte également que
Mégane s’ouvre à de nouvelles perspectives sur le plan amoureux : « […] j’aimerais ça
avoir un copain. On dirait que je suis plus ouverte à l’idée. » Se tisse alors un fil
conducteur qui permet à Mégane de donner une cohérence nouvelle entre son passé,
son présent et son futur. Cette cohérence rentre en résonance avec les efforts de
stabilisation entrepris avant l’opportunité professionnelle et permet d’asseoir
concrètement des projets d’avenir.

Une normalité temporalisée

25 Au premier entretien en janvier 2007, Christopher a 24 ans et effectue également un


retour aux études pour compléter ses études secondaires. Depuis l’adolescence, il doit
composer avec de sévères troubles de santé mentale au point de connaître de
fréquentes hospitalisations en psychiatrie. Il est astreint à une forte médication depuis
environ un an pour contrôler ses troubles : « […] je prends mes médicaments à des
heures précises : j’en prends le matin, j’en reprends vers trois puis quatre heures, puis
au coucher. C’est à vie, c’est pour ne pas que je fasse de psychose. » La médication
constitue un élément central car chaque ajustement de médicament implique un
changement de comportement chez Christopher que les autres remarquent : « […] la
médication joue un rôle important dans [la manière] que le monde me voit. [Je suis]
plus direct, plus mauvais. » Honteux, il dissimule alors son état de santé, craignant que
cela nuise à ses relations : « Mon dédoublement de personnalité […] je suis perçu
différemment. J’ai été à l’hôpital, puis dans la manière d’être et d’agir, tu ne peux pas
laisser la personnalité prendre le dessus. Tu es sûr que la personne est consciente de ça,
sinon elle va te trouver fou. » Il a d’ailleurs de la difficulté à faire confiance aux gens :
« […] je suis beaucoup plus méfiant envers les personnes. Je sens des fois que personne
ne comprend c’est quoi. » Ses troubles de santé mentale le handicapent ainsi fortement
dans ses efforts de stabilisation de son parcours.

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26 Cela ne l’empêche pas pour autant d’avoir des projets : « […] mais je veux avoir une
famille, si possible. Je veux avoir quelqu’un dans ma vie. […] Je veux une meilleure vie. »
Pour cela, il fait preuve d’une grande détermination : « Jamais je n’ai pensé à un
moment donné de me suicider. J’avançais. J’avançais. J’avançais. Même si j’ai des
problèmes par-dessus la tête. Je suis en vie. J’ai ma santé. » Ses efforts d’autonomisation
rapportent des dividendes, notamment par un investissement scolaire important et des
résultats encourageants : « Ma bourse gagnée à l’école. J’étais tellement heureux.
C’était comme un cadeau. C’était comme une présence, être aimé. » Sa première
expérience de vie autonome en appartement représente aussi une fierté personnelle :
« […] j’ai appris comment faire la bouffe. Faire du ménage, du lavage. Comment gérer
des repas, cuisiner. » Tous ces efforts constituent un espoir de normalisation : « Je veux
aller en emploi. Je veux avoir un meilleur appartement. Je veux une vie normale. […]
Pouvoir me payer ce que je veux et ne plus être au crochet de la société. » Si ses
troubles de santé mentale pèsent lourdement sur l’ensemble de son parcours,
paradoxalement, ils motivent également ses nombreux efforts – médication aidante –
de stabilisation (investissement scolaire, vie en appartement, discrétion sur son état de
santé).
27 Au second entretien en février 2008, il évoque sa dernière – et énième – hospitalisation
qui se révèle déterminante, car elle conduit, de manière totalement imprévue, à
stabiliser sa médication : « C’est une petite hospitalisation, mais elle est décisive. […]
Une fois que ça a été réglé, je me suis senti très très bien. » Ses efforts de normalisation
évoqués au premier entretien un an auparavant, avec sa médication désormais ajustée,
acquièrent une certaine irréversibilité : à partir de là, même s’il reconnait pouvoir bien
se débrouiller par lui-même, il énonce un souhait qu’il n’espérait pas vivre à court
terme : « Aller en famille d’accueil. Pour avoir plus de stabilité, plus de ressources […]
Trois repas par jour, avoir plus d’argent et plus de couvre-feu. » Autre signe de
l’importance de cette hospitalisation est le fait que Christopher a partagé autour de lui
cette bonne nouvelle (et révélait par le fait même son état de santé). La particularité de
la stabilisation de sa médication, aussi ponctuel qu’imprévu constitue en cela une
bifurcation biographique : elle permet de lui ouvrir un futur ardemment espéré mais
dont il jugeait la concrétisation improbable. Il se saisit en effet de cet événement pour
s’y appuyer et construire concrètement de nouveaux projets.
28 Au troisième entretien en mars 2009, les effets bénéfiques de sa médicalisation
stabilisée semblent perdurer, car le jeune adulte déclare occuper maintenant un emploi
en tant qu’assistant coordonnateur pour un organisme dédié aux personnes autistes où
il développe ses compétences professionnelles : faire du classement, rédiger des textes
pour promouvoir la cause de l’organisme, utiliser un ordinateur à d’autres fins que
pour aller sur Internet. On observe là aussi un effet de contamination de l’événement,
d’abord localisé à la sphère de la santé, qui se propage progressivement au moins à une
autre sphère, celle du travail.
29 Cet emploi l’amène également à revisiter son passé. Lors de ce troisième entretien,
Christopher attribue effectivement, pour la première fois dans son discours, un sens
positif à son état de santé, état qu’il assume désormais au grand jour (isolement
atténué, valorisation de soi, sentiment d’utilité, se fixe des objectifs de vie). Pour lui,
son état désormais « n’est pas un trouble de santé mentale, mais une différence
cognitive. » Christopher valorise ici une expérience spécifique de son passé pour
expliquer, en partie, ses aptitudes dans son emploi de coordonnateur : « […] mon

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expérience, plus jeune, dans les cadets [mouvement jeunesse parrainé par le Ministère
de la Défense nationale] m’a aidé dans le développement du projet. La discipline, parler
devant des gens, être en groupe, avoir du leadership. » Dans la dernière année, il
indique être « resté sur le bon chemin, [j’ai] réussi à me stabiliser, ce dont je suis fier. »
L’ultime indice d’un avenir que Christophe parvient à se construire, c’est le fait de
n’avoir connu aucune hospitalisation dans la dernière année, ce qui est vécu comme un
succès.

La relation amoureuse réconciliatrice des temporalités

30 Au premier entretien en janvier 2007, Zachary a 21 ans, il n’a pas complété ses études
secondaires et participe à un programme de réinsertion. Il déclare être aux prises avec
plusieurs difficultés depuis de nombreuses années : « Les attouchements quand j’étais
petit […] Mon père m’a souvent battu. La boisson, je suis un alcoolique. La drogue, ça
m’a rendu paranoïaque. » Autant de situations qui ont affecté l’ensemble de ses
sphères, en particulier celle scolaire (il intimide et taxe les élèves puis se fait ensuite
expulser de l’école). Un événement domine toutefois : « La mort de ma mère m’a
beaucoup affecté. Puis même encore aujourd’hui. Mon deuil n’est pas fini. […] Elle était
malade. Elle a eu un accident. C’est pour ça qu’elle ne pouvait pas travailler. […] Puis
elle a eu une autre crise cardiaque. » Pour lui, ce décès explique en grande partie ses
difficultés actuelles : « J’ai tout le temps le feu en dedans de moi qui ne veut pas
s’éteindre. J’essaie de l’éteindre, mais je ne peux pas. J’essaie de pleurer, mais je ne suis
pas capable. Beaucoup de la haine au cœur. » Une haine qu’il nourrit depuis des années
contre son père pour ses violences physiques et que le décès de sa mère a amplifié.
Cette disparition accentue ses tendances autodestructrices : « Après sa mort, crise
d’anxiété, paranoïa à cause de la drogue aussi. Ça m’a rendu encore plus paranoïaque. »
Malgré tout, à la suite d’un stage, Zachary énonce un projet professionnel mais non
suivi d’actions concrètes pour l’heure : « Mon premier stage en cuisine. J’ai eu ma
première job. […] C’est ça qui m’a changé. Que j’ai eu la passion de bien cuisiner. […] Je
voudrais avoir mon restaurant. »
31 Au second entretien, un an plus tard en février 2008, il participe à un autre programme
de réinsertion. Durant la dernière année, il déclare avoir fait une rencontre amoureuse
qui constitue une bifurcation car elle l’a transformé : « […] depuis que je suis en couple,
le monde dit : « Je suis capable d’avoir une discussion sérieuse avec toi, puis tu n’es plus
comme avant, tu as changé. » Il emménage rapidement avec sa conjointe et cesse de
consommer des drogues : « […] J’ai dit : “Je ne suis plus capable. Je suis tanné… Tout le
temps la même dynamique dans la drogue par-dessus la tête.” Je ne voyais plus rien. Je
ne dormais plus… Puis elle m’a aidé à m’en sortir. Commencé à diminuer l’alcool, en
premier. Diminuer la dose de consommation. » Même si ces changements stabilisateurs
ne se sont pas réalisés rapidement, à l’aune de sa toxicomanie, son alcoolisme et sa
haine intériorisée présents depuis des années, la relation amoureuse et les
changements associés créent une densité événementielle dans une séquence temporelle
assez ramassée entre les deux entretiens. Tout cela place Zachary face à lui-même :
« Elle m’apprend… à être moi. […] je suis content de l’avoir lâché, l’alcool, parce que j’ai
découvert ma copine. Elle, c’est mon joint. C’est elle qui me procure de l’endorphine. »
Zachary s’empare de cette opportunité pour poser des gestes afin d’amoindrir l’emprise
de ses tendances autodestructrices comme assainir son réseau social pour le conformer
autant à ce nouveau présent qu’à ce nouvel avenir qui s’esquisse : « [ces personnes] ont

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toutes, quasiment, un travail. […] Oui, ce sont des bonnes personnes. Elles ont des
bonnes valeurs. » S’ajoutent à cela des éléments a priori anodins mais révélateurs de
l’influence stabilisatrice de sa relation amoureuse : « Il faut que je fasse une épicerie,
convenable. Le ménage. Être poli. Surtout. C’est ça, puis être capable de se tenir. […] je
me surveille plus. Avant, j’étais plus à jurer à tout bout de champ. » Avec cette
rencontre amoureuse, Zachary se construit un futur encore improbable il y a quelques
années. Il s’apaise premièrement face au décès de sa mère : « […] [ma conjointe] m’a
redonné le goût d’écrire. […] Parce qu’avant, je n’écrivais plus. J’étais bloqué tout le
temps, à cause de la mort de ma mère. Puis elle m’a aidé, sur ça aussi, la mort de ma
mère. » Au troisième entretien en mars 2009, Zachary suit un programme de formation
mais qui n’est pas en lien avec le projet de devenir cuisinier évoqué au premier
entretien et qui a depuis disparu de son discours. Non seulement Zachary énonce un
nouveau projet professionnel mais son discours témoigne de ses efforts pour le
concrétiser – contrairement à son désir d’ouvrir un restaurant, projet demeuré à l’état
d’intention au premier entretien – et des qualités insoupçonnées qu’il se découvre : « La
mécanique électronique, la capacité de [remonter] des circuits électroniques, de savoir
comment ça marche. […] ça m’a fait découvrir des talents qui étaient cachés que j’avais.
[…] Je suis particulièrement fier de pouvoir monter [les circuits], puis après les
brancher puis de voir que ça marche […] je commence à découvrir la patience, la
persévérance aussi. » Ce nouveau projet est aussi l’occasion pour lui de se réconcilier
avec l’école en tant qu’institution – où on peut maintenant apprendre et s’y développer
selon lui – qu’il considérait lors du premier entretien, deux ans auparavant : « […]
inutile, trop dur et pas fait pour moi. »
32 Toujours sous l’impulsion de sa conjointe, des projets de vie sont formulés (consolider
sa carrière, fonder une famille). Biographiquement, sa relation amoureuse est arrivée à
point nommé : si le processus de deuil de sa mère est douloureux, le travail de réflexion
sur soi était déjà amorcé lors du premier entretien. Sa relation amoureuse vient alors
soutenir le processus de stabilisation en cours pour le sédimenter. Le passé de
Zachary – au travers le décès de sa mère – n’échappe pas à ces bouleversements : s’il ne
l’évoque que très peu au second entretien, alors entièrement dédié à sa relation
amoureuse, un certain apaisement succède à la colère qui l’habitait. Des propos concis
et tout en pudeur, mais porteurs d’une réflexion nourricière remplacent le discours
amer : « Oui, la mort de ma mère. Ça m’a fait réaliser beaucoup de choses. Puis il y a des
affaires qu’on fait dans la vie puis je ne veux pas rester comme ça. Je ne veux pas
mourir puis avoir rien fait. Je veux savoir que j’ai été utile à quelque chose avant de
partir. » Au dernier entretien, le décès de sa mère n’est plus source de colère et
d’amertume mais désormais un espace que Zachary veut investir positivement pour
voir quelle contribution il peut laisser derrière lui.

Discussion et conclusion
33 Les résultats empiriques montrent que le présent, loin d’enfermer les jeunes adultes,
peut parfois au contraire ouvrir sur un horizon temporel où ils peuvent « jouer des
coups »42 et les rapprocher d’une vie qu’ils valorisent 43. Les jeunes adultes réalisent un
travail symbolique de mise en cohérence, qui peut leur permettre de se bâtir une assise
sur laquelle s’appuyer44 et tisser des liens entre des temporalités éparses. À ce titre, la
bifurcation peut être un espace où, dans certaines circonstances bien précises, de

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jeunes adultes en situation de précarité sont en mesure de saisir certaines opportunités


pour s’extirper, au moins partiellement et souhaitons-le durablement, de leurs
difficultés45.
34 En matière d’implication potentielles sur les pratiques professionnelles et
institutionnelles à l’égard des jeunes adultes, ces résultats offrent plusieurs avenues de
réflexion. Dans un premier temps, considérer l’ensemble de la biographie des jeunes
adultes par l’intermédiaire des sphères de vie (formation, emploi, amour, résidentiel,
etc.) pourrait s’avérer une voie fructueuse. Les illustrations empiriques montrent bien
en effet en quoi les changements d’état affectent, d’une manière ou d’une autre,
l’ensemble du parcours des jeunes adultes. Cette perspective met bien relief les
mécanismes d’interdépendance entre les sphères de vie : la stabilisation de la
médication de Christophe a d’heureuses répercussions sur son insertion en emploi et
l’obtention d’un emploi par Mégane lui procure certes une autonomie financière mais
l’amène aussi à évoquer des projets d’études. Cette perspective donne également accès
aux efforts de coordination des jeunes adultes de leurs sphères de vie en fonction de
leurs priorités du moment : si la vie amoureuse de Zachary connaît d’importantes
transformations à partir du moment où il rencontre sa conjointe, sa vie professionnelle
est alors mise en veilleuse car il concentre l’essentiel de ses efforts sur sa situation
conjugale et les réflexions sur soi qu’elle suscite. Ce n’est qu’une fois sa relation
amoureuse stabilisée que sa vie professionnelle est « réactivée » par l’énonciation d’un
nouveau projet d’études. Ces résultats invitent à tendre vers une perspective
d’intervention en mesure de considérer l’ensemble des sphères de vie des personnes
alors que les pratiques professionnelles et institutionnelles sont généralement
construites de manière cloisonnée en fonction de champs d’intervention (service social,
employabilité, formation, santé publique, etc.).
35 Ces processus « d’activation » ou de « mise en veille » d’activités dans certaines sphères
de vie témoignent également de la relative autonomie de chaque sphère de vie. Pour
reprendre Bidart46, les sphères de vie « avancent » à des vitesses différentes. Sous cette
lecture, les trois illustrations empiriques montrent bien les efforts des jeunes adultes à
harmoniser entre elles les vitesses de leurs sphères de vie – du moins celles analysées
ici. Ce travail de (re)mise en cohérence reflète une articulation complexe entre gestion
des contraintes et mise à disposition des ressources entre les sphères de vie : dans un
contraste presque en miroir à la situation de Zachary, ce n’est que lorsque sa situation
professionnelle est stabilisée, son réseau social épuré et une certaine confiance en soi
restaurée que Mégane se déclare être prête pour une nouvelle relation amoureuse.
Dans son cas plus particulièrement, au moment de la période d’observation du moins,
ces vitesses différentielles finissent par « se caler » entre elles, en conservant des
vitesses différentes, mais de manière moins prononcée. Une mise en cohérence des
sphères de vie peut donc contribuer à poser une assise stabilisatrice sur laquelle le
jeune adulte peut s’appuyer pour poser d’autres gestes. Il y a là non seulement un
véritable travail de coordination entre les sphères mais aussi de massification ou
d’homogénéisation du parcours. Pour le dire autrement, les sphères de vie avancent
certes à des vitesses différentes mais cela semble néanmoins contribuer à soutenir une
ou des sphères priorisées à ce moment-là (à l’exemple de Christopher qui investit les
sphères scolaire et relationnelle en restant discret sur son état de santé mentale). Dans
tous les cas, il y a une maîtrise plus grande de l’ensemble des sphères de vie permettant
différentes combinaisons entre elles.

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36 Il y a donc là aussi une piste de réflexion pour les pratiques professionnelles et


institutionnelles de tenir davantage compte de ces efforts d’harmonisation entre
sphères de vie. L’intention n’est pas d’appuyer toute pratique, programme ou mesure
visant ultimement la mise en cohérence dans l’ensemble du parcours des personnes.
L’idée importante ici est que des sphères de vie qui avancent à des vitesses différentes
peuvent, dans certaines circonstances, expliquer pourquoi certaines personnes ne
souhaitent pas investir des efforts dans certains aspects de leur vie ou, au contraire,
décident de consacrer temps et énergie dans une sphère de vie en particulier. Si un
certain flottement peut ainsi caractériser certaines séquences de parcours, l’analyse
semble pointer vers l’idée que même si « rien ne se passe objectivement », en
particulier dans les sphères professionnelle et scolaire, un travail d’autonomisation est
peut-être en cours à d’autres niveaux (introspection, épuration du réseau social,
thérapie, repli sur la relation amoureuse ou investissement familial) soulignant des
logiques d’attentes d’un changement susceptible de consolider le parcours 47. Les jeunes
adultes peuvent donc connaître des situations de précarité tout en ne se considérant
pas comme tel, appuyant une lecture d’un monde social où il est plus complexe de
distinguer clairement intégration et exclusion. On sait cependant que le degré de mise
en cohérence des sphères entre elles semble participer au degré de stabilisation dans le
parcours de jeunes adultes48. Dans cette perspective, les interactions les sphères de vie
peuvent assumer des rôles de compensation, de complémentarité ou d’activation 49.
37 Cette perspective plus holiste est susceptible de prendre une résonance particulière à la
lumière des bifurcations biographiques où les trois jeunes adultes se saisissent chacun,
de l’événement rencontré. Lors de ces bifurcations, ils articulent en effet leurs temps
longs et courts en mobilisant notamment plusieurs ressources puisées dans l’ensemble
de leurs parcours. Si Mégane n’a aucun pouvoir sur le moment où l’opportunité
d’emploi se présente, elle estime que ses efforts de prise en charge (de sa toxicomanie
notamment) ont suffisamment rapporté de dividendes à ce jour pour qu’elle se
considère en mesure d’aller « tenter sa chance » auprès de l’employeur.
L’accompagnement pourrait ici prendre la forme d’un travail de soutien d’explicitation
des ressources en question pour aider les personnes à se les approprier et développer
ainsi un certain pouvoir d’agir. Les ressources des jeunes adultes ne devraient toutefois
pas être considérées comme des éléments en latence, n’attendant que l’occasion d’être
activées : c’est en nommant sa persévérance à trouver sa dose comme toxicomane que
Mégane identifie, a posteriori, la persévérance comme une de ses ressources jugées
primordiales pour décrocher l’emploi. Pour sa part, Zachary qui se considérait enlisé
(violence, alcoolisme, amertume, etc.) depuis des années dans le deuil difficile de sa
mère, mentionne au dernier entretien voir finalement dans cet événement douloureux
une opportunité créatrice pour sa vie en général. Ces mises en perspective temporelles
font articuler les temps longs de la stabilisation (l’adaptation à l’emploi, la relation
amoureuse qui se consolide, les réflexions sur soi qui progressent) et les temps courts
de l’événement. L’offre d’emploi de Mégane par exemple appelle une réponse
immédiate, imposant une gestion rapide que les jeunes adultes mènent en tenant
compte des temps longs. Cette prise en compte de ces temps longs témoigne de cette
capacité de mise en perspective où soit les temps courts participent à la consolidation
de la séquence (l’offre d’emploi chez Mégane) soit leurs effets dissonants sont atténués
à la suite de l’évaluation subjective de la situation à ce moment (le deuil de sa mère
pour Zachary, la maladie mentale chez Christopher). Les ressources en question
n’existent donc pas en soi mais sont les produits d’un travail de réflexion et

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d’explicitation à la lumière du contexte biographique du jeune adulte à ce moment-là.


Au-delà des bénéfices potentiels en matière de pouvoir d’agir, ce travail de mise en
valeur des ressources pourrait aussi consister à identifier, avec l’aide de la personne
intervenante, les réinvestissements possibles de ces ressources dans d’autres sphères
de vie.
38 La recherche d’un fil conducteur ou d’une mise en cohérence pour réconcilier les trois
temporalités constituent aussi une piste prometteuse. Tout comme Mégane, qui
invoque son passé de toxicomane pour expliquer en partie sa détermination actuelle,
les exemples de Zachary et de Christopher montrent que les reconstructions du passé
peuvent aussi mobiliser des expériences ou des situations jugées difficiles pour avancer
(le décès de sa mère pour Zachary, la maladie mentale pour Christopher) pour les
transformer en appuis contribuant à consolider la suite de leur séquence de parcours.
Tous ces éléments contribuent à l’expression d’un sentiment d’avancement chez les
jeunes adultes : ces derniers semblent en effet avoir une prise sur le réel et sur leurs
parcours en sachant où ils se situent temporellement. Ce travail de reconstruction des
temporalités sociales pourrait donc se révéler intéressant pour aider la personne à
donner plus de sens à son parcours et ses transitions et lui offrir des espaces de
réflexion potentiellement féconds. Tout comme l’ont constaté Bourdon et Bélisle 50, avec
d’autres jeunes adultes, le travail d’articulation entre temps longs et temps courts que
mènent ces jeunes adultes témoignent peut-être de leur manière inédite de composer
avec les mutations des temporalités sociales qui traversent les sociétés industrialisées.
39 Sur le plan conceptuel, les apports théoriques mobilisés ont permis de soutenir un
cadre d’analyse articulant les temps objectif et subjectif. L’approche des parcours offre
ainsi des assises aux durées et événements qui structurent le parcours du jeune adulte
tout au long de la période d’observation. L’apparition jugée imprévisible d’un
événement, dont les effets survivent au moment d’apparition pour influencer
durablement la suite du parcours, suscite un travail de réflexion et de reconstruction
de la part du jeune adulte de ses temporalités sociales. Les approches biographiques
mettent généralement en garde – à juste raison – contre les opérations de
reconstruction qu’effectue la personne pour donner du sens à son parcours 51. Dans les
paramètres du cadre conceptuel proposé, cette reconstruction, malgré ses limites
inhérentes, représente cependant un élément fort de l’analyse car elle donne justement
accès au travail de réinterprétation du jeune adulte à ce moment-là dans son parcours,
dans toute la subjectivité que cela implique, de son passé et de son avenir à la lumière
des événements du présent. L’accès aux univers de croyances, aux systèmes de
représentations et aux « catégorisations indigènes » permet d’explorer les multiples
ajustements pour donner un sens et une cohérence temporelle au parcours de vie 52. Le
parcours ainsi reconstruit de manière compréhensive, notamment dans ses
événements signifiants, peut se voir au croisement du choix des épisodes à raconter et
du choix des catégories pour les raconter53. Autrement dit, l’événement prend sens à
partir de la façon dont l’individu le perçoit et l’intériorise 54.
40 Cette opération d’appropriation par le jeune adulte d’un moment décisif par le jeu de
l’articulation entre ses temporalités est loin d’épuiser l’interrogation, historique en
sociologie, de la notion de causalité comme schème explicatif des processus sociaux.
Une interrogation particulièrement persistante lorsqu’il s’agit des travaux sur les
parcours biographiques55. Mais le déclin relatif de temps sociaux homogènes dans des
sociétés différenciées appelle à défricher de nouveaux espaces théoriques et

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méthodologiques pour mieux rendre compte des temporalités sociales. Le cadre


conceptuel proposé se veut une proposition pour éviter d’enfermer l’analyse des
processus temporels dans des cadres trop rigides, sans éluder pour autant l’influence
de régularités, qu’une sociologie des bifurcations admet d’ailleurs sans peine. Si ce
« souci de temporalisation »56 complexifie grandement l’analyse, cela lui confère, en
retour, une grande partie de sa richesse.

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Soares (Camilo), « Aspects of youth, transitions, and the end of certainties », International social
science journal, vol. 52, n° 164, 2000, p. 209-217.

Supeno (Eddy) et Bourdon (Sylvain), « Se saisir du présent pour cristalliser l’improbable »,


Chemins de formation, n° 18, 2014, p. 67-72.

Supeno (Eddy) et Bourdon (Sylvain), « Bifurcations, temporalités et contamination des sphères de


vie », Agora, Débats Jeunesses, vol. 65, n° 3, 2013, p. 109-123.

Vultur (Mircea), « La précarité : un “concept fantôme” dans la réalité mouvante du monde du


travail », SociologieS [En ligne], mis en ligne le 27 septembre 2010, consulté le 16 mai 2016.

NOTES
1. Johanne Charbonneau, Contexte sociétal et réversibilités des trajectoires au début de l’âge adulte,
Collection « Inédits », n° 2004-01. Québec, INRS-Urbanisation, Culture et Société, 2004, document
de recherche.
2. Jean-Pierre Boutinet, « L’individu-sujet dans la société postmoderne, quel rapport à
l’événement ? », Pensée Plurielle, vol. 13, n° 3, 2006, p. 37-47.
3. Maria-Eugenia Longo, « Entrer dans la vie professionnelle dans un contexte social incertain »,
Temporalités [En ligne], n° 11, 2010, mis en ligne le 5 juillet 2010, consulté le 08 janvier 2014.
4. Claire Bidart, « Les temps de la vie et les cheminements vers l’âge adulte », Lien social et
politiques, n° 54, 2005, p. 51-63.
5. Sylvain Bourdon et Rachel Bélisle, « Temps de rencontre et rencontre de temporalités.
L’intervention auprès de jeunes adultes marginalisés comme médiation des temporalités
institutionnelles et individuelles », Lien social et politiques, n° 54, 2005, p. 173-184.
6. Robert Castel, La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu, Paris, Seuil, 2009.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


19

7. Sylvain Bourdon et Rachel Bélisle [coord.], Les précarités dans le passage à l’âge adulte au Québec.
Coll. Regards sur la jeunesse du monde, Québec, Canada, Les Presses de l’Université Laval, 2015.
8. Henri Eckert, « “Précarité” dites-vous ? », SociologieS [En ligne], mis en ligne le 27 septembre
2010, consulté le 08 juin 2015.
Mircea Vultur, « La précarité : un “concept fantôme” dans la réalité mouvante du monde du
travail », SociologieS [En ligne], mis en ligne le 27 septembre 2010, consulté le 08 juin 2015.
9. Frédéric De Coninck et Francis Godard, « Les stratégies temporelles des jeunes adultes »,
Enquête [En ligne], n° 6, 1991, mis en ligne le 27 juin 2013, consulté le 04 avril 2015.
10. Camilo Soares, « Aspects of youth, transitions, and the end of certainties », International social
science journal, vol. 52, n° 164, 2000, p. 209-217.
11. Didier Demazière et Claude Dubar, « Récits d’insertion de jeunes et régimes de temporalité »,
Temporalités [En ligne], n° 3, 2005, mis en ligne le 07 juillet 2009, consulté le 24 août 2015.
12. Sylvain Bourdon et Rachel Bélisle, op. cit., p. 173-184.
13. Sylvain Aquatias, « Un temps d’arrêt/un arrêt du temps. Temporalités des jeunes des cités de
banlieue en échec social », Temporalistes, n° 40, 1999, p. 26-34.
14. Frédéric De Coninck et Francis Godard, « L’approche biographique à l’épreuve de
l’interprétation. Les formes temporelles de la causalité », Revue française de sociologie, n° 31, 1989,
p. 23-51.
15. Claire Bidart, « Crises, décisions et temporalités : autour des bifurcations biographiques »,
Cahiers internationaux de sociologie, vol. 120, n° 1, 2006, p. 29-57.
Sophie Denave, Reconstruire sa vie professionnelle. Sociologie des bifurcations biographiques, Paris,
Presses Universitaires de France, 2015.
Catherine Négroni, Reconversion professionnelle volontaire. Changer d’emploi, changer de vie. Un regard
sociologique sur les bifurcations, Paris, Armand Colin, 2007.
16. Claire Bidart, op. cit., p. 29-57.
17. Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti [coord.], Bifurcations. Les sciences sociales face aux
ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte, 2010.
18. Jean-François Guillaume, « Les parcours de vie, entre aspirations individuelles et contraintes
structurelles », Informations sociales, vol. 156, n° 6, 2009, p. 22-30.
19. Eddy Supeno et Sylvain Bourdon, « Bifurcations, temporalités et contamination des sphères
de vie », Agora, débats/jeunesses, vol. 65, n° 3, 2013, p. 109-123.
20. Jean-Claude Passeron, « Biographies, flux, itinéraires, trajectoires », Revue française de
sociologie, vol. 31, n° 1, 1990, p. 3-22.
21. Michel Grossetti, Sociologie de l’imprévisible. Dynamique de l’activité et des formes sociales, Paris,
Presses Universitaires de France, 2004.
22. Jean-Pierre Boutinet, Vers une société des agendas, Une mutation des temporalités, Paris, Presses
Universitaires de France, 2004.
23. Glen Holl Jr. Elder, « The life course paradigm : social change and individual development »,
dans Examining lives in context, Washington, WA, American Psychological Association, 1995,
p. 101-139.
24. Christine Delory-Momberger, « Trajectoires, parcours de vie et apprentissage biographique »,
dans Parcours de vie, apprentissage biographique et formation, Paris, Téraèdre, 2009, p. 17-30.
25. Angela O’Rand, « Cumulative processes in the life course », dans The craft of life course research,
New York, Guilford Press, 2009, p. 121-140.
26. Glen Holl Jr. Elder et Miles G. Taylor, « Linking research questions to data archives », dans The
craft of life course research, New York, Guilford Press, 2009, p. 93-116.
Karl Ulrich Mayer, « New directions in life course research », Annual review of sociology, n° 35,
2009, p. 413-433.
27. Jan Kok, « Principles and prospects of the life course paradigm », Annales de démographie
historique, vol. 1, n° 113, 2007, p. 203-230.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


20

28. Georges Herbert Mead, The Philosophy of the present, Lasalle, Open Court, 1932.
29. David R. Maines, Noreen M. Sugrue et Michael A. Katovich, « The sociological import of G. H.
Mead’s theory of the past », American sociological review, vol. 48, n° 2, 1983, p. 161-173.
30. Georges Herbert Mead, op. cit.
31. David R. Maines, Noreen M. Sugrue et Michael A. Katovich, op. cit.
32. Glen Holl Jr. Elder, op. cit.
33. Hans Joas, George Herbert Mead. Une réévaluation contemporaine de sa pensée, Paris, Économica,
2007.
34. Ce projet a bénéficié du soutien du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada
(410-2006-2005).
35. Les 96 CJE du Québec sont des organismes d’aide, notamment dans l’employabilité et le retour
aux études, dédiés aux 16 à 35 ans.
36. Sylvain Bourdon et Rachel Bélisle, Note méthodologique pour une enquête longitudinale sur les
transitions et l’apprentissage de jeunes adultes en situation de précarité (avec la collaboration de Garon,
S., Michaud, G., van Caloen, B., Gosselin, M. et Yergeau, É.). Sherbrooke, Équipe de recherche sur
les transitions et l’apprentissage, Université de Sherbrooke, 2008.
37. Bien que la durée d’observation soit limitée à deux ans, il ne s’agit pas d’y ramener la
définition du temps long mobilisée dans l’analyse, qui s’intéresse plutôt à la capacité des jeunes
d’articuler une vision du temps sur une longue durée, dépassant souvent celle de l’enquête.
38. Michel Grossetti, « Imprévisibilités et irréversibilités : les composantes des bifurcations »,
dans Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte, 2010,
p. 147-159.
39. Arlette Farge, « Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des
acteurs sociaux », Terrain, n° 38, 2002, p. 67-78.
40. Ainsi, un événement jugé anecdotique ou banal ailleurs peut, dans une configuration
temporelle précise, s’avérer significatif.
Catherine Négroni, op. cit.
41. Tous les prénoms sont fictifs.
42. Frédéric De Coninck et Francis Godard, op. cit.
43. Amartya Sen, L’idée de justice, Paris, Flammarion, 2009.
44. Eddy Supeno et Sylvain Bourdon, « Se saisir du présent pour cristalliser l’improbable »,
Chemins de formation, n° 18, 2014, p. 67-72.
45. Paul Grell, « Représentations des jeunes précaires à propos de leurs pratiques dans le monde
du travail et de la vie quotidienne. », Reflets : revue ontaroise d’intervention sociale et communautaire,
vol. 10, n° 1-2, 2004, p. 46-62.
46. Claire Bidart, op. cit.
47. Johanne Charbonneau, op. cit.
48. Eddy Supeno et Sylvain Bourdon, op. cit. Le terme « degré » ne renvoie pas ici à une logique
corrélationnelle au sens statistique. Il fait référence à une logique séquentielle où ces mises en
cohérence des sphères ne sont pas le produit d’une chaîne de causalités mais le résultat de
séquences d’action dont chacune ouvre, à chaque fois et de manière potentielle, sur de nouvelles
possibilités structurantes. À ce sujet, voir Howard S. Becker, Les ficelles du métier : comment
conduire sa recherche en sciences sociales ?, Paris, La Découverte, 2002.
49. Raymond Dupuy et Alexis Le Blanc, « Enjeux axiologiques et activités de personnalisation
dans les transitions professionnelles », Connexions, vol. 76, n° 2, 2001, p. 61-79.
50. Sylvain Bourdon et Rachel Bélisle, op. cit.
51. Didier Demazière, « L’entretien biographique comme interaction. Négociations, contre-
interprétations, ajustement de sens », Langage et société, vol. 123, n° 1, 2008, p. 15-35.
52. Didier Demazière et Claude Dubar, op. cit.
53. Didier Demazière, op. cit.

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21

54. Arlette Farge, op. cit.


55. Jean-Claude Passeron, op. cit.
56. Marc Bessin, « Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de
problématique », Informations sociales, vol. 6, n° 156, 2009, p. 13.

RÉSUMÉS
Le déclin d’un temps social homogène dans les sociétés dites industrialisées entraîne une
pluralisation des temporalités sociales, un processus visible notamment dans la délinéarisation
des parcours des jeunes adultes en raison de la densité des transitions rencontrées dans leur
passage à l’âge adulte. Ceux en situation de précarité y sont particulièrement sensibles, car ce
monde social, plus fragmenté temporellement, complexifie l’influence des forces à l’œuvre dans
leur parcours, notamment en cas de transition imprévue. Cet article propose une architecture
conceptuelle articulant temps longs et courts, illustrée d’exemples empiriques. Les résultats
montrent que les jeunes adultes se livrent à un travail de réécriture de leur passé et de leur futur
dans leurs bifurcations biographiques.

The decline of a homogenous social time in industrial societies opens up the way to a
pluralization of social temporalities. A process recognizable in young adults’ life courses
regarding the density of transitions encountered during their process to adulthood. Those in
precariousness are particularly affected by this temporal fragmented social world which
complicates the social forces at work on their life courses, notably in case of an unexpected
transition. This article suggests a conceptual framework articulating long and short times
illustrated with empirical examples. Results show that young adults rewrite their past as well as
their future in their turning points.

El declive de un tiempo social homogéneo en las sociedades llamadas industrializadas supone una
pluralización de las temporalidades sociales, un proceso visible especialmente en la
deslinearización de las trayectorias de los adultos jóvenes debido a la intensidad de los cambios
sufridos en su paso a la edad adulta. Aquellos en situación de precariedad son especialmente
sensibles, ya que este mundo social, más fragmentado temporalmente, complica la influencia de
las fuerzas que intervienen en su trayectoria, en particular en caso de una transición imprevista.
Este artículo ofrece una arquitectura conceptual articulando tiempos largos y cortos, ilustrada
con ejemplos empíricos. Los resultados muestran que los adultos jóvenes se dedican a un trabajo
de reescritura de su pasado y de su futuro en sus bifurcaciones biográficas.

INDEX
Palabras claves : temporalidades, adultos jóvenes, precariedad, bifurcaciones, imprevisibilidad
Keywords : young adults, temporalities, precariousness, turning points, contingencies
Mots-clés : temporalités, jeunes adultes, précarité, bifurcations, imprévisibilité

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AUTEURS
EDDY SUPENO
Eddy Supeno est professeur adjoint au Département d’orientation professionnelle de l’Université
de Sherbrooke et membre régulier du Centre d’études et de recherches sur les transitions et
l’apprentissage (CÉRTA). Son programme de recherche porte sur l’étude du rôle de l’information
sur la formation et le travail en général et plus particulièrement dans les parcours et transitions
des jeunes adultes en situation de précarité.
Eddy.Supeno@usherbrooke.ca

SYLVAIN BOURDON
Sylvain Bourdon est professeur titulaire au Département d’orientation professionnelle de
l’Université de Sherbrooke et directeur du Centre d’études et de recherches sur les transitions et
l’apprentissage (CÉRTA). Ses travaux de recherche sur les parcours scolaires, l’éducation tout au
long de la vie et l’insertion socioprofessionnelle des jeunes visent à éclairer les politiques et
interventions visant les populations en situation de précarité.
Sylvain.Bourdon@usherbrooke.ca

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Jeunes autochtones et protection de


la jeunesse : leur point de vue sur
leur prise en charge
The perspective of Aboriginal youth on child welfare intervention
Jóvenes autóctonos y protección de la juventud: su punto de vista sobre la
asistencia recibida

Marie-Hélène Gagnon Dion, Jacinthe Rivard et Céline Bellot

1 Les jeunes autochtones représentent l’une des catégories de jeunes les plus vulnérables
et marginalisés au Canada1. La surreprésentation de ces jeunes dans les systèmes de
protection de l’enfance illustre bien ce fait et représente une réalité préoccupante.
Actuellement au Canada, les enfants autochtones sont quatre fois plus susceptibles que
les enfants non autochtones de faire l’objet d’une enquête par les systèmes de
protection de la jeunesse pour mauvais traitements. Cette surreprésentation fait aussi
écho à un passé où, pendant des décennies, les enfants autochtones ont été
systématiquement retirés de leur famille dans le cadre de politiques assimilatrices du
gouvernement canadien. Dans un tel contexte, il est impératif de relever la perspective
des principaux acteurs concernés. Inspirée des grands principes de l’interactionnisme
symbolique, la présente étude est novatrice en ce sens qu’elle questionne directement
le point de vue des jeunes autochtones sur la signification qu’ils donnent à
l’intervention des services de protection de la jeunesse dans leur vie : cette
intervention remplit-elle le rôle de protection qu’elle proclame ? Contribue-t-elle
réellement à améliorer leur bien-être ?
2 Cet article s’appuie sur les données d’une recherche sur la Judiciarisation et la défense des
droits des personnes en situation de pauvreté, dont un volet s’est tenu à Val-d’Or, au
Québec, auprès de jeunes autochtones résidant en milieu urbain qui ont vécu une prise
en charge par la protection de la jeunesse. Nous abordons dans cet article la façon dont
ces jeunes ont vécu la situation entourant leur prise en charge et comment ils la
comprennent, afin de dégager le sens qu’ils donnent à l’intervention des services de
protection de la jeunesse dans leur vie.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


24

3 En donnant la voix à ces jeunes, nous désirons partager leur point de vue afin
d’intégrer leurs discours dans les discussions entourant la surreprésentation des
Autochtones dans le système de protection de l’enfance. Nous voulons de ce fait
éclairer davantage les raisons de cette surreprésentation ainsi que contribuer à
l’amélioration des interventions à l’égard des jeunes autochtones et de leurs familles. Il
sera donc question dans cet article d’exposer la mission du système de protection de
l’enfance québécois et de faire un survol des éléments dans la littérature qui expliquent
la surreprésentation des jeunes autochtones dans ce système. Nous verrons que les
différentes explications à la surreprésentation n’ont pas tenu compte du point de vue
des jeunes autochtones et qu’à cet égard, la voix de ces jeunes est susceptible d’amener
un éclairage nouveau. Nous partagerons ensuite les témoignages des jeunes
autochtones, récoltés dans le cadre de notre recherche, quant à leur propre situation de
prise en charge et discuterons des enjeux soulevés par ces témoignages.

Le système de protection de l’enfance au Québec


4 Au Québec, l’instrument législatif déterminant les devoirs de l’État envers les jeunes en
difficulté est la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) 2, en vigueur depuis 1979. La
mission de protection qui consiste à apporter une réponse minimale aux besoins
fondamentaux d’un enfant, dans son meilleur intérêt et dans le respect de ses droits, se
trouve au cœur de cette loi. Depuis les années 1990, ce sont les directeurs de la
protection de la jeunesse (DPJ) qui, à travers leurs équipes d’intervenants, ont la
responsabilité d’appliquer la LPJ par l’entremise des 19 centres jeunesse, répartis dans
18 régions.
5 Les populations autochtones du Canada sont couvertes par les lois provinciales de la
protection de l’enfance. La LPJ contient toutefois certaines spécificités concernant les
communautés autochtones : la loi dispose que toute intervention en contexte
autochtone doit tenir compte des caractéristiques de ces communautés 3 et que le
gouvernement québécois peut conclure avec une nation autochtone une entente
établissant un régime particulier de protection4. Une telle entente doit cependant être
conforme aux principes généraux et aux droits de l’enfant garantis par la loi 5.
Actuellement, seulement deux nations autochtones sur les onze nations au Québec se
sont prévalues de cette possibilité et ont mis sur pied leur propre système de protection
de la jeunesse pour application de la LPJ6. Il faut noter que le territoire visé par la
présente étude n’en fait pas partie. Par ailleurs, si la loi énonce que l’on doit tenir
compte des caractéristiques des communautés autochtones, rien ne précise en quoi cela
consiste, ce qui laisse un certain flou quant aux interventions à adopter en contexte
autochtone.
6 La Loi sur la protection de la jeunesse québécoise définit différentes situations de
mauvais traitements à l’endroit des enfants où une intervention de l’État devient
nécessaire. L’abandon, la négligence, les mauvais traitements psychologiques, l’abus
sexuel, l’abus physique et les troubles de comportements sérieux représentent les
situations où l’on considère que la sécurité ou le développement de l’enfant sont
compromis. L’intervention des DPJ consiste alors à mettre fin à ces situations, soit en
travaillant de manière volontaire avec les familles, soit en leur imposant des mesures
par le biais du Tribunal de la Jeunesse. Les mesures de protection peuvent aller d’un
suivi dans le milieu familial à un placement dans un milieu substitut, principalement

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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dans des familles d’accueil, des centres de réadaptation ou des foyers de groupe. Cette
loi d’exception, qui vient limiter l’autorité parentale, vise à travailler principalement
de manière volontaire avec les familles et à maintenir l’enfant dans son milieu
d’origine. La voie judiciaire et le placement sont donc définis comme des mesures de
dernier recours.
7 Comme ailleurs au Canada, les jeunes autochtones sont surreprésentés dans le système
de protection de la jeunesse québécois depuis sa création. En 1980-1981, 2,6% des
enfants pris en charge par la province étaient autochtones, même si ceux-ci
représentaient 0,7% de la population7. La Commission royale sur les peuples
autochtones mentionnait en 1996 qu’environ 50% des enfants des collectivités
autochtones du sud du Québec étaient placés dans des foyers non autochtones 8. La
dernière étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de
négligence envers les enfants démontre que les enfants autochtones ont quatre fois
plus de chances que les enfants non autochtones d’être sujets d’une enquête par la
protection de la jeunesse pour mauvais traitements9. Cette étude montre aussi que
l’écart entre le taux de placement des enfants autochtones et celui des enfants non
autochtones s’avère encore plus grand10. Actuellement, les enfants autochtones
représentent 2% de la population infantile québécoise, mais 10% des enfants placés à
l’extérieur de leur foyer par la protection de la jeunesse11.

La surreprésentation des jeunes autochtones en


protection de la jeunesse.
8 De nombreux auteurs et chercheurs tentent d’expliquer les causes de la
surreprésentation des enfants autochtones dans le système de protection de la
jeunesse. D’abord, certains affirment que les effets des politiques assimilatrices qui ont
eu cours pendant des décennies à l’égard des peuples autochtones, et plus
spécifiquement l’expérience des pensionnats indiens, ont eu des conséquences
intergénérationnelles qui conduiraient souvent à des actes nécessitant une
intervention de la part des organismes de protection de la jeunesse 12. Le programme
des pensionnats autochtones, aussi appelés « écoles résidentielles », qui a eu cours de la
fin du 19e siècle jusqu’au milieu du 20 e, visait à soustraire les enfants autochtones des
influences parentales et à les resocialiser par des méthodes qui impliquaient bien
souvent la violence physique, psychologique et sexuelle13. Par cette politique, l’État
canadien, en partenariat avec les églises catholiques, a retiré à leurs parents la
responsabilité des enfants autochtones afin de leur inculquer les valeurs, croyances et
habitudes de la société coloniale, faisant en sorte que des générations d’enfants
autochtones ont été séparées de leur famille. Ainsi, certains auteurs soutiennent que les
survivants de ces pensionnats, privés de modèles parentaux adéquats, reproduiraient
des comportements inadéquats à l’égard de leurs propres enfants, tels que la
négligence et divers types de violence, conduisant souvent à une intervention des
services de protection de la jeunesse14.
9 D’autres clament plutôt l’existence de biais culturels présents au sein des régimes de
protection de la jeunesse, que ce soit au Canada ou aux États-Unis 15. Ces critiques
relatives aux systèmes provinciaux de protection de la jeunesse trouvent des appuis au
Canada dans la période historique appelée « sixties’ scoop », ou « rafle des années 1960 »
16. En effet, à partir des années 1950, le régime des pensionnats autochtones a

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progressivement été abandonné par le gouvernement fédéral qui a délégué aux


autorités provinciales la responsabilité de la protection des enfants autochtones,
occasionnant un retrait massif d’enfants autochtones de leurs familles. Les travailleurs
sociaux, principaux acteurs de la protection de l’enfance, ont été blâmés pour avoir
effectué, pendant près de vingt ans, des placements permanents et des adoptions de
milliers d’enfants dans des familles non autochtones, avec le seul motif que le milieu
autochtone n’était pas le meilleur pour ces enfants17. Cette période de l’histoire a laissé
des traces et des auteurs expliquent la surreprésentation actuelle des jeunes
autochtones en protection de la jeunesse par une certaine continuité de ces pratiques.
Plus précisément, ces biais s’expliqueraient aujourd’hui par la tendance des travailleurs
sociaux à juger plus sévèrement les parents autochtones, à inférer la négligence à la
pauvreté apparente du ménage ou à juger les codes culturels autochtones quant à la
manière de prendre soin de ses enfants18.
10 Actuellement, la plupart des chercheurs canadiens s’entendent toutefois pour dire que
les conditions de vie et la pauvreté auxquelles font face les communautés autochtones
sont les raisons principales pour lesquelles de nombreux enfants autochtones sont
retirés de leurs familles19. Une étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas
de violence et de négligence envers les enfants fait ressortir que la pauvreté, les
mauvaises conditions des logements et les problèmes de toxicomanie sont des causes de
la surreprésentation des jeunes autochtones en protection de la jeunesse 20. Une étude
réalisée au Québec démontre aussi que l’occupation d’un logement subventionné, l’abus
de substances chez les parents et un nombre plus élevé d’enfants par famille font partie
des facteurs qui différencient la situation des jeunes autochtones pris en charge par les
organismes de protection de la jeunesse21. Comme il est généralement reconnu que les
mauvais traitements envers les enfants sont fortement associés au contexte
socioéconomique de leur famille22, plusieurs chercheurs affirment que les enfants
autochtones seraient plus susceptibles d’être victimes de mauvais traitements puisque
les politiques de colonisation et d’assimilation auraient détérioré les conditions de vie
et entrainé l’émergence de nombreux facteurs de risque chez les populations
autochtones23.

