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Ethics, Medicine and Public Health (2016) 2, 97—102

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DOSSIER « EXPERTISE EN MÉDECINE ET PSYCHIATRIE LÉGALE »


Pratiques et concepts

Expertise odontologique judiciaire


Odontological judiciary expertise

A. Becart-Robert a,b,∗

a
Service de médecine légale, UE 7367, CHU de Lille, université de Lille, 59000 Lille, France
b
Institut de médecine légale, rue Verhaeghe, 59000 Lille, France

Reçu le 13 octobre 2015 ; accepté le 7 janvier 2016


Disponible sur Internet le 7 mars 2016

MOTS CLÉS Résumé Les missions d’expertise odontologique peuvent viser des objectifs extrêmement
Expertise ; divers, sans autre caractère commun que celui de la formation initiale de l’expert. Celui-ci
Odontologie ; mettra ses connaissances techniques, dans le domaine de l’odontologie, au profit du magistrat
Déontologie qui lui a confié cette mission afin de lui apporter l’éclairage dont il a besoin pour prononcer
un jugement. Il est donc essentiel que l’expert judiciaire puisse faire état de connaissances
spécifiques dans le domaine expertal tout comme dans celui de l’odontologie, sous tous ses
aspects et qu’il atteste de sa formation continue. En Droit français, l’expert aura à répondre
auprès de juridictions pénales, civiles ou administratives, selon le type de mission qu’il rem-
plit. Pour une juridiction pénale, l’expert évaluera les lésions bucco-dentaires dans un contexte
de coups et blessures ou il procédera à l’identification, au moyen de sa dentition, d’une per-
sonne décédée non reconnaissable, ou encore il réalisera l’analyse, sur une victime vivante ou
décédée, de traces de morsures. Auprès des juridictions civiles ou administratives, il évaluera
la réparation du dommage dentaire ou s’attachera à la recherche de responsabilités fautives
dans les dommages liés aux soins dentaires, dans un but d’indemnisation du patient. Les mis-
sions sont d’autant plus variées que l’expert peut s’être spécialisé en orthopédie dento-faciale,
en implantologie ou se consacrer à l’odontologie polyvalente. Seule la formation initiale est
commune ; les missions sont disparates, les formations complémentaires indispensables sont
diverses et multiples. Mais les valeurs qui guident l’exercice expertal sont toujours les mêmes :
impartialité, loyauté, et rigueur, remplir sa mission personnellement, entretenir ses connais-
sances techniques et procédurales, garder son indépendance, faire preuve de tact et discrétion,
respecter le magistrat, respecter les délais qui lui sont demandés pour la remise du rapport,

∗ Correspondance.
Adresse e-mail : anne.becart@univ-lille2.fr

http://dx.doi.org/10.1016/j.jemep.2016.01.007
2352-5525/© 2016 Publié par Elsevier Masson SAS.
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rester courtois à l’égard des parties, rester confraternel. La complexité des situations à étudier
s’accompagne de nombreux devoirs mais c’est ce qui constitue la richesse de cet exercice si
particulier.
© 2016 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Summary The missions of odontological appraisal can have very different aims, and just one
Expertise; common feature that is the initial training of the expert. This expert will use his technical
Odontology; knowledge in odontology to the magistrate’s benefit. It is essential that the judiciary expert
Deontology has specific knowledge in assessment as well as in the field of odontology and he must prove
that he performs continuous training. In the French law, the expert has to testify in penal,
administrative or civil court, according to the mission. In penal court, the expert has to evaluate
the dental wounds or tooth loss during agressions and assaults, or to identify, by the way of
the teeth, an individual who can’t be recognized by visual way because of the state of the
body, or he will analyze a bitemark on a living or deceased victim in this aim to identify the
author between the suspects. For the administrative or civil court, he will evaluate the dental
damages or study the responsibility and the fault of the dentist in wrong dental cares with an
objective of indemnity for the patient. The missions are very different but the expert can also
be specialized in dental orthopedics, implants, or current odontology. The initial training is
common, the missions are very different, the complementary courses are numerous. But the
ethical values in the expertise remain the same: impartiality, honesty and strictness, performing
the mission himself, keeping the technical and assessment knowledge in current practices,
keeping his independence, being discreet, respecting the magistrate, give the report in time,
remaining courtesy. The complexity of the cases involves many duties but this constitute the
wealth of this particular exercise.
© 2016 Published by Elsevier Masson SAS.

