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Résumé
L'article étudie le rôle actuel des juges supérieurs d'Angleterre en matière de droit administratif. L'auteur esquisse l'évolution
récente des recours pour excès de pouvoirs qui sont utilisés par certains requérants à des fins politiques. Cette évolution
coïncide avec l'extension du champ d'application de ces recours admis par les juges. Enfin, l'article étudie le caractère créateur
du pouvoir judiciaire face à de tels litiges qui sont politiquement sensibles.
Abstract
The article examines the current role of the English judiciary when dealing with administrative law questions. It notes recent
developments which have increased the use of judicial review by litigants for political ends, developments which have coincided
with the expansion of the remedy by the judiciary. It then examines the nature of the créative rôle of the judges when faced with
such politically sensitive problems in litigation and the rules adopted by them.
Bell John. Le juge administratif anglais est-il un juge politique ?. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 38 N°3, Juillet-
septembre 1986. pp. 791-809;
doi : https://doi.org/10.3406/ridc.1986.2481
https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1986_num_38_3_2481
R.I.D.C. 3-1986
par
John BELL
Fellow of Wadham College Oxford
Professeur associé aux Universités de Paris I et Paris
(2) C. HARLOW & R. RAWLINGS, Law and Administration, Londres, 1984, p.68,
Table 1 ; J. F. GARNER & B. L. JONES, Garner's Administrative Law, 6e éd., Londres,
1985, ch. 10.
J. BELL : JUGE ADMINISTRATIF ANGLAIS 793
(3) L. BLOM-COOPER, " The New Face of Judicial Review ", [1982] Public Law 250,
353. Contrairement à ce que disent BLOOM-COOPER à la p. 353 et GARNER à la p. 169,
note 17, c'est le Master of the Rolls, Sir John Donaldson, plutôt que le Lord Chief Justice qui
préside la Cour d'appel en matière de droit administratif.
(4) Supreme Court Act 1981, s. 31.
(5) Rapport présenté à M. le Garde des Sceaux, année judiciaire 1975, p. 101. V. aussi
J. BELL, Policy Arguments in Judicial Decisions, Oxford, 1983, pp. 6-7.
(6) « Le juge administratif français : un juge qui gouverne ? », D. 1951 Chr. 21.
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naux, même si les juges essaient de les repousser (7). Cela pour deux
raisons distinctes, mais convergentes : la volonté des requérants de
soumettre au juge des litiges d'importance politique, et la volonté des juges
de mieux contrôler l'administration en rendant plus facile le recours en
annulation des décisions administratives.
Pour mieux situer la politique des requérants, il faut noter tout d'abord
que la fonction sociale du juge administratif anglais est un peu différente
de celle de son homologue français. On le constate en comparant le nombre
des requêtes. Le juge français connaît plus de quarante mille affaires par
an, le juge anglais à peine mille (8). On peut expliquer cette situation par
deux raisons. En premier lieu, l'immense majorité des recours contre
l'administration sont portés devant d'autres instances. Bien sûr, il y a les
tribunals et les enquêtes publiques pour la contestation des permis de
construire par exemple, mais les représentants élus conservent aussi une
importance considérable dans la résolution des conflits entre les
administrés et l'administration. Ce rôle des représentants élus explique le succès
limité de nos Médiateurs pour l'administration centrale, pour les
collectivités locales, et pour le service de la Santé nationale (9). Pour le particulier,
le juge administratif n'est saisi qu'en dernier ressort.
La seconde raison touche à la procédure et aux frais de justice. Pour
introduire une requête, il faut plus qu'une simple lettre adressée au tribunal
administratif. Tout d'abord, il faut obtenir une décision préliminaire de
recevabilité du juge en chambre privée. En pratique, cela se passe à
Londres et le requérant fait généralement appel à des solicitors et des
barristers. Ensuite c'est à lui de mener le procès, les frais étant à sa propre
charge et s'il perd le procès, il doit en principe payer les frais de
l'administration et ses avocats (10).
Même avec l'aide judiciaire, la justice administrative de la High Court
est très souvent au-dessus des moyens de beaucoup de simples particuliers.
En fait, les particuliers qui se présentent comme requérants, sont presque
toujours soutenus par des associations, par des syndicats ou par d'autres
groupements de pression : Gouriet par la National Association for
Freedom, Whitehouse par la National Listeners and Viewers Association, Blain,
(7) V. Garner, p. 422. En 1985, il y avait 9 requêtes présentées par les collectivités
locales contre le gouvernement national au sujet de leur financement, M. GRANT, Rate
Capping and the Law, Londres, 1986, p. 7.