Le point de vue des jeunes


11 Dans le contexte de la protection de la jeunesse, la recherche du mieux-être de l’enfant
est complexe et doit tenir compte à la fois des droits et de l’intérêt de l’enfant. Le
Comité sénatorial permanent des Droits de la personne, qui a tenu des audiences
concernant les droits et libertés des enfants dans tout le Canada, fait remarquer que,
trop souvent, les droits des enfants sont brimés lorsqu’ils sont pris en charge par l’État
et qu’on ne prend pas assez en considération leur opinion dans les procédures et les
décisions concernant leur bien-être24. Le point de vue des jeunes concernant leur
expérience de prise en charge est essentiel si on veut arrimer leurs « droits » et leur
« meilleur intérêt ». Cela est d’autant plus important pour les jeunes autochtones
puisque ces derniers font l’objet d’une surreprésentation dans le système de protection
et qu’ils ont été, pendant des décennies, systématiquement retirés de leurs familles. En
effet, les pensionnats indiens et la « rafle des années 1960 » ont fait en sorte que
pendant plus d’un demi-siècle, les enfants autochtones ont été retirés de leur famille
pour des motifs qui relevaient plus des valeurs de la société dominante que d’un besoin

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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de protection. Qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce que le système québécois de protection


de la jeunesse remplit son mandat de protection ? Nous sommes d’avis que ces jeunes
autochtones qui ont été pris en charge par la protection de la jeunesse sont les mieux
placés pour répondre à ces questions. D’une part, leur discours mérite d’être entendu
quand il est question de leurs droits et de leur bien-être. D’autre part, aucune
recherche recensée, portant sur la surreprésentation des jeunes autochtones en
protection de la jeunesse, n’aborde les causes de cette surreprésentation à partir de
leur point de vue. Les pratiques du passé en protection de la jeunesse ont eu des
impacts considérables sur les jeunes et leur famille 25. À cet égard, il s’avère
indispensable de s’assurer que les erreurs commises dans le passé au nom de la
protection des enfants ne soient pas reproduites dans les systèmes de protection
actuels. Questionner les jeunes autochtones eux-mêmes sur leur prise en charge
permettra d’offrir un éclairage nouveau sur les causes de leur surreprésentation dans le
système québécois de protection de la jeunesse et sur les interventions qui
permettraient, éventuellement, de freiner cette surreprésentation et de répondre à
leur bien-être.
12 En donnant la parole aux jeunes autochtones quant à leur expérience entourant leur
prise en charge, cette étude s’inscrit dans une approche relevant de l’interactionnisme
symbolique26. Issu de la sociologie compréhensive des années 1950 aux États-Unis,
l’interactionnisme symbolique est avant tout une méthodologie de recherche née des
débats sociologiques relatifs à la primauté de l’acteur ou du système, à l’importance
accordée à la signification individuelle ou plutôt aux déterminants structurels, au
primat de la subjectivité sur l’objectivité ou l’inverse. Un nouveau courant sociologique
a ainsi émergé, au sein duquel l’intérêt est porté à la réflexivité, aux compétences et
aux logiques qui sous-tendent les actions vécues par les acteurs. L’interactionnisme
symbolique nous amène à aborder la réalité d’une situation sociale comme étant
construite et définie par les acteurs eux-mêmes, cette construction apparaissant
comme une composante essentielle de la situation, qui entraîne des conséquences bien
réelles27. Comme les interactionnistes, nous reconnaissons l’existence du déterminisme,
mais nous nous intéressons au point de vue de l’acteur et à sa marge de manœuvre. En
effet, le comportement individuel n’est pas tout à fait déterminé, ni tout à fait libre, il
s’inscrit dans un débat permanent qui autorise l’innovation 28. Ainsi, le sens d’une
situation est attribué subjectivement par les individus pour comprendre une réalité
telle qu’elle est vécue de l’intérieur, d’où l’importance d’adopter une démarche
compréhensive dans l’analyse du discours des jeunes autochtones 29. L’interactionnisme
symbolique nous permet d’analyser les interactions de ces jeunes dans leur situation
familiale, à partir de leur perspective, et d’en faire ressortir leur vécu par rapport à leur
prise en charge. Ce cadre théorique nous permet également d’éclaircir l’interaction
entre les jeunes autochtones et le système de protection de la jeunesse. Finalement,
l’interactionnisme symbolique offre la possibilité d’éclairer le phénomène de la
surreprésentation des Autochtones dans le système de protection de la jeunesse, à
partir du point de vue des jeunes autochtones eux-mêmes, sur le sens qu’ils donnent à
l’intervention de la protection de la jeunesse. Cette posture permet d’offrir une
perspective nouvelle concernant les enjeux de la protection de l’enfance autochtone et
les interventions à privilégier.

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28

La méthodologie
13 Les données et témoignages utilisés dans cet article proviennent d’une étude plus vaste
portant sur la judiciarisation des personnes en situation de pauvreté 30, dont l’un des
volets s’est tenu à Val-d’Or auprès de jeunes autochtones. Des entrevues non-directives,
de type récit de vie31, ont été réalisées auprès de quatre jeunes femmes et quatre jeunes
hommes autochtones, âgés entre 18 et 24 ans, résidant en milieu urbain et ayant vécu
une prise en charge par la protection de la jeunesse. Notre objectif était de rencontrer
de jeunes adultes ayant terminé leur parcours de prise en charge et bénéficiant d’un
certain recul sur leur expérience. Le recrutement s’est fait par l’entremise
d’organismes de Val-d’Or intervenant auprès d’Autochtones et par le Centre jeunesse
de l’Abitibi-Témiscamingue. C’est lors d’une consultation avec ces organismes qu’a été
prise la décision de recueillir les récits de jeunes résidant en milieu urbain puisque,
d’une part, les jeunes des communautés autochtones de la région de l’Abitibi sont très
sollicités par les chercheurs, et d’autre part, on en sait très peu sur les jeunes
autochtones qui font le choix d’habiter en ville ou qui en sont natifs. Les participants de
cette étude, nés soit dans une communauté autochtone, soit en milieu urbain, ont en
commun d’avoir choisi de s’établir en ville, à l’extérieur des communautés autochtones,
lorsqu’ils ont atteint leur majorité. Dans la mesure où notre recherche vise à mettre en
lumière la subjectivité des jeunes, ceux-ci ont été recrutés simplement à partir du fait
qu’ils avaient bénéficié d’un suivi en protection de la jeunesse. Nous n’avons ni
demandé, ni consulté des données provenant de la Direction de la protection de la
jeunesse. Les éléments liés à la décision de prise en charge et aux motifs de
compromission32 de la Direction de la protection de la jeunesse demeurent donc
inconnus.
14 Cette recherche a été approuvée par le Comité d’éthique de la recherche de la Faculté
des arts et des sciences de l’Université de Montréal (CERFAS). La participation aux
entrevues s’est réalisée sur une base volontaire et les jeunes ont donné leur
consentement libre et éclairé. Les entrevues visaient à faire émerger le discours des
participants autour de dimensions liées à la prise en charge telles que les conditions de
vie entourant la prise en charge, les acteurs présents ou absents durant l’enfance, la
nature de la prise en charge, la compréhension et la perception de cette prise en charge
et les conditions de vie actuelles. Le déroulement de l’entrevue visait à soutenir le
discours des participants autour des thèmes explorés, sans en imposer le cours 33. Les
entretiens ont été enregistrés et transcrits verbatim sur support informatique. Une
analyse thématique a permis de faire ressortir la compréhension et le vécu des jeunes
relatifs à la situation ayant entouré leur prise en charge.

Les résultats
15 Nous tenons d’abord à souligner la générosité des jeunes rencontrés dans le cadre de
cette étude. Ces derniers ont bien voulu partager le récit de cette période difficile de
leur vie qu’est la situation entourant leur prise en charge. Parler à une étrangère et
livrer de telles confidences demandent beaucoup de courage et nous voulons insister
sur la force et la résilience de ces jeunes. Cette section vise à transmettre leurs
témoignages avec fidélité34 et à faire ressortir leur compréhension de la situation de

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


29

prise en charge pour mettre en lumière le sens qu’ils donnent à l’intervention des
services de protection de la jeunesse dans leur vie.
16 L’analyse des récits des jeunes fait ressortir qu’ils positionnent l’intervention de la
protection de la jeunesse dans une logique de protection leur ayant permis de se
soustraire à un contexte de vie difficile. Ces jeunes décrivent leurs conditions de vie
précédant leur prise en charge comme étant précaires, marquées par la consommation
d’alcool et de drogues de leurs parents, par la violence et la négligence. La
consommation des parents représente, pour tous les jeunes rencontrés, la cause directe
des problèmes qui a mené à leur prise en charge, puisqu’elle a entrainé des
comportements parentaux inadéquats. Ces jeunes expliquent cette consommation par
des évènements familiaux ponctuels et par les conséquences d’évènements historiques.
Les témoignages des jeunes démontrent qu’ils ont vécu difficilement la situation
entourant leur prise en charge et qu’ils ont souvent cherché eux-mêmes à quitter leur
milieu familial. Des conditions de vie difficiles, généralisées à leur famille élargie et à
leur communauté, ont fait en sorte que l’intervention de la protection de la jeunesse a
représenté, pour tous les jeunes rencontrés, une forme de protection.

Perception du contexte familial


« Le loyer ne se payait plus un moment donné. On avait des problèmes pour ça et
avec la bouffe. On était quand même une grosse famille! » 3 frères, 4 sœurs « Oui,
dans une maison.»
17 Lorsqu’ils abordent le contexte entourant la prise en charge, les jeunes rencontrés
mentionnent des conditions de vie précaires, marquées notamment par la pauvreté, la
vulnérabilité émotionnelle et psychologique des parents, ainsi que l’instabilité
résidentielle. Quand ils parlent de leur passé familial, les jeunes autochtones présentent
une situation familiale instable, aux prises avec divers défis et difficultés :
« J’habitais avec ma mère et avec mon père aussi, mais j’ai aucun souvenir. À l’âge
de 3 ans, ils se sont séparés parce qu’ils avaient des problèmes d’argent, de
machines [à sous], d’alcool. Mon père buvait tout le temps, donc ma mère allait tout
le temps aux machines. [Ce] qui se passe quand les deux investissent trop dans une
affaire, c’est que l’argent baisse donc il n’y en avait plus assez pour nous faire vivre,
donc ils se sont séparés. Ma mère s’est [débrouillée], on est allés chez ma grand-
mère un an de temps, puis après ça, ma mère elle n’avait pas encore un autre
appart, donc un moment donné on est retourné [dans une auberge] (…) Ma mère, en
échange qu’elle restait là, il fallait qu’elle fasse tout le ménage, parce qu’ils savaient
qu’elle n’avait que 500$ par mois. Ça l’air gros 500$, mais ce n’est pas gros. »
18 C’est en effet un portrait d’une grande pauvreté que les jeunes dressent lorsqu’ils
décrivent le contexte de vie familiale caractérisant leur enfance. À l’exception d’un
jeune35, les participants de l’étude ont relevé que leurs parents étaient bénéficiaires de
l’aide sociale et avaient souvent de la difficulté à boucler les fins de mois. La grande
majorité des jeunes se trouvaient aussi dans une famille monoparentale où la mère
avait la garde de plusieurs enfants, ou alors, dans une famille reconstituée où
s’ajoutaient plusieurs demi-frères et demi-sœurs. Dans tous les cas, ces situations
impliquaient un manque de ressources financières et un manque d’espace en termes de
logement. Dans leurs discours, les jeunes associent fréquemment ces manques au
contexte ayant mené à la prise en charge. Par exemple, un jeune rapporte qu’il dormait
par terre dans la chambre de sa mère et de son nouveau conjoint parce qu’il « manquait
de place », ce qui l’exposait à la violence conjugale.

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30

19 La présence de violence conjugale à la maison a été mentionnée par la plupart des


participants. Lorsque ce type de violence avait lieu entre le père et la mère, s’en est
suivi la séparation des parents, laissant la mère nouvellement monoparentale avec la
charge de plus de quatre enfants, les familles des jeunes interrogés étant en majorité
très nombreuses. Ce contexte de vie a provoqué davantage de précarité, dont une plus
grande pauvreté économique, ainsi qu’une instabilité résidentielle pour les familles où
les mères, voulant fuir le contexte de violence conjugale, ont décidé de déménager en
ville :
« Mon père n’était jamais là. Il était là de temps en temps, mais ils se battaient tout
le temps ma mère et mon père. C’est pour ça que ma mère est déménagée à [nom de
la ville]. (...) [Ma mère était capable de payer le loyer], mais des fois elle était en
retard. On se faisait presque mettre dehors. »
20 Les impacts de cette violence dont les mères sont victimes ainsi que l’instabilité
relationnelle de celles-ci sont d’autres aspects mentionnés par les jeunes pour illustrer
des facteurs de la vulnérabilité familiale dans laquelle ils évoluaient. Par exemple, un
jeune s’est dit perturbé par le fait que sa mère, suite à la séparation d’avec son père,
changeait constamment de domicile et de conjoint. L’instabilité résidentielle s’est, en
outre, avérée une condition de vie récurrente dans le passé familial des jeunes
interrogés et elle est, dans leur discours, souvent associée à de l’isolement. Il faut
préciser que les jeunes ayant participé à cette étude ont mis beaucoup d’emphase sur
l’appartenance à leur milieu d’origine et sur le lien fort qui les unit à leur famille
immédiate et élargie. L’éloignement de la famille élargie, suite à des changements
résidentiels, apparait donc très significatif pour ces jeunes :
« Mon père, il n’avait pas de famille avant qui restait à [nom d’une communauté], ni
à [nom d’une communauté], parce que notre famille vient de loin. On vient du Nord.
Et ma mère vient de (…) [nom d’une communauté], (…) Notre famille était donc
toujours séparée quand on était jeune. On avait de la misère à voir nos tantes, nos
oncles, nos cousins. »
21 Certains participants ont aussi abordé la pauvreté structurelle présente dans leur
communauté d’origine, laquelle se traduit par l’obligation pour les enfants de
fréquenter un foyer scolaire en ville durant la semaine, étant donné l’absence d’école
dans la communauté, et par une absence d’eau et d’électricité dans la communauté. Les
jeunes rencontrés mettent directement en lien cette pauvreté structurelle avec le
système de protection de la jeunesse. Par exemple, un jeune raconte que son premier
placement par une instance de protection de la jeunesse s’expliquerait, selon sa mère,
par le fait que la présence d’un poêle à bois dans la maison, nécessaire pour pallier
l’absence d’électricité dans la communauté, le rendait malade. Un autre jeune aborde
l’absence d’école dans sa communauté et l’obligation d’aller en ville pour son éducation
en dressant un parallèle entre les familles d’accueil et les foyers scolaires :
« (…) il n’y avait pas [d’école] quand j’étais jeune. Il y avait un autobus qui voyageait
les jeunes. Le dimanche soir jusqu’au vendredi soir, on retournait en autobus. (…)
Les foyers scolaires, c’est des familles qui ont accepté de prendre, de nous prendre,
du lundi jusqu’au vendredi pour l’école. Mais il fallait qu’on respecte le règlement.
(…) C’est comme une famille d’accueil, mais c’est un foyer scolaire. Ils te gardent
juste pour la semaine, pour que tu ailles à l’école. Les fins de semaine, ils te
renvoient chez tes parents. C’est toujours les parents qui ont la garde. »

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31

Perception de la cause de la prise en charge


« C’est sa consommation qui a dit qu’il fallait qu’on parte. Parce que sa
consommation touchait la famille, pour le loyer et la nourriture. »
22 Pour tous les jeunes rencontrés, la consommation de drogues et d’alcool des parents est
au centre des raisons ayant mené à leur prise en charge. Dans leur discours, on
comprend que la toxicomanie des parents entraine des problèmes qui se traduisent par
une incapacité à répondre aux besoins des enfants et par des comportements
inappropriés tels la violence physique, psychologique et sexuelle :
« Il y avait moins d’affaires à manger à cause des problèmes de drogues. Moi quand
j’ai vu ça, je me demandais c’était quoi, je pensais que c’était des médicaments. (…)
[Quand elle consommait], elle me battait. Puis un petit peu de liberté limitée. Ça
veut dire que je ne pouvais plus voir mes amis, elle pensait qu’ils allaient me tuer. »
23 Dans tous les cas, la dépendance à l’alcool et aux drogues des parents a provoqué des
carences en matière d’alimentation, de vêtements, de soins et de surveillance des
enfants, comme en témoigne ce jeune : « C’est [quand mon beau-père a arrêté de
travailler] que ma mère a eu sa chute aussi. D’alcool et de drogues, vraiment sa chute.
Le loyer ne se payait plus un moment donné. On avait des problèmes pour ça et avec la
bouffe. » Les jeunes expriment aussi que lorsque des comportements violents de la part
des parents se produisaient, cela était toujours en lien avec les drogues ou l’alcool, soit
parce qu’ils étaient sous l’effet de ces substances, soit parce qu’un arrêt de
consommation les rendait agressifs. En somme, pour les jeunes, les comportements
ayant mené à leur prise en charge ne sont pas intrinsèques à leurs parents mais
s’expliquent plutôt par les effets de la dépendance à l’alcool et aux drogues, laquelle
résulte d’évènements extérieurs. Ces évènements, relevés par les jeunes, sont de nature
ponctuelle et historique.

Évènements familiaux et historiques : les sources de la consommation

24 La plupart des jeunes expliquent la consommation de leurs parents par des


changements survenus dans leur famille. Ces changements et les effets qu’ils ont
entrainés démontrent, une fois de plus, la précarité du contexte familial duquel ces
jeunes proviennent. Des éléments initiateurs, tels que la perte ou l’arrêt de travail d’un
parent, le déménagement en ville ou l’arrivée d’un conjoint de la mère, lui-même
consommateur, ont provoqué une augmentation de la consommation du ou des parents
responsables des jeunes. Par exemple, un jeune partage que sa mère a déménagé en
ville pour fuir la violence conjugale dont elle était victime. Il ajoute : « Depuis ce temps-
là que ma mère sortait tout le temps, allait dans les bars et c’est tout le temps moi qui
gardais. (…) Ma mère sortait tout le temps au bar et elle consommait de la drogue. » Un
autre jeune explique que c’est la perte du travail du conjoint de sa mère qui se trouve à
l’origine d’une hausse de leur consommation d’alcool, laquelle allait ensuite causer des
difficultés grandissantes pour payer le loyer et des carences en matière d’alimentation.
25 Des évènements historiques, en particulier l’expérience des pensionnats indiens et son
influence sur les générations subséquentes, sont aussi mentionnés par les participants
comme faisant partie des facteurs expliquant la consommation des parents et donc, de
la prise en charge des jeunes par les instances de protection : « C’était rare qu’elle était
tout le temps-là, à jeun. Ma mère aussi a vécu plein d’affaires, mon père aussi, ils ont
été au pensionnat. On dirait que j’ai vécu la même affaire qu’eux-autres, mais je n’étais

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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pas en pensionnat. » Ces jeunes expliquent que l’expérience dans les pensionnats
indiens a provoqué chez leurs parents des blessures, ce qui les ont menés à abuser des
drogues ou de l’alcool et à reproduire avec leurs enfants des comportements, tels la
négligence et la violence physique et sexuelle, qu’ils avaient eux-mêmes vécu dans les
pensionnats. Pour ces jeunes, ce « cercle » de blessures et de comportements se
perpétue d’une génération à l’autre :
« Rendus à [nom de la communauté autochtone], on a déménagé souvent. Moi, mon
fils et ma blonde. Chez sa tante, chez sa cousine, chez ma mère, chez sa mère. Je
commençais à faire des conneries, à boire. C’est là que je me suis rendu compte que
j’étais en train de faire les mêmes affaires que ma mère m’a faites. Je ne voulais pas
que mon fils vive la même affaire que moi. Je l’ai sorti du cercle. »

Perception des motifs de prise en charge


« Pas longtemps après, on m’a re-signalé. Je suis arrivé en famille d’accueil avec mes
souliers trop petits et j’avais mal aux pieds. »
26 Tous les participants ont abordé le fait que leurs besoins de subsistance, par exemple
ceux d’être nourris et vêtus convenablement, n’étaient pas comblés par les parents au
moment de la prise en charge. D’autres se sentaient par ailleurs brimés au niveau de
leur développement, leurs responsabilités familiales dépassant largement leurs
capacités ou leur volonté. Dans ces circonstances, les jeunes étaient conscients de la
gravité de la situation et celle-ci leur pesait énormément : « On avait vraiment de la
misère à vivre là-dedans. On a commencé à manquer l’école. Ça n’a pas de bon sens de
manquer tant de temps d’école à 10 ans! On manquait l’école parce qu’on ne mangeait
pas. On avait toujours faim. » Pour plusieurs, la violence physique, psychologique ou
sexuelle a fait également partie de leur réalité avant qu’ils soient pris en charge par les
services de protection de la jeunesse. Pour trois jeunes, cette violence a été perpétrée
par un de leurs parents, tandis que deux autres associent cette violence au conjoint de
leur mère. Dans tous les cas, cette situation leur a fait vivre des traumatismes,
beaucoup de peur et d’incompréhension :
« J’avais 5 ans et [mon père] m’avait battu pour la première fois. C’est pour ça que je
hais la violence. Il m’avait battu, rentré dans la porte. BOOM: il avait défoncé la
porte avec moi. Il m’avait pitché par terre. Il m’avait donné des coups de pied,
coups de poing. Ma mère ne me croyait pas. Tu t’es fait faire ça par quelqu’un
d’autre, elle m’avait dit. (…) Personne ne me croyait. J’ai essayé de parler avec la
police. La police ne me croyait pas. Je pleurais quand ils me disaient ça. Ils
pensaient que j’étais fou. Tu es fou, ils me disaient. »

Le père et l’impossibilité d’un refuge

27 À une exception près, les jeunes vivaient avec leur mère au moment de la prise en
charge et c’est donc dans un contexte où la mère avait la garde que les signalements à
la protection de la jeunesse ont été faits. En plus du passé marqué par la violence
conjugale entre les parents, la toxicomanie ainsi que la violence physique et sexuelle
déjà perpétrés à leur égard sont des éléments qui ont fait en sorte que les jeunes n’ont
pas pu ou voulu trouver refuge chez leur père lors de l’intervention des instances de
protection de la jeunesse. Dans certains cas, ce sont les intervenants qui n’ont pas
permis au père d’avoir la garde de son enfant, à cause d’actes de violence déjà commis
sur lui. Toutefois, dans la plupart des cas, face au contexte de vie de leur père, qui

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33

s’apparentait à celui dans lequel ils se trouvaient lors de la prise en charge, les jeunes
eux-mêmes ont refusé d’aller habiter avec lui :
« Un an après, ils m’ont donné un choix. J’étais en cour, mon père était là, ma
famille d’accueil était là, donc ils m’ont donné le choix d’aller chez mon père ou de
rester chez ma famille d’accueil. J’ai dit que je voulais rester dans ma famille
d’accueil parce que j’avais peur de mon père. Parce qu’il est alcoolique. »

Perception de l’intervention de la protection de la jeunesse


« Si on m’offrait la chance de retourner en arrière, je ne la prendrais pas. »
28 Deux portraits non exclusifs se dessinent quant à la situation des jeunes entourant la
prise en charge : soit ils perçoivent que leur milieu de vie ne répondait pas à leurs
besoins essentiels, soit ils s’y sentaient en danger. Ces deux portraits ont mené la
majorité des jeunes à vouloir quitter leur milieu familial. Après avoir cherché de l’aide
de différentes manières sans succès, trois des huit jeunes rencontrés ont eux-mêmes
entrepris de faire appel à la protection de la jeunesse :
« Ma mère sortait tout le temps, allait dans les bars et c’est tout le temps moi qui
gardais et un moment donné j’étais tanné, j’ai appelé les services sociaux. Les
services sociaux ils sont venus nous chercher, toutes mes petites sœurs et mes
frères. (…) [Ma mère] dormait tout le temps toute la journée et elle me disait tout le
temps de laver ma petite sœur ou de faire le ménage. Elle, elle ne faisait rien, c’est
moi qui faisais tout. Moi j’étais tanné. »
29 D’autres ont d’abord cherché refuge dans leur famille élargie avant l’intervention des
services de protection de la jeunesse. On remarque d’ailleurs que, pour la majorité des
jeunes rencontrés, la famille élargie a représenté une source de protection importante,
quoique temporaire, pour faire face aux conditions de vie difficiles qu’ils vivaient au
sein de leur famille immédiate. Ne se sentant pas en sécurité à la maison, ils évoquent
que certains membres de leur famille élargie, tels des tantes, des oncles ou des grands-
parents, leur offraient du répit ou comblaient des besoins que les parents immédiats ne
savaient plus satisfaire. Par exemple, un jeune raconte qu’il allait vivre chez ses tantes
pendant quelques mois lorsque la situation à la maison était intenable. Un autre
exprime qu’il aimait avoir la visite d’une tante qui habitait loin parce que cela se
traduisait par une trêve des épisodes de violence que sa mère lui faisait subir :
« Quand j’étais chez ma mère, j’avais hâte que ma tante vienne, j’étais tanné de ça.
Ce qui était l’fun quand ma tante venait, ma mère était tranquille parce que ça ne
lui tentait pas que ma tante fasse des plaintes. C’est pour ça que j’avais tout le
temps hâte que ma tante vienne parce que ma mère me battait tout le temps et
quand ma tante venait, ma mère ne me battait pas. Donc c’était l’fun ça. »

Les limites de la famille élargie

30 La protection offerte aux jeunes par les membres de la famille élargie s’est cependant
avérée ponctuelle puisque ceux-ci étaient souvent eux-mêmes aux prises avec les
mêmes conditions de vie que la famille immédiate. Le manque de ressources financières
a été évoqué par plusieurs comme étant la raison qui explique pourquoi la famille
élargie, n’étant plus en mesure d’offrir cette aide aux jeunes, a dû y mettre un terme,
menant éventuellement à un placement à l’extérieur de la famille d’origine par les
services de protection de la jeunesse: « [Mes tantes] avaient déjà des enfants et elles
avaient déjà de la [difficulté] à subvenir à leurs besoins avec leurs enfants. Elles ne

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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voulaient pas en avoir un autre de plus. Elles voulaient que leur sœur prenne sa
responsabilité, mais elle est partie. C’est pour ça que j’ai été placé. »
31 La consommation d’alcool et de drogues est aussi ressortie comme une condition de vie
récurrente dans la famille élargie des jeunes et plusieurs ont mentionné qu’elle est la
raison pourquoi celle-ci n’a pu les prendre sous sa responsabilité. Tout comme avec
leur père, c’est l’évaluation des intervenants de la protection de la jeunesse qui en
arrivait à cette conclusion ou alors, ce sont les jeunes qui ont refusé d’aller vivre dans
leur famille élargie pour ne pas se retrouver dans des conditions de vie identiques à
celles prévalant dans leur famille immédiate. Si la famille élargie occupait une grande
place dans la vie de ces jeunes, elle ne pouvait toutefois représenter une figure de
protection à long terme, puisqu’elle évoquait le même contexte de vie que leur famille
immédiate. Dans le cas qui suit, les intervenants ont donné au jeune le choix mais il a
préféré aller en famille d’accueil : « [Ça ne me tentait pas d’aller dans ma famille
élargie], parce qu’il y avait déjà d’autres consommations dans ma famille. »

Le « choix » d’habiter à l’extérieur des communautés

32 Pour les participants qui résidaient dans une communauté autochtone dans leur
enfance, le désir de protection a aussi été vécu à l’échelle de la communauté : « Je ne
voulais pas rester là-bas moi. C’était l’enfer pour moi. » Ces jeunes décrivent leurs
communautés comme un lieu où règnent des conditions de vie difficiles et où sévissent
de façon généralisée la violence et la consommation de drogues ou d’alcool :
« J’aimais ça rester à [nom d’une ville]. À [nom de la communauté autochtone],
quand j’étais jeune, ça consommait. Tout le temps. Chaque semaine. Tu vois
toujours quelqu’un dehors avec de la bière. Une 36, une 24, une douze pack (…). Moi
je n’aimais pas ça. Quand je sortais des fois le soir pour aller me promener et relaxer
pour finir mon entrainement, je me faisais chercher. Des personnes voulaient me
battre. »
33 Au-delà des dangers qu’ils racontent, ces jeunes expriment aussi qu’ils auraient aimé
avoir de l’aide plus tôt relativement à ce qu’ils vivaient dans leur famille. Lorsque
l’occasion de demander protection s’est présentée, les personnes ressources de leur
communauté, la police ou les intervenants sociaux, par exemple, n’ont pas su répondre
à leur appel à l’aide. Cela a fait en sorte que la situation dans laquelle ils se trouvaient a
perduré jusqu’à ce qu’un signalement soit effectué :
« À [nom de la communauté], ils voyaient que je me promenais et que je pleurais
tout le temps. (…). Ça aurait l’air que je regardais un travailleur social et que je
disais : « Amenez-moi, amenez-moi avec toi, je suis mal ici. » Je leur disais ça. Mais
le travailleur social il ne pouvait rien faire. (…) Il ne pouvait pas me croire. Ma mère
disait tout le temps : « Elle dit ça à n’importe qui. »
34 C’est suite à l’insécurité causée par cet environnement que ces jeunes ont décidé de
s’établir en ville lorsqu’ils ont atteint l’âge de majorité. En outre, de leur point de vue,
la ville représente un milieu de vie offrant plus d’opportunités et de ressources,
notamment en matière de ressources sociales et d’emploi, ce qui leur permet
d’envisager un meilleur avenir :
« Le projet dans lequel je suis [nom du projet], c’est pour des jeunes de 16 à 35 ans.
C’est pour aider les personnes qui veulent retourner sur le marché du travail. C’est
juste pour les personnes qui restent en milieu urbain. Ce n’est pas pour rien que je
suis partie de [nom de la communauté]. C’est pour trouver un travail, avoir un
meilleur avenir et offrir un meilleur avenir pour mon fiston aussi. »

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


35

Discussion
35 Considérant le nombre limité de participants à l’étude, il est possible que les
témoignages ne représentent pas l’éventail complet des points de vue des jeunes
autochtones par rapport à leur prise en charge. Cette étude ne se veut pas exhaustive
quant à toutes les perspectives possibles. Elle cherche plutôt à examiner en profondeur
divers témoignages pour éclairer les enjeux de la surreprésentation des jeunes
autochtones dans le système de protection de la jeunesse. Rappelons également que
l’échantillon est formé exclusivement de jeunes autochtones qui ont choisi de s’établir
en milieu urbain après leur prise en charge. Leur point de vue ne pourrait être
généralisé aux jeunes ayant choisi de continuer ou de retourner vivre en communauté,
puisque la perception qu’ont les jeunes de leur vécu familial et de leur situation de
prise en charge peut être intimement liée au choix de s’établir en ville ou en
communauté. Il est par ailleurs possible que la violence présentée dans les témoignages
ne soit pas totalement représentative de ce que subit l’ensemble des jeunes autochtones
vivant une prise en charge, car il se peut que les jeunes ayant été victimes de violences
plus intenses soient davantage enclins à vouloir quitter le milieu dans lequel ils y ont
été exposés. Toutefois, comme nous l’avons mentionné, cette étude a le mérite de
donner la parole à de jeunes autochtones résidant en milieu urbain, trop souvent
ignorée.
36 En analysant les interactions à l’intérieur de la situation familiale à partir de la
perspective des jeunes autochtones, il en ressort que leur milieu de vie avant leur prise
en charge ne répondait pas à leurs besoins essentiels ou encore ils s’y sentaient en
danger. Face aux difficultés vécues dans leur famille, les jeunes ont fait appel à diverses
stratégies pour améliorer leur situation, souvent en cherchant refuge dans leur famille
élargie et parfois en sollicitant eux-mêmes la protection de la jeunesse. C’est la plupart
du temps dans ce contexte qu’a pris place l’intervention de la protection de la jeunesse,
c’est-à-dire après que les jeunes aient mobilisé les ressources autour d’eux. D’ailleurs,
les récits démontrent que si les appels à l’aide de ces jeunes avaient été entendus plus
tôt, leur situation ne se serait peut-être pas autant détériorée. Cela souligne le fait que
davantage d’efforts devraient être déployés en matière de services sociaux offerts aux
familles autochtones, puisque le manque d’interventions de première ligne se
répercute sur le bien-être des jeunes et nécessite finalement l’intervention du système
de protection de la jeunesse.
37 Les récits des huit jeunes rencontrés confirment que l’intervention de la protection de
la jeunesse répond au mandat de protection qui est le sien. Pour ces jeunes, la sécurité
ou leur développement étaient compromis dans leur milieu familial et dans ce
contexte, l’intervention de la protection de la jeunesse a représenté une mesure de
protection, cette intervention ayant même apparue parfois tardive à leurs yeux. Pour
les jeunes ayant participé à l’étude, ce sont les difficultés auxquelles sont soumises
leurs familles et leurs communautés qui ont fait en sorte que la prise en charge est
devenue une solution facilitant leur bien-être. Les résultats de cette étude corroborent
ainsi les recherches qui expliquent la surreprésentation des jeunes autochtones en
protection de la jeunesse par les conditions de vie qui affligent les populations
autochtones. Au regard des témoignages des jeunes, cette étude démontre qu’une
pauvreté multidimensionnelle et généralisée fait actuellement pression sur les familles

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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et sur les communautés autochtones, faisant en sorte que le placement des jeunes
autochtones, qui devrait constituer un dernier recours, est devenu un incontournable
pour assurer leur bien-être. Les témoignages mettent en évidence que les conditions de
vie menant à la prise en charge s’expliquent par la forte présence chez les autochtones
de problèmes sociaux, tels que la toxicomanie et la pauvreté économique, par des
problèmes structurels, comme le manque d’infrastructures et de logements adéquats,
ainsi que par les conséquences intergénérationnelles des pensionnats indiens. Les
jeunes nous disent, par leurs discours, que c’est la présence de ces pressions sociales et
structurelles ainsi que l’héritage historique auxquels font face les familles et
communautés autochtones qui seraient à la source de la surreprésentation des jeunes
autochtones dans le système québécois de protection de l’enfance.
38 Dans ce contexte, des interventions relatives aux besoins réels des familles autochtones
- développées en partenariat avec les milieux autochtones et dans le respect de leurs
philosophies36 - concernant entre autres la toxicomanie, pourraient freiner cette
judiciarisation et par le fait même, la surreprésentation des jeunes autochtones dans le
système de protection de l’enfance. Cela corrobore plusieurs éléments présents dans la
littérature, notamment ceux ayant trait au financement des services sociaux offerts aux
autochtones, qui serait, selon nombre d’analystes, inférieur à celui des autres canadiens
bénéficiant de services municipaux et provinciaux37. D’autre part, cette étude vient
aussi confirmer la thèse, énoncée plus haut, selon laquelle les populations autochtones
vivent continument les répercussions d’un passé marqué par des politiques
assimilatrices, causant des besoins plus importants en matière de services à l’enfance et
à la famille dans ces communautés. Certains jeunes ont, en effet, expliqué leur prise en
charge par un cycle de blessures intergénérationnelles qui prend source dans l’histoire
des pensionnats indiens. Ainsi, peu importe le type d’interventions dédiées aux familles
autochtones, celui-ci doit prendre en considération le passé collectif spécifique aux
autochtones. Ces conclusions font écho aux appels à l’action de la Commission de vérité
et de réconciliation du Canada qui demandent aux divers paliers de gouvernements de
tenir compte des répercussions des pensionnats autochtones dans les services de
protection de l’enfance et d’affecter les ressources suffisantes pour faire diminuer la
surreprésentation des enfants autochtones en protection de la jeunesse 38.
39 Par ailleurs, une fois la prise en charge effectuée, le discours des jeunes fait également
ressortir leur marge de manœuvre dans leur interaction avec le système de protection
de la jeunesse, notamment en ce qui concerne le lieu de placement. Les jeunes
rencontrés mentionnent avoir pu parfois influencer les décisions visant à leur trouver
un milieu de vie sécuritaire. Les récits des jeunes démontrent qu’ils avaient une vision
claire de leur situation familiale et des solutions à privilégier pour changer des choses
et cela, aux différentes étapes liées à la prise en charge. Les résultats de notre étude
font ressortir l’importance de mobiliser le plus possible le point de vue des jeunes
autochtones dans les décisions qui visent à répondre à leur mieux-être, que ce soit
avant l’intervention de la protection de la jeunesse, pendant et après. Cela permettrait
d’agir davantage en concordance avec les objectifs de la LPJ, c’est-à-dire assurer le
mieux-être des jeunes autochtones dans le respect de leurs droits et de leur intérêt.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


37

Conclusion
40 Cet article éclaire davantage le phénomène de la surreprésentation des autochtones
dans le système de protection de l’enfance québécois, en mettant en avant-plan le point
de vue des jeunes autochtones résidant en milieu urbain, sur la façon dont ils
perçoivent et vivent leur expérience de prise en charge. Toute la démarche, inspirée de
l’interactionnisme symbolique, a permis de nous ancrer dans la subjectivité de ces
jeunes pour comprendre leur réalité de prise en charge, à partir de l’analyse des liens
qu’ils entretiennent avec leur milieu familial, leur environnement et le système de
protection de la jeunesse. Ce cadre théorique a permis d’éclairer le phénomène de la
surreprésentation des jeunes autochtones en protection de la jeunesse à partir de la
perspective de ces jeunes. Il a été ainsi possible de réfléchir à l’amélioration des
interventions liées à la protection de la jeunesse afin qu’elles répondent mieux à leurs
besoins réels. Notre étude met en lumière que le manque d’interventions, en amont de
la prise en charge, place ces jeunes autochtones dans des situations difficiles, voire
souffrantes, qui réduisent les opportunités de grandir auprès de leurs parents et de leur
famille élargie. Les jeunes autochtones tentent de mobiliser les ressources autour d’eux
pour améliorer leur situation, mais ils ne sont que des enfants et les options sont
limitées. C’est dans ce contexte que la prise en charge par les services de protection
apparait comme la seule solution. Notre étude permet d’ajouter la voix des jeunes
autochtones aux recherches portant sur les explications à leur surreprésentation dans
les services de protection de l’enfance. Au regard de nos résultats, il semble que les
communautés autochtones au Québec font actuellement face à une judiciarisation de la
pauvreté par l’entremise du système de protection de l’enfance. Ces résultats mettent
en évidence qu’une action au niveau des conditions de vie des familles autochtones
devrait être privilégiée pour le bien-être des jeunes autochtones. Enfin, soulignons-le à
nouveau, le point de vue des jeunes autochtones aurait tout avantage à être pris en
compte dans les procédures et les décisions liées à leur prise en charge, afin d’assurer
un arrimage entre leurs droits à leur meilleur intérêt.

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NOTES
1. Comité sénatorial permanent des Droits de la personne, Les enfants: des citoyens sans voix : Mise
en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants (Rapport
final), Ottawa, Direction des comités du Sénat, 2007.
2. Loi sur la protection de la jeunesse, L.R.Q., c. P-34.1
3. Ibid., art. 2.4, par. 5, c.
4. Ibid., art. 37.5

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40

5. Luc Demers, « Le système de protection au Québec : l’organisation des services en soutien aux
enfants en difficulté et à leur famille », Santé, société et solidarité, n°1, 2009, p. 88.
6. Christiane Guay et Sébastien Grammond, « À l’écoute des peuples autochtones ? Le processus
d’adoption de la loi 125 », Nouvelles pratiques sociales, vol. 23, n°1, automne 2010, p. 106.
7. Patrick Johnston, Native Children and the Child Welfare System, Toronto, Conseil canadien de
développement social, 1983, p. 24-54.
8. Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les
peuples autochtones (Rapport final), Ottawa, Gouvernement du Canada, 1996, volume 3,
chapitre 2.2. Repéré à https://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/patrimoine-
autochtone/commission-royale-peuples-autochtones/Pages/rapport.aspx
9. Vandna Sinha, Nico Trocmé, Barbara Fallon, Bruce MacLaurin, Elizabeth Fast, Shelley Thomas
Prokop, Kiskisik Awasisak: Remember the Children. Understanding the Overrepresentation of First Nations
Children in the Child Welfare System, Ottawa, Assembly of First Nations, 2011, p. xi, 111, 112.
10. Ibid., p.xii, xii, xv, xvi.
11. Ibid., p. 4 à 6.
12. Voir par exemple : Commission Royale sur les peuples autochtones, op. cit. ; Fondation
autochtone de guérison, Guide du programme de la Fondation autochtone de guérison (2e édition),
Ottawa, Fondation autochtone de guérison, 1999.
13. Commission Royale sur les peuples autochtones, op. cit.
14. Les travaux suivants, entre autres, partagent cette thèse : parmi ce camp d’auteurs,
on compte, entre autres : Marlene Brant Castellano, Linda Archibald, et Mike DeGagné,
De la vérité à la réconciliation. Transformer l'héritage des pensionnats, Ottawa, Fondation
autochtone de guérison, 2008 ; Madeleine Dion-Stout et Gregory Kipling, Peuples
autochtones, résilience et séquelles du régime des pensionnats, Ottawa, Fondation autochtone
de guérison, 2003; Commission Royale sur les peuples autochtones, op. cit. ; Rhonda
Claes et Deborah Clifton, Sévices contre les enfants placés en établissement. Besoins et attentes
en matière de réparation pour les sévices commis contre les enfants placés dans les pensionnats
pour enfants autochtones (Rapport final soumis à la Commission du droit du Canada),
Ottawa, Commission du droit du Canada, 1998 ; Fondation autochtone de guérison, op.
cit.
15. Les travaux suivants, entre autres, s’inscrivent dans cette perspective : Thomas L.
Crofoot et Marian S. Harris, « An Indian Child Welfare perspective on
disproportionality in child welfare », Children and Youth Services Review, volume 34, n o 9,
Septembre 2012, p. 1667-1674 ; Vernon B. Carter, « Comparison of American Indian/
Alaskan Natives to Non-Indians in Out- of-Home Care », Families In Society, volume 90, n o
3, 2009, p. 301-308 ; Emily F. Carasco, « Canadian native children: have child welfare
laws broken the circle ? », Canadian Journal Of Family Law, volume 5, n o 1 1986, p.
111-138 ; Marlee Kline, « Child Welfare Law, "Best Interests of the Child" Ideology, and
First Nations », Osgoode Hall Law Journal, volume 30, no 2, été 1992, p. 375-425.
16. Voir Patrick Johnston, Native Children and the child welfare system, op. cit.
17. À ce sujet, voir par exemple : Cindy Blackstock, Nico Trocmé et Marlyn Bennett,
« Child maltreatment investigations among Aboriginal and non-Aboriginal Families in
Canada: A comparative analysis », Violence Against Women, volume 10, n° 8, 2004, p.
901-916 ; Marlyn Bennett et Cindy Blackstock, A literature review and annotated
bibliography focusing on aspects of Aboriginal child welfare in Canada, Ottawa, First Nations
of Child and Family Caring Society of Canada, 2002 ; Andrew Armitage, Comparing the

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


41

policy of Aboriginal assimilation: Australia, Canada and New Zealand, Vancouver, University
of British Columbia Press, 1995.
18. Christiane Guay et Sébastien Grammond , op. cit, p. 105, 107, 109, 110.
19. Voir par exemple : Vandna Sinha, Nico Trocmé, Barbara Fallon, Bruce MacLaurin,
Elizabeth Fast, Shelley Thomas Prokop, op. cit. ; Marc Tourigny, Pascale Domond, Nico
Trocmé, Bruno Sioui et Karine Baril, « Les mauvais traitements envers les enfants
autochtones signalés à la Protection de la jeunesse du Québec: comparaison
interculturelle », First Peoples Child & Family Review, volume 3, n o 3, 2007, p. 84-102 ; Nico
Trocmé, Della Knoke et Cindy Blackstock, « Pathways to the overrepresentation of
aboriginal children in Canada’s Child Welfare System. Social Service Review, volume 78,
no 4, Décembre 2004, p. 577-600 ; Cindy Blackstock, Nico Trocmé et Marlyn Bennett, op.
cit.
20. Cindy Blackstock, Nico Trocmé et Marlyn Bennett, op. cit.
21. Marc Tourigny, Pascale Domond, Nico Trocmé, Bruno Sioui et Karine Baril, op. cit.
22. À ce sujet voir par exemple : Danielle A. Black, Richard E. Heyman et Amy M. Smith
Slep, « Risk factors for child physical abuse », Aggression and Violent Behavior, volume, n o
2-3, mars-juin 2001, p. 203-229 ; Julie A. Schumacher, Amy M. Smith Slep et Richard E.
Heyman, « Risk factors for child neglect », Aggression and Violent Behavior, volume, n o
2-3, mars-juin 2001, p. 231-254 ; Andrea J. Sedlak, « Risk factors for the occurrence of
child abuse and neglect », Journal of Aggression, Maltreatment, and Trauma, volume 1, n o 1,
p. 149-187; Maura O’keefe, « Predictors of child abuse in maritally violent families »,
Journal of Interpersonal Violence, volume 10, n° 1, mars 1995, p. 3-25.
23. Par exemple, les travaux suivants vont dans cette direction : Marlyn Bennett et
Cindy Blackstock, op. cit. ; Nico Trocmé, Della Knoke et Cindy Blackstock, op. cit. ;
Suzanne Fournier et Ernie Crey, Stolen from our Embrace: The Abduction of First Nations
Children and the Restoration of Aboriginal Communities, Vancouver, Douglas and McIntyre,
1997.
24. Comité sénatorial permanent des Droits de la personne, op. cit., p. 210 à 212.
25. À ce sujet voir par exemple : Marlyn Bennett et Cindy Blackstock, A literature review
and annotated bibliography focusing on aspects of Aboriginal child welfare in Canada, Ottawa,
First Nations of Child and Family Caring Society of Canada, 2002.
26. Voir David Le Breton, L'interactionnisme symbolique, Paris, Presses universitaires de
France, 2004.
27. Jean-Michel Bonvin, Figures de sociologues. Introduction à l’épistémologie sociologique (Erving
Goffman 1922-1982 et l’interactionnisme symbolique), Fribourg, Éditions Universitaires Fribourg, p.
143 à 161.
28. David LeBreton, op. cit.
29. Jean-Michel Bonvin, op. cit.
30. La recherche partenariale s’intitule « Judiciarisation et défense des droits des personnes en
situation de pauvreté », financée par le FQRSC et conduite par Céline Bellot.
31. Pour en savoir plus au sujet du récit de vie, voir Daniel Bertaux, L’enquête et ses
méthodes : Le récit de vie, Paris, Armand Colin, 2010.
32. Par motifs de compromission on entend ici les raisons qui mènent au signalement,
les raisons qui compromettent la sécurité et le développement de l’enfant.
33. La volubilité des jeunes rencontrés étant limitée, nous avons fait appel à des
techniques de reformulation et de reflet visant à faciliter le discours. À ce sujet, voir :

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


42

Jean-Paul Daunais, « L’entretien non directif » dans Recherche sociale : De la problématique


à la collecte des données, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 1995, p. 273-293.
34. Pour des enjeux liés à la confidentialité, le terrain de recherche étant un petit milieu où tout
le monde se connait, nous gardons sous silence le nom, le sexe et l’âge des jeunes en lien avec les
témoignages et avons accordé beaucoup d’attention afin qu’aucun parcours ne puisse être
reconnu.
35. L’usage du masculin est utilisé en ce qui a trait aux témoignages des jeunes pour des raisons
de confidentialité.
36. Voir à ce sujet : Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du
Québec et du Labrador, Gouvernance en santé et en services sociaux : une réflexion pour le mieux-être
des Premières Nations. Repéré à http://www.cssspnql.com/champs-intervention/gouvernance/
synthèse-du-projet
37. Parmi les travaux ayant contribué à étayer ce constat, retenons, entre autres : John
D. Fluke, Martin Chabot, Barbara Fallon, Bruce MacLaurin et Cindy Blackstock, «
Placement decisions and disparities among aboriginal groups: An application of the
decision making ecology through multi-level analysis », Child Abuse & Neglect, volume
34, no 1, janvier 2010, p. 57-69 ; Marlyn Bennett, Christine Wekerle et Masood Zangeneh,
« Aboriginal Health. The Overlap Among Child Maltreatment, Mental Health, and
Addictive Behaviours. The Way Forward », International Journal of Mental Health Addiction,
volume 8, no 2, avril 2010, p. 127-134 ; Comité sénatorial permanent des Droits de la
personne, op. cit. ; Samantha Nadjiwan et Cindy Blackstock, Caring across the boundaries:
Promoting access to voluntary sector resources for First Nations children and families, Ottawa,
First Nations Child and Family Caring Society of Canada, 2003.
38. Commission de vérité et réconciliation du Canada, Honorer la vérité, réconcilier pour
l’avenir : sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada,
Bibliothèque et Archives Canada, 2015.