L’expertise odontologique L’expertise judiciaire

Introduction Définition
L’expertise judiciaire [1,2] est la réunion de parties, consti-
Les termes d’expertise odontologique recouvrent des tuées par un demandeur et un défendeur. Les caisses
notions multiples et disparates qui n’ont en commun que d’assurance maladie sont parfois parties également. Les
la formation initiale de l’expert, chirurgien-dentiste ou sto- parties sont assistées de conseils, en la personne des avo-
matologue. Ce professionnel de la sphère bucco-dentaire cats mais parfois également de professionnels de santé :
et des soins dentaires mettra ses compétences techniques conseils d’assurance ou médecins de recours dont le rôle
au service de la justice, pour des missions d’expertises est d’assister l’une des parties. Les parties sont réunies
judiciaires très variées, telles que l’évaluation de lésions par l’expert qui les convoque. L’expert aura préalablement
bucco-dentaires dans un contexte de coups et blessures, demandé les pièces médicales en lien avec l’affaire, il devra
l’identification, au moyen de sa dentition, d’une personne les analyser, les trier et retenir celles qui présentent un inté-
décédée non reconnaissable, l’analyse, sur une victime rêt pour l’affaire en cours. Le temps de l’expertise va se
vivante ou décédée, de traces de morsures, afin de compa- dérouler en présence de toutes les parties, l’expertise judi-
rer la trace de morsure à la dentition d’un suspect. Il ciaire étant contradictoire c’est-à-dire que l’une et l’autre
pourra également remplir, auprès des juridictions civiles ou des parties doivent être présentes, entendre la version de
administratives, des missions telles que l’évaluation de la l’autre partie, et avoir connaissance des différentes pièces
réparation du dommage dentaire ou la recherche de res- existantes. À l’issue de la réunion d’expertise, après avoir
ponsabilité dans les dommages liés aux soins dentaires. examiné la victime et analysé les pièces, l’expert dépose un
L’expert odontologiste peut donc répondre aux missions des rapport écrit auprès du tribunal qui l’a nommé.
tribunaux mais également être missionné par une compa- L’expertise n’est pas un acte thérapeutique, diagnos-
gnie d’assurance ou par l’assurance maladie. Nous nous tique ou de prévention. Ce n’est donc pas un acte de soin,
bornerons ici à évoquer les missions remplies par l’expert néanmoins l’expert judiciaire va utiliser des outils médicaux
judiciaire, au service des tribunaux. tels que l’interrogatoire médical des parties, l’examen
Expertise odontologique judiciaire 99