(8) En 1983, la Crown Office List comptait 852 applications for judicial review (recours
en annulation) et 183 appels contre les décisions des tribunals. De plus, il y a eu 40 appels
directs à la Cour d'Appel contre les décisions de quelques tribunals. Mais le chiffre des
affaires est en augmentation rapide : en 1984 il y a eu 931 applications for judicial review,
mais ce chiffre avait déjà été dépassé à la fin de la première semaine de juillet 1985 : v. R. J.F.
GORDON, Judicial Review : Law and Procedure, Londres 1985, p. vii.
(9) V. Garner, ch. 6.
(10) R.J.F. GORDON, préc, note 8, chs. 7-9.
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Moore et Cotton par le Child Poverty Action Group, les prisonniers par le
National Council for Civil Liberties (11).
Cela a pour conséquence qu'en pratique la justice administrative se
limite aux questions de droit d'intérêt général ou à des affaires
d'importance financière. Les fonctions sociales des instances administratives
anglaises et françaises ne sont donc pas tout à fait les mêmes.
Les vrais requérants sont alors souvent des groupements de pression,
des personnes morales et des collectivités locales. C'est justement dans la
politique des groupements de pression et des collectivités locales que nous
trouvons la raison de la politisation croissante de la justice administrative.
a) Groupements de Pression : notre société actuelle connaît une
multiplication importante des groupements d'intérêt unique à l'extérieur des
partis politiques traditionnels. Devant la croissance de l'État, il est normal
que les particuliers s'associent pour s'entraider et pour aider les autres à
mieux affronter l'administration. Mais parfois leur voix ne se laisse pas très
bien entendre dans les institutions politiques traditionnelles. Ils doivent
alors trouver des moyens d'action extra-parlementaires pour faire pression
sur les instances politiques. Par émulation au vu du succès des groupes
de consommateurs et du mouvement des droits de l'homme aux États-
Unis (12), ils essaient de mettre en état des précédents par le juge
administratif qui favorise leur interprétation des règles de bonne conduite de
l'administration (par exemple, les droits des prisonniers). Même s'ils ne
réussissent pas sur des questions de fond, ils profitent des erreurs de forme
pour gêner l'administration et faire de la publicité pour leur cause.
En fait, le système anglais du droit administratif les aide à cet égard.
Tout d'abord, les plaidoiries et la séance de jugement ont lieu en public et
les journaux peuvent suivre l'évolution des débats oraux entre les avocats
au jour le jour. Comme l'a observé Abraham Chayes, le tribunal devient
un lieu de justification publique des décisions administratives (13).
De plus, les juges anglais statuent dans des délais plus brefs que leurs
homologues français. L'année dernière, Sir John Donaldson M. R. s'est
félicité de la rapidité de la justice administrative dans un procès où la
requête fut introduite le 28 novembre, sur laquelle le juge du fond statua
le 7 décembre et la Cour d'appel rendit sa décision le 19 décembre — trois
semaines après l'introduction de la requête (14) ! Même si le déroulement
d'un procès normal n'est pas si rapide, il arrive très souvent que la Chambre
des Lords statue sur une affaire moins d'un an après la date à laquelle
(11) C. HARLOW & R. RAWLINGS, préc, note 2, pp. 268-9. V. les arrêts Gouriet
v. Union of the Post Office Workers [1978] AC 435 ;R. v. Independent Broadcasting Authority,
ex parte Whitehouse, The Times, 4 avril 1985 ; R. v Chief Adjudication Officer, exporte Blain,
The Times, 6 février 1985 ; R. v. Preston Supplementary Benefit Appeals Tribunal, ex parte
Moore, [1975] IWLR 624 ; R. v. Secretary of State for Social Services, exporte Cotton, The
Times, 5 août 1985 ; R. v. Hull Prison Visitors, ex parte St. Germain, [1979] QB 425 ; Williams
v. Home Office, [1981] 1 All ER 1151.
(12) C. HARLOW & R. RAWLINGS, op. cit. pp. 269-74.
(13) " The Role of the Judge in Public Law Litigation ", 89 Harvard Law Review 1281,
1307-9 (1976).
(14) R. v. HM Treasury, ex parte Smedley, [1985] 2 WLR 576, 579.
