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A. Becart-Robert a,b,∗
a
Service de médecine légale, UE 7367, CHU de Lille, université de Lille, 59000 Lille, France
b
Institut de médecine légale, rue Verhaeghe, 59000 Lille, France
MOTS CLÉS Résumé Les missions d’expertise odontologique peuvent viser des objectifs extrêmement
Expertise ; divers, sans autre caractère commun que celui de la formation initiale de l’expert. Celui-ci
Odontologie ; mettra ses connaissances techniques, dans le domaine de l’odontologie, au profit du magistrat
Déontologie qui lui a confié cette mission afin de lui apporter l’éclairage dont il a besoin pour prononcer
un jugement. Il est donc essentiel que l’expert judiciaire puisse faire état de connaissances
spécifiques dans le domaine expertal tout comme dans celui de l’odontologie, sous tous ses
aspects et qu’il atteste de sa formation continue. En Droit français, l’expert aura à répondre
auprès de juridictions pénales, civiles ou administratives, selon le type de mission qu’il rem-
plit. Pour une juridiction pénale, l’expert évaluera les lésions bucco-dentaires dans un contexte
de coups et blessures ou il procédera à l’identification, au moyen de sa dentition, d’une per-
sonne décédée non reconnaissable, ou encore il réalisera l’analyse, sur une victime vivante ou
décédée, de traces de morsures. Auprès des juridictions civiles ou administratives, il évaluera
la réparation du dommage dentaire ou s’attachera à la recherche de responsabilités fautives
dans les dommages liés aux soins dentaires, dans un but d’indemnisation du patient. Les mis-
sions sont d’autant plus variées que l’expert peut s’être spécialisé en orthopédie dento-faciale,
en implantologie ou se consacrer à l’odontologie polyvalente. Seule la formation initiale est
commune ; les missions sont disparates, les formations complémentaires indispensables sont
diverses et multiples. Mais les valeurs qui guident l’exercice expertal sont toujours les mêmes :
impartialité, loyauté, et rigueur, remplir sa mission personnellement, entretenir ses connais-
sances techniques et procédurales, garder son indépendance, faire preuve de tact et discrétion,
respecter le magistrat, respecter les délais qui lui sont demandés pour la remise du rapport,
∗ Correspondance.
Adresse e-mail : anne.becart@univ-lille2.fr
http://dx.doi.org/10.1016/j.jemep.2016.01.007
2352-5525/© 2016 Publié par Elsevier Masson SAS.
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rester courtois à l’égard des parties, rester confraternel. La complexité des situations à étudier
s’accompagne de nombreux devoirs mais c’est ce qui constitue la richesse de cet exercice si
particulier.
© 2016 Publié par Elsevier Masson SAS.
KEYWORDS Summary The missions of odontological appraisal can have very different aims, and just one
Expertise; common feature that is the initial training of the expert. This expert will use his technical
Odontology; knowledge in odontology to the magistrate’s benefit. It is essential that the judiciary expert
Deontology has specific knowledge in assessment as well as in the field of odontology and he must prove
that he performs continuous training. In the French law, the expert has to testify in penal,
administrative or civil court, according to the mission. In penal court, the expert has to evaluate
the dental wounds or tooth loss during agressions and assaults, or to identify, by the way of
the teeth, an individual who can’t be recognized by visual way because of the state of the
body, or he will analyze a bitemark on a living or deceased victim in this aim to identify the
author between the suspects. For the administrative or civil court, he will evaluate the dental
damages or study the responsibility and the fault of the dentist in wrong dental cares with an
objective of indemnity for the patient. The missions are very different but the expert can also
be specialized in dental orthopedics, implants, or current odontology. The initial training is
common, the missions are very different, the complementary courses are numerous. But the
ethical values in the expertise remain the same: impartiality, honesty and strictness, performing
the mission himself, keeping the technical and assessment knowledge in current practices,
keeping his independence, being discreet, respecting the magistrate, give the report in time,
remaining courtesy. The complexity of the cases involves many duties but this constitute the
wealth of this particular exercise.
© 2016 Published by Elsevier Masson SAS.