clinique de la personne à examiner, l’analyse de son dossier à expertiser se fait uniquement en présence médicale. Ce
médical, pour en tirer des conclusions au plan médico-légal. principe du respect du contradictoire peut mettre à mal
la confidentialité, entraîner une gêne de la personne exa-
La formation de l’expert judiciaire minée, lorsque ses pathologies, fussent-elles dentaires, ses
habitudes de vie seront exposées au grand jour devant des
L’expert judiciaire a une formation médicale et va mettre personnes qui lui étaient parfaitement inconnues quelques
ses connaissances techniques au service de la justice. heures auparavant.
L’expert odontologique est un chirurgien-dentiste de forma-
tion ou un stomatologiste. Selon le dommage à analyser,
le choix d’un chirurgien-dentiste spécialisé en odontolo- L’expertise pénale en odontologie
gie générale ou en orthopédie dento-faciale, ou celui d’un
stomatologue prenant en charge les traumatismes maxillo- L’expertise pénale a un objectif purement judiciaire, celui
faciaux sera à déterminer, afin de répondre de la manière de confondre un suspect, de qualifier une infraction et, pour
la plus précise aux questions de la mission. Le praticien qui les besoins de l’enquête, d’éclairer le magistrat. La sanc-
ne serait pas dans son domaine de prédilection veillera à tion encourue par l’auteur est corrélée à la qualification
refuser une mission pour laquelle il n’est que partiellement des faits. La qualification est elle-même en rapport avec
compétent, au profit de la personne expertisée. La forma- l’importance des lésions que présente la victime.
tion initiale dentaire ou stomatologique sera évidemment
complétée, a minima, par une formation à l’expertise qui
permettra à l’expert de produire des rapports d’expertise Les constats de coups et blessures ayant
répondant aux attentes de la Justice. Pour ce qui concerne entraîné des lésions dentaires
les missions de type identification dentaire des personnes L’expert judiciaire, au pénal, a pour rôle d’examiner la
ou analyse de traces de morsure, une formation spécifique victime, de décrire les lésions qu’elle a subies et leurs
obtenue par un diplôme universitaire d’identification ou conséquences. Il intervient pour des situations telles que
d’odontologie légale s’impose mais cette formation théo- les agressions avec coups et blessures volontaires, les coups
rique devra s’accompagner d’une formation pratique sur le et blessures involontaires, les crimes (homicide, meurtre,
terrain, au sein d’une équipe de médecine légale. À l’instar assassinat ou viol). Il revient à l’expert de préciser les élé-
de tout expert judiciaire, l’obligation de formation continue ments de gravité des lésions qui permettront de déterminer
s’impose et l’expert odontologiste devra justifier, annuelle- l’incapacité totale de travail (ITT) au sens pénal. L’expert
ment, de sa participation à des formations de type expertal établira également l’étendue des séquelles c’est-à-dire des
mais aussi dentaires, afin de se tenir informé de l’évolution lésions qui perdurent au-delà d’une date dite de consoli-