RÉSUMÉS
La surreprésentation des jeunes autochtones dans les systèmes de protection de l’enfance au
Canada est une réalité préoccupante. Cet article vise à partager le point de vue de jeunes
autochtones quant à leur prise en charge par le système québécois de protection de la jeunesse.
L’article s’appuie sur les données d’une recherche sur la judiciarisation de la pauvreté dont l’un
des volets s’est tenu à Val-d’Or, au Québec, auprès de jeunes autochtones vivant en milieu urbain.
L’étude s’inspire de la perspective de l’interactionnisme symbolique et aborde sous un nouvel
angle la surreprésentation des jeunes autochtones dans le système de protection de l’enfance, en
questionnant la signification qu’ils donnent à l’intervention de la protection de la jeunesse dans
leur vie. Les jeunes autochtones rencontrés voient leur prise en charge comme une mesure de
protection qui leur a permis de se soustraire à des conditions de vie difficiles. Ces résultats
mettent en évidence qu’une action au niveau des conditions de vie des familles autochtones
devrait être privilégiée pour éviter la surreprésentation des enfants autochtones dans les
services de protection de l’enfance.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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The overrepresentation of Aboriginal youth in child welfare services in Canada is a concerning


reality. However, less is known of their experiences of child welfare services from their own
perspective. This study explores Aboriginal youth’s thoughts of child welfare services in Val-d’Or,
Quebec. The article is based on data from a research project on judicialization of poverty with
urban Aboriginal youth who had an experience with child welfare system. The study is based on a
symbolic interactionism perspective that takes into account how Aboriginal youth make meaning
of child welfare intervention. The study finds that Aboriginal youth view child welfare
intervention as a way to protect them from their difficult environmental circumstances
associated with poverty. It concludes that issues associated with living in poverty need to be
consider when addressing overrepresentation of Aboriginal youth in child welfare system.

La sobrerrepresentación de los jóvenes autóctonos en los sistemas de protección de la infancia en


Canadá es una realidad preocupante. Este artículo pretende compartir la opinión de jóvenes
autóctonos respecto a la asistencia recibida por el sistema de protección de la juventud de
Quebec. El artículo se basa en los datos de una investigación sobre la judicialización de la
pobreza, de la cual una parte se realizó en la ciudad de Val d'Or, en Quebec, entre jóvenes
autóctonos que viven en zonas urbanas. El estudio se enmarca en el contexto del interaccionismo
simbólico y aborda, desde una nueva perspectiva, la excesiva representación de los jóvenes
autóctonos en el sistema de protección de la infancia, cuestionando el significado que estos
jóvenes dan a la actuación del sistema de protección de la juventud en sus vidas. Los jóvenes
autóctonos entrevistados ven la asistencia recibida como una medida de protección que les ha
permitido eludir condiciones de vida difíciles. Estos resultados ponen de manifiesto que se
debería favorecer una acción a nivel de las condiciones de vida de las familias autóctonas con el
fin de evitar la sobrerrepresentación de los niños autóctonos en los servicios de protección de la
infancia.

INDEX
Palabras claves : protección de la infancia, jóvenes autóctonos, asistencia, intervenciones
sociales, Quebec
Mots-clés : protection de l’enfance, jeunes autochtones, prise en charge, interventions sociales,
Québec
Keywords : child protection, Aboriginal youth, care, social interventions, Quebec

AUTEURS
MARIE-HÉLÈNE GAGNON DION
Marie-Hélène Gagnon Dion, candidate au doctorat en travail social à l’Université de Montréal,
s’est spécialisée au niveau de l’intervention en contexte autochtone. Ses expériences en
recherche et en intervention avec différentes communautés autochtones au Québec ont permis
d’approfondir, autant par la théorie que par la pratique, les particularités de l’intervention en
contexte autochtone. Elle travaille actuellement comme consultante et chargée de projets pour le
centre de santé et services sociaux de Uashat mak Mani-Utenam, une communauté innue au
Québec. Son engagement vise à intégrer les approches ancrées dans la culture à l’intérieur des
services sociaux autochtones.
marie-helene.gagnon-dion@umontreal.ca

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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JACINTHE RIVARD
Jacinthe Rivard, professeure associée à l’université de Montréal est coordonnatrice de
l’Observatoire des profilages racial, social et politique et chercheure associée au CREVAJ. Elle a
conjugué, depuis 1979, études, recherches et expériences d’intervention au Nord aussi bien qu’au
Sud. Ses intérêts de recherche et d’enseignement portent sur les populations dites
«vulnérables», sur les phénomènes qui leur sont associés – itinérance, consommation de drogues,
pauvreté, judiciarisation, profilage, santé et sur les pratiques, modèles et modes de connaissance
alternatifs émergents. Elle privilégie les approches méthodologiques de recherche «avec»
(recherches-action participatives) : conception; implantation; analyse et évaluation
d’interventions novatrices.
jacinthe.rivard@umontreal.ca

CÉLINE BELLOT
Céline Bellot, professeure titulaire à l’université de Montréal, est directrice de l’Observatoire sur
les profilages racial, social et politique. Ses recherches concernent le traitement et la
judiciarisation des populations itinérantes au Canada et des populations en situation de pauvreté
et marginalisées : personnes consommatrices de drogues; populations autochtones; jeunes et
femmes. Elle réalise aussi des évaluations d'interventions novatrices auprès de populations
marginalisées, en regard de leur participation sociale ou de leur insertion sociale et
professionnelle. Ses projets sont le plus souvent développés en partenariat ou de manière
participative.
celine.bellot@umontreal.ca

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Typologie des trajectoires


d’insertion sociale des jeunes après
un placement à l’enfance dans le
District de Bamako (Mali)
Typology of trajectories for young people’s social reintegration after their
placement during childhood in the District of Bamako (Mali)
Tipología de las trayectorias de integración social de los jóvenes tras su
internamiento durante la infancia en el distrito de Bamako (Malí)

Moriké Dembele et Kawélé Togola

NOTE DE L'AUTEUR
Les données de cet article proviennent de nouvelles enquêtes réalisées à la suite de
notre thèse de doctorat soutenue en 2014 : « Placement à l’enfance et devenir social à l’âge
adulte. Étude des trajectoires de réinsertion sociale des jeunes dans le district de Bamako et dans
la région de Dakar ». Thèse de doctorat en sciences de l’éducation. Université Cheikh
Anta Diop (UCAD) Dakar (Sénégal), 2014, 434 p.
The data in this article come from surveys conducted as part of our PhD thesis
supported in 2014 : « Placement à l’enfance et devenir social à l’âge adulte. Etude des
trajectoires de réinsertion sociale des jeunes dans le district de Bamako et dans la région de
Dakar ». Thèse de doctorat en sciences de l’éducation. Université Cheikh Anta Diop
(UCAD) Dakar (Sénégal), 2014, 434 p.
Los datos de este artículo proceden de estudios realizados en el marco de nuestra tesis
doctoral defendida en 2014 : « Placement à l’enfance et devenir social à l’âge adulte. Étude des
trajectoires de réinsertion sociale des jeunes dans le district de Bamako et dans la région de
Dakar ». Thèse de doctorat en sciences de l’éducation. Université Cheikh Anta Diop
(UCAD) Dakar (Sénégal), 2014, 434 p.

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1 L’objectif de cet article est de décrire les profils d’insertion sociale des jeunes ayant
passé une période plus ou moins prolongée pendant l’enfance dans les établissements
de placement. Cette description vise à comprendre les processus de construction de
leur trajectoire d’insertion sociale.
2 Le placement d’enfants semble être une pratique universelle. Elle varie selon les
époques et les milieux. Une analyse historique succincte du placement en Afrique fait
ressortir deux périodes importantes. La première est marquée par le placement de type
traditionnel. La seconde est caractérisée par le placement institutionnel. Si dans la
première forme, la question d’insertion ne se pose pas, les enfants placés étant intégrés
directement dans la société par le biais d’une famille d’accueil, la forme institutionnelle
du placement, plus récente, intègre la notion d’insertion sociale, parce qu’elle coupe
l’enfant de son milieu social de manière temporaire. Le devenir social des jeunes
provenant des milieux de placement institutionnel, à leur entrée dans la vie adulte,
devient une préoccupation sociale et scientifique étant donné que nous ne connaissons
pas encore suffisamment comment ces jeunes construisent à nouveau leurs relations
sociales, leur intégration sociale.

Des systèmes superposés de protection sociale de


l’enfance
3 À l’instar de nombreux pays africains, le Mali connait deux systèmes superposés de
protection de l’enfance : un système traditionnel socialement plus ancré et un système
moderne bicéphale, hérité du régime colonial. Le système traditionnel, même s’il
connait de plus en plus de recul surtout en milieu urbain, est fondé sur l’entraide et la
solidarité familiale.
4 Le confiage est le placement de type traditionnel le plus connu. C’est une coutume
sociale de transfert d’enfants, voire de dons d’enfants, de la famille d’affiliation
biologique à une autre famille, les deux étant liées par des relations parentales. Des
variantes de cette coutume existent dans beaucoup de sociétés traditionnelles
africaines, de manière générale, elles ne sont pas d’ordre administratif et ne
nécessitent pas une décision du juge des enfants. L’enfant est confié à un parent sans
décision de placement. Ce confiage peut prendre plusieurs formes selon les facteurs qui
le suscitent. Il se confond avec l’adoption, et Sow Sidibé parle de forme « pratiquée
dans toute l’Afrique d’expression française, peut être qualifiée de fait. Elle consiste le
plus souvent à recueillir un enfant dans sa famille sans que s’établissent des liens de
filiation entre l’adoptant et l’adopté »1. De son côté, Vandermeersch2 parle à propos de
confiage : « de délégation des rôles parentaux à d’autres personnes que les parents
biologiques ». Ces modes de circulation des enfants à l’intérieur de la communauté
répondent à des besoins d’ajustements matrimoniaux dans le cadre des naissances
rapprochées, des naissances hors mariage3. Le confiage est aussi utilisé à des fins de
prise en charge des orphelins et enfants handicapés ou déficients mentaux 4. Les
coutumes et rites de placement traditionnel sont plus intégrateurs, ils ne sont pas
forcément destinés à retirer les enfants du milieu social, mais de passer d’une famille à
une autre. L’idée d’une insertion sociale y est d’une moindre importance.
5 Regroupé sous l’appellation française « confiage », ce mode de protection de l’enfant se
pratique dans beaucoup de situations dans lesquelles les parents biologiques sont dans

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l’incapacité d’entretenir convenablement leur enfant. Dans la première situation, le


confiage intervient dans les modes de gestion des naissances rapprochées, favorisant la
répartition des enfants entre les réseaux de parenté. En effet, les naissances trop
rapprochées donnent lieu à des sevrages précoces qui, à leur tour, se négocient dans
des formes de confiage à durée variable. Dans ces cas, les jeunes enfants sont
généralement confiés à leurs grands-parents qui se chargent de leur éducation. Dans la
deuxième situation, le confiage aide à la prise en charge des enfants et jeunes en
difficulté, qu’ils soient orphelins ou nés hors union conjugale 5 ou encore qu’ils soient
victimes d’une maladie incurable ou handicapés mentaux. Dans une dernière situation,
plus exceptionnelle, les enfants sont confiés quand les parents n’arrivent pas à les
nourrir correctement. Dans ce cas, ils sont confiés à des parents n’ayant pas assez
d’enfants et disposant de ressources suffisantes pour assurer leur prise en charge
alimentaire et éducative.
6 À côté du système traditionnel de prise en charge des enfants en difficulté ou en danger
moral, l’État indépendant du Mali a hérité du placement institutionnel bicéphale du
passé colonial.
7 Les premiers textes pénaux spécifiques aux mineurs furent édités par le législateur
colonial français. Le décret du 30 novembre 1928 dont certaines dispositions étaient
applicables aux colonies françaises, notamment le Mali. La loi française du 22 juillet
1912 sur les tribunaux pour enfants et la liberté surveillée avait institué les juridictions
spécialisées pour mineurs et la possibilité des mesures de surveillance et d’éducation.
Son décret d’application du 30 novembre 1928 avait étendu son champ d’application
aux colonies françaises d’Afrique6. Ce décret resta en vigueur jusqu’à son abrogation en
1987 par la loi n° 86-98/AN-RM du 9 février 1987 portant sur la minorité pénale et les
institutions de juridiction pour mineurs. Ce premier texte affichait déjà clairement la
primauté des mesures d’éducation, de surveillance et de garde aux dépens des mesures
de répression. Ce texte fut remplacé par la loi n° 01-081/AN-RM du 24 août 2001 portant
sur la minorité pénale et les institutions de juridictions pour mineurs qui en prend les
principes généraux tout en procédant à des adaptations au regard des engagements
internationaux en matière de promotion des droits de l’enfant. De la même manière, la
protection de l’enfance en danger moral a eu comme fondement la loi française du 24
juillet 1889 sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés. Les
différents codes de protection de l’enfant7se réfèrent aux dispositions contenues dans
ce texte colonial.
8 Le système moderne de protection repose sur un cadre réglementaire et institutionnel
qui articule deux modes de prise en charge dont les frontières ne sont pas étanches : la
protection judiciaire et la protection administrative de l’enfance. Même si la protection
judiciaire s’inscrit globalement dans une perspective de traitement et que la protection
administrative de l’enfance, plus portée vers la prévention, développe des actions
protectrices, dans la pratique ces deux de modes protection enchevêtrés concernent
souvent les mêmes publics d’enfants.
9 Actuellement, la législation internationale a aussi influencé plus ou moins cet héritage
colonial en matière de protection de l’enfance. En outre, l’ouverture du pays à la
démocratie a permis une attention soutenue à l’égard des droits de l’homme,
notamment pour les droits de la femme et de l’enfant. Cette attention s’est manifestée à
travers la création d’un environnement institutionnel diversifié de prise en charge des
enfants et jeunes en difficulté. Ainsi, le placement institutionnel 8 se développe dans les

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centres urbains où le mode traditionnel devient souvent inopérant face la


multiplication des enfants nécessitant une prise en charge et le relâchement de la
solidarité traditionnelle en raison du mode de vie urbain. La question de l’insertion
sociale de ces jeunes sortis constitue une préoccupation de premier ordre social dans le
cadre de l’élaboration de politiques d’intervention sociale plus efficaces et plus ré
intégratives en faveur de ces jeunes.

Les jeunes africains après le placement : une situation


préoccupante
10 En Afrique, pendant très longtemps, les discours véhiculés dans les médias et dans
certaines publications scientifiques font l’écho des difficultés d’insertion sociale à l’âge
adulte pour les jeunes marginaux urbains protégés et font douter pour eux de la
possibilité d’une vie normale après un placement pendant l’enfance 9. Ces stéréotypes et
opinions négatives sont largement développés dans l’ouvrage collectif dirigé par
Marguerat et Poitou10. Ces discours ont contribué à façonner une certaine
représentation négative des personnes mises en difficulté pendant l’enfance ou
l’adolescence, en particulier, celles qui sont issues des placements institutionnels. Ces
structures ne s’occuperaient pas suffisamment de la vie future des adolescents 11. Très
peu d’entre eux parvenaient à s’insérer socialement après leur placement. La plupart
des jeunes faisait état d’un sentiment d’abandon à la sortie du placement pouvant les
conduire à nouveau à s’engager rapidement dans des logiques marginales de vie. Les
objectifs essentiels de l’Éducation surveillée et de ses institutions de placement se
concentraient sur un travail de protection et de moralisation des
pensionnaires12internés pendant toute la durée du placement aux dépens d’une finalité
plus large orientée vers l’insertion sociale et professionnelle de l’enfant ou du jeune 13. À
l’exception de quelques études, la vie post-placement est faiblement documentée dans
la littérature africaine.
11 Des études conduites sur le devenir social des enfants de la rue en Afrique du centre et
de l’ouest ont montré que l’insertion sociale se réalise différemment selon que les
jeunes bénéficient d’une intervention sociale ou non. Sans intervention sociale, seul un
petit nombre des enfants et jeunes de la rue parvient à s’insérer socialement alors que
la grande majorité de ces jeunes développent plutôt des logiques de reproduction des
comportements de rue, de marginaux à l’âge adulte14. Avec une intervention sociale,
beaucoup de ces enfants et jeunes s’insèrent socialement, soit par leur retour en famille
d’origine, soit par une reprise scolaire, soit par une formation professionnelle, en
famille ou dans des institutions de placement15. Toutefois, de manière approfondie, les
trajectoires d’insertion sociale à moyen et long terme de ces jeunes sont restées très
peu explorées.
12 Les études successives de Moustassem-Moumouni16 sur l’insertion sociale des jeunes
anciennement placés en famille d’accueil ou en institution socio-éducative, dans le
contexte algérien, apportent un éclairage sur les questions du devenir social après des
évènements traumatiques pendant l’enfance. En effet, les enfants qui ont été placés en
famille d’accueil semblent mieux insérés que ceux placés en institution, à leur entrée
dans l’âge adulte, sur le plan socio-relationnel, socio-professionnel et socio-résidentiel.
Cependant, la comparaison en termes d’insertion sociale de ces deux publics (placés en
famille ou en institution) soulève des questionnements. En effet, les publics d’enfants

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accueillis en famille sont relativement plus jeunes et n’ont pas toujours déclaré de
problèmes personnels, alors que les jeunes accueillis dans les institutions sont supposés
être en âge avancé et connaissent plus ou moins des difficultés d’insertion sociale.

Des actions de protection inachevées, des devenirs


sociaux incertains
13 Le district de Bamako concentre 55,3 % de la population urbaine du Mali. Son taux
d’accroissement démographique de 5,4 % est parmi les plus élevés des centres urbains
africains17. De 800 000 habitants en 1992, Bamako compte déjà en 2009 près de 2 000 000
habitants18. Cette population est très jeune : 15,3 % ont moins de 5 ans, 37,5 % ont moins
de 15 ans, et 48,1 % ont moins de 18 ans. La prise en charge de ce nombre important
d’enfants en matière d’alimentation, d’éducation, de santé est rendue difficile par
l’extension de la couverture de pauvreté19. En effet, cette extension est marquée par
l’entrée de nouvelles couches sociales dans la pauvreté et dans l’extrême pauvreté.
Jadis, les pauvres urbains étaient des populations rurales venues s’y installer, mais
depuis quelques décennies et à la suite des fameux plans d’ajustement structurel (PAS),
Bamako a produit une classe de pauvres, citadins de naissance, à l’instar d’autres
agglomérations africaines comme Dakar20. Cette situation s’est aggravée à la suite de la
dévaluation du franc CFA en 1994. Cette pauvreté grandissante affaiblit les réseaux
traditionnels de solidarité qui intégraient socialement beaucoup d’enfants et de jeunes
tendant vers la marginalité.
14 Les enfants et les jeunes sans grande attache familiale augmentent, envahissent les rues
et font monter le sentiment d’insécurité. La protection de ces enfants et jeunes devient
alors une nécessité impérieuse pour les pouvoirs publics et la société civile plus portés
aux respects des droits des enfants. Au Mali, les pouvoirs publics, dans le cadre global
de la politique de décentralisation, ont délégué la gestion des services de protection
sociale, y compris ceux de l’enfance et de la jeunesse aux collectivités décentralisées.
Cette tendance s’est traduite par une faible présence de l’État en termes de conception
et de réalisation de politiques sociales en faveur des jeunes et de construction
d’infrastructures d’accueil et d’hébergement résidentiel pour les jeunes en difficulté.
15 Dans le district de Bamako, les structures publiques adaptées pour l’accueil et la
rééducation des enfants et des jeunes en difficulté sont très insuffisantes (un centre
pour garçons et un centre pour filles, tous sur le site de Bollé, deux centres 21 de
placement familial pour enfants abandonnés) bien que les besoins dans ce domaine
soient très importants22. En outre, un service AEMO23 relevant de la mairie centrale du
district de Bamako assure des interventions socioéducatives en milieu ouvert. Toutes
les autres structures sont privées, créées et gérées par des ONG et des associations
nationales ou internationales. On peut dénombrer huit centres d’écoute et
d’orientation, six centres de formation et initiation professionnelle pour enfants et
jeunes, un foyer pour jeunes Village SOS, enfin un nombre important d’établissements
privés d’accueil et d’insertion sociale des enfants en situation difficile. Les associations
et les ONG, très actives dans ce domaine, pallient en quelque sorte les insuffisances et
déficiences de l’action sociale publique en matière de protection sociale de l’enfance et
de la jeunesse. Elles offrent, à cet effet, un entrelacs de structures, d’internats et de
foyers plus ou moins ouverts, qui s’insèrent progressivement au sein d’un dispositif de

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décentralisation et de territorialisation de la prise en charge de l’enfance et de la


jeunesse en difficulté.
16 De manière générale, les collectivités décentralisées ont manifesté très peu d’intérêt au
développement de la protection sociale des enfants et des jeunes. Les structures
héritées du pouvoir central sont la plupart dans une situation de désuétude ou
certaines d’entre elles, ne pouvant plus jouer leur rôle, ont fermé leurs portes. Le
contrôle des services étatiques (administration et justice) sur ces nombreux
établissements privés n’est pas assuré de manière régulière. Les relations entre les
établissements ne sont pas suffisamment soutenues au point que de nombreux enfants
transitent par différents centres d’accueil en recherche de meilleures conditions.
17 Une autre spécificité est la grande variation des programmes et des méthodes de prise
en charge d’un établissement à l’autre. Presque chaque établissement développe son
programme et l’exécute sans rendre compte à une quelconque autorité hiérarchique
publique. Le ministère de la Justice, représenté par le juge des enfants, est faiblement
impliqué dans la gestion de ces structures d’accueil et d’hébergement qui se
développent et se diversifient dans les quartiers périphériques sensibles de la capitale.
Beaucoup d’institutions sont dites spontanées, elles n’ont pas de reconnaissance
publique. Celles qui sont reconnues d’utilité publique accueillent des enfants et des
jeunes sans constitution de dossier judiciaire. Ces modes de gestion de type informel
n’augurent pas une bonne préparation à l’insertion sociale des enfants et jeunes
accueillis.
18 Dans une étude récente, Kéita24 a dénombré plus de 70 institutions sociales pour
enfants et jeunes dans le district de Bamako. Beaucoup d’entre elles s’occupent de
jeunes enfants déshérités, orphelins ou abandonnés, ou encore de parents très pauvres.
Elles leur offrent une inscription scolaire, ou une reprise scolaire et assurent leur
hébergement, leur entretien, et leur alimentation. D’autres accueillent des adolescents
ou des jeunes plus âgés en difficulté sociale, malades, incapables le plus souvent
d’assurer leur subsistance et leur offrent les services d’hébergement et d’entretien en
plus d’une formation professionnelle, soit en continuité avec ce que les jeunes faisaient,
ou en formation initiale. Bien d’autres structures accueillent ces deux publics (petits et
grands) dans une sorte de brassage communautaire tout en maintenant des espaces
pour les plus petits et des espaces pour les plus grands. Les plus grandes institutions de
protection disposent d’une structure pour les garçons, une autre pour les filles. Dans
ces conditions, il n’y a pas de spécialisation de la prise en charge. Et plus de 15 000
enfants et jeunes transitent annuellement par ces structures d’accueil et
d’hébergement25. Le graphique ci-dessous indique l’évolution exponentielle des chiffres
concernant les jeunes encadrés dans le district de Bamako.

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Graphique n° 1 : Nombre de jeunes encadrés, par année, dans le district de Bamako

Sources : CNDIFE26, 2012

19 Dans cette situation, comme le montrent les enquêtes exploratoires, la question des
éducateurs spécialisés se pose avec acuité. En effet, les éducateurs sont recrutés sans
formation initiale qualifiée. On sait que le pays ne dispose pas de structure de
formation d’éducateurs spécialisés, alors les travailleurs dans ces institutions de
protection sociale sont des jeunes diplômés sortis de l’université ou des grandes écoles.
Les techniciens sortis de l’institut national de formation des travailleurs sociaux
(INFTS) sont très rarement recrutés dans ce secteur27. Sans formation initiale en travail
social, ces éducateurs travaillent auprès des jeunes accueillis et les préparent à leur
insertion sociale. Une autre difficulté est la rémunération et le plan de carrière de ces
travailleurs sociaux. Travail faiblement attractif, au regard d’un fort taux d’abandon,
les institutions sociales privées et associatives enregistrent une forte mobilité du
personnel, selon les témoignages de beaucoup de travailleurs sociaux rencontrés dans
la phase exploratoire.
20 Les travailleurs sociaux connaitraient les plus faibles salaires au regard de leurs
diplômes et souvent des retards de salaire qui les forceraient à décrocher. Interrogés en
phase exploratoire sur les aides que les travailleurs apportent aux jeunes pour faciliter
leur insertion sociale, un d’entre eux, nous confie de manière ironique : « nous-mêmes,
nous sommes en difficulté de survie, comment pouvons-nous aider mieux les jeunes en
difficulté que nous accueillons dans les établissements ? ». Une autre des raisons de la
précarisation des emplois dans le secteur associatif ou d’ONG est tributaire de la
provenance et du mode de mobilisation des ressources financières. Beaucoup
d’associations et d’ONG dans le secteur de la protection de l’enfance et de l’adolescence
utilisent des ressources qu’elles mobilisent auprès de leurs partenaires. Dès que les
financements se raréfient, les pertes d’emploi s’en suivent le plus souvent.

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21 Cette double situation, d’un côté l’explosion d’institutions de protection sociale des
jeunes et le recrutement de personnel socioéducatif non professionnel, dans la plupart
des cas, présument des difficultés de resocialisation des jeunes placés de l’autre,
l’insuffisance des programmes d’accompagnement à l’insertion sociale après le
placement accroit l’incertitude autour du devenir social de ces jeunes.
22 La protection sociale de l’enfance en difficulté ne se poursuit pas au-delà de 18 ans
révolus. Il semble que les associations et les ONG peinent à convaincre et obtenir des
financements en vue d’accompagner les jeunes à la fin de leur prise en charge
institutionnelle. Cette absence de soutien à l’insertion sociale constitue le maillon faible
du dispositif de protection sociale l’enfance. Parfois, les programmes
d’accompagnement, s’ils existent, on des promoteurs différents de ceux des
établissements de placement, et le risque d’une discontinuité est alors élevé dans la
prise en charge entre la période de placement et la période post-placement. Dans ces
conditions générales de prise en charge, on peut s’interroger sur : quels sont les
niveaux d’insertion à leur entrée dans l’âge adulte ? Comment les jeunes négocient-ils
leurs trajectoires d’insertion sociale ? Quels sont les obstacles qu’ils affrontent dans le
processus d’insertion sociale ? Et quels sont leurs recours possibles ?
23 S’il existe très d’écrits scientifiques sur les trajectoires post-placement des jeunes dans
le contexte malien, les connaissances et les expériences des ONG comme Enda Tiers
Monde/Mali, Bureau International Catholique pour l’Enfance (BICE), contenues dans les
rapports restent des sources importantes pour comprendre les difficultés de ces jeunes.
En effet, le rapport ENDA MONDE/ MALI28 montre que les activités de formation-emploi
ont concerné 433 jeunes privés de liberté dont 204 garçons et 209 filles, 310 enfants et
jeunes en rupture familiale et sociale dont 204 garçons et 106 filles, 743 jeunes mis en
apprentissage dans les ateliers de la ville de Bamako dont 171 garçons et 572 filles,
enfin 50 jeunes en fin de formation installés à leur propre compte dont 15 garçons et 35
filles. Bien que cette expérience soit innovante, le devenir de ces jeunes accompagnés à
l’insertion sociale est peu connu. Nous ignorons comment ils évoluent sans l’assistance
de cette ONG.

Méthodes de recherche
24 Dans le cadre de cet article, nous avons choisi une démarche essentiellement
qualitative fondée sur des entretiens biographiques. La composition du corpus et les
techniques d’analyse sont succinctement explicitées.

Constitution du corpus

25 Les jeunes avec lesquels nous avons eu des entretiens ont été choisis en fonction de
certains critères qu’il convient de rappeler. En effet, il y a eu trois critères d’intégration
des jeunes dans l’échantillon. Le premier concerne la durée dans le placement. Pour
intégrer l’échantillon, les jeunes devraient avoir passé au moins six mois
consécutivement de placement pendant l’enfance. Ainsi, par ce choix, on excluait les
jeunes qui sortaient de manière très précipitée des établissements de placement sans y
acquérir quelques compétences et une sorte de stabilité. De même, les jeunes devraient
être sortis du placement depuis au moins deux ans et avoir atteint l’âge de la majorité
révolue à 18 ans. Par cette discrimination, il s’agit de connaitre les faits, les situations,

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les difficultés ainsi que les solutions trouvées ou envisagées pour les surmonter dans la
phase qui suit immédiatement la sortie du placement. À cet effet, on a choisi une durée
minimale de deux ans pour observer les niveaux d’insertion sociale. Un troisième
critère excluait les jeunes dont les dossiers n’ont pas été retrouvés dans les
établissements de leur placement. Le système d’archivage étant bien récent, beaucoup
d’établissements de placement ne disposent pas de dossiers pour l’ensemble des
anciens pensionnaires. Alors, dès lors que le dossier de placement et les éléments qui le
composent ne sont pas retrouvés, le jeune n’intègre pas l’échantillon.
26 Sur la base des critères discriminatoires cités, nous avons identifié les premiers jeunes
rencontrés avec le concours des éducateurs. En effet, beaucoup d’éducateurs en service
dans les établissements de placement entretiennent des relations avec les anciens
pensionnaires. Ainsi, les premiers jeunes identifiés, comme sous forme d’effet boule de
neige, ont permis d’identifier et de retrouver d’autres jeunes de la même promotion de
placement. Si les premiers jeunes ont été identifiés avec l’aide des éducateurs,
beaucoup d’autres sont rencontrés sans lien direct avec leurs anciens éducateurs. Nous
sommes ainsi parvenus à rencontrer physiquement 80 anciens pensionnaires et à
effectuer auprès d’eux des entretiens biographiques axés sur trois périodes
importantes de leur vie : la période précédant le placement, la période du placement, et
la période post-placement. La population de référence est difficile à estimer étant
donné que beaucoup d’établissements de placement n’établissent pas de statistiques, ou
ne les mettent pas à jour régulièrement.

Le mode de constitution des histoires de vie

27 Deux sources de données ont été utilisées pour reconstituer les histoires de vie des
jeunes rencontrés. La première, d’ordre épidémiologique, a consisté à la collecte
d’informations sur les dossiers archivés dans les établissements de placement,
notamment celles contenues dans les écrits professionnels. Elle concerne les enquêtes
sociales effectuées et les rapports périodiques de suivi de comportement des jeunes
adressés aux juges pendant leur placement (les jeunes provenant des établissements
publics disposent généralement d’un dossier auprès du tribunal pour enfants, les
autres, et ce sont les plus nombreux, n’y sont pas signalés). Ces informations recoupent
la situation antérieure au placement, la période du placement et les modes de sortie du
placement. La deuxième source concerne les entretiens directs effectués auprès des
anciens pensionnaires. Les informations sont collectées suivant la narration que les
jeunes font de leur trajectoire de vie, notamment de leurs itinéraires depuis leur sortie
des établissements de placement. Les histoires de vie sont reconstruites en couplant ces
deux sources. Ces histoires de vie donnent certes une image réduite de l’ensemble des
trajectoires considérées des jeunes, mais elles fournissent suffisamment d’informations
susceptibles de renseigner assez fidèlement sur leurs trajectoires.

Mode de traitement des données

28 Nous avons construit une grille d’analyse articulée sur une échelle de mesure du niveau
d’insertion sociale à partir des informations contenues dans les histoires de vie
construites. Le tableau suivant condense les informations contenues dans la grille.

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Tableau 1 : les variables, les dimensions et leurs indicateurs

Variables Dimensions Indicateurs

Relation avec les parents ou leurs substituts

Insertion familiale Mariage, maternité, enfants

Relation avec la fratrie restreinte et élargie

Relations avec l’entourage


Insertion socio-
relationnelle Relations avec le groupe de pairs
Insertion sociale
Relations amoureuses
Mariage

Membre d’association
Participation sociale Pratique sportive
Possession carte d’identité, carte d’électeur

Emploi secteur Auto emploi, employé, type d’emploi


informel Gains, salaires
Insertion socio Lien entre formation et emploi
professionnelle Durée dans l’emploi
Emploi secteur formel
Relations sociales dans l’emploi
Chômage/sans emploi

Quartier de résidence Centre, périurbain, périphérique

Chez des parents (autre personne), en location


Insertion socio
(individuelle, en groupe), coût de la location,
résidentielle Type de contrat de
logement
1er logement ; 2e logement ; 3e logement
Durée dans le logement (nombre d’année)

Amour pour soi, pour la vie, pour les autres


Regard sur soi, réussite et échecs, sur trajectoire
Estime de soi Appréciation des autres sur soi (valorisation ou
dévalorisation) image de soi dans le regard des
Insertion socio autres
psychologique
Projection réaliste /peu et pas
Capacité à se projeter Place de soi et des autres dans la projection
dans l’avenir Capacité de construire la projection (dimension
cognitive)

29 Ainsi, chaque dimension de la grille d’analyse de l’insertion sociale des jeunes, une
échelle nominale ordinale et numérique est associée ainsi qu’il suit : totalement inséré
(5 points), inséré (4 points), moyennement inséré (3 points), faiblement inséré (2

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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points), très faiblement inséré (1 point), pas du tout inséré (0 point). Ces échelles ont
permis de qualifier le niveau de l’insertion sociale au moment des enquêtes. Ainsi,
parle-t-on de dimension statique ou synchronique de l’insertion sociale. La dimension
diachronique dite dynamique vient s’y greffer pour traduire la notion de trajectoire. Il
s’agit de lire tous les éléments composant la vie du jeune et de mettre en lien les
différentes positions des lignes biographiques en vue d’explorer les logiques, les
cohérences sous-jacentes qui les unissent.
30 Le croisement de l’ensemble de ces informations, collectées au niveau des quatre
dimensions, a permis de connaître les niveaux d’insertion sociale atteint et le
cheminement qui y a abouti. Cet exercice a également favorisé une analyse verticale et
transversale, aboutissant à la définition des itinéraires des trajectoires d’insertion
sociale des jeunes.
31 Les données ont été analysées selon deux perspectives : la première a consisté à
déterminer les seuils d’insertion sociale à partir des renseignements issus de la grille
d’analyse. Ensuite la seconde perspective a été d’identifier les éléments de l’itinéraire
selon un axe à la fois vertical et horizontal. L’analyse verticale des histoires de vie a mis
les différents moments en relations : il s’agit de la période de l’enfance, du placement,
et celle qui lui succède, appelée l’entrée dans la vie adulte. Chaque histoire de vie est
ainsi analysée séparément, puis conjointement avec les histoires de vie de sa classe
d’appartenance. L’analyse horizontale a consisté en la mise en relation d’éléments
contenus dans les histoires de vie composant chaque trajectoire instituée, puis de
croiser les différents événements enregistrés à des étapes similaires à travers les récits
constitués. Cette double opération heuristique a permis d’observer les trajectoires
individuelles puis les trajectoires collectives au sein des types dégagés. La typologie des
trajectoires constituées devient alors les résultats de diverses opérations effectuées
pour saisir à la fois leur caractère global et singulier. Les logiques et les stratégies
définies et associées aux trajectoires sont décryptées, puis mises en lien par
rapprochement ou par contigüité. Les résultats et les discussions qui suivent sont donc
élaborés de manière progressive et interactive.

Analyse des résultats


Présentation des profils d’insertion sociale

32 Nous avons décliné les profils d’insertion des jeunes en termes de trajectoire. La
trajectoire est un outil analytique qui permet de dépasser une lecture statique de la
situation des jeunes au regard des positions et des statuts qu’ils occupent au moment
des enquêtes. Elle permet de saisir la dynamique des différentes lignes biographiques et
les relations qui les traversent. La notion de trajectoire convient pour saisir le caractère
global et multidimensionnel de l’insertion sociale : socio-relationnelle,
socioprofessionnelle, socio-résidentielle, socio-psychologique. Appliqué aux sciences
humaines et sociales, ce concept de « trajectoire » désigne l’étude des différentes
positions successives occupées par un individu au cours du temps 29, des choix qu’il
effectue au milieu des possibilités qui s’offrent à lui 30. Ainsi, la lecture à la fois
subjective et objective des histoires de vie a permis de construire quatre trajectoires
d’insertion sociale présentées dans le tableau ci-dessus.

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Tableau n° 2 : Répartition des jeunes selon le sexe et le profil d’insertion

Genre Stable N. stable Précaires A risque Total

Filles 8 8 8 6 30

Garçons 14 16 14 6 50

Total 22 24 22 12 80

33 Ce tableau montre que 22 jeunes sur 80 sont classés dans la catégorie des « insérés
stables », 24 sur 80 sont dans la catégorie des « non stables », 22 sur 80 dans la catégorie
des « insérés précaires » et enfin 12/80 sont classés dans la catégorie des « insérés à
risque ». Au point de vue « genre », nous pouvons observer 8 sur 22 jeunes femmes
contre 14 sur 22 jeunes hommes dans la catégorie « insérés stables », ce qui en toute
évidence, montre qu’il n’y a pas de grandes différences entre les hommes et les femmes
en termes d’insertion sociale après un placement à l’enfance. De même, sur les 12
jeunes de la catégorie « insérés à risque », il y a autant de jeunes hommes que de jeunes
femmes. Même si ce rapprochement est dû en partie au mode d’échantillonnage
raisonné, il faut noter que très peu d’indicateurs différencient les trajectoires des
jeunes rencontrés selon le genre.

Construction des trajectoires d’insertion sociale

34 À la suite des opérations d’analyse de contenu effectuées, quatre trajectoires


d’insertion sociale ont été définies. En effet, chaque catégorie construite est un
dénominateur commun pouvant regrouper plusieurs trajectoires d’insertion des jeunes
rencontrés. Il est vrai que les frontières entre ces catégories ne sont pas toujours
étanches, les jeunes pouvant passer d’une catégorie à l’autre dans leur évolution post
placement. Nous avons retenu globalement deux profils d’insertion sociale en relation
avec la situation présente des jeunes rencontrés : le profil des « insérés stables » et le
profil des « insérés précaires ». Le profil « insérés stables » regroupe tous les jeunes
ayant un niveau socio-relationnel, socio-professionnel, socio-résidentiel et socio-
psychologique satisfaisant à partir de la grille de lecture ou l’échelle construite
préalablement. Et de l’autre côté, les « insérés précaires » regroupe les autres jeunes,
n’ayant pas un niveau satisfaisant à chacune des variables ci-dessus citées. Puis les
analyses se sont orientées sur les trajectoires ou processus qui ont conduit à ces deux
profils d’insertion.
35 L’analyse de ces trajectoires prend en compte cette fois-ci, non pas seulement le niveau
d’insertion sociale atteint au moment des enquêtes, mais rend compte de toute la
trajectoire d’insertion post-placement des jeunes. À cette fin, les profils ont été éclatés
chacun en deux sous catégories, ainsi les concepts de « trajectoire continue » et de
« trajectoire discontinue » ont permis de dissocier les « insérés stables ». Ces deux
notions « continue et discontinue » traduisent les caractéristiques du cheminement,
l’itinéraire d’insertion sociale post-placement des jeunes rencontrés. La notion
« continue », empruntée au champ de la géométrie, désigne le fait de s’élever
progressivement vers le haut. Elle traduit un cheminement ascendant vers le haut, en
cela, elle désigne les trajectoires post placement des jeunes qui ont évolué

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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progressivement et de manière ininterrompue vers la situation dans laquelle ils se


trouvent au moment des enquêtes. La trajectoire continue désigne une insertion sociale
linéaire, rectiligne et ascendante. À l’opposé, la notion « trajectoire discontinue »
désigne les évolutions dans les trajectoires d’insertion non linéaires, notamment celles
marquées par des va-et-vient entre une situation stable et une situation moins stable.
Cette notion traduit une trajectoire en dents de scie. Ainsi, les « insérés stables à
trajectoire continue » se différencient des « insérés stables à trajectoire discontinue »
par la nature de leur cheminement d’insertion sociale.
36 La dissociation des jeunes à « trajectoire d’insertion sociale précaire » s’est opérée
selon le même schéma d’analyse. En effet, les jeunes « insérés à trajectoire précaire ou
descendante » regroupent les jeunes qui n’ont pas connu de moments de stabilité
depuis leur sortie du placement, au regard des variables : socio-relationnelle, socio-
professionnelle, socio-résidentielle et socio-psychologique dans leur trajectoire
d’insertion sociale. Toutefois, la répartition en sous-catégorie s’est avérée pertinente eu
égard à la différence des comportements individuels des jeunes et de la gravité des
situations de précarité. En effet, les « insérés à trajectoire précaire et à risque »
constituent la sous-catégorie des « insérés précaires ». Celle-ci se dissocie des
trajectoires précaires simples par l’adoption de comportements à risque, menaçant leur
santé, leur sécurité et celles de leur milieu social. Ces comportements les mettent
souvent en situation de conflit avec leur entourage social. Alors que les jeunes insérés à
trajectoire précaire semblent subir leur situation ou chercher à l’améliorer par des
choix socialement acceptés, les insérés à risque choisissent des voies détournées,
marginales pour s’en sortir.

Les insérés socialement stables à trajectoire continue

37 Les insérés stables à trajectoire ascendante concernent 22 jeunes sur 80. Après leur
sortie, ils ont évolué progressivement vers la stabilisation de leurs relations familiales
et sociales en même temps qu’ils sont parvenus à obtenir un emploi, ou un stage
conduisant à un emploi stable. Ces insérés socialement stables sont nombreux à avoir
été placés sans rupture des liens familiaux et les ont maintenus pendant la durée de
placement. Leur retour en famille d’avant placement se réalise apparemment sans
difficulté même s’ils n’assument pas de nouvelles responsabilités en son sein. Revenus
dans leurs familles d’origine (familles des parents ou familles de confiage), la plupart
rétablit les anciens liens avec leur entourage immédiat facilitant ainsi leur
réintégration sociale :
« À la fin de mon placement, je suis revenu dans la famille et j’ai continué ma
formation professionnelle dans un atelier du quartier, cela m’a beaucoup aidé […]
les gens ont compris que je ne suis pas un bandit ou bien que mes comportements
étaient plutôt liés à l’enfance, maintenant, ça va, tout le monde me respecte et je
gagne comme je peux ma vie ». (Extrait de l’histoire de vie de Daou 31, inséré stable,
25 ans).
38 Une troisième caractéristique socio-relationnelle de cette catégorie des insérés stables
à trajectoire continue est la mise en couple. Les jeunes filles qui arrivent à se constituer
un foyer conjugal rapidement à leur sortie et deviennent mère réussissent facilement
leur insertion sociale, le plus souvent en tant que femme de ménage.
39 Ce profil se distingue également par la relation entre formation et emploi, ces jeunes
exercent les métiers qu’ils ont appris lors de leur placement. Ils obtiennent des emplois

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relativement stables depuis leur sortie de placement. Les propos extraits de l’histoire
de vie de Papus, inséré stable, 27 ans, attestent cette stabilisation dans l’emploi :
« […] depuis que je suis sorti du placement, je travaille dans cet atelier, bon, je ne
gagne pas beaucoup, mais je fais ce que j’ai appris pendant toute l’enfance, j’ai
commencé à travailler ici avant de sortir, mais maintenant on me donne un peu
d’argent pour mes besoins, mais c’est très insuffisant. […] »
40 Le statut et la stabilité dans la résidence constituent une différence entre ces jeunes et
les autres. En effet, les jeunes de cette sous-catégorie sont restés dans la même
résidence depuis leur sortie. Même s’ils n’ont pas tous acquis l’autonomie financière et
résidentielle, ils sont dans des logiques favorables à leur acquisition. La plupart de ces
jeunes sont encore dans des logements parentaux ou chez leurs maris. A cet effet, ils
témoignent d’une certaine stabilité même si celle-ci ne signifie pas autonomisation.
Beaucoup de jeunes de leur âge dans la population sont également dans les résidences
de leurs parents. Toutefois, l’autonomisation dans le logement parental s’acquiert par
l’acquisition d’une chambre individuelle et son équipement par les soins du jeune, lui-
même. Ainsi, on comprend bien que ces jeunes ont acquis souvent une chambre
individuelle et ont participé à son équipement. La situation de Sédric, âgé de 27 ans,
inséré stable, est un exemple qui cristallise ces caractéristiques. Il dispose d’une
chambre individuelle chez son oncle dans un quartier de la périphérie de Bamako :
« Depuis que j’ai quitté le centre, je suis chez mon oncle et je suis seul dans la
chambre […], je me débrouille à l’équiper petit à petit. Comme je ne gagne pas
beaucoup, ma chambre a un téléviseur et une petite armoire et mon lit. C’est tout,
pas autre chose […] ».
41 Au plan socio-psychologique, les jeunes de cette catégorie se distinguent des autres par
une assez bonne image de soi, couplée d’une bonne capacité de projection dans l’avenir.
Ces qualités augurent non seulement le maintien de leur statut d’insertion sociale
stable mais aussi son renforcement. L’exemple de ce jeune homme illustre le prototype
de la trajectoire continue et stable en ce qui concerne l’image de soi :
« Maintenant, j’ai 25 ans, donc je suis majeur et je travaille […] Maintenant, je suis
bien formé à la vie. L’internat forme bien les enfants à l’endurance et à apprendre à
se débrouiller tout seul, c’est cela son avantage. Je dois ma situation actuelle à mes
éducateurs qui s’étaient bien occupés de moi pendant les années de mon
internement, ils m’ont considéré comme leur fils, cela a beaucoup facilité les choses
pour moi. Je dois aussi cette situation à mes parents, qui, c’est vrai m’ont placé,
mais ils se sont bien occupés de moi. Je crois que l’internat ne doit pas être
considéré comme une prison comme les gens pensent. Maintenant, les gens me
prennent comme un modèle de réussite, cela aussi m’encourage à aller de l’avant.
Tout le monde trouve que je suis bien, je travaille bien et je n’ai pas de problème de
comportement. Tout cela me pousse à me surpasser pour continuer à mériter les
estimes des gens ». (Extrait du récit de vie de Brin, 25 ans)

Les insérés stables à trajectoire discontinue

42 Les insérés stables à trajectoire discontinue sont au nombre de 24 sur 80 jeunes.


Numériquement plus importants, ils ont des trajectoires en dents de scie se terminant
par une sorte de stabilisation, non seulement de leurs relations sociales et familiales, au
départ souvent très heurtées, mais aussi par le maintien en emploi pendant une durée
plus ou moins longue. On constate que beaucoup d’entre eux n’ont pas leurs familles
d’origine à Bamako et sont en décohabitation familiale plus ou moins prolongée bien
avant leur placement. Ils n’avaient pas toujours de bons rapports avec leurs familles

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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d’origine, puis, leur séjour de placement n’a pas toujours permis de rétablir les liens
avec la famille ou avec les personnes qui détiennent l’autorité de la famille. L’histoire
de Lala, jeune femme de 26 ans, insérée non stable, montre les relations difficiles avec
les familles d’affiliation :
« Je suis une fille confiée au grand frère de mon père depuis à l’âge de 4 ans […] Mes
parents m’avaient renvoyée de la famille à la suite d’une grossesse que j’ai attrapée
[…] A ma sortie du centre de Bollé, je n’ai pas voulu aller habiter encore dans leur
famille, je me suis débrouillée et j’ai loué avec une autre femme une chambre […],
oh nous on cherche des chambres moins chères, nous ne pouvons pas être
stables… ».
43 Ces jeunes se distinguent également du premier sous-groupe par leur double instabilité
résidentielle et professionnelle tout au long de leurs trajectoires. Ils connaissent
beaucoup de logements dans des quartiers différents mais ils ont aussi exercé beaucoup
de petits métiers pour joindre comme on dit « les deux bouts ». Si nombre d’entre eux
sont, au moment des enquêtes, dans des positions de stabilisation relative au niveau
socio-relationnel, socio-professionnel et parfois résidentiel, ils restent confrontés à des
difficultés liées notamment à leurs trajectoires passées de placement, fragilisant la
durabilité de leurs relations sociales. Ils sont dans une position intermédiaire, en cela,
ils peuvent évoluer positivement et atteindre le niveau d’insertion sociale du premier
groupe comme ils peuvent également évoluer négativement pour faire partie de la
catégorie immédiatement inférieure, celle des insérés socialement précaires.
44 La situation d’emploi de ces jeunes est marquée par le faible lien entre le travail et
l’apprentissage effectué pendant le placement ainsi que la durée dans les emplois. La
plupart de ces jeunes effectue des petits métiers ne nécessitant pas un long
apprentissage. Très peu rémunérés et socialement peu valorisés, leurs emplois ne leur
procurent que de faibles revenus qui couvrent difficilement les besoins d’une
quelconque autonomisation. Le jeune Oussou, 26 ans, inséré non stable, est devenu tour
à tour, depuis sa sortie du placement pendant lequel il a appris la menuiserie
métallique, domestique, gardien de magasin, puis apprenti chauffeur :
« Moi, je n’ai pas de travail précis, je fais un peu de tout, car je n’ai pas fait l’école,
on fait ce que l’on trouve […] j’ai fait la menuiserie métallique, mais depuis ma
sortie, je ne trouve pas ce travail et je ne peux pas rester un apprenti toujours chez
mon patron, il me faut me débrouiller maintenant ».
45 Les jeunes qui composent cette catégorie sont dans une position intermédiaire. Ils
peuvent évoluer positivement et se stabiliser durablement, comme leur situation peut
également se dégrader, les amenant ainsi dans la catégorie inférieure. Parfois,
l’instabilité de certains d’entre eux n’a pas permis un apprentissage professionnel
abouti, mais même bien formés, ces jeunes peinent souvent à s’insérer par le biais du
métier appris, faute d’accompagnement et d’équipement de base.