Introduction Définition
L’expertise judiciaire [1,2] est la réunion de parties, consti-
Les termes d’expertise odontologique recouvrent des tuées par un demandeur et un défendeur. Les caisses
notions multiples et disparates qui n’ont en commun que d’assurance maladie sont parfois parties également. Les
la formation initiale de l’expert, chirurgien-dentiste ou sto- parties sont assistées de conseils, en la personne des avo-
matologue. Ce professionnel de la sphère bucco-dentaire cats mais parfois également de professionnels de santé :
et des soins dentaires mettra ses compétences techniques conseils d’assurance ou médecins de recours dont le rôle
au service de la justice, pour des missions d’expertises est d’assister l’une des parties. Les parties sont réunies
judiciaires très variées, telles que l’évaluation de lésions par l’expert qui les convoque. L’expert aura préalablement
bucco-dentaires dans un contexte de coups et blessures, demandé les pièces médicales en lien avec l’affaire, il devra
l’identification, au moyen de sa dentition, d’une personne les analyser, les trier et retenir celles qui présentent un inté-
décédée non reconnaissable, l’analyse, sur une victime rêt pour l’affaire en cours. Le temps de l’expertise va se
vivante ou décédée, de traces de morsures, afin de compa- dérouler en présence de toutes les parties, l’expertise judi-
rer la trace de morsure à la dentition d’un suspect. Il ciaire étant contradictoire c’est-à-dire que l’une et l’autre
pourra également remplir, auprès des juridictions civiles ou des parties doivent être présentes, entendre la version de
administratives, des missions telles que l’évaluation de la l’autre partie, et avoir connaissance des différentes pièces
réparation du dommage dentaire ou la recherche de res- existantes. À l’issue de la réunion d’expertise, après avoir
ponsabilité dans les dommages liés aux soins dentaires. examiné la victime et analysé les pièces, l’expert dépose un
L’expert odontologiste peut donc répondre aux missions des rapport écrit auprès du tribunal qui l’a nommé.
tribunaux mais également être missionné par une compa- L’expertise n’est pas un acte thérapeutique, diagnos-
gnie d’assurance ou par l’assurance maladie. Nous nous tique ou de prévention. Ce n’est donc pas un acte de soin,
bornerons ici à évoquer les missions remplies par l’expert néanmoins l’expert judiciaire va utiliser des outils médicaux
judiciaire, au service des tribunaux. tels que l’interrogatoire médical des parties, l’examen
Expertise odontologique judiciaire 99
clinique de la personne à examiner, l’analyse de son dossier à expertiser se fait uniquement en présence médicale. Ce
médical, pour en tirer des conclusions au plan médico-légal. principe du respect du contradictoire peut mettre à mal
la confidentialité, entraîner une gêne de la personne exa-
La formation de l’expert judiciaire minée, lorsque ses pathologies, fussent-elles dentaires, ses
habitudes de vie seront exposées au grand jour devant des
L’expert judiciaire a une formation médicale et va mettre personnes qui lui étaient parfaitement inconnues quelques
ses connaissances techniques au service de la justice. heures auparavant.
L’expert odontologique est un chirurgien-dentiste de forma-
tion ou un stomatologiste. Selon le dommage à analyser,
le choix d’un chirurgien-dentiste spécialisé en odontolo- L’expertise pénale en odontologie
gie générale ou en orthopédie dento-faciale, ou celui d’un
stomatologue prenant en charge les traumatismes maxillo- L’expertise pénale a un objectif purement judiciaire, celui
faciaux sera à déterminer, afin de répondre de la manière de confondre un suspect, de qualifier une infraction et, pour
la plus précise aux questions de la mission. Le praticien qui les besoins de l’enquête, d’éclairer le magistrat. La sanc-
ne serait pas dans son domaine de prédilection veillera à tion encourue par l’auteur est corrélée à la qualification
refuser une mission pour laquelle il n’est que partiellement des faits. La qualification est elle-même en rapport avec
compétent, au profit de la personne expertisée. La forma- l’importance des lésions que présente la victime.