des pratiques et des « données acquises de la science » dans dation à partir de laquelle l’état de la victime n’évoluera
le domaine de la dentisterie, la prothèse, l’implantologie. plus, ni en amélioration, ni en aggravation. La victime sera
alors guérie, avec un retour à l’état de santé qui était le
Les limites des missions de l’expert judiciaire sien avant les faits, ou stabilisée, porteuse de séquelles qu’il
faudra évaluer.
L’expert doit éclairer le magistrat au plan technique.
Le certificat de constat [2], chronologiquement proche
L’expert ne prononce pas de jugement et ne fixe pas les
des faits, est le plus souvent établi en vue de déterminer
indemnités. L’expert va recevoir une mission précise, un
l’ITT (incapacité totale de travail) au sens pénal. Ce cer-
ensemble de questions lui sont posées, il devra répondre
tificat descriptif détaille la localisation du traumatisme et
à toutes mais ne pas déborder du cadre de sa mission. On
les dents touchées. Les lésions dentaires sont répertoriées
dit que l’expert remplit « toute la mission, rien que la mis-
selon la terminologie médico-légale. Ce certificat servira de
sion. » Cette mission doit être remplie à titre personnel,
certificat initial lors d’une expertise ultérieure. Les certifi-
même si l’expert peut être assisté ou s’entourer de compé-
cats produits au sein des UMJ ont l’intérêt d’être précis et
tences complémentaires des siennes, en la personne d’un
centrés sur l’usage qui en sera fait ultérieurement. Dans ce
sapiteur. L’expert doit informer la personne examinée sur
type de certificat seront décrits :
les objectifs de sa mission et son contenu. Il doit respecter • les lésions dentaires traumatiques (contusions, luxations,
les délais donnés par le magistrat pour terminer la mission
fractures) ;
et remettre son rapport. • les traitements d’urgence ;
• la prise en charge de la douleur ;
La déontologie de l’expert judiciaire • les traitements différés à envisager (conservation de la
Il doit rester parfaitement neutre, impartial et indépen- vitalité dentaire ou non, préservation de la dent elle-
dant vis-à-vis des parties, des conseils et des compagnies même, implant ou prothèse à envisager) ;
d’assurance. Il doit se récuser, c’est-à-dire refuser la mission • l’ITT sera chiffrée en jours.
s’il s’estime non compétent dans le domaine ou s’il a un lien
de parenté, un lien amical ou de connaissance avec l’une ou
l’autre des parties. L’expert doit respecter le principe du
L’identification odontologique
contradictoire en vertu duquel toutes les pièces, et donc L’objectif
tout le contenu du dossier doit être connu de l’ensemble Le but visé par ce type d’expertise dentaire [3—5] est de
des parties. Le dossier médical de la personne expertisée confirmer, au moyen d’éléments dentaires, une présomption
va être exposé devant l’autre partie, devant les conseils, d’identité pour un sujet dont l’identité ne peut être confir-
devant les avocats. Seul l’examen clinique de la personne mée visuellement, en raison de l’état dégradé du corps.
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La méthodologie Les dents sont donc un outil particulièrement utile