Les insérés socialement précaires

46 Les insérés à trajectoire précaire concernent 20 sur 80 jeunes dont les parcours, certes
hétéroclites, se trouvent au moment de l’enquête dans des positions marginales plus ou
moins prononcées. Ils se distinguent des jeunes de la catégorie précédente par des
attaches sociales fugitives, manquant de durabilité, des relations sociales peu
significatives, peu soutenantes. Leurs relations avec leurs familles d’affiliation sont
rompues, ou très affaiblies. Ils sont, en outre, dans des réseaux sociaux très précaires

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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qui parfois favorisent leur marginalisation sociale. Ils recrutent leurs amis parmi les
groupes de pairs, anciens co-pensionnaires ou s’adonnant à des activités peu licites.
47 Les jeunes insérés précaires connaissent un sentiment d’isolement social plus élevé et
une vulnérabilité socio-relationnelle plus prononcée, en l’occurrence la distanciation
des liens familiaux et des réseaux sociaux de proximité. Leurs relations amicales sont
généralement peu étendues, pauvres et éphémères. La participation sociale est presque
nulle chez nombre de ces insérés précaires qui sont faiblement intégrés à la vie sociale
et civique. Ces jeunes évoluent sans grande attache familiale et sociale.
48 À cette faiblesse du lien social, s’ajoute des difficultés d’accéder à des emplois et à les
maintenir durablement. En effet, les insérés précaires ne disposent pas d’une
quelconque qualification professionnelle. Le plus souvent, ils ont abandonné les
formations qu’ils ont entamées sans les achever. Le placement de beaucoup d’entre eux
n’est pas arrivé à terme, ils sont ainsi sortis souvent par fugue et témoignent de grande
difficulté à s’initier à un métier. S’ils sont en emploi, ils occupent des postes qui ne
nécessitent pas un long apprentissage comme le poste de « vigile », de manœuvre et
assimilés. De même, ces jeunes connaissent une grande instabilité dans les emplois
précaires qu’ils obtiennent. Des courtes périodes de travail succèdent de longues
périodes d’inactivité.
49 Les jeunes de cette catégorie sont socialement et professionnellement pauvres. Très
peu formés à l’exercice d’un métier quelconque, leur soutien réticulaire, très peu
étendu, ne leur profite pas. Les loisirs sont presque inexistants et la vie associative est
totalement absente. Les trajectoires des jeunes de cette catégorie se caractérisent par,
outre leur triple instabilité (résidentielle, relationnelle, professionnelle), la dégradation
plus ou moins de leur image de soi. Ils attribuent leurs situations précaires aux autres,
principalement à leurs parents, aux institutions de placements et à la cruauté des
hommes et s’inscrivent dans une logique de victimisation. Dans cette perspective, ils ne
témoignent pas d’une grande capacité de résilience. Leur instabilité résidentielle se
manifeste par un défaut de sentiment d’appartenance à un quartier, à un
environnement social précis. Ils sont le plus souvent logés chez des tierces personnes
(amis, parents) et changent de domicile régulièrement.
50 Sur le plan socio-psychologique, ils présentent une image de soi « victimisée » marquée
par l’absence, le manque ; ce qui ne facilite pas toujours la construction d’un bon
rapport à soi et aux autres chez ces jeunes. Il en découle un sentiment de faible valeur
de soi chez les précaires et une résistance à se projeter dans l’avenir, s’en remettant le
plus souvent à Dieu ou bien lui attribuant l’essentiel de la destinée. L’absence de projet
de vie mobilisateur chez les précaires affaiblit également leurs capacités à se projeter
dans le futur. Ils sont plus portés à accuser les autres d’être responsables de leurs
situations sociales, de leurs insuccès, notamment les parents au cours de leur enfance,
les éducateurs au cours de leur placement, et les individus qu’ils rencontrent. Certains
d’entre eux souffrent psychologiquement lorsque les gens les tiennent responsables de
leurs échecs et par conséquent, ils fuient les milieux où les gens essaient de les
mobiliser à nouveau pour des projets de vie. Ils ne se sentent pas capables de réussir. Si
certains expriment les besoins d’une aide sociale, ils ne savent pas toujours comment
ils peuvent mobiliser à nouveau les individus qui les ont souvent tant aidés. Quelques
jeunes de cette catégorie montrent toutefois de l’intérêt à se projeter dans l’avenir.
Mais, leurs projections manquent très souvent de réalisme. Ils ne se donnent pas dans
leurs projections un rôle important, ils confèrent aux autres parents, amis, patrons, le

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rôle essentiel dans leurs projets d’avenir. Parfois, leur longue durée de placement n’a
pas permis le développement du sentiment d’autonomie, d’indépendance nécessaire à
leur insertion sociale. L’histoire de Nafi, 25 ans, insérée précaire, montre combien les
jeunes de cette catégorie ont une faible de soi image :
« […] Moi, je suis une fille rejetée, rejetée par tout le monde, mes parents et puis les
autres, comment faire, personne ne m’aide à m’en sortir, je dois trouver seule un
chemin, ça ce n’est pas facile, si je me promène pour avoir quelque chose, de quoi
manger ou avoir quelque chose, les gens disent voilà c’est une prostituée, comme
on fait ? Pas de solution. […]. »
51 La précarité de leur situation ne vient pas seulement des contraintes situationnelles ou
conjoncturelles de leur milieu de vie en termes de difficulté d’accès à l’emploi, au
logement et aux ressources socio-relationnelles de qualité, mais elle provient
également d’un déficit de confiance en soi, d’un manque de motivation, de volonté. Le
discours de Bako, 26 ans, incarne bien le modèle de projection dans l’avenir détaché
d’engagement personnel :
« […] J’ai cherché de l’aide partout, et je n’ai rien trouvé, personne ne veut m’aider
alors que sans aide, je ne peux pas faire ce que je veux. Voyez-vous, je veux bien
moderniser mes matériels de travail, les gens ne travaillent plus avec le charbon, le
blanchissage se fait de plus en plus avec des fers à repasser électriques. […]. J’ai
demandé de l’aide au centre, à présent rien, ils m’ont laissé tomber, je ne sais pas
pourquoi alors qu’ils m’ont dit qu’ils veulent m’aider. Je me rends compte que ce
sont des promesses creuses, alors qu’ils ont de l’argent, ils ne veulent pas donner
seulement, c’est tout. Je compte maintenant sur Dieu, c’est tout, si Dieu veut que je
gagne quelque chose, je vais le gagner, si Dieu veut que je ne trouve rien, je reste
comme ça, maintenant voilà comment je comprends les choses. (Extrait du récit de
vie de Bako, 26 ans).

Les insérés socialement précaires et à risque

52 Les insérés précaires et à risque constituent la dernière catégorie d’analyse, ils sont au
nombre de 12 sur les 80 jeunes de l’échantillon. Elle partage la plupart des
caractéristiques de la catégorie précédente. Elle se distingue principalement d’elle par
des formes de désengagement social se traduisant par des comportements de retrait
social. La notion de « risque » utilisée pour signifier d’une part, les dangers auxquels
ces jeunes s’exposent quotidiennement, au double point de vue sanitaire et mortel,
mais aussi les dangers qu’ils constituent pour la sécurité publique. Il s’agit donc des
risques au plan individuel et social.
53 Les relations socio-familiales sont presque inexistantes pour de nombreux jeunes
adultes de cette catégorie. Ils sont le plus souvent orphelins ou leurs parents
biologiques sont atteints de maladies mentales ou handicapantes et vivent au sein des
familles en dehors du réseau de la parenté. De même, leurs relations sociales sont
considérablement réduites. Ces jeunes s’associent à des groupes déviants ou marginaux
et développent des comportements sociaux à risque. En conflit, de manière
permanente, avec leur entourage immédiat, ces jeunes développent des
comportements à risque de différentes façons, à différents degrés, à des fréquences
variables. Les situations sociales précaires et à risque qu’ils développent vont de la mise
en danger de leur santé personnelle (consommation des produits psychotropes) à la
mise en danger de l’ordre social par des formes variées de violence. Parmi eux, il y en a
qui acceptent de subir passivement leur sort, se remettant à Dieu. Ceux-ci développent
des comportements de spiritualité et de religiosité fortement marqués. Ces propos

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extraits de l’histoire de vie de Fili, 28 ans, inséré précaire à risque, cristallisent


l’isolement socio relationnel
« Moi, tous mes parents sont décédés, je ne connais pas quelqu’un que je peux
appeler mon parent dans ce monde […]. Il y a un moment, je prenais des choses
pour retrouver la vie, mais maintenant, j’ai tout arrêté, ma vie est dans les mains du
Seigneur, c’est tout, je ne peux plus faire quelque chose, c’est fini, je suis souvent
malade et je ne peux pas me soigner, c’est fini ».
54 Du point de vue socioprofessionnel, ces jeunes sont sortis du placement sans rien
apprendre. Leur placement, entrecoupé de fugues et de retours, n’a pas permis
l’initiation à un quelconque métier. Après leur placement, ils n’ont pas acquis la culture
du travail. Les filles de cette catégorie pratiquent la prostitution, couplée au vol comme
source de revenus, tandis que certains garçons exercent des petits métiers comme
« gardiens de voiture », « serveurs dans les cabarets » ou parfois « souteneurs ». A côté
de ces petits métiers, ils ne renoncent pas au vol. Certains garçons affectionnent les
jeux de hasard et assurent leurs mises à partir des petits revenus qu’ils gagnent
quotidiennement.
55 Sur le plan socio-résidentiel, généralement ils sont sans domicile fixe. Ils dorment le
plus souvent chez des amis et changent de place de manière fréquente. Ceux d’entre
eux qui habitent toujours en famille sont malades eux-mêmes et ne bénéficient pas de
soins appropriés. Un d’entre eux est en prison au moment des enquêtes, d’autres y ont
séjourné auparavant. Sur un plan socio-psychologique, ces jeunes témoignent d’une
faible image de soi et bien souvent d’un refus de se projeter dans l’avenir sous prétexte
que l’avenir appartient à Dieu. Ces filles et ces garçons connaissent, à des proportions
variables, des situations de déficit et de dégradation qui se manifestent par une
négligence de la tenue vestimentaire et un sentiment de désintérêt pour la vie. Cette
catégorie de jeunes souffre d’une absence de biens, de propriété, parfois, ils ont
quelques difficultés à assurer la nourriture, l’habillement.

Discussion et conclusion
56 Deux conclusions importantes émergent de nos analyses des discours recueillis. La
première, plus explicite, concerne les jeunes en phase d’insertion sociale, grâce à
l’importance du suivi post placement et la deuxième, plus dissimilée, porte sur les
jeunes en phase de désinsertion sociale et qui témoignent d’un pessimisme très
marqué, cristallisé dans un nouveau type rapport à Dieu, considéré très souvent comme
le dernier recours. On comprend aisément moins la qualité des soins, des
apprentissages pendant le placement, l’insertion sociale se joue et se gagne
essentiellement à partir des soutiens dont bénéficient les jeunes à leur sortie. Ils ne
sont pas scolarisés le plus souvent pendant leur placement, même si certains font des
cours d’alphabétisation, ceux-ci sont mis en lien direct avec l’initiation aux métiers. Ce
niveau d’initiation n’est pas toujours suffisant pour exercer indépendamment sur le
marché. Nombre d’entre eux ont besoin d’approfondissement sous forme de stage
auprès de professionnels. C’est bien ce chaînon qui manque le plus souvent au dispositif
institutionnel d’aide à l’enfance et à la jeunesse en difficulté.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


63

L’importance du suivi post placement dans l’insertion des jeunes

57 Les quatre profils ainsi définis montrent globalement un niveau général d’insertion
sociale faible. Seuls 22 sur 80 des jeunes rencontrés témoignent d’un niveau d’insertion
sociale relativement stable, 24 jeunes sur 80 sont dans une situation d’insertion non
encore stable. Les 34 autres jeunes connaissent des difficultés d’insertion sociale, au
double point de vue socio-relationnel et socio-professionnel, couplé ou non de
difficultés socio-résidentielles et socio-psychologiques. De manière générale, les
critères qui ont présidé à l’établissement des profils ont avantagé la dimension socio-
relationnelle et socioprofessionnelle. Cet avantage est sous-tendu par l’idée que
l’investissement socio-relationnel chez les jeunes (ou la capacité à tisser des relations
sociales dans l’entourage familial ou social) détermine grandement l’accès à l’emploi,
au logement et une bonne estime de soi.
58 Les trajectoires d’insertion sociale observées montrent que, malgré les défaillances au
niveau de nombreuses familles, les ressources familiales ont été d’un apport important
pour l’insertion sociale des jeunes rencontrés. Cette idée s’adosse à la conception selon
laquelle même défaillantes et déstructurées, les familles d’affiliation peuvent jouer un
rôle important dans l’insertion sociale des jeunes. De même, l’absence de famille, de
parents éloignés ou proches, même si elle précipite l’autonomisation des jeunes,
fragilise les trajectoires et les rallongent. L’effritement des solidarités traditionnelles,
qui intégraient les individus démunis culturellement et socialement, ne peut pas être
dissocié des changements sociaux qui marquent notre époque. Toutefois, l’expression
de la solidarité publique, la protection sociale des individus « incapacités » par le choix
d’un mode de développement socio-économique doit devenir une exigence des temps
modernes.
59 Le soutien institutionnel s’est imposé comme une alternative puissante au soutien
familial. En effet, les jeunes, soutenus diversement par les établissements de placement
dans leurs trajectoires d’insertion sociale, obtiennent des scores plus ou moins
satisfaisants dans les échelles de mesure de l’insertion sociale. De manière générale, les
jeunes accompagnés par les programmes d’aide à l’insertion sociale, certes sélectionnés
par les établissements de leur placement, sont classés parmi les insérés stables et les
insérés non stables. Ils sont insérés stables, s’ils sont parvenus à renouer des relations
avec leurs familles d’origine, ou tisser dans le cadre de leur insertion professionnelle
des relations sociales qui garantissent leur emploi.
60 Ces jeunes soutenus par les établissements sont insérés non stables, lorsqu’ils
connaissent dans leurs trajectoires d’insertion des retours en arrière, autrement dit,
lorsqu’ils connaissent de courtes avancées suivies de longs reculs dans leurs activités
professionnelles et dans leurs relations sociales. Ces jeunes développent en général une
attitude de dépendance à l’égard des établissements de soutien, ce qui ne favorise pas
leur autonomisation, leur insertion socio-professionnelle durable. Apparemment
insatisfaits des aides perçues, ces jeunes restent dans des logiques d’assistance, de forte
dépendance des services sociaux.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


64

Les jeunes en phase de désinsertion sociale, faute de soutien et


d’accompagnement social

61 Les jeunes en phase de désinsertion sociale intègrent les catégories des insérés
précaires et des insérés précaires et à risque. Leurs discours traduisent une sorte
d’abandon social et un recours fréquent à Dieu témoignant d’un nouveau type de
rapport au monde, fortement influencé par la religion.
62 Ces jeunes en difficulté ou en très grande difficulté, sont restés dans leur trajectoire
d’insertion sans soutien quelconque ni de leur famille, ni de leur établissement de
placement, ou encore ils sont très faiblement soutenus. Leurs handicaps ne sont pas
d’ordre physique ou mental, ils sont essentiellement d’ordre social. Très faiblement
intégrés aux réseaux sociaux de leur milieu, certains d’entre eux développent des
comportements marginaux. D’autres jeunes tendant vers une insertion sociale
stabilisée, voient leurs efforts, contrariés, voire affaiblis par les rapports de force qui
régissent la société et qui réduisent ainsi leurs chances d’insertion sociale.
63 Des recherches en contexte africain sur l’insertion sociale de la catégorie enfants et
jeunes de la rue, ont mis l’accent sur l’échec de l’insertion sociale chez un grand
nombre sans intervention sociale en leur faveur. Pirot et Lupitshi Wa Numbi 32 en
Afrique Centrale, comme Kéita33 en Afrique de l’ouest convergent sur l’idée que seul un
petit nombre d’enfants de la rue s’insèrent sans intervention Le plus grand nombre
développe plutôt des logiques de reproduction des conduites de rue. L’intervention
favorise l’insertion sociale en termes de retour en famille, de reprise scolaire, ou de
formation professionnelle. Ces réussites, parfois temporaires, ne garantissent pas
l’insertion sociale durable.
64 Il ne suffit pas donc d’instituer les services de protection sociale pour espérer insérer
socialement les bénéficiaires de ces services à l’âge adulte. L’insertion sociale se joue
beaucoup plus dans l’après-placement, et c’est là que l’on constate une absence presque
totale de programmes d’accompagnement et de suivi. Dans cette perspective, l’action
sociale en faveur des jeunes dans les établissements ne vise pas à les insérer
socialement mais à les mettre à l’écart, à la marge, pendant que ces jeunes bénéficient
des avantages liés à leur statut de mineurs. Dès qu’ils acquièrent l’âge de la majorité, ils
perdent les avantages dus à la minorité et ils affrontent alors un environnement social
pour lequel ils sont très faiblement préparés en raison de l’absence de soutien
institutionnel à l’insertion sociale et de la faiblesse de leur réseau social. Les politiques
d’accompagnement post-institutionnel sont nécessaires pour de nombreux enfants et
jeunes placés.
65 En définitive, il apparait clairement que les difficultés qu’éprouvent l’ensemble des
jeunes à la sortie du placement et les risques d’exclusion auxquels ils s’exposent
tiennent principalement à l’absence de programmes et de mesures d’accompagnement
et de suivi à l’insertion sociale. Si ces programmes existaient, ils pourraient aider
certains jeunes à s’insérer socialement plus rapidement et de façon stable et durable.
Les actions d’ONG ou d’associations appuient certains de ces jeunes, mais leurs actions
demeurent ponctuelles et manquent de continuité.
66 On constate donc des difficultés liées à l’absence de réponses organisées et
institutionnalisées pour accompagner les jeunes sortants des établissements de
placement. Ces difficultés peuvent être aplanies, comme en témoignent les exemples

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canadiens et français, à travers les exemples de contrats de soutien aux jeunes-adultes,


les programmes de soutien à l’autonomisation pour pallier diverses situations de
vulnérabilité34. Il convient donc que les acteurs des services socio-éducatifs acceptent
l’idée de la nécessité d’accompagner et de suivre les jeunes au-delà de leur séjour en
placement, au-delà de l’âge de la majorité afin de les aider à s’insérer progressivement
dans la société. Cette disposition ne suffit probablement pas pour insérer tous les
jeunes mais elle est susceptible d’aider un nombre important parmi eux.
67 À défaut d’un soutien social et d’un accompagnement individualisé à l’insertion sociale,
les jeunes placés à l’enfance se trouvent dans une position marginale et ne croient plus
à leur propre possibilité de réalisation future. En effet, la transition de la période de
placement à l’entrée dans la vie adulte est vécue de manière particulièrement difficile
pour les jeunes sans soutien familial et institutionnel.
68 Les discours des jeunes rencontrés font fréquemment allusion à la religion. Cette
importance de la religion mériterait d’être explicitée par un long développement. Il
convient d’en donner ici succinctement les principaux axes réflexifs. Des éléments
d’histoire ressortis de nombreuses publications, combinés à l’analyse de la situation
actuelle du fait religieux dans l’espace public à Bamako, permettent d’éclairer le
recours à la religion chez ces jeunes en difficulté.
69 Pendant très longtemps, le régime politique issu du parti unique a combattu la
sectorisation du discours religieux, étouffant par des moyens souvent coercitifs toutes
les tentatives d’ouverture du champ religieux à la pluralité de pensée (interdiction de
prêches, poursuites judiciaires). A la faveur de la démocratisation, la libération de la
pensée religieuse, restée longtemps confinée dans une logique de pensée unique, à
l’image du parti unique constitutionnel (1978-1991), a donné lieu à un éclatement non
seulement du discours religieux, mais aussi une prolifération d’associations islamiques
se réclamant de telle tendance ou de telle autre tendance, se disputant l’espace public
du district de Bamako.
70 L’ouverture à la pluralité de la pensée islamique s’est traduite par une lutte de plus en
plus acharnée de positionnement entre deux tendances : le wahhabisme ou salifisme,
ou encore sunnite marqué par une volonté de reformer l’islam, d’un retour aux sources,
et le tijaniyya, plus favorable aux guides religieux, à l’affiliation à des chefs spirituels et
à des pratiques magiques. L’éclatement du discours religieux a pour eu pour effet une
plus grande visibilité de l’islam dans l’espace public. Comme dans beaucoup d’autres
pays africains, la religion devient une composante essentielle des débats dans l’espace
public35. Une partie des jeunes, rencontrés dans le cadre des enquêtes, donnent dans
leurs discours une place importante à Dieu. Les prises de position et les justifications,
dont ils témoignent, montrent qu’ils subissent une influence plus ou moins forte des
prêches ou de la propagande religieuse. En effet, la multiplication des cérémonies de
prêches à travers le district de Bamako, de célébrations grandioses de fêtes religieuses,
jadis inexistantes dans un passé récent, les tribunes de séduction des populations
pauvres, socialement affaiblies, disposant de peu de culture religieuse, se multiplient et
les fastes qui leur sont souvent associées (distribution gratuite de nourriture et de
boissons) font des jeunes en situation difficile la cible privilégiée de ces campagnes.
71 On peut en déduire que de nombreux jeunes, sans formation appropriée, ni ressources
financières suffisantes pour s’acheter un billet pour des spectacles parfois onéreux,
sont plutôt portés à assister directement à ces offices religieux, ou à les écouter à la
radio ou encore à regarder à la télévision des prêches qui s’organisent ici et là dans la

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ville. De ce fait, ils sont susceptibles de s’affilier à des tendances ou d’incarner les
discours des chefs religieux comme ils peuvent ainsi être influencés par les discours.
72 Amselle36 constatait déjà, dans la décennie 1980-1990, que le mouvement réformateur
en islam mobilisait les jeunes des classes défavorisées dans la ville de Bamako. Cette
mobilisation s’est accrue à la faveur de la multiplication des sectes et groupes religieux.
Plus récemment, Bourdarias37 analyse les récits de trajectoires de conversion des jeunes
au mouvement « Ançar Dine » du leader charismatique Cherif Madani Haidara, résident
dans une bourgade de la banlieue de Bamako. Fortement influencés par son discours, de
nombreux jeunes, notamment des banlieues, s’affilient à « Ançar Dine ». Ce leader
religieux très réputé développe des thèmes dans ses prêches plus proches de la vie
quotidienne des populations et influence grandement leurs rapports au monde.
73 Les discours des jeunes en situation avancée de précarité semblent être "contaminés"
par le diktat religieux, véhiculé partout dans les offices religieux, relayés massivement
par des médias de masse38. Le rapport à Dieu dont ils témoignent dans les discours
façonne leur rapport au monde et développe en eux une attitude de démission, de
renoncement à la vie. La présence de Dieu dans les propos recueillis apparait comme
une sorte de refuge sacerdotal dans lequel les jeunes, les plus précaires semblent
plonger.

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NOTES
1. Amsata Sow Sidibé, « L’adoption au Sénégal et en Afrique francophone », Revue internationale de
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http://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1993_num_45_1_4623
2. Céline Vandermeersch, « Les enfants confiés âgés de moins de 6 ans au Sénégal en 1992-1993 »,
Population, 57e année, n° 4-5, 2002, p. 662.
3. Suzanne Lallemand, La circulation des enfants en société traditionnelle, prêts dons, échange, Paris,
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4. Moriké Dembélé, La rééducation et la réinsertion sociale des jeunes délinquants : l’expérience des
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5. Nathalie Mondain, Valérie Delaunay et Agnès Adjamagbo, « Maternité et mariage en milieu
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la reproduction au Nord et au Sud. De la connaissance à l’action, Louvain-la-Neuve, Presse
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6. Rapport du bureau catholique de l’enfance, « recueil sur la minorité : analyse et commentaires
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11. Mohamadou Sall « Itinéraires et prise en charge des jeunes filles en danger moral : l’exemple
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Automne 2009, Consulté le 19 novembre 2011 sur l’URL : https://journals.openedition.org/sejed/
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12. Le terme « pensionnaire » est utilisé par les travailleurs sociaux pour désigner les enfants et
les jeunes internés dans les établissements socio-éducatifs. Cette appellation remonte loin dans
l’histoire, on la retrouve dans les documents administratifs coloniaux pour désigner les tout
premiers enfants et jeunes détenus au Mali depuis 1953 suite à une histoire d’empoisonnement à
laquelle ils ont pris part. Le personnel administratif et socio-éducatif continue actuellement à
utiliser ce terme pour nommer les enfants et jeunes internés bénéficiant de l’assistance
éducative, probablement en lien avec cet héritage.
13. Moriké Dembélé, La rééducation et la réinsertion sociale des jeunes délinquants : l’expérience des
centres de Bollé dans le district de Bamako, Mémoire de DEA, Sciences de l’éducation ISFRA,
Université de Bamako, 2005.
14. Annick Combier, Les enfants de la rue en Mauritanie. L’initiative de Nouakchoot, Paris,
L’Harmattan, 1994, 208 p ; Yves Marguerat, « Rue sans issue : réflexion sur le devenir des enfants
de la rue », in Gérald Hérault et Paul Adesanmi. Jeunes, culture de la rue et violence urbaine en
Afrique, Ibadan, IFRA, 1997.
Bernard Pirot, Enfants des rues d’Afrique centrale, Paris, Karthala, 2004
15. Moriké Dembélé, op. cit. ; Sory Ibrahima Kéita, L’analyse des contraintes liées à la scolarisation et à
la formation professionnelle des enfants de la rue dans le district de Bamako, Mémoire de DEA, Sciences
de l’éducation, Bamako : ISFRA Université de Bamako, 2012.
16. Badra Moustassem-Moumouni, op.cit., Badra Moutassem-Mimouni, « Devenir adulte des
enfants abandonnés à la naissance en Algérie. Etude comparative du devenir des adultes élevés
en famille d’accueil et ceux élevés en institution », La Psychiatrie de l’enfant, vol. 42, n° 2, 1999.
17. Mamadou Fadiala Ba et Monique Bertrand, « mesures démographiques et politiques du
logement dans la capitale malienne : un programme social au regard des pratiques résidentielles
bamakoises, XVIIe Colloque international de l’Association Internationale des démographes de

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18. RGPH (Recensement Général de la Population et de l’Habitat), 4 ème Recensement Général de la
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19. DNSI (Direction Nationale de la Statistique et de l’Informatique), Tendances et déterminants de
la pauvreté au Mali (2001-2006), Volume 2, Bamako, septembre, 2007, 187 p.
20. Ousséynou Faye et Ibrahima Thioub, « Les marginaux et l’État à Dakar », Le mouvement Social,
n° 204, 2003/3.
21. Ces deux centres sont créés à Bamako : 1- Ordonnance n° 99-006/P-RM du 30 mars 1999,
portant création du centre spécialisé de détention, de rééducation et de réinsertion sociale pour
femmes de Bollé création de la direction nationale, 2- Ordonnance n° 99-007/P-RM du 31 mars
1999 portant création du Centre spécialisé de détention, de rééducation et de réinsertion pour
mineurs de Bollé.
22. Les chiffres et leur évolution du Centre National de Documentation et d’Information sur la
Femme et l’Enfant (CNDIFE) sont mentionnés dans le graphique suivant.
23. AEMO : Action éducative en milieu ouvert, initialement rattaché au Département de l’Action
sociale, il est depuis 1998, rattaché à la municipalité de Bamako dans le cadre général de la
politique de décentralisation au Mali
24. Sory Ibrahima Kéita, op.cit.
25. Ibid.
26. CNDIFE-Mali (Centre National de Développement et d’information sur la Femme et l’Enfant au
Mali) Enquête sur les enfants en situations difficiles, y compris ceux en conflit avec la loi, CNDIFE,
Rapport de recherche MPFEF, 2012.
27. Moriké Dembélé, op. cit.
28. ENDA TIERS MONDE/ MALI, « Rapport annuel 2011 ». ENDA TIERS MONDE/MALI, Bamako,
2011
29. Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62-63,
1986.
30. Jolivet Violaine, « La notion de trajectoire en géographique, une clé pour analyser les
modalités ? », EchoGéo [en ligne] 2/2007/ mis en ligne le 22 février 2008. Consultée le 08 décembre
2013 sur URL : http://echogeo.revues.org/1704
31. Tous les prénoms attribués aux enquêtés sont fictifs. Ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont
choisi ces pseudonymes lors des enquêtes
32. Bernard Pirot, Enfants des rues d’Afrique centrale, Paris, Karthala, 2004
33. Sory Ibrahima Kéita, op. cit.
34. Martin Goyette et Marie-Noële Royer, « Interdépendance des transitions vers l’autonomie des
jeunes ayant connu un placement : le rôle des soutiens dans les trajectoires d’insertion », Sociétés
et jeunesses en difficulté [en ligne], n° 8/ Autonome 2009, mis ligne le 08 janvier 2010, Consulté le 16
mars 2012 sur URL : http://sejed.revues.org/index6434.html ; Martin Goyette et Marie-Eve
Turcotte, « Dynamiques de continuité dans les trajectoires d’autonomisation des jeunes
femmes », in Martin Goyette, Céline Bellot, Annie Pontbriand, [dir.], Les Transitions à la vie adulte
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91-113 ; Annick Camille Dumaret et Marthe Coppel-Batsch, « Evolution à l’âge adulte d’enfants
placés en familles d’accueil », La psychiatrie de l’enfant, XXXIX, 2, 1996.
35. Naffet Kéita, « Mass médias et figure du religieux au Mali : entre négociation et appropriation
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décembre 2016 en ligne sur l’URL : http://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-
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36. Jean-Loup Amselle, « Le Wahabisme à Bamako (1945–1985) », Canadian Journal of African
Studies, 1985, 19 (2), p. 345–357
37. Françoise Bourdarias, « L’imam, le soufi et Satan : religion et politique à Bamako (Mali) », in
Les constructions locales du politique, Tours, Presses de l’Université François Rabelais, 2008,
p. 115-139
38. Naffet Kéita, op. cit.

RÉSUMÉS
L’objectif de cet article est de comprendre les trajectoires d’insertion sociale des jeunes sortis des
établissements de placement dans le district de Bamako (Mali). L’analyse du corpus empirique a
permis de construire quatre trajectoires d’insertion sociale : les insérés stables à trajectoire
ascendante, les insérés non stables à trajectoire discontinue, les insérés à trajectoire précaire et
les insérés à trajectoire précaire et à risque. La répartition des quatre-vingts jeunes rencontrés
entre ces différents profils d’insertion sociale atteints au moment des enquêtes montre que
moins du tiers appartiennent à la classe des insérés stables à trajectoire ascendante
indistinctement de l’établissement de placement. De même, la majorité des jeunes est classée
dans la trajectoire précaire. Ces niveaux d’insertion sociale sont en lien avec divers types de
soutiens obtenus par les jeunes à différentes phases de leur trajectoire, notamment les soutiens
provenant de la famille ou des institutions de placement. Le devenir social de ces jeunes
doublement fragilisés d’un côté, par leur situation familiale et de l’autre, par leur séjour plus ou
moins prolongé dans des établissements de placement, se réalise difficilement sans « béquille
sociale » dans un contexte de crise généralisé d’insertion sociale.

The purpose of this article is to get an insight about the trajectories for social integration of the
young people from placement institutions in the district of Bamako (Mali). The analysis of
empirical corpus enabled us to identify four integration trajectories: stable integrated children
with upward trajectory, unstable integrated children with discontinuous trajectory, integrated
children with precarious trajectory, and integrated children with precarious and risky trajectory.
The distribution of eighty young people met among these various profiles of social integration
during surveys show that less than one third are part of the class of stable integrated children
with upward trajectory indistinct from placement institution. Similarly, the majority of young
people are part of the precarious trajectory. These social integration levels are related to various
types of support the young people benefited at different stages of their trajectory, including
support from family or placement institutions. The social future of these young people is
vulnerable on two levels: their family situation on the one hand and their prolonged stay in
placement institutions on the other. Such a future is difficult to be achieved without “social
crutch” in a context of generalized crisis of social integration.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


72

El objetivo de este artículo es comprender las trayectorias de integración social de los jóvenes
salidos de centros de internamiento en el distrito de Bamako (Malí). El análisis del corpus
empírico ha permitido establecer cuatro trayectorias de integración social : los jóvenes
integrados estables con una trayectoria ascendente, los integrados no estables con una
trayectoria discontinua, los integrados con trayectoria precaria y los integrados con trayectoria
precaria y en riesgo. La distribución de los ochenta jóvenes entre estos diferentes perfiles de
integración social obtenidos durante el estudio muestra que menos de un tercio pertenece a la
clase de jóvenes integrados estables con trayectoria ascendente independientemente del centro
de internamiento. Del mismo modo, la mayoría de los jóvenes se sitúan en la trayectoria precaria.
Estos niveles de integración social están relacionados con los diferentes tipos de apoyo recibidos
por los jóvenes en diferentes etapas de su trayectoria, en particular los apoyos procedentes de la
familia o de los centros de internamiento. El futuro social de estos jóvenes, doblemente
vulnerables, por un lado por su situación familiar y por otro, por su estancia más o menos
prolongada en centros de internamiento, es difícil que se cumpla sin una "muleta social" en un
contexto de crisis generalizada de integración social.

INDEX
Mots-clés : placement, insertion sociale, trajectoire des jeunes, soutiens sociaux
Keywords : placement, social integration, youth trajectory, social support
Palabras claves : internamiento, integración social, trayectoria de los jóvenes, apoyos sociales

AUTEURS
MORIKÉ DEMBELE
Docteur en sciences de l’éducation, Moriké Dembele est enseignant-chercheur à l’université des
lettres et sciences humaines de Bamako (ULSHB) Mali. Il enseigne l’éducation spéciale et les
institutions sociales. Ses recherches s’intéressent à l’éducation des marginaux urbains,
notamment aux enfants et jeunes en situation de rue, aux handicapés et autres malades mentaux
ainsi qu’aux institutions sociales dédiées à leur prise en charge.

KAWÉLÉ TOGOLA
Kawélé Togola est docteur en anthropologie du changement social et du développement, Maitre-
Assistant à l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB). Ses principaux
champs d’intérêt couvrent la gouvernance locale et la décentralisation, les dynamiques de
changement social, le genre. L’anthropologie de l’éducation cristallise également ses efforts de
recherche et d’enseignement.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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Entrer par les coulisses dans les


parcours en protection de
l’enfance : une approche par les
pairs
Go behind the scenes in child protection careers: a peer approach
Análisis entre bastidores de las trayectorias bajo la protección de la infancia: un
enfoque por los pares

Pierrine Robin

1 « Les parcours de vie1 sont loin d’être des fleuves tranquilles au débit constant »,
ils » subissent des changements ou des réorientations, parfois leur rythme de
construction ralentit en raison des hésitations ou des moments de réflexions alors que,
d’autres fois, des événements viennent précipiter les choix ou ancrer le cheminement
dans une nouvelle continuité »2. Dans un contexte de reconfiguration des principales
structures de socialisation, d’accroissement et d’apparition de nouvelles inégalités, ils
se font plus fluctuants et hésitants. Mais, alors même que les supports sociaux sont
ébranlés3, les individus sont sommés par différentes institutions du champ social de
construire des parcours linéaires4. Dans ce contexte, la responsabilité des individus
s’alourdit dans la conduite de leurs transitions, la construction du sens de leur
trajectoire et de leur identité. Cette réflexivité accrue peut engendrer à la fois un
sentiment de choix et d’autonomie plus important ou au contraire de doutes et de plus
grande désaffiliation.
2 C’est précisément à la subjectivité et la réflexivité des individus, exprimées à travers
des récits de vie5, que permet d’être attentives les approches sociologiques du parcours
de vie. Elles visent à « mieux comprendre et analyser le déroulement des existences au
fil du temps », dans un souci de « temporalisation » 6 en s’intéressent aux normes et
contraintes qui orientent l’avancée dans l’âge et à leur perception subjective. Elles
cherchent à montrer « comment des parcours individuels, ou des lignées familiales,
s’éclairent en étant reliés à des processus sociohistoriques et comment inversement,

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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ces processus peuvent se comprendre à partir de l’analyse de leurs traductions


individuelles »7. Différentes approches ont été développées pour comprendre le
déroulement des existences au fil du temps (avec le concept de carrière, de trajectoire,
d’itinéraire, de cours d’action) laissant une part plus ou moins grandes aux
déterminants sociaux, familiaux, psychiques ou à la liberté individuelle dans la
construction de ce cheminement. Parmi ces perspectives, le concept de parcours,
souligne Bénédicte Zimmermann8, permet de rendre compte la continuité d’un
cheminement vers un but, sans préjuger d’une linéarité, puisque les individus sont
soumis aux aléas de leurs supports. Il permet d’appréhender les évènements 9, les
transitions, les bifurcations10, mais aussi les temps de régularité et de stabilité entre ces
évènements. Il met en intrigue des choix personnels, mais aussi des non choix ou
encore des choix contraints, en lien avec les inégalités de supports dont disposent les
individus, pour construire leurs chemins dans leurs différentes sphères de vie, selon
leurs contextes de vie11. Outre sa dimension de contextualisation, rendant compte du
poids des contraintes normatives, des conditions matérielles, mais aussi des politiques
d’encadrement et de protection sociale qui orientent le déroulement des existences, sa
portée sociologique réside également dans « l’activité de mise en cohérence et de
justification qui scelle l’appropriation personnelle d’un parcours et sa justification pour
autrui12 ». En ce sens, le parcours présente « une double dimension interactive et
réflexive »13 et peut être producteur de continuité par la mise en récit.
3 L’approche par les récits et les parcours de vie a été mobilisée à de nombreuses reprises
auprès des enfants et de leurs familles avec différentes perspectives : pour
comprendre les dissociations des formes de parenté (du sang, du nom, du quotidien)
dans des récits de filiation14, les réussites paradoxales dans les parcours scolaires 15, les
dynamiques de transmission entre générations dans des parcours migratoires 16. Dans le
champ de l’enfance en conflit avec la loi17 ou de l’enfance protégée 18, où des enfants
« dits en danger », sont retirés provisoirement ou durablement de leur famille, suite à
une intervention de la puissance publique, et confiés à des éducateurs ou des assistants
familiaux rémunérés, les chercheurs se sont attachés à saisir les effets de l’événement
du placement sur la recomposition des différents espaces sociaux traversés par
l’enfant. En effet, comme l’a montré Emilie Potin19, le parcours de l’enfant n’existe pas
en soi mais en interaction avec d’autres acteurs physiques et symboliques. Il est lié à
l’histoire familiale, à l’évolution des structures familiales, à l’évolution des situations
des parents, à celui du lieu d’accueil, à la manière de travailler de la famille d’accueil, à
son projet, aux règles de vie dans le foyer et au projet d’établissement, aux pratiques
professionnelles, aux reformes nationales et départementales.
4 Ces dernières années, les réformes nationales ont porté une attention croissante à la
« sécurisation » des parcours des enfants confiés, comme en témoignent les loi du 14
mars 2016 et du 5 mars 2007. Elles font suite à des travaux de recherche, quantitatifs ou
qualitatifs, ayant mis en lumière les continuités et discontinuités, dans les parcours des
enfants confiés. Les travaux quantitatifs d’Isabelle Frechon et de Nicolas Robette 20 sur
une cohorte de 800 enfants confiés en Ile-de-France et en Province permettent de saisir
les risques de ruptures, plus ou moins présents, selon l’âge d’entrée dans le dispositif et
les modalités de prise en charge. Mais dans ces travaux, les ruptures sont appréhendées
uniquement sous l’angle des changements de lieux d’accueil, ce qui masque d’autres
types de rupture tout aussi importantes comme les déplacements de l’enfant à
l’intérieur d’une même structure d’accueil, les départs et arrivées d’autres enfants sur
le lieu d’accueil. Les travaux qualitatifs d’Emilie Potin 21, réalisés dans le Finistère, à

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partir de l’étude de 350 dossiers et de récits croisés (enfants-parents-professionnels)


sur 18 trajectoires, s’intéressent aux effets des continuités et des ruptures sur la
construction des liens de parenté avec les figures des « enfants placés, déplacés et
replacés ». Dans ces travaux, les affiliations et ruptures sont appréhendées
principalement à l’aune des relations nouées entre l’enfant et les adultes qui
l’accompagnent, a contrario les relations entre pairs sont peu prises en compte. Les
travaux d’Annick Dumaret, de Pascale Donati et de Monique Crost 22 sur le devenir des
enfants confiés insistent, quant à eux, sur la question de la place de l’enfant dans la
fratrie qui influe sur les conditions de sortie. Ainsi, sans doute du fait du prisme d’une
lecture adulto-centrée, peu de travaux se sont intéressés, au delà de l’étude du rang
dans la fratrie, aux relations qui se nouent entre enfants dans le parcours de vie des
enfants confiés.
5 Or, les travaux en sociologie de l’enfance, après avoir questionné la « socialisation
verticale » où l’enfant apparait comme « un objet du travail social », puis la
« socialisation interprétative » où l’enfant est considéré comme un acteur et partenaire
dans le processus de socialisation, engagent à s’intéresser à la « socialisation
horizontale », à « l’activité sociale de l’enfant »23. La sociologie de l’enfance va
s’intéresser aux formes de sociabilité propre aux sociétés enfantines et reconnaître les
enfants comme des acteurs collectifs avec leurs propres formes culturelles qui vont
réinterpréter les formes institutionnelles de transmission 24. Le groupe de pairs et
l’entre-enfants vont devenir la focale du sociologue : « Celui-ci ne va plus simplement
explorer la scène principale, comme le disait Goffman, mais aussi les coulisses. En
d’autres termes, on passe de la salle de classe à la cour de récréation » 25. Considérer
l’enfant comme un acteur de sa socialisation n’implique cependant pas d’omettre qu’il
est aussi l’objet de politiques sociales et de nier les pesanteurs des normativités, des
conditions sociales, et les rapports de génération mais aussi de classe ou de genre qui
encadrent sa socialisation. Dans la lignée de ces approches, les travaux de Régine
Sirota26 s’intéressent à la socialisation entre pairs dans les goûters d’anniversaire, ceux
de Nathalie Rouscous et Antoine Dauphragne27 à la chambre de l’enfant, et ceux d’Aude
Poittevin28 aux relations de fratrie dans les familles recomposées et chez les enfants
accueillis dans les villages d’enfants. Si les travaux d’Aude Poittevin 29 rejoignent l’objet
de nos préoccupations, en interrogeant la relation de fratrie chez les enfants confiés, ils
s’intéressent à ces relations uniquement dans une perspective synchronique et non
dans une perspective diachronique, ce que permet l’approche par le parcours de vie.
6 C’est pourquoi à l’intersection d’une sociologie du parcours de vie et d’une sociologie
de l’enfance, nous souhaitons nous intéresser à ce qui se joue entre pairs, à hauteur
d’enfants, dans les parcours en protection de l’enfance. Comment, par exemple, des
rivalités entre frères et sœurs, où se rejouent des conflits larvés entre adultes, peuvent
entrainer l’exit d’un ou de plusieurs membres de la fratrie ? Comment l’arrivée d’un
nouvel enfant dans une famille d’accueil peut influer sur les relations entre le premier
accueilli et cette dernière jusqu’à entrainer sa sortie ? Comment la trace laissée par
l’épreuve de l’entrée dans l’âge adulte d’une sœur influe sur l’appréhension par son
frère de ce même passage ? Nous pensons, en effet, que tenir compte de la socialisation
horizontale, permet de mieux saisir les ruptures, les tournants, et les bifurcations dans
les parcours des enfants confiés.
7 Notre méthodologie d’enquête, associant à toutes les étapes de la recherche, un groupe
de treize jeunes adultes, de 18 à 29 ans, en Ile-de-France et dans le Nord, ayant eux-

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mêmes une expérience en protection de l’enfance, à une équipe trois chercheures


universitaires, permet d’attirer l’attention sur le poids de la socialisation horizontale
dans le parcours de vie. Avant d’aborder les résultats empiriques de cette recherche,
nous proposons de présenter plus en détail notre approche d’enquête « par les pairs »
et ses apports sur la subjectivation des parcours.