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(15) V. M. GRANT, préc. , note 8. Par ex., R. v. Secretary of State for the Environment,
ex parte Brent LBC, [1982] QB 593, CA ; R. v. Secretary of State for the Environment, ex
parte Hackney LBC, [1984] 1 All ER 956, CA ; R. v. Secretary of State for the Environment,
ex parte Hammersmith & Fulham LBC, The Times, 18 mai 1985 ; R. v. Secretary of State for
Health & Social Security, ex parte Sheffield City Council (inédit, 26 juillet 1985).
(16) Smith v. Skinner, The Times, 6 mars 1986 ; affirmé sous le nom Hood\. McMahon,
The Times, 1er août 1986.
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des mineurs à l'appui d'une requête d'un mineur qui se plaignait des règles
de sécurité sociale portant sur la grève (21). Les juges ont tout de même
insisté pour que la requête soit introduite par une association représentative
des intéressés et rejetèrent les requêtes du Greater London Council et de
la Trade Union Congress (la Confédération nationale des syndicats), qui
n'avaient pas d'intérêt direct dans ces affaires. Mais cette jurisprudence
semble aller plus loin, car deux juges de la Cour d'appel ont émis l'opinion,
le 19 décembre 1984, qu'un simple contribuable avait le droit d'agir contre
le Trésor public pour contester la légalité de l'augmentation de la
contribution faite par le Royaume-Uni au budget de la C.E.E. (22).
De plus, les juges ont parfois accueilli des litiges sans aucune décision
administrative préalable, s'il y avait une question importante à
trancher (23).
Étant donné la politique des groupements de pression, l'élargissement
du droit d'agir et l'absence d'une nécessité absolue de décision
administrative préalable rendent plus facile l'utilisation des tribunaux comme lieux
de contestation politique.
b) Les ouvertures au recours en annulation pour excès de pouvoirs :
Quoique la forme des ouvertures au recours en annulation reste à peu près
la même que dans les années 40 et 50, leur contenu a été beaucoup assoupli.
Suivant l'analyse et la nomenclature nouvelle donnée par Lord Diplock
dans l'arrêt Council for Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service
du 22 novembre 1984 (24), on distingue trois cas d'ouverture : l'illégalité,
l'irrationalité et l'impropriété procédurale.
L 'illégalité recouvre la méconnaissance des conditions de fait et de
droit qui autorisent l'exercice des pouvoirs publics (les anciennes error of
law, error of law on the face of the record, error of juris dictional fact, et no
evidence). Ainsi, elle se rapproche des notions françaises d'incompétence,
d'erreur de droit, et d'inexistence des faits
U irrationalité sanctionne des pouvoirs discrétionnaires dans l'exercice
desquels le juge administratif reconnaît à l'administration une grande
liberté d'appréciation. Cette notion recouvre la prise en considération des
éléments non pertinents, ou l'omission des éléments pertinents, un but
étranger ou bien, sans preuve d'aucun de ces défauts, le juge annulera une
décision que nulle administration raisonnable n'aurait pu prendre. Ainsi
ce moyen se rapproche des moyens français de détournement de pouvoir,
de l'erreur manifeste d'appréciation, et en partie du contrôle du bilan (le
droit anglais ne reconnaît pas la notion de proportionnalité).
U impropriété procédurale recouvre à peu près le vice de forme
français, à savoir un vice de la procédure ou de la motivation prescrites soit
(21) R. v. Chief Adjudication Officer, ex parte Blain, The Times, 6 février 1985.
(22) R. v. HM Treasury, exporte Smedley, [1985] 2 WLR 576, pp. 581, 584.
(23) V. Royal College of Nursing v. Department of Health and Social Security, [1981]
AC 800 ; Gillick v. West Norfolk & WisbeckAHA, [1985] 3 All ER 402, HL. Mais les juges
veulent que cette possibilité reste très limitée : Gillick, [1985] 3 All ER à la p. 427 per Lord
Bridge ; R. v. Secretary of State for the Environment, ex parte Greater London Council, The
Times, 30 décembre 1985.
(24) [1984] 3 WLR 1174, 1196.
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par la loi, soit par la natural justice (le droit commun de la procédure).