L’expert procède à une analyse comparative entre pour identifier les sujets carbonisés, noyés, retrouvés tar-
l’observation de la dentition d’un sujet décédé, non divement en état de décomposition, mutilés. Ce type
identifié et/ou non reconnaissable visuellement, et les infor- d’expertise concerne toutes les personnes qui ne peuvent
mations apportées par le dossier dentaire d’une personne, être reconnues par des proches, en raison de la dégrada-
dont on pense qu’elle pourrait être le sujet retrouvé. Le tion du corps, et particulièrement du visage, et qui ont fait
but est donc de rechercher les points de compatibilité entre l’objet de soins dentaires.
les observations dentaires dites post-mortem que l’on peut
faire sur le sujet décédé, et les informations dentaires dites L’analyse de morsures
ante-mortem figurant dans le dossier du chirurgien-dentiste L’objectif de cette analyse [6] sera de comparer une trace
traitant de la personne dont on pense qu’il pourrait s’agir. de morsure avérée, à la dentition d’un suspect afin de pou-
Si ces compatibilités sont en nombre suffisant (12 points voir sanctionner le mordeur. Que la victime soit vivante ou
de compatibilité sont requis), on pourra conclure qu’il décédée, la méthodologie d’analyse de morsures sera la
s’agit bien d’une seule et même personne. Un seul point même.
d’incompatibilité écartera la possibilité qu’il s’agisse du La méthodologie sera identique, que le mordeur soit
même sujet. humain ou animal.
L’étape d’observation de la trace de morsure présumée
Des compétences spécifiques vise à confirmer d’une part qu’il s’agit bien d’une trace
Toute la difficulté consistera pour l’expert à déterminer ce de morsure, d’autre part d’établir s’il s’agit d’une morsure
qui relève d’une simple discordance (due par exemple à humaine ou animale.
une erreur de numérotation dentaire ou à une erreur de La description s’intéressera à la localisation, la forme
retranscription au dossier) de l’incompatibilité réelle qui générale, le nombre et la forme des indentations, c’est-
entraîne nécessairement l’impossibilité de conclure à une à-dire des traces laissées par les surfaces de contact
même identité. C’est dans ce registre que la compétence dentaires. La trace de morsure étant éphémère, elle devra
technique et l’expérience clinique de l’expert ne peuvent être observée précocement et enregistrée rapidement.
être substituées par des logiciels de triage numérique. La L’enregistrement se fait sous la forme de photographies,
dentition est décrite méthodiquement, dent par dent et on avec présence d’un repère gradué, qui s’avérera utile si une
relève la présence ou l’absence, les anomalies de nombre analyse dimensionnelle est menée ultérieurement.
ou de morphologie, les pathologies dentaires traitées ou L’étude de la dentition du (ou des) suspect(s) débute par
non traitées, les traitements prothétiques ou implantaires. la prise d’empreintes dentaires, à l’aide d’un matériau de
La recherche des éléments utiles à l’identification et la type silicone, utilisé dans la prise d’empreintes dentaires. La
rédaction du rapport d’expertise requièrent une formation coulée de cette empreinte donnera une réplique (en plâtre
spécifique, complément indispensable à la formation ini- dur ou en résine) de la dentition, il sera alors plus facile de
tiale. caractériser et d’étudier la dentition. La réplique constitue
également un élément tangible qui pourra être produit au
Les indications tribunal.
Pourquoi avoir recours à la dentition pour identifier avec cer-
titude des sujets qui ne sont pas reconnaissables ? L’émail L’expertise civile en odontologie
qui recouvre la dent lui donne des qualités de résistance
La principale caractéristique de l’expertise civile est son
exceptionnelles, exploitées dans l’identification dentaire.
aspect contradictoire. Ce principe du contradictoire est pri-
La dent résiste parfaitement à la putréfaction ; sa morpho-
mordial, il assure que chaque partie, dûment convoquée et
logie et ses surfaces ne seront absolument pas altérées par
présente, pourra s’exprimer tour à tour, de manière égale,
la décomposition. La carbonisation peut toucher les dents
sous le contrôle impartial de l’expert qui ne doit, en rien,
antérieures, plus exposées, mais, dans les foyers d’incendie
favoriser l’une des parties.
où on peut avoir recours à l’identification dentaire (incendie
d’habitation, incendie de véhicule), les dents postérieures
(prémolaires et molaires) sont généralement préservées car La réparation du dommage dentaire
protégées par l’épaisseur de la langue et des joues. Enfin L’objectif
dans les cas où un traumatisme physique peut altérer la Dans ce type d’expertise [7] l’objectif est, pour la victime,
dentition (l’exemple classique étant le choc train contre d’obtenir une réparation du dommage qu’elle a subi, sous
piéton dans les suicides), on observera alors généralement la forme d’une indemnisation. Cette indemnisation doit être
quelques ébréchures des rebords incisifs ou cuspidiens qui juste et ne concerner que les lésions en lien direct et certain
ne seront pas un obstacle à l’analyse dentaire. avec les faits. On dit qu’il faut réparer « tout le dommage
Les matériaux utilisés en thérapeutique dentaire offrent mais rien que le dommage ». C’est à la victime d’apporter
généralement l’avantage d’être radio-opaques et donc faci- les preuves du dommage subi. Il faut que le dommage existe,
lement décelables par la radiographie. C’est le cas des qu’il ait entraîné des lésions dentaires avérées (trauma-
amalgames dentaires, des pâtes de traitement radiculaire tisme dentaire ou perte de dent) et que l’expert montre
employées dans les dévitalisations des dents. Tous les maté- qu’il y a bien une relation de cause à effet entre les faits et
riaux métalliques seront également retrouvés sur les clichés les lésions. Dans une procédure pénale, la victime peut se
mais résisteront également aux dégradations (crochets de constituer partie civile afin d’obtenir également une répa-
prothèses, couronnes, implants). ration financière.
Expertise odontologique judiciaire 101