Les effets d’une démarche d’enquête « par les pairs »


sur la subjectivation des parcours
8 Inspirée par la sociologie de l’enfance et la jeunesse, dont les frontières tendent à
s’estomper, et la recherche avec les personnes concernées par notre démarche, nous
avons choisi une démarche d’enquête par les pairs, associant des jeunes sortant des
dispositifs à toutes les étapes de la recherche, pour des raisons éthiques,
épistémologiques et politiques. D’un point de vue éthique, la démarche d’enquête par
les pairs favorise une plus grande appropriation du processus de recherche par les
enquêtés comme par les enquêteurs30, même si le processus n’est pas exempt de
rapports de force. Epistémologiquement, le processus de recueil et d’analyse entre pairs
facilite l’émergence, dans la proximité, de nouvelles connaissances, tout en
invisibilisant comme toutes autres méthodes d’autres aspects. Enfin, d’un point de vue
politique, la recherche par les pais peut contribuer à démocratiser le processus de
recherche mais aussi la société dans son ensemble, même si elle n’échappe pas à un
processus de reconfiguration des asymétries au sein des démocraties techniques 31.
9 Au cours de ce projet de recherche32, conduit entre 2012 et 2014, un groupe de treize
jeunes sortant du dispositif de la protection de l’enfance, de 18 à 29 ans, appelés
chercheurs pairs, ont été associés avec une équipe universitaire à l’élaboration des
questionnements de la recherche. Après quatre jours de formation, trois méthodes
d’enquête ont été retenues par les chercheurs pairs pour un premier temps d’échange
interindividuel avec leurs enquêtés, suivi 6 mois plus tard d’un temps d’échanges
collectifs : une trame de « discussion » sur le parcours de vie, un support photo et un
questionnaire. Les chercheurs pairs se sont donc orientés vers des méthodes qui
favorisent la réflexivité et l’échange avec leurs enquêtés, en choisissant d’appeler par
exemple l’entretien de parcours « discussion » pour en souligner la dimension
d’interaction, d’échanges et parfois de conseils ou en ayant recours à un photo-
discussion pour faciliter la parole par la médiation d’un support. Après avoir été formés
à leur passation, les chercheurs pairs ont été amenés à réaliser trente-six entretiens
avec des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance. Puis, ils ont participé à
l’analyse des données recueillies sur des temps collectifs organisés par les chercheurs
universitaires.
10 Nous sommes entrées en relation avec les chercheurs pairs par l’intermédiaire des
institutions partenaires de la recherche et par le réseau d’interconnaissance des pairs.
Ce groupe se compose de 6 femmes et 7 hommes, 11 issus des minorités visibles. Ils ont
connu une expérience longue en protection de l’enfance dans différentes institutions.
Au moment de l’enquête, 4 étaient en apprentissage, 4 en étude, 3 en recherche
d’emploi et 2 en emploi. Le groupe d’enquêtés, en Ile-de-France et dans le
Nord, rencontré majoritairement par l’intermédiaire des partenaires et pour 8 d’entre
eux par le réseau de pairs, se compose de 15 femmes et 21 hommes, 20 issus des
minorités visibles, autant de 18 à 21 ans que de 22 et 26 ans, ainsi que 5 enfants de

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moins de 18 ans. 9 sont entrés à l’aide sociale à l’enfance entre 0 et 6 ans (en accueil
précoce), 9 entre 6 et 13 ans (accueil intermédiaire) et 16 tardivement à partir de 14 ans
(accueil tardif). L’âge d’entrée induit des durées d’accueil variables, de moins d’un an à
plus de dix-sept ans, la moyenne se situant à 7 ans et la médiane à 4,5 ans et des
expositions variables aux déplacements. Les enquêtés ayant connu, pendant leur
minorité, qu’un ou deux lieux d’accueil (18), principalement en accueil précoce, sont
pratiquement aussi nombreux que ceux en ayant connu au minimum trois (16),
principalement en accueil intermédiaire.
11 Nous avions l’intuition que la recherche ne serait pas la même en étant menée par des
pairs. En effet, à analyser les récits de parcours menés, on découvre toute l’originalité
et la richesse de cette approche. Les relations entre enquêteurs et enquêtés sont faites
de proximité, de compréhension, de confiance et d’empathie 33. Les enquêtés soulignent
ainsi souvent en fin d’entretien que parler à quelqu’un qui a vécu la même chose et qui
sait de quoi il parle, facilite la possibilité de se raconter et a été même parfois la
condition sine qua non qui les a conduit à participer à l’enquête :
« Ah plus facile ! Ouais, forcément. Bah déjà quand tu me l’as dit la semaine
dernière quand je t’ai, enfin quand tu m’as appelé, quand toi-même tu m’as dit que
tu sortais toi-même de l’ASE, j’étais là : ‘ah bah ça va !’, du coup ça facilite et ça met
moins de frontières entre...Bah ouais. Parce-que au départ, enfin, au départ de
quand on m’a dit : ‘ouais, je vous appelle parce que y’a une enquête qui est en train
d’être faite pour le suivi des jeunes qui sont sortis du contrat jeune majeur, on a
pensé à vous, na na, là je me suis dit : ‘ouais, bah vas-y moi j’ai pas le temps, j’suis en
formation, le soir j’ai des baby-sitting, en plus j’suis en train de déménager et tout
ça’, j’me suis dit : ‘ ça va être compliqué ! » (Chercheur pair 8 et Lisa, 23 ans, accueil
long).
12 Cette double condition d’appartenir à la même classe d’âge et d’avoir vécu la même
situation, participe à éviter que les enquêtés, ayant eu à subir durant leur prise en
charge une injonction à se raconter34, « servent » un discours mille fois répété ou
édulcoré pour les « psy » ou les « éducs » :
« - Nous on est tous d’accord sur une chose, c’est que nous quand on était placé,
parler à un éducateur, au directeur, à la psychologue ou quoi, c’est pas facile.
- T’as même pas envie en fait.
- Ouais, bah oui et que du coup, t’avais un truc tout fait et tout prêt, tu vois, que tu
réchauffais à chaque fois.
- Voilà on est tous d’accord là-dessus.
- C’est vrai que c’est plus facile de parler quand quelqu’un peut te comprendre, plus
facilement. » (Chercheure pair 4 et Alan, 17 ans, accueil long).
13 Dans le temps d’un échange en face à face entre enquêteur et enquêté, où l’enquêteur
s’engage personnellement dans l’entretien, les identifications sont nombreuses, comme
en témoigne la formule « nous » employée à de nombreuses reprises. Le discours se
construit avec des chevauchements qui traduisent une écoute mutuelle comme
redoublée par la proximité de l’expérience. Les entretiens sont scandés par des
exclamations traduisant une forte identification, avec la surprise de se reconnaître
mutuellement des points communs : « Tu peux sortir de ma tête, ou tu veux y rester
dedans ? Parce que là c’est un truc de ouf, tu prends les mots que j’ai, wouah ! ! (rires) »
(Chercheuse pair 7 et Anna, 25 ans, accueil tardif). La parité ne se joue pas seulement à
l’aune de l’expérience en protection de l’enfance. Dans ce travail d’identification, la
relation de parité est une variable combinée avec d’autres critères (âge, sexe,
orientation sexuelle, origine sociale et culturelle,…). Il y a des effets de convergence et
de renforcement avec d’autres critères, annoncés ou non, qui conduisent les

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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enquêteurs et enquêtés à se reconnaitre comme proches, dans un processus


d’identification marqué à l’adolescence. Or la construction de ce sentiment de
proximité peut, comme l’équipe en faisait l’hypothèse, porter le discours.
14 Dans les entretiens détaillés et fouillés, le parcours n’est pas décrit linéairement ni
seulement à l’aune des rapports à l’institution. Dans l’interaction entre enquêtés et
enquêteurs mais aussi dans les discussions au sein du collectif de recherche, des
dimensions plus complexes et souvent invisibles des parcours en protection de
l’enfance se dévoilent : l’amitié, les relations fraternelles, la sexualité, les rapports de
genre, les discriminations... Ceci confirme l’hypothèse avancée par de nombreux
chercheurs ayant eu recours à des méthodologies par les pairs, selon laquelle dans les
entretiens entre jeunes, les enquêtés auront tendance à évoquer des questions qu’ils
n’auraient pas évoquées devant des chercheurs universitaires et notamment les
relations entre pairs35.
15 De plus, la comparaison in situ des histoires individuelles durant l’entretien permet de
faire ressortir les ressorts sociaux des situations et d’amorcer le travail de monter en
généralité :
« - Est-ce que tu penses que le fait d’avoir, dans ta réussite, le fait d’avoir été dans la
même famille d’accueil avec tes sœurs, est-ce que ça, ça a compté justement dans ta
réussite ? Le fait déjà d’être en famille d’accueil et pas en foyer, c’est une question
un peu orientée, mais t’as le droit de pas être du tout d’accord. Moi j’ai le même
parcours que toi, et souvent je me dis, que le fait d’être resté dans la même famille
d’accueil, contrairement à mon frère et ma sœur qui sont pas restés a fait que j’ai
pu faire des études après mais, est-ce que t’as ce sentiment là aussi ?
- Ouais, j’ai exactement ce sentiment là aussi, j’y ai réfléchi ». (Chercheur pair 8 et
Hervé 26 ans, accueil précoce et long).
16 Ici, l’échange entre l’enquêteur et l’enquêté porte sur les facteurs favorisant la réussite
scolaire dans les parcours en protection de l’enfance. Sont notamment évoqués la
stabilité du placement dans la même famille d’accueil mais aussi l’appui sur les frères et
sœurs.
17 Ainsi, cette approche d’enquête, conduite par des pairs, attire tout particulièrement
l’attention sur les relations entre enfants durant l’accueil et leurs effets sur les
continuités et discontinuités au cours du parcours. C’est donc au prisme de la
sociabilité enfantine et juvénile que nous voudrions ici relire les parcours des enfants
confiés.

Les coulisses de parcours, en transit, en contexte de


disqualification
18 Les données recueillies sont plurielles. Nous choisissons d’en exposer ici qu’une partie.
Nous avons eu l’occasion dans d’autres articles de présenter plus précisément la
méthodologie de l’enquête36 ou une typologie des parcours, avec les figures « des liens
noués, détachés et suspendus », permettant de rendre compte de la diversité des
épreuves que les jeunes rencontrent selon leurs supports37. Au-delà de la diversité des
supports, nous souhaiterions dans cet article revenir sur une épreuve commune
traversée par les jeunes en protection de l’enfance, celle d’une socialisation sous
alternation. En effet, les jeunes interrogés ont eu à faire face au cours de leur
socialisation primaire puis secondaire à plusieurs formes de changements qui se sont

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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succédés ou cumulés dans le temps, avec l’épreuve du passage d’un espace


géographique à un autre, d’une famille à l’autre, d’une classe sociale à l’autre, en
somme des changements de mondes perçus comme totaux. Si ce constat n’est pas
nouveau, nous souhaiterions attirer le regard sur l’importance de la sociabilité
enfantine et juvénile, des rapports entre enfants et jeunes, dans l’avènement des
tournants, des ruptures et des bifurcations au cours du parcours. C’est ce que nous
allons donner à voir ici en nous intéressant à trois segments du parcours : le temps de
la socialisation familiale initiale et des reconfigurations dans les espaces intrafamiliaux,
le temps de l’accueil, des placements et déplacements, le temps de la sortie et de ses
nouvelles turbulences. Nous partageons, en effet, avec Pierre Bourdieu, l’idée que les
évènements biographiques se définissant « comme autant de placements et de
déplacements dans l’espace social, (…) en lien avec la distribution des différentes espèces
de capital qui sont en jeu dans le champ considéré »38, ce qui implique de reconstruire
les états successifs du champ dans lequel elle s’est déroulée » 39. Mais plus que présenter
ce processus comme une succession d’états déterminés, comme le laisserait penser le
concept de carrière40, nous voudrions insister, avec le concept de parcours, sur « la part
importante d’imprévisibilité »41 qui peuvent influencer les « régularités ». Pour
employer d’autres termes, nous proposons dans la description de ce processus
d’insister autant sur les moments « routiniers » que sur les moments de « crise » où se
recomposent les collectifs et sur l’influence des relations entre pairs sur la
recomposition des maisonnées42. Cette approche implique de considérer que « les
causes de l’établissement d’une configuration ne sont pas nécessairement celles de son
maintien »43, ce que permet d’illustrer le terme « d’équilibres multiples ». En somme, il
s’agit d’être attentif à la façon dont s’articulent « l’apparente banalité des sentiments
avec la manière dont se constituent les tragédies »44 dans la recomposition des
collectifs.

Quête de place dans des espaces familiaux en reconfiguration et


brimades entre enfants
« Je suis arrivée à 13 ans en France, quand je suis arrivée c’était pour voir mon père.
(…) On a été élevée par ma grand-mère dans son village, elle parle pas français,
donc il faut parler son dialecte, donc moi je revenais souvent en ville juste pour
visiter ma mère et tout, mais je savais que j’étais pas l’enfant vraiment, je l’ai
toujours ressenti jusqu’à ce que je sois en âge mieux de comprendre les choses. (…)
Voilà ! Plus même que mes frères et sœurs, de toutes les façons ils me le faisaient
ressentir, ‘ vous êtes pas chez vous, retournez chez vous’. Ouais, donc des choses
comme ça, qui faisait bien que tu sentais que...
-T’as pas ta place. » (Chercheure pair 7 et Anna, 24 ans, accueil tardif).
19 Au cours de leur socialisation primaire, les enquêtés ont souvent été confrontés à des
espaces familiaux en reconfiguration. Ils ont pu faire l’expérience de séparations
parentales, de parenté dissociée, de confiage45. Ces éléments viennent confirmer les
résultats d’autres études qui montrent la surreprésentation dans les familles
concernées par la protection de l’enfance, de divorces et de séparations, de dissociation
des parentés sociales et biologiques, de décès d’un ou des parents. Par exemple, l’étude
quantitative de Catherine Sellenet46 sur 420 cas en Loire-Atlantique, souligne la
précarité sociale, affective et relationnelle des situations familiales avec notamment
73 % de couples séparés, 7 % de père décédé, et 4 % de mère décédée, auxquels
s’ajoutent des problèmes de violence d’addiction et de santé mentale (avec 26 % des

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


80

pères avec des problèmes de violence et de comportements addictifs et 30 % des mères


avec des problèmes de dépression) et des problèmes sociaux (avec 70 % des pères et
80 % des mères sans emploi). Tandis que les études qualitatives soulignent le sentiment
partagé par les enfants protégés de ne pas avoir de place pour eux dans leur famille 47.
Mais ces études mentionnent peu le rôle des autres enfants de la fratrie dans la
construction de ce sentiment de ne pas être à sa place.
20 Dans notre étude, le parcours d’Anna (24 ans, accueil tardif) est presque archétypal de
ces reconfigurations familiales multiples et du rôle des frères et sœurs dans la
reconfiguration des maisonnées. Elle est née au Cameroun. Elle a été élevée par sa
grand mère avec sa sœur jumelle en raison lui a-t-on dit de ses problèmes de santé qui
rendent leur garde impossible par leur mère, empêchée également par des problèmes
d’addiction à l’alcool, sans que des questions spécifiques par rapport à leur gémellité
soit soulevée par Anna. Elles retournent voir fréquemment leur mère, ainsi celui
qu’elles apprendront plus tard être leur beau-père et non leur père, ce qui conduit à de
nombreuses fictions avec leur frères et sœurs qui leur rappellent qu’elles ne sont pas à
leur place. Lorsqu’elles ont 13 ans, leur père biologique, militaire en France, leur
propose de le rejoindre. Elles partent alors en France, avec le nouvel espoir de trouver
un « chez soi ». Mais très vite, il est amené à accepter une mission aux Etats-Unis. Il
décide alors de les confier à une personne rémunérée. Elles se sentent à nouveau à la
charge d’une personne auprès de laquelle elles estiment ne pas être à leur place, elles
sont mises à l’écart dans cette maisonnée où elles ne partagent pas les repas avec la
famille et sont contraintes de se ramener de la nourriture de la cantine pour le repas du
soir. Elles auront à subir auprès de cette personne des négligences et des maltraitances,
qui les conduiront, à 15 ans, aux portes de l’aide sociale à l’enfance, suite à une
tentative avortée d’emménagement chez le compagnon d’une des jumelles et à leur
fuite de son domicile, les conduisant à appeler le 115, puis à aller au commissariat de
police le plus proche. Même si le moment de leur arrivée dans le dispositif de
protection de l’enfance est décrit comme un temps d’accalmie, Anna aura à nouveau à
de nombreuses reprises le sentiment de ne pas être à sa place, notamment lorsqu’elle
est accueillie dans une famille d’accueil, aussi bienveillante soit-elle.
21 C’est le récit particulièrement douloureux d’une quête de place impossible qui se donne
à lire dans ce récit. Anna et sa sœur jumelle ont connu de nombreuses ruptures de liens
et dissociation dans la parenté, ayant attaqué leur possibilité de s’attacher, en dépit
d’une relation forte à leur grand-mère. Mais ce qui se donne à lire aussi en creux, au-
delà de l’impossible prise en charge par la mère et l’attraction que représente la
nouvelle vie avec le père biologique, c’est le rôle joué par les autres enfants de la
fratrie, dans le tournant que représente pour Anna et sa sœur le départ en France et
dans la pensée d’un impossible retour. Pourtant, le mari de leur mère, désigné de
différentes manières, dans le récit à la fois comme « père », puis comme « beau-père »,
puis à nouveau comme « père » a continué à jouer un rôle important pour elles en
finançant leur école privée en France, mais aussi la personne auprès de qui elles ont été
confiées, et en venant évaluer leurs conditions de vie au moment de leur fugue.
Néanmoins pour Anna, être réassignée à cette famille au moment de l’évaluation de sa
situation par les services de l’aide sociale à l’enfance, puis au moment de sa demande de
papiers est insupportable, car elle estime ne pas avoir sa place dans cette famille, en
particulier du fait de ses relations avec ses frères et sœurs. Dans les brimades entres
enfants se rejouent l’impossibilité de trouver sa place :

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


81

« Et je me voyais pas rentrer, pour être dans la même famille, pour être avec mes
frères et sœurs, qu’ils étaient là et que je me disais qu’il y aura toujours une
différence, je vais toujours me sentir comme si je suis pas chez moi. Donc je vais
toujours subir les petites piques qu’on te lance et tout. (…) Mais y’a ce que les gens
peuvent pas comprendre, peut-être t’as un endroit où tu sais que t’es pas à ta place.
T’es avec des enfants, des grands frères, des grandes sœurs, certes avec le temps ils
grandissent donc ils changent et tout, ils nous voient différemment, on est la petite
sœur, voilà, mais à cet âge-là, c’était des enfants aussi. Ils résonnent comme des
enfants, donc forcément, ils ne savent pas qu’ils font du mal. Tu vois ? (…) Mon
beau-père, il a bien pris le rôle à cette période-là. Il a essayé de faire les choses, de
montrer même qu’il était présent, qu’il y avait quand même une famille derrière,
qu’on était pas abandonnées à nous même, parce que quand même quand tu arrives
dans le système on te parle d’abandon, on te parle de psy...
- Les mots sont lourds.
- Ouais, les mots sont lourds (…) Dans l’un de leurs rapports, ils disaient, eux ils ont
des attaches familiales, ils ont des attaches familiales solides en Afrique, donc faut
qu’ils rentrent.
- Donc ça justifiait votre retour. Alors que toi, quand tu connais ton histoire, quand
tu connais ton passé, de pouvoir lire ça, ça doit être une horreur. » (Chercheure pair
7 et Anna, 24 ans, accueil tardif).
22 Ainsi, les enquêtés rencontrés ont souvent été en quête de place dans leur famille de
naissance, avec le sentiment qu’il n’y a pas d’espace pour eux dans des espaces
familiaux en reconfiguration, ce qui peut les amener à des déménagements, voire à des
changements de pays dans les parcours migratoires. Cette quête de place peut conduire
à la construction d’un sentiment de différence par rapport à leur famille de naissance,
et au recours à l’aide sociale à l’enfance pour sortir de ce milieu. La philosophe Chantal
Jaquet48 dans un essai sur les transclasses montre que des malaises dans la classe, la
race, le sexe, le genre, la famille, peuvent empêcher l’assimilation au milieu et imposer
à l’individu de nouvelles orientations lorsqu’il ne peut prendre place dans l’ordre social
et familial : « Quiconque n’est pas à sa place est condamné à être déplacé, au sens
propre comme au sens figuré. Ne pas avoir lieu d’être expose forcément à un devenir
migrant. » Se développe alors chez l’individu « un sentiment d’altérité, né d’une
conscience plus ou moins confuse d’être à part, en trop, différent ou déviant ».
L’individu va alors chercher à se différencier à l’aide d’un modèle alternatif. En somme,
l’individu opère un travail de « différence sur la différence ». Mais pour Chantal Jaquet,
« on choisit moins de partir qu’on est choisi pour partir ». En ce sens, « l’individu qui
s’éloigne de son milieu ou le milieu qui s’éloigne de l’individu sont les deux faces d’un
même problème ». C’est pourquoi, Chantal Jaquet invite à analyser la place et le rôle du
milieu familial dans les parcours d’exit. Nous pourrions ajouter l’importance d’analyser
le rôle spécifique exercé par les autres enfants de la fratrie.

Lutte des places entre enfants dans les parcours en protection de


l’enfance
« Je pense d’ailleurs que si j’étais resté chez mes parents, je ne serais pas comme ça
actuellement. On est tous d’accord, même pour dire la même chose, parce que j’ai
discuté avec beaucoup de jeunes qui sont à l’aide sociale à l’enfance (…) Nous, ma
petite sœur et moi, on avait compris dès le début, qu’on était tellement différents,
qu’on avait de la chance d’être ici, qu’on voulait y rester, qu’on voulait pas
retourner chez nos parents et ils ont tout fait en fait, ils ont fait en sorte qu’on aille
chez nos parents, sauf qu’on voulait pas, parce que en fait on était tellement bien

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dans ce système là qu’on voulait y rester. Bah, finalement, on est resté jusqu’au
bout ! » (Chercheur pair 1 et Angy, 25 ans, accueil intermédiaire).
23 L’impossibilité de trouver sa place, face à un trop grand sentiment de différence avec
leur famille de naissance, est la raison évoquée par les enquêtés pour justifier leur
recours à l’aide quand ils ont été les acteurs de l’entrée dans le dispositif de protection
de l’enfance ou pour justifier a posteriori sa nécessité quand ils ont été l’objet d’une
protection extérieure. Les enquêtés justifient souvent leur parcours en le comparant
avec celui de leurs frères et sœurs restés à la maison ou la mobilisation onirique de
l’image de ce qu’ils seraient devenus s’ils étaient restés dans leur famille de naissance.
Si la prise en charge est présentée comme une nécessité, néanmoins le diagnostic posé
au moment de l’admission peut être discuté, partiellement contesté et réapproprié,
comme dans le discours d’Anna, ou d’abord contesté en bloc avant d’être réapproprié
dans le discours d’autres jeunes. Cette appréhension de la prise en charge comme une
nécessité peut être lue tout autant comme une estimation négative des ressources du
milieu et une évaluation globale positive de l’aide reçue, que comme un effet de
conversion49. En effet, la prise en charge en protection de l’enfance s’apparente à un
processus de « re-socialisation » qui imite la socialisation primaire par le degré
d’idendentification et la charge émotionnelle qu’elle engage. Elle diffère néanmoins de
cette dernière dans la mesure où elle ne débute pas ex-nihilo et qu’elle doit faire face à
un problème de démantèlement de la structure nomique antérieure. Elle réunit les
conditions qui rendent possible une conversion ou une alternation, à savoir la présence
« d’une structure de plausibilité » servant de « laboratoire de transformation » 50,
médiatisée par des autruis significatifs avec lesquels l’individu se trouve dans une
situation de dépendance émotionnelle. Elle suppose un processus de ségrégation de
l’individu par rapport à son ancien monde particulièrement important au cours des
premières phases de l’alternation. Ces conditions sociales s’accompagnent de la
disponibilité d’un appareil conceptuel légitimant la séquence de transformation 51. C’est
sans doute ce qui explique que dans le discours des enquêtés l’événement du placement
est présenté comme une rupture sous la forme d’un avant et d’un après, du passage des
ténèbres à la lumière avec une réinterprétation de la biographie dans sa totalité : « tout
ce qui précède l’alternation est maintenant perçu comme menant à elle (comme un
ancien testament), et tout ce qui la suit comme découlant de sa nouvelle réalité. » 52
24 Si l’entrée dans le dispositif de protection de l’enfance est réinterprétée a posteriori par
l’ensemble des enquêtés comme une nécessité, elle est présentée néanmoins comme un
événement nécessitant une nouvelle adaptation. Elle suppose « de quitter son endroit »,
de « changer ses habitudes ». Elle implique d’entrer dans un monde inconnu dont il va
falloir très vite apprendre les nouveaux codes. Elle nécessite de changer son langage,
« son vocabulaire », en somme « tout son état d’être » (Chercheur pair 1 et Angy, 20
ans, accueil intermédiaire). Ainsi comme l’analyse Chantal Jaquet 53 à propos des
parcours en transit, l’adaptation implique « une forme de dépôt, voire de déposition,
pour pouvoir se positionner », « un dépouillement de soi et une mue difficile à opérer
de façon instantanée ».
25 Malgré ce premier temps d’adaptation, l’accueil est souvent qualifié de temps
d’accalmie, où l’enfant va enfin pouvoir dormir dans une belle chambre avec des draps
propres, dans un endroit pour lui, sécurisé :
« Tu arrives là, et t’as une très belle chambre, voilà pour moi c’était une belle
chambre, voilà et tout, tu es au chaud tranquille. Et là tu dis « enfin mon Dieu », tu
te …

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- Ouais, t’avais un endroit à toi ?


- Voilà. Tu souffles, tu souffles, tiens les draps propres, voilà. » (Chercheure pair 7 et
Anna, 24 ans, accueil tardif).
26 Mais l’accalmie est de courte durée, car la prise en charge expose les enfants confiés à
un espace temporel et de signification indéfini, dans le sens où ils n’ont pas
connaissance de la durée de leur placement, ni du moment de leur sortie, comme
l’exprime ici, Christopher, qui a vu sa situation d’accueil d’urgence d’une semaine se
transformer en accueil long de 10 ans :
« Et après le truc qui m’a déplu, c’est quand j’suis arrivé dans mon premier foyer
quand on m’a dit ‘tu restes une semaine’, ça fait quand même 10 ans ! Ils sont trop
forts ! (…) ouais, bah comme la moitié des jeunes en fait les trois quart. Surtout
quand c’est la police qui amène et qu’ils disent : ‘non, tu restes là une semaine,
t’inquiètes pas, tes parents vont venir te chercher’.
- D’accord. Et comment tu l’a vécu ça ?
- Bah, mal ! Parce que j’ai compté les jours quand même ! Je savais qu’une semaine,
ça faisait 7 jours. Donc après le dimanche... bah, ça a duré quoi. Mais après comme
j’étais sur un groupe petit, j’ai vite oublié, ma vie, elle a continué quoi.
(…) Bah, comme ça je pense que c’est bien, mais... faut en parler... plus à l’avance,
par exemple en 3ème dès le début de l’année, on nous dit qu’on passe le brevet, alors
que là, on sait qu’on va partir, on nous dit pas qu’on va partir. On voit tout le monde
partir au foyer mais nous on sait pas quand on va partir, c’est comme une semaine
du début, quoi » (Chercheur pair 1 et Christopher, 16 ans, accueil intermédiaire).
27 Dans cet extrait, Christopher établit une analogie entre le temps de l’arrivée et le temps
de la sortie tout aussi peu verbalisée dans ses souvenirs. Il compare l’annonce très
formelle des examens à l’école à l’absence de ritualisation de l’entrée comme de la
sortie au foyer. Face à ce qui est perçu comme une insuffisance de préparation et de
verbalisation de la durée du placement comme du temps de la sortie, l’apprentissage de
cette temporalité passe alors par l’observation des allées et venues des autres jeunes
dans l’accueil et des départs des plus grands.
28 Si pour certains, comme Christopher, le temps de l’accueil va être caractérisé par une
période de placement long, pour d’autres, il va être constitué de multiples
déplacements. En effet, selon le temps de leur arrivée (en accueil précoce,
intermédiaire ou tardif), les enfants vont être exposés inégalement au risque de
ruptures. Le nombre de déplacements est le plus grand chez les enfants en accueil
intermédiaire. Mais il ne s’agit pas de la seule variable, là encore les rapports entre
enfants vont jouer un rôle important dans la construction du parcours d’accueil et des
bifurcations au cours de ce parcours.
29 Ainsi le récit d’Hervé, qui a connu un accueil long et précoce d’un an à dix-huit ans
dans la même famille, montre à quel point son inscription au sein de cette maisonnée a
été rendue possible par la place que lui a laissée « sa sœur » d’accueil, dernière fille de
sa famille d’accueil :
« Moi je suis arrivé à 14 mois dans cette famille d’accueil et... j’étais l’attraction
parce que c’était un petit village et puis j’ai une phrase en tête qui est très forte
c’est de leur fille qui me disait régulièrement ‘voilà je te prête les genoux de ma
maman, maintenant c’est ta maman’, et entre guillemets, ‘fais en bon usage’ et en
fait c’était, j’avais des liens très forts avec cette fille qui était pour moi ma sœur, on
avait un lien très fort nous quatre, parce que on se suivait tous au niveau des âges. »
(Chercheur pair 8 et Hervé, 26 ans, accueil précoce et long).
30 Dans le récit d’Hervé, la famille d’accueil apparaît, dans les moments routiniers, comme
un lieu de socialisation important, au niveau des liens verticaux avec les adultes, mais

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aussi et surtout des liens horizontaux entre enfants qui participent à la définition des
premiers (et inversement). Au sein des familles d’accueil, les places dans la fratrie sont
complexes puisqu’elles ne dépendent pas seulement de l’âge de l’enfant, mais aussi de
sa date d’arrivée dans le lieu d’accueil, et de la présence d’autres enfants accueillis ou
non. Dans son récit, Hervé recompose un ordre de naissance qui lui est propre et qui
mêle la co-sanguinité et l’expérience de la co-résidence dans une forme de bricolage
affinitaire et fraternel54. Hervé décrit sa place particulière, en tant que premier enfant
accueilli, rejoint à sa demande, par la suite, par ses sœurs, ce qui en fait au début, du
fait de sa singularité, l’objet de toutes les attentions, voire de toutes les attractions. Il
décrit les relations complexes qui se nouent avec les enfants de la famille d’accueil et
notamment avec la plus jeune lui autorisant l’accès à sa maman, tout en signifiant qu’il
s’agit d’un prêt. Ce dernier marque une différence avec la filiation biologique. Ainsi, on
peut percevoir le même effet dans l’accueil familial que celui analysé par Aude
Poittevin55 dans les familles recomposées, à savoir la suprématie de l’enfant résidant ou
ici de l’enfant de la famille d’accueil. Celui-ci exerce son contrôle sur le territoire
familial, autorise ou non l’accès à l’espace mais aussi à l’affection et l’attention de ses
parents. On peut penser dans ce cas que l’investissement par Hervé de sa famille
d’accueil a été rendu possible par l’autorisation qui lui a été faite par la plus jeune
enfant de la famille d’accueil d’occuper une place auprès de sa maman dont elle prête
les genoux, même si la dimension de prêt implique déjà en germe la réversibilité de la
situation une fois la prise en charge terminée :
« Pour pouvoir partir et... en fait au début y’avait un contrat donc à mes 18 ans j’ai
eu mon baccalauréat, je décide d’aller à Nice, donc au début y’avait un contrat entre
les trois parties, c’est-à-dire eux, le service, plus moi avec une obligation de rentrer
les week-end, et puis donc, je suis rentré les week-ends, et y’avait tellement de
pression que je me suis dit non je peux pas, je peux pas voilà. Ma chambre que
j’avais là-bas, n’était plus ma chambre, je prenais une chambre autre, voilà, donc
j’étais quelqu’un de passage au final et puis, on m’adressait pas la parole, heu, enfin
voilà, donc leur vie se faisait la semaine, moi je revenais j’avais pas participé à ce
qu’ils avaient fait, de toutes manières ils m’en voulaient donc, à partir de ce
moment-là j’ai dit...
- Ils t’en voulaient pourquoi ?
- C’est un sujet un peu, enfin moi je, j’peux le dire, pour moi il y a pas de problème
mais effectivement j’ai découvert mon homosexualité très jeune. » (Chercheur pair
8 et Hervé, 26 ans, accueil précoce et long).
31 En effet, un décrochage se produit, au moment de sa décohabitation pour ses études, où
il est amené à s’éloigner géographiquement et affectivement. Lors de ses retours le
week-end, Hervé a le sentiment d’être de passage, de ne plus partager de temps
commun, de ne plus compter, de ne plus avoir sa chambre et donc symboliquement
d’avoir perdu sa place. Le contrat explicite (un contrat jeune majeur avec un retour en
week-end dans la famille d’accueil) ne semble plus suffisant pour faire tenir le contrat
implicite de la pérennité des liens. Cet effet de décrochage est d’autant plus violent
qu’il se produit sous la forme d’un conflit de reconnaissance sur l’identité homosexuelle
du jeune homme. La violence du conflit est à la mesure de la durée et la force du lien,
mais il renvoie Hervé à un choix impossible, entre renoncer à l’être aimé ou à sa famille
d’accueil. Il part alors « contraint », tout en ayant des difficultés, dans l’interaction avec
l’enquêteur, à qualifier cette sortie : s’agit-il d’un choix, d’un choix contraint, d’un non
choix, d’un choix impossible ? Cette situation témoigne de la fragilité des liens du
quotidien noués dans une maisonnée, par définition provisoire, quand ils se
construisent autour de la prise en charge d’un enfant dépendant, qui passe du statut de

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« bout de choux », objet de toutes les attentions, à celui d’un jeune adulte qui affirme
ses préférences et ses choix. Que reste-t-il alors de ces liens quotidiens, dissociés de
l’inscription pérenne dans une lignée de transmission, mis à mal par le conflit, quand la
cause commune, celle de l’éducation de l’enfant jusqu’à sa majorité, disparaît ? Ce
temps de transition à l’âge adulte, appréhendé par Hervé comme « un couperet », « une
guillotine », peut être lu comme une bifurcation au sens ou l’entend Marc-Henry
Soulet56, c’est-à-dire « un contexte dans lequel les règles du jeu ne sont plus claires et
les normes plus cohérentes ». En effet, Hervé découvre à l’âge adulte que les liens
construits avec son assistante familiale ne sont pas pérennes et prend conscience de la
double dimension affective et financière de cette relation. Ce n’est pas le cas dans la
situation d’Hervé mais dans d’autres situations étudiées, l’enfant de la famille d’accueil
peut continuer de jouer un rôle important auprès de l’ancien enfant accueilli malgré le
« clash » avec l’assistante familiale.
32 Le rôle des pairs dans les situations de déplacements est également très important. Ces
situations de déplacements, d’un lieu d’accueil à un autre, concernent les 2/3 de nos
enquêtés principalement en situation d’accueil intermédiaire ou tardif. Elles sont
souvent expliquées par les enquêtés par l’arrivée d’un nouvel enfant accueilli à l’aide
sociale à l’enfance avec un autre statut (adoptable) ou une particularité (en situation de
handicap) qui vient bouleverser les places et entrainer une reconfiguration de la
maisonnée :
« - Est-ce que, toi t’as l’impression d’avoir vécu beaucoup de ruptures ? Est-ce que
t’as vécu des choses comme des ruptures ?
Oui ! Parce que j’étais en première famille d’accueil, et puis après ça a cassé d’un
coup comme ça donc... ça fait mal quoi. Et en fait, ça a été net, genre du jour au
lendemain : ‘tu t’en vas...’ ça a été comme ça, parce qu’en fait, y’avait, dans la
première famille d’accueil, y’avait une fille qui a été adoptée, et donc moi, j’étais
jaloux et tout ! Mais parce qu’ils leur apportaient plus de, en fait ils...la cocoonaient
elle, mais tandis qu’en famille d’accueil, ils peuvent pas nous cocooner à nous, parce
qu’il faut qu’ils agissent, c’est spécial, il faut qu’ils agissent pas en tant que parents
quoi. On peut pas leur dire... on peut pas dire : ‘ouais maman’. On ne peut pas. (…)
Tandis que, son enfant qu’elle a adopté, bah, elle le coucounait quoi, parce que...
c’était son enfant. Voilà ! Et il pouvait lui dire ‘maman’. Voilà, et moi j’étais jaloux,
parce que bon...elle le laissait faire tout et moi on m’engueulait. Donc ça faisait...
mais pour elle c’était chaud à gérer (...) Ouais c’est pour ça. Qu’elle m’a fait changer
de famille d’accueil. » (Chercheur pair 4 et Gabriel, 26 ans, accueil intermédiaire).
33 Dans le récit de Gabriel, un point tournant est décrit avec l’arrivée dans sa première
famille d’accueil d’un enfant adopté. La différence entre une parenté d’accueil qui
n’autorise pas le « cocooning » ni l’appellation de « maman » et d’une parenté adoptive
lui est trop difficile à supporter et le conduit à sa sortie précipitée de cette première
famille d’accueil. Le récit réalisé par Angy est assez proche. La venue d’un troisième
enfant, en situation de handicap, dans sa première famille d’accueil, qui fait l’objet de
beaucoup d’attentions, conduit à son départ et son accueil dans une seconde famille, où
il est amené à jouer très vite le rôle de grand frère dans une nouvelle fratrie. Ainsi
l’arrivée d’un nouvel enfant avec une particularité induit un regain d’attention de la
part de l’assistant familial, à une lutte des places 57 entre enfants et au départ de celui
qui le supporte le moins et qui a le statut le plus précaire. Comme le souligne Angy, ces
transitions rapides impliquent de changer très vite « tout son état d’être » car elles
engagent la définition intime de soi dans des espaces familiaux en mutation et en

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reconfigurations fréquentes. Ces changements viennent redoubler la quête de place à


laquelle les enfants ont été confrontés dans leurs espaces familiaux de naissance.
34 Mais ces changements de lieux d’accueil ne sont pas toujours subis, ils peuvent aussi
être négociés ou parfois souhaités par l’enfant comme dans le cas d’Anna :
« Avant le foyer, on est allé en famille d’accueil, c’est moi qui a demandé qu’on
quitte cette famille. Ma sœur, se sentais très bien en famille d’accueil. (…) Et ma
sœur, elle était très bien dans cette famille, avec les enfants ça se passait très bien,
mais moi je suis pas chez moi. Et ça me ramène encore dans ce truc... !
- Être dans une famille qui est pas la tienne, ça te renvoyait ton parcours à toi.
- J’hésitais à partir, j’ai dit à ma sœur, ‘je peux pas, je peux pas, parce que c’est pas
ma famille, c’est pas ma mère, c’est pas...’, et je sentais, elle essayait cette femme de,
de faire du mieux qu’elle pouvait pour, parce qu’elle avait jamais rencontré des
jeunes chez elle qui sont aussi calmes ! (…) Et ma sœur elle se sentait très bien
dedans, elle avait retrouvé une mère, elle avait retrouvé, elle était sécurisée là-
dedans. Ouais, mais moi.
- Ça allait pas ?
- Ah mais pas du tout, du tout. Au contraire, pour moi ça me rappelait tout ce que je
voulais pas. Parce que ça me rappelle tout ce que j’ai vécu, que je suis pas toujours à
ma place, que j’ai pas de parents, que … ah non, c’était insupportable pour moi,
parce que elle faisait, je peux dire, elle essayait de remplacer celle que voilà j’ai pas
eue. Alors pour celle qui était là, alors que c’était pas mauvais, elle voulait faire
juste (…)
Moi je le vivais tellement mal, que j’ai dit à l’assistante sociale (…) Au contraire,
franchement, elle nous proposait d’aller en vacances avec elle, de trucs, voilà quoi !
- Mais justement, c’est alors je sais pas si c’est ce que t’as ressenti toi, mais moi, plus
j’avais le sentiment que eux, ils m’incluaient dans leur famille en tant que, limite
leur enfant, plus j’étais mal à l’aise et moins je me sentais bien en fait. Parce que je
me disais ‘non, ok, ça se passe bien mais non ! T’es pas ma mère, c’est pas mes
frères !’.
- Voilà, moi vraiment je me sentais pas bien. (…) Et je pense qu’elle a prise très mal
quand c’est moi, parce que c’est moi qui ai demandé de partir, c’est pas ma sœur.
Parce que ma sœur, elle se sentait bien, elle disait ’toi Amandine, tu te sens bien, tu
vois bien ça se passe bien ici, pourquoi vous voulez partir ?’. Et c’est là que j’ai
trouvé bien P. B. qui était l’assistante sociale de l’époque, éducatrice de l’ASE, elle a
osé essayer de me défendre et essayer de me protéger, parce que pour elle c’était
comme si il y a avait un problème et elle me faisait culpabiliser du truc, et c’est là
où elle a su mettre bien les choses au clair, que ‘ non, c’est le choix d’Anna et il faut
que tu respectes ça, tu n’as pas à la faire culpabiliser, pour son choix et tout. »
Chercheure pair 7 et Anna, 24 ans, accueil tardif ).
35 Dans cet extrait, on peut percevoir le cheminement d’Anna et des services sociaux pour
trouver la place qui lui correspond le mieux. Elle a préféré quitter une famille d’accueil
très incluante, mais où le faux-semblant d’une place familiale lui était insupportable,
pour une place en foyer, moins chargée d’affect. Ce déplacement souhaité par Anna
influe en retour sur sa sœur contrainte de quitter ce refuge pour suivre sa sœur. Ainsi,
comme le souligne Valentine Hélardot58, le déclencheur de la bifurcation peut être
extérieur à l’individu ou résulter d’une initiative personnelle. Dans les bifurcations
actives, comme celle d’Anna, les individus revendiquent un haut degré de contrôle sur
leur propre existence, c’est celle qui se prête le mieux à la construction du mythe de
l’individu héroïque. Mais un même changement peut être appréhendé différemment
par deux individus, comme c’est le cas ici entre Anna et sa sœur jumelle. Pour Anna, le
changement de lieu d’accueil recherché et souhaité s’inscrit dans une forme de
continuité alors que pour sa sœur qui résiste à ce changement, il constitue une rupture.

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La trace laissée par la fratrie dans la sortie des dispositifs

36 L’importance de la socialisation entre pairs est également prégnante au moment de la


transition à l’âge adulte. La trace laissée par l’épreuve du passage à l’âge adulte d’un
frère ou d’une sœur, fondatrice ou destructrice, va venir colorer l’appréhension de ce
temps de la sortie par l’autre membre de la fratrie, même s’il se trouve dans une toute
autre situation :
« Elle est arrivée à 21 ans, oui. À 21 ans, le 1er mai 1986, ma date de naissance, c’est
‘bon anniversaire’ ça dépend comment on le voit mais là c’était pas vraiment un
bon anniversaire surtout que ma sœur avant a mal vécu ce…, cette transition là,
parce que… elle vraiment, elle a fait une tentative de suicide, parce qu’elle est sortie
quand même sans diplôme, sans rien, donc elle s’est retrouvée à la, vraiment sans
rien du tout pour rebondir, plus de confiance en elle et du coup ça l’a amenée à
mettre fin à ses jours. (…) La fin du contrat jeune majeur, bah j’dirai aussi couperet.
C’est, c’est oui, c’est quand même une guillotine quoi, c’est, ça s’arrête net. »
(Chercheur pair 8 et Hervé, 26 ans, accueil précoce et long).
37 Ainsi, dans le discours d’Hervé, le caractère brutal de la sortie du dispositif avec une fin
d’aide à 21 ans est d’autant plus vif qu’il a vu auparavant sa sœur faire une tentative de
suicide au moment de sa sortie du dispositif sans diplôme. Si la figure repoussoir dans
les récits d’entrée dans l’âge adule des jeunes français interviewés par Cécile Van de
Velde59 est celle du grand frère n’ayant jamais trouvé de travail, elle prend ici une
forme plus brutale d’un possible anéantissement. Pour Hervé, ce sentiment d’abandon
par les services de l’aide sociale à l’enfance à ces 21 ans se double d’un sentiment
d’abandon de la part de sa famille d’accueil où il a été rejeté du fait de son
homosexualité.
38 Dans le même temps, dans ces situations, le cumul des stigmates, liés à la situation de
placement, à l’origine ethnique, ou encore à l’orientation sexuelle, peut être aussi des
facteurs favorisants, sans les déterminer, des parcours en transit entre plusieurs classes
sociales60 : le milieu d’origine et le milieu d’éducation et le milieu d’arrivée. Par
exemple, chez Hervé, la découverte par sa famille d’accueil de son homosexualité et le
conflit que cela a engendré, a été la raison de son départ et de la poursuite de son
investissement dans la musique. Cet investissement dans la musique avait déjà été
porté par une volonté de se différencier durant l’enfance pour retourner le stigmate lié
au placement. La combinaison d’être d’une origine culturelle différente, d’être un
enfant placé, d’être homosexuel dans un milieu homogène et fermé d’un petit village
français, est ce qui a été facteur d’exit.

Conclusion
39 Nos travaux de recherches rejoignent les travaux antérieurs sur les parcours des
enfants confiés et notamment ceux d’Emilie Potin61 qui ont cherché à montrer leur
complexité à l’intersection de l’histoire familiale, de la manière de travailler de la
famille d’accueil, des règles de vie dans le foyer, des pratiques professionnelles, des
réformes nationales et départementales. Sans effacer ces autres dimensions, notre
méthodologie d’enquête par les pairs attire le regard sur une dimension minorée de ces
parcours, à savoir la socialisation horizontale, les rapports entre enfants. À trois temps
du parcours : la sortie du milieu familial, l’installation et le déplacement dans l’accueil

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


88

et la sortie des dispositifs, nous avons cherché à montrer le rôle crucial que peuvent
jouer les enfants dans la construction des continuités et des discontinuités au cours du
parcours. Dans notre corpus, les relations entre pairs apparaissent dans les moments
routiniers comme dans les moments de crise, à la fois comme des ressources, des
supports de la stabilité et comme des menaces, des formes de déstabilisation des
collectifs. Par exemple, la construction d’un discours cohérent avec une sœur ou un
frère peut être un facteur facilitant le recours à l’aide, le modèle représenté par un
frère peut être facteur de réussite scolaire, l’autorisation d’accès à sa mère peut
faciliter l’intégration d’un enfant dans sa famille d’accueil, un frère peut chercher à
rapatrier sa fratrie dans sa famille d’accueil pour leur faire bénéficier d’un meilleur
accueil. Mais, à de nombreuses autres reprises, les relations entre pairs apparaissent
aussi comme un facteur de déstabilisation des collectifs et des maisonnées : des rivalités
dans la fratrie peuvent entrainer des parcours d’exil, l’arrivée d’un nouvel enfant
accueilli avec un autre statut peut entrainer la sortie d’un enfant de sa famille d’accueil,
la volonté d’une sœur de trouver l’aide la plus adaptée pour elle peut conduire sa sœur
à quitter une famille d’accueil dans laquelle elle commençait à trouver ses repères.
Nous pensons en ce sens que tenir compte de ce qui se joue à hauteur d’enfants dans les
parcours, permet de mieux saisir la scène principale et les bifurcations qui s’y
produisent. En effet, les liens de socialisation horizontaux entre enfants participent à la
définition des liens de socialisation verticaux avec les adultes (et inversement) et
influent sur les reconfigurations des maisonnées.
40 Cette recherche attire également l’attention sur la quête de place à laquelle les enfants
confiés sont confrontés au cours de leur socialisation primaire puis secondaire. Cette
quête de place peut se transformer en une lutte des places entre enfants, ce qui nous
invite à dénaturaliser une vision romantique de l’enfance, parfois présente dans les
Childhood Studies62. Mais cette lutte des places renseigne moins sur la sociabilité
enfantine que sur l’absence de clarté des règles du dispositif de protection de l’enfance,
qui conduit à cette lutte, avec notamment les différences ténues entre les parentés
adoptives et d’accueil ou encore les discontinuités entre le temps de la minorité où
l’enfant est conçu comme un être à protéger et à relier et le temps de la majorité
comme un adulte à insérer et à délier. En ce sens, les bifurcations rencontrées par les
enfants confiés sont tout autant situées à l’écart des routines et des socialisations
instituées que socialement balisées et organisées. Ces moments critiques sont le produit
croisé d’une décision subjective et de l’objectivité d’une contrainte de cheminement
(pré-établi par l’institution). Ils sont associés à « un bouleversement des configurations
dans lesquelles les acteurs évoluent »63, bouleversement durant lequel les règles du jeu
ne sont plus claires et les normes plus cohérentes. Ces situations de reconfiguration des
collectifs et des maisonnées, placent les enfants et les jeunes face à une rupture
d’intelligibilité, nécessitent une forte mobilisation affective. Dans ces situations, les
conditions de l’agir ordinaire sont rompues et l’enfant ou le jeune est placé aux limites
de son agentivité. Mais plus que de conclure à une agentivité « fine » ou « épaisse » des
enfants et des jeunes64, cette étude confirme l’importance de l’appui de l’individu sur
l’environnement social « à la fois comme ressource et réserve d’expériences de
symbolisation et comme instance de la recevabilité de l’action posée ainsi que du sens
élaboré65. »

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NOTES
1. L’expression de « parcours de vie » (life course) réfère ici à l’étude du déroulement de la vie
humaine dans son extension temporelle et dans son cadrage socio-historique. Glen Elder
décompose le parcours de vie en trajectoires et transitions : « les trajectoires sont des séquences
inter-reliées et interdépendantes, d’évènements dans les différentes sphères de la vie. Les
transitions sont tantôt des étapes à l’intérieur des trajectoires régulières, tantôt des changements
radicaux. »

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Glen Elder, « The life course and human development contextes », dans Handbook of child
psychology : Theoretical models of human developpement, New York, Wiley, 1997, vol. 1, p. 939-991,
p. 191.
2. Maria Eugenia Longo, « Les parcours de vie des jeunes comme des processus », Dossier
Parcours de jeunes et institutions, les Cahiers dynamiques, n° 67, érès, 2016, p. 48-57, p. 48.
3. Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995, 494 p.
4. Bénédicte Zimmermann, Ce que travailler veut dire. Une sociologie des capacités et des parcours
professionnels, Paris, Économica, coll. « Études sociologiques », 2013, 250 p.
5. Daniel Bertaux, Histoires de vies - ou récits de pratiques ? Méthodologie de l’approche biographique en
sociologie, CORDES, 1976, 232 p.
6. Marc Bessin, « Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de
problématique », Informations sociales 6/ 2009, n° 156, p. 12-21, p. 12.
7. Claude Dubar, Sandrine Nicourd, Les biographies en sociologie, Paris, La découverte, 2017, p. 4.
8. Bénédicte Zimmermann, op. cit., p. 85.
9. Selon Arlette Farge, l’évènement est caractérisé par « un avant et un après » (p. 69). Il est
défini par une jonction d’altérités, en plus d’un morceau de temps, il est appelé à prendre son
devenir et sons sens dans sa réception et dans les représentations qu’on a de lui. » p. 78. Arlette
Farge, « Penser et définir l’événement en histoire, Approche des situations et des acteurs
sociaux », Terrain, n° 38, 2002, p. 69-78, mis en ligne le 6 mars 2007, consulté le 20 février 2017,
http://terrain.revues.org/1929.
10. Michel Grossetti définit la bifurcation « comme un processus dans lequel une séquence
d’action comportant une part d’imprévisibilité produit des irréversibilités qui concernent des
séquences ultérieures. » Michel Grossetti, « Imprévisibilités et irréversibilités : les composantes
des bifurcations », dans Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La
Découverte, 2009, p. 147-159, p. 147.
11. Bénédicte Zimmermann, op. cit.
12. Ibid., p. 86.
13. Ibid, p. 64.
14. Florence Weber, Le sang, le nom, le quotidien : une sociologie de la parenté pratique, Paris, La
Courneuve, Éditions Aux lieux d’être, 2005, 264 p.
15. Bernard Lahire, Tableaux de familles, Hautes Études, Paris, Seuil, 1995, 302 p.
16. Catherine Delcroix, Ombres et lumières de la famille Nour. Comment certains résistent face à la
précarité, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2005, 258 p.
17. Nicole Sotteau-Léomant, Christian Léomant, « Itinéraires de vie d’usagers de la justice des
mineurs. Précarisation sociale et citoyenneté », Recherches familiales 2013/1, (n° 10), p. 115-125.
18. Elisabeth Callu et Isabelle Frechon, « De la prise en charge à l’autonomie… », Sociétés et
jeunesses en difficulté [En ligne], n° 8 | Automne 2009, mis en ligne le 07 janvier 2010, consulté le 07
mai 2016, http://sejed.revues.org/6447.
19. Emilie Potin, « Vivre un parcours de placement. Un champ des possibles pour l’enfant, les
parents et la famille d’accueil », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], n° 8 | Automne 2009,
mis en ligne le 07 janvier 2010, consulté le 21 février 2017. URL : http://sejed.revues.org/6428.
Emilie Potin, Enfants placés, déplacés, replacés : parcours en protection de l’enfance, Toulouse, Érès,
2012, 218 p.
20. Isabelle Frechon et Nicolas Robette, « Les trajectoires de prise en charge par l’Aide Sociale à
l’Enfance de jeunes ayant vécu un placement », Revue française des affaires sociales, n° 1-2, 2013,
p. 123-143. Les parcours longs en famille d’accueil (19 %) ou long en collectif (13 %) sont ceux qui
exposent le plus à des risques de changements de lieux d’accueil (avec quatre à cinq placements
différents) tandis que les parcours mixtes (50 %) qui associent période de milieu ouvert et
période d’accueil et les placements tardifs (20 %) sont a contrario composés de peu de
déplacements.