L'examen plus attentif de l'existence des conditions de fait et surtout du
droit auquel se livre de nos jours le juge anglais augmente les recours pour
manque de base légale. L'augmentation des exigences de la forme, surtout
par voie de la natural justice, impose une éthique de « fairness » à
l'administration au-dessus des prescriptions légales ou réglementaires. Enfin
l'irrationalité permet au juge administratif d'introduire un élément de «
fairness » sur le fondement des décisions administratives.
Alors cette tentative d'imposer à l'administration le respect assidu des
conditions de légalité, une espèce de justice procédurale et la rationalité
même sur le fond dans les décisions prises, rejoint la politique des
requérants. Même si la politique n'est pas du tout la même, il y a une convergence
de la politique des requérants et de celle des juges qui érige le tribunal en
un lieu d'examen critique de la conduite de l'administration nettement plus
important qu'il ne l'était autrefois.
(25) Les juges anglais se servent très fréquemment de la notion de « fairness » pour
désigner les obligations de la natural justice : Megarry V-C, Mclnnes v. Onslow-Fane [1978]
1WLR 1520, 1530 ; Garner, pp. 146-7. Cette notion n'est pas très répandue en matière de
l'irrationalité mais on s'en sert : v. jR. v. IRC, ex parte Prestion, [1985] 2 WLR 836, pp. 838
et 850-2, HL ; P. CRAIG, Administrative Law, Londres, 1983, p. 360.
(26) Laker Airways v. Department of Trade [1977] QB 643, 724.
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1. — L'irrationalité
(27) Lord Greene MR, Associated Picture Houses Ltd v. Wednesbury Corporation,
[1948] 1 KB 225, 233-4 ; P. CRAIG, préc, note 24, pp. 354-60.
(28) [1983] 1 AC 768, CA et HL ; J. DIGNAN, " Policy-Making, Local Authorities
and the Courts : the G.L.C. Fares Case ", (1983), 99 Law Quarterly Review 605.
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(31) Le juge anglais ne peut se référer aux travaux parlementaires pour interpréter les
lois. S'il le pouvait, il aurait trouvé que l'interprétation du Conseil de Londres était exacte :
v. J. DIGNAN, préc.
(32) V. J. GRIFFITH, The Politics of the Judiciary, 3e éd., Londres, 1985, pp. 147-9 ;
R. v. Merseyside CC, ex parte Great Universal Stores Ltd., (1982) 80 LGR 639.
(33) R. v. London Transport Executive, ex parte Greater London Council, [1983]
QB 484.
(34) [1983] QB, p. 492.
(35) R. v. Boundary Commission for England, ex parte Foot, [1983] QB 600. V. aussi
Norwich City Council v. Secretary of State for the Environment, [1982] QB 808, CA ; Pickwell
v. Camden LBC, [1983] QB 962 ; R. v. Independent Broadcasting Authority, ex p. White-
house, The Times, 4 avril 1985, CA ; R. v. Secretary of State of the Environment, ex parte
Hackney LBC, The Times, 11 mai 1985, CA.
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3 WLR
(36)574.
R. v. Secretary of State for Transport, ex parte Greater London Council, [1985]
(37) [1986] 1 All ER 199.
(38) Sur le financement des collectivités locales v. Garner, ch. 16.
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autres Lords, ont déclaré que ce n'était pas le rôle des tribunaux de
contrôler les décisions du ministre approuvées par le Parlement, à moins
que le ministre n'ait trompé ce dernier. L'irrationalité, dans sa seconde
branche, devait se limiter à des situations d'abus de pouvoir et il n'y avait
aucun élément de ce genre dans les faits d'espèce (39). Lord Templeman
souhaitait que les collectivités locales acceptent la situation et ne viennent
pas se plaindre devant les tribunaux des décisions du ministre : « Les
recours en annulation ne sont pas des coups dans un interminable tournoi
d'échecs » (40).