Mission et conduite de l’expertise la responsabilité est mise en cause. L’expert va rechercher


L’expert aura pour mission d’établir l’imputabilité c’est- les éléments de preuve à l’appui des versions respectives
à-dire le lien de causalité entre les lésions constatées et données par les parties, lors de l’examen clinique de la vic-
les faits qui se sont produits, de déterminer les périodes time et dans l’analyse des pièces afin de déterminer si la
d’incapacité, d’évaluer quel était l’état dentaire de la vic- responsabilité du chirurgien-dentiste est engagée ou non et
time avant les faits qui se sont produits, d’évaluer les si la demande d’indemnisation formulée par le patient se
séquelles (perte de dent, perte de vitalité dentaire), de justifie.
déterminer les préjudices temporaires et définitifs (préju-
dice esthétique, quantum doloris, préjudice d’agrément, Mission et conduite de l’expertise
etc.). L’expert devra également fixer les frais déjà débour- L’expert, à la demande des tribunaux, va rechercher une
sés ou à venir notamment les renouvellements, selon une faute, qu’il s’agisse d’une faute de technique dans la
séquence précise, variable selon le type de prothèse, tout réalisation des actes dentaires (extraction dentaire, réali-
au long de la vie, d’une couronne, d’un bridge, d’un implant sation d’une prothèse, problème en lien avec l’anesthésie
ou d’une prothèse amovible. locorégionale. . .) mais peut également invoquer un défaut
L’indemnisation est corrélée à l’apport des éléments d’organisation de service en milieu hospitalier, un défaut
concernant l’existence et l’étendue des lésions. Pour en éta- de garantie d’environnement, une défectuosité du matériel
blir la portée, l’expert va s’appuyer en premier lieu sur le utilisé, ou un défaut d’information. L’expert peut établir
certificat initial établi lorsque la victime reçoit les premiers l’absence ou l’existence d’une faute. En milieu hospita-
soins. Au plus, ce certificat sera précis et complet, au mieux lier, la responsabilité est de type administratif c’est-à-dire
la victime pourra prétendre à une indemnisation juste. La que c’est l’hôpital qui endosse la faute du praticien sauf
réalisation, d’examens complémentaires, notamment radio- dans le cas où il s’agit d’une faute détachable du service
graphiques, est un élément très utile dans l’appréciation c’est-à-dire que la faute serait inexcusable. Les points sur
du dommage. Pour caractériser les lésions, évaluer les trai- lesquels le tribunal demande à l’expert de l’éclairer sont
tements effectués et les éventuelles séquelles, l’expert multiples et divers : y a-t-il eu faute technique, imprudence,
procède à un examen clinique bucco-dentaire complet, exo- négligence ou maladresse pré-, per- ou postopératoire,
et endo-buccal. y a-t-il eu un manque de précaution, a-t-on fait cou-
Les pièces du dossier, antérieures aux faits, permettront rir des risques disproportionnés par rapport aux bénéfices
à l’expert d’établir l’état dentaire de la victime avant les escomptés, l’indication d’intervention était-elle correcte,
faits [8], et de borner l’étendue des lésions. Il s’intéressera le traitement était-il utile et adapté, un délai de réflexion
également aux prescriptions et actes d’urgence qui ont été a-t-il été laissé au patient, les actes pratiqués étaient-ils
nécessaires. L’expert analysera le dossier de soins, les dates conformes aux règles de l’art et aux données acquises de la