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21. Emilie Potin, op. cit. Pour les enfants « placés » (36 %), ayant connu un accueil long, stable, et
précoce dans une même famille d’accueil, la parenté quotidienne prend le pas sur la parenté de
sang. A contrario les enfants « replacés » (19 %), ayant connu des allers retours entre leur famille
d’origine et les différents accueils, se définissent avant tout comme l’enfant de leur famille de
sang et de nom. Enfin, les enfants « déplacés » (29 %) qui ont connu une succession de lieux
d’accueils sans retour en famille sont face à une absence de supports disponibles pour se définir.
22. Annick-Camille Dumaret, Pascale Donati et Monique Crost, « Entrée dans la vie adulte
d’anciens placés en village d’enfants : Fin des prises en charge et parcours d’accès à
l’autonomie », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], n° 8 | Automne 2009, mis en ligne le 08
janvier 2010, consulté le 07 mai 2016, http://sejed.revues.org/6447.
23. Régine Sirota, « L’enfant acteur ou sujet dans la sociologie de l’enfance. Évolution des
positions théoriques au travers du prisme de la socialisation, dans L’enfant, acteur et/ou sujet au
sein de la famille, Paris, Érès, 2005, p. 33-41.
24. Régine Sirota, « Enfance et socialisation au quotidien », La Revue internationale de l’éducation
familiale, 2015/1, n° 37, p. 9-16.
25. Régine Sirota, 2005, op. cit. p. 37
26. Régine Sirota, « Les civilités de l’enfance contemporaine. L’anniversaire ou le déchiffrage
d’une configuration », Éducation et Sociétés, 1999, n° 3, p. 31-54.
27. Nathalie Rouscous et Antoine Dauphragne, « La chambre d’enfant, Une construction partagée
entre parents et enfants », La Revue internationale de l’éducation familiale, 2015/1, p. 87-113.
28. Aude Poittevin, « Terrains de ‘je’ recomposés », Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle
2006/2 (Vol. 39), p. 33-51.
29. Aude Poittevin, « La spécificité du fraternel en Villages d’enfants SOS, La cohabitation comme
maintien du lien et sources de liens », Dialogue, 2008/1, n° 179, p. 9-19.
30. Nicolas Oppenchaim, « Pourquoi et comment favoriser la participation d’adolescents de ZUS à
une recherche sur leurs mobilités urbaines ? », Carnets de géographes, n° 3, décembre 2011,
Rubrique Carnets de terrain, p. 1-16.
http://www.carnetsdegeographes.org/carnets_terrain/terrain_03_03_Oppenchaim.php.
31. Luc Boltanski, De la critique, Paris, Gallimard, 2009, 294 p.
32. À l’initiative de ce projet réalisé entre 2012 et 2014 se trouve une collaboration entre une
chercheure de l’université Paris Est Créteil et une conseillère technique de SOS Villages d’Enfant,
à laquelle a été associée deux chercheures de l’UPEC et deux étudiantes de master II. Elles ont
obtenu un soutien de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger, de SOS Villages d’Enfants,
des Apprentis d’Auteuil et des conseils généraux des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne.
33. Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 62-63,
1986, p. 69-72. Ainsi comme l’avait rappelé Pierre Bourdieu, il importe de tenir compte des
mécanismes sociaux qui favorisent la présentation d’une vie comme unité, de questionner la
distance sociale entre enquêteur-enquêté dans la production du récit. Selon la distance entre
l’enquêteur et l’enquêté, le récit peut aller de la douce confidence à l’interrogatoire.
34. Isabelle Astier et Nicolas Duvoux, La société biographique : une injonction à vivre dignement, Paris,
L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2006, 212 p.
Isabelle Astier, Les nouvelles règles du social, Paris, PUF, 2007, 190 p.
35. Claire J. Lushey et Emily Munro, « Peer research methodology: an effective method for
obtaining young people’s perspectives on transitions from care to adulthood? », Qualitative Social
Work, 14(4), 2014, p. 522-537.
36. Pierrine Robin et al., « Une recherche par les pairs en protection de l’enfance pour
renouveller les formes de connaissance en contexte de disqualification », dans Les recherches
actions collaboratives, une révolution de la connaissance, Presses de l’EHSP, 2015, p. 138-146.
37. Pierrine Robin et al., « La transition à l’âge adule au prisme d’une recherche par les pairs »,
Vie sociale, n° 12, Érès, p. 71-88.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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38. Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 62/63,
1986, p. 69-72. p. 71.
39. Ibid, p. 72
40. Voir la lecture critique du concept de carrière par Marielle Poussou-Plesse, « Le turning point
sous le regard du point final. Retour sur un usage canonique de la notion de carrière en
sociologie », dans Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La
Découverte, 2009, p. 254-270.
41. Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti, « Les bifurcations un état de la question en
sociologie » dans Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti [coord.], Bifurcations. Les sciences
sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte, 2009, p. 25-35, p. 27
42. Florence Weber, op. cit
43. Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti, « Les bifurcations un état de la question en
sociologie », Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte,
2009, p. 28
44. Arlette Farge, op. cit.
45. Voir sur ce sujet l’article de Monique Kamga et Bernadette Tillard, « Le fosterage à l’épreuve
de la migration. Jeunes Bamilékés du Cameroun accueillis en France », Ethnologie française, Presses
Universitaires de France, 2013, XLIII (2), p. 325-334.
46. Catherine Sellenet, La santé des enfants accueillis en établissements de protection de l’enfance,
L’exemple de la Loire-Atlantique, Rapport de recherche réalisé pour et financé par l’ONED, 2013,
111 p.
47. Johanes Münder, Kindeswohl zwischen Jugendhilfe und Justiz- Ergebnisse eines Forschungsprojektes,
Sozialpädagogisches Institut im SOS-Kinderdorf, 2001, 141 p.
48. Chantal Jaquet, Les transclassses ou la non-reproduction, Paris, PUF, 2014, p. 79.
49. Peter Berger et Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin,
2012, p. 214.
50. Ibid., p 250.
51. Ibid., p 253.
52. Ibid., p 254.
53. Chantal Jaquet, op. cit., p. 125.
54. Aude Poittevin, 2008, op. cit.
55. Ibid.
56. Marc-Henry Soulet, « Changer de vie, devenir autre, essai de formalisation des processus
engagés », dans Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement , Paris, La
Découverte, 2009, p. 281.
57. Vincent de Gaulejac et Taboada Léonetti, La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994,
286 p.
58. Valentine Hélardot, « Vouloir ce qui arrive ? Les bifurcations biographiques entre logiques
structurelles et choix individuels », dans Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à
l’événement, Paris, La Découverte, 2009, p. 160-167.
59. Cécile Van de Velde, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris, PUF, coll.
« Le Lien social », 2004, 278 p.
60. Chantal Jaquet, op. cit.
61. Emilie Potin, op. cit.
62. Florian Esser, « Agency und generationale Differenz. Einige Implikationen der
Kindheitsforschung für die Sozialpädagogik », dans Vom Adressaten zum Akteur : Soziale Arbeit und
Agency, Opladen, Budrich, 2008, p. 133-153.
63. Sophie Denave, « Les ruptures professionnelles : analyser les événements au croisement des
dispositions individuelles et des contextes », dans Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures
et à l’événement, Paris, La Découverte, 2009, p. 168-175, p. 173.

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64. Florian Esser, « Neither ‘thick’ nor ‘thin’, Reconceptualising agency and childhood
relationally », dans Reconceptualising Agency and Childhood, New Perspective in Childhood Studies,
London et New York, Routledge, p. 48-60.
65. Marc-Henry Soulet, op. cit., p. 285

RÉSUMÉS
À l’intersection d’une sociologie du parcours de vie et d’une sociologie de l’enfance, cet article
invite à s’intéresser à la socialisation horizontale, aux rapports entre enfants, dans les parcours
en protection de l’enfance. À partir d’une approche d’enquête par les pairs, cette recherche vise à
mieux saisir les ruptures, les tournants, et les bifurcations dans les parcours des enfants confiés.
À trois temps du parcours (la sortie du milieu familial, l’installation et le déplacement dans
l’accueil, et la sortie des dispositifs), nous cherchons à analyser le rôle crucial que peuvent jouer
les enfants dans la construction des continuités et des discontinuités au cours du parcours.

At the intersection of a sociology of the life course and a sociology of childhood, this article
invites us to take an interest in horizontal socialization, in relations between children, in the in
child protection paths. Based on a peer-interviews, this research aims to better understand the
breaks, turning points and bifurcations in the paths of children in care. At three stages of the
journey: the exit from the family environment, the installation and movement in care, and the
exit of care, we try to analyze the crucial role that children can play in the construction of
continuities and discontinuities in life course.

En la zona de convergencia de una sociología de la trayectoria de vida y una sociología de la


infancia, este artículo invita a interesarse por la socialización horizontal, por las relaciones entre
niños, en las trayectorias dentro de la protección de la infancia. A partir de un enfoque de
investigación realizada por los pares, este estudio pretende entender mejor las rupturas, los
cambios y las bifurcaciones en las trayectorias de los niños confiados a la protección. En tres
etapas del recorrido (la salida del entorno familiar, la instalación y traslado a la acogida, y la
salida de los servicios de acogida), tratamos de analizar el papel crucial que pueden desempeñar
los niños en la construcción de continuidades y discontinuidades a lo largo de la trayectoria.

INDEX
Mots-clés : parcours, protection de l’enfance, socialisation horizontale, pairs
Palabras claves : trayectoria, protección de la infancia, socialización horizontal, iguales
Keywords : lifecourse, child in care, honrizontal socialization, peers

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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AUTEUR
PIERRINE ROBIN
Pierrine Robin est maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris Est
Créteil. Elle est responsable d’un diplôme universitaire sur la protection de l’enfance et d’un
parcours en interventions sociales au sein d’un master 2 de sciences de l’éducation.

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Éducation et cultures en contexte


plurilingue : analyse de l’expérience
de la jeunesse guyanaise
Education and cultures in multilingual context: analysis of the experience of
Guyanese youth
Educación y culturas en un marco plurilingüe: análisis de la experiencia de la
juventud de Guayana

Blaise Dit Manga Bitegue

1 Depuis la loi d’orientation sur l’école de 2005, qui institutionnalise l’individualisation


des pratiques pédagogiques au travers du socle commun de connaissances et de
compétences, et conformément à d’autres dispositifs internationaux 1, la France a pris
des dispositions2 pour l’organisation de la scolarité des élèves de Guyane. Pour
l’essentiel, il s’agit de jeunes mineurs3 y compris ceux qui sont nouvellement arrivés sur
le territoire et qui ne maîtrisent pas la langue de scolarisation. Non seulement ils sont
soumis à l’obligation scolaire lorsqu’ils sont en âge de scolarisation, mais en plus l’école
constitue un puissant vecteur qui favorise leur intégration sociale et professionnelle.
Enfin, elle relève aujourd’hui du droit commun et du devoir de la République même si
le système éducatif national est confronté à la diversité culturelle du territoire et au
bilinguisme4 des élèves.
2 En effet, la Guyane bénéficie de dispositifs publics destinés à réguler le bras de fer entre
le français langue de scolarisation et la « langue régionale 5 » qu’est le créole guyanais.
Certes, il n’est pas parlé par tous les jeunes de Guyane. Cependant, il fait partie des
« langues de France », présentes sur le territoire, et qui constituent des langues
véhiculaires apprises et parlées dans le cercle familial.
3 Face à cette tension linguistique, l’objectif des pouvoirs publics est de concilier chez
l’enfant guyanais les registres langagiers maternel et français. Va-t-on y parvenir ?
4 La réflexion que nous proposons sur cette question repose sur deux axes
complémentaires. D’une part, elle soulève la question de la marginalisation des jeunes

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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guyanais, comme conséquence d’une prise en compte insuffisante de leurs langues


parlées, et de leur environnement socioculturel. D’autre part, elle souligne la variation
statutaire des langues selon les contextes géographiques et économiques des sites
(urbains et non urbains, proches ou lointains des principaux centres de décision des
pouvoirs publics).
5 En même temps, il est important de rappeler que cette question a également fait l’objet
de nombreuses études en sociolinguistique. Notre hypothèse est que l’éducation en
contexte multilingue exige une mise à contribution de « toutes les forces vives de la
nation » : enseignants, élèves, parents d’élèves, pouvoirs publics ainsi que les structures
traditionnelles. De leur interaction naîtront, au fur et à mesure des changements
sociaux, de nouveaux dispositifs susceptibles de remettre en cause les hypothèses de
cet article.
6 Nous l’abordons dans un premier temps en tant que chercheur et acteur en éducation.
Nous nous fondons pour partie sur une recherche réalisée en 2007, dans le cadre d’une
thèse portant sur la pratique de la lecture par rapport aux identités locales. Au cours de
ces travaux, nous avons fait appel à plusieurs méthodes complémentaires de recherche
en sciences sociales. Notre objectif était de privilégier le recueil des informations utiles
et pertinentes qui favorisent l’identification préalable de la demande sociale du public
concerné au lieu de chercher à tout prix à satisfaire les besoins non repérés.
7 Dans cet article, nous présenterons la méthodologie de la recherche en termes de
corpus sur lequel nous nous appuyons pour poser un nouveau regard sur la crise de
l’éducation en Guyane. Compte tenu de la complexité géographique et socioculturelle
du territoire, nous mettrons l’accent sur la nécessité d’une analyse soutenue des pistes
de prise en compte pédagogique des langues pratiquées par les familles, dans une
stratégie qui favorise la réussite scolaire et l’insertion sociale des jeunes.
8 Puis, dans un deuxième temps, nous ferons une ouverture sur les travaux existants en
sociolinguistique afin de comprendre dans quel contexte vivent les jeunes de Guyane.
Nous éviterons autant que possible un discours marqué par le déterminisme social pour
nous concentrer sur la réalité sociale du territoire ainsi que les préoccupations, les
valeurs et les pratiques des habitants. À ce propos, il nous semble aussi utile d’évoquer
la double question du passage des langues familiales à la langue de scolarisation et des
cultures orales à la culture écrite préconisée dans le système scolaire.
9 La réussite de ce processus passe par la connexion nécessaire entre les stratégies en
œuvre ou en projet et l’analyse de leur articulation avec le contexte physique et
socioculturel du territoire.

Contexte géographique, culturel et social du territoire :


l’exception guyanaise
10 Département d’Outre-Mer, et pièce de l’espace caribéen d’Amérique du Sud, la Guyane
est à la France stricto sensu ce qu’Honolulu est aux Etats-Unis ; un ensemble de langues
parlées dont les éléments tiennent par des liens arbitraires. Aujourd’hui, la société
guyanaise porte encore les traces des rapports interethniques marqués par la
colonisation. En même temps, elle conserve aussi les rapports de pouvoir qui
conditionnent son développement. Ainsi, du point de vue linguistique, les relations
interculturelles sont marquées par de fausses idées dévalorisantes du genre « Les

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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Amérindiens parleraient tous l’indien », les Marrons le « taki-taki » (…) ces langues ne
seraient que de vagues dialectes ou patois, elles n’auraient pas de grammaire, un
vocabulaire pauvre, ne seraient propres ni à l’abstraction ni à l’écriture » (Renault-
Lescure et Laurène Goury, 2009 : 12). D’après les mêmes sources, le kali’na par exemple
est doublement dévalorisé en Guyane (face au français, mais aussi face aux langues
créoles6). Le créole est une langue qui, par son prestige culturel ou son importance
démographique, politique ou économique, est utilisée pour la communication, non
seulement entre ceux qui le parlent comme langue maternelle, mais aussi par d’autres
groupes linguistiques (Odile Renault-Lescure et Laurène Goury, 2009 : 187).
11 En revanche, le français, langue de l’administration et de l’éducation, abondamment
écrit est positionné comme une langue reconnue par l’État et parlée durablement sur
son territoire par des citoyens français (Leglise et Migge, 2007). Selon Bettina Migge et
Odile Renault-Lescure (2009 : 52), le statut des langues de Guyane est variable. « Le
français est la langue nationale », le créole guyanais est « langue régionale », les
langues amérindiennes, les créoles à base lexicale anglaise et le hmong sont des
« langues de France », en ce sens qu’elles sont régionales ou minoritaires et
traditionnelles. Autrement dit, conformément aux critères définis par la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires et ceux exposés dans le site Internet
de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, ces dernières
sont pratiquées oralement. De plus, elles ont peu ou pas du tout de production écrite.
En outre, alors qu’elles sont parlées par des citoyens français sur le territoire de la
République, elles ne sont langues officielles d’aucun État.
12 D’après la Région Guyane (2005), nous assistons à une véritable « crise de l’identité
culturelle » dans laquelle « les sociétés et les cultures de Guyane sont confrontées à la
gestion d’un lourd passé historique qui est lié à l’effacement total ou partiel de
certaines cultures. Cela est la conséquence des contacts avec les civilisations
occidentales. Les problèmes que pose cette confrontation ne sont pas appréhendés
d’une façon assez dynamique et positive. La coexistence d’expressions culturelles
diverses et leur métissage posent la question de l’identité guyanaise. On constate un
appauvrissement des connaissances et des savoir-faire traditionnels ; la principale
raison en est la perte de repères culturels dans de nombreuses communautés 7 ».
13 La Guyane est une singularité du territoire français. En effet, la démographie est faible
(252 337 habitants8 contre 208.171 habitants en 2003) tandis que le territoire mesure
90 909 km2. De plus, non seulement elle est sujette à un flux migratoire des pays voisins
comme par exemple le Brésil, le Surinam et le Guyana, mais en plus, comme le souligne
l’Agence française de développement (2012) (…), selon l’indice de développement
humain9 et comparativement à la métropole, la Guyane accuse 27 ans d’écart avec la
métropole.
14 Ainsi, comme nombre de pays non émergents, à faible développement économique, la
répartition du PNB10présente des inégalités sur le territoire. Elle se traduit par un
niveau de vie relativement élevé des habitants des grandes communes comme Kourou,
Cayenne, Matoury par rapport aux populations des sites isolés des petites communes de
l’intérieur11. Dans l’ensemble, la Guyane souffre en effet d’une carence sanitaire,
médicale et éducative. Nous assistons à un processus de « mal-développement »
structurel caractérisé par une concentration démographique sur le littoral et par un
désert humain en zone rurale.

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15 Sur le plan économique, rappelons que dans les années 70, la Guyane est « une colonie
où quand on se réveille le matin, sans le sou, on se demande à quelle aide, à quel
secours, à quelle allocation on peut prétendre ce matin » (Hamel, 1979 : 118). En ce qui
concerne les questions cruciales qui se rapportent aux relations historiques entre
populations, (Hurault, 1961) observe des contacts particulièrement difficiles entre les
Bonis, les Saramakas et les N’djukas12.
16 Du point de vue de l’éducation, d’une manière générale, d’après l’Insee 13, « les effectifs
scolarisés en éducation prioritaire sont, en pourcentage, 15 fois plus nombreux en
Guyane qu’au niveau national (61 % des effectifs en Guyane, 4 % au national.) 14 ». Au
plan local et dans la majorité des cas, l’assistance des élèves en difficulté se traduit par
des prestations qui profitent à ceux qui résident en milieu urbain. Dans ces conditions,
les « laissés pour compte », qui habitent dans les sites éloignés, souffrent d’importantes
difficultés d’ordre familial et restent en marge des dispositifs de droit commun, y
compris sur le plan de la formation.
17 Les jeunes disqualifiés sont ainsi victimes d’une double discrimination. Non seulement
ils évoluent dans un contexte de sous-développement économique avec des
conséquences sur leurs familles et leurs conditions de vie. Mais en plus, en raison des
difficultés de scolarisation dans une langue inconnue de leur environnement culturel,
leur perception de l’Éducation Nationale, de l’organisation sociale et institutionnelle de
la France et des valeurs civiques de la République est relativement faussée 15.

Éducation en Guyane : bref historique d’une école à deux vitesses

18 Au plan éducatif, certes, depuis l’institution de l’école aux Antilles par les décrets du 26
mars 1990 et du 27 août1902, des moyens exclusifs ont été mis en place par les pouvoirs
publics pour vaincre « l’analphabétisme structurel ».16 Cependant, sur le terrain, ce
dispositif a toujours profité d’abord à la communauté créole du littoral. Les autres
habitants des sites éloignés des fleuves Maroni et Oyapock y compris les habitants des
sites d’orpaillage dans la forêt amazonienne étant souvent marginalisés 17.
19 En effet, alors que les besoins ne cessent d’augmenter, au regard des difficultés
financières, les collectivités territoriales ne peuvent mobiliser les crédits nécessaires à
la mise en place d’un véritable plan local de rattrapage et de mise à niveau des
établissements scolaires. Par conséquent, peut-on considérer qu’en Guyane, l’école
rurale est un « parent pauvre » de l’Éducation Nationale ? Certes, l’enseignant ne
décide pas des programmes mais il est libre de leur mise en œuvre. Donc l’interaction
linguistique est de mise18.
20 Ici, les institutions imaginaires et réelles de la société, aussi bien les appareils d’État
que les structures lignagères sont en interaction. Le village, la famille, la ville, l’école,
l’église composent ensemble pour aider les jeunes à construire leur identité et à
s’inscrire dans un processus d’insertion sociale, scolaire et professionnelle. Ce qui
signifie que définir une stratégie partenariale favorable à une intervention en synergie
dans le but de répondre aux attentes et besoins des jeunes est une des clés pour
préparer l’avenir du territoire.
21 Témoin, l’attachement des Marrons, Amérindiens et autres sociétés traditionnelles à
leurs divinités congo, ibo, yorouba et dahomey, n’aura aucune raison de privilégier

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l’écrit puisque les rites magiques comme le « culte de Mama goo » 19 (Hurault, 1961 : 18)
chez les Bushinengue et bien d’autres encore sont du registre de l’oralité.
22 Le reste de la population enclavée éprouve de réelles difficultés à suivre une scolarité
« régulière », même à l’âge de la scolarité obligatoire. Cette situation constitue un
véritable obstacle à l’insertion sociale des jeunes. De plus, le discours officiel emploie
des termes qui n’ont pas d’équivalence dans la tradition orale des jeunes. Par exemple,
les acteurs de la petite enfance et de la justice des mineurs observent que la plupart des
jeunes ne saisissent ni le sens des mots ni la démarche poursuivie par les mesures
éducatives préconisées en application du code pénal des mineurs (placement, contrôle
judiciaire, suivi socio-judiciaire, réparation, interdiction de rencontrer certaines
personnes, dangers de l’usage de produits stupéfiants, etc.). Dans ce contexte,
reconnaître et valoriser le plurilinguisme permettrait de créer du lien social.
23 Enfin, dans ce contexte d’inégalités économiques et sociolinguistiques, « il n’est pas
question de dialogue lorsque deux interlocuteurs ne se situent pas à un niveau égal ou
s’ils ne tendent pas, au moins, vers l’égalité. On ne dialogue pas avec le Prince : c’est lui
qui pose les questions de son choix, auxquelles on est obligé de répondre.
L’interlocuteur du Prince est contraint d’apprendre la langue du groupe le moins
puissant (surtout économiquement), tandis que le groupe se trouvant dans une
situation économique (et donc politique) forte n’est pas obligé de pratiquer la langue
du groupe « inférieur » ou « subordonné »20.
24 Bernard Cherubini (1988) situe l’origine de ce modèle de société dominante au XVIIIe
siècle où l’autorité a été confiée à « des hommes qui ne savaient ni lire, ni écrire et
qu’on a enlevé à la culture contre toute raison » (Stedman, 1799 : 344), et au XIXe siècle,
notamment en milieu urbain où la citadinité est réservée au créole blanc, dans un
système social colonial marqué par la classe dominante composée que de blancs (gros
planteurs, hauts fonctionnaires, clergé et gros commerçants) possédant la presque
totalité des esclaves (Cardoso ; 1971 : 518).
25 Au regard de ce qui précède, la question de l’éducation en contexte multilingue se
décline en Guyane dans un rapport complexe d’inégalités qu’il est important de centrer
et de clarifier afin d’éviter de s’égarer sur des pistes inutiles.
26 La démarche explicite de cet article consiste à apporter un éclairage sur cette question,
en contribuant à l’approfondissement de l’analyse du multilinguisme non pas au sens
purement linguistique, mais plutôt dans son rôle et sa fonction au sein de la société
guyanaise.

Plurilinguisme et multilinguisme en Guyane

27 Avant d’analyser les enjeux de scolarisation en Guyane par rapport aux langues
maternelles et à la langue de scolarisation des enfants, il est important de comprendre
que « la société guyanaise s’est construite sur une large diversité d’origines issue des
apports migratoires anciens et contemporains, inscrite parallèlement dans une triple
dimension communautaire, économique et spatiale »21. Voilà pourquoi il est utile de
poser, au préalable, quelques définitions de certaines notions qui peuvent paraître
simples mais qu’il est indispensable de clarifier avec précision afin de saisir le sens de
notre réflexion.
28 Tout d’abord, qu’entend-on par plurilinguisme ?

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29 En ce qui concerne le plurilinguisme d’un pays, d’après l’Unesco (2003), si certains pays,
comme l’Islande, sont linguistiquement homogènes, d’autres et de nombreuses régions
présentent une très grande diversité linguistique, comme l’Indonésie avec plus de 700
langues ou la Papouasie-Nouvelle-Guinée avec plus de 800 langues (…). En général
toutefois, les contextes bilingues et multilingues c’est-à-dire la présence de différences
linguistiques au sein du même pays, sont plutôt la norme que l’exception à travers le
monde, tant au Nord qu’au Sud. Dans ce contexte, le bilinguisme et le multilinguisme,
c’est-à-dire l’emploi de plus d’une langue dans la vie quotidienne, représentent la
pratique normale.
30 Le plurilinguisme d’une communauté sociale donnée renvoie à l’état d’une
communauté qui utilise concurremment plusieurs langues selon le type de
communication et la situation qui en résulte, peu importe « la densité de la population
et du nombre de locuteurs par langue » (Garamandi ; 1981 : 102).
31 Le plurilinguisme d’un individu évoque l’idée d’une personne qui, à l’intérieur d’une
communauté, utilise plusieurs langues selon le type de communication (relations avec
la famille, avec l’administration, relations sociales, etc.). Ainsi, au sein de la
communauté, « Chaque locuteur acquiert (et pratique par la suite) une seule langue
dans le noyau familial, dans le domaine de la vie privée. Puis, il devient plurilingue dès
qu’il prend part à l’interaction sociale hors de la famille, dans le domaine public » (J.
Garamadi, La Socioling, 1981, p. 118).
32 Il s’agit donc d’un terme qui, à première vue, caractérise la société guyanaise. Pour
autant, il ne faut pas perdre de vue qu’il fait référence au contexte anglo-saxon,
profondément marqué par la domination des couches blanches sur les minorités noires.
Ainsi, dans ce système d’hégémonie culturelle dans lequel la politique institutionnelle
semble privilégier aujourd’hui la langue française, et accessoirement le créole 22, les
difficultés d’affronter des situations complexes de la vie quotidienne des uns se
heurtent aux compétences, aux opportunités et aux facilités des autres.
33 Ici, loin du séparatisme ethnique qui opposerait les communautés guyanaises entre
elles, ce concept, dans son acception courante, évoque plutôt l’idée de partage d’un
même espace social dans lequel chacun apporte sa contribution au développement du
territoire. Dès lors, ce territoire apparaît cristallisé par des stratégies en interaction
permanente. Mais en réalité, dans un contexte de coexistence des cultures, la recherche
identitaire influence les démarches en œuvre au point que « tout en étant en contact
les unes avec les autres, (elles) ne parviennent pas au dialogue ou le refusent 23 »
34 De ce point de vue, l’école constitue non seulement le repère essentiel, facteur de
croisement entre acteurs, mais également, elle s’inscrit dans une approche didactique
d’éveil aux langues « qui développe des attitudes de tolérance et d’ouverture à la
diversité linguistique et culturelle (…) en développant des aptitudes susceptibles de
faciliter l’apprentissage d’une langue étrangère. Concrètement, il s’agit de réfléchir sur
les langues, leurs similitudes et différences, sur la base de matériaux sonores et écrits »
24
.
35 Nous souhaiterions que les initiatives locales dans ce domaine (y compris au niveau
universitaire, par exemple dans le cadre des activités de l’ESPE) soient développées et
valorisées, car cette démarche est motivée par le « désir d’assurer une reconnaissance
des spécificités et identités des élèves alloglottes (en particulier migrants), de
développer chez tous les élèves un intérêt pour la diversité, de diversifier les choix de

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langues, d’améliorer les apprentissages langagiers, ou même de lutter contre la


violence à l’école25 .
36 Certes, si la réflexion porte sur la question des migrations relativement récentes et les
contacts de langue que cela implique, elle pourrait s’appuyer sur le sens commun du
concept. Ainsi, d’après le Casnav26, le bi/multi/pluri-linguisme se dit des situations, à
l’intérieur d’un même pays ou d’une même communauté, dans lesquelles un locuteur
peut être conduit à faire usage de deux langues ou plus, avec pour chacune d’entre elles
un degré de compétence proche de celle du locuteur natif. Un locuteur bi ou plurilingue
se distinguera du sujet polyglotte qui utilise et apprend successivement des langues
différentes et dont il fera usage, à des niveaux variés de compétences dans des pays
différents.
37 Quant au multilinguisme, son approche est beaucoup plus en lien avec le plurilinguisme
d’un individu (Garamadi, 1981 : 7-8). Pour définir ce concept par rapport à la situation
plurilingue déjà complexe en Guyane, au plan scientifique, nous privilégions l’approche
de Bernard Poche qui inscrit le multilinguisme dans une stratégie de « jeux d’intérêts
croisés » dans laquelle les « situations multi langagières résultant de l’utilisation de
formes linguistiques très différentes (…) relèvent d’une construction logique de la
position du locuteur et de la définition des situations dans lesquelles il est inséré 27 ».
38 Ici, parmi les enfants concernés figurent aussi ceux qui sont « allophones » c’est-à-dire
ceux qui, à l’origine, parlent une autre langue que le français, même s’ils sont guyanais,
comme on peut l’observer dans les sites éloignés du territoire. Ainsi pour bon nombre
d’élèves, le français est considéré comme une langue étrangère car il ne figure ni dans
leurs langues maternelles ni parmi les langues de scolarisation dans certains pays
d’origine comme le Brésil, le Suriname ou le Guyana28. Cette situation se révèle plus
complexe avec les populations issues de migrations récentes (péruviens, colombiens,
africains d’Angola, de Guinée-Bissau, du Cap Vert, du Ghana etc.) qui n’ont pas le
français ni les langues parlées de Guyane comme langues maternelles. En effet, pour
celles-ci, la langue maternelle désigne tout simplement celle apprise et pratiquée dans
la famille, dès la petite enfance et de façon non formelle. Souvent, ces enfants sont nés
en Guyane et pratiquent en même temps leur langue de scolarisation et celles des
parents nés et scolarisés à l’étranger.
39 Le concept de langue nationale devient alors un symbole de l’existence d’une nation,
faisant ainsi référence à l’activité administrative, scientifique et littéraire. En Guyane,
elle se confond avec la langue officielle, celle qui est pratiquée par les pouvoirs publics.
40 En même temps, il ne faut pas perdre de vue le cas très fréquent des sites isolés de
l’intérieur guyanais comme par exemple à Camopi où des jeunes apprennent le français
dans un second temps, c’est-à-dire après l’apprentissage de la langue maternelle. Pour
eux, la langue française devient aussi une langue seconde, identifiée le plus souvent
comme langue d’apprentissage ou de scolarisation.
41 Certaines langues sont uniquement parlées à l’intérieur d’une communauté de
locuteurs dont c’est généralement la langue maternelle ou première : ce sont des
langues vernaculaires, comme les langues amérindiennes, ou le hmong. D’autres, au
contraire, par leur importance démographique, politique ou économique, ou leur
prestige culturel, ont un rôle véhiculaire et sont utilisées pour la communication, non
seulement entre ceux qui les parlent comme langue maternelle, mais aussi par d’autres
groupes linguistiques.

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42 En Guyane, il est utile de préciser que cinq langues jouent le rôle de véhiculaires. Parmi
celles-ci, nous pouvons en relever au moins deux : le créole guyanais, du fait de son
poids culturel et politique, et le nengee, par son importance démographique et
économique et son statut de langue frontalière (Renault-Lescure et Laurene Goury,
2009 : 17-18).
43 Il est à noter que ces langues parlées servent aussi de moyens de communication entre
communautés linguistiques distinctes, comme on peut l’observer par exemple au sein
des créoles à base lexicale anglaise29.
44 La langue de scolarisation, quant à elle, est la langue utilisée dans le système éducatif,
soit du pays de résidence, soit du pays d’origine, comme c’est souvent le cas pour les
nouveaux arrivants. Cela signifie que ces enfants ont suivi une partie de leur scolarité
dans une langue officielle d’un pays voisin, dont ils sont originaires, et qu’ils
poursuivent leur scolarité en langue française en Guyane.
45 S’agissant des primo-arrivants, c’est-à-dire des enfants nés en Guyane et inscrits pour
la première fois à l’école en Guyane, le plus souvent, ils pratiquent une langue
maternelle ou vernaculaire pratiquée par la communauté depuis des générations, avec
une fonction identitaire relativement forte comme par exemple les langues
amérindiennes.
46 Enfin, nous observons que le système éducatif oscille entre la langue de scolarisation et
les langues pratiquées par les familles, avec des logiques tout à fait paradoxales. Dès
lors, l’analyse de la relation entre les deux impose un questionnement relativement
rigoureux sur le sujet. À cette fin, le recueil d’un maximum d’informations a été
indispensable pour acquérir des connaissances sérieuses et fiables des différentes
approches et interprétations théoriques sur le sujet, ceci dans une démarche
méthodologique qu’il convient à présent d’exposer.

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105

Carte n° 1 : Représentation de la diversité linguistique en Guyane selon les langues premières


déclarées dans les répertoires linguistiques. Ne sont représentées ici que les langues de première
socialisation.

Les couleurs du diagramme ci-après servent de légende de cette carte.


Sources : I. Léglise et D. Troiani (2015)

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Diagramme n° 1 : Langues premières déclarées par les enfants

Sources : I. Léglise et D. Troani (2011)

Présentation de la problématique
47 Dire qu’il existe une inadéquation entre les dispositifs locaux d’accompagnement
scolaire des élèves et leur vie quotidienne est une problématique autour de laquelle
nous allons centrer notre réflexion. En effet, dans ce territoire français d’Amérique du
Sud, les modèles éducatifs divergent en fonction des contextes géographique et
culturel. Ainsi, dans des localités de l’arrière-pays où les traditions culturelles sont
encore vivaces, il n’existe pas d’école dans bon nombre de sites isolés situés tout au
long des fleuves Maroni et Oyapock comme Les sédédée, Lioni, Kouakou (sur le
territoire de la commune de Papaïchton). Ici, le français est perçu, au sens
sociolinguistique, comme une langue étrangère30 par rapport à la langue locale31.
48 En revanche, dans la plupart des communes de plus de dix mille habitants comme par
exemple Cayenne, Kourou, Matoury, Rémire-Montjoly, le français a couramment valeur
de langue véhiculaire presqu’autant que le créole. Face à ce contexte multilingue et
multiculturel, comment articuler l’Éducation dite « nationale » avec les spécificités
culturelles guyanaises ?
49 En effet, parmi les raisons de la crise de l’éducation en Guyane, les acteurs de première
ligne (les enseignants et parents d’élèves) observent que l’école, n’étant plus perçue
comme un tremplin vers le monde du travail, n’a plus de crédit auprès des jeunes. Sur
ce plan, il n’est pas rare de rencontrer un élu local, un orpailleur ou un transporteur
qui n’a jamais été à l’école. L’exemple le plus flagrant étant celui des commerçants
chinois qui, malgré leur maîtrise très insuffisante de la langue française, conservent

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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depuis de longues années le monopole dans ce secteur, tout comme on peut le vérifier
sur le plan agricole où la communauté Hmong exerce sa suprématie en matière de
vente ou d’exploitation des produits locaux. Par conséquent, en Guyane, la réussite
sociale ne dépend pas toujours de l’école.
50 Les acteurs doivent quant à eux relever un double défi. D’une part, veiller à la mise en
place d’un système éducatif national fondé sur l’égalité d’accès aux mêmes
enseignements sur l’ensemble du territoire de la République. D’autre part, et par
respect du droit à la différence, orienter l’éducation vers la prise en compte et la
valorisation de l’identité linguistique et culturelle de chaque communauté guyanaise.
Cela exige un recours à la médiation entre acteurs mais particulièrement une analyse
approfondie de la façon dont les jeunes peuvent s’appuyer sur leurs langues pour
raisonner dans la vie quotidienne et pour construire leurs représentations par rapport
à leur environnement socioculturel, dans le but de favoriser à la fois l’apprentissage de
la langue de scolarisation et de leur insertion professionnelle.
51 De ce point de vue, dans un territoire comme la Guyane, qui accuse des difficultés
d’illettrisme et d’analphabétisme, la politique d’éducation plurilingue constitue un
espace de dialogue et de découverte de l’autre, dans la mesure où les langues pratiquées
par les populations peuvent être mises à contribution pour faciliter le processus
d’éducation en langue française.
52 Il va sans dire que les décisions qui en résultent peuvent parfois susciter des raisons de
contestation, ainsi que le montre la dégradation à laquelle est sujette l’autorité
pédagogique. Cette dernière éprouve de réelles difficultés à « saisir les enjeux de
l’enseignement des langues, à comprendre qu’il ne s’agit pas uniquement pour les
élèves d’apprendre une langue ou deux au cours de leur parcours scolaire, mais de les
aider à se construire une compétence plurilingue (Coste, Moore et Zarate, 1997), qui
prenne en compte toutes les langues avec lesquelles ils sont ou ont été en contact » 32.
53 Cette crise pourrait s’expliquer aussi par d’autres facteurs : absence ou insuffisance
d’accompagnement des parents d’enfants à problèmes, le plus souvent dépassés par
leurs difficultés d’intégration sociale ; familles monoparentales composées parfois de
très jeunes filles mères célibataires, redoublement des élèves, difficultés d’hébergement
en dehors de la famille, maîtrise insuffisante du français, absence de matériel scolaire
pour des raisons économiques des familles, difficulté de développer l’écoute en classe,
illettrisme, absence ou insuffisance d’utilisation des nouvelles technologies de
l’information et de la communication dans la famille 33. D’où l’intérêt de mettre l’accent
sur la nécessité d’une analyse soutenue des pistes d’utilisation pédagogique des langues
parlées par les familles dans une stratégie qui a pour but d’accueillir et de légitimer les
langues de tous les élèves, de construire pédagogiquement des liens entre les langues,
quelles que soient les représentations qui y sont associées, de faire prendre conscience
du rôle social et identitaire des langues, y compris de la langue commune qu’est le
français. La langue de scolarisation est ainsi mise en perspective avec les autres langues
présentes tout en pointant son rôle fédérateur (Candelier, 2003) 34.
54 Pendant longtemps, en société guyanaise, la politique pédagogique a « combiné les
modèles en prenant soin de laisser un modèle dominer (sur) les autres » et en faisant du
modèle métropolitain « le premier parmi les égaux », mais ne serait-il pas judicieux
d’adopter une autre stratégie qui résulterait d’une combinaison des deux modèles
culturels contradictoires, familial et scolaire (Ho-A-Sim, 2007), afin de favoriser l’égalité
des élèves devant l’école et d’agir contre les décrochages scolaires ? Dans cette

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


108

perspective, au regard du contexte spécifique du territoire, en quoi la combinaison des


deux systèmes de valeurs, parfois incohérents dans un « processus d’interstructuration
de l’entre-deux cultures, dans une approche constructiviste où le sujet est actif,
intégrant et réintégrant les différents codes dépendant de son environnement familial,
scolaire et social35 » est plus à même d’atteindre cet idéal républicain d’égalité face à
l’école ?
55 En effet, si ce sont les masses qui « font l’histoire », hjen Guyane la masse des langues
parlées dans la société profonde ne semble pas peser sur les enjeux de la scolarisation
des élèves car, dans la majorité des petites communes, on observe une coexistence
inégale de deux pouvoirs : celui exercé par les représentants de l’État et celui des chefs
coutumiers. A titre d’exemple, dans la communauté des Noirs-Marrons, « la structure
française n’est pas maîtrisée, par l’ensemble des Bonis. Les deux systèmes – d’une part
celui des « kapiten » et des « Gran Man » et d’autre part celui des maires et des
conseillers – coexistent et le premier perd ses pouvoirs36 ».
56 À ce propos, il est important de rappeler que dans le cadre de ses travaux de recherche,
Isabelle Léglise a réalisé entre 2000 et 2012, une enquête sur tout le territoire guyanais
à propos des langues parlées par la population scolarisée en Guyane et qui constitue
entre le tiers et la moitié de la population guyanaise.

Tableau n° 1 : Quelques caractéristiques des principales langues parlées en Guyane

Sources : I. Léglise, 2007

57 En raison des connotations parfois péjoratives37 rattachées à certaines d’entre elles, les
locuteurs de ces langues sont mal lotis, dans la mesure où ils ne peuvent pas en tirer un
prestige sur le plan de la « distinction38 ». Le raisonnement selon lequel « Dis-moi quelle
langue tu parles je te dirai quelle position tu occupes dans le champ social » reste
d’actualité.

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109

58 En s’éclairant des théories de l’Éducation de Bourdieu, il se trouve que le croisement


des données physiques et sociologiques du territoire avec celles fournies par le rectorat
de Guyane sur la scolarité des élèves fait ressortir une inégalité des chances liée à la
compétence langagière des sujets ; autrement dit le poids du français, langue officielle,
écrase les langues maternelles notamment chez les enfants issus des sites enclavés du
territoire.
59 Face à cette école « à deux vitesses », nous formulons l’hypothèse que la prise en
compte des langues maternelles dans les méthodes d’enseignement du français favorise
l’égalité d’accès à la connaissance.

Méthodologie de la recherche
60 Pour analyser la problématique de la scolarisation par rapport au multilinguisme qui
caractérise l’espace social guyanais, nous avons procédé à plusieurs sortes
d’investigations. Ces travaux39 ont débuté au mois de novembre 2003 et se sont achevé
au mois de février 2004. Certes, ces travaux datent d’une dizaine voire d’une quinzaine
d’années et mériteraient d’être discutés avec la littérature actuellement disponible.
Cependant, nous aimerions souligner que cette enquête sociologique nous a conduits à
nous intéresser aussi aux questions linguistiques et par conséquent à nous ouvrir à ce
qui a été fait en sociolinguistique dans ce domaine. Nous avons ainsi choisi les concepts
qui peuvent nous aider à établir notre démonstration et à aboutir aux préconisations
issues de notre recherche.
61 À cette occasion, et pour analyser le contexte sociolinguistique du territoire, nous
avons procédé à plusieurs sortes d’investigations. À ce propos, la recherche
documentaire à partir des archives et des centres de documentation locaux et
extérieurs à la Guyane a été très utile car elle a favorisé la consultation des documents
sur l’histoire du territoire et le repérage des moments durant lesquels les acteurs ont
plutôt favorisé certaines pratiques autour de la lecture au travers de l’école.
62 Outre la recherche documentaire, nous avons adopté et utilisé la méthode d’enquête
dite de stratification par questionnaire avec un échantillon de population qui favorise
le recueil et l’analyse des données de cadrage de la population rencontrée dans 13 sur
17 communes de moins de 10 000 habitants parmi les 22 communes de Guyane. Cette
démarche nous a conduit à une ouverture vers la sociolinguistique dans le but d’affiner
la problématisation des travaux.
63 Cependant, dans un territoire qui accuse un fort pourcentage d’illettrisme 40, nous avons
préféré restreindre la méthode par questionnaire. Les modalités de passage du
questionnaire auprès des populations sont exposées dans les pages qui suivent. D’une
manière générale, les rencontres et discussions ainsi que les entretiens avec les
enseignants, le personnel de direction de l’Éducation nationale, les responsables des
affaires scolaires des communes, les directeurs d’écoles ainsi que d’autres acteurs,
comme par exemple les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse et les
responsables des associations de parents d’élèves, nous ont été d’une grande utilité.
64 Lors de nos échanges avec ces différents acteurs, nous avons observé que la langue
maternelle occupe une place non négligeable dans l’éducation et la culture. Nous avons
également découvert que quelques initiatives sont prises autour de l’écrit et en ce qui
concerne la problématique du passage de l’oral à l’écrit. Les réponses sur la capacité de

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lire dans sa langue maternelle font d’ailleurs apparaitre que 63,4 % de personnes
interrogées sont capables de lire dans leur langue maternelle, ce qui constitue un
lectorat potentiel que les dispositifs d’éducation doivent conquérir. Voilà pourquoi des
acteurs sociaux prennent en main cette question qui est au cœur du développement
culturel du territoire.
65 À titre d’exemple, des « ateliers d’écriture » fonctionnent depuis 1993 chez les Kali’na
qui ont proposé, après débats, une graphie de leur langue, officialisée au cours de la
« Déclaration de Bellevue »41 (…) Des séminaires intitulés « Écrire la langue arawak »
réunissent annuellement depuis 2006 locuteurs et spécialistes de la langue sur les
questions de passage de l’oral à l’écrit. Les locuteurs de nengee se mobilisent également,
depuis plusieurs années déjà, des ateliers d’écriture ou des séminaires de réflexion sur
le passage à l’écrit sont organisés sous l’impulsion de diverses associations (Mama Bobi,
SikufiKonmiti, etc.). On notera l’existence d’une presse mensuelle pour les langues et
cultures amérindiennes avec la revue OkaMag, qui publie régulièrement des textes en
kali’na (contes, poèmes, etc.). Une tentative de presse hebdomadaire pour le fleuve, le
journal A libifualiba, multilingue français, aluku, ndyuka, sranan, a disparu peu de
temps après sa création, au début des années 2000.
66 Au regard de ces multiples expériences, nous en déduisons que l’école devrait s’ouvrir à
la culture afin de créer un rapport avec l’écrit et favoriser le rapport de la famille à
l’école dans une stratégie d’élargissement du répertoire verbal des populations.
67 Pour enrichir notre réflexion, nous avons en plus essayé d’établir des différences entre
ces acteurs, en fonction de leurs enjeux et des catégories socio-professionnelles
concernées. Cette démarche nous a permis de mieux connaître les aspirations du public
concerné et impliqué et d’avoir une opinion d’ensemble sur la scolarisation en Guyane.
Dans cette perspective, il était important pour nous d’examiner si l’offre de
scolarisation correspondait aux réalités de terrain.
68 À ce propos, parmi les difficultés rencontrées, signalons par exemple le cas des
personnes qui n’ont jamais été à l’école ou qui ne disposaient pas d’école dans leur
village et qui, avaient du mal à se représenter et à faire la différence entre une école
maternelle, une école élémentaire, un collège ou un lycée, d’autant plus que ces termes
n’ont pas d’équivalence dans leurs langues.
69 Dans ces conditions, nous avons été obligés de recourir à un traducteur expérimenté
c’est-à-dire de préférence une personne du village ou de la communauté qui a déjà
participé à d’autres enquêtes sociales réalisées, par exemple, par la Caisse d’allocations
familiales ou la Caisse primaire d’assurance maladie. Nous avons été obligés de traduire
et de reformuler la question, d’expliquer la signification des termes employés, afin de
lever les doutes possibles, avant de laisser à la personne, le soin de répondre.
70 En même temps, il était utile d’analyser, à partir des données recueillies, si les modèles
théoriques dont on dispose actuellement sur cette question sont vérifiables en Guyane
rurale.
71 L’objectif poursuivi étant d’établir un rapport entre le potentiel d’élèves, d’après les
données démographiques de l’Insee, et ceux qui sont réellement bénéficiaires du
dispositif de scolarisation, afin de mieux comprendre le fonctionnement des dispositifs
qui existent sur le terrain et les populations réellement concernées.
72 Nous avons également analysé les motivations et les centres d’intérêt des lecteurs ainsi
que leur niveau d’appropriation des projets mis en place. Nous avons ainsi collecté un

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111

maximum d’informations auprès des principaux acteurs concernés et impliqués. Nous


avons aussi adopté et utilisé la méthode d’enquête par questionnaire pour recueillir les
données nécessaires à l’exploitation et à l’analyse quantitative des données. Cette
démarche nous a permis d’obtenir les premières réponses à nos questionnements, à
partir d’un échantillon de population enquêtée. Les données portées par des
indicateurs et des indices ont favorisé la visualisation géographique et administrative
du territoire. Enfin, l’effectif de la population et sa répartition nous ont conduit à
procéder à un échantillonnage par quotas associé à l’échantillonnage aréolaire,
l’ensemble étant combiné à la méthode dite de stratification.
73 Fort de cet ensemble de données, nous avons été conduits à analyser le rapport entre la
langue maternelle42ou langue première et la langue officielle43de scolarisation et leurs
enjeux en Guyane. De plus, nous avons aussi exploité pour partie l’échantillon du « Plan
éducation Guyane 2010-201344 » du Rectorat de l’Académie de la Guyane du mois de
novembre 2010. Il s’agit d’un effectif conséquent de 2000 élèves dont des « non
scolarisés », des « cours moyen deuxième année » (CM2). Il existe une autre fraction de
la population scolaire estimée par le Rectorat Guyane à « 36 % d’élèves d’origine
haïtienne, 34 % d’origine surinamaise ; 16 % d’origine brésilienne et 9 % d’origine
guyanienne. Ce sont des élèves du cours moyen dont 58 % sont en retard en
mathématiques et 48 % qui accusent des retards en français ».
74 Dans le secondaire, « environ 30 % des élèves quittent le système scolaire en 3ème sans
solution de rechange »45. Nos sources ont été complétées par la bibliographie et par un
corpus recueilli auprès des acteurs de terrain, corpus dense enrichi non seulement par
celui de notre thèse sur la lecture en Guyane, mais aussi par d’autres travaux
coordonnés par Bruno Maurer de la Fédération internationale des professeurs de
français46 et le rapport d’information parlementaire n° 1477 47 ainsi que d’autres
données des directeurs d’écoles et chefs d’établissements scolaires. De ces différentes
sources, il ressort un constat très clair : en Guyane, un habitant sur trois a moins de 15
ans et la tranche des 0-19 ans constitue près du tiers de cette population.
75 À travers ces chiffres, apparaît la nécessité de réaliser une enquête de terrain afin de
compléter nos observations. Nous aimerions exposer ici les conditions dans lesquelles
notre discours a été produit.