tion initiale dentaire ou stomatologique sera évidemment
complétée, a minima, par une formation à l’expertise qui
permettra à l’expert de produire des rapports d’expertise Les constats de coups et blessures ayant
répondant aux attentes de la Justice. Pour ce qui concerne entraîné des lésions dentaires
les missions de type identification dentaire des personnes L’expert judiciaire, au pénal, a pour rôle d’examiner la
ou analyse de traces de morsure, une formation spécifique victime, de décrire les lésions qu’elle a subies et leurs
obtenue par un diplôme universitaire d’identification ou conséquences. Il intervient pour des situations telles que
d’odontologie légale s’impose mais cette formation théo- les agressions avec coups et blessures volontaires, les coups
rique devra s’accompagner d’une formation pratique sur le et blessures involontaires, les crimes (homicide, meurtre,
terrain, au sein d’une équipe de médecine légale. À l’instar assassinat ou viol). Il revient à l’expert de préciser les élé-
de tout expert judiciaire, l’obligation de formation continue ments de gravité des lésions qui permettront de déterminer
s’impose et l’expert odontologiste devra justifier, annuelle- l’incapacité totale de travail (ITT) au sens pénal. L’expert
ment, de sa participation à des formations de type expertal établira également l’étendue des séquelles c’est-à-dire des
mais aussi dentaires, afin de se tenir informé de l’évolution lésions qui perdurent au-delà d’une date dite de consoli-
des pratiques et des « données acquises de la science » dans dation à partir de laquelle l’état de la victime n’évoluera
le domaine de la dentisterie, la prothèse, l’implantologie. plus, ni en amélioration, ni en aggravation. La victime sera
alors guérie, avec un retour à l’état de santé qui était le
Les limites des missions de l’expert judiciaire sien avant les faits, ou stabilisée, porteuse de séquelles qu’il
faudra évaluer.
L’expert doit éclairer le magistrat au plan technique.
Le certificat de constat [2], chronologiquement proche
L’expert ne prononce pas de jugement et ne fixe pas les
des faits, est le plus souvent établi en vue de déterminer
indemnités. L’expert va recevoir une mission précise, un
l’ITT (incapacité totale de travail) au sens pénal. Ce cer-
ensemble de questions lui sont posées, il devra répondre
tificat descriptif détaille la localisation du traumatisme et
à toutes mais ne pas déborder du cadre de sa mission. On
les dents touchées. Les lésions dentaires sont répertoriées
dit que l’expert remplit « toute la mission, rien que la mis-
selon la terminologie médico-légale. Ce certificat servira de
sion. » Cette mission doit être remplie à titre personnel,
certificat initial lors d’une expertise ultérieure. Les certifi-
même si l’expert peut être assisté ou s’entourer de compé-
cats produits au sein des UMJ ont l’intérêt d’être précis et
tences complémentaires des siennes, en la personne d’un
centrés sur l’usage qui en sera fait ultérieurement. Dans ce
sapiteur. L’expert doit informer la personne examinée sur
type de certificat seront décrits :
les objectifs de sa mission et son contenu. Il doit respecter • les lésions dentaires traumatiques (contusions, luxations,
les délais donnés par le magistrat pour terminer la mission
fractures) ;
et remettre son rapport. • les traitements d’urgence ;
• la prise en charge de la douleur ;
La déontologie de l’expert judiciaire • les traitements différés à envisager (conservation de la
Il doit rester parfaitement neutre, impartial et indépen- vitalité dentaire ou non, préservation de la dent elle-
dant vis-à-vis des parties, des conseils et des compagnies même, implant ou prothèse à envisager) ;
d’assurance. Il doit se récuser, c’est-à-dire refuser la mission • l’ITT sera chiffrée en jours.
s’il s’estime non compétent dans le domaine ou s’il a un lien
de parenté, un lien amical ou de connaissance avec l’une ou
l’autre des parties. L’expert doit respecter le principe du
L’identification odontologique
contradictoire en vertu duquel toutes les pièces, et donc L’objectif
tout le contenu du dossier doit être connu de l’ensemble Le but visé par ce type d’expertise dentaire [3—5] est de
des parties. Le dossier médical de la personne expertisée confirmer, au moyen d’éléments dentaires, une présomption
va être exposé devant l’autre partie, devant les conseils, d’identité pour un sujet dont l’identité ne peut être confir-
devant les avocats. Seul l’examen clinique de la personne mée visuellement, en raison de l’état dégradé du corps.
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