de consultation qui permettront d’établir leur nombre et science ? On perçoit immédiatement l’intérêt d’un dossier
leur fréquence, les comptes rendus opératoires, les comptes de soins bien documenté, archivé, transmis sans problème.
rendus d’examens complémentaires, les courriers, autant Lorsque la prise en charge a été exempte de toute faute,
d’éléments qui permettront d’apporter des informations sur produire un tel dossier va permettre de dédouaner l’hôpital
l’évolution de l’état du blessé et sur ses capacités à retrou- ou le praticien.
ver un état dentaire identique à celui qu’il avait avant les L’une des fautes les plus fréquentes, mal connue des
faits, on parlera alors de guérison médico-légale, ou s’il praticiens mais particulièrement prisée des victimes qui
subsiste des séquelles, de consolidation. recherchent une indemnisation, est le défaut d’information.
Les périodes durant lesquelles la victime aura été en Selon la loi française, tout acte thérapeutique doit
incapacité et n’aura pu procéder aux actes habituels de s’accompagner d’un consentement du patient, faute de
la vie courante, sans aide, ou de manière complète, et en quoi on pourrait dire qu’il est porté atteinte à l’intégrité
particulier les difficultés d’élocution en lien avec une altéra- du corps humain. Tout acte thérapeutique doit donc obli-
tion de la dentition, les difficultés d’alimentation (nécessité gatoirement être précédé du recueil de consentement de
d’alimentation liquide ou douleur lors de la mastication l’intéressé à se soumettre à cet acte, hors cas d’urgence
d’aliments durs), seront déterminées par l’expert. évidemment. Pour que ce consentement soit valable, il doit
Il se prononcera sur les douleurs qu’a pu ressentir la vic- être éclairé c’est-à-dire que la personne a dû être informée.
time, recherchera les prescriptions antalgiques, les échelles Cette obligation d’information est soulignée dans la loi du
d’évaluation de la douleur, la durée des prescriptions, la 4 mars 2002, dite loi Kouchner, loi relative aux droits des
notion de recours à des consultations de psychologue ou de patients et à la qualité du système de santé [10]. Il y est dit
psychiatre en cas de retentissement psychologique impor- que « le professionnel de santé doit à la personne qu’il exa-
tant. Les douleurs, physiques ou morales sont quantifiées par mine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale,
l’expert sur une échelle spécifique et feront l’objet d’une claire et appropriée sur son état, sur les investigations et les
indemnisation. soins qu’il lui propose, sur les alternatives thérapeutiques ».
L’information doit également porter sur « tous les risques
fréquents ou non, légers ou graves ». L’information incombe
Recherche de responsabilités du au professionnel de santé lui-même, il doit s’assurer de la
chirurgien-dentiste bonne compréhension de l’information donnée. On parlera
L’objectif de défaut d’information si l’information est incomplète, si
Dans ce type d’expertise judiciaire [9], deux parties vont le patient n’a pas eu de délai de réflexion, si le formulaire
se trouver en présence, une victime (ou ses ayants droit si de consentement a été remis par le biais d’un secrétariat,
la victime est décédée), et un professionnel de santé dont sans explications du professionnel de santé lui-même, ou si
102 A. Becart-Robert