Présentation de l’enquête

76 Pour comprendre l’articulation des expériences par rapport aux stratégies mises en
place et collecter un maximum d’informations auprès des acteurs, nous avons adopté et
utilisé la méthode d’enquête par questionnaire pour recueillir les données nécessaires à
l’exploitation et à l’analyser quantitative des données, afin d’obtenir les premières
réponses à nos questionnements. La quasi-totalité des enquêtes empiriques en
sociologie utilisent des échantillons de population, et non la population tout entière.
77 Bien que les données soient recueillies sur un échantillon, l’objectif de l’enquête par
questionnaire est la connaissance la plus juste, la plus fidèle et la plus sincère des
caractéristiques de l’ensemble de la population. On quitte ici le domaine de la
statistique descriptive pour entrer dans celui de la statistique inductive, c’est-à-dire
l’étude des conclusions qu’on peut obtenir à partir d’un échantillon d’une population et
du degré d’exactitude de ces conclusions.

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112

78 Pour notre étude, il est question de procéder à une enquête territoriale sur la Guyane
française. Ce choix méthodologique implique une rigueur dans la construction de
l’échantillon.
79 En l’absence de base de sondage et disposant de données de cadrage de la population,
nous avons préféré appliquer les méthodes dites empiriques ou au choix raisonné dont
la plus répandue est, sans aucun doute, la méthode des quotas.
80 La qualité de l’échantillon dépend alors essentiellement de la fiabilité et de la
pertinence des données de cadrage. Pour cette enquête, nous disposons d’un certain
nombre de données sur lesquelles nous nous sommes basés pour établir un cadrage. Ces
données sont portées par des indicateurs et des indices. D’abord, l’indicateur de la
répartition administrative combiné à l’indice de densité permet de visualiser
géographiquement et administrativement les différents sites, ensuite l’effectif de la
population et sa répartition permettent de procéder à un échantillonnage par quotas
associé à l’échantillonnage aréolaire, l’ensemble est combiné à la méthode dite de
stratification.
81 Les rencontres et discussions ainsi que les entretiens avec les enseignants, les
gestionnaires des petites bibliothèques, là où elles existent, ainsi que la population et
d’autres acteurs concernés ou impliqués par la lecture en milieu isolé, nous ont été
d’une grande utilité. Nous avons essayé d’établir des différences entre ces acteurs, en
fonction de leurs enjeux et des catégories socio-professionnelles concernées.
82 Nous espérons avoir obtenu de ces enquêtes des opinions librement exprimées et
permettant d’analyser les pratiques locales de lecture, en supposant que le public rural
lit, sans doute, autre chose que ce que proposent les bibliothèques et que sa demande
sociale de lecture diffère de ce que les professionnels et chercheurs désignent sous le
vocable lecture. Dans cette perspective, il était important pour nous d’examiner si
l’offre de lecture correspond aux pratiques de lecture des populations concernées et
d’analyser, à partir des données recueillies, si les modèles théoriques dont on dispose
actuellement sur cette question sont vérifiables en Guyane rurale.
83 Par ailleurs, nous avons établi la pyramide des âges des personnes inscrites en
bibliothèque, commune par commune, et par rapport aux points de passage du
bibliobus afin d’avoir une idée précise sur la typologie des lecteurs actuellement
touchés par la lecture publique. L’objectif poursuivi étant d’établir un rapport entre le
potentiel de lecteurs d’après les données démographiques de l’Insee et ceux qui sont
réellement inscrits dans les bibliothèques et le bibliobus, afin de mieux comprendre le
fonctionnement des dispositifs qui existent sur le terrain et les populations réellement
concernées.
84 Les résultats de ces enquêtes reposent essentiellement sur les observations de la
pratique de la lecture en relation avec le passé culturel des populations, leurs
trajectoires de vie. Il s’agissait de rechercher le mécanisme de leur lien avec les enjeux
du territoire par rapport au discours officiel sur la lecture publique dans les territoires
ruraux.
85 Enfin, nous avons élaboré un schéma pour conduire les entretiens avec les populations
et d’autres acteurs concernés ou impliqués dans notre problématique, en fonction des
caractéristiques de la population d’étude.

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Caractéristiques de la population d’étude

86 Durant l’enquête, nous avons, pour les besoins de l’analyse, volontairement choisi
d’interroger les personnes issues des familles dites « autochtones » de la commune ou
qui y résident depuis plusieurs années, afin de construire l’image qu’elles ont de
l’éducation des jeunes en Guyane. Le nombre total de questionnaires retenus en
retirant les biaisés et les incomplets est de 497. La répartition de la population
interrogée s’est effectuée selon le graphique ci-après :

Graphique n° 1 : Population interrogée par âge

Minimum = moins de 18 ans, Maximum = 75 ans

87 Au total, nous avons identifié six tranches d’âge de la population enquêtée. Les
tranches d’âge varient de moins de 18 ans à 75 ans au maximum. Cette tranche d’âge de
l’échantillon correspond à celle de la population majoritaire de Guyane. Certes, dans la
forme, en termes de représentativité de l’échantillon, à première vue, au regard du fait
qu’une personne sur trois a moins de 15 ans en Guyane. Mais en réalité, nous avons
privilégié les réponses du public à partir de 18 ans en raison de sa connaissance du sujet
et de sa capacité à faire preuve d’une certaine maturité dans l’appréciation des
questions abordées.
88 Sur le fond, la pyramide des âges est respectée, à savoir, une base élargie par
l’importance de la population jeune et un sommet effilé. Dans ce cas, on peut imaginer
facilement l’ampleur de la charge de travail social qu’engendrerait la prise en compte
d’un tel effectif de population en matière de stratégies d’éducation.
89 Dans ces conditions, pour analyser la situation de l’éducation dans le contexte
multilingue du territoire, nous avons privilégié la méthode d’enquête afin de collecter
des informations qui fournissent des réponses à nos interrogations sur la variété des
comportements des populations locales eu égard à leurs cultures respectives.

Le questionnaire : recueil des données et discussion de la méthode

90 L’utilisation du questionnaire a été un choix imposé par le fait qu’on ne peut obtenir un
si grand nombre de remarques et d’informations nécessaires à nos analyses sans
rencontrer les personnes concernées. Afin de favoriser un meilleur remplissage du
questionnaire, il a fallu donner quelques consignes générales. Parmi celles-ci nous

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pouvons citer le fait d’inviter au préalable les répondants à lire attentivement la


question avant de remplir le questionnaire, afin de le compléter avec précision, ce qui a
favorisé le remplissage d’un maximum de cases. De même, en cas de difficulté de
compréhension de la question, ceux qui le souhaitent pouvaient se faire assister par
une personne maitrisant à la fois la langue française et la langue pratiquée par celui qui
remplit le questionnaire. En outre, lorsque la même information est demandée à des
endroits différents, il fallait s’assurer que les données fournies sont cohérentes d’un
endroit à l’autre et, si besoin, l’enquêté devait prendre le soin d’expliquer la divergence
mentionnée. Enfin, en observations, les personnes pouvaient si elles le souhaitent
fournir d’autres informations complémentaires sur le sujet, y compris certaines sources
d’informations données et qui peuvent aider à comprendre la question abordée.
91 En tout, il nous a fallu poser 62 questions pour obtenir les informations nécessaires à
une bonne compréhension de l’espace de lecture guyanais.
92 L’ensemble des questions portait essentiellement sur des thèmes principaux qui
permettent ensuite de faire le point sur le processus de développement de la lecture à
l’intérieur de la Guyane.

Questionnaire anonyme

93 L’avantage du questionnaire est qu’il est anonyme et favorise par conséquent des
réponses aux questions parfois délicates.
94 Ainsi, l’anonymat s’est avéré utile pour aborder les questions préliminaires qui font
apparaître par exemple la profession, l’âge, le niveau d’études. Mais notre
questionnaire comportait aussi des questions sur des domaines très personnels comme
celles relatives à la faculté de lire y compris dans sa propre langue et à la quantité de
livres lus au cours des 12 derniers mois.
95 La plupart des questions ont été formulées avec des choix multiples pour les raisons
suivantes :
• Les réponses sont faciles à codifier, ce qui réduit le risque d’analyse subjective des réponses ;
• Les questions sont plus faciles à répondre, le plus souvent tout simplement en cochant une
case ;
• Les questions mettent à la disposition des personnes enquêtées tout un spectre de réponses
possibles, en leur offrant la possibilité d’exprimer une réponse, y compris celle à laquelle ils
n’auraient pas pensé, dans la case « autre » ;
• Compte tenu de nombreuses langues pratiquées par les populations concernées, nous avons
observé qu’avec ce genre de questions courtes et simples, nous avons évité des
incompréhensions qui auraient conduit à des réponses vagues et floues.
96 Néanmoins, le questionnaire comportait aussi des questions ouvertes permettant de
réunir des informations complémentaires et spécifiques à chaque personne
questionnée sur sa pensée et sa vision des choses et surtout son opinion personnelle.

Analyse des résultats

97 Dans l’histogramme ci-dessous est exposé un aperçu des premiers résultats de la


population interrogée par niveau d’étude :

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Histogramme n° 1 : population interrogée par niveau d’étude

98 Ici, l’analyse des résultats montre que 64 % de personnes n’ont pas franchi la classe de
terminale. Le niveau d’études progresse ensuite difficilement après le lycée pour
atteindre les valeurs extrêmement basses chez les adultes qui ont poursuivi des études
supérieures. Lorsqu’on observe le nombre de personnes interrogées qui ont suivi une
scolarité obligatoire, on peut déduire qu’il existe une prise en compte de la nécessité de
l’éducation et un effort de scolarisation obligatoire des jeunes. Cependant, ce
phénomène qui est observé dans l’ensemble des petites communes est une réalité
sociale de la Guyane qui explique l’absence ou l’insuffisance du nombre de cadres
locaux dans divers domaines (médecine, droit, enseignement, économie, Protection
judiciaire de la jeunesse, etc.) y compris en matière de suivi des jeunes pris en charge
dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse. Parmi les explications possibles
de cette situation, on pourrait par exemple s’appuyer sur les résultats de l’enquête
menée par l’Observatoire des enfants non scolarisés de Guyane qui met en relief la
composition de la structure familiale.
99 En fait, les langues sont des vecteurs de connaissance dans le processus d’éducation au
sein de la famille. Cependant, pour accéder à l’école, le jeune guyanais ne peut pas se
contenter de la langue « familiale ». Il a besoin d’un accompagnement supplémentaire
dans la langue de scolarisation afin de comprendre le fonctionnement 48 de l’école et
pour communiquer en milieu scolaire. Les familles ont, elles aussi, besoin de la même
langue pour suivre la scolarité des jeunes et pour les préparer à l’insertion sociale. Du
fait que les parents ne maitrisent pas la langue d’apprentissage du jeune et face aux
progrès rapides des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui
font appel à d’autres langues littéraires et scientifiques, il est important que la langue
d’enseignement s’appuie sur la langue parlée par l’apprenant, celle que le jeune a
appris en premier, au sein de sa famille.

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100 En Guyane, cette démarche se heurte au contexte socioculturel des familles que la
région Guyane (2005) expose en ces termes : « D’importants problèmes de repères
identitaires, liés au multilinguisme, surviennent au sein des sphères familiale, scolaire,
sociale et professionnelle. Les programmes scolaires, construits sur le modèle de la
France hexagonale, ne conviennent pas à des enfants dont le français n’est pas la
langue maternelle. Les enfants souffrent de handicaps dès la première année de
scolarisation. Ces handicaps s’aggravent d’année en année du fait que les parents et
l’institution scolaire apportent peu de soutien. Il s’ensuit, pour certains élèves, un
absentéisme important. L’échec scolaire est donc fréquent et le taux d’analphabétisme
élevé (…) Les outils pédagogiques ne sont pas toujours adaptés à la culture de l’enfant,
et les pratiques pédagogiques ne conviennent pas à certaines populations. Les
médiateurs bilingues, qui assistent les enseignants, sont trop peu nombreux au regard
du rôle qu’ils jouent dans le système éducatif. D’autre part, la situation de ces
médiateurs est précaire ; les perspectives de carrière sont inexistantes 49 ».
101 La stratégie de recours aux langues pratiquées par les familles à l’école apporte aussi
des réponses pratiques en termes de valorisation des familles qui se trouvent en
situation de « risque éducatif » consécutif à l’illettrisme, à l’analphabétisme ou tout
simplement à la minorité de la communauté linguistique des jeunes.
102 De plus nous remarquons que dans ce territoire, l’intégration de l’éducation informelle
dans le système de l’Éducation nationale s’effectue avec des difficultés d’association et
de prise en compte des apprentissages en dehors de tout organisme strictement
scolaire. Et pourtant, les personnes âgées rappellent qu’à l’époque, dans la
communauté créole, chaque soir de pleine lune, l’enfant s’asseyait autour des parents
et amis à l’occasion des veillées pour écouter des contes, certains étant réservés aux
cérémonies mortuaires. Cette forme d’éducation par la pédagogie du conte au coin du
feu était une excellente opportunité pour apprendre la narration à l’enfant. Enfin, chez
les Bushinengue, ont lieu des concours de contes qui sont un océan de savoir
proverbial, sans compter la formation à la chasse et à la pêche, à la fabrication de
divers objets d’art traditionnel et aux techniques de navigation fluviale chez les
saramaca et amérindiens qui habitent tout au long des fleuves Maroni et Oyapock.
103 Lors des enquêtes, plusieurs questions ont été abordées comme par exemple celle qui se
rapporte à la capacité de lire dans sa langue maternelle.
104 Question posée : êtes-vous capable de lire dans votre langue maternelle ?

Tableau n° 2 : capacité de lire dans sa langue maternelle

LECT/LANG Nb. cit. Fréq.

Non- réponse 6 1,2 %

Oui 315 63,4 %

Non 176 35,4 %

TOTAL OBS. 497 100 %

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105 Nous observons que la soif d’apprendre la langue française en tant que principale
langue de l’offre de lecture existe. Elle est si forte que les parents d’élèves de la
commune de Camopi ont pris des dispositions pour mettre en place un programme des
cours du soir afin d’accompagner les enfants dans leur scolarité. Une telle démarche
constitue un véritable « renversement de handicap » dans la mesure où les enfants
participent aux côtés des adultes à l’apprentissage de la langue française aux parents
afin de les aider à suivre leur scolarité.
106 Ainsi, du point de vue stratégique, comme le préconisent les travaux récents, le facteur
le plus pertinent est la recherche préalable d’une approche fondée sur les rapports
constants entre la nature de l’homme et son milieu, c’est-à-dire ce que la personne a
reçu comme éducation car « si l’on veut développer en classe une ouverture à la variété
des contextes culturels et sociaux, il est important de faire prendre conscience aux
apprenants qu’il existe des paramètres qui déterminent leur représentation, de leur
faire comprendre comment ils appréhendent l’ici et l’ailleurs. Ceci afin de construire
une relation dialectique entre l’identité sociale des élèves et la culture enseignée 50 ».
L’éducation du jeune guyanais sera d’autant plus efficace qu’elle sera forgée par ce que
le jeune voit tous les jours et avec par exemple une prééminence de la nature, de
l’environnement, c’est-à-dire des interrelations entre les individus, leur milieu de vie et
leurs besoins fondamentaux y compris sur le plan artistique et linguistique.
107 À ce propos, au lieu de renforcer l’isolement des personnes dans leur propre culture,
l’éducation en contexte multilingue doit favoriser l’ouverture vers d’autres cultures,
d’autres expériences. Certes, présenter les langues véhiculaires de Guyane comme des
recompositions des formes variées de certaines langues européennes reste
relativement discutable.
108 Cependant nous observons que souvent les contacts de langues, y compris dans les
domaines lexicaux des langues guyanaises, provoquent l’émergence des mots
d’emprunt issus des langues européennes et créoles parfois des pays de la Caraïbe, dans
le but de « nommer des réalités nouvelles » variables en fonction des périodes
historiques et des situations géographiques du territoire (Renault-Lescure et Laurence
Goury, 2009 : 153). Dans la seule langue saamaka, la plupart des mots sont d’origine
anglaise (50 %) et portugaise (35 %) ; on trouve ensuite des mots du néerlandais (10 %),
et de langues africaines, en particulier le fongbe51 et du kikongo (5 %).

Tableau n° 3 : Mots d’emprunts de la langue kali’na

Venezuela Suriname/Guyane (est) Guyane (est)


(en
(emprunts à (emprunts au (emprunts au créole français)
l’espagnol) sranantongo) guyanais)

Peetoroorio(petroleo) Kalasinoli(karsinoli) Sisi (chis) Pétrole

Kerejsha (iglesia) Keleke (kerki) Legliz(legliz) Église

Vojaro (fosforo) Suwapulu (swarfru) Alimeti (alimèt) Allumette

Pannuweero (panuelo) Ankisa (hangisa) Muchwè (muchwè) Mouchoir

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Sevoyya(cebolla) Ayunu (ajun) Zognon (zongnon) Oignon

Sources : Langues de Guyane, sous la direction de Odile Renault-Lescure et Laurence Goury, Paris,
Vents d’ailleurs, 2009, p. 68.

109 C’est d’ailleurs le lieu pour signaler que l’Unesco52 œuvre en faveur de l’enseignement
multilingue basé sur la langue maternelle. De même, sur le plan européen, la politique
du multilinguisme s’inscrit dans le cadre du programme apprentissage 2007-2013 tout
au long de la vie53.
110 À ce stade de nos travaux, l’application d’un questionnaire à un échantillon nous a paru
nécessaire afin de vérifier nos hypothèses de travail et pour comprendre comment le
problème d’éducation en contexte multilingue est perçu et vécu par les principaux
acteurs concernés. Les pages qui suivent décrivent les modalités de cette approche.
111 Enfin, au regard du caractère multiculturel du territoire, il est important de mettre en
évidence les limites objectives de notre enquête par rapport au phénomène étudié. De
même, à côté des avantages liés à notre expérience professionnelle sur le territoire, il
est utile d’évoquer les difficultés de prise de recul par rapport à notre connaissance du
détail du fonctionnement de la société guyanaise ainsi que d’autres difficultés
rencontrées lors des enquêtes.

Limites et difficultés de l’étude

112 En raison des conditions difficiles de transport et de séjour, il ne nous a pas été possible
d’enquêter dans certains sites isolés54 : des communes, des fleuves qui ne sont
accessibles que par la pirogue et dont les conditions d’hébergement restent encore
précaires.
113 En revanche, pour d’autres communes de l’intérieur de la Guyane situées sur le littoral
comme Macouria, Sinnamary, Mana, Régina dans lesquelles les bibliothèques sont
gérées par un personnel relativement permanent et suivies régulièrement par la
bibliothèque départementale de prêt, nous avons distribué, pour chacune d’elles, un
nombre variable de questionnaires en fonction de notre répartition de l’échantillon par
commune.

Tableau n° 4 : Répartition de l’échantillon par commune

NB
Population Effectif/ Effectif/
Communes questionnaires
(1999) Hommes Femmes
%

Apatou 3637 55 (11 %) 27 28

Awala-Yalimapo 887 14 (3%) 7 7

St Georges 2096 30 (6%) 15 15

Grand Santi 2844 43 (9 %) 21 22

Iracoubo 1422 21 (4 %) 11 10

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


119

Macouria 5049 76 (16 %) 38 38

Mana 5450 82 (17 %) 41 41

Maripasoula 3652 55 (11 %) 28 27

Montsinery-
1037 16 (3 %) 8 8
Tonnegrande

Papaïchton 1652 25 (5 %) 13 12

Régina 765 11 (2%) 5 6

Roura 1781 27 (5%) 13 14

Sinnamary 2783 42 (8%) 22 20

Total 33055 497 249 248

114 Conformément à la distribution normale de répartition de la population, selon le sexe


et en fonction de notre échantillonnage de départ, nous avons obtenu, malgré les aléas
du terrain, des proportions conformes à la population mère.
115 Afin de vérifier la bonne compréhension des questions, le questionnaire a été testé au
préalable auprès d’une quinzaine de personnes susceptibles de participer à l’enquête
(un adulte n’ayant jamais été à l’école, un professionnel du livre, un chercheur et une
personne qui ne maîtrise pas la langue française). Ainsi, nous avons distribué un total
de 600 questionnaires.
116 En réalité, certains étaient remplis directement avec les personnes, d’autres ont été
déposés dans les petites bibliothèques. Dans l’ensemble, 513 questionnaires ont été
remplis, c’est-à-dire qu’ils ont fourni des renseignements sur l’opinion de la frange de
population questionnée. Cependant, parmi les 513 questionnaires, nous avons
enregistré 16 questionnaires remplis avec une écriture illisible. Ceux-là n’ont pas été
pris en compte lors du dépouillement de la totalité des réponses. Nous avons donc
traité 497 réponses.
117 Plusieurs réponses correspondent à l’opinion de l’échantillon sur des questions
précises. Certaines réponses sont simplement commentées, d’autres sont représentées
sous forme de carte ou de graphique. Nous avons pris le soin de rappeler la question
posée avant de présenter la réponse. La plupart des questions destinées aux acteurs
institutionnels ont été formulées pour nous permettre de recueillir leurs convictions.
118 En ce qui concerne les difficultés lors des enquêtes, en général, les personnes
rencontrées ont participé à l’enquête. Il convient toutefois de souligner que dans les
communautés amérindiennes, la visite d’une personne extérieure au village est perçue
comme un signe d’intérêt pour la communauté et un honneur pour la personne. Ainsi,
dans certaines communes, comme par exemple AwalaYalimapo, c’est la personne
enquêtée qui nous encourageait à aller voir son voisin, pour éviter de le frustrer.
119 En principe, dans la mesure où une enquête est par définition déclarative, nous n’avons
pas remis en doute les réponses qui nous sont parvenues, y compris concernant
certaines questions qui se rapportent par exemple au niveau d’études, à l’existence des

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


120

espaces de lecture dans la commune et aux moyens de communication et


d’information. C’est sur la base de ce postulat fondamental que nous avons traité
l’ensemble des réponses.
120 Enfin, contrairement aux Amérindiens, les Noirs Marrons, malgré leur obligeance
envers notre enquête, sont restés assez méfiants, ayant surtout la peur d’être surpris
par une question se rapportant à leurs coutumes et d’être contraints de dévoiler les
interdits.
121 Sachant que la culture de l’oral est ce qui constitue le socle de la société guyanaise, qui
contribue à lui donner des références et à forger ses valeurs identitaires, quel est le
statut du français dans le contexte multilingue du territoire ? Nous aimerions à présent
esquisser une réponse à cette interrogation.

Culture de l’oral et scolarisation des jeunes : le statut


du français
122 Depuis son inscription dans la Constitution française comme « langue de la
République » en 1992, en Guyane, la langue française s’est imposée pour devenir la
seule langue de scolarisation. Aussi, au regard des difficultés auxquelles sont
confrontés les enseignants, les parents d’élèves et les élèves, il y a lieu d’étudier
comment intégrer les langues sans tradition scolaire dans l’enseignement afin de
favoriser la réussite scolaire.
123 Mais les langues non écrites peuvent-elles être prises en compte dans le processus
d’apprentissage scolaire ? C’est faire preuve de réduction que de penser que la
connaissance scientifique est fermée à certaines langues et ouvertes à d’autres. En effet,
autant les mathématiques et d’autres disciplines scientifiques peuvent s’étudier en
bushinengue, autant la traduction en arawak des œuvres complètes de Kant est de
l’ordre du possible. D’ailleurs, un enseignant de Maripasoula a déjà expérimenté
l’enseignement des mathématiques à partir de la broderie amérindienne. D’autres
expériences d’enseignement de la langue française à partir des contes Palikur sont
menées par les médiateurs culturels dans certaines écoles situées en particulier tout au
long du fleuve Oyapock.
124 Autant de faits significatifs vécus par les enseignants et élèves qui confirment qu’au
lieu de prendre le risque de fragiliser les pans sur lesquels s’arc-boutent les différentes
langues parlées par les populations locales, il vaut mieux s’investir pour que les langues
parlées contribuent à l’enseignement des langues scolaires.
125 Reste que les élèves qui le peuvent luttent continuellement pour surmonter leurs
difficultés de scolarisation dans une langue autre que la langue parlée au quotidien.
L’effort vaut la peine, peu importe la nature, le niveau des efforts fournis mais aussi
l’environnement familial et social dont ils bénéficient. Pour d’autres, cette situation est
vécue comme un sort, c’est-à-dire une contrainte irrévocable susceptible de pousser à
une « gestion honteuse d’un trait négatif stigmatisant55 ». Ainsi, on a vu des élèves
amérindiens et saramaca éprouver une gêne immense de parler leur langue maternelle
en public. Ce sentiment de honte est aussi un trait de la volonté des classes moyennes
en Afrique d’intégrer leurs enfants dans la modernité occidentale quand il leur est
empêché de parler la langue non scolaire à l’école.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


121

126 Face à cette situation qui fait de la Guyane un terrain de recherche ouvert qui a
longtemps été défrichée, au plan de l’éducation, il est important de fournir des
éléments de comparaison qui favorisent une clarification des rapports entre les langues
pratiquées par les populations locales.

Conclusion
127 Au terme de cette réflexion, cette étude nous a permis de nous interroger sur les
modalités de l’éducation dans un territoire plurilingue comme la Guyane. Au regard de
la diversité culturelle du territoire, ce qu’il faut retenir, c’est que pour lutter contre la
fracture scolaire en Guyane, il est important de « recourir à des stratégies éducatives
qui confèrent aux langues (…) locales une place importante dans la scolarité 56 ». À
défaut d’une telle démarche, les acteurs sociaux n’auront pas fini de déplorer l’état de
l’école en Guyane. Autrement dit, si la politique de développement culturel du
territoire s’inscrit dans une stratégie qui « écrase la langue des autres, viole la
spiritualité des autres, falsifie l’histoire des autres, dévalorise l’expérience
technologique ou artistique des autres, humilie et paralyse la créativité des autres… 57 »,
elle serait irréaliste et ne pourrait aboutir car, avec le temps, elle sera vouée à l’échec.
128 Certes, l’intégration de la culture dans le système éducatif peut s’inscrire dans une
approche interculturelle susceptible de contribuer à l’amélioration des résultats
scolaires. Mais en même temps, si des dispositions ne sont pas prises dans une
démarche qui implique les parents et le secteur associatif en tant qu’acteurs capables
d’initiatives, pour prévenir les difficultés, pour y remédier ou pour consolider les
acquis, cela risque de compromettre l’effort d’accompagnement dans les
apprentissages.
129 Pour favoriser l’intégration sociale des jeunes et lutter efficacement contre la
déscolarisation en Guyane, plusieurs pistes complémentaires peuvent être explorées et
hiérarchisées en fonction des compétences, de la stratégie, des moyens et des objectifs
de chaque acteur.
130 À ce propos, on a tendance à oublier que la bataille pour l’égalité des chances en milieu
scolaire se joue sur deux tableaux complémentaires. D’une part, c’est par les campagnes
d’information et de sensibilisation des parents sur le rôle qu’ils peuvent jouer dans la
lutte contre la déscolarisation. D’autre part, par la création d’un fonds pour la lutte
contre la déscolarisation en concertation avec les acteurs du secteur économique et
associatif ainsi que les organismes de formation.
131 Certes, il faut reconnaître que l’État déploie chaque année d’importants moyens pour
sortir des conditions actuelles de scolarisation. Il est important d’examiner pourquoi
bon nombre d’acteurs les jugent pour, le moins, non satisfaisants. Une chose est
certaine : le partage des expériences, le travail en réseau, les échanges avec d’autres
régions du monde, qui partagent le même contexte socioculturel et économique que la
Guyane, constitue, à nos yeux, un excellent moyen pour infléchir le processus de
décrochage scolaire, même si cette bataille est loin d’être achevée.
132 Sur le terrain, en dehors des problèmes de déplacement des élèves scolarisés issus des
familles les plus démunies, l’insuffisance d’établissements scolaires et de professionnels
par rapport aux besoins locaux ainsi que les difficultés d’installation des enseignants en
zones isolées ralentissent le processus de développement de l’éducation en Guyane.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


122

133 Parmi les principales pistes pour atteindre cet objectif, il ne faut pas perdre de vue la
nécessité d’encourager la création et l’édition d’outils diversifiés dans différentes
langues parlées par les familles (documents écrits et multimédias...). En même temps, il
est utile de développer le programme de formation adaptée des enseignants par
rapport au contexte du territoire58.
134 À terme, le passage par des études scientifiques ciblées sur les modalités d’intégration
de la culture à l’éducation garantirait la pertinence des approches et éclairerait la
compréhension de la spécificité de l’éducation en Guyane. Les enseignements que nous
pouvons en tirer dépassent de loin la simple connaissance des pratiques en œuvre.
Aussi, pour répondre à toutes les questions que l’intégration sociale et la réussite
scolaire soulèvent, il est utile de recourir aux méthodes des sciences sociales pour
conduire une réflexion scientifique sur cette problématique en privilégiant par
exemple l’intégration des savoirs traditionnels dans l’enseignement scolaire et dans les
activités péri et parascolaires.
135 En effet, compte tenu du risque de marginalisation d’une frange de la population, qui
rencontre d’énormes difficultés de maîtrise de la langue de scolarisation, il nous semble
important de décrire un nouvel angle d’approche empirique de la question de l’école en
Guyane. Cette démarche pourrait par exemple prendre en compte la prévention et la
lutte contre l’illettrisme des parents afin de les aider à valoriser et à développer leurs
propres compétences. De ce point de vue, s’appuyer sur les langues parlées en Guyane
constitue un atout pour la réussite de l’éducation sur le territoire.
136 Aussi, l’école des parents et d’autres dispositifs, qui interviennent dans ce domaine,
constituent une opportunité à saisir car leurs méthodes donnent lieu à une
alphabétisation adulte a posteriori alors que dans le même temps, la stratégie
pédagogique vise à trouver des substituts à des enseignants. Leurs interventions
présentent en plus l’avantage de faire la part belle au bilinguisme. Encourager la
coexistence des langues parlées et du français dans la société guyanaise est une
opportunité pour améliorer le niveau scolaire des jeunes et pour développer leur
quotient intellectuel.
137 Cependant, pour atteindre ces objectifs, le soutien scolaire devrait être élargi sur tout
le territoire ainsi que le précieux partenariat avec les associations de parents d’élèves,
le Ceméa59, la Ligue de l’enseignement et surtout le Casnav. En même temps, il est
important de valoriser et de mutualiser les expériences souvent méconnues au-delà des
frontières en proposant des scénarii adaptés à partir de la diversité des situations
observées dans d’autres pays qui présentent des contextes socioculturels similaires
(Maurer, 2013 : 134). Une chose est certaine : en créant une véritable synergie dans la
prise en charge éducative des jeunes de Guyane, on parviendrait à mettre en place un
réseau d’acteurs sur le terrain.
138 En effet, si les enseignants déplorent l’absence ou l’insuffisance de la participation des
parents dans la scolarité des enfants, c’est aussi parce que nombre d’entre eux ont
besoin eux-mêmes d’assistance afin que l’école ne soit plus considérée par certains
comme une garderie, un lieu d’obtention du certificat de scolarité qui donne accès aux
droits sociaux.
139 Au regard de ces différentes questions, il apparait que l’important c’est d’abord
l’enfant ; car « priver les enfants de nos écoles, en particulier ceux qui n’ont pas le
français pour langue maternelle (…), c’est les condamner à vivre en marge de la société

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123

et de la Nation, c’est les enfermer dans un ghetto d’où, nous le savons bien, ils ne
sortiront qu’avec beaucoup de peine60 ».
140 En définitive, il ressort que l’égalité d’accès à l’éducation en Guyane, c’est aussi une
question de culture au service de la citoyenneté, l’enjeu étant la valorisation des
cultures locales. Notre protocole de recherche n’a pas envisagé les usages des langues
en lien avec le concept d’habitus qui fait de l’école une reproduction des inégalités. La
pire des inégalités n’est-elle pas celle faite aux cultures du terroir ?

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NOTES
1. Déclaration universelle des droits de l’homme, déclaration des droits des personnes
appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques de 1992,
Convention (n° 169) concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants,
adoptée par l’Organisation internationale du travail en 1989, Déclaration sur les droits de
l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays où elles vivent, Convention
internationale des droits de l’enfant, Charte européenne de protection des langues régionales et
des minorités, Charte européenne du plurilinguisme, conventions de l’Unesco, etc.
2. NOR : REDE1236612C circulaire n° 2012-141 du 2-10-2012 RED - DGESCO A1-1
3. En France, l’instruction est obligatoire pour tous les enfants à partir de 6 ans jusqu’à 16 ans
révolus.
4. Le fait de parler au moins deux langues, quel que soit le degré de maitrise de ces langues
(Leglise et Migge, 2007).
5. Ou langue territorialisée. En France, langue reconnue par l’État comme étant parlée
durablement sur son territoire par des citoyens français (Leglise et Migge, 2007 : 403-423).Selon
Bettina Migge et Odile Renault-Lescure (2009 : 52), le statut des langues de Guyane est variable.
« Le français est la langue nationale », le créole guyanais est « langue régionale », les langues
amérindiennes, les créoles à base lexicale anglaise et le hmong sont des « langues de France ». On
entend par langues de France les langues régionales ou minoritaires parlées traditionnellement
par des citoyens français sur le territoire de la République, et qui ne sont langues officielles
d’aucun État […] ces critères de définition s’inspirent […] de la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires » (Site web de la Dglflf, consulté le 5 décembre 2017).
6. D’après les mêmes sources, en dehors du créole guyanais, à base lexicale française, il existe
d’autres créoles à base lexicale anglaise : aluku, ndyuka, pamaka et saamaka.
7. Conseil régional de la Guyane, Conseil de développement durable de la Guyane, Agenda 21,
Cayenne, Conseil Régional de la Guyane, 2005, p. 35.
8. Insee, Résultats du recensement de la population guyanaise au 1 er janvier 2014.
9. Qui mesure les réalisations moyennes en matière de santé, d’éducation, et de revenus.
10. Produit national brut.
11. Comme par exemple les villages Abouna Sounga et Yapimaliki, sur le territoire de la
commune de Papaïchton.
12. Jean Hurault, Les Noirs refugiés Boni de la Guyane française, Dakar, IFAN, 1961, XVII, 362 p.
13. Institut national de la statistique et des études économiques.
14. Insee Antilles-Guyane, L’État de l’école en Guyane, Cayenne, Insee, rectorat de la Guyane, Carif,
Oref Guyane, 2011, p. 3.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


126

15. Par exemple, Ian Hamel (1979 : 88) observe que « par le biais de la scolarisation, les habitants
de l’intérieur et particulièrement les Boni risquent d’être intégrés à la communauté créole.
L’école ne leur apprend pas seulement le français, elle leur inculque d’autres valeurs modèles. Les
élèves (…) ne désireront plus forcément retrouver le mode de vie de leurs parents ».
16. Yvette Farraudière, École et société en Guyane française, scolarisation et colonisation, Paris,
L’Harmattan, 1989, p. 140.
17. C’est ainsi que depuis les années 1950, les sites d’orpaillage situés depuis le chemin des
émerillons sur le territoire de la commune de Régina jusqu’à la commune de Saül en passant par
la « crique maïs » n’ont jamais bénéficié d’un équipement scolaire. Cette stratégie a tellement
influencé les dispositifs en œuvre que jusqu’en 2011, le village Yamapa-Pina, sur le territoire de
la commune de Camopi, comptait encore 20 enfants non scolarisés.
18. D’une manière générale, l’enseignant donne envie d’apprendre dans une démarche fondée
sur l’adaptation et la lutte permanente contre « l’ennui du trop facile ou du trop difficile ». Ainsi,
lors des séances et des séquences, il peut puiser dans les contextes physique, socioculturel et
linguistique des élèves, des outils qui facilitent la compréhension des élèves, en fonction du
plurilinguisme du territoire et de l’hétérogénéité culturelle des parents.
19. Mama goo est représentée par une grossière statue d’argile blanche munie d’énormes seins,
symbole de fécondité, que l’on peut apercevoir dans une petite case située sur la place du village
de Boniville. Chaque année, quand approche le temps de couper les abattis, le grand man,
entouré d’une nombreuse assistance, prie le dieu d’accorder la fécondité aux plantations. Si la
pluie ne tombe pas, on fait une offrande d’eau et de tafia et on arrose la statue.
20. Marcel De Grève, Le statut des langues dans une société plurielle, dans « vers une société
pluriculturelle, études comparatives et situations en France », Actes du colloque international de
l’AFA, Paris, 9-11 janvier 1986, éd. de l’ORSTOM, p. 655.
21. Frédéric Piantoni, L’Enjeu migratoire en Guyane française, Matoury, Ibis Rouge Éditions, 2009,
p. 345.
22. Sans doute parce que « sans se réduire à la langue, la culture guyanaise est centrée sur le
créole » (Ian Hamel, les guyanais français en sursis, Paris, 1979, p. 101).
23. Marcel de Grève, op. cit., p. 649.
24. Académie de Poitiers, Direction des services départementaux de l’Education nationale, portail
premier degré.
25. Michel Candelier, [dir.], La porte des langues, l’introduction de l’éveil aux langues dans le
curriculum, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2003, p. 87.
26. Centre académique pour la scolarisation des élèves nouvellement arrivés et des enfants du
voyage.
27. Bernard Poche, « La construction sociale de la langue », dans Geneviève Vermes et Josiane
Boutet [dir.], France, pays multilingue : les langues en France, un enjeu historique et social, Paris,
L’Harmattan, 1987, p. 97.
28. Les langues de scolarisation des pays voisins sont très variables : au Brésil, c’est le portugais,
au Suriname c’est le hollandais et au Guyana, c’est l’anglais.
29. Par exemple, le sranantongo sert de langue de communication à la fois pour le saramaka,
l’okanisi, le n’djuka et l’aluku.
30. Même si, à la base, du point de vue sociolinguistique du territoire, toutes les communautés
guyanaises sont plurilingues (Migge et Renault-Lescure, 2009), pour les élèves non francophones,
le français appris en milieu scolaire devient une langue seconde, apprise dans un deuxième
temps et étrangère à leur environnement familial (Leglise et Migge, 2007).
31. Langue d’interaction qui exprime dans sa sémantique, comme dans sa syntaxe la réalité
contextuelle du groupe local (Poche, 1987, p. 94).

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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32. Christine Hélot, « La formation des enseignants en contexte plurilingue » dans Jacques
Vernaudon, Véronique Fillol, [dir.], vers une école plurilingue dans les collectivités françaises
d’Océanie et de Guyane, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 251-270.
33. Comme on peut l’observer dans les communes d’Ouanary et Saint-Elie.
34. Des démarches similaires sont actuellement expérimentées en métropole comme par
exemple celles évoquées par Michelle Auzanneau, Françoise Hickel, Malory Leclerc, sur le thème
“Plurilinguismes et apprentissages : de la complexité des pratiques et ressources langagières en
contexte à leur développement réfléchi en formation”. Recherche financée par la direction de la
Protection judiciaire de la jeunesse.
35. Jeanine Ho-A-Sim, « L’insertion scolaire des enfants de l’Ouest guyanais : le cas des réussites
paradoxales » dans Isabelle Leglise, Bettina Migge et al. Pratiques et représentations linguistiques en
Guyane, regards croisés, Ird Éditions, 2007, p. 119.
36. Alain Colaniz, Enseigner en Guyane, l’école au risque de l’interculturel, Paris, L’Harmattan, 2001,
p. 74.
37. Ainsi, un enfant né d’une relation entre un Boni et un Ndjuka est appelé en Aloukou «
mékipikin » du fait qu’il est considéré par les Bonis comme un « enfant à moitié pur ».
38. Pierre Bourdieu, La Distinction, critique sociale du jugement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979,
672 p.
39. Blaise Bitegue Dit Manga, Lecture publique et identités locales : le cas des territoires isolés de
l’intérieur de la Guyane française, Thèse de doctorat en sociologie, soutenue le 28 novembre 2007
[sous la dir.] du professeur Marie-Caroline Vanbremeersch, Amiens, université de Picardie Jules
Verne, 477 p.
40. Une enquête réalisée par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (Anlci) en 2004
signale un chiffre de 20 % de la population régionale âgée de 16 à 65 ans ayant été scolarisée en
France contre 9 % en 2004 et 7 % en 2011 en France métropolitaine. (Anlci), L’évolution de
l’illettrisme en France, numéro spécial Guyane, mars 2014.
41. Cette réunion, initiée en 1998 par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) au
village de Bellevue-Yanou a eu pour objet, durant 5 années, d’expérimenter l’écriture de la
langue Kali’nan en présence des autorités coutumières et politiques locales.
42. La ou les langues qu’on acquiert dans la famille, lorsqu’on apprend à parler (Leglise et Migge,
op. cit.).
43. Langue de l’État, utilisée généralement par les institutions comme l’administration, l’école,
etc. ibid.).
44. Rectorat de l’Académie de la Guyane, Plan éducation Guyane 2010-2013, Cayenne, novembre
2010, p. 2.
45. Sophie Alby, La Formation des enseignants dans le contexte guyanais, dans Jacques Vernaudon et
Véronique Fillol [dir.], Vers une école plurilinguiste, dans les collectivités françaises d’Océanie et de
Guyane, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 237.
46. Bitegue Dit Manga (Blaise), « Scolarisation et langues sans tradition scolaire, quelle stratégie pour la
Guyane française ? », dans La scolarisation dans les langues sans tradition scolaire, conditions d’une
réussite, Paris, Dialogues et cultures, n° 60, 2014, p. 11-22.
47. Yves Durand et Jacques Guyard, Rapport d’information parlementaire n° 1477 sur le thème
L’Enseignement scolaire en Guyane, Paris, 18 mars 1999, p. 32.
48. Les enseignants des sites éloignés signalent que souvent, les jeunes ne comprennent pas
pourquoi il faut rester assis devant une personne qui vous donne la parole, qui vous autorise à
aller aux toilettes et qui vous apprend à vivre alors qu’il n’est pas de la famille.
49. Conseil régional de la Guyane, Conseil de développement durable de la Guyane, Agenda 21,
Cayenne, Conseil régional de la Guyane, 2005, p. 39.
50. Ferreira Da Silva, Brigida Ticiane, Le proche lointain et le lointain proche, représentations des
enseignants brésiliens de FLE sur la Guyane voisine, Berne, Peter Lang, 2012, p. 33.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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51. Une langue véhiculaire employée au Bénin, au Nigeria et au Togo.


52. Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture.
53. Dont l’un des objectifs est la promotion de l’apprentissage des langues et de la diversité
linguistique en Europe. Ainsi l’apprentissage d’une langue étrangère est désormais de mise dans
les écoles françaises, allemandes, italiennes et anglaises.
54. Comme par exemple les villages Maïman, Kofi Campou sur le territoire de la commune
d’Apatou ou encore ceux de la commune de Ouanari
55. Louis Gruel, « Conjurer l’exclusion, Rhétorique et identité revendiquée dans les habitats
disqualifiés », Revue française de sociologie, vol. 26, n° 3, 1985, p. 431-453.
56. Unesco, L’éducation dans un monde multilingue, Paris, Unesco, 2003, p. 14-15.
57. Alioune Diop, « Du confort culturel », Présence africaine, n° 107, mars 1978, p. 1.
58. L’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation de l’université de Guyane (ESPE) est
spécialisée dans les métiers de l’enseignement de l’éducation et de la formation. Ces rôles et
missions s’articulent autour de trois principaux axes : « objectif majeur de la loi sur la
refondation de l’école de la République, l’ESPE de la Guyane a pour ambition de dispenser une
formation de qualité, répondant aux contraintes et spécificités du territoire ; plus généralement
les principales missions de l’ESPE de Guyane sont : la formation initiale des futurs enseignants
aux métiers de l’enseignement et de l’éducation, la formation continue des enseignants en poste
dans l’académie ainsi que le développement de la recherche en éducation ; fédérer les initiatives
sur des projets communs… ».Sources : Site internet : y, consulté le 5 décembre 2017.
59. Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active.
60. Tshiyembe Mwayila, Bukassa Mayele, Invention de l’État de droit et projet de société démocratique
en Afrique : le cas du Zaïre, Condé-sur-Noireau, Diane de Selliers Éditions, 1992, p. 140.

RÉSUMÉS
Malgré l’apparition d’un discours des pouvoirs publics visant la promotion de la cohésion sociale
du territoire, au regard des stratégies en œuvre ou en projet, cet article met en évidence la
variété des contextes de scolarisation et leur rôle dans les situations d’échec scolaire de
nombreux jeunes de Guyane.
Ainsi, il sonde les principales difficultés liées aux exigences de la scolarisation dans la langue
française et son poids en matière de réussite scolaire par rapport à la tradition orale et à d’autres
réalités linguistiques et culturelles locales.
Cette recherche met au jour les paradoxes d’une démarche fondée sur la confrontation
nécessaire entre les atouts du territoire, le passé culturel, la vie quotidienne des jeunes, issus
pour la plupart des familles fragiles, pratiquant des langues minoritaires et le modèle du discours
officiel par rapport aux jeunes de l’hexagone.
Enfin, elle expose la part qui reste à travailler dans l’éducation et dans la participation des jeunes
au processus de construction de la société guyanaise d’aujourd’hui. Elle souligne en conclusion
que bon nombre des faiblesses relevées sur le terrain résultent de la difficulté permanente
d’articulation de la langue d’enseignement avec les langues parlées sur le territoire. Ces
dernières n’étant pas traditionnellement associées à l’école et qui ne sont pas traditionnellement
associées à l’école. Les problèmes rencontrés sur le terrain de cette ancienne colonie française
soulignent la nécessité d’une prise en compte collective de cette situation.

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Despite the appearance of a speech by public authorities to promote social cohesion of the
territory, in the light of the strategies implemented or planned, this article highlights the
context of schooling of many young people in Guyana who share this space multilingual social
and are in a situation of academic failure or dropping out.
So, it searches the key challenges related to the demands of education in the French language
and its weight in terms of academic achievement compared with the oral tradition and other
local linguistic and cultural realities. This research reveals the paradoxes of an approach based
on the confrontation between the necessary assets of the territory, the cultural past, the daily
lives of young people for the most fragile families practicing minority languages and model of
speech official compared to young people in metropolitan France.
This research shows that there is much work to be done in youth education and youth
involvement to develop the actual society of French Guyana.
The research also indicates that many weaknesses cares from difficulties to ink language used in
school and local languages.
Problems meet by the French Guyana, a former colony, shows that collective awareness of these
situations is necessary.