Ainsi définie, la seconde branche de l'irrationalité est limitée et se
détermine principalement par référence à la finalité de la loi qui confère
au ministre le pouvoir discrétionnaire. Même limitée de cette façon,
l'irrationalité peut jouer un rôle pour sanctionner l'opportunité de certaines
décisions administratives. Cette possibilité a été utilisée dans une décision
récente de la Chambre des Lords dans l'affaire Wheeler v. Leicester City
Council par un arrêt du 25 juillet 1985 (41). L'équipe nationale anglaise
de rugby décida de faire une tournée en Afrique du Sud. Trois membres
de l'équipe appartenaient à l'équipe de Leicester FC, qui jouait sur le
parc municipal appartenant au Conseil municipal de Leicester. Le Conseil
demanda alors au club de rugby de se prononcer sur quatre questions
tendant à annuler la tournée et à faire pression sur les équipiers pour
qu'ils se retirent. Le club fournit des réponses un peu équivoques qui ne
donnèrent pas satisfaction au Conseil. Après la tournée, le Conseil décida
en août 1984 de refuser au club tout accès au parc pendant les douze mois
à venir. Les trois équipiers ayant pris part à la tournée introduisirent une
requête en annulation de cette décision. Le juge du fond et la Cour d'appel
la rejetèrent (42) mais la Chambre des Lords la déclara recevable. Elle
rejeta le moyen d'illégalité car le Conseil avait le droit, selon ses obligations
légales, de veiller aux intérêts des relations interaciales dans une ville
peuplée de beaucoup d'immigrés, auxquels cette tournée avait fait offense.
C'est le moyen de l'irrationalité qui fut retenu. La tournée n'était pas
illégale, ni la conduite des équipiers. Faire alors pression sur le club pour
qu'il s'exprime en accord avec le Conseil et prête son nom à la
condamnation de la tournée était un usage déraisonnable des pouvoirs du Conseil
sur l'accès aux parcs, pour les Lords Roskill, Bridge, Brightman et
Griffiths. Lord Roskill s'appuya sur la notion d'irrationalité dans l'usage des
moyens illégitimes de pression dans toutes les circonstances (43). Lord
Templeman, bien que comparant les actions du Conseil à l'Allemagne des
Nazis, s'est limité à considérer comme un abus de pouvoir le fait d'avoir
puni le club pour des actions qui n'étaient pas illégales (44).
Bien sûr, cet arrêt est très important pour les campagnes anti-apartheid
menées par beaucoup de collectivités locales de tendance travailliste en
(52) V. Lord Roskill, [1984] 3 WLR aux pages 1202-3 ; v. aussi Lord Diplock, British
Airways v. Laker Airways, [1984] 3 All ER 39, 54-5.
(53) R. v. Blundeston Prison Board of Visitors, ex parte Fox-Taylor, [1982] 1 All
ER 646 ; R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Tarrant, [1984]
2 WLR 613. En général sur les droits des prisonniers v. G. ZELLICK, [1984] Public
Law 513 ; J. GRIFFITH, préc, note 31, pp. 172-5.
(54) R. v. Deputy Governor of Camphill Prison, exparte King, [1985] 2 WLR 36, CA.
(55) Ex parte Finlay, [1984] 3 All ER 818.
(56) Payne v. Lord Harris, [1981] 1 WLR 754, CA.
(57) Chief Constable of the North Wales Police v. Evans, [1982] 1 WLR 1155.
(58) Wheeler, [1985] 2 All ER, p. 1111.
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(59) R. v. Secretary of State for the Environment, ex parte Brent LBC, [1982] QB 593 ;
R. v. Secretary of State for the Environment, ex parte Hackney LBC. [1984] 1 All ER 956 ;
R. v. Secretary of State for the Environment, ex parte Greater London Council & Inner
London Education Authority, [1985] Public Law 543 ; R. v. Secretary of State for the
Environment, ex parte Hammersmith & Fulham LBC, The Times, 18 mai 1985 ; R. v. Secretary of
State for Health & Social Security, ex parte Association of Metropolitan Authorities, [1986]
1 All ER 164 ; R. v. Huntingdon DC, ex parte Cowan, [1984] 1 All ER 58.
(60) V. J. BELL, préc, note 5, p. 130.
(61) 396 H.L. Debates, cols. 1983-4 (29 nov. 1978).
J. BELL : JUGE ADMINISTRATIF ANGLAIS 809
Ainsi, d'une manière limitée, le juge administratif doit faire des choix
politiques qui définissent une éthique de la bonne conduite administrative.
Même s'il veut s'appuyer sur des principes et des valeurs stables de notre
démocratie et échapper à la précarité des idées politiques du moment, nous
ne pensons pas qu'il puisse trouver des éléments suffisamment précis pour
répondre aux questions qui lui sont posées (62). Alors c'est sa conception
controversée de ces principes et valeurs qu'il va imposer à l'administration.
(62) Comparez les conclusions sur le juge administratif français de J. RIVERO, préc. ,
note 6, p. 24 ; D. LOSCHAK, Le rôle politique du juge administratif français , Paris, 1972,
p. 296.