simplement le patient indique qu’on ne lui a pas expliqué Conclusion


les choses de manière telle qu’il ait parfaitement compris.
Pour un acte aussi courant qu’un traitement de carie sous Comme on a pu le constater les missions sont très variées, la
anesthésie locale ou une extraction, il paraît souvent formation initiale peut se terminer par un cursus spécialisé,
inopportun de consacrer plusieurs minutes à expliciter qui déterminera le choix de l’expert par le juge, en fonction
l’ensemble des risques inhérents à une anesthésie locale, de son domaine de prédilection : orthopédie dento-faciale,
et souvent le chirurgien-dentiste a le sentiment qu’il va implantologie ou odontologie polyvalente. Les formations
effrayer son patient en lui exposant de manière exhaustive complémentaires indispensables sont diverses (expertales
les risques légers ou graves. Quand l’accident survient, ou techniques) et doivent se maintenir en continu afin que
le défaut d’information va pourtant nécessairement être l’expert garde un niveau de compétence stable tout au
évoqué. La perte de sensibilité labiale ou linguale par long de sa carrière, et qu’il ait connaissance des évolu-
atteinte de filets nerveux lors d’une extraction de dent de tions et des « données acquises de la science » en matière
sagesse est un exemple fréquent. La gêne ressentie par le dentaire. Mais les valeurs qui guident l’exercice expertal
patient est souvent à l’origine du litige, alors que ce type de sont immuables et s’imposent à tous : impartialité, loyauté,
séquelles reste parfois limité et le plus souvent transitoire. et rigueur, remplir sa mission personnellement, entretenir
Dans le cadre général de l’expertise, c’est le patient ses connaissances techniques et procédurales, garder son
qui doit apporter les preuves des dommages qui lui ont indépendance, faire preuve de tact et discrétion, respec-
été causés, en remettant notamment à l’expert les pièces ter le magistrat, respecter les délais qui lui sont demandés
de son dossier médical. L’information reçue par le patient pour la remise du rapport, rester courtois à l’égard des
constitue une exception car il y a une inversion de la parties, rester confraternel. La complexité des situations à
charge de la preuve. C’est « celui qui est tenu à une étudier s’accompagne de nombreux devoirs mais c’est ce qui
obligation particulière d’information qui doit apporter la constitue toute la difficulté et la richesse de cet exercice si
preuve de l’exécution de cette obligation ». C’est donc au particulier.
chirurgien-dentiste d’apporter la preuve qu’il a bien donné
l’information au patient et que cette information était cor-
recte. Comment apporter cette preuve ? La loi dit « par Déclaration de liens d’intérêts
tout moyen ». Les questionnaires de consentement remis
au patient avant une intervention constituent des éléments L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
productibles en tant que preuve mais ne sont pas utilisés
pour les actes dentaires simples et ne le sont que pour la
réalisation de pose d’implants ou d’extractions multiples. Références
Pour l’expert, la meilleure des preuves reste la mention por-
tée au dossier dentaire de la date à laquelle l’information [1] Comité de réflexion du Conseil national des compagnies
a été donnée. L’existence d’une deuxième mention qui per- d’experts de justice. Vade-mecum de l’expert de justice. Paris:
met d’établir qu’il y a eu un délai de réflexion accordé Conseil national des compagnies d’experts de justice; 2014
[175 p.].
au patient, tous les courriers qui ont été écrits au patient
[2] Baccino E. Médecine légale clinique. Paris: Elsevier; 2015.
peuvent faire état de la preuve de la délivrance d’une infor- p. 328.
mation, et ces éléments se retrouvent chronologiquement [3] Harvey W. Dental identification and forensic odontology. Lon-
dans un dossier conforme aux recommandations de la HAS don: Henry Kimpton publishers; 1976 [188 p.].
[11]. [4] Beauthier JP. Traité de médecine légale. Bruxelles: De Boeck;
La loi du 4 mars 2002 fait également obligation au prati- 2011 [1054 p.].
cien d’effectuer ses actes dans les meilleures conditions de [5] Whittaker DK, MacDonald DG. A colour atlas of forensic dentis-
sécurité sanitaire, afin d’éviter la transmission des patho- try. Ipswich: Wolfe publishing; 1989 [134 p.].
logies. Cette obligation s’impose vis-à-vis des patients mais [6] Bowers CM, Bell G. Manual of forensic odontology. Colorado
le personnel employé au cabinet dentaire peut également Spring: Averill; 1991 [357 p.].
[7] Béry A, Cantaloube D, Delprat L. Expertise dentaire
l’invoquer et mettre en cause la responsabilité du prati-
et—maxillo-faciale. Principes, conduite, indemnisation. Les
cien. Ce sont ici les conditions de décontamination et de Ulis: EDP Science; 2010 [406 p.].
stérilisation du matériel utilisé pour les soins dentaires qui [8] Gosset D, Hédouin V, Bécart A. L’état antérieur. Rev Stomatol
sont évoquées. En milieu hospitalier, les obligations dans ce Chirmaxillofac 1997;98(1):109—13.
domaine sont clairement définies par des circulaires, leur [9] Lopez et G, Tzitzis S. Dictionnaire sciences criminelles. Paris:
application étant sous le contrôle des pharmacies hospi- Dalloz; 2004 [1013 p.].
talières. Ce n’est pas le cas pour l’exercice libéral où les [10] Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients et à la qua-
installations ne sont soumises qu’à la seule appréciation du lité du système de santé. www.legifrance.gouv.fr [consulté le
chirurgien-dentiste. La mission d’expertise peut comporter 10 décembre 2015].
des questions portant sur le respect des conditions d’asepsie [11] Dossier du patient en odontologie. www.has-sante.fr [consulté
le 10 décembre 2015].
et d’hygiène dans les soins et sur l’implantation du matériel.

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