A pesar de la aparición de un discurso de los poderes públicos que pretende promover la cohesión
social del territorio en relación con las estrategias aplicadas o en fase de preparación, este
artículo pone de relieve la variedad de los entornos de escolarización y su papel en los casos de
fracaso escolar de muchos jóvenes de la Guayana francesa.
Así, examina las principales dificultades ligadas a las exigencias de escolarización en lengua
francesa y su importancia en lo referente al éxito educativo frente a la tradición oral y otras
realidades lingüísticas y culturales locales.
En suma, este estudio revela las paradojas de un método basado en la confrontación necesaria
entre las ventajas que presenta el territorio, el pasado cultural y la vida cotidiana de los jóvenes
procedentes en la mayoría de los casos de familias frágiles que utilizan lenguas minoritarias y el
modelo del discurso oficial con respecto a los jóvenes de la Francia europea.
Por último, el estudio expone la parte que se debe trabajar en la educación y en la participación
de los jóvenes en el proceso de construcción de la sociedad guayanesa actual subrayando, como
conclusión, que muchas de las deficiencias detectadas sobre el terreno se deben a la dificultad
permanente de articulación de la lengua de enseñanza con las lenguas habladas en el territorio,
que tradicionalmente no se asocian a la escuela. Los problemas hallados sobre el terreno de esta
antigua colonia francesa subrayan la necesidad de que esta situación sea considerada a nivel
colectivo.

INDEX
Mots-clés : cohésion sociale, tradition orale, jeunes Guyane, éducation Guyane, bilinguisme,
langue française Guyane
Palabras claves : cohesión social, tradición oral, jóvenes Guayana, educación Guayana,
bilingüismo, lengua francesa Guayana
Keywords : social cohesion, oral tradition, young Guiana, Guyana education, bilingualism,
language French Guiana

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AUTEUR
BLAISE DIT MANGA BITEGUE
Blaise Bitegue Dit Manga est docteur en sociologie, chercheur associé au MADRESHS (Maroc
Association pour le Développement et la Recherche en Sciences Humaines et Sociales). Il est aussi
diplômé de l’École du Louvre, de l’université de BRNO et de l’Institut culturel de Belgrade
(muséologie). Outre un diplôme en administration culturelle et collectivités territoriales de
l’Institut de préparation à l’administration générale de l’université de Picardie, il est également
titulaire d’un DEA en aménagement du territoire et développement local de l’université de Pau et
des Pays de l’Adour ainsi que d’un diplôme de bibliothécaire de l’université Cheik Anta Diop de
Dakar. Ancien Directeur général des services des communes de Papaïchton et d’Iracoubo (Guyane
française), il est Référent laïcité citoyenneté à la PJJ de Guyane et enseigne la sociologie à
l’université de Guyane. Ses recherches traduisent son attachement à l’identité guyanaise comme
vecteur d’épanouissement des populations.

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Notes de lecture

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Béatrice Brauckmann, Salim


Behloul, L’intérêt de l’enfant. Genèse et
usages d’une notion équivoque en
protection de l’enfance
L’Harmattan, 2017 coll. Le travail du social.

Michèle Becquemin

RÉFÉRENCE
Béatrice Brauckmann, Salim Behloul, L’intérêt de l’enfant. Genèse et usages d’une notion
équivoque en protection de l’enfance, L’Harmattan, 2017 coll. Le travail du social.

1 Au moment où de nombreux experts se penchent sur l’application de la loi de mars


2016 réformant la protection de l’enfance et où des chercheurs mènent des travaux
« avec les enfants »1, deux spécialistes ont décidé de placer le focus sur une notion aussi
essentielle que problématique : celle de « l’intérêt de l’enfant ». Certes, le sujet a déjà
été beaucoup traité dans les années 1980/90 ; cependant, vu l’empilement de réformes
et de dispositifs qui, depuis cette période, transforment le champ de la protection de
l’enfance, il valait bien une réactualisation. Ce travail a été réalisé par Beatrice
Brauckmann, inspectrice à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et titulaire d’un master en
droit sanitaire et social et par Salim Behloul, doctorant en sociologie et formateur en
droit dans une école de travail social. La consistance analytique de cet ouvrage provient
d’une combinaison féconde entre différentes approches (juridique, sociohistorique,
clinique) directement ancrées dans les expériences professionnelles des deux auteurs.
2 Leur démarche consiste tout d’abord à revenir sur la construction de droits propres à
l’enfant, puis d’en discuter les formes actuelles à partir de la Convention Internationale
de 1989 (la CIDE) et enfin d’en examiner les traductions concrètes à partir d’exemples
concrets et de cas cliniques. L’ouvrage est donc composé de trois parties, qui ont, d’une

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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part, chacune leur utilité spécifique et, d’autre part, la faculté de se renforcer
mutuellement au bénéfice d’un raisonnement d’ensemble.
3 La première partie de l’ouvrage apporte des éclairages sémantiques et socio-
historiques. Quatre chapitres présentent les différents éléments de problématique qui
vont structurer la réflexion globale de l’ouvrage.
4 Dans un chapitre introductif assez bref, les auteurs rappellent les controverses et les
critiques qu’a pu susciter l’expression « intérêt de l’enfant ». Ils mettent en avant la
teneur principalement politique qu’elle revêt même si la variabilité des définitions dont
elle a fait l’objet pourrait la faire passer pour concept « mou » ou fourre tout, donc
anodin. Les auteurs considèrent au contraire sa puissance symbolique. Au cours du
deuxième chapitre, les auteurs étayent cette position : ils déconstruisent le terme
« intérêt » en le dissociant des enjeux relatifs à l’enfant. Une telle stratégie d’analyse
est judicieuse à plus d’un titre. L’équivocité du terme « intérêt » apparaît ainsi
clairement pour donner ensuite lieu à une réflexion philosophico-juridique où la
correspondance entre l’usage du mot et la manifestation de droits subjectifs devient
manifeste. Les auteurs expliquent notamment que les droits liés aux « intérêts » des
individus ou des groupes découlent de la nécessité de réguler les relations, les
divergences, les conflits (entre adultes) mais que leur définition n’est jamais détachée
d’enjeux sociaux, moraux, politiques ou économiques, qui sont de surcroît en constante
évolution. Rapportée à l’enfant, et parce qu’il est initialement dépourvu de capacités
juridiques, cette perspective leur permet de mieux éclairer l’objet « intérêt de l’enfant »
et de mettre en évidence des contradictions quasi-structurelles qu’il revêt : entre droits
créances et droits libertés, entre ordre familial et ordre républicain fondé sur
l’individu. En se référant à la pensée d’Hannah Arendt, les auteurs poussent la réflexion
en envisageant ce qui se joue pour l’enfant comme une illustration du développement
d’« une société des égaux » où les individus seraient devenus des partenaires modelés
par le droit.
5 Au cours des deux chapitres suivants, Béatrice Brauckmann et Salim Behloul identifient
les tensions et les revirements qui caractérisent l’évolution du statut de l’enfant de
l’Antiquité au seuil du XXe siècle. On en redécouvre les méandres : de la primauté de la
puissance paternelle à sa mise en cause sous la Révolution et aux différents compromis
établis entre le code napoléonien et les avancées d’un régime républicain réceptif à la
progression des idées et des savoirs sur l’enfant (psychologiques, médicaux,
psychiatriques, pédagogiques, etc.). L’approche est ici plus classique, un brin scolaire :
elle mobilise des ouvrages relativement connus tout en étant parfois ponctuée
d’illustrations originales. Le mérite de ces chapitres est de restituer, clairement et sans
longueur, les données historiques indispensables pour comprendre les origines des
tensions inhérentes au système de protection de l’enfance ainsi que ses manifestations
au cours des deux derniers siècles. Ces précisions sont très utiles pour en saisir les
déclinaisons actuelles aux plans idéologique, politique et juridique. On retiendra du
rappel historique un élément significatif (p. 61) : l’expression « intérêt de l’enfant »
apparaît pour la première fois dans une circulaire de 1840 relative à l’éducation
correctionnelle, en matière de justice pénale des mineurs donc, pour marquer une
distinction entre l’intérêt de la nation et celui de l’enfant ; et ce, afin de lutter contre
l’emprise du premier sur le second. Par la suite, cette même notion pourra également
être opposée à la puissance paternelle lors des décisions judiciaires dans le champ civil
et pénal.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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6 Les connaisseurs de cette histoire complexe éprouveront sans doute quelques regrets.
En effet, les auteurs donnent la part belle au législateur dans l’instauration étatique
d’un ordre social favorable à l’enfant, mais ils auraient pu souligner davantage
l’intensité des rapports de force lors de la fabrication du droit, la difficulté de faire
accepter certaines lois (la loi Roussel de 1889 a nécessité 10 ans de discussions) et la
quasi absence d’application de certains textes durant plusieurs décennies (loi de 1841
sur le travail des enfants et loi de 1889 permettant la déchéance de la puissance
paternelle). En outre, ils auraient pu insister sur le fait que les différentes tensions
apparues avec la notion d’« intérêt de l’enfant » constitueront durablement le point
névralgique du système français de protection de l’enfance. Ils auraient ainsi amené le
lecteur à percevoir pourquoi certaines dispositions, considérées comme des étapes
cruciales (1935, 1958/59) du développement du droit des enfants à être protégés, ont
été prises par ordonnances ou par décrets, c’est-à-dire hors débat parlementaire. Il y
était pourtant question, là aussi, même implicitement, d’un intérêt de l’enfant, celui-ci
étant potentiellement opposable aux intérêts de la famille que l’État a généralement
considérés socialement prioritaires. Notons enfin que les étapes législatives de 1935,
1945 et de 1958-59, ne seront reprises par les auteurs qu’en début de troisième partie,
pour être rangées dans le registre des nécessités d’un ordre social fondé sur la lutte
contre les inadaptations. Seul le décret d’octobre 1935 fait l’objet d’une évocation de la
question familiale dans la définition de l’intérêt du mineur. Ce sont là des rapidités
regrettables d’autant que les enjeux de la période, notamment autour du maintien de
l’esprit individualiste du code civil, sont désormais connus. Le lecteur comprendra donc
que Béatrice Brauckmann et Salim Behloul sont surtout soucieux d’examiner la période
contemporaine. Leur objectif est de décrypter la Convention internationale des droits
de l’enfant, de sa conception à son expression juridique, pour mieux en mesurer
l’impact sur le droit français. La part relativement importante accordée à l’histoire
laisse toutefois le lecteur dans le doute : les auteurs ont-ils une hypothèse sous-
jacente ? Autrement dit, le droit international contemporain viendrait-il régler les
contradictions internes au droit français ?
7 La deuxième partie de l’ouvrage, entièrement consacrée à la CIDE nous met quasiment
sur cette voie : les auteurs considèrent que la convention a eu une « influence décisive
sur l’environnement juridique et social qui existe à ce jour en France » (p. 75). À la
lecture des quatre chapitres composant cette partie, on suit une analyse finaliste dont
l’effet général est une valorisation de la CIDE. Cette mise en valeur passe par une
biographie apologique du pédagogue juif polonais Janusz Korczak (1978-1942) dont les
déclarations sont habilement mises en correspondance avec certains articles du texte.
Par ailleurs, on retiendra que l’« intérêt supérieur de l’enfant » n’advient pas, au plan
international, avec la CIDE. En effet, si le texte de Genève (1924) ignore l’expression,
c’est la Déclaration des droits de l’enfant parue en 1959 qui l’invente. Intérêt supérieur
à quoi ? La question reste ouverte... Les auteurs ouvrent des pistes de compréhension :
ils montrent bien que le socle idéologique de la CIDE est issu de la réunion de forces
principalement occidentales : les Nations Unies, l’UNICEF, la Commission des droits de
l’homme et diverses OCG… et que tout ce monde n’a pas peur des contradictions. Il
apparaît en effet que, malgré la référence à Korczac et contrairement à ce que
préconise le pédagogue, la parole n’a pas été donnée aux enfants dans l’élaboration des
droits qui les concernent, même pas pour ceux qui leur donne une liberté d’expression !

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8 Cette partie est particulièrement appréciable pour ses pages qui font allusion aux
chiffonnades entre pays autour de critères très sensibles (seuil d’âge, liberté de religion
et niveaux auxquels il convient de placer l’intérêt de l’enfant en fonction des types
d’enjeux). On découvre ainsi des subtilités insoupçonnables pour ceux qui n’ont pas eu
accès à la « boite noire » de la fabrication de la CIDE. Par exemple, on perçoit une
contradiction non négligeable : certains articles mentionnent l’intérêt supérieur de
l’enfant comme étant la considération primordiale alors que d’autres articles en font
une considération primordiale (une parmi d’autres, faut-il entendre). Il y a là de quoi
relativiser l’adjectif « supérieur » et se demander s’il n’est pas quelque peu
démagogique, à moins de considérer qu’il est venu, par défaut ou par commodité,
traduire l’expression anglaise « the best interests of the child ». Cela dit, Béatrice
Brauckmann et Salhim Behloul, vont au-delà des discordes pour faire valoir des
dimensions, qu’ils estiment plus importantes : le consensus établi entre 196 pays
signataires ainsi que les modalités d’application et d’évolution du texte. Cette partie se
termine par un examen différentiel entre la valeur normative de la CIDE et la situation
française : au final, la CIDE ne règle pas, du moins pour le moment, les contradictions
internes du droit français, elle viendrait même parfois les renforcer. Les auteurs
repèrent de façon convaincante la réception pour le moins mitigée de la notion
d’« intérêt supérieur de l’enfant » par les différents acteurs de la protection de
l’enfance en France. Si l’impact de la CIDE est plus ou moins visible, de nombreuses
résistances (idéologiques, corporatistes …) s’expriment soit par une omission/refus de
la notion dans les textes réglementaires et législatifs soit par le maintien de
l’expression « intérêt de l’enfant », plus coutumière dans le droit français.
9 Dans une troisième et dernière partie, Béatrice Brauckmann et Salhim Behloul
expliquent comment le droit français ne cesse de s’empêtrer dans ses contradictions. Ils
exposent quelques-unes des controverses qui président à l’élaboration de la loi de mars
2007 et rassemblent la plupart des critiques, souvent sévères, dont elle a fait l’objet. Ils
relèvent l’ambivalence qui en résulte quant à la place de l’« intérêt de l’enfant » que ce
texte n’évacue pas, mais qui se trouve recouvert par d’autres finalités : rétablir le
critère de danger (brouillé par la loi de 1989 relative à la prévention des mauvais
traitements) et renvoyer la Justice à un rôle subsidiaire, le département devenant
« chef de file » du système de protection de l’enfance.
10 Les auteurs relèvent les corrections que la loi de mars 2016 cherche à opérer dans le but
de recentrer la protection sur l’enfant et de remédier aux incohérences des prises en
charge. Un lecteur critique pourrait considérer qu’ils ne mettent pas assez en évidence
les effets des décentralisations ainsi que les conditions financières déplorables dans
lesquels ces départements se trouvent pour assurer cette charge, éléments qui ont
contribué à rendre le système de protection confus, voire contreproductif. Cependant,
cette petite faille n’enlève rien à la pertinence du propos. Les auteurs soulignent très
justement combien les logiques d’évaluation, de rationalisation technico-statistiques et
la survenue d’autres paradigmes, comme le développement social, ont effectivement
dénaturé ou troublé le sens des mesures de protection pour mettre ensuite l’accent sur
le brouillage actuel du système de protection judiciaire. En effet, lorsqu’ils abordent les
écritures successives de l’article 375 du code civil, on comprend que la prégnance des
politiques de parentalité travaille inévitablement les contours de l’intérêt de l’enfant.
Ils prennent également en considération les nouvelles difficultés auxquelles sont
confrontés les magistrats : le large éventail d’obligations parentales dont certaines sont

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difficilement évaluables ; la prise en compte de facteurs culturels qui rapporte


l’évaluation du danger encouru par un enfant aux normes du milieu, de
l’environnement où ce danger se manifeste. Les auteurs relèvent ainsi de nouvelles
tensions, liées à l’adaptabilité de la protection judiciaire aux normes dominantes (la
reconnaissance positive des différences), alors que, l’intervention des tribunaux serait,
plus que jamais, l’instance garante de l’individualisation des droits de l’enfant (en tant
que sujet égal à tout autre). S’en suit une réflexion sur les modèles de justice sociale
entre un modèle judiciaire légaliste-libéral, restreint et distant, et un modèle
administratif technocratique-normatif adaptatif ; une illustration par l’affaire de Riom
(2005) nous montre, en outre, comment les deux approches peuvent parfois se
combiner.
11 Trois cas cliniques sont présentés en exemples pour illustrer les dérives
d’interprétation de l’intérêt de l’enfant en France au regard des normes de la CIDE. Les
situations de danger avéré vécues par Penda, 5 ans, Marianne, 16 ans, et Sylvie, 11 ans,
sont – malheureusement - tout à fait typiques des problématiques traitées en
protection de l’enfance. Les études de cas reflètent également les réponses
généralement insatisfaisantes, voire injustes, qui sont mises en œuvre par les acteurs
(magistrats, professionnels, membres de la famille). On mesure non seulement combien
il est difficile, pour une autorité tierce, de hiérarchiser les différents intérêts en
présence mais aussi à quel point la plupart des acteurs sont prisonniers du familialisme
ambiant, autrement dit de l’idéologie du « maintien du lien », idéologie renforcée par
une forte tendance à biologiser les rapports de filiation ou à en essentialiser la
dimension éducative par les supposées caractéristiques culturelles de la famille (une
approche bien éloignée de l’ethnopsychiatrie, en tout cas).
12 Les auteurs nous laissent néanmoins espérer, par la reprise des critiques qui ont
provoqué l’élaboration de la loi de mars 2016, que l’intérêt supérieur de l’enfant a peut-
être une chance d’être exhaussé au niveau attendu par la CIDE. La route est encore
longue et parsemée de pièges, comme celui de l’instrumentation de l’enfant par le
marché, piège que les parents qui vivent dans les pays riches ont bien du mal à éviter,
tant l’affectif et le plaisir se monnayent aujourd’hui financièrement.
13 Préfacé par Michel Chauvière et bénéficiant d’une postface de Jacques Ladsous, cet
ouvrage est à la fois critique, engagé et professionnel. Par sa clarté d’expression et
d’exposition, il est accessible aux néophytes. En dépit de quelques rapidités historiques,
il est particulièrement stimulant pour les connaisseurs en raison de l’acuité des
questions contemporaines qu’il soulève.

NOTES
1. Pierrine Robin, Hélène Join-Lambert et Marie-Pierre Mackiewicz (dir.), Les recherches avec les
enfants et les jeunes en difficulté : spécificités éthiques et méthodologiques, Sociétés et Jeunesses en
difficulté, n° 18, Printemps 2017 [en ligne].

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Véronique Blanchard, David Niget,


Mauvaises filles, incorrigibles et rebelles
ed. Textuel, 2016.

Séverine Depoilly

RÉFÉRENCE
Véronique Blanchard, David Niget, Mauvaises filles, incorrigibles et rebelles, ed. Textuel,
2016.

1 A l’heure où les déviances féminines font, à intervalles réguliers, l’objet d’emballements


médiatique et politique, l’ouvrage Mauvaises filles, incorrigibles et rebelles coécrit par deux
historiens Véronique Blanchard et David Niget et publié aux éditions textuel en 2016
arrive à point nommé. Il invite ses lecteurs à un véritable voyage dans le temps au sujet
d’une double question longtemps invisibilisée dans le champ des recherches en
sciences humaines et sociales : la déviance des filles et la manière dont le corps social la
traite. Véronique Blanchard et David Niget viennent en bref mettre de l’histoire là où il
en a toujours cruellement manqué.
2 Les deux auteurs ont, de fait, relevé un véritable défi en travaillant, sur la base d’une
exploitation d’archives, elles-mêmes parfois peu prolixes, à faire état de ce que le corps
social tend à nier, disqualifier, discréditer, à reconstruire des trajectoires de filles
désignées comme de « mauvaises filles ».
3 Dans cet ouvrage vivant, richement illustré, offrant aux lecteurs un accès à des
documents variés – photographies, reproductions d’articles de presse, archives
judiciaires et policières - David Niget et Véronique Blanchard donnent corps à 19 jeunes
filles dont ils dressent les portraits. Ainsi nous offrent-ils la possibilité d’accéder non
pas à ce qu’est « la mauvaise fille », qui n’existe pas en soi, mais à ces mécanismes par
lesquels des jeunes filles, presque toutes issues des milieux populaires, se trouvent
étiquetées comme « mauvaises filles ». Les portraits nous apprennent tant sur les
normes sociales, juridiques, familiales, religieuses que sur les modalités du contrôle

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social, les formes du discours moral qui pèsent sur les jeunes filles, les paniques
morales que leurs transgressions suscitent, bref sur tout ce qui enserre les vies de ces
jeunes filles des milieux populaires au cours de l’histoire. Mais, l’ouvrage va plus loin -
ne cédant en cela ni au misérabilisme, ni au populisme - puisque les filles ne nous sont
pas seulement présentées comme victimes ou soumises à un corps social qui tend à les
redresser, elles nous apparaissent aussi comme pouvant subvertir les normes
dominantes par les révoltes et les rébellions qu’elles engagent.
4 Sont distinguées trois grandes périodes de 1840 aux années 2000, chacune de ces
périodes nous permettant de comprendre qui sont ces filles, ce qu’elles ont fait, les
règles qu’elles ont enfreintes, les modalités de contrôle social qui s’exercent sur elles.
5 L’ouvrage est organisé en trois chapitres, chacun de ces chapitres correspondant aux
trois temps de l’histoire de ces « mauvaises filles ». Six grands thèmes pour lesquels ces
filles sont mises en cause et pour lesquelles elles sont suspectes structurent les
différents chapitres l’ouvrage : les crimes et délits, la prostitution, l’errance, la folie, la
rébellion et la maternité précoce.
6 La première période, celle des filles perdues, s’étend de 1840 à 1918. Les mauvaises filles
de cette période prennent corps dans les portraits de l’incorrigible, de la vagabonde et
de la prostituée. A l’image de l’oie blanche construite au XIXème siècle comme
l’archétype de la fille pure, vierge, retirée dans l’univers domestique répondent ces
images de « mauvaises filles » - toujours soupçonnées de mettre à mal l’ordre moral -
que les dispositifs d’encadrement et de contrôle social visent à corriger, enfermer et
surveiller. Le temps de ces filles perdues nous rappelle à un invariant de l’histoire des
jeunes filles et des femmes : le contrôle des mobilités est en l’occurrence la garantie du
maintien de l’ordre moral de ces femmes.
7 La seconde période, celle des filles modernes, s’étend des années 1920 aux années 1960.
Si ce moment de l’histoire des filles signifie un gain d’autonomie rendu possible par les
transformations économiques et sociales de la période, l’accès à la société de
consommation, le travail des femmes, n’en persistent pas moins des normes très
strictes rappelant que les voies d’émancipation restent fragiles et étroites. Insoumises,
rebelles, voleuses, toutes manifestent leur désir d’émancipation, voire de subversion de
certaines des normes de l’ordre du genre qui les enjoint à la soumission et, une fois
encore, l’enfermement dans les institutions est la réponse apportée à leurs déviances.
Les actes de délinquance dont elles sont les auteures se trouvent régulièrement
minorées, les mouvements de rébellion et de révolte contre les familles ou les
institutions pathologisées, leur est de fait déniée toute capacité à se révolter et à tenir
une parole de revendication.
8 La dernière période des années 1968 aux années 2000 est le temps des filles rebelles. La
maîtrise de la fécondité, l’allongement des scolarités, la majorité à 18 ans, et la place
prise par le féminisme de la deuxième vague, sont autant des phénomènes qui
participent à changer le regard sur les filles. Enjointes à maîtriser leur corps, leur
sexualité, et à affirmer leur désir d’égalité, les rebelles - de la hippie à la punk, de
l’avortée à la crapuleuse - toutes travaillent à conquérir leur autonomie mais sont
toujours en risque d’être rattrapées par les normes qui continuent de pathologiser,
psychiatriser leurs manières d’être au monde. Les violences de ces jeunes filles, qui sans
cesse échappent au traitement judiciaire et pénal pour être cantonnées au traitement
civil et médical, le déni du potentiel subversif de leurs actes de rébellion et de révolte
sont autant des manifestations de l’impossibilité de penser l’agir des femmes.

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9 Cet ouvrage, en dressant les portraits complexes et foisonnants de ces jeunes femmes
oubliées de l’histoire, nous invite à bouleverser une vision souvent trop uniforme de ces
trajectoires féminines. Malgré le poids des normes sociales qui enserrent leur corps,
leur sexualité, leur quotidien, leur vie, chacune de ces histoires singulières montrent
que les femmes ont largement manifesté leur volonté de résistance, se confrontant aux
normes qui les enferment. Les transgressions et déviances dont elles sont les auteures
nous rappellent que l’ordre du genre peut aussi être, si ce n’est totalement subverti, à
tout le moins déstabilisé. Par la lecture de cet ouvrage, notre vision des femmes et du
féminin se trouve indéniablement déstabilisée.

AUTEUR
SÉVERINE DEPOILLY
Maîtresse de conférences en sociologie, ESPE de l’Université de Poitiers - Laboratoire Gresco,
Université de Poitiers. Chercheure associée au laboratoire Escol – Université Paris 8.

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Vincent Tchen [dir.], L’enfant et le


droit. Regards de droit comparé et de
droit international
Institut Universitaire Varenne, Collection Colloques et Essais, Éditions
LGDG Lextenso, 2016, 182 p.

Flore Capelier

RÉFÉRENCE
Vincent Tchen [dir.], L’enfant et le droit. Regards de droit comparé et de droit international,
Institut Universitaire Varenne, Collection Colloques et Essais, Éditions LGDG Lextenso,
2016

1 Ce livre réalisé sous la direction de Vincent Tchen, Professeur de droit public à


l’Université de Rouen, s’intéresse aux droits de l’enfant. Il s’agit d’un recueil de huit
contributions organisé en deux parties ; la première porte sur « les défis de l’identité »,
la seconde sur « les défis de l’immigration ». Pour présenter ces différents articles, nous
avons fait le choix de mettre en valeur leurs points communs et l’intérêt de cette
compilation qui propose une approche croisée des droits de l’enfant sous l’angle du
droit public et du droit privé.
2 Ces différentes contributions portent sur les conflits de droits qui émergent lorsque
l’on s’intéresse aux droits de l’enfant : d’une part, au sein des législations entre les
droits de l’enfant, les droits des parents, et les impératifs d’ordre public poursuivis par
chaque État (notamment en France et au Brésil) ; d’autre part, entre les droits
nationaux et les conventions internationales relatives aux droits de l’enfant.
3 Les quatre contributions, qui composent la première partie, mettent en évidence les
conflits de droits susceptibles d’exister entre les droits de l’enfant, les droits des
parents biologiques et les droits des parents adoptifs.

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4 Johana Guillaumé1 étudie les difficultés liées à l’établissement d’une filiation dans les
hypothèses d’enfants nés à l’étranger de méthodes procréatives interdites par le droit
français, telles que la gestation pour autrui (GPA). La question de droit, portée devant
les juridictions françaises comme devant la Cour européenne des droits de l’Homme, est
celle de l’articulation entre le respect de l’ordre public et les garanties apportées à
l’intérêt supérieur de l’enfant et au respect de ses droits. Actuellement, la
jurisprudence privilégie le respect des droits de l’enfant sur le maintien de l’ordre
public interne en reconnaissant un lien de filiation juridique entre le père d’intention
ayant eu recours à la GPA et l’enfant né de cette convention. La reconnaissance de ce
lien de filiation par la jurisprudence2 est le fruit d’une évolution récente. Si elle permet
une meilleure protection de l’enfant et de ses droits, elle pose de réelles difficultés sur
le sens et l’opposabilité des normes adoptées par le droit interne. En France, cette
jurisprudence permet implicitement le recours à la GPA à l’étranger et la
reconnaissance de ses effets en France, alors même que le droit national l’interdit.
5 Les contributions de Beatrice Bourdelois3, et de Gina Vidal Marcilio et Nardejane
Martins4 montrent que des conflits de droits similaires existent en matière d’adoption
internationale. La Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur l’adoption internationale
vise à limiter le trafic d’enfants. Le texte pose le principe du maintien de l’enfant,
chaque fois que possible, si ce n’est dans sa famille d’origine au moins dans son pays
d’origine, et insiste sur la nécessité de recueillir le consentement à l’adoption des
parents biologiques ainsi que l’avis de l’enfant qui en fait l’objet.
6 Béatrice Bourdelois s’intéresse à la législation française qui reconnait une adoption dite
« plénière » ayant pour conséquence une rupture totale des liens juridiques entre
l’enfant et sa famille biologique. Lorsque des personnes adoptent un enfant à
l’étranger, les juridictions françaises reconnaissent le plus souvent l’existence d’une
adoption plénière. Cette situation n’a rien d’évident d’un point de vue juridique et tend
à modifier la portée du consentement initial, donné par les parents biologiques de
l’enfant, et les droits reconnus à ce dernier. En effet, l’adoption plénière propre au droit
français n’est pas toujours prévue, ni expressément consentie, par les parents
biologiques lors de l’adoption de l’enfant dans le pays d’origine. L’application du droit
français est ainsi difficile à concilier avec les dispositions plus générales adoptées par la
convention de la Haye de 1993 qui cherche à favoriser l’adoption de l’enfant dans son
pays d’origine et à renforcer la place donnée à la fois au consentement des parents
biologiques et à l’avis de l’enfant.
7 Gina Vidal Marcilio et Nardejane Martins étudient la place de l’adoption internationale
au Brésil. Selon le droit brésilien, l’enfant doit être maintenu aussi longtemps que
possible dans sa famille d’origine et le placement de l’enfant être limité aux situations
les plus graves. En outre, au Brésil, la protection de l’enfant, par le biais du placement,
ne rend pas l’enfant adoptable ; l’adoption devant rester une mesure exceptionnelle. En
2015, un rapport du Conseil national de la Justice met néanmoins en évidence la
présence au sein des services de protection de l’enfance brésiliens de 5678 mineurs
pouvant être adoptés et parmi eux 433 enfants de 0 à 5 ans. Les auteurs considèrent que
le cadre légal et constitutionnel brésilien empêche aujourd’hui la construction d’une
politique publique relative à l’adoption qui puisse donner toute sa force à la convention
de la Haye de 1993 et surtout offrir à ces enfants une protection satisfaisante de leurs
droits5.

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8 Ces deux exemples soulignent les différents équilibres, trouvés selon les pays, entre les
droits de l’enfant, les droits des parents biologiques et les droits des parents adoptifs.
Les arbitrages opérés par chaque État, pourtant partie à la même Convention
internationale6, ont ainsi une importance considérable sur le degré de protection
apporté aux droits de l’enfant.
9 Enfin, Antonio Jorgge Pereira et Alexandre Batista de Lima 7 montrent les interactions
entre les politiques publiques, qui facilitent le recours aux méthodes de procréation
médicalement assistée, et les politiques publiques de protection de l’enfance et
d’adoption. Selon ces auteurs, au Brésil, « l’augmentation des pratiques de procréation
médicalement assistée emporte une diminution du nombre d’adoptions » 8, et joue donc
un rôle sur les solutions in fine trouvées en direction des enfants abandonnés. Par
ailleurs, l’utilisation de plus en plus fréquente de ces méthodes impose une réflexion
nouvelle sur l’origine génétique de l’enfant, sur les droits de ses parents biologiques, les
droits de ses parents adoptifs, ainsi que plus généralement sur la filiation juridique et
socio-affective de l’enfant.
10 Après ces quatre premières contributions sur les « défis de l’identité », la seconde
partie du livre regroupe quatre autres contributions consacrées « aux défis de
l’immigration ». Les relations entre l’enfant et le droit sont abordées en mettant cette
fois l’accent sur les tensions susceptibles d’exister entre les droits de l’enfant, dont la
dimension est universelle, et les politiques menées par chaque État partie à la
Convention internationale des droits de l’enfant au titre de l’immigration.
11 Vincent Tchen et Marie-Pierre Lafranchi évoquent, dans deux contributions distinctes 9,
les difficultés liées à la privation de liberté du mineur étranger pour des motifs
administratifs. Est ainsi mis en évidence une des lacunes importantes des droits
international et européen qui ne prohibe pas la privation de liberté du mineur, ni ne la
réserve à des infractions pénales commises par ce dernier. Ce vide juridique peut
probablement s’expliquer par la volonté des États, parties aux différentes conventions
européennes et internationales, de protéger leurs compétences régaliennes sur les
questions d’immigration.
12 Un tel cadre juridique interroge néanmoins le niveau de protection reconnu à l’intérêt
supérieur de l’enfant consacré par l’article 3 de la Convention internationale des droits
de l’enfant. Ainsi, rien n’interdit, en droit international, l’enfermement de mineurs en
zone d’attente ou en centre de rétention administrative. Pire, les règles de procédures
pénales, qui protègent le mineur délinquant, ne sont pas transposées en matière
administrative. Pour donner un des nombreux exemples choisis par les auteurs de ces
deux contributions, lorsque le mineur étranger entre illégalement en France
accompagné d’un adulte, plusieurs États dont la France, justifient la rétention
administrative de l’enfant en considérant que cet enfermement répond à son intérêt
supérieur puisqu’elle permet de ne pas le séparer des membres de sa famille. On voit
ainsi très clairement apparaitre les conflits de droits susceptibles d’exister entre le
droit de l’enfant de vivre en famille et celui d’être protégé. La Cour européenne des
droits de l’Homme exerce un contrôle de plus en plus resserré autour de ces situations
et a condamné la Belgique10 mais aussi la France 11 considérant que cet enfermement
constituait un traitement inhumain et dégradant. Ces décisions de la Cour européenne
des droits de l’Homme font l’objet d’une motivation renforcée, car d’un point de vue
juridique, les États parties à la convention internationale des droits de l’enfant
conservent le droit de contrôler l’entrée et le séjour des non-nationaux sur leur sol.

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13 Joyceane Bezerra De Menezes et Viviane Teixeira Dotto Coitinho 12 exposent quant à


elles les difficultés liées à l’enlèvement international d’enfants. Ces situations mettent
en exergue de nombreux conflits de droits : le droit de l’enfant de vivre en famille, son
droit d’être protégé, la question des droits de visites et d’hébergement de chacun des
parents et/ou proche de l’enfant mais aussi les injonctions parfois contradictoires des
législations nationales. L’équilibre trouvé entre ces différents droits est loin d’être
évident et renvoie à une autre difficulté liée à la temporalité des réponses
administratives et judiciaires apportées en cas d’enlèvement international d’enfant. En
effet, le temps joue souvent en défaveur du parent qui avait pourtant la garde
principale de l’enfant. Les délais, induits par les procédures administratives et
judiciaires, peuvent en effet faire évoluer le contenu de la décision prise dans l’intérêt
de l’enfant, allant d’un retour de l’enfant dans son pays d’origine à un maintien de
l’enfant dans le pays au sein duquel il réside désormais, entérinant alors le
comportement illégal du parent coupable de l’enlèvement.
14 Une dernière contribution proposée par Eduardo Rocha Dias revient sur les enjeux
juridiques soulevés au Brésil par l’attribution du « salaire-maternité » 13. Cette
prestation avait initialement pour objet de faciliter d’une part, la création et le
maintien des liens familiaux, d’autre part, la protection de l’enfant. Cependant,
l’évolution des conceptions attachées à la famille ont bouleversé l’utilisation de cette
prestation. Réservée lors de sa création à la mère biologique de l’enfant, le salaire-
maternité a progressivement été étendue au père biologique de l’enfant, aux parents
adoptifs, et interroge aujourd’hui l’accès à cette prestation des personnes ayant recours
à la grossesse de substitution ou encore à la donation temporaire de l’utérus. Dans cette
dernière hypothèse, l’objectif de la prestation n’est plus la protection de l’enfant mais
la protection de la mère de naissance, qui n’assumera pas l’entretien et l’éducation de
l’enfant mais dont la capacité de travail est réduite par la grossesse. Ce dernier exemple
met ainsi en évidence un glissement d’une politique pensée pour protéger l’enfant à
une politique qui protège la mère de naissance empêchée de travailler.
15 Cet ensemble de contributions et le résumé rapide qui en est fait ici montrent, s’il en
était encore besoin, l’importance croissante du droit international lorsque l’on
s’intéresse aux droits des personnes. La mondialisation et les progrès technologiques,
qui facilitent à la fois les déplacements et diversifient les méthodes de procréation,
créent des questions juridiques nouvelles : d’une part, quant à l’articulation des droits
reconnus à l’enfant et à ses parents génétiques, biologiques, d’intention ou encore
d’adoption ; d’autre part, en raison de la coexistence au sein d’une même famille de
nationalités variées et donc de l’application de règles nationales distinctes susceptibles
d’entrer en contradiction, soit entre elles, soit par rapport au droit international.

NOTES
1. Johanna Guillaumé, « La fraude à la loi à l’épreuve du tourisme procréatif », dans L’enfant et le
droit, Paris, LGDJ, 2016 pp. 13-34.

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2. Cour de cassation, ass. plen., 3 juillet 2015, n° 14-21.323 et 15-50.002


3. Béatrice Bourdelois, « L’adoption internationale : enjeux et perspectives », dans L’enfant et le
droit, Paris, LGDJ, 2016 p. 35-60.
4. Gina Vidal Marcilio P., Nardejane Martins C., « L’adoption internationale à l’épreuve du droit
au respect de la vie familiale des mineurs », dans L’enfant et le droit, Paris, op.cit., p. 61-72
5. Ibid., p. 65.
6. Les États parties à une même convention sont les États ayant signés et ratifiés la même
convention internationale.
7. Antonio Jorgge Pereira, Alexandre A. Batista De Lima, « L’incitation à la procréation
médicalement assistée et à l’adoption en droit brésilien », dans L’enfant et le droit, op. cit., p.
75-94..
8. Ibid., p. 76.
9. Vincent Tchen, « La privation de liberté du mineur étranger pour des motifs administratifs :
l’apport du droit international et européen », dans L’enfant et le droit, Paris, LGDJ, 2016, pp. 97-128.
Marie-Pierre Lanfranchi, Enfant migrant, enfant de migrant(s) devant la Cour européenne des
droits de l’Homme, pp. 129-150.
10. CEDH, 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, Belgique, n° 13178/03.
11. CEDH, 19 janvier 2012, Popov c. France, n° 39472/07 et n° 39474/07.
12. Joyceane Bezerra De Menezes, Viviane Teixeira Dotto Coitinho, L’enlèvement parental de
mineurs et le droit international, pp. 151-164.
13. Eduardo Rocha Dias, « Aspects constitutionnels de la protection sociale des enfants », op. cit.,
p. 165-178.

AUTEUR
FLORE CAPELIER
Membre associée au CERSA, Université Paris II Panthéon-Assas

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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Nadia Beddiar [dir.], 70 ans de


justice pénale des mineurs. Entre
spécialisation et déspécialisation.
L’Harmattan, Paris, 2017, 193 p.

Mostefa Maouene

RÉFÉRENCE
Nadia Beddiar [dir.], 70 ans de justice pénale des mineurs. Entre spécialisation et
déspécialisation. L’Harmattan, Paris, 2017, 193 p.

1 Le droit commun des mineurs porte en lui un véritable droit spécial, comme le principe
appelle l'exception. Objet de réformes incessantes, la justice juvénile est devenue une
matière instable et foisonnante au point que les professionnels du droit et de la justice
rencontrent parfois quelques difficultés à maîtriser ses subtilités.
2 Appliquée particulièrement aux mineurs délinquants et en danger comme une donnée
essentielle à toute société moderne et démocratique, cette affirmation se vérifie de nos
jours, et nous conduit le plus souvent à se demander que reste-t-il aujourd’hui du droit
pénal des mineurs, après la promulgation de l’ordonnance du 2 février 1945 ? Dans
quelles conditions l’activité des tribunaux pour enfants et les missions de tous les
acteurs du champ pénal s’exercent-elles pour assurer une protection adaptée à la
situation objective du mineur ?
3 Sans doute, ces interrogations méritent d'être posées singulièrement en droit pénal des
mineurs, ne serait-ce devant le constat d’une proximité paradoxale entre les notions de
délinquance et de minorité, et de la périlleuse mission de rechercher une réponse
pénale adaptée aux diverses situations du mineur délinquant.
4 Ici, le grand mérite revient particulièrement à Nadia Beddiar qui nous propose, dans
une logique diachronique et comparée, son excellent ouvrage dont elle a assuré la

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direction scientifique et éditoriale intitulé "70 ans de justice pénale des mineurs : entre
spécialisation et déspécialisation".
5 Cet ouvrage comporte les actes d’un colloque organisé sous l’égide de l’École nationale
de protection judiciaire de la jeunesse en novembre 2015. Il présente une véritable
recherche pluridisciplinaire et approfondie, porteuse d’éclairages originaux, en
adoptant une vue d'ensemble sur cette délicate thématique en pleine mutation dans la
littérature juridique des mineurs délinquants ou en danger.
6 Cet ouvrage collectif offre un vrai travail d'exploration, de recherche et d'analyse des
principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs. Il permet d’apprécier avec
rigueur l’évolution des multiples enjeux de cette justice sur soixante-dix années.
7 Sur ce thème important, il faut alors beaucoup de courage, d'audace et de savoir-faire
pour se lancer dans un travail très fourni, aussi complet et riche en références, de
rassembler et de croiser les points de vue et analyses de nombreux auteurs, praticiens
et spécialistes du droit des mineurs. Des développements particulièrement nourris par
les réflexions des contributeurs sont alors consacrés à cette analyse de manière
exhaustive et précise, en se basant sur l’état des lieux de cette justice et l’apport du
droit français ainsi que les normes européennes et internationales en la matière.
8 Aussi, l'ensemble des analyses intervenues dans cet ouvrage, de même que les
évolutions juridiques, institutionnelles et sociales du droit pénal des mineurs
délinquants et leurs implications sur la justice du XXIème siècle sont exposées de
matière évolutive. Les auteurs analysent en profondeur le métier de juge des enfants,
tel qu'il se pratique aujourd'hui face à l’évolution de la délinquance des mineurs depuis
la naissance de l’ordonnance de 1945. Ils tendent à proposer une nouvelle vision et de
modifier les perceptions que l’on se fait traditionnellement des missions et du rôle du
juge des enfants. Partant de l'évolution du statut juridique du mineur délinquant,
certains auteurs parviennent à disséquer avec une certaine habileté, le rapport de force
existant entre le mineur et les pouvoirs judiciaires dont l'activité du juge des mineurs
est devenu aujourd'hui la clé de voûte, sinon le moyen de contrôle et de suivi de la
situation familiale et sociale du mineur délinquant.
9 Dans son introduction, Nadia Beddiar nous retrace avec une certaine aisance le
cheminement d’après-guerre du droit pénal des mineurs, depuis l’avènement de
l’ordonnance du 2 février 1945 et ses modifications intervenues ultérieurement. En
nous guidant vers un univers souvent hostile, elle constate l’augmentation du volume
de la délinquance avec ses différents symptômes. Guidé par un souci de clarté et
d'exhaustivité, combinant vision historique et rapprochée, en se basant sur les droits
français et comparé, tant européen qu’international, l’ouvrage dirigé par Nadia Beddiar
s'adresse particulièrement aux praticiens du droit et de la justice, aux chercheurs et à
tous les universitaires s'intéressant au droit des mineurs. Il est, pour les étudiants, un
outil de référence synthétique, complet et facile d’accès dans une matière complexe.
Encore, faut -il le souligner, le hasard du calendrier fait que ces contributions, portant
sur un thème en pleine mutation, interviennent au moment où une réforme du droit
des mineurs est annoncée en France depuis plusieurs années.
10 D’emblée dans sa préface, le Doyen Philippe Bonfils nous retrace les fondements
historiques et juridiques de l’ordonnance du 2 février 1945 qui ont amené par la suite le
législateur français à la mise en œuvre de nouvelles dispositions, tant sur le plan du
fond que sur la procédure. Sous l’impulsion du droit européen, des règles menant vers
la consécration du principe de l’autonomie du droit pénal des mineurs, le

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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développement de nouvelles politiques pénales expriment l’intérêt porté à la


protection de la jeunesse délinquante.Partant de cet aspect, Nicolas Derasse évoque
l'importance du rôle de la justice dans la scène internationale et plus particulièrement
dans un État de Droit moderne. D’après sa contribution, les différentes structures,
dévolues à cette tâche selon l’histoire du statut juridique du mineur délinquant, ont
conduit à des réflexions et débats passionnés sur l’évolution même de la justice pénale
des mineurs et de l’enfant délinquant en particulier depuis le XIXème siècle. En
modifiant les attributions de la justice pénale et en bouleversant le droit des mineurs,
ce sont les bases de cet édifice qui se trouvent fragilisées et, par conséquent, tout le
fonctionnement du dispositif de prise en charge des jeunes en danger ou délinquants
doit être soigneusement revu.
11 Christian Mouhanna intervient sur le rôle du juge des enfants au quotidien en
s’interrogeant sur la professionnalisation de la justice des mineurs et les particularités
de son fonctionnement dans la protection des enfants en danger. Une mission qui lui a
été confiée par l'ordonnance du 2 février 1945 en lui donnant une place à part dans le
monde judiciaire où il représente une manière différente, éducative et sociale de
rendre la justice.
12 Or, aujourd'hui, cette particularité est remise en question par cette doctrine. La
rationalisation des services publics limite les moyens à la disposition du juge, la volonté
politique d'une répression accrue des faits commis par les mineurs va à l'encontre
d'une analyse en profondeur des situations où le délinquant se révèle souvent victime.
Et, la rapidité de la réponse et la recherche de l'efficacité à court terme s’opposent au
suivi individualisé et adapté des jeunes sur le long terme.
13 Par contre, Denis Lafortune aborde une analyse comparative sur l’état actuel du droit
anglo-saxon des mineurs. Dans ce contexte, l'approche théorique et scientifique du
comportement du délinquant mineur devrait, selon lui, prendre en compte les
paradigmes établis au préalable, afin de mieux prévenir la délinquance des mineurs en
milieu social et éducatif.
14 Pour Benoit Van Keirsbilck, il devient plus facile de mettre en œuvre les dispositions
internationales relatives au droit des mineurs en évitant les conflits de loi. Car, pour cet
auteur, l’idée des politiques pénales à l’égard des mineurs consiste dans l’application de
nombreux instruments créés dans le but de renforcer la protection de l'enfant dans les
relations touchant au droit international, à travers ses différentes sources juridiques.
Leur importance pratique réside dans la nécessité de parvenir à une protection
toujours meilleure des enfants, en s’appuyant sur une analyse en profondeur du droit
international.
15 Mais, selon Lode Walgrave, la restauration pénale du mineur constitue une mesure qui
vise à régénérer le lien social, en impliquant l'auteur de faits délictueux dans le tissu
social, plutôt qu'à le sanctionner pénalement pour ses agissements infractionnels. En ce
sens, elle marque une rupture par l’introduction d’une nouvelle approche restaurative
dans le traitement des déviances intéressant des mineurs. Elle participe, selon l’auteur,
d'une méthode de responsabilisation puisqu'il s'agit de permettre au jeune délinquant
de développer une responsabilité qui lui soit propre, en dépassant la culpabilité et en
conférant du sens et de la valeur à son rapport à la société et à la loi.
16 Durant cette période de mutation, il est donc nécessaire d’entreprendre une vraie
politique de protection de la jeunesse pour ne pas tomber dans les défaillances et la
lenteur du système juridique pénale dans la défense des jeunes comme le décrit le juge

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017


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de l’immigration Jean-Gilles Raymond. Son expérience porte un regard critique sur la


justice des mineurs en Angleterre, qui a engendré des victimes et des séquelles parmi
de nombreux jeunes.
17 C’est dans cette perspective qu’Yves Cartuyvels nous apporte quelques pistes de
réflexion au terme de ces actes de colloque. Il nous propose un nouveau mode de
gouvernance dans la gestion des politiques sociales, à partir de la conception dite néo-
libérale du traitement des mineurs délinquants. Il s’agit fondamentalement de
combattre les inégalités entre les individus dans la société, qui mènent souvent aux
diverses formes de déviances. Mais, les pouvoirs publics semblent réagir lentement face
à ces problématiques…

AUTEUR
MOSTEFA MAOUENE
Professeur de droit privé et de sciences criminelles, Enseignant-chercheur, Président du Comité
scientifique du département de droit, Responsable du domaine LMD de droit et sciences
politiques de la faculté de droit et des sciences politiques de l'université Djilali Liabès - Sidi bel
abbès - Algérie.

Sociétés et jeunesses en difficulté, 19 | Automne 2